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Revue de l’Union européenne, n°568, mai 2013 275
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Les Etats de l'Union européenne, moteurs d'une forme de gouvernance inédite : le Trio de Présidences

May 05, 2023

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Revue de l’Union européenne, n°568, mai 2013 275

GOUVERNANCE EUROPÉENNE

La Présidence tournante de l’Unioneuropéenne a été introduite dès laCECA, puis le Traité de Rome. Elle

a considérablement évolué au fil du temps,prenant d’abord la forme d’une « Troïka »dès 1981, puis, plus récemment en 2007,d’un « Trio » de présidences. Le Traité deLisbonne établit un système présidentielrénové en matière d’équilibre institutionnelentre le président du Conseil européen et lesprésidences tournantes des États membresde l’UE. Ce nouveau système présidentielcherche ses marques, d’autant plus que lerégime de Lisbonne dote les acteurs institu-tionnels de l’UE de nouvelles compétenceset modifie substantiellement l’équilibre despouvoirs.

Ce papier vise en premier lieu à cerner lerôle précisément dévolu au Trio de prési-dences, tout en tenant compte des nouvellesattributions de la Présidence du Conseileuropéen. Il tente notamment de saisir lesconditions matérielles et relationnelles quisous-tendent la collégialité du Trio dansl’environnement institutionnel actuel. LaPrésidence tournante du Conseil, surtoutdans sa plus récente configuration de Triode présidences, ne prendra pleinement saplace que de manière progressive au sein dela nouvelle gouvernance européenne aprèsLisbonne. Quels sont les effets réels del’exercice de la Présidence des Étatsmembres par équipe de trois et comment laPrésidence tournante s’intègre-t-elle dans lejeu institutionnel? Cette démarche intégra-tive influence-elle le mode d’exercice desfonctions traditionnellement assignées à laPrésidence tournante? Quelle est l’identitéfonctionnelle du Trio de présidences au seindu nouveau cadre par rapport à celle duConseil européen? Quel partage de travailet de responsabilités s’instaure entre le prési-dent du Conseil européen et le Trio de pré-sidences?

Cet article vise en second lieu à offrir unéclairage théorique sur des enjeux quiémergent sur le plan académique. Si lesdébats politiques sont principalement foca-lisés sur les implications liées à l’affirmation

Cet article vise à cerner le rôle dévolu au Trio de présidences dans le cadre aprèsLisbonne, tout en tenant compte des nouvelles attributions de la Présidence du Conseil

européen. Il offre un éclairage théorique sur des enjeux qui émergent sur le planacadémique. Il suggère un autre usage des approches intergouvernementale et néo-

institutionnaliste mobilisées jusqu’à présent dans l’analyse de la Présidence de l’UE.Dans ce cadre, l’enjeu de la collégialité du Trio acquiert une importance considérable,

surtout par rapport à son efficacité politique et sa pérennité institutionnelle. Le Trio deprésidences à forte collégialité peut jouer un rôle complémentaire de vecteur

d’intégration intergouvernementale.

LES ÉTATS DE L’UNION EUROPÉENNE,MOTEURS D’UNE FORME DE GOUVERNANCE

INÉDITE: LE TRIO DE PRÉSIDENCESpar Filippa CHATZISTAVROU

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du rôle du président du Conseil européen,les débats théoriques restent quant à euxbien en retrait de ce débat. Ils n’abordentque très peu les questions d’interprétationsde l’évolution institutionnelle du systèmeprésidentiel européen. L’article suggère unautre usage des approches intergouverne-mentale et néo-institutionnaliste mobi-lisées jusqu’à présent dans l’analyse de laPrésidence de l’UE, pour décrypter les évo-lutions récentes consécutives à Lisbonne. Ilpropose une analyse des effets de l’évolu-tion du rôle et de l’action du Trio de prési-dences sur base de la bibliographie existan-te et de l’apport complémentaire destémoignages des hauts fonctionnaires duConseil sur le fonctionnement du Triopost-Lisbonne. Les témoignages sélec-tionnés permettent de saisir la perceptiondes insiders concernant les évolutions cou-rantes 1. Cette approche met en relief lesnouveaux équilibres de pouvoir qui pren-nent place.

Afin de traiter ces questions à multiplesfacettes, nous procéderons en quatre temps.Dans un premier temps, nous analysons l’é-volution de la Présidence tournante en Triode présidences. Dans un deuxième temps,nous nous concentrons sur sa portée auregard de la toute récente Présidence duConseil Européen et suite au nouveau par-tage des fonctions entre les deux prési-dences. Dans un troisième temps, nous spé-cifions le rôle du Trio de présidences dans letravail législatif là où les conflits inter- etintra-institutionnels au sein du Conseils’avèrent plus aigus. Enfin, dans un quatriè-me temps, nous allons esquisser lesparamètres qui conditionnent, selon sondegré de collégialité, l’efficacité du Trio entant que mode de gouvernance européenne,mais aussi comme moteur d’intégrationintergouvernementale.

I. — DE LA PRÉSIDENCE TOURNANTEAU TRIO DE PRÉSIDENCES

Durant les années 1960 et 1970, périodedite « intergouvernementale » de l’intégra-tion européenne, le développement de laPrésidence du Conseil a été intrinsèque-ment lié à la montée en puissance duConseil de l’UE et à la forte diversificationde ses activités 2. Dans ce cadre propice, laPrésidence du Conseil a exercé progressive-ment une influence croissante sur le proces-sus de décision, bien que les traités lui attri-buaient des pouvoirs et des responsabilitésprocédurales modestes.

Outre ses tâches premières, à savoir assurerune représentativité à tous les Étatsmembres et contribuer au meilleur pilotageorganisationnel de l’action du Conseil, laPrésidence tournante a progressivementaffirmé ses fonctions d’établissement del’agenda et de négociation-médiation.Cependant, déjà dans son rapport de 1976,Leo Tindemans proposait de doubler ladurée de la Présidence tournante 3. Cetteproposition, qui n’a pas reçu l’assentimentgénéral, était malgré tout un premier signedes insuffisances d’un système de rotationtrop rapide.

Prenant acte du renforcement du rôle duConseil européen et de la Présidence tour-nante, le rapport de Londres apporte enoctobre 1981 une innovation importantedans le domaine de la représentation exter-ne de la Présidence 4. Le système de Troïkaa été appliqué spécifiquement dans ledomaine des relations avec les pays tiersdans le cadre de la coopération politiqueeuropéenne, initiant une première collabo-ration des trois présidences tournantes quise succèdent 5. Ce n’est que bien plus tard,en 1999, que le système de Troïka seraréformé par le Traité d’Amsterdam. Le nou-

vel arrangement, d’ailleurs critiqué commeétant inabouti, englobera la Présidence encours, le Haut représentant pour la poli-tique étrangère et de sécurité commune(PESC) et le commissaire en charge de lapolitique extérieure.

Durant les années 80, la fonction d’établis-sement de l’agenda va se renforcer en s’éten-dant au programme présidentiel. De fait, cechangement marque le passage de la res-ponsabilité procédurale limitée en matièred’agenda à une fonction d’initiation et de« prioritisation » des politiques 6. LaPrésidence française de 1984 présente pourla première fois au sommet deFontainebleau ses priorités à laCommission. Ces priorités de la Présidence,signes de son autonomisation politique,deviendront plus tard le « programme » dela Présidence. C’est en 1989 que le pro-gramme semestriel de la Présidence espa-

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(1) Cet article a pour objectif d’esquisser une réflexion théo-rique autour des transformations de la gouvernance intergou-vernementale dans le cadre l’Union européenne, et plus pré-cisément de la Présidence tournante et de son évolution versle Trio de présidences. Il essaie de mettre en exergue les consé-quences fonctionnelles des choix normatifs dont le reflet est leTraité de Lisbonne. De ce point de vue, l’usage de la bibliogra-phie spécialisée en la matière constitue un apport tout autantqu’un matériau à dépasser pour la démarche d’interprétation.Les éléments des interviews, au nombre limité, contribuent defaçon complémentaire à étayer la discussion théorique.

(2) On peut citer, entre autres, l’apparition des conseils tech-niques et des Conseil européens ou encore l’influence crois-sante du Coreper dans les années 70.

