HAL Id: tel-02060142 https://hal.parisnanterre.fr//tel-02060142 Submitted on 8 Mar 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. L’effcacité des garanties personnelles Manuella Bourassin To cite this version: Manuella Bourassin. L’effcacité des garanties personnelles. Droit. Université Paris X - Nanterre, 2004. Français. tel-02060142
This document is posted to help you gain knowledge. Please leave a comment to let me know what you think about it! Share it to your friends and learn new things together.
Transcript
HAL Id: tel-02060142https://hal.parisnanterre.fr//tel-02060142
Submitted on 8 Mar 2019
HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.
L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.
L’efficacité des garanties personnellesManuella Bourassin
To cite this version:Manuella Bourassin. L’efficacité des garanties personnelles. Droit. Université Paris X - Nanterre,2004. Français. �tel-02060142�
Présentée et soutenue publiquement le 26 novembre 2004 par
Manuella BOURASSIN
Sous la direction de
Madame Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, Professeur à l’Université Paris X- Nanterre
Membres du jury
Monsieur Laurent Aynès, Professeur à l’Université Paris I- Panthéon Sorbonne
Monsieur Alain Bénabent, Professeur à l’Université Paris X- Nanterre
Madame Marie-Noëlle Jobard-Bachellier, Professeur à l’Université Paris X- Nanterre
Monsieur Dominique Legeais, Professeur à l’Université Paris V-René Descartes
Monsieur Philippe Théry, Professeur à l’Université Paris II-Assas
INTRODUCTION
1. La crise des garanties personnelles. Les garanties personnelles
traversent une nouvelle crise1. Nul ne conteste, en effet, que le cautionnement a
perdu de sa superbe2. Depuis une vingtaine d’années, juges et législateur en
réduisent la simplicité, la souplesse, la clarté et la prévisibilité. Les lois protégeant
des catégories particulières de cautions se multiplient, sans aucune cohérence. Le
protectionnisme assorti d’un formalisme tatillon est désormais fréquent. La
1 Les garanties personnelles et, plus généralement, tous les mécanismes de garantie,
connaissent une évolution cyclique. Les périodes de sécurité pour les créanciers sont suivies
de périodes de crise, pendant lesquelles les garanties ne remplissent qu’imparfaitement leur
rôle de protection des intérêts financiers des bénéficiaires.
Sur cette alternance, qui explique que les garanties personnelles et les sûretés réelles soient
tour à tour préférées par les créanciers, cf. Ch. MOULY, Les causes d’extinction du
cautionnement, Litec, 1979, préf. M. CABRILLAC, n°8 ; Y. CHARTIER, L’évolution du
droit des sûretés, Rapport de synthèse, Rev. jurisp. com., n° spécial, février 1982, p. 150 et
s. ; J. GILISSEN, Esquisse d’une histoire comparée des sûretés personnelles, Essai de
synthèse général, Recueils de la société Jean Bodin, Bruxelles, t. XXVIII, Les sûretés
personnelles, 1ère partie, 1974, p. 5 et s. ; Ch. MOULY, Les sûretés personnelles
traditionnelles en France, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI, 1984, p. 131, 132,
158 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°17
Sur la crise actuelle du droit des garanties personnelles, cf. notamment P. CROCQ,
L’évolution des garanties du paiement : de la diversité à l’unité, Mélanges Ch. Mouly, Litec,
1998, p. 317 et s. ; D. LEGEAIS, Le cautionnement à première demande, Mélanges
M. Vasseur, Banque Editeur, 2000, p. 87 ; D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège
d’un nouveau droit du cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au
cautionnement introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et
sur la ville, JCP 2003, éd. E, p. 1610 et s., n°3 ; J. FRANÇOIS, n°3 et 4 2 En ce sens, cf. notamment D. GRIMAUD, Le caractère accessoire du cautionnement,
PUAM, 2001, préf. D. LEGEAIS ; Ph. SIMLER, Le cautionnement, Litec, 1982, n°4 ;
L. AYNES, Les garanties du financement, Defrénois 1986, article 33779, p. 913 ; L. AYNES,
Rapport français sur les sûretés personnelles, in Travaux de l’association H. Capitant, « Les
garanties de financement », journées portugaises, t. 47, 1996, LGDJ, p. 377 ; J.-J. DAIGRE,
Les substituts du cautionnement : de la lettre à la garantie. La revanche de la liberté, JCP
1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 6-92, p. 5 ; Ph. DELEBECQUE, Le cautionnement
et le Code civil : existe-t-il encore un droit du cautionnement ?, RJ com. 2004, p. 226 et s. ;
D. LEGEAIS, Le cautionnement à première demande, Mélanges M. Vasseur, Banque Editeur,
2000, p. 87 ; D. LEGEAIS, RTD com. 2003, p. 797 et s. ; C. SAINT-ALARY HOUIN,
Sûretés et procédures collectives : morceaux choisis, Rapport de synthèse, in Journée
nationale organisée par le CRAJEFE, LPA 20 septembre 2000, n°188, p. 42 ; Ph. SIMLER,
Les solutions de substitution au cautionnement, JCP 1990, I, 3427 ; J. TERRAY, Le
cautionnement : une institution en danger, JCP 1987, I, 3295 ; H., L. et J. MAZEAUD et F.
CHABAS, n°6-4 ; Ph. SIMLER, n°4 ; Ph. THERY, n° 8
jurisprudence se livre également à un travail de rééquilibrage au profit des cautions
en conférant à la mention manuscrite une portée inattendue, en dévoyant le principe
d’interprétation stricte du cautionnement, en instrumentalisant la règle de
l’accessoire, en empêchant la transmission de l’obligation de couverture aux
héritiers de la caution ou encore en découvrant des obligations à la charge des
créanciers.
Les garanties personnelles utilisées comme substituts du cautionnement ne
connaissent pas un sort plus enviable3. En effet, la jurisprudence limite les attraits
des mécanismes qui reposent sur la même technique que le cautionnement (la
division du risque d’impayé par une extension du droit de gage général), sans être
spécialement réglementés en tant que garanties personnelles. Pour éviter que ne se
creuse un fossé entre le cautionnement, très encadré, et les nouvelles garanties
personnelles, relevant essentiellement de la liberté contractuelle, les juges portent
atteinte à l’autonomie normative de ces garanties innomées. Ils requalifient celles-ci
en cautionnement ou leur appliquent les mêmes règles qu’à ce dernier, afin que les
protections déjà octroyées aux cautions ne restent pas lettre morte.
Le droit en vigueur fragilise donc les garanties personnelles. Il les entoure
d’un halo d’incertitudes, alors qu’il devrait conforter leur prévisibilité, pour qu’elles
puissent accroître la sécurité patrimoniale des créanciers et rendre plus sûr l’octroi
de crédit.
2. L’objectif de la réflexion : la réforme globale du droit des garanties
personnelles. Les imperfections du droit des garanties personnelles sont telles
aujourd'hui que des changements sont réclamés d’une seule voix par la doctrine4 et
annoncés depuis peu au plus haut niveau de l’Etat5. Si un consensus existe ainsi sur
la nécessité d’apporter des modifications au droit en vigueur, la question des
solutions à déployer reste entière.
3 En ce sens, cf. notamment P. ANCEL, Nouvelles sûretés pour créanciers échaudés, JCP
1989, éd. E., suppl. Cahier droit des entreprises, n°5, p. 3 ; J.-L. COURTIER, La garantie à
première demande : attention messieurs les bénéficiaires, LPA 24 juin 1994, n°75, p. 4 et s. ;
D. LEGEAIS, Le cautionnement à première demande, Mélanges M. Vasseur, Banque Editeur,
2000, p. 87 ; Ch. MEYER, Les lettres d’intention, Droit des Sociétés 2000, p. 6 et s. ; B.
MONASSIER, Lettre d’intention : présentation, Droit et patrimoine 1999, n°67, p. 46 et s. 4 En ce sens, cf. notamment Ph. DUPICHOT, Le pouvoir des volontés individuelles en droit
des sûretés, th. Paris II, 2003, sous la direction de M. GRIMALDI, n°476, 965 ; D.
LEGEAIS, Le cautionnement à première demande, Mélanges M. Vasseur, Banque Editeur,
2000, p. 96 ; D. LEGEAIS, L’imprévisible droit des garanties personnelles, Mélanges Y.
Guyon, Dalloz, 2003, p. 669 et 670 ; D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège d’un
nouveau droit du cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au cautionnement
introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et sur la ville, JCP
2003, éd. E, p. 1610 et s., n°31 ; F. PASQUALINI, L’imparfait nouveau droit du
cautionnement, LPA 3 février 2004, n°24, p. 3 et s., n°2 ; D. LEGEAIS, n°5, 24 ; H., L. et J.
MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53 5 Lors des commémorations du bicentenaire du Code civil, le Chef de l’Etat a demandé que
l’on réécrive le droit des sûretés dans les cinq ans. Un groupe de travail avait d’ailleurs été
mis en place, à cette fin, dès juillet 2003, à l’initiative de la Direction des affaires civiles et du
Ministère de la Justice. Sur l’état d’avancement de ce groupe de travail, cf. L. AYNES, Droit
des sûretés : où en est la réforme ?, Droit et patrimoine 2004, n°130, p. 6 et s.
Des améliorations ont certes été suggérées à propos de certaines dispositions du
cautionnement6 ou à propos de certaines garanties personnelles innomées, comme la
garantie autonome7, la lettre d'intention8, l’engagement du codébiteur solidaire9, la
délégation imparfaite10, la promesse de porte fort11, la stipulation pour autrui12 ou
encore le constitut13, mais aucune réforme d’ensemble n’a encore été proposée.
6 Ph. SIMLER (Codifier ou recodifier le droit des sûretés personnelles ?, in Le Code civil
1804-2004. Livre du Bicentenaire, éd. Dalloz-Juris-Classeur 2004, p. 373 et s.), favorable à
un « toilettage des textes du Code civil relatifs au cautionnement » (« la trame générale du
dispositif constitué par les articles 2011 à 2043 du Code civil est éprouvée et mérite d’être
préservée »), a ainsi proposé une réécriture de l’actuel Titre XIV du Code civil, réduisant le
nombre des articles de 33 à 25. 7 Une garantie autonome est un engagement de payer une certaine somme, pris en
considération d’un contrat de base, et à titre de garantie de son exécution, mais constitutif
d’une obligation indépendante du contrat garanti et caractérisé par l’inopposabilité des
exceptions tirées de ce contrat.
Sur l’évolution souhaitable du droit positif en matière de garantie autonome, cf. notamment
P. ANCEL, Les sûretés personnelles non accessoires en droit comparé, th. Dijon, 1981 ;
A. PRÜM, Les garanties à première demande, Litec, 1994, préf. B. TEYSSIE 8 La lettre d'intention (ou de confort, de patronage) est un document par lequel un tiers
exprime à un créancier, en des termes variables et généralement imprécis, son intention de
soutenir son débiteur afin de lui permettre de remplir ses engagements. L’hypothèse type est
celle d’une société-mère qui adresse un tel document à la banque créancière, ou future
créancière, de sa filiale, lui promettant de « faire tout le nécessaire » ou « tout son possible »
pour que celle-ci soit en mesure de remplir les engagements par elle contractés envers la
banque.
Sur l’évolution souhaitable du droit positif en matière de lettre d'intention, cf. notamment
X. BARRE, La lettre d'intention technique contractuelle et pratique bancaire, Economica,
1995, préf. Ch. Gavalda 9 La solidarité passive est une garantie personnelle, car les codébiteurs solidaires étant tous
tenus à l’égard du créancier pour la totalité de la dette, celui-ci n’a pas à diviser ses
poursuites. Chaque codébiteur est garant des autres pour la partie qui excède sa part dans la
dette commune.
L’article 1216 du Code civil vise l’hypothèse du codébiteur solidaire non intéressé à la dette.
Dans ses rapports avec les codébiteurs intéressés, le codébiteur solidaire adjoint est, aux
termes mêmes de l’article 1216, traité comme une caution, alors qu’il est un débiteur principal
aux yeux du créancier.
Sur l’évolution souhaitable du droit positif en matière de solidarité passive, cf. notamment
Ph. BRIAND, Eléments d’une théorie de la cotitularité des obligations, th. Nantes, 1999, sous
la direction de F. COLLART DUTILLEUL ; M. MIGNOT, Les obligations solidaires et les
obligations in solidum en droit privé français, th. Université de Bourgogne, 2000, sous la
direction de E. LOQUIN ; M. OURY-BRULE, L’engagement du codébiteur solidaire non
intéressé à la dette. Article 1216 du Code civil, LGDJ, 2002, préf. C. FERRY 10 La délégation imparfaite (simple, sans novation) peut servir de garantie personnelle, car elle
consiste en l’engagement d’un nouveau débiteur, le délégué, sans extinction de l’obligation du
débiteur primitif, le délégant. Elle augmente la sécurité patrimoniale du créancier, le
délégataire, en lui donnant un second débiteur.
Sur l’évolution souhaitable du droit positif en matière de délégation imparfaite, cf. notamment
M. BILLIAU, La délégation de créance, LGDJ, 1989 ; J. FRANÇOIS, Les opérations
triangulaires attributives (stipulation pour autrui et délégation de créance), th. dactyl. Paris
II, 1994 ; Ch. LACHIEZE, Le régime des exceptions dans les opérations juridiques à trois
personnes en droit civil, th. Bordeaux IV, 1996, sous la direction de J. HAUSER
Une réforme globale est pourtant nécessaire pour sortir de la crise. En effet,
les défauts du droit du cautionnement sont désormais trop profonds pour pouvoir
être jugulés par des modifications ponctuelles. Comme en attestent les lois du 29
juillet 1998 et du 1er août 200314, les réformes ponctuelles ne font qu’accroître les
faiblesses du cautionnement. Une réforme d’ensemble du droit du cautionnement est
donc indispensable pour renforcer la sécurité de cette sûreté, mais elle ne saurait
suffire pour supprimer toutes les lacunes du droit positif. La raison en est que, si le
législateur s’obstine à ne réglementer que le cautionnement, la pratique continuera à
chercher des substituts, mais les juges continueront aussi à fixer, au coup par coup,
les règles applicables à ces garanties personnelles innomées, dans le souci de limiter
le contournement qu’elles opèrent. Les garanties personnelles autres que le
cautionnement demeureront donc marquées par l’incertitude si le législateur ne
procède pas à une réforme globale.
Quelle structure et quel contenu devrait présenter cette réforme d’ensemble
du droit des garanties personnelles pour que règne la sécurité en cette matière ?
C’est à cette question que l’étude de l’efficacité des garanties personnelles
se donne pour but de répondre.
11 La promesse de porte fort, régie par l’article 1120 du Code civil, n’a, au premier abord, rien
d’une garantie, puisqu’il s’agit d’une « technique permettant de conclure un acte auquel une
personne devrait être partie, alors qu’elle n’est pas actuellement en mesure de donner son
consentement, moyennant l’engagement pris par une autre personne, le porte-fort, de
rapporter la ratification de la première » (Ph. SIMLER, n°36). Elle peut pourtant constituer
un véritable substitut du cautionnement, car l’article 1120 n’impose pas que la promesse ait
nécessairement pour objet une ratification (l’article 1120 vise, en effet, « celui qui s’est porté
fort ou qui a promis de faire ratifier »). Le « fait » promis par le porte-fort peut être aussi
l’exécution d’un engagement pris par un tiers. Alors, si le tiers refuse de tenir cet engagement,
le porte-fort devra indemniser le créancier et il jouera le rôle d’un garant. 12 Une stipulation pour autrui peut constituer une garantie personnelle lorsque le promettant
(garant) est déjà débiteur du stipulant (débiteur principal). Le stipulant exige alors de son
débiteur (garant / promettant) qu’il se libère entre les mains de l’un de ses propres créanciers
(tiers bénéficiaire). Celui-ci acquiert un droit direct de créance contre le promettant / garant.
La Cour de cassation (Civ., 6, 8, 22 février et 27 mars 1888 : DP 1888, I, 193) a précisé que le
droit du tiers bénéficiaire naît directement au moment où le promettant s’oblige et par le fait
même de la promesse. Ce droit naît par le seul effet de l’accord de volontés entre le stipulant /
débiteur principal et le promettant / garant. L’acceptation du tiers bénéficiaire n’est pas une
condition de l’acquisition de son droit contre le garant. Son seul effet est de rendre la
stipulation irrévocable.
Sur l’évolution souhaitable du droit positif en matière de stipulation pour autrui, cf.
J. FRANÇOIS, th. préc. 13 Le constitut est l’engagement autonome de payer la dette d’autrui souscrit par le
« constituant », qui s’oblige à payer, non la dette même du débiteur principal, mais une dette
d’un même montant. Le quantum de la dette du constituant est emprunté à celui de
l’obligation garantie, mais le constituant ne peut soulever les exceptions nées de cette
obligation.
Sur l’évolution souhaitable du droit positif en matière de constitut, cf. F. JACOB, Le constitut
ou l’engagement autonome de payer la dette d’autrui à titre de garantie, LGDJ, 1998, préf.
Ph. SIMLER 14 Loi n°98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions. Loi n°2003-721 du
1er août 2003 pour l’initiative économique.
3. L’espace de réflexion. La problématique retenue dicte le champ de cette
étude à deux égards. D’une part, l’objectif de reconstruction du droit des garanties
personnelles influence le choix des garanties personnelles à étudier. En effet, seules
méritent d’être analysées les garanties personnelles à l’égard desquelles la crise est
la plus manifeste et les demandes de réforme les plus vives, c'est-à-dire les garanties
personnelles instituées à l’initiative des créanciers et non intégralement régies par la
loi. L’étude portera donc sur les garanties personnelles strictement conventionnelles,
que sont le cautionnement et les contrats non spécialement réglementés en tant que
garanties personnelles, auxquels les créanciers recourent pour éviter la politique
légale et jurisprudentielle de protection de la caution15. En revanche, ne seront pas
analysées à la lumière du droit positif et ne seront pas concernées par les
propositions de réforme, tant les garanties personnelles légales16, que les garanties
personnelles conventionnelles ayant pour fait générateur une loi ou une décision
judiciaire17. D’autre part, le souci de réformer le droit des garanties personnelles
oriente le choix des règles à étudier. Comme une réforme ne peut être source de
progrès que si elle remédie aux imperfections du droit positif, sans remettre en cause
les règles donnant satisfaction, il convient, avant de proposer des modifications du
droit existant, d’étudier précisément celui-ci, en vue de distinguer ce qui doit être
15 Pour une présentation sommaire de ces garanties personnelles conventionnelles servant de
substituts au cautionnement, cf. supra n°2 16 Les garanties personnelles légales confèrent à un créancier déterminé par la loi un droit de
gage général contre un tiers au contrat de crédit principal, en garantie de l’exécution de celui-
ci, sans qu’aucun contrat ne soit conclu, ni entre le créancier et le garant, ni entre le créancier
et le débiteur, ni entre le débiteur et le garant. Peuvent recevoir cette qualification les actions
directes, la saisie-attribution, les différentes hypothèses de solidarité légale (notamment la
solidarité des époux de l’article 220 du Code civil, la solidarité des partenaires liés par un
Pacs de l’article 515-4 alinéa 2 du Code civil, la solidarité des associés d’une société en nom
collectif de l’article L. 221-1 alinéa 1er du Code de commerce, la solidarité cambiaire de
l’article L. 511-44 du Code de commerce), les obligations d’adhésion ou de cotisation à un
fonds de garantie (comme le fonds de garantie contre les accidents de circulation et de chasse
ou le fonds de garantie des dépôts, mécanismes de garantie des titres et des cautions) ou
encore la responsabilité légale du fait d’autrui (notamment celle des articles 1384, 1386-8 et
1792-4 du Code civil). 17 Les garanties personnelles conventionnelles ayant pour fait générateur une loi ou une
décision judiciaire reposent sur la conclusion d’un contrat entre le créancier et le garant, mais
leur constitution résulte, soit d’une obligation légale, soit d’une décision de justice, et non
d’un accord entre le créancier et le débiteur.
De nombreux textes imposent ainsi la conclusion d’un cautionnement. Tel est notamment le
cas, dans le Code civil, des articles 601 (à l’égard de l’usufruitier), 807 (à l’égard de l’héritier
bénéficiaire), 1653 (à l’égard du vendeur) et 1799-1 alinéa 3 (à l’égard du maître d’ouvrage).
Le Code de commerce (articles L. 511-33 et L. 511-34 en matière de lettre de change), le
Code du travail (article L. 124-8 relatif aux entreprises de travail temporaire), le Code de la
construction et de l’habitation (au sujet des garanties de bonne fin) et les textes non codifiés
relatifs aux garanties financières professionnelles en fournissent d’autres illustrations.
De nombreux textes confèrent également aux juges le pouvoir d’exiger d’un débiteur la
constitution d’un cautionnement (par exemple, l’article 277 du Code civil à l’égard de l’époux
débiteur d’une prestation compensatoire, les articles 517 et suivants du nouveau Code de
procédure civile relatifs à l’exécution provisoire des jugements).
conservé de ce qui doit être réformé18. Même s’il ne fait aucun doute que les
garanties personnelles traversent une crise, une analyse détaillée des règles légales et
jurisprudentielles applicables, tant au cautionnement, qu’aux nouvelles garanties
personnelles, doit ainsi nécessairement précéder l’exposé de la réforme d’ensemble
préconisée. Cette étude des garanties personnelles, de lege lata, sera uniquement
opérée au regard du droit interne français19.
Dans le cadre des réflexions de lege ferenda, le droit communautaire jouera
en outre un rôle prépondérant20. Dans la mesure où la proposition de directive du 11
septembre 2002 relative au crédit aux consommateurs21 réglemente dans le détail les
engagements souscrits par les garants personnes physiques dans un but étranger à
leur activité commerciale ou professionnelle, il paraît en effet nécessaire de
développer une réforme du droit des garanties personnelles qui soit compatible avec
les nouvelles exigences communautaires22.
18 En ce sens, cf. M. CABRILLAC, Un domaine à explorer pour le chercheur : les démarches
de l’investigation juridique, in L’avenir du droit, Mélanges F. Terré, Dalloz, 1999, p. 167 et
s. ; R. HOUIN, De lege ferenda, Mélanges P. Roubier, 1961, t. 1, p. 273 et s. 19 Les principales décisions judiciaires relatives au cautionnement, à la garantie autonome, à
la lettre d'intention, à la solidarité passive, à la solidarité adjointe, au constitut, à la délégation
imparfaite, à la promesse de porte fort et aux garanties personnelles légales font l’objet d’un
index.
Compte tenu du fait qu’ « ils sont en toute hypothèse peu appropriés aux garanties de droit
interne » (Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°215) et qu’ils connaissent de ce fait un
succès pratique très limité, les modèles de garantie proposés par la Chambre de Commerce
internationale et par la commission des Nations-Unies pour le commerce international ne
feront pas l’objet d’une analyse exhaustive. Il n’y sera fait référence que ponctuellement. Pour
des études approfondies de ces règles, cf. H. CHANTELOUP et V. HEUZE, Financement et
garantie, in Pratique des contrats internationaux, 1997 ; S. PIEDELIEVRE, Remarques sur
les règles uniformes de la Chambre de commerce internationale relatives aux garanties sur
demande, RTD com. 1993, p. 615 et s. ; S. PIEDELIEVRE, Le projet de convention de la
commission des Nations-Unies pour le commerce international sur les garanties
indépendantes et les lettres de crédit stand-by, RTD com. 1996, p. 633 et s. ; Ph. SIMLER,
Règles uniformes de la Chambre de Commerce Internationale, relatives aux garanties sur
demande, LPA 13 mai 1992, n°58, p. 25 ; Ph. SIMLER, n°868 et s. 20 Le rapprochement des législations des Etats membres de l’Union européenne opéré par la
proposition de directive du 11 septembre 2002, au sujet du crédit aux consommateurs et du
« contrat de sûreté », dispense de se livrer à une étude de droit comparé pour pouvoir
envisager l’efficacité des garanties personnelles de lege ferenda. 21 Proposition de directive du 11 septembre 2002 relative à l’harmonisation des dispositions
législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de crédit aux
consommateurs. COM/2002/0443 final - COD 2002/0222 ; Journal officiel n° C 331 E du
31/12/2002 p. 0200 – 0248. Ce texte, ainsi que ses aménagements postérieurs, figurent sur le
site http://europa.eu.int/prelex/detail_dossier_real.cfm?CL=fr&DosId=176090 22 Il n’est pas prématuré de développer une réforme globale du droit des garanties
personnelles, qui intègre les nouvelles règles communautaires, même si celles-ci ne sont
encore que des propositions examinées par le Parlement européen, car il y a de fortes chances
pour que la plupart des dispositions relatives au « contrat de sûreté » ne subissent aucune
modification. En effet, alors que nombre de règles intéressant le contrat de crédit aux
consommateurs ont déjà été vivement dénoncées, notamment par le Sénat, la Communauté
européenne des Coopératives de consommateurs, le MEDEF, et l’Association française des
Sociétés Financières (sur ces critiques, cf. infra n°746), les dispositions concernant le
« contrat de sûreté » ont, au contraire, été globalement bien accueillies. Seule l’application de
4. L’ « outil » de réflexion : l’efficacité. Pour pouvoir proposer une
réforme du droit des garanties personnelles, à même de supprimer les lacunes du
droit en vigueur, aussi bien que d’anticiper les transformations imposées par la
Commission européenne, il est primordial de choisir un angle d’analyse des
garanties personnelles qui facilite cette reconstruction. L’efficacité est, à cet égard,
l’ « outil » le plus approprié.
Cette affirmation peut surprendre, car l’efficacité n’est pas une notion
juridique. Le terme efficacité ne figure pas dans les dictionnaires juridiques de
référence. Il est certes fréquemment employé par la doctrine, mais sans être assorti
d’un contenu juridique précis. Pour être en vogue, le terme efficacité n’en reste donc
pas moins empreint d’obscurité. Dans ces conditions, son caractère adéquat pour
étudier un mécanisme juridique et le droit qui lui est applicable peut paraître
douteux.
L’affirmation selon laquelle l’efficacité est l’angle d’analyse des
garanties personnelles le plus approprié peut en outre déranger, car l’efficacité n’est
pas un critère d’évaluation du droit prisé par les juristes. Depuis Kelsen, une partie
importante de la doctrine apprécie le droit sous l’angle de sa validité et de sa
légitimité, et elle se désintéresse, pour l’essentiel, des effets concrets des normes.
L’évaluation du droit à travers le prisme de l’efficacité est abandonnée aux
sociologues et surtout aux économistes. L’efficacité est tenue à l’écart de la sphère
juridique, car elle est suspectée d’être incompatible, non seulement avec les modes
d’appréciation traditionnels du droit, mais aussi avec des valeurs juridiques
fondamentales. L’efficacité, comme instrument d’évaluation des mécanismes
juridiques et des règles de droit, est donc considérée comme dangereuse.
L’efficacité n’étant pas une notion juridique et son utilisation en tant que
critère d’appréciation du droit faisant ainsi l’objet de préventions, il est
indispensable d’expliquer pourquoi elle constitue un « outil » de réflexion
particulièrement adéquat en matière de garanties personnelles. Il s’agit de démontrer
que l’analyse des garanties personnelles sous l’angle de l’efficacité permet de
proposer une réforme du droit en vigueur, qui rompe avec l’insécurité actuelle et
s’accorde avec les nouvelles contraintes communautaires.
5. Plan de l’introduction. Pour mener à bien cette démonstration, il est
tout d’abord nécessaire de préciser en quoi consiste l’efficacité des garanties
personnelles (§1). Il importe ensuite de dissiper les craintes entourant l’évaluation
du droit à travers le prisme de l’efficacité et de mettre en exergue, au contraire, les
implications réelles d’une telle évaluation en matière de garanties personnelles (§2).
Il convient, enfin, de présenter les principales caractéristiques de la reconstruction
du droit des garanties personnelles à laquelle conduit la recherche de l’efficacité
(§3).
la future directive aux « contrats de sûreté » conclus par acte authentique est sérieusement
critiquée et pourrait, de ce fait, être finalement écartée. Les propositions de réforme doivent
tenir compte de cette évolution probable du texte communautaire. C’est pourquoi, seront
distingués le régime des garanties personnelles souscrites sous seing privé et celui des
garanties personnelles conclues devant notaire (cf. infra n°912 à 932).
§1 : LA DEFINITION DE L’EFFICACITE
6. L’efficacité : une notion faussement polysémique. En apparence,
l’efficacité est une notion polysémique, puisque trois sens lui sont communément
attribués : la production d’un effet, l’accomplissement d’un but précis, et la
productivité23.
En réalité, l’équivoque peut aisément être dissipée, car deux de ces
définitions se rapportent, plus exactement, à des notions voisines : la réalisation d’un
effet caractérise l’effectivité24 ; le rendement est, quant à lui, synonyme
d’efficience25.
7. L’efficacité : qualité d’une chose ou d’une action qui produit l’effet
attendu. L’efficacité n’a donc finalement qu’une seule signification :
l’accomplissement d’une attente. A partir des éléments composant cette définition
usuelle de l’efficacité, des définitions plus précises, concernant des actions ou objets
déterminés, peuvent être élaborées.
Une fois présentés les éléments constitutifs de la notion d’efficacité (A), il sera ainsi
possible de préciser en quoi consiste l’efficacité des garanties personnelles (B).
A/ LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DE LA NOTION D’EFFICACITE
La notion d’efficacité s’articule autour de trois éléments : une attente, un effet et une
relation d’adéquation entre les deux.
8. Une attente objective ou subjective. L’attente est une espérance posée
par une conscience, un effet recherché26. Quelle que soit la chose ou l’action qui la
génère, l’attente peut présenter un caractère objectif ou subjectif.
23 Le Grand Larousse Universel : Efficace : « se dit d’un produit, d’une méthode, qui produit
l’effet attendu, ou de quelqu’un qui remplit bien sa tâche, se dit de son action, de ses paroles
qui atteignent leur but, qui aboutissent à des résultats utiles » ; Le Robert, Dictionnaire de la
langue française : Efficace : « 1. qui produit l’effet qu’on en attend. 2. Capacité de produire le
maximum de résultats avec le minimum d’effets, de dépense ».
Cette polysémie s’explique par le fait que l’étymologie latine du terme « efficacité » est elle-
même équivoque. En effet, efficax, efficacis signifie, d’une part, agissant, qui réalise et,
d’autre part, qui produit de l’effet, qui réussit. 24 Le Petit Larousse : Effectif : « qui existe réellement, qui se traduit en action » ;
M.-A. FRISON-ROCHE, L’efficacité des décisions en matière de concurrence : notions,
critères, typologie, LPA 28 décembre 2000, n°259, p. 4 et s. : « un phénomène est effectif
lorsqu’il existe, qu’il est actualisé (c'est-à-dire en acte), qu’il a quitté le simple état de forme,
de puissance, de virtualité ». 25 Le Petit Larousse : Efficience : « capacité de rendement, performance » ; L. AMIEL-
COSME, L’efficience des nullités, Droit et Patrimoine 2000, n°83, p. 89 et s. : « la notion
d’ « efficience » se dédouble : l’efficience, c’est d’abord « la faculté de produire un effet » et,
ensuite, cet effet est « un effet utile ». Est ainsi appréciée l’efficacité d’une mesure ou sa
capacité de rendement, sa performance ». 26 Le terme attente sera employé dans ce sens général et non dans le sens juridique particulier
attaché à la théorie des attentes légitimes ou raisonnables. Sur cette théorie, cf. notamment
J. CALAIS-AULOY, L’attente légitime. Une nouvelle source de droit subjectif ?, Mélanges
Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 171 et s. ; J. CARBONNIER, Introduction, in L’évolution
L’attente objective est celle que toutes les personnes placées dans une même
situation partagent, en raison des caractéristiques essentielles, de ce qu’il est naturel
d’attendre de l’objet utilisé ou de la démarche entreprise.
L’attente subjective, quant à elle, est celle qu’une personne déterminée
développe, du fait de la spécificité de sa situation. Nourrir une attente subjective
revient à assigner un but particulier à l’objet ou à l’action envisagé.
9. Un effet réalisé. Concernant l’effet, il s’agit de celui produit par les
moyens ou actions mis en œuvre. Ceux-ci quittent le simple état de virtualité, pour
être actualisés. L’effet n’est plus seulement recherché, il est réalisé. L’effectivité
précède nécessairement l’efficacité.
L’effet pris en compte pour définir l’efficacité est, en outre, uniquement celui
produit par l’objet ou l’acte ayant engendré l’attente. Le référent doit être le même
au stade de l’attente et à celui du résultat.
10. Une adéquation. Le dernier élément constitutif de la notion d’efficacité
est la relation existant entre l’effet recherché et l’effet réalisé. L’efficacité repose sur
une comparaison entre l’effet attendu d’un objet ou d’une action et le résultat
réellement produit par ceux-ci, et elle se reconnaît à l’équivalence parfaite entre ces
deux éléments.
Une chose ou une action, quelle qu’elle soit, ne peut être déclarée efficace
qu’après avoir produit des effets et seulement si ces effets sont conformes aux
attentes qu’elle a créées.
Comme les attentes peuvent être de nature objective ou subjective, deux
relations d’adéquation sont susceptibles d’exister et, par conséquent, deux types
d’efficacité peuvent se cumuler.
11. L’efficacité objective : réalisation d’une fonction. L’efficacité peut
tout d’abord être envisagée in abstracto. C’est le devenir de l’attente objective qui
est alors examiné. L’attente objective, partagée par toute personne ayant recours à
un objet déterminé, procède de la fonction de celui-ci.
La fonction d’un objet correspond à ce pour quoi il est conçu, à ce pour
quoi il y est normalement recouru. Autrement dit, c’est « ce qu’on ne peut faire que
par lui, ou ce qu’on fait le mieux avec lui »27.
contemporaine du droit des contrats, Journées R. Savatier, 24-25 octobre 1985, PUF, 1985,
p. 29 et s ; J. CARBONNIER, Les obligations, PUF, 2000, n°21 27 PLATON, La République, I/ 351 e – 352 e et I/ 352 e – 353 e : « - Et dis-moi : le cheval te
paraît-il avoir une fonction ? - Oui. - Or, poserais-tu comme fonction du cheval, ou de
n’importe quel autre sujet, ce qu’on ne peut faire que par lui, ou ce qu’on fait le mieux avec
lui ? - Je ne comprends pas, dit-il. - Expliquons-nous : vois-tu par autre chose que par les
yeux ? - Certes non. - Et entends-tu par autre chose que par les oreilles ? -Nullement. - Nous
pouvons par conséquent dire justement que ce sont là les fonctions de ces organes. - Sans
doute. - Mais quoi ! ne pourrais-tu pas tailler un sarment de vigne avec un couteau, un
tranchet, et beaucoup d’autres instruments ? - Pourquoi pas ? - Mais avec aucun, je pense,
aussi bien qu’avec une serpette qui est faite pour cela. - C’est vrai. - Donc, ne poserons-nous
pas que c’est là sa fonction ? - Nous le poserons certainement. »
L’efficacité définie au regard de l’attente objective, que l’on peut qualifier
d’efficacité objective ou in abstracto, se caractérise donc par la réalisation d’une
fonction.
12. L’efficacité subjective : réalisation d’une finalité. L’efficacité peut
également être appréciée in concreto. Il s’agit alors de s’intéresser aux attentes
subjectives. Ces attentes propres à chaque individu utilisant un objet donné précisent
la fonction de celui-ci ou, au contraire, s’en éloignent.
Par opposition à la fonction, qui présente un caractère objectif, le but
particulier assigné à un objet par une personne déterminée, peut être qualifié de
finalité28.
Dans ces conditions, l’efficacité définie à la lumière des attentes
subjectives, c'est-à-dire l’efficacité subjective ou in concreto, se caractérise par la
réalisation d’une finalité.
13. Pour définir plus précisément l’efficacité objective ou subjective d’un
objet particulier, il suffit d’expliciter les éléments constitutifs de la notion
d’efficacité au regard des caractéristiques de cet objet. C’est ainsi en
approfondissant les attentes et les effets créés par les garanties personnelles qu’il est
possible de déterminer ce que recouvre leur efficacité.
B/ LES DEFINITIONS DE L’EFFICACITE DES GARANTIES PERSONNELLES
14. L’efficacité des garanties personnelles peut être envisagée in abstracto
ou in concreto, selon que l’on s’attache à l’attente partagée par tous les bénéficiaires
ou aux effets spécifiquement recherchés par certains créanciers. Il convient donc de
définir, d’une part, l’efficacité objective des garanties personnelles (1) et, d’autre
part, leur efficacité subjective (2).
1. La définition de l’efficacité objective des garanties personnelles
15. La fonction des garanties personnelles. Toutes les garanties
personnelles, quels que soient leur nature, leur contenu, les parties au contrat et les
caractéristiques de l’opération principale, ont pour raison d’être d’accroître la
sécurité patrimoniale du bénéficiaire, d’augmenter les chances d’un dénouement
satisfactoire, pour celui-ci, de l’opération de crédit. Les garanties personnelles sont
conçues pour protéger les intérêts financiers des créanciers et elles font naître chez
ces derniers une même attente, objective, celle d’éviter une perte pécuniaire.
16. L’efficacité objective des contrats unilatéraux réside dans la
protection des intérêts du créancier. Si les garanties personnelles ont donc pour
fonction de protéger les intérêts des seuls bénéficiaires et si elles font naître une
attente objective uniquement en la personne des créanciers, c’est parce qu’elles
présentent un caractère unilatéral. 28 Alors que les termes fonction, finalité, but, fin, vocation, objet, objectif ou encore raison
d’être sont le plus souvent employés comme des synonymes, nous définissons différemment
la fonction et la finalité, afin d’accentuer le clivage entre les attentes objectives et les attentes
subjectives et, par conséquent, la distinction entre l’efficacité in abstracto et l’efficacité in
concreto. Sur l’utilité de cette distinction en matière de garanties personnelles, cf. infra n°30
Dès lors qu’un contrat oblige une personne envers une autre, sans qu’il n’y ait,
de la part de cette dernière, d’engagement réciproque, la fonction de ce contrat ne
peut être tournée que vers l’unique créancier. Comme l’efficacité objective consiste
en la réalisation d’une fonction, il est logique d’en déduire que l’efficacité objective
des contrats unilatéraux, dont font partie les garanties personnelles, réside dans la
protection des intérêts du créancier.
17. L’efficacité objective des contrats synallagmatiques réside dans
l’échange le plus fructueux. Lorsqu’un contrat engendre des obligations
réciproques et interdépendantes, la situation est toute autre. En effet, dans la mesure
où chacune des parties est débitrice d’une obligation essentielle, qui fait naître chez
son cocontractant une attente objective, le contrat ne peut pas avoir pour fonction de
protéger l’unique créancier. Le contrat synallagmatique a pour raison d’être de créer
ou de transmettre des richesses pour chacune des parties, et son efficacité objective
réside dans l’échange le plus fructueux.
Les travaux de la Law and Economics portant sur les contrats
synallagmatiques29 retiennent cette définition de l’efficacité30, également appelée
« Pareto optimalité »31, et suggèrent, sur ce fondement, des solutions à la fois
meilleures ou aussi bonnes pour toutes les parties et strictement préférées par au
moins l’une d’elles32.
29 L’analyse économique du droit des contrats et l’analyse économique des contrats
n’envisagent que les contrats créateurs de richesses pour chacune des parties. Ainsi, l’une des
théories majeures de l’analyse économique du droit des contrats, la théorie de la violation
efficace, est uniquement développée dans le cadre des contrats synallagmatiques (cf.
B. RUDDEN et Ph. JUILHARD, La théorie de la violation efficace, RIDC 4-1986, p. 1015 et
s.). L’analyse économique des contrats ne s’intéresse également qu’aux contrats dans lesquels
deux parties (« le principal » est la partie qui propose le contrat ; « l’agent » est la partie qui
ne peut qu’accepter ou rejeter la proposition du principal) envisagent un échange et, plus
particulièrement, aux contrats synallagmatiques d’adhésion.
Pour une présentation générale de l’analyse économique des contrats et de l’analyse
économique du droit des contrats, cf. P. GARELLO, Les économistes et le contrat, Mélanges
Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 37 et s. 30 En dehors de l’analyse économique du droit des contrats et de l’analyse économique des
contrats, d’autres définitions de l’efficacité sont présentes dans les travaux de la Law and
economics. Dans une perspective utilitariste, certains retiennent que l’efficacité se caractérise
par le bonheur maximum pour le plus grand nombre. Au regard du critère de justice de Rawls,
d’autres subordonnent l’efficacité à un bonheur identique pour tous. D’autres encore adoptent
le critère de Kaldor-Hicks, qui a pour vocation d’évaluer les changements juridiques : un
changement est efficace, si l’amélioration qu’il apporte à la situation d’au moins un individu
compense les pertes subies par un autre. Sur ces différentes approches de l’efficacité, cf. T.
KIRAT, Economie du droit, éd. La découverte, 1999 , spéc. p. 69 ; B. LEMENNICIER,
Economie du droit, Cujas, 1991, spéc. p. 27 31 La « Pareto optimalité » est l’échange le plus fructueux, c'est-à-dire qu’« il est impossible
de réaliser une réallocation de ressources telle que le sort d’une personne s’améliore sans
que celui d’une autre personne s’en trouve détérioré » (E. MACKAAY, La règle juridique
observée par le prisme de l’économiste. Une histoire stylisée du mouvement de l’analyse
économique du droit, Rev. Intern. Dr. Eco 1986, t.1, p. 52). 32 Pour des exemples de solutions tendant vers la « Pareto efficience » cf. T. KIRAT, op. cit.,
p. 69 ; B. LEMENNICIER, op. cit., p. 27 ; J.-Y. CHEROT, Trois thèses de l’analyse
économique du droit, RRJ 1987-2, p. 443 et s. ; P. GARELLO, art. préc., p. 37 et s.
18. L’influence limitée de l’analyse économique du droit sur le contrat
de garantie personnelle. Comme les garanties personnelles présentent un caractère
unilatéral, leur efficacité objective ne doit pas être définie comme l’échange optimal
entre les contractants. En conséquence, les solutions proposées par l’analyse
économique du droit des contrats pour parvenir à la « Pareto optimalité » des
contrats synallagmatiques ne doivent pas être transposées en matière de garanties
personnelles. Si une étude portant sur l’efficacité de l’opération de crédit pourrait
très certainement s’inspirer des travaux de la Law and Economics, en raison de
l’échange réalisé par l’opération envisagée dans sa globalité, une étude portant sur
l’efficacité des seules garanties personnelles ne saurait, au contraire, être
profondément influencée par les thèses de l’analyse économique du droit.
19. L’origine de la protection des intérêts du créancier. Pour expliquer en
quoi consiste l’efficacité objective des garanties personnelles, il ne suffit pas
d’exclure la définition parétienne de l’efficacité et de mettre en avant, au contraire,
la protection des intérêts financiers des bénéficiaires. Il est en plus nécessaire
d’indiquer quelle est l’origine de l’augmentation de sécurité des créanciers. Pour
cela, des précisions doivent être apportées sur le deuxième élément constitutif de
l’efficacité, c'est-à-dire sur les effets des garanties personnelles.
20. Les effets produits par les garanties personnelles elles-mêmes.
L’extinction de la dette principale, sans que le créancier ne souffre d’un impayé,
n’est pas nécessairement synonyme d’efficacité de la garantie personnelle
constituée. Celle-ci peut ne jouer aucun rôle dans la protection des intérêts
pécuniaires du créancier.
L’extinction de la dette principale peut notamment s’expliquer par la
solvabilité du débiteur, au jour de l’exigibilité de sa dette. Divers procédés peuvent
rendre plus sûre cette solvabilité. En font partie le droit de regard du créancier sur le
patrimoine et les activités du débiteur et les sûretés négatives, comme la clause
interdisant de souscrire de nouveaux engagements. En cas de paiement du débiteur,
la protection des intérêts du créancier provient de ces techniques de préservation du
droit de gage général, et non de la garantie personnelle constituée. Si l’on peut en
déduire que ces techniques sont efficaces, il est en revanche impossible de se
prononcer sur l’efficacité de la garantie personnelle, puisqu’en l’absence d’effets
engendrés par celle-ci, il manque l’un des éléments constitutifs de la notion
d’efficacité.
Comme la réduction du risque d’impayé n’est donc pas l’apanage des
garanties personnelles, la définition de leur efficacité objective ne doit pas viser la
protection des intérêts financiers des créanciers, sans en préciser l’origine. Cette
définition doit, au contraire, faire référence aux effets produits par les garanties
personnelles elles-mêmes.
21. Les effets de la constitution ou de la réalisation de la garantie
personnelle. Plus précisément, les effets à prendre en compte pour définir
l’efficacité in abstracto des garanties personnelles sont, non seulement les effets de
leur réalisation, mais aussi les effets de leur seule constitution.
L’accomplissement de la fonction des garanties personnelles peut résulter
de l’appel du garant. L’attente objective des bénéficiaires est en effet satisfaite
lorsque la réalisation de la garantie se traduit par le paiement du garant, emportant
l’extinction de la dette principale.
Les intérêts patrimoniaux du créancier peuvent également être protégés,
sans que le garant ne soit sollicité. Indépendamment de leur mise en œuvre, les
garanties personnelles peuvent effectivement produire un résultat conforme à leur
fonction. Tel est le cas lorsque leur seule existence conduit à l’extinction de la dette
principale, non pas, par hypothèse, par le garant, mais par un tiers au contrat de
garantie, qui peut être le débiteur principal lui-même ou encore un tiers cessionnaire
de la créance garantie.
22. Définition de l’efficacité objective des garanties personnelles. A la
lumière des précisions apportées sur la fonction et sur les effets des garanties
personnelles, il apparaît qu’une garantie personnelle, quelle qu’elle soit, est efficace,
in abstracto, lorsque sa constitution ou sa mise en œuvre ont pour effet de
concrétiser sa fonction, c'est-à-dire de protéger les intérêts financiers du créancier.
L’efficacité objective des garanties personnelles réside ainsi dans le paiement du
créancier, grâce à la réalisation ou à la seule constitution de la garantie.
23. L’efficacité des garanties personnelles peut recevoir une autre définition
si l’on s’attache, non plus à l’attente objective des créanciers, mais aux effets
spécifiquement recherchés par les bénéficiaires en fonction des particularités de leur
situation. Il s’agit alors de définir l’efficacité subjective des garanties personnelles.
2. La définition de l’efficacité subjective des garanties personnelles
24. Les deux niveaux d’attentes subjectives. Avant même la constitution
de la garantie personnelle, chaque créancier nourrit des attentes qui lui sont propres.
Ces premières attentes naissent lors de l’octroi de crédit, effectif ou seulement
envisagé. Des attentes sont ensuite produites par la garantie personnelle
effectivement conclue. Elles correspondent à la finalité assignée à la garantie
constituée.
25. Les attentes subjectives nées lors de l’octroi de crédit au débiteur.
Les attentes subjectives initiales diffèrent d’une opération contractuelle à une autre.
Les facteurs de variation sont nombreux. Certains se rapportent au contrat principal.
Les attentes subjectives initiales dépendent ainsi du domaine, de la nature, du
montant ou encore de la durée de l’opération de crédit. D’autres facteurs de variation
concernent le débiteur et, plus précisément, sa qualité, sa solvabilité, sa bonne foi et
les relations qu’il entretient avec le créancier. Les attentes subjectives naissant lors
de l’octroi de crédit varient encore en fonction de la situation du créancier. Sa
situation financière, mais aussi sa qualité et ses précédentes expériences en matière
d’octroi de crédit et de garantie ont une incidence sur les choix afférents à la
garantie personnelle à constituer. Enfin, les premières attentes subjectives sont
influencées par des facteurs extérieurs à l’opération contractuelle, tels que la
conjoncture économique et le droit en vigueur.
Quel que soit le contexte qui les inspire, les attentes subjectives initiales
précisent l’attente objective, puisqu’elles ont pour objet les conditions particulières
de protection, sur lesquelles compte le créancier, avant même la constitution de la
garantie personnelle. Les attentes nées lors de l’octroi de crédit au débiteur portent,
tant sur les modalités, que sur le coût de la protection des intérêts économiques du
créancier.
Les modalités de protection sont de deux ordres. Elles ont trait, d’une part,
à ce que le créancier attend de son cocontractant (qualité et solvabilité du futur
garant, nature et étendue de sa dette, modalités du paiement). Les modalités de
protection se rapportent, d’autre part, à ce que le créancier est prêt à assumer comme
contraintes pour gagner en sécurité patrimoniale (forme et durée de la constitution et
de la réalisation de la garantie, obligations à remplir au bénéfice du futur garant).
Le coût de la protection est également l’objet d’attentes spécifiques, avant
la conclusion du contrat de garantie. Si tout créancier espère qu’il lui en coûtera le
moins possible, en argent comme en temps, chacun nourrit des attentes plus précises
concernant le montant des dépenses à effectuer. Le ratio coût / avantages
supportable est ainsi variable d’un créancier à un autre.
26. La finalité assignée à la garantie personnelle constituée. Lors de la
conclusion de la garantie personnelle, chaque créancier nourrit de nouveau des
attentes particulières. Au vu de la nature et du contenu du contrat conclu, le
bénéficiaire espère, en effet, que la garantie personnelle protégera ses intérêts
pécuniaires selon certaines modalités33 et pour un certain prix.
Le bénéficiaire assigne alors une finalité particulière à la garantie mise en
place. Si toutes les garanties personnelles ont pour fonction d’augmenter les chances
d’extinction de la dette principale, chaque garantie personnelle effectivement
constituée se voit ainsi conférer, par son bénéficiaire, une finalité plus précise, qui
présente un caractère subjectif, et regroupe toutes les attentes générées par la
garantie personnelle elle-même.
27. Définition de l’efficacité subjective des garanties personnelles. La
définition de l’efficacité subjective des garanties personnelles repose sur les deux
niveaux d’attentes spécifiques à chaque créancier, ainsi que sur les effets produits
par la garantie34.
L’efficacité subjective des garanties personnelles consiste ainsi en un
double rapport d’adéquation : d’une part, une adéquation entre les attentes nées de
l’octroi de crédit et la finalité assignée à la garantie personnelle effectivement
conclue ; d’autre part, une adéquation entre cette finalité et les effets produits par la
constitution ou la réalisation de la garantie.
28. La « crise d’efficacité » des garanties personnelles. Au regard des
définitions de l’efficacité des garanties personnelles, il apparaît que la crise que
traversent ces mécanismes correspond à un manque d’efficacité. Quelques exemples
suffisent à s’en convaincre.
Les moyens de défense offerts à la caution par le législateur et par les juges, en
ce qu’ils empêchent, totalement ou partiellement, l’extinction de la dette principale
grâce à la réalisation de la garantie, compromettent l’efficacité objective du
cautionnement. 33 Ces modalités sont de même ordre que celles envisagées dans le cadre des attentes initiales. 34 Les effets pris en compte pour définir l’efficacité subjective des garanties personnelles étant
les mêmes que ceux envisagés dans le cadre de l’efficacité objective (cf. supra n°20, 21), il
n’est pas utile de leur consacrer de nouveaux développements.
Les obscurités et incohérences législatives, que les dernières réformes du
cautionnement ont multipliées, rendent quant à elles nécessaire l’interprétation
jurisprudentielle et compromettent, ce faisant, la réalisation des attentes subjectives
que le créancier avait pu nourrir en conférant une certaine signification aux textes en
vigueur.
Les requalifications des garanties personnelles innomées en cautionnement
entravent également l’efficacité subjective, puisqu’elles s’opposent à ce que la
réalisation de la garantie soit en adéquation avec les attentes subjectives initiales du
créancier.
29. Le caractère adéquat de l’efficacité comme instrument d’analyse des
garanties personnelles. En analysant les garanties personnelles sous l’angle de
l’efficacité, il est donc aisé de distinguer, au sein du droit positif, ce qui conforte la
sécurité des créanciers, de ce qui, au contraire, entrave leurs attentes. Le critère de
l’efficacité permet ainsi de prendre la mesure de la crise actuelle et d’en isoler les
causes.
Dès lors que les qualités et les imperfections du droit existant sont précisément
identifiées, il est possible d’envisager une réforme qui soit réellement constitutive
d’un progrès. Si la structure et le contenu de cette réforme étaient inspirés par
l’objectif de protection des intérêts des créanciers, le critère de l’efficacité pourrait
également permettre de sortir les garanties personnelles de la crise qu’elles
connaissent aujourd'hui.
30. La nécessaire mise en lumière des conditions juridiques de
l’efficacité des garanties personnelles. Pour que l’étude des garanties personnelles
à travers le prisme de l’efficacité présente ces avantages, l’efficacité objective et
l’efficacité subjective de ces garanties doivent être cernées de manière plus précise
qu’elles ne l’ont été jusqu’à présent. En effet, pour pouvoir, non seulement évaluer
dans le détail l’efficacité actuelle des garanties personnelles, mais aussi orienter leur
réforme, il ne suffit pas de connaître les éléments constitutifs de la notion
d’efficacité, ni les définitions de l’efficacité des garanties personnelles. Il est en plus
nécessaire de savoir quelles sont les conditions à réunir pour que ces garanties
puissent être efficaces, aussi bien in abstracto, qu’in concreto.
Il convient ainsi de mettre en avant les conditions juridiques de l’efficacité
des garanties personnelles, afin d’obtenir une grille d’analyse très détaillée de ces
mécanismes et du droit qui leur est applicable (1ère Partie), et d’évaluer par la suite,
au regard de cette grille, l’efficacité des garanties personnelles de lege lata (2ème
Partie).
Comme l’appréciation du droit positif des garanties personnelles, à la
lumière des conditions juridiques de leur efficacité, constitue un passage obligé pour
pouvoir envisager l’efficacité des garanties personnelles de lege ferenda (3ème
Partie), il est utile de fournir dès à présent des explications sur l’évaluation de
l’efficacité.
§2 : L’EVALUATION DE L’EFFICACITE
31. L’évaluation de l’efficacité actuelle des garanties personnelles exige une
appréciation de l’efficacité du droit qui leur est applicable. Or, l’évaluation du droit
sous l’angle de l’efficacité fait l’objet de sérieuses critiques. Il paraît donc important,
après avoir précisé la notion d’efficacité du droit (A), d’exposer les implications
réelles d’une telle évaluation dans le domaine des garanties personnelles (B).
A/ LA NOTION D’EFFICACITE DU DROIT
32. L’efficacité du droit dans un système formaliste. Dans la tradition
kantienne, l’analyse des normes repose sur une exigence de conformité, située au
plan de la valeur intrinsèque, et non à celui des faits empiriques. Kelsen a repris
cette approche pour soutenir que le critère principal de validité d’une règle juridique
est son mode d’édiction et non son application effective. La validité du droit dépend
ainsi du respect des normes supérieures, et au sommet, de la « norme
fondamentale »35. Dans ce système formaliste, la notion d’efficacité n’a aucune
autonomie par rapport à celle de validité, puisque l’efficacité est la pure et simple
expression de la hiérarchie des normes. Les sources du droit et les rapports organisés
entre elles sont à ce point prépondérants que l’effet des règles édictées est indifférent
à la normativité sur laquelle repose le droit.
33. L’efficacité du droit dans un système pragmatique. Dès qu’il est
admis que la réalisation du droit s’effectue aussi bien dans les faits que dans l’idée,
les effets du droit acquièrent, au contraire, une importance considérable, et
l’efficacité se détache alors nettement de la validité.
Dans un système pragmatique, l’efficacité du droit réside ainsi dans la
conformité des effets des règles légales et jurisprudentielles aux objectifs qu’elles
poursuivent. Elle se caractérise par l’« aptitude réelle des normes à réaliser leur
but »36.
Comme la notion d’efficacité du droit repose sur les résultats concrets des
normes et que l’effectivité du droit intéresse également les effets des règles, il
convient de préciser ce qui distingue ces notions voisines37.
35 H. KELSEN, Théorie générale du droit et de l’Etat, éd. Bruylant LGDJ, coll. La pensée
juridique, 1997, p. 164 à 166 36 Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, sous la direction de
A.-J. ARNAUD, LGDJ, 1993, V° Efficacité, par R. BETTINI. Dans le même sens, cf. J.-F.
PERRIN, Qu’est-ce que l’effectivité d’une norme ? Pour une théorie de la connaissance
juridique, Droz, Genève, 1979, p. 91 et s. : « degré de réalisation de l’objectif » ; M.-A.
FRISON-ROCHE, L’intérêt pour le système juridique de l’analyse économique du droit,
Cycle de conférences « Droit, Economie, Justice », 2004 : «Aptitude d’une règle à produire
les effets pour l’obtention desquels on l’a adoptée, et plus largement encore l’aptitude d’un
système à faire advenir les phénomènes qui lui sont bénéfiques » ; A. JEAMMAUD et
E. SERVERIN, Evaluer le droit, D. 1992, chron., p. 263 et s., n°8 ; F. RANGEON, Réflexions
sur l’effectivité du droit, in Les usages sociaux du droit, Centre universitaire de recherches
administratives et politiques de Picardie, PUF, 1989, p. 126 et s : « caractère d’un acte ou
d’une décision qui produit l’effet recherché par son auteur». 37 Les notions d’efficacité et d’effectivité du droit sont très souvent employées l’une pour
l’autre. Ainsi, dans le Vocabulaire juridique dirigé par G. CORNU (PUF, Quadrige, 3e éd.,
2002, p. 331), le terme efficacité n’est pas recensé. Par contre, celui d’effectivité est défini
comme « le caractère d’une règle qui produit l’effet voulu, qui est appliqué réellement ». Si la
seconde proposition de cette définition caractérise l’effectivité, la première se rapporte plutôt
à l’efficacité. Dans la traduction de l’ouvrage de référence de KELSEN (Théorie générale du
34. Définition de l’effectivité du droit. Même si, comme l’a démontré le
Doyen Carbonnier, l’effectivité du droit s’exprime différemment selon la nature de
la loi38, elle désigne toujours le respect des normes, la conformité de la conduite
humaine aux normes juridiques39. Le comportement des sujets de droit est au cœur
de la notion d’effectivité du droit. C’est toujours de l’écart entre la règle et la
pratique sociale (représentations et actions individuelles), que dépend le jugement
porté sur l’effectivité du droit40. L’effectivité du droit se définit donc comme « le
degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le
droit »41.
35. Définition de l’efficacité du droit. Alors que l’effectivité du droit se
reconnaît à sa mise en œuvre (pour les lois impératives), ou au moins à sa réception
droit et de l’Etat, éd. Bruylant LGDJ, coll. La pensée juridique, 1997), par B. LAROCHE, les
développements consacrés à la distinction entre la validité et l’efficacité du droit concernent,
en réalité, la distinction entre la validité et l’effectivité du droit. La confusion entre les deux
notions est même présente, selon nous, dans des travaux consacrant d’amples développements
à leur distinction (cf. F. RANGEON, ibid.). 38 Selon le Doyen Carbonnier (Effectivité et ineffectivité de la règle de droit, Année
sociologique, 1957-1958, in Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ,
9e éd., 1998, p. 141 à 144), à l’égard des lois supplétives, qui ne formulent que des
propositions, « l’applicabilité importe plus que l’application. Elle est à elle seule effectivité ».
L’inapplication n’est donc pas ici synonyme d’ineffectivité.
Il en va de même dans le cadre des lois permissives, c'est-à-dire des lois reconnaissant des
droits et des libertés aux individus. En effet, « on ne saurait pousser la notion d’effectivité,
pour les lois permissives, jusqu’à cette conséquence que tout ce qui est permis devrait être
effectivement pratiqué. L’effectivité de la loi qui consacre une liberté d’agir se situe non dans
l’action, mais dans la liberté même, c'est-à-dire dans le pouvoir de choisir l’inaction aussi
bien que l’action (…). C’est comme une fenêtre ouverte : même si l’on n’a pas la tentation de
s’évader, on respire mieux » (J. CARBONNIER, ibid., p. 143).
Finalement, ce n’est qu’en présence de lois impératives, qui ne laissent aucune place à la
volonté des individus, que l’effectivité exige l’application de la loi. Plus précisément,
l’effectivité suppose un comportement positif, une décision, quand l’ordre inscrit dans la loi
est positif ou, au contraire, une abstention, une absence de décision, quand l’ordre de la loi est
négatif. L’ineffectivité s’exprime alors par une violation, et pas seulement par une
inapplication. Certes, la sanction de la transgression rétablit, d’une certaine manière,
l’effectivité de la loi. Mais « l’effectivité est de médiocre qualité puisque son retour atteste
que le comportement ordonné par la loi n’a pas été effectivement suivi dans un premier
temps » (M.-A. FRISON-ROCHE, L’efficacité des décisions en matière de concurrence :
notions, critères, typologie, LPA 28 décembre 2000, n°259, n° 6). 39 En ce sens, cf. H. KELSEN, op. cit., p. 90 40 En ce sens, cf. J.-F. PERRIN, th. préc., p. 91 et s. ; N. SAUPHANOR, L’influence du droit
de la consommation sur le système juridique, LGDJ, 2000, préf. J. GHESTIN, n°17 ;
Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, dirigé par A.-J. ARNAUD,
LGDJ, 1993, V° Effectivité, par P. LASCOUMES ; M.-A. FRISON-ROCHE, L’intérêt pour
le système juridique de l’analyse économique du droit, Cycle de conférences « Droit,
Economie, Justice », 2004 ; A. JEAMMAUD et E. SERVERIN, art. préc., n°8 ;
P. LASCOUMES et E. SERVERIN, Théories et pratiques de l’effectivité du Droit, Droit et
société 1986, p. 101, 104 ; F. RANGEON, art. préc., p. 126 41 Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, dirigé par A.-J.
ARNAUD, LGDJ, 1993, V° Effectivité, par P. LASCOUMES
par les sujets de droit (pour les lois supplétives ou permissives), l’efficacité du droit
se caractérise par l’adéquation entre l’objectif poursuivi, d’une part, et les effets que
les normes produisent, d’autre part. Ce qui est au cœur de la notion d’efficacité du
droit, c’est le but poursuivi. C’est du degré d’accomplissement de l’objectif au
service duquel le droit est instrumentalisé que dépend le jugement porté sur
l’efficacité du droit42. L’inefficacité s’exprime par le fait que le droit « n’atteint pas
la cible qui lui était désignée »43. A l’inverse, l’efficacité du droit se manifeste par le
caractère adéquat de son contenu pour atteindre un résultat déterminé44.
