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Les élus locaux face au risque pénal

Mar 29, 2023

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Page 1: Les élus locaux face au risque pénal

Geoffrey DELEPIERRE

« Les élus locaux face au risque pénal »

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Avril 2015

Mots clés :Responsabilité pénale – élus locaux - risque pénal – éthique politique –décentralisation – faute (non) intentionnelle – imprudence – Loi Fauchon- Protection fonctionnelle – responsabilité pénale des personnesmorales

Introduction

Comme l’écrivait déjà l’avocat Frédéric Thieriez en19991 : « Il y a dix ans seulement, traiter d’un tel sujet (…)aurait été perçu comme une curiosité, voire une incongruité »tant l’irruption du juge pénal dans la sphère politique etadministrative fut une évolution rapide et soudaine.

En effet il se manifeste indéniablement, dans notre pays depuismaintenant plusieurs années, une véritable « demande dejustice », et disons le également d’exigence répressive,incarnée tant par les médias que les associations de victimes.Cette « volonté de punir »2 devenue une des préoccupationsmajeure de notre culture judiciaire ne se borne plus au champde la délinquance classique de droit commun, et n’épargne ainsipas les décideurs publics qui vivaient depuis longtemps sous latutelle d’une juridiction administrative - populairement -réputée comme plus compréhensive. Néanmoins en matière deresponsabilité pénale des décideurs publics, si ils ne sont pas

1 THIERIEZ Frédéric, « L’irruption du juge pénal dans le paysage administratif », AJDA, 1999, p105.2 SALAS Denis, La volonté de punir : essai sur le populisme pénal, Fayard, 2010.

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épargnés, peut-on pour autant parler d’un raz-de-maréecontentieux ?

Dans cette courte étude, nous nous focaliserons sur la personnedes élus locaux tant leur responsabilité pénale n’a cesséd’être un élément majeur de l’actualité politique et judiciaireen matière de responsabilité depuis la fin des années 90.D’autant que ces derniers à la différence des parlementaires oudes membres de l’exécutif, ne possèdent aucune immunité alorsque leurs pouvoirs et responsabilités n’ont cessé de croîtredepuis les premières lois de décentralisation.

Ainsi afin de répondre à cette question, nous, nous proposonsdans un premier temps d’identifier les différents facteurs del’accroissement du risque pénal dans la vie publique ; pourensuite évaluer les capacités de protection des élus locauxface aux différentes formes du risque pénal.

PARTIE I/ La responsabilité pénale des élus   : retour aux origines d’une exposition récente

a) Moralisation de la vie publique et émergence de la victime : facteursd’irruption du juge répressif dans le paysage politico-administratif

Traditionnellement marqué par une méfiance envers le« pouvoir des juges », le monde politique français a longtempsconsidéré que sa seule sanction légitime était celle des urnes,au travers desquelles les citoyens pouvaient exprimer leurcondamnation ou approbation de la conduite leurs représentants.C’est ainsi que prima pendant longtemps la responsabilitépolitique des élus sur leur responsabilité judiciaire3.

3 En témoigne par exemple le fait que si toutes les Constitutions de la République depuis 1791, avec la HauteCour, prévoient une juridiction spéciale pour juger les membres de l’exécutif , ces dernières n’étaient jusque

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Néanmoins avec la multiplication des « affaires politico-judiciaires », dont l’impact ne cesse de s’amplifier au rythmede la massification médiatique, la question de laresponsabilité pénale des décideurs publics a pris une ampleurnon négligeable et touche tant le sommet de la pyramidepolitique (le débat sur la responsabilité pénale du chef del’Etat) que sa base (par exemple en ce qui concerne lesinfractions involontaires des élus locaux). Ici nous nousproposons dans un premier temps de réfléchir aux raisons, àl’ampleur et à l’influence de la volonté de pénaliser del’action publique.

Notons d’abord que depuis la fin des années 80, nos sociétésdémocratiques n’étant plus menacées que par des dangers d’ordreintérieur sont devenues le théâtre de formulation de nouvellesexigences de sécurité, plus marquées par un souci de probitéque par la seule prévention d’atteinte à l’ordre public. D’unecertaine manière c’est que rappelle la Cour de Cassation4

depuis un arrêt du 22 Octobre 2008 relatif à la prise ouconservation illégale d’intérêts par des élus, dans lequel elleindique « qu’il n’importe que l’intérêt pris ou conservé nesoit pas en contradiction avec l’intérêt communal ». Un autreexemple comme celui de la création par la loi n°91-3 du 03janvier 1991 du « délit d’octroi d’avantage injustifié »5 (pluscommunément appelé « délit de favoritisme ») prévu à l’article432-14 du Code Pénal, manifeste bien une volonté de réprimer« l’immoralité politique ».

D’autant que ce risque pénal n’a cessé de s’accroître au fildes jurisprudences, y compris en ce qui concerne l’imputabilitéfonctionnelle de la faute , à travers son arrêt du 20 Avril2005 la Cour de cassation6 indique que pour être condamné, lepouvoir de décision n’est pas indispensable. Ici la simple

récemment que purement formelles et essentiellement politiques. Leur tenue ne se traduisaient que très rarementpar des condamnations, comme en témoigne l’affaire dite de « Panama » pourtant scandale emblématique de laIIIe République.

4 Cass. Crim., 22 oct. 2008, n°08-82

5 Il s’agit ici d’engager particulièrement la responsabilité des élus en matière d’attribution frauduleuse demarchés publics ; délit extrêmement récurrent dans les différentes « affaires politico-judiciaires ».