(3) Leo Tindemans, L’Union européenne, rapport au Conseileuropéen, 1976, Bull. CE, suppl. 1/76.

(4) Ministres des Affaires étrangères de la Communautéeuropéenne, Rapport sur la Coopération politique européen-ne, Rapport de Londres, 1981.

(5) Cet arrangement a été déjà en usage dès la présidencebelge de 1977, mais il a été formellement confirmé avec lerapport de Londres.

(6) J.Tallberg, Leadership and Negotiation in the EuropeanUnion, Cambridge, Cambridge University Press, 2006. 43-81.

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gnole voit le jour, inaugurant ainsi unepériode où va éclore un présidentialisme àl’européenne. Les premières tentatives decommunalité 7 des programmes des prési-dences tournantes ont été enregistrées en1998-99 où l’Autriche et l’Allemagne for-ment un programme commun. En 2003, laGrèce et l’Italie suivent le même chemin.

Face à la complexification de la politiqueeuropéenne et aux élargissements successifs,le caractère discontinu de la Présidence tour-nante contribuait à une certaine incohéren-ce temporelle (time inconsistency) et rendaitla tâche particulièrement lourde pour cer-tains pays 8. L’idée d’une « Présidence paréquipe » émerge au milieu des années 90,mais elle n’a pas fait partie de l’agenda de laConférence intergouvernementale de 1996-97, butant sur de fortes réticences. Un peuplus tard, en 2002, le rapport Solana (Hautreprésentant pour la PESC) 9 mentionnecette même idée d’un « groupe-Présidence »,en évoquant la possibilité de rotation entrecinq ou six groupes d’États. Malgré la posi-tion favorable de quelques gouvernements,comme celui de la Suède, l’opposition forted’autres n’a pas permis que cette idée fassepartie intégrante des travaux de laConvention sur l’avenir de l’Europe (déc.2001-juin 2003) 10. La Conférence inter-gouvernementale de 2003-4 pour le Traitéétablissant une Constitution pour l’Europequi a eu lieu par la suite a proposé l’instau-ration d’une « Présidence par équipe » pourune période de 18 mois (à l’exception duConseil des Affaires étrangères).

Ce n’est qu’en 2006 que l’amendement aurèglement intérieur du Conseil de l’article2 § 4 mentionne le terme des « troisPrésidences », cette innovation annonçantun changement 11 plus profond. Dès jan-vier 2007, la première Troïka de présidences(Allemagne, Portugal et Slovénie) se prépa-re de façon informelle. Ces trois pays déve-

lopperont jusqu’au 30 juin 2008, sur la based’un programme établi en commun et sou-mis à l’approbation du Conseil des Affairesgénérales, la politique européenne en matiè-re de justice et des affaires intérieures. Enréalité, c’est le concept de Trio de prési-dences qui a pris forme de facto dès 2007,puisque cette idée a été intégrée dans ladécision postérieure du Conseil du 1er jan-vier 2007 portant fixation de l’ordre d’exer-cice de la présidence du Conseil suite auxélargissements de 2004 et 2007 12.

Dans l’Union européenne après Lisbonne,les attributions officielles de la Présidencetournante consistent dans le fait qu’elleassume la responsabilité politique directe detout le travail fait durant les 6 mois en fonc-tion 13. La Présidence tournante présidetoutes les configurations du Conseil – saufen matière des affaires étrangères – et leComité des représentants permanents(Coreper – y compris la présidence duConseil « Affaires générales », avec l’assis-tance des autres membres du groupe, sur labase d’un programme commun). La prési-dence du Conseil des Affaires étrangères parla Haute représentante pour les Affairesétrangères et la Politique de sécurité nousintéresse dans le sens où cette configurationillustre bien le périmètre du rôle du Trio deprésidences. La seule position qui échappede cette réforme est le Représentant perma-nent de l’État membre qui détient la prési-dence en rotation puisqu’il continue de pré-sider le Coreper II quand il est question dela politique étrangère de l’UE, contraire-ment aux groupes de travail. Par ailleurs, laHaute représentante pour les Affairesétrangères et la Politique de sécurité peuthabiliter la Présidence tournante de la rem-placer si d’autres engagements l’y obligent,comme dans le cas des réunions de la com-mission des affaires étrangères du Parlementeuropéen.

La Présidence par rotation, au-delà de safonction traditionnelle en matière decontrôle du travail du Conseil, entreprendaussi un rôle d’assistance technique auprèsdu Conseil européen. La Présidence tour-nante assiste le président du Conseileuropéen qui, dorénavant, a un pouvoir dedécision sur l’agenda. Sur la base du pro-gramme d’une durée de 18 mois, elle établitpour chaque configuration du Conseil en

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(7) Le concept de « communalité » peut être utilisé commeoutil analytique et interprétatif pour mieux saisir le fonction-nement du Trio de présidences. En théorie de l’identité ensciences sociales, le concept de « communalité catégorielle »est associé à un sentiment d’appartenance commune et doitfort peu, voire rien du tout, à la connexité relationnelle. À cesujet, v. Richard Handler, Nationalism and and the politics ofculture in Quebec, Éd. George E. James Clifford Marcus,Madison, The University of Wisconsin Press, 1988; GraigCalhoun, Nationalism, University of Minnesota Press, 1997.Dans le cadre de cet article, ce concept illustre de façonconsistante le développement des liens de rapprochemententre les États membres qui forment le Trio de présidences. Cedéveloppement dépend de la convergence possible en matiè-re d’intérêts, de culture et de pratiques politiques entre lesÉtats membres.

(8) J.Talberg, Leadership and Negotiation in the EuropeanUnion, op. cit.

(9) Rapport de Javier Solana, Préparer le Conseil à l’élargisse-ment, 7 mars 2002.

(10) La Convention s’était limitée à proposer un système derotation égale pour une période d’au moins un an (à l’excep-tion du Conseil des Affaires étrangères). Les détails de ce systè-me seraient fixés par une décision européenne prise à l’una-nimité.

(11) À ce sujet, voir le document préparatoire 7365/06 du14 mars 2006 du groupe Antici qui fournit des informationsd’arrière-plan sur l’introduction du « Trio de présidences » etl’amendement du règlement intérieur et la décision du Conseildu 15 septembre 2006 (2006/683/CE, Euratom) portantadoption de son règlement intérieur (JOUE, no L. 285, 16 oct.2006. 47).

(12) Décis. no 2007/5/CE, Euratom, du Conseil, 1er janv. 2007,portant fixation de l’ordre d’exercice de la présidence duConseil, JOUE, no L. 1, 4 janv., p. 11-12.

(13) La déclaration no 9 prévoit également que « les membresdu groupe [de trois États] peuvent convenir entre eux d’autresarrangements » : par exemple celui de se répartir les conseilssectoriels et de faire assurer à l’un des trois États membres dugroupe une présidence continue de 18 mois.

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consultation avec la Commission – pour leConseil Affaires étrangères en collaborationavec la Haute représentante – un « draftagenda » pour la période concernée du tra-vail législatif et des décisions opérationnellesenvisagées 14. Mais le plus important estque, sous le nouveau régime, dans le Traitéde l’UE en 2009 15, le Trio de présidences aété formellement institué en tant que nou-vel élément de coordination. Le Conseileuropéen a adopté une décision sur l’exerci-ce de la Présidence du Conseil, laquelle est« assurée par des groupes prédéterminés detrois États membres [...] composés par rota-tion égale » 16. D’ailleurs, une autre déci-sion du Conseil établissant une liste desconfigurations du Conseil 17 viendra unpeu plus tard afin de clarifier le mode defonctionnement interne (répartition secto-rielle du travail) du Conseil.

Les deux piliers de l’équilibreinstitutionnel intergouvernementalaprès Lisbonne

Comme nous l’avons vu ci-dessus, le Traitéde Lisbonne propose un partage de compé-tences institutionnelles entre la Présidencetournante et celle du Conseil européen.H. Wallace avait mis en avant une contra-diction inhérente à la fonction de laPrésidence tournante entre la tâche de« pushing and hauling » et la tentation de« jouer le rôle de Premier ministre ou deprésident » 18. Avec l’instauration de laPrésidence du Conseil européen, cettecontradiction est résolue puisqu’il existe uneséparation nette des rôles entre les deux ins-tances présidentielles. Les deux types deprésidence, comme les deux piliers de l’é-quilibre institutionnel intergouvernemen-tal, sont appelés à se partager un espaced’action commun. Cette partie vise à cir-conscrire les nouveaux contours du rôlefonctionnel mais aussi politique exercé parle Trio de présidences.