L’efficacité du droit, ainsi définie, peut être mesurée. La question se pose
de savoir quelles sont les implications de cette évaluation.
B/ L’EVALUATION DE L’EFFICACITE
DU DROIT DES GARANTIES PERSONNELLES
36. Le caractère adéquat de l’efficacité comme critère d’évaluation du
droit des garanties personnelles. Une fois présentées les conditions juridiques de
l’efficacité des garanties personnelles (1ère Partie), le droit positif sera analysé au
regard de ces conditions, afin de déterminer dans quelle mesure son contenu est en
adéquation avec l’objectif d’efficacité des garanties personnelles. L’efficacité du
droit en vigueur lui-même fera donc l’objet d’une évaluation (2ème Partie).
Si l’efficacité est ainsi choisie comme critère d’appréciation du droit des
garanties personnelles, c’est parce que, l’efficacité du droit se caractérisant par
l’aptitude des normes à réaliser l’objectif qui leur est assigné, son évaluation peut
permettre de découvrir quelles sont les règles qui sont conformes à l’objectif
d’efficacité des garanties personnelles et quelles sont celles, au contraire, qui
compromettent la réalisation des attentes objectives et subjectives des créanciers.
Autrement dit, grâce à l’évaluation du droit positif des garanties personnelles à
travers le prisme de l’efficacité, le constat de crise initialement formulé pourra être
consolidé, l’étendue et les raisons de la crise pourront être mises au jour, et les
propositions de réforme auront donc d’autant plus de chances de pouvoir remédier à
cette crise. Le choix en faveur de l’efficacité est ainsi dicté par l’objectif de la
réflexion.
37. L’efficacité, comme critère d’évaluation du droit, ne phagocyte pas
les autres modes d’appréciation. L’évaluation de l’efficacité du droit n’exclut
nullement d’autres modes d’appréciation, notamment ceux auxquels les juristes sont
particulièrement familiers, à savoir la validité et la légitimité. Il est excessif de
42 En ce sens, cf. P. LASCOUMES et E. SERVERIN, art. préc., p. 104 43 P. LASCOUMES et E. SERVERIN, ibid., p. 119. Ces auteurs relèvent deux manifestations
de l’inefficacité du droit. En premier lieu, la législation n’a pas atteint l’objectif qu’on lui
avait assigné. En second lieu, elle a produit d’autres résultats que ceux attendus. Cette
seconde manifestation de l’inefficacité du droit, ayant trait aux effets pervers, ne nous semble
pas distincte de la première. Elle en constitue plutôt une modalité. 44 En ce sens, cf. C. OUERDANE-AUBERT de VINCELLES, Altération du consentement et
efficacité des sanctions contractuelles, th. Paris II, 2000, sous la direction d’Y. LEQUETTE,
n°3 ; J.-F. PERRIN, th. préc., p. 91 et s. ; Dictionnaire encyclopédique de théorie et de
sociologie du droit, sous la direction de A.-J. ARNAUD, LGDJ, 1993, v° Efficacité ;
F. RANGEON, art. préc.
prétendre que l’analyse des normes à l’aune de l’efficacité bouleverse les modes
d’appréciation traditionnels du droit et manifeste même « une dissolution du
normativisme positiviste »45, c'est-à-dire une remise en cause de l’approche
kelsenienne du droit.
En effet, l’efficacité du droit intéresse essentiellement les résultats concrets des
normes, et elle s’exprime par la réalisation des fins assignées aux règles de droit. La
validité du droit, quant à elle, est relative à la source des règles, et elle se caractérise
par le respect de « la norme fondamentale ». Validité et efficacité du droit ne
concernant pas les mêmes aspects du droit, il n’y a aucune raison de considérer que
l’une puisse phagocyter l’autre. Validité et efficacité du droit n’ayant pas le même
champ, le questionnement du droit en termes d’efficacité n’est pas en mesure de
remettre en cause l’appréciation kelsenienne de la validité du droit.
Il en va de même à l’égard de l’appréciation de la légitimité du droit. Pour
Kelsen, le principe de légitimité signifie que les normes « demeurent valides tant
qu’elles ne perdent pas leur validité selon le procédé déterminé par l’ordre
juridique »46. La légitimité du droit dépend ainsi de sa validité formelle. Comme la
validité et l’efficacité intéressent des aspects distincts des normes, la légitimité du
droit ne risque pas non plus d’être affectée par l’évaluation de l’efficacité du droit.
Si l’on quitte la théorie kelsenienne, et que l’on s’attache à la légitimité du
droit définie par référence à un droit idéal, à des valeurs telles que la justice, la
cohérence et la complétude, il semble encore excessif de considérer que l’efficacité
du droit puisse devenir « la condition et la caution de sa légitimité »47. Il ne s’agit
pas de nier que l’efficacité du droit participe de sa légitimité, mais seulement de
relativiser le rôle joué par l’efficacité dans l’appréciation de la légitimité du droit.
Cette légitimité repose sur de multiples critères et l’efficacité n’est que l’un d’eux48.
L’approche du droit en termes d’efficacité n’implique donc pas de substituer le
critère d’efficacité à tout autre instrument d’appréciation.
L’évaluation de l’efficacité du droit des garanties personnelles n’a ainsi
aucune prétention à l’exclusivité. Elle ne rend pas inutiles d’autres formes
d’évaluation. Si le droit des garanties personnelles ne sera étudié qu’à travers le
prisme de l’efficacité, ce n’est donc pas parce que cet angle d’analyse est en toute
hypothèse le plus approprié, mais seulement parce qu’il est spécialement adapté
lorsqu’il est question d’apporter des améliorations au droit existant.
38. La nécessaire mise en lumière des raisons de l’efficacité et de
l’inefficacité des garanties personnelles de lege lata. L’évaluation de l’efficacité
du droit positif met au jour les règles satisfaisantes ou, au contraire, les lacunes du
45 P. LASCOUMES et E. SERVERIN, art. préc, p. 121. Dans le même sens, cf.
N. SAUPHANOR, th. préc., n°14 et 15 46 H. KELSEN, op. cit., p. 171 47 J. CHEVALLIER, Vers un droit postmoderne ?, in Les transformations de la régulation
juridique, LGDJ, 1998, coll. « Droit et société. Recherches et travaux », n°5, dirigé par
J. CLAM et G. MARTIN, p. 38. C’est nous qui soulignons. 48 En ce sens, cf. B. DEFFAINS, Le défi de l’analyse économique du droit : le point de vue de
E. MACKAAY, La règle juridique observée par le prisme de l’économiste. Une histoire
stylisée du mouvement de l’analyse économique du droit, Rev. Intern. Dr. Eco. 1986, t.1, p.43
et s. 53 Les externalités sont « des bienfaits ou des pertes que subit une personne à la suite
d’activités d’une autre et dont ne tient pas compte cette dernière dans la décision de les
entreprendre » (E. MACKAAY, ibid., p. 51 à 68). La pollution que crée une entreprise au
détriment des voisins en fournit une illustration. Les externalités sont une tare dans le schéma
de l’économiste, puisqu’à cause d’elles le prix du produit ne reflète pas l’ampleur (la rareté)
réelle des ressources nécessaires pour le fabriquer. On ne peut plus alors être certain que
l’action autonome de milliers d’agents autonomes aboutira nécessairement à un optimum pour
tous. Les économistes préconisent que l’Etat intervienne pour faire « internaliser » les effets
externes par ceux qui les causent ou pour corriger autrement la situation. 54 Sur la fonction du droit des contrats, cf. B. DEFFAINS, art. préc. ; E. MACKAAY, art.
préc., p. 51 à 68 55 Sur cette conception moderne (ou technologique) de la loi, par opposition à la conception
révolutionnaire, d’ordre essentiellement juridique, cf. J.-C. BECANE et M. COUDERC, La
loi, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 1994, p. 69 à 86 ; G. BURDEAU, Essai sur l’évolution
de la notion de loi en droit français, APD, Sirey, 1939, p. 7 et s. ; G. BURDEAU, Le déclin
de la loi, in Le dépassement du droit, APD, Sirey, 1963, p. 35 et s ; J. CHEVALLIER, Vers
un droit postmoderne ?, in Les transformations de la régulation juridique, LGDJ, coll. « Droit
et société. Recherches et travaux », n°5, dirigé par J. CLAM et G. MARTIN, p. 21 et s. ; Ph.
GERARD, La science de la législation en Belgique. Bilan et perspective, in La science de la
législation, Travaux du Centre de philosophie du droit, PUF, 1988, p. 51 et s. ; F. TERRE, La
« crise de la loi », in La loi, APD, Sirey, 1980, p. 17 et s. 56 Le droit est instrumentalisé lorsque son élaboration vise un certain changement social. Les
objectifs du droit ne sont pas alors découverts a posteriori. Ils sont déterminés a priori et
président à l’élaboration même de la règle, tant dans sa forme, qu’au fond. « Les fins
poursuivies deviennent l’objectif premier du pouvoir juridique et ce en quoi la normativité est
la plus forte » (M.-A. FRISON-ROCHE et W. BARANES, Le principe constitutionnel de
l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi, D. 2000, chron., p. 361 et s., n°11). Au niveau
au service de l’efficacité économique. Le droit est un « outil » ou, plus poétiquement
une « fée » 57, ayant pour objectif de favoriser les échanges les plus fructueux58.
42. Les critiques adressées à la recherche de l’efficacité par la doctrine
civiliste. Cette conception instrumentale de la règle de droit et la poursuite de
l’objectif d’efficacité par le législateur et par les juges ne sont pas défendues avec la
même vigueur dans les pays de droit civil. Bien au contraire, la recherche de
l’efficacité par le droit y est plutôt considérée comme suspecte, voire comme
dangereuse, car elle impliquerait, d’une part, la standardisation du droit et, d’autre
part, la négation de valeurs juridiques fondamentales. Ces critiques paraissent tout à
fait excessives.
43. La recherche de l’efficacité n’implique pas la standardisation du
droit. En premier lieu, il est reproché à la recherche de l’efficacité de traduire « une
conception taylorienne de l’application du droit selon laquelle il y aurait une
manière et une seule permettant de rendre le droit efficace»59. La poursuite de
l’objectif d’efficacité par le droit aurait ainsi pour conséquence d’imposer des
modèles d’efficacité. Modèle concernant le degré d’impérativité des normes : « les
normes réglementaires injonctives deviennent, dans une perspective d’efficacité, le
modèle dominant »60. Modèle concernant aussi le règlement des litiges, puisque la
recherche de l’efficacité du droit impliquerait « la substitution à l’espace
juridictionnel d’espaces de négociation, c'est-à-dire d’espaces où la question du
résultat attendu prime sur la confrontation des règles »61.
formel, l’instrumentalisation du droit se traduit par l’explicitation des buts de la loi. La
formulation des objectifs cesse d’être l’apanage des travaux préparatoires, et elle accède à une
certaine normativité, en éclairant l’interprétation à donner à la règle de droit et en produisant
des effets sociaux (en ce sens, cf. N. MOLFESSIS, La distinction du normatif et du non
normatif, RTD civ. 1999, p. 734).
Sur la conception instrumentale de la règle de droit, cf. notamment M.-A. FRISON-ROCHE,
L’efficacité des décisions en matière de concurrence : notions, critères, typologie, LPA 28
décembre 2000, n°259, p. 4 et s. ; M.-A. FRISON-ROCHE, L’intérêt pour le système
juridique de l’analyse économique du droit, Cycle de conférences « Droit, Economie,
Justice », 2004 ; B. OPPETIT, Les tendances régressives dans l’évolution du droit
contemporain, Mélanges D. Holleaux, Litec, 1990 ; B. OPPETIT, Droit et économie, APD,
t. 37, Sirey, 1992, p.17 et s. ; F. RANGEON, Réflexions sur l’effectivité du droit, in Les
usages sociaux du droit, Centre universitaire de recherches administratives et politiques de
Picardie, PUF, 1989, p. 127 57 F. GRUA, La fée et l’horloge, RTD civ. 2001 : « il faut distinguer une force qui pousse et
une force qui tire. L’origine du texte peut résider dans l’effet qu’on en attend, comme l’on
fabrique un outil. Le point de départ de la logique est extérieur au droit proprement dit,
puisque la règle cherche à adapter le droit à la réalité sociale. Parfois la loi n’est pas
imposée par un résultat à atteindre, mais par un sens à suivre. Quand le droit s’élabore pour
produire un résultat et transformer des désirs en réalité, il est fée. Quand il met en place des
rouages pour imprimer des directions, il devient horloge ». 58 Sur la définition parétienne de l’efficacité retenue par les principaux courants de l’analyse
économique du droit, cf. supra n°17 59 En ce sens, cf. F. RANGEON, art. préc., p. 132 60 P. LASCOUMES et E. SERVERIN, Théories et pratiques de l’effectivité du Droit, Droit et
société 1986, p. 121 61 P. LASCOUMES et E. SERVERIN, ibid., p. 121
Cette crainte de l’asservissement du droit à un « modèle idéal d’efficacité
»62 est certainement infondée, car la recherche de l’efficacité consiste à choisir la
structure et le contenu de la réglementation, ainsi que le mode de règlement des
litiges, en fonction des conditions juridiques de l’efficacité. Or, si certaines de ces
conditions sont communes à l’ensemble des mécanismes juridiques, d’autres sont au
contraire propres à chacun d’eux63. La recherche de l’efficacité conduit ainsi à
élaborer un modèle d’efficacité pour chaque objet réglementé, et non à imposer un
modèle unique d’efficacité. Elle n’implique donc pas la standardisation du droit.
44. La recherche de l’efficacité n’implique pas la négation de valeurs
juridiques fondamentales. En second lieu, la poursuite de l’objectif d’efficacité par
le droit est décriée, car elle contreviendrait à des valeurs juridiques fondamentales64.
Cette critique repose sur le syllogisme suivant.
La recherche de l’efficacité consiste à favoriser la « Pareto optimalité ».
La poursuite de l’objectif d’efficacité économique au sens de Pareto porte
atteinte à des valeurs juridiques fondamentales.
Donc, la recherche de l’efficacité implique la négation de valeurs juridiques
fondamentales.
Aucune des propositions de ce raisonnement n’emporte la conviction.
Tout d’abord, la recherche de l’efficacité révèle certes une conception
instrumentale de la règle de droit, c'est-à-dire la mise au premier plan du but dans la
formation du droit, mais en aucun cas la préférence absolue pour un but particulier.
Il est réducteur de limiter la poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit à la
recherche de la « Pareto optimalité ». Non seulement l’efficacité économique n’est
pas un objectif uniforme (à l’égard des contrats unilatéraux, elle s’exprime par la
protection des intérêts financiers de l’unique créancier, alors que dans le cadre des
62 F. RANGEON, art. préc., p. 132 63 Au sein des conditions juridiques de l’efficacité des garanties personnelles (cf. 1ère Partie),
celles qui concernent, plus largement, tous les mécanismes juridiques ont trait aux qualités
formelles du droit (notamment la clarté, la cohérence, la stabilité). Les conditions d’efficacité
propres aux garanties personnelles se rattachent, quant à elles, à leur fonction de protection
des intérêts financiers des créanciers (l’efficacité objective des garanties personnelles dépend
de l’intervention du législateur et des juges en faveur de ces intérêts pécuniaires, sous la
forme de mesures directement protectrices ou même de contraintes. Leur efficacité subjective
exige, par contre, que les créanciers puissent user de la liberté contractuelle pour adapter la
garantie à leur besoin de protection) et à leurs caractéristiques techniques (les règles de droit
doivent notamment tenir compte du caractère accessoire ou indépendant de la garantie, de la
cause de l’obligation de couverture du garan). 64 Sur cette critique, cf. Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit,
dirigé par A.-J. ARNAUD, LGDJ, 1993, v° Effectivité, par P. LASCOUMES, n°4 ;
B. LEMENNICIER, Economie du droit, Cujas, 1991, p. 24 ; M. FONTAINE, Fertilisations
croisées du droit des contrats, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 347 et s., n°7 ; M.-A.
FRISON-ROCHE, L’intérêt pour le système juridique de l’analyse économique du droit,
Cycle de conférences « Droit, Economie, Justice », 2004 ; P. LASCOUMES et E.
SERVERIN, art. préc., p. 122 ; M. LOMBARD, De Colbert à Posner : malentendus sur
l’économie du droit, International Law FORUM du droit international, 2004 ;
E. MACKAAY, Le juriste a-t-il le droit d’ignorer l’économiste ?, RRJ 1987-2, p. 419 et s. ;
F. RANGEON, art. préc., p. 127
contrats synallagmatiques, elle se manifeste par l’échange le plus fructueux65 ; en
matière délictuelle, elle consiste à orienter la charge des risques vers ceux qui
peuvent les prévenir, les assumer, ou les assurer au moindre coût66), mais surtout il
est loin d’être le seul que le droit se voit assigner67. Des branches entières du droit,
comme le droit extrapatrimonial de la famille, ne sont pas commandées par des fins
de nature économique. Cela n’empêche cependant pas de rechercher leur
efficacité68.
Ensuite, l’objectif d’efficacité économique n’est pas nécessairement
incompatible avec d’autres finalités, telles que la justice, l’éthique, la liberté,
l’égalité ou l’ordre. Il sera ainsi démontré que la protection des intérêts patrimoniaux
des créanciers peut être conciliée avec ces impératifs fondamentaux que sont la
justice et l’éthique contractuelles, et qu’elle peut même être favorisée par le respect
de valeurs, telles que la loyauté, la solidarité, la tempérance ou la sécurité
juridique69.
Si la recherche de l’efficacité est qualifiée péjorativement
d’« utilitariste »70, de « gestionnaire »71, c’est donc parce qu’une confusion
injustifiée est opérée entre cette recherche et la poursuite de l’objectif d’efficacité
65 Cf. supra n°17 66 L’analyse économique du droit dépeint ainsi la responsabilité comm un système ayant pour
mission de minimiser la somme des coûts des accidents et de leur prévention (cf. E.
MACKAAY, Le droit relatif aux accidents : une interprétation économique, Rev. jurid.
Thémis 15, 1980-1981, p. 383 ; E. MACKAAY, L’analyse économique du droit dans les
systèmes civilistes, Colloque international de Nancy 2 des 28 et 29 juin 2000 ). 67 Les philosophes et théoriciens du droit sont parvenus à établir des catégories de fins que le
droit est susceptible de poursuivre. M. VILLEY (Philosophie du droit, Définitions et fins du
droit, t. 1, Précis Dalloz, 4e éd., 1986, p. 47 et s.) retient que le Droit a quatre finalités, non
exclusives les unes des autres : la justice, la bonne conduite, le service des hommes et le
service de la société. B. OPPETIT (Philosophie du droit, Précis Dalloz, 1999, n°17 à 20)
regroupe ces fins en trois rubriques (comportant elles-mêmes nombre de variantes) : la justice,
les fins individuelles et les fins collectives. J.-L. BERGEL (Théorie générale du droit, Dalloz,
Coll. Méthodes du droit, 1999, n° 23 à 29) considère que les divers systèmes juridiques sont
toujours confrontés à deux grandes alternatives : justice ou utilité ; individualisme ou
collectivisme. 68 En ce sens, cf. C. OUERDANE-AUBERT de VINCELLES, Altération du consentement et
efficacité des sanctions contractuelles, th. Paris II, 2000, sous la direction d’Y. LEQUETTE,
n°3 : « l’efficacité dispose d’un sens neutre et peut s’appliquer dans n’importe quel domaine
non économique. L’approche de l’efficacité dépend de la nature des finalités poursuivies. Si
elles sont économiques et productives, la transposition de l’efficacité au droit
instrumentalisera, en effet, l’approche des normes juridiques. Mais si la finalité poursuivie
par la norme est la recherche d’une plus grande justice ou de l’équité, l’appréciation de
l’efficacité de la norme mesurera la capacité de celle-ci à atteindre cet objectif. Apprécier le
droit en terme d’efficacité n’est pas le rabaisser à un simple outil vulgaire dénué de toute
dimension symbolique : le droit poursuit des finalités diverses, comme la justice, l’ordre, la
liberté ou l’égalité, et dès lors qu’existe une finalité, un objectif, il est légitime de s’interroger
sur l’aptitude de la norme choisie à l’atteindre ». 69 Sur les rapports entre l’objectif d’efficacité et les principes directeurs du contrat, cf. infra
n°117 à 172. Sur les rapports entre l’objectif d’efficacité et le principe de sécurité juridique,
cf. infra n°177 à 236 70 F. RANGEON, art. préc., p. 127 71 P. LASCOUMES et E. SERVERIN, art. préc., p. 122 ; F. RANGEON, ibid., p. 127
économique. Et si cette recherche est accusée de faire perdre au droit ses valeurs, et
même de faire reculer l’Etat de droit, c’est parce que l’objectif d’efficacité
économique est considéré, à tort, comme incompatible avec la promotion, par le
droit, de valeurs morales et symboliques.
45. La nécessaire recherche de l’efficacité des garanties personnelles. La
poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit n’a donc pour corollaire, ni la
standardisation du droit, ni la négation de valeurs juridiques fondamentales. Elle
implique simplement que le législateur et les juges favorisent l’accomplissement de
la fonction des mécanismes juridiques, ainsi que la réalisation des attentes
subjectives des sujets de droit. Dans ces conditions, la recherche de l’efficacité ne
devrait pas être fustigée. Elle devrait plutôt être encouragée, particulièrement
lorsqu’un mécanisme ne remplit plus la fonction pour laquelle il est conçu et les
finalités qui lui sont assignées, et qu’il est dès lors question de le réformer.
Une reconstruction du droit des garanties personnelles, orientée par la
recherche de leur efficacité, mérite ainsi d’être défendue à l’heure où leur réforme
est plus que jamais d’actualité72. Afin de dissiper les dernières réserves qui
pourraient entourer la poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit et de démontrer,
au contraire, la pertinence de cette recherche de l’efficacité pour sortir les garanties
personnelles de la crise qu’elles traversent, il convient désormais de présenter les
principales caractéristiques de la reconstruction préconisée.
B/ LA RECONSTRUCTION DU DROIT DES GARANTIES PERSONNELLES
DICTEE PAR LA RECHERCHE DE L’EFFICACITE
46. La structure de la reconstruction : un régime primaire complété par
des règles spéciales. Pour faire cesser la logique de substitution et l’inefficacité des
garanties personnelles innomées qui en découle, le législateur ne devrait plus
réglementer le seul cautionnement, mais réformer globalement le droit des garanties
personnelles.
Plutôt que de réduire la diversité actuelle des garanties personnelles, en
interdisant de manière générale certaines d’entre elles, ce qui entraverait la
réalisation des attentes subjectives des bénéficiaires et ne ferait qu’encourager de
nouveaux contournements, le législateur devrait encadrer cette diversité, tout en
confortant les attraits propres des différentes garanties.
Pour ce faire, il devrait s’intéresser, tant aux caractéristiques que partagent
l’ensemble des garanties personnelles, qu’à leurs spécificités, et faire application du
principe de logique formelle selon lequel une identité de nature doit se traduire par
une identité de régime et des différences de nature par des différences de régime73.
Le nouveau droit des garanties personnelles reposerait alors sur un régime primaire
et sur des règles spéciales.
72 Sur le consensus doctrinal et politique en faveur d’une réforme du droit des garanties
personnelles, cf. supra n°1. Sur les nouvelles exigences communautaires relatives aux
« contrats de sûreté » conclus par un «garant consommateur», cf. infra n°745 et s. 73 Sur ce principe, cf. principalement J.-L. BERGEL, Différence de nature = différence de
régime, RTD civ. 1984, p. 255 et s., n°3 ; J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Dalloz,
Coll. Méthodes du droit, 1999, n°192
47. L’efficacité du régime primaire. Un régime primaire présenterait de
multiples avantages en termes d’efficacité.
Il améliorerait, tout d’abord, la qualité formelle du droit des garanties
personnelles. Celui-ci gagnerait, en effet, en intelligibilité, en cohérence et en
prévisibilité.
En entravant la logique de contournement, le régime primaire pourrait, par
ailleurs, empêcher l’inefficacité liée à l’assimilation des garanties personnelles
jusqu’ici innomées à des substituts du cautionnement.
Enfin, sous réserve de reposer sur des critères de liaison suffisamment
généraux, les règles communes à toutes les garanties personnelles pourraient
immédiatement s’appliquer à des mécanismes encore non utilisés à cette fin. Cela
éviterait, non seulement l’inefficacité découlant de l’absence de réglementation
spéciale, mais aussi l’obsolescence rapide de la réforme, et donc l’inefficacité
résultant de l’instabilité des règles de droit.
48. L’efficacité des règles spéciales. Les règles spéciales pourraient, quant à
elles, supprimer l’inefficacité provenant de la lacune de la loi concernant les
garanties personnelles autres que le cautionnement.
En outre, grâce aux règles propres aux différentes catégories de garanties
personnelles, une véritable complémentarité entre ces mécanismes pourrait être
instaurée. Ce faisant, ils ne seraient plus choisis négativement, c'est-à-dire dans le
but d’éviter les défauts des autres garanties, mais positivement, c'est-à-dire en raison
des avantages qu’ils présentent au regard de la situation particulière des parties. Les
chances de satisfaction des attentes subjectives des créanciers nées lors de l’octroi de
crédit s’en trouveraient renforcées.
Enfin, les règles spéciales pourraient consacrer les spécificités imprimées par
les parties au contrat conclu et favoriser, par là même, la réalisation de la finalité
assignée à celui-ci.
49. Pour que le régime primaire et les règles spéciales puissent perfectionner
de la sorte le droit en vigueur et mettre ainsi un terme à la « crise d’efficacité »
actuelle, il convient de les faire reposer respectivement sur les caractéristiques
communes à l’ensemble des garanties personnelles et sur des caractéristiques
distinctives pertinentes.
50. Les caractéristiques des garanties personnelles fondant le régime
primaire. Au titre des caractéristiques partagées par toutes les garanties
personnelles figurent, d’une part, les effets qu’elles sont susceptibles de produire sur
la situation du créancier74 et sur celle du débiteur75 et, d’autre part, les moyens
74 Sur les effets de la seule constitution de la garantie personnelle et sur les effets de sa
réalisation, cf. supra n°21
La seule constitution de la garantie peut conférer au bénéficiaire un droit d’agir contre un
tiers, voire contre le débiteur principal lui-même (hypothèse de la solidarité passive). Cette
prérogative, qui anticipe le risque d’inexécution du débiteur, ne résulte pas du seul droit de
gage général de l’article 2092 du Code civil.
La réalisation de la garantie peut conduire au recouvrement de la créance principale et éviter
au bénéficiaire d’entrer en concours avec les autres créanciers du débiteur. 75 La seule conclusion de la garantie personnelle est susceptible d’augmenter les chances du
débiteur d’accéder au crédit ou de conserver celui déjà octroyé.
qu’elles mettent en œuvre pour protéger les intérêts financiers des créanciers, c'est-à-
dire leurs techniques de garantie76.
Les règles fondées sur les effets possibles des garanties personnelles pourraient
concerner d’autres mécanismes de garantie, qui sont susceptibles de conduire aux
mêmes résultats. Tel est notamment le cas des sûretés réelles classiques et des
sûretés reposant sur le droit de propriété. En revanche, les règles fondées sur les
techniques de garantie propres aux garanties personnelles ne devraient s’appliquer
qu’à celles-ci.
En conséquence, au sein du régime primaire, une distinction pourrait être
opérée entre les règles applicables aux seules garanties personnelles et les règles
pouvant être étendues à d’autres mécanismes de garantie.
51. Les caractéristiques des garanties personnelles fondant les règles
spéciales. S’agissant des différences séparant les garanties personnelles, elles sont
nombreuses et n’ont pas toutes la même portée normative. Il est donc nécessaire de
choisir des critères de différenciation appropriés au regard de l’objectif d’efficacité.
A cet égard, certaines distinctions déjà présentes en droit positif pourraient être
conservées. Des règles spéciales pourraient ainsi se rapporter aux seuls garants
personnes physiques77. D’autres pourraient être fondées sur l’objet de l’obligation de
règlement du garant et concerner uniquement, soit les garanties personnelles
accessoires, soit les garanties personnelles indépendantes78.
Un critère de distinction nouveau pourrait en plus être adopté. Il s’agit de la
cause de l’obligation de couverture du garant. Des règles spéciales seraient ainsi
justifiées par les raisons (cause efficiente) et les buts (cause finale) de l’engagement
du garant. Le garant non débiteur du débiteur principal, ne s’engageant pas pour
éteindre une dette préalable envers ce dernier, pourrait dès lors se voir appliquer un
corps de règles spécifiques. Le garant personne physique affectivement proche du
débiteur principal, ne s’engageant pas dans un but professionnel ou commercial,
pourrait également bénéficier d’un régime spécial, comme l’exige d’ailleurs la
proposition de directive communautaire du 11 septembre 2002 relative au crédit aux
consommateurs. Enfin, les garants personnes physiques ou morales octroyant des
garanties à titre professionnel, ou intégrés dans les affaires de l’entreprise débitrice,
pourraient encore être soumis à des règles particulières.
76 La première de ces techniques est l’obligation de garantir, composée de deux obligations :
l’obligation de couverture et l’obligation de règlement. La seconde technique de protection
des intérêts financiers du créancier est le caractère accessoire essentiel, qui est le lien
fondamental unissant la garantie personnelle au contrat principal. 77 Les dernières réformes du droit du cautionnement n’ont pas visé l’ensemble des cautions,
mais seulement les cautions personnes physiques. Cette dissociation entre les cautions
personnes morales et les cautions personnes physiques apparaît dans toutes les lois
d’influence consumériste : la loi du 31 décembre 1989 (article L. 313-9 du Code de la
consommation), la loi du 29 juillet 1998 (article 2016 alinéa 2 du Code civil ; article L. 341-1
du Code de la consommation ; article 47-II alinéa 3 de la loi du 11 février 1994) et la loi du
1er août 2003 pour l’initiative économique (articles L. 341-2 à L. 341-6 du Code de la
consommation). 78 L’objet de l’obligation de règlement du garant est le critère retenu par la Cour de cassation
pour distinguer la garantie autonome du cautionnement (Cass. com., 13 décembre 1994 : Bull.
civ. IV, n°375).
52. Le contenu de la reconstruction : les deux formes de protection des
intérêts du créancier. Aussi bien dans le régime primaire, que dans les différents
corps de règles spéciales proposés, la recherche de l’efficacité invite à conforter la
réalisation des attentes objectives et subjectives des bénéficiaires. Dans la réforme
globale du droit des garanties personnelles, cette protection des intérêts financiers
des créanciers devrait revêtir deux formes.
Comme l’on peut s’en douter, il convient, tout d’abord, d’instaurer des
protections directes, c'est-à-dire des règles immédiatement favorables aux
bénéficiaires79, qui fassent primer la fonction de garantie sur toute autre
considération, notamment sur le « caractère accessoire renforcé »80 du
cautionnement81, ou encore sur le souci de protéger les héritiers du garant82.
Il est par ailleurs nécessaire de mettre en place des protections indirectes,
c'est-à-dire d’imposer aux créanciers des contraintes utiles à l’efficacité de la
garantie conclue. Contrairement à une idée répandue, l’efficacité ne dépend pas, en
effet, que de mesures directement protectrices des créanciers et de la liberté
reconnue à ceux-ci de faire souscrire aux garants des engagements particulièrement
rigoureux. Certaines mesures coercitives, qui portent en apparence atteinte aux
droits des créanciers, renforcent, en réalité, l’efficacité de la garantie constituée, en
ce qu’elles rendent plus sûre la solvabilité du garant lors de l’appel de la garantie, ou
en ce qu’elles diminuent les risques de contestation de celle-ci. Tel est le cas de
l’obligation précontractuelle d’information portant sur la nature et la portée de
l’engagement du garant, de l’obligation d’information relative à l’encours de la dette
principale, ou encore de l’obligation d’information lors du premier incident de
paiement du débiteur. Les restrictions à la liberté de déterminer le montant et la
durée de l’engagement du garant sont également susceptibles de réduire les risques
d’insolvabilité de ce dernier et donc d’inefficacité de la garantie. L’exécution
volontaire du garant peut en outre être favorisée par les recours dont il dispose à
l’encontre du débiteur principal et donc par l’obligation imposée aux créanciers de
préserver le recours subrogatoire (bénéfice de cession d’actions). A condition de ne
protéger que les garants ayant besoin de l’être et d’être assorties de sanctions tout à
la fois dissuasives et proportionnées, ces diverses contraintes mises à la charge des
créanciers pourraient donc servir les intérêts de ceux-ci et devraient ainsi être
organisées à l’occasion de la reconstruction du droit des garanties personnelles
dictée par la recherche de l’efficacité.
79 La consécration du principe d’inopposabilité des exceptions en matière de garanties
personnelles indépendantes serait ainsi immédiatement favorable aux créanciers. 80 Nous proposons de distinguer le caractère accessoire essentiel, commun à toutes les
garanties personnelles et s’expliquant par le fait que la cause de l’obligation de règlement du
garant réside dans l’extinction de la dette principale, du caractère accessoire renforcé, propre
aux garanties personnelles dans lesquelles l’objet de l’obligation de règlement est emprunté à
l’objet de l’obligation principale. Sur cette distinction, cf. infra n°271, 279, 302 81 L’exclusion des causes d’extinction de la garantie découlant de la procédure collective ou
de surendettement du débiteur principal (notamment le défaut de déclaration de la créance et
la suspension des poursuites contre la caution personnelle personne physique pendant la
période d’observation et éventuellement les deux ans suivants) fournit une illustration de cette
primauté de la fonction de garantie. 82 La transmission de la garantie personnelle aux héritiers, sans distinction tenant à la date de
naissance de la dette principale, constituerait ainsi une protection directe des intérêts des
créanciers.
53. Plan de l’étude. Après avoir exposé les conditions juridiques de
l’efficacité des garanties personnelles (1ère Partie) et évalué, à la lumière de ces
conditions, l’efficacité de ces mécanismes de lege lata (2ème Partie), il sera donc
démontré que l’efficacité des garanties personnelles, de lege ferenda, est
essentiellement subordonnée à l’instauration d’une réglementation d’ensemble
stratifiée (un régime primaire complété par des règles spéciales), respectueuse des
droits des garants, tout en étant avant tout tournée vers la protection des intérêts des
créanciers (3ème Partie).
Première partie
LES CONDITIONS JURIDIQUES
DE L’EFFICACITÉ :
UNE GRILLE D’ANALYSE
54. L’efficacité est un objectif. L’efficacité n’est pas une qualité innée. Rien
n’est efficace en soi. L’adéquation entre les attentes objectives et subjectives
générées par un objet et les résultats que celui-ci produit est essentiellement
contingente pour deux raisons. D’une part, l’objet en question peut être privé de
certaines qualités indispensables à l’accomplissement de sa fonction ou à la
réalisation de la finalité qui lui est attribuée. D’autre part, des circonstances
extérieures à l’objet lui-même sont susceptibles d’entraver la conformité de ses
effets à sa fonction ou à sa finalité. Ces incertitudes expliquent que l’efficacité
n’existe pas nécessairement et qu’elle ne soit, par conséquent, qu’un objectif.
L’efficacité des garanties personnelles ne déroge pas à la règle. Divers
obstacles peuvent, en effet, empêcher la seule constitution ou la réalisation de la
garantie d’accroître la sécurité patrimoniale des créanciers. L’efficacité des garanties
personnelles est surtout rendue incertaine par la propension des garants à se
soustraire à leur engagement et par les échappatoires que leur offrent les textes et la
jurisprudence83. C’est donc parce que les garants ont toujours eu tendance à se délier
de leurs obligations84 et parce que le législateur et les juges manifestent, de manière
chronique, le souci de ménager le sort de ces garants, que l’efficacité des garanties
personnelles n’est pas une certitude, mais seulement un objectif.
83 Sont des échappatoires les interdictions légales d’appeler le garant en paiement,
temporaires ou définitives, les causes de réduction, voire d’extinction, de l’engagement du
garant, ainsi que les délais accordés à celui-ci par la loi ou les juges. 84 L’explosion du contentieux en matière de cautionnement depuis une vingtaine d’années ne
doit pas laisser croire que cette propension est propre à l’époque contemporaine. Depuis aussi
longtemps que les garanties personnelles existent, leur efficacité est entravée par le penchant
des garants à contester leurs obligations. Un chapitre entier du Livre des Proverbes de
l’Ancien Testament, recensant les maximes de comportement prônées par le roi Salomon,
décrit déjà cette inclination (cf. notamment les proverbes, 6, 1-5 : « Mon fils, si tu t’es porté
garant envers ton prochain, si tu as topé dans la main en faveur d’un étranger, si tu t’es lié
par les paroles de ta bouche, si tu es pris aux paroles de ta bouche, fais donc ceci, mon fils,
pour te tirer d’affaire, puisque tu es tombé aux mains de ton prochain : Va prosterne-toi,
importune ton prochain, n’accorde ni sommeil à tes yeux ni repos à tes paupières, dégage-toi,
comme du filet la gazelle, ou comme l’oiseau de la main de l’oiseleur »).
55. L’efficacité se construit. L’efficacité ne relève donc pas de l’inné, mais
bien plutôt de l’acquis. Elle s’obtient au prix d’une construction. Pour que les effets
engendrés par un objet donné soient en adéquation avec sa raison d’être et avec les
buts particuliers qui lui sont assignés, il est nécessaire de mettre en œuvre des
moyens divers pour éviter les obstacles susceptibles d’entraver cette adéquation. Des
conditions doivent donc être réunies pour déjouer la contingence naturelle de
l’efficacité et augmenter, au contraire, sa probabilité. Ainsi, les mécanismes
juridiques ne peuvent être efficaces, qu’à la condition que le droit qui s’y rapporte
remplisse certaines conditions.
56. L’utilité de la mise au jour des conditions juridiques de l’efficacité.
Avant de proposer une réforme du droit applicable à un mécanisme ne donnant pas
pleinement satisfaction, il importe de découvrir les conditions juridiques de son
efficacité, en faisant abstraction des règles légales et jurisprudentielles en vigueur.
La mise au jour de ces conditions fournit, en effet, une grille d’analyse du
mécanisme lui-même et des règles le concernant, au regard de laquelle peut être
appréciée son efficacité de lege lata. Cette évaluation du droit positif à l’aune des
conditions juridiques de l’efficacité permet de distinguer les solutions qui, à
l’occasion de la réforme, mériteraient d’être conservées de celles qui, à l’inverse,
devraient être modifiées, voire supprimées. La mise en lumière des conditions
juridiques de l’efficacité est donc nécessaire pour réaliser une réforme qui améliore
le droit existant et permette ainsi au mécanisme réglementé de répondre plus
sûrement aux attentes qu’il occasionne. Dans la perspective de reconstruire le droit
des garanties personnelles et de remédier, par là même, à la crise qu’elles traversent,
il est donc particulièrement important de préciser à quelles conditions la loi et la
jurisprudence peuvent rendre ces garanties efficaces, aussi bien in abstracto qu’in
concreto.
57. Les deux conditions juridiques de l’efficacité des garanties
personnelles. L’efficacité des garanties personnelles est subordonnée à la réunion
de deux conditions générales et complémentaires. En premier lieu, le législateur et
les juges doivent avoir pour objectif de rendre les garanties personnelles efficaces
(Titre 1). En second lieu, le contenu des règles qu’ils adoptent doit être en
adéquation avec cet objectif d’efficacité (Titre 2).
TITRE I
LA POURSUITE DE L’OBJECTIF
D’EFFICACITÉ PAR LE DROIT
DES GARANTIES PERSONNELLES
58. Pour que les garanties personnelles puissent satisfaire les attentes
objectives et subjectives des bénéficiaires, il est indispensable que les textes et les
décisions judiciaires les concernant soient élaborés en vue de leur efficacité. Des
précisions doivent être apportées sur cette première condition juridique de
l’efficacité des garanties personnelles, car la poursuite de l’objectif d’efficacité par
le droit est loin d’être uniforme, d’une part, et pleinement acceptée dans notre
système juridique, d’autre part. Cette recherche de l’efficacité suscite, en effet, des
interrogations (comment se traduit-elle à l’égard d’un mécanisme juridique
déterminé ?) et même des craintes (ne risque-t-elle pas de contrevenir à certaines
valeurs juridiques fondamentales ?). Afin de dissiper les incertitudes, voire les
malentendus, qui pourraient entourer la condition sine qua non de l’efficacité des
garanties personnelles, il convient de présenter d’abord l’implication du droit des
garanties personnelles dans la construction de leur efficacité (Chapitre 1) et
d’exposer ensuite l’articulation entre l’objectif d’efficacité et les principes directeurs
du contrat (Chapitre 2).
CHAPITRE I
L’IMPLICATION DU DROIT
DANS LA CONSTRUCTION DE L’EFFICACITÉ
59. Une garantie personnelle efficace peut être comparée à un refuge mettant
le créancier à l’abri du danger que représente la défaillance du débiteur principal. De
la même façon qu’un refuge ne peut être protecteur que s’il est bâti selon certaines
normes et avec certains matériaux, une garantie personnelle ne peut être efficace que
si des moyens à même de satisfaire les attentes objectives et subjectives des
créanciers sont mis en œuvre. L’efficacité des garanties personnelles repose donc sur
la réunion de divers facteurs (Section 1).
En s’intéressant au rôle que peuvent jouer le législateur et les juges dans
l’apparition de ces facteurs d’efficacité, les degrés d’implication du droit dans la
construction de l’efficacité peuvent être mis au jour et les manifestations de la
poursuite de l’objectif d’efficacité, dans le domaine particulier des garanties
personnelles, peuvent ainsi être précisées (Section 2).
SECTION 1 : LES FACTEURS D’EFFICACITÉ
60. Tout objet, toute action, engendre des espérances. Certaines sont
objectives, c'est-à-dire communes à toutes les personnes placées dans une même
situation. Elles résultent de la fonction de l’objet utilisé ou de l’action entreprise85.
D’autres attentes sont subjectives. Elles sont nourries par une personne déterminée,
s’expliquent au vu de la spécificité de la situation de celle-ci, et forment la finalité
particulière assignée à la chose ou à l’action envisagée86.
Pour qu’un objet ou une action soit efficace, ses effets doivent être conformes à
toutes les attentes qu’il génère, tant objectives que subjectives. Comme l’efficacité
se construit, il est donc nécessaire de mettre en œuvre des moyens qui tendent aussi
bien vers l’efficacité in abstracto, que vers l’efficacité in concreto.
85 Pour de plus amples développements sur les attentes objectives et l’efficacité in abstracto,
cf. supra n°11 86 Pour de plus amples développements sur les attentes subjectives et l’efficacité in concreto,
cf. supra n°12
Poursuivre l’objectif d’efficacité des garanties personnelles exige ainsi de
favoriser, d’une part, les facteurs concourant à la satisfaction de l’attente commune à
tous les bénéficiaires de garanties personnelles, à savoir le paiement de la dette
principale (§1) et, d’autre part, les facteurs conduisant à la réalisation des attentes
subjectives des créanciers, relatives aux modalités et au coût de la protection des
intérêts économiques de ces derniers (§2).
§1 : LES FACTEURS D’EFFICACITE OBJECTIVE
61. L’efficacité objective se définit par la réalisation d’une fonction. Les
garanties personnelles ayant pour raison d’être d’accroître la sécurité patrimoniale
des bénéficiaires, leur efficacité in abstracto réside dans la protection des intérêts
financiers des créanciers87. Pour pouvoir parler de l’efficacité objective des garanties
personnelles, cette protection doit résulter des effets produits par ces garanties elles-
mêmes. Mais, le paiement peut procéder aussi bien des effets de la réalisation des
garanties personnelles, que des effets de leur seule constitution.
En conséquence, l’accomplissement de la fonction de ces garanties peut
être favorisé par deux types de facteurs : des facteurs déclenchant la satisfaction du
créancier par la seule conclusion du contrat de garantie, c'est-à-dire des facteurs
incitant un tiers à payer la dette principale (A) et, par ailleurs, des facteurs
concourant à l’exécution du garant, à la suite de l’appel de la garantie (B).
A/ LES FACTEURS CONCOURANT AU PAIEMENT DE LA DETTE
PRINCIPALE PAR UN TIERS AU CONTRAT DE GARANTIE
62. Une garantie personnelle est efficace, indépendamment de sa réalisation,
dès lors que sa seule existence incite un tiers au contrat de garantie à payer la dette
principale. Le tiers en question peut être, soit le débiteur garanti, soit un cessionnaire
de la créance principale. Divers facteurs peuvent inciter le débiteur à exécuter lui-
même ses obligations (1) et un tiers à se porter cessionnaire de la créance principale
(2). Ces facteurs méritent particulièrement d’être encouragés, car il est fondamental
que l’extinction de la dette principale, sans mise en œuvre de la garantie, qui en
constitue l’accessoire, demeure le principe. Le contraire sonnerait le glas de la force
obligatoire du contrat, de son attribut qu’est le droit de gage général, et des
mécanismes de garantie eux-mêmes88.
1. Les facteurs incitant le débiteur principal à exécuter ses obligations
Deux facteurs sont susceptibles d’inciter le débiteur principal à exécuter ses
obligations envers le créancier89.
87 Pour de plus amples développements sur la définition de l’efficacité objective des garanties
personnelles, cf. supra n°22 88 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°736 : « le paiement par la caution doit constituer, sous
peine de mort de l’institution, l’exception ». 89 Sur le caractère comminatoire des sûretés, cf. L. AYNES, Les garanties du financement,
Defrénois 1986, article 33779, p. 909 et s., n°3 ; C. GINESTET, La qualification des sûretés,
Defrénois 1999, article 36927, p. 80 à 92 et article 36940, p. 203 à 215, n°8
63. La qualité du garant. En premier lieu, le caractère comminatoire de la
garantie personnelle peut s’expliquer par la qualité du garant. Tous les garants
peuvent inciter le débiteur principal à honorer ses engagements, mais pour des
raisons différentes selon la catégorie à laquelle ils appartiennent.
S’agissant des garants professionnels, que sont essentiellement les banques, les
établissements de crédit spécialisés, les compagnies d’assurance et les sociétés de
caution mutuelle, ils peuvent augmenter les chances d’exécution par le débiteur en
veillant à la capacité financière de ce dernier, sur laquelle ils disposent d’amples
informations. Le cas échéant, ils peuvent également s’assurer que les capacités
techniques du débiteur sont suffisantes pour accomplir la prestation en nature
promise au créancier. Cela suppose que le garant professionnel soit lui-même
spécialisé dans le domaine dans lequel intervient le débiteur90. Par ailleurs, les
garants professionnels, en plus de la rémunération qu’ils perçoivent du débiteur lors
de la conclusion de la garantie personnelle et qui équivaut à un pourcentage de la
dette garantie91, peuvent imposer aux débiteurs le remboursement d’une somme
correspondant à un pourcentage de ce qu’ils sont amenés à payer au créancier92.
Pour éviter la mise en jeu de cette clause pénale, les débiteurs principaux peuvent
s’efforcer d’éteindre eux-mêmes leur dette. Enfin, les garants professionnels exigent
fréquemment des contregaranties93. Afin d’échapper à leur réalisation, les débiteurs
principaux sont, là encore, incités à exécuter eux-mêmes leurs obligations.
Lorsque le garant est intégré dans les affaires du débiteur, il peut également
convaincre ce dernier d’exécuter lui-même ses obligations. Ici, le caractère
comminatoire de la garantie personnelle s’explique par les pouvoirs de contrôle,
90 En France, les organismes de garantie mutuelle et, plus généralement, ceux qui accordent
une garantie financière, contrôlent les comptes du débiteur. Par ailleurs, les cautions
professionnelles spécialisées dans certains types de garantie, comme la construction de
maisons individuelles, mais aussi les crédits de TVA, peuvent exercer une pression technique
sur le débiteur : elles examinent le dossier, la situation du débiteur ; elles peuvent le conseiller
dans sa gestion, surveiller l’évolution de son endettement. Aux USA, les compagnies
d’assurance qui cautionnent les entreprises de construction immobilière auprès des maîtres
d’œuvre interviennent dans le contrat principal pour contrôler l’entrepreneur et prévenir les
risques d’inexécution (cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°42, 44). 91 Le jeu de la concurrence bancaire, dans les années 1980, a conduit les établissements de
crédit à diminuer les commissions réclamées aux débiteurs (de 1,5 à 2,5% de la dette garantie
autrefois ; de 0,2 à 1,5% de la dette garantie aujourd'hui) et à les percevoir plutôt
forfaitairement, lors de la conclusion du contrat de garantie, qu’annuellement.
Les établissements de crédit ne sont pas les seuls à exiger une rémunération. Au sein des
groupes de sociétés, la pratique est répandue de stipuler une commission, versée par la société
débitrice principale, alignée sur les tarifs des banques. Cet alignement est dépourvu de
réalisme car les tarifs reposent sur une mutualisation des risques que l’on n’observe pas dans
les groupes de sociétés, même si les cautionnements y sont fréquents (en ce sens, cf.
H. HOVASSE, Les cautionnements donnés par les sociétés et l’objet social, in Sûretés et
garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 76 et s.). 92 Dans les garanties de bonne fin des prêts hypothécaires notariés, une clause pénale de 5%
des sommes payées au créancier est ainsi fréquemment stipulée (cf. M. CABRILLAC et Ch.
MOULY, n°44). 93 Cf. A. PRÜM, Les garanties à première demande, Litec, 1994, préf. B. TEYSSIE, n°59 à
65 (sur les garanties de l’indemnisation en matière de garantie autonome) ; n°271 à 314 (sur
les expressions de l’autonomie au sein d’un groupe de garanties) ; Ph. DELEBECQUE,
Garanties et contre-garanties, Mélanges Ch. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 91 et s.
voire de direction, qu’exerce le garant à l’encontre du débiteur. De tels pouvoirs se
rencontrent entre les mains des dirigeants de droit ou seulement de fait de la société
débitrice, mais aussi au bénéfice d’une société-mère ou d’une société-soeur94. Selon
l’intensité avec laquelle ces pouvoirs sont exercés, le débiteur est plus ou moins
incité à satisfaire le créancier et, par conséquent, les chances que la garantie
personnelle soit efficace, grâce à sa seule constitution, sont plus ou moins sérieuses.
S’agissant, enfin, des garants affectivement proches du débiteur principal,
ils peuvent aussi faire pression sur ce dernier pour qu’il s’acquitte de ses obligations.
Le pouvoir exercé par le garant est alors d’ordre psychologique. Il est indubitable
qu’il peut être autant, voire plus contraignant, qu’un pouvoir de nature juridique95.
La pression morale peut également conduire le débiteur à s’exécuter, sans que le
garant ne l’y incite expressément. C’est le cas lorsque le débiteur, personne
physique, souhaite éviter à un parent ou à un ami les désagréments de l’appel de la
garantie96. C’est alors la même logique que celle qui préside à l’exécution du
débiteur, lorsque celui-ci veut éviter que la mise en œuvre d’une garantie réelle ne le
prive d’un bien qui lui est particulièrement utile ou auquel il est spécialement
attaché.
Que le garant s’engage à titre professionnel, qu’il soit intégré dans les
affaires du débiteur principal, ou qu’il soit affectivement proche de ce dernier, il
peut donc inciter le débiteur à honorer son engagement à l’égard du créancier. D’une
catégorie de garants à une autre, seuls varient les modes d’influence. Il est possible
d’en déduire que la qualité du garant est toujours un facteur d’efficacité concourant
à l’exécution de ses obligations par le débiteur principal.
64. L’efficacité des recours du garant contre le débiteur principal. Il
existe un second facteur incitant le débiteur à éteindre lui-même la dette principale
et contribuant, par là même, à l’efficacité objective de la garantie personnelle par sa
seule constitution. Il s’agit de l’efficacité des recours, que le garant peut exercer
contre le débiteur principal, avant comme après le paiement du créancier.
En premier lieu, la crainte d’être l’objet d’un recours avant paiement peut
encourager le débiteur à exécuter ses obligations97. Plutôt que de voir une partie de
son patrimoine affectée d’une mesure conservatoire ou grevée de sûretés, pour
garantir le recours après paiement, ou plutôt que de devoir indemniser le garant du
94 « Par cette position, la caution acquiert des possibilités de direction et de pression sur le
débiteur, pour l’inciter à payer à l’échéance. Le créancier a des visées différentes d’un simple
accroissement de la surface financière répondant de la dette : cette considération paraît
même passer au dernier rang après les autres » (Ch. MOULY, Les causes d’extinction du
cautionnement, Litec, 1979, n°338). 95 Sur le caractère déterminant de l’élément psychologique, cf. Ph. MALAURIE et
L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°108 96 La pression morale existait, à l’époque romaine, dans le cadre du clientélisme. « Un patron
pouvait ainsi garantir des centaines de débiteurs ; mais il était hors de question qu’une mise
en demeure lui soit adressée, tant le débiteur s’échinait à éviter l’opprobre que cette mesure
aurait suscité » (M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°44, citant eux-mêmes
J. MACQUERON, Le cautionnement, moyen de pression dans la pratique contemporaine de
Cicéron, annales fac. Droit Aix-en-Provence, t. L, 1958, p. 101 à 132). 97 Sur l’effet incitatif du recours avant paiement, cf. D. LEGEAIS, n°276 ; Ph. MALAURIE
et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°166 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,
n°154
risque de paiement qu’il lui fait courir98, le débiteur principal peut préférer multiplier
les efforts pour remplir son engagement auprès du créancier. Le recours avant
paiement ne peut présenter un tel caractère comminatoire que s’il est effectivement
ouvert au garant et ce, en de multiples circonstances, et seulement si les conditions
de son exercice ne sont pas trop contraignantes pour le garant.
La crainte du recours en remboursement peut également être à l’origine de
l’exécution du débiteur principal et constituer, ce faisant, un facteur d’efficacité des
garanties personnelles. Si le remboursement ne se limite pas au montant de la dette
principale et qu’il comprend, en outre, les frais engagés par le garant pour exécuter
ses obligations, les intérêts à partir de son paiement, et les dommages et intérêts pour
réparer, le cas échéant, le préjudice causé par l’exécution, il oblige le débiteur à
verser au garant une somme plus élevée que celle due au créancier lors de
l’exigibilité de la dette principale. Dans ce cas, le recours présente un caractère
contraignant et le débiteur est incité à l’éviter en exécutant ses obligations. Il en va
tout autrement si l’exercice du recours n’emporte pas une augmentation notable du
montant à payer. Le débiteur peut alors avoir intérêt à être défaillant envers le
créancier, afin que la procédure de recouvrement engagée par le garant lui fasse
gagner du temps pour acquitter ses obligations. A fortiori, le débiteur n’a aucun
intérêt à satisfaire le créancier, s’il sait qu’il paiera moins entre les mains du garant,
voire qu’il ne paiera rien, en raison d’une paralysie du recours en remboursement.
Pour que le débiteur redoute un tel recours, il est donc nécessaire que celui-ci puisse
être effectivement exercé, et qu’il puisse conduire au remboursement de toutes les
sommes que le garant a dû débourser à l’occasion de l’opération de garantie.
Autrement dit, pour que le débiteur soit incité à exécuter ses obligations, et pour que
la garantie personnelle soit ainsi efficace par sa seule constitution, la garantie
conclue doit offrir au garant un recours en remboursement lui-même efficace.
65. Le débiteur n’est pas le seul tiers au contrat de garantie susceptible
d’éteindre la dette principale. Cette extinction peut également être le fait d’un
cessionnaire de la créance principale.
2. Les facteurs incitant un tiers à devenir cessionnaire de la créance principale
66. La protection des intérêts du créancier par la cession de la créance
principale. Lorsque le créancier cède, à titre onéreux, sa créance contre le débiteur
principal à un tiers, le cessionnaire, il ne risque plus de souffrir de l’inexécution de
son débiteur. En effet, cette créance est payée, non par le débiteur cédé, mais par le
nouveau créancier (cessionnaire).
Au premier abord, la protection des intérêts du créancier initial (cédant et
bénéficiaire de la garantie personnelle) paraît uniquement imputable à la cession de
créance. En conséquence, seule l’efficacité de cette cession devrait être envisagée. Il
est cependant possible de considérer l’efficacité de la garantie personnelle conclue si
sa seule existence encourage le tiers à devenir cessionnaire de la créance principale.
98 La mise en œuvre de mesures de sauvegarde, d’une part, l’indemnisation anticipée, d’autre
part, sont les deux objets que la doctrine reconnaît au recours avant paiement de la caution.
Pour de plus amples développements sur l’objet reconnu au recours avant paiement par le
droit positif, cf. infra n°419-423
67. La transmissibilité de la garantie personnelle. Cet effet incitatif ne
peut exister que si la garantie personnelle est transmise avec la créance garantie. A
défaut, l’extinction de la dette du débiteur à l’égard du créancier cédant ne pourrait
être imputée aux effets de la garantie personnelle elle-même, et l’on ne pourrait donc
parler de l’efficacité de celle-ci. La transmissibilité de la garantie personnelle avec la
créance garantie est donc un facteur d’efficacité en ce qu’elle peut inciter un tiers à
acquérir cette créance.
En revanche, comme il n’entre pas dans la fonction des garanties
personnelles d’apporter une satisfaction financière au créancier en dehors de
l’extinction de la dette principale99, le transfert de la garantie personnelle
indépendamment de celui de la créance garantie ne peut figurer parmi les facteurs
d’efficacité.
68. Si la transmissibilité de la garantie personnelle avec la créance garantie
est indispensable pour que la seule existence de la garantie incite un tiers à se porter
cessionnaire, d’autres facteurs ne sont que souhaitables. Plus ils sont nombreux, plus
grandes sont les chances que la créance garantie soit rachetée et que la garantie
personnelle soit efficace par sa seule constitution. Les autres facteurs dont il est
question sont, logiquement, ceux que nous avons déjà présentés, à savoir les facteurs
conduisant à l’extinction de la dette principale par le débiteur lui-même, et ceux que
nous allons maintenant exposer, c'est-à-dire les facteurs concourant à l’exécution du
garant.
B/ LES FACTEURS CONCOURANT A L’EXECUTION DU GARANT
69. Une garantie personnelle, qui n’aurait pas été efficace par sa seule
constitution, peut encore l’être après la mise en demeure du garant, à la condition
que celui-ci exécute ses obligations. L’efficacité objective de la garantie personnelle
ne peut s’exprimer ainsi que si le patrimoine du garant est suffisamment consistant
lors de l’appel de la garantie, et seulement si le garant accepte d’exécuter son
engagement. Certains facteurs favorisent la solvabilité du garant à l’échéance (1),
d’autres rendent plus sûre l’exécution volontaire (2).
1. Les facteurs de solvabilité du garant lors de l’appel de la garantie
70. La solvabilité du garant, au jour de la réalisation de la garantie
personnelle, peut être comparée à la valeur économique du bien grevé d’une sûreté
réelle, en ce que l’une comme l’autre conditionnent le désintéressement du
créancier, et donc l’efficacité du mécanisme de garantie. Mais le rapprochement
s’arrête là. En effet, les fluctuations affectant le patrimoine dans son entier et celles
relatives à la valeur d’un seul bien n’ont, ni la même probabilité, ni les mêmes
causes. De plus, la suffisance du patrimoine et celle de la valeur d’un bien ne sont
pas favorisées par les mêmes facteurs. Ceux susceptibles de rendre moins aléatoire
la solvabilité du garant lors de l’appel de la garantie sont les suivants.
71. La qualité du garant. On retrouve, tout d’abord, la qualité du garant.
Mais, ici, une seule catégorie de garants est concernée, à savoir les garants
99 Sur la fonction des garanties personnelles, cf. infra n°240 et s.
professionnels. C’est seulement à leur égard que les risques d’insolvabilité sont
minimes et que la qualité rime, en principe, avec la solvabilité100.
Les qualités de garant intégré et de garant affectivement proche du débiteur ne
sont pas, au contraire, suffisantes, à elles seules, pour susciter la confiance en la
solvabilité. C’est la raison pour laquelle, à l’égard des garants non professionnels,
d’autres facteurs doivent être réunis pour augmenter les chances de solvabilité lors
de la mise en œuvre de la garantie personnelle.
72. Le montant de l’engagement du garant. Les premiers d’entre eux ont
trait au montant de l’engagement du garant.
Fixer un montant nettement supérieur aux capacités financières du garant lors
de la conclusion du contrat et parier sur une amélioration notable de la situation
patrimoniale de ce garant, est risqué. Pour rendre plus sûre la solvabilité du garant,
lors de l’appel de la garantie, mieux vaut tabler sur la stabilité, voire sur une certaine
baisse des capacités financières du garant et fixer en conséquence le montant de
l’engagement de ce dernier. Le premier facteur d’efficacité réside ainsi dans la
proportionnalité du montant de l’engagement du garant aux biens et revenus de ce
dernier au jour de la signature de la garantie personnelle.
En ce que la détermination du montant de l’engagement du garant facilite cette
proportionnalité et rend, par conséquent, plus sérieuses les chances de solvabilité du
garant lors de l’appel de la garantie, elle constitue également un facteur d’efficacité.
Elle peut recevoir cette qualification pour une autre raison encore. En effet, dès
lors qu’une somme figure dans le contrat de garantie, le garant se représente plus
nettement dans quelle mesure son patrimoine risque d’être amputé. Cela peut
l’inciter à prendre des précautions pour avoir toujours à sa disposition ladite somme.
La solvabilité du garant lors de la mise en œuvre de la garantie personnelle, partant
l’efficacité de celle-ci, s’en trouvent bien favorisées.
73. Les mesures de sauvegarde du patrimoine du garant. D’autres
facteurs de solvabilité ont trait au maintien de la suffisance du patrimoine du garant
jusqu’au jour de l’appel de la garantie.
Il s’agit, en premier lieu, de la fixation d’une durée relativement courte à
l’engagement du garant. En effet, plus courte est cette durée, moins les risques de
fluctuation du patrimoine sont nombreux. De surcroît, plus le garant s’engage pour
une courte période, moins il risque d’oublier son engagement, d’une part, et de
prendre des précautions financières pour pouvoir l’honorer, d’autre part101.
