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Pierre Guichard
Les Arabes ont bien envahi l'Espagne : les structures socialesde
l'Espagne musulmaneIn: Annales. conomies, Socits, Civilisations.
29e anne, N. 6, 1974. pp. 1483-1513.
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Guichard Pierre. Les Arabes ont bien envahi l'Espagne : les
structures sociales de l'Espagne musulmane. In: Annales.conomies,
Socits, Civilisations. 29e anne, N. 6, 1974. pp. 1483-1513.
doi : 10.3406/ahess.1974.293575
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1974_num_29_6_293575
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LES DOMAINES DE HISTOIRE
Les Arabes ont bren envahi Espugne
Les structures soc/a/es de Espagne musulmane1
Dans un livre qui trouv en France un certain cho Ignacio Olage
prsent rcemment une thse insoutenable rsume dans un titre
fracassant il faut prendre au pied de la lettre Les Arabes ont
jamais envahi Espa gne Ce montage histoire- fiction peut se rsumer
de la fa on suivante la conqute de Espagne par les Musulmans ne
nous est gure connue que par des textes arabes tardifs et peu srs
Les sources les plus anciennes latines en particulier des vine et
ixe sicles ne disent rien de la prsence Arabes en Espagne une poque
aussi haute LTne telle invasion tait ailleurs mat riellement
impossible compte tenu des moyens techniques de poque Tout tend au
contraire prouver que la pninsule ibrique fut comme le reste du
bassin mditerranen affecte dans le haut Moyen Age par de profonds
boule versements sociaux dus une phase de desschement climatique
Les opposi tions sociales se cristallisrent autour de deux
tendances religieuses antagonistes le courant orthodoxe trinitaire
catholique et un mouvement revendiquant le dogme de unicit de Dieu
dont les tendances gnostiques arianisme et Islam auraient t que des
manifestations particulires Alors que le reste
Les vues exprimes dans cet article reprennent en les
systmatisant pour les appliquer un dbat fondamental de
historiographie hispanique des donnes et des conclusions prsentes
dans autres travaux parus ou paratre Le peuplement de Valence aux
deux premiers sicles de la domination musulmane dans Mlanges de la
Casa de Velazquez 1969 pp 103-158 Un seigneur musulman dans Espagne
chr tienne le ra de Crevillente id. IX 1973 pp 283-334 Toponymie et
histoire de Valence poque musulmane un chef berbre valencien du ixe
sicle la conqute de la Sicile paratre fin 1974 dans les Actas del
primer congreso de historia del Pais valenciano Valence avril 1971
Al-Andalus Estructura de una sociedad musulmana de Occidente
paratre aux ditions Barral de Barcelone en 1974 ou 1975 Ce dernier
ouvrage est la traduction espagnole une thse de troisime cycle
soutenue Lyon en 1972 sous le titre Tribus arabes et berbres en
al-Andalus recherche sur les structures une socit musulmane
Occident sujet propos par Roger ARNALDEZ dont la direction t par la
suite reprise par Nikita ELISS EF Le volume des notes t limit le
plus possible et on surtout fourni les rfrences bibliographiques
indispensables
1483
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LES DOMAINES DE HISTOIRE
de Occident se ralliait aux doctrines trinitaires les vine et
ixe sicles voyaient unitarisme triompher en Espagne travers une
priode de troubles politiques et de guerres civiles dont les
gnrations postrieures ne devaient conserver un souvenir confus Le
terrain se trouvait ainsi prpar pour adoption de la doctrine
musulmane qui entranant avec elle la langue arabe se rpandait alors
sur les rives mridionales de la Mditerrane du fait des contacts
religieux culturels et commerciaux entre Occident et Orient Ce est
que lorsque Islam se fut dfinitivement implant dans la pninsule et
surtout lorsque la fin du xie sicle une dernire convulsion
politico-religieuse de ce monde sub-saharien invasion almoravide
eut rattach sans quivoque Espagne mridionale aire de civilisation
africaine et orientale que pour expliquer un pass chaotique sur
lequel on tait mal renseign furent labors les rcits faisant tat une
conqute par les Arabes au dbut du vine sicle
On trouve l une srie assertions dont les unes sont franchement
inaccep tables absence de sources anciennes relatives la conqute de
Espagne par les Musulmans orientaux) autres peu probables la
persistance des courants
unitaires et en particulier de arianisme dans la pninsule aprs
la conver sion des Wisigoths orthodoxie) quelques-unes enfin
plausibles bien encore insuffisamment dmontres la correspondance
des bouleversements sociaux religieux et politiques du haut Moyen
Age mditerranen avec une phase
xrothermique Ces affirmations sont assez artificiellement
rattaches les unes aux autres pour laboration une hypothse prsente
parfois de fa on assez adroite mais bien moins solidement fonde et
bien plus invraisemblable que la prsentation traditionnelle des
faits dont auteur prtend dmontrer inanit Si cependant les ides
prsentes ne rsistent pas la critique leurs prsupposs mritent de
retenir attention On ne saurait comprendre en par ticulier
acharnement de auteur nier contre toute vidence la ralit de la
conqute musulmane sans tenir compte un important dbat de histo
riographie espagnole et sans situer ses thses outres dans le
prolongement de celles heureusement plus raisonnables dfendues par
les historiens que on peut rattacher au courant traditionaliste au
sens que James Monroe donne ce mot dans son ouvrage sur les tudes
arabes en Espagne Toute une cole rudits rpugne en effet admettre
non pas certes que la conqute ait eu lieu mais elle ait eu pour
consquence la profonde arabisation et orien- talisation de la
pninsule acceptaient les anciennes chroniques et admet la tradition
populaire Ils attachent mettre en vidence les faits qui rvlent une
continuit entre Espagne prislamique et Espagne musulmane bien plus
que ceux qui traduisent un changement La position Ignacio Olague
est ori ginale en ce sens il nie la conqute tout en acceptant
orientalisation Mais on retrouve chez lui le mme souci de minimiser
importance du premier de ces faits le faire disparatre compltement
pour prsenter une histoire sans rupture o la civilisation
hispano-musulmane apparat comme le fruit une volution interne bien
plus que comme un phnomne impos de extrieur dans le cadre une
histoire nationale o serait limin dans
Ignacio OLAGUE Les Arabes ont jamais envahi Espagne Paris 1969
James MONROE Islam and the Arabs in Spanish Scholarship sixteenth
century
to the present) Leyde 1970 Pour cet auteur le traditionalisme de
Menndez Pidal dfi nit Espagne comme une essence historique sur
laquelle des influences venues de diverses civilisations ont agi
sans modifier sa constitution essentielle 252)
1484
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GUICHARD ESPAGNE MUSULMANE
la mesure du possible le scandale que reprsente le viol de
Espagne par les guerriers de Triq et de Musa
Dans cette perspective la profonde crise conomique et sociale
traverse par le royaume wisigothique la fin du vue sicle et au dbut
du vine explique que quelques milliers de soldats arabes et berbres
aient pu dtruire sans peine appareil de tat et emparer de la
direction politique du pays Mais la nature profonde de Espagne ne
fut pas modifie par cette mainmise brutale La socit espagnole
accepta Islam sans se renier elle-mme Les lments trangers venus
poque de la conqute noys dans la masse des Hispano- Wisigothiques
hispanisrent eux-mmes rapidement Et est un Islam pro fondment
hispanique que on dcouvre dans la brillante civilisation du califat
omeyyade et des royaumes de taifas aux Xe et xie sicles telle est
peu prs la vision ensemble trs gnralement admise par bien des
historiens et des arabisants celle laquelle ont conduit depuis le
milieu du xixe sicle les remarquables recherches de Simonet et de
Ribera celle dans laquelle se situent les travaux de Menndez Pidal
et de nombreux mdivistes en Espagne Henri Terrasse et Henri Pres
ainsi que autres historiens de Espagne ou arabisants en France La
formulation la plus systmatique et la plus vigou reuse de ces ides
t prsente par le grand mdiviste hispano-argentin Claudio nchez
Albornoz et rsume par lui dans une communication pr sente aux
semaines de Spolte en 1965
Selon argumentation de tous ces auteurs traditionalistes la
conqute musulmane rattach au monde musulman par une sorte de hasard
historique ou illogisme de histoire un pays dont les structures
profondes taient
occidentales diffrentes de celles du Moyen-Orient ou de Afrique
du Nord Ce rattachement eu des consquences videntes dans le domaine
religieux et culturel mais islamisation et arabisation linguistique
ailleurs lentement et incompltement acquises restaient des phnomnes
superficiels affectant pas essence mme de la socit hispanique
Celle-ci se maintint en profondeur identique ce elle tait avant la
conqute La grande masse de la population indigne conserva sa langue
et ses urs ct des Muwallads qui taient convertis Islam subsistrent
de nombreuses et vivantes communauts de Mozarabes Les uns et les
autres ayant adopt progressivement arabe comme
La permanence du thme du viol de Espagne par les conqurents
musulmans est bien illustre dans la littrature actuelle par le
livre de Juan GOYTISOLO Reivindi caci del Conde Don Juli Mexico
1970 pp 166-174 en particulier
Claudio NCHEZ ALBORNOZ El Islam de Espa el Occidente dans
Settimane di Studi alto medioevo XII pp 164-308 Cette communication
t traduite en fran ais sous le titre Espagne prislamique et Espagne
musulmane Revue Historique CCXXXVII 1967 pp 295-338 Ce dernier
article comporte une importante bibliographie avec de nombreuses
rfrences aux auteurs ayant dfendu les thses traditionalistes Parmi
les travaux les plus importants cet gard Francisco Javier SIMONET
Historia de los Mozarabes de Espana Madrid 1897-1903 Juli RIBERA
TARRAGO Disertaciones op sculos vol. Madrid 1928 Henri RES La posie
andalouse en arabe classique au XIe sicle Paris 1937 bien ayant
adhr dans ensemble aux positions traditiona listes Henri TERRASSE
prsente dans Islam Espagne une rencontre de Orient et de Occident
Paris 1958 une vision plus nuance signalons un article
particulirement caractristique un prhistorien espagnol BOSCH
GIMPERA De la Espa primitiva
la Espa medieval dans Estudios dedicados Menndez Pidal II Madrid
1951 pp 533-549 On retrouvera les thses de nchez Albornoz plus
amplement dveloppes dans de nombreux articles des Cuadernos de
Historia de Espa Buenos Aires) et surtout dans son ouvrage
fondamental Espa un enigma hist rico vol. Buenos Aires 1956
1485
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LES DOMAINES DE HISTOIRE
langue de culture mais conserv le dialecte romance hispanique
comme langue vulgaire ressentaient plus fortement leur appartenance
une communaut de race et de vie andalouses un ensemble religieux et
politique islamique dont le centre de gravit tait en Orient et
auquel ils restaient ethniquement trangers Seules en effet les
