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LES LOGIQUES SOCIOLOGIQUES DE SOUTIEN AU PROCESSUS D'INTÉGRATION EUROPÉENNE : ÉLÉMENTS D'INTERPRÉTATION Céline Belot De Boeck Université | Revue internationale de politique comparée 2002/1 - Vol. 9 pages 11 à 29 ISSN 1370-0731 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2002-1-page-11.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Belot Céline , « Les logiques sociologiques de soutien au processus d'intégration Européenne : éléments d'interprétation » , Revue internationale de politique comparée, 2002/1 Vol. 9, p. 11-29. DOI : 10.3917/ripc.091.0011 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Université. © De Boeck Université. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - upmf_grenoble - - 195.221.54.164 - 04/11/2011 16h13. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - upmf_grenoble - - 195.221.54.164 - 04/11/2011 16h13. © De Boeck Université
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Les logiques sociologiques de soutien au processus d'intégration Européenne : éléments d'interprétation

Feb 21, 2023

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LES LOGIQUES SOCIOLOGIQUES DE SOUTIEN AU PROCESSUSD'INTÉGRATION EUROPÉENNE : ÉLÉMENTS D'INTERPRÉTATION Céline Belot De Boeck Université | Revue internationale de politique comparée 2002/1 - Vol. 9pages 11 à 29

ISSN 1370-0731

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2002-1-page-11.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Belot Céline , « Les logiques sociologiques de soutien au processus d'intégration Européenne : éléments

d'interprétation » ,

Revue internationale de politique comparée, 2002/1 Vol. 9, p. 11-29. DOI : 10.3917/ripc.091.0011

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Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 9, n° 1, 2002 11

LES LOGIQUES SOCIOLOGIQUES DE SOUTIEN

AU PROCESSUS D’INTÉGRATION EUROPÉENNE :ÉLÉMENTS D’INTERPRÉTATION

Céline BELOT

À travers une étude portant sur le soutien exprimé par les citoyens à l’intégrationeuropéenne, cet article entend contribuer à la compréhension des logiques sociolo-giques qui caractérisent l’expression d’une citoyenneté européenne, en proposant àla fois une synthèse des différentes théories existantes (théories de la mobilisationcognitive et de l’orientation des valeurs d’Inglehart, théorie de l’évaluation utili-taire des théories intégratives de Gabel, approche en terme de réaction à l’innova-tion développée par Percheron, etc.) et un aperçu des apports d’une approchequalitative à ce questionnement. Il invite en conclusion à aborder ce type de ques-tionnement en s’intéressant non seulement au degré de soutien des citoyens au sys-tème politique européen, mais aussi au type de soutien exprimé, et aux différentesvisions de la citoyenneté européenne et se faisant de “l’Europe” qui s’en dégagent.

La citoyenneté européenne se décline aujourd’hui en des pratiques citoyen-nes telles que le vote aux élections locales et européennes ou le recours aumédiateur, en réponse aux droits définis comme constitutifs de cette citoyen-neté dans l’article 8 du Traité sur l’Union européenne. Elle s’articule égale-ment autour d’un “être citoyen européen”. La notion de citoyenneté s’ancreen effet dans la reconnaissance par chaque individu de son appartenance àune communauté de citoyens partageant un cadre politique, territorial etsymbolique, commun1. Le présent article privilégie une telle approchesociétale de la citoyenneté européenne comme émanation des citoyens. Ilcontribue de ce fait à une réflexion déjà développée par plusieurs auteursselon laquelle l’étude du type de citoyenneté européenne qui se dégageaujourd’hui à travers le vécu et le discours des citoyens constitue un défimajeur pour la science politique européenne2, notamment parce qu’à travers

1. Pour une définition des différentes composantes de la citoyenneté, voir : LECA J., “Questions sur lacitoyenneté”, Projet, janvier/février 1983, n° 171/172, pp. 113-125.

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12 Céline Belot

la citoyenneté s’affirme l’expression d’un certain modèle de légitimité pourl’Union européenne, qui lui-même concourt à la définition du système poli-tique européen. L’analyse présentée ici, si elle s’inscrit dans ce cadre derecherche, n’en propose cependant qu’un aperçu très restreint. La citoyen-neté européenne est en effet abordée uniquement à travers ce qui en consti-tue un fondement préalable : l’existence d’un soutien des citoyens à l’Unioneuropéenne et au processus d’intégration. Notre étude repose de fait sur lepostulat que le soutien constitue la pierre angulaire de cette citoyenneté,puisqu’il représente une première forme de reconnaissance de la légitimitédu système politique européen. L’objectif de cet article est dès lors de s’in-terroger sur les logiques sociologiques de production de ce soutien et dechercher à les comprendre.

Le soutien des citoyens à l’intégration européenne : un soutien élitaire

L’étude des attitudes des citoyens à l’égard de la Communauté européenne,puis de l’Union, et du processus d’intégration a donné lieu depuis la fin desannées 1950 a une littérature assez fournie. Les analyses proposées se déve-loppent toutes autour d’un constat commun : l’existence d’un large consen-sus d’opinions favorables à l’égard de l’intégration et de l’Union européennesdes années 1950 au début des années 1990, et la rupture de ce consensusdans les années 1990, les individus favorables à l’intégration européenne nereprésentant plus qu’une forte minorité3.

Dès les années 1950, les premières enquêtes d’opinion réalisées sur cethème montrent en effet qu’une majorité des citoyens est favorable à l’unifi-cation des pays d’Europe occidentale. Elles mettent également en évidenceque l’hostilité à son égard est quasi inexistante alors que les indécis sont parcontre assez nombreux4. Au début des années 1970, L. Lindberg et S.Scheingold réitèrent ce constat à travers leur ouvrage Europe’s Would Be

2. Voir sur ce point les analyses développées par Y. Déloye dans son article : DÉLOYE Y., “De lacitoyenneté stato-nationale à la citoyenneté européenne : quelques éléments des conceptualisation”, SwissPolitical Science Review, vol. 4, n° 4, 1998, pp. 169-194 ; ainsi que l’approche de la citoyenneté euro-péenne proposée dans notre recherche de thèse : BELOT C., “La citoyenneté européenne, instrument delégitimation du système politique européen”, in BELOT C., L’Europe en citoyenneté. Jeunes Français etBritanniques dans le processus de légitimation de l’Union européenne – thèse doctorale de sciencepolitique, Grenoble, 2000, pp. 77-100.3. L’objectif du présent article n’est pas d’offrir des éléments de compréhension de la rupture du con-sensus permissif, mais de saisir quelles sont les logiques du soutien à l’intégration européenne. Pour uneprésentation de la thèse de la rupture du consensus permissif et de ses explications, se reporter au chapi-tre 2 de notre thèse de doctorat : “Le citoyen face à l’intégration européenne : du “consensus permissif”à la réactivité”, in : BELOT, C., op. cit., 2000, pp. 101-164.4. Voir l’article suivant : RABIER J.R., “L’opinion publique et l’intégration de l’Europe dans les an-nées 50”, in SERRA E., (éd.), La relance européenne et les traités de Rome, Bruxelles, Bruylant, 1989,pp. 561-584.

