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Espace populations sociétés 2009/3 (2009) Les populations de la Chine ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Huhua Cao et Olivier Dehoorne Les groupes minoritaires en Chine : distribution spatiale et défis d’intégration ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Huhua Cao et Olivier Dehoorne, « Les groupes minoritaires en Chine : distribution spatiale et défis d’intégration », Espace populations sociétés [En ligne], 2009/3 | 2009, mis en ligne le 01 décembre 2011, consulté le 11 octobre 2012. URL : /index4417.html Éditeur : Université des Sciences et Technologies de Lille http://eps.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : /index4417.html Ce document est le fac-similé de l'édition papier. © Tous droits réservés
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Les groupes minoritaires en Chine: distribution spatiale et défis d'intégration

Mar 07, 2023

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Page 1: Les groupes minoritaires en Chine: distribution spatiale et défis d'intégration

Espace populations sociétés2009/3  (2009)Les populations de la Chine

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Huhua Cao et Olivier Dehoorne

Les groupes minoritaires en Chine :distribution spatiale et défisd’intégration................................................................................................................................................................................................................................................................................................

AvertissementLe contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive del'éditeur.Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sousréserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,l'auteur et la référence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législationen vigueur en France.

Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'éditionélectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

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Référence électroniqueHuhua Cao et Olivier Dehoorne, « Les groupes minoritaires en Chine : distribution spatiale et défis d’intégration »,Espace populations sociétés [En ligne], 2009/3 | 2009, mis en ligne le 01 décembre 2011, consulté le 11 octobre2012. URL : /index4417.html

Éditeur : Université des Sciences et Technologies de Lillehttp://eps.revues.orghttp://www.revues.org

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397 ESPACE, POPULATIONS, SOCIETES, 2009-3 pp. 397-406

Les groupes minoritaires en Chine : distribution spatiale et défis d’intégration

La croissance économique soutenue de la Chine, depuis les réformes économiques de 1978, s’est accompagnée d’une augmenta-tion spectaculaire des disparités régionales [Cao et al., 2000]. La Chine est alors de-venue une société polarisée dans les trois dimensions : intérieur-littoral (la disparité spatiale), rural-urbain (la disparité sectorielle) et minorité-majorité (la disparité sociale) [Cao et Bergeron, 2010]. Les premières victimes de ces disparités sont les popula-tions des groupes ethniques minoritaires qui vivent pour la plupart dans les zones rurales situées dans les provinces les moins favorisées de l’Ouest et du Centre. Si les minorités ethniques ne constituent qu’une faible part du total de la population chinoise (environ 9 %), elles n’occupent pas moins des cinq huitièmes du territoire national ; le-quel est fort riche en ressources naturelles. Ces disparités régionales et socio-écono-miques contribuent à fragiliser la cohésion

sociale du pays comme l'ont démontré les dernières émeutes et manifestations dans certaines régions, principalement dans les communautés ethniques du Tibet (mars 2008) et du Xinjiang (juillet 2009). Cet article propose d’abord une analyse du pattern de la distribution spatiale des princi-paux groupes de minorités de la Chine et son évolution afin de souligner la diversité des situations et des niveaux de développement. La seconde partie de l’étude aborde les pro-blèmes majeurs des minorités ethniques et plus généralement de leurs régions, depuis la réforme économique : les inégalités de re-venu, d’accès à l’éducation et aux soins de santé sont au cœur du processus d’exclusion. Au terme de cette réflexion, il conviendra de souligner l’importance pour le gouvernement d’adopter une politique de multiculturalisme pour promouvoir l’intégration harmonieuse des cinquante-cinq groupes minoritaires dans la société chinoise.

