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Les francs-maçons

Oct 16, 2021

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LES FRANCS-MAÇONS

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ALAIN GUICHARD

LES FRANCS-MAÇONS

ÉDITIONS BERNARD GRASSET 61, rue des Saints-Pères

PARIS-VI

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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays, y compris l'U.R.S.S.

© Editions Bernard Grasset, 1969.

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NOTE DE L'EDITEUR

De nombreux termes utilisés dans ce livre ont, en maçonnerie, une signification particulière et sont employés ici dans un sens qui n'est pas celui du langage courant.

A leur première apparition dans le récit nous les avons signalés par des caractères italiques. Ensuite, ils se confon- dent avec l'ensemble typographique. Ils doivent toujours, néanmoins, être compris dans leur sens maçonnique.

Le glossaire publié à la fin du volume éclairera le lecteur sur ce sens, soit qu'il en donne la définition, soit qu'il ren- voie, pour cela, à la page de référence où ce terme a été expliqué.

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LES OBÉDIENCES FRANÇAISES

• Le Grand Orient de France : 16, rue Cadet, Paris-9 C'est de loin, par les effectifs, la plus importante des obé- diences françaises. C'est aussi la plus ancienne (1774). Son grand maître est M. Paul Anxionnaz (1969).

412 loges lui sont rattachées, dont 113 à Paris, et quel- ques-unes hors de France, notamment dans nos anciens territoires d'outre-mer. Il existe également une loge du Grand Orient à New York, « l'Atlantide franco-américaine », 609 Fifth Avenue.

Le Grand Orient a 23 000 à 24 000 membres.

• La Grande Loge de France : 8, rue de Puteaux, Paris-17e. Grand maître : maître Richard Dupuy. Cette obédience, créée au début du siècle, possède 206 loges, dont 106 dans la capitale. Ses adhérents sont au nombre de 9 000 à 10 000.

• La Grande Loge nationale française : 65, bd Bineau à Neuilly. Grand maître : M. Ernest Van Hecke. Cette obédience, aux effectifs assez réduits (1 500 à 2 000 maçons), offre cette particularité d'être la seule qui soit « reconnue » par la Grande Loge unie d'Angleterre. L'ensemble de la maçonnerie française en effet (à cette exception près) est considérée comme « irrégulière » par la maçonnerie britan- nique.

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• La Grande Loge nationale française Opéra : 5, avenue de l'Opéra, Paris-1 Cette obédience est née, en 1959, d'une scission de la Grande Loge de Neuilly. Grand maître : M. Fano (700 maçons environ).

• Le Droit humain : 5, rue Jules-Breton, Paris-13e. C'est la seule obédience mixte. Plus importante par les effectifs que les deux obédiences précédentes, elle vit néanmoins en marge de la maçonnerie (théoriquement du moins car en réalité plusieurs maçons du Droit humain appartiennent aussi au Grand Orient, créant ainsi un lien entre les deux obé- diences).

• La Grande Loge féminine : 71 bis, rue de la Condamine, Paris-17e. Cette obédience, créée après la dernière guerre, groupe entre 500 et 600 adhérentes.

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LES RITES

Il existe dans la maçonnerie française quatre ou cinq rites prépondérants. Un rite est l'ensemble des règles qui fixent le cérémonial des initiations et des délibérations dans la loge. Le plus répandu de ces rites est le rite dit « français », en usage dans la plupart des loges du Grand Orient. Le rite dit « écossais ancien et accepté » est surtout utilisé à la Grande Loge de France.

Les autres rites sont : le rite écossais rectifié et le rite anglais Emulation qui sont notamment en usage à la Grande Loge de Neuilly. On doit citer pour mémoire, le rite de Memphis-Misraïm qui a des adeptes dans quelques loges. Dans le rite français, toutes les invocations de caractère déiste, ainsi que l'usage de la Bible pour les serments, ont été supprimés.

Dans chacune des obédiences il existe des loges qui pra- tiquent d'autres rites que le rite prépondérant, ainsi le rite écossais rectifié est aussi en usage à la Grande Loge de France.