6 Cass., crim., 20 avr. 2005, n°04-83017

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participation d’un DGS à une réunion avec des chefsd’entreprise, à l’occasion de laquelle des informationsconfidentielles ont été révélées, a entraîné sa condamnationpour atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidatsdans les marchés publics. De même l’élément intentionnel dudélit est désormais facilement identifiable du fait que commele pose la jurisprudence « cette intention est présente dèslors que l’agent ou l’élu a violé les dispositions du code desmarchés publics en connaissance de cause (…) du fait del’expérience tirée de la durée des mandats ou encore du nombred’irrégularités rencontrées dans une même procédure »7. Parailleurs le délit en question peut être identifié même sil’entreprise bénéficiaire était la moins-disante8. Enfin cetaccroissement d’une volonté de répression de « l’immoralitépublique » peut également et particulièrement se retrouver àtravers l’allongement des délais de prescription de l’actionpublique en la matière.

Après avoir identifié ces quelques éléments demanifestation de la répression pénale à l’endroit desresponsables politiques, nous nous devons de souligner qu’ils’agit ici d’une réaction pénale issue d’un défaut de moyens derépression des infractions des responsables politiques. Commenous avons eu déjà l’occasion de le souligner l’élu a longtempsété bénéficiaire d’une certaine irresponsabilité judiciaire(toutes proportions gardées bien entendu), mais cetteirresponsabilité était également présente dans d’autresdomaines. C’est l’exemple parfait de l’affaire dite du « sangcontaminé » relevant une irresponsabilité administrativepuisqu’il était impossible par exemple de mettre en jeu laresponsabilité médicale de l’Etat sans une faute lourde avant1992, mais aussi financière car un fonds d’indemnisation n’aété créé qu’en 1991 et encore une fois judiciaire car lesplaintes n’ont fini par aboutir que par des constitutions departies civiles.

Face à cette situation et simultanément à la médiatisation decertaines catastrophes sanitaires comme l’amiante, le sangcontaminé ou encore la vache folle, les victimes sont devenuesintolérantes à l’indifférence des responsables publics ayant

7 CA de Grenoble, 27 aout 1997, n°701-978 Cass., crim., 6 avril 2005, n°00-80418

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perçu un risque9. Si bien que comme le soulignait pluslargement Hans Jonas : « Avec la multiplication des risques etsurtout leur changement d’échelle, notre pouvoir absolu sur lemonde se transforme en responsabilité illimitée »10. Ainsi ilne restait plus aux victimes qu’à trouver le moyen d’imputerles défauts de ces manquements en responsabilité aux décideurspublics, et c’est à travers le procès pénal qu’ils ont trouvéla solution. Si le procès pénal est devenu un moyen privilégié,c’est que au delà d’être plus connu que les autres formationsde jugement par le grand public, il est celui qui permet leplus facilement « la nomination publique des actes illicites,leur imputation individualisée et leur effet de rétributionréparatrice »11 .

Néanmoins cette utilisation du procès pénal n’est pas sansêtre source d’une opposition ontologique entre les élus d’uncôté et les victimes de l’autre. D’un côté les élus se sententmis en danger ou injustement poursuivis du fait de possiblespoursuites contre des actes qu’ils ont pris sans avoir unequelconque intention de nuire, et de l’autre côté les victimes,qui n’appréhendent plus le dommage subi qu’à travers larecherche d’un coupable et d’une juste punition.

Comme nous le verrons plus précisément par la suite, cetteopposition est particulièrement exacerbée lorsqu’il s’agitd’appréhender le risque tant ce dernier peut, pour les élus dumoins, apparaître comme résultant de l’aléa et du hasardplutôt que de l’intention de nuire. Cependant les victimes nesont aujourd’hui plus prêtes à accepter la fatalité et veulentdonner un sens à leurs maux, si bien que le décideur publicdoit répondre de sa capacité à anticiper l’injustice du mal ;et ce quelle que soit la branche du droit étudiée. Partout nousserions entrés dans « l’ère de la pénalité invisible ouimprévisible, incertaine et floue, où l’illégalisme ne précèdeplus l’action mais la suit »12. Et c’est ici qu’intervient lejuge pénal, duquel l’on attend qu’il puisse désignerl’introuvable coupable.

9 SALAS Denis , « L’éthique politique à l’épreuve du droit pénal », RSC, 2000, p163.10 JONAS Hans, Le principe responsabilité, Une éthique pour la civilisation technologique, Cerf, 1979, p78. 11 SALAS Denis, ibid.12 MAILLARD Jean, Crimes et lois, Flammarion, 1994, p82.

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b) La décentralisation, facteur de l’accroissement du risque pénal desélus locaux ?

Evoquons d’abord ici les récents événements judiciairesintervenant au lendemain du passage de la tempête Xynthia surla commune de la Faute-sur-Mer, ayant conduits à lacondamnation de son maire et d’une de ses adjointes à despeines de prison ferme pour ne pas avoir pris les mesures deprévention devant empêcher la mise en danger de leursadministrés.

Ce jugement nous pousse particulièrement à nous interroger surle partage des compétences entre l’Etat et les collectivitésdans leur responsabilité respective en matière de sécuritépublique. La décentralisation a profondément modifié lesconditions d’exercice des mandats locaux tant elle a opéréd’importants transferts de compétences au profit descollectivités territoriales (développement économique, marchéspublics, urbanisme ou encore environnement), accroissant defait le nombre de textes assortis de sanctions pénales.

Ici, le prévenu avait certes dissimulé la réalité durisque et par conséquent le tribunal des Sables d’Olonnesconsidéra que la faute était détachable du service et doncétait uniquement personnelle. Néanmoins si l’Etat n’a rien à sereprocher dans cette triste affaire, tant il n’a cesséd’alerter le maire sur les risques liés au faible niveaualtimétrique de sa commune, et l’a incité à prendre les mesuresqui s’imposaient, se pose la question de son incapacité àcontraindre, si ce n’est à sanctionner le maire récalcitrant.Est ainsi véritablement présente dans cette affaire la questiondes conséquences de la décentralisation sur l’augmentation despouvoirs, des obligations et donc de la responsabilité des éluslocaux.