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Les logiques sociologiques de soutien au processus d’intégration européenne 13

Polity6. Ils en concluent que l’intégration européenne est l’objet d’un con-sensus dans la population, mais qu’il s’agit d’un “consensus permissif”, leursattitudes à son égard n’étant que faiblement structurées. Au début des an-nées 1990, dans l’un des rares articles de littérature française consacrés àces questions, A. Percheron exprime des conclusions très similaires. Ellemontre en effet que les opinions favorables exprimées par la grande majo-rité des Français à l’égard de l’Europe relèvent plus d’un “acquiescement defaçade” que d’une “adhésion véritable”7. La mise en évidence de l’exis-tence d’un tel consensus sur le long terme n’empêche cependant pas de s’in-terroger sur les logiques de production des opinions à l’égard de l’intégrationeuropéenne.

De fait, toutes les études montrent que, en dépit de ce consensus les indi-vidus ne sont pas tous aussi favorables à l’intégration européenne, sans comp-ter que des années 1950 aux années 1970, près d’un cinquième de lapopulation des États membres refuse de se prononcer sur ce point. Danscette perspective, R. Inglehart a été le premier à mettre en évidence l’exis-tence de logiques sociologiques dans la production des opinions à l’égard del’Europe. Il montre en particulier que les jeunes des années 1960 y sont plusfavorables que leurs aînés, ce qu’il considère à la fois comme un effet d’âge

Évolution du soutien sur l’appartenance de son pays à l’Union européenne(moyenne UE)5

5. Source : Eurobarometre 55, printemps 2001.6. LINDBERG L. et SCHEINGOLD S., Europe’s Would Be Polity. Patterns of Change in the EuropeanCommunity, New Jersey, Prentice Hall, 1970, 314 pages.7. Cf. PERCHERON A., “Les Français et l’Europe. Acquiescement de façade ou adhésion vérita-ble ?”, Revue Française de Science Politique, n° 41, n° 3, juin 1991, pp. 382-406.

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et un effet de génération8. Ces conclusions concernant l’influence de l’âgedans la production des attitudes à l’égard de l’Europe ont depuis été large-ment remises en cause9. Par contre dès cette époque R. Inglehart insisteégalement sur une autre logique de production considérée depuis commel’un des facteurs déterminants des opinions à l’égard de l’Europe : l’effet duniveau d’éducation. Pour lui en effet il s’agit du facteur prédictif le plusrobuste, par delà même la question de la nationalité10. Les recherches de cestrente dernières années tendent toutes à conforter l’idée de l’importance duniveau de diplôme dans la production d’attitudes à l’égard de l’intégrationeuropéenne11. Ces recherches se retrouvent dans le constat exprimé par A.Percheron à propos des Français : “Plus le degré d’instruction s’élève, plusaugmente la proportion des opinions très favorables à la construction euro-péenne”12, et ce quelle que soit la population étudiée. Elles concluent dèslors toutes comme B. Cautrès et B. Denni que “le niveau de diplôme consti-tue (…) une “variable lourde” explicative des attitudes européennes”13.

Si le rôle joué par le niveau de diplôme dans la structuration des attitudesdes citoyens à l’égard de l’Europe a été considéré comme particulièrementprégnant, il n’a cependant pas occulté l’observation d’autres types d’effetsqui lui sont pour partie liés. Dès les années 1960, D. Puchala a montré que laprofession participe des logiques de production des opinions à l’égard del’Europe. Il a notamment observé que les ouvriers et employés étaient beau-coup moins favorables à la Communauté que le reste de la population, enparticulier que les commerçants et les industriels14. Quelques trente ans plustard, P. Bréchon, B. Cautrès et B. Denni constatent que, quel que soit lepays, “la profession est un indicateur du statut socio-économique qui exercedes effets importants. (…) les cadres sont les plus favorablement disposés,

8. INGLEHART R., “An End of European Integration ?”, American Political Science Review, n° 61,1967, pp. 91-105.9. Cf. entre autres : PETRUS A., Europeans about Europe, Amsterdam : Swets and Zeitlinger, 1970,174 pages ; BRECHON P., “Les jeunes et l’Europe. Enquête comparative internationale”, Littérature etnation, n° hors-série, 1995, pp. 75-87 ; BELOT C. et TOURNIER V., “Les jeunes, l’Europe et la na-tion”, in CAUTRÈS B., BRÉCHON P. (dirs), Les enquêtes Eurobaromètres – Analyse comparée desdonnées socio-politiques, Paris, L’Harmattan, 1998, pp. 115-129.10. INGLEHART R., “Cognitive Mobilization and European Integration”, Comparative Politics, vol. 3,n° 1, 1970, p. 51.11. Cf. entre autres HANDLEY D., “Public Opinion and European Integration : The Crisis of the 1970s”,European Journal of Political Research, vol. 9, 1981, pp. 345-347 ; JAHN D. et STORSVED A.S.,“Legitimacy through Referendum ? The Nearly Successful Domino-Strategy in the EU-Referendums inAustria, Finland, Sweden and Norway”, West European Politics, vol. 18, n° 4, 1995, pp. 18-37 ; DU-CHESNE S. et FROGNIER A.P., “Is There a European Identity ?”, in NIEDERMAYER O. et SINNOTTR. (eds), Public Opinion and International Governance, Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 209.12. PERCHERON A., op. cit., 1991, p. 395.13. CAUTRÈS B. et DENNI B., “Les attitudes des Français à l’égard de l’Union européenne : les logi-ques du refus”, in BRÉCHON P., LAURENT A. et PERRINEAU P., (dirs), Les cultures politiques desFrançais, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, p. 332.14. PUCHALA D., “The Common Market and Political Federation in Western European Public Opi-nion”, International Studies Quarterly, vol. 14, n° 1, 1970, pp. 32-59.

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viennent ensuite les employés puis les ouvriers”15. Diverses recherches ontégalement mis en évidence l’existence d’un effet de revenu : plus les indivi-dus ont des revenus élevés, plus ils sont favorables au processus d’intégra-tion européenne16. Or, si ces trois effets, effet de diplôme, effet de professionet effet de revenus – sont liés, ils ne se confondent cependant pas, et nepeuvent être considérés comme un seul et même effet mesuré à travers troisvariables différentes. R. Inglehart observe que ces effets se surajoutent lesuns aux autres, le niveau de diplôme constituant cependant le facteur le plusdéterminant17. A. Percheron aboutit également au même constat.

Nous pouvons dès lors reprendre ses conclusions selon lesquelles “il existeune sociologie clairement marquée de l’idée européenne”18. Plus précisé-ment à travers ces quelques éléments de compréhension des logiques socio-logiques de production des opinions à l’égard de l’Union et de l’intégrationeuropéenne il apparaît très clairement que l’adhésion au projet européen estavant tout le fait d’une “élite” sociale. Plus précisément, plus les individussont diplômés, plus ils possèdent de hauts revenus et plus leurs positionssont élevées dans la hiérarchie professionnelle, plus ils ont de chance d’êtretrès favorables au processus d’intégration européenne. Remarquons cepen-dant que les moins diplômés, les individus aux plus faibles revenus et auxpositions professionnelles hiérarchiques les moins élevées ne sont pas pourautant les plus défavorables à l’Europe, ils sont par contre sur-représentésparmi les individus qui expriment leur incapacité à formuler des opinions.Ces logiques de production des opinions et attitudes à l’égard de l’Europe,mises en évidence dès les années 1960, paraissent toujours bien fonctionneraujourd’hui. Le tableau ci-dessous, réalisé à partir des données del’Eurobaromètre du printemps 2000 permet en effet d’observer la persis-tance de telles logiques au niveau européen en ce qui concerne le soutien àl’appartenance de son pays à l’Union. D’autres analyses confirment l’exis-tence de telles logiques concernant les opinions à l’égard de la monnaieunique ou encore de l’identité européenne19. Toutes ces données confirmentdès lors l’existence de logiques élitaires de production des opinions et attitu-des à l’égard de l’Union et de l’intégration européenne. Or, si ces logiquesont depuis longtemps été dévoilées, leur compréhension et leur interpréta-tion paraissent moins aisées. Différentes lectures de ces logiques s’affron-tent aujourd’hui.