catgories sociales dominantes avaient t par tiellement arabises la
suite de la conqute et mme ce niveau il ne faut pas surestimer
importance de apport tranger Le nombre des conqurants tablis en
Espagne resta limit peut-tre une trentaine de milliers Arabes et
deux fois plus de Berbres Ces derniers ne sauraient tre considrs
comme un facteur orientalisation peine islamiss et
vraisemblablement trs peu arabiss ils hispanisrent rapidement terme
un peu plus long les Arabes firent de mme venus sans femmes ils
unirent des indignes et allirent ainsi par mariages la fraction
importante de aristocratie hispano- wisigothique reste en place Ils
adoptrent le mme mode de vie sur les grands domaines fonciers qui
leur avaient t attribus occupation musulmane par ailleurs en
rattachant la pninsule aire de civilisation musulmane ranima les
vieux foyers urbains o les nouveaux arrivs frquentrent un cadre
urba- nistique de tradition romaine qui ne devait se modifier que
lentement Les descendants de ces conqurants apprirent aussi le
dialecte indigne et se trou vrent ainsi rapidement assimils et
hispaniss Au bout un petit nombre de gnrations du fait des mariages
mixtes est peine il leur restait quel ques gouttes de sang arabe
dans les veines et malgr les gnalogies arabes prestigieuses dont
ils aimaient se parer il faut parler leur sujet Espagnols musulmans
bien plus que Arabes Espagne
Il est donc pas tonnant que Espagne musulmane ait prsent par
rapport au reste du monde musulman mdival des caractres tout fait
originaux appuyant sur les travaux des auteurs cits prcdemment
nchez Albornoz dresse un long catalogue des survivances
prislamiques dans une civilisation hispano-musulmane dont les
racines occidentales se manifes teraient aussi bien dans certaines
institutions de type prfodal que dans les
urs et les caractristiques de la vie sociale usage du vin
utilisation gnra lise du dialecte hispanique dans toutes les
classes de la socit situation trs librale de la femme art musulman
Espagne est imprgn de traditions indignes et par leurs
caractristiques psychologiques les crivains de poque
classique celle du Califat et des royaumes de taifas sont avant
tout des auteurs espagnols de tradition occidentale plus proches
par leur idiosyn- crasie hispanique de leurs prdcesseurs
hispano-romains ou de leurs succes seurs du Sicle or que de leurs
contemporains de Bagdad
Pour Simonet dj tout ce que la civilisation hispano-musulmane
avait produit de valable tait d au fonds indigne de la population
Pour Ribera les caractres orientaux islamique et arabe de cette
civilisation taient une sorte de coloration dissimulant sa nature
profonde toute occidentale Selon As par dessus la surface postiche
et artificieuse de la religion nouvelle rapparaissent les instincts
les tendances les aptitudes ethniques du peuple espagnol Et nchez
Albornoz crit que influence arabe sur la culture et les urs dut tre
insignifiante pendant des dcennies et des dcennies dans une Espagne
de race de vie et de culture occidentales ... Des sicles durant les
Pninsulaires vcurent profondment enracins dans leur pass
prislamique hritage re par al-Andalus de Espagne chrtienne
hispano-gothe fut trs divers et multiforme Il tendit la langue aux
lettres art la culture
1486
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GUICHARD ESPAGNE MUSULMANE
la vie quotidienne aux coutumes aux institutions conomie la
menta lit la religiosit ... et mme ce il de plus intime chez les
grandes figures de penseurs crivains et hommes action On en arrive
se demander effectivement si les Arabes ont bien envahi Espagne
On verra mieux aprs ces citations en quoi cette conception Henri
Terrasse formule plus brivement de la fa on suivante Une religion
Orient installa et vcut dans un pays de mme structure que ses
voisins Europe occidentale peut tre qualifie de traditionaliste
Privilgiant une tradition nationale occidentale et hispanique par
rapport aux apports extrieurs
orientaux elle sous-tend une bonne partie des interprtations
gnrales du Moyen Age hispanique aspect de rupture de la conqute
musulmane est minimis et la Reconqute est prsente comme la
runification naturelle un peuple artificiellement spar par les
hasards de Histoire Telle est par exemple la vision que propose
Menndez Pidal Al-Andalus tant rapidement rendu indpendant de Orient
avait hispanis son Islam les rares lments raciaux asiatiques et
africains taient presque assimils lment indigne de telle sorte que
la grande majorit des Musulmans espagnols taient tout simplement
des Ibro-Romains ou des Goths transforms reformados par la
civilisation musulmane et ils pouvaient assez facilement tendre
avec leurs frres du Nord rests fidles la culture chrtienne Ainsi
lorsque le Nord commen
tre prpondrant dans le domaine militaire al-Andalus penchait
facilement vers la soumission du fait de absence un esprit national
et religieux
Assez largement acceptes par les historiens ces vues ne font
cependant pas unanimit Certains auteurs tel Lvi-Proven al ont vit
de se prononcer trop nettement sur un sujet qui dchane facilement
les passions outre-Pyrnes Les Anglo-Saxons au contraire rejettent
souvent les prsupposs nationa listes leurs yeux de la thse
traditionaliste Ainsi Miklos Stern qui juge svrement la prtention
de nchez Albornoz atteindre une idiosyncrasie hispanique dans les
faits historiques ou les manifestations littraires des musul mans
Espagne Tous ne vont pas aussi loin que Russell qui taxe
nchez Albornoz de racisme voire de nazisme mais mme des
jugements plus mesurs comme ceux de James Monroe ou de Montgomery
Watt marquent une certaine rserve gard des interprtations du grand
mdi viste de Buenos Aires
Ces derniers auteurs prtent une oreille plus complaisante aux
thses un autre exil clbre Amrico Castro auquel on doit les vues les
plus vigoureu sement opposes celles des traditionalistes 10 Pour
Castro il est absurde de
Revue Historique 1967 pp 300-301 Henri TERRASSE Citadins et
grands nomades dans histoire de Islam dans
Studia Islamica XXIX 1969 pp 14-15 Ram MEN NDEZ PIDAL La Espa
del Cid d. Madrid 1969 vol pp 76-
77 STERN dans la discussion de la communication de nchez
Albornoz aux se maines de Spolte de 1965 cf supra 5) pp 379-381
RUSSELL The Nessus- Shirt of Spanish History dans Bulletin of
Hispanic Studios 36 1959 pp 219-225
MONROE Islam and the Arabs... pp 256-258 Montgomery WATT
Historia de la Espana islmica Madrid 1970 trad de History of
Islamic Spain Edinburgh 1965)
197 Les vues Amrico Castro ont t exposes abord dans Espana en su
historza Cristianos moros jud os Buenos Aires 1948 puis dans La
realidad hist rica de Espa Mexico 1954 et diverses autres ditions
Les citations que on trouvera ci-dessous sont
1487
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LES DOMAINES DE HISTOIRE
parler hispanit avant la conqute musulmane pour la simple raison
que nul avait alors conscience tre espagnol Il autre part aucune
continuit entre Espagne wisigothique et celle de la Reconqute
Castro ne croit pas il ait vritablement une psychologie particulire
chaque peuple et qui reste permanente travers les sicles me un
peuple ne peut se sparer des vnements qui ont contribu le forger Il
est assez vain selon lui de rechercher Espagne ternelle dans le
monde romain ou mme dans la monarchie wisigothique Lapeyre Ce que
nous appelons Espagne est le rsultat de la synthse spirituelle
ralise au Moyen Age partir de la prsence sur le sol de la Pninsule
des trois religions chrtienne judaque et musulmane Il insiste
particulirement sur importance de influence de Islam et alors que
les traditionalistes privilgient volontiers les racines latine
chrtienne et castillane de hispanit Castro hsite pas parler de la
contexture smitique une mentalit espagnole qui se rvle avant tout
dans son exclu sivisme religieux 11
Il critique avec vigueur aussi bien espagnolisme quasi gologique
de certains prhistoriens espagnols qui retrouvent une hispanit
essentielle chez les plus anciens habitants de la pninsule que les
mdivistes soucieux hispa- niser Islam andalou Ainsi Isidro de las
Cagigas qui dans un ouvrage consacr aux Mozarabes et aux Mudjars
considre que la rsistance assimilation des premiers poque musulmane
et des seconds poque chrtienne manifeste la surprenante permanence
de la tnacit ibrique expression de unit ethnique de deux groupes
sociaux qui furent avant tout et surtout espagnols et descendants
les uns des autres 12 Pour Castro la continuit biologique aucune
signification culturelle et il est absurde de faire entrer en ligne
de compte le sang espagnol pour expliquer la mentalit des Musul
mans andalous Il conteste par ailleurs que les traits
psychologiques individuels relevs par nchez Albornoz puissent tre
pris en considration pour analyser la ralit collective un peuple La
vie humaine dit-il est autre chose que la terre la biologie et la
psychologie Espagnol jamais eu tre un arbre plant en terre Avant de
individualiser comme espagnol il fallu il ressente son existence
comme collectivit espagnole En effet la dimen sion collective un
groupe humain dpend une forme sociale et non pas une substance
biologico-psychique latente et durable 13
Historien de la littrature et des mentalits il privilgie dans
laboration de cette forme sociale qui constitue la structure de vie
des hispaniques les faits linguistiques et religieux Ainsi
reproche-t-il aux partisans de hispa nit ternelle de ne pas prendre
en considration action sociale et indivi duelle du langage combine
avec celle de la religion oublier que la condi tion et la dimension
qui transforment tre humain en individu une tribu une rgion ou une
nation sont indpendantes de la biologie ou de la psycho-
extraites du texte de la dition Mexico i97x ouvrage t traduit en
anglais sous le titre Th structure of Spanish History Princeton
1954 et en fran ais sous celui de Ralit de Espagne Histoire et
valeur Paris 1963 On trouvera un compte rendu des ides de nchez
Albornoz et de celles Amrico Castro dans Henri LAPEYRE Deux
interprtations de histoire Espagne Annales E.S.C. 1965 pp
1015-1037
11 La realidad hist rica de Espa xii 12 Isidro DE LAS CAGIGAS
Minor as tnico-religiosas de la Edad Media espa ola
II Los Mudejares tomo I) pp 47-48 La realidad hist rica de Espa
pp xvi et 145
1488
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GUICHARD ESPAGNE MUSULMANE
logie une personne Et il poursuit propos de la prtendue hispanit
al-Andalus On affirme que ces gens de langue arabe et de religion
musul mane taient espagnols et avaient pas comme dimension
collective de leur vie celle du monde islamique On ne tient pas
compte de la fa on dont la langue arabe modle et construit le
comportement intrieur et extrieur de la personne ... Avec
islamisation et arabisation linguistique de la zone la plus
civilise de ancien royaume wisigoth al-Andalus se transforma en un
prolongement de aire spirituelle et linguistique de Islam 14
Si Castro se livre une offensive aussi vigoureuse contre les