Au delà du seul exemple Xynthia, en matière de responsabilitépénale des élus locaux, la question de la décentralisationsoulève la question des limites du contrôle de légalité. En

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effet comme l’indiquait déjà le rapport Mercier de 2000 sur ladécentralisation, « les élus locaux attendent de l'exercice ducontrôle de légalité une plus grande sécurité juridiquecontribuant à réduire leur risque pénal »13.

Rappelons que le contrôle de légalité ne vaut pascertification ; dans son arrêt « Brasseur » du 25 janvier199114, le Conseil d'État a admis que les préfets n'étaient pastenus de déférer aux tribunaux administratifs les actes dontils avaient constatés l'illégalité et qu'ils n'avaient pasréussis à faire modifier par la collectivité. En conséquence,le contrôle de légalité n'a aucun caractère automatique.

De plus, l'absence d'observation de la part du contrôle delégalité n'est pas une garantie de la légalité de l'acte.Ainsi, des poursuites pénales peuvent être engagées contre desélus à propos d'actes sur lesquels le préfet n'avait émisaucune objection. Le contrôle de légalité est par natureadministratif, distinct de l'appréciation pouvant être portéesur une situation donnée par le procureur de la République.

Reconnaissant ces difficultés, le gouvernement a défini desactes prioritaires en matière de contrôle de légalité. C’estici tout le sens de la circulaire du 25 janvier 201215 publiéepar le Ministère de l’Intérieur fixant un objectif de 100% decontrôle des actes définis comme prioritaires à l’horizon 2015.Parmi ces contrôles de légalité prioritaires l’on retrouvenaturellement les actes relatifs à la commande publique, àl’urbanisme ou encore à l’environnement, qui sontparticulièrement sensibles tant ils sont fréquents lorsque laresponsabilité pénale d’un élu est engagée. Néanmoins pourl’heure il n’existe pas encore de bilan de cette circulaire.

Enfin les préfets se consacrant prioritairement à la miseen œuvre des politiques publiques, il est notable de remarquerque lorsqu’il s’agit du contrôle de légalité, le représentantde l’Etat en fait plus un moyen de négociation que de

13 Rapport d’information 447 tome 1, « Pour une République territoriale : unité dans la diversité », présenté par M. MERCIER, Sénat, 2000.14 CE, Sec., 25 janv. 1991, Brasseur, n°80969, publié au recueil Lebon15 Circulaire du 25 janv. 2012 relative à la définition nationale des actes prioritaires en matière de contrôle de légalité, Ministère de l’Intérieur, NOR : IOCB1202426C : http://www.collectivites-locales.gouv.fr/priorites

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contrainte juridique16. Si bien que la juridictionadministrative n’est souvent que trop rarement ou tardivementsaisie. La décentralisation en ce sens a été davantage uneattribution supplémentaire de compétences et de responsabilitésaux élus locaux que le gage d’un contrôle juridictionnelrenforcé. C’est en faisant ce constat qu’il a même était untemps question de l’idée de constituer « un parquetadministratif »17 chargé de ce contrôle afin de décharger lespréfets dont la mission essentielle demeure celle d’être ledépositaire de l’autorité de l’Etat et de gérer ses servicesdéconcentrés.

c) Les délégations : vecteur de contagion pénale ?

Classiquement la délégation de compétence en droitadministratif se décompose en deux catégories : la délégationde compétence et la délégation de signature. La premièreconsistant à un « transfert juridique de compétence » et laseconde ne faisant que « décharger matériellement le délégantde l’exercice de certaines des attributions, dont il reste letitulaire »18.

Comme l’indiquent les articles L2122-18 et L2122-19 du CGCT cesdélégations s’effectuent toujours sous la « surveillance » etla « responsabilité » du délégataire, le rendant donc enprincipe pénalement responsable des différents actes oucarences d’actes liés à la compétence ou la signature déléguée.Néanmoins il existe deux exceptions majeures à ce principe del’imputation systématique de la faute pénale au délégant.

Tout d’abord c’est le cas si une délégation a été formellementétablie en désignant nominativement la personne délégataired’une tâche précise19. Enfin il s’agit des « délits nonintentionnels » relatifs à un défaut de vigilance dans le casoù la personne pouvait compte tenu de sa compétence, (confiée

16 SALAS, op. cit. 17 Rapport au garde des Sceaux, « La responsabilité pénale des décideurs publics », La Documentation française,2000, p85. 18 CHAPUS René, Droit administratif général, Montchrestien, 15e éd., 2001, t. I.19 Cass., crim., 3 dec. 2002, n° 01-83160.

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par délégation) accomplir les diligences normales qui luiincombait pour prévenir un éventuel dommage20.

Cependant en matière pénale, les limites de cetteresponsabilité se trouvent particulièrement rebattues. Du faitdu principe d'autonomie du droit pénal, la délégation depouvoir en matière pénale est bien différente de celle du droitadministratif.

Alors que le droit administratif ne connaît uniquement que laresponsabilité de l'administration et non celle de ses agents ;en matière pénale, si les victimes demandent réparation à lacommune, l'existence ou non d'une délégation interne sera sansincidence sur les conditions de sa responsabilité. Le jugeadministratif se demandera seulement s'il y a eu unedéfaillance du maire dans l'exercice de ses missions de policeadministrative.

D’autant que nous pouvons ajouter que la liberté de lapreuve est de règle dans le procès pénal ; dès lors, si l’onadmet que l'arrêté municipal n'est pour le juge pénal qu'unmode de preuve parmi d'autres et non une condition de lavalidité de la délégation, comme elle l'est pour le jugeadministratif, la délégation de pouvoir doit pouvoir êtreétablie par tous moyens.