Huhua CAO University of OttawaDepartment of GeographySimard Hall60 University Street (030)Ottawa ON Canada K1N [email protected]

Olivier DEHOORNE Université des Antilles et de la Guyane UFR Lettres et Sciences HumainesCampus Universitaire de SchoelcherBP 720797275 Schoelcher [email protected]

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Le terme de minorité a une signification et des implications différentes en fonction des contextes et des lieux ; ce terme de « mino-rité » est problématique, fluide et difficile à définir. Dans l'intérêt de l'unité nationale et de la croissance économique, les gouverne-ments privilégient plutôt le dénigrement des minorités ; à l’exception de quelques situa-tions où une culture singulière émanant d’un groupe minoritaire est susceptible d’appor-ter une plus-value, sur le plan touristique par exemple, ou encore de renforcer des symbo-les nationalistes indispensables au pouvoir en place. Néanmoins, le terme de minorité n’en reste pas moins incontournable pour qualifier des populations en situation d’in-fériorité, « minorités » arithmétiques, défa-vorisés sur le plan social ou politique. Les minorités les plus évidentes sont relatives aux tribus, ethnies et religions. Les minori-tés peuvent être également créées par l'iso-lement physique et linguistique, la migra-tion, avec des minorités sans territoire défini (comme les Tsiganes), le déséquilibre entre les sexes, l'exclusion politique, l’accès limité à l’éducation, l’indigence et un déni de droits civiques. Certaines minorités ethniques sont autochtones, d'autres non.Les « minorités ethniques » en Chine sont qualifiées de « nationalités ». Cela repose sur une interprétation basée sur les « qua-tre communs » staliniens qui identifient les fondements d’une nation à travers une « communauté de langage », une « com-munauté de territoire », une « communauté de vie économique, de cohésion » et une « communauté de constitution psycholo-gique » [Stalin, 1942]. Ainsi, la définition d'une « nationalité » à partir de cette inter-prétation de la « nation » peut être expli-quée comme une communauté de personnes, historiquement constituée, sur un territoire stabilisé, constituée sur les bases d'un lan-gage, d’une vie économique et culturelle commune [Mackerras, 2003, p. 37]. Suivant ce raisonnement, la Chine compte à ce jour 56 nationalités, dont l'une constitue l'ethnie majoritaire : les Chinois Han, et 55 autres sont des minorités [Gladney, 2004].Depuis la fondation de la République popu-laire de Chine, en 1949, certains territoires, comportant des proportions significatives de

populations minoritaires, jouissent de statuts d’autonomie variables. Il existe trois catégo-ries de régions autonomes de minorités en Chine, correspondant aux trois niveaux de juridiction du gouvernement :

1. la Région autonome (niveau provincial),2. la préfecture autonome,3. le comté autonome.

Parmi les 55 minorités nationales officiel-lement identifiées, 44 disposent de leurs propres territoires autonomes et ces zones, reconnues dans la constitution chinoise, reçoivent un certain nombre de droits spé-ciaux, distincts des autres circonscriptions administratives [Wang, 2005].Grâce à ces statuts de « minorité autonome », les groupes ethniques bénéficient de certains droits et privilèges tels que la possibilité d’utiliser et de développer les langues mino-ritaires en respectant et protégeant la liberté des minorités religieuses, l'entretien et la ré-forme des coutumes des minorités, ainsi que l'organisation et la gestion d'un développe-ment économique autonome. En outre, c’est également au niveau des Régions autonomes des minorités qu’il incombe de prendre en charge le développement de l'éducation, de la science et de la technologie, de la culture et autres entreprises sociales, de façon relati-vement indépendante du gouvernement cen-tral chinois. Bien que le concept de minorité implique souvent des besoins particuliers, les minorités ne sont pas toujours économi-quement ou politiquement défavorisées. Par exemple, le gouvernement chinois a assou-pli la politique de l'enfant unique à l'égard des populations minoritaires dans le but de favoriser le développement régional ; par conséquent, le taux de croissance démogra-phique des populations minoritaires est ac-tuellement supérieur à celui de la moyenne nationale. Les taux de croissance particuliè-rement élevés de certaines minorités relèvent également du fait que davantage de person-nes déclarent aujourd’hui faire partie d'une population minoritaire.Toutefois, compte tenu de leurs modes de vie spécifiques et de la concurrence historique qui les opposent à la majorité, les groupes mino-ritaires vivent d’abord dans les zones géogra-phiques les plus défavorisées. Cela ne les pri-ve pas de certaines opportunités économiques

1. LES MINORITÉS « NATIONALES » DE LA CHINE

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mais les freins y sont beaucoup plus forts. Le sous-développement est plus fréquent dans les zones ethniques et, parfois, il peut être le résultat d’une politique d’intégration conduite

par un État insuffisamment sensibilisé aux besoins et réalités locales. Il est important de rappeler que le projet développement ne peut être séparé des réalités politiques.