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LES HAUTS GRADES

Les trois premiers degrés ou grades (apprenti, compagnon, maître) sont ceux de la franc-maçonnerie proprement dite. Les maçons de ces grades constituent les loges bleues, celles qui sont rassemblées dans les obédiences. Les grades supé- rieurs dépendent d'organismes différents qui ont néanmoins des liens plus ou moins étroits avec les obédiences.

Au Grand Orient, les hauts grades sont régis par un Grand Collège des rites qui délivre les hauts grades correspondant à plusieurs rites. Les principales hiérarchies de la maçonnerie française des hauts grades relèvent (comme les trois premiers degrés) du rite écossais ancien et accepté, du rite français qui n'est qu'une adaptation du rite écossais et du rite écossais rectifié.

A la Grande Loge de France, les grades supérieurs déli- vrés le plus communément sont ceux du rite écossais ancien et accepté. Ils sont régis par un Suprême Conseil. Un second Suprême Conseil régissant les hauts grades du même rite, délivrés aux maçons de la Grande Loge de Neuilly, a été créé auprès de cette obédience.

Les hauts grades du rite écossais rectifié dépendent d'un organisme supérieur nommé Grand Prieuré. Il en existe deux en France qui sont rivaux et se proclament respectivement « irréguliers ». L'un de ces Prieurés est lié à la Grande Loge de Neuilly, l'autre à la Grande Loge Opéra.

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AVANT-PROPOS

« En l'an 5969 de l'ère maçonnique... » Quelle est donc cette institution qui ne se satisfait pas du

calendrier romain, qui fixe 4 000 ans avant l'ère chrétienne la date de sa création, qui, non contente de se référer pour cela aux textes saints, décide aussi qu'en vertu des signes du zodiaque, le 1 mars sera le 1 janvier ? L'année maçonnique débute, en effet, en mars sous le signe du Bélier.

Quels sont ces hommes qui refusent de parler notre lan- gage, qui se donnent rituellement la triple accolade, culti- vent l'anagramme et l'abréviation, marquent le pluriel en redoublant l'initiale, écrivent par exemple : Legrand Netori pour le Grand Orient, E∴ V∴ pour ère vulgaire (ère chré- tienne), N'O ∴P∴V∴D∴M∴ pour « N'oubliez pas vos décors maçonniques » (tabliers), F∴ pour frère et FF::: pour frères ? A quoi jouent-ils lorsqu'ils se bandent les yeux, enjambent un cadavre postiche, se frappent d'un faux coup de maillet ou chantent un véritable Ce n'est qu'un au revoir... ?

On pourrait croire que ces simulacres de jeux, car il ne s'agit pas de jeux, ont contribué à propager la franc-maçon- nerie à travers le continent noir : le sens du mystère et le goût du psychodrame n'y sont-ils pas très développés ? Le Grand Orient n'y a-t-il pas conquis, naguère, les plus beaux fleurons de sa couronne coloniale et les Suprêmes Conseils d'Amérique n'y ont-ils pas installé de bénéfiques têtes de

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ponts ? « Aux portes de Monrovia, les " hommes panthères " poursuivent leurs ravages. En ville, la franc-maçonnerie fas- cine les élites. Les Libériens plongent avec délices dans l'ésotérisme. » Voilà ce qu'écrivait en l'an 5969 au pays des esclaves américains affranchis M. Philippe Decraene, journaliste du Monde, à propos d'une fête de la Saint-Jean qui se déroulait dans l'un des plus beaux temples maçonni- ques d'Afrique, en présence du pro-nonce apostolique.

La réalité française, la seule que nous connaissions vrai- ment, est différente à la fois de cette évocation africaine et de la description liminaire. Celle-ci, en effet, ne saisissait que l'apparence des choses. Quand tout est symbole, l'appa- rence devient caricature. Or, les symboles sont au maçon ce que l'eau est au poisson. On comprend donc qu'il hésite à se montrer dans son élément. Parfois même il hésite à s'y plonger. De ce fait, les rituels modernes ont subi de sérieuses amputations.