Au sein du nouveau cadre, les fonctions/compétences de représentation, de fixationde l’agenda et de négociation pour le comp-te des autres États membres, que laPrésidence tournante remplissait jusqu’àl’avènement du Traité de Lisbonne, sontdorénavant redistribuées ou même réorga-nisées différemment. Une rupture se dessineentre compétence institutionnelle, incarnéeà présent par la Présidence du Conseileuropéen, et « compétence pour les intérêtsnationaux », incarnée par le Trio de prési-dences.

Dans la littérature récente, la question de laPrésidence du Conseil continue à êtretraitée selon les principes de l’approcheintergouvernementale classique et du néo-institutionnalisme, principalement le ver-sant rationnel. Une des préoccupations pre-mières de la majorité des auteurs est d’éva-luer si la Présidence tournante a un quel-conque pouvoir et quelle en est son éten-due. Privilégiant une optique de confronta-tion, ils mobilisent les outils théoriques queles théories du choix rationnel et des négo-ciations proposent. Les auteurs s’interrogentsurtout sur le fait de savoir si l’État membrequi investit la Présidence arrive à maximiserses préférences et à satisfaire son intérêtnational 19.

Force est de constater que, pour mieux sai-sir les changements institutionnels et leursconséquences en termes de balance des pou-voirs, il est nécessaire d’affiner l’usage desdifférents outils théoriques utilisés jusqu’àprésent, se rapportant aux approches inter-gouvernementale et néo-institutionnaliste.

Le Traité de Lisbonne a introduit une nou-velle façon d’assigner et de répartir les fonc-tions présidentielles entre les deux types deprésidence. D’une part, le Traité deLisbonne supprime la capacité des chefsd’État ou de gouvernement des États

membres à présider le Conseil européen– ce qui a des répercussions sur leur posi-tionnement et leur influence dans le jeupolitique – et promeut la personnalisationde la fonction présidentielle du Conseileuropéen. D’autre part, l’institution du Triode présidences change inévitablement lerôle de la Présidence tournante. Si lePremier ministre, ou le chef d’État qui exer-ce la Présidence tournante, présente lespriorités de sa Présidence au ParlementEuropéen, le programme de 18 moisacquiert alors une assise bien plus impor-tante. On passe d’un intergouvernementa-lisme dur basé sur le critère territorial à unintergouvernementalisme soft basé sur uncritère fonctionnel. En effet, l’institution du

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(14) Décis. no 2009/937/EU du Conseil, 1er déc. 2009, por-tant adoption du règlement intérieur du Conseil ; v. not. art. 1(4) et art. 2, § 6 et 7, JOUE, no L. 325, 11 déc., p. 35.

(15) Déclaration no 3 et art. 16 § 9 TUE et de l’art. 236, a)TFUE, amendés TL.

(16) Décis. no 2009/881/EU du Conseil européen, 1er déc.2009, relative à l’exercice de la présidence du Conseil, JOUE,no L. 315, 2 déc., p. 50. Les règles relatives à l’exercice de laprésidence des différentes formations du Conseil des ministressont fixées par une décision du Conseil européen, adoptée àla majorité qualifiée (art. 236 b) TFUE) selon un système derotation égale entre les États membres ; Décis.no 2009/937/EU du Conseil, 1er déc. 2009, portant adoptiondu règlement Intérieur du Conseil, JOUE, no L. 325, 11 déc.,p. 35.

(17) Décis. no 2009/878/EU du Conseil, 1er déc. 2009, éta-blissant une liste des configurations du Conseil, JOUE,no L. 315/46.

(18) H. Wallace, The Presidency of the EC: Tasks andEvolution, dans Colm O’Nuallain, The Presidency of theEuropean Council of Ministers, Croom Helm, Londres,1985. 2.

(19) A. Schout et S. Vanhoonacker, Evaluating Presidencies ofthe Council of the EU: Revisiting Nic, JCMS, vol. 44, no 5,2006. 1054-56; R.Thomson, The Council Presidency in theEuropean Union: Responsibility with Power, JCMS, vol. 46,no 3, 2008. 595-6 ; A. Warntjen, The Council Presidency.Power Broker or Burden? An empirical analysis, EuropeanUnion Politics, vol. 9, no 3, 2008. 317-18.

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Trio de présidences comme de la Présidencedu Conseil européen est basée, non pas surun critère territorial, mais sur un critère, ditfonctionnel, d’attribution de compétences.

La Présidence du Conseil européen a la« compétence institutionnelle » et les attri-buts qui vont avec: représentativité institu-tionnelle des États membres, administra-tion centralisée du Conseil, négociation-médiation intergouvernementale et inter-institutionnelle sur l’établissement del’agenda (droit d’initiative législative de jure)et maîtrise de celui-ci 20.

Qu’est-ce qu’il en est pour le Trio de prési-dences? Durant la brève période d’investis-sement d’une Présidence tournante, l’Étatmembre en question est toujours considérédisposer des attributs classiques : représenta-tivité équitable à tous les États membres ausein du Conseil 21, détention de la maîtrisede l’agenda 22, supervision du travail au seindu Conseil et « gestion consensuelle » de lanégociation au sein de ce dernier. Dans lenouveau cadre post-Lisbonne, l’analyse dela Présidence tournante doit néanmoins êtreréactualisée en tenant compte de l’institu-tion conjointe du Trio de présidences et dela Présidence du Conseil européen. Cetteévolution résout la contradiction de laPrésidence tournante, évoquée plus hautpar H. Wallace. L’institution du Trio de pré-sidences est l’aboutissement d’un long pro-cessus d’évolution de la fonction présiden-tielle vers des démarches intégratives desgouvernements nationaux. Elle constitueun exercice expérimental inédit de gouver-nance collective et de leadership consensuelet partagé 23. On peut dire que le Trio deprésidences a la « compétence pour lesintérêts nationaux » avec les attributs quivont avec : co-représentativité nationale– c’est-à-dire la compétence assignée et lacapacité reconnue comme légitime d’ungroupe d’États membres d’agir au nom

d’un ensemble plus large –, pouvoir de mar-chandage au jour le jour sur les pratiqueslégislatives et de coordination intergouver-nementale pour la mise en œuvre de l’agen-da.

La pratique législative et le rôle du Triode présidences revisités

Dans l’architecture après Lisbonne, et face àla Présidence du Conseil européen qui estchargée de la stratégie globale et de l’orien-tation politique de l’UE (quelle politique?),le Trio de présidences affirme son rôle actifdans le travail législatif de réglage desparamètres d’élaboration d’une politique(comment ?). De par son rôle delégislateur 24, le Trio est amené à négocier,plus que par le passé, pour le compte desÉtats membres de l’UE, l’allocation descompétences, surtout des compétences par-tagées, lesquelles couvrent la plus large par-tie du champ d’action européen.

Dans cette nouvelle configuration des fonc-tions présidentielles, la Présidence duConseil européen adopte un rôle de pilota-ge, tandis que le Trio de présidences entre-prend l’élaboration des politiques sur leplan sectoriel. Par ailleurs, du point de vuegénéral de l’architecture institutionnelle del’UE, le pouvoir exécutif du Conseileuropéen résultant de l’exercice de sa prési-dence permanente, les pouvoirs législatifsdu Parlement européen (extension de l’usa-ge de la majorité qualifiée, instauration de laprocédure de codécision comme procédureordinaire), le rôle des parlements nationauxdans les processus législatifs tendent à serenforcer. Les comportements concurren-tiels sont à prendre en compte sérieusementen matière de profilage des politiques. Enréalité, le droit d’établissement de l’agendalégislatif et politique est partagé entre plu-sieurs institutions. Le droit exclusif d’initia-tive législative de la Commission se voit

sérieusement affaibli, lui laissant la préroga-tive, non pas d’initier, mais d’encadrer despropositions en phase initiale du premierjet. Le Conseil européen a dorénavant undroit d’initiative pour des questions impor-tantes en matière politique 25, au détrimentde la Commission et des conseils sectoriels.Le Parlement européen peut grâce à sesnouveaux pouvoirs intervenir davantagedans l’initiation de la législation. Le Conseilcontinue à exercer une influence dans lefaçonnage de l’agenda législatif et politique(actes du soft law), sans que l’on puisse par-ler d’un véritable « pouvoir d’agenda ». LeTrio de présidences est un canal d’action

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(20) Selon l’article 15 § 5 et 6 TUE – amendé TL, le présidentdu Conseil européen assure à son niveau et dans sa qualité lareprésentation extérieure de l’Union sans préjudice descompétences du Haut représentant de l’Union. Il préside etanime les travaux du Conseil européen, il œuvre en faveur dela recherche du consensus entre les États membres et assurele dialogue avec les autres institutions : il est chargé deremettre le rapport du Conseil européen devant le Parlementeuropéen après chacune de ses réunions.