positions des traditionalistes ce est pas pour traiter en lui-mme
du problme de orien- talisation de Espagne musulmane mais il lui
importe de tenir celle-ci pour assure afin de justifier ses propres
conceptions sur laboration de la mentalit collective propre au
peuple espagnol Les particularits de me espagnole ne peuvent en
effet expliquer son avis que par le long contact des populations du
nord de Espagne avec les Andalous orientalises du sud Il ne agit
pas tant
ses yeux de faire le compte des nombreux emprunts faits par les
chrtiens aux Musulmans dans divers domaines celui des urs avec
usage des bains publics la pratique de la toilette des morts
habitude de couvrir le visage des femmes ce ui du langage avec les
nombreux arabismes passs dans le vocabulaire castillan celui des
institutions religieuses avec les ordres mili taires que de prendre
conscience du fait que aussi bien en ragissant religieu sement ou
militairement contre Islam en subissant son influence tait toute
leur structure de vie que les chrtiens du Nord calquaient sur celle
de leurs adversaires Ainsi est-ce en affrontant aux Andalous qui se
dfinis saient essentiellement comme musulmans que ces peuples
linguistiquement et psychologiquement diffrents taient les
Asturiens les Navarrais les Ara gonais et les Catalans trouvrent un
premier lment de conscience collective dans leur unit religieuse De
mme expansion et les particularits du culte de saint Jacques dont
le personnage est con comme un anti-Mahomet et le sanctuaire comme
une anti-Kaaba expliquent par la ncessit pour les chrtiens du Nord
de se donner dans le combat contre les musulmans des armes
spirituelles de valeur identique celles dont disposaient ces
derniers est donc la structure mme de la mentalit espagnole qui se
construit dans une relation la fois imitation et opposition Islam
Et est cette struc ture smitique judo-islamique que Castro efforce
de mettre en vidence dans la vie religieuse linguistique et
littraire de Espagne
est prcisment parce elle supporte son avis tout difice con par
son grand adversaire que nchez Albornoz est attaqu avec prdilection
la thse de la profonde orientalisation de Espagne musulmane Il
reproche Castro non sans quelque raison de ne pas se soucier
suffisamment des fonde ments historiques de sa position Il critique
abord chez lui une conception trop limite de histoire qui empche
admettre une continuit morale et mentale avant apparition de
tmoignages littraires Il ne nglige pas toute fois de lui rpondre
sur son propre terrain est mme surtout travers des exemples
emprunts histoire littraire il analyse la contexture vitale des
Hispaniques avant la conqute musulmane parce il agit tout de mme l
un moyen approche privilgi de VH hisRanus du pass Et
14 Id. pp 7-8
1489
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LES DOMAINES DE HISTOIRE
il enrle dans sa cohorte des grands Espagnols des personnages
qui se sont dfinis par leurs actions en dehors de toute uvre
littraire comme Viriathe ou Ibn Haisun il fait entrer surtout des
crivains comme Snque Martial ou Ibn Hazm
Pour lui tous appartiennent une mme race espagnole participent
une mme idiosyncrasie hispanique Sans doute se dfend-il adopter la
conception biologique grossire de la race que Castro reproche aux
traditiona listes et que lui-mme critique chez certains
prhistoriens espagnols Au terme de race il prfre ceux de contexture
vitale idiosyncrasie hritage temperamental Il ne agit pas un donn
uniquement biologique qui se transmettrait inchang de gnration en
gnration mais une cration dans le temps o Histoire plus de part que
les facteurs physico-gographiques La romanisation invasion
wisigothique la Reconqute ont bien ajout quel que chose aux
suggestions de anthropologie et du milieu pninsulaire et hritage
culturel prromain mais il insiste plus sur la continuit que sur
volution Pour lui les apports nouveaux se trouvent sans cesse
intgrs et assimils une structure prexistante et au total on ne peut
se dfendre de impression il considre que pour essentiel Homo
hispa-nus existe depuis les temps les plus reculs
Personne ne doute dit-il que les crations spirituelles des
Hispano-romains ne inscrivent dans le cadre strict de la culture
grco-latine Mais ils en appartiennent pas moins une communaut
historique particulire dote un certain hritage temperamental et ils
rinterprtent les donnes culturelles communes tout le monde romain
en fonction de leur contexture vitale originale fruit de leur
hritage racial et de la projection de leur propre individualit
Snque Lucain Martial Prudence etc. ont pens et crit selon les
traditions culturelles grco-latines mais en accord avec leur
condition Espagnols et conformment leur contexture psycho-physique
singulire La mme chose se passe poque musulmane un auteur
ascendance indi gne comme Ibn Hazm beau tre un musulman
intransigeant totalement arabis culturellement il en reste pas
moins profondment espagnol par le temprament que nous rvlent ses
ouvrages temprament que nchez Albornoz croit pouvoir dfinir par
plus de vingt caractristiques dont orgueil la passion la vhmence le
verbalisme etc Tout en se mouvant dans un cadre culturel
arabo-islamique Ibn Hazm en incarne pas moins un des archtypes de
Homo hispanus il est un maillon maure dans la chane qui va de Snque
Unamuno 15
La masse de tmoignages du mme genre accumuls par nchez Albornoz
appui de sa thse est pas moins impressionnante que la vhmence
toute
hispanique elle aussi avec laquelle il dfend ses positions sur
ce point Il est difficile de ne pas tre branl par la vigueur
formelle de sa dmonstration Il reste que on se trouve l dans un
domaine o le subjectif conserve une large part et si on hsite
rejeter en bloc une argumentation aussi fournie chaque exemple
examin en particulier ne force pas toujours adhsion Parfois mme son
pan-hispanisme entrane des considrations discutables Ainsi ne
parat-il pas trs raisonnable de considrer comme espagnols mir
Al-
15 Sur tous ces points voir Espana un enigma hist rico pp 97 ii2
ss. 124 et Revue Historique 1967 pp 334-335
1490
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GUICHARD ESPAGNE MUSULMANE
Hakam Ier ou crivain maghrbin Ibn Khaidn Et est-il pas exagr de
taxer hispanique la passion religieuse et politique qui en 818
soulve contre le mme Al-Hakam Ier les habitants du Faubourg de
Cordoue 16
Pour importantes que soient les dernires positions examines dans
la pense de nchez Albornoz ce sont autres caractres de son Espa un
enigma hist rico qui font dire Henri Lapeyre que ses thses sont
plus nourries de science historique et semble-t-il plus
satisfaisantes en dfinitive pour un historien que celles de son
contradicteur 17 Le doyen des mdivistes espagnols reproche ce
dernier nous avons vu insuffisante dimension historique de sa
rflexion Lui-mme pour rfuter les opinions exposes dans La realidad
hist rica de Espana efforce de prendre en considration les faits
historiques dans toute leur tendue chronologique et dans toute leur
complexit Cette dimension historique se manifeste surtout de deux
fa ons une part il procde
une tude des sources beaucoup plus exhaustive autre part est
toute histoire de Espagne depuis les origines il efforce de rendre
cohrente
Sans ngliger nous venons de le voir analyse des manifestations
litt raires et tude des mentalits nchez Albornoz accorde beaucoup
plus im portance que son contradicteur aux vnements politiques et
militaires aux donnes institutionnelles et socio-conomiques aux
faits dmographiques voire aux lments purement matriels qui
constituent le cadre dans lequel les men talits se sont panouies et
les ides sont apparues Excellent connaisseur du Moyen Age espagnol
il fonde son argumentation sur une bien meilleure et bien plus
ample connaissance une documentation de toute nature des chroniques
aux informations archologiques dont Amrico Castro semble parfois
juger accumulation quelque peu superflue Dans sa communication
Spolte il reprend systmatiquement tude des sources arabes pour
mettre en vidence la faiblesse du peuplement arabo-berbere en
Espagne Il justifie ainsi affirma tion Henri Pres selon laquelle
lment arabe entre en dose infinit simale dans la chimie sociale des
musulmans Espagne et affirme que est pour avoir ignor ce fait
historique ou en tre cart consciemment un pseudo-historien il faut
lire Amrico Castro hasard des thories fantaisistes sur arabisation
ou orientalisation de Espagne en un clin il comme par enchantement
et suppos que ces Hispaniques qui vivaient sous la domination de
Islam avaient arabis en un clair leurs frres les chrtiens du Nord
Il donne ensuite libre cours son rudition pour faire apparatre le
nombre et la varit des influences prislamiques dans Espagne
musulmane preuve de la non-orientalisation de la socit
pninsulaire
nchez Albornoz propose par ailleurs une perspective plus ample
chronolo giquement parlant du devenir historique de Espagne il
envisage dans son ensemble Sur le problme particulier de
orientalisation de la socit pnin sulaire il oppose Castro une
argumentation qui parat abord trs solide Une telle orientalisation
ne saurait son avis tre envisage pour deux raisons Tout abord la
socit al-Andalus ne est elle-mme que trs peu orienta- lise
arabisation culturelle des Espagnols soumis la domination musul
mane fut trs lente et leur arabisation vitale ne se ralisa que trs
tard ou mme
16 Espana un enigma hist rico 207 et Revue Historique 1967 pp
325 et 327 17 Deux interprtations de histoire Espagne dans Annales
E.S.C. 1965
pp 1017-1018 et 1037 Voir aussi les rserves faites sur la mthode
de Castro par DE- FOURNEAUX dans la Revue Historique CCXIII 1955 pp
114-118
1491
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LES DOMAINES DE HISTOIRE
jamais 18 Il pas eu autre part de contacts pacinques suffisants
entre la socit musulmane et la socit chrtienne de la Reconqute pour
justifier la symbiose que suppose Castro Nous laisserons de ct
cette dernire affirma tion qui concerne les rapports entre les deux
parties de la Pninsule et non pas la nature mme de la civilisation
de Espagne musulmane et nous examinerons assertion prcdente que
nchez Albornoz dveloppe de la fa on suivante
La structure fonctionnelle des Pninsulaires tait dj fermement
tablie lorsque se produisit invasion musulmane
inverse le fait arabo-islamique tait encore fluide et imprcis
Une grande partie des groupes humains par ailleurs peu nombreux
qui tablirent en Espagne taient peine islamiss et taient pas du
tout arabiss
Le fait hispanique prislamique se maintint avec vigueur dans
Espagne musulmane 19
Ce sont ces propositions que nous voudrions examiner plus fond
car elles nous paraissent susceptibles de fournir un bon point de
dpart pour une rflexion sur les structures sociales de Espagne
musulmane
Pour Amrico Castro les particularits de la ralit historique de
Espa gne ont leur origine dans les circonstances de son volution
religieuse et linguis tique poque mdivale Pour les traditionalistes