15. BRÉCHON P., CAUTRÈS B. et DENNI B., “L’évolution des attitudes à l’égard de l’Europe”, inPERRINEAU P. et YSMAL C. (dirs), Le vote des douze. Les élections européennes de juin 1994, Paris,Presses de Sciences Po, 1995, p. 179.16. Cf. par exemple sur ce point, les remarques de Ronald Inglehart dans son article : INGLEHART R.,“Cognitive Mobilization and European Integration”, op. cit., 1970, p. 51.17. INGLEHART R., “Public Opinion and Regional Integration”, in LINDBERG L. & SCHEINGOLDS., Regional Integration, Oxford, Oxford University Press, 1971, p 175.18. PERCHERON A., op. cit., 1991, p. 395.19. Cf. Eurobaromètre standard, n° 53, Commission des Communautés Européennes, printemps 2000,pp. B39 et B75.

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16 Céline Belot

Tableau n°1 : Soutien à l’appartenance de son pays à l’Union européenneen fonction du diplôme et de la profession au printemps 2000

dans l’ensemble des pays de l’Union européenne (en pourcentage)

total Fin d’études Activité économique

< 15 ans 20 ans travailleur chef ouvrier chômeuret + indépen- d’entre-

dant prise

bonne chose 49 41 65 55 65 41 41

mauvaise chose 14 16 11 12 11 17 16

ni bonneni mauvaise 28 31 20 26 19 31 30

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total 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 % 100 %

Pourquoi les élites sociales sont-elles favorables à l’intégrationeuropéenne ? Cinq lectures théoriques

L’observation de telles logiques de production des opinions et attitudes àl’égard de l’Europe a de fait donné lieu depuis les années 1970 à différentesinterprétations. Nous en distinguerons ici cinq, parmi les plus explicatives ànos yeux. Chronologiquement, la première a avoir été exprimée est celle dela “mobilisation cognitive” développée par R. Inglehart20. Pour R. Inglehartet J.R. Rabier, les termes de “mobilisation cognitive” renvoient à la “posses-sion des compétences cognitives qui facilitent le traitement des informa-tions concernant des objets politiques lointains”21. Or, selon eux, les citoyensperçoivent la Communauté européenne comme un objet politique éloigné.Dès lors, pour se forger des opinions et des attitudes à son égard, ils doiventdisposer d’un assez haut niveau de mobilisation cognitive. Le haut niveaude diplôme, la position professionnelle hiérarchique élevée, les hauts reve-nus, mais aussi l’intérêt pour la politique constituant des facteurs suscepti-bles de favoriser une telle mobilisation cognitive, leurs impacts sur la capacitédes individus à formuler des opinions à l’égard de l’Europe doivent êtreenvisagés dans cette perspective. Encore s’agit-il de comprendre pourquoiils paraissent participer de l’expression d’opinions favorables à l’intégra-tion européenne. Le raisonnement de R. Inglehart et de J.R. Rabier est lesuivant : “La possession de compétences à l’égard d’abstractions politiques

20. Cf. l’article suivant : INGLEHART R., “Cognitive Mobilization and European Integration”, op. cit.,1970.21. INGLEHART R. et RABIER J.R., “Europe Elects a Parliament : Cognitive Mobilization, PoliticalMobilization and Pro-European Attitudes as Influences on Voter Turnout”, Government and Opposition,vol. 14, n° 4, automne 1979, p. 484.

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intensifie la probabilité d’adopter une perspective politique cosmopoliteplutôt que locale. Ainsi, ceux qui font preuve de hauts niveaux d’informa-tion et de conscience politiques sont relativement aptes à s’identifier à l’Eu-rope en général, plutôt qu’à la province ou à la nation dans laquelle ilsvivent. Toutes choses considérées par ailleurs, ceux dont la perspective estcosmopolite ont tendance à soutenir l’intégration européenne”22. À traversplusieurs de ses articles, R. Inglehart affirme dès lors que le niveau d’éduca-tion, la profession, le revenu, mais également le sexe apportent “leur plusimportante contribution à l’européanisme à travers la mobilisation cogni-tive”23. Plusieurs travaux, tels ceux menés par A. Petrus, concernant la rela-tion entre connaissance et attitude pro-européenne, par D. Handley,concernant le rôle des élections européennes comme élément de contextefavorable à la mobilisation cognitive, ou encore par S. Duchesne et A.P.Frognier sur l’identité européenne, ont depuis exposé des analyses qui con-fortent l’approche de R. Inglehart24.

Cette approche est cependant également l’objet de controverses. Ainsipour W. Feld et J. Wildgen si mobilisation cognitive et opinions favorablesà l’Europe apparaissent bien apparentées, la relation de causalité entre cesdeux termes telles qu’elle est définie par R. Inglehart n’apparaît pas évi-dente. Selon eux, en effet, la mobilisation cognitive n’apparaît pas commela cause mais comme l’un des effets du soutien à l’intégration européenne :les individus ne se montrent pas favorables à la Communauté européenneparce qu’ils possèdent des connaissances à son sujet. Au contraire, ils déve-loppent de l’intérêt et des compétences à l’égard de l’Union européenneparce qu’ils sont enclins, pour d’autres raisons non encore élucidées, à laconsidérer favorablement25. D’autres auteurs ont également remis en causel’existence même d’un lien entre mobilisation cognitive et opinions favora-bles à l’intégration européenne. Dès le début des années 1980, M. Slatersouligne le cas particulier de la Grande-Bretagne à cet égard. Il remarque eneffet que les Britanniques ont un intérêt pour les questions relatives à laCommunauté européenne plus élevé que la moyenne des citoyens européens,ce qui ne les rend pas plus favorables à l’intégration, au contraire26. Plusrécemment, M. Gabel a également montré que la relation entre mobilisationcognitive et soutien à l’intégration européenne n’apparaît pas dans l’ensem-ble des pays. De fait, elle est toujours vérifiée pour les six pays fondateurs

22. INGLEHART R. et RABIER J.R., “Europe Elects a Parliament : Cognitive Mobilization, PoliticalMobilization and Pro-European Attitudes as Influences on Voter Turnout”, op. cit., 1979, p. 484.23. INGLEHART R., “Cognitive Mobilization and European Integration”, op. cit., 1970, p. 54.24. Voir sur ce point : PETRUS A.C., Europeans about Europe, Amsterdam, Swets & Seitlinger, 1970. ;HANDLEY D., op. cit., 1989 ; et DUCHESNE S. et FROGNIER A.P., op. cit., 1995, p. 214.25. FELD W. et WILDGEN J., Domestic Political Realities and European Unification – A study ofMass Publics and Elites in the European Community Countries, Boulder, Westview, 1976, p. 59.26. SLATER M., “Political Elites, Popular Indifference and Community Building”, Journal of CommonMarket Studies, vol. 21, 1982-1983, pp. 69-93.