(21) B. Crum, Accountability and personalisation of theEuropean Council Presidency, European Integration, vol.31, no 6, nov. 2009. 690-91.

(22) J. Tallberg, The Agenda-shaping powers of the EUCouncil Presidency, Journal of European Public Policy, vol. 10,no 1, 2003. 3 ; S. Princen, Agenda-setting in the EuropeanUnion: a theoretical exploration and agenda for resear-ch, Journal of European Public Policy, vol. 14, no 1, janv. 2007.23-29. V. aussi J. Tallberg, The Power of the Presidency:Brokerage, Efficiency and Distribution in EUNegotiations, JCMS, vol. 42, no 5, déc. 2004. 1001-1002.

(23) C. Mazzucelli, Leadership in the European Union:Assessing the Significance of the Trio Council Presidency,Jean Monnet/Robert Schuman Paper Series, vol. 8, no 17, août2008. 12-13; D. Beach and C. Mazzucelli (éd.), Introduction,Leadership in the Big Bangs of European Integration,Houndmills, Palgrave MacMillan, 2007. 16-18.

(24) A.Warntjen, Steering the Union. The Impact of the EUPresidency on Legislative activity in the Council, JCMS,vol. 45, no 5, déc. 2007. 1138.

(25) J.Werts, The European Council, Londores, John Harper,2008. 46-48.

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adapté pour négocier l’allocation descompétences dites verticales 26.

En matière d’allocation verticale des compé-tences, l’élargissement des compétencescommunautaires à des nouveaux domainessur la base du Traité de Lisbonne s’est pro-duit sans remettre en cause leur caractère àdominante partagée, avec toute l’ambiguïtéque cela comporte. Autrement dit, on ne seréfère pas ici aux compétences exclusives etcomplémentaires 27, mais principalementaux compétences partagées, lesquelles cou-vrent la plus large partie de l’actioneuropéenne. L’enjeu politique de la réparti-tion des compétences entre les Étatsmembres et l’UE demeure et tend même àse renforcer en matière de négociations légis-latives. En réalité, les auteurs du Traité deLisbonne légitiment l’usage général d’unconcept, non pas de répartition, mais de« confrontation » des compétences. Le Traitéde Lisbonne confirme une idée bien connueselon laquelle il ne s’agit pas d’une sépara-tion verticale stricte des compétences 28.

En l’absence de mécanisme généralisé dedélégation des compétences, le Traité deLisbonne affermit le système existant d’allo-cation des pouvoirs qui repose sur deux élé-ments : la classification complexe desdomaines par rapport à plusieurs catégoriesde compétences et le rôle dominant descompétences partagées 29. Pour ce qui estdu premier élément, le Traité n’inscrit pasles véritables politiques en tant que secteursd’activité bien circonscrits, mais il continue,comme les traités précédents, à énumérer entout premier lieu des domaines politiques(areas of policy). Il est notamment difficilede classifier a priori des domaines qui n’ap-partiennent pas dans leur totalité à uneseule catégorie de compétences 30. Pour cequi est du deuxième élément, la notion decompétence partagée se définit « a contra-rio » : elle comprend toutes les matières qui

ne sont ni des mesures d’appui, de coordi-nation ou de complément, ni des compé-tences exclusives. Le Traité établit une cer-taine homogénéisation et généralisation duconcept de « compétences partagées ».

Cette large acception des compétences par-tagées concerne le plus grand nombre desdomaines politiques. Dans ce champ d’ac-tion ouvert et négociable pour les acteursinstitutionnels, les institutions européenneset les gouvernements nationaux jouissent dela même compétence et conservent l’entièrecapacité pour réglementer un domainedéterminé et définir le degré de leur impli-cation/intervention 31.

En d’autres termes, l’existence de différentesprocédures législatives, amplifiée par la poro-sité des lignes de partage entre les compé-tences, crée une certaine incertitude et ouvrede façon accrue les options politiques et juri-diques. La délimitation des compétences nedéfinit pas nécessairement une claire attribu-tion de celles-ci, et c’est pour cela qu’elleconstitue un vrai objet de rivalité entre lesÉtats membres, générant aussi des conflitsinterinstitutionnels entre le Conseil, laCommission et le Parlement européen.

Dans ce régime « ouvert » d’allocation despouvoirs 32, le choix de la base juridiqued’une proposition législative structure ladistribution des pouvoirs entre les acteursinstitutionnels. Afin de déterminer la portéed’une compétence, il faut procéder à l’inter-prétation des dispositions du Traité concer-nant la base juridique de la propositionlégislative. La base juridique prévoit le typede partage vertical des compétences, à savoirle mode d’action, avec ou sans interférencedu principe de subsidiarité, et le choix del’instrument juridique, mais aussi la procé-dure législative à suivre et les modalités dedécision. Le caractère incomplet des traitéseuropéens 33, tout autant que du Traité de

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(26) Auparavant, la Présidence en rotation avait une assezgrande marge de manœuvre afin de mettre l’accent sur le poli-tique et d’affirmer fortement ses priorités. À présent, le Trio estobligé de se concentrer sur le législatif en vue de faire avancervite et de façon efficace les dossiers en cours (Interview avecJ. Neisse, Conseil de l’UE, Unité « Conseil européen, Conseil etaffaires institutionnelles », mars 2011).

(27) Pour les compétences exclusives, ce qui est censé lesdifférencier, c’est que les États membres ne peuvent y inter-venir de leur propre initiative. En règle générale, la compéten-ce de complément ne procure pas de pouvoir législatif.

(28)W. Sweden, Is the European Union in need of a com-petence catalogue? Insights from comparative federalism,JCMS, vol. 42, no 2, 2004. 373-375.

(29) Dans l’histoire des traités depuis Maastricht, cette caté-gorie avait fait l’objet de dénominations bien plus complexes etconfuses du point de vue sémantique: le terme générique decompétences « concurrentes ou partagées » se déclinait en demultiples sous-catégories : en compétences « concurrentesexercées » et en « compétences nouvelles ou élargies » à l’inté-rieur desquelles étaient distinguées les « compétences complé-mentaires, parallèles, subsidiaires et de coordination ». En réa-lité, cette définition des compétences « concurrentes ou par-tagées » n’établissait en aucun cas explicitement les distinctionsentre les sous-catégories énoncées ci-dessus. Ce paysage declassification complexe, instauré par les juristes de laCommission et du Conseil, a institué déjà à l’époque unedémarcation pas du tout claire entre les pouvoirs législatifsconcurrents et exclusifs.

(30) Par exemple, le domaine de la sécurité en matière desanté publique figure dans les compétences partagées, tandisque le domaine de la protection de l’amélioration de la santéhumaine apparaît dans les compétences d’appui. La politiquede la pêche figure dans les compétences partagées, à l’ex-ception du domaine de la conservation des ressources biolo-giques de la mer qui appartient à la catégorie des compé-tences exclusives.

(31) Contrairement au Traité constitutionnel, la primauté dudroit de l’Union sur le droit interne n’est plus explicitement ins-crite dans le Traité de Lisbonne. La déclaration no 17 rappelleque « selon une jurisprudence constante de la Cour de justicede l’Union européenne, les traités et le droit adopté par l’Unionsur la base des traités priment le droit des États membres, dansles conditions définies par ladite jurisprudence ». En outre, estannexé au traité un avis du service juridique du Conseil préci-sant que « le fait que le principe de primauté ne soit pas ins-crit dans le traité ne modifie en rien l’existence de ce principeni la jurisprudence en vigueur de la Cour de justice ».