Néanmoins, si ces rituels se sont allégés cela n'a pas été accompli de manière uniforme. La Grande Loge de Neuilly, par exemple, est restée en marge du courant et découvre au- jourd'hui seulement qu'un fatras de signes et coutumes ont perdu leur sens. L'ancien préfet de police, Jean Baylot, digni- taire de l'obédience, s'efforce bien de promouvoir une réforme. Mais il a contre lui une majorité trop attachée à la tradition pour envisager d'y toucher.

Toutefois, la Grande Loge de Neuilly, petite par les effec- tifs mais seule reconnue par la Grande Loge d'Angleterre, constitue une exception car l'allégement des rites a été géné- ral en France. A l'opposé de ce cas unique, se trouve le Grand Orient dont l'évolution a été poussée si loin qu'elle a frôlé le point critique où l'obédience risquait de devenir un simple rassemblement de clubs politiques ou une société de pensée. Mais, semble-t-il, la réaction est tout de même venue à temps. Depuis 1953-1954, notamment, date de la dernière révision du rituel, on y a constaté un regain d'inté-

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rêt pour ces symboles dont, affirment les initiés, la maîtrise libère de la tyrannie des mots et préserve des concepts sté- réotypés.

Même allégée dans son symbolisme, la maçonnerie de- meure donc une société initiatique. Des personnalités illus- tres lui ont appartenu : Chamfort, Marmontel, Robespierre, Joseph de Maistre, Lafayette, Proudhon, Lazare Carnot, Gambetta, Joffre. Parfois, ils n'adhérèrent qu'à un âge avancé de leur vie, comme Voltaire ou Emile Littré, mais dans certains cas leur formation et leur génie furent profondément marqués par leur appartenance à une loge. Ainsi Mozart a-t-il proclamé avec lyrisme sa dette envers la franc-maçon- nerie.

Nous-même avons connu des hommes éminents qui nous ont dit l'importance de la méthode initiatique dans leur propre cheminement. Universitaires, avocats, chercheurs, médecins ou hommes politiques, tous avaient un trait com- mun, l'optimisme, d'où découlait probablement le réflexe mental qui les caractérisait : un refus de choisir entre les contraires ou, plus exactement, de considérer les contradic- tions comme réelles et définitives.

Cette forme d'esprit devrait détourner des schémas simpli- ficateurs et conduire à suspendre son jugement quand la vision est partielle ; elle aurait dû par conséquent garantir les maçons contre la tentation du sectarisme. L'histoire prouve qu'il n'en fut rien. Mais, au cours des luttes anti- cléricales, les deux camps utilisèrent les mêmes armes et comme il s'agissait d'une guerre de religion, la modération et la justice ne furent pas mieux servies à droite qu'à gauche.

Maintenant que la déraison n'est plus de mise, un catho- lique peut jauger les aspects positifs de la maçonnerie : l'un des plus remarquables tient à la concordance de son idéal avec certaines aspirations modernes ainsi qu'à l'efficacité de ses méthodes.

Les sociétés sont toujours portées à sauver leurs struc- tures. Elles le font en suscitant des idéologies dominantes et en soumettant les individus à des déterminismes dont

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la force est telle qu'ils créent leurs valeurs propres ; les juge- ments dits « de valeur » y deviennent des réflexes condi- tionnés. Pendant des millénaires, la fidélité à des archétypes de civilisation a permis ainsi la conservation de groupes humains. L'humanité évoluant peu, leur inaptitude au chan- gement constituait une chance de survie.

Il est banal de constater que cette analyse ne correspond plus à la réalité. Aujourd'hui, c'est le conservatisme qui est mortel et les sociétés qui veulent se sauver doivent sacri- fier leurs structures passées. Ce qui, désormais, est requis pour vivre, c'est l'infidélité à l'archétype, l'aptitude au changement. Or, la franc-maçonnerie propose justement une méthode de créativité permanente, de transformation illimitée de l'in- dividu et de la société. Sa technique initiatique implique une constante adaptation. Dès le cabinet de réflexion, on le verra, elle tend à développer l'aptitude au changement et au pro- grès qui est la marque de son cheminement ; ses symboles enseignent ensuite la relativité des vérités acquises. Il semble bien, par conséquent, que l'éthique et les méthodes maçon- niques répondent aux besoins d'une société en croissance accélérée.