100 En ce sens, cf. Ch. MOULY, Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les
sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 132 ; D. LEGEAIS, n°48 ; Ph. SIMLER et
Ph. DELEBECQUE, n°4, 210 101 En ce sens, cf. J. CASEY, Sûretés et famille, th. sous la direction de J. HAUSER, n°498 et
s. ; Ch. MOULY, th. préc., n°273 : « la valeur des engagements à longue durée devient
incertaine : la caution peut s’endetter, son patrimoine s’étioler, la sûreté s’amenuiser avec le
temps faute d’avoir été surveillée ; le voile que le temps jette sur les souvenirs recouvre aussi
les engagements poussiéreux » ; Ch. MOULY, Les sûretés personnelles traditionnelles en
France, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 152 et s.
En deuxième lieu, le maintien de la suffisance du patrimoine du garant peut
résulter du contrôle exercé par le créancier sur l’activité et / ou sur la situation
financière du garant102.
En troisième lieu, ce maintien peut procéder de sûretés négatives. Il s’agit
d’interdire au garant, dès la conclusion de la garantie personnelle, d’accomplir des
actes pouvant diminuer la consistance de son patrimoine. L’interdiction peut
notamment porter sur l’aliénation de certains biens ou sur la constitution d’autres
garanties.
En quatrième et dernier lieu, la sauvegarde du patrimoine du garant peut
procéder de mesures conservatoires efficaces.
74. Pour qu’une garantie personnelle soit efficace, grâce à sa mise en œuvre,
il est nécessaire, non seulement que le garant ait les moyens financiers d’honorer son
engagement, mais surtout qu’il exécute effectivement ses obligations.
2. Les facteurs d’exécution volontaire du garant
75. La rareté des moyens de défense. L’expression la plus évidente de
l’efficacité des garanties personnelles réside dans l’exécution du garant, sans
contestation de sa part.
Moins le garant dispose de moyens de défense qui suppriment, réduisent,
modifient, retardent, ou rendent plus onéreuse l’exécution de ses obligations, plus
grandes sont les chances que le créancier obtienne satisfaction. La privation de
moyens de défense, résultant de la nature et / ou du contenu de la garantie
personnelle conclue, constitue indéniablement un puissant facteur d’efficacité103.
Néanmoins, il serait réducteur d’assimiler la rareté des moyens de défense à
l’efficacité et, à l’inverse, leur profusion à l’inefficacité. Il n’y a pas de corrélation
entre le nombre de moyens de défense qu’offre une garantie personnelle au garant et
l’effectivité des contestations. D’autres facteurs que la privation de moyens de
défense contribuent, en effet, à mettre le créancier à l’abri des contestations.
76. Le comportement du créancier. Certains de ces facteurs se rapportent
au créancier lui-même.
Le respect du droit en vigueur, par ce dernier, est de nature à dissuader le garant
d’élever des contestations et, si tel n’est pas le cas, il devrait conduire le juge saisi à
rejeter ces contestations et à condamner le garant à s’exécuter.
Le comportement du créancier, à l’égard du garant, est également déterminant.
Dans une logique de « légitime défense », le garant est porté à discuter l’exécution
de ses obligations s’il a le sentiment d’avoir été victime d’un comportement
102 Sur ce contrôle, cf. Y. GUYON, Le droit de regard du créancier sur le patrimoine et
l’activité de son débiteur considéré comme sûreté, Rev. jurisp. com. 1982, p. 122 et s. ;
Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°16 103 En ce sens, cf. J. CASEY, th. préc., n°471 ; P. ANCEL, Nouvelles sûretés pour créanciers
échaudés, JCP 1989, éd. E., suppl. Cahier droit des entreprises, n°5, p. 5, 7 ; Ch. MOULY,
Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles,
FEDUCI 1984, p. 131, 150, 151 ; Ch. MOULY, Pour la liberté des garanties personnelles,
Banque 1987, p. 1166
blâmable de la part du créancier104. Un auteur a dressé une liste de ces
comportements105 : « l’abus, l’agressivité, l’amateurisme, le bavardage, la bêtise, la
brutalité, la chicanerie, la curiosité, la désinvolture, l’excès, l’excentricité, la folie,
la fraude, la fuite, la gourmandise, le harcèlement, l’immixtion, la légèreté
blâmable, la lenteur, la maladresse, l’omniscience, la paresse, la routine, la
surenchère, le tapage, la vantardise et la zizanie ». En évitant ces conduites, le
créancier augmente ses chances d’être désintéressé et ce, sans discussion.
77. La qualité du garant. D’autres facteurs réduisant le risque de
contestations se rapportent, par ailleurs, au garant.
Il s’agit, tout d’abord, de la qualité de garant professionnel. Il est fréquent
que les garants professionnels reçoivent provision de la somme due au créancier. Ils
payent alors, sans discussion, dès que le créancier en fait la demande. Si contestation
du paiement il devait y avoir, elle n’émanerait pas du garant, mais du débiteur
principal. Même lorsqu’ils ne reçoivent aucune provision, les garants professionnels
sont peu enclins à discuter106. Ils souhaitent éviter que des tergiversations, voire un
contentieux, ne ternissent leur image de marque107.
La qualité de garant intégré ou affectivement proche du débiteur principal
peut également réduire le risque de contestations dans la mesure où ces garants
peuvent souhaiter que le débiteur ne soit pas inquiété par le créancier. Concernant
les garants profanes proches du débiteur, l’absence de contestation peut également
s’expliquer par leur méconnaissance des moyens de défense et par leur peur du
contentieux.
78. La bonne foi du garant. Le dernier facteur contribuant à mettre le
créancier à l’abri de contestations concerne, quant à lui, l’ensemble des garants. Il
s’agit de leur bonne foi108. Un garant de bonne foi ne soulève pas de contestations
intempestives, dans un but dilatoire. A l’inverse, le garant de mauvaise foi fait feu
de tout bois même si, a priori, la garantie personnelle lui offre peu de moyens de
défense. Par ailleurs, il fait fi, tant du respect du droit en vigueur par le créancier,
que du comportement irréprochable de celui-ci à son égard. La bonne foi du garant
104 Les économistes parlent de « comportements stratégiques » lorsque l’une des parties
adopte une position intransigeante ou essaie sournoisement de tricher (cf. E. MACKAAY, La
règle juridique observée par le prisme de l’économiste. Une histoire stylisée du mouvement
de l’analyse économique du droit, Rev. Intern. Dr. Eco. 1986, t.1, p. 80 et 81). 105 B. FAGES, Des comportements contractuels à éviter, Droit et patrimoine 1998, n°60, p. 67
et s. 106 En ce sens, cf. Ch. MOULY, Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les
sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 132, 154 ; M. CABRILLAC et Ch.
MOULY, n°47, 48, 216, 406 : « Payer vite est au moins aussi important que payer bien. Les
cautions professionnelles le savent et veulent se démarquer des cautions profanes en
exécutant sans discussion, dès que le créancier le leur demande ». 107 Sur l’importance de cette image de marque, cf. Y. CHARTIER, L’évolution du droit des
sûretés, Rapport de synthèse, Rev. jurisp. com., n° spécial, février 1982, p. 164 ; J. MESTRE,
Les lettres d’intention, une zone d’aménagement contractuel, Droit et patrimoine 1999, n°67,
p. 61 et s. ; B. OPPETIT, L’engagement d’honneur, D. 1979, chron., p. 107 ; Ph. SIMLER et
Ph. DELEBECQUE, n°223 108 En ce sens, cf. A. PRÜM, th. préc., n°201 ; Ch. MOULY, Les sûretés personnelles
traditionnelles en France, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 140
est, ainsi, le facteur d’efficacité à défaut duquel tous les autres facteurs relatifs à
l’éviction du risque de contestations (à l’exception toutefois de celui tenant à la
qualité de garant professionnel) perdent leur valeur.
79. Pour qu’une garantie personnelle soit efficace, sa seule constitution ou sa
mise en œuvre doivent conduire à l’extinction de la dette principale. Les facteurs
favorisant cette efficacité objective sont nombreux et hétéroclites. Ne le sont pas
moins les facteurs rendant plus sûre la réalisation des attentes subjectives des
créanciers.
§2 : LES FACTEURS D’EFFICACITE SUBJECTIVE
80. L’efficacité subjective se caractérise par l’accomplissement d’une
finalité, autrement dit par la réalisation de toutes les attentes subjectives engendrées
par une chose ou une action déterminée. Les garanties personnelles font naître des
espérances particulières dès l’octroi de crédit au débiteur. Ces attentes subjectives
initiales précisent l’attente objective, puisqu’elles ont pour objet les modalités et le
coût de la protection, sur lesquels compte chaque créancier, compte tenu des
spécificités de sa situation. Des attentes subjectives procèdent ensuite de la garantie
personnelle effectivement constituée. En effet, au vu de la nature et du contenu de
celle-ci, chaque bénéficiaire confère une finalité particulière au contrat conclu.
Comme les garanties personnelles donnent donc naissance à deux niveaux d’attentes
subjectives109, leur efficacité in concreto suppose un double rapport d’adéquation :
d’une part, l’adéquation entre les attentes nées de l’octroi de crédit et celles générées
par la garantie personnelle effectivement conclue (A), d’autre part, l’adéquation
entre la finalité assignée à cette garantie personnelle et les effets qu’elle produit (B).
Divers facteurs sont susceptibles de favoriser chacune de ces adéquations.
A/ LES FACTEURS FAVORISANT LA CONFORMITÉ DE LA FINALITÉ
DE LA GARANTIE PERSONNELLE AUX ATTENTES PRÉALABLES
À SA CONSTITUTION
81. Les effets produits par la seule constitution ou par la mise en œuvre
d’une garantie personnelle ne peuvent correspondre aux attentes que l’octroi de
crédit a engendrées chez un créancier qu’à la condition que la finalité assignée par
ce dernier à la garantie personnelle conclue soit elle-même conforme à ces attentes
initiales. Pour qu’il en aille ainsi, les choix qu’opèrent les créanciers lors de la
formation de la garantie personnelle, en vue de cette conformité, dits choix
rationnels (1), ne doivent pas être entravés. Différents facteurs évitent ces entraves
(2).
1. Les choix des créanciers lors de la conclusion de la garantie personnelle
82. Les choix « techniques » et « comportementaux » des créanciers. Au
moment où il s’agit de concrétiser le projet de couvrir le crédit octroyé à un débiteur
109 Pour de plus amples développements sur ces deux niveaux d’attentes subjectives et sur
l’efficacité in concreto des garanties personnelles, cf. supra n°24-27
par une garantie personnelle, le créancier doit se déterminer sur nombre d’éléments,
qui risquent d’influer sur la protection de ses intérêts financiers.
Les choix concernent, tout d’abord, la personne du garant. Au mieux, le
créancier doit choisir parmi plusieurs garants possibles. Au pire, il doit décider
d’accepter ou de refuser le seul qui se présente à lui. Ensuite, la diversité actuelle
des garanties personnelles rend possible un choix tenant à la nature même du contrat
à conclure et aux obligations du futur garant. Une décision peut encore être prise à
propos de la forme de la rencontre des volontés entre le créancier et le garant. Par
ailleurs, des choix relatifs au contenu de la garantie personnelle peuvent être opérés,
chaque fois que la liberté contractuelle peut s’exercer. Le montant, la durée, les
modalités de mise en œuvre de la garantie, les obligations des parties peuvent ainsi
faire l’objet de choix.
A toutes ces décisions d’ordre technique, viennent s’ajouter les choix que l’on
peut qualifier de comportementaux, que les créanciers doivent opérer lors de la
formation de la garantie personnelle, mais aussi tout au long de la vie de celle-ci.
Certains de ces choix se rapportent à l’attitude que le créancier est amené à adopter
face à ses cocontractants. Il peut s’agir de fraternité, de solidarité, de bienveillance,
de tempérance, de sincérité ou, au contraire, d’ignorance, d’égoïsme, de mensonge,
d’exploitation ou de violence. D’autres choix « comportementaux » ont trait à
l’attitude du créancier face au droit en vigueur. En fonction, non seulement du
niveau de risque qu’il estime acceptable de prendre dans l’opération de garantie110,
mais aussi du coût que représente le respect ou non de la loi, il peut ainsi opter pour
son application, sa violation, ou encore son contournement par le biais de contrats
innomés.
Tous ces choix présentent, en principe, un caractère rationnel (a). Il existe
cependant des entraves à cette rationalité (b).
a. La rationalité des choix
83. La théorie des choix rationnels. Les choix qu’opèrent les créanciers
lors de la conclusion du contrat de garantie sont rationnels, car ils sont opérés en vue
de la réalisation d’un objectif, à savoir celui de pouvoir attendre de la garantie
personnelle effectivement conclue la même protection que celle envisagée avant sa
conclusion. Il s’agit d’une « rationalité en finalité ».
Pour appréhender plus précisément cette rationalité, il est utile de se référer aux
théories de l’analyse économique du droit relatives aux choix rationnels. Ces
théories présentent à la fois une dimension explicative (comment les individus se
comportent-ils ?) et une dimension normative (quels critères de décision
recommander pour assurer l’optimalité de la décision ?)111. C’est à leur volet
descriptif qu’il convient de s’attacher pour expliquer ce qui préside aux choix des
créanciers.
110 Les créanciers professionnels procèdent à une cotation du « risque juridique » : absence de
difficilement rectifiable ; « risque de nullité » ; information disponible insuffisante. Cf. B.
SAINT-ALARY, Régimes matrimoniaux et gestion du recueil du consentement du conjoint,
in Sûretés et garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 88 111 Sur ces deux volets de la théorie des choix rationnels, cf. C. BARRERE, Les approches
économiques du système judiciaire, RJDE, 1999/2, n° spécial De l’économie de la justice,
p. 154
84. La rationalité selon l’Ecole de Chicago. Le courant dominant, au sein
de la Law and Economics, est celui développé par l’Ecole de Chicago, dans les
années soixante et soixante-dix112. Il s’appuie sur les théories économiques
néoclassiques et, notamment, sur une définition très large de l’économie comme
science des choix rationnels en situation de rareté, c'est-à-dire comme théorie de
l’allocation des ressources. Par ailleurs, il place l’individu libre au cœur des analyses
et part d’un individualisme méthodologique113 : l’individu, du moins l’adulte, est
présumé être doté d’une certaine raison qui le pousse à vouloir maximiser son
bonheur114. Cela ne signifie pas qu’il soit égoïste, car un élément de son bonheur
peut résider dans celui des autres115. Ainsi, les agents rationnels choisissent ce qui
est optimal pour eux en sélectionnant le meilleur rapport coût / avantage116. Leurs
calculs sont fondés sur des prix explicites, les prix du marché, mais aussi sur des
112 Pour des rappels historiques sur l’analyse économique du droit, cf. E. BROUSSEAU,
L’économiste, le juriste et le contrat, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 153 et s. ; J.-P.
CENTI, Quel critère d’efficience pour l’analyse économique du droit ?, RRJ 1987-2, p. 455
et s. ; M. FONTAINE, Fertilisations croisées du droit des contrats, Mélanges J. Ghestin,
LGDJ, 2001, p. 347 et s. ; T. KIRAT et E. SERVERIN, Le droit dans l’action économique,
CNRS Editions, 2000 ; E. MACKAAY, La règle juridique observée par le prisme de
l’économiste. Une histoire stylisée du mouvement de l’analyse économique du droit, Rev.
Intern. Dr. Eco. 1986, t.1, p.43 et s. ; E. MACKAAY, L’analyse économique du droit dans les
systèmes civilistes, Colloque international de Nancy 2 des 28 et 29 juin 2000 113 Le courant sociologique impulsé par R. BOUDON et J.-G. PADIOLEAU repose
également sur cet individualisme méthodologique. La liberté d’action que détient l’individu,
capable d’opérer le meilleur choix pour accroître sa satisfaction, est érigée en dogme. Selon
J.-G. PADIOLEAU, « le schéma de l’action met en relief les éléments suivants : des acteurs,
individus ou groupes, engagés dans une situation dont les caractéristiques sont plus ou moins
contraignantes, poursuivent des buts et, pour ce faire, manipulent des ressources qui se
traduisent en des comportements significatifs ». Dans les limites autorisées par les
contraintes, l’individu est un être agissant (J. -G. PADIOLEAU), dont l’action possède une
finalité ou, plus précisément, une rationalité (R. BOUDON). Pour une présentation de ce
éd., 1997, p. 160 et s. 114 Sur la rationalité des sujets de droit dans les travaux de l’analyse économique du droit, cf.
notamment T. KIRAT, Economie du droit, éd. La découverte, 1999 ; C. BARRERE, art.
préc., p. 153 et s. ; J.-Y. CHEROT, Trois thèses de l’analyse économique du droit, RRJ 1987-
2, p. 443 et s. ; M.-A. FRISON-ROCHE, L’efficacité des décisions en matière de
concurrence : notions, critères, typologie, LPA 28 décembre 2000, n°259, p. 4 et s. ; M.-A.
FRISON-ROCHE, L’intérêt pour le système juridique de l’analyse économique du droit,
Cycle de conférences « Droit, Economie, Justice », 2004 : la rationalité économique des
agents « suppose que chaque personne détermine des buts, des préférences, des fonctions
d’utilité, pour la satisfaction desquels elle met en œuvre des actions. Les actions des
personnes sont donc de nature stratégique. La rationalité conduit ainsi chacun à
« maximaliser son profit » » ; E. MACKAAY, L’analyse économique du droit dans les
systèmes civilistes, Colloque international de Nancy 2 des 28 et 29 juin 2000 ; B. OPPETIT,
Droit et économie, APD, t. 37, Sirey, 1992, p. 17 et s. ; B. RUDDEN, Le juste et l’inefficace :
pour un non devoir de renseignement, RTD civ. 1985 p. 91 et s., n°6 à 8 115 En ce sens, cf. B. RUDDEN, ibid., n°6 à 8 116 L’Ecole de Chicago développe l’argument du « as if », c'est-à-dire qu’elle n’affirme pas
que tous les individus et les institutions sont rationnels, mais elle fait comme si ils l’étaient.
prix implicites, c'est-à-dire les équivalents monétaires des avantages recherchés et
des coûts redoutés117.
L’application de cette analyse aux choix des créanciers relatifs à la garantie
personnelle conduit à considérer que ces choix sont rationnels, en ce qu’ils résultent
de calculs purement économiques, et en ce qu’ils traduisent la recherche, par les
créanciers, d’une maximisation de leurs intérêts.
Nous ne pensons pas que la rationalité doive faire l’objet d’une approche aussi
réductrice et nous adhérons, par conséquent, aux critiques adressées à l’Ecole de
Chicago, par un autre courant de la Law and Economics, qu’est l’institutionnalisme.
85. La rationalité selon l’école institutionnaliste. L’institutionnalisme
contemporain, dans le domaine de l’analyse économique du droit, est représenté, aux
Etats-Unis, par des auteurs118 qui s’opposent, sur des points importants, à la
problématique néoclassique traditionnelle.
Au sujet de la rationalité des agents, ils retiennent, tout d’abord, que si les
individus recherchent la réalisation de certains objectifs, il n’en recherchent pas
nécessairement la maximisation stricte. Cette analyse est tout à fait pertinente dans
le domaine des garanties personnelles. En effet, les créanciers dispensateurs de
crédit, au moment de la constitution d’une garantie personnelle particulière,
entendent être protégés, mais pas forcément de manière maximale. Ils peuvent tabler
sur une protection suffisante au regard de leurs besoins. C’est pourquoi, par
exemple, alors même que le crédit octroyé au débiteur principal est d’un montant
indéterminé, des créanciers peuvent vouloir bénéficier d’une garantie personnelle
d’un montant déterminé, suffisant pour protéger leurs intérêts. Au cours de la
formation du contrat, les choix opérés sont ainsi rationnels dès qu’ils sont guidés par
la recherche de la protection envisagée, lors de l’octroi de crédit au débiteur, même
s’il ne s’agit pas d’une protection maximale.
Le courant institutionnaliste a aussi critiqué le « réductionnisme économiciste »
de l’Ecole de Chicago. Celle-ci réduit, en effet, l’interprétation des choix rationnels
à une interprétation économique. Certes, la rationalité consiste à choisir le meilleur
rapport entre coût et avantage d’une décision ou d’un comportement projeté, en vue
de l’accomplissement d’un but. Mais, cette rationalité n’est pas uniquement sous-
tendue par des données économiques. Sous l’influence de la sociologie de Bourdieu,
l’institutionnalisme met en avant qu’elle est aussi socio-historiquement située : les
contextes sociaux façonnent les comportements et conduisent à des « habitus »119,
117 Les sujets de droit intègrent ainsi dans leur décision une appréciation de l’incidence
économique des règles de droit. Le coût de réalisation du droit (frais de l’engagement d’un
contentieux ; coût fiscal ; coût de l’assurance) entre pour une part importante dans les calculs
individuels (en ce sens cf. B. OPPETIT, art. préc., p. 17 et s.). 118 Les principaux représentants du courant institutionnaliste sont N. MERCURO, S. G.
MEDEMA, W. J. SAMUELS et A. SCHMID. 119 P. BOURDIEU, La distinction, critique sociale du jugement, Editions de Minuit, 1979, p.
190 : « l’habitus est à la fois principe générateur de pratiques objectivement classables et
système de classement (principium divisionis) de ces pratiques. (…)Nécessité incorporée,
convertie en disposition génératrice de pratiques sensées et de perceptions capables de
donner sens aux pratiques ainsi engendrées, l’habitus (…) est ce qui fait que l’ensemble des
pratiques d’un agent (ou de l’ensemble des agents qui sont le produit de conditions
semblables) sont à la fois systématiques, en tant qu’elles sont le produit de l’application de
formes intériorisées de comportement, qui suivent des schèmes sociaux
prédéterminés, notamment par le statut social des individus. C’est la raison pour
laquelle les créanciers ne développent pas les mêmes attentes concernant la garantie
personnelle à constituer, même s’ils interviennent dans des opérations de crédit tout
à fait identiques. Cela explique également pourquoi tous les créanciers n’opèrent pas
les mêmes arbitrages entre coût et avantage d’alternatives connues, au moment de la
constitution de la garantie personnelle. Les choix rationnels résultent certes d’une
appréciation de prix explicites et implicites, mais la fixation de ces prix varie en
fonction de la qualité du créancier (s’agit-il d’un professionnel du crédit120, d’une
personne octroyant du crédit dans le cadre de sa profession ou encore d’un non
professionnel). Par conséquent, il est bien réducteur de n’envisager la rationalité
qu’au travers de sa traduction économique, en ignorant sa détermination sociale.
86. L’expression de la rationalité des choix des créanciers. La rationalité
des choix des créanciers s’exprime par le fait que, en vue de la réalisation d’un
objectif (la conformité de la finalité assignée à la garantie personnelle aux attentes
préalables à sa constitution, et non la maximisation des intérêts), lesdits créanciers
procèdent à des calculs en utilisant des prix explicites et des prix implicites (la
fixation de ceux-ci est en partie conditionnée par des schèmes sociaux
prédéterminés) et se déterminent en fonction du meilleur rapport coût / avantage.
Ainsi définie, la rationalité des choix des créanciers est susceptible d’être
entravée.
b. Les entraves à la rationalité des choix
87. Le conflit de rationalités. Le caractère en principe unilatéral des
contrats de garantie signifie que leur bénéficiaire est le seul à recevoir une
prestation, mais aucunement qu’il est le seul à en déterminer le contenu. Au cours de
la formation du contrat, le futur garant, tout autant que le créancier, sont amenés à
opérer des choix rationnels. Or, dans la mesure où les intérêts respectifs du créancier
et du garant sont antagonistes, les choix auxquels ils procèdent, en vue de la
protection de leurs intérêts, ont de fortes chances de diverger. C’est donc du rapport
de force existant entre les futurs contractants que dépendent les choix devant
l’emporter et, finalement, la nature et le contenu de la garantie personnelle à
conclure.
Lorsque le bénéficiaire est un établissement de crédit et le garant une personne
physique ou une personne morale ayant une puissance économique moindre, le
créancier est en mesure d’imposer ses choix. Il peut ainsi faire signer au garant un
contrat qu’il a entièrement rédigé et qui reproduit un modèle préétabli par ses
soins121. En somme, dans ce cas, la rationalité des choix du créancier ne se heurte à
schèmes identiques (ou mutuellement convertibles) et systématiquement distinctes des
pratiques constitutives d’un autre style de vie ». 120 Les établissements de crédit opèrent des calculs de probabilité et se fondent sur la loi des
grands nombres pour équilibrer leur gestion et pour répartir les risques (cf. M. CABRILLAC
et Ch. MOULY, n°3). 121 L’informatique est mise au service de la rationalité des choix des créanciers professionnels
du crédit. En effet, pour éviter que les choix rationnels opérés ne soient anéantis en raison
d’une mauvaise rédaction du contrat de garantie, les créanciers professionnels ont recours à
des logiciels d’aide à la rédaction des actes de crédit. Ils ont également recours à des
aucun obstacle. Par conséquent, l’établissement de crédit peut attendre autant de la
garantie personnelle effectivement conclue que de celle envisagée avant les
négociations précontractuelles.
Il en va autrement lorsque le rapport de force est équilibré (c’est le cas,
notamment, entre deux professionnels du crédit, entre un établissement de crédit et
une holding, voire entre deux particuliers) et, a fortiori, lorsque la puissance
économique du garant est supérieure à celle du créancier (il peut en aller ainsi
lorsque le garant est un établissement de crédit). Dans ces hypothèses, le créancier
est conduit, au cours des pourparlers, à renoncer à des choix présentant pourtant,
pour lui, le meilleur rapport coût / avantage. Le conflit de rationalités tourne alors au
profit du garant. C’est ainsi qu’apparaissent des différences entre les attentes nées
lors de l’octroi de crédit au débiteur et les attentes créées par la garantie personnelle
constituée. Ces différences sont tout à fait connues du créancier et c’est même leur
acceptation, par ce dernier, qui conditionne la conclusion du contrat de garantie.
La perception du créancier n’est pas du tout la même à l’égard des différences
résultant, non plus d’un conflit de rationalités, mais d’une rationalité limitée.
88. La rationalité limitée par le défaut d’information. « L’élément
essentiel d’un choix rationnel, c’est l’information. Le défaut d’information porte
atteinte à la capacité de faire les choix rationnels »122 et, par conséquent, à la
possibilité de rendre la finalité de la garantie personnelle conforme aux attentes
préalables à sa conclusion.
La doctrine économique néoclassique et les principaux courants de l’analyse
économique du droit ont montré que l’information est un bien, « en ce qu’il faut des
ressources pour en produire et que le fruit de cet investissement est fréquemment
vendu »123. Certes, il s’agit d’un bien d’un type particulier, notamment car il n’en
existe aucune unité de mesure et car il ne s’épuise pas par l’usage. Si l’acquisition
d’une information est aisée et peu coûteuse (on s’approprie des informations par
simple lecture ou écoute), la recherche et le traitement de l’information sont, en
revanche, complexes et onéreux. L’information est ainsi une ressource rare que ne
possèdent pas pleinement les individus en situation de choix. Les décisions sont
donc prises, dans des proportions variables, dans l’ignorance, voire l’erreur. Le
manque d’information ou la non compréhension de l’information faussent le rapport
entre le coût et les avantages des choix envisagés124. Il s’en suit que le rapport retenu
n’est pas nécessairement le meilleur, contrairement à ce que croit celui qui s’en sert
pour prendre une décision. Partant, la réalisation de l’objectif en vue duquel les
choix sont opérés est compromise, sans même que l’individu concerné n’en ait
conscience.
mécanismes d’autocontrôle, de diagnostic de la régularité de la documentation juridique, qui
leur permettent de vérifier, a posteriori, que la garantie a été correctement recueillie (cf. B.
SAINT-ALARY, Régimes matrimoniaux et gestion du recueil du consentement du conjoint,
in Sûretés et garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 86 et s. ). 122 B. RUDDEN, art. préc., n°9 123 B. RUDDEN, ibid., n°10 124 Pour une présentation des conséquences de la rationalité limitée des agents en matière
contractuelle, cf. P. GARELLO, Les économistes et le contrat, Mélanges Ch. Mouly, Litec,
1998, p. 37 et s., spéc. p. 43 et 44 sur les contrats incomplets.
De cette façon, les créanciers peuvent croire, à tort, que les choix techniques et
comportementaux, auxquels ils procèdent lors de la formation de la garantie
personnelle, leur permettent d’avoir les mêmes attentes qu’avant cette constitution.
Les différences entre les deux niveaux d’attentes, qui sont ignorées par les
créanciers, proviennent de leur rationalité limitée. Ils ne disposent pas, en effet, de
toutes les informations nécessaires à un choix pleinement rationnel. Il peut leur
manquer des informations, ou ils peuvent avoir des informations inexactes, non
seulement sur leurs cocontractants, mais aussi sur le droit applicable aux options
qu’ils envisagent. La mauvaise qualité, tant des relations entre les futurs contractants
(en raison de méfiances, voire de mensonges), que du droit en vigueur (à cause de
son inaccessibilité et de son inintelligibilité), n’est pas étrangère à l’ignorance, voire
aux erreurs des créanciers. Elle contribue, au contraire, à limiter la rationalité de
leurs choix et à augmenter, corrélativement, les risques de différence entre les deux
niveaux d’attentes subjectives.
89. Les entraves à la rationalité des choix des créanciers, qu’elles aient trait à
l’information dont disposent ceux-ci au cours de la période précontractuelle ou au
rapport de force se nouant à cette occasion avec le garant, sont loin d’être
inéluctables. Certains facteurs permettent de les éviter.
2. Les facteurs évitant les entraves aux choix rationnels des créanciers
90. Les faiblesses du garant. Pour que le conflit de rationalités tourne au
profit du créancier, celui-ci doit disposer du pouvoir d’imposer ses choix au garant.
Un tel pouvoir se rencontre entre les mains des créanciers dont la position
économique est supérieure à celle du garant. Les créanciers, dispensateurs de crédit
à titre professionnel, sont dans cette situation chaque fois que le garant n’est pas lui-
même un professionnel du crédit.
Par ailleurs, le créancier, quelle que soit sa position économique par rapport à
celle du garant, a le pouvoir d’imposer ses choix, dès que le garant tient à ce que le
débiteur principal obtienne du crédit, et qu’il sait que cet octroi de crédit n’aura lieu
que s’il se plie aux choix du créancier. Il en va ainsi lorsque le destin patrimonial du
débiteur et celui du garant pressenti sont imbriqués (c’est le cas lorsque le futur
garant est le dirigeant, la société-mère ou la société-sœur de la société débitrice) et /
ou lorsque ces derniers sont affectivement proches (c’est le cas lorsque le futur
garant est le conjoint, le concubin, le partenaire du débiteur principal ou encore un
parent ou ami proche).
91. Les connaissances du créancier. Pour que la conformité entre les deux
niveaux d’attentes subjectives soit réelle, les choix qu’opère le créancier, lors de la
formation de la garantie personnelle, doivent être éclairés. Le créancier doit non
seulement disposer de toutes les informations utiles à la prise de décision, mais il
doit également correctement interpréter ces informations. Deux nouveaux facteurs
d’efficacité peuvent ainsi être dégagés.
Il s’agit, en premier lieu, de la connaissance et de la compréhension des
données factuelles entourant la conclusion du contrat de garantie. Ces données ont
pour objet la conjoncture économique, au moment de la formation de la garantie
personnelle, et les projections économiques opérées pour la période de vie du contrat
principal. Les données factuelles concernent aussi le débiteur et le futur garant et,
plus particulièrement, leur solvabilité et leur bonne foi125.
Il s’agit, en second lieu, de la connaissance et de la compréhension des données
juridiques, c'est-à-dire des textes et de la jurisprudence ayant vocation à régir les
différents choix envisagés par le créancier.
92. Grâce aux faiblesses du garant et aux connaissances du créancier, les
choix qu’opère celui-ci pendant la période précontractuelle ont donc des chances de
ne pas être supplantés par ceux du cocontractant et d’être éclairés. La conformité de
la finalité de la garantie personnelle aux attentes nées de l’octroi de crédit au
débiteur s’en trouve favorisée. Pour autant, la garantie personnelle ne peut être
efficace que s’il y a, en plus, conformité entre ses effets et la finalité que lui a
assignée le créancier.
B/ LES FACTEURS FAVORISANT L’ACCOMPLISSEMENT DE LA FINALITÉ
ASSIGNÉE ÀLA GARANTIE PERSONNELLE CONCLUE
93. La stabilité des prévisions contractuelles. Au vu de la garantie
personnelle conclue, le créancier s’attend à ce que ses intérêts financiers soient
protégés selon certaines modalités et à un certain coût. La réalisation de ces attentes
est favorisée par la stabilité des prévisions contractuelles, qui sont de deux types.
94. Les prévisions extrinsèques. Tout d’abord, la réalisation des attentes
nées de la garantie personnelle effectivement conclue dépend de la stabilité des
« prévisions extrinsèques ». Celles-ci correspondent aux « éléments qui ont
commandé l’engagement du contractant, dans son principe et dans les termes
finalement retenus »126. Ces prévisions extrinsèques peuvent concerner le débiteur
principal, le garant, la conjoncture économique ou encore le droit positif. Si elles
changent, voire disparaissent, la garantie personnelle risque de ne pas produire
l’effet escompté.
95. Les prévisions intrinsèques. Le second facteur favorisant
l’accomplissement de la finalité de la garantie personnelle conclue réside dans le
respect des « prévisions intrinsèques », qui sont « ce sur quoi les parties se sont
accordées, le contenu de leur accord de volonté »127. La modification, par
amputation, ajout, ou interprétation déformante, de ce second type de prévisions
risque de se traduire par la défaillance des attentes du créancier.
125 Les économistes considèrent que le manque d’informations (qu’ils nomment « asymétries
informationnelles »), relativement au cocontractant, pose des problèmes de « sélection
adverse », lorsqu’il se produit dans la période précontractuelle, et des problèmes d’ « aléa
moral », lorsqu’il intervient au cours de la relation contractuelle. Sur ces deux types de
difficultés, cf. P. GARELLO, art. préc., p. 40 126 H. LECUYER, Le contrat, acte de prévision, Mélanges F. Terré, L’avenir du droit, Dalloz,
1999, p. 644 127 H. LECUYER, ibid., p. 644
96. Conclusion de la Section 1. Pour que les garanties personnelles soient
efficaces, aussi bien in abstracto qu’in concreto, il convient donc de réunir de
multiples facteurs, aux objets très divers.
S’agissant des facteurs d’efficacité objective, ils résident essentiellement
dans la qualité du garant, l’efficacité des recours de celui-ci contre le débiteur, la
transmissibilité de la garantie personnelle avec la créance principale, la
détermination du montant de l’engagement du garant et son caractère proportionné
par rapport aux biens et revenus de ce dernier, la courte durée de cet engagement, la
rareté des moyens de défense, le respect du droit en vigueur par le créancier, sa
loyauté vis-à-vis du garant et, enfin, la bonne foi de celui-ci.
S’agissant des facteurs d’efficacité in concreto, certains se rapportent à
l’adéquation entre les deux niveaux d’attentes subjectives (pouvoir du créancier à
l’encontre du garant ; connaissance et compréhension des données factuelles et
juridiques entourant la conclusion de la garantie), d’autres à l’adéquation entre la
finalité assignée à la garantie et ses effets (stabilité des prévisions extrinsèques ;
respect des prévisions intrinsèques).
Si le législateur et les juges entendent rendre les garanties personnelles
efficaces, ils doivent mettre au jour ces différents facteurs d’efficacité. La poursuite
de l’objectif d’efficacité s’exprime toujours par cette intervention du droit dans la
construction de l’efficacité. Il convient désormais de souligner le caractère plus ou
moins dynamique de cette intervention, en mettant en exergue les degrés
d’implication du droit dans l’apparition des facteurs d’efficacité.
SECTION 2 : LES DEGRÉS D’IMPLICATION DU DROIT
DANS L’APPARITION DES FACTEURS D’EFFICACITÉ
97. Si le droit a pour objectif de rendre les garanties personnelles efficaces, il
peut provoquer l’apparition de tous leurs facteurs d’efficacité. Cependant, son
implication dans la construction de l’efficacité peut être plus ou moins directe. En
effet, il peut se contenter de fournir aux parties et, plus particulièrement, aux
créanciers, les moyens de réunir des facteurs d’efficacité. Lorsqu’il permet
l’apparition de ces facteurs, par le truchement de la volonté des parties, le droit
favorise l’efficacité128 (§1). De manière plus dynamique, le droit peut lui-même
mettre au jour certains facteurs d’efficacité. Lorsque le législateur et les juges
adoptent des règles en vue de la réalisation des attentes des créanciers, le droit
organise l’efficacité des garanties personnelles (§2). L’implication de la loi et de la
jurisprudence dans l’apparition des facteurs d’efficacité étant ainsi susceptible de
degrés, la poursuite de l’objectif d’efficacité ne se traduit pas par une standardisation
du droit129.
128 Le terme « favoriser » peut renvoyer à une bienveillance spéciale à l’égard d’une ou
plusieurs personnes déterminées. Dans les développements à suivre, nous ne l’emploierons
pas dans ce sens, mais dans celui de permettre quelque chose, de fournir le moyen d’atteindre
un résultat. 129 Sur cette critique adressée à la recherche de l’efficacité, cf. supra n°43
§1 : L’EFFICACITÉ FAVORISÉE PAR LE DROIT
98. Parmi tous les facteurs d’efficacité objective et subjective, beaucoup
peuvent procéder de la volonté des parties, c'est-à-dire des choix opérés par le garant
et par le créancier, lors de la formation du contrat, et au cours de la vie de celui-ci
(A). Mais, si les contractants peuvent être à l’origine de certains facteurs
d’efficacité, c’est parce que le droit le permet. En effet, à différents égards, la
volonté des parties est sous l’influence du droit applicable aux garanties
personnelles (B). Il est donc nécessaire de relativiser le rôle des parties dans la
réunion des facteurs d’efficacité et de souligner, au contraire, l’implication du droit
dans la construction de l’efficacité, même lorsqu’il n’adopte pas des règles qui
protègent directement les intérêts des créanciers.
A/ LES FACTEURS D’EFFICACITÉ D’ORIGINE CONVENTIONNELLE
99. Au sein des facteurs d’efficacité objective et subjective, peuvent être
distingués ceux pouvant procéder d’un accord de volonté des contractants de ceux
susceptibles de résulter d’une manifestation de volonté d’une seule des parties.
100. Les facteurs d’efficacité procédant d’un accord de volonté. L’accord
de volonté des contractants peut être à l’origine de facteurs d’efficacité, toutes les
fois que ceux-ci ont trait à ces éléments essentiels de l’opération contractuelle, que
sont la personne des parties, la nature, et le contenu du contrat à constituer.
Les facteurs d’efficacité pouvant découler de l’accord de volonté entre le
créancier et le garant sont ainsi : la qualité du garant ; la nature de la garantie
personnelle à conclure, dont dépendent notamment les moyens de défense offerts au
garant ; le montant et la durée de l’engagement du garant ; les interdictions faites à
ce dernier, non seulement d’accomplir des actes pouvant diminuer la consistance de
son patrimoine, mais aussi de se prévaloir de certains moyens de défense ; le droit
reconnu au créancier de contrôler l’activité et / ou la situation patrimoniale du
garant ; la transmissibilité de la garantie personnelle avec la créance garantie.
101. Les facteurs d’efficacité procédant de la volonté d’une seule des
parties. D’autres facteurs d’efficacité peuvent procéder de la volonté d’une seule
des parties. Certains sont à rattacher à la volonté du créancier. Il s’agit de la
connaissance et de la compréhension des données factuelles et juridiques entourant
la conclusion du contrat de garantie, du respect du droit en vigueur et, enfin, du
comportement adopté envers le garant. Le facteur d’efficacité pouvant provenir de la
manifestation de volonté du seul garant réside dans sa bonne foi.
102. Bien que nombre de facteurs d’efficacité puissent procéder, soit d’un
accord de volonté des contractants, soit d’une manifestation de volonté de l’un
d’eux, il serait hâtif d’en conclure que le droit ne joue aucun rôle dans la
construction de l’efficacité des garanties personnelles. Compte tenu de l’influence
qu’exerce le droit sur la volonté des parties, il convient de considérer, au contraire,
que l’efficacité est favorisée par le droit.
B/ L’INFLUENCE DU DROIT SUR LA VOLONTÉ DES PARTIES
103. La volonté des parties, conjointe ou isolée, ne peut provoquer
l’apparition de facteurs d’efficacité que si le droit le permet. La qualité, le contenu,
et la validité des choix des parties sont en effet sous l’influence des textes et de la
jurisprudence.
104. L’influence du droit sur la qualité des choix du créancier. Pour que
les choix opérés par le créancier et acceptés par le garant, lors de la conclusion de la
garantie personnelle, soient conformes aux attentes que l’octroi de crédit au débiteur
a fait naître chez le créancier, ces choix doivent être éclairés. A l’inverse,
l’ignorance ou l’inintelligibilité des données entourant la conclusion du contrat de
garantie augmentent les risques de différence entre les deux niveaux d’attentes
subjectives du créancier et donc d’inefficacité de la garantie personnelle constituée.
S’agissant des données juridiques, elles ne peuvent être connues et comprises
que si les parties poursuivent une démarche volontaire en ce sens. Il convient
cependant de reconnaître que cette démarche, et le caractère éclairé des choix qui en
découle, peuvent être favorisés par le droit. Plus la législation et la jurisprudence
présentent des qualités formelles les rendant accessibles130, plus elles ont des
chances d’être connues et comprises par les parties et donc plus les choix techniques
et comportementaux de celles-ci sont susceptibles d’être éclairés.
Le droit peut ainsi jouer un rôle essentiel dans la mise au jour de ce facteur
d’efficacité qu’est la connaissance et la compréhension des données juridiques
entourant la conclusion de la garantie personnelle.
105. L’influence du droit sur le contenu des choix comportementaux des
parties. Le droit influe aussi sur le contenu même des manifestations de volonté de
chacun des contractants et, plus précisément, sur leur décision de respecter ou non
les normes, qu’elles soient légales ou contractuelles. La teneur des choix
comportementaux (choix relatifs au respect ou non du droit en vigueur, au
comportement à adopter envers le cocontractant, à la bonne ou mauvaise foi) est,
sinon déterminée, du moins orientée par les sanctions que la loi et les juges attachent
à la violation des normes131.
Certes, comme l’a remarqué le Doyen Vedel, « le droit « dit ce qu’il faut
faire », il ne peut pas dire « ce qu’on fera » »132. Les travaux de sociologie du droit
mettent ainsi en lumière que le respect de la norme ne peut pas s’expliquer par la
seule contrainte psychologique qu’exerce l’idée de l’ordre, c'est-à-dire par la peur de
la sanction133. La conduite licite peut en effet être instinctive. Si elle est réfléchie,
elle peut être motivée par d’autres raisons que la crainte des sanctions prévues par
130 Cf. infra n°177 à 236 pour le détail des qualités formelles du droit conditionnant
l’efficacité des garanties personnelles 131 Le « droit oriente les conduites, il ne les détermine pas » (P. LASCOUMES et E.
SERVERIN, Le droit comme activité sociale : pour une approche wéberienne des activités
juridiques, Droit et société, n°9, 1988, p. 174). 132 G. VEDEL, Le hasard et la nécessité, Pouvoirs, n°50, 1989, p. 27 133 Sur les causes du respect de la norme, cf. F. RANGEON, Réflexions sur l’effectivité du
droit, in Les usages sociaux du droit, Centre universitaire de recherches administratives et
politiques de Picardie, PUF, 1989, p. 126 et s.
l’ordre juridique, et notamment par des conceptions morales ou religieuses, ou
encore par « les avantages qui, bien que n’étant pas déterminés par l’ordre
juridique, sont associés à une conduite licite »134.
S’il est nécessaire de relativiser le rôle joué par la peur des sanctions dans le
respect des normes, il l’est tout autant de ne pas nier le rôle incitatif des sanctions.
La connaissance de la sanction attachée à la violation d’une norme est de nature à
influer sur les choix comportementaux qu’opèrent le créancier et le garant, lors de la
formation de la garantie personnelle et au cours de la vie de celle-ci.
Cette connaissance ne se traduit pas nécessairement par le respect de la norme.
« C’est le calcul de l’intérêt qui produit le respect de la loi »135 ou du contrat. Telle
est la thèse défendue par l’analyse économique du droit. Becker a ainsi développé
une théorie économique du crime136, en vertu de laquelle si le « délinquant », qui est
supposé rationnel, viole la loi, c’est parce que cela est, pour lui, optimal. C’est un
calcul économique qui fait ressortir le choix optimal entre le respect et la violation
de la norme. Ce calcul repose sur la comparaison entre, d’une part, l’évaluation de
l’avantage résultant de la transgression de la norme et, d’autre part, le coût de la
sanction encourue et la probabilité d’être effectivement sanctionné. Plus la sanction
est lourde137, et plus le taux de sanction des violations est élevé, donc plus les effets
de la sanction sont dissuasifs138, plus le calcul optimisateur incite à respecter la
norme.
C’est parce que les choix comportementaux des parties sont orientés par le
caractère dissuasif des sanctions et parce que ce caractère leur est conféré par la loi
et les juges, qu’il est possible de soutenir que le droit favorise l’apparition des
facteurs d’efficacité découlant de ces choix comportementaux.
134 H. KELSEN, Théorie générale du droit et de l’Etat, éd. Bruylant LGDJ, coll. La pensée
juridique, 1997, p. 75
Ainsi, le paiement de ses dettes a pour avantage, non prévu par l’ordre juridique, d’augmenter
son crédit. Le fait de traverser la route sur un passage protégé présente l’avantage, non inscrit
dans le Code de la route, d’assurer sa sécurité. 135 M.-A. FRISON-ROCHE, L’efficacité des décisions en matière de concurrence : notions,
critères, typologie, LPA 28 décembre 2000, n°259, n°17 136 Pour une présentation de cette théorie, cf. C. BARRERE, Les approches économiques du
système judiciaire, RJDE 1999/2, n° spécial De l’économie de la justice, p. 162 et 163 137 En matière civile, « la sanction consiste toujours en la dépossession d’un bien
économique » (H. KELSEN, op. cit., p.100). Par conséquent, le poids de la sanction
s’apprécie à la lumière de l’étendue de cette dépossession. 138 Toutes les sanctions ont une fonction dissuasive, liée à leur nature même (cf. J. RIVERO,
Sur l’effet dissuasif de la sanction juridique, Mélanges P. Raynaud, 1985, p. 675 et s. ; C.
OUERDANE-AUBERT de VINCELLES, Altération du consentement et efficacité des
sanctions contractuelles, th. Paris II, 2000, sous la direction d’Y. LEQUETTE, n° 23 :
« l’effet dissuasif, attaché à toute sanction, est un effet accessoire à la fonction principale des
sanctions, qui est réparatrice pour les sanctions civiles, et répressive pour les sanctions
pénales »). Elles ne sont efficaces, c'est-à-dire que leurs effets ne sont en adéquation avec
cette fonction, que sous certaines conditions. Dans sa thèse, Mme OUERDANE-AUBERT de
VINCELLES (ibid., n°25) a retenu quatre conditions : l’effet dissuasif ne peut concerner que
les contractants de mauvaise foi ; l’auteur potentiel de la violation doit non seulement avoir
conscience de commettre un acte interdit, mais doit également en connaître la sanction ; les
effets de la sanction doivent être proportionnés à l’avantage que lui a procuré la violation ;
enfin, l’auteur doit croire à la réalisation de la sanction, c'est-à-dire à sa condamnation.
106. L’influence du droit sur la validité des accords de volonté des
parties. Si un accord de volonté entre le créancier et le garant, relativement à la
nature ou au contenu de la garantie personnelle, peut conduire à certaines
expressions de l’efficacité, c’est parce que la loi attribue force obligatoire à cet
accord. A l’inverse, il suffit qu’une loi interdise, par exemple, le recours à certains
garants, la conclusion de certaines garanties personnelles, des clauses de
renonciation à certains moyens de défense, les limitations à la liberté du garant
d’accomplir des actes pouvant affecter son patrimoine, ou encore le droit de regard
du créancier sur l’activité et / ou sur la situation financière du garant, pour que
l’accord des parties sur ces différents éléments soit nul et pour que, de ce fait,
nombre de facteurs d’efficacité soient entravés. La « loi contractuelle » ne peut être
à l’origine de facteurs d’efficacité que si la loi étatique lui confère force obligatoire.
L’accord de volonté des parties ne tire pas cette force de la volonté même des
contractants. « Les contractants n’ont le pouvoir de créer des normes (qui peuvent
constituer des facteurs d’efficacité)139 que parce que, et dans la mesure où l’Etat le
leur reconnaît »140. Cette subordination de la volonté des parties au droit a été
magistralement démontrée par Kelsen141. Il n’est pas question d’exposer plus avant
la doctrine normativiste, ni de s’interroger sur les raisons pour lesquelles le droit
institue l’accord de volonté des parties comme état de fait créateur de droit. Il
convient, en revanche, d’insister sur le fait que, si le créancier peut opérer des choix
qui, une fois acceptés par le garant, peuvent se traduire par des facteurs d’efficacité,
c’est bien parce que la loi lui laisse la liberté de protéger ses intérêts financiers.
107. Les moyens par lesquels le droit favorise l’efficacité subjective des
garanties personnelles. Le droit permet la réalisation des attentes subjectives des
créanciers en laissant à ceux-ci la liberté d’organiser la protection de leurs intérêts.
Le droit favorise ainsi l’efficacité subjective des garanties personnelles en donnant
aux parties et, plus spécialement, aux créanciers, le moyen de réaliser leurs attentes.
Ce moyen réside dans la liberté contractuelle.
S’agissant du législateur, il favorise l’efficacité in concreto en laissant aux
créanciers la liberté d’opérer des choix relatifs aux modalités de la protection de
leurs intérêts. Ce sont les silences de la loi et les dispositions légales seulement
supplétives142 qui autorisent ces choix et qui favorisent par là même l’adéquation
entre les deux niveaux d’attentes subjectives.
139 C’est nous qui rajoutons. 140 P. ANCEL, Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat, RTD civ. 1999, p. 776,
n°7
Un parallèle peut être établi entre l’emprise du droit étatique sur l’accord de volonté des
parties et l’emprise de la justice étatique sur les modes alternatifs de règlement des conflits
reposant sur un contrat (soit un compromis, soit une transaction). Sur cette dernière emprise,
cf. L. CADIET, Une justice contractuelle, l’autre, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, n°5,
p. 190 : « que ce soit carrément, dans le principe même de leur mise en œuvre ou, seulement,
dans le contrôle de leur efficacité, les modes alternatifs de règlement des conflits ne sont
concevables qu’articulés à la justice étatique ». 141 H. KELSEN, op. cit. ; H. KELSEN, La théorie juridique de la convention, APD 1940,
p. 36 142 En termes d’efficacité, les dispositions supplétives présentent également l’avantage de
« réduire les coûts de transaction dûs aux négociations qui consomment du temps et de
l’énergie » (U. MATTEI, L’efficacité et l’égalité dans le nouveau droit des contrats
S’agissant des juges, ils favorisent l’efficacité subjective en validant les choix
des créanciers et en permettant, ce faisant, la conformité entre les attentes
subjectives et les effets produits par la garantie personnelle conclue.
108. Le droit commande donc les domaines dans lesquels les parties peuvent
valablement opérer des choix techniques. Par ailleurs, il est susceptible d’orienter le
contenu de leurs choix comportementaux. Enfin, il peut conférer un caractère éclairé
à l’ensemble de leurs choix. Par conséquent, si les parties peuvent provoquer
l’apparition de facteurs d’efficacité, c’est bien parce que le droit leur en donne les
moyens. Ces moyens sont essentiellement les espaces laissés à la liberté
contractuelle par la loi, la validation jurisprudentielle des choix reposant sur cette
liberté, le caractère dissuasif des sanctions attachées à la violation des normes
légales et contractuelles et les qualités formelles rendant le droit accessible et
intelligible. Le droit favorise donc l’efficacité des garanties personnelles en
fournissant aux contractants les matériaux nécessaires à la construction de
l’efficacité143.
Juges et législateur peuvent jouer un rôle encore plus immédiat dans cette
construction, s’ils provoquent l’apparition de facteurs d’efficacité, sans le
truchement de la volonté des parties.
§2 : L’EFFICACITÉ ORGANISÉE PAR LE DROIT
109. La poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit des garanties
personnelles est particulièrement évidente lorsque l’apparition des facteurs
d’efficacité est exclusivement imputable à des dispositions légales impératives ou à
des décisions jurisprudentielles ne se prononçant pas sur la validité de stipulations
contractuelles. L’intervention du droit dans la construction de l’efficacité est ainsi
immédiate chaque fois que la loi ou la jurisprudence sont à l’origine de facteurs
d’efficacité ne pouvant procéder de la volonté des parties (A). Mais, c’est surtout
lorsque le droit prend lui-même en charge la protection des intérêts financiers des
créanciers que son implication dans la construction de l’efficacité des garanties
personnelles est la plus active (B). L’efficacité n’est plus seulement favorisée, elle
est véritablement organisée par le droit.
A/ LES FACTEURS D’EFFICACITÉ D’ORIGINE NÉCESSAIREMENT
LÉGALE OU JURISPRUDENTIELLE
Deux types de facteurs d’efficacité échappent à la volonté des contractants et ne
ressortissent qu’au droit applicable aux garanties personnelles.
110. La stabilité des prévisions extrinsèques et le respect des prévisions
intrinsèques des parties. Les premiers facteurs d’origine nécessairement légale ou
jurisprudentielle se rapportent aux prévisions des parties.
européen. Règles impératives, dispositives et mesures coercitives, Mélanges A. Rieg,
Bruylant, 2000, p. 598). 143 Les contractants peuvent ainsi être comparés à un démiurge, « dieu qui façonne le monde à
partir d’une matière préexistante, mais qui ne crée pas cette matière ».
La stabilité des « prévisions extrinsèques », ayant pour objet les données
juridiques entourant la conclusion de la garantie personnelle, est subordonnée à la
stabilité du contenu et de l’interprétation du droit lui-même. Cette stabilité ne tient
en rien à la volonté des parties. Elle dépend exclusivement de qualités formelles que
devraient présenter la loi et la jurisprudence, au rang desquelles figurent la clarté et
la cohérence144.
Le respect des « prévisions intrinsèques » des parties dépend, quant à lui, du
sort que réservent le législateur et les juges au principe d’intangibilité du contrat.
L’apparition de ce facteur d’efficacité est donc, elle aussi, totalement soustraite à la
volonté des parties.
111. Les facteurs d’efficacité impliquant l’exercice du droit de gage
général. La seconde catégorie de facteurs ne pouvant procéder que du droit, à
l’exclusion de la volonté des contractants, comprend tous les facteurs impliquant
l’exercice du droit de gage général. Ainsi, l’efficacité des recours avant et après
paiement ouverts au garant contre le débiteur principal, et l’efficacité des mesures
conservatoires dirigées contre le patrimoine du garant, dépendent, non seulement des
conditions d’exercice imposées par le législateur, mais aussi de l’interprétation
jurisprudentielle de ces conditions.
112. En dehors de ces facteurs d’efficacité d’origine nécessairement légale ou
jurisprudentielle, l’implication directe du droit dans la construction de l’efficacité
des garanties personnelles se manifeste chaque fois que la loi ou les juges protègent
eux-mêmes les intérêts patrimoniaux des créanciers.
B/ LA PROTECTION LÉGALE OU JURISPRUDENTIELLE
DES INTÉRETS DES CRÉANCIERS
113. Les deux formes de protection des intérêts du créancier. Le
législateur et les juges organisent l’efficacité des garanties personnelles en instaurant
des règles qui protègent les intérêts financiers des bénéficiaires, soit en leur étant
immédiatement favorables, soit en leur imposant des contraintes utiles à l’efficacité.
114. Les règles impératives immédiatement favorables aux créanciers.
Plutôt que de laisser les créanciers protéger eux-mêmes leurs intérêts, en
abandonnant le choix du garant, de la nature et du contenu de la garantie personnelle
à la liberté contractuelle, le législateur peut lui-même protéger les intérêts des
créanciers. Il devance alors, en quelque sorte, les choix techniques que ces derniers
devraient opérer, en situation de liberté contractuelle, pour inciter des tiers à éteindre
la dette principale ou pour rendre plus sûre l’exécution du garant. Les facteurs
d’efficacité relatifs aux éléments essentiels de l’opération contractuelle, que nous
avions précédemment imputés à l’accord de volonté des parties, résultent, dans ce
cas, de dispositions légales.
Ainsi, le législateur peut encourager, voire ordonner, le recours à un garant
professionnel.
144 Sur les qualités formelles du droit favorisant la stabilité de son contenu et de son
interprétation, cf. infra n°210-226
Il peut améliorer la connaissance, par les créanciers, des données factuelles
entourant la conclusion de la garantie personnelle. A cette fin, il peut, par exemple,
imposer au débiteur et au garant pressenti de fournir au créancier des informations
sur leur situation patrimoniale et sur de précédents engagements. Il peut aussi
conférer aux créanciers des pouvoirs d’investigation, ou encore organiser la
publicité d’actes susceptibles d’affecter la solvabilité du débiteur ou du garant.
Pour diminuer les risques d’appauvrissement du garant avant la réalisation de la
garantie personnelle, le législateur peut reconnaître et fixer les modalités du contrôle
du créancier sur l’activité et / ou sur le patrimoine du garant. Par ailleurs, il peut
invalider certains actes du garant qui pourraient compromettre sa solvabilité.
Afin d’éviter les contestations du garant, le législateur peut priver ce dernier de
moyens de défense ou subordonner ceux-ci à de strictes conditions ou encore
imposer le recours à des garanties personnelles offrant, de par leur nature, peu de
moyens de défense au garant.
Enfin, pour favoriser l’engagement d’un tiers en qualité de cessionnaire de la
créance principale, la loi peut rendre automatique la transmissibilité de la garantie
personnelle avec ladite créance.
Dans tous ces exemples, la protection des intérêts financiers des créanciers
résulte de règles impératives qui leur sont immédiatement favorables.
115. Les règles coercitives utiles à l’efficacité des garanties personnelles.
L’organisation de l’efficacité des garanties personnelles peut également reposer sur
des dispositions légales ou des décisions jurisprudentielles qui restreignent la liberté
des créanciers.
Les mesures coercitives sont utiles à l’efficacité, car elles réduisent les coûts de
transaction. En effet, en leur présence, « les parties n’ont pas besoin d’investir des
ressources pour créer eux-mêmes des stratégies autocoercitives »145.
Les règles coercitives peuvent aussi éviter des comportements opportunistes,
qui risquent de conduire à l’inexécution du cocontractant146. Les contraintes
imposées aux créanciers peuvent ainsi les dissuader de commettre des abus et les
empêcher de se voir, en conséquence, opposer des moyens de défense attentatoires à
leurs intérêts147.
116. Conclusion du Chapitre 1. L’implication du droit dans la construction
de l’efficacité des garanties personnelles, c'est-à-dire dans l’apparition de leurs
facteurs d’efficacité objective et subjective, est donc directe lorsque la loi ou les
juges protègent les intérêts financiers des créanciers, soit immédiatement, soit par le
biais de mesures coercitives. L’implication est encore directe en présence de facteurs
dont l’origine ne peut être que légale ou jurisprudentielle.
145 U. MATTEI, art. préc., p. 397 146 En ce sens, cf. U. MATTEI, ibid., p. 397 : « le droit des contrats fournit des mesures
coercitives, qui introduisent des stimulations d’exécution qui évitent des comportements
opportunistes de la partie qui doit s’exécuter plus tard, améliorant ainsi l’efficacité en
augmentant le nombre d’échanges et la taille du marché ». 147 Il sera démontré plus loin que les contraintes imposées aux créanciers ne servent
l’efficacité des garanties personnelles que lorsqu’elles sont fondées sur les exigences de
l’impératif d’éthique contractuelle, et non sur ses excroissances (cf. infra n°163-171).
La participation du droit dans la mise au jour des facteurs d’efficacité peut
également avoir lieu par l’intermédiaire de la volonté des parties. Le droit fournit
alors à celles-ci les moyens de construire l’efficacité, le moyen essentiel étant la
liberté contractuelle.
Qu’elle soit directe ou médiate, l’implication du droit dans l’apparition des
facteurs d’efficacité concrétise la poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit, qui
est la condition sine qua non pour que les garanties personnelles puissent être
efficaces.
Les traductions de la poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit des
garanties personnelles étant établies, il est important de démontrer que cette
recherche de l’efficacité ne contrevient pas à certaines valeurs juridiques
fondamentales et, plus précisément, aux principes directeurs du contrat.
CHAPITRE II
L’OBJECTIF D’EFFICACITÉ
ET LES PRINCIPES DIRECTEURS DU CONTRAT
117. L’évolution des principes directeurs du contrat. Au XIXe siècle, le
contrat n’était pas considéré comme un objet d’intervention, ni pour le législateur, ni
pour le juge car, conformément à la philosophie individualiste et à la doctrine
économique libérale dominantes à cette époque, les contractants étaient censés « en
toute liberté et indépendance, et sur un pied d’égalité, se promettre fidélité et
loyauté pour toute la durée de leur relation contractuelle »148, et les contrats étaient
censés créer le juste par le libre jeu de l’offre et de la demande149. La théorie
générale du contrat était alors dominée par les principes d’autonomie de la volonté,
de liberté contractuelle, et d’intangibilité du contrat.
Au cours du XXe siècle, sous l’influence des doctrines socialistes et
sociaux-chrétiennes, puis des syndicats, puis des associations de consommateurs150,
les interventions de l’Etat en matière contractuelle se sont multipliées en vue de
rétablir l’égalité, la justice, et la loyauté défaillantes entre les contractants. La
jurisprudence, considérant également le contrat comme le produit de rapports de
forces et comme une source d’abus, s’est conjointement immiscée dans le contrat
pour corriger, au cas par cas, les déséquilibres contractuels les plus criants.