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de la Communauté, mais elle apparaît moins clairement dans les autres paysmembres. Il s’interroge dès lors sur la validité d’une telle théorie sur le longterme27.

Les lacunes de cette première théorie et les critiques portées à son encon-tre ont donné lieu au développement d’autres théories explicatives des logi-ques de production des attitudes à l’égard de l’intégration européenne. Dèsla fin des années 1960, R. Inglehart a lui-même proposé une autre approchequi, à ses yeux, apparaît comme un complément de la première, celle de“l’orientation des valeurs”. Sa théorie se fonde sur un concept essentiel,qu’il formule ainsi : “Les individus possèdent une hiérarchie des besoinsqui gouvernent les objectifs qu’ils poursuivent sous certaines conditions (…).Une fois qu’un individu a atteint à la fois la sécurité physique et économi-que, il commencera à poursuivre d’autres objectifs : le besoin d’amour etd’estime devient très important ; et plus tard, une série de besoins esthéti-ques et intellectuels.”28 Il distingue dès lors deux groupes d’individus : lesmatérialistes, soucieux avant tout de leur sécurité physique et économique,et les post-matérialistes, qui poursuivent d’autres objectifs. Ces deux typesde préoccupations différentes se cristallisent autour de l’expression de deuxsystèmes de valeurs divergents. Or, l’adoption de valeurs post-matérialistesfavorise selon R. Inglehart une perception positive de l’intégration euro-péenne. En effet, “les groupes post-matérialistes sont rassurés à la fois quantà leur subsistance et à leurs besoins de sécurité. Dans la mesure où l’État-nation a été perçu comme un rempart protégeant l’individu contre les mena-ces extérieures, il peut être considéré comme relativement moins importantpar les enquêtés post-matérialistes. Ces groupes possèdent, de plus, unesomme relativement importante de “capital aventureux”, disponible pourinvestir dans des projets ayant un intérêt intellectuel ou esthétique, comme,peut-être, l’intégration européenne”29. Ses analyses montrent l’existenced’une relation très forte entre adhésion à des valeurs post-matérialistes etexpression d’opinions favorables à l’intégration européenne. Elles propo-sent également des éléments d’interprétation des logiques élitaires de struc-turation des opinions et attitudes à l’égard de l’Europe en mettant en évidencel’importance du niveau d’éducation, de la profession et du niveau de revenucomme variables médiatrices de ce choix des valeurs. Cette approche a, desannées 1970 aux années 1990, connu un important succès d’estime, fondésur le constat répété à la fois par R. Inglehart30 et par d’autres auteurs31 de

27. GABEL M., “Public Support for European Integration : An Empirical Test of Five Theories”, TheJournal of Politics, vol. 60, n° 2, mai 1998, pp. 333-354.28. INGLEHART R., “Changing value priorities and European Integration”, Journal of Common Mar-ket Studies, vol. X, n° 1, septembre 1971, p. 3.29. INGLEHART R., ibid., p. 13.30. Cf. entre autres : INGLEHART R., “Long Term Trends in Mass Support for European Unification”,Government and Opposition, vol. 12, n° 2, été 1977, pp. 150-177 ; INGLEHART R. et REIF K.,“Analyzing Trends in West European Opinion : the Role of the Eurobarometer Surveys”in INGLEHART

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l’existence d’une relation forte entre valeurs post-matérialistes et opinionsfavorables à l’intégration européenne. Cependant, dans les années 1990, cettethéorie a également fait l’objet de nombreuses critiques.

Certains auteurs ont montré que si l’existence d’une relation entre va-leurs post-matérialistes et attitude favorable à l’égard de l’intégration euro-péenne apparaît explicitement tout au long des années 1980 dans l’ensembledes pays fondateurs, une telle relation n’est pas observée dans les pays ayantadhéré à la Communauté dans les années 1970 et 198032. D’autres ont remisen cause l’existence même d’une telle relation. Ainsi, J. Janssen constatequ’à niveau d’étude équivalent, les matérialistes ne sont pas moins en fa-veur de l’intégration que les post-matérialistes. Selon lui, ce ne sont pas lesvaleurs défendues par l’individu qui sont importantes pour comprendre sonattitude à l’égard de l’intégration européenne mais son niveau d’éducation.Un niveau élevé d’éducation paraît bien indiquer une propension à être plusfavorable à l’intégration européenne et à se reconnaître dans les valeurs post-matérialistes, mais les deux phénomènes n’entretiennent pas de lien de cau-salité entre eux. Selon lui, si R. Inglehart s’est trompé dans son hypothèseconcernant la relation entre les deux, c’est qu’il est victime d’une fausseimage de l’intégration européenne. R. Inglehart établit en effet une relationpositive entre post-matérialisme et soutien à l’Europe car il considère laCommunauté européenne comme représentant avant tout une expériencecosmopolite, un espace de coopération entre États pour favoriser la paix enEurope. Or, selon J. Janssen, pour beaucoup de citoyens, l’Europe signified’abord l’ouverture des marchés et la liberté de circulation des capitaux etrépond donc avant tout à des objectifs plus matérialistes33.

Les critiques portées à l’encontre des théories de R. Inglehart sont parti-culièrement importantes et concordantes depuis le début des années 1990.Elles ont dès lors donné lieu à la formulation d’autres types d’approches deslogiques de production des opinions à l’égard de l’intégration européenne.Ainsi M. Gabel a développé la théorie de “l’évaluation utilitaire des politi-ques intégratives”34. Selon lui, étant donné que l’intégration européenne

R. et REIF K. (eds), Eurobarometer : The Dynamics of European Public Opinion, London, Macmillan,1991, pp. 1-26.31. Cf. par exemple en France l’article suivant : CAUTRES B., “Les attitudes vis à vis de l’Europe”, inCAUTRES B. et BRECHON P. (dirs), op. cit., 1998, pp. 103-104.32. Cf. entre autres sur ce point les articles suivants : DOBRATZ B., “Changing value orientations andattitudes toward the European Community : A Comparison of Greeks with Citizens of other EuropeanCommunity Nations”, East European Quarterly, vol. XXVII, n° 1, mars 1993, pp. 97-127 ; ANDER-SON C. et REICHERT S., “Economic Benefits and Support for Membership in the EU : A Cross-Natio-nal Analysis”, Journal of Public Policy, vol. 15, n° 3, 1996, pp. 231-249 ; Voir également l’article deMatthew Gabel cité ci-dessus.33. JANSSEN J., “Postmaterialism, Cognitive Mobilization and Public Support for European Integration”,British Journal of Political Science, vol. 21, n° 4, octobre 1991, pp. 443-468.34. Cf. sur ce point : GABEL M. et PALMER H., “Understanding Variation in Public Support forEuropean Integration”, European Journal of Political Research, vol. 27, 1995, pp. 3-19 ; GABEL M.,