Ce livre n'est pas une thèse, ni une histoire, ni un repor- tage, mais il emprunte à tous ces genres. Une thèse ? Il l'est dans la mesure où il souligne les possibilités d'entente qui existent entre chrétiens et maçons. Une histoire ? Il ne l'est certainement pas au sens que lui donne par exemple M. Emmanuel Leroy-Ladurie lorsqu'il écrit : « Il n'est d'his- toire scientifique que du quantifiable. » Rien n'est moins « quantifiable » qu'une société secrète ! Mais rien ne serait compréhensible de la franc-maçonnerie d'aujourd'hui si l'on ignorait son passé. Un reportage ? Oui, il l'est d'une certaine manière.

En définitive, cet essai n'est que le témoignage et le juge- ment d'un journaliste que sa profession a conduit vers les milieux maçonniques et qui, pour les comprendre, s'est efforcé de connaître l'histoire de leur institution, ses tradi- tions, ses rites, ses problèmes d'aujourd'hui, ses projets pour

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demain, l'influence réelle des loges dans l'Etat et dans la société. Pour pénétrer l'esprit maçonnique, l'amitié a dû sup- pléer l'absence d'initiation.

Peut-on écrire sur la franc-maçonnerie sans lui apparte- nir ? Nous retournerons l'interrogation : est-on libre d'écrire ce que l'on voit, sur la franc-maçonnerie, si on lui appar- tient, et surtout, de quel regard la voit-on ? En réalité, ce qui compte, croyons-nous, c'est la sympathie sans la- quelle aucune compréhension n'est possible.

Cette sympathie qu'un catholique a ressentie à l'égard d'obédiences qui ont si longtemps combattu l'Eglise surpren- dra probablement des lecteurs. Ils en trouveront l'explica- tion dans ce livre, fruit d'une longue observation qui n'eût pas été concevable, au départ, sans le crédit moral du journal le Monde auquel appartenait et appartient toujours l'auteur.

Malgré le côté abrupt de ce choix, nous avons cru préfé- rable d'aborder la maçonnerie par ses rites initiatiques. Ce sont eux, en effet, qui font l'originalité de l'institution et ont été la cause de ses divisions. La difficulté était celle de l'éso- térisme. Pour avancer dans la connaissance du symbolisme et du vocabulaire, des répétitions ont été nécessaires car les mêmes symboles prennent une signification différente selon le degré de profondeur où on les considère.

Comme dans une escalade où l'on exécute des « reprises », il fallait donc procéder par bonds avec des retours en arrière. Le même procédé a également été utilisé pour les chapitres suivants. Il en dissimule peut-être l'ordonnance mais permet d'éclairer le passé par le présent et inversement sans renon- cer à l'ordre chronologique dont les repères, eux aussi, ont paru indispensables.

Le langage maçonnique est un domaine mystérieux que l'on pénètre difficilement. Il était impossible d'expliquer la signification de chaque mot nouveau au fur et à mesure de son emploi.

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Pour ne pas trop alourdir le style, nous n'avons donc donné la clé de ce vocabulaire que lorsque le rythme du récit le permettait ou lorsque cela paraissait s'imposer abso- lument pour l'intelligence même de l'ouvrage.

Le lecteur qui veut voir clair immédiatement pourra se reporter au glossaire publié à la fin du volume qui le ren- verra aux pages explicatives.

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CHAPITRE PREMIER

V.I.T.R.I.O.L.

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Une odeur un peu fade, lourde, un silence qui oppresse, c'est ce que ressent d'abord le néophyte en pénétrant dans le cabinet de réflexion. Puis, dans la pénombre, il découvre les lieux : la pièce est petite, les murs entièrement noirs ornés de larmes d'argent et de têtes de mort qu'enlacent des tibias. Sur une table étroite, elle-même tendue de noir, un crâne et quelques ossements appellent à la méditation. La flamme d'un bougeoir révèle d'autres objets : une sébile de soufre, du sel, du pain, un sablier, une écritoire pour la rédaction d'un « testament ».