Aujourd'hui, la théorie générale du contrat est donc marquée par des
principes nouveaux, au premier rang desquels figurent l’égalité, l’équilibre et la
fraternité contractuelle151.
118. La question de la compatibilité de la poursuite de l’objectif
d’efficacité avec les principes directeurs du contrat. La question se pose de savoir
si ces « principes directeurs » du droit positif des contrats152 sont compatibles avec
148 D. MAZEAUD, Constats sur le contrat, sa vie, son droit, LPA 6 mai 1998, p. 11 et s., n°5 149 En ce sens, cf. J. GHESTIN, Les obligations, Le contrat : formation, LGDJ, 1993, 3e éd.,
n°40 150 Sur ces différentes influences, cf. J. GHESTIN, L’utile et le juste dans les contrats, D.
1982, chron., p. 2 151 En ce sens, cf. D. MAZEAUD, Regards positifs et prospectifs sur « le nouveau monde
contractuel », LPA 7 mai 2004, n°92, p. 47 et s. ; C. THIBIERGE-GUELFUCCI, Libres
propos sur la transformation du droit des contrats, RTD civ. 1997, p. 357 et s., n°27 et s. 152 J. GHESTIN, Les obligations, Le contrat : formation, LGDJ, 1993, 3e éd., n°253 et 254
la poursuite de l’objectif d’efficacité. Autrement dit, le droit des garanties
personnelles peut-il et, le cas échéant, selon quelles modalités, protéger les intérêts
des garants et des débiteurs principaux, sans pour autant restreindre les chances de
paiement des créanciers ?
Pour répondre à cette question, il convient d’analyser les rapports entre
l’objectif d’efficacité des garanties personnelles et les deux formes de justice
particulière dégagées par Aristote, à savoir la justice corrective et la justice
distributive (Section 1), puis les rapports entre l’objectif d’efficacité des garanties
personnelles et cet autre principe directeur qu’est l’éthique contractuelle (Section 2).
SECTION 1 : LES RAPPORTS ENTRE L’OBJECTIF
D’EFFICACITÉ ET L’IMPÉRATIF DE JUSTICE
CONTRACTUELLE
119. La justice. Bien que l’idée de justice soit éminemment subjective et que
la définition de la justice prête, de ce fait, à discussion, trois sens principaux ont pu
être attribués au terme de justice153 : « 1. Principe suivant lequel on doit attribuer à
chacun ce qui lui est dû ; la vertu correspondant à la volonté de chacun d’y
parvenir. 2. La manière dont chaque société donne forme et contenu précis à ce
principe ; d’où l’ordre politique et social correspondant à ce type d’agencement
social ; la légalité qui la fonde. 3. Organisation judiciaire ou service public
assurant la réalisation de la justice aux sens précédents ».
120. La justice contractuelle. Lorsqu’il est question de justice dans le
contrat154, c’est le premier de ces sens qui est pertinent. La justice contractuelle
consiste, en effet, à rendre à chaque contractant ce à quoi il peut prétendre. La
justice contractuelle est ainsi l’expression de ce qu’Aristote155 appelait la « justice
particulière », qui se définit par rapport à l’égalité, par opposition à la « justice
générale », qui se définit par rapport à la loi. La justice particulière, qui réside dans
le fait d’attribuer à chacun sa part de « choses extérieures » comporte, dans la
philosophie d’Aristote, deux espèces.
121. La justice corrective. Il s’agit, tout d’abord, de la justice corrective, qui
a pour champ d’action les « synallagmata », c'est-à-dire les actes interhumains156.
153 Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, sous la direction de A.-J.
ARNAUD, LGDJ, 1993, v° Justice
Pour une démonstration de « ce qui est objectif, donc réel et universalisable, dans le
sentiment de justice », cf. M.-A. FRISON-ROCHE, Le juge et le sentiment de justice,
Mélanges P. Bézard, Le juge et le droit de l’économie, Petites Affiches Montchrestien, 2002,
p. 41 et s. 154 La justice contractuelle peut s’entendre, non seulement de la justice dans le contrat, mais
aussi de la justice par le contrat (en ce sens, cf. L. CADIET, Les jeux du contrat et du procès,
Mélanges G. Farjat, éd. Frison-Roche, 1999, p. 23 et s. ; L. CADIET, Une justice
contractuelle, l’autre, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 177 et s.). Nous n’envisagerons
que la première acception. 155 ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, Livre V 156 Dans la doctrine aristotélicienne, sont envisagés les « synallagmata » volontaires (vente,
achat, prêt, caution, prêt à usage, location…) et involontaires (délits). Sur l’ensemble de cette
Les relations privées entre individus emportent toujours des changements, au
bénéfice de l’un et au détriment de l’autre, relativement à la possession des biens
conditionnant leur bonheur. La justice corrective vise à restaurer l’équilibre, à
rétablir l’ordre antérieur entre les deux situations, de sorte que chaque personne n’ait
que ce qu’elle avait avant le « synallagma ». La justice corrective repose sur une
égalité pure et simple, consistant dans l’équivalence arithmétique des biens échangés
et des services mutuels.
122. La justice distributive. L’autre espèce de justice particulière est la
justice distributive, dont le champ d’action est la distribution des biens susceptibles
d’être répartis entre ceux qui participent à la fonction de l’Etat. Elle vise à établir
l’égalité entre les membres de la Cité dans la distribution des honneurs, des
richesses, et de tous autres avantages. L’égalité en question tient compte des mérites
et des besoins de chacun. Elle est donc de type proportionnel ou géométrique et
admet des inégalités de traitement entre les citoyens.
123. La question de la compatibilité entre l’objectif d’efficacité et les
deux exigences de la justice contractuelle. L’impératif de justice contractuelle, qui
tient aujourd'hui une place prépondérante dans la théorie générale du contrat et dans
le droit positif des contrats, recouvre deux exigences, correspondant à chacune des
espèces de justice particulière.
La première exigence, relevant de la justice corrective, consiste à maintenir ou
à rétablir l’équilibre entre les patrimoines des contractants.
La seconde exigence, exprimant la justice distributive, consiste à accorder des
avantages aux contractants victimes d’une certaine violence économique et sociale.
Afin de déterminer dans quelle mesure le droit des garanties personnelles peut
poursuivre l’objectif d’efficacité, tout en mettant en œuvre l’impératif de justice
contractuelle, doivent être étudiés les rapports qu’entretient cet objectif d’efficacité
avec, d’une part, la justice corrective (§1) et, d’autre part, la justice distributive (§2).
§1 : JUSTICE CORRECTIVE ET OBJECTIF D’EFFICACITÉ
124. Les rapports entre l’impératif de justice corrective et l’objectif
d’efficacité des garanties personnelles sont complexes. En effet, la poursuite de
l’objectif d’efficacité s’oppose à ce que le législateur et les juges interfèrent dans les
rapports entre le créancier et le garant, dans un souci de justice corrective car, dans
le contrat unilatéral de garantie lui-même, le rééquilibrage des obligations constitue
un facteur d’inefficacité (A). En revanche, la correction du déséquilibre entre le
patrimoine du débiteur principal et celui du garant, engendré par le paiement de ce
dernier, constitue un facteur d’efficacité dont le droit des garanties personnelles
devrait organiser l’apparition (B).
A/ LA JUSTICE CORRECTIVE DANS LE CONTRAT UNILATERAL
DE GARANTIE : UN FACTEUR D’INEFFICACITÉ
doctrine, cf. C. DESPOTOPOULOS, La notion de synallagma chez Aristote, in Les notions
de contrat, APD, t. XIII, 1968, p. 115 et s.
125. Les exigences de l’impératif de justice corrective en matière
contractuelle. L’impératif de justice corrective, en matière contractuelle, signifie
que le contrat ne doit pas détruire l’équilibre qui existait antérieurement entre les
patrimoines des parties.
Il implique que le contrat, dans sa formation et son exécution, respecte un
équilibre entre les prestations, un équilibre global entre les droits et obligations des
parties et entre les clauses157. Chacune des parties doit donc recevoir l’équivalent de
ce qu’elle donne et ne doit pas être soumise à des obligations disproportionnées au
regard de celles de son cocontractant. Une proportion purement mathématique doit
régner dans le contrat158.
Si les parties ne parviennent pas à instaurer un équilibre entre leurs prestations,
l’impératif de justice corrective exige que le droit attribue des avantages à la partie
lésée, afin que soit rétabli, en valeur, l’état de choses préexistant entre le créancier et
le débiteur, sur une base d’égalité159.
126. L’équilibre contractuel : un impératif propre aux contrats
synallagmatiques. L’équilibre contractuel, fondé sur la justice corrective, est
aujourd'hui présenté comme l’ « une des exigences de notre droit contemporain des
contrats »160, et il innerve le droit positif161. Pour autant, tous les contrats ne sont pas
concernés par cette exigence d’équilibre.
« L’idée d’équilibre dans le contrat, l’expression de justice (corrective), n’a de
sens que dans les contrats synallagmatiques commutatifs à titre onéreux car eux
seuls sous-tendent la réciprocité des prestations »162. L’équilibre entre les
157 En ce sens, cf. C. THIBIERGE-GUELFUCCI, art. préc., n°29 158 M. BEHAR-TOUCHAIS (Existe-t-il un principe de proportionnalité en droit privé ?,
Rapport introductif, LPA 30 septembre 1998, n°117, n°6) distingue cette proportionnalité, qui
est un instrument au service du respect de l’équilibre voulu par les parties, de la
« proportionnalité finalisée », qui est liée au but poursuivi par les parties. Dans le même sens,
S. PESENTI (Le principe de proportionnalité en droit des sûretés, LPA 11 mars 2004, n°51,
p. 12 et s., n °6) distingue la « proportionnalité interne », qui est un élément de rétablissement
de l’équilibre contractuel, de la « proportionnalité externe », qui est un moyen d’éviter l’excès
de la sûreté par rapport au patrimoine du garant. Nous étudierons cette seconde approche de la
proportionnalité dans le cadre des rapports entre l’objectif d’efficacité et l’impératif d’éthique
contractuelle. 159 En ce sens, cf. J. GHESTIN, L’utile et le juste dans les contrats, D. 1982, chron., p. 6 160 D. MAZEAUD, La réduction des obligations contractuelles, Droit et patrimoine 1998,
n°58, p. 59 161 Pour une présentation des règles, préventives et curatives, reposant sur l’objectif
d’équilibre, dans la codification française, les textes législatifs et réglementaires non codifiés,
les décisions jurisprudentielles, les arbitrages et enfin les principes UNIDROIT, cf. L. FIN
LANGER, L’équilibre contractuel, th. Orléans, 2000, sous la direction de C. THIBIERGE-
GUELFUCCI 162 J.-M. GUEGUEN, Le renouveau de la cause en tant qu’instrument de justice
contractuelle, D. 1999, chron., p. 352 et s., n°4. Dans le même sens, cf. C. NOBLOT, La
qualité du contractant comme critère légal de protection. Essai de méthodologie législative,
LGDJ, 2002, préf. F. LABARTHE, n°460 : « la justice commutative est le principe directeur
des contrats synallagmatiques à titre onéreux ».
prestations des parties ne peut être recherché que dans le cadre d’un échange163, d’un
rapport de commutation patrimonial réciproque164.
En revanche, la justice corrective, et l’équilibre contractuel qu’elle implique,
n’ont aucun sens dans les contrats unilatéraux à titre gratuit165, dans lesquels une
personne s’oblige envers une ou plusieurs autres sans qu’il n’y ait, de la part de ces
dernières, d’engagement réciproque, de contrepartie166. La disproportion entre les
obligations des parties, et le déséquilibre entre les patrimoines de celles-ci,
occasionné par l’exécution du contrat, sont inhérents aux contrats unilatéraux à titre
gratuit et ils sont voulus par les contractants. En conséquence, le législateur et les
juges portent atteinte, non seulement à la volonté des parties, mais aussi à l’essence
même des contrats unilatéraux à titre gratuit, s’ils tentent de rétablir l’équilibre des
patrimoines, au nom de la justice corrective. Le rééquilibrage, légal ou
jurisprudentiel, compromet indubitablement l’efficacité des contrats unilatéraux à
titre gratuit, et notamment des garanties personnelles, puisqu’il contredit à la fois les
prévisions intrinsèques des parties (efficacité subjective) et la fonction de ces
contrats (efficacité objective).
127. Le rééquilibrage du contrat : un facteur d’inefficacité des contrats
unilatéraux. Pour rendre les garanties personnelles efficaces, le droit qui leur est
applicable ne doit pas s’immiscer dans les rapports entre le créancier et le garant, sur
le fondement de la justice corrective. Le droit des garanties personnelles ne peut
rendre ces contrats efficaces s’il méconnaît leur caractère unilatéral en cherchant à
fournir au garant une contrepartie ou à réduire le déséquilibre des obligations issues
du contrat. Les moyens que le législateur et les juges déploient, pour prévenir ou
remédier aux déséquilibres initiaux ou postérieurs à la conclusion des contrats
synallagmatiques à titre onéreux, doivent demeurer étrangers aux contrats de
garantie. Il en va ainsi, notamment, de la rescision pour lésion, de l’annulation des
clauses abusives, et de la révision pour imprévision. Les restrictions à la liberté
contractuelle et à la sécurité juridique qu’emportent ces mesures de rééquilibrage ne
sont admissibles que si elles sont justifiées par l’impératif de justice corrective167.
Dès lors que la justice contractuelle est inopérante, ce qui est le cas en matière de
contrats unilatéraux à titre gratuit, il n’y a donc aucune raison d’admettre, sur ce
163 Toute la doctrine d’Aristote, relative à la justice corrective, est ainsi élaborée au regard des
« actes d’échange ». 164 L. FIN LANGER, th. préc. : « l’état d’harmonie du contenu du contrat apprécié dans sa
globalité existera lorsque sur le plan quantitatif l’équilibre pourra se constater grâce à la
réciprocité ou à la commutativité et quand, au niveau qualitatif, les prestations réciproques
ou commutatives pourront être qualifiées d’équivalentes ou proportionnées ». 165 En ce sens, cf. M. BEHAR-TOUCHAIS, Existe-t-il un principe de proportionnalité en
droit privé ?, Conclusion, LPA 30 septembre 1998, n°117, note 8 ; D. PARDOEL, Les
obligations d’information de la caution portant sur l’évolution de la dette principale, LPA 3
juillet 2001, n°131, p. 13 et s. 166 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V° Unilatéral,
sens 2, p. 898 ; V° Gratuit, sens 1, p. 426 167 Même dans ce cadre, la doctrine prône une application mesurée et in concreto du principe
d’équilibre contractuel (cf. C. THIBIERGE-GUELFUCCI, art. préc., n°33 ; L. FIN LANGER
(th. préc.) considère qu’au nom de la sécurité juridique, le rééquilibrage doit se plier à
l’exigence d’un seuil d’intervention qui « consiste dans l’inexistence ou la perte d’utilité
individuelle et sociale du contrat »).
fondement, des atteintes à la volonté des parties, à la fonction des contrats, et donc à
l’efficacité de ceux-ci.
128. Il peut alors sembler excessif de ranger l’équilibre contractuel parmi les
principes de la théorie générale du contrat car, s’il s’agit bien d’un principe
directeur, il ne s’applique qu’à certains contrats, ceux reposant sur la réciprocité. A
l’égard des autres contrats, dans lesquels les intérêts de l’une seule des parties sont
protégés, l’équilibre contractuel n’est qu’un facteur d’inefficacité, que le législateur
et les juges doivent se garder de provoquer.
Si le principe d’équilibre contractuel au sein du contrat unilatéral conclu entre
le créancier et le garant est donc incompatible avec la poursuite de l’objectif
d’efficacité, il ne faut pas en déduire que la justice corrective ne doit jouer aucun
rôle en matière de garanties personnelles. A partir du moment où l’on appréhende
l’opération de garantie dans son ensemble et que l’on s’intéresse aux rapports entre
le garant et le débiteur principal, il apparaît, en effet, que la mise en œuvre de la
justice corrective peut contribuer à rendre les garanties personnelles efficaces.
B/ LA JUSTICE CORRECTIVE DANS LES RAPPORTS GARANT-DEBITEUR :
UN FACTEUR D’EFFICACITÉ
129. Exclusion de la justice corrective en présence d’une dette du garant
envers le débiteur principal. Le garant peut s’engager auprès du créancier parce
qu’il est déjà tenu envers le débiteur principal168. Dans ce cas, l’exécution de son
obligation de règlement éteint, à due concurrence, non seulement la dette du débiteur
principal à l’égard du créancier169, mais aussi sa propre dette envers le débiteur
principal. La réalisation de la garantie personnelle se traduit, ainsi, par un double
paiement simplifié, qui a pour effet d’attribuer à chacun des protagonistes ce à quoi
il pouvait prétendre. L’exécution du contrat de garantie lui-même n’emporte aucun
déséquilibre entre le patrimoine du garant et celui du débiteur principal170. Il n’y a
donc pas lieu de faire jouer des mécanismes fondés sur la justice corrective, afin de
rétablir une équivalence arithmétique entre la prestation du garant et celle du
débiteur principal.
130. Les manifestations de la justice corrective en présence d’un garant
non tenu envers le débiteur principal. Il en va tout autrement lorsque le garant
s’engage auprès du créancier sans être préalablement tenu d’une dette envers le
débiteur principal. A défaut d’un intérêt personnel du garant au paiement du
créancier, ce paiement engendre une rupture d’équilibre entre le patrimoine du
garant et celui du débiteur principal. A moins que le garant recherche ce
déséquilibre, car il entend réaliser une libéralité au profit du débiteur principal,
l’impératif de justice corrective interdit de laisser subsister un tel déséquilibre171.
168 Sur les causes de l’obligation de couverture du garant, cf. infra n°292-297 169 Cette extinction s’explique par le caractère accessoire essentiel des garanties personnelles.
Cf. infra n°278 170 Il n’est pas exclu, en revanche, que le rapport juridique ayant donné naissance à la dette du
garant envers le débiteur principal soit, lui, déséquilibré. 171 En ce sens, cf. D. GRIMAUD, Le caractère accessoire du cautionnement, préf. D.
LEGEAIS, PUAM, 2001, n°3 à 7 et n°475 à 485
Ainsi, le garant doit pouvoir demander remboursement au débiteur principal de
tout ce qu’il a payé au créancier, s’il n’était pas préalablement débiteur du débiteur
principal, ou de la partie du paiement excédant le montant de sa propre dette envers
le débiteur principal. Les recours du garant contre le débiteur s’expliquent donc par
l’absence, totale ou partielle, d’intérêt personnel du garant au paiement du créancier
et donc par le déséquilibre entre le patrimoine du garant et celui du débiteur
principal qu’emporte ce paiement. Ces recours sont l’expression de l’impératif de
justice corrective dans les rapports entre le garant et le débiteur principal.
131. Le droit des garanties personnelles doit organiser l’efficacité des
recours du garant contre le débiteur principal. Le droit des garanties
personnelles, pour rendre ces contrats efficaces, doit faire respecter cet impératif et
faciliter ainsi les recours du garant. Ces recours constituent, en effet, des facteurs
d’efficacité objective des garanties personnelles, non seulement en ce qu’ils incitent
le débiteur principal à exécuter lui-même ses obligations, mais aussi en ce qu’ils
augmentent les chances d’exécution volontaire du garant172.
Pour que les recours contribuent effectivement à accroître la sécurité des
créanciers, encore faut-il que le législateur et les juges veillent à leur propre
efficacité. Celle-ci réside dans le respect de la justice corrective, c'est-à-dire dans le
rétablissement, en valeur, de l’état de choses préexistant entre le garant et le débiteur
principal, sur une base d’égalité. Le droit des garanties personnelles doit donc
permettre au garant de sortir indemne de l’opération de garantie, dès qu’il n’a pas
d’intérêt personnel au paiement du créancier.
132. Les rapports complexes entre l’objectif d’efficacité des garanties
personnelles et l’impératif de justice corrective. L’efficacité des garanties
personnelles et la justice corrective ne sont donc pas des objectifs complètement
inconciliables. Pour se conformer à l’objectif d’efficacité, le législateur et les juges
doivent, certes, se garder d’interférer dans les rapports entre le créancier et le garant,
au nom de la justice corrective, car celle-ci est incompatible avec le caractère
unilatéral de ces contrats de garantie. En revanche, ils doivent corriger le
déséquilibre entre le patrimoine du garant n’ayant pas d’intérêt personnel au
paiement du créancier et le patrimoine du débiteur principal, en offrant des recours
efficaces au garant, car ces recours sont des facteurs d’efficacité objective.
§2 : JUSTICE DISTRIBUTIVE ET OBJECTIF D’EFFICACITÉ
133. En matière contractuelle, l’impératif de justice distributive commande de
dispenser les débiteurs victimes de la crise économique de leur obligation au
paiement et de faire supporter aux créanciers d’importants sacrifices (A). Comme
ces expressions de la justice distributive entrent en conflit avec l’objectif d’efficacité
des garanties personnelles, il est nécessaire de déterminer lequel de ces deux
objectifs mérite de prendre le pas sur l’autre, non seulement lorsque la justice
distributive profite au garant (B), mais aussi lorsqu’elle bénéficie au débiteur
principal (C).
172 Sur ce facteur d’efficacité, cf. supra n°64
A/ LES EXPRESSIONS DE LA JUSTICE DISTRIBUTIVE
EN MATIÈRE CONTRACTUELLE
134. Les critères de distribution. Si les deux formes de justice particulière,
au sens aristotélicien, se définissent par rapport à l’égalité, l’égalité en œuvre n’est
pas la même dans la justice corrective et dans la justice distributive. Saint Thomas
d’Aquin a synthétisé cette différence en montrant que la justice corrective vise à
rétablir une égalité « d’objet à objet », alors que la justice distributive tend à
« égaler l’objet au sujet »173.
Dans la justice distributive, l’égalité est rarement pure et simple, arithmétique,
comme elle l’est toujours dans la justice corrective. Elle est plus souvent
proportionnelle, géométrique. Ainsi, la distribution des honneurs, des richesses, et
de tous autres avantages, à chacun des membres du corps social, peut s’opérer sur le
fondement de trois critères distincts : l’égalité (à chacun le même montant,
indépendamment de ses contributions), le mérite (à chacun selon ses contributions ;
règle de proportionnalité entre les contributions et les rétributions) et les besoins (il
est juste que chacun reçoive de quoi satisfaire ses besoins).
La doctrine sociologique de ces trente dernières années a mis en lumière la
diversité des facteurs influant sur la représentation du juste distributif174. Les acteurs
sociaux sont plus ou moins sensibles à la norme d’égalité, de mérite, ou de besoins,
selon leur position structurelle, c'est-à-dire leur statut socioprofessionnel175, selon
leur idéologie176 ou encore, selon le contexte relationnel dans lequel ils vivent177.
L’importance donnée à chacun de ces trois critères par le droit positif varie en
fonction des domaines réglementés.
173 THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, IIa-IIac, q. 61, art. 2 174 Pour une présentation de cette doctrine, cf. J. KELLERHALS, M. MODAK, J.-F. PERRIN
et M. SARDI, L’éthique du contrat (Du rapport entre l’intégration sociale et la morale
juridique populaire), L’année sociologique, 1993, p. 125 et s. ; J. KELLERHALS, M.
MODAK et M. SARDI, Justice, sens de la responsabilité et relations sociales, in Le juste :
normes et idéaux, L’année sociologique, 1995, vol. 45, n°2, p. 317 et s. 175 Le critère d’égalité perd en importance avec l’augmentation du revenu et l’élévation dans
la hiérarchie socioprofessionnelle. A l’inverse, la règle de proportionnalité par rapport au
mérite est peu accentuée dans les milieux populaires, alors que les individus dotés d’un statut
social élevé lui confèrent un poids considérable (ils attribuent ainsi implicitement leurs
qualités et leurs ressources à leurs propres talents). Les personnes de bas statut insistent sur la
règle du besoin. Par ailleurs, si pauvres et riches ont à peu près la même conception du salaire
minimum, le maximum jugé légitime est bien plus élevé chez les personnes de haut statut. 176 Certains définissent le juste comme le fait d’être traité comme les autres, de ne pas faire
l’objet de discrimination ou de favoritisme. Cette comparaison à autrui, cette conscience du
groupe, incitent à favoriser le critère d’égalité. D’autres estiment juste le fait de voir ses
capacités reconnues, d’être évalué à sa juste mesure. Cette référence à soi, à l’idéal du moi, à
son histoire de vie, aboutit à privilégier le critère du mérite. 177 La simple possibilité d’une réaction d’autrui influe sur les conceptions que l’on se fait du
juste : l’anonymat est associé à l’utilisation d’une règle de proportionnalité, alors que la
personnalisation entraîne une préférence pour l’égalité. Le degré de proximité / distance entre
les acteurs régit aussi les normes de répartition : dans le cas de la condition de similitude
culturelle ou idéologique, le sujets sont très proches de la norme d’égalité, alors que dans la
situation de différence, ils se rétribuent plus ou moins selon une norme de proportionnalité.
135. Le critère du besoin en matière contractuelle. En matière
contractuelle, le législateur et les juges semblent aujourd'hui particulièrement
soucieux d’accorder des avantages aux « débiteurs malheureux »178, pour répondre
aux besoins que la crise économique leur fait ressentir. La justice distributive, en
matière contractuelle, repose sur le critère du besoin et s’exprime par le « traitement
social de l’endettement »179.
Les débiteurs surendettés, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises, sont
considérés comme les victimes d’une certaine violence sociale180, engendrée par
notre système économique fondé sur l’endettement181. Chacun ayant sa part de
responsabilité dans la situation inextricable dans laquelle se trouvent les débiteurs
privés de ressources182, la « socialisation du risque de surendettement »183 s’impose,
au nom de la justice distributive. A l’image du droit de la responsabilité, qui a
évolué dans le sens d’une socialisation de la réparation, se développe un « droit
contractuel de crise, un droit social des contrats, animé par un esprit de
solidarité »184.
Pour sauver les entreprises en difficulté et maintenir, par là même, l’emploi, et
pour éviter la marginalisation des débiteurs particuliers, le législateur et les juges
dispensent les débiteurs d’exécuter leurs obligations, temporairement ou
définitivement. Le droit des contrats répon aux besoins des débiteurs surendettés par
la négation de leur obligation ou, plus exactement, par la dissociation entre
l’obligation et le paiement185.
136. La solidarité imposée aux créanciers des débiteurs surendettés. Ce
n’est pas à la collectivité dans son ensemble que le droit des contrats impose, au
nom de la justice distributive, cette forme de solidarité au profit des débiteurs
surendettés. La solidarité n’est imposée qu’aux créanciers des débiteurs en difficulté.
Ce sont ces créanciers qui doivent renoncer à un paiement ponctuel, lorsque leur
débiteur bénéficie de délais, ou à un paiement intégral, en cas de réduction de la
178 P. ANCEL, Droit au recouvrement de sa créance ou droit de ne pas payer ses dettes ?,
Droit et patrimoine 1998, n°60, p. 89 ; D. MAZEAUD, Le contrat, liberté contractuelle et
sécurité juridique, Defrénois 1998, article 36874, p. 1142 179 L. CADIET, Une justice contractuelle, l’autre, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 177
et s., n°9 180 En ce sens, cf. D. MAZEAUD, La réduction des obligations contractuelles, Droit et
patrimoine 1998, n°58, p. 65 181 Sur l’endettement, cf. notamment S. GJIDARA, L’endettement et le droit privé, th. Paris
II, 1996 ; F. RIZZO, Le traitement juridique de l’endettement, PUAM, 1996 ; X. LAGARDE,
D’un surendettement l’autre, LPA 17 décembre 2002, n°251, p. 4 et s. ; B. OPPETIT,
L’endettement et le droit, in Mélanges F. Breton et F. Derrida, Dalloz, 1991 182 En ce sens, cf. D. MAZEAUD, Constats sur le contrat, sa vie, son droit, LPA 6 mai 1998,
p. 11 et s., n°6 183 D. MAZEAUD, Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ?,
Mélanges F. Terré, L’avenir du droit, Dalloz, 1999, p. 632 184 D. MAZEAUD, La réduction des obligations contractuelles, Droit et patrimoine 1998,
n°58, p. 65 ; D. MAZEAUD, Constats sur le contrat, sa vie, son droit, LPA 6 mai 1998, p. 11
et s., n°6 185 En ce sens, cf. D. MAZEAUD, La réduction des obligations contractuelles, Droit et
patrimoine 1998, n°58, p. 65
dette de leur débiteur, ou encore au paiement tout court, dans l’hypothèse d’un
effacement de cette dette.
Les textes organisant des procédures de règlement amiable visent à favoriser un
accord entre le débiteur en difficulté et ses créanciers et reposent, ce faisant, sur
l’espoir que ces derniers feront preuve de patience, de tolérance, et d’indulgence. Si
renoncement du créancier il y a, il présente alors un certain caractère volontaire186.
Lorsque les textes autorisent les juges à prononcer des mesures de suspension,
d’allégement ou d’effacement des obligations du débiteur, il n’est plus, en revanche,
question d’abnégation et de solidarité consenties. Les créanciers subissent, de plein
fouet, la dissociation entre l’obligation et le paiement.
137. La solidarité fondée sur l’impératif de justice distributive : un
facteur d’inefficacité. Pour répondre aux besoins qu’engendre la crise économique,
se met donc en place un « droit de la défaillance économique »187, qui encourage ou
impose des sacrifices aux créanciers et qui fait primer, par conséquent, l’impératif de
solidarité, de justice distributive sur ceux d’intangibilité du contrat et de sécurité
juridique. Les prévisions intrinsèques des parties se trouvant déjouées et les chances
d’un paiement ponctuel et intégral se voyant compromises par le « traitement social
de l’endettement », il est possible d’en déduire que l’impératif de justice distributive
constitue un facteur d’inefficacité des contrats pour les créanciers.
Comment s’articulent alors l’objectif d’efficacité des garanties personnelles et
l’impératif de justice distributive, lorsqu’il profite au garant ?
B/ LA JUSTICE DISTRIBUTIVE AU PROFIT DU GARANT
138. La supériorité de l’impératif de protection de la dignité humaine sur
l’objectif d’efficacité. Retarder, réduire, voire empêcher l’exécution de ses
obligations par le garant porte atteinte à l’efficacité des garanties personnelles.
Lorsque ces mesures sont justifiées par la pauvreté du garant, l’objectif de protection
des intérêts financiers du créancier ne suffit pas à leur faire échec. La raison en est
que la pauvreté contrevenant à l’humanité et à la dignité du débiteur, les mesures de
suspension, d’allégement, voire d’effacement de la dette du garant, concrétisent, non
seulement l’impératif de justice distributive, mais aussi celui de protection de la
dignité humaine188. Or, ce dernier n’admet aucun tempérament189. Si légitimes que
186 Il convient de remarquer que les prêteurs institutionnels ont mis au point des procédures
amiables de règlement qu’ils proposent à leurs clients en difficulté, non seulement afin de
ménager leur image de marque, mais aussi parce que c’est souvent le seul moyen de conserver
quelque chance de recouvrer au moins une partie de la créance. En effet, comme l’a souligné
J. STOUFFLET (Propos non conformistes sur la protection du consommateur emprunteur,
Mélanges Ch. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 287 et s., n°27), « le réalisme économique rejoint la
morale. Laisser le débiteur sans recours face à des engagements qu’il n’est pas ou plus à
même d’exécuter conduit à une aggravation de la situation, à une démoralisation du débiteur
et à une perte définitive des créances ». 187 L. CADIET, Les jeux du contrat et du procès, Mélanges G. Farjat, éd. Frison-Roche, 1999,
p. 23 et s., n°38 188 En ce sens, cf. C. NOBLOT, La qualité du contractant comme critère légal de protection.
Essai de méthodologie législative, LGDJ, 2002, préf. F. LABARTHE : la dignité humaine
justifie que l’être humain soit protégé en cette qualité, aussi bien dans sa personnalité (n°82 à
93), que dans son existence matérielle (n°94 à 103).
soient leurs créances, les créanciers doivent renoncer à leur paiement, chaque fois
que celui-ci attente à la dignité de leur débiteur. Dans l’affrontement entre humanité
et efficacité, l’humanité doit l’emporter190. C’est pourquoi, bien qu’il soit
souhaitable que le droit des garanties personnelles rende ces contrats efficaces,
l’objectif d’efficacité ne justifie pas de priver le garant de moyens de défense à
même de préserver sa dignité.
139. Le droit des garanties personnelles doit éviter le « désendettement
de contestation ». Mais l’objectif d’efficacité ne doit céder que dans la mesure
nécessaire au respect de l’humanité et de la dignité du garant. Le droit des garanties
personnelles doit veiller à ce que la protection de ces droits fondamentaux ne soit
pas excessive. En effet, l’excès de protection est susceptible d’encourager les
garants de mauvaise foi, ceux qui « font commerce de promesse sans lendemain »191,
à contester leur engagement et à paralyser ainsi abusivement l’efficacité de la
garantie personnelle conclue. Ce « désendettement de contestation »192 ne doit pas
être favorisé par le droit des garanties personnelles, car il porte atteinte à l’efficacité
de ces mécanismes, sans être justifié par le risque d’exclusion du garant surendetté.
Afin d’éviter ce « contentieux artificiel »193, provoqué par les garants de
mauvaise foi, le droit des garanties personnelles doit s’attacher à apporter au mal (le
surendettement) un remède (mesures de suspension, de réduction ou d’effacement
de la dette) prévisible et proportionné. Ce n’est qu’à ce prix qu’il devient légitime de
faire primer les impératifs de justice distributive et de dignité humaine sur celui
d’efficacité des garanties personnelles.
Lorsque la solidarité s’exerce au profit du débiteur principal, la même
hiérarchie entre ces impératifs s’impose-t-elle ?
C/ LA JUSTICE DISTRIBUTIVE AU PROFIT DU DEBITEUR PRINCIPAL
140. La fonction des garanties personnelles : préserver les créanciers
d’impayés justifiés par l’impératif de justice distributive. Les garanties
personnelles ont pour fonction d’éviter au créancier de pâtir de l’inexécution de leur
189 Le Conseil constitutionnel, le 27 juillet 1994 (décision n° 94-343 / 344 DC), a décidé que
la dignité humaine est un principe à valeur constitutionnelle. Par ailleurs, la dignité humaine
fait partie des droits intangibles reconnus par la CESDH (article 3). 190 En ce sens, cf. A. VERBEKE, Les officiers judiciaires comme régulateurs dans le cas
d’insolvabilité, in L’efficacité de la justice privée, sous la direction de M.-T. CAUPAIN et G.
de LEVAL, éd. Larcin, 2000, n°9 à 11. Par contre, selon cet auteur, dans l’affrontement entre
vie privée et recouvrement efficace, c’est le recouvrement efficace qui doit l’emporter (n°12 à
20). 191 D. MAZEAUD, Le contrat, liberté contractuelle et sécurité juridique, Defrénois 1998,
article 36874, p. 1140 192 X. LAGARDE, Forclusion biennale et crédit à la consommation. La réforme de l’art.
L. 311-37 du Code de la consommation, JCP 2002, I, 106 193 F. TERRE (Au cœur du droit, le conflit, in La justice, l’obligation impossible, éd. Points,
Essais, coll. Série Morales, sous la direction de W. BARANES et M.-A. FRISON-ROCHE,
p. 112 et 113) oppose les contentieux naturels aux contentieux artificiels. Ces derniers
tiennent à l’artificialité du droit existant, principalement à l’imperfection des lois, qui favorise
des conflits inutiles et coûteux.
débiteur et de les mettre ainsi à l’abri d’un impayé194. Grâce à l’adjonction d’un droit
de créance contre un tiers, les créanciers entendent ne pas souffrir des mesures
accordées au débiteur principal, sur le fondement de l’impératif de justice
distributive. Pour que les garanties personnelles produisent des effets conformes à
cette fonction, que leur attribuent tous les créanciers, et donc pour que ces
mécanismes soient efficaces in abstracto, encore faut-il que les avantages accordés
au débiteur principal surendetté restent sans conséquence sur l’exécution des
obligations du garant.
141. L’efficacité des garanties personnelles indépendantes. Dès lors que
l’engagement du garant est indépendant de celui du débiteur principal envers le
créancier, il ne risque pas d’être affecté par les mesures qui ont pour objet
l’obligation principale. L’autonomie de la garantie personnelle conclue constitue, en
cela, un facteur d’efficacité que le législateur et les juges devraient préserver.
142. La condition de l’efficacité des garanties personnelles accessoires : la
primauté de la fonction de garantie sur le caractère accessoire renforcé. Lorsque l’engagement du garant est, au contraire, sous la dépendance de celui du
débiteur principal, par rapport à sa validité, à son étendue, et à son extinction, la
dissociation entre l’obligation et le paiement, que subit le créancier dans ses rapports
avec le débiteur principal, risque de s’étendre au contrat de garantie lui-même. Le
caractère accessoire renforcé de la garantie personnelle constituée195 entre alors en
conflit avec la fonction de celle-ci.
Si l’objectif d’efficacité doit céder devant l’impératif de dignité humaine, la
fonction de la garantie personnelle conclue ne devrait pas, en revanche, être primée
par l’une de ses caractéristiques techniques. Le garant dont l’engagement est
dépendant de celui du débiteur principal ne devrait donc pas pouvoir se prévaloir des
mesures bénéficiant au débiteur principal, qui manifestent la défaillance de celui-ci,
telles les mesures de suspension, d’allégement, voire d’effacement de la dette
principale196. Dans la mesure où l’exécution du garant ne risque pas de
194 Pour de plus amples développements sur la fonction de garantie, cf. infra n°240 et s. 195 Nous parlons de caractère accessoire renforcé à l’égard des garanties personnelles dans
lesquelles l’engagement du garant est dépendant de celui du débiteur principal (le modèle
étant le cautionnement), par opposition au caractère accessoire essentiel, qui caractérise tous
les engagements de garantie, quelle que soit leur nature, et en vertu duquel ces engagements
sont au service de l’extinction de l’obligation principale. Sur cette distinction, cf. infra n°271,
279, 302 196 La doctrine est aujourd'hui majoritairement en ce sens. Cf. notamment B. de
GRANVILLIERS, La transmission des sûretés par la règle de l’accessoire, th. Paris I, 2000,
sous la direction de C. LUCAS de LEYSSAC, n°313 ; D. GRIMAUD, th. préc., n°215, 230 à
235, 267 à 269, 278 à 279 bis ; C. LACHIEZE, Le régime des exceptions dans les opérations
juridiques à trois personnes en droit civil, éd. Septentrion, th. Bordeaux IV, 1996, sous la
direction de J. HAUSER, n°349 à 360 ; Ch. MOULY, th. préc., n°147 et s. ; Ch. ALBIGES,
L’influence du droit de la consommation sur l’engagement de la caution, Liber amicorum J.
Calais-Auloy, Etudes de droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 1 et s. ; M. BEHAR-
TOUCHAIS, Le banquier et la caution face à la défaillance du débiteur, RTD civ. 1993,
p. 737 ; D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les sûretés personnelles, in Sûretés et
garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 68 et s. ; E. NSIE, Les
remises de dettes consenties aux débiteurs en difficultés, Rev. Proc. Coll. 1998-2, p. 138 ; S.
compromettre sa dignité, le droit des garanties personnelles devrait favoriser cette
exécution, chaque fois que l’insolvabilité du débiteur principal est établie, ce qui est
le cas lorsque ce dernier profite de mesures fondées sur l’impératif de justice
distributive. Le législateur et les juges devraient faire primer la fonction de la
garantie personnelle sur son caractère accessoire renforcé, afin de conserver leur
efficacité aux engagements de garantie dépendants de l’obligation principale.
143. Les modes de résolution du conflit entre l’objectif d’efficacité et
l’impératif de justice distributive au profit du débiteur principal. Cette solution
n’est pas sans poser problème lorsqu’elle se trouve confrontée à un autre facteur
d’efficacité qu’est le recours intégral en remboursement du garant contre le débiteur
principal. En effet, l’engagement du débiteur, paralysé ou amputé vis-à-vis du
créancier, peut alors se voir restituer toute sa force vis-à-vis du garant. Les mesures
prises pour répondre aux besoins du débiteur, voire pour préserver sa dignité,
peuvent se trouver, par là même, privées d’effet. Lorsqu’un conflit se fait jour entre
l’objectif d’efficacité et l’impératif de justice distributive au profit du débiteur
principal, plusieurs solutions sont alors envisageables.
Faire supporter définitivement le risque de surendettement au débiteur principal
lui-même, en retenant l’inopposabilité au garant, exerçant son recours, des mesures
affectant la dette principale.
Mettre à la charge du créancier le poids de ces mesures, en en faisant bénéficier
le garant par voie accessoire.
Faire contribuer définitivement le garant, en décidant que le débiteur principal
peut lui opposer le bénéfice des mesures de désendettement.
Enfin, accentuer la socialisation du risque de surendettement, en opérant un
partage du risque entre le créancier et le garant.
144. Les modes de résolution du conflit entre l’objectif d’efficacité et
l’impératif de dignité du débiteur principal. Lorsque le conflit oppose, cette fois,
l’objectif d’efficacité à l’impératif de dignité du débiteur principal, il convient de
faire primer le second, en raison du caractère essentiel du droit à la dignité humaine.
Le débiteur principal devrait, par conséquent, pouvoir opposer au garant exerçant un
recours, les mesures fondées sur la protection de sa dignité. Il resterait, ensuite, à
déterminer qui, du créancier ou du garant, devrait supporter définitivement le poids
de la protection du débiteur principal.
145. Conclusion de la Section 1. Les rapports entre l’objectif d’efficacité des
garanties personnelles et l’impératif de justice contractuelle sont donc complexes.
Selon la forme de justice particulière recherchée et selon les rapports de l’opération
triangulaire de garantie examinés, ces objectifs peuvent, soit être conciliables, le
PIEDELIEVRE, Surendettement et cautionnement, Defrénois 2000, article 37233, p. 1074 ;
M. STORCK, Cautionnement et procédures collectives, in Journée nationale organisée par le
CRAJEFE, LPA 20 septembre 2000, n°188, p. 33 et s. ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY,
n°61, 157, 164, 214-1, 291, 299 à 304 ; D. LEGEAIS, n°228 à 236 ; Ph. MALAURIE et L.
AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°137, 256 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS,
par Y. PICOD, Lectures p. 41 à 44 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°87, note 1, 123,
second participant même de la réalisation du premier, soit entrer en conflit et rendre
nécessaire la détermination de celui qui doit l’emporter sur l’autre.
L’articulation est beaucoup plus simple entre l’objectif d’efficacité des
garanties personnelles et cet autre principe directeur du contrat qu’est l’éthique
contractuelle.
SECTION 2 : LES RAPPORTS ENTRE L’OBJECTIF
D’EFFICACITÉ ET L’IMPÉRATIF D’ÉTHIQUE
CONTRACTUELLE
146. L’éthique contractuelle est considérée comme une préoccupation
intéressant la dimension interpersonnelle du contrat, autrement dit le contrat
appréhendé comme un lien entre deux personnes. L’efficacité est plutôt envisagée
comme un objectif relatif à la dimension économique du contrat, c'est-à-dire au
contrat analysé comme un bien197.
L’éthique contractuelle et l’efficacité appartenant à deux approches distinctes
du contrat, la question se pose de savoir quels rapports ces deux objectifs
entretiennent en matière de garanties personnelles. Sont-ils complémentaires ou, au
contraire, inconciliables, rendant par conséquent nécessaire la détermination de celui
qui doit primer l’autre ?
Afin de répondre à cette question, le contenu de l’impératif d’éthique
contractuelle doit d’abord être précisé (§1), et le fondement des contraintes imposées
aux créanciers au regard de l’objectif d’efficacité doit ensuite être apprécié (§2).
§1 : LE CONTENU DE L’IMPERATIF
D’ETHIQUE CONTRACTUELLE
147. Ethique contractuelle et loyauté. Alors que la justice contractuelle se
définit au regard de l’égalité, l’éthique contractuelle se définit, quant à elle, par
rapport à la loyauté198. La loyauté désigne, « soit la sincérité contractuelle (dans la
197 Ph. STOFFEL-MUNCK (L’abus dans le contrat, Essai d’une théorie, LGDJ, 2000, préf.
R. BOUT, n°7) considère que, « prise sous l’angle « réaliste », l’exécution du contrat relève
d’une problématique s’organisant autour des thèmes tels que l’efficacité, la sécurité, l’utilité
ou l’équilibre de l’opération. Pris sous l’angle interpersonnel, le contrat rappelle au respect
de devoirs tels que la courtoisie, la dignité, voire la charité ».
Sur la distinction entre le contrat comme un lien et le contrat comme un bien, cf. D.
MAZEAUD, Le juge face aux clauses abusives, in Le juge et l’exécution du contrat, colloque
IDA, Aix-en-Provence, PUAM, 1993, p. 23 et s., spéc. p. 24 et 25 ; J. MESTRE, L’évolution
du contrat en droit privé français, in L’évolution contemporaine du droit des contrats, PUF,
1985, Journées R. Savatier, Poitiers, 24-25 octobre 1985, p. 41 et s. 198 OPPETIT (Ethique et vie des affaires, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p. 323 ;
Philosophie du droit, Précis Dalloz, 1999, n°132) distinguait trois formes d’ « éthique
juridicisée », c'est-à-dire intégrée dans le système juridique : l’éthique contractuelle ;
l’éthique sociale (jouant à l’échelle de la collectivité et imposant aux acteurs de la vie
professionnelle des valeurs morales, elle se traduit, notamment, par la notion de choses hors
commerce, par la théorie de la cause morale, par la défense de la « moralité publique », ou
encore par la sanction de la fraude à la loi) ; l’éthique économique (elle s’efforce de moraliser
le déroulement de la compétition économique et d’assurer entre ses protagonistes les
formation du contrat), soit la bonne foi contractuelle (dans l’exécution du
contrat) »199. Positivement, elle constitue une attitude diligente et consciencieuse et,
négativement, une absence de mauvaise foi200.
L’éthique contractuelle est aujourd'hui considérée comme un principe directeur
de notre droit des contrats, et elle est également omniprésente dans l’environnement
juridique international, qu’il s’agisse des systèmes juridiques voisins201 ou des
travaux d’unification ou d’harmonisation du droit européen ou international des
contrats202. Pour autant, tous les devoirs ayant un lien avec la loyauté ne se
rattachent pas nécessairement à l’éthique contractuelle. Il convient de distinguer les
exigences de l’éthique contractuelle (A) de ses excroissances (B).
A/ LES EXIGENCES DE L’IMPERATIF D’ETHIQUE CONTRACTUELLE
148. Les deux dimensions de l’impératif d’éthique contractuelle. Ce qui
caractérise l’éthique contractuelle, et la loyauté sur laquelle elle repose, c’est la prise
en compte du cocontractant comme « un être de chair qui doit être traité non comme
une abstraction comptable, mais avec le respect dû à toute personne »203.
L’impératif d’éthique contractuelle impose des limites au déploiement de
conditions d’une concurrence équitable et loyale). Nous n’étudierons que la première de ces
formes d’éthique. 199 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V° Loyauté,
p. 538. Il convient de remarquer que cet ouvrage ne définit, en revanche, ni l’éthique, ni la
morale. 200 En ce sens, cf. Y. PICOD, Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat, LGDJ, préf.
G. COUTURIER 201 Le principe de bonne foi « paraît être observé dans tous les pays de l’Union européenne
en tant qu’il définit un modèle de conduite contractuelle » (I. de LAMBERTERIE, G.
ROUHETTE et D. TALLON, Les principes du droit européen du contrat, La Documentation
française, 1997, p. 53). Le droit allemand a « érigé en clause générale et en principe
supérieur d’éthique juridique » le principe de bonne foi (M. PEDAMON, Le contrat en droit
allemand, LGDJ, Droit des affaires, 1993, p. 119 ; cf. aussi M. FROMONT, Droit allemand
des affaires, Montchrestion, 2001, n°210 et 211). Pour une présentation du principe de bonne
foi dans des systèmes juridiques non européens, cf. Travaux de l’Association Henri Capitant,
Tome XLIII, 1992 202 Cf. notamment la bonne foi dans la Convention de Vienne sur la vente internationale de
marchandises (B. AUDIT, La vente internationale de marchandises. Convention des Nations
Unies du 11 avril 1980, LGDJ, Droit des affaires, 1990 ; V. HEUZE, La vente internationale
de marchandises, GLN-Joly, 1992), dans les principes d’Unidroit (B. FAUVARQUE-
COSSON, Les contrats du commerce international, une approche nouvelle : les principes
d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international, DIDC, 1998, p. 463 et s., spéc.
n°6), dans les principes du droit européen des contrats élaborés par la Commission Lando
(Les principes du droit européen des contrats, vol. 1, L’exécution, l’inexécution et ses suites,
version française par I. de LAMBERTERIE, G. ROUHETTE, D. TALLON, La
Documentation française, 1997 ; J. MESTRE, Bonne foi, in Principes du droit européen du
contrat : regards croisés avec le droit français, Droit et patrimoine 2003, n°114, p. 42 et s.).
Cf. aussi R. ILLESCAS-ORTIZ, Les garanties indépendantes, les lettres de crédit stand-by et
la bonne foi dans le commerce international : à propos de l’article 19 de la convention de
1995, Mélanges Ch. Gavalda, 2001, p. 173 et s. 203 Ph. STOFFEL-MUNCK, th. préc., n°7
l’individualité204, en exigeant le respect de valeurs relevant d’une problématique
morale205.
Il se traduit, négativement, par le fait que les créanciers ne doivent pas profiter
de leur situation de force pour exploiter leur débiteur. Il s’agit alors de faire preuve
de tempérance (1). Positivement, l’impératif d’éthique contractuelle exige de
faciliter l’exécution de son cocontractant, ce qui implique que chacune des parties se
montre solidaire envers l’autre (2).
1. La tempérance des créanciers
149. L’impératif d’éthique contractuelle exige de ne pas abuser de la
faiblesse du cocontractant. Les parties à un contrat sont rarement en situation
d’égalité. L’une peut, en effet, disposer de moyens financiers plus importants que
l’autre, être plus expérimentée, mieux informée206. Par ailleurs, l’une peut avoir
davantage besoin que l’autre de la conclusion du contrat.
L’impératif d’éthique contractuelle interdit que le « contrat puisse servir
d’instrument d’exploitation d’un contractant par l’autre »207. Le contractant en
situation de force ne doit pas profiter de l’ignorance, de l’inexpérience, de
l’inaptitude à la négociation, ou de l’urgence des besoins de son cocontractant, pour
lui imposer des obligations disproportionnées. L’impératif d’éthique contractuelle
s’oppose à ce que le cocontractant soit traité, non comme un partenaire, mais comme
une proie208.
150. La tempérance des parties à un contrat synallagmatique. Dans le
cadre d’un contrat synallagmatique, le contractant en situation de supériorité doit
donc « exercer de bonne foi son pouvoir exorbitant afin que le contrat…ne soit pas
confisqué dans son intérêt exclusif, au mépris total de l’intérêt du contractant
dépendant »209. Le déséquilibre entre les obligations des parties à un contrat
synallagmatique heurte, non seulement l’impératif de justice corrective210, mais
aussi, s’il résulte du comportement déloyal du « maître du contrat »211, celui
d’éthique contractuelle.
204 En ce sens, cf. L. FERRY et A. RENAUT, Ethique et droit à l’âge démocratique, Cahiers
de phil. jurid. et polit., n°18, Public. Univ. Caen, 1990, p. 13 et s. 205 Cela ne signifie pas que morale et éthique puissent être confondues. Comme l’a montré
OPPETIT (art. préc., p. 320), « là où la morale juge l’action des hommes et des sociétés à
l’aune d’un système de valeurs transcendantes, l’éthique ne prétend à aucune vérité absolue
et, en ce sens, elle est a-morale, critique et non normative ». 206 Sur les différentes formes de pouvoir factuel, cf. P. LOKIEC, Contrat et pouvoir, Essai sur
les transformations du droit privé des rapports contractuels, LGDJ, 2004, préf. A. LYON-
CAEN. Sur le « pouvoir déséquilibrant », cf. V. LASBORDES, Les contrats déséquilibrés,
PUAM, 2000, préf. C. SAINT-ALARY HOUIN 207 J.-L. BAUDOIN, Justice et équilibre : la nouvelle moralité contractuelle du droit civil
québécois, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 32 et 33 208 En ce sens, cf. Ph. LE TOURNEAU, Existe-t-il une morale des affaires ?, in La morale et
le droit des affaires, Montchrestien, 1996, p. 7 et s., n°16 209 D. MAZEAUD, Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ?,
Mélanges F. Terré, L’avenir du droit, Dalloz, 1999, p. 612 210 Cf. supra n°121, 125 211 D. MAZEAUD, art. préc., p. 612
151. La tempérance du créancier dans un contrat unilatéral. Dans les
contrats unilatéraux, l’impératif d’éthique contractuelle condamne la disproportion
des moyens employés par le créancier en position de force pour protéger ses intérêts.
Le créancier doit donc faire preuve de tempérance212, en se gardant de confondre
protection et surprotection de ses intérêts213.
Il y a surprotection lorsque le créancier impose à son cocontractant, en toute
connaissance de cause, soit des obligations inutiles214, soit des obligations
disproportionnées par rapport aux capacités financières de son débiteur. Dans l’un et
l’autre cas, le cocontractant est, en quelque sorte, pris en otage par le créancier
dominant. Une confusion intolérable, au regard de l’impératif d’éthique
contractuelle, s’opère alors entre la protection des intérêts de l’unique créancier, qui
constitue la fonction des contrats unilatéraux, et le sacrifice des intérêts du débiteur,
résultant de l’absence de tempérance du créancier.
152. L’impératif d’éthique contractuelle s’oppose donc aux déloyautés
manifestes des contractants en position de force. Il interdit à ceux-ci d’adopter un
comportement prédateur à l’encontre de leur cocontractant. Mais l’impératif
d’éthique contractuelle ne se limite pas à prescrire des abstentions et à proscrire des
disproportions. Il s’exprime également, d’une manière plus dynamique, par
l’exigence de solidarité envers le cocontractant.
2. La solidarité entre les contractants
153. L’impératif d’éthique contractuelle exige de se rendre utile à son
cocontractant. Le versant positif de l’éthique contractuelle réside dans la solidarité
entre les contractants215. L’éthique contractuelle limite alors l’individualité des
212 Sur le devoir de tempérance, cf. Ph. STOFFEL-MUNCK, th. préc., n°104 à 108 ; D.
MAZEAUD (ibid., p. 612) parle de « décence ». 213 La surprotection est à rapprocher de la « philosophie du bon plaisir », correspondant à
l’hypothèse dans laquelle « un sujet de droits cause à autrui une gêne considérable sous
prétexte de l’exercice confortable et finalement superfétatoire de ses droits » (P.-Y.
GAUTIER, Contre Bentham : l’inutile et le droit, RTD civ. 1995, p. 797 et s., n°33). 214 Sur les sûretés inutiles, c'est-à-dire « celles qui outrepassent la mesure nécessaire au
paiement de la créance », cf. S. PESENTI, Le principe de proportionnalité en droit des
sûretés, LPA 11 mars 2004, n°51, p. 12 et s. ; S. PIEDELIEVRE, Le cautionnement excessif,
Defrénois 1998, article 36836, p. 849 et s. ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°199 215 Sur ces deux « versants » de l’éthique contractuelle, cf. D. MAZEAUD, art. préc., p. 617
(la morale contractuelle pourchasse les comportements qui impliquent une malveillance. Elle
est encore plus exigeante et dynamique quand elle impose un certain dépassement contractuel,
qui s’exprime par des devoirs de solidarité et de fraternité) ; J. MESTRE, D’une exigence de
bonne foi à un esprit de collaboration, RTD civ. 1986, p. 101 (opposition entre la bonne foi,
qui permet simplement, de façon en quelque sorte négative, de sanctionner les déloyautés
manifestes et l’esprit de collaboration, qui est plus formateur des caractères, puisqu’il
implique, de manière positive, des attitudes, des comportements) ; Y. PICOD, L’obligation de
coopération dans l’exécution du contrat, JCP 1988, I, 3318, n°1 (exécuter loyalement, au sens
de la Treu und Glauben, c’est non seulement s’abstenir de toute mauvaise foi, mais aussi
exécuter en se rendant utile à son cocontractant).
parties en imposant à chacune d’elles de se rendre utile à son cocontractant, à tous
les stades de la vie du contrat216.
Il s’agit, pour chacune des parties, de renseigner l’autre sur tout ce qui est
susceptible de faciliter ou, au contraire, d’entraver l’exécution de sa prestation. Les
informations utiles doivent être données lors de la formation du contrat, mais aussi
jusqu’à son expiration.
Il s’agit, par ailleurs, pour le débiteur, d’exécuter le contrat au mieux des
intérêts de son créancier.
154. Le devoir de solidarité dans les contrats synallagmatiques. Le devoir
de solidarité, expression positive de l’impératif d’éthique contractuelle, s’impose
aux parties, quel que soit le contrat conclu217. Dans les contrats synallagmatiques,
chacune des parties a un devoir de renseignement et est tenue d’exécuter ses
obligations de façon à ce que son cocontractant en retire les avantages escomptés218.
L’exigence de loyauté est parfaitement réciproque219, puisque les prestations, dans
un contrat synallagmatique, le sont elles-mêmes. L’impératif d’éthique contractuelle
commande, par conséquent, l’entraide, la coopération entre les parties.
155. Le solidarisme contractuel dans les contrats synallagmatiques est
irréaliste. Il nous semble préférable de justifier ces devoirs par l’impératif d’éthique
contractuelle, plutôt que par la « communion d’intérêts »220 qu’opérerait le contrat.
216 Sur la loyauté contractuelle et le devoir du contractant d’exécuter utilement, cf. Y. PICOD,
Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat, LGDJ, préf. G. COUTURIER 217 C. THIBIERGE-GUELFUCCI (art. préc., n°27 et 31) considère la fraternité contractuelle
comme l’un des principes nouveaux de la théorie générale du contrat.
Si nous partageons cette position, nous nous éloignons, en revanche, de l’analyse de cet
auteur sur plusieurs points. Tout d’abord, nous préférons parler de solidarité, plutôt que de
fraternité contractuelle, car ce dernier terme comporte une dimension sentimentale que
n’impose pas l’éthique contractuelle. Celle-ci exige que les contractants s’aident
mutuellement et non qu’ils s’aiment. Ensuite, nous préférons rattacher la solidarité à l’éthique
contractuelle, plutôt qu’à la justice contractuelle (C. THIBIERGE-GUELFUCCI, ibid., n°26
voit dans la solidarité, voire la fraternité, une aspiration qualitative de la justice contractuelle),
car elle est étrangère à l’égalité arithmétique que commande la justice corrective, ainsi qu’à
l’égalité géométrique qu’exige la justice distributive. La solidarité a trait, en revanche, à la
loyauté, qui caractérise l’éthique contractuelle. Enfin, la définition donnée de la fraternité
contractuelle par Mme le Professeur THIBIERGE-GUELFUCCI (ibid., n°31), en ce qu’elle
rattache ce devoir à la « réalisation d’une affaire commune, à une union d’intérêts », nous
paraît trop inspirée par la doctrine du solidarisme contractuel (cf. infra n°156, 157). 218 En ce sens, cf. D. MAZEAUD, obs. sous Cass. 1ère civ., 11 juin 1996, Defrénois 1996,
n°98 (chacun des contractants doit adopter un comportement qui « épouse les attentes
légitimes de son partenaire ») ; D. MAZEAUD, Constats sur le contrat, sa vie, son droit,
LPA 6 mai 1998, p. 11 et s. 219 En ce sens, cf. Y. PICOD, th. préc. ; D. MAZEAUD, Loyauté, solidarité, fraternité : la
nouvelle devise contractuelle ?, Mélanges F. Terré, L’avenir du droit, Dalloz, 1999, p. 618 ;
Y. PICOD, L’obligation de coopération dans l’exécution du contrat, JCP 1988, I, 3318, n°2 ;
C. THIBIERGE-GUELFUCCI, art. préc., n°31 220 D. MAZEAUD, Le contrat, liberté contractuelle et sécurité juridique, Defrénois 1998,
article 36874, p. 1143 et 1146 ; D. MAZEAUD, Constats sur le contrat, sa vie, son droit,
LPA 6 mai 1998, p. 11 et s., n°6 ; C. THIBIERGE-GUELFUCCI, ibid., n°31
L’approche du contrat, retenue par Demogue221 et, à sa suite, par les partisans du
solidarisme contractuel222, ne repose pas sur une réalité contractuelle223. Le
« microcosme » n’existe pas. L’intérêt commun, l’ « affectio contractus », sont
présents dans le contrat-organisation, et non dans le contrat-échange. Dans celui-ci,
sans aller jusqu’à assimiler les contractants eux-mêmes à des adversaires, il est
réaliste de reconnaître l’existence d’intérêts antagonistes224. C’est pourquoi, sauf à
admettre que l’exigence de solidarité puisse être fondée sur le contrat tel que l’on
souhaiterait qu’il fût et non tel qu’il se présente réellement, il convient d’écarter la
justification du devoir de coopération par l’union des intérêts des contractants. Il est
plus réaliste d’expliquer le devoir d’entraide, de solidarité, par l’impératif d’éthique
contractuelle.
156. Le solidarisme contractuel dans les contrats unilatéraux n’a pas de
sens. Dans les contrats unilatéraux, l’impératif d’éthique contractuelle impose
également la solidarité. Dans la mesure où ces contrats ont pour fonction de protéger
les intérêts de l’une seule des parties, il est encore plus contestable que dans les
contrats synallagmatiques de justifier le devoir de solidarité par l’union des intérêts
des parties. Si des raisons pratiques et idéologiques permettent de discuter le bien-
fondé de la justification du devoir de coopération par le solidarisme en matière de
contrats synallagmatiques, ce sont des raisons purement juridiques qui imposent
d’écarter cette justification en matière de contrats unilatéraux.
157. Le champ limité de la doctrine solidariste. Le solidarisme contractuel
ne permet donc pas de rendre compte des évolutions que connaît tout le droit des
contrats, mais éventuellement que de celles relatives aux contrats synallagmatiques.