PARTIE II/ Quelles protection pour les élus face au risquepénal   ?

a) Faire face à l’accident  

Face à la question de la responsabilité du décideur publicle législateur est confronté depuis de nombreuses années à undilemme : la demande des élus d’une législation plus douce pouréviter une trop forte « pénalisation de la vie publique » et del’autre la demande des victimes faîte à la justice d’identifier

20 Cass., crim., 4 sept. 2007, n° 07-80.072.

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des coupables de leurs malheurs. Si bien qu’en la matière lelégislateur a toujours avancé prudemment et ce en commençantpar revoir la conception objective de la faute.

Dans l’ancien code pénal existaient encore les « délitsmatériels » ne requérant, au titre de leur élément moral, lapreuve d’aucune faute. Même si ces derniers ont disparu avecl’entrée en vigueur du nouveau Code Pénal de 1992, ilsubsistait que la faute prévue aux articles 221-6 et 222-19 duCode Pénal pouvait consister en un simple manquement à uneobligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou lesrèglements.

Si bien que la loi du 13 Mai 1996 relative à la responsabilitépénale pour des faits d’imprudence ou de négligence, estintervenue pour supprimer cet héritage des « délitsmatériels ». Le législateur a introduit un nouvel alinéa àl’article 121-3 du Code Pénal afin que la condamnation deviennepossible en cas de faute d’imprudence, de négligence ou demanquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévuepar la loi ou le règlement. Dès lors l’on ne pouvait plusréprimer une faute s’il était établi que l’auteur a accompliles diligences normales compte tenu de ses missions et de sesmoyens ; annihilant ainsi toute possibilité d’appréciationexclusivement in abstracto.

Néanmoins cela n’a pas suffit à diminuer les possibilitésd’engagement de la responsabilité pénale des élus. Et ceparticulièrement avec la subsistance de la « théorie del’équivalence des conditions », selon laquelle toute fauteayant participé, quel que soit son degré, à la réalisation d’undommage suffisait à engager la responsabilité son auteur. Sibien qu’une quelconque négligence d’un élu en lien avec ledommage, même sans rapport direct, établissait un lien decausalité pouvant entraîner des poursuites à son encontre21.

C’est dans ce contexte qu’est intervenue la célèbre « LoiFauchon » du 10 juillet 2000 tendant à préciser la notion dedélits non intentionnels afin de marquer une différence dansl’intensité de la faute exigée entre les auteurs directs etindirects.

21 VIAL Jean-Pierre, « Loi Fauchon : il faut remettre l’ouvrage sur le métier ! », AJ Pénal 2012, p84.

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Ici ce qui nous intéresse particulièrement est que la loidispose que concernant les auteurs indirects de l’infraction22,ils ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée quelorsqu’ils ont une commis une faute qualifiée d’imprudence etde négligence. Et ce si « ils ont violé de façon manifestementdélibérée une obligation particulière de prudence ou desécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis unefaute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’uneparticulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer »23.Toujours est-il que, dorénavant, la faute non intentionnelle aune définition restrictive. Il incombe donc au plaignant deprouver l’absence de diligence de l’élu local incriminé, lacharge de la preuve se trouvant renversée. C’est le plusimportant acquis de la loi de juillet 2000 : l’élu n’a plus àmontrer qu’il n’a pas commis de faute non intentionnelle ;c’est au plaignant qu’il incombe au contraire de prouver qu’ily a eu manquement caractérisé aux règles de prudence.

Notons également qu’à travers l’alinéa 4 de l’article 123-1 duCode Pénal, est évoqué une « obligation de prudence ou desécurité prévue par la loi ou le règlement ». Le singulierutilisé pour le règlement indique que l’obligation de prudenceet de sécurité est donc définie par la loi ainsi que par lesdécrets et les arrêtés formant la catégorie des règlements.Excluant de fait toute autre forme de règlements, notammentintérieurs des établissements publics, réduisant doncsignificativement la portée de l’obligation de prudence.

Ainsi à travers les alinéas 3 et 4 de l’article 121-3 du CodePénal il est désormais exigé une faute qualifiée en cas de liende causalité indirecte entre la faute et le dommage ; laresponsabilité pénale ne sera donc engagée qu’à la conditionque la faute reprochée présente les caractéristiques évoquéesprécédemment. Comme l’écrit Vial24 moins la causalité seraforte et proche du dommage, plus la faute devra être de forteintensité (quasi délibérée). Le fait que la causalité entrefaute et dommage n’est plus directe constitue donc la plus22 Article 123-1 alinéa 3 du Code Pénal : « les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures afin de l’éviter ». 23 Article 123-1 alinéa 4 du Code Pénal24 VIAL, ibid.

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importante innovation de la loi ; seul le respect del’obligation de prudence doit rentrer en ligne de compte etdonc dans le cas du respect de cette obligation, même undommage très grave ne saurait engager la responsabilité pénalede l’élu.

Néanmoins si depuis la loi Fauchon les élus peuvent êtreconsidérés comme des auteurs indirects, il reste que « la fautecaractérisée a éclipsé la faute manifestement délibérée, leséléments constitutifs de la première, non dénués desubjectivité, étant plus faciles à réunir que ceux de laseconde »25. La plupart des condamnations prononcées depuissemblent être en porte-à-faux avec les objectifs initiaux deslois de 1996 et 2000 imposant au juge d’examiner les conditionsconcrètes dans lesquelles l’élu local exerce sesresponsabilités.

Si bien que comme le soulignait Robert Bouju26, les objectifsinitiaux de la loi du 10 Juillet 2000 semblent souffrir d’undécalage entre le moment où l'élu confronté à un problème peutconsidérer que les mesures qu'il prend sont suffisantes, et lemoment où le juge examine les faits. Si bien que même laprévention ne semble plus exonérer l’élu en question de touteresponsabilité pénale.