2. LES GROUPES MINORITAIRES DANS L’ESPACE CHINOIS

La spatialisation des populations minoritai-res sur le territoire chinois met en évidence l’opposition entre, d’une part, les minorités qui dominent les provinces situées à l’ouest et au sud-ouest du pays et, d’autre part, la ma-jorité Han qui contrôle les provinces locali-sées près de la frontière maritime (figure 1). Ainsi, plus de 70% de la population ethni-que vit dans l’Ouest chinois, tandis que les régions de l’Est et du Centre accueillent cha-cune seulement 14% de cette population mi-noritaire (tableau 1). C’est dans l’Ouest que sont établies les cinq régions autonomes de la Chine : le Guangxi, la Mongolie intérieu-re (la minorité mongole) dans le Nord-Est, le Ningxia (la minorité Hui) dans le Nord,

le Xinjiang (la minorité ouïgoure) dans le Nord-Ouest et le Tibet dans le Sud-Ouest. Parmi les nombreux groupes ethniques en Chine se retrouvent notamment les Zhuang, les Tibétains, les Ouïgours, les Mandchous, les Hui, les Yi, les Miao, les Monghols ainsi qu’une panoplie d’autres minorités. Il est à noter que la province de Yunnan, qui n’a pas le statut de région autonome, est recon-nue comme le point de conjoncture du plus grand nombre de minorités ethniques dans tout l’État chinois [Zheng, 1999]. De nom-breuses conflictualités, tant territoriales que culturelles et sociales, existent entre les 55 groupes de minorités ethniques et la majorité Han.

Figure 1. Répartition des minorités en Chine (1982-2000)

Yuanyan Zhai, Department of Geography, University of OttawaProjection : Krasovsky_1940_Albers.Source : Population Census of China, 2000 Population Census of China.

L’analyse de l’évolution spatiale des mino-rités au cours des deux dernières décennies permet de souligner la progression du poids des populations minoritaires sur pratique-ment l’ensemble du territoire chinois et, tout particulièrement, dans les régions du Nord

et du centre du pays (Figure 2). En effet, entre 1982 et 2000, la majorité des provin-ces ont enregistré une croissance des popu-lations appartenant à des groupes minori-taires. L’évolution n’est pas uniforme ; les régions littorales sont moins touchées que

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400

Tableau 1. Ethnies minoritaires par région et province, 2000

Note : Les données sur Chongquing sont incluses dans les statistiques de la province du Sichuan.Source : Adapté à partir de Bhalla et Qiu (2006), p. 46 et calculs de l’auteur. [Données tirées du recensement national de la population (2000)].

RégionPopulation totale

Population minoritaire

Proportion (%) de la population minoritaire par rapport au total chinois dans chaque province

Proportion (%) de la population minoritaire par rapport au total des minorités

Total Chine 1 242 612 105 226 8,41 100

Est 484 162 15 032 --- 14,26

Beijing 13 569 585 4,3 0,56

Tianjin 9 849 267 2,7 0,25

Hebei 66 684 2 903 4,3 2,76

Liaoning 41 824 6 718 16,1 6,38

Shanghai 16 408 104 0,6 0,1

Jiangsu 73 043 260 0,4 0,25

Zhejiang 45 931 395 0,9 0,38

Fujian 34 098 584 1,7 0,55

Guangdong 85 225 1 269 1,5 1,21

Shandong 89 972 633 0,7 0,6

Hainan 7 559 1 314 17,4 1,25

Centre 408 927 15 004 --- 14,27

Shanxi 32 471 103 0,3 0,1

Jilin 26 802 2 453 9,1 2,33

Heilongjiang 36 237 1 772 4,9 1,68

Anhui 59 000 398 0,7 0,38

Jiangxi 40 397 126 0,3 0,12

Henan 91 237 1 144 1,2 1,09

Hubei 59 509 2597 4,4 2,47

Hunan 63 274 6 411 10,1 6,1

Ouest 349 519 75 191 --- 71,47

Guangxi 43 854 16 830 38,4 16

Mongolie Intérieure 23 323 4 858 20,8 4,62

Sichuan 112 861 6 093 5,4 5,79

Guizhou 35 248 13 336 37,8 12,67

Yunnan 42 360 14 159 33,4 13,46

Tibet 2 616 2 458 93,9 2,34

Shaanxi 35 365 176 0,5 0,17

Gansu 25 124 2 199 8,7 2,09

Qinghai 4 823 2 217 46 2,11

Ningxia 5 486 1 896 34,6 1,8

Xinjiang 18 459 10 969 59,4 10,42

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celles du Nord-Est, du Nord-Ouest, du Sud-Ouest et du centre du pays. Les provinces qui connaissent les augmentations les plus significatives sont la Mongolie intérieure, le