Remarquons, à ce propos, que les études qui y sont consacrées, bien que prétendant
couvrir toute la matière contractuelle, ne prennent en réalité appui que sur des
exemples tirés de contrats synallagmatiques225. Dans les contrats unilatéraux, la
221 R. DEMOGUE, Traité des obligations en général, Arthur Rousseau, t. 6, 1932, n°3, p. 9 :
« les contrats forment une sorte de microcosme ; c’est une petite société où chacun doit
travailler pour un but commun qui est la somme des buts individuels poursuivis par chacun,
absolument comme la société civile ou commerciale. Alors, à l’opposition entre le droit du
créancier et l’intérêt du débiteur, tend à se substituer une certaine union ». 222 Cf. notamment Ch. JAMIN, Henri Capitant et René Demogue, notation sur l’actualité
d’un dialogue doctrinal, in L’avenir du droit, Mélanges F. Terré, 1999 ; Ch. JAMIN,
Plaidoyer pour le solidarisme contractuel, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 441 et s. ; Le
solidarisme contractuel : mythe ou réalité ?, Colloque organisé par la Faculté de Droit de La
Rochelle les 3 et 4 mai 2002 223 En ce sens, cf. L. LEVENEUR, Le solidarisme contractuel : un mythe, colloque préc. ; Ch.
RADE, Solidarisme contractuel et contrat de travail, colloque préc. 224 En ce sens, cf. H. CAPITANT, Le traité des obligations en général de M. René Demogue,
RTD civ. 1923, p. 961 sur la « concurrence des intérêts » ; H. CAPITANT, Le régime de la
violation des contrats, DH 1934, chron., p. 1 225 A cet égard, le colloque organisé par la Faculté de Droit de La Rochelle les 3 et 4 mai
2002, consacré au solidarisme contractuel, a retenu comme contrats topiques : le contrat de
travail, les contrats de distribution, les contrats de consommation et le contrat d’assurance. Par
ailleurs, les illustrations du solidarisme lors de la formation du contrat (intervention de M. Le
Professeur SAVAUX) et de sa réalisation (intervention de M. le Professeur MAZEAUD) se
rapportaient également aux contrats synallagmatiques.
doctrine solidariste n’ayant donc pas lieu de s’appliquer, c’est bien l’impératif
d’éthique contractuelle qui permet de rendre compte de l’exigence de solidarité.
158. Le devoir de solidarité dans les contrats unilatéraux. Dans ces
contrats, cette exigence n’est pas parfaitement réciproque, comme elle l’est dans les
contrats synallagmatiques. En effet, seul l’unique créancier est tenu de fournir des
renseignements pour faciliter l’exécution de son cocontractant et seul l’unique
débiteur est tenu d’exécuter ses obligations de la façon la plus utile possible pour
son créancier.
159. Si la tempérance du créancier et la solidarité entre les contractants
peuvent s’exprimer différemment dans les contrats synallagmatiques et dans les
contrats unilatéraux, elles constituent dans tous les cas des exigences de l’impératif
d’éthique contractuelle. Certaines règles, au contraire, ne sont pas commandées par
cet impératif et apparaissent, dès lors, comme des excroissances de ce principe
directeur du contrat.
B/ LES EXCROISSANCES DE L’IMPERATIF D’ETHIQUE CONTRACTUELLE
160. L’exigence d’égalité entre les contractants. L’impératif d’éthique
contractuelle interdit seulement l’exercice des pouvoirs les plus exorbitants. Ce qui
doit être sanctionné, au nom de l’éthique contractuelle, ce n’est pas le pouvoir du
créancier d’imposer ses choix à son débiteur, pouvoir qui constitue un facteur
d’efficacité226, mais c’est l’abus dans l’exercice de ce pouvoir227.
Même si la position de force du créancier facilite la soumission du débiteur à
des obligations disproportionnées, elle ne peut constituer, à elle seule, un
manquement à l’éthique contractuelle. Adopter la solution inverse reviendrait à
admettre que « le contrat d’adhésion est finalement passé sous condition suspensive
du bon vouloir de l’adhérent »228. C’est donc la disproportion des moyens employés
par le créancier pour protéger ses intérêts qui doit être sanctionnée et non l’inégalité
des parties. L’égalité concrète entre les contractants constitue une excroissance, et
non une exigence, de l’impératif d’éthique contractuelle229.
161. La protection directe des intérêts du débiteur. Pour faire respecter cet
impératif, le législateur et les juges doivent imposer aux créanciers de se préoccuper
des intérêts de son cocontractant, soit en le dissuadant d’adopter un comportement
prédateur, soit en l’obligeant à faciliter l’exécution de la prestation du débiteur. Ils
doivent, par ailleurs, sanctionner le créancier qui prendrait son débiteur en otage ou
226 Cf. supra n°90 227 Sur l’abus dans le contrat, cf. Ph. STOFFEL-MUNCK, th. préc. 228 E. AGOSTINI, De l’autonomie de la volonté à la sauvegarde de justice, D. 1994, chron.,
p. 235 229 C. THIBIERGE-GUELFUCCI (art. préc., n°25, 27 et 28) considère que l’égalité entre les
contractants, voire entre les précontractants, qui pourrait constituer un principe nouveau dans
la théorie générale du contrat, est imposée par l’impératif de justice commutative. Ce
rattachement nous paraît discutable dans la mesure où la justice corrective s’intéresse aux
prestations des parties, non aux contractants eux-mêmes.
qui provoquerait l’anéantissement économique de ce dernier230. La protection du
débiteur découlant de l’impératif d’éthique contractuelle présente donc un caractère
incident, puisqu’elle découle de la sanction de l’abus commis par le créancier. La
protection directe des intérêts du débiteur, en dehors de toute déloyauté du créancier,
et fondée sur une présomption de faiblesse231, apparaît ainsi comme une autre
excroissance de l’impératif d’éthique contractuelle232.
162. Le contenu de l’impératif d’éthique contractuelle étant désormais
délimité, il est possible d’apprécier, au regard de l’objectif d’efficacité, les
contraintes imposées aux créanciers selon qu’elles reposent sur les exigences de ce
principe directeur ou sur ses excroissances.
§2 : L’APPRECIATION DU FONDEMENT
DES CONTRAINTES IMPOSEES AUX CREANCIERS
AU REGARD DE L’OBJECTIF D’EFFICACITE
163. La poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit des garanties
personnelles se caractérise par le fait que le législateur et les juges favorisent ou
organisent l’accomplissement des attentes objectives et subjectives des créanciers.
Elle ne se réduit pas à l’édiction de règles immédiatement favorables à ceux-ci et
rigoureuses à l’encontre des garants. Certaines contraintes imposées aux
bénéficiaires peuvent servir l’efficacité des garanties233. En effet, si les protections
directes du garant, résultant des excroissances de l’impératif d’éthique contractuelle,
sont incompatibles avec l’objectif d’efficacité (A), les contraintes fondées sur les
véritables exigences de l’impératif d’éthique contractuelle sont, par contre, tout à
fait utiles à l’efficacité des garanties personnelles (B).
A/ L’INCOMPATIBILITE ENTRE LES PROTECTIONS DIRECTES
DU GARANT ET L’OBJECTIF D’EFFICACITE
230 En ce sens, cf. D. MAZEAUD, Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise
contractuelle ?, Mélanges F. Terré, L’avenir du droit, Dalloz, 1999, p. 633 231 Sur cette question, cf. La protection de la partie faible dans les rapports contractuels,
LGDJ, 1996 ; Y. STRICKLER, La protection de la partie faible en droit civil, LPA 25
octobre 2004, n°213, p. 6 et s. 232 Cette protection directe des intérêts du débiteur, non imposée par l’impératif d’éthique
contractuelle, est de nature compensatoire. C. NOBLOT (La qualité du contractant comme
critère légal de protection. Essai de méthodologie législative, LGDJ, 2002, préf. F.
LABARTHE, n°24) définit la « protection compensatoire » de la façon suivante. Cette
protection est justifiée par l’interaction, c'est-à-dire par la présence de l’autre partie, par le
danger provenant du cocontractant. « Cette situation s’affirme dans un contexte où les
contractants sont considérés comme poursuivant des buts égaux en dignité, comme exerçant
des activités situées au même échelon de la hiérarchie des valeurs. (…) Elle résulte d’un
défaut d’équivalence dans l’économie générale du contrat. Dans ce sens, la protection vise à
corriger, à niveler, bref à se rapprocher de l’idéal d’égalité par le droit ». Elle tend à rétablir
l’égalité par des inégalités inverses, qui ne sont que des compensations. 233 Cf. supra n°115
164. La protection d’intérêts autres que ceux du créancier n’entre pas
dans la fonction des garanties. Les contrats de garantie ont pour raison d’être de
mettre les créanciers à l’abri de l’inexécution du débiteur principal. La protection
d’intérêts autres que ceux du bénéficiaire, notamment ceux des demandeurs de crédit
et des créanciers des banques, grâce à la constitution ou à la réalisation d’une
garantie, relève des effets possibles de ce contrat et non de sa fonction qui, elle, n’a
trait qu’à la situation du créancier. Par conséquent, si le législateur ou les juges
soumettent les créanciers à des obligations, de faire ou de ne pas faire, dans l’unique
but de protéger les intérêts du garant, ils s’éloignent de la fonction des garanties
personnelles et compromettent, ce faisant, leur efficacité.
165. L’inefficacité résultant des protections directes du garant. Par
ailleurs, si le droit des garanties personnelles assimile les garants à des incapables
qu’il convient de protéger234, et qu’il soumet, pour cette raison, les créanciers à des
obligations, il ne se conforme pas à l’impératif d’éthique contractuelle, mais fait
seulement preuve de moralisme235, de sentimentalisme236, d’ « angélisme
contractuel »237. Les contraintes imposées aux créanciers sur le fondement de ces
excroissances de l’impératif d’éthique contractuelle risquent de compromettre
l’efficacité des garanties personnelles.
En effet, en ce qu’elles peuvent paraître illégitimes aux yeux des créanciers,
ceux-ci risquent de ne pas les respecter et de se heurter, en conséquence, à un refus
d’exécution du garant. En outre, le traitement du garant comme un incapable risque
d’encourager son impéritie, voire sa mauvaise foi238, qui sont autant de facteurs
d’inefficacité.
166. L’exemple des obligations d’information du garant. Ainsi, certaines
obligations d’information peuvent apparaître comme des protections directes des
234 Une critique récurrente du consumérisme repose sur l’assimilation des consommateurs à
des « majeurs placés sous sauvegarde de justice » (E. AGOSTINI, De l’autonomie de la
volonté à la sauvegarde de justice, D. 1994, chron., p. 235), voire à des « majeurs sous
curatelle, à des assistés permanents » (Y. PICOD, L’obligation de coopération dans
l’exécution du contrat, JCP 1988, I, 3318, n°25). 235 Ph. MALAURIE, note sous Cass. com., 27 février 1996 : D. 1996, p. 520 : « la règle
morale doit imprégner les obligations…Mais le règne de la vertu mène au moralisme, c'est-à-
dire presque toujours le contraire de la morale ». 236 Ph. DELEBECQUE, Defrénois 1996, p. 1374 : « le contrat n’est pas et ne doit pas être
une œuvre de charité. Il repose avant tout comme l’a écrit le doyen Carbonnier, sur un
« antagonisme d’intérêts » et doit permettre tout simplement de faire de bonnes affaires. S’il
faut réprimer les manœuvres déloyales, il n’est pas nécessaire d’encourager le
sentimentalisme ». 237 D. MAZEAUD, Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ?,
Mélanges F. Terré, L’avenir du droit, Dalloz, 1999, p. 633 238 Sur la déresponsabilisation résultant de la protection excessive, cf. J.-E.-M. PORTALIS,
Ecrits et discours juridiques et politiques, PUAM, 1988, p. 57 : « l’office de la loi est de nous
protéger contre la fraude d’autrui, mais non pas de nous dispenser de faire usage de notre
propre raison ».
Sur l’incitation à la malhonnêteté, cf. Ph. MALAURIE, note préc. ; Y. PICOD, art. préc.,
n°25
intérêts du garant, et non comme des exigences de l’impératif d’éthique
contractuelle.
Celui-ci n’exige la fourniture de renseignements, lors de la formation du contrat
et jusqu’à son expiration, qu’au bénéfice des garants n’en disposant pas eux-mêmes.
Par ailleurs, il commande uniquement la révélation d’informations connues des
créanciers.
Imposer à tous les créanciers de fournir des renseignements à leur garant, sans
prendre en compte leurs connaissances respectives, ne se justifie donc pas au regard
de l’impératif d’éthique contractuelle. Il s’agit d’une forme de protection des intérêts
de la partie réputée faible, qui compromet l’efficacité des garanties personnelles. En
effet, si le créancier ne dispose pas des informations que la loi l’oblige à délivrer à
son garant, soit il va mener des investigations pour se les procurer, ce qui va
augmenter le coût de sa protection, soit il va manquer à son devoir de renseignement
et s’exposer, par là même, à un refus d’exécution du garant. Si le créancier dispose
des informations et qu’il dépense du temps et de l’argent pour en faire part à un
garant déjà renseigné, il supporte également une augmentation injustifiée du coût de
sa protection. Dans les deux cas, il est porté atteinte à l’efficacité de la garantie
personnelle conclue.
167. Sauf lorsque l’impératif de justice distributive rend légitimes les
avantages octroyés aux garants, pour répondre aux besoins que la crise économique
leur fait ressentir, le droit des garanties personnelles ne devrait donc pas imposer aux
créanciers des contraintes ayant pour finalité la protection directe des intérêts du
garant, considéré en état de faiblesse du seul fait de cette qualité de garant. Pour être
utiles à l’efficacité des garanties personnelles, ces contraintes ne devraient reposer
que sur les véritables exigences de l’éthique contractuelle.
B/ L’UTILITE DES CONTRAINTES
IMPOSEES AU NOM DE L’ETHIQUE CONTRACTUELLE
168. L’efficacité résultant des contraintes fondées sur les exigences de
l’impératif d’éthique contractuelle. Si les créanciers n’opèrent pas spontanément
des sacrifices et ne se montrent pas coopératifs à l’égard de leurs cocontractants, le
législateur et les juges doivent les y contraindre pour satisfaire l’impératif d’éthique
contractuelle. Les contraintes fondées sur les exigences de l’éthique contractuelle, et
non sur ses excroissances, peuvent favoriser la réalisation de la fonction des
garanties personnelles239.
239 En ce sens, cf. D. CORRIGNAN-CARSIN, Loyauté et droit du travail, Mélanges H.
Blaise, 1994, p. 137 : « la loyauté se rattache au but contractuel. Elle implique une plus
grande recherche de l’efficacité : il s’agit de faire produire au contrat un effet utile » ; Ch.
JAMIN, Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l’art. 1134 du Code
civil, Droit et patrimoine 1998, n°58, p. 57 : « parce qu’il favorise la réalisation de l’objet du
contrat, le recours au concept de bonne foi me semble avoir partie liée avec la recherche de
la plus grande efficacité économique » ; D. MAZEAUD, Loyauté, solidarité, fraternité : la
nouvelle devise contractuelle ?, Mélanges F. Terré, L’avenir du droit, Dalloz, 1999, p. 608 :
« l’éthique que chaque contractant doit respecter dans l’univers contractuel(…) est
nécessaire à la vitalité du contrat » ; C. THIBIERGE-GUELFUCCI, art. préc., n°31 :
l’altruisme « favorise la conclusion, l’exécution et le maintien du contrat ».
En effet, les obligations, négatives et positives, mises à la charge des créanciers
sur ce fondement, peuvent conduire à l’exécution volontaire du garant, soit parce
qu’elles augmentent les chances de solvabilité de ce dernier lors de l’appel de la
garantie, soit parce qu’elles diminuent les risques de contestation. Ainsi, la
tempérance, aussi bien que la solidarité, imposées au nom de l’éthique contractuelle,
sont utiles à l’efficacité des garanties personnelles.
169. L’inefficacité résultant du manque de tempérance du créancier. Le
manque de tempérance, que révèle la confusion entre protection et surprotection de
ses intérêts, contredit l’exigence de loyauté contractuelle et menace l’efficacité des
garanties personnelles. En effet, la disproportion des moyens employés par le
créancier bénéficiaire risque de se traduire par l’inexécution du garant.
Le manque de tempérance du créancier est, tout d’abord, susceptible
d’augmenter le risque d’insolvabilité du garant lors de l’appel de la garantie. Tel
peut être le cas lorsque le créancier fait souscrire au garant un engagement pour un
montant et une durée indéterminés et, qu’eu égard à l’existence d’un tel engagement,
il accorde des crédits excessifs au débiteur principal. Tel peut être également le cas
lorsque le créancier exige du garant qu’il s’oblige pour un montant manifestement
disproportionné par rapport à ses biens et revenus.
Le manque de tempérance du créancier peut aussi inciter le garant, qui dispose
des fonds nécessaires pour exécuter ses obligations, à contester son engagement.
Dans une logique que l’on peut qualifier de « légitime défense », le garant, qui
considère avoir été victime d’une domination économique abusive, est plus enclin à
refuser l’exécution à un créancier malveillant qu’à un créancier qui aurait respecté
un « principe général de juste mesure » dans l’exercice de ses pouvoirs240.
170. L’efficacité favorisée par la tempérance du créancier. Afin d’éviter
l’inexécution du garant consécutive à une disproportion des moyens employés par le
créancier pour protéger ses intérêts, le droit des garanties personnelles devrait
imposer la tempérance. Il respecterait ce faisant aussi bien l’impératif d’éthique
contractuelle que l’objectif d’efficacité. L’impératif d’éthique contractuelle, dans
son versant négatif (la prohibition des disproportions), et l’objectif d’efficacité sont
donc loin d’être incompatibles, puisque le respect du premier constitue un facteur de
réalisation du second. C’est pourquoi, plutôt que d’affirmer qu’ « une sûreté peut
être efficace sans constituer un instrument de domination »241, mieux vaut retenir
que, pour être efficace, une garantie personnelle ne doit pas constituer un instrument
d’exploitation du garant par le créancier.
171. L’efficacité favorisée par la solidarité entre les contractants.
L’impératif d’éthique contractuelle, dans son versant positif (le devoir de solidarité
des contractants), est également utile à l’efficacité des garanties personnelles.
240 Sur l’exigence de proportionnalité, au sens de juste mesure entre les moyens employés et
les objectifs poursuivis, cf. M. BEHAR-TOUCHAIS, Existe-t-il un principe de
proportionnalité en droit privé ?, Rapport introductif, LPA 30 septembre 1998, n°117 ; M.
BEHAR-TOUCHAIS, Existe-t-il un principe de proportionnalité en droit privé ?,
Conclusion, LPA 30 septembre 1998, n°117 241 L. AYNES, Les garanties du financement, Defrénois 1986, p. 912
Au nom de la solidarité, « le débiteur doit dépasser ses intérêts égoïstes pour
faciliter la réussite de l’entreprise de son créancier »242. En présence d’un contrat
qui n’a pas prévu toutes les modalités de son exécution, le débiteur ne doit pas
adopter une lecture « desséchante » de la lettre du contrat243, mais doit, au contraire,
s’inspirer de son esprit, en vue de procurer à son créancier le plus haut degré de
satisfaction possible.
Au nom de la solidarité, le créancier doit, quant à lui, informer le garant sur
tout ce qui est susceptible de faciliter ou d’entraver l’exécution de sa prestation, dans
la limite néanmoins de ce qu’il connaît et de ce qui est ignoré par le garant244.
Le devoir de solidarité du débiteur, aussi bien que celui du créancier,
convergent donc vers la satisfaction des intérêts de ce dernier. En cela, il apparaît
que la solidarité envers le cocontractant, qu’impose l’impératif d’éthique
contractuelle, augmente les chances d’accomplissement de la fonction des garanties
personnelles. L’efficacité de celles-ci ne rime donc pas, comme on pourrait a priori
le penser, avec la liberté illimitée des créanciers et avec le sacrifice corrélatif des
intérêts du garant.
172. Conclusion de la Section 2 et du Chapitre 2. L’objectif d’efficacité
n’est pas en conflit avec l’impératif d’éthique contractuelle, puisque la tempérance
et la solidarité, qu’exige cet impératif, sont utiles à la réalisation de la fonction des
garanties personnelles.
Si conflit il y a, il oppose l’objectif d’efficacité à la protection directe de la
partie réputée faible. Nous ne pensons pas céder à l’ « utilitarisme ambiant »245, en
faisant primer, dans ce cas, l’objectif d’efficacité, car il s’agit alors simplement de
faire respecter la fonction même des contrats unilatéraux au détriment d’un souci de
protection reposant, non sur l’impératif d’éthique contractuelle lui-même, mais sur
une assimilation abusive des garants à des incapables.
Par ailleurs, cette prédominance ne condamne pas toute forme de protection du
garant puisque, d’une part, l’impératif de justice distributive est supérieur à
l’objectif d’efficacité et parce que, d’autre part, les devoirs de tempérance et de
solidarité imposés aux créanciers, au nom de l’éthique contractuelle, conduisent à
une protection incidente des intérêts des garants.
Ainsi, la poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit des garanties
personnelles ne doit être assimilée, ni au sacrifice des intérêts des cocontractants du
créancier, ni à la protection illimitée des intérêts de ce dernier. La poursuite de cet 242 Y. PICOD, th. préc. 243 En ce sens, cf. D. MAZEAUD (art. préc., p. 617), qui parle de « devoir d’assistance à
autrui ». 244 Cette obligation n’est pas de nature à remettre en cause le caractère unilatéral des garanties
personnelles, car la synallagmaticité exige que les obligations respectives des parties soient
« régulièrement symétriques ». Or, l’obligation de renseignement du créancier ne saurait être
tenue pour la cause de l’obligation du garant de payer. Le garant ne s’engage, ni parce que la
loi prévoit des obligations d’information à son profit (cause efficiente), ni dans le but d’en
bénéficier (cause finale). Ce raisonnement vaut pour les autres obligations que la loi met à la
charge des créanciers, et notamment pour l’obligation de conserver leurs droits préférentiels
contre le débiteur principal (en ce sens, cf. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°191).
Sur la cause de l’engagement du garant, cf. infra n°292-297 245 Ch. JAMIN, Plaidoyer pour le solidarisme contractuel, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001,
p. 471
objectif est, au contraire, tout à fait compatible avec l’éthique contractuelle, dès lors
que l’on s’en tient aux exigences de cet impératif, à l’exclusion de ses excroissances.
Les rapports entre l’objectif d’efficacité et cet autre principe directeur qu’est la
justice contractuelle sont plus complexes.
La compatibilité existe entre l’objectif d’efficacité et la justice corrective
exercée dans les rapports entre le garant, non intéressé personnellement au paiement
du créancier, et le débiteur principal. Cette forme de justice, en ce qu’elle s’exprime
par l’octroi au garant de recours contre le débiteur principal, constitue même un
facteur d’efficacité, puisque ces recours (à condition d’être eux-mêmes efficaces)
incitent le débiteur à exécuter lui-même ses obligations et augmentent les chances
d’exécution volontaire du garant.
Le conflit se manifeste, au contraire, entre l’objectif d’efficacité et la justice
corrective mise en œuvre, cette fois, dans les rapports entre le créancier et le garant.
Dans la mesure où cette forme de justice est dépourvue de sens dans les contrats
unilatéraux à titre gratuit, il est nécessaire de faire primer l’objectif d’efficacité et
d’exclure les mesures de rééquilibrage entre le patrimoine du créancier et celui du
garant.
Le conflit existe également entre l’objectif d’efficacité et la justice
distributive. Dès que la dignité du garant ou du débiteur principal est en jeu,
l’objectif d’efficacité doit céder, car le droit à la dignité humaine ne supporte aucun
tempérament. Lorsque l’état d’endettement du garant ou du débiteur principal n’est
pas tel que l’exécution de leurs obligations compromette leur dignité, la
prééminence de l’impératif de justice distributive ne s’impose pas au contraire
nécessairement.
173. Conclusion du Titre 1. Si la poursuite de l’objectif d’efficacité n’est
donc pas conciliable avec le respect de certaines formes de justice contractuelle, ni
avec le souci de protéger directement les intérêts du garant réputé faible, elle
n’implique cependant pas la négation de valeurs juridiques fondamentales, comme
certains l’affirment.
La poursuite de l’objectif d’efficacité signifie seulement que le droit
intervient dans la construction de l’efficacité des garanties personnelles, c'est-à-dire
favorise ou organise l’apparition de leurs facteurs d’efficacité in abstracto et in
concreto. Si la loi et les juges entendent, soit fournir aux parties les moyens de
construire l’efficacité, soit, de manière plus dynamique, provoquer eux-mêmes
l’apparition de certains facteurs d’efficacité, les garanties personnelles ont des
chances de satisfaire les attentes objectives et subjectives des créanciers.
Condition nécessaire, la poursuite de l’objectif d’efficacité n’est cependant
pas suffisante. L’efficacité des garanties personnelles dépend, en outre, de
l’adéquation entre le contenu du droit et cet objectif d’efficacité.
TITRE II
L’ADEQUATION ENTRE LE CONTENU
DU DROIT DES GARANTIES
PERSONNELLES ET L’OBJECTIF
D’EFFICACITE
174. L’efficacité des garanties personnelles est subordonnée à l’efficacité
du droit des garanties personnelles lui-même. Pour que les garanties personnelles
soient efficaces, le droit qui leur est applicable doit, non seulement avoir pour
objectif de satisfaire les attentes objectives et subjectives des créanciers, mais il doit
aussi comporter des règles adéquates pour réaliser cet objectif d’efficacité.
L’efficacité des garanties personnelles est ainsi subordonnée à l’efficacité du droit
des garanties personnelles lui-même.
Il convient de rappeler que, si l’effectivité du droit consiste dans sa mise en
œuvre (pour les lois impératives), ou au moins sa réception par les sujets de droit
(pour les lois supplétives ou permissives), l’efficacité du droit réside, quant à elle,
dans le caractère adéquat de son contenu pour atteindre un résultat déterminé246.
175. L’utilité de la mise au jour des conditions de l’efficacité du droit des
garanties personnelles. Il est important d’exposer les conditions de cette
adéquation entre le contenu du droit des garanties personnelles et l’objectif
d’efficacité, autrement dit les conditions de l’efficacité du droit des garanties
personnelles lui-même, pour préciser la grille d’analyse, au regard de laquelle seront
ultérieurement confrontées les solutions du droit positif, et donc pour préparer la
reconstruction du droit des garanties personnelles.
176. Les deux conditions de l’efficacité du droit des garanties
personnelles. Pour que le droit des garanties personnelles soit efficace, et rende par
là même celles-ci efficaces, deux conditions doivent être réunies. Tout d’abord, le
droit des garanties personnelles doit présenter certaines qualités formelles (Chapitre
1). Ensuite, il doit refléter les caractéristiques des garanties qu’il régit (Chapitre 2).
246 Pour de plus amples développements sur les notions d’efficacité et d’effectivité du droit,
cf. supra n°32-35
CHAPITRE I
LES QUALITÉS FORMELLES
DU DROIT DES GARANTIES PERSONNELLES
177. Efficacité des garanties personnelles et sécurité juridique. L’efficacité
des garanties personnelles, envisagée in concreto, consiste dans l’accomplissement
des attentes subjectives que l’octroi de crédit a fait naître chez le créancier. Elle
repose sur une double adéquation : l’une entre l’attente née de l’octroi de crédit et la
finalité assignée à la garantie personnelle conclue, l’autre entre cette finalité et les
effets produits par le contrat de garantie.
Chacune de ces adéquations a d’autant plus de chances d’exister que les lois et
la jurisprudence relatives aux garanties personnelles présentent des qualités
formelles qui sécurisent les choix des créanciers, lors de la formation du contrat de
garantie, ainsi que les prévisions des parties. Dans la mesure où ces qualités
constituent des composantes de la sécurité juridique, il apparaît que, pour que le
droit des garanties personnelles soit efficace et rende ces contrats eux-mêmes
efficaces, l’impératif de sécurité juridique doit gouverner, tant le travail législatif,
que l’œuvre jurisprudentielle.
Plus précisément, l’efficacité du droit des garanties personnelles et de ces
garanties elles-mêmes dépend, d’une part, de qualités formelles améliorant la
rationalité des choix des créanciers (Section 1) et, d’autre part, de qualités formelles
confortant la réalisation de la finalité assignée à la garantie personnelle conclue
(Section 2).
SECTION 1 : LES QUALITÉS FORMELLES
AMÉLIORANT LA RATIONALITÉ
DES CHOIX DES CRÉANCIERS
178. Efficacité des garanties personnelles et information des créanciers
sur le droit applicable. Lors de la formation d’une garantie personnelle, le
créancier opère des choix techniques et comportementaux, en vue de la conformité
de la finalité assignée au contrat conclu aux attentes préalables à sa constitution. A
cette fin, il procède à des calculs, en utilisant des prix explicites et implicites, et il se
détermine en fonction du meilleur rapport coût / avantage. Les choix des créanciers
présentent, de ce fait, un caractère rationnel247.
247 Sur la rationalité des choix des créanciers, cf. supra n°83-86
Pour autant, ces choix n’aboutissent pas nécessairement à l’identité entre les
deux niveaux d’attentes subjectives, car les créanciers ne disposent pas toujours de
toutes les informations leur permettant de retenir les solutions optimales. Le manque
d’information ou la non compréhension de l’information se traduisent par une
rationalité limitée, qui conduit elle-même à des différences entre la finalité assignée
à la garantie personnelle et les attentes préalables à sa constitution, et donc à
l’inefficacité de la garantie personnelle248.
A contrario, pour rendre les garanties personnelles efficaces, il convient
d’améliorer la rationalité des choix des créanciers, en permettant à ceux-ci, non
seulement de disposer des renseignements utiles à la prise de décision, mais aussi de
comprendre ces informations. Parmi ces informations, celles ayant trait au droit en
vigueur sont fondamentales249.
Par conséquent, pour que le contenu du droit des garanties personnelles soit en
adéquation avec l’objectif d’efficacité, c'est-à-dire pour qu’il rende ces contrats
efficaces, il doit présenter des qualités qui favorisent, tant sa connaissance (§1), que
sa compréhension par les créanciers (§2). Si ces qualités, qui constituent des
composantes de la sécurité juridique, sont réunies, la rationalité des choix des
créanciers se trouve plus étendue, et plus grandes sont les chances que les attentes
des créanciers, nées lors de l’octroi de crédit, se réalisent250.
§1 : LES QUALITES DU DROIT
FAVORISANT SA CONNAISSANCE
179. La connaissance du droit applicable : un facteur d’efficacité. Pour
que les choix du créancier reflètent effectivement les modalités et le coût de la
protection escomptés lors de l’octroi de crédit, ces choix doivent être opérés au
regard du droit positif. A défaut, le créancier risque de manquer le meilleur rapport
coût / avantage, que ce soit par rapport à la personne du garant, à la nature du contrat
ou des obligations du garant, au contenu du contrat (montant, durée, modalités de
mise en œuvre de la garantie, obligations éventuelles du créancier), au respect ou
non du droit en vigueur ou encore à l’attitude à adopter face au garant. Le droit
applicable aux garanties personnelles doit donc être connu des créanciers pour que la
rationalité de leurs choix soit plus étendue et donc pour que soient plus sérieuses les
chances d’adéquation entre les attentes initiales et celles générées par la garantie
personnelle effectivement conclue.
248 Sur la rationalité limitée, cf. supra n°88 249 Les informations peuvent également être d’ordre factuel, c'est-à-dire concerner le garant, le
débiteur principal ou encore la conjoncture économique (cf. supra n°91). 250 La connaissance et la compréhension du droit seront envisagées, dans les développements
à suivre, comme des facteurs d’efficacité des garanties personnelles. Elles sont également des
facteurs d’ordre (cf. G. RIPERT, Le déclin du droit, 1949, chap. VI sur l’insécurité juridique :
« si la règle imposée…est impossible à connaître et à comprendre, les hommes perdent toute
direction, ne savent plus ce qui est permis ou défendu, trouvent dans leur ignorance une
excuse à leur inconduite et vivent dans l’incertitude sur l’étendue de leurs droits. Il n’y a plus
d’ordre légal et cela par la faute même de ceux qui sont chargés de l’établir ») et d’effectivité
des règles de droit (cf. P. LASCOUMES et E. SERVERIN, Théories et pratiques de
l’effectivité du Droit, Droit et société 1986, p. 110 à 112).
La connaissance du droit positif est favorisée par trois qualités formelles, à
savoir le nombre raisonnable (A), l’accessibilité (B), et enfin la stabilité (C) des
règles de droit. Ces qualités satisfont, tant l’impératif de sécurité juridique, que
l’objectif d’efficacité des garanties personnelles.
A/ LE NOMBRE RAISONNABLE DES REGLES DE DROIT
180. L’inflation législative : un facteur d’inefficacité. La connaissance des
règles de droit, qui améliore la rationalité des choix des créanciers et qui constitue,
de ce fait, un facteur d’efficacité des garanties personnelles, dépend, en premier lieu,
de leur nombre.
A l’inverse, plus les textes et les décisions jurisprudentielles sont nombreux,
plus il est difficile, pour les créanciers, d’opérer des choix au regard de toutes les
règles de droit pertinentes. Le phénomène d’inflation législative251 est souvent
dénoncé comme attentatoire à la liberté des individus252, à leur égalité253, ou encore
à l’ordre254. Mais le foisonnement des textes constitue également une menace pour la
sécurité juridique255, puisqu’il entrave la connaissance des règles de droit, et pour
l’efficacité des garanties personnelles, puisqu’il limite la rationalité des choix des
créanciers.
251 Sur l’évolution du nombre de projets de lois, de décrets, de lois et de circulaires, entre les
années soixante et les années quatre-vingt dix, cf. Conseil d’Etat, Rapport public 1991, n°43,
La documentation française, 1992
Pour des analyses doctrinales de la prolifération des textes, cf. notamment J.-C. BECANE et
M. COUDERC, La loi, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 1994, p. 80 à 86 ; J. BEGUIN, Peut-
on remédier à la complexité croissante du Droit ?, Mélanges H. Blaise, 1995, p. 1 et s. ; J.
CARBONNIER, Essais sur les lois, Defrénois 1979, p. 271 à 277 (chap. VI : l’inflation des
lois) ; J.-H. ROBERT, Métaphores sur l’avenir du droit écrit, in L’avenir du droit, Mélanges
F. Terré, Dalloz, 1999, p. 221 et s. ; R. SAVATIER, L’inflation législative et l’indigestion du
corps social, D. 1977, chron., p. 43 et s. ; C. WIENER, Crise et science de la législation en
France, in La science de la législation, Travaux du Centre de philosophie du droit, PUF,
1988, p. 87 et s. 252 Les auteurs stigmatisent « la perte de liberté », « le sentiment d’accablement » (R.
SAVATIER, ibid., n°2), « l’étouffement » (R. LIBCHABER et N. MOLFESSIS, La sécurité
juridique, RTD civ. 2000, p. 660) que provoque le foisonnement des textes. 253 L’excès de législation et de réglementation rend nécessaire le recours aux professionnels
du droit pour pouvoir connaître l’état du droit en vigueur. La rupture d’égalité entre les
citoyens est à craindre dans la mesure où tous n’ont pas les moyens de s’offrir les services
d’un spécialiste. « Si l’on n’y prend garde, il y aura demain deux catégories de citoyens :
ceux qui auront les moyens de s’offrir les services d’un expert et les autres qui ne l’auront
pas » (Conseil d’Etat, Rapport public 1991, op. cit., p. 21). 254 La profusion des textes entrave leur connaissance et empêche, par là même, le respect des
commandements et des défenses qu’ils comportent. Se développe, ainsi, un « climat
d’incivisme » (R. SAVATIER, art. préc., n°18). « Qui dit inflation dit dévalorisation : quand
le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite » (Conseil d’Etat,
Rapport public 1991, ibid., p. 20). 255 En ce sens, cf. G. BRIERE DE L’ISLE, Sécurité juridique et loi, Entretiens de Nanterre
sur la sécurité juridique, JCP, éd. E., cah. droit ent. n°6-1990, p. 3 et s. ; R. LIBCHABER et
N. MOLFESSIS, art. préc., p. 660 ; F. TERRE, Légiférer. Les trois unités ?, Mélanges J.
Foyer, 1997, p. 177
181. Les principales causes de l’inflation législative et leurs remèdes. Pour
éviter « l’emballement de la machine juridique »,256 et tous les risques qu’il
comporte, il convient d’en déceler les causes.
En premier lieu, l’excès de législation et de réglementation peut s’expliquer par
l’attitude des ministres qui, d’une part, peuvent avoir tendance à « gonfler » les
ordres du jour des conseils de ministres de projets de lois « pour donner le sentiment
que le gouvernement ne cesse d’agir »257, d’autre part, peuvent souhaiter, par vanité,
attacher leur nom à une loi258. Afin de lutter contre ces travers, le rapport du Conseil
d’Etat pour 1991 a proposé de rendre obligatoire l’exposé des motifs des projets de
lois, mais aussi d’instituer, auprès du Premier Ministre, un organe interministériel
chargé de réguler et de coordonner les pulsions normatives des ministres. Dans la
même optique, la Commission PICQ a suggéré de ne consacrer qu’un conseil des
ministres par mois à l’examen des projets de lois259. Il s’agirait donc d’imposer la
mesure là où l’autodiscipline fait défaut. Si de semblables propositions n’ont pas été
formulées au sujet du travail des parlementaires, alors même que l’autodiscipline n’y
est pas non plus de rigueur260, c’est sans doute parce qu’elles sont difficilement
conciliables avec notre régime représentatif.
Le « gigantesque magma législatif et réglementaire »261 s’explique, en
deuxième lieu, par les pressions exercées sur le législateur. Pressions tenant à la
complexification de notre société (progrès techniques et scientifiques), et pressions
provenant des citoyens262 « dès qu’il y a menace sur leur confort ou leur
sécurité »263. Lorsque ces pressions, circonstancielles ou sociales, rendent nécessaire
l’adoption de textes, le phénomène d’inflation peut néanmoins être tempéré par l’
« esprit d’économie législative », dont le doyen Cornu a présenté les principales
manifestations264, que sont l’analogie265 et les canons législatifs.
En troisième et dernier lieu, ce sont des considérations de philosophie politique
qui sont la cause de la prolifération des textes. La « poussée démocratique »266, qui
est aspiration à l’égalité, pas seulement politique, mais aussi socio-économique des
individus, légitime l’intervention de l’Etat en tous domaines et l’explosion du
256 J. BEGUIN, art. préc., p. 2 257 Cette tendance a été dénoncée par Mme CHANDERNAGOR, rapporteur général du
rapport public du Conseil d’Etat pour 1991. 258 J. BEGUIN, art. préc., p. 16 259 L’Etat en France, Servir une nation ouverte sur le monde, Rapport au Premier Ministre,
Mission présidée par J. PICQ, La documentation française, 1995, p. 39 260 « L’autodiscipline est difficile à des hommes imbus, comme nos parlementaires, de leur
toute puissance » (R. SAVATIER, art. préc., n°17). 261 B. OPPETIT, Les tendances régressives dans l’évolution du droit contemporain, Mélanges
D. Holleaux, Litec, 1990, p. 317 262 La pression de l’opinion publique est relayée par des groupes organisés à cette fin, les
lobbies, et par les médias. 263 J. CHANET, Présentation du colloque, Entretiens de Nanterre sur la sécurité juridique,
JCP, éd. E., cah. droit ent. n°6-1990, p. 1 264 G. CORNU, L’art du droit en quête de sagesse, PUF coll. Doctrine juridique, 1998,
chapitre 27, « L’esprit d’économie législative », p. 323 et s. 265 G. CORNU (Le règne discret de l’analogie, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p. 129 et
s.) met en avant le rayonnement de l’analogie, aussi bien dans l’interprétation que dans la
législation. 266 G. RIPERT, Le régime démocratique et le droit civil moderne, Intro., n°2
nombre de textes267. Le primat de l’égalité effective des citoyens sur la liberté fonde
donc l’interventionnisme étatique et explique le foisonnement des textes. Le
phénomène d’inflation pourrait être tempéré si l’étendue de l’intervention législative
n’était pas dictée par des conceptions idéologiques, mais par les objectifs que le
législateur entend poursuivre, et qui sont propres à chaque objet réglementé. En
matière de garanties personnelles, c’est ainsi l’objectif d’efficacité qui devrait
commander le degré d’implication législative268.
182. Les principales causes de la prolifération des décisions
jurisprudentielles et leurs remèdes. S’agissant de la prolifération des décisions
jurisprudentielles, qui peut également compromettre la rationalité des choix des
créanciers, et donc l’efficacité des contrats de garantie, elle découle essentiellement
du manque de prévisibilité du droit applicable tenant, d’une part, aux lacunes
législatives et, d’autre part, à l’inintelligibilité des textes.
L’excès de jurisprudence peut donc être jugulé en conférant à la loi les qualités
nécessaires à sa compréhension269 et en veillant à ce que les textes respectent les
prévisions extrinsèques des parties270.
183. Pour que le droit des garanties personnelles rende ces contrats efficaces,
il doit être connu des créanciers au moment où ils opèrent les choix techniques et
comportementaux visant à réaliser leurs attentes. La connaissance des règles de droit
dépend, non seulement du nombre de textes et de décisions jurisprudentielles, mais
aussi de leur accessibilité.
B/ L’ACCESSIBILITE MATERIELLE DES REGLES DE DROIT
267 En ce sens, cf. J.-C. BECANE et M. COUDERC, op. cit., p. 82 ; B. OPPETIT, art. préc.,
p. 324 268 Sur les deux degrés d’implication du droit dans la construction de l’efficacité des garanties
personnelles, cf. supra n°98-108 ; 109-115 269 Sur ces qualités, cf. infra n°199-205 270 Cf. infra n°207-235
184. L’aide à l’accès au droit. L’accès au droit et l’accès aux règles de droit
sont aujourd'hui deux préoccupations majeures de notre système juridique. Une loi
du 18 décembre 1998 est venue compléter « le versant a ou para-juridictionnel »271
de l’aide juridique, à savoir l’aide à l’accès au droit272. Comme cette aide comporte,
notamment, « l’information générale des personnes de leurs droits et
obligations »273, elle contribue à l’accès aux règles de droit et donc à leur
connaissance. L’accessibilité des règles de droit n’est pas uniquement encouragée
par le biais de cette aide sociale.
185. L’accessibilité de la loi : un objectif de valeur constitutionnelle.
S’agissant, tout d’abord, de l’accessibilité de la loi, après avoir été exigée par la
CJCE274 et par la CEDH275, elle a été qualifiée d’objectif de valeur constitutionnelle
par la décision du Conseil constitutionnel du 16 décembre 1999276. L’accessibilité
des règles de droit peut être envisagée d’un point de vue tant matériel
qu’intellectuel. En consacrant « l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité
et d’intelligibilité de la loi », le Conseil constitutionnel a, non seulement retenu ces
deux dimensions de l’accessibilité, mais il leur a aussi reconnu les mêmes rôles et la
même portée.
186. Les rôles de l’objectif d’accessibilité de la loi. L’accessibilité
(matérielle) et l’intelligibilité (accessibilité intellectuelle) de la loi permettent de
rendre effectifs, selon le Conseil constitutionnel, l’égalité devant la loi énoncée par
l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme, la « garantie des droits » requise
par son article 16 et, enfin, l’exercice des droits et libertés garanti par les articles 4 et
5 de cette même déclaration.
Il ressort de la décision du Conseil constitutionnel, sans que cela ne soit
expressément mentionné, que l’accessibilité de la loi est également susceptible
271 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V° Aide, p. 43 272 Loi n°98-1163 du 18 décembre 1998 modifiant les articles 53 à 60 de la loi n°91-1266 du
10 juillet 1991. Sur cette loi, cf. R. MARTIN, Loi n°98-1163 du 18 décembre 1998 relative à
l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits, JCP 1999, Actual., p. 121 et 122 ; T.
REVET, RTD civ. 1999, p. 220, n°40 273 Art. 53-1° de la loi du 10 juillet 1991.
L’aide à l’accès au droit comporte, par ailleurs, l’aide à la réalisation des droits (démarches en
vue de l’exercice d’un droit ou de l’exécution d’une obligation), la consultation en matière
juridique, et l’assistance à la rédaction et à la conclusion des actes juridiques. 274 CJCE 20 janvier 1985, aff. 143/83, Commission c/ Royaume de Danemark, Rec. p. 427 275 CEDH 24 avril 1990, Kruslin et Huvig (V. BERGER, Jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme, 5e éd., Dalloz, 1996, n°149 et 141 ; D. 1990, p. 353, note
J. PRADEL ; D. 1990, chron., p. 187, R. KOERING-JOULIN) ; CEDH 16 décembre 1992,
Geouffre de la Pradelle (D. 1993, 561, note F. BENOIT-ROHMER) 276 Cons. Constit., Décision 99-421 DC du 16 décembre 1999 : Rec. Constit., p. 136 ; D.
2000, Somm., p. 425, obs. RIBES ; A. CRISTAU, L’exigence de sécurité juridique, D. 2002,
chron., p. 2814 et s. ; M.-A. FRISON-ROCHE et W. BARANES, Le principe constitutionnel
de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi, D. 2000, chron., p. 361 et s. ; R. LIBCHABER
et N. MOLFESSIS, La sécurité juridique, RTD civ. 2000, p. 660 et s. ; B. MATHIEU, La
sécurité juridique : un produit d’importation dorénavant « made in France » (à propos des
décisions 99-421 et 99-422 DC du Conseil constitutionnel), D. 2000, point de vue, p. VII et
VIII ; J.-E. SCHOETTL, Codification par ordonnance, AJDA 2000, p. 31 et s.
d’asseoir la sécurité juridique. De nombreux auteurs ont ainsi considéré que cette
décision consacrait le principe de sécurité juridique et l’intégrait dans l’arsenal
constitutionnel français277.
187. La portée de l’objectif d’accessibilité de la loi. Concernant la portée de
l’exigence d’accessibilité de la loi, dans ses deux dimensions, il convient de retenir
que cette exigence ne se traduit pas par un droit subjectif à l’accessibilité, mais
seulement par une contrainte pesant sur les autorités normatives278. Les pouvoirs
publics doivent donc rendre la loi matériellement et intellectuellement accessible.
L’accessibilité matérielle des textes est subordonnée à deux conditions : leur
diffusion et leur regroupement thématique.
188. Les moyens favorisant la diffusion des textes. S’agissant, tout d’abord,
de la diffusion des textes, elle est en principe assurée par leur publication au Journal
officiel. Pour satisfaire l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité de la loi,
cette publication est apparue insuffisante.
C’est pourquoi la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs
relations avec les administrations279, dans son chapitre 1 consacré à l’accès aux
règles de droit, a précisé qu’il appartient aux autorités administratives de pourvoir à
l’accessibilité des textes par leur mise à disposition et leur diffusion280.
189. Le regroupement thématique des textes : un facteur d’efficacité.
S’agissant, ensuite, du regroupement thématique des textes, il permet d’éviter aux
usagers d’en négliger certains au moment où ils doivent opérer des choix dans un
domaine réglementé particulier. Cet aspect de l’accessibilité des textes est essentiel
dans le cadre de la question qui nous occupe. En effet, si les règles de droit relatives
aux garanties personnelles sont dispersées dans de multiples textes, les créanciers
277 En ce sens, cf. A. CRISTAU, ibid., n°29 à 38 ; R. LIBCHABER et N. MOLFESSIS, ibid.,
p. 660 à 662 ; B. MATHIEU, ibid. Contra, cf. M.- A. FRISON-ROCHE et W. BARANES,
ibid., spéc. n°25. Pour ces auteurs, le « principe ultime » n’est pas la sécurité juridique, mais
l’accès au droit. La sécurité juridique n’est qu’« un objectif médiat », qui sert l’accès au droit. 278 En ce sens, cf. L. FAVOREU et al., Droit constitutionnel, Précis Dalloz, 2e éd., 1999,
n°1338, p. 871 ; A. CRISTAU, ibid., n°25 et 26 ; B. MATHIEU, ibid. ; M.-A. FRISON-
ROCHE et W. BARANES, ibid., n°12 ; F. POLLAUD-DULIAN, art. préc., p. 490 et 491
La qualification d’objectif de valeur constitutionnelle peut revêtir un autre sens, qui est de
justifier une limite faite à un principe constitutionnel. De nombreuses décisions du Conseil
constitutionnel ont retenu cette qualification pour justifier l’atteinte que la loi porte à un
principe constitutionnel (exemple : l’objectif de sûreté publique justifie l’atteinte à la liberté
individuelle). G. DRAGO (Contentieux constitutionnel français, coll. Thémis, PUF, 1998,
p. 233 et s.) retient ainsi que l’objectif de valeur constitutionnelle s’insère dans la
méthodologie de mise en compatibilité de principes à première vue contradictoires. 279 JO 13 avril 2000, p. 5646 280 Loi du 12 avril 2000 : « Les autorités administratives sont tenues d’organiser un accès
simple aux règles de droit qu’elles édictent. La mise à disposition et la diffusion des textes
juridiques constituent une mission de service public au bon accomplissement de laquelle il
appartient aux autorités administratives de veiller ».
La philosophie qui inspire la loi du 12 avril 2000 est à rapprocher de celle ayant présidé à
l’adoption de la loi du 17 juillet 1978, ayant reconnu la liberté d’accès aux documents
administratifs.
risquent de procéder à des choix techniques et comportementaux, sans disposer de
toutes les règles de droit pertinentes, et ils risquent de souffrir de l’inadéquation
entre les attentes nées de l’octroi de crédit et celles résultant de la garantie
personnelle effectivement conclue. L’éclatement des règles de droit entrave donc
leur connaissance et constitue un facteur d’inefficacité des garanties personnelles. A
l’inverse, le regroupement exhaustif des règles de droit ayant un même objet, dans
un document unique, favorise l’accessibilité matérielle des règles de droit, donc leur
connaissance et, par conséquent, la rationalité des choix des créanciers et l’efficacité
des garanties personnelles.
190. La codification : un moyen de favoriser le regroupement thématique
et la diffusion des textes. Ce regroupement caractérise la codification et, plus
précisément, celle dite à droit constant, qui ne transforme pas le droit, mais procède
uniquement à une compilation des règles de droit relevant d’une même matière281.
Cette codification, en ce qu’elle « concentre la matière juridique »282 et « met au
jour une réalité non apparente », comme le ferait un oracle283, rend donc les textes
accessibles et en favorise la connaissance.
Elle paraît d’autant plus utile lorsque les règles de droit applicables à un objet
déterminé peuvent être rangées dans plusieurs branches du droit. C’est le cas en
matière de garanties personnelles, car le droit des garanties est « un droit
carrefour »284, qui a notamment partie liée avec le droit bancaire, le droit de la
consommation, du surendettement, des procédures collectives, des sociétés. Mais,
paradoxalement, c’est là où la « codification – compilation » serait la plus utile
qu’elle semble la plus difficile à mettre en œuvre et ce, en raison de la rigidité même
de la division du droit en branches285.
La codification contribue à l’accessibilité des textes, non seulement parce
qu’elle évite leur éparpillement, mais aussi parce qu’elle constitue un mode de
diffusion des règles de droit.
En ce qu’elle satisfait les deux conditions nécessaires à l’accessibilité des
textes, que sont leur diffusion et leur regroupement thématique, la codification
apparaît comme un moyen adéquat pour rendre les textes matériellement
accessibles et donc pour rendre le droit efficace.
191. L’accessibilité matérielle des décisions jurisprudentielles. Concernant
l’accessibilité matérielle des décisions jurisprudentielles286, elle n’est pas au cœur
281 Un code qui ne transforme pas le droit est-il un vrai code ? Sur le débat né de cette
question,
cf. Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, sous la direction de A.-J.
comment ?, Rev. fr. adm. pub., 1995, p. 131 et s. ; F. ZENATI, Les notions de code et de
codification (contribution à la définition du droit écrit), Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998,
p. 217 et s. 282 F. OST, L’amour de la loi parfaite, in L’amour des lois, la crise de la loi moderne dans les
sociétés démocratiques, éd. Les presses de l’Université de Laval, L’Harmattan, 1996, p. 64 283 En ce sens, cf. F. ZENATI, art. préc., p. 246 284 D. LEGEAIS, n°24 285 Sur cette division du droit en branches, cf. F. GRUA, Les divisions du droit, RTD civ.
1993, p. 59 et s. ; R. MARTIN, Le droit en branches, D. 2002, chron., p. 1703 286 Sur cette question, cf. Y. GAUDEMET, Sécurité du droit et jurisprudence, Entretiens de
Nanterre sur la sécurité juridique, JCP, éd. E., cah. droit ent., n°6-1990, p. 12 et s., n°35
des préoccupations constitutionnelles et législatives, comme l’est celle des textes.
Elle conditionne pourtant aussi la connaissance des règles de droit.
Pour lutter contre l’ « hermétisme de la jurisprudence »287, lié à la
confidentialité, de fait, des décisions, il convient d’œuvrer en faveur de la diffusion
des arrêts288. La gratuité de certains sites Internet rend ainsi l’accessibilité matérielle
effective et améliore, ce faisant, la rationalité des choix des créanciers.
192. Pour que le droit des garanties personnelles soit efficace, les créanciers
doivent disposer des textes et de la jurisprudence au moment où ils opèrent des
choix ayant trait à la protection de leurs intérêts. La connaissance des règles de droit,
par les créanciers, dépend du nombre et de l’accessibilité matérielle des textes et des
décisions jurisprudentielles, mais encore de la stabilité des règles de droit.
C/ LA STABILITE DES REGLES DE DROIT
193. La stabilité des règles de droit : un facteur d’efficacité. La stabilité est
une qualité des règles de droit qui constitue un facteur d’efficacité des garanties
personnelles à deux égards.
D’une part, elle facilite la connaissance des règles de droit, et donc l’adéquation
entre les deux niveaux d’attentes subjectives des créanciers. D’autre part, elle
contribue au respect des prévisions extrinsèques des parties et donc à
l’accomplissement de la finalité assignée à la garantie personnelle effectivement
constituée289.
La connaissance des règles de droit, et l’extension de la rationalité des choix en
découlant, sont favorisées par la stabilité, tant des textes, que de la jurisprudence. A
l’inverse, les réformes législatives et les revirements de jurisprudence fréquents
réduisent les chances de pouvoir prendre des décisions au vu de toutes les règles de
droit pertinentes.
194. L’effervescence législative : un facteur d’inefficacité. La mobilité de la
législation peut s’expliquer de différentes manières290, notamment par la survenance
de questions nouvelles, par l’évolution de la société et des mentalités, par les
pressions exercées sur le législateur, par l’alternance politique ou encore par la
vanité des ministres291.
Quelle qu’en soit la cause, « la succession rapide de mesures différentes et
contradictoires »292 est source d’une insécurité tout à fait préjudiciable. Dès lors que
287 D. FOUSSARD, Sécurité du droit et jurisprudence, Rapport de synthèse, Entretiens de
Nanterre sur la sécurité juridique, JCP, éd. E., cah. droit ent., n°6-1990, p. 18 288 La diffusion trop large des décisions risquant de « noyer » les justiciables, il n’est sans
doute pas pertinent de préconiser la diffusion des jugements. 289 Sur ce second avantage, cf. infra n°209-226 290 Sur les causes de la « boulimie de réformes », cf. J. BEGUIN, Peut-on remédier à la
complexité croissante du Droit ?, Mélanges H. Blaise, 1995, p. 10 291 En ce sens, cf. F. TERRE, Légiférer. Les trois unités ?, Mélanges J. Foyer, 1997, p. 177 :
« les lois de circonstances…des lois chères aux ministres dans la seule mesure où ils peuvent
les faire désigner par leur nom ». 292 G. RIPERT, Le déclin du droit, 1949, p. 100
les lois sont « éphémères et jetables après emploi »293, il est, en effet, plus difficile
de savoir à quelles règles une situation déterminée est et sera soumise. Les décisions
prises par les sujets de droit risquent ainsi de ne pas procéder du meilleur rapport
coût / avantage. L’insécurité tient également au fait que « des modifications trop
fréquentes nuisent à la force obligatoire de la loi et peuvent même aboutir à
l’anarchie »294.
195. L’articulation entre l’impératif de stabilité de la loi et celui de
flexibilité. Si l’effervescence législative est donc dangereuse, à différents égards, il
n’est cependant pas question de prôner la pérennité des textes295. L’adaptation de la
loi aux faits est un impératif juridique aussi important que celui de sécurité. Un
équilibre doit donc être trouvé entre l’impératif de stabilité et celui de flexibilité des
règles de droit296.
A cette fin, il convient, tout d’abord, de réformer avec mesure, c'est-à-dire
après comparaison des inconvénients de l’instabilité et des avantages de
l’instauration d’une règle nouvelle297.
Ensuite, le législateur ne devrait pas satisfaire les seuls besoins de l’heure et
courir au plus pressé298, mais faire preuve, au contraire, d’anticipation.
Enfin, dans les domaines exigeant des adaptations fréquentes de la loi aux faits,
il pourrait être davantage recouru aux lois expérimentales299, qui participent certes
au mouvement de « discontinuité du droit »300, mais présentent l’avantage de rendre
prévisible l’instabilité.
Si la conciliation entre l’impératif de stabilité et celui d’adaptation de la loi était
ainsi opérée, l’espérance de vie des textes pourrait s’allonger et les chances de
connaître les règles de droit en vigueur pourraient s’accroître.
293 F. OST, L’amour de la loi parfaite, in L’amour des lois, la crise de la loi moderne dans les
sociétés démocratiques, éd. Les presses de l’Université de Laval, L’Harmattan, 1996, p. 53
Le caractère jetable de la loi a également été dénoncé dans le Rapport du Conseil d’Etat pour
1991 (Rapport public 1991, op. cit., p. 31). 294 R. HOUIN, De lege ferenda, Mélanges P. Roubier, 1961, t. 1, p. 280. Dans le même sens,
cf. G. RIPERT (op. cit.), pour lequel « la discontinuité du droit » est à l’origine du désordre,
car elle a pour conséquence que « les malins se moquent des règlements ». 295 En ce sens, cf. A. CRISTAU, art. préc., n°10 : « à l’évidence, l’exigence de sécurité
juridique ne saurait se confondre avec la fixité des normes. La modification de l’état du droit
positif répond en principe à une exigence de sécurité ». 296 En ce sens, cf. F. POLLAUD-DULIAN, art. préc., p. 496 297 En ce sens, cf. R. HOUIN, art. préc., p. 280 et 281 : dans la mesure où toute réforme
législative est un danger en soi, « le progrès que l’on attend de la règle nouvelle doit
compenser largement le mal que cause nécessairement l’introduction de cette règle ». 298 En ce sens, cf. G. RIPERT, L’ordre économique et la liberté contractuelle, Mélanges
Geny, t.2, p. 347 et s., n°5 299 Elles présentent trois caractéristiques, qui dérogent à la conception traditionnelle de la loi :
elles comportent un terme, qui figure dans le texte lui-même ; une évaluation de leurs effets
est prévue ; la pérennisation du dispositif est subordonnée à l’adoption d’une loi nouvelle. Sur
ces lois expérimentales, cf. J. CHEVALLIER, Les lois expérimentales : le cas français, in
Evaluation législative et lois expérimentales, PUAM, 1993, p. 121 et s. 300 G. RIPERT, Le déclin du droit, 1949, chapitre V
196. L’articulation entre l’impératif de stabilité des décisions
jurisprudentielles et celui de flexibilité. Concernant l’instabilité des décisions
jurisprudentielles, elle se manifeste par les revirements, qu’ils soient clairement
annoncés, seulement virtuels, ou encore qu’ils surgissent de façon subreptice, sans
crier gare301. La doctrine stigmatise, souvent en termes métaphoriques302, cette
instabilité qui entrave la connaissance des règles de droit et, par conséquent, la
rationalité des choix des sujets de droit.
Pour autant, l’impératif de flexibilité s’oppose à la pérennité des décisions
jurisprudentielles. C’est en ce sens que s’est prononcée la première Chambre civile
de la Cour de cassation, dans un arrêt du 21 mars 2000303 : « la sécurité juridique ne
saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, l’évolution de la
jurisprudence relevant de l’office du juge dans l’application du droit ». Au nom de
la stabilité des règles de droit et de la sécurité en résultant, les juges ne sauraient
donc maintenir des interprétations erronées. Les revirements engendrent, certes, de
l’incertitude, mais ils sont « l’instrument nécessaire de l’adaptation du droit aux
évolutions et aux nouveaux besoins, de la recherche de la justice aussi »304.
L’impératif de stabilité ne saurait, par conséquent, légitimer une jurisprudence
immobile. Il justifie seulement la recherche d’une jurisprudence constante, c'est-à-
dire de décisions fermes et/ou récurrentes. Il est, en effet, des jurisprudences
constantes sans répétition, c'est-à-dire faites d’un seul arrêt de principe, et des
jurisprudences constantes par la répétition305.
197. La stabilité des règles de droit : un principe directeur. La flexibilité
des règles de droit : un principe correcteur. Que l’on envisage les textes ou les
décisions jurisprudentielles, leur stabilité devrait constituer le principe directeur et
leur flexibilité le principe correcteur. Dans ces conditions, la connaissance des règles 301 D. FOUSSARD, art. préc., p. 21 : le revirement peut être clairement annoncé, soit à
l’occasion d’hypothèses voisines, soit par un infléchissement de la motivation traditionnelle ;
il peut aussi être virtuel, en raison de la résistance des juges du fond, des réserves de la
doctrine ou encore de l’écart entre les règles et la pratique. 302 Les revirements sont décrits au moyen de termes empruntés au langage mathématique
(jurisprudence sinusoïdale), militaire (les avancées et replis du juge), sentimental (les
inconstances, caprices, atermoiements, repentirs de la jurisprudence) ou encore artistique (la
valse hésitation des juges). 303 Cass. 1ère civ., 21 mars 2000 : Bull. civ. I, n°97 ; D. 2000, 593, note ATIAS ; Contr., conc.,
2000, p. 666, obs. MOLFESSIS 304 F. POLLAUD-DULIAN, art. préc., p. 501
Pour une approche critique, au contraire, de l’arrêt du 21 mars 2000, cf. Ch. ATIAS, D. 2000,
p. 593 ; R. LIBCHABER et N. MOLFESSIS, art. préc., p. 666 à 669 305 En ce sens, cf. D. FOUSSARD, La jurisprudence constante de la Cour de cassation, in
L’image doctrinale de la Cour de cassation, La documentation française, 1994, p. 225 et s. ;
Ph. JESTAZ, La jurisprudence constante de la Cour de cassation, in L’image doctrinale de la
Cour de cassation, La documentation française, 1994, p. 207 et s. ; F. ZENATI, La
jurisprudence, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 1991, p. 164 et 165
Dans l’arrêt précité du 21 mars 2000, la Cour de cassation a retenu que, si la notion de bref
délai de l’article 1648 du Code civil « n’indique pas une durée précise », elle « n’en est pas
moins claire dans son objectif et d’application simple selon une jurisprudence constante ».
