L’émergence du capitalisme Une esquisse théorico-
Feb 24, 2016
L’émergence du
capitalismeUne esquisse
théorico-historique
Introduction
La critique radicale du capitalisme en vue de son dépassement exige une
insistance sur son historicité, donc sur son histoire : sa vie, sa mort prochaine, mais aussi sa
naissance, son émergence.
Le capitalisme n’a rien d’anhistorique, d’éternel,
de naturel. Sinon, il n’y aurait plus d’histoire.
« Si « travail » est un concept d’anthropologie générale, utilisable également en tous temps et en tous lieux, alors il y n’a pas d’histoire, et l’on peut même se demander si l’histoire a encore un sens. » Alain Guerreau
La majorité des historiens souffre d’une
définition anhistoricisante du
capitalisme, par négligence de son
historicité.« Faisons table rase de toute l’historiographie parce que nous traitons des étrangers comme des semblables, sous prétexte qu’ils sont nos ancêtres. » Bartolomé Clavero
Complète remise en cause de
l’historiographie de l’émergence du
capitalisme, qui alignait anachronismes
historico-centristes et rétroprojections
conceptuelles an-historicisantes.
Une réévaluation historiographique
réellement historisante de l’émergence du
capitalisme est donc nécessaire, sous forme
d’une esquisse théorico-historique.
Mais cette réévaluation rigoureuse de l’histoire
de l’émergence du capitalisme ne serait
possible sans l’appareil conceptuel développé par
Moishe Postone, Robert Kurz, Anselm Jappe …
I) L’hypothèse de l’émergence du capitalisme en Europe Continentale à l’époque moderne
II) L’hypothèse de l’émergence du capitalisme en Angleterre à l’époque moderne
I) L’hypothèse de l’émergence du capitalisme en Europe Continentale à l’époque moderne1) La thèse du « big-bang capitaliste » en
Europe continentale à l’époque moderne (Robert Kurz)
2) La thèse du « Long Moyen Âge » en Europe continentale : l’exemple de l’Ancien Régime (Jean-Yves Grenier & Alain Guerreau)
BibliographieLe big-bang capitalisteRobert Kurz, Le boom de la modernité Geoffrey Parker, La révolution militaire
L’Ancien RégimeA. Guerreau à propos de L’économie d’Ancien Régime de J.-Y. Grenier L’économie d’Ancien Régime de J.-Y. Grenier
1) La thèse du « big-bang capitaliste » en Europe continentale à l’époque moderne (Robert Kurz)
L’invention des armes à feu provoque une course aux armements et une rupture dans l’ordre
social : naissance d’une gigantesque « machine
militaire hors-sol », centralisée, dominatrice,
destructrice et insatiable.
Cette machine antisociale fonctionnant grâce au « nihilisme de
l’argent » (extorqué par l’impôt) et aux
mercenaires (« tueurs professionnels »), cela
entraîne l’essor du travail abstrait et de l’argent.
« Nous, on se fiche bienDe l’Empire romain.Qu’il meure aujourd’hui ou demain,ça ne nous fait ni chaud ni froid.(…) Pourvu qu’on nous donne du blé. » (Chanson de mercenaires)
« L’ « économie politique » des institutions
militaires » hors-sol, conclue Kurz, « devint indépendante de ses objectifs initiaux »,
donnant naissance à l’« économie hors-sol »,
c’est-à-dire au capitalisme.
2) La thèse du « Long Moyen Âge » en Europe continentale : l’exemple de l’Ancien Régime (Jean-Yves Grenier & Alain Guerreau)
L’Ancien Régime, première puissance
militaire européenne au 18ème siècle : un exemple
de choix pour vérifier l’hypothèse de Kurz.
Jean-Yves Grenier s’interroge sur l’existence
éventuelle d’un « équivalent général » au 18ème siècle en France. « Il est impossible de parler avec réalisme de valeur (…) au milieu du XVIIIe siècle » A. Guerreau
Le travail abstrait n’existe pas sous l’Ancien Régime : il n’existe pas de marché du travail ou de
salariat de masse (rapports féodaux), pas
de production capitaliste des paysans ou des artisans (majorité
des Français).
Jacques Le Goff, Le Moyen Âge et l’argent : « Le
système féodal a été profondément pénétré par l’usage de monnaie (…) [mais] cela n’a pas fondé un monde autonome qui serait celui de l’argent »
L’échange est asymétrique, simple
traduction des rapports de domination féodaux. Il n’existe pas de marché de masse ou d’offre et de demande globale.
Pas de marchandisation des produits échangés.
Les paysans visent l’autosuffisance. Les « bourgeois » veulent
devenir des aristocrates rentiers. Minimisation du temps d’activité des
journaliers et des artisans.