Devrait-on alors penser, qu’usant ici de l’imprécision de lanotion de faute caractérisée, l’on serait en présence « d’unerésistance des tribunaux pour limiter la portée de la loiFauchon, qu’ils jugeraient trop favorables aux décideurs »27 ?

b) La progressive reconnaissance d’une protection fonctionnelle pour lesélus locaux

Concernant les moyens mis à la disposition des élus locauxparties à une affaire judiciaire afin d’assurer la défense deleurs intérêts, il convient de souligner, à l’instar du

25 BRUNET Luc, « La responsabilité non intentionnelle des élus locaux », AJ Pénal, 2006, p153. 26 BOUJU Robert, directeur de l'Observatoire SMACL, lors d'un colloque organisé au Sénat, le 1er mars 2005, sur le bilan de la loi Fauchon, in BRUNET, ibid.27 BRUNET, ibid.

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Rapporteur Public Aebischer de la CAA de Lyon28, que lajurisprudence en la matière est relativement rare ; tant cettequestion est (surtout en matière législative) récente et revêtun caractère politiquement et éthiquement sensible29

Ici l’objectif a été progressivement d’unifier, si ce n’est derapprocher, la protection fonctionnelle des élus à celles desfonctionnaires sous l’influence des innovations législatives enmatière délits non intentionnels des élus. D’autant quelongtemps la protection des élus n’était reconnue que parquelques jurisprudences et ne couvrait pas les procédurespénales mais exclusivement civiles30.

Suivant la logique de la loi de 1996 – précitée - visant àréduire le principe de l’intentionnalité en consacrant le délitd’imprudence et de négligence en modifiant l’article 121-3 duCode Pénal, est créé un nouvel article L.2123-34 du CGCTprévoyant la protection du maire en cas de délit d’imprudence.Cet article est renforcé et élargi à l’occasion de la loiFauchon du 10 Juillet 2000 disposant que : « La commune esttenue d’accorder sa protection au maire, à l’élu municipal lesuppléant ou ayant reçu une délégation ou à l’un de ces élusayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l’objet depoursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas lecaractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions.». Ainsi était aligné le régime de protection des élus surcelui des fonctionnaires. Néanmoins à la différence desfonctionnaires, dont la protection est accordée en raison deleur qualité statutaire31, les élus ne peuvent l’invoquer ques’ils prennent des actes d’autorité dans le cadre de l’exercice

28 AEBISCHER, concl. CAA Lyon, 25 nov. 2008, n°06LY01776, inédites au recueil Lebon. 29 NURET Bertrand, « Protection fonctionnelle des élus locaux et protection statutaire des agents : spécialités et convergences », RFDA, 2013, p271. 30 CE, 1er juill. 1932, Lallemand, publié au recueil Lebon, : le CE indiquait qu’il devait avoir une corrélation entrela prise en charge de la défense de l’élu et l’intérêt de la commune. D’autant que les maires ne pouvaient êtreconsidérés comme des fonctionnaires de la commune ; voir CE. Ass., 27 fev. 1942, Sieur Quilichini, publié aurecueil Lebon. CE. SSR., 5 mai 1971, Sieur Gillet, publié au recueil Lebon: Le CE indique que la protection due aux fonctionnaires s’étend à tous les agents publics dès lors qu’ils sont victimes d’attaques. Néanmoins cette jurisprudence ne sera jamais reprise par la juridiction administrative. 31 Si bien que lorsque l’élu agit en qualité d’agent de l’Etat, sa protection est assurée selon les dispositions del’article L.2123-35 du CGCT et non plus par le L.2123-34. relative à l’oblogation de l’Etat d’organiser la protectionde l’élu local.

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de leurs fonctions d’exécutif local32.

D’autre part concernant plus particulièrement la notion defaute détachable, il existe pour les élus locaux uneprésomption de faute de service dans le cas où l’infractionserait commise à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions33.Néanmoins cette présomption tombe dans les cas d’actesincompatibles avec « l’esprit du service public » même si prisau cours du service ; faisant ainsi tomber la protectionfonctionnelle de l’élu en rendant la faute détachable. Lajurisprudence dénombre trois hypothèses de fautes détachablesselon ce critère : dans le cas de la recherche indue d’unintérêt personnel34, les excès de comportement35 et enfin lafaute inexcusable d’une particulière gravité36. Ainsi lesfautes non détachables, pénalement répréhensibles, sontessentiellement des fautes d’imprudence ou de négligence.

Se pose donc ici la question de l’appréciation du rattachementde la faute par le juge administratif mais aussi pénal, tousdeux appréciant l’existence d’une faute détachable. Si leursoffices respectifs diffèrent (le juge administratif statuantsur la régularité de la protection fonctionnelle et le jugerépressif sur l’action publique), leurs décisions peuvent êtrecontradictoires. En effet le juge pénal est tenu de statuer surle caractère de la faute37, or il se peut qu’il considèrenécessaire de retenir la responsabilité pénale de l’élu pourune faute de service et inversement considérer que la fautepénale n’est pas nécessairement une faute personnelledétachable des fonctions. Alors que pour le juge administratif,une faute pénale n’entraîne pas automatiquement l’existenced’une faute personnelle détachable des fonctions et accorderadonc à un élu prévenu une protection fonctionnelle. Ce débatest ancien, si bien que la jurisprudence Thépaz de 193538

affirma que la faute personnelle était autonome carindépendante de la faute pénale.