au contraire la langue arabe et la religion musulmane restrent
trangres cette ralit et ne int grrent pas la contexture vitale des
Hispano-musulmans On est tent utiliser pour dsigner cette dernire
notion le terme de structure devenu depuis quelques annes le
catalyseur de tout langage 20 nchez Albornoz lui-mme emploie
ailleurs dans le passage qui vient tre voqu en parlant de la
structure fonctionnelle des Pninsulaires existante au moment de la
conqute musulmane et ayant persist aprs elle Nous avons mentionn
galement une citation Henri Terrasse pour qui Islam tablit dans un
pays dont la structure tait occidentale Ribera voulait dire la mme
chose en comparant arabisation de la socit hispanique la coloration
des eaux un lac par aniline qui en modifie pas la nature chimique
As enfin parlait dans le mme sens de la surface postiche et
artificieuse de la nouvelle reli gion surimpose une psychologie
ethnique profondment hispanique
Tous ces jugements comme toute la dmarche des traditionalistes
tendent privilgier comme structuraux certains caractres de la
civilisation de
Espagne musulmane par rapport autres Les traits islamiques et
arabes qui apparaissent avec vidence constitueraient une sorte de
vernis artifi ciellement impos alors que les lments considrs comme
occidentaux ou hispaniques la plupart du temps si peu visibles il
fallu un sicle rudition pour les faire apparatre feraient partie de
la contexture vitale de la structure profonde la limite on va
considrer arabe langue dans laquelle t rdige depuis les premiers
temps de Espagne musulmane et pendant plus de cinq sicles toute la
production littraire
18 Espa un enigma hist rico 189 19 Id. mme page 20 Edouard
MoROT-SiR La pense fran aise aujourdhui Paris 1971 82
1492
-
GUICHARD ESPAGNE MUSULMANE
hispano-arabe et qui fut trs largement et de plus en plus
utilise aussi comme langue vulgaire comme un phnomne superficiel
alors que la langue romane indigne dont seuls un petit nombre de
tmoignages souvent interprtation dlicate et que on avait pas
remarqus Ribera attestent usage aprs la conqute musulmane ferait
partie de la ralit profonde des Hispano- musulmans ainsi Menndez
Pidal parle-t-il un peuple dont la langue de culture tait arabe
mais dont la langue familire et la langue de substrat tait le
romance 21 cet gard la position de Castro qui attire attention sur
la valeur de la langue arabe comme facteur de structuration des
mentalits parat plus raisonnable et rendre mieux compte de la ralit
historique
On ne voit pas bien en effet pourquoi des faits prislamiques
ayant invi tablement subsist dans Espagne musulmane se verraient du
seul fait de leur anciennet et de leur caractre indigne promus au
rang de faits de structure constitutifs de la contexture vitale des
Andalous et prouvant leur enracinement dans leur pass prislamique
alors que les traits arabo- musulmans appartiendraient au vernis
superficiel dissimulant aux yeux des historiens les ralits
profondes La civilisation hispano-musulmane est constitue partir un
double hritage et il est naturel que on retrouve des traits anciens
et nouveaux Mais il est pas vident que les premiers soient plus
fondamentaux et plus significatifs que les seconds plus rvlateurs
de la nature vritable de cette civilisation Il faudrait par
ailleurs tablir plus soli dement le caractre hispanique des faits
dont la persistance est allgue Certaines continuits sont
effectivement troublantes celle par exemple de la chanson et de la
danse andalouses depuis poque romaine nos jours bien souligne par
Menndez Pidal22 autres sont moins probantes ainsi que justement
remarqu Ch.-E Dufourcq propos prcisment des thses dfendues par
nchez Albornoz la permanence de notables communauts chrtiennes et
un dialecte indigne issu du latin les survivances romaines dans
architecture ou dans le calendrier usage du vin se rencontrent
aussi dans Ifrqiya mdivale 23 Dans une perspective gographique
largie est dans tout le bassin mditerranen que on retrouve poque
musulmane des lments un hritage antique qui tmoignent une unit de
civilisation bien souligne par Sh Goitein 24
Amrico Castro ne pense videmment pas que on doive hypnotiser sur
de telles survivances Dans examen des contacts entre civilisations
en effet comme dans le problme qui nous occupe un hritage transmis
une poque autre ce ne sont pas les influences apportes ou re ues
dans tel ou tel domaine particulier qui importent il ne faut pas
penser en termes de
matire de civilisation mais en termes de forme de disposition de
vie Tout ce que le pass lgue re oit le sens que lui prte la
structure prsente
de la vie un peuple la forme dans laquelle le pass et ses usages
sont utiliss Les lments hrits une poque antrieure ont donc pas de
signification en dehors de la rinterprtation qui en est faite dans
une structure nouvelle
21 Espa eslab entre la Cristiandad el Islam Madrid 1968 106 22
Voir entre autres le mme ouvrage pp 131-135 sous le titre La eterna
Anda
luc 23 Charles-Emmanuel DUFOURCQ Berberle et Ibrie mdivales un
problme de
rupture dans Revue Historique CCXL 1968 pp 293-324 surtout les
pages 313 318 24 Sh GOITEIN The Unity of the Mediterranean World in
the Middle Middle
Ages dans Studia Islamica pp 29-42
1493
-
LES DOMAINES DE HISTOIRE
Et cette structure elle-mme ne saurait tre con ue comme une
ralit statique sans tenir compte du dynanisme vital du peuple
considr 25 En justinant sa propre dmarche par de telles
considrations Amrico Castro se dbarrasse peut-tre un peu vite de
impressionnant appareil documentaire qui lui est oppos par son
grand adversaire On peut penser avec lui que les nombreux
tmoignages de hispanit de la civilisation andalouse rassembls
par
nchez Albornoz ne constituent pas un ensemble trs cohrent et
laissent de ct beaucoup autres traits bien plus vidents dont on
voit mal pourquoi ils ne contribueraient pas eux aussi dfinir la
structure de cette civilisation Mais on pu aussi reprocher Amrico
Castro de prsenter une conception plus philosophique historique du
devenir des socits et en attachant plus
leur forme leur matire en cherchant apprhender leur
fonctionnement vital plutt que des lments isols en prendre parfois
son aise avec les faits il lui arrive de ngliger ou de dformer ils
ne accordent pas avec ses thses pour laborer une construction plus
abstraite et au total moins nourrie de science historique que celle
de son contradicteur 26
Tout le dbat tourne en dfinitive autour de la recherche une
structure de histoire de Espagne et de la mentalit de homme
hispanique En ce sens il apparat la fois comme assez moderne dans
son objet mais peut-tre trop ambitieux dans sa vise dans la mesure
o on tente apprhender une ralit totale une explication dernire du
devenir hispanique et de la spcificit de me espagnole La notion mme
de structure pris depuis la publication des ouvrages de nchez
Albornoz et Amrico Castro une importance et une signification
particulires dans les sciences humaines analyse structurale une
socit privilgie dans des domaines particuliers des ensembles de
faits considrs comme des systmes ou des modles Le sociologue ou
ethnologue utilisent des modles abstraits labors partir de
observation de socits effectivement existantes et qui peuvent
servir analyser ensuite autres socits ou les comparer entre elles
Dans certains domaines la construction de systmes est relativement
simple et est rvle extrmement fructueuse en particulier dans tude
des structures de parent et des systmes familiaux ensemble des
rgles de mariage constitue un systme dfini et clos dont les
lments sont peu nombreux et aisment reprables analyse
structurale applique donc directement et rvle des structures qui
avaient jusque l chapp investigation 27 On peut attendre une telle
analyse struc turale elle nous permette mieux que tude des faits
isols dont les rap ports avec ensemble du complexe social et
culturel sont souvent difficiles discerner engager une analyse en
profondeur entrer vritablement
propos un secteur particulier dans ce que nchez Albornoz appelle
la contexture vitale une socit autre part bien elle dpende
incontes
tablement une conceptualisation elle prend appui sur un ensemble
de faits observables qui devraient empcher de vader trop loin de la
ralit histo rique recherche par Castro
On souhaiterait pouvoir engager ainsi dans la voie une histoire
ethno logique telle que la dfinit Jacques Le Goff dans sa rcente
contribution aux Mlanges en honneur de Fernand Braudel Le programme
une telle histoire
25 La realidad hist rica de Espa pp xx 17 i8o 163 149 26 Cf les
articles indiqus la 17 27 Henri MENDRAS lments de sociologie Paris
pp 129-130
1494
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GUICHARD ESPAGNE MUSULMANE
passe abord selon lui par tude de la famille et des structures
de parent une part par celle de la situation fminine autre part Il
pense par ailleurs une attention spciale devrait tre apporte aux
zones et aux priodes o sont entres en contact des socits et des
cultures relevant traditionnellement de histoire une part de
ethnologie autre part Une recherche sur les structures sociales de
Espagne musulmane peut permettre croyons-nous une approche trs
sommaire compte tenu de la pauvret des sources dans cette direction
28
nchez Albornoz lui-mme nous introduit ailleurs ces problmes par
ses observations sur la situation de la femme dans Espagne
musulmane appuyant sur les conclusions de Pres il affirme que
contrairement aux autres peuples musulmans les Andalous ont
toujours accord la femme une considration et un respect de pure
souche hispanique lui laissant une singulire libert dans la rue
difficile mettre en rapport avec les usages islamiques est ce
respect de la femme dont tmoigneraient quelques
uvres littraires et des anecdotes relatives la fin de poque
califale et celle des taifas il rattache la conception de amour
soumis ou rsign qui transparat chez plusieurs crivains du
classicisme andalou Mon ur est plein de douceur pour celle qui me
maltraite crit le pote du XIe sicle Ibn al-Labbna Ces traits
particuliers Islam espagnol ne peuvent aprs lui que se relier une
tradition hispanique et occidentale accordant la femme une place
eminente dans la socit tradition que nous rvlent ds aube de
histoire les reprsentations fminines sculptes ou peintes de la
civilisation ibrique quelques textes grecs et latins sur le rle de
la femme dans les socits antiques de la Pninsule et les indications
qui nous sont parvenues sur les interventions fminines dans le
mouvement priscillaniste de la fin du ive sicle 29
Cette maigre moisson nous prouve dj que nous manquons
singulirement de documents pour tudier le rle de la femme et sa
place dans les structures sociales hispaniques avant arrive des
Musulmans Les textes les plus prcis sont ceux de Strabon qui nous
rvlent chez les Cantabres est--dire semble-t-il dans le plus ancien
substrat ethnique que histoire nous permette atteindre dans la
Pninsule une structure typiquement matriarcale dans laquelle la