(32) Dans le Traité de Lisbonne, la portée des compétences estdéterminée, le cas échéant, dans le cadre des bases juridiquesde la Partie III, et non pas dans le cadre de la classificationsommaire de la Partie I.

(33) S. Hix, Constitutional agenda-setting through discre-tion in rule interpretation: why the European Parliamentwon at Amsterdam, British Journal of Political Science, 32: 2,2002. 271.

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Lisbonne, crée une zone de flou sur le choixdes instruments juridiques particuliers àmobiliser.

Dans cette aire grise, les clivages politiquesdistinguent les aspirations plus ou moinsfonctionnalistes selon que la volonté soit defaciliter ou au contraire d’empêcher l’exten-sion des « compétences rampantes » 34. Lespropositions législatives de la Commissionse heurtent souvent aux positions nationalesde certains États membres. Chaque acteurinstitutionnel ne cherche qu’à accroître ouau moins préserver son capital politique etjuridique en sélectionnant la base juridiquequi lui procure une étendue d’action maxi-male (maximisation de la compétence).Face à la Commission, le Parlementeuropéen et certains États membres quiadoptent une posture européanisée, il existedes États membres soucieux de préserver lacompétence nationale 35. L’enjeu consistealors soit à renforcer l’influence commu-nautaire en élargissant sa compétence(mécanisme du « functional spillover »), soità préserver l’autonomie nationale en rete-nant les compétences rampantes et encontrôlant l’influence communautaire.

L’attribution des pouvoirs va se réaliser à tra-vers l’usage de deux méthodes: les pouvoirsimplicites, les compétences dérivant desobjectifs généraux, ou les pouvoirs explicites,la déduction des pouvoirs dérivant destâches établies dans les traités 36. En accordavec les textes, le Trio de présidences a unrôle à jouer en matière de coopération ren-forcée (art. 20 TUE – amendé TL, art. 326-328 TFUE – amendé TL) et d’usage de laclause de flexibilité (art. 352 TFUE/TL)concernant l’étendue des compétences del’Union. Mais, étant donné le fait que lenouveau traité affaiblit la procédure en ques-tion de l’article 352 TFUE (ex. art. 235TCE), qui permet l’élargissement de lacompétence communautaire, l’enjeu du

profilage d’une politique est d’autant plusdécisif. À ce titre, selon les nouvelles disposi-tions, le Conseil européen joue un rôlemoteur en cas d’usage des clauses passerelleset de la procédure de révision simplifiée. Parconséquent, il détient le pouvoir politiquepour les activer. Dans ce cadre de compéti-tion frontale et de conciliation des intérêts,quand l’accord basé sur le plus petit déno-minateur commun échoue, l’usage d’instru-ments para-juridiques est favorisé (le softlaw, les pratiques de consultation ou de per-suasion etc.) 37. La prolifération de ces ins-truments para-juridiques continue d’êtreencouragée dans le cadre des compétencespartagées, chaque fois qu’il y a un désaccordsur le degré d’intensité d’une action à menerau niveau européen.

Face aux incertitudes procédurales et juri-diques qui en découlent, le Trio de prési-dences, en investissant pleinement sa« compétence de conjugaison des intérêtsnationaux », assume un rôle de représenta-tion interne dans le cadre des négociationslégislatives inter-institutionnelles. Au seindu Conseil, les États membres ont toujourseu tendance à osciller entre utiliser le méca-nisme du consensus ou mobiliser véritable-ment l’instrument de la majorité quali-fiée 38 afin de s’assurer qu’un État membrene cherchera pas à faire obstruction à uneaction politique jointe 39. Face au schémaclassique où les gouvernements nationauxpréparent isolément leur position dans lecadre d’une négociation classique 40, le Trioendosse alors un rôle pivot dans le systèmede décision, en permettant aux gouverne-ments nationaux qui le composent de tra-vailler à l’émergence de positions conver-gentes (négociation concertée autour d’unnombre de points focaux) et à la promotiondu consensus actif 41. Cela aboutit end’autres termes à une convergence sur laconduite d’une politique (« bottom-up hori-zontal approach »), en évitant des fautes

procédurales et des conciliations ratées avecle Parlement européen.

Pour que le Trio de présidences puisse incar-ner cette force motrice pour la fabricationdu consensus actif parmi les présidencestournantes qui le composent en matière deprofilage des politiques, il doit disposerd’un capital politique fort. Une bonne coor-dination entre les trois État membres dugroupe, qui diffèrent en taille, en positiongéographique et en capacité d’intégrationpeut favoriser l’émergence d’un capital poli-tique influent. Cette fonction de marchan-dage législatif et politique que le Trio de pré-

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(34) Par exemple, la compétence en matière de fiscalité pour-rait découler de la liberté d’établissement et de circulation descapitaux, domaine de compétence concernant le marché inté-rieur ; ou encore la compétence en matière de systèmes desécurité sociale pourrait découler de la libre circulation despersonnes, domaine de compétence concernant à nouveau lemarché intérieur.

(35) K. Kollman, The Rotating Presidency of the EuropeanCouncil as a search for good policies, European UnionPolitics, 2003, 4 : 51, p. 56.

(36) A. von Bogdandy et J. Bast, The European Union’s ver-tical order of competences: The current law and propo-sals for its reform, Common Market Law Review, vol. 39, no 2,avr. 2002. 238-240.

(37) F.Chatzistavrou, L’usage du soft law dans le système juri-dique international et ses implications sémantiques et pra-tiques sur la notion de règle de droit, Le Portique, 2005, no 15,p. 11 (http://leportique.revues.org/index591.html).

(38) La règle de la majorité qualifiée aura une nouvelle défi-nition après 2014.

(39) S. J. Bulmer, The European Council and the Council ofthe European Union : Shapers of the EuropeanConfederation, Publius, 1996. 41.

(40) J. Schalk, R.Torenvlied, J.Weesie et F. Stokman, The Powerof the Presidency in EU Council Decision-making,European Union Politics, vol. 8, no 2, juin 2007. 234-5 et 245-7.

(41) Le consensus actif ne se réduit pas au plus petit déno-minateur commun, mais c’est le résultat d’un processusconstructif vers une position commune élaborée. V. aussiF. Chatzistavrou, La Présidence d’une formation en quêted’identité : le Conseil des Affaires générales, in Le système pré-sidentiel de l’UE après Lisbonne, ENA/Université deStrasbourg, 2012. 100.

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sidences est amené à assurer confère à soncaractère collégial un rôle de premièreimportance. Un haut degré de collégialitédu Trio lui confère un pouvoir de marchan-dage renforcé (bloc d’États membres) faceaux autres acteurs institutionnels au pou-voir accru. Il signifie aussi un droit de factorenforcé du Trio de présidences à peser surl’agenda et une affirmation de sa capacité àinfluencer considérablement le résultat poli-tique. Pour ainsi dire, l’équilibre des forcesentre le Trio de présidences et la Présidencedu Conseil européen dépend largement dudegré de collégialité du premier.

Des Trios de présidences,plus ou moins collégiaux

L’institution du Conseil est traversée pardifférents types de clivages (territorial, sec-toriel, idéologique, institutionnel 42). À tra-vers ses structures horizontales de travail,elle donne lieu à différents types de conflit :le conflit entre politiques sectorielles, leconflit entre politiques nationales (en lienavec les cultures politiques et administra-tives nationales, mais aussi avec l’affiliationidéologique des gouvernements nationaux),le conflit territorial (entre États membres) etle conflit intra-institutionnel. À propos dece dernier, le Trio de présidences ne peutpréserver sa légitimité face à la Présidencedu Conseil européen qu’en renforçant sacollégialité. Selon le degré de collégialité duTrio, l’équilibre entre tous les acteurs insti-tutionnels concernés (Conseil européen,Secrétariat du Conseil, Coreper, ministères,etc.) se déplace. Ce degré de collégialitévarie selon l’investissement du Trio de prési-dences. Différents facteurs y contribuent.

Dans un environnement où les rapports deforce sont de faible intensité, et où la collé-gialité du Trio de présidences est plutôtfaible, la Présidence stable affirme sacompétence institutionnelle. Au sein du

Conseil européen, l’emprise des grandsÉtats membres sur le profilage des poli-tiques est particulièrement marquée parl’investissement actif et permanent de leurschefs d’État et de gouvernement. Dans cecontexte, on peut alors essayer de tracer larépartition des rôles parmi les autres acteurs.