Pour une critique de cette référence à une jurisprudence constante en matière de bref délai de
l’article 1648 du Code civil, cf. R. LIBCHABER et N. MOLFESSIS, ibid., p. 668 et 669.
de droit, partant la rationalité des choix des sujets de droit, seraient améliorées, sans
pour autant que la nécessaire adaptation des règles de droit aux faits ne soit négligée.
198. Si le nombre raisonnable, l’accessibilité matérielle, et la stabilité des
textes et des décisions jurisprudentielles sont des qualités formelles nécessaires pour
que le droit des garanties personnelles rende ces contrats efficaces, ces qualités ne
sont pas suffisantes. La rationalité des choix des créanciers ne repose pas, en effet,
uniquement sur la connaissance des règles de droit. Elle exige également que les
informations dont disposent les bénéficiaires soient intelligibles.
§2 : LES QUALITES DU DROIT
FAVORISANT SA COMPREHENSION
199. L’intelligibilité des règles de droit. Avant d’indiquer les qualités que
les textes et les décisions jurisprudentielles doivent présenter pour être compris par
leurs destinataires, il convient de préciser ce qu’il faut entendre par intelligibilité des
règles de droit.
Le droit est l’objet d’un savoir spécialisé, qui n’est pas offert à l’entendement
de tous, mais s’acquiert par formation. En conséquence, certains considèrent que la
compréhension des règles de droit par les profanes, non assistés d’un expert, est
« illusoire »306 et donc que, vouloir rendre les règles de droit intellectuellement
accessibles, pour être « une idée noble », n’en relève pas moins du « fantasme »307.
Si la complexité naturelle du droit rend, en effet, utopique l’intelligibilité des règles
de droit, au sens de règles parfaitement compréhensibles par tous les citoyens, cette
complexité n’est pas, en revanche, incompatible avec l’intelligibilité, caractérisée
par le fait que les règles de droit ne sont pas manifestement incompréhensibles.
Au vu de la décision précitée du Conseil constitutionnel du 16 décembre 1999,
il est permis de retenir qu’une règle de droit est manifestement incompréhensible
lorsque ses destinataires ne perçoivent pas les droits et libertés qu’elle concrétise à
leur profit, ou à leur encontre. Ainsi, en qualifiant l’intelligibilité de la loi d’objectif
de valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel, sans ignorer la part
d’hermétisme inhérente à la science juridique, contraint les autorités normatives à
veiller à ce que les destinataires des règles de droit ne soient pas privés de droits et
libertés, ou ne soient pas réduits à commettre des actes illicites, par le seul fait de
l’inintelligibilité de ces règles.
Il n’est donc pas question de « déjuridiciser le droit »308, ni de lui contester
toute complexité, mais seulement d’éviter que les règles de droit ne présentent des
défauts substantiels tels, que les destinataires moyens concernés309 manquent
systématiquement des décisions présentant, pour eux, le meilleur rapport coût /
avantage. « Si le citoyen peut comprendre que le Droit ne soit pas simple car les
attentes et les contraintes de la société contemporaine sont complexes (…), il est en
306 R. HOUIN, art. préc., p. 286 307 R. LIBCHABER et N. MOLFESSIS, art. préc., p. 665 308 R. LIBCHABER et N. MOLFESSIS, ibid., p. 665 309 L’intelligibilité des règles de droit se mesure à la capacité de leurs lecteurs. Il est donc
nécessaire de retenir une approche in abstracto et de faire référence à un type moyen de
destinataire. En ce sens, cf. M.-A. FRISON-ROCHE et W. BARANES, art. préc., n°21
droit d’exiger que la règle de Droit soit explicite »310, car la compréhension de la
règle de droit conditionne l’optimalité de ses choix, compte tenu des objectifs
poursuivis.
Tant à l’égard des textes que de la jurisprudence, l’intelligibilité doit être
recherchée, non seulement au sein de chaque règle, mais aussi par rapport à
l’ensemble des règles se rapportant à un même objet. Au premier niveau, la
compréhension procède de la clarté du texte ou de la décision jurisprudentielle (A).
Au second niveau, elle résulte de la cohérence entre les règles (B).
A/ LA CLARTE DES REGLES DE DROIT
200. La clarté de la loi. La clarté des textes et, plus précisément, de la loi a
été qualifiée d’objectif de valeur constitutionnelle par la décision du Conseil
constitutionnel du 10 juin 1998311. Elle peut être définie comme la capacité d’une
disposition à révéler, elle-même, le sens de la règle de droit qu’elle contient312.
201. Les conditions de la clarté de la loi. Concernant la révélation, elle est
loin d’être assurée lorsqu’une disposition en modifie une autre, « sans la réécrire,
mais en indiquant d’une manière quasi-codée, les corrections à opérer sur le texte
antérieur »313. Cette technique du renvoi est porteuse de tant d’obscurités et donc
d’inintelligibilité que, non seulement la doctrine314, mais aussi le Conseil d’Etat315,
considèrent que le législateur devrait se l’interdire.
Concernant le sens de la règle de droit contenue dans la disposition examinée, il
doit être unique pour pouvoir parler de clarté. Une disposition peut présenter un
caractère équivoque en raison du langage employé316. L’usage de la langue ordinaire
310 J. BEGUIN, art. préc., p. 21 311 Décision n°98-401 DC du 10 juin 1998, Rec. Cons. Constit., p. 258 ; D. 2000, Somm.,
p. 60, obs. FAVOREU ; AJDA 1998, p. 495, chron. SCHOETTL ; RFD const. 1998, p. 640,
obs. FAVOREU
Dans le même sens, cf. Décision n°98-407 DC du 14 janvier 1999 ; Décision n°99-423 DC du
13 janvier 2000 312 Nous ne retenons pas la définition donnée par M. IVAINER (Qu’est-ce qu’un texte clair ?
(essai de mathématisation), in Le droit en procès, Centre universitaire de recherches
administratives et politiques de Picardie, PUF, 1983, p. 151 : « la propriété (variable) d’un
champ conceptuel prescriptif, considéré à tel moment précis, de rendre prévisible son
application (ou son inapplication) au plus grand nombre de classes d’objets qui existent en
puissance dans le secteur de la réalité régie par lui »), car elle s’attache aux conséquences, et
non aux éléments constitutifs, de la clarté. 313 J. BEGUIN, art. préc., p. 8 314 D. REMY (Légistique, L’art de faire des lois, préf. F. BERNARD, éd. Romillat, 1994,
p. 333, n° 301) suggère que la publication de tout texte modificatif s’accompagne de celle du
texte modifié. 315 Rapport public 1991, op. cit. 316 L’usage de la langue française, rendu obligatoire par la loi du 31 décembre 1975, est la
condition minimale de la compréhension des textes. En ce sens, cf. F.-X. TESTU, Le statut
juridique de la langue française, Mélanges G. Cornu, PUF, 1994, p. 441 et 442
peut être source d’ambiguïté en raison de son imprécision317 et celui d’une
terminologie juridique spéciale peut également l’être en raison de son ésotérisme.
Pour qu’une disposition soit claire et donc compréhensible, il convient alors de
respecter un compromis318 : la langue ordinaire ne doit être préférée au vocabulaire
juridique que dans la mesure où elle ne risque pas d’entraîner des confusions.
Par ailleurs, afin d’éviter la polysémie génératrice d’obscurités, il est
souhaitable d’avoir recours aux définitions légales, dont la fonction est justement de
dissiper l’équivoque. Il ressort de l’étude que le Doyen Cornu a consacrée à ces
définitions319 que, de la part du législateur, elles sont choix et clarification.
« Sélective, elle (la définition légale) fait émerger le sens qu’elle retient, au moins
pour l’effet de droit qu’elle détermine. Elle privilégie un sens parmi d’autres.
Médiatrice, elle énonce, sous une forme intelligible, le sens d’un mot d’entendement
difficile ».
Une autre technique législative contribue également à rendre les textes clairs. Il
s’agit de l’exemplarité320. Elle stimule la compréhension par l’image qu’elle fait
naître. De surcroît, on peut attendre de l’association de plusieurs exemples une
exaltation de leur pouvoir d’évocation et la réduction corrélative du nombre de sens
à attacher à la règle de droit.
202. Les conditions de la clarté de la jurisprudence. Concernant la clarté de
la jurisprudence, les juges, et particulièrement ceux de la Cour de cassation, font des
efforts pour révéler le sens de leurs décisions321. La publication des rapports, des
conclusions de l’Avocat général, relatifs à certains arrêts et, surtout, la publication
du rapport annuel de la Cour de cassation participent de cette démarche. Mais, la
révélation du sens, dans ces hypothèses, s’opère en dehors des décisions elles-
mêmes.
Pour pouvoir parler de clarté, il est nécessaire que le sens apparaisse à la seule
lecture de la décision. A cet égard, il semble nécessaire de respecter le même
compromis, entre la langue ordinaire et le vocabulaire technique, que celui suggéré
au sujet des textes.
En outre, l’exposé des faits, dans les arrêts de la Cour de cassation, pourrait être
plus développé. La concision évite, certes, de se perdre dans des détails inutiles à la
compréhension mais, poussée à l’extrême, elle prive le lecteur de données factuelles
qui pourraient éclairer le sens de la décision.
Enfin, l’insertion d’un « chapeau » est de nature à « désopacifier » la
jurisprudence, dès lors qu’il ne se contente pas de reproduire le texte fondant la
solution, mais qu’il synthétise l’interprétation que la Cour entend retenir de ce texte.
Le chapeau, dans ces conditions, peut présenter des vertus analogues à celles des
définitions légales.
317 En ce sens, cf. F. TERRE, Légiférer. Les trois unités ?, Mélanges J. Foyer, 1997, p. 177 :
« rédiger les lois en langue contemporaine, ce qui était tout à la fois les rendre imprécises et
instables ». 318 En ce sens, cf. R. HOUIN, art. préc., p. 286 319 G. CORNU, Les définitions dans la loi, Mélanges Vincent, 1981, spéc. p. 78, n°3 320 G. CORNU (Le règne discret de l’analogie, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p. 133)
analyse l’exemplarité comme une « analogie autorisée et assistée », et en fournit diverses
illustrations tirées du Code civil. 321 En ce sens, cf. D. FOUSSARD, art. préc., p. 19
203. Si l’intelligibilité des dispositions légales et des décisions
jurisprudentielles, envisagées isolément, dépend des différents procédés évoqués
pour favoriser la clarté du droit, la compréhension d’un ensemble de textes ou de
décisions ayant un même objet est subordonnée, quant à elle, à la cohérence des
règles de droit.
B/ LA COHERENCE DES REGLES DE DROIT
204. La logique formelle conditionne la cohérence des textes. La cohérence
se reconnaît au fait que toutes les dispositions afférentes à un objet déterminé
forment un tout logique. Elle s’oppose à la contradiction entre les règles contenues
dans plusieurs dispositions.
Afin d’éviter l’antinomie, l’ensemble des textes ayant un même objet devrait
être appréhendé comme un système. L’approche systémique322 favorise la cohérence
et l’intelligibilité, car elle tend à l’ajustement, à la complémentarité des règles de
droit. Le développement d’une telle approche, à l’occasion d’une réforme partielle
d’un domaine particulier, conduit au respect de l’ordre juridique préexistant par les
règles nouvelles323. A l’occasion de la « juridicisation »324 d’un objet déterminé ou
de sa réforme globale, l’approche systémique devrait se traduire par une
codification. Il ne s’agirait pas d’une codification à droit constant, susceptible de
regrouper des règles de droit contradictoires, mais d’une codification composée de
règles de droit formant un tout logique325 et agençant ces règles de telle sorte
qu’elles soient lues plus intelligiblement326.
Afin d’éviter l’antinomie, la logique formelle devrait, par ailleurs, présider à
l’élaboration des règles de droit. Ainsi, l’application du principe en vertu duquel
« toute identité de nature implique une identité de régime et toute différence de
nature implique une différence de régime »327 devrait prémunir contre des
contradictions. L’analogie travaille, en effet, à la cohésion du droit328.
322 Sur cette question, cf. GASSIN, Système et droit, RRJ, Droit prospectif, 1981, III 323 Sur l’incohérence découlant, au contraire, des réformes ignorant le système législatif en
vigueur et prétendant greffer sur le système juridique existant des règles nouvelles étrangères
à ses idéaux et à sa technique particulière, cf. R. HOUIN, art. préc., p. 289 et 290. 324 A. JEAMMAUD, Introduction à la sémantique de la régulation juridique, Des concepts en
jeu, in Les transformations de la régulation juridique, LGDJ, 1998, coll. « Droit et société.
Recherches et travaux », n°5, dirigé par J. CLAM et G. MARTIN, p. 64 : « synonyme
d’extension du domaine du droit, le terme suggère que des aspects ou pratiques de la vie
sociale, d’abord indifférents à ce système ou ignorés de lui, ont un jour été saisis par ses
dispositions ». 325 C’est la conception moderne du code, qui s’est développée à partir du XVIIIe siècle chez
les jusnaturalistes, et qui a été mise en œuvre après la Révolution. Sur la présentation de la
notion classique et de la notion moderne de code, cf. F. ZENATI, Les notions de code et de
codification (contribution à la définition du droit écrit), Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998,
p. 217 et s. 326 F. ZENATI, ibid., p. 248 : « la valeur ajoutée par le code n’est pas tant une information
supplémentaire qu’une rationalité dont l’extraction permet de mieux comprendre une
information déjà détenue ». La codification permet l’ « accouchement d’une rationalité ». 327 J.-L. BERGEL, Différence de nature = différence de régime, RTD civ. 1984, p. 258, n°3 328 G. CORNU, Le règne discret de l’analogie, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p. 136
205. Les conditions de la cohérence de la jurisprudence. Concernant la
cohérence de la jurisprudence, elle devrait caractériser les décisions rendues, par une
même juridiction, en réponse à un même problème de droit.
Au nom de la cohérence, et de l’intelligibilité que l’on en attend, il n’est pas
question de fustiger les revirements de jurisprudence. En effet, les revirements
n’emportant pas contradiction, mais novation de solutions, ils posent problème au
regard de l’exigence de stabilité329, non au regard de l’exigence de cohérence.
Par ailleurs, grâce au rôle d’unification du droit qu’exerce la Cour de cassation,
ce ne sont pas les divergences existant entre les juridictions du fond qui paraissent
les plus inquiétantes au vu de l’exigence de cohérence. Celle-ci est surtout menacée
par les contradictions internes à une juridiction.
Pour que les décisions jurisprudentielles soient cohérentes et donc
compréhensibles, les contradictions doivent être pourchassées à deux niveaux :
d’une part, au sein des motifs des décisions rendues par une même formation ;
d’autre part, entre les solutions retenues par différentes chambres d’une même
juridiction. Si l’on observe les arrêts de la Cour de cassation, il faut reconnaître que
les contradictions du premier niveau ne peuvent être combattues que par le souci de
cohérence des magistrats eux-mêmes. S’agissant des contradictions du second type,
il existe une procédure plus fiable pour les supprimer, à savoir la saisine de
l’Assemblée Plénière. L’exigence de cohérence pourrait justifier qu’il y soit plus
fréquemment recouru.
206. Conclusion de la Section 1. Le nombre raisonnable, l’accessibilité
matérielle, la stabilité des textes et de la jurisprudence, sont nécessaires à la
connaissance des règles de droit. La clarté et la cohérence sont, quant à elles,
nécessaires à la compréhension de ces règles. Le droit des garanties personnelles
doit présenter toutes ces qualités pour que les choix qu’opèrent les créanciers, lors
de la formation du contrat de garantie, se traduisent par la conformité de la finalité
assignée au mécanisme effectivement conclu aux attentes que l’octroi de crédit au
débiteur a engendrées chez le créancier. Autrement dit, le droit des garanties
personnelles doit présenter toutes ces qualités formelles pour que la rationalité des
choix des créanciers soit suffisante pour aboutir à l’adéquation entre les deux
niveaux d’attentes subjectives de ces créanciers.
Pour que le droit des garanties personnelles rende ces contrats efficaces, une
autre adéquation doit s’ajouter à celle jusqu’ici envisagée. Il s’agit de l’adéquation
entre la finalité assignée à la garantie personnelle constituée et les effets produits par
celle-ci. Cette seconde adéquation dépend également des qualités formelles du droit.
SECTION 2 : LES QUALITÉS FORMELLES
CONFORTANT LA RÉALISATION DE LA FINALITÉ
ASSIGNÉE À LA GARANTIE PERSONNELLE
207. Les facteurs de réalisation de la finalité assignée à la garantie
personnelle : la stabilité des prévisions extrinsèques et le respect des prévisions
intrinsèques. L’étude des facteurs d’efficacité subjective a révélé deux facteurs
329 Cf. supra n°196
favorisant l’accomplissement de la finalité assignée à la garantie personnelle
conclue330. Il s’agit, d’une part, de la stabilité des prévisions extrinsèques, c'est-à-
dire des données factuelles et juridiques331 ayant influencé, d’abord les choix du
créancier, puis l’accord des parties, et donc la finalité conférée au contrat conclu.
D’autre part, il s’agit du respect des prévisions intrinsèques des parties, c'est-à-dire
du contenu de leur accord de volonté. Ces deux facteurs d’efficacité ayant une
origine nécessairement légale ou jurisprudentielle332, les qualités formelles que le
droit doit présenter pour provoquer leur apparition méritent d’être précisées.
Quelle que soit la garantie personnelle conclue, la stabilité des prévisions
extrinsèques et le respect des prévisions intrinsèques sont subordonnés à la stabilité
des règles de droit elles-mêmes (§1). En matière de garanties personnelles innomées,
ces deux facteurs d’efficacité dépendent, en outre, du respect judiciaire de
l’autonomie normative de ces contrats non spécialement réglementés (§2).
§1 : LA STABILITE DES REGLES DE DROIT
208. La stabilité du droit positif est de nature à rendre les garanties
personnelles efficaces, non seulement en ce qu’elle améliore la rationalité des choix
des créanciers333, mais aussi en ce qu’elle consolide les prévisions des parties, tant
extrinsèques, qu’intrinsèques. Pour favoriser la réalisation de la finalité assignée par
les parties à la garantie personnelle constituée, cette stabilité doit caractériser, aussi
bien le contenu (A), que l’interprétation des règles de droit (B).
A/ LES QUALITES DU DROIT
FAVORISANT LA STABILITE DE SON CONTENU
209. La stabilité du contenu du droit : un facteur d’efficacité. Le droit
influence les choix auxquels procède le créancier avant la conclusion du contrat de
garantie, puis l’accord de volonté entre les parties. Il conditionne ce que le créancier
peut attendre de la garantie personnelle conclue, tant par rapport aux modalités, que
par rapport au coût de la protection de ses intérêts. Si le contenu du droit change,
après la constitution de la garantie personnelle, les prévisions extrinsèques des
parties se trouvent assurément bouleversées et leurs prévisions intrinsèques risquent
également de l’être. C’est donc la réalisation de la finalité assignée à la garantie
personnelle, c'est-à-dire son efficacité, qui se trouve compromise.
A contrario, l’efficacité est plus sûre si la garantie personnelle conclue reste
soumise, tout au long de sa vie, aux mêmes règles de droit que celles qui étaient en
vigueur lors de sa formation, et qui appartiennent aux prévisions extrinsèques des
parties.
210. Les conditions de la stabilité du contenu des règles de droit. Cette
stabilité du contenu des règles de droit suppose que les lois nouvelles ne
330 Cf. supra n°93-95 331 Dans les développements à suivre, seules les données juridiques, et non factuelles
(concernant le débiteur principal, le garant et la conjoncture économique) seront envisagées. 332 Cf. supra n°110 333 Cf. supra n°193-197
s’appliquent pas immédiatement, et encore moins rétroactivement, aux contrats en
cours, et que les revirements de jurisprudence ne prennent pas immédiatement effet.
Pour que le droit des garanties personnelles rende ces contrats efficaces, les
changements législatifs et jurisprudentiels ne doivent donc pas se répercuter sur les
contrats conclus avant qu’ils n’interviennent. La réalisation de la finalité assignée à
la garantie personnelle dépend ainsi de la survie de la loi ancienne (1) et de
l’application des jurisprudences nouvelles pour l’avenir (2).
1. La survie de la loi ancienne
211. Les principes de droit transitoire confortant les prévisions des
parties. Deux principes de droit transitoire empêchent que l’adoption de lois
nouvelles n’ébranle les prévisions des parties.
Il s’agit, d’une part, du principe de non rétroactivité de la loi nouvelle, figurant
à l’article 2 du Code civil334, et régissant aussi bien la constitution que les effets des
situations légales ou contractuelles335.
Il s’agit, d’autre part, du principe de survie de la loi ancienne, à l’égard des
conditions et des effets des contrats en cours336.
Ces deux principes se justifient par l’exigence de sécurité juridique, qui
s’oppose à ce que les prévisions légitimes des parties ne soient compromises par un
remaniement de solutions textuelles. Par ailleurs, l’application du principe de survie
de la loi ancienne aux contrats en cours s’explique par des caractéristiques propres
au contrat, à savoir sa force obligatoire et son rôle fixateur d’une situation juridique
pour l’avenir.
334 La non rétroactivité n’a valeur constitutionnelle qu’en droit pénal (article 8 de la
Déclaration des droits de l’homme). En cette matière, elle est également consacrée par
l’article 7-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.
En droit civil, comme elle n’est reconnue que par le Code civil, elle s’impose aux juges
comme une règle d’interprétation (la Cour de cassation ayant affirmé le caractère d’ordre
public de l’article 2 du Code civil, la non rétroactivité peut être invoquée par les parties et
retenue d’office par le juge à tout stade de la procédure), mais ne lie pas, en revanche, le
législateur lui-même. Cependant, le Conseil constitutionnel a décidé que, « si le législateur a
la faculté d’adopter des dispositions rétroactives, il ne peut le faire qu’en considération d’un
motif d’intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des
exigences constitutionnelles » (Décision 2001-453 DC du 18 décembre 2001, D. 2002,
Somm., p. 1953, obs. RIBES ; X. PRETOT, La conformité à la constitution de la loi de
financement de la sécurité sociale pour 2002, Dr. soc. 2002, p. 191). 335 Au XIXe siècle, le principe de non rétroactivité reposait sur la théorie classique des droits
acquis, en vertu de laquelle la loi nouvelle ne pouvait modifier des droits nés de l’effet de la
loi ancienne. C’est le Doyen Roubier qui est l’auteur de la théorie moderne reposant sur la
notion de situation juridique (cf. P. ROUBIER, Le droit transitoire (conflits de lois dans le
temps), Dalloz-Sirey, 2e éd., 1960 ; Droits subjectifs et situation juridique, Dalloz, Paris,
1963). 336 Le principe de survie de la loi ancienne n’est consacré par aucun texte. Il est, par contre,
reconnu par la Cour de cassation, par rapport aux effets des contrats en cours (Cass. 3ème civ.,
20 juin 1968 : D. 1968, 749, note LESAGE-CASTEL ; Cass. 3ème civ., 3 juillet 1979 : Bull.
civ. III, n°149 ; JCP 1980, II, 19384, note DEKEUWER-DEFOSSEZ ; Cass. 1ère civ., 17 mars
1998 : Bull. civ. I, n°115 ; RTD civ. 1999, p. 378, obs. MESTRE) et par rapport aux
conditions des actes juridiques conclus avant la loi nouvelle (Cass. 3ème civ., 7 novembre
1968 : JCP 1969, II, 15771, note P. L.).
212. L’éviction du principe d’application immédiate de la loi nouvelle. Ce
sont des considérations d’opportunité et d’égalité entre les citoyens qui sont mises
en avant pour légitimer l’application immédiate des lois nouvelles. L’argument
d’opportunité, en ce qu’il repose sur la présomption que la loi nouvelle est meilleure
que l’ancienne, est fragile. En effet, l’idée de progrès qui y est sous-jacente prête à
discussion. La fonction égalisatrice du principe de l’application immédiate est, quant
à elle, non pertinente à l’égard de situations qui, par hypothèse, sont réglées
individuellement et donc diversement selon la volonté de chacun337.
En conséquence, même si le législateur est souverain pour contredire dans un
texte ce qu’il affirme à l’article 1134 du Code civil, il devrait se garder d’adopter des
dispositions transitoires338 qui portent atteinte à l’intangibilité du contrat et, par
contrecoup, à l’efficacité de celui-ci339.
Lorsque le législateur ne précise pas le domaine d’application dans le temps des
règles nouvelles, c’est au juge qu’il appartient de procéder à cette détermination. Au
nom du respect des prévisions des parties, il est encore souhaitable que les juges
écartent l’application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours, même si
les dispositions de cette loi sont d’ordre public340.
213. La stabilité du contenu des règles de droit, qui peut rendre plus sûre la
réalisation de la finalité assignée à la garantie personnelle conclue, se trouve donc
favorisée par la survie de la loi ancienne. L’éviction de l’application immédiate est-
elle également concevable à l’égard des décisions jurisprudentielles ?
2. L’application des jurisprudences nouvelles pour l’avenir
214. La rétroactivité des jurisprudences nouvelles. Les jurisprudences
nouvelles résultent, non seulement des revirements de jurisprudence, mais aussi des
décisions se prononçant pour la première fois sur une question de droit ou sur une
disposition nouvelle.
Au moment où le juge statue et dégage la règle destinée à apporter une solution
au litige, il applique cette règle à des faits, des comportements, et des actes
juridiques passés. La rétroactivité est inhérente à la fonction du juge et, si elle se
manifeste de manière particulièrement flagrante lors d’un revirement de
jurisprudence, il s’agit, en réalité, d’un phénomène tout à fait général341.
337 En ce sens, cf. J.-L. AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit
civil, Armand Colin, 9e éd., 2002, n°106 338 Sur ces dispositions, cf. F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, Les dispositions transitoires dans
la législation civile contemporaine, préf. M. GOBERT, LGDJ, 1977 339 Ch. JAMIN (Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l’art. 1134 du
Code civil, Droit et patrimoine 1998, n°58, p. 47) considère que l’atteinte portée à
l’intangibilité du contrat par les lois d’application immédiate doit être dénoncée mais, dans la
mesure où « elle peut se prévaloir d’un argument étroitement positiviste », elle ne fait pas
partie de la « théorie pure de la révision » qu’il développe. 340 Sur le caractère non décisif du critère d’ordre public des dispositions légales pour
déterminer le domaine d’application dans le temps d’une loi nouvelle, cf. F. DEKEUWER-
DEFOSSEZ, th. préc., n°21 341 J.-L. AUBERT (op. cit., n°170) opère ainsi un rapprochement entre l’interprétation
jurisprudentielle et les lois interprétatives qui présentent, elles aussi, un caractère rétroactif.
Sur la rétroactivité naturelle de la jurisprudence, cf. T. BONNEAU, Brèves remarques sur la
prétendue rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de revirement, D. 1995, chron. 24 ;
Si cette rétroactivité n’est pas critiquable sur le fondement de l’article 2 du
Code civil, puisque la jurisprudence nouvelle ne modifie pas la loi elle-même mais
seulement son interprétation342, elle l’est, en revanche, au regard de l’exigence de
respect des prévisions des contractants. Pour les parties au procès à l’occasion
duquel une règle nouvelle est inaugurée, il est indéniable que se produit une remise
en cause de leurs attentes.
215. Les moyens de tempérer l’atteinte à la sécurité juridique résultant de
la rétroactivité des jurisprudences nouvelles. Diverses solutions peuvent être
envisagées pour tempérer l’atteinte à la sécurité juridique qu’emporte la rétroactivité
des jurisprudences nouvelles.
On peut, tout d’abord, songer à éviter la brutalité de la surprise par des
procédés qui annoncent les jurisprudences nouvelles et qui permettent, par là même,
aux contractants d’adapter leurs prévisions343. Dans le cadre du rapport annuel, les
magistrats de la Cour de cassation peuvent, ainsi, laisser entendre qu’ils attendent un
cas d’espèce approprié pour retenir une solution nouvelle particulière.
Par ailleurs, la publication, à la suite d’un arrêt, d’une opinion dissidente,
comme les conclusions contraires de l’Avocat général, permet de savoir que la
solution finalement adoptée ne fait pas l’unanimité et qu’elle risque, dès lors, d’être
un jour remplacée par celle avec laquelle elle était en concurrence.
Enfin, par le procédé de l’obiter dictum, les juges peuvent « faire connaître,
par avance, à toutes fins utiles, (leur) sentiment sur une question autre que celles
que la solution du litige en cause exige de trancher »344.
Il convient d’admettre que l’annonce des jurisprudences nouvelles, par l’un de
ces trois procédés, « suppose beaucoup d’intelligence et de méthode chez le
juge »345, et que la compréhension de ces annonces, par les contractants, exige, de
leur part, beaucoup de perspicacité. En outre, si l’annonce de jurisprudences
nouvelles permet à nombre de contractants d’adapter leurs prévisions, elle ne
supprime pas l’insécurité juridique procédant de la rétroactivité des revirements et
des solutions inédites à l’encontre des parties qui sont déjà en litige.
216. Les propositions doctrinales en faveur d’un droit transitoire du
revirement. A leur égard, d’éminents auteurs ont proposé un droit transitoire du
revirement346. Mouly347 a ainsi défendu l’idée selon laquelle la non rétroactivité,
sans devenir le principe, pourrait être retenue ponctuellement, par une mention
spéciale de la décision concernée, lorsque certaines circonstances sont réunies : le
J. RIVERO, Sur la rétroactivité de la règle jurisprudentielle, AJDA 1968, p. 15 ; P. VOIRIN,
Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences, JCP 1959, I, 1467 342 En ce sens, cf. F. POLLAUD-DULIAN, art. préc., p. 500 343 Sur ces procédés, cf. Y. GAUDEMET, Sécurité du droit et jurisprudence, Entretiens de
Nanterre sur la sécurité juridique, JCP, éd. E., cah. droit ent., n°6-1990, n°32 344 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V° Obiter
dictum, p. 597 345 Y. GAUDEMET, art. préc., n°32 346 H. BATIFFOL, Note sur les revirements de jurisprudence, APD, 1967, p. 335 et s. ; Ch.
MOULY, in L’image doctrinale de la Cour de cassation, La documentation française, 1994,
p. 123 347 Ch. MOULY, Le revirement pour l’avenir, JCP 1994, I, 3776, n°32
grand nombre de personnes concernées, une pratique antérieure largement admise et
encouragée par les pouvoirs publics, le sentiment que le droit existant est solide, les
conséquences financières importantes et imprévisibles du revirement.
Même en présence de telles circonstances, toutes les situations ne devraient pas
être régies de façon identique. Le revirement pour l’avenir est essentiellement
préconisé en matière contractuelle. Dans ce cadre, « si le revirement supprime un
avantage, tous ceux qui ont contracté ou agi en considération de la règle antérieure
seront jugés selon cette règle, car ils avaient légitimement placés leur confiance en
elle. Si le revirement crée un avantage, seuls ceux dont l’action est en cours
pourront obtenir la rétroactivité. Les autres ne pourront en bénéficier que pour la
période postérieure »348.
Mouly suggérait, en outre, que la date d’effet d’un revirement pour l’avenir soit
celle de la publication de l’arrêt au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, ce qui
conférerait à ce bulletin un rôle équivalent à celui du Journal officiel pour les lois et
permettrait de respecter le principe d’accessibilité du droit.
217. Les critiques excessives formulées à l’encontre du droit transitoire
des jurisprudences nouvelles. Les critiques adressées à ces propositions sont
solides, mais ne sont peut être pas suffisantes pour empêcher les revirements et
solutions inédites pour l’avenir.
En premier lieu, il est reproché à ce droit transitoire de créer une injustice à
l’encontre de celle des parties au procès qui aurait dû profiter de la solution
nouvelle349. C’est donc considérer que le respect des prévisions des parties constitue
une injustice. Si ce qui est contractuel n’est pas nécessairement juste, il est douteux
que ce soit le rôle de la rétroactivité des jurisprudences nouvelles de rétablir le
justice contractuelle. Il existe bien d’autres règles permettant à l’une des parties de
remettre en cause le contrat qui ne répond pas, selon elle, à l’impératif de justice.
En deuxième lieu, le droit transitoire des jurisprudences nouvelles est critiqué
pour mettre en doute la pertinence de l’interprétation nouvelle350. Dans la mesure où
celle-ci n’est écartée que sous de strictes conditions, ce droit transitoire peut, au
contraire, être considéré comme conforme, tant à l’impératif de flexibilité des règles
de droit, qu’à celui de sécurité juridique.
En troisième et dernier lieu, le revirement pour l’avenir est accusé de heurter de
plein fouet la prohibition des arrêts de règlement (article 5 du Code civil)351. Cette
critique peut paraître exagérée, puisque le report dans le temps des effets d’un
revirement n’implique pas que le juge introduise dans son dispositif une règle
générale, qu’il étende le champ de sa décision au-delà des particularités de l’espèce.
Il est vrai, néanmoins, que l’instauration d’un droit transitoire des jurisprudences
nouvelles pourrait emporter une « mutation de notre système des sources »352,
puisqu’elle renforcerait le rôle créateur de droit de la jurisprudence. C’est sans doute
l’hostilité qu’une partie de la doctrine nourrit à l’encontre de ce rôle qui explique, en
348 Ch. MOULY, ibid., n°33 349 En ce sens, cf. F. POLLAUD-DULIAN, art. préc., p. 502 350 En ce sens, cf. F. POLLAUD-DULIAN, ibid., p. 502 351 En ce sens, cf. F. POLLAUD-DULIAN, ibid., p. 502 ; A. SERIAUX, Le droit, une
introduction, éd. Ellipses, 1997, n°217 352 En ce sens, cf. R. LIBCHABER et N. MOLFESSIS, art. préc., p. 666
dernière analyse, les critiques essuyées par la proposition d’un droit transitoire des
jurisprudences nouvelles.
218. Les juridictions acceptant de reporter dans le temps l’application de
leurs solutions nouvelles. Au soutien de cette proposition, il convient d’ajouter la
jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. Celle-ci a, en
effet, admis à plusieurs reprises de restreindre la portée de ses interprétations
nouvelles « en tenant compte des troubles graves que son arrêt pourrait entraîner
pour le passé dans les relations juridiques établies de bonne foi » et en
invoquant « un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique
communautaire »353.
La Cour européenne des droits de l’homme, au nom du principe de sécurité
juridique, dispense également les Etats de remettre en cause des actes ou situations
juridiques antérieurs au prononcé de ses arrêts354.
Par ailleurs, certains systèmes juridiques étrangers reconnaissent le revirement
pour l’avenir355.
Enfin, le Conseil d’Etat vient de décider pour la première fois de reporter les
effets d’une décision d’annulation d’un acte administratif356.
Au nom du respect des prévisions intrinsèques des parties, l’application des
jurisprudences nouvelles pour l’avenir pourrait être pareillement admise par les
juridictions judiciaires.
219. Pour que les prévisions des parties ne soient pas bouleversées, les
changements législatifs et jurisprudentiels ne devraient donc pas se répercuter sur les
contrats conclus avant qu’ils n’interviennent. Pour que les effets produits par une
garantie personnelle soient en adéquation avec la finalité qui lui a été attribuée par
353 CJCE 8 avril 1976, aff. Defrenne c/ Sabena, Rec. p. 455 ; CJCE 27 mars 1980, aff. 61/79,
Administrazione delle finanze c/ Denkavit, Rec. p. 1205 ; CJCE 15 octobre 1980, aff. 145/79,
Roquette, Rec. p. 1917 ; CJCE 17 mai 1990, aff. Barber, Rec. p. 1-889 ; CJCE 14 décembre
septembre 2001, aff. Grzelczyk c/ Centre public d’aide sociale d’Ottignies-Louvain-la-Neuve,
D. 2001, IR, p. 2943 354 CEDH 13 juin 1979, Marckx c/ Belgique, Série A, n°31 ; CEDH 29 novembre 1991,
Vermeire c/ Belgique, Série A, n°214 355 Depuis un siècle et demi, la Cour suprême des Etats-Unis recourt au prospective
overruling pour limiter l’effet rétroactif de ses décisions, et ce même procédé est mis en
œuvre en Angleterre par la House of Lords depuis 1964. La Cour constitutionnelle italienne
limite également la rétroactivité des décisions d’annulation de normes. 356 CE 11 mai 2004, Association AC ! et autres : D. 2004, IR, p. 1499 ; B. MATHIEU, Le
juge et la sécurité juridique : vues du Palais-Royal et du quai de l’Horloge, D. 2004, p. 1603.
Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat a décidé de reporter de près de deux mois la portée de
certaines annulations d’arrêtés portant agrément d’avenants à une convention d’assurance
chômage. Pour ce faire, il a précisé qu’à titre exceptionnel le juge peut prévoir, dans sa
décision d’annulation, que « tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation
devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra
effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine ». Cette solution est conditionnée par le fait que
la rétroactivité « emporterait des conséquences manifestement excessives ». Le juge
administratif devra donc se livrer à un examen de la proportionnalité entre les exigences de
sécurité juridique et celles tenant au respect du droit des justiciables à un recours effectif.
les parties, le droit devrait, par ailleurs, présenter des qualités formelles favorisant la
stabilité de son interprétation.
B/ LES QUALITES DU DROIT
FAVORISANT LA STABILITE DE SON INTERPRETATION
220. La clarté et la cohérence des règles de droit : des facteurs
d’efficacité. Les chances de réalisation de la finalité assignée à la garantie
personnelle ne peuvent être sérieuses que si les textes applicables ne sont pas
diversement compris par le créancier, le garant, et le juge saisi d’un éventuel litige
entre ces derniers. La stabilité de l’interprétation de la loi est nécessaire au respect
des prévisions des parties et elle est conditionnée par la clarté et la cohérence des
textes.
Ces qualités formelles constituent des facteurs d’efficacité des garanties
personnelles particulièrement importants, car ils favorisent les deux rapports
d’adéquation caractérisant cette efficacité. En effet, en rendant le droit écrit
intelligible aux yeux des créanciers, il a été démontré que ces qualités formelles
augmentent les chances d’adéquation entre les attentes nées de l’octroi de crédit et
celles générées par la garantie personnelle effectivement conclue357. Par ailleurs, en
évitant les divergences d’interprétation, la clarté et la cohérence des textes assurent
le respect des prévisions extrinsèques et intrinsèques des parties et, par là même,
contribuent à l’adéquation entre la finalité assignée par les parties au contrat de
garantie constitué et les effets produits par ce dernier.
221. Les obscurités et les antinomies : des facteurs d’inefficacité. A
l’inverse, l’obscurité des règles, aussi bien que les contradictions entre les normes,
sont des facteurs d’inefficacité à différents égards.
Tout d’abord, elles limitent la rationalité des choix des créanciers.
Ensuite, elles conduisent le créancier et le garant à conférer aux règles de droit
qui leur sont applicables des sens différents. Cela accroît les risques de contestation
de la garantie personnelle et, par conséquent, les risques d’inefficacité car, même si
la contestation est finalement judiciairement rejetée, le coût de la protection (en
argent et en temps) aura augmenté.
Enfin, les obscurités et les antinomies sont susceptibles de se traduire par des
interprétations jurisprudentielles qui remettent en cause, non seulement les données
juridiques sur lesquelles les parties se sont appuyées lors de la formation du contrat
(prévisions extrinsèques), mais aussi le contenu de leur accord de volonté
(prévisions intrinsèques). L’inefficacité résulte donc de l’atteinte portée par le juge
au principe de l’intangibilité du contrat358.
Afin d’éviter ces atteintes à l’immutabilité du contrat359, ainsi que les autres
facteurs d’inefficacité procédant de l’instabilité de l’interprétation des règles de
357 Cf. supra n°201-205 358 Sur l’intangibilité du contrat, cf. Droit et patrimoine 1998, n°58 359 Il convient de remarquer que le juge peut être amené à porter atteinte au principe
d’intangibilité du contrat dans trois hypothèses. Tout d’abord, lorsque la loi autorise la
révision judiciaire (sur cette révision autorisée par la loi, cf. C. ALBIGES, Le développement
discret de la réfaction du contrat, Mélanges M. Cabrillac, Litec, 1999, p. 3 et s. ; Ch. JAMIN,
Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l’art. 1134 du Code civil,
droit, il convient donc de mettre en œuvre des moyens pour rendre les textes clairs
(1) et cohérents (2).
1. La clarté des règles de droit
La clarté s’oppose à l’obscurité par commission et à l’obscurité par omission.
222. Les obscurités par commission et leurs remèdes. L’obscurité par
commission résulte de faits positifs du législateur et, plus précisément, de
l’utilisation de formules dont le sens est discutable. C’est le cas des termes imprécis
de la langue ordinaire. C’est le cas aussi des « standards » juridiques, tels que l’ordre
public, les bonnes mœurs, la bonne foi, le bon père de famille, l’abus de droit, qui
permettent certes l’adaptation de l’abstrait au concret, de la loi aux situations
individuelles, mais qui constituent aussi une source d’insécurité pour les justiciables
qui peuvent voir leurs interprétations contredites par celles du juge360. Afin de
préserver les prévisions des parties, le législateur devrait définir les termes ambigus
du vocabulaire courant. Par ailleurs, il ne devrait avoir recours aux notions-cadre
que lorsque l’impératif d’adaptation du droit au fait l’exige impérativement, et non
pour éviter de trouver des critères d’appréciation plus précis.
L’obscurité par commission ne découle pas que de l’emploi d’un « vocabulaire
déficient »361, que la prétendue urgence dans laquelle le législateur est contraint
d’intervenir accentue362. Elle tient également à l’utilisation de formules dont la
normativité est discutable. Il s’agit des affirmations, des déclarations d’intention,
n’ayant qu’une portée politique, et ne constituant aucunement des normes créatrices
de droit. Ce droit « flou », « mou », « à l’état gazeux »363 est générateur d’instabilité,
car « personne ne peut dire quels droits précis il institue et comment ils seront
sanctionnés »364. Chacune des parties peut en retenir une interprétation différente et
le juge saisi d’un éventuel litige peut lui-même opter pour un troisième sens qui
remet en cause les prévisions des contractants. En confiant la rédaction des lois à des
juristes de formation, et non à des hommes politiques ou à des bureaucrates, on
devrait éviter de « faire usage du droit là où il n’a rien à faire »365 et de confondre
Droit et patrimoine 1998, n°58, p. 46 et s. ; D. MAZEAUD, La réduction des obligations
contractuelles, Droit et patrimoine 1998, n°58, p. 58 et s. ; VIPREY, Vers une relative
généralisation du principe de l’imprévision en droit privé ?, D. Aff. 1997, n°29, p. 918 et s.).
Ensuite, lorsque les juges s’arrogent le pouvoir de révision du contrat, en vue de rééquilibrer
les relations contractuelles et de promouvoir la justice contractuelle (sur le rééquilibrage et la
justice contractuelle, cf. supra n°121, 125-127). Enfin, lorsque les défauts de la loi
contraignent les juges à l’interprétation, et que celle-ci bouleverse les prévisions des parties.
Seule cette dernière hypothèse sera étudiée. 360 En ce sens, cf. R. HOUIN, De lege ferenda, Mélanges P. Roubier, 1961, t. 1, p. 288 ; F.
TERRE, Le temps du mépris, in Clés pour le siècle, Dalloz, 2000, p. 405 et s., n°492 361 F. OST, L’amour de la loi parfaite, in L’amour des lois, la crise de la loi moderne dans les
sociétés démocratiques, éd. Les presses de l’Université de Laval, L’Harmattan, 1996, p. 53 362 Pour que les lois soient plus claires, il conviendrait ainsi de limiter le recours à la
procédure d’urgence, qui est source de malfaçons (en ce sens, cf. J. BEGUIN, Peut-on
remédier à la complexité croissante du Droit ?, Mélanges H. Blaise, 1995, p. 20). 363 Ces qualificatifs ont été retenus par Mme CHANDERNAGOR dans le Rapport du Conseil
d’Etat de 1991. 364 J. BEGUIN, art. préc., p. 20 365 F. TERRE, art. préc., n°492
des objectifs politiques avec des normes créatrices de droit366. Le droit n’en serait
que plus clair et donc plus stable.
223. Les obscurités par omission et leurs remèdes. La clarté des textes
dépend, non seulement de l’emploi de formules dont, ni le sens, ni la normativité, ne
sont contestables, mais aussi d’une certaine complétude. S’il est vrai que le caractère
général de la loi s’oppose à ce que le législateur entre dans le détail de toutes les
situations de fait qu’il régit, il ne permet pas d’expliquer, en revanche, nombre
d’obscurités par omission.
Il en va ainsi, tout d’abord, des omissions relatives au champ d’application du
texte. En matière contractuelle, les textes devraient, soit préciser les catégories de
contractants concernés, soit indiquer clairement qu’aucune discrimination ne doit
avoir lieu. Cela éviterait le contentieux sur le point de savoir si tel contractant est
soumis à une règle déterminée. Cette alternative devrait également exister chaque
fois qu’un contrat peut porter sur des objets différents ou présenter des
caractéristiques particulières. La catégorisation ou, au contraire, l’emploi de
formules exprimant la généralité du champ d’application de la règle, attestent de la
prise en compte, par le législateur, de la diversité des situations de fait, sans
contrevenir au caractère général de la loi, et permettent d’éviter les divergences
d’interprétation concernant ce champ d’application.
Le caractère général de la loi n’est pas non plus affecté par la réglementation de
toutes les hypothèses factuelles qui forment un tout ou qu’il est habituel d’envisager
par paire367. Dès lors que le législateur s’intéresse à l’une de ces hypothèses, il paraît
nécessaire qu’il se prononce sur les autres. A défaut, on est en présence d’un oubli
législatif qui crée du contentieux et peut se traduire par une remise en cause des
prévisions des parties.
L’exigence de généralité de la loi n’est en rien incompatible, par ailleurs, avec
la précision de la portée et de la sanction des règles de droit. En conséquence, afin
de lutter contre l’obscurité tenant à l’omission de ces éléments, le législateur devrait
indiquer s’il est ou non possible de déroger aux règles qu’il édicte et, dans la
négative, ce qu’encourent les contrevenants.
La complétude des textes, par rapport à leur champ d’application, à leur portée,
à leur sanction, ainsi que par rapport aux notions et situations formant logiquement
un tout, est donc nécessaire à leur clarté, et au respect des prévisions des parties qui
en découle. Le respect de ces prévisions dépend encore de la cohérence des règles de
droit.
366 Sur le lien entre la qualité des textes et la qualité des juristes qui devraient les élaborer, cf.
J. BEGUIN, art. préc., p. 20 ; F. TERRE, Légiférer. Les trois unités ?, Mélanges J. Foyer,
1997, p. 176 : « l’histoire révèle que les grands législateurs ont dû la réussite de leurs œuvres
à la qualité des juristes qui les ont servis ». 367 Par exemple, si le législateur pose un plafond, il devrait préciser le régime en deçà et au-
delà de ce plafond.
2. La cohérence des règles de droit
224. Les deux niveaux de cohérence. En matière de garanties personnelles,
le souci de cohérence368 devrait exister à deux niveaux : au sein du régime de chaque
mécanisme, d’une part ; entre le régime des différentes garanties personnelles,
d’autre part.
225. La cohérence au sein du régime de chaque garantie personnelle. Au
premier niveau, il convient de veiller à l’absence de contradiction entre les règles,
non seulement par rapport à leur contenu, mais aussi par rapport à leur finalité.
Il est également nécessaire d’articuler les règles ayant un même objet, mais un
contenu plus ou moins différent. Pour éviter, tant les antinomies, que les
chevauchements de règles, les interventions législatives ponctuelles, donnant lieu à
des strates de règles successives non harmonisées entre elles, devraient être
évitées369.
A ces conditions, les risques de divergence d’interprétation entre le créancier, le
garant, et le juge éventuellement saisi, sont susceptibles d’être réduits, tout comme
les risques d’inefficacité de la garantie personnelle.
226. La cohérence entre le régime des différentes garanties personnelles.
Dans cette même optique, la cohérence doit être recherchée à un second niveau,
c'est-à-dire entre le régime des différentes garanties personnelles. A cet égard, le
respect du principe en vertu duquel l’identité de nature doit se traduire par une
identité de régime et la différence de nature par une différence de régime paraît
essentiel. Mais, le respect de ce principe de logique formelle ne peut rendre les
textes cohérents qu’à la condition que les identités et les différences de nature entre
les différentes garanties personnelles soient correctement identifiées par le
législateur370.
227. La stabilité des règles de droit, aussi bien dans leur contenu que dans leur
interprétation, rend plus sûre la réalisation de la finalité assignée à la garantie
personnelle conclue. Lorsque celle-ci présente un caractère innomé, son efficacité
dépend, en outre, du respect judiciaire de son autonomie normative.
§2 : LE RESPECT JUDICIAIRE DE L’AUTONOMIE NORMATIVE
DES GARANTIES PERSONNELLES INNOMEES
228. En présence d’une garantie personnelle innomée, le respect du contenu
de l’accord de volonté entre le créancier et le garant est soumis à d’autres conditions
que celles relatives à la clarté et à la cohérence des règles de droit. Après avoir
368 Sur le parallélisme entre ce souci de cohérence dans l’art de la législation et dans la
dramaturgie classique, cf. F. TERRE, Légiférer. Les trois unités ?, Mélanges J. Foyer, 1997,
p. 171 et s. 369 En ce sens, cf. Ph. THERY, La différenciation du particulier et du professionnel : un
aspect de l’évolution du droit des sûretés, in Sûretés et garanties, Droit et patrimoine 2001,
n°92, p. 54 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°111 370 Sur la subordination de l’efficacité à l’assimilation des caractéristiques des garanties
personnelles, cf. infra n°238 et s.
précisé la signification du qualificatif « innomé » (A), il sera ainsi démontré que le
respect des prévisions intrinsèques des parties dépend essentiellement du respect,
par les juges, de la liberté contractuelle (B).
A/ LA SIGNIFICATION DU QUALIFICATIF « INNOME »
229. Absence de réglementation et non de dénomination. Est innomé ce
« qui n’a reçu de la loi ni dénomination spéciale ni réglementation particulière »371.
Si la dénomination des mécanismes juridiques joue un rôle important en
matière de classification372, elle ne doit pas constituer le critère du nommé.
L’appellation peut, en effet, exister en dehors d’un cadre légal. L’absence de
dénomination légale n’implique pas, à l’inverse, la qualification d’innomé,
puisqu’un mécanisme sans nom peut être régi par des dispositions légales
expresses373.
En réalité, c’est l’existence ou l’absence d’une réglementation légale, et non
d’une dénomination propre, qui emporte la qualification de nommé ou d’innomé374.
Par conséquent, les garanties personnelles innomées sont celles qui ne sont pas
réglementées, et non celles qui ne se sont vues conférer aucun nom.
230. Distinction entre vraie et fausse lacune du droit. Il existe à leur égard
une lacune du droit, c'est-à-dire un « point sur lequel la loi, muette ou insuffisante, a
besoin d’être complétée par celui qui l’applique ou l’interprète »375.
Relativement aux garanties personnelles innomées, la législation n’est pas
seulement insuffisante, elle est défaillante. Les mécanismes innomés se
reconnaissent ainsi à une « vraie lacune du droit »376, c'est-à-dire au manque377, dans
371 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, v° Innomé,
p. 470. Sur le contrat innomé, cf. D. GRILLET-PONTON, Essai sur le contrat innomé, th.
Lyon, 1982, sous la direction de F. TERRE 372 Selon l’approche nominaliste, « dans tous les domaines où la classification est de règle, le
nom est utilisé comme instrument de mesure et de structuration des données de la réalité ».
Par ailleurs, « le classement par la nomenclature tend à conférer un certain universalisme aux
concepts nommés, au détriment de toute autre réalité » (D. GRILLET-PONTON, Nouveau
regard sur la vivacité de l’innommé en matière contractuelle, D. 2000, chron., p. 331 et s.,
n°1). 373 L’absence de dénomination peut permettre au législateur d’introduire discrètement dans
notre système juridique des mécanismes qui y sont traditionnellement étrangers et qui ne font
pas l’unanimité. Ainsi, la fiducie, qui sous-tend des montages permis par la loi n°96-597 du 2
juillet 1996, n’apparaît pas expressément dans cette loi. Cela participe d’une politique
d’instrumentalisation du nomen (en ce sens, cf. D. GRILLET-PONTON, ibid., n°9, qui
indique l’un des artifices permettant de conférer une réalité à l’objet signifié sans l’identifier
par un signifiant formel, à savoir le procédé grammatical de la prétérition). 374 En ce sens, cf. B. BERGMANS, Essai d’une systématisation nouvelle des contrats de droit
privé, RRJ 1990, p. 411 et s., n°7 375 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, v° Lacune,
p. 511 376 P. FORIERS, Les lacunes du droit, in Le problème des lacunes du droit, Travaux du
Centre national de recherches de logique, études publiées par Ch. Perelman, éd. Bruylant,
1968, p. 9 377 Le manque est la caractéristique des lacunes, qu’il ait trait à des règles spéciales ou à une
règle générale concernant le traitement des silences de la loi. En ce sens, cf. J.
l’ordonnancement juridique, d’une norme dont le juge puisse faire usage pour
résoudre un cas déterminé. On oppose cette « lacune proprement dite »378 du droit
aux « fausses lacunes »379, aux « prétendues lacunes »380, qui concernent l’objectif
poursuivi par le droit381. Les mécanismes innomés se caractérisent donc par une
lacune, non pas pratique, mais technique, du droit écrit, à l’intérieur du cercle que le
droit a vocation à régir382.
231. La vraie lacune du droit en matière de garanties personnelles : le
défaut de réglementation spéciale. En matière de garanties personnelles, cette
lacune ne s’apparente nullement à un vide législatif, car ces mécanismes sont soumis
à l’ensemble des dispositions du droit commun des contrats, au premier rang
desquelles figure l’article 1134 du Code civil, et à toutes les règles visant, de
manière générale, les garanties. La lacune ne concerne donc que des règles
spéciales, fixant le régime du mécanisme en l’appréhendant comme une garantie
personnelle. On peut en conclure que le qualificatif « innomé » renvoie, en matière
de garanties personnelles, non pas à une absence totale de réglementation, mais
uniquement au défaut de réglementation spéciale. Si « vraie lacune » il y a, elle est
donc circonscrite à la réglementation spéciale.
Il convient désormais d’examiner comment les juges peuvent combler cette
lacune, tout en respectant les prévisions intrinsèques des parties.
B/ LES FORMES DU RESPECT JUDICIAIRE
DE LA LIBERTE CONTRACTUELLE
EN MATIERE DE GARANTIES PERSONNELLES INNOMEES
MIEDZIANOGORA, Juges, lacunes et idéologie, in Le problème des lacunes du droit,
Travaux du Centre national de recherches de logique, études publiées par Ch. Perelman, éd.
Bruylant, 1968, p. 513 et s. 378 Ch. HUBERLANT, Les mécanismes institués pour combler les lacunes de la loi, in Le
problème des lacunes du droit, Travaux du Centre national de recherches de logique, études
publiées par Ch. Perelman, éd. Bruylant, 1968, p. 40 379 P. FORIERS, art. préc., p. 9 380 Ch. HUBERLANT, art. préc., p. 41 381 La fausse lacune du droit se reconnaît à l’existence d’une norme dont on conteste
l’opportunité, en raison de son inadéquation au but qu’elle devrait poursuivre. Ainsi, P.
FORIERS (art. préc., p. 10) a souligné que « la fausse lacune n’est qu’un cas particulier
d’antinomie en ce sens que la norme écrite existante est en contradiction avec une norme non
écrite tirée de l’idée de justice, de l’intérêt social ou du bien général ». Dans le même sens,
Ch. HUBERLANT (ibid., p. 4) a caractérisé la « prétendue lacune » par « l’absence d’une
disposition qui permettrait d’atteindre dans un cas déterminé le résultat jugé souhaitable ». 382 F. TERRE (Les lacunes du droit, in Le problème des lacunes du droit, Travaux du Centre
national de recherches de logique, études publiées par Ch. Perelman, éd. Bruylant, 1968, p.
146) qualifie les lacunes prenant place à l’intérieur du cercle couvert totalement ou
partiellement par le droit de « lacunes d’expérience » et celles survenant à l’extérieur de ce
cercle de « lacunes de convenance ».
L’extérieur du cercle constitue l’ « aire de non droit », c'est-à-dire « un espace de liberté dans
lequel le droit est non présent » (Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF,
Quadrige, 3e éd., 2002, v° Vide juridique, p. 918), mais dans lequel le droit peut, à tout
moment, s’introduire.
232. Pour que les garanties personnelles innomées soient efficaces, le juge
saisi d’un éventuel litige entre le créancier et le garant doit d’abord reconnaître la
liberté des parties d’y avoir recours, puis l’autonomie du mécanisme innomé
constitué par rapport aux mécanismes spécialement réglementés. En l’absence d’une
réglementation spéciale, l’efficacité de la garantie personnelle conclue dépend donc
du respect, par le juge, de la liberté contractuelle. Ce respect s’oppose à ce que le
juge cherche à réduire le contrat formé à une garantie personnelle nommée, et il est
susceptible de revêtir trois formes distinctes.
233. La reconnaissance de la validité des garanties personnelles innomées.
En premier lieu, le respect de la volonté des parties de se démarquer des garanties
personnelles nommées se caractérise par la reconnaissance de la validité des
garanties personnelles innomées. Cette reconnaissance suppose que les juges
n’imposent pas le recours à un contrat spécialement réglementé, et qu’ils admettent
que les créanciers puissent protéger leurs intérêts selon d’autres modalités que celles
organisées par le législateur. En outre, la validité des garanties personnelles
innomées ne peut être consacrée que si les juges ne font pas un usage excessif de la
notion de fraude à la loi.
234. La qualification de la garantie personnelle innomée. En deuxième
lieu, le respect de la liberté contractuelle dépend de la qualification du contrat
retenue par le juge.
Cette qualification doit être opérée au vu des caractéristiques que les parties ont
conférées à leur convention et non en fonction des règles que le juge souhaite
appliquer. Les qualifications téléologiques nuisent à l’efficacité des garanties
personnelles, non seulement en ce qu’elles entravent la connaissance et la
compréhension du droit applicable, mais aussi en ce qu’elles risquent de remettre en
cause les prévisions des parties. Les juges ne doivent pas se servir du procédé de la
qualification à des fins détournées, notamment pour faire d’un contrat innomé un
contrat nommé soumis à des règles légales déterminées. Pour cela, ils doivent
dégager des critères de distinction des différentes garanties personnelles, qui soient
clairs et précis, et ils ne doivent pas modifier ces critères au gré des espèces, en vue
du résultat auquel ils entendent aboutir.
Pour que la qualification opérée par le juge respecte la volonté des parties, il est
nécessaire, en outre, que les juges ne s’en tiennent pas à une gamme limitée de
qualifications, reposant sur les caractéristiques les plus évidentes des contrats
conclus. La diversité des caractéristiques imprimées au mécanisme constitué,
qu’autorise la liberté contractuelle, doit, au contraire, se traduire par une diversité de
qualifications possibles.
235. La reconnaissance de l’autonomie du régime de la garantie
personnelle innomée. En troisième et dernier lieu, le respect des prévisions des
parties s’exprime par la reconnaissance de l’autonomie du régime de la garantie
personnelle innomée, par rapport à celui des garanties personnelles spécialement
réglementées. Les juges doivent donc mettre en œuvre le procédé de l’extension
analogique383 avec circonspection. Ainsi, le respect de la liberté contractuelle
s’oppose à ce qu’une règle d’un contrat nommé soit appliquée a pari à un contrat
innomé si la raison d’être de cette règle ne l’impose pas absolument et si les
différences séparant les deux contrats sont trop marquées.
236. Conclusion de la Section 2 et du Chapitre 1. Le respect des prévisions
intrinsèques des parties ayant conclu une garantie personnelle innomée est donc
intimement lié au respect judiciaire de la liberté contractuelle. Quelle que soit la
garantie personnelle conclue, ces prévisions ont également d’autant plus de chances
de se concrétiser que le contenu du droit et son interprétation sont stables. La survie
de la loi ancienne, l’application des jurisprudences nouvelles pour l’avenir, la clarté
et la cohérence des règles de droit favorisent cette stabilité. Toutes ces qualités
formelles du droit confortant la réalisation de la finalité assignée à la garantie
personnelle constituée sont nécessaires à la satisfaction des attentes subjectives des
créanciers, mais ne sont pas suffisantes.
Doivent s’y ajouter des qualités améliorant la rationalité des choix des
créanciers, c'est-à-dire des qualités confortant l’adéquation entre les attentes nées de
l’octroi de crédit au débiteur et la finalité conférée à la garantie effectivement
conclue. Ces qualités sont celles qui favorisent, tant la connaissance, que la
compréhension du droit. Il s’agit du nombre raisonnable et de l’accessibilité
matérielle des règles de droit, mais aussi, là encore, de la stabilité, de la clarté et de
la cohérence des règles légales et jurisprudentielles.
Le droit applicable aux garanties personnelles doit présenter l’ensemble de ces
qualités pour pouvoir atteindre l’objectif d’efficacité. L’adéquation entre le contenu
du droit et cet objectif exige donc que, dans sa forme, le droit reflète l’exigence de
sécurité juridique, puisque toutes les qualités exposées n’en sont que des
expressions.