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intervient toujours prioritairement dans le domaine économique, les recher-ches portant sur la structuration des attitudes des citoyens à l’égard de l’in-tégration doivent s’intéresser aux questions suivantes : “Commentl’intégration économique influence-t-elle de façon différente le bien-être descitoyens, et comment le bien-être économique influence-t-il les attitudespolitiques ?” Dans cette perspective, la thèse centrale de son approche est lasuivante : “Les citoyens diffèrent dans leur soutien à l’intégration européenneen raison des différences de bien-être qu’ils retirent des conséquences éco-nomiques et politiques de l’intégration – et en particulier de la libéralisa-tion des marchés internationaux” à laquelle l’intégration européenneparticipe35. Pour lui, les individus sont bien capables de reconnaître les ef-fets de l’intégration européenne sur leur bien-être, même lorsqu’ils n’enpossèdent qu’une connaissance très limitée. En outre, ils paraissent bienjuger l’intégration en fonction de ce qu’ils en retirent personnellement, oude ce qu’ils espèrent en retirer. Le fait que les personnes les plus diplômées(dans sa terminologie celles qui possèdent le plus de “capital humain”) etles personnes ayant le plus de revenus (celles les mieux dotées en “capitalfinancier”) soient favorables à l’intégration se comprend dans cette perspec-tive. En effet, ceux qui possèdent du capital financier bénéficient de la libé-ralisation des marchés car elle augmente leurs opportunités d’investissementet établit un nouveau rapport de force entre les capitaux et le travail au détri-ment du second. Ceux qui possèdent du capital humain bénéficient égale-ment de cette libéralisation car elle crée une situation où la capacitéd’adaptation au changement est considérablement valorisée, et le capitalhumain est l’un des attributs qui favorisent cette capacité d’adaptation. Aucontraire, la libéralisation des capitaux nuit aux citoyens qui possèdent lesplus faibles revenus, notamment en incitant à contenir les dépenses de l’Étatprovidence et en ne valorisant que peu les revenus salariaux36. Cette appro-che “utilitariste” offre donc de nouvelles perspectives d’interprétation deslogiques de production des opinions et attitudes à l’égard de l’intégrationeuropéenne. M. Gabel affirme même que, de toutes les théories consacrées àces logiques de production, il s’agit de la théorie qui “a de loin l’impact leplus stable concernant le soutien à l’intégration”37.

Pour autant, les résultats d’autres travaux paraissent mettre en doute aumoins partiellement la validité de ces analyses. Ainsi, A. Bosch et K. Newton

Interests and Integration. Market Liberalization, Public Opinion and European Union, Ann Arbor, TheUniversity of Michigan Press, 1998, 176 p. ; GABEL M., “Public Support for European Integration : AnEmpirical Test of Five Theories”, op. cit., 1998.35. GABEL M., op. cit., 1998, p. 4.36. Pour plus de détails sur ces point, cf. GABEL M., “Chapter 3 : Market Liberalization, EconomicInterests, and Public Support for European Integration”, in Interests and Integration. Market Liberalization,Public Opinion and European Union, op. cit., pp. 37-55.37. GABEL M., “Public Support for European Integration : An Empirical Test of Five Theories”, op. cit.,1998, p. 350.

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Les logiques sociologiques de soutien au processus d’intégration européenne 21

montrent que lorsque les individus sont interrogés sur leurs attentes à l’égardde la Communauté européenne, les attentes qui concernent les questionspolitiques sont aussi nombreuses que celles relatives à l’économie38. Dèslors, leurs évaluations des retombées économiques qu’ils peuvent person-nellement retirer de l’Union européenne, s’ils contribuent à l’affirmation deleur soutien à cette organisation, ne sont cependant pas les seuls critères prisen compte par les citoyens dans les jugements portés à son égard. A. Boschet K. Newton affirment en outre que les individus ne semblent pas avoirclairement conscience des bénéfices économiques que l’Union européennepeut leur procurer. Il apparaît dès lors peu probable que les logiques sociolo-giques de production des opinions et attitudes à l’égard de l’intégration euro-péenne exposée ci-dessus puissent être interprétées uniquement à travers lecadre d’analyse produit par M. Gabel.

D’autres interprétations des logiques de production des opinions à l’égardde l’Europe ont été formulées ces dernières années. Nous en exposerons iciencore deux qui, bien que moins développées, nous semblent susceptiblesde participer à la compréhension de ce phénomène. L’une d’elles a été pro-posée par M. Franklin, M. Marsch et L. Mc Laren, dans des travaux consa-crés notamment à l’analyse des référendums de ratification du traité deMaastricht39. Pour ces auteurs, lorsque les citoyens sont appelés à s’expri-mer sur l’intégration européenne, ils émettent des opinions qui découlent deleur proximité partisane et de la manière dont ils jugent leurs gouvernants,non de leur évaluation du processus d’intégration. Dans un article récentC. Anderson présente une analyse qui reprend dans ses grandes lignes lesthèses de M. Franklin et alii40. Il montre en particulier l’existence d’unerelation entre le soutien à l’intégration et la perception du bon fonctionne-ment du système politique national41, ainsi que, dans certains pays seule-ment, entre le soutien à l’intégration et le soutien au gouvernement. Il noteen outre que les individus semblent apprécier l’influence de l’intégrationeuropéenne sur leur situation économique, non de manière directe, commel’impliquent les analyses de M. Gabel, mais de façon indirecte. La situation

38. BOSCH A. et NEWTON K., “Economic Calculus or Familiarity Breeds Content ?”, inNIEDERMAYER O. et SINNOTT R., op. cit., 1995, pp. 73-104.39. Cf. leur article : FRANKLIN M., MARSCH M. et McLAREN L., “Uncorking the Bottle : PopularOpposition to European Unification in the Wake of Maastricht”, Journal of Common Market Studies,vol. 32, n° 4, décembre 1994, pp. 469-470. Voir également dans la même perspective les articles sui-vants : FRANKLIN M., MARSCH M. et WLEZIEN C., “Attitudes toward Europe and ReferendumVotes : A response to Siune and Svensson”, Electoral Studies, vol. 13, n° 2, 1994, pp 117-121 ; FRAN-KLIN M. VAN DER EIJK C., MARSCH M., “Referendum Outcomes and Trust in Government : PublicSupport For Europe in the Wake of Maastricht”, West European Politics, vol. 18, n° 3, 1995, pp. 101-117.40. ANDERSON C., “When in Doubt, use Proxies. Attitudes Toward Domestic Politics and Support forEuropean Integration”, Comparative Political Studies, vol. 31, n° 5, octobre 1998, pp. 569-601.41. L’Italie constituant sur ce point une exception.

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économique participe en effet de l’évaluation par les individus de leur sys-tème politique national, et ce faisant de l’intégration européenne.

Le fait que le niveau de diplôme, de revenu et la profession participentdes logiques de production des opinions à l’égard de l’intégration européennedoit dès lors être analysé dans ce cadre. De fait, les individus les plus diplô-més, aux revenus et aux positions professionnelles élevés sont ceux qui sontles plus susceptibles de se sentir proches des partis qui occupent des posi-tions centrales sur l’échiquier politique, et qui soutiennent globalement leprocessus d’intégration européenne. En outre, ces individus se montrentégalement les moins critiques vis-à-vis de leur système politique national,les moins contestataires vis-à-vis de la société dans laquelle ils vivent, mêmelorsqu’ils ne soutiennent pas le gouvernement en place. Le diplôme, le re-venu et la profession apparaissent dans ce cadre comme des médiateurs dela relation entre soutien au système politique national et soutien à l’intégra-tion européenne. Remarquons cependant que cette approche n’est pasexempte de critiques. Ainsi, dans leur analyse des résultats des deux réfé-rendums danois relatifs à la ratification du traité de Maastricht, K. Siune etP. Svensson ont défendu l’idée que les citoyens avaient bien exprimé à tra-vers leur vote des opinions à l’égard de l’intégration européenne, et ce mêmelorsque leurs opinions s’opposaient à celle du parti dont ils s’estimaient pro-ches42. Soulignons en outre que dans plusieurs pays, et notamment en Franceet au Royaume-Uni, l’Union européenne est l’objet d’un clivage au sein desgrands partis gouvernementaux. Ceux-ci n’expriment dès lors pas de posi-tion tranchée pouvant être suivie par leurs partisans.