En cas de faible collégialité du Trio de pré-sidences, le Secrétariat général s’attribueplutôt un rôle d’assistance auprès de laPrésidence du Conseil européen et des pré-sidences tournantes et se contente de sonrôle traditionnel de note-taking. Suite à l’en-trée en vigueur du Traité de Lisbonne, sacharge de travail s’est accrue considérable-ment compte tenu des tâches qu’il doit rem-plir auprès du président du Conseileuropéen, à l’exception des affairesétrangères de l’UE 43. La structure duConseil a connu certains réajustements : laformation d’un cabinet assez large du prési-dent du Conseil européen, la création dunouveau service « Questions politiquesgénérales et relations interinstitutionnelles »rattaché au Secrétaire général. Au sein de cenouveau service, la direction des« Questions politiques générales » doit assu-rer une meilleure coordination horizontaleau sein de l’institution. Sa fonction consisteà aider le Secrétariat à maximiser son rôlepost-Lisbonne, à assister le président duConseil européen et aider le Trio à rédiger leprogramme de 18 mois. Dans le cadre de lapréparation de la gouvernance sur les ques-tions-clés du Conseil européen, elle déve-loppe sur un mode top down des méca-nismes de suivi concernant les tâchesconférées par le Conseil européen aux diffé-rents acteurs du processus. Son Unité deplanification engage un processus de pro-grammation et de planification afin de don-ner au président du Conseil européen unmeilleur aperçu des délais et de l’articula-tion avec les réunions du Conseil européen.Elle établit aussi un programme de travail

multi-annuel 44. La restructuration internedu Secrétariat général s’est faite surtout avecl’intention de servir la Présidence duConseil européen. Cette tendance est d’au-tant plus accentuée dans l’hypothèse d’unexercice peu intense de la fonction prési-dentielle dans ses deux variations.

Le Conseil des Affaires Générales s’investitdans des tâches de préparation des réunionsdu Conseil européen 45. Il n’investit pas acontrario une compétence autonome enmatière de profilage des politiques. LeCoperer devient l’interlocuteur direct duConseil européen. D’ailleurs, depuis la miseen vigueur du Traité de Lisbonne, on obser-ve déjà une augmentation des contactsdirects entre le président du Conseil

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(42) M. Egeberg (éd.), Multilevel Union Administration: TheTransformation of Executive Politics in Europe, PalgraveMacmillan, 2006; v. aussi M. Egeberg, An organisationalapproach to European integration: Outline of a comple-mentary perspective, European Journal of Political Research,vol. 43, 2004. 209-10.

(43) Sur ce dernier champ, un investissement conséquentn’est plus attendu étant donné l’autonomie fonctionnelle de laministre compétente.

(44) Lors du Conseil européen de Séville en 2002, il a étédécidé d’instaurer un programme annuel opérationnel gérépar les deux présidences tournantes et un programme straté-gique de travail pluriannuel établi par le groupe des six prési-dences consécutives ; cette deuxième réforme a formalisé lapratique déjà existante de l’agenda législatif pluriannuel. V.Conseil européen, Conclusions de la Présidence, Conseileuropéen de Séville, juin 21-22, 2002, version révisée, 10 oct.2002.

(45) Selon l’art. 15 § 6 b) TUE – amendé TL, « le président duConseil européen assure la préparation et la continuité du tra-vail du Conseil européen en coopération avec le président dela Commission, et sur la base du travail du Conseil des Affairesgénérales ». L’article 16 § 6 du TUE – amendé TL stipule que« le Conseil des Affaires générales assure la cohérence des tra-vaux des différentes formations du Conseil. Il prépare les réu-nions du Conseil européen et en assure le suivi en liaison avecle président du Conseil européen et la Commission ».

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européen et le Coreper 46. Le Coreper, l’ins-tance de la techno-diplomatie européen-ne 47, a vu son pouvoir informel s’accroîtreprogressivement. Dans le cadre post-Lisbonne, le Coreper connaît une politisa-tion excessive de son rôle par rapport à sesattributions formelles 48. Étant donné le faitque le Coreper II prépare le Conseil desAffaires Générales, dans le scénario de lacollégialité faible du Trio, c’est lui quidevient une sorte de directoire informel etétablit des rapports stratégiques et constantsavec le cabinet du président du Conseileuropéen. Dans ce contexte, la question dela légitimité du rôle des ministres desAffaires étrangères/secrétaires généraux auxAffaires européennes se pose sérieusement.Face à l’institutionnalisation du Conseileuropéen, les ministres des Affairesétrangères peinent à trouver leur place. Ilsne siègent plus au Conseil européen et, parailleurs, leur portefeuille au sein de leursgouvernements respectifs n’est pas ajusté, cequi peut avoir des sérieuses implications surleur pouvoir effectif de décision 49. Ce n’estqu’à travers leurs ministères respectifs qu’ilspeuvent continuer à jouer un rôle d’inter-vention dans le processus. Les ministèresdes Affaires étrangères préservent ainsi leurrôle de principal coordinateur des prési-dences tournantes et continuent à gérerl’agenda basé sur le procédé des priorités dela Présidence tournante. Le Trio de prési-dences fonctionne surtout sur la base desnon-papers, rédigés par les ministères desAffaires étrangères, qui portent surtout surles questions de son organisation.

Dans le scénario d’un Trio de présidencesfaiblement collégial, le mécanisme du Triode présidences ne réussit pas à constituerune force susceptible de modifier l’exercicede la Présidence tournante. Il n’arrive pas àinitier un rôle politique bien distinct etcomplémentaire de celui de la Présidencedu Conseil européen. L’équilibre institu-

tionnel au sein du Conseil, et entre celui-ciet les États membres de l’UE, demeure alorstrès précaire.

Dans le cas contraire d’une forte collégialitédu Trio de présidences, le Trio adopte unprofil proactif qui peut induire des change-ments structurels en matière de coordina-tion nationale des politiques européennes etde coordination intra-institutionnelle ausein du Conseil. La culture administrativeet politique de chaque État membre déter-mine son style d’engagement. Par « styled’engagement », nous entendons l’orienta-tion de l’État membre envers l’intégrationeuropéenne, la façon dont il conçoit sonrôle dans ce registre, les modalités d’établis-sement de l’agenda (types de priorités natio-nales et procédures d’inscription) et enfin lestyle d’arbitrage de l’État membre qui prési-de (quand va-t-il au vote et jusqu’où conti-nue-t-il à chercher un accord?) 50. Le styled’engagement, tout autant que la taille etl’expérience en matière de présidence desÉtats membres, ne joue pas de la mêmefaçon en cas de faible ou de forte collégialitédu Trio. Dans le second cas, le Trio intègredans ses fonctions celle de promouvoir lacollaboration entre les administrationsnationales des États membres qui le com-posent et de faciliter alors les interactionsintergouvernementales. En matière de dis-tribution des préférences, on observe uneforte hétérogénéité au sein des conseils sec-toriels 51. Le Conseil peut se diviser endifférents blocs selon la position géogra-phique ou le niveau de PIB des Étatsmembres 52. Un Trio à forte collégialitépeut avoir aussi des effets sur la convergen-ce des philosophies/principes d’actions poli-tiques des États membres (en matière deculture économique, préférences pour desbiens publics, etc.).

Une telle évolution permet d’approfondirdavantage la coordination des positions par

rapport au programme de travail de18 mois. Passer du programme de 18 moisexprimant des intentions politiques à laconstruction de l’agenda du Trio peut s’avé-rer possible sur la base de trois principes : a)l’association/communalisation des prioritésdes présidences tournantes ; b) l’élaborationd’une stratégie commune par rapport auprogramme de travail de la Commission etses propositions législatives ; c) l’initiationde discussions au sein des formations duConseil concernant les questions qui divi-

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(46) Une nouvelle tendance est observée selon laquelle le pré-sident du Conseil européen s’entretient directement avec lesreprésentants permanents (Interview A. Papadopoulos, Conseilde l’UE, DG C Coordination, juin 2010).