Enfin, au mur, il y a une glace disposée de telle sorte que l'on puisse s'observer pendant l'épreuve. Naturellement, tous ces objets ont une signification : symboles de l'alchimie, signes de l'hospitalité ou image du temps qui s'écoule. Le « testament », invitation à abandonner la vie « profane », est en réalité une sorte d'interrogation en quatre points souli- gnant les devoirs du maçon.

Des inscriptions murales rappellent au néophyte, s'il est besoin, que la désinvolture n'est pas de mise ici.

« Si ton âme a senti l'effroi, lui disent-elles, ne va pas plus loin ! Mais si tu persévères, tu seras purifié par les éléments, tu sortiras de l'abîme des ténèbres, tu verras la Lumière ! »

L'effroi ? Peut-il réellement y succomber dans ce décor de musée Grévin ? Non, bien sûr ! Pas plus qu'il ne sera

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« illuminé » lorsque ensuite tombera le bandeau dont on lui avait quelques instants auparavant recouvert les yeux. Mais la cérémonie d'initiation n'est pas l'initiation. Elle n'en est que le simulacre. Pourquoi cette mise en scène n'aurait-elle pas valeur d'entraînement ? A leur manière, les simulateurs de vol sont des cabinets de réflexion. Si l'on n'y apprend qu'à piloter des avions, tout, également, y est symbole.

Le néophyte quitte le cabinet de réflexion en se courbant comme s'il sortait des entrailles de la terre. Il avait été préalablement dépouillé de ses métaux (pièces de monnaie et objets métalliques) qui symbolisent la vanité. Avant de frapper à la porte du temple, on lui enlève sa veste et son gilet. La vertu n'a que faire d'ornements ! Puis, la manche droite retroussée, la chemise ouverte, le cœur à découvert (« ni nu ni vêtu ») en témoignage de sincérité, le pied gauche déchaussé, le genou droit visible pour signifier l'humilité qui doit présider à la recherche du vrai, il s'achemine les yeux bandés vers la porte d'Occident. Passé le seuil du temple, le vénérable et les officiers de la loge le soumettent à diver- ses épreuves sur lesquelles nous reviendrons à propos du ser- ment et du secret.

Au terme de ces épreuves symbolisées par trois voyages dans le temple, dont les étapes soulignent la valeur de la solidarité maçonnique, elle-même image de l'interdépendance des hommes, le néophyte reçoit le grade d'apprenti.

Douze mois plus tard, il pourra être initié au second degré. Le cérémonial pour le grade de compagnon emprunte davantage que le précédent au langage des constructeurs ; il comporte lui aussi des voyages, au nombre de cinq, mais qui n'ont plus le caractère d'épreuves ; ils figurent les étapes de la connaissance. Chacun d'eux est, notamment, pour l'apprenti l'occasion de recevoir les outils de la profession :

— le maillet et le ciseau qui permettent de dégrossir la pierre brute. Celle-ci est le symbole de nos ignorances et imperfections, en particulier de notre difficulté à bien user des sens, seul moyen de communication que nous ayons avec le monde extérieur ;

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— l'équerre et le compas, invitation à la précision, à la mesure et à l'harmonie. L'équerre, en particulier, suggère la notion de tolérance, d'équilibre, car en réunissant la verticale et l'horizontale, elle concilie deux contraires ;

— la règle et le levier, symboles de la rectitude (cohé- rence) et de la puissance ;

— le niveau qui invite à la fois à la modération et, dit le rituel, « à l'égalité qu'il faut chercher en élevant l'homme par l'instruction et par l'éducation » ;

— la truelle : le cinquième voyage se trouve placé sous le signe de cet outil qui sert à lisser le ciment. L'apprenti y apprendra à ne jamais perdre le goût de la perfection qui exige un travail infini.

Il est ensuite conduit près de la colonne du Nord où on lui montre l'emblème de l'étoile flamboyante avec, en son centre, la lettre G, God (Dieu).