Guangdong, le Guizhou et le Liaoning, et, dans une moindre mesure, les provinces du Qinghai, du Sichuan, de Hebei, de Yunnan, de Jilin et de Ningxia.

Figure 2. Évolution des minorités dans l’espace chinois entre 1982 et 2000

Yuanyan Zhai, Department of Geography, University of OttawaProjection : Krasovsky_1940_Albers.Source : Population Census of China, 2000 Population Census of China.

3. UNE RÉFORME ÉCONOMIQUE QUI RENFORCE LE PROCESSUS D’EXCLU-SION DES MINORITÉS ETHNIQUES

Les réformes économiques engagées en Chine, depuis 1978, ont soutenu la croissan-ce économique et la modernisation du pays dont l’un des corollaires est l’accroissement substantiel des disparités de revenus entre les régions (littorales versus intérieures), mais aussi au niveau infra-régional (urbain versus rural) et entre les groupes d’individus [Luo et al., 2007 ; Song & George, 2000 ; Wu & Perloff, 2004]. Les disparités de déve-loppement sont exacerbées dans ce contexte, à l’image du sous-développement qui ca-ractérise les régions minoritaires de l’Ouest [Xue, 1997].

Les minorités vivent davantage dans les zo-nes défavorisées, mal desservies, qui man-quent d'infrastructures et de services sociaux ; autant de handicaps qui freinent le déve-loppement des activités économiques et qui affectent le capital humain [Borooah et al., 2006]. Gustafsson et Shi (2003) ont constaté que l'écart entre les revenus moyens des mi-norités nationales et de la majorité n’a cessé de s’accroître, progressant de 35,9% lors de la seule décennie 1980-1990. La corrélation entre le statut de minorité, la localisation géographique et le niveau des revenus ne peut pas être niée. Des études démontrent

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que la situation socio-économique dans les régions des minorités s’est dégradée au cours des vingt dernières années, comme dans le Gansu [Zhang, 2000]. Avant la réforme de 1978, les politiques de redistribution qui prévalaient depuis la fon-dation de la République populaire de Chine en 1949 ont toujours manifesté un biais ur-bain fort [Lin et al., 1996 ; Liu et al., 2002] au profit d’une stratégie alternative en zones rurales destinée à promouvoir l'éducation de base à partir des écoles villageoises [Hannum, Wang, 2006 ; Tsang, 1994], ces campagnes bénéficiaient d’une redistribution inter-ré-gionale. Certes, les soins de santé et les conditions d'enseignement pour les résidents en milieu rural n’étaient pas aussi favorables que dans les villes, mais les services éduca-tifs de base et de soins de santé préventifs n'en étaient pas moins largement disponi-bles. Par exemple, le système de santé en milieu rural se composait d'un programme à trois niveaux de services :

1. des postes de santé dans la plupart des villages dotés de « médecins aux pieds nus »,

2. des centres de santé dans les cantons,3. des hôpitaux financés par le gouverne-

ment dans les comtés [Hebel, 2003].Globalement ce système a connu un certain succès, permettant notamment de contrôler les maladies infectieuses et parasitaires. À partir de la réforme fiscale de 1994 qui marque un changement important du sys-tème de partage des recettes fiscales, tous les niveaux de gouvernements sont contraints de renforcer leur autofinancement [Jin et al, 2005 ; West & Wong, 1995]. Ce processus de décentralisation des responsabilités, no-tamment en matière des services sociaux publics, a eu pour effet de réduire la dispo-nibilité des services tout en augmentant leur coût pour les particuliers [Zhang & Kanbur, 2005 ; Qi, 2008]. Confrontés aux limites de leur budget, les gouvernements locaux des provinces défavorisées ont limité leurs pro-grammes sociaux.