(47) F. Chatzistavrou, Les représentants permanents auprèsde l’UE ou la redéfinition d’un rôle politique européen, Regardssociologiques, 2004, no 27/28, p. 51-69; F. Chatzistavrou, LaPrésidence d’une formation en quête d’identité : le Conseil desAffaires Générales, in Le système présidentiel de l’UE aprèsLisbonne, op. cit., p. 97-98.

(48)Avec l’extension de la procédure de codécision, le Coreper,surtout I, mais aussi II, acquiert un rôle encore plus capital enmatière de négociation législative (Interview avec J. Neisse,Conseil de l’UE, Unité « Conseil européen, Conseil et affairesinstitutionnelles », mars 2011).

(49) D’ailleurs, cette évolution peut très probablement contri-buer à accroître le nombre des réunions ministérielles infor-melles. Les ministres se voient moins qu’avant et, d’autre part,la complexité des questions s’accroît. Sans doute, il y a besoind’un forum informel de communication (depuis 2009, en plusdes 8 Conseils formels, et selon la règle informelle, sont enre-gistrés 6 Conseils informels – dont Gymnich, Défense, JAI,Ecofin, Agriculture et un dont la Présidence tournante décide ledomaine, par exemple Énergie ou Transports). À présent, l’aug-mentation du nombre des réunions informelles est en discus-sion. C’est au niveau du Coreper, et sous les auspices de laPrésidence tournante, qu’elle se décide.

(50) E. J. Kirchner, Decision-Making in the EuropeanCommunity : The Council Presidency and EuropeanIntegration, Manchester U. P., 1992. 105-7.

(51) S.Bunse, Small states and EU Governance. Leadershipthrough the Council Presidency, Palgrave Macmillan, 2009.31-36.

(52) M. Keading et T. Selck, Mapping Out Political Europe:Coalition Patterns in EU Decision-Making, InternationalPolitical Science Review, vol. 26, no 3, 2005. 273-275.

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sent les États membres en matière de trans-fert de compétence et les questions transec-torielles, en vue de faire éclore des positionsconvergentes parmi eux. Cette fonctionproactive en matière d’établissement del’agenda (proactive agenda-setting role) per-met au Trio d’investir une sorte de « compé-tence de la compétence partagée ».L’élaboration d’un vrai agenda du Trio a defait un effet sur la façon dont les réunionsau sein du Conseil se structurent. Les effortspour avoir plus de collégialité sur des ques-tions de low politic peuvent constituer unpremier indicateur de cette tendance. Dansce cadre de plutôt forte collégialité, essayonsde tracer la répartition des rôles parmi lesautres acteurs.

En cas de forte collégialité du Trio, leSecrétariat général est appelé à se pencherdavantage sur la préparation horizontale desquestions. Sa direction des « Questionspolitiques générales » constitue un serviceopérationnel au service du Conseileuropéen et de son président, mais aussi unservice stratégique qui développe tout parti-culièrement son regard horizontal sur lesquestions abordées. Il vient en appui du tra-vail du Conseil des Affaires générales, touten intégrant au mieux les groupes Antici etMertens 53. D’ailleurs, dans le scénario deforte collégialité du Trio, le Conseil desAffaires générales ne se contente pas nonplus d’être l’instance préparatoire des réu-nions du Conseil européen. Au-delà destâches de routine en matière d’organisationet de représentation, qui fonctionnent leplus souvent selon des intérêts purementnationaux, il a un rôle-clé et assez autono-me. Son rôle consiste aussi à soutenir le tra-vail du Trio et, par conséquent, à piloter leprofilage des politiques, en tant que cataly-seur d’éventuels conflits entres les conseilssectoriels. Avec le soutien des ministres sec-toriels et l’appui du Coreper, il travaille sur-tout sur la dimension transsectorielle des

politiques 54. Le Conseil des Affaires géné-rales peut susciter des débats constructifsentre les États membres sur des sujetscontroversés à propos desquels le degréd’engagement souhaité au niveau européendiverge (politiques redistributives, politiquede l’emploi, politique fiscale, etc.). LeConseil des Affaires générales peut assignerde la façon la plus optimale des tâches poli-tiques selon les niveaux de gouvernement,par priorités politiques spécifiques, tellesqu’elles sont établies par la Présidence duConseil européen. Dans ce cadre, lesconseils sectoriels aussi préservent leur rôlepolitique et l’engagement fort des ministressectoriels est un bon indicateur d’équilibreentre eux et les ministres des Affairesétrangères. La plutôt forte collégialité duTrio peut ainsi favoriser l’implication plusdirecte des ministères sectoriels dans la pré-paration de l’agenda du Trio. Pour quel’agenda du Trio puisse être élaboré, lacoopération plus directe entre les ministèressectoriels des États membres du Trio consti-tue une pré-condition indispensable. Cetteévolution se différencie largement de tout leprocessus de consultation des Étatsmembres opéré par les ministères desAffaires étrangères dans le cadre de leurfonction traditionnelle de coordination,mais aussi de gestion de la Présidence tour-nante. Elle pourrait même induire des ajus-tements nécessaires des portefeuilles desministres des Affaires étrangères et renforcerle rôle des chefs d’État ou de gouvernementdu Trio auprès du président du Conseileuropéen 55. Enfin, comme il a été signaléplus haut, elle peut produire de façon col-latérale des effets positifs en matière d’ap-prentissage inter-administratif et intercultu-rel 56, et être bénéfique à l’intégration inter-gouvernementale, c’est-à-dire l’accroisse-ment et l’approfondissement des échangesrelationnels entre des acteurs gouvernemen-taux des différents États membres. Dans cecas de figure, le Trio de présidences pourrait

fonctionner comme vecteur d’engrenagedans le sens d’E. Haas 57, à savoir en matiè-re d’intégration administrative et de rappro-chement des cultures bureaucratiques desÉtats membres de l’UE.

II. — LE TRIO DE PRÉSIDENCES,VECTEUR D’INTÉGRATIONINTERGOUVERNEMENTALE

L’acteur gouvernemental a dû s’adapter ausein d’un système où les autres acteurs insti-tutionnels de l’UE étendent leur champd’action et où le système s’alourdit à causedes élargissements successifs. Au souci demaximiser ses préférences nationales vientalors s’ajouter le souci de se concerterdavantage que par le passé et, le cas échéant,de faire converger ses préférences avec cellesdes autres.

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(53) Les groupes de coordination spécialisés « Mertens » et« Antici » se composent d’un collaborateur de chaque repré-sentant permanent, l’ambassadeur et l’adjoint. Il s’agit d’assis-tants du Coreper (1re et 2e partie respectivement) chargés depréparer l’ordre du jour hebdomadaire du Coreper. Ils assurentaussi des tâches spécifiques lors des conseils européens.

(54) F. Chatzistavrou, La Présidence d’une formation en quêted’identité : le Conseil des Affaires Générales, in Le système pré-sidentiel de l’UE après Lisbonne, op. cit., p. 100.

(55) Un Trio fort pourrait permettre aux chefs d’État ou degouvernement qui le composent d’assumer un rôle de rap-porteur au sein du Conseil européen (Interview avec M. Mora,Conseil de l’UE, chef de cabinet du Secrétaire général, mars2011).

(56) Dans le cas du Trio présidentiel Espagne, Belgique,Hongrie, deux fonctionnaires, un belge et un espagnol, se sontrendus à Budapest et y sont restés tout au long du terme pré-sidentiel. Il s’agit d’un phénomène qui pourrait s’étendre etfaciliter ainsi l’échange de bonnes pratiques (Interview avecT. Blanchet, Conseil de l’UE, Service juridique, mars 2011).

(57) E. Haas, The Uniting of Europe, Stanford, 1958.

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Le Conseil, lieu d’un multilatéralisme indi-viduel (action intergouvernementale négo-ciée basée sur le principe du consensus pas-sif ), aspire, à travers l’instauration du Trio, àdevenir un lieu de multilatéralisme intégra-tif (action intergouvernementale conjointebasée sur le principe du consensus actif 58.