parent et hritage se transmettaient en ligne fminine et o autorit
masculine tait exerce dans la famille par oncle maternel avun-
culat Nous ne savons pas si ces traits caractrisaient ensemble des
socits primitives de la Pninsule et on peut seulement se risquer
supposer que la place de la femme dans les socits agraires du
Levant ibrique plus volues tait pas origine fondamentalement
diffrente ce substrat vint ajouter un apport ethnique celte surtout
dans le centre du pays On sait que les Celtes possdaient au
contraire comme les Romains un systme de parent patrili neaire
Toutefois ils faisaient partie de ensemble des peuples
indo-europens qui auraient connu originellement une organisation
matriarcale du type de celle qui vient tre voque et des tudes
rcentes sur la femme dans les socits celtes montrent que son rle
tait poque historique trs impor tant Dans la civilisation romaine
dont influence exer ensuite sur les
28 Fran ois FURET et Jacques LE GOFF Histoire et ethnologie dans
Mthodo logie de Histoire et des sciences humaines Toulouse 1973 pp
233-243
29 Revue Historique 1967 pp 323-324
1495
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LES DOMAINES DE HISTOIRE
populations de tout Empire les institutions juridiques restrent
marques par agnatisme des structures sociales primitives La femme
relevait unique ment de autorit du paterfamilias et son statut du
droit de la famille et non pas du droit public Mais ces rigoureuses
contraintes taient beaucoup rel ches ds la fin de la Rpublique et
poque o organise vraiment ensem ble imprial la femme romaine jouit
une libert de fait et de droit de plus en plus grande est plus
marie contre son gr et dispose de ses biens Avant mme le triomphe
du Christianisme le couple conjugal aurait t une ralit sociale
importante de la civilisation romaine tel point que la formule du
droit romain dfinissant le mariage pourra tre reprise sans
changement par les canonistes du Moyen Age Le Christianisme
consacre cette solidit du couple comme cellule fondamentale de la
socit et favorise affirmation du rle social de la femme Les
influences germaniques ne devaient pas contredire ces tendances Il
ne faut pas en effet confondre la barbarie des urs qui
pu dans le cadre une poque anarchique et une socit guerrire
rendre plus prcaire la condition concrte des femmes et les
structures sociales On sait que la socit germanique du haut Moyen
Age tait organise selon un systme de parent bilatrale la structure
de type familial la plus large tant la parentle qui comportait la
fois les parents du ct du pre et ceux du ct de la mre agnats et
cognais Ganshof montr que la situa tion juridique de la femme avait
volu trs rapidement dans les royaumes germaniques en particulier
dans les plus engags dans la romanit Ainsi en Espagne wisigothique
ds le vie sicle la fille participe hritage au mme titre que ses
frres Il met aussi en lumire dans la socit franque le rle de la
femme dans les institutions publiques en montrant que la reine est
habilite
exercer ventuellement la rgence Dans le Regnum italicum comme
antrieurement chez les Lombards et les Ostrogoths et
vraisemblablement sous influence de principes de droit romain qui
taient pas contradictoires avec les conceptions germaniques de la
parent la reine apparat nettement comme dtentrice de lgitimit
monarchique Des tendances analogues peuvent observer en Espagne
ainsi que le montre Jos Orlandis dans une tude sur la reine dans la
monarchie wisigothique 30
Il semble donc possible en ce qui concerne ce point particulier
des struc tures de parent et de la situation de la femme admettre
affirmation de
nchez Albornoz selon laquelle en dpit de quelques influences
orientales et une ouverture aux courants mditerranens plus accuse
que dans les terres plus septentrionales la pninsule ibrique
participait pleinement la veille de
30 Les indications contenues dans ce paragraphe sont tires des
travaux suivants Julio CARO BAROJA Los pueblos del norte de la pen
nsula ibrica Analisis hist rico- cultural) Madrid 1943 pp 29-50
Joaqu GONZ LEZ ECHEGARAY Los ntabros Madrid 1966 voir les pp 99-102
Emile BENV NISTE Le vocabulaire des institutions indo-europennes
Paris 1969 pp 205-276 Pierre GRIMAL Le monde des Celtes dans
Histoire mondiale de la femme Paris 1967 II pp 13-26 Jean MARKALE
La femme celte Paris 1972 Robert VILLERS Le statut de la femme Rome
la fin de la Rpublique dans Recueils de la Socit Jean Bodin XI 1959
pp 177-189 et dans le mme volume Jean GAUDENET Le statut de la
femme dans Empire romain pp 191-222 Fran ois GANSHOF La femme dans
la monarchie franque dans Recueils Jean Bodin XII 1962 Carlo GUIDO
MOR La successione al trono nel diritto publico longobardo dans
Studi per Cammeo II Padoue 1932 Jos ORLANDIS La reina en la monarqu
visigoda dans Estudios visig ticos III El poder real la sucesi al
trono en la monarqu visigoda Rome-Madrid 1962 pp 103-123
1496
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GUICHARD ESPAGNE MUSULMANE
invasion musulmane la civilisation du haut Moyen Age
occidental31 Dans les rgions qui ne connurent pas ou ne subirent
que trs peu de temps em preinte islamo-arabe on observe cet gard
aucune rupture mme si vo lution ensemble des formes
politico-sociales devait se faire selon des modalits un peu
diffrentes de celles que connut Europe fodale La situation de la
femme et organisation familiale ne paraissent pas fondamentalement
diff rentes de ce elles taient en Gaule ou en Germanie la mme poque
ainsi que le laissait dj entrevoir une tude un peu ancienne de
nchez Albornoz sur le Leon et que le montrent plus nettement des
travaux plus rcents sur le Portugal du Nord et la Catalogne 32 On
admet gnralement que affirmation partir de la fin du xe sicle et
dans le courant du sicle suivant de nouvelles structures sociales
nes de volution fodale la socit de Occi dent chrtien duquel il
aucune raison de distinguer de ce point de vue Espagne du nord ne
reconnat au-del du couple conjugal que des ren teles bilatrales
sans consistance chronologique ni gographique et ignorant les
lignages patrilinaires pas de conscience gnalogique Usant une
schmatisation qui nous esprons ne paratra pas abusive nous
proposerons pour cette socit du haut Moyen Age occidental le schma
suivant que nous croyons valable pour les vn -x6 sicles 33
La parent est pas le principe fondamental organisation de la
socit Sans lui dnier toute importance il faut reconnatre elle ne
joue cet gard que le rle un facteur parmi autres faveur royale
rseaux de fidlit rsidence etc.)
Le systme de parent est bilatral et organise autour du couple
conjugal cellule de base de la famille
Dans la mesure o ils existent est--dire vraisemblablement
sur-
31 Cl NCHEZ ALBORNOZ Espagne et Islam dans Revue Historique 1932
327 32 NCHEZ ALBORNOZ La mujer en Espa hace mil anos Buenos Aires
1935
Fr Jos MATTOSO nobreza rural portuense nos sculos xi xii dans
Anuario de Estudios Medievales Barcelone) VI 1969 pp 465-520 voir
surtout 467 Archibald
LEWIS The Development of Southern French and Catalan Society
718-1050) Austin 1965 pp 170-171 et 391-392 Pierre BoNNASSiE Une
famille de la campagne barce lonaise et ses activits conomiques aux
alentours de an mil dans Annales du Midi LXXVI 1964 pp 261-304 voir
surtout les pp 288 ss. Du mme auteur remarques dans le mme sens
dans Les conventions fodales dans la Catalogne du xie sicle dans
Structures sociales de Aquitaine du Languedoc et de Espagne au
premier ge fodal Paris 1969) pp 189-190 surtout dans le mme recueil
voir aussi les observations Elisabeth MAGNOU propos du Languedoc pp
121 et 141 David HERLIHY Land Family and Woman in Continental
Europe 701-1200 dans Traditio XVIII 1962 pp 89-120
33 Sur les structures bilatrales de la parent dans le haut Moyen
Age Bertha PHILPOTTS Kindred and Clan in the Middle Ages Cambridge
1913 Marc BLOCH La socit fodale rd de 1968) pp 201-202 et 208 Karl
SCHMID Zur problematik von familie Sippe und geschlecht Haus und
Dynastie beim mitteralt rlichen Adel dans Zeitschrift fr die
geschichte der Oberrheins cv 1957 BULLOUGH Early Medieval Social
Groupings The Terminology of Kinship dans Past and Present no 45
1969
LEYSER Maternal Kin in Early Medieval Germany dans Past and
Present no 49 1970 Lorraine LANCASTER Kinship in Anglo-Saxon
Society dans The British Journal of Sociology IX 1957 Georges DUBY
Structure de parent et noblesse dans Miscel lanea Medievalia in
Memoriam Niermeyer Groningen 1967 La noblesse dans la France
mdivale dans Revue Historique 1961 Lignage noblesse et chevalerie
dans Annales E.S.C. 1972 pp 802-823 Quelques indications galement
dans Guy FOURQUIN Seigneurie et Fodalit au Moyen Age Paris 1970
55
1497
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LES DOMAINES DE HISTOIRE
tout dans les classes aristocratiques les groupes de parent plus
vastes sont du type de la parentle elle aussi bilatrale Une telle
structure qui com prend les agnats et les cognais se dfinit partir
de chaque individu et rpond
des besoins prcis et momentans vengeance du sang hritage Elle
est si on peut dire tale dans le prsent et aucune stabilit dans le
temps puisque la parentle un fils ne correspond pas celle de son
pre Organises
partir Ego et non pas un anctre commun ces renteles sont donc
des groupes qui se font et se dfont chaque gnration Du fait de la
fluidit des patrimoines aussi bien que de leur propre imprcision
elles ne peuvent avoir ni support conomique permanent ni cohsion
gographique
Pas plus elle est exclue de hritage la femme est en principe
exclue du domaine des activits publiques De mme une princesse de
dynastie royale est dtentrice de lgitimit monarchique pouse
participe normalement honor de son mari3
On ne peut viter de poser en tudiant les structures de parent le
problme de exogamie du systme matrimonial Les ethnologues
distinguent
cet gard deux types de socits celles dites structure complexe
qui telle la socit actuelle se contentent dicter des rgles ngatives
interdisant le mariage entre parents plus ou moins proches afin
viter inceste et lais sent le choix du conjoint effectuer en
fonction de facteurs varis extrieurs
la parent elle-mme et celles qui tablissent des rgles positives
pour ce choix Ces dernires ont des structures de parent dites
lmentaires et correspondent dans ensemble aux socits primitives
Dans ces socits inceste est galement proscrit mais de plus exogamie
est codifie dans le systme le plus caractristique un individu
pousera normalement sa cousine croise est--dire la premire personne
il puisse pouser sans risque inceste puisque contrairement sa
cousine parallle elle appartient pas au mme clan et est pas
considre comme sa parente 35 Ces structures lmentaires seraient un
des lments fondamentaux de organisation des socits primitives et
auraient pour fonction institutionnaliser au niveau des pratiques
matrimoniales change entre les groupes humains ncessaire toute vie
sociale pour Cl Lvi-Strauss le mariage exogamique peut tre considr
comme un archtype de change