L’efficacité du droit des garanties personnelles, partant l’efficacité de ces
contrats eux-mêmes, exige aussi que, au fond, le droit reflète les spécificités de ces
mécanismes. L’assimilation des caractéristiques des garanties personnelles constitue
ainsi la seconde condition de l’adéquation entre le contenu du droit et l’objectif
d’efficacité.
383 Sur le raisonnement par analogie, cf. E. SAVAUX, La théorie générale du contrat, mythe
ou réalité ?, LGDJ, 1997, p. 61 ; G. CORNU, Le règne discret de l’analogie, Mélanges A.
Colomer, Litec, 1993, p. 129 et s. ; D. GRILLET-PONTON, Nouveau regard sur la vivacité
de l’innommé en matière contractuelle, D. 2000, chron., p. 331 et s.
CHAPITRE II
ASSIMILATION DES CARACTERISTIQUES
DES GARANTIES PERSONNELLES
237. Notion d’assimilation. L’assimilation est l’« action de faire siennes les
connaissances acquises »384. Opérée par le droit, elle consiste, pour le législateur et
pour les juges, à déduire le régime juridique d’un mécanisme déterminé de ses
caractéristiques. Elle se reconnaît au fait que le contenu des règles de droit reflète les
particularités de ce mécanisme.
238. L’assimilation : un facteur d’efficacité. L’assimilation constitue un
facteur d’efficacité à plusieurs égards. Tout d’abord, en rendant le droit applicable
prévisible et intelligible, elle améliore la rationalité des choix opérés lors de la
constitution du mécanisme et conforte la réalisation de la finalité assignée à ce
dernier. Ensuite, l’assimilation, lorsqu’elle a pour objet les caractéristiques
communes à un ensemble d’opérations, est source de cohérence, puisqu’elle conduit
à conférer à ces opérations présentant une identité de nature un même régime
juridique385. Plus généralement, c’est de cette assimilation de la nature du
mécanisme que dépend son efficacité in abstracto. En effet, l’attente objective ne
peut être satisfaite que si le législateur et les juges tirent les conséquences des
caractéristiques essentielles du mécanisme, sur lesquelles cette attente repose. Enfin,
l’assimilation des caractéristiques distinctives conditionne l’efficacité in concreto.
Pour que les attentes subjectives se réalisent, il est effectivement nécessaire que la
loi et la jurisprudence reconnaissent les spécificités imprimées par les parties à un
mécanisme donné et en déduisent des règles appropriées. Pour toutes ces raisons,
l’efficacité des garanties personnelles se trouve subordonnée à l’assimilation de
leurs caractéristiques par le droit qui leur est applicable.
239. L’utilité de la mise au jour des caractéristiques des garanties
personnelles. Avant d’évaluer l’efficacité du droit positif sous cet angle386 et de
proposer des règles précises opérant une telle assimilation387, il est nécessaire de
384 L’encyclopédie Larousse confère un second sens au terme assimilation, que nous ne
retiendrons pas ici, à savoir l’« action de rapprocher des personnes ou des choses en les
présentant comme semblables ». 385 Sur la mise en œuvre du principe de logique formelle comme facteur d’efficacité, cf. supra
n°204 386 Cf. infra 2ème partie 387 Cf. infra 3ème partie
préciser quelles sont les caractéristiques des garanties personnelles. Comme
l’efficacité objective dépend de l’exacte appréhension des caractéristiques
communes et que l’efficacité subjective est subordonnée à l’assimilation des
caractéristiques distinctives, il convient d’envisager ce qui caractérise l’ensemble
des garanties personnelles (Section 1), puis ce qui est susceptible de varier d’une
garantie personnelle à une autre (Section 2).
SECTION 1 : LES CARACTÉRISTIQUES COMMUNES À
L’ENSEMBLE DES GARANTIES PERSONNELLES
240. La fonction de garantie. En cas d’échec de la force obligatoire du
contrat, les créanciers chirographaires ont tous les mêmes droits contre le débiteur
(article 2092 du Code civil). Mais cette égalité, bien souvent, « n’est qu’une égalité
devant le néant, une figure de rhétorique privée de portée pratique »388. En effet, le
droit de gage général ne met les créanciers à l’abri, ni du risque d’inconsistance du
patrimoine du débiteur, ni du risque de concours avec les autres créanciers de ce
dernier389.
Certains mécanismes ont pour raison d’être d’accroître la sécurité des
créanciers en atténuant, voire en supprimant, ces faiblesses du droit de gage général,
que la crise économique amplifie390. Ils ont une fonction de garantie, en ce sens que
leur but est de renforcer la position du créancier par l’éviction d’un risque affectant
ses droits391 et, plus précisément, un risque de perte pécuniaire392.
388 M. CABRILLAC, Les ambiguïtés de l’égalité entre les créanciers, Mélanges Breton et
Derrida, Dalloz, 1991, p. 31 et s., n°1. Dans le même sens, cf. P. VAN OMMESLAGHE,
Sûretés issues de la pratique et autonomie de la volonté, in Les Sûretés, Colloque de
Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 374 et s. 389 Sur les faiblesses du droit de gage général, cf. notamment C. WITZ, Juriscl. Civil, Art
2092 à 2094, fasc. 80, Droit de gage général, 1997 ; P. ANCEL, n°8 à 12 ; Ph. MALAURIE et
L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°4 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par
Y. PICOD, n°2 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°2 390 L. AYNES, Crise économique et rapports de droit privé, in Droit de la crise : crise du
droit ?, Les incidences de la crise économique sur l’évolution du système juridique, PUF,
Publication de la faculté de droit et de sciences sociales de Poitiers, Tome 31, 1997, p. 57 et
s. : « en période de crise économique, le droit de gage général, devenu incantatoire, perd sa
raison d’être ». 391 Sur la corrélation entre la notion de garantie et celle de risque, cf. Ph. BRIAND, Eléments
d’une théorie de la cotitularité des obligations, th. Nantes, 1999, sous la direction de F.
COLLART DUTILLEUL, n°274 ; A. PRÜM, Les garanties à première demande, Litec,
1994, préf. B. TEYSSIE, n°131 ; G. SCYBOZ, Le contrat de garantie et le cautionnement,
Traité de droit privé suisse, Tome VII, 2, Editions universitaires Fribourg Suisse, 1979, p. 11 ;
N. KANAYAMA, De l’obligation de couverture à la prestation de garantie, Mélanges Ch.
Mouly, Litec, 1998, p. 393 392 Sur les définitions fonctionnelles des garanties et des sûretés, cf. notamment P. ANCEL,
Les sûretés personnelles non accessoires en droit comparé, th. Dijon, 1981, n°153 ; P.
CROCQ, Propriété et garantie, LGDJ, 1995, préf. M. GOBERT, n°269, 270 et 287 ; D.
GRIMAUD, Le caractère accessoire du cautionnement, PUAM, 2001, préf. D. LEGEAIS,
n°15 ; A.-M. TOLEDO, Notion de sûreté et droit du commerce international, th. Paris I,
1997, sous la direction de L. AYNES, n°280 ; Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU,
PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V° Garantie, p. 416 et Sûreté, p. 858 ; GILISSEN, Les sûretés
241. La catégorisation des mécanismes de garantie fondée sur les
expressions de la fonction de garantie. Cette fonction de garantie est susceptible
de s’exprimer de plusieurs façons, qui correspondent aux différentes formes de
protection des intérêts financiers des créanciers, car les mécanismes remplissant
cette fonction ne présentent pas tous les mêmes caractéristiques : ils ne mettent pas
tous en œuvre les mêmes techniques et ne produisent pas tous les mêmes effets.
Dès lors que l’on s’intéresse à l’assimilation des caractéristiques des garanties
personnelles, il est nécessaire d’appréhender leurs caractéristiques communes en
distinguant celles qu’elles partagent avec d’autres mécanismes (§1), de celles qui
leur sont propres (§2). En effet, une parfaite assimilation supposerait que les règles
fondées sur des caractéristiques partagées s’appliquent, non seulement à toutes les
garanties personnelles, mais encore à tous les mécanismes présentant ces propriétés.
Au contraire, les règles reposant sur des caractéristiques propres aux garanties
personnelles ne devraient s’appliquer qu’à celles-ci.
§1 : LES CARACTERISTIQUES PARTAGEES
PAR D’AUTRES GARANTIES
242. Selon la qualité des protagonistes de l’opération de garantie, les relations
qu’ils entretiennent entre eux, la nature du contrat principal et celle de la garantie, la
constitution et la réalisation de la garantie personnelle sont susceptibles de conduire
à des résultats particuliers. Néanmoins, certains effets, que l’on peut qualifier de
« principaux », caractérisent l’ensemble des garanties personnelles, et se retrouvent
même dans d’autres mécanismes. Certains se rapportent à la situation du créancier
bénéficiaire (A), d’autres à celle du débiteur (B).
A/ LES EFFETS PRINCIPAUX DE LA GARANTIE
SUR LA SITUATION DU CREANCIER
243. La constitution des garanties personnelles, d’une part, et leur réalisation,
d’autre part, sont susceptibles de produire, sur la situation du créancier, des effets
que les spécificités de l’opération de garantie ne sauraient faire varier. Ces effets
résident dans la garantie du paiement (1). Dans le but de faire apparaître le champ
d’application des règles relatives à la garantie du paiement auquel devrait conduire
l’assimilation de ces effets393, il est utile de présenter les mécanismes qui peuvent
produire les mêmes effets principaux que les garanties personnelles et ceux qui, au
contraire, peuvent conduire à des résultats distincts (2).
1. La garantie du paiement
personnelles, Recueils de la société Jean Bodin, Bruxelles, XXVIII, p. 22, 23 ; C. SAINT-
ALARY-HOUIN, Sûretés et procédures collectives : morceaux choisis, Rapport de synthèse,
LPA 20 septembre 2000, n°188, p. 40 et s., n°2 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°1, 2,
10 ; D. LEGEAIS, n°1, 23 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ,
n°2 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 ; J. MESTRE, E.
PUTMAN et M. BILLIAU, n°5 et 10 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°1, 2, 5, 20 ; Ph.
THERY, n°6 393 Sur ces règles, cf. infra n°851-859
244. Si les garanties personnelles peuvent conforter la potentialité du
paiement de la dette principale, c’est parce qu’elles sont susceptibles de produire
deux effets principaux, l’un intéressant la période de constitution de la garantie,
l’autre sa mise en œuvre.
245. Effet principal de la constitution de la garantie. En premier lieu,
l’amélioration de la situation du créancier est permise par le fait que la seule
conclusion de la garantie personnelle peut conférer au créancier un droit en vue
d’une éventuelle inexécution du débiteur. Quelques précisions méritent être
apportées au sujet de ce droit.
Tout d’abord, il ne naît pas de l’inexécution du débiteur, mais lui est antérieur.
Les garanties personnelles anticipent un risque de défaillance. Elles apportent de la
quiétude par rapport au futur. Elles présentent donc un aspect préventif394.
Ensuite, le droit né de la conclusion de la garantie ne procède pas de la seule
qualité de créancier au sens de l’article 2092 du Code civil. Il s’ajoute aux droits
résultant normalement de l’inexécution du contrat de base, c'est-à-dire qu’il se
superpose aux prérogatives que le créancier tient de son droit de gage général395. Il
ne profite donc pas à l’ensemble des créanciers, mais présente, au contraire, un
caractère individuel396.
Enfin, le droit octroyé n’est pas seulement un droit de rester passif, permettant
de paralyser une situation donnée, mais un véritable droit d’agir, qui place le
créancier dans une attitude positive de demandeur397, puisqu’il s’agit du droit de
poursuivre une personne supplémentaire, le garant. La seule constitution de la
garantie personnelle emporte ainsi « un changement de position quantitatif du
créancier »398, car l’assiette de son droit de gage général se trouve élargie. Elle ne
donne lieu, par contre, à aucune affectation préférentielle du patrimoine du garant au
paiement de la dette principale399.
394 Sur l’aspect préventif des sûretés, cf. P. CROCQ, th. préc., n°284 ; L. AYNES, Les
garanties du financement, Defrénois 1986, article 33779, p. 909 et s., n°3 ; A. BRUYNEEL,
L’évolution du droit des sûretés, in Les sûretés, colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 20 ;
C. GINESTET, La qualification des sûretés, Defrénois 1999, article 36927, p. 80 à 92 et
article 36940, p. 203 à 215, n°8 395 Sur l’adjonction d’un droit aux prérogatives ordinaires du créancier, cf. P. CROCQ, ibid.,
n°272 ; C. GINESTET, ibid., n°8 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°2 ; D. LEGEAIS,
n°21 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°2 ; H., L. et J.
MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M.
BILLIAU, n°5 396 Sur la nature individuelle du droit conféré par la constitution de la sûreté, cf. P. CROCQ,
ibid., n°269 ; C. GINESTET, ibid., n°8 397 Sur le droit d’agir, et non seulement de rester passif, cf. P. CROCQ, ibid., n°272, 274 ; C.
GINESTET, ibid., n°1, 9, 12 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, art. préc., n°3 ; D. LEGEAIS,
n°21 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 398 H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°4 399 Afin de conserver une certaine cohérence à la notion d’affectation, il convient de ne pas
l’employer dans un sens général, correspondant à la « détermination d’une finalité
particulière en vue de laquelle un bien sera utilisé » (Vocabulaire juridique, dirigé par G.
CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V° Affectation, p. 35). Il est préférable d’adopter un
sens plus étroit, selon lequel « il n’y a véritablement affectation spéciale d’un ou plusieurs
biens à un but déterminé avec diminution des pouvoirs du débiteur sur ces biens que dans le
246. Effets principaux de la réalisation de la garantie. En second lieu, ce
qui autorise la protection des intérêts financiers des bénéficiaires de garanties
personnelles, quelles qu’elles soient, c’est l’extinction de la créance garantie,
satisfactoire pour le créancier, auquel est susceptible de conduire la réalisation de
ces garanties. Si la mise en œuvre d’une garantie personnelle peut procurer un
enrichissement au créancier, son effet principal réside dans le recouvrement de la
créance garantie, malgré la défaillance du débiteur400.
Comme ce paiement procède d’une exécution dans le patrimoine du garant, le
bénéficiaire se trouve dans une situation avantageuse par rapport aux autres
créanciers du débiteur. La réalisation de la garantie personnelle lui permet, en effet,
de ne pas entrer en concours avec ceux-ci401.
247. Notion de garantie de paiement. Si les garanties personnelles ont pour
fonction de protéger le créancier d’un risque de perte pécuniaire, c’est donc, d’une
part, parce que leur seule constitution peut conférer au créancier, de manière
préventive, un droit d’agir que la seule qualité de chirographaire ne procure pas et,
d’autre part, parce que leur réalisation peut permettre de désintéresser le
bénéficiaire, en le plaçant dans une situation avantageuse par rapport aux autres
créanciers du débiteur. Toutes les garanties personnelles se caractérisent ainsi par le
fait qu’elles peuvent assurer la garantie du recouvrement. Pour cette raison, elles
pourraient être qualifiées de « garanties de paiement »402.
cas des sûretés réelles » (J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°93). En présence
d’une simple extension du droit de gage général du créancier, l’affectation étant non
préférentielle, la notion d’affectation ne devrait donc pas être employée (en ce sens, cf. J.
MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°5, 85 ; Ph. THERY, n°6). Il semble par
conséquent critiquable de retenir l’affectation comme caractéristique commune à l’ensemble
des sûretés, comme le font nombre d’auteurs (en ce sens, cf. P. CROCQ, th. préc., n°272,
276 ; A.-M. TOLEDO, th. préc., n°273 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, art. préc., n°2 ; M.
CABRILLAC et Ch. MOULY, n°2 ; D. LEGEAIS, n°18, 21 ; H., L. et
J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1). 400 Sur le paiement du créancier, grâce à la réalisation des sûretés, cf. P. CROCQ, ibid.,
n°271 ; A.-M. TOLEDO, ibid., n°273 ; Y. CHARTIER, L’évolution du droit des sûretés,
Rapport de synthèse, Rev. jurisp. com., n° spécial, février 1982, p. 150 et s., n°2 ; C.
GINESTET, art. préc., n°7, 8 ; L. SIMONT, Essai de classification des sûretés issues de la
pratique et problèmes juridiques qu’elles posent, in Les Sûretés, colloque de Bruxelles,
FEDUCI 1984, p.278 ; D. LEGEAIS, n°21 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES
et P. CROCQ, n°2 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 ; Ph.
THERY, n°1 401 Sur l’atténuation ou la suppression du concours, grâce à la réalisation des sûretés, cf. C.
GINESTET, ibid., n°10 ; D. LEGEAIS, n°21 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU,
n°11 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°2 402 Retiennent cette qualification de « garantie de paiement », P. CROCQ (th. préc., n°287 ;
L’évolution des garanties du paiement : de la diversité à l’unité, Mélanges Ch. Mouly, Litec,
1998, p. 317 et s.), F. JACOB (Le constitut ou l’engagement autonome de payer la dette
d’autrui à titre de garantie, LGDJ, 1998, préf. Ph. SIMLER, n°48 : l’expression « garantie de
paiement » ne signifie pas que seules des dettes de sommes d’argent peuvent être couvertes.
Cette expression se justifie au regard du type de prestation attendue du garant. On pourrait
donc parler aussi de garantie par paiement), C. GINESTET (ibid., n °9), J. MESTRE, E.
PUTMAN et M. BILLIAU (n°3) et Ph. THERY (n°3).
La question se pose de savoir quels autres mécanismes seraient susceptibles de
recevoir cette qualification.
2. La catégorisation des garanties fondée sur leurs effets à l’égard du créancier
248. Les garanties de paiement. Le droit d’agir du créancier préalable à
l’inexécution du débiteur et l’effet extinctif assorti d’une rupture d’égalité avec les
autres créanciers403 caractérisent notamment les mécanismes suivants : l’assurance
décès ou invalidité404 ; les sûretés réelles traditionnelles (le gage, l’hypothèque et le
privilège)405 ; les garanties mixtes406 ; les mécanismes reposant sur la propriété407,
qu’elle soit retenue (crédit-bail, clause de réserve de propriété) ou cédée (aliénation
fiduciaire, comme dans la cession Dailly, la couverture d’opérations en bourse408 ou
encore la cession de loyers, en garantie de prêts immobiliers409).
Tous ces mécanismes pourraient être qualifiés de garanties de paiement et
devraient se voir appliquer les règles régissant l’anticipation de l’inexécution du
débiteur, aussi bien que celles intéressant le désintéressement du créancier.
403 La rupture d’égalité entre les créanciers du débiteur, qui caractérise toutes les garanties de
paiement, peut revêtir deux formes distinctes : soit le créancier bénéficiaire échappe purement
et simplement au concours, soit il jouit d’une position avantageuse dans ce concours, en
raison de son droit de préférence sur l’un des biens du débiteur. 404 Ces contrats d’assurance ressemblent à des garanties personnelles, car ils confèrent à leur
bénéficiaire un droit d’agir contre un tiers, mais nous verrons plus loin qu’ils ne peuvent
recevoir cette qualification, faute d’un cumul de débiteurs (cf. infra n°267). La qualification
de garantie de paiement pourrait, en revanche, être retenue, puisque la conclusion du contrat
d’assurance anticipe le risque d’invalidité ou de décès, en conférant au bénéficiaire un droit
de poursuite contre l’assureur. S’agissant de l’exécution de l’assureur, suite à la survenance
du risque, elle est susceptible d’éteindre la dette principale, sans que le bénéficiaire n’ait à
entrer en concours avec d’autres créanciers du débiteur. 405 Les sûretés réelles confèrent au créancier un droit d’agir en vue de l’éventuelle inexécution
du débiteur. Ce droit n’est cependant pas de même nature que celui dont jouit le bénéficiaire
d’une garantie personnelle, puisqu’il s’agit du droit de saisir et de faire vendre le bien du
débiteur (ici, le changement de position du créancier n’est pas quantitatif, il est qualitatif. En
ce sens, cf. H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°4). Ces droits ne sont
pas uniquement la traduction de l’article 2092 du Code civil. En effet, le droit d’agir du
créancier bénéficiaire d’une sûreté réelle se démarque des prérogatives ordinaires du
chirographaire en ce qu’il s’accompagne de l’affectation préférentielle de la valeur du bien
(en ce sens, cf. Ph. THERY, n°6).
La mise en œuvre des sûretés réelles traditionnelles peut conduire au paiement du créancier et
à une rupture d’égalité avec les autres créanciers du débiteur. Celle-ci n’a pas la même
étendue qu’en matière de garanties personnelles. En effet, la réalisation du gage ou de
l’hypothèque n’est pas à même de supprimer le concours, mais elle peut néanmoins emporter
une rupture d’égalité par rapport aux créanciers chirographaires du débiteur, compte tenu de
l’exercice du droit de préférence. 406 Sur les garanties mixtes, cf. notamment D. LEGEAIS, n°19 ; Ph. MALAURIE et L.
AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°19 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y.
PICOD, n°4-1 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°17 407 Sur la propriété-garantie, cf. P. CROCQ, th. préc. 408 Article 49 de la loi du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières. Sur cette
garantie, cf. H. de VAUPLANE, La couverture des opérations en bourse : une sûreté hybride,
RD bancaire et bourse 1998, p. 197 et s. 409 Cf. M. P. WAGNER, La cession des loyers, garantie d’un prêt immobilier, RD bancaire
1999, n°71, p. 14 et 15
249. Les garanties par conservation du droit de gage général. Dans
d’autres mécanismes, la fonction de garantie s’exprime tout à fait différemment
qu’en matière de garanties personnelles et, plus généralement, de garanties de
paiement. Tel est le cas, tout d’abord, dans les mécanismes qui protègent les intérêts
des créanciers en conservant leur droit de gage général. Certains peuvent prévenir
l’impayé, d’autres le pallier.
La première catégorie regroupe les mécanismes qui préservent l’assiette du
droit de gage général, c'est-à-dire le patrimoine du débiteur, avant que celui-ci ne
soit défaillant410. La protection des intérêts des créanciers prend la forme d’une
diminution du risque de fluctuation de l’actif et du passif du débiteur. Au rang des
garanties conventionnelles conservant l’intégrité du patrimoine du débiteur à titre
préventif, peuvent être citées les « sûretés négatives »411 et la domiciliation des
salaires.
La seconde catégorie de garanties par conservation du droit de gage général
réunit les mécanismes qui préservent l’exercice du droit de gage général lui-même,
une fois que l’insolvabilité est avérée, par la réintégration dans le patrimoine du
débiteur de certaines valeurs. Elles pallient la réalisation du risque de perte de
l’intégrité du patrimoine du débiteur. Comme le droit qu’elles confèrent aux
créanciers est créé par la défaillance même de celui-ci, elles n’apportent de la
quiétude que dans le présent. Si aucun mécanisme conventionnel ne paraît répondre
à ces caractéristiques, des garanties légales peuvent, en revanche, en fournir
l’illustration. Il s’agit essentiellement de l’action oblique, de l’action paulienne, de
l’action en déclaration de simulation, de l’action en nullité de la période suspecte, ou
encore de l’action en rapport de l’article L. 621-112 du Code de commerce. Les
sanctions de l’organisation frauduleuse de l’insolvabilité412 ne méritent pas de
grossir cette liste, car elles ne confèrent aucun droit aux créanciers413. Les voies
d’exécution ne conservent pas non plus le droit de gage général, puisqu’elles en
constituent l’exercice même414.
Qu’ils aient pour effet de prévenir l’impayé ou de le pallier, les mécanismes qui
conservent le droit de gage général ne peuvent pas être considérés comme des
garanties de paiement, car leur mise en œuvre ne peut emporter l’extinction de la
410 P. CROCQ (th. préc., n°269), au rang des mécanismes visant l’« augmentation des
chances des créanciers d’être payés en limitant les pouvoirs du débiteur sur son patrimoine
afin de donner à son actif un caractère constant », cite l’action oblique, l’action paulienne et
l’action en déclaration de simulation. Il nous semble que ces mécanismes conservent le droit
de gage général en palliant l’impayé, plutôt qu’en prévenant celui-ci. 411 J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU (n°3) les qualifient de « garanties contre
l’insolvabilité » ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE (n°16) relèvent que « les « garanties
négatives » tentent seulement de conserver son efficacité au droit de gage général ». 412 Article L. 314-7 du Code pénal. Article L. 333-2 du Code de la consommation relatif à la
déchéance du bénéfice des procédures de traitement des situations de surendettement. 413 Contra, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°2 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M.
BILLIAU, n°3 414 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, n°24 : les voies d’exécution « constituent le prolongement
procédural du droit des garanties ». Contra, cf. P. CROCQ, th. préc., n°269
dette garantie415, ni mettre le créancier à l’abri du concours avec les autres créanciers
du débiteur.
250. Les garanties par renforcement du contenu obligatoire du contrat. Ne devraient pas non plus être qualifiés de garanties de paiement les mécanismes
qui protègent les intérêts des créanciers en renforçant le contenu obligatoire du
contrat416.
En effet, les garanties qui remédient au risque d’exécution irrégulière, en
assurant au créancier « une réparation très efficace du dommage causé » par une
telle exécution417, ne confèrent pas aux créanciers un droit qui s’ajoute au droit de
gage général. Elles autorisent seulement l’exercice de celui-ci dans des conditions
plus avantageuses pour le créancier, soit parce que ces conditions sont plus faciles à
réunir (tel est le cas des garanties légales relatives à l’existence, à l’apparition, ou au
maintien des qualités d’une chose, comme la garantie d’éviction et la garantie des
vices cachés), soit parce que le montant des poursuites est plus élevé (tel est le cas
de la clause pénale et de l’astreinte).
Elles se différencient également des garanties de paiement en ce qu’elles
n’apportent de la quiétude que dans le présent. Elles ne font, en effet, que suppléer à
l’exécution régulière d’une obligation.
Enfin, les garanties par renforcement du contenu obligatoire du contrat n’ont
aucune incidence sur un éventuel concours avec les autres créanciers du débiteur.
Ainsi, la clause pénale ou l’astreinte alourdissent la sanction du débiteur défaillant,
mais n’emportent aucune rupture d’égalité avec les autres créanciers de ce
dernier418.
415 Sauf à prendre en compte l’effet comminatoire que peuvent présenter certaines garanties
par conservation du droit de gage général, nous ne pouvons ainsi adhérer à la thèse de Ph.
BRIAND (th. préc., n°292), selon laquelle « le point commun de toutes les formes de garantie
est qu’elles sont tournées vers l’extinction de l’obligation du débiteur principal envers le
créancier ». 416 Ph. BRIAND (ibid., n°270) vise les « garanties par renforcement du contenu obligatoire
d’un rapport juridique ». L’idée de renforcement est également présente dans la thèse de B.
GROSS (La notion d’obligation de garantie dans le droit des contrats, LGDJ, 1964, préf. D.
TALLON, p. 48) : « la garantie donne une plus grande efficacité aux obligations principales
d’un contrat », et aussi dans le Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU (PUF, Quadrige,
3e éd., 2002, V° Garantie, p. 416) : « au sens plus technique, obligation accessoire qui naît de
certains contrats (vente, bail, entreprise…) à la charge d’une partie et qui renforce la
position de l’autre lorsqu’en cours d’exécution celle-ci n’obtient pas la satisfaction qu’elle
était en droit d’attendre ». 417 B. GROSS, ibid., p. 3 et 4 : « il n’y a obligation de garantie que lorsque la responsabilité
aggravée du débiteur sanctionne les obligations spéciales qui lui sont imposées » ; p. 102 et
103 : « la garantie est une obligation complexe, d’origine légale ou conventionnelle qui, dans
certains contrats à titre onéreux où le créancier peut craindre d’être trompé sur les droits que
son cocontractant lui transmet sur la chose ou sur l’utilité de celle-ci, vient se superposer à
certaines obligations nées du contrat et assure le garanti du résultat pratique de l’exécution
normale de la convention, tout en lui promettant une réparation très efficace du dommage
causé au cas où ce résultat ne serait pas atteint définitivement ». 418 Au sujet de la clause pénale, un tempérament a néanmoins été apporté par la Cour de
cassation. La Chambre commerciale décide, en effet, que le principe d’égalité des créanciers
s’oppose à la validité de la clause pénale convenue entre un créancier et un débiteur
antérieurement à l’ouverture de la procédure collective, lorsqu’il résulte de cette clause une
Pour toutes ces raisons, les mécanismes dans lesquels la fonction de garantie se
traduit par le renforcement du contenu obligatoire du contrat ne devraient donc pas
être soumis aux règles se rapportant à la garantie du paiement.
251. Les garanties par exclusion du concours. Des différences sont
également très marquées entre les garanties de paiement et les mécanismes qui
protègent les intérêts des créanciers en les faisant échapper à tout concours419.
En premier lieu, les garanties par exclusion du concours, qui reposent sur la
réciprocité des droits et obligations du créancier et du débiteur (comme la
compensation420, l’exception d’inexécution, l’action en résolution421, le droit de
rétention), ne procurent de la sécurité que dans le présent.
En deuxième lieu, ces mécanismes n’ajoutent pas au droit de gage général de
nouvelles prérogatives. Ils évitent simplement à leur bénéficiaire d’avoir à exercer
ce droit et, par conséquent, de courir le risque d’être primé par un autre créancier422.
En troisième et dernier lieu, la mise en œuvre des garanties conférant au
créancier une situation d’exclusivité ne se traduit pas nécessairement par l’extinction
de la dette du débiteur. Ainsi, les garanties offrant à leur bénéficiaire la faculté de
rester passif (le droit de rétention et l’exception d’inexécution) ne peuvent conduire
au paiement du créancier que si elles produisent un effet comminatoire sur le
débiteur.
252. La plupart des garanties par exclusion du concours, tout comme les
garanties par conservation du droit de gage général et les garanties par renforcement
majoration des obligations du débiteur envers le créancier lors du prononcé de son
redressement judiciaire (Cass. com., 19 avril 1985 : Defrénois 1986, p. 940, note DERRIDA ;
Cass. com., 10 décembre 1991 : Bull. civ. IV, n°378 ; Cass. com., 11 mai 1993 : Bull. civ. IV,
n°181 ; D. 1993, Somm., 368, obs. HONORAT ; Cass. com., 3 mai 1994 : Bull. civ. IV,
n°163 ; RTD civ. 1995, p. 110, obs. MESTRE). 419 C’est en raison de ces nombreuses différences que nous ne partageons pas l’opinion selon
laquelle les garanties par exclusion du concours ne sont qu’un sous-ensemble de ces garanties
de paiement que sont les sûretés réelles (en faveur de analyse, cf. C. GINESTET, art. préc.,
n°15, 22 ; D. LEGEAIS, n°21, 344 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°265). 420 Sur la compensation comme moyen d’échapper au concours, cf. P. CROCQ, L’évolution
des garanties du paiement, de la diversité à l’unité, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998,
p. 328 ; C. GINESTET, ibid., p. 85 ; C. SAINT-ALARY HOUIN, art. préc., p. 40 ; L.
SIMONT, art. préc., p. 305 et s. ; A.-M. TOLEDO, La compensation conventionnelle,
contribution plus particulièrement à la recherche de la nature juridique de la compensation
conventionnelle in futurum, RTD civ. 2000, p. 265 et s. ; P. VAN OMMESLAGHE, art. préc.,
p. 380, 383, 388
L’un des dérivés de la compensation, à savoir l’indivisibilité du compte courant, est
également cité au titre des mécanismes ayant pour effet de rompre radicalement avec le
principe d’égalité des créanciers chirographaires. Cf. M. VASSEUR, Les garanties indirectes
du banquier, Rev. jurisp. com. 1982, p.107 à 109 421 Sur l’exclusion du concours par le biais de l’action en résolution, cf. P. ANCEL, Nouvelles
sûretés pour créanciers échaudés, JCP 1989, éd. E., suppl. Cahier droit des entreprises, n°5,
p. 3 et 4 422 L’article 815-17 du Code civil réglemente une garantie fonctionnant selon ce schéma,
puisqu’il évite aux créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu’il y eût
indivision, ainsi qu’aux créanciers dont le droit résulte de la conservation ou de la gestion du
bien indivis, d’exercer leur droit de gage général, en leur permettant d’être payés par
prélèvement sur l’actif avant le partage.
du contenu obligatoire du contrat ne devraient donc pas être soumises au même
régime que les garanties personnelles, car elles n’ont pas les mêmes effets sur la
situation du bénéficiaire.
Au contraire, pour que le contenu du droit soit en adéquation avec l’objectif
d’efficacité, les règles intéressant les effets principaux des garanties personnelles sur
la situation du créancier (l’anticipation du risque d’inexécution du débiteur par
l’octroi d’un droit d’agir que ne confère pas la seule qualité de chirographaire et
l’effet extinctif assorti d’une rupture d’égalité entre les créanciers) devraient
s’appliquer à toutes les garanties de paiement.
B/ LES EFFETS PRINCIPAUX DE LA GARANTIE
SUR LA SITUATION DU DEBITEUR
253. Dans toutes les garanties personnelles, l’espoir du créancier de voir se
réaliser la fonction de garantie produit des effets identiques sur la situation du
débiteur. Ces effets principaux résident dans la garantie du crédit (1). Au regard de
ces effets, une catégorisation des mécanismes de garantie peut être proposée (2).
1. La garantie du crédit
254. Notion de garantie de crédit. La protection des intérêts du débiteur
n’entre pas dans la définition de la fonction de garantie. Elle n’est qu’un effet de la
croyance du créancier dans la réalisation de cette fonction, autrement dit une
conséquence de l’espoir du créancier d’être couvert par une garantie efficace.
Cette protection incidente du débiteur consiste en l’accroissement de ses
chances d’accéder au crédit ou de conserver celui déjà accordé423. Elle ne peut donc
exister que lorsque le contrat garanti est à terme ou à exécution échelonnée424.
Il convient de souligner que les demandeurs de crédit ne sont pas les seuls à
bénéficier indirectement de la réalisation de la fonction de garantie. En effet, dans la
mesure où les banques ne peuvent rembourser les fonds reçus en dépôt ou en prêt
que si les crédits qu’elles consentent sont eux-mêmes remboursés, c’est bien de
l’efficacité des garanties assortissant ces crédits que dépend la protection des intérêts
de tous les créanciers des banques, particuliers ou institutionnels425.
423 En ce sens, cf. Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°1 ; H., L.
et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, p. 1
Sur les liens étroits entre l’accès au crédit et la constitution de garanties, cf. notamment M.
CABRILLAC et Ch. MOULY, n°5 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P.
CROCQ, n°3 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°3 ; Ph. SIMLER et Ph.
DELEBECQUE, n°3 424 En ce sens cf. M. GRIMALDI et Ph. DUPICHOT, Durée et sûreté, RDC 2004, p. 95 et s.,
n°1 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°5 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES
et P. CROCQ, n°1 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°3 425 La solidité du système bancaire et du système économique dans son ensemble est à ce
point liée à l’efficacité des garanties que la législation bancaire sur les fonds propres des
établissements de crédit tient compte, pour calculer ces fonds, de l’existence de sûretés
bancaires. Ainsi, la réduction des exigences, en matière de fonds propres, suppose que les
sûretés visées soient effectives et valables en droit (cf. M. GIOVANOLI, Tendances
modernes du droit des sûretés bancaires et contrôle prudentiel des banques, in Sûretés et
garanties bancaires, Publication CEDIDAC, 1997, p. 23 et s.).
Néanmoins, l’expression « garantie de crédit » ne sera employée qu’en ayant
égard aux effets de la constitution d’un mécanisme donné sur la situation du
débiteur, c'est-à-dire en visant uniquement l’accès facilité de celui-ci au crédit426.
La question se pose de savoir quels sont les mécanismes qui pourraient être
ainsi qualifiés de garanties de crédit.
2. La catégorisation des garanties fondée sur leurs effets à l’égard du débiteur
255. Les garanties de crédit. La constitution de n’importe quelle garantie
personnelle facilite l’octroi ou le maintien de crédit au débiteur. Les garanties
personnelles ne sont pas les seules garanties à présenter cette caractéristique et à
pouvoir recevoir, de ce fait, la qualification de garantie de crédit. Sont également
concernées l’assurance décès ou invalidité, les garanties réelles, les garanties mixtes
ou encore les garanties par exclusion du concours qui anticipent le risque
d’inexécution du débiteur.
256. Les garanties par conservation du droit de gage général. En revanche,
qu’elles préservent l’assiette du droit de gage général (sûretés négatives,
domiciliation des salaires, mesures conservatoires) ou son exercice même (action
oblique, action paulienne), les garanties conventionnelles et légales par conservation
du droit de gage général sont tout à fait distinctes des garanties de crédit. En effet,
elles ne confèrent pas un droit qui s’ajoute aux prérogatives ordinaires du créancier
chirographaire. Elles ne sont que les attributs du droit de gage général427. Elles ne
bénéficient donc pas à un créancier en particulier, mais présentent, au contraire, une
nature collective428. Cela explique qu’elles ne puissent jouer qu’un faible rôle dans
l’accès au crédit du débiteur.
257. Les garanties par renforcement du contenu obligatoire du contrat.
De la même façon, les garanties par renforcement du contenu obligatoire du contrat
ne peuvent guère faciliter l’accès au crédit du débiteur, car elles s’inscrivent
généralement dans des contrats opérant un transfert de droits sur une chose, dans
lesquels l’idée de crédit est en principe absente. Tel est le cas des garanties légales
relatives à l’existence, à l’apparition, ou au maintien des qualités d’une chose,
comme la garantie d’éviction, la garantie des vices cachés, ou la garantie décennale
des architectes.
258. Les garanties par exclusion du concours. S’agissant des garanties par
exclusion du concours, qui naissent de la défaillance même du débiteur (ce sont
celles qui reposent sur la réciprocité des droits et obligations du créancier et du
débiteur : la compensation, l’exception d’inexécution, l’action en résolution, le droit
de rétention), elles sont également sans influence sur l’octroi ou le maintien de crédit
au débiteur.
426 En faveur de cette notion de « garantie de crédit », J. MESTRE, E. PUTMAN et M.
BILLIAU, n°3. 427 P. CROCQ (th. préc., n°269) relève ainsi que les garanties dont la finalité est de donner un
caractère effectif à l’exercice du droit de gage général n’en constituent qu’un accessoire. 428 En ce sens, P. CROCQ, ibid., n°269
259. Ces trois derniers types de mécanismes ne devraient donc pas être
qualifiés de garanties de crédit, ni se voir appliquer les règles se rapportant à l’accès
au crédit du débiteur. Au contraire, l’ensemble des garanties personnelles, ainsi que
tous les autres mécanismes ayant un effet incident sur l’accès au crédit, devraient
être soumis aux règles régissant celui-ci.
Certaines caractéristiques communes à l’ensemble des garanties personnelles
sont donc partagées par d’autres mécanismes. Il en va ainsi de l’effet favorable de la
constitution de la garantie sur l’accès au crédit du débiteur, ainsi que des effets
principaux de la garantie sur la situation du créancier (l’octroi au bénéficiaire, dès la
constitution du mécanisme de garantie, d’un droit s’ajoutant à celui de l’article 2092
du Code civil ; le recouvrement de la créance principale par la réalisation de ce
mécanisme, assorti d’une rupture de l’égalité avec les autres créanciers du débiteur).
L’assimilation de ces caractéristiques devrait se traduire par l’application de
certaines règles, non seulement à toutes les garanties personnelles, mais aussi à
toutes les garanties de crédit et à toutes les garanties de paiement.
D’autres règles, par contre, ne devraient jouer qu’en matière de garanties
personnelles, mais à l’égard de toutes les garanties personnelles. Il s’agit de celles
qui assimilent les caractéristiques propres à l’ensemble de ces garanties. Nous
n’allons pas dès à présent étudier ces règles429, mais expliquer, en revanche, quelles
sont ces caractéristiques spécifiques à toutes les garanties personnelles.
§2 : LES CARACTERISTIQUES PROPRES
AUX GARANTIES PERSONNELLES
260. La technique de garantie. Si divers mécanismes de garantie produisent
les mêmes effets principaux sur la situation du bénéficiaire et sur celle du débiteur,
ils ne parviennent pas tous à ces résultats en mettant en œuvre les mêmes moyens.
La technique de garantie, qui « donne forme au but »430, permet de distinguer les
mécanismes présentant une même fonction et capables de produire les mêmes
effets431. Ainsi, ce sont les moyens permettant au bénéficiaire de profiter d’une
extension de son droit de gage général, dès la conclusion du contrat de garantie, et
de l’extinction de la dette principale, par l’effet de la mise en œuvre de cette
garantie, qui distinguent les garanties personnelles des autres mécanismes de
garantie et, plus précisément, des autres garanties de paiement et de crédit. Ces
429 Sur les règles propres à l’ensemble des garanties personnelles que la réforme de cette
matière pourrait instituer, cf. infra n°796-847 430 R. PERROT, De l’influence de la technique sur le but des institutions juridiques, dir. LE
BALLE, éd. Sirey, 1947. Dans le même sens, cf. J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU,
n°11 431 Sur la technique de garantie comme principal critère de catégorisation des sûretés, cf.
M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°503 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°4,
10, 91 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°7, 258
Le critère de la technique de garantie conduit classiquement à opposer les garanties réelles
aux garanties personnelles. Récemment, sur le fondement de ce même critère, des auteurs se
sont éloignés de cette summa divisio traditionnelle. Au rang de ces classifications alternatives
peuvent notamment être citées la distinction entre sûretés réelles / sûretés personnelles /
propriété-sûreté (P. CROCQ, th. préc.) et la distinction entre sûretés préférentielles / sûretés
non préférentielles (J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°139).
techniques propres aux garanties personnelles sont, d’une part, l’obligation de
garantir (A) et, d’autre part, le caractère accessoire essentiel (B).
A/ L’OBLIGATION DE GARANTIR
261. Les caractéristiques de l’obligation de garantir. Si une partie de la
doctrine se réfère à l’obligation de garantir432, le droit français n’en reconnaît pas
l’existence. Il s’en tient au triptyque de l’article 1126 du Code civil, formé par
l’obligation de donner, l’obligation de faire et l’obligation de ne pas faire. Sans
entrer dans la discussion portant sur l’utilité de reconsidérer ce classement des
obligations en vue d’y intégrer l’obligation de garantir433, il est nécessaire
d’expliquer en quoi consiste cette obligation, car elle constitue l’une des techniques
de protection des intérêts du créancier propre aux garanties personnelles.
L’obligation de garantir est une obligation juridique. A l’égard d’un
engagement seulement moral, la qualification de garantie personnelle doit donc être
exclue. Tel est le cas dans certaines lettres d’intention434.
Elle présente, par ailleurs, une nature personnelle. En conséquence, les
personnes tenues « propter rem », comme les tiers à l’encontre de qui s’exerce le
droit de suite, n’assument aucune obligation de garantir. Les poursuites exercées
contre elles ne procèdent nullement de l’existence d’une garantie personnelle435.
Afin d’expliquer les effets principaux, tant de la constitution, que de la mise en
œuvre des garanties personnelles, deux autres caractéristiques de l’obligation de
garantir méritent d’être approfondies. Il s’agit de sa structure duale (1) et de son
adjonction à l’obligation principale (2).
1. Une obligation duale
262. L’obligation de couverture et l’obligation de règlement caractérisent
l’ensemble des garanties personnelles. L’obligation de garantir est tout à fait
originale, puisqu’elle renferme deux obligations distinctes, mais parfaitement
complémentaires, que sont l’obligation de couverture et l’obligation de règlement436.
Cette dualité, que Mouly a mise en lumière dans le cautionnement de dettes
futures437, existe également dans le cautionnement de dettes présentes, et même dans
toutes les garanties personnelles.
432 N. KANAYAMA, De l’obligation de couverture à la prestation de garantie, Mélanges
Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 375 et s. ; N. KANAYAMA, Donner et garantir- un siècle après
ou une autre histoire, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001 433 Sur cette discussion, cf. N. KANAYAMA (ibid.), qui propose d’élever l’obligation de
garantir jusqu’à la summa divisio des obligations. 434 En ce sens, cf. Ch. MOULY, Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les
sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p.129 et s., n°20 ; M. CABRILLAC et Ch.
MOULY, n°25 435 En ce sens, cf. N. KANAYAMA, De l’obligation de couverture à la prestation de
garantie, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 394 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M.
BILLIAU, n°92 436 Ch. MOULY, Les causes d’extinction du cautionnement, Litec, 1979, n°261 : « les deux
obligations s’emboîtent l’une dans l’autre, à la façon d’obligations gigognes. Elles sont
étroitement unies au sein du contrat, l’obligation de règlement dépendant de l’obligation de
couverture à maints égards ». 437 Ch. MOULY, ibid., n°255 et s.
263. Les caractéristiques de l’obligation de règlement. Relativement à
l’obligation de règlement, l’extension de la thèse de Mouly ne suscite guère de
difficultés. Cet éminent auteur a lui-même remarqué que cette obligation « se
retrouve à l’identique dans les cautionnements de dettes présentes et dans ceux de
dettes futures lorsque les dettes garanties sont devenues certaines »438. A condition
d’en retenir une définition suffisamment large, l’obligation de règlement est même
susceptible de caractériser l’ensemble des garanties personnelles. Il suffit, pour cela,
de poser que l’objet de cette obligation réside dans le paiement du créancier en cas
de défaillance du débiteur principal, sans préciser si cet objet est emprunté à la dette
principale ou lui est indépendant439.
Le fait que certains garants souscrivent une obligation de faire ou de ne pas
faire (tel est le cas des souscripteurs des lettres d'intention) n’empêche nullement
d’adopter la définition proposée, puisque l’inexécution de telles obligations se solde
par le paiement de dommages et intérêts440.
Le fait que certaines garanties soient payables à première demande n’est pas
non plus une exception à la définition suggérée. En effet, dans toutes les garanties
personnelles, l’obligation de règlement ne peut légitimement naître qu’en cas de
défaillance du débiteur principal. Les auteurs qualifient ainsi cette obligation
d’«éventuelle »441 ou d’«aléatoire »442. Le qualificatif « subsidiaire » paraît plus
approprié, car il renferme l’idée de défaillance de l’élément essentiel443. Ce terme
n’est pas alors employé dans un sens procédural, en vertu duquel le garant ne peut
être appelé qu’après de vaines poursuites contre le débiteur principal444, mais dans le
sens où l’obligation de règlement du garant « a vocation à venir en second lieu (à
titre de remède, de garantie, de suppléance, de consolation), pour le cas où ce qui
438 Ch. MOULY, ibid., n°255 439 Comme Mouly s’intéressait uniquement au cautionnement, il a soutenu que « l’objet de la
prestation est une chose : la somme d’argent que représente la dette du débiteur principal ou
son équivalent » (ibid., n°261) et que l’obligation de règlement « est accessoire à l’obligation
principale, limitée par elle en étendue et en contenu » (ibid., n°258). Mais, dès lors que l’on
envisage l’ensemble des garanties personnelles, il convient de ne pas préciser le rapport entre
l’objet de l’obligation de règlement du garant et l’objet de la dette principale, car il peut varier
d’une garantie personnelle à une autre. Nous verrons que ce rapport constitue le critère de
distinction entre les garanties personnelles présentant un caractère accessoire renforcé et les
garanties personnelles indépendantes (cf. infra n°301-306). 440 L’obligation de règlement « est une obligation de faire ou de donner, obligation qui peut
se résoudre ultérieurement en dommages et intérêts » (N. KANAYAMA, art. préc., p. 395). 441 Ch. MOULY, th. préc., n°261 : « son germe n’apparaîtra qu’avec la constatation d’une
dette principale ». 442 N. KANAYAMA, art. préc., p. 392 443 En ce sens, cf. J. RAYNARD, A propos de la subsidiarité en droit privé, Mélanges Ch.
Mouly, Litec, 1998, p. 131 et s., n°2 : « la disparition de l’élément essentiel, non seulement
n’entraîne pas celle du subsidiaire mais, tout au contraire, découvre celui-ci pour le rendre
pleinement efficace. (…) Le subsidiaire vit dans l’ombre de l’essentiel précisément dans
l’attente de l’éclipse de celui-ci » ; n°3 : la subsidiarité « supplée à la carence de la norme
essentielle, précisément en rendant efficace celle qui lui est subsidiaire, donc elle assume la
défaillance de l’essentiel ». 444 A s’en tenir à une définition procédurale de la subsidiarité, il n’est pas permis de faire
figurer celle-ci parmi les caractéristiques communes à l’ensemble des garanties personnelles,
puisque rares sont les garants qui jouissent du bénéfice de discussion.
est principal, primordial, vient à faire défaut »445. Si l’on peut parler de subsidiarité,
même à l’égard de garanties pouvant être appelées sans que le créancier n’ait à faire
la preuve de la défaillance du débiteur principal, c’est que l’exécution de
l’obligation de règlement peut être paralysée si le garant démontre que le créancier a
appelé la garantie abusivement, sans droit, comme c’est notamment le cas en
présence d’une exécution parfaite du débiteur.
Dans toutes les garanties personnelles, il est donc possible de retenir l’existence
d’une obligation de règlement subsidiaire, dont l’objet est le paiement du
créancier446. Cette obligation constitue le moyen grâce auquel les garanties
personnelles, quelles qu’elles soient, peuvent éviter au créancier de subir une perte
pécuniaire.
Si importante soit-elle, « l’obligation de règlement ne doit pas être l’arbre qui
cache la forêt »447. L’obligation de garantir comporte, en effet, une autre obligation,
sur laquelle repose tout autant la fonction des garanties personnelles. Il s’agit de
l’obligation de couverture.
264. Les caractéristiques de l’obligation de couverture. Selon Mouly,
« l’obligation de couverture de la caution dans les cautionnements de dettes futures
comporte un double objet : d’une part déterminer l’étendue de l’intérêt cautionné, en
poser les bornes puisque les créances garanties ne sont pas encore nées, d’autre part
préserver cet intérêt contre les atteintes dont il peut être l’objet, en un mot couvrir le
risque, l’aléa du non paiement » 448.
Si le premier objet est plus manifeste dans le cadre de garanties de dettes
futures, l’obligation de couverture n’en existe pas moins dans les garanties de dettes
présentes. Seulement, dans ce cas, elle présente moins d’utilité en raison de la
détermination ab initio de l’étendue de l’obligation de règlement449. 445 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002,
V° Subsidiaire, p. 849. Dans le même sens, cf. Ph. BRIAND, th. préc., n°52 : l’engagement
de la caution est subsidiaire, « car les caractères fondamentaux du cautionnement postulent
qu’une incertitude subsiste, aussi faible soit-elle, quant aux poursuites pouvant être exercées
contre la caution. La caution s’expose à un risque, non à une certitude » ; P. CROCQ, th.
préc., n°286 : « l’exécution régulière de son obligation par le débiteur dispense le créancier
d’utiliser la garantie » ; P. ANCEL, Le cautionnement des dettes de l’entreprise, Dalloz,
1989, n°24 : « débiteur de secours, de second rang, qui n’est tenu de payer qu’à défaut du
débiteur principal ». 446 En l’absence d’une telle obligation au paiement, la qualification de garantie personnelle
doit être exclue. Tel est le cas, par exemple, dans un engagement de domiciliation bancaire du
salaire ou des revenus de l’opération financée (en ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch.
MOULY, n°25). Tel est le cas également lorsqu’un tiers paie une dette sans y être
préalablement engagé. Il s’agit du paiement par intervention, régi par l’article 1236 du Code
civil. Sur ce paiement, cf. V. PERRUCHOT-TRIBOULET, Le droit de payer pour autrui,
LPA 21 août 2001, n°166, p. 12 et s. ; O. SALVAT, Le recours du tiers contre la personne
dont il a payé la dette, Defrénois 2004, article 37863, p. 105 et s. 447 Ph. THERY, n°89 448 Ch. MOULY, th. préc., n°260 449 En ce sens, cf. F. JACOB, Le constitut ou l’engagement autonome de payer la dette
d’autrui à titre de garantie, LGDJ, 1998, préf. Ph. SIMLER, n°246 ; Ph. THERY, n°89 : « les
deux aspects de garantie et de règlement, confondus dans le cautionnement de dettes
présentes, ne peuvent se trouver dissociés que si le cautionnement garantit des dettes
futures ».
Par ailleurs, alors que nombre d’auteurs considèrent que l’analyse dualiste est
inapplicable aux garanties indépendantes450, il nous semble, au contraire, que
l’obligation de couverture caractérise l’ensemble des garanties personnelles451. En
effet, envisagée comme « un service » ayant pour objet d’assurer l’aléa du non
paiement452, l’obligation de couverture est présente dans l’ensemble des garanties
personnelles, car ce risque est inhérent à la notion même de garantie. Cela explique
notamment que, quelle que soit la nature de son engagement, le garant puisse
percevoir une rémunération, abstraction faite de tout règlement effectif453.
Ce service, dont la nature est « curieuse »454, puisqu’il ne s’agit ni d’une
obligation de faire, ni d’une obligation de ne pas faire, ni d’une obligation de
donner, existe avant même la défaillance du débiteur principal. Sauf aux parties à
prévoir que ce service aura pour point de départ une date précise, l’obligation de
couverture est certaine à compter de la conclusion du contrat de garantie455. Si la
garantie personnelle est à même de protéger les intérêts du créancier, dès cette
constitution, c’est justement parce que celle-ci fait naître l’obligation de
couverture456, qui engendre elle-même des devoirs à la charge du garant.
450 Sur le refus d’appliquer la distinction entre l’obligation de couverture et l’obligation de
règlement en matière de garantie autonome, cf. Ph. DUPICHOT, Le pouvoir des volontés
individuelles en droit des sûretés, th. Paris II, 2003, sous la direction de M. GRIMALDI,
n°343 ; J.-J. DAIGRE, Les substituts du cautionnement : de la lettre à la garantie. La
revanche de la liberté, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 6-92, p. 8 ; Ch.
GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale, RTD com. 1980, p. 17 à
19 ; M. GRIMALDI et Ph. DUPICHOT, Durée et sûreté, RDC 2004, p. 95 et s., n°11 ; H., L.
et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-14 ; Ph. SIMLER et Ph.
DELEBECQUE, n°235. Pour un même refus en matière de lettre d'intention, cf. J. DEVEZE,
Aux frontières du cautionnement : lettre d'intention et garantie indépendante, in Aspects
contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 2-92, p. 30 451 Sur la couverture en matière de garantie autonome, cf. A. PRÜM, th. préc., n°146 à 175.
Sur la légitimité de la référence au concept d’obligation de couverture en matière de constitut,
cf. F. JACOB, th. préc., n°243 à 247. Sur l’obligation de couverture en matière de lettre
d'intention, cf. B. de GRANVILLIERS, La transmission des sûretés par la règle de
l’accessoire, th. Paris I, 2000, sous la direction de C. LUCAS de LEYSSAC, n°154, 181 et
182. 452 Ch. MOULY, th. préc., n°261 453 En ce sens, cf. Ch. MOULY, ibid., n°260 ; Ph. THERY, n°89 454 P. ANCEL, Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat, RTD civ. 1999, p. 771
et s, n°41 : « c’est une bien curieuse obligation dont on serait en peine de définir l’objet : (…)
puisque ce n’est pas encore payer, est-ce faire quelque chose ? (mais la caution n’est pas
obligée d’accomplir, pendant toute la période d’attente, une quelconque prestation) est-ce ne
pas faire quelque chose ? (mais là encore on ne voit pas de quoi la caution devrait
s’abstenir). Dans le même sens, cf. P. ANCEL, p. 51 ; J. FRANÇOIS, n°122
N. KANAYAMA (art. préc., p. 397 et 398) relève d’autres originalités de l’obligation de
couverture. D’une part, elle ne peut se prescrire indépendamment de l’obligation de
règlement. « Il n’y a que l’obligation de garantir globalement saisie qui est susceptible d’être
prescrite, malgré l’exécution successive de l’obligation de couverture ». D’autre part,
personne ne peut céder uniquement l’élément de couverture, sans y inclure l’obligation de
règlement. 455 En ce sens, cf. Ch. MOULY, th. préc., n°255, 256 ; N. KANAYAMA, ibid., p. 378 456 La protection dure jusqu’à l’extinction de l’obligation de couverture, qui est à exécution
successive. Sur la pérennité de l’obligation de couverture, cf. Ch. MOULY, ibid., n°256 ; N.
KANAYAMA, ibid., p. 395
En effet, le garant « est engagé par le contrat, avant même que ce contrat ne le
rende débiteur »457. C’est la raison pour laquelle une résiliation avant le terme
stipulé ne peut produire aucune effet458. Plus généralement, le garant « doit respecter
une certaine conduite propre à faire naître la confiance »459. En conséquence, il
peut se voir sanctionner s’il néglige de préserver son patrimoine, pire s’il organise
frauduleusement son insolvabilité460.
Corrélativement, la naissance de l’obligation de couverture est
« instantanément constitutive de droit pour le bénéficiaire »461. Le créancier peut
ainsi chercher à protéger ses intérêts en renforçant l’obligation de couverture par des
prestations spéciales, telles des sûretés négatives ou la fourniture de renseignements
propres à faire naître ou à étayer sa confiance. Il peut également sauvegarder
l’intégrité du patrimoine du garant en pratiquant des actes conservatoires462.
265. L’obligation de couverture est donc la technique utilisée pour que la
garantie personnelle, quelle qu’elle soit, puisse protéger les intérêts financiers du
créancier, avant même la défaillance du débiteur principal. Comme, par ailleurs,
l’obligation de règlement constitue le moyen grâce auquel la mise en œuvre de la
garantie peut conduire au paiement de la dette principale, c’est bien la structure
duale de l’obligation de garantir qui permet aux garanties personnelles d’améliorer
la situation du créancier bénéficiaire.
L’obligation de garantir se caractérise, outre par sa structure duale, par son
adjonction à l’obligation principale.
2. Une obligation adjointe à l’obligation principale.
266. Si la seule constitution d’une garantie personnelle peut étendre le droit de
gage général du bénéficiaire et si sa mise en œuvre peut éviter à ce dernier d’entrer
en concours avec les autres créanciers du débiteur, c’est en raison de l’association à
457 P. ANCEL (art. préc., n°40 et s.) a démontré que, dans le cautionnement, et plus
généralement dans tous les contrats à exécution successive, il existe une « dissociation entre
l’avènement de la force obligatoire et la naissance des obligations nées du contrat ». Dans un
même esprit, G. WICKER (Les fictions juridiques, contribution à l’analyse de l’acte
juridique, LGDJ, 1997, préf. J. AMIEL-DONAT, n°166) distingue le « rapport d’obligation »
du « rapport obligatoire ». 458 En ce sens, cf. P. ANCEL, ibid., n°41 459 Ch. MOULY, th. préc., n°260 460 N. KANAYAMA (art. préc., p. 395 et 396) considère que « l’insolvabilité du débiteur de
l’obligation de garantir avant l’arrivée de l’événement prévu (la défaillance du débiteur
principal) est l’inexécution de l’obligation de garantir car la parole donnée ne pourrait pas se
tenir dans le cas de l’insolvabilité ». Ainsi peuvent s’expliquer l’action oblique ou l’action
paulienne exercées par le créancier contre le garant avant même l’appel de la garantie. 461 N. KANAYAMA, ibid., p. 383. Dans le même sens, cf. Ch. MOULY, th. préc., n°259.
Contra, cf. P. ANCEL, art. préc., n°41 : « le créancier ne pourra jamais en demander
l’exécution, ni en faire sanctionner l’inexécution ». 462 Si les mesures conservatoires s’expliquent aisément à la lumière de l’obligation de
couverture, il convient de reconnaître qu’ « il n’est pas nécessaire de supposer l’existence
d’une obligation actuelle à la charge de la caution pour expliquer cette solution : il suffit, on
le sait, que le créancier ait un « germe de créance » » (P. ANCEL, ibid., n°41, note 119).
un élément existant, l’obligation principale, d’un autre élément, l’obligation de
garantir. La notion d’adjonction463, aussi bien que son objet, méritent d’être précisés.
267. Notion d’adjonction. L’adjonction s’oppose à la substitution. Ne peut
donc recevoir la qualification de garantie personnelle la délégation parfaite, dans
laquelle l’obligation du délégué se substitue à celle du délégant464.
L’adjonction s’oppose aussi à l’alternative dans les poursuites, que l’on
rencontre notamment dans la promesse de porte fort, tant que le principal intéressé
n’est pas engagé465, ou encore dans l’assurance-vie ou invalidité, selon que le risque
s’est ou non réalisé466.
L’adjonction se distingue encore de la simple coexistence d’engagements
principaux n’ayant aucun lien entre eux. Ainsi, lorsqu’une banque offre des facilités
de garantie dans le placement d’instruments financiers, comme les actions, les
obligations, ou les bons, en s’engageant à souscrire le solde des valeurs mobilières
émises par son client et n’ayant pas trouvé preneur, cet engagement n’est pas au
service des obligations prises par le client. Dans une telle situation, la banque est
improprement appelée « garante »467. Aucune adjonction n’existe non plus, en
principe, dans un contrat de référencement468.
463 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002,
V° Adjonction, p. 27 : « au sens courant, augmentation, accroissement ; dans un sens
technique, union matérielle, mélange de deux choses mobilières appartenant à deux maîtres
différents donnant lieu au droit d’accession ». 464 La plupart des auteurs dénient à la délégation parfaite, non seulement la qualification de
garantie personnelle, mais aussi la fonction même de garantie (cf. H., L. et J. MAZEAUD et
F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-21 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°11 note 3 ).
Un tempérament a été apporté par D. LEGEAIS (Les garanties conventionnelles sur créances,
Avant-propos J. STOUFFLET, Préface Ph. REMY, Economica 1986, n°266) dans
l’hypothèse où le délégataire exige, dans l’une des clauses du contrat, que le délégant le
garantisse contre l’insolvabilité du délégué. Il nous semble que, dans ce cas, ce n’est pas la
délégation parfaite qui peut être qualifiée de garantie personnelle, mais uniquement la clause
en question. La même conclusion peut être avancée au sujet de la cession de créance assortie
de la garantie, par le cédant, de la solvabilité du débiteur cédé (articles 1694 et 1695 du Code
civil). 465 Cette alternative conduit à refuser à la promesse de porte fort, dans cette hypothèse, la
qualification de garantie personnelle. En ce sens, cf. Ch. MOULY, Les sûretés personnelles
traditionnelles en France, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 129 et s.,
n°20 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°25 466 Le créancier peut poursuivre, soit l’assuré avant la réalisation du risque, soit l’assureur en
cas d’invalidité ou de décès de l’assuré. Cette alternative empêche de retenir la qualification
de garantie personnelle. En ce sens, cf. P. ANCEL, th. préc., n°16 467 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°25 468 « Le groupement d’achat ne fait que négocier aux meilleures conditions des offres entre
les fournisseurs et les adhérents : la vente se conclut directement entre ces derniers.