Un Trio à forte collégialité tend à avoir lamaîtrise de la dimension coutumière desmodes de partage des compétences. Lemodèle d’allocation verticale des compé-tences se base sur le principe guide du degréde pouvoir que chaque institution possè-de 59. Le Traité est un texte chargé, détaillé,qui privilégie en même temps la natureelliptique du droit. Le caractère ambigu desfrontières entre les domaines de compé-tences renvoie de fait à une approche procé-durale de la question de la répartition descompétences. En effet, l’identité coutumiè-re du système européen va de pair avec lapermissivité juridique. Cette tendance à la« déformalisation » du droit européenimplique une multiplicité de solutions pos-sibles selon les domaines politiques et lesrègles utilisées. Les compétences partagéescachent paradoxalement un système denon-partage qui procure une marge demanœuvre importante aux acteurs institu-tionnels. En d’autres termes, le choix de labase juridique d’un acte et, par conséquent,le mode d’implication des institutionseuropéennes vont continuer dans de nom-breux cas à faire l’objet de négociationsentre les États membres 60. Cette tendancepourrait même s’amplifier étant données lesnouvelles réticences que certains Étatsmembres expriment en matière de transfertdes compétences au niveau européen.

Face à la faible lisibilité des textes et à l’en-trecroisement matériel des questions(dimension transsectorielle de la politiqueeuropéenne), le Trio est en mesure de pro-mouvoir une interprétation commune des

textes afin de surpasser tout problème deconfusion des compétences et des procé-dures respectives. Il propose, non pas descompromis, mais des options politiques enmatière législative. De nouvelles formes denégociation basées sur le consensus actif,portant sur l’étendue de la compétence etl’intensité de l’action à mener, peuvent êtrepromes. Il s’agit donc d’une certaine façond’accroître l’influence concertée des Étatsmembres sur la législation qui est produitepar l’UE. Dans cette perspective, la politisa-tion de l’action au niveau européen est ren-forcée, puisque le conflit idéologique estdavantage introduit dans les discussions etles négociations des politiques européennes.

Dans le cadre post-Lisbonne, l’institution-nalisation d’une Présidence de long termedu Conseil européen vise à renforcer ladimension supranationale de l’institutionintergouvernementale par excellence del’UE. Pour ses inspirateurs, la Présidencestable, loin d’être un instrument intergou-vernemental, doit prendre en considérationl’intérêt européen, veiller à la régularité desréunions de ses membres et décourager ainsila prise de décision en réunions bilatéralesentre les États membres les plus influents.Afin d’assurer la continuité en matière depolitique européenne, elle facilite l’éclosiondu consensus en permettant la dilution desconflits entre États membres (consensuspassif ). La recherche de consensus passif sebase sur le procédé de l’élimination desdivergences et des concessions réciproques.

Le consensus actif est basé sur des effortssubstantiels de convergence politique et cul-turelle de la part des États membres. Le Triode présidences est susceptible de favoriserune pratique de collégialité sous certainesconditions. L’idée d’instaurer une certainecohérence thématique et politique dans lesprogrammes d’action (conjoints) du Trio deprésidences peut se forger. Celle de faire

évoluer le Conseil des Affaires générales enun lieu de débat en matière de stratégieeuropéenne (mini-Sénat) peut aussi faireson chemin.

On peut penser que le phénomène de« communalisation » 61 progressive del’exercice de cette fonction en tant quemode de co-gouvernance amène plus fon-damentalement à changer notre façond’aborder la question des présidences del’UE. La logique du travail en Trio exige queles États membres soutiennent les objectifset les échéances des uns et des autres. Ainsi,étant donné le fait que chaque gouverne-ment national apporte sa culture adminis-trative, son capital politique et son engage-ment sur les questions européennes, lesadministrations nationales et les respon-sables politiques se confrontent et se rap-prochent afin de réussir au mieux cettecommunalité des programmes d’action.L’expérience de travail de la Présidence parrotation peut être transmise d’un Étatmembre à l’autre au sein du Trio. Dans l’op-tique d’un travail en groupe, la confronta-tion des différences entre les préférencesnationales et les priorités politiques desÉtats membres n’exclut pas la possibilitéd’un maillage des perceptions sur le planculturel, sectoriel et politique.

GOUVERNANCE EUROPÉENNE

Revue de l’Union européenne, n°568, mai 2013

(58) F. Chatzistavrou, Une lecture intergouvernementale dusystème politique européen. Le Traité de l’UE: précurseur deschangements dans les relations intergouvernementales. Thèsesoutenue en 2003, Éditions universitaires européennes, 2010.540.

(59) P. Craig, Constitutions, Constitutionalism and theEuropean Union, European Law Journal, vol. 7, juin 2001.140.

(60) H. Farrell et A. Héritier, Contested competences in theEuropean Union, West European Politics, vol. 30, no 2, mars2007. 228.

(61) À ce sujet, voir la note de bas de page (7).

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CONCLUSION

En guise de conclusion, le Trio de prési-dences représente une forme de gouvernan-ce intergouvernementale inédite. Face àl’institutionnalisation du président duConseil européen, mais aussi au renforce-ment de l’Eurogroupe, suite à la crise éco-nomique, les présidences tournantes et leTrio de présidences font figure pour certainsde formes institutionnelles en déclin. Pourd’autres, ils constituent pour le moins unepratique utile bien que de second ordre. Or,c’est leur mode d’exercice qui valorise leursattributs et libère leurs potentialités fonc-tionnelles. Au sein du Trio, l’exercice de laPrésidence tournante constitue le meilleurmoyen de compréhension des positionsnationales du pays en exercice et de l’équi-libre des pouvoirs en arrière-plan. C’est jus-tement cet exercice d’un pouvoir chan-geant, bien que limité dans le temps, maisd’un pouvoir joint aussi, qui confère au Triotoute sa particularité. C’est dans un contex-te évolutif européen que le « Traité sur la sta-bilité, la coordination et la gouvernancedans l’Union économique et monétaire »signé le 2 mars 2012 prévoit en annexe(annexe 1) que le Trio de présidences estchargé de saisir la Cour contre les pays de la

zone euro signataires du Pacte budgétairequi ne transposent pas adéquatement auniveau national la règle d’équilibre budgé-taire.

Compte tenu du fait que le Trio assure sesfonctions pour une durée de 18 mois, lafaçon dont il opère et les synergies qui secréent entre les États membres ne sont paschaque fois identiques. Depuis l’entrée envigueur du Traité de Lisbonne, la collabora-tion soutenue des présidences espagnole,belge et hongroise (Trio 2010-2011) adonné sa place au Trio 2011-2012 des pré-sidences polonaise, danoise et chypriote.Ces Trios de présidences ont exercé leursfonctions sur fond de crise économique. LaBelgique, frappée par une crise politiqueintense, a su accomplir son mandat defaçon satisfaisante grâce aux compétencesde haut niveau de ses diplomates. Sous lesauspices de la Présidence chypriote et mal-gré les problèmes économiques auxquels lepays est confronté, certains dossiers ontabouti. Si les négociations sur le cadrefinancier pluriannuel 2014-2020 ontdébouché sur un échec, les négociations surle brevet européen ont été menées à leurterme. Contrairement à la performanceplutôt satisfaisante de ces deux petits pays,l’exercice de la Présidence tournante par des

pays non-membres de la zone euro, commela Hongrie au premier semestre de 2011 oula Pologne au deuxième semestre de 2011, acontribué à affaiblir l’esprit de collégialité ausein des trios. Ce défaut de collégialité peuttransitoirement participer à la fragilisationde l’institution du Trio. À présent, l’Irlandeexerce la Présidence tournante dans le Trio2013-2014 qu’elle forme avec la Lituanie etla Grèce.

Dans cet environnement coopératif etmulti-conflictuel, le Trio de présidences àforte collégialité peut jouer un rôle complé-mentaire de vecteur d’intégration intergou-vernementale, en pratiquant le consensusactif. L’enjeu de sa collégialité acquiert uneimportance considérable, surtout par rap-port à son efficacité politique et sa pérennitéinstitutionnelle. Cette perspective ouvre unchamp assez vaste de recherches empiriquespour évaluer le degré de collégialité du Triode présidences. Ce type d’exercice pourraitêtre mené à partir d’études de cas. Il auraitpour but de mesurer le rôle de tous lesacteurs institutionnels impliqués dans leprocessus et viserait à déceler les attributsbasés sur le pouvoir, l’intérêt national ou laculture qui sous-tendent la faible ou fortecollégialité du Trio de présidences ■

GOUVERNANCE EUROPÉENNE

Revue de l’Union européenne, n°568, mai 2013

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