32 NURET, ibid. 33 NURET, ibid.34 Cass., crim., 3 oct. 2007, n°07-81.614.35 TC, 2 juin 1908, Girodet contre Morizot.36 Cass., crim., 16 janv. 2008, n°07-82.207.37 Cass., crim., 4 juin 2002, n°01-81280.38 TC, 14 janv. 1935, Thépaz

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Ainsi les deux procédures peuvent différer car le jugeadministratif n’est de fait pas tenu d’attendre de statueraprès la condamnation pénale lorsqu’il doit décider d’unesanction disciplinaire. Profitons d’ailleurs de divergencesentre le juge administratif et pénal pour évoquer la questionde l’autorité de chose jugée au pénal sur les sanctionsdisciplinaires. Dans son arrêt « Ministère de la Défense » du21 Septembre 201139, le Conseil d’Etat est venu rappeler quel’autorité administrative peut retenir la faute disciplinairedès lors que « l’autorité de la chose jugée ne s’étendexceptionnellement à la qualification juridique donnée auxfaits par le juge pénal que lorsque la légalité d’une décisionadministrative est subordonnée à la condition que les faits quiservent de fondement à cette décision constituent uneinfraction pénale ». Ainsi une décision pénale est sansincidence sur la décision disciplinaire dès lors qu’elle n’estpas conditionnée par l’existence d’une infraction pénale et neremet pas en cause la matérialité des faits. Inversement unefaute pénale commise en dehors du service peut justifier unesanction disciplinaire et constituer un motif de révocation siles faits sont incompatibles avec les fonctions exercées ou/etportent atteinte à la dignité de la fonction publique40.

L’on remarquera à travers cette question de l’appréciation ducaractère détachable de la faute et le contentieux dessanctions disciplinaires que la procédure d’octroi d’uneprotection fonctionnelle à un élu local est propice à permettreau juge administratif de marquer son indépendance face au jugepénal.

D’autant qu’il serait difficile pour la collectivité d’accorderou non une protection fonctionnelle selon que le juge pénalidentifie ou non une faute détachable, car c’est à la fin de laprocédure pénale, à l’issue du verdict, que l’élu prouvera sonéventuelle absence de faute détachable du service liant lacollectivité sur le principe de protection.

Enfin notons qu’en cas de refus de cette protection par la

39 CE, 21 sept.2011, Ministère de la Défense, n°3492240 CE, 5 dec. 1980, n°13800 et CE, 14 mai 1986, N°71856

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collectivité concernée41 l’élu bénéficie de la possibilité defaire un recours en annulation assorti d’un recours suspensioncar ce refus peut créer une situation d’urgence du fait du coûtde la procédure42. D’autre part concernant l’idée, envisagéelors des débats sur la proposition de loi de « simplificationet d’amélioration de la qualité du droit », que la protectionpourrait être accordée sous conditions suspensives, le tempspour la collectivité de vérifier l’inexistence d’une fautedétachable, notons qu’elle serait éminemment critiquable tant,comme le souligne le rapporteur Goldenberg du TA de Rouen43,elle « serait faire bien peu de cas de la présomptiond’innocence ». Le Conseil d’Etat a clos le débat, du moins enl’état actuel de la législation, dans son arrêt du 14 Mars 2008« Portalis »44 en indiquant qu’à défaut de dispositionlégislative, « l’autorité administrative ne peut assortir unetelle décision d’une condition suspensive ou résolutoire ».L’abrogation de l’octroi d’une protection fonctionnelle n’estpossible par l’administration que si « elle constatepostérieurement, sous le contrôle du juge, l’existence d’unefaute personnelle »45.

L’on remarquera ainsi une l’évolution de la position dulégislateur en la matière visant à assurer une sécuritéjuridique aux élus, dans la mesure où demeure une obligation deprotection complète de l’élu tout au long de la procédure, sansque cette dernière ne soit contrariée par des considérationspolitiques avant, pendant ou après la procédure d’octroi.

c) La responsabilité pénale des personnes morales : le retour d’uneancienne idée pleine d’avenir ?

41 L’organe délibérant de la collectivité accorde le bénéfice de la protection. Dans un jugement du 12 Décembre2006  « M.B.Suzanne », le TA de Montpellier rappelle que si l’article L.2122-23 16° du CGCT dispose que « Leconseil municipal peut déléguer au maire le pouvoir d’intenter au nom de la commune les actions en justice ou dedéfendre la commune dans les actions intentées contre elle », l’octroi de la protection fonctionnelle ne peut vise àdéfendre des intérêts particuliers et ne peut donc être délégué.

42 CE, 18 sept. 2003, Villelégier, n°259772, publié au recueil Lebon.43 GOLDENBERG, concl. TA Rouen, 7 août 2002.44 CE, sect., 14 mars 2008, Portalis, n°283943, publié au recueil Lebon.45 CE, Portalis, ibid.

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Le principe de la responsabilité pénale des personnesmorales avait été aboli par le code révolutionnaire de 1791puis par le code napoléonien de 1810 afin de ne retenir que laresponsabilité pénale des personnes physiques selon l’adage «societas delinquere non potest ». L'idée d'une responsabilité pénaledes personnes morales n’est donc pas une idée contemporainepuisque le droit de l'Ancien Régime admettait ce procédé enquelques hypothèses comme à l'encontre des villes n'ayant passu empêcher les rébellions46.

La responsabilité pénale des personnes morales est réapparue endroit français avec le nouveau code pénal de 1992 dontl’article 121-2 dispose que : « Les personnes morales, àl’exclusion de l’Etat sont responsables pénalement [...] desinfractions commises pour leur compte, par leurs organes oureprésentants. Toutefois les collectivités territoriales etleurs groupements ne sont responsables pénalement que desinfractions commises dans l’exercice d’activités susceptiblesde faire l’objet de conventions de délégation de servicepublic. La responsabilité pénale des personnes morales n’exclutpas celle des personnes physiques auteurs ou complices desmêmes faits [...]. »

Comme le note Philippe Raimbault47 il nous faut rappeler que leprojet initial ne concernait que les personnes morales de droitprivé et que « leurs homologues de droit public n'ont étéincluses - à l'exception de l'Etat - qu'en catimini et contrel'avis du Conseil d'Etat ». L’on peut de ce faitparticulièrement imaginer l’influence des parlementaires,souvent élus locaux, dans l’élaboration d’un tel article auxfins d’atténuation de leur responsabilité pénale dansl’exercice de leurs fonctions. D’une certaine manière à traversl’adoption de l’article 121-2 du nouveau Code Pénal ils sontparvenus à atténuer le principe classique du « nul n’estresponsable pénalement que de son propre fait ».