Dans un essai particulirement suggestif Germaine Tillion mis ide
que les socits de ancien monde mditerranen se seraient caractrises
au contraire par leur tendance endogamie de clan ou de lignage Il l
un problme particulirement intressant ethnologie historique mais
les donnes prcises ce sujet font cruellement dfaut36 Nous
reviendrons sur existence une nette tendance une telle endogamie en
milieu arabo-berbere que nous ne croyons pas conteste par la
majorit des ethnologues En revanche ide
34 Cette dernire affirmation mriterait sans doute tre nuance
selon les moments et les lieux Elle nous parat valable au moins
pour les zones mridionales au premier ge fodal voir les articles de
BONNASSIE et HERLIHY indiqus dans la note 32)
35 La cousine parallle est la nile de la ur de la mre ou du frre
du pre la cou sine croise est la fille de la ur du pre ou du frre
de la mre Sur ces questions voir en particulier Robin Fox
Anthropologie de la parent Paris 1972
36 TILLION Le harem et les cousins Paris 1966 ide une zone
endogame de Europe mditerranenne se retrouve dans Jean GAREL Le
substrat indo-europen dans Histoire littraire de la France Paris
1971 Sociales) 51 sans indication de sources
1498
-
GUICHARD ESPAGNE MUSULMANE
que les socits de Europe occidentale mme sur ses bordures
mditerra nennes auraient pratiqu systmatiquement une telle
endogamie parat trs discutable En ce qui concerne le haut Moyen Age
des faits endogamie peuvent sans doute tre relevs dans la
documentation mais il ne semble pas ils tmoignent de existence un
systme endogame ou rvlent des ten dances endogamie lies aux
structures sociales elles-mmes comme dans le monde arabo-berbere 37
On ne peut vraisemblablement pas parler de struc tures lmentaires
dans les socits prfodales des royaumes barbares mais dans la mesure
o il pouvait subsister des vestiges de telles structures tmoi gnant
un tat social antrieur moins volu on peut se demander si elles ne
rvleraient pas plutt au contraire existence une tradition exogamie
Ainsi les rgles strictes poses en cette matire par glise
reprendraient en partie des interdits plus anciens germaniques ou
romains On ne saurait nier par ailleurs dans les socits prfodales
et fodales importance accorde aux alliances matrimoniales et la
famille maternelle qui explique mieux dans hypothse une tradition
exogame On peut se demander aussi si dans ces alliances la
situation relative de la famille qui re oit une fille et de celle
qui la cde ne correspond pas assez bien celle que on observe dans
les socits exogames o les donneurs de femmes sont gnralement
suprieurs aux pre neurs 38
Il semble il soit pas impossible en dpit de la pauvret de la
documen tation de retrouver la trace des structures sociales dont
le schma vient tre propos dans la socit indigne de la partie de
Espagne passe sous la domi nation musulmane il agisse des Mozarabes
rests chrtiens ou des Muwallads convertis Islam Des fragments de
rcits semi-lgendaires qui paraissent avoir t labors dans le milieu
indigne aragonais une poque assez ancienne et ont t conservs dans
le texte rcemment publi un go-
37 Voir par exemple article Emilio SA Notas al episcopologio
minduniense del siglo Hispania VI 1946 pp 5-79 qui relve dans les
familles de Espagne du Nord-Ouest aux xe et xie sicles un certain
nombre unions consanguines Celles-ci sont surprenantes un point de
vue religieux tant donn la rigueur de glise wisigothique en ce qui
concerne les empchements de parent un point de vue ethnologique de
tels mariages sont cependant possibles dans une structure de parent
bilatrale filiation indiffrencie qui rend difficile exogamie
systmatique et peut mme favoriser la pra tique des mariages entre
cousins Fox Anthropologie de la parent 147 Toutefois si ces
mariages sont possibles ils ne nous paraissent pas tre le produit
un systme endogame Le mariage prfrentiel entre cousins parallles ne
observe en effet que dans des structures fortement patrilinaires cf
George Peter MURDOCK World Ethno graphic Sample dans American
Anthropologist vol 59 i957 pp 664-687 surtout le tableau de la 687
Or rien ne laisse penser que de telles structures aient exist en
Espagne du Nord dans le haut Moyen Age cf Fr Ferrer MATTOSO art cit
dans la note 32 467)
38 Sur ces diffrents points quelques indications dans Fox
Anthropologie de la parent pp 164 230 197 auteur note en
particulier que le sib teuton tait une unit exogame et que glise
utilisa par la suite cette unit pour dterminer le degr de parent en
de duquel le mariage tait interdit Rappelons aussi que dans les
socits germani ques le douaire dos ex marito tait vers par le mari
Sur les origines romaines de la lgislation ecclsiastique en matire
empchements de parent voir Jean FLEURY Recherches historiques sur
les empchements de parent dans le mariage canonique Paris 1933 pp
44-60 et 66 Robert BOUTRUCHE Seigneurie et Fodalit apoge -XII
sicles Paris 1970 230 insiste sur existence poque fodale un march
des mariages ce qui voque ide une circulation des femmes lie la
circulation des biens fonciers dans la socit
1499
-
LES DOMAINES DE HISTOIRE
graphe andalou du xie sicle Udhr laissent entrevoir dans cette
socit vers la fin du vine sicle importance de la parent cognatique
39 Le mme ouvrage un texte gnalogique navarrais du XIe sicle et le
trait de gna logie rdig la mme poque par Ibn Hazm nous font
connatre les alliances matrimoniales contractes entre le vine et le
Xe sicle par la puissante famille muwallad des Ba Qas qui dominait
politiquement la valle de Ebre ainsi que par quelques autres
familles musulmanes indignes 40 Dans les rgions mridionales ce que
nous savons du mouvement des martyrs chrtiens de Cordoue au milieu
du IXe sicle et abord le nombre des femmes qui figurent parmi les
martyrs eux-mmes montre importance sociale de ces dernires dans les
milieux mozarabes de la capitale mirale 41 Dans la seconde moiti du
sicle enfin nous trouvons des renseignements relativement abondants
sur les membres fminins de la famille du rebelle indigne Ibn Hafsn
qui semble avoir utilis systmatiquement les mariages de ses fils et
de ses filles pour renforcer ses alliances politiques avec autres
seigneurs andalous 42
Ces renseignements pars paratront une insigne pauvret un
historien de Europe occidentale Ils ne prennent leur valeur que si
on considre une part que est tout ce dont nous pouvons disposer
pour nous faire une ide des structures sociales et du rle des
femmes dans les milieux indignes de Espagne musulmane autre part
surtout on en chercherait en vain quivalent dans la masse beaucoup
plus considrable des textes qui nous font connatre des dizaines de
lignages et des centaines individualits origine arabe ou berbre
est en effet en faisant intervenir la notion de structure
sociale que la seconde affirmation de nchez Albornoz selon laquelle
le fait arabo-islamique tait encore fluide et imprcis poque de la
conqute de Espagne apparat particulirement contestable Il faudrait
abord distinguer mieux que ne le font nchez Albornoz et Amrico
Castro entre faits islamiques et faits arabes
proprement parler En admettant mme que nchez Albornoz ait raison
en ce qui concerne les premiers et cela mriterait tre discut on ne
peut tenir pour ngligeable influence des seconds particulirement
vidente dans
39 On voit un personnage origine indigne du nom de Bahll ibn
Marzq oblig de fuir la maison paternelle se rfugier successivement
chez ses oncles maternels et chez son beau-frre Ahmad ibn Umar ibn
Anas AL- DHR Fragmentos geo gr fico-hist ricos d Abd Azz al-Ahwan
Madrid 1965 pp 56-61 ce texte t partiellement traduit par Fernando
de LA GRANJA La Marca Superior en la obra de Udhr dans Estudios de
Edad Media de la Corona de Aragon VIII 1967 pp 150-157)
40 Jos Mar LACARRA Textos navarros del dice de Roda dans
Estudios de Edad Media de la Corona de Arag 1945 pp 193-283 IBN
HAZM Djamharat ansah Arab d Lvi-Proven al 1948 pp 467-468 le
passage sur les Ban Qas est traduit par de LA GRANJA dans article
cit la note prcdente pp 86-87 le texte Al-Udhr fournit plusieurs
indications sur les alliances matrimoniales autres familles de la
Marche suprieure Aragon actuel)
41 Edward COLBERT The Martyrs of Cordoba 0-8 ) Washington 1962
insiste sur cette importance des femmes dans la communaut mozarabe
voir en parti culier 412)
42 On retrouvera facilement ces indications dans les ouvrages de
DOZY et de VI- PROVEN AL sur Espagne musulmane Pour plus de dtails
voir Isidro de LAS CAGIGAS Los Mozarabes Madrid 1947 vol
1500
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GUICHARD ESPAGNE MUSULMANE
la premire priode de histoire al-Andalus De cette dernire en
effet les indignes sont en tant que groupe social compltement
absents Il agit une histoire purement arabo-berbere presque
uniquement domine par des consi drations tribales Cette absence de
raction des indignes pendant trois gnra tions aussi bien que ce
poids dans volution politique un fait social ori gine orientale et
nord-africaine les ralits claniques et tribales mritent tre pris en
considration pour valuer impact de la conqute sur la socit
hispano-wisigothique
On pense aussitt quelques faits qui pourraient prolonger cette
impor tance des tribus comme lments constitutifs de la socit
hispano-musulmane par exemple le maintien une organisation tribale
dans arme la fin du xe sicle ou la large diffusion des ethniques
tribaux arabes dans anthro- ponymie andalouse aux derniers temps de
Espagne musulmane elles seules ces survivances ne permettent
cependant pas de considrer la socit andalouse comme une socit
tribale au mme titre que la socit maghrbine et il est bien vident
que les tribus en tant que telles disparaissent complte ment de la
vie politique de Espagne musulmane dans le cours du ixe sicle
Cependant leur importance aux origines de son histoire comme ces
prolonge ments immdiatement visibles de ancienne organisation
tribale aux poques ultrieures amnent se demander si ces structures
tribales qui taient poque de la conqute la principale forme
organisation sociale des conqu rants arabo-berbres ont pas jou un
rle notable dans la constitution de la civilisation
hispano-musulmane
La question paratra sans objet si on admet priori la thse
traditiona liste selon laquelle les Arabes venus en Espagne taient
trs peu nombreux et assimilant en quelques gnrations la socit
indigne disparurent trs rapidement en tant ethnie individualise Une
telle assimilation cependant se trouve dmentie en premier lieu par
volution socio-politique de Espagne musulmane au ixe sicle Celle-ci
est en effet domine en dpit une rapide arabisation culturelle par
le rveil un particularisme indigne dont affirma tion engendre des
tensions de plus en plus vives avec les Arabo-Berbres Ces tensions
finissent par provoquer dans le dernier quart du sicle une priode
anarchie politique la fitna qui faillit emporter mirat omeyyade et
ne fut surmonte partir de la seconde dcennie du Xe sicle avec
arrive au pouvoir de mir Abd al-Rahmn III Deux sicles aprs la