3.1. Les défaillances de l’encadrement scolaire Le gouvernement chinois reconnaît l’impor-tance d’investir dans la formation de sa main-d’œuvre pour entrer dans l’ère de la moder-nité. La loi sur l’enseignement obligatoire

de 1986 impose 9 années d’éducation de base, soit 6 au niveau primaire (6-12 ans) et 3 au niveau secondaire (13-15 ans). Mais la mise en application de cette loi et son finan-cement échoient aux administrations locales. Si les régions les plus développées du pays sont en mesure de répondre à cet objectif, la situation est plus complexe dans les régions minoritaires. Sur l’ensemble du territoire, les populations, rurales et urbaines, sont contraintes d’investir des sommes toujours plus importantes pour leur propre éducation. La part de la contribu-tion financière du gouvernement central en matière d’éducation est passée de 64,6% en 1990 à 53,1% en 1998. Dans le même temps, les administrations locales aux ressources limitées ont également réduit leurs investis-sements dans le secteur de l’éducation ; les contributions des citoyens couvraient 12,5% des dépenses du secteur en 1998 contre 2,3% 8 années auparavant [Adams & Hannum, 2005 ; Hannum, 2003]. Cette situation réduit donc les perspectives d’accès à l’éducation des enfants [Qian & Smyth, 2008] et l’envo-lée des coûts du secteur renforce les disparités dont les premières victimes sont les enfants, particulièrement les filles des familles les plus pauvres qui rencontrent les plus grandes difficultés à terminer les 9 années d’études obligatoires [Wang & Zhou, 2003]. En effet, les filles de 12 à 15 ans sont les plus vul-nérables : leur déscolarisation les « libère » pour des tâches ménagères des plus utiles pour les familles [Khan et al., 1993 ; Yang, 2001 ; Yang & Liang, 2004].Les services sont de moindre qualité dans les zones rurales à forte densité ethnique [Cao et Feng, 2009]. En conséquence, les degrés d’éducation diffèrent considérablement entre les minorités et la majorité. À titre d’exem-ple, le recensement de la population chinoise de 1990 indique que la proportion de minori-tés analphabètes au Tibet s’élevait à 72,82% en comparaison avec seulement 3,09% pour la majorité. Dans la province du Qinghai, ce rapport se chiffrait à 62,74 % du côté des mi-norités et à 25,78% du côté de la majorité. L’analyse de cette spirale du sous-dévelop-pement qui frappe les minorités peut être encore étendue : outre le coût des services, il faut aussi prendre en considération l’état des installations scolaires, avec des écoles déla-brées, essentiellement concentrées dans les

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régions rurales de l’intérieur, notamment au sein de la province Guizhou, ou encore les difficultés de recrutement des enseignants pour lesquelles les localités rurales margi-nalisées de l’Ouest, faute de financements adéquats, n’ont guère d’autre alternative que d’employer des professeurs non qualifiés.

3.2. L’iniquité face aux services de santéLa problématique de l’iniquité, qui contri-bue à pénaliser les populations les plus pau-vres, parmi lesquelles les minorités, s’étend sur le plan de la santé. Dans ce domaine, la part moyenne des soins à la charge du patient est passée de 16% en 1980 à 61% en 2001. Dans les régions rurales, et principa-lement les zones habitées par les minorités, la couverture médicale est encore plus fai-ble [West & Wong, 1995 ; Wong, 2007]. De fait, la plupart des résidents ruraux n’ont plus de prise en charge médicale et payer la visite médicale est devenue la norme. Selon le rapport du Conseil d'État du China Deve-lopment Research Center, 80% des popula-tions rurales des provinces de l'Ouest n'ont pas un accès adéquat aux services de soins [Bergsten et al., 2006].La qualité des prestations de santé publique offerte à la population diffère considérable-