Néanmoins il convient d’évoquer les exigences spécifiquesde l’application de cette nouvelle responsabilité, si bienqu’elle ne peut être engagée que dans la mesure où l’acte

46 CARBASSE Jean-Marie, Manuel d’introduction historique au droit , PUF, 2013, pp. 218-221. 47 RAIMBAULT Philippe, « La discrète généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales », AJDA, 2004, p2427.

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répréhensible ait été effectué matériellement par les organesou les représentants de la personne morale, et ce pour lecompte de cette dernière. D’autre part jusque la loi du 9 Mars2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de lacriminalité, l’application de cette responsabilité étaitlimitée par le principe de spécialité duquel découlait quel’engagement de la responsabilité pénale de la personne moralen’était possible que dans les domaines prévus par la loi et lerèglement. Depuis la loi dite « Perben II » il est dorénavantpossible d’engager la responsabilité pénale d’une personnemorale pour l’ensemble des infractions prévues par le CodePénal. Cet élargissement du champ d’application de laresponsabilité pénale des personnes morales permet ainsiconsidérablement aux élus de se dégager de leur responsabilitépersonnelle selon les dispositions de l’article 121-2 du CodePénal.

Cependant l’enjeu juridique n’était pas à exclure car cetteapplication à l’ensemble des infractions pénales permet defaciliter considérablement le travail des juridictionsjudiciaires.

D’autant que si les exclusions de responsabilité sont raresconcernant les personnes morales de droit privé, pour lespersonnes morales de droit public un certain nombre derestrictions sont toujours présentes. Au première rangdesquelles celle qui consiste à rejeter l'Etat hors du champ dela responsabilité pénale ; ce qui limite véritablement laresponsabilité pénale des personnes morales. Ensuite indiquonsque les collectivités territoriales et leurs groupements nesont pénalement responsables que des infractions commises dansl'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet dedélégations de service public48. Enfin certains domaines dontle contentieux est particulièrement sensible, comme la policeadministrative, sont également exclus49, réduisant icisensiblement la portée de l’engagement de la responsabilitépénale des personnes morales de droit public.

La substitution de la responsabilité pénale de la personnemorale à celle de l’élu est également limitée par deux

48 Cass. crim., 12 déc. 2000, Bull. crim., n° 371. 49 CA Amiens, 9 mai 2000, Gaz. Pal. 9-11 juillet 2000, p. 42, note S. Petit

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conditions cumulatives spécifiques  évoquées précédemment :l’acte délictueux doit être accompli matériellement par lesorganes concernés et il doit être exécuté pour le compte de lapersonne morale. L’on retrouve donc une impossibilité d’engagercette responsabilité dans le cas d’un détournement de l’actionde la personne morale à des fins strictement personnelles ; onest en présence d’un véritable marqueur de la frontière entrel’action publique et privée rendant plus acceptable la menacepénale pour les décideurs publics.

Cependant l’on peut tout de même soulever que l’association deces deux conditions peut mettre en difficulté les juges quant àl’appréciation du cumul entre la responsabilité de l’auteur del’infraction et celle de la personne morale pour laquelle ilagit50.

Néanmoins cette confusion peut être atténuée en considérant lesdispositions de l’article 121-3 du Code Pénal : « laresponsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celledes personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits ».Surtout que les deux responsabilités ne signifient pasnécessairement une double imputation comme l’a jugé la Cour deCassation le 26 Octobre 200451 en relaxant la personne moraledans le même temps qu’elle condamne la personne privée.

Enfin cette dualité de responsabilité n’entraîne pas unemoindre sévérité à l’encontre des fautes dont la gravité estsignificative comme en témoigne une circulaire du Garde desSceaux à l’attention des membres du parquet, en date du 13février 200652. Cette dernière leur indique d’adopter deuxpositions différentes selon que la faute soit intentionnelle ounon. Dans le premier cas les poursuites devraient être engagéestant à l’endroit de la personne morale que des personnesphysiques auteurs ou complices des faits ; alors que dans ledeuxième cas il devrait s’agir de privilégier les poursuitescontre la personne morale, sauf si la faute personnelle estétablie de manière à justifier une sanction pénale.

50 COUTURIER Gérard, « Répartition des responsabilités entre personnes morales et personnes physiques »,Revue sociétés, 1993, p. 307.51 Cass. Crim. 26 oct. 2004, n°03-86970. 52 Circulaire du garde des Sceaux du 13 février 2006, Crim-06-3/E8.

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L’on peut ainsi trouver à travers cette responsabilité pénaledes personnes morales une option juridique particulièrementintéressante dans le cadre de la répression des délitsd’imprudence du fait qu’elles ne sont pas concernées par lesdispositions de la loi Fauchon.

Elle permettrait d’assurer aux victimes la possibilité d’uneréparation et d’identification d’un coupable, tout ensécurisant les élus dont la responsabilité serait limitée auxmanquements délibérés aux obligations de prudence ou desécurité. Pour ce faire il serait possible d’imaginer ladisparition de la condition d’engagement de la responsabilitépénale des personnes morales dans le seul cadre des « activitéssusceptibles de délégation».

Conclusion

Ainsi nous retiendrons d’abord que depuis la loi du 13 Maidu 1996, et plus particulièrement depuis la loi Fauchon du 10Juillet 2010 ainsi qu’au gré des jurisprudences, la portée dela responsabilité pénale des élus locaux n’a cessé de sepréciser et de limiter de fait une inflation contentieuse en lamatière. Pour ne pas être exhaustifs, soulignons par exemple enmatière jurisprudentielle, que l’alinéa 4 de l’article 121-3 duCode Pénal a été plutôt largement appliqué, même si sa portéerestrictive est allée plus loin que les délits d’homicides oude blessures involontaires.