conqute la socit andalouse est donc encore constitue par des
groupes ethniquement bien individualiss et violemment antagonistes
et il est difficile admettre sans rserves le schma habituellement
propos une assimilation rapide des groupes conqurants par la masse
indigne est bien plutt le mcanisme de la conservation durable des
premiers il faut essayer de reconstituer cet gard deux points
doivent abord tre considrs les problmes concernant le nombre des
Arabo-Berbres et ceux qui sont relatifs leurs structures
sociales
Nous liminerons rapidement la premire de ces questions non pas
elle nous paraisse en soi sans intrt mais parce il est gure
possible de par venir ce sujet des conclusions solides nchez
Albornoz partant des chiffres qui nous sont fournis par les
chroniques arabes pour les armes entres en Espagne dans la premire
moiti du vine sicle estime une trentaine de milliers Arabes au
maximum tablirent dfinitivement dans la nouvelle province de empire
islamique Un examen attentif de toutes les sources dispo nibles
permet croyons-nous de considrer comme plus vraisemblable un
1501
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LES DOMAINES DE HISTOIRE
chiffre sensiblement suprieur de ordre peut-tre une cinquantaine
de milliers Mais ni une ni autre de ces valuations ne sont bien
significatives compte tenu de la pauvret de nos renseignements sur
cette poque et de ignorance o nous sommes des mouvements de retour
en Afrique du Nord ou en Orient une part installation en Espagne de
groupes ou individus venus de leur propre initiative autre part
oublions pas que celle-ci zone de marche pu attirer en nombre
important des volontaires de la guerre sainte Et on observera que
mme en admettant hypothse faible de nchez Albornoz le nombre des
Arabes installs dans la Pninsule serait suprieur celui des
Wisigoths qui ne comptaient vraisemblablement pas plus une ving
taine de milliers de guerriers sur un territoire presque deux fois
plus tendu que celui qui resta aux mains des musulmans aprs la fin
du vine sicle 43
On objectera que les Wisigoths constituaient un peuple de 80 ooo
mes au total alors que les Arabes venus seuls durent se mler aux
indignes en unissant des femmes espagnoles Mais est prcisment l
notre avis on touche un des postulats les mieux enracins et les
moins dmontrs des thses traditionalistes Aucune source notre
connaissance ne confirme une telle affirmation et on pourrait plutt
trouver dans les textes les plus anciens quelques indices en sens
contraire Telle cette indication de Paul Diacre qui un peu plus un
demi-sicle seulement aprs les invasions arabo-berbres en Gaule
mridionale crivait que ceux-ci avaient pntr dans ce pays avec leurs
femmes et leurs enfants comme pour tablir dfinitivement 44 Tout ce
que nous savons par ailleurs de la mentalit et des urs des Arabes
poque de la conqute musulmane nous empche accepter image
souvent
prsente une invasion de la Pninsule par des clibataires aussi
avides de riches mariages avec les belles hritires indignes que
intgration une socit culturellement suprieure On peut penser au
contraire que ce sont des fractions de tribus et de clans qui
tablirent en Espagne donc une socit constitue dont la situation
dominante et les pratiques polygamie et accapa rement des femmes au
dtriment de la socit vaincue possibilit intgrer individuellement ou
collectivement des lments de cette dernire par ta blissement de
liens de clientle ou alliance devaient par ailleurs favoriser la
rapide expansion dmographique et le renforcement aux dpens de la
socit indigne
Tout ce qui vient tre dit appliquerait galement aux Berbres dont
on admet ils durent tre sensiblement plus nombreux que les Arabes
mais dont on cherche minimiser le rle dans orientalisation de
Espagne musulmane en disant ils taient pas arabiss et peine
islamiss Ces asser tions sont elles aussi trs discutables Les
tmoignages de berbrisme linguis tique en Espagne sont trs peu
nombreux bien il soit vident que dans le cadre tribal qui tait le
leur les groupes berbres tablis dans la pninsule aient longtemps
gard conscience de leur origine et se soient distingus ethniquement
aussi bien des Arabes que des indignes Il est vident que leur
volution se fit dans le sens une arabisation et non pas une
mythique hispanisation
43 Estimation de REINHART Sobre el asentamiento de los Visigodos
en la pen nsula ibrica Archivo espa ol de Arqueolog XVIII 1945 pp
124-139
44 Ce texte de Paul Diacre figure dans dition espagnole de l*
Akhbr par LAFUENTE ALC NTARA Colecc de obras ar bigas que publica
la Real Academia de la Historia Madrid 1867 167)
1502
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GUICHARD ESPAGNE MUSULMANE
Le problme serait de savoir si leur arabisation linguistique
accompagna une volution identique des urs et des modes de vie Cela
parat probable dans la mesure o le mode organisation sociale des
Berbres qui reposait galement sur un systme tribal ne devait pas
tre trs loign de celui des Arabes Nous croyons donc que on peut
considrer ensemble des conqurants comme un groupe ethnique
numriquement plus considrable on ne admet ordinaire dont la cohsion
reposait non seulement sur des facteurs religieux et culturels mais
aussi sur des structures sociales identiques
Ces structures sociales il ne nous est pas impossible de nous en
faire une ide malgr indigence de la documentation sur la socit des
premiers temps al-Andalus ici ethnologie et la sociologie viennent
en effet au secours de histoire En ce qui concerne les Arabes on
accorde considrer que orga nisation tribale agnatique et endogame
des Bdouins actuels est hrite direc tement de celle des nomades de
la pninsule arabique poque de la conqute musulmane On peut donc
recourir la littrature ethnologique pour informer
cet gard On constate par ailleurs que si les modes de vie ne
sont pas les mmes les principes qui rgissent organisation des
sdentaires paysans et mme quelquefois citadins du monde arabe et
une grande partie du monde arabis et islamis ne sont pas
fondamentalement diffrents de ceux que permet de dgager tude des
structures sociales des nomades
Quant aux Berbres passs en Espagne leurs normes organisation
sociale posent un problme un peu plus dlicat il peut cependant
croyons-nous se rsoudre dans le mme sens Il existe certes dans le
monde berbre des lots de populations dont la structure sociale est
diffrente de celle des Arabes et de la plupart des Berbres arabiss
Ce sont essentiellement certaines tribus saha riennes comme les
Touareg et les populations montagnardes de Atlas maro cain Les
premiers ont un systme de filiation matrilinaire et les seconds
connaissent une organisation nettement moins agnatique et endogame
que celle des Arabes Il est difficile de savoir il agit l
exceptions qui ont toujours t telles poque historique ou de traits
qui taient plus rpandus dans le haut Moyen Age et ont t effacs
ailleurs par arabisation On peut noter appui de la premire hypothse
que ce ne sont pas seulement des populations berbres arabises comme
celles des plaines du nord du Maroc qui prsentent une structure
sociale analogue celle des Arabes mais aussi des groupes tendus
rests fidles la langue et aux coutumes berbres comme les Kabyles
Dans Occident musulman du xne sicle on peut vrifier un groupe
berbre systme de parent matrilinaire comme les Lamtuna qui
constituaient la base tribale du mouvement almoravide avait conserv
aprs un sicle islamisation et plusieurs dcennies insertion dans la
socit ara bise du Maroc septentrional et al-Andalus certains traits
de son organisation primitive en particulier en ce qui concerne les
urs et anthroponymie
poque de mirat omeyyade au contraire aucun indice du mme genre
ne nous permet de supposer que les Berbres venus en Espagne poque
de la conqute avaient origine des structures sociales notablement
diffrentes de celles des Arabes
Nous tenterons donc comme nous avons fait pour la socit
occidentale laborer une sorte de schma des structures propres aux
groupes ethniques orientaux et nord-africains tablis en Espagne au
vine sicle structures il nous parat possible opposer presque point
par point au mode organisation
occidental dfini plus haut Pour cette raison et par commodit
nous les
1503
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LES DOMAINES DE HISTOIRE
qualifierons orientales tout en tant conscient de ce il peut
avoir arbitraire dans une telle dnomination 45
La socit arabe primitive est une socit de type segmentaire sans
cristallisation tatique ou monarchique o quilibre social se ralise
par le jeu de antagonisme des groupes de parent Comme dans les
socits primi tives la parent joue donc un rle fondamental dans la
structuration sociale rle que les normes islamiques pourtant esprit
fort diffrent ont pas tou jours russi faire disparatre ni mme
attnuer
Le principe qui rgit le systme de parent est autre part un agna-
tisme rigoureux Le seul groupe social existant aux diffrents
niveaux de la famille large du clan et de la tribu tait origine le
groupe des parents paternels descendant une mme souche masculine
exclusion des cognais et des allis par les femmes Il peut arriver
que cette parent soit fictive mais cela enlve rien la force du
sentiment de cohsion d la croyance en un lien de consanguinit Et un
point de vue culturel est la croyance qui importe plus que la ralit
des faits important est que dans de vastes tendues du monde
arabo-berbere on con oive difficilement un groupe social puisse tre
ciment par autres liens que ceux de la parent agnatique Dans un tel
systme la famille conjugale mme sans tenir compte de la poly gamie
gure existence Les ralits fondamentales sont le lignage
patrilineaire dou une assez grande stabilit dans le temps et le
groupe agnatique qui constitue frquemment mme chez les sdentaires
une unit de rsidence lie un quartier ou un terroir particulier
La troisime caractristique de la socit orientale est une forte
tendance endogamie de lignage qui parat tre dans une certaine
mesure une consquence de agnatisme et qui favorise la segmentation
Un homme pouse de prfrence sa plus proche parente possible
est--dire sa cousine germaine en ligne paternelle Dans la tradition
arabe comme dans la plupart des socits berbres le mariage
prfrentiel est le mariage avec la bint amm la fille de oncle
paternel union qui serait considre comme incestueuse et rprouve
formellement dans la majorit des socits primitives Dans ce domaine
et dans la mesure o la conservation des femmes par le groupe
parental pourrait tre considre comme la pratique la plus naturelle
la culture
45 Nous utilisons surtout les ouvrages et articles suivants
Antica societ beduina Studi raccolti da GABRIELI Rome Centro di
Studi semitici Univ di Roma 1959 Bishr FARES honneur chez les
Arabes avant Islam Paris 1932 Joseph CHELHOD
Le mariage avec la cousine parallle dans le systme arabe dans
Homme 1956 pp 132-173 MURPHY et KASDAN The Structure of Parallel
Cousin Marriage dans The American Anthropologist vol 959> PP i?