La dernière approche de ces logiques élitaires de production des opi-nions à l’égard de l’Europe dont nous souhaitons rendre compte ici est celleproposée par A. Percheron en conclusion de son article cité ci-dessus. Ana-lysant des données relatives à la France, elle constate “le même jeu de rela-tions entre les différentes variables (sur la question de la régionalisation)que celui observé dans le cas de la construction européenne.” Elle énoncedès lors l’hypothèse que les opinions exprimées à l’égard de l’intégrationeuropéenne découlent avant tout de réactions relatives à l’innovation so-ciale – la région et l’intégration européenne participant toutes deux de cetteinnovation sociale sur le plan politique. Dans cette perspective, le degréd’instruction, la catégorie socioprofessionnelle, le niveau de revenu et l’in-térêt pour la politique lui apparaissent comme “des critères qui définissentles groupes favorables à l’innovation sociale quelle qu’elle soit et qui neprésentent pas de caractère spécifique”43 relatif à l’intégration européenne.

42. SIUNE K. et SVENSSON P., “The Danes and the Maastricht Treaty : the Danish EC Referendumsof June 1992”, Electoral Studies, vol. 12, n° 2, 1993, pp. 99-111.43. PERCHERON A., op. cit., 1991, p. 401.

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Les logiques sociologiques de soutien au processus d’intégration européenne 23

Cette approche n’a jusqu’à présent pas eu de véritable écho au-delà des ré-flexions menées sur ce point par la communauté scientifique francophone44.Cependant elle mérite selon nous d’être développée à plus grande échellenotamment pour permettre d’évaluer sa pertinence au-delà du cas français.

L’exposé de ces cinq différentes approches des logiques sociologiquesélitaires de production des attitudes à l’égard de l’intégration européennemontre donc que, si l’existence de ces logiques est aujourd’hui bien établie,et si leur participation à la structuration des attitudes à l’égard de l’Europesur le long terme ne saurait être mise en doute, les questions relatives auxprocessus dont ces logiques participent restent aujourd’hui largement po-sées. De fait, l’ensemble des auteurs cités ci-dessus s’entendent sur un point :le diplôme, la profession, le revenu ne sauraient expliquer en eux-mêmes lesopinions à l’égard de l’intégration européenne, ils constituent donc des mé-diateurs d’autres phénomènes, d’autres types de relations. Lorsqu’il s’agitcependant de désigner ces relations, le consensus entre auteurs disparaît pourlaisser place à des interprétations diverses qui, si elles offrent des perspecti-ves d’analyses intéressantes, n’en sont pas moins contestables. À ce stadede la réflexion un changement de méthode nous apparaît dès lors nécessaire.En effet, du fait de la méthodologie quantitative employée, les approchesexposées ci-dessus s’appuient avant tout sur le constat de l’existence derelations entre variables et l’évaluation de la force de ces relations. Or, ilconvient à présent non plus de constater l’existence de relations, mais desaisir le sens de ces relations, d’appréhender les processus que les logiquessociologiques de production des attitudes observées traduisent. Dans cetobjectif, nous avons eu recours, à travers notre recherche doctorale, à uneméthodologie qualitative qui nous a permis de formuler un certain nombred’hypothèses et de nouvelles pistes de recherches dont nous souhaitons àprésent brièvement rendre compte45.

Une ou plusieurs Europe(s) ? Apports d’une approche qualitative àla compréhension des attitudes à l’égard de l’intégration européenne

Dans le cadre de notre recherche doctorale, nous avons réalisé soixante-dixentretiens approfondis sur le thème de “l’Europe” avec de jeunes Français etBritanniques (15-30 ans), sélectionnés notamment en fonction de leurs dif-férents niveaux de diplôme. Notre objectif était d’appréhender les attitudesde ces individus à l’égard de l’Union européenne à travers leurs différentes

44. Soulignons néanmoins que l’analyse proposée par B. Wessels de la dynamique du soutien à l’inté-gration en termes de logique de diffusion s’appuie sur une analyse assez proche de celle proposée par A.PERCHERON. Cf. sur ce point l’article suivant : WESSELS B., “Development of Support : Diffusionor Demographic Replacement ?”, in NIEDERMAYER O. et SINNOTT R., op. cit., pp. 105-136.45. Pour plus de précisions, se reporter à notre thèse de doctorat : BELOT C., L’Europe en citoyenneté.Jeunes Français et Britanniques dans le processus de légitimation de l’Union européenne.

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dimensions – affectives, conatives et surtout cognitives – afin d’évaluer lerôle joué par les citoyens dans le processus de légitimation du système poli-tique européen. Notre étude a ainsi permis de dégager certains éléments quiparticipent à la structuration de ces attitudes et qui permettent de mieuxcomprendre les logiques de production des opinions et attitudes à l’égard del’Union européenne.

L’une des idées principales qui ressort de notre recherche doctorale estque l’Union européenne est perçue par les citoyens moins comme un élé-ment de leur présent que de leur avenir. À travers les entretiens analysés ilapparaît en effet que le discours sur l’Union européenne se conjugue avanttout, voire parfois exclusivement, au futur et au conditionnel plutôt qu’auprésent. L’Union européenne est envisageable par les citoyens comme nou-veau système politique, mais elle est rarement envisagée comme tel au pré-sent, et même dans ce cas, elle n’est pas perçue comme un système dont lesstructures sont bien définies et arrêtées, mais comme un système en situa-tion évolutive. Les conséquences de ce premier constat sont d’importance.

Notre analyse, nous a tout d’abord permis de montrer que l’Union euro-péenne est jugée par les individus à travers une triple dimension tempo-relle : présent / futur souhaité / futur probable. Plus précisément, elle a misen évidence que – du fait à la fois de leur faible connaissance des actions del’Union européenne dans le présent, et de leur perception de son incomplé-tude comme système politique – les citoyens l’évaluent avant tout en réfé-rence au futur, et plus particulièrement en fonction de la capacité qu’ils luireconnaissent à refléter dans l’avenir ce qu’ils souhaitent qu’elle soit. Danscette perspective, leurs attitudes à son égard engagent leurs représentationsde l’avenir. Autrement dit, leurs opinions à l’égard de l’Union européennedécoulent pour partie de la façon dont ils envisagent l’avenir. Notre étude aalors permis de dégager parmi les individus interrogés, trois visions diffé-rentes de cet avenir : certains se montrent plutôt optimistes, et considèrentdès lors que l’Union européenne dans le futur se rapprochera de ce qu’ilssouhaitent qu’elle soit, d’autres au contraire s’affirment plutôt pessimistes,et estiment dès lors qu’elle ne se conformera pas à leurs attentes, d’autresenfin s’avouent incapables d’envisager un futur pour l’Union européenne.