Minimisation du temps d’activité des journaliers et des artisans. Enfin, pas de véritable recherche de
maximisation des revenus. L’Ancien
Régime reste précapitaliste, pas proto-capitaliste.
La thèse de Kurz est magistrale, rigoureuse conceptuellement, avec
des apports historiographiques
importants. Changements profonds
à l’époque moderne, négligés par A. Guerreau
et Jean-Yves Grenier
La sphère militaire proto-capitaliste aurait
effectivement pu entraîner l’émergence du
capitalisme si elle avait mis à bas l’agriculture paysanne et l’essentiel
des structures féodales.
Mais cette machine militaire hors-sol est
restée cantonnée à son domaine. Kurz a sous-
estimé l’inertie des structures sociales
médiévales. L’Ancien Régime n’était pas
capitaliste.
Les mutations de l’époque moderne
n’impliquent pas l’émergence du
capitalisme, puisqu’il n’y a pas constitution d’une médiation-automate
autonomisée totalisatrice, d’un
système métaphysique réel.
L’Europe continentale est encore non-
capitaliste au 18ème siècle ; en Angleterre,
l’émergence du capitalisme aurait-elle
déjà commencé ?
II) L’hypothèse de l’émergence du capitalisme en Angleterre à l’époque moderne1) L’émergence du capitalisme en
Angleterre à l’époque moderne 2) L’émergence du capitalisme : une
esquisse théorico-historique
BibliographieL’émergence du
capitalismeE. M. Wood, L’origine du capitalismeKarl Marx, Le Capital, Livre 1, Huitième sectionE. P. Thompson, La formation de la classe ouvrière anglaise
1) L’émergence du capitalisme en Angleterre à l’époque moderne
La thèse d’E. M. Wood est celle de l’émergence du capitalisme dans un seul pays, en Angleterre. Une
thèse classique, peu rigoureuse
conceptuellement, sans réel apport
historiographique, mais efficace.
Puissants seigneurs-propriétaires
déféodalisés, ayant une volonté d’hégémonie sur
commerce précapitaliste, dans une Angleterre centralisée,
initient un processus d’émergence du
capitalisme.
Expropriations, enclosures, abolition des
droits coutumiers : disparition paysannerie anglaise. Augmentation productivité agricole
(essor démographique), marché national
intégré.
Les sans-terre doivent consommer : débouché
de l’agriculture commerciale ; en retour,
sans-terre sont contraints de travailler,
d’abord comme travailleurs indépendants, puis comme
ouvriers.
L’industrialisation (surtout à partir de 1830)
marque un point de quasi non-retour, avec une
prolétarisation massive des sans-terre et une destruction quasi-
complète des modes de vie non-capitalistes.
Configuration capitaliste : l’Angleterre à partir du milieu du 19ème siècle
Configuration proto-capitaliste : l’Angleterre au 18ème siècle (de 1689 à l’industrialisation)
Configuration précapitaliste : l’Angleterre du 14ème siècle au 17ème siècle
Le cas anglais, un récapitulatif chronologique
« Le processus d’industrialisation se
déroula avec une violence exceptionnelle en
Grande-Bretagne » : expropriations, misère, destruction des modes de vivre, workhouses et
exploitation sans bornes.
Le processus d’émergence du
capitalisme ailleurs : entre héritage (cas
étasunien), importation (cas allemand, français ou
japonais) et « développement » (cas
des ex-colonies. Une esquisse chronologique.
2) L’émergence du capitalisme : une esquisse théorico-historique
L’émergence du capitalisme n’est possible
que par une transformation radicale des structures sociales au fondement même des sociétés précapitalistes (agriculture paysanne).
Une « volonté de capitalisme »,
l’importance du facteur subjectif : différence
entre intellectuels britanniques et français au
18ème siècle.
Le modèle théorique de l’émergence du
capitalisme : à partir d’une configuration précapitaliste, par codétermination,
dynamique progressive d’émergence du
capitalisme.
Configuration capitaliste
Configuration proto-capitaliste réunissant conditions objectives/subjectives suffisantesFacteurs objectifs (changement
dans structures sociales dans un sens capitaliste)
Facteurs subjectifs (« volonté » des acteurs principaux dans un sens
capitaliste)
Configuration précapitaliste réunissant conditions objectives/subjectives préalables/favorablesFacteurs objectifs (changement
dans structures sociales dans un sens proto-capitaliste)
Facteurs subjectifs (« volonté » des acteurs principaux dans un sens
proto-capitaliste)
Triomphe des obstacles objectifs Triomphe des obstacles subjectifs
Triomphe des obstacles subjectifs
Triomphe des obstacles objectifs
Triomphe des obstacles subjectifs
Triomphe des obstacles objectifs
Conclusion : Le capitalisme a émergé
avec violence en Angleterre à l’époque
moderne, puis ailleurs aux 19ème-20ème siècles.