ment entre les régions chinoises, particuliè-rement entre les petites localités rurales et les grands centres urbains : 70% des soi-gnants ruraux n’ont eu qu’une éducation de niveau secondaire et une formation mé-dicale d’une durée moyenne de vingt mois [Eggleston et al., 2008, p. 152]. Et, même s’il existe de nombreux établissements mé-dicaux dans les campagnes des provinces intérieures, la capacité d’accueil est nette-ment supérieure dans les régions urbaines avec 3,56 lits disponibles pour 1000 person-nes contre 1,43 lit dans les régions rurales [Houggard et al., 2008].Indicateur de l’accessibilité des soins de san-té vitaux notamment, l’espérance de vie de la population (figure 3) souligne les inégalités entre les populations des régions de l’Est et du centre et celles de l’Ouest. L’espérance de vie est inférieure à 70 ans dans sept des dou-ze provinces de l’Ouest. La municipalité de Shanghai, qui détient le premier PIB provin-cial par habitant du pays (57 695 yuan), affiche l’espérance de vie la plus élevée (78,14 ans), à l’opposé, la région autonome du Tibet, si-tuée au 25e rang en termes du PIB provincial par habitant (10 430 yuan), enregistre l’espé-rance de vie la plus faible (64,37), un écart de presque 14 ans les sépare !

Figure 3. Espérance de vie par province

Source : China Statistical Yearbook (2007).

78,1

4

76,1

74,9

1

73,2

7

73,3

4

73,9

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Tibet

Provinces

Âge

EstCentre

Ouest

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Depuis les réformes de 1978, les politi-ques gouvernementales plus favorables à la majorité Han ont contribué à renforcer les inégalités urbaines-rurales et minori-tés-majorité [Wang & Postiglione, 2008]. Comparativement aux Hans, les minorités plus pauvres, plutôt localisées dans des zones rurales et dans les régions intérieu-res de la Chine, sont plus affectées par les contraintes du contexte géographique. Ces minorités doivent faire face aux défis typi-ques des régions sous-développées où s’ac-cumulent les handicaps de la pauvreté, du mauvais encadrement scolaire et sanitaire, dans un contexte d’isolement [Wong, 2007 ;

Yi, 2007 ; Zha & Ding, 2007]. La pauvreté est aussi liée à l’inégalité de genre au sein des groupes minoritaires : les groupes eth-niques qui connaissent le plus grand écart de genre en matière de décrochage scolaire sont aussi ceux qui sont caractérisés par les plus forts taux de pauvreté [Demurger et al., 2002 ; Postiglione et al., 2006]. Indicateur important de l'inégalité sociale, l’accessibilité aux services sociaux (éduca-tion et santé) demeure une grande inquiétude pour les populations, particulièrement pour celles des régions minoritaires de la Chine [Connelly & Zheng, 2000 ; Lin & Chen, 2004 ; Sen, 2000].

CONCLUSION

Avant d’envisager des solutions pérennes destinées à réduire le déséquilibre global, il s’avère nécessaire de comprendre les facteurs à l’origine des disparités chinoises où les Hans dominent le secteur industriel, source d’enrichissement, tandis que les minorités ethniques pratiquent davantage l’agriculture pour subvenir à leurs besoins de base. La qualité lamentable de l’ensei-gnement dans les régions rurales des mino-rités limite considérablement les possibili-tés de développement professionnel de ces populations [Cao, 2008]. Le retard des po-pulations minoritaires relève donc de choix politiques arrêtés en matière de développe-ment et d’un ensemble de facteurs collectifs, parmi lesquels l’éloignement géographique, l’absence d’infrastructures fonctionnelles et ponctuellement le bagage culturel (certaines croyances religieuses et coutumes tradition-nelles, perception du rôle de l’éducation et place de la femme par exemple).

Dans ce contexte, il est clair que les inéga-lités qui n’ont cessé de se creuser en Chine au cours des dernières années vont menacer sérieusement la stabilité économique et poli-tique du pays. Conscient de l’importance de définir un nouvel équilibre dans le multicul-turalisme pour assurer le devenir du pays, le gouvernement doit définir une politique per-mettant de poser les bases d’une coexistence pacifique entre les différents groupes ethni-ques. Le respect et la protection de la culture des minorités de la Chine s’inscrivent dans la reconnaissance d’un pays de 5000 ans de ci-vilisation. À travers les Jeux Olympiques de Pékin en 2008, la Chine a montré au monde sa nouvelle puissance économique et politi-que ; le gouvernement chinois a désormais la capacité et la responsabilité d'inclure les dif-férents groupes de minorités ethniques, in-dépendamment de la taille des groupes, dans le processus de développement et d’assurer la protection de leur culture.

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