Dans leurs discours, nos enquêtés offrent des éléments de compréhen-sion de ces différentes visions de l’avenir. Ainsi il semble que le refus decertains individus d’exprimer la vision d’un futur probable découle de leurincapacité à imaginer l’avenir. Or, si le futur est inimaginable, c’est que toutévolue trop vite à leurs yeux et que dès lors ils ne possèdent pas les outilsnécessaires pour comprendre l’intelligibilité des changements en cours, lessens possibles et probables des évolutions futures. Pour eux, il semble quetout est possible mais que rien n’est probable. Dans ce cadre, le fait que tousles individus de ce groupe soient peu ou pas diplômés n’est pas fortuit. Il

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montre qu’en deçà d’un certain niveau de diplôme, certains individus ne seperçoivent pas comme compétents pour envisager ce que sera l’avenir. Dèslors, l’Union européenne étant perçue comme un élément de cet avenir, ilséprouvent une certaine difficulté à émettre des opinions à son égard.

Concernant l’expression par différents individus d’une vision pessimisteou optimiste de l’avenir, nos analyses offrent également un certain nombred’éléments d’interprétation. La vision optimiste de l’avenir, et ce faisant del’Union européenne et du processus d’intégration, semble découler de l’as-surance qu’ont les individus non seulement d’avoir leur place dans cet ave-nir, mais aussi de pouvoir le maîtriser, ou plus précisément de pouvoirl’influencer. S’ils sont capables de définir un avenir probable c’est qu’ils seperçoivent, non pas en tant qu’individus, mais à travers leurs groupes d’ap-partenance, comme ayant la capacité de participer à la réalisation de cetavenir. À l’inverse, la vision pessimiste de l’avenir, et en particulier de l’Unioneuropéenne comme élément de cet avenir, paraît résulter de l’anxiété decertains individus concernant la place qui leur sera accordée dans la sociétéà l’avenir, et de leurs doutes concernant leur capacité, individuelle et collec-tive, à agir sur cet avenir. Les logiques sociologiques de production desopinions et attitudes à l’égard de l’Union européenne présentées ci-dessuspeuvent dès lors être interprétées dans ce cadre. En effet, notre étude paraîtmontrer que le niveau de diplôme non seulement participe de la capacité desindividus à envisager un avenir probable mais également de leur croyanceen leur aptitude à influencer cet avenir. Le diplôme semble notamment jouerce rôle à travers le revenu ou la profession. Un individu possédant un hautniveau de diplôme aura de fortes chances d’occuper une profession valori-sée dans la société et des revenus relativement élevés. De ce fait, il sera plusconfiant que d’autres concernant à la fois le fait qu’il a sa place dans lasociété actuelle et à venir, et le fait qu’il peut, à travers ses groupes d’appar-tenance, notamment le groupe professionnel, contribuer à forger cette so-ciété à venir. À l’inverse un individu peu diplômé dans une situationprofessionnelle instable ou peu valorisée dans la société actuelle peut douterde ses capacités d’action dans ce domaine46.

Dans l’ensemble notre interprétation des logiques élitaires de productiondes attitudes à l’égard de l’intégration européenne paraît congruente aveccertains des éléments de l’approche en termes de mobilisation cognitive.

46. Soulignons que cette interprétation des logiques sociologiques élitaires de production des attitudesà l’égard de l’intégration européenne peut également être invoquée concernant les logiques nationales deproduction de ces attitudes. Notre étude a en effet permis de montrer que si les Français sont plus favo-rables à l’Union européenne et au processus d’intégration que les Britanniques c’est que les premierscroient dans leur majorité en la capacité d’influence de la France au sein du processus d’intégration alorsque les seconds doutent de l’habileté du Royaume-Uni en ce domaine. Pour plus de précisions sur cepoint, se reporter au chapitre 8 de notre thèse de doctorat intitulé ““L’identité stato-nationale” commeréférent central dans le processus de légitimation du système politique européen”.

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Elle montre en effet qu’un certain niveau d’éducation est nécessaire à l’ex-pression d’opinions sur l’intégration européenne. Elle semble surtout pourpartie explicative de la relation observée par M. Franklin et alii entre soutienà l’intégration et perception du bon fonctionnement du système politiquenational. Les individus qui reconnaissent le bon fonctionnement de leur sys-tème politique national peuvent de fait se montrer plus confiants à l’égardde ce que sera l’Union européenne à l’avenir, celle-ci étant perçue commeune émanation des États. Notre analyse tend enfin également à préciser l’ana-lyse proposée par A. Percheron en proposant une interprétation des raisonsqui poussent certains groupes à être plus favorables que d’autres à l’innova-tion sociale. Elle révèle en effet que ces groupes sont confiants concernantleur capacité à comprendre voire à maîtriser l’innovation sociale, et que dece fait ils se perçoivent comme ayant leur place, leur rôle à jouer au sein del’Union européenne à venir.

Pour autant faut-il en conclure que les citoyens ne sont pas capables d’éva-luer l’Union européenne, d’exprimer des opinions la concernant directe-ment et non relatives à l’avenir ou à l’innovation sociale ? Notre étude apermis de montrer que si la plupart des individus ne sont pas capables dejuger l’Union européenne au présent, ils l’investissent cependant d’un cer-tain nombre de demandes pour l’avenir. Dès lors, leurs attitudes à l’égard del’intégration européenne se structurent autour des divers éléments – affects,représentations sociales, images, valeurs – qui participent de la formulationde ces demandes. Décrire l’ensemble des éléments autour desquels les atti-tudes à l’égard de l’intégration européenne se structurent n’est pas envisa-geable dans le cadre du présent article. Il importe cependant de se demanderen quoi la formulation de ces demandes relève des logiques sociologiquesélitaires de production des attitudes à l’égard de l’Union européenne décri-tes ci-dessus.

Dans notre étude, nous avons distingué deux types de demandes, les pre-mières relatives à l’Union européenne comme instrument de la politiqueextérieure des États, les secondes concernant l’Union européenne commesubstitut ou complément des États dans les domaines qui relèvent de la po-litique intérieure. Nos analyses tendent à montrer que les premières ne sontpas exprimées par tous les individus et que le niveau de diplôme est le cri-tère déterminant de la formulation de telles demandes. Plus précisément unniveau d’éducation minimum est nécessaire aux citoyens pour formuler desdemandes concernant le rôle de l’Union européenne comme instrument dela politique extérieure des États. Il semble que sur ce point l’approche entermes de mobilisation cognitive garde une certaine pertinence. Remarquonscependant que le niveau de diplôme ne paraît pas influencer le type de de-mandes formulées par les citoyens dans cette perspective. Notre analyse aainsi montré que les jeunes Français et Britanniques formulent trois types de

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47. Pour plus de précisions cf. le chapitre 7 de notre thèse de doctorat : “Les représentations sociales del’ordre mondial : éléments centraux de construction d’une légitimité citoyenne pour le système politiqueeuropéen”.48. Voir notamment sur ce point l’article synthétique suivant : SNIDERMAN P., “Les nouvelles pers-pectives de la recherche sur l’opinion publique”, Politix, n° 41, 1998, pp. 123-175.49. Les plus récentes enquêtes Eurobaromètres montrent bien que les sans réponses ne représentent plusqu’un très faible pourcentage des réponses concernant le soutien à l’Union et à l’intégration. Par contreles réponses négatives ont augmenté dans les années 1990.