Néanmoins la réflexion pour assurer une meilleure protectiondes élus locaux en matière de responsabilité pénale pour une

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faute non intentionnelle ne s’est cependant pas interrompueavec la loi Fauchon. En témoignent à cet effet les réflexionsconcernant l’engagement de la responsabilité pénale despersonnes morales. Même si nous n’avons pas évoqué précisémentce point, d’autres débats existes tels que la dépénalisation dela responsabilité financière des élus dans le cadre d’unaccroissement des pouvoirs de la Cour de discipline budgétaireet financière.

Afin de conclure, dépassons ces derniers commentairestechniques, afin d’indiquer à l’instar de Denis Salas53, que cedébat sur la responsabilité pénale des élus – pris dans leurensemble – plus qu’une seule question de droit, nous pousse ànous interroger sur ce qu’est l’éthique politique aujourd’huien France. Inspirée par la tradition jacobine, unifiant lanation dans l’association de la loi, du droit et de la volontépopulaire, l’éthique politique en France a toujours reposée surle ressort exclusif de la vertu des hommes publics. Le servicepublic comme priorisation du bien commun sur les intérêtsparticuliers ne tenant que la présupposée vertu de sesserviteurs.

Or force est de constater que les serviteurs du bien commun nesont naturellement pas tous infaillibles et que cetteprésomption vertueuse ne saurait plus justifier le refus d’uncontrôle des pouvoirs publics par des tiers. D’autantqu’aujourd’hui la norme d’application de la loi tend de plus enplus à se constituer du côté des droits individuels. Néanmoinscela suppose-t-il de confier exclusivement ce contrôle au jugerépressif et de laisser aux médias le soin de faire éclater lesmanquements de certains élus (souvent en portant farouchementl’estocade à la présomption d’innocence) ? Et ce, au risqued’entretenir un conflit entre persécuteurs et persécutés –entendez pouvoirs publics et particuliers.

Rien n’est moins sûr ; mais là n’est plus notre débat.

53 SALAS op.cit.

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Références bibliographiques 

Documentation officielle   :

a) Documentation contraignante

- Cass. crim., 12 déc. 2000, Bull. crim., n° 371- Cass., crim., 4 juin 2002, n°01-81280- Cass., crim., 3 dec. 2002, n° 01-83160- Cass. Crim. 26 oct. 2004, n°03-86970- Cass., crim., 6 avr. 2005, n°00-80418- Cass., crim., 20 avr. 2005, n°04-83017- Cass., crim., 4 sept. 2007, n° 07-80.072- Cass., crim., 3 oct. 2007, n°07-81.614- Cass., crim., 16 janv. 2008, n°07-82.207- Cass. crim., 22 oct. 2008, n°08-82

- CE, 1er juill. 1932, Lallemand, publié au recueil Lebon- CE. Ass., 27 fev. 1942, Sieur Quilichini- CE. SSR., 5 mai 1971, Sieur Gillet- CE, Sec., 25 janv. 1991, Brasseur, n°80969, publié au recueil Lebon- CE, 18 sept. 2003, Villelégier, n°259772, publié au recueil Lebon- CE, sect., 14 mars 2008, Portalis, n°283943, publié au recueil Lebon- CE, 21 sept.2011, Ministère de la Défense, n°34922

- CA de Grenoble, 27 aout 1997, n°701-97- CA Amiens, 9 mai 2000, Gaz. Pal. 9-11 juillet 2000, p. 42, note S. Petit

- TC, 2 juin 1908, Girodet contre Morizot- TC, 14 janv. 1935, Thépaz

- Circulaire du garde des Sceaux du 13 février 2006, Crim-06-3/E8.- Circulaire du 25 janv. 2012 relative à la définition nationale des actes prioritaires en matière de contrôle de légalité, Ministère de l’Intérieur, NOR : IOCB1202426C : http://www.collectivites-locales.gouv.fr/priorites

b) Documentation non contraignante

- Rapport d’information 447 tome 1, « Pour une République territoriale : unité dans ladiversité », présenté par M. MERCIER, Sénat, 2000.

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- Rapport au garde des Sceaux, « La responsabilité pénale des décideurs publics », LaDocumentation française, 2000, p85.

- AEBISCHER, concl. CAA Lyon, 25 nov. 2008, n°06LY01776, inédites au recueil Lebon. - GOLDENBERG, concl. TA Rouen, 7 août 2002

Documentation non-officielle   :

a) Articles

- BRUNET Luc, « La responsabilité non intentionnelle des élus locaux », AJ Pénal, 2006, p153.- COUTURIER Gérard, « Répartition des responsabilités entre personnes morales etpersonnes physiques », Revue sociétés, 1993, p. 307.- NURET Bertrand, « Protection fonctionnelle des élus locaux et protection statutaire desagents : spécialités et convergences », RFDA, 2013, p271.- RAIMBAULT Philippe, « La discrète généralisation de la responsabilité pénale despersonnes morales », AJDA, 2004, p2427.- SALAS Denis , « L’éthique politique à l’épreuve du droit pénal », RSC, 2000, p163.- THIERIEZ Frédéric, « L’irruption du juge pénal dans le paysage administratif », AJDA, 1999, p105.- VIAL Jean-Pierre, « Loi Fauchon : il faut remettre l’ouvrage sur le métier ! », AJ Pénal 2012,p84.

b) Ouvrages

- CARBASSE Jean-Marie, Manuel d’introduction historique au droit , PUF, 2013, pp. 218-221. - CHAPUS René, Droit administratif général, Montchrestien, 15e éd., 2001, t. I.- MAILLARD Jean, Crimes et lois, Flammarion, 1994, p82.- JONAS Hans, Le principe responsabilité, Une éthique pour la civilisation technologique,Cerf, 1979, p78. - SALAS Denis, La volonté de punir : essai sur le populisme pénal, Fayard, 2010.

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