« Pour nos frères anglo-saxons, dit le rituel du Grand Orient, cette initiale représente la puissance créatrice, donc la connaissance suprême. Pour nous, elle est l'initiale de : Gravitation, Géométrie, Génération, Génie, Gnose... Elle est la synthèse de toutes les sciences, de toutes les forces, elle symbolise le Grand Tout. »

Dans le discours de réception qu'il adresse aux nouveaux compagnons, le vénérable commente la cérémonie qui vient d'avoir lieu. Il leur demande généralement de considérer la progression du cérémonial comme un plan de travail inté- rieur. Presque toujours il souligne le poids symbolique des outils rituels. Leur signification était déjà connue des appren- tis mais désormais elle doit revêtir un sens approfondi. C'est pour marquer ce progrès que le compas, par exemple, est présenté au compagnon, entrelacé avec l'équerre. Ainsi, dit le rituel, pourra-t-il être audacieux dans ses synthèses lorsque ses jugements auront une base sûre. L'audace qui lui a été suggérée par la position de l'équerre, il pourra la manifester en s'inspirant de la leçon du compas : celui-ci, quand sa base est correctement fixée, ne trace-t-il pas les grands cercles avec la même sûreté que les petits ?

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Au grade de maître, le compas est posé sur l'équerre : cela signifie qu'arrivé à l'initiation suprême, il est permis d'utiliser le compas à sa guise.

Après trois années, au moins, de vie maçonnique le compa- gnon peut prétendre à la maîtrise. Pour cette augmentation de salaire (promotion), il doit toutefois satisfaire à certaines conditions d'assiduité ; il doit aussi présenter un travail, c'est-à-dire un exposé oral d'une vingtaine de minutes sur un sujet agréé par le vénérable. Pour le passage au grade de compagnon, ce sujet pouvait être de caractère professionnel. L'exposé (ou le « tracé ») du futur maître, lui, doit avoir un aspect plus philosophique. Une éminente personnalité poli- tique avait traité du « symbolisme maçonnique dans la pensée hégélienne ».

Le compagnon ne peut être admis à l'initiation du troi- sième grade si son travail n'est pas approuvé par la loge. Le vote, toutefois, s'effectue à main levée alors que le tra- vail de l'apprenti (candidat au grade de compagnon) ou l'admission du néophyte doivent faire l'objet, eux, d'un scru- tin rituel avec des boules noires (non) et blanches (oui). Ce mode de votation, inventé par les francs-maçons, est à l'origine du verbe « blackbouler » qui signifie selon le Robert : « rejeter par un vote en mettant dans l'urne une boule noire ».

Trois votes négatifs écartent définitivement de la maçon- nerie le candidat apprenti. Trois rejets du travail de l'apprenti ou du compagnon excluent pratiquement de la loge. Il est mis « entre les colonnes ».

Simple apprenti, le maçon n'avait pas le droit à la parole en loge ; devenu compagnon, il a acquis le droit de déli- bérer, mais ce n'est que la maîtrise qui lui conférera la tota- lité des prérogatives maçonniques, en particulier le droit d'initier et la possibilité d'être élu à une fonction d'officier ou de député de la loge.

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LE SENS DE LA MAÎTRISE

Dans les débuts de la franc-maçonnerie spéculative, le grade de maître n'existait pas ; il n'apparaît sous sa forme actuelle que vers 1730. Pourtant, certaines corporations de maçons connaissaient déjà trois degrés mais le plus souvent le maître n'était qu'un employeur : un compagnon autorisé à faire travailler sous ses ordres. Cela explique que la pre- mière Constitution d'Anderson (1717) fixant les statuts de la Grande Loge d'Angleterre ne se soit référée qu'au grade de compagnon, notamment pour l'élection du grand maître, lequel était alors choisi parmi les compagnons. Cela expli- que également la fragilité de la liaison initiatique entre le troisième degré et les deux premiers.