Michael RIPINSKY Middle Eastern Kinship as an Expression of Culture
Environment System dans The Muslim World LVIII 1968 pp 225-241 Jean
CUISENIER et Andr MIQUEL La terminologie arabe de la parent dans
Homme 1965 pp 37-59 Jacques BERQUE Sur la structure sociale de
quelques villages gyptiens dans Annales E.S.C. 1955 pp 199-215
Germaine TILLION Le harem et les cousins Paris 1966 voir le compte
rendu trs critique dans Revue Histoire et de Civilisation du
Maghreb 1967 pp 94-98 Jean CUISENIER
Structures parentales et structures vicinales en Tunisie dans
I.B.L.A. XXIII 1961 pp 401-430 et Endogamie et esogamie dans le
mariage arabe dans Homme. II 1962 pp 80-105 DESCLOITRES et DEZBI
Systmes de parent et structures familiales en Algrie dans Annuaire
de Afrique du Nord 1963 pp 23-59 HOFF MAN The Structure of
Traditional Moroccan Rural Society Paris-La Haye 1967 On verra
aussi les trois tudes ethnologie kabyle rassembles par Pierre
BOURDIEU Esquisse une thorie de la pratique Paris 1972
1504
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GUICHARD ESPAGNE MUSULMANE
commen ant avec les normes exogamiques imposant change des
femmes entre les groupes on peut dire avec Jacques Berque que chez
les Arabes le social assume le naturel au point de rsoudre
Cette tendance endogamie repose en dernire analyse sur une con
ception particulire de honneur 4rd du groupe patrilineaire Les
femmes sont au centre du cercle du haram ce qui est sacr interdit
aux trangers toute atteinte faite ce 4rd mme une cession en mariage
est considre comme dshonorante En revanche les groupes se trouvant
dans un tat permanent de rivalit il est honorable enlever un autre
groupe ses femmes sab ou de les obtenir en mariage Dans la mentalit
traditionnelle et au contraire de ce que nous avons cru pouvoir
constater en Occident ce serait donc la famille qui re oit une
femme plutt que celle qui la cde qui est honore En vertu de cette
conception les femmes sont normalement cartes de toute vie publique
Le moins possible changes elles ne circulent pas dans la socit de
la mme fa on en Occident et bien que couramment pratiqus les
changes matrimoniaux ont pas la mme rsonance morale et sociale En
milieu rural traditionnel o horizon fminin ne dpasse normalement
pas les limites du groupe patrilineaire les contraintes qui psent
sur la condition fminine restent assez lgres Elles alourdissent en
milieu urbain o les risques de promiscuit obligent aux rigoureuses
pratiques de la claustration et du voile Dans le domaine des
structures sociales et de la condition fminine en effet la
tradition souvent emport sur esprit mme de Islam qui prtend arra
cher les hommes aux liens du sang pour leur proposer de nouveaux
rapports qui ne soient point biologiques Duvignaud La coutume
frquemment prvalu sur des normes juridico-religieuses qui mena
aient de rupture le cadre traditionnel et ce schma est rest trs
largement en vigueur poque moderne
On ne prtendra pas il soit impossible de trouver des
correspondances ces conceptions et ces comportements dans le
domaine occidental en parti culier sur ses franges mditerranennes
Il semble toutefois que la structure ensemble soit tout autre En ce
qui concerne par exemple la notion hon neur elle prsente ds origine
un contenu diffrent qui parat li la struc ture trs tt monarchique
de la socit Benveniste montr que dans la Grce antique les mots qui
dsignent honneur se rfrent tymologiquement
un avantage matriel li la condition royale En latin honos est la
fois un tmoignage de considration et la charge publique qui le
justifie On retrouve comme un cho de ces significations antrieures
dans la conception de honor au dbut de poque fodale il agit la fois
une charge ou dignit confre par le roi de la concession de
privilges fonciers qui lui est lie et de la consi dration accorde
par la collectivit celui qui possde ces honores Attach
une situation sociale et la possession de biens matriels honor
est quelque chose qui se dtient et se transmet il circule dans la
socit en particulier par le jeu des alliances matrimoniales puisque
dtentrice une part de honneur familial une femme peut apporter de
honneur la famille laquelle elle intgre par mariage On peut donc
acqurir de honneur en pousant une femme de condition sociale
suprieure ce qui semble tre une situation assez frquente Ainsi dans
la geste du Cid le hros est-il honor par son mariage avec Chimne
parente du roi et auteur du Pome fait dire aux Infants de Carrion
qui prtendent la main des filles du Cid Nous accrotrons notre
honneur honneur est bien l vhicul par des femmes raison de
1505
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LES DOMAINES DE HISTOIRE
la considration qui est attache la famille dont elles sortent ou
de la richesse de cette famille Les nuances sparant la notion
honneur en Occident et en Orient dans ses rapports avec la
condition fminine taient bien senties par les contemporains comme
le prouve au xne sicle une remarque du Syrien Usma ibn Munqidh qui
tonne de attitude des croiss francs gard de leurs femmes notant ils
en sont pas jaloux leur laissent une grande libert allures en
public et vont leur permettre de se dnuder devant des trangers Un
tel comportement est pour lui contradictoire avec le courage dont
ils font preuve par ailleurs puisque le courage ne nat ses yeux que
de la crainte du dshonneur 46
Certains sociologues ont insist sur la solidit des structures
sociales de type arabe 47 On aussi signal les rapports possibles
entre une organisation sociale de type tribal et certaines
constantes historiques 48 Disons une telle socit organise en
segments gnalogiquement embots prsente assez larges possibilits de
fragmentation et de regroupement selon les nces sits ou les
opportunits du moment historiquement des socits tribales aient t
capables de russites politiques remarquables la conqute arabe les
empires almoravide et almohade le prouvent suffisamment pour ne
parler que de Islam occidental On notera par ailleurs ouest la
conqute arabo- islamique avant de se heurter aux Francs rencontr de
rsistance srieuse que elle trouv en face elle des socits ayant
conserv totalement ou en partie leur ancienne organisation tribale
comme les Berbres au Maghreb les populations cantabres asturieniies
et vasconnes dans Espagne du Nord populations qui par ailleurs
avaient dj manifest depuis le dclin de Empire romain leurs capacits
expansion aux dpens des socits de type colonial ou prfodal du monde
mditerranen romanise 49
En Espagne mme on constate la prservation de ces structures de
type oriental tout abord au niveau des lignages agnatiques La socit
wisi-
gothique ne nous pas conserv de tmoignages de existence de
lignages patrilinaires Le principe de la monarchie lective ne
permettait mme pas comme chez les Francs la consolidation un
lignage royal Il parat donc vident que ce sont les Arabo-Berbres
qui introduisirent ce systme de filia tion dans la Pninsule une
poque o comme Espagne prislamique Occi dent ne connaissait que des
renteles bilatrales sans permanence dans le temps Nous pouvons
suivre en al-Andalus la persistance de nombreux lignages origine
orientale ou nord-africaine depuis poque de la conqute Citons pour
prendre en dehors de la dynastie omeyyade des exemples dans des
rgions loignes les unes des autres les Ban Tudjb Aragon qui
46 Usmah ibn Munqidh Kitb tibav Memoirs of an Arab Syrian
Gentleman or an Arab Knight in the Crusades) tr by Ph HITTI
Princeton Univ. 1964 pp 164-166
47 Cf MURPHY et KASDAN art cit dans la note 41 pp 27-28 48
Jacques BER est-ce une tribu nord-africaine dans ventail de
Histoire vivante Hommage Lucien Febvre Paris 1953 268 49
expansion berbre au dtriment de Afrique romanise est trop connue
pour
on insiste Sur la conservation des structures tribales dans les
populations de Espa gne du Nord la fin de poque romaine voir VIGIL
et BARBERO Sobre los or genes sociales de la Reconquista ntabros
Vascones desde fines del imperio romano hasta la invasi musulmana
dans Bolet de la Real Academia de la Historia 156 1965 pp 271-339
Sur tonnant dynamisme de ces peuples partir du ve sicle voir les
rflexions de NCHEZ ALBORNOZ Espana un enigma hist rico II pp
450-453
1506
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GUICHARD ESPAGNE MUSULMANE
nous sont connus la fin du xie sicle les Ban Khaidn de Seville
anctres du grand crivain maghrbin du xive sicle les Ban Khattb de
Murcie qui durent la reconqute de cette ville dans la premire moiti
du xme sicle 50 La rdaction en Espagne de plusieurs traits de
gnalogie
dont le plus important est celui Ibn Hazm et les nombreuses
gnalogies contenues dans les dictionnaires biographiques montrent
clairement que la mmoire gnalogique tait particulirement cultive en
al-Andalus agna-
tisme rigoureux du systme de parent se marque aussi bien dans le
fait que ces donnes gnalogiques pour abondantes elles soient ne
font pratique ment jamais mention des lments fminins que dans
tonnement un auteur andalou qui considre comme le comble de tranget
opinion il entendu exprimer au cours un voyage en Orient selon
laquelle la femme jouerait un rle dans la transmission de la parent
61
Ces considrations nous fournissent un argument pour rejeter avec
Amrico Castro la thse traditionaliste selon laquelle le mtissage
aurait jou un rle fondamental dans assimilation morale et sociale
des conqurants dans la mesure o un tel mtissage uniquement
biologique pu avoir que des consquences limites tant donn le peu
intrt des Arabes Espagne pour les origines maternelles un individu
Les descendants des mariages mixtes dont on fait grand cas se
considraient comme de purs Arabes et se compor taient comme tels On
peut facilement le vrifier sur exemple une autre ligne celle des
Ban Hadjdjdj de Seville issus un notable arabe de poque de la
conqute et une petite-fille de avant dernier roi wisigoth Witiza
Parmi les cinq ou six auteurs qui nous parlent de cette famille et
qui tous se proccupent de sa gnalogie un seul de fa on assez
accidentelle nous fournit le dtail pourtant bien digne intrt dans
une perspective occi dentale de son ascendance royale en ligne
fminine Nous connaissons bien par ailleurs activit de cette famille
dans la capitale andalouse lors de la frtna de la fin du ixe sicle
et rien ne permet dceler au bout de cinq gn rations la moindre
trace hispanisation bien au contraire nous voyons en effet les Ban
Hadjdjdj la tte des clans ymnites prendre la direction du mouvement
arabe Seville et diriger des massacres de Muwallads et de Mozarabes
Devenu seigneur de Seville Ibrahim ibn Hadjdjdj organise une petite
cour princire dont les plus beaux ornements sont une chanteuse ache
te grand prix en Orient et un philologue bdouin venu du Hedjaz
52
Il serait intressant examiner dans quelle mesure ces conceptions
ligna- gres arabes ont eu une influence sur la socit indigne o
acquisition une
conscience gnalogique et apparition de lignages patrilinaires
semblent en dehors mme de toute volution de type fodal plus prcoces
que dans le
50 On trouvera des indications sur les Ban Tudjb dans Histoire
de Espagne musulmane de VI-PROVEN AL Le texte le plus intressant
sur les Ban Khaidn est Autobiographie Ibn Khaidn trad DE SLANE
Paris 1844 extrait du Journal Asiatique Sur les Ban Khattb voir
Ambrosio Huici MIRANDA Historia musulmana de Valencia Valence 1970
pp 92-100 aprs le texte rceinment publi Al-Udhr)
51 Henri RES La posie andalouse en arabe classique au XIe sicle
Paris 1937 pp 284-286
52 La principale source est IBN HAIYAN Al-Muktabis tome troisime
Chronique du rgne du calife umaiyade Abd Allah Cordoue texte arabe
publi par le Melchor
Antuna Paris 1937 trs largement utilis par Dozy Histoire des
Musulmans Espagne d revue par Lvi-Proven al Leyde 1932 II pp 39-55
et 80-91
1507
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LES DOMAINES DE HISTOIRE
reste de Occident On sait Cordoue mme au milieu du ixe sicle des
indignes se vantaient appartenir au groupe des witizam est--dire
des descendants du roi wisigoth dont les fils avaient favoris entre
des musulmans dans la pninsule 53 Nous avons signal aussi existence
en Aragon de important lignage des Ba Qas dont la gnalogie est bien
tablie de la conqute la fin du ixe sicle Il en existait
certainement autres comme les Ba Angelino et les Ban Sabarico de
Seville 54 existence de groupes de filiation agnatique est galement
atteste chez les Mozarabes qui dans la seconde moiti du ixe sicle
repeuplent les zones mridionales du royaume asturlonais 5
organisation de lignes du mme type semble un peu plus tardive dans
Espagne chrtienne La seule dynastie existante au vine sicle est
celle des rois asturiens Encore agnatisme est-il pas rigoureux
cette poque bien que la succession au trne soit familiale et non
plus lective comme poque wisigothique est au dbut du sicle suivant
apparaissent les
lignes royales ou comtales en Navarre dans les comts pyrnens et
en Cata logne au Xe sicle semble-t-il qu