L’intermédiaire contractuel n’est pas garant de la solvabilité des parties contractantes, sauf
stipulation contraire expresse de sa part » (C. GINESTET, art. préc., n°9).
268. Objet de l’adjonction. Pour caractériser les garanties personnelles, la
doctrine met unanimement en avant l’adjonction, en lui reconnaissant comme objet,
soit un droit de créance469 ou de poursuite470, soit un nouveau débiteur471.
Envisager l’adjonction de l’obligation de garantir n’est pas très éloigné, puisque
cette obligation et le nouveau droit de créance sont intimement liés et que, le plus
souvent, cette obligation est souscrite par un nouveau débiteur. Si nous préférons
cependant focaliser sur l’obligation de garantir, c’est, non seulement parce que le
droit de poursuite n’en est que le corollaire, mais surtout parce que cette obligation
n’est pas nécessairement souscrite par un tiers au contrat principal. Elle pèse sur le
débiteur principal lui-même dans le cadre de la solidarité.
269. L’obligation de garantir dans la solidarité passive. Comme l’a
démontré M. Mignot472, « en matière contractuelle, bien loin de générer une seule et
unique convention, la solidarité donne toujours naissance à un ensemble de contrats.
D’une part, on trouve la relation fondamentale issue d’un contrat spécial particulier,
par nature variable, qui groupe des obligations principales et partielles des
codébiteurs. D’autre part, par la stipulation de solidarité, les parties se lient par une
autre relation, distincte de la relation fondamentale, à savoir la dation d’une sûreté
ou d’une garantie au profit du créancier ». La solidarité donne ainsi naissance à «
une garantie personnelle mutuelle dont l’originalité tient à ce qu’elle est contractée
par les parties à la relation fondamentale »473.
Lorsque l’obligation de garantir présente cette spécificité, le créancier ne
profite pas d’une multiplication des patrimoines répondant de la dette principale. Il
jouit néanmoins d’un « changement de position quantitatif »474, puisque la solidarité
lui permet d’exercer son droit de gage général sur le patrimoine du débiteur
principal–garant, pour une somme plus importante que ne l’auraient permis des
obligations conjointes475. Dans la solidarité, comme dans les garanties personnelles
où l’obligation de garantir est souscrite par un tiers, il y a toujours une extension du
droit de gage général, protectrice des intérêts financiers du créancier.
préc., n°273 ; C. GINESTET, ibid., n°8 ; Ch. MOULY, art. préc., n°20 ; P. ANCEL, n°26 ;
M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°1, 25 ; D. LEGEAIS, n°21 470 L. AYNES, Rapport français sur les sûretés personnelles, in Travaux de l’association H.
Capitant, « Les garanties de financement », journées portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ,
p. 375 et s., n°1, 2 ; D. LEGEAIS, n°1, 21, 30 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°2 471 Ph. BRIAND, th. préc., n°270 ; L. AYNES, ibid., n°1, 6 ; A. BRUYNEEL, art. préc.,
p.16 ; Ch. MOULY, art. préc., n°1, 20 ; L. SIMONT, art. préc., p. 278 ; M. CABRILLAC et
Ch. MOULY, n°1, 25 ; D. LEGEAIS, n°1 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et
P. CROCQ, n°4 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°4 ; J. MESTRE,
E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°4 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°2, 8 472 M. MIGNOT, Les obligations solidaires et les obligations in solidum en droit privé
français, th. Université de Bourgogne, 2000, sous la direction de E. LOQUIN, n°539 473 M. MIGNOT, ibid., n°528 474 H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°4 475 Seule la solidarité conventionnelle fonctionne selon ce schéma. En effet, lorsque c’est la
loi qui impose la solidarité, l’extension du droit de gage général s’opère sur le patrimoine
d’un tiers. Ainsi, la solidarité légale de l’article 220 du Code civil conduit à une extension du
droit de gage général, non pas sur les biens communs, qui sont en toute hypothèse engagés,
mais sur les biens propres de l’époux codébiteur.
C’est la seule existence d’une obligation de garantir adjointe à l’obligation
principale qui doit emporter la qualification de garantie personnelle. Le fait que cette
obligation soit souscrite par un nouveau débiteur ou par le débiteur principal lui-
même doit, au contraire, rester sans conséquence, non seulement parce que la
fonction de garantie ne s’en trouve pas affectée, mais aussi parce qu’il y aurait
quelque chose d’incohérent à refuser à la solidarité la qualification de garantie
personnelle, alors qu’il s’agit du mécanisme le plus utilisé comme tel, à côté du
cautionnement476.
270. Qu’elle soit souscrite par un tiers au contrat principal ou par un
codébiteur solidaire, l’obligation adjointe de garantir, dans ses deux composantes,
l’obligation de couverture et l’obligation de règlement, permet aux garanties
personnelles de protéger les intérêts financiers du créancier, dès leur constitution et,
en cas de défaillance du débiteur principal, lors de leur réalisation.
L’obligation de garantir n’est pas le seul moyen à l’origine des effets
principaux des garanties personnelles sur la situation du créancier. Le caractère
accessoire essentiel constitue l’autre technique de garantie propre aux garanties
personnelles.
B/ LE CARACTERE ACCESSOIRE ESSENTIEL
271. Les deux acceptions de la notion de caractère accessoire. La doctrine
met fréquemment en avant les degrés dans le lien d’accessoire à principal477 et
nombre d’auteurs reconnaissent que la notion de caractère accessoire connaît deux
acceptions478. Nous allons développer ces analyses en distinguant le caractère
accessoire essentiel et le caractère accessoire renforcé479.
476 La solidarité est de plus en plus assimilée au cautionnement, aussi bien en droit interne (la
loi du 1er août 2003 sur l’initiative économique a étendu le champ de compétence des
commissions de surendettement à l’égard des cautions et des codébiteurs solidaires non
dirigeants), qu’en droit communautaire (la proposition de directive sur le crédit aux
consommateurs envisage, au titre du « contrat de sûreté », aussi bien le cautionnement, que la
solidarité passive). Cf. infra n°534, 757 477 Sur la reconnaissance de ces degrés, cf. Ph. BRIAND, th. préc., n°283, 294 ; P. CROCQ,
th. préc., n°278 ; G. GOUBEAUX, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, 1969, préf.
D. TALLON, n°25 ; D. GRIMAUD, th. préc., n°294, 295 ; M. OURY-BRULE,
L’engagement du codébiteur solidaire non intéressé à la dette. Article 1216 du Code civil,
LGDJ, 2002, préf. C. FERRY, n°168 ; C. GINESTET, art. préc., p. 204 à 210 ; D. LEGEAIS,
La règle de l’accessoire dans les sûretés personnelles, in Sûretés et garanties – Pratiques et
innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 68 et s. ; J.-M. RAPP, Garanties à première
demande et autres garanties bancaires, in Sûretés et garanties bancaires, Publication
CEDIDAC, 1997, p. 259 et s. ; J.-L. RIVES-LANGE, Les engagements abstraits pris par le
banquier, Rapport français, in Travaux de l’Association H. Capitant, T. XXXV, 1984, p. 307 478 Sur la distinction entre la conception large et la conception étroite du caractère accessoire,
cf. D. GRIMAUD, ibid., n°195 ; D. LEGEAIS, ibid. ; Y. LOUSSOUARN, Les sûretés
personnelles en droit international privé, in Les Sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI
1984 , p.433 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°326 479 Cette distinction présente un caractère inédit, non seulement d’un point de vue
terminologique, mais aussi au regard des fondements que nous attribuons respectivement au
caractère accessoire essentiel et au caractère accessoire renforcé. En matière de garanties
Dans un sens étroit, le caractère accessoire exprime une dépendance unilatérale
du contrat de garantie envers le contrat principal480. « L’accessoire doit subir le
même sort que le principal, les vices qui affectent la créance garantie s’étendent par
contagion à la sûreté »481. Ce caractère accessoire renforcé n’est pas présent dans
l’ensemble des garanties personnelles. Il s’agit, au contraire, d’une caractéristique
permettant de les distinguer482.
Dans un sens plus large, le caractère accessoire est en revanche partagé par
toutes les garanties personnelles. Il constitue un lien fondamental entre le contrat de
garantie et le contrat principal, sur lequel peut éventuellement se greffer le caractère
accessoire renforcé.
272. En vue de définir le caractère accessoire essentiel, commun à l’ensemble
des garanties personnelles, il convient de le rapprocher, dans un premier temps, de la
notion d’accessoire de la créance (1) et, dans un second temps, d’identifier la cause
de l’obligation de règlement du garant (2). Il sera ainsi démontré que toutes les
garanties personnelles présentent un caractère accessoire essentiel en ce que, d’une
part, elles constituent des accessoires de la créance principale et, d’autre part, en ce
que la cause de l’obligation de règlement du garant réside dans le contrat principal.
La spécificité de la technique mise en œuvre en matière de garanties personnelles
apparaîtra surtout à la lumière de ce second élément constitutif de la notion de
caractère accessoire essentiel.
1. La définition du caractère accessoire essentiel
au regard de la notion d’accessoire de la créance
273. Les accessoires de la créance. Si les garanties personnelles ne sont pas
les seuls accessoires de la créance483, elles peuvent toutes, en revanche, recevoir
personnelles, le fondement du premier réside dans la cause de l’obligation de règlement du
garant (cf. infra n°277, 278) et le fondement du second dans l’objet de cette obligation (cf.
infra n°302). 480 En ce sens, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°44 : « définition du caractère accessoire :
vocation à inscrire dans le temps un rapport de dépendance unilatérale entre l’obligation de
la caution et la créance qu’elle renforce, la 1ère étant assujettie, à chaque stade de son
existence, à l’existence et à l’étendue de la 2nde ». 481 J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°326 482 Cf. infra n°302, 303 483 Sont des accessoires de la créance principale toutes les garanties de paiement et de crédit
(Ph. THERY, n°2 : « les garanties de paiement sont l’accessoire d’une créance ») et même
toutes les garanties (au sujet de la garantie par renforcement du contenu obligatoire du
contrat, cf. Ph. BRIAND, th. préc., n°272 ; M. CABRILLAC, Les accessoires de la créance,
Etudes Weill, 1984, p. 107 et s., n°16 ; au sujet de la garantie par exclusion du concours, cf.
M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°503). Encore plus largement, « la notion d’accessoire de
la créance caractérise tout droit ou action qui a une incidence bénéfique sur l’étendue ou les
modalités de la prestation due, ou bien fournit le moyen direct ou indirect d’obtenir cette
prestation, ou enfin sanctionne la défaillance du débiteur » (M. CABRILLAC, ibid., n°21).
Des mécanismes n’ayant pas une fonction de garantie peuvent ainsi recevoir cette
qualification. Tel est le cas des droits qui déterminent le montant de la créance, des droits qui
déterminent l’échéance, des droits, actions, titres qui permettent d’obtenir le paiement de la
créance au besoin par la contrainte, ou encore des sanctions qui s’attachent au défaut de
paiement.
cette qualification. Les éléments constitutifs de la notion d’accessoire de la créance
vont ainsi fournir les premiers éléments de définition du caractère accessoire
essentiel des garanties personnelles.
274. Les éléments constitutifs de la notion d’accessoire de la créance.
L’accessoire de la créance se définit, tout d’abord, par son absence d’existence
autonome484. Il « ne se conçoit que par contraste avec une existence en soi et par
soi »485. Les garanties personnelles viennent ainsi s’ajouter à un contrat principal486,
et n’existent que par lui. Elles ne peuvent subsister par elles-mêmes.
L’accessoire de la créance se définit également par sa destination : il est au
service de l’obligation principale, il lui est « inféodé »487. Sa mise en œuvre a en
effet pour fonction de favoriser l’exécution de cette obligation. Cette fonction
présente même un caractère exclusif488. Si tous les garants ne s’engagent pas
nécessairement en vue de l’exécution du contrat principal489, en revanche, tous les
contrats de garantie personnelle ont bien une fonction de paiement, et le droit de
créance contre le garant est bien exclusivement au service de la créance principale.
Ce droit d’agir du créancier a pour vocation d’éteindre celle-ci, et non de faire naître
une créance excédant la dette principale. Comme les garanties personnelles sont des
accessoires de la créance principale, elles ne peuvent donc avoir pour fonction
l’enrichissement du créancier490.
Au rang des éléments constitutifs de la notion d’accessoire de la créance,
certains auteurs ajoutent la transmission de l’accessoire avec la créance qu’il
garantit, en retenant que « le régime simple et incontesté de l’accessoire donne à la
notion une logique propre qui dicte les principes directeurs de la qualification »491.
La nature d’un mécanisme devant inspirer son régime, et non l’inverse, il paraît
préférable de considérer la transmissibilité de l’accessoire comme un élément de son
régime492, plutôt que comme un élément de sa définition.
484En ce sens, cf. Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002,
V° Accessoire, p. 9 : « qui est lié à un élément principal, mais distinct et placé sous la
dépendance de celui-ci, soit qu’il le complète, soit qu’il n’existe que par lui » ; M.
CABRILLAC et Ch. MOULY, n°503 485 D. GRIMAUD, th. préc., n°3 à 7, n°316 486 Sur l’adjonction comme élément constitutif de la notion d’accessoire de la créance, cf. P.
CROCQ, L’évolution des garanties du paiement : de la diversité à l’unité, Mélanges Ch.
Mouly, Litec, 1998, p. 317 et s., n°6 ; D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les sûretés
personnelles, in Sûretés et garanties, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 68 et s.
Sur l’adjonction de l’obligation de garantir à l’obligation principale, cf. supra n°267-269 487 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°503. Sur cette caractéristique, cf. Ph. BRIAND, th.
préc., n°292 ; G. GOUBEAUX, th. préc., n°20 ; L. AYNES, Les garanties du financement,
Defrénois 1986, article 33779, p. 909 et s, n°3 ; M. CABRILLAC, art. préc., n°21 ; P.
CROCQ, ibid., n°6 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°330, 331 ; Ph. SIMLER et
Ph. DELEBECQUE, n°258 488 En ce sens, cf. P. CROCQ, th. préc., n°277 ; M. CABRILLAC, ibid., n°20, 27, 28 ; J.
MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°326 489 Sur la diversité des causes de l’obligation de couverture, cf. infra n°292-297 490 En ce sens, cf. P. CROCQ, th. préc., n° 270 491 M. CABRILLAC, art. préc., n°9, 10, 34 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°503 492 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, n°346
275. Premiers éléments de définition du caractère accessoire essentiel. En
se fondant sur la notion d’accessoire de la créance, il est donc possible de considérer
que le caractère accessoire essentiel, commun à l’ensemble des garanties
personnelles, se reconnaît, d’une part, à l’absence d’existence autonome de ces
mécanismes et, d’autre part, au fait que le droit de créance contre le garant est
exclusivement au service de l’extinction de la créance principale. Ce second élément
constitutif donne forme à la fonction de paiement des garanties personnelles.
En s’intéressant à la cause de l’obligation de règlement du garant, il est possible
de compléter cette définition du caractère accessoire essentiel et de mettre en avant
une nouvelle caractéristique technique propre aux garanties personnelles.
2. La définition du caractère accessoire essentiel
au regard de la cause de l’obligation de règlement du garant
276. Le rôle de la cause dans l’explication du caractère accessoire. Il est
fréquemment fait appel à la théorie de la cause pour expliquer le caractère accessoire
du cautionnement493. La dépendance unilatérale de cette garantie vis-à-vis du contrat
principal reposerait ainsi sur une identité partielle de cause : la « causa proxima »
(cause immédiate) du contrat principal constituerait la « causa remota » (cause
médiate) du contrat de cautionnement.
Si le caractère accessoire renforcé nous semble plutôt fondé sur un emprunt
d’objet que sur un emprunt de cause494, il n’est pas question de nier que la cause
puisse jouer un rôle dans l’explication du caractère accessoire. Bien au contraire, le
caractère accessoire essentiel, commun à l’ensemble des garanties personnelles,
nous semble pouvoir être défini en s’appuyant sur la théorie de la cause.
277. Caractère objectif de la cause de l’obligation de règlement. Dans la
mesure où l’étude porte, pour le moment, sur les caractéristiques communes à
l’ensemble des garanties personnelles, il convient de s’attacher, non pas à la cause
subjective du contrat de garantie, mais à la cause objective de l’obligation de
garantir. Plus précisément, c’est la cause de l’obligation de règlement du garant qui
est la même d’une garantie personnelle à une autre.
278. Cause efficiente et cause finale de l’obligation de règlement. A l’égard
de toutes les garanties personnelles, la réponse à la question « pourquoi le garant
paie-t-il le créancier ? » est la même. La cause efficiente de l’obligation de
règlement réside toujours dans la survenance du risque couvert.
La réponse à la question « pour quoi le garant paie-t-il le créancier ? » est
également constante, puisque la cause finale de l’obligation de règlement consiste
toujours en l’extinction de l’obligation principale495. Cette extinction n’est pas
493 Cf. notamment Ph. BRIAND, th. préc., n°293 ; J. FRANCOIS, Les opérations
triangulaires attributives (stipulation pour autrui et délégation de créance), th. dactyl. Paris
II, 1994 ; D. GRIMAUD, th. préc. ; B. TEYSSIE, Les groupes de contrat, LGDJ, 1975 494 Cf. infra n°304 495 En ce sens, en matière de solidarité, cf. M. MIGNOT, th. préc., n°115 : « la cause
objective des obligations de garantie ne doit pas être recherchée dans la contreprestation
fournie par le créancier mais dans les obligations conjointes des débiteurs ». Sur la solidarité
de l’article 1216 du Code civil, cf. M. OURY-BRULE, th. préc., n°151 à 155 (caractère
nécessairement le but poursuivi au stade de la couverture, mais elle est toujours
visée au stade du paiement496. C’est parce que la cause finale de l’obligation de
règlement réside dans cette extinction que la réalisation des garanties personnelles
peut conduire au recouvrement de la créance principale.
279. Définition du caractère accessoire essentiel, commun à l’ensemble
des garanties personnelles. Même lorsque la loi ou les parties écartent la
subordination de la garantie personnelle au contrat principal497, il existe donc
toujours un lien entre les deux498, que nous avons qualifié de caractère accessoire
essentiel, et qui se reconnaît au fait, d’une part, que la garantie est l’accessoire de la
créance principale et au fait, d’autre part, que la cause de l’obligation de règlement
du garant réside dans l’extinction de l’obligation principale. Aucune garantie
personnelle n’est ainsi parfaitement indépendante du contrat de base.
280. Conclusion de la Section 1. Le caractère accessoire essentiel et
l’obligation de garantir, dans ses deux composantes, l’obligation de couverture et
l’obligation de règlement, sont les moyens utilisés pour que la constitution et la mise
en œuvre des garanties personnelles puissent respectivement, étendre le droit de
gage général du créancier, avant même la défaillance du débiteur principal, et
indifférent de la cause apparente de l’engagement, c'est-à-dire la cause propre au type de
contrat dans lequel il s’intègre) ; n°156 à 164 (caractère déterminant de la cause réelle de
l’engagement, qui est la même que celle du cautionnement et que celle de toute sûreté
personnelle en général, et qui réside dans la considération de la contrepartie fournie par le
créancier au débiteur).
Sans préciser que c’est de la cause de l’obligation de règlement qu’il s’agit, de nombreux
auteurs reconnaissent que la cause des garanties indépendantes réside dans le contrat de base.
Au sujet de la garantie autonome, cf. P. ANCEL, th. préc., n°181, 182 ; Ph. BRIAND, th.
préc., n°287 ; Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale, RTD
com. 1980, p. 11 ; F. MOLENAAR, Les engagements abstraits pris par le banquier, Rapport
général, in Travaux de l’Association H. Capitant, T. XXXV, 1984, p. 222 ; S.
PIEDELIEVRE, Remarques sur les règles uniformes de la Chambre de commerce
internationale relatives aux garanties sur demande, RTD com. 1993, p. 615 et s., spéc. p. 617
et 618 ; J.-L. RIVES-LANGE, Les engagements abstraits pris par le banquier, Rapport
français, in Travaux de l’Association H. Capitant, T. XXXV, 1984, p. 305 et 310 ; D.
Au sujet du constitut, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°301 ; F. JACOB, th. préc., n°295 à 299 496 D. GRIMAUD (ibid., n°442 à 447) a soutenu que « la cause finale, au stade du règlement,
réside dans le recours en contribution contre le débiteur ». Pour qu’il en aille ainsi, encore
faut-il que la dette principale soit éteinte par le garant. Ainsi, l’extinction de l’obligation
principale est bien le but nécessairement poursuivi au stade du paiement, et le recours en
contribution n’est qu’une cause finale éventuelle et subséquente. 497 La loi écarte en partie le caractère accessoire renforcé du cautionnement cambiaire en
retenant que l’engagement de l’avaliste « est valable, alors même que l’obligation qu’il a
garantie serait nulle pour toute cause autre qu’un vice de forme » (article L. 511-21 alinéa 8
du Code de commerce). S’agissant des parties, elles peuvent évincer la subordination de la
garantie personnelle à l’obligation principale en conférant à la première un objet indépendant
de celui de la seconde (cf. infra n°304, 305). 498 A défaut, il n’y aurait pas une garantie personnelle, mais une promesse de payer pure et
simple. En ce sens, cf. A. PRÜM, th. préc., n°23 ; H. CHANTELOUP et V. HEUZE,
Financement et garantie, in Pratique des contrats internationaux, 1997, n°137
éteindre la dette principale en plaçant le créancier dans une situation avantageuse par
rapport aux autres créanciers du débiteur.
L’efficacité in abstracto des garanties personnelles exige que le contenu du
droit qui leur est applicable reflète ces caractéristiques techniques, qui leur sont
propres, mais aussi les caractéristiques qu’elles partagent avec d’autres mécanismes
de garantie, à savoir les effets qu’elles produisent sur la situation du créancier (la
garantie du paiement) et sur celle du débiteur (la garantie du crédit).
L’efficacité subjective, quant à elle, est subordonnée à l’assimilation des
caractéristiques variables d’une garantie personnelle à une autre.
SECTION 2 : LES CARACTÉRISTIQUES
DISTINCTIVES DES GARANTIES PERSONNELLES
281. Les distinctions opérées par le droit conditionnent l’efficacité
subjective. L’efficacité in concreto des garanties personnelles dépend de la
pertinence des distinctions opérées par le droit. Les distinctions doivent, tout
d’abord, être justifiées. Au contraire, si leur raison d’être n’est pas manifeste,
l’inefficacité est à craindre, puisque l’intelligibilité même de la règle se trouve
entravée, sa parfaite exécution est compromise, et le risque de contentieux portant
sur son interprétation est aggravé. Les distinctions légales et jurisprudentielles
doivent, en outre, être calquées sur les spécificités existant en pratique. Les règles
trop générales ou, à l’inverse, trop ciblées, peuvent compromettre l’efficacité des
garanties personnelles en concrétisant, soit des défauts formels du droit,
incompatibles avec l’exigence de sécurité juridique, soit des excroissances de
l’impératif d’éthique contractuelle, incompatibles avec l’objectif d’efficacité. Par
conséquent, pour que les attentes subjectives des créanciers se réalisent, la loi et la
jurisprudence doivent reconnaître les spécificités imprimées aux garanties
personnelles par les parties et en déduire des règles appropriées.
282. L’utilité de la mise au jour des caractéristiques distinctives des
garanties personnelles. En vue de préparer l’évaluation de l’efficacité du droit
positif au regard de l’assimilation des caractéristiques distinctives499 et de proposer
des règles nouvelles découlant de la prise en compte de ces caractéristiques500, il
convient de synthétiser la multitude des spécificités que contient la pratique et de
mettre en avant les caractéristiques distinctives susceptibles d’influer sur le régime
des garanties501. Dans cette optique, des précisions doivent être apportées sur les
499 Cf. infra 2ème partie 500 Cf. infra n°875-995 501 Certaines distinctions présentent, certes, des vertus pédagogiques, mais sont insusceptibles
de fonder des règles précises. Tel est le cas, par exemple, de « la distinction entre le
cautionnement et les mécanismes constituant dorénavant des alternatives possibles à cette
garantie » (D. LEGEAIS, n°31 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD,
n°53-1 et s.), et de la distinction entre les « techniques ponctuelles de garantie » (en raison de
leur particularisme, elles ne peuvent donner satisfaction que dans un domaine limité) et les
« techniques universelles » (elles sont aptes à s’appliquer à toutes les situations) (Ch.
MOULY, Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les sûretés, Colloque de
Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 129 et s., n°6).
particularités des contrats de garantie personnelle502 relatives, d’une part, aux parties
(§1) et, d’autre part, à l’obligation de garantir (§2).
§1 : LES SPECIFICITES RELATIVES AUX PARTIES
283. Les différences entre les garanties personnelles se manifestent, tout
d’abord, au regard des parties au contrat. La diversité des garanties personnelles
apparaît en examinant séparément le garant et le créancier (A), et en s’attachant aux
relations qu’ils entretiennent (B).
A/ LES PARTIES ENVISAGEES SEPAREMENT
284. Les particularités essentielles des garants. Au sein des garants,
envisagés isolément, c'est-à-dire abstraction faite de leurs relations avec le créancier
et avec le débiteur principal, les disparités sont nombreuses.
Une distinction essentielle existe, tout d’abord, entre les garants personnes
physiques et les garants personnes morales. Parmi ces dernières, un clivage peut être
en plus opéré entre celles de droit privé et celles de droit public, et des différences se
font également jour au regard de la forme sociale.
Les particularités pouvant exercer une influence sur le régime des garanties
personnelles concernent, ensuite, la surface financière du garant, tant au jour de la
conclusion du contrat de garantie, qu’à celui de son éventuel appel. Le risque de
surendettement varie, ainsi, d’un garant personne physique à un autre503.
Sont encore variables les connaissances du garant en matière de crédit et de
garantie504, ainsi que l’attention dont il peut faire montre lors de la conclusion du
contrat505.
Enfin, c’est leur bonne foi à l’égard du bénéficiaire, tout au long de la vie de la
garantie, qui est susceptible de degrés.
285. Les particularités essentielles des créanciers bénéficiaires. La
catégorie des créanciers est non moins disparate.
502 Nous ne présenterons que les spécificités affectant le contrat de garantie personnelle lui-
même, et non celles se rapportant à l’opération de garantie, envisagée dans son ensemble. Ces
dernières différences concernent notamment la nature et l’étendue de l’obligation principale,
la qualité du débiteur principal, les relations qu’entretient celui-ci avec le créancier, les
éventuelles autres garanties couvrant la même dette. 503 Il convient de remarquer que le risque de surendettement ne pèse pas uniquement sur les
garants personnes physiques. Comme l’a souligné L. AYNES (La réforme du cautionnement
par la loi Dutreil, Droit et patrimoine 2003, n°120, p. 29, note 5), « la frontière qui sépare
une personne morale d’une personne physique est parfois, en fait, illusoire. Certaines
sociétés de personnes abritent les intérêts d’une seule personne physique, qui seule décide.
En outre, les associés tenus indéfiniment des dettes sociales sont exposés à un risque
d’endettement personnel comparable à celui d’une personne physique ». 504 L’insuffisance des connaissances dans la matière du contrat à conclure caractérise la
« faiblesse inhérente » du contractant et empêche celui-ci de se former un jugement éclairé
sur la portée de son engagement (M. FONTAINE, Rapport de synthèse, in La protection de la
partie faible dans les rapports contractuels, LGDJ, 1996, p. 615 et s., n°2). 505 « La légèreté (incurie, insouciance, paresse) avec laquelle certaines personnes s’engagent
dans un contrat » est une forme de « faiblesse inhérente » (M. FONTAINE, ibid., n°2).
Elle regroupe, en effet, des personnes physiques et des personnes morales ; des
créanciers dont l’activité professionnelle a pour objet l’octroi de crédit, des
créanciers qui allouent du crédit à l’occasion de leur activité professionnelle, et des
créanciers qui agissent en dehors d’un cadre professionnel.
Des différences tiennent également aux connaissances dont dispose le
créancier, non seulement en matière juridique et économique, mais aussi sur le
débiteur principal.
Des distinctions peuvent encore être opérées, selon que le créancier prend ou
non plusieurs garanties pour une même dette, ou selon qu’il respecte ou non le droit
en vigueur.
Enfin, l’attitude du créancier vis-à-vis du garant, à tous les stades de la vie du
contrat, est éminemment variable.
286. Pour prendre la mesure de la diversité des garanties personnelles, il
convient d’ajouter, à l’ensemble des spécificités relatives aux parties envisagées
séparément, les différences tenant aux relations qu’entretiennent le garant et le
créancier.
B/ LES RELATIONS ENTRE LES PARTIES
287. Le pouvoir des parties. Le déséquilibre entre les droits et obligations
des parties, qu’impose le caractère unilatéral des garanties personnelles, ne
s’accompagne pas nécessairement d’un déséquilibre entre les parties elles-mêmes.
Le niveau d’équilibre dans leurs relations varie d’une garantie personnelle à une
autre, en fonction de la nature et de l’étendue du pouvoir dont dispose chacun des
contractants.
« La faculté d’imposer sa volonté à autrui »506 peut être de nature juridique
lorsqu’elle est imposée par le droit507 ou par le contrat508. Le pouvoir peut être
également d’ordre « factuel »509, « économique »510. Il a alors pour origine le savoir
506 P. LOKIEC, Contrat et pouvoir, Essai sur les transformations du droit privé des rapports
contractuels, LGDJ, 2004, préf. A. LYON-CAEN, n°16 507 Le pouvoir juridique constitue « une prérogative juridique, déléguée par l’Etat » (P.
LOKIEC, ibid., n°17) et l’acte juridique unilatéral en est l’expression. Un tel pouvoir se
rencontre notamment entre les mains des conseils d’administration, des assemblées
d’actionnaires, des chefs d’entreprise ou encore des parents. 508 Le pouvoir juridique « apparaît lorsqu’il est de l’essence du contrat que de conférer à l’un
des contractants, voire à un groupe de contractants, le pouvoir d’imposer une volonté
unilatérale. (…) Il arrive également que le fonctionnement du contrat ne nécessite pas un tel
pouvoir mais qu’une clause du contrat investisse l’une des parties du pouvoir exorbitant
d’imposer une volonté unilatérale à son partenaire » (V. LASBORDES, Les contrats
déséquilibrés, PUAM, 2000, préf. C. SAINT-ALARY HOUIN, n°209). Ces « clauses de
pouvoir » se rencontrent essentiellement dans les contrats de distribution commerciale, de prêt
d’argent, de société et de travail. 509 P. LOKIEC, th. préc., n°18 510 V. LASBORDES, th. préc., n°208
(connaissances et compétences), le marché, l’organisation, ou encore le désir ou le
besoin que constitue, pour le cocontractant, la conclusion du contrat511.
Si l’une seule des parties dispose d’un « pouvoir déséquilibrant »512, qu’il soit
juridique ou factuel, l’autre se trouve dans un état de « faiblesse relative »513, et
l’inégalité des parties est caractérisée514.
288. Les relations entre les parties à un contrat de garantie personnelle ne
sont pas nécessairement déséquilibrées. En matière de garanties personnelles, le
créancier ne devrait pas être systématiquement assimilé à la partie forte et le garant à
la partie faible. Il est en effet fréquent que le créancier et le garant disposent, soit du
même pouvoir l’un envers l’autre, soit de pouvoirs d’origine distincte, mais qui se
compensent. Tout au plus, une présomption de déséquilibre peut être retenue lorsque
sont en présence certaines catégories de créanciers et de garants. Mais, il convient
alors de circonscrire correctement ces catégories, car une présomption d’inégalité
des parties trop générale risque de conduire à une surprotection du garant,
incompatible avec l’objectif d’efficacité515.
289. Pour que le droit des garanties personnelles rende ces contrats efficaces,
il doit donc prendre en compte les spécificités des relations entre les parties, sans
procéder à des généralisations excessives. Il doit aussi adapter le régime de ces
garanties en fonction des particularités affectant le garant et le créancier, envisagés
séparément. L’efficacité est encore subordonnée à l’assimilation des caractéristiques
distinctives des garanties personnelles relatives à l’obligation de garantir.
§2 : LES SPECIFICITES
RELATIVES A L’OBLIGATION DE GARANTIR
290. Toutes les garanties personnelles donnent naissance à une obligation de
garantir, qui s’adjoint à l’obligation principale, et présente une structure duale516.
Des caractéristiques distinctives se rapportent à chacune des obligations formant
l’obligation de garantir. En effet, tous les garants ne s’engagent pas à couvrir le
511 Sur le « pouvoir-savoir », le « pouvoir de marché », et le « pouvoir organisationnel », cf.
P. LOKIEC, th. préc., n°36 à 51. Sur le pouvoir né du besoin du cocontractant, cf. V.
LASBORDES, ibid., n°208 512 V. LASBORDES, ibid., n°207 : « le pouvoir déséquilibrant est le pouvoir d’imposer une
volonté unilatérale à un partenaire qui n’est pas en mesure de discuter et qui risque, de ce
fait, d’être contraint d’accepter des conditions contractuelles désavantageuses ». 513 Selon M. FONTAINE (art. préc., n°2), il existe deux variétés de « faiblesse relative ». La
première résulte de la puissance économique du partenaire, de sa domination sur le marché,
qui lui permet de dicter les termes du contrat. La seconde provient de l’état de besoin qui rend
le contractant vulnérable. Ces deux causes de faiblesse peuvent aisément se cumuler. 514 O. LITTY (Inégalité des parties et durée du contrat. Etude de quatre contrats d’adhésion
usuels, LGDJ, 1999, préf. J. GHESTIN, n°4) distingue l’inégalité des connaissances, laquelle
est inhérente à l’une des parties, de l’inégalité des besoins, et de l’inégalité économique qui
« ressort de la domination sur le marché de l’un des partenaires, domination qui lui permet
d’imposer au plus faible les termes mêmes du contrat ». 515 Sur l’incompatibilité entre les protections directes du garant et l’objectif d’efficacité, cf.
supra n°164-167 516 Cf. supra n°261-270
risque de perte financière pour les mêmes raisons, ni dans le même but. La
« cause »517 de l’obligation de couverture est variable d’une garantie personnelle à
une autre (A). Par ailleurs, si tous les garants sont amenés, in fine, à payer le
créancier en cas de défaillance du débiteur principal, ils ne souscrivent pas
nécessairement, ab initio, une obligation monétaire, qui soit calquée sur celle dudit
débiteur. L’objet de l’obligation de règlement du garant constitue, ainsi, un autre
critère de distinction des garanties personnelles (B).
A/ LA « CAUSE » DE L’OBLIGATION DE COUVERTURE
291. Caractère subjectif de la « cause » de l’obligation de couverture. La
« cause » de l’obligation de règlement du garant est objective. Dans toutes les
garanties personnelles, elle réside dans l’extinction de l’obligation principale. La
« cause » de l’obligation de couverture est, au contraire, variable. Chaque garant
s’engage pour des motifs qui lui sont propres (« cause » efficiente), et en vue d’un
résultat particulier (« cause » finale)518.
292. Typologie des « causes » de l’obligation de couverture. Le caractère
subjectif de la « cause » de l’obligation de couverture n’interdit cependant pas
d’isoler les principaux faits générateurs de l’engagement du garant, ni les principaux
intérêts que peut rechercher celui-ci. Il suffit, pour cela, de ne pas sonder trop avant
le for intérieur du garant, et de se limiter aux raisons et aux buts les plus apparents,
notamment aux yeux du créancier, compte tenu essentiellement de la qualité du
garant et de sa position vis-à-vis du débiteur principal.
A partir des principales « causes » de l’obligation de couverture, des catégories
de garanties personnelles se font jour519. L’assimilation des caractéristiques
distinctives des garanties personnelles devrait se traduire par l’application à ces
catégories de règles spéciales520. Nous n’allons pas envisager dès à présent ces
règles, mais présenter, par contre, les cinq « causes » de l’obligation de couverture
qui nous paraissent recouvrir la plupart des situations individuelles.
517 Les guillemets sont de rigueur, dans la mesure où nous ne retenons pas la définition
classique de la cause, que la Cour de cassation a énoncée dans le célèbre arrêt « Lempereur »
en matière de cautionnement, et qui se situe dans les relations entre le créancier et le débiteur
(cf. infra, n°483). Dans les développpements à suivre relatifs à la « cause » de l’obligation de
couverture du garant, la « cause » s’entend des raisons (« cause » efficiente) et des buts
(« causes » finale) poursuivis par le garant, et sa particularité est de se situer essentiellement
dans les rapports entre ce dernier et le débiteur principal. 518 Si nous nous sommes attaché à la dimension objective de la cause efficiente et de la cause
finale dans le cadre de l’étude de la cause de l’obligation de règlement, et que nous nous
intéressons maintenant à leur dimension subjective, c’est parce que le dualisme de la cause
nous semble caractériser aussi bien la cause finale que la cause efficiente. 519 En ce sens, cf. Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°111 :
« c’est la raison d’être de l’engagement, sa cause, et par conséquent le rôle joué par la
caution, qui justifient la distinction entre plusieurs catégories de cautionnements ». 520 Cf. infra n°890-970 les règles spéciales que nous proposons de fonder sur les principales
causes de l’obligation de couverture du garant
293. « Causes » de l’obligation de couverture des garants professionnels.
En premier lieu, le garant peut s’engager à couvrir l’aléa de non paiement parce que
tel est l’objet de son activité professionnelle (« cause » efficiente). Sont ainsi des
« garants professionnels » les établissements de crédit qui pratiquent le crédit par
signature, les sociétés de caution mutuelle ou encore les assureurs-crédit.
La « cause » finale de leur obligation de couverture réside dans la rémunération
qu’ils perçoivent, soit du débiteur521, soit du créancier522.
294. « Causes » de l’obligation de couverture des garants intégrés dans les
affaires du débiteur principal. En deuxième lieu, c’est l’intégration du garant dans
les affaires du débiteur principal qui peut constituer la « cause » efficiente de
l’obligation de couverture. Cette intégration repose, non seulement sur la
connaissance de la situation financière du débiteur principal, mais surtout sur le
pouvoir juridique de contrôle ou de direction qu’exerce le garant à l’encontre du
débiteur. Remplissent ces critères cumulatifs les dirigeants de l’entreprise débitrice,
ses associés majoritaires, ou encore une société-mère à l’égard de sa filiale.
Sans être des garants professionnels, les garants intégrés dans les affaires du
débiteur principal agissent dans un but professionnel. Ils entendent retirer un
avantage patrimonial de leur engagement, avantage découlant des bénéfices que
l’entreprise débitrice est susceptible d’engendrer grâce à l’octroi ou au maintien du
crédit garanti (« caus »e finale).
295. « Causes » de l’obligation de couverture des garants affectivement
proches du débiteur principal. En troisième lieu, le fait générateur du service
consenti par le garant peut résider dans les relations affectives qu’il entretient avec
le débiteur principal. Garant et garanti sont alors nécessairement des personnes
physiques. Le garant peut être le conjoint, le concubin, le pacsé, le parent, ou bien
l’ami du débiteur. Dans tous les cas, il dispose d’un pouvoir d’ordre psychologique à
l’encontre de ce dernier.
Les garants affectivement proches du débiteur s’engagent pour que celui-ci
obtienne l’avantage attaché à la conclusion ou au maintien du contrat de base.
La « cause » efficiente et la « cause » finale de l’obligation de couverture de
ces garants étant extérieures à leur activité professionnelle, il est permis de les
comparer à des consommateurs. Le consommateur est effectivement défini
521 Une rémunération est notamment versée par le débiteur principal aux cautions
professionnelles et aux banques qui souscrivent une garantie autonome. Dans ces hypothèses,
nombreux auteurs voient dans cette rémunération la cause de l’obligation du garant, sans
préciser, néanmoins, qu’il s’agit de la cause de l’obligation de couverture (Ph. MALAURIE et
L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°111, 336 ; H., L. et J. MAZEAUD et F.
CHABAS, par Y. PICOD, n°53-9). Au contraire, Ph. SIMLER et
Ph. DELEBECQUE (n°66) retiennent que « l’existence ou non d’une rémunération est
indifférente au créancier. Ce motif personnel à la caution ne peut constituer la cause finale de
son engagement envers le créancier ». Cette opinion nous paraît surprenante dans la mesure
où rien n’impose que la cause finale présente un caractère objectif. 522 Tel est le cas en matière d’assurance-crédit. C’est alors la prime perçue par l’assureur qui
constitue la cause de son engagement. En ce sens, cf. P. ANCEL, th. préc., n°22 à 30, 157 ; C.
GINESTET, art. préc., p. 81 ; J. FRANÇOIS, n°15
essentiellement au regard du but non professionnel qu’il poursuit523. Si un garant ne
peut pas être purement et simplement qualifié de consommateur, puisqu’il ne se
procure ni n’utilise aucun bien ou service524, et parce que « le rapport direct avec la
profession s’apprécie à l’égard du contrat principal de crédit »525 et non du contrat
de garantie lui-même, il n’en reste pas moins qu’un rapprochement demeure
possible entre les garants affectivement proches du débiteur et les consommateurs526.
296. « Causes » de l’obligation de couverture des garants dépendant
financièrement du débiteur principal. En quatrième lieu, la couverture du risque
financier encouru par le créancier peut s’expliquer par la dépendance patrimoniale
du garant à l’égard du débiteur principal. Cette « cause » efficiente peut s’ajouter à
l’une des deux précédentes ou exister de manière autonome. Tel est le cas des
garanties octroyées par un dirigeant de fait, un associé minoritaire, ou encore un
salarié de la société débitrice.
Comme les garants intégrés, ces garants dépendants financièrement du débiteur
s’engagent pour profiter des répercussions bénéfiques de l’accès au crédit de celui-ci
(« cause » finale).
297. « Causes » de l’obligation de couverture des garants tenus envers le
débiteur principal. En cinquième et dernier lieu, une personne peut se porter
garante parce qu’elle est elle-même débitrice du débiteur principal527. Le fait
523 Le but non professionnel est particulièrement souligné par la doctrine consumériste (cf.
notamment J. CALAIS-AULOY et F. STEINMETZ, Droit de la consommation, Dalloz,
2000, 5e éd., n°7, 8, 10), et il apparaît dans tous les textes définissant la notion de
consommateur (cf. notamment l’article 13 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre
1968, qui vise « un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité
professionnelle » ; l’article 2 de la directive du 5 avril 1993 sur les clauses abusives, selon
lequel le consommateur «agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité
professionnelle »). Lors du 100e Congrès des notaires de France, il a également été proposé de
définir le consommateur par l’absence de but professionnel : « est un consommateur toute
personne physique qui agit pour satisfaire des besoins exclusivement personnels et familiaux,
totalement étrangers à sa profession » (JCP 2004, éd. N., 1322). 524 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002,
V° Consommateur : « tout acquéreur non professionnel de biens de consommation destinés à
son usage personnel » ; D. FERRIER, La protection des consommateurs, Dalloz, coll.
Connaissances du Droit, 1996, p. 14 et 15 : « la personne physique ou morale qui obtient ou
utilise un bien ou un service en qualité de profane » ; J. CALAIS-AULOY et F.
STEINMETZ, ibid., n°7 : « personne physique ou morale qui se procure ou qui utilise un
bien ou un service pour un usage non professionnel » ; J. GHESTIN, La formation du contrat,
LGDJ, 1993, n°77 : « le consommateur est la personne qui, pour des besoins personnels, non
professionnels, devient partie à un contrat de fourniture de biens ou de services ». 525 M. DEFOSSEZ, La notion de consommateur, RD bancaire et financier 2003, n°4, p. 247 526 Sur le garant « consommateur » dans la proposition de directive communautaire
intéressant le « contrat de sûreté » et dans la réforme que nous suggérons pour perfectionner
l’efficacité du droit des garanties personnelles, cf. infra 764, 892-933 527 L’existence d’une dette du garant envers le créancier (hypothèse de la solidarité passive
traditionnelle) ne constitue pas, en revanche, un fait générateur de l’obligation de couverture
du garant. Pour qu’un débiteur principal souscrive un engagement solidaire, qui le rende pour
partie garant de ses codébiteurs, il est nécessaire que soit présente, comme à l’égard des tiers-
garants, l’une des cinq causes tenant à la qualité de professionnel ou aux relations entretenues
générateur de l’obligation de couverture est ici la dette du garant envers le débiteur,
et la « cause » finale réside dans l’extinction de cette dette.
Si de telles « causes » sont fréquentes dans certaines garanties personnelles,
comme la délégation imparfaite ou la stipulation pour autrui, elles peuvent se
rencontrer, en réalité, dans n’importe laquelle de ces garanties. La raison en est que,
l’ensemble des garanties personnelles ayant une fonction de paiement, elles peuvent
toutes être souscrites par un garant en vue d’une compensation entre sa dette vis-à-
vis du débiteur et la dette de celui-ci née du paiement opéré par le garant entre les
mains du créancier. Il paraît dès lors contestable de distinguer, sur le fondement de
l’existence ou de l’absence d’une dette du garant envers le débiteur, les mécanismes
remplissant occasionnellement une fonction de garantie de ceux ayant
exclusivement cette fonction, et de réserver la qualification de sûreté personnelle à
ces derniers528. Si l’existence ou non d’une dette du garant à l’égard du débiteur
principal doit être prise en compte pour déterminer le régime de la garantie529, elle
ne devrait jouer, en revanche, aucun rôle en matière de qualification.
La distinction entre les garanties personnelles « intéressées » et les garanties
personnelles « non intéressées »530 nous semble également discutable, comme étant,
cette fois, trop synthétique. En effet, l’exposé des cinq principales « causes » de
l’obligation de couverture a révélé que le garant trouve toujours dans son
engagement un intérêt personnel d’ordre moral et/ ou pécuniaire, qui s’explique, soit
par sa qualité de professionnel, soit par le lien qui l’unit au débiteur principal (une
dette, une dépendance patrimoniale, une relation affective, une intégration dans ses
affaires).
298. Si une synthèse des « causes » de l’obligation de couverture est utile pour
fonder des règles propres à certaines catégories de garanties personnelles, il convient
de ne pas trop simplifier les raisons et les buts qui président à l’engagement du
garant, pour ne pas risquer de gommer des spécificités dont l’assimilation est
avec les codébiteurs. Cf. M. MIGNOT, th. préc., n°525 : « la relation interne aux codébiteurs
n’intervient que sur le plan subjectif et constitue le motif déterminant du regroupement ». 528 Nombreux auteurs réservent la qualification de sûreté personnelle aux opérations dans
lesquelles le tiers n’a pas d’intérêt personnel au paiement. En ce sens, cf. P. CROCQ, th.
préc., n°278 ; Ph. DUPICHOT, th. préc., n°5 ; D. GRIMAUD, th. préc., n°3 à 7 ; L. AYNES,
Rapport français sur les sûretés personnelles, in Travaux de l’association H. Capitant, « Les
garanties de financement », journées portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ, p. 375 et s., n°6 ;
Ch. MOULY, Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les sûretés, Colloque de
Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 129 et s., n°1 : « les véritables sûretés personnelles offrent au
créancier un droit personnel contre un tiers non intéressé à la dette » ; n°6 : « les mécanismes
juridiques à finalité complexe ne peuvent être qualifiés de sûretés personnelles » ; n°19 :
« pour certains procédés, le surcroît de sécurité pour le créancier est l’utilité unique conférée
au créancier. Pour les autres, cette utilité est accessoire d’une autre utilité, généralement
l’exécution d’une obligation personnelle du garant » ; n°21 ; I. FADLALLAH, Rapport
général sur les sûretés personnelles, Travaux de l’association H. Capitant, « Les garanties de
financement », journées portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ, p. 323 et s., n°1 ; M.
CABRILLAC et Ch. MOULY, n°26 ; J. FRANÇOIS, n°1 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES,
par L. AYNES et P. CROCQ, n°5 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°8, 20 529 Cf. infra 3ème partie les règles que nous proposons de fonder sur l’absence de dette
préalable du garant envers le débiteur principal. 530 Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°111
nécessaire à l’efficacité des garanties personnelles. La même remarque vaut à
l’égard des spécificités relatives à l’autre composante de l’obligation de garantir, qui
est l’obligation de règlement.
B/ L’OBJET DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT
299. A la question « qu’est-ce qui est dû par le garant ? », des réponses très
diverses sont susceptibles d’être apportées, car l’objet de l’obligation de règlement
du garant représente une caractéristique distinctive des garanties personnelles.
300. Nature de l’obligation de règlement. Il convient, tout d’abord, de
remarquer que les garants ne souscrivent pas nécessairement une obligation de payer
le créancier. Le paiement, auquel doit conduire la mise en œuvre d’une garantie
personnelle, peut également faire suite, soit à l’exécution d’une obligation de réparer
le préjudice subi par le créancier du fait de la défaillance du débiteur, soit à
l’exécution par équivalent d’une obligation de faire ou de ne pas faire531.
301. Catégorisation des garanties personnelles fondée sur le rapport
existant entre l’objet de l’obligation de règlement du garant et l’objet de
l’obligation principale. Ensuite, c’est le rapport existant entre l’objet de
l’obligation de règlement du garant et l’objet de l’obligation principale qui est
susceptible de varier d’une garantie personnelle à une autre. Une distinction
essentielle peut ainsi être opérée entre, d’une part, les garanties personnelles dans
lesquelles l’objet de l’obligation de règlement du garant et celui de l’obligation
principale ne font qu’un et, d’autre part, les garanties personnelles dans lesquelles
l’objet de l’obligation de règlement du garant est distinct de celui de l’obligation
principale.
302. Unicité d’obligations de règlement. Les mécanismes de la première
catégorie se caractérisent par une unicité d’obligations. Comme l’obligation de
couverture ne pèse que sur le garant, et non sur le débiteur principal, et comme le
droit de poursuite du créancier contre le garant (obligatio, Haftung) est distinct de
celui existant contre le débiteur principal, l’unicité ne concerne, en réalité, que
l’obligation de règlement, appelée debitum ou Schuld dans l’analyse dualiste de
l’obligation532.
531 D. GRIMAUD (th. préc., n°477) a opéré une classification quadripartite des sûretés
personnelles, selon le but qui les caractérise : garantie d’exécution ou de paiement
(cautionnement) ; garantie indemnitaire ; garantie de la consignation ou de la constitution
d’une sûreté réelle ; garantie contre l’insolvabilité du débiteur (certaines lettres d’intention). Il
nous semble que cette analyse procède d’une confusion entre la cause et l’objet de
l’obligation de règlement du garant. Le paiement, l’indemnisation, l’accomplissement d’une
obligation, et l’abstention sont les différents objets que peut revêtir l’obligation de règlement
et non les buts que peuvent poursuivre les différentes sûretés personnelles. 532 C’est pour éviter que l’idée d’unicité d’objets soit totalement rejetée, en raison de l’objet
propre de l’obligation de couverture (en faveur d’un tel rejet, cf. D. GRIMAUD, th. préc.,
n°428 à 436), qu’il est nécessaire de circonscrire le champ de cette unicité à la seule
obligation de règlement.
Cette unicité signifie que le garant accède à l’obligation du débiteur principal, il
est tenu de la dette même de ce dernier, et non seulement d’une dette identique.
L’obligation de règlement du garant est dépourvue d’objet propre. Elle emprunte son
objet à l’obligation principale533.
La conséquence essentielle de cet emprunt de Schuld est la dépendance de la
garantie personnelle envers le contrat principal. C’est en effet parce qu’il n’y a
qu’une seule obligation de règlement que la validité et l’étendue de l’obligation
principale déterminent la validité et l’étendue de l’obligation du garant. La
subordination du régime de la garantie personnelle à celui du contrat de base, que
nous proposons de qualifier de caractère accessoire renforcé, s’explique donc par
l’unicité d’obligations de règlement534.
303. Les garanties personnelles présentant un caractère accessoire
renforcé. Présentent un tel caractère accessoire renforcé, le cautionnement535, la
533 Il n’y a pas emprunt de Schuld dès qu’un contrat de garantie fait référence au contrat
principal. L’extinction de celui-ci constituant la cause de l’obligation de règlement du garant
(cf. supra n°278), cette référence au contrat de base paraît inévitable dans toutes les garanties
personnelles et elle ne fait que traduire leur caractère accessoire essentiel. 534 Les auteurs qui reconnaissent l’existence des degrés dans le lien d’accessoire à principal
considèrent que le caractère accessoire au sens strict (nous le qualifions de renforcé pour
marquer la différence avec le caractère accessoire essentiel, que partagent toutes les garanties
personnelles) se reconnaît à la subordination du régime de la garantie à celui du contrat
auquel elle s’ajoute et est affectée. En ce sens, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°44 ; M. OURY-
BRULE, th. préc., n°175, 176, 189 ; D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les sûretés
personnelles, in Sûretés et garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001,
n°92, p. 68 ; BEUDANT et LEREBOURS-PIGEONNIERE, Cours de droit civil français, t.
IV par VOIRIN, Les biens, 2ème éd., 1938, n°111, note 3 ; M. CABRILLAC et
Ch. MOULY, n°59-1; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°27
En ce sens, au sujet du caractère accessoire du cautionnement, cf. P. ANCEL, th. préc., n°3 ;
D. GRIMAUD, ibid., n°37, 426 et 427 ; F. JACOB, th. préc., n°61 à 64 ; M. OURY-BRULE,
ibid., n°177 ; A. PRÜM, th. préc., n°177 ; C. GINESTET, art. préc., p. 205 ; Ph. MALAURIE
et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°121 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,
n°27 ; Ph. THERY, n°48, 88
En faveur de l’explication de l’intensité du lien d’accessoire par l’unité de dettes, cf. Ph.
BRIAND, th. préc., n°279 ; M. OURY-BRULE, ibid., n°188 à 191 ; L. AYNES, Rapport
français sur les sûretés personnelles, Travaux de l’association H. Capitant, « Les garanties de
financement », journées portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ, p. 383 ; A. BRUYNEEL, art.
préc., p.16 ; J. GHESTIN, La qualification en droit français des garanties données par une
société mère au profit de sa filiale, Mélanges A. Rieg, Bruylant, 2000, p. 427 et s. ; C.
GINESTET, ibid., n°15, 17 ; D. LEGEAIS, n°124 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L.
AYNES et P. CROCQ, n°100 535 Comme en atteste l’article 2011 du Code civil, la caution est tenue de la dette même du
débiteur principal (« Celui qui se rend caution d’une obligation, se soumet envers le créancier
à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même »).
Un auteur a récemment contesté cette analyse classique du cautionnement en affirmant que la
caution est tenue d’un « debitum nouveau et propre, mais « moulé » sur celui du débiteur »
(Ph. DUPICHOT, th. préc., n°270 à 273). Il entendait, par ce biais, démontrer l’absence
d’originalité véritable des garanties personnelles prétendument nouvelles (ibid., n°437 à 473).
Mais, en niant de la sorte l’unicité de dettes, cet auteur a surtout compromis l’analyse
cohérente du cautionnement. En effet, si l’objet de l’obligation de règlement de la caution est
seulement « moulé » sur celui de l’obligation principale, il n’est plus possible d’expliquer la
dépendance unilatérale de régime, imposée par les articles 2012 et 2036 du Code civil.
solidarité passive traditionnelle ou encore la solidarité de l’article 1216 du Code
civil536. Les codébiteurs solidaires sont en effet tenus ensemble d’une seule et même
dette537. Si l’obligation solidaire est multiple par les liens de droit qu’elle engendre,
elle n’a pas d’objet propre par rapport à l’obligation du codébiteur. L’unicité de
dettes se traduit, comme dans le cautionnement, par une subordination de
l’obligation du débiteur solidaire à l’égard de l’obligation de son codébiteur538.
304. Dualité d’obligations de règlement. Dans d’autres garanties
personnelles, l’obligation de règlement du garant emprunte certes sa cause à
l’obligation principale539, mais non son objet. Le paiement de la dette d’autrui ne
correspond pas alors à l’exécution de la dette même d’autrui, mais seulement à un
règlement destiné à être directement imputé sur la dette d’autrui. L’objet de
l’obligation de règlement du garant est nouveau par rapport à celui de l’obligation
principale. L’engagement du garant n’est pas ici un engagement de substitution.
La dualité de dettes a pour conséquence l’indépendance du régime de la
garantie par rapport à celui du contrat principal. Si l’autonomie n’est pas absolue, en
raison du caractère accessoire essentiel des garanties personnelles540, elle n’en évite 536 Certains auteurs rejettent, au contraire, le caractère accessoire de l’engagement du
codébiteur solidaire (en ce sens, cf. F. JACOB, th. préc., n°99 ; P. ANCEL, Qualification et
régime de l’engagement de codébiteur solidaire non intéressé à la dette prévu par l’article
1216 du Code civil, note sous Cass. 1ère civ., 17 novembre 1999, D. 2000, p. 411 ; J.
MESTRE, La pluralité d’obligés accessoires, n°3 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS,
par Y. PICOD, n°53-20). D’autres manifestent une opinion encore plus éloignée de la nôtre
en se prononçant expressément en faveur du caractère indépendant de la solidarité (en ce sens,
cf. P. ANCEL, Le cautionnement des dettes de l’entreprise, Dalloz, 1989, n°21 (pour la
solidarité traditionnelle) ; D. LEGEAIS, n°287 (pour la solidarité traditionnelle) ; Ph.
DUPICHOT, ibid., n°378 et M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°33 (pour la solidarité de
l’article 1216)). En faveur du statut intermédiaire de la solidarité de l’article 1216 du Code
civil, qui ne serait ni accessoire (en raison du caractère principal de l’engagement), ni
indépendante (en raison de l’unicité de dettes), cf. M. OURY-BRULE, th. préc., n°173 à 215.
En faveur du statut intermédiaire de la solidarité passive, cf. F. JACOB, ibid., n°100 à 103 537 Sur l’unicité de dettes dans la solidarité traditionnelle, cf. notamment F. JACOB, ibid.,
n°100 à 102 ; M. MIGNOT, th. préc. ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P.
CROCQ, n°5 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-20 ; Ph.
SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°249
Sur l’unicité de dettes dans la solidarité de l’article 1216 du Code civil, cf. F. JACOB, ibid.,
n°103, note 255 ; M. OURY-BRULE, ibid., n°62, 64 538 Cette dépendance se manifeste par l’opposabilité des exceptions inhérentes à la dette
(article 1208 alinéa 1er du Code civil). En matière de solidarité, l’existence d’une pluralité de
liens de droit est, en revanche, plus lourde de conséquences que dans le cadre du
cautionnement. En effet, selon l’article 1208 alinéa 2 du Code civil, toutes les exceptions
personnelles au codébiteur sont inopposables au créancier.
Le régime des exceptions dans la solidarité de l’article 1216 du Code civil est le même que
dans la solidarité classique. Sur ce régime, cf. Ph. BRIAND, th. préc., n°73 ; F. JACOB, ibid.,
n°103, note 255 ; M. OURY-BRULE, ibid., n°394 à 433 ; D. R. MARTIN, L’engagement du
codébiteur solidaire adjoint, RTD civ. 1994, p. 52 539 Cet emprunt de cause constitue l’expression du caractère accessoire essentiel des garanties
personnelles (cf. supra n°278). 540 Le caractère accessoire essentiel explique que, même dans les garanties personnelles
indépendantes, le contrat principal joue un rôle sur le régime de la garantie. Ainsi, l’extinction
de l’obligation principale étant la cause de l’obligation de règlement du garant, si l’obligation
pas moins nombre de contestations qu’emporte, au contraire, le caractère accessoire
renforcé.
La qualification de garantie personnelle indépendante peut donc être réservée
aux mécanismes dans lesquels l’objet de l’obligation de règlement du garant
présente un caractère propre. L’indépendance s’explique au regard de l’objet de
l’obligation de règlement du garant, et non à la lumière de la cause de cette
obligation541. Un engagement est indépendant dès qu’il est personnel au garant,
même s’il est similaire à celui du débiteur principal542.
305. Catégorisation des garanties personnelles indépendantes. La dualité
de Schuld peut s’exprimer de deux manières, à partir desquelles il est possible de
catégoriser les garanties personnelles indépendantes.
En premier lieu, dans l’hypothèse où le débiteur principal et le garant sont tous
les deux tenus d’une obligation de même nature, à savoir une obligation de payer
une somme d’argent, l’indépendance se manifeste, soit par la détermination ab initio
de l’étendue de la garantie, sans appréciation des modalités d’exécution du contrat
de base (tel est le cas en matière de garantie autonome543 et de délégation imparfaite
principale est illicite ou immorale, la garantie encourt elle-même la nullité absolue pour cause
illicite ou immorale. 541 Certains auteurs ont expliqué l’indépendance de la garantie autonome par la renonciation
au rôle de la cause objective, autrement dit par la licéité des dérogations à l’article 1131 du
Code civil, qui vise seulement à protéger l’intérêt purement privé de chaque contractant (cf.
notamment P. ANCEL, th. préc., n°176 ; F. JACOB, th. préc., n°91). Cette thèse, séduisante
de prime abord, nous paraît devoir être écartée pour deux raisons essentielles. D’une part, il
semble difficile d’évacuer si facilement la fonction traditionnelle de protection de la cause.
« A adopter un tel raisonnement, tout ou presque deviendrait d’intérêt privé, ce qui serait
pour le moins singulier dans un pays traditionnellement marqué par l’emprise croissante de
l’intérêt général et du rôle de l’Etat » (Ph. DUPICHOT, th. préc., n°331). D’autre part,
l’analyse de la garantie autonome en une confirmation tacite d’une nullité relative pour
absence de contrepartie est contraire à l’article 1338 du Code civil, puisque ce texte précise
que la renonciation n’est possible qu’après la conclusion du contrat et lorsque le droit d’agir
en nullité est né.
D’autres auteurs ont analysé les garanties autonomes comme des actes détachés de leur cause
(A. PRÜM, th. préc., n°118 