Les théoriciens les plus autorisés estiment que la totalité de l'enseignement maçonnique est compris dans le grade de compagnon : le compagnon, disent-ils, s'il ne l'a pas encore complètement assimilé, a acquis la totalité de l'ensei- gnement et la possibilité d'approfondir son propre « secret », c'est-à-dire de se connaître lui-même.

« La raison d'être du grade de maître, écrit M. Edmond Gloton, directeur de la revue du Grand Orient, la Chaîne d'union, est de grouper les anciens compagnons hors de la présence des nouveaux qui, n'ayant pas encore assimilé l'enseignement initiatique, ne sont pas aptes au rôle dévolu au maître. » Ce rôle est principalement de conciliation et d'éducation : de conciliation pour, selon l'expression maçon- nique, contribuer à « rassembler ce qui est épars » ; d'éduca- tion, dans la loge d'abord puis au-dehors car celle-ci n'est, en son principe, que la réduction d'une humanité idéale que le maître a pour mission de construire en « répandant la lumière ».

Le grade de maître est donc de création relativement

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récente. Il ne constitue pas néanmoins une invention abso- lument artificielle et « gratuite ». Sur le plan initiatique, il doit, nous l'avons dit, permettre un nouvel approfondisse- ment. Sous une forme différente, le cérémonial du troisième degré reprend d'ailleurs le symbolisme du cabinet de ré- flexion, celui de la mort et de la re-naissance. Il utilise pour cela une légende d'origine biblique. Et, dans les enseigne- ments qui se dégagent de son interprétation, résident tous les « secrets » de la maîtrise.

Cette opinion est contestée par certains initiés. Ainsi M. Corneloup, grand commandeur du Grand Collège des rites (Grand Orient), a-t-il écrit dans un essai intitulé Schib- boleth : « Oui, nous avons Hiram. Mais Hiram... fait surtout figure d'entrepreneur, de chef de chantier, de conducteur d'hommes... A la place éminente où la pensée s'élabore, il nous faut mieux qu'Hiram... la pure tradition maçonnique avait — non pas doublé Hiram — mais placé au-dessus de lui le Grand Architecte de l'univers, couronnement logique et nécessaire de son édifice symbolique. » Sous cette réserve, on doit constater qu'il n'existe pas de rite maçonnique, en quelque pays que ce soit, qui n'enseigne les éléments essen- tiels de la légende d'Hiram. On ne saurait par conséquent avoir une vision, ne fût-ce qu'approchante, de la franc- maçonnerie moderne sans comprendre la signification du grade de maître à travers les rites d'initiation auxquels cette légende sert de support.

LA LÉGENDE D'HIRAM ET LA BIBLE

Selon le Livre des Rois, la quatrième année de son règne, Salomon entreprit à Jérusalem la construction du Temple de Yahvé qui fut achevé en sept ans. Puis furent élevés, en treize ans, les bâtiments du Palais royal. Deux colonnes de

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Alain Guichard a écrit le seul ouvrage complet, objectif, documenté sur la franc-maçonnerie. Il décrit et explique les rites les plus secrets, retrace les grandes étapes d'une histoire qui remonte à la Bible, s'interroge sur l'évolution d'une société qui a exercé une influence considérable sur la vie politique de ce pays, pose la question que tous se posent : comment peut-on être franc-maçon aujourd'hui ? Qui peut être franc-maçon aujourd'hui ?

L'auteur se refuse aux révélations scandaleuses, il ne défend pas une thèse. Il analyse l'activité des Loges et s'efforce d'en comprendre l'esprit à travers le vocabulaire, les modes de pensée et d'agir de leurs adeptes, à travers leur organisation. Il examine enfin le grand problème des rapports de la franc-maçonnerie avec les Eglises, avec l'Eglise catholique notamment.

Parce qu'il n'est pas franc-maçon lui-même et qu'il res- pecte l'idéologie humaniste de la franc-maçonnerie, Alain Guichard aborde ce sujet avec le regard neuf que lui don- nent à la fois le recul et la sympathie.

Alain Guichard est aujourd'hui attaché à la rédaction du journal le Monde dans lequel il a publié, voici quelques années, une retentissante enquête sur la franc-maçonnerie.

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