demandes différentes concernant le rôle de l’Union européenne dans la po-litique extérieure des États, qui définissent de fait trois projets différentspour “l’Europe” dans l’ordre international (celui d’une “superpuissance”européenne, capable de “faire poids” face aux autres grandes puissancesmondiales, celui d’une “Europe” ne constituant qu’un lien d’influence parmid’autres des États-nations européens, celui d’une “Europe unie comme mo-dèle d’un monde uni”)47, mais que la formulation de ces différentes deman-des ne paraît pas résulter d’un quelconque effet de diplôme ou de profession.En outre, l’influence du diplôme sur la capacité des citoyens à formuler desdemandes de ce type paraît surtout marquée en Grande-Bretagne et sembleplus incertaine en France. Notre étude tend en effet à montrer que les Fran-çais possèdent tous, ou presque, le niveau de connaissance minimum à laformulation de telles demandes. De fait, le constat de la capacité d’un grandnombre d’individus à exprimer des demandes quant au rôle de l’Union euro-péenne dans le domaine de la politique extérieure des États paraît congruentavec l’approche dominante de l’opinion publique dans les années 1990 se-lon laquelle les citoyens sont bien capables, et de plus en plus, d’exprimerdes opinions relevant d’attitudes structurées relatives à la politique étran-gère des États48. Nos conclusions sur ce point mériteraient cependant d’êtrevérifiées à l’aide de données quantitatives.

Si tous les individus ne sont pas capables de formuler des demandesconcernant le rôle que peut jouer l’Union européenne comme instrument dela politique extérieure des États membres, tous se montrent par contre aptesà envisager de telles demandes dans les domaines relatifs à la politique inté-rieure. L’Union européenne est bien perçue comme un nouveau niveau depouvoir politique qui peut intervenir en remplacement ou en complément del’action des États membres. Pour autant, tous les citoyens ne formulent pasles mêmes demandes à l’égard de l’Union, que ce soit dans le domaine de lapolitique extérieure ou de la politique intérieure. À travers leurs diversesdemandes se dessinent différentes visions de “l’Europe” qui participent dela polarisation actuelle des attitudes à son égard49. Nos analyses nous ontpermis de mettre en évidence que ces différentes visions de “l’Europe” sestructurent autour de différentes représentations sociales et systèmes de va-leurs.

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La relation entre valeurs post-matérialistes et intégration européenne doitnotamment être réévaluée dans cette perspective. En effet, notre étude mon-tre clairement qu’un système de valeurs matérialistes peut, tout comme unsystème de valeurs post-matérialistes, engendrer un soutien au processusd’intégration européenne. Cependant, selon le système de valeurs de cha-que individu, “l’Europe” comme point d’aboutissement de ce processus n’estpas envisagée par tous de la même façon. Nos analyses semblent par exem-ple montrer que le primat accordé par les matérialistes à l’économie parti-cipe ainsi du discours de ceux qui expriment la vision d’une “Europe grandepuissance”. Christelle, étudiante en Lettres à Grenoble soutient notammentque l’intégration européenne a comme objectif de “faire peut-être redescen-dre les États-Unis de leur piédestal, (…) qu’il y ait justement… plus d’éga-lité par rapport aux échanges, que les États-Unis soient peut-être confrontésà (….) quelqu’un qui puisse leur faire concurrence.” Dans une autre pers-pective, l’importance accordée à l’environnement, thème cher auxpostmatérialistes, contribue plutôt à promouvoir la vision d’une “Europeunie comme modèle pour le monde”. Ainsi Debbie, en formationprofessionnalisante de design dans le sud de l’Angleterre déclare quel’environnement “is one of the most important things that the governmentsshould be thinking about, because after all, if we haven’t got a World, whatis the point in having money”. Dès lors, étant donné le caractère vital decette question à ces yeux, elle se déclare en faveur d’une unification duMonde, dont l’intégration européenne lui paraît représenter un premier pas.Elle affirme en effet : “I suppose if Europe became one it would be thebeginning of becoming one.” Ainsi, différents systèmes de valeurs concou-rent à définir différentes visions de l’Union européenne comme systèmepolitique abouti et légitime.

Au total, l’étude de données qualitatives apporte à la fois des précisionset des démentis aux approches théoriques des logiques sociologiques élitairesdes attitudes à l’égard de l’intégration européenne décrites ci-dessus, et per-met également d’évaluer la participation relative de ces différents élémentsd’interprétation au phénomène observé. Elle conforte ainsi l’approche enterme de mobilisation cognitive, tout en offrant des indices permettant des’interroger sur la pertinence de cette approche sur le long terme – les ci-toyens s’affirmant de plus en plus compétents pour exprimer des opinions àl’égard de l’Union européenne. Elle présente également des éléments decompréhension des mécanismes par lesquels s’établit une relation entre d’uncôté le soutien au gouvernement en place ou l’acceptation de l’innovationsociale et de l’autre une posture favorable au processus d’intégration euro-péenne, à travers la prise en compte des mécanismes relatifs à la perceptionde l’incomplétude du système politique européen et de sa temporalité incer-taine. Notre approche permet au contraire d’exprimer certains doutes quantà l’interprétation en termes utilitaires proposée par M. Gabel. Elle montre

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en effet que les citoyens ne jugent pas l’Union européenne en fonction desbénéfices qu’ils entendent en retirer personnellement, mais qu’ils engagentdans cette évaluation de l’intégration européenne un certain nombre de re-présentations sociales, d’affects, de valeurs.

Nos conclusions invitent surtout à modifier l’angle d’approche de ce typede questionnements, en montrant que l’enjeu majeur de la compréhensiondes logiques de production des opinions à l’égard de l’intégration ne reposeplus seulement dans la question du degré de soutien dégagé, mais concerneplus précisément le modèle de soutien exprimé en fonction du type de sys-tème politique européen envisagé. Il apparaît en effet très clairement que leterme “Europe” ne désigne pas aux yeux de l’ensemble des citoyens un pro-jet précis, mais qualifie plusieurs types de projets. Autrement dit, à traversles discours des citoyens s’expriment plusieurs visions de l’Union européennecomme système politique. Les logiques de production des opinions décritesci-dessus doivent dès lors être réexaminées dans cette perspective. De fait, àpartir du moment où tous les citoyens se reconnaissent comme compétentspour exprimer des opinions à l’égard de l’Union européenne, et où – enraison notamment de la mise en place de l’euro – “l’Europe” sera de plus enplus intégrée dans le présent, il convient en particulier de se demander si leslogiques élitaires auront tendance à perdurer, et quels en seront alors lesressorts. En outre, il convient de s’interroger sur la contribution des diffé-rentes logiques sociologiques de production des attitudes aux définitionsmultiformes de “l’Europe”. Dans cette perspective, l’intérêt d’études por-tant sur la distinction et l’interprétation des différentes dimensions de cesattitudes – représentations sociales, affects, images, valeurs – apparaît re-nouvelé. L’appréhension des différentes visions de “l’Europe” expriméespar les citoyens et de leurs logiques de production permettra en définitive desaisir sous quelle forme se décline dès à présent un “être européen” quiprend part à la construction d’une certaine configuration de citoyenneté euro-péenne. Cette citoyenneté européenne contribuera elle-même, à travers saparticipation au processus de légitimation de l’Union européenne, à l’affir-mation d’un certain type d’organisation et de pouvoir politique au niveaueuropéen. Comprendre le citoyen signifiera dès lors comprendre l’Unioneuropéenne et le processus d’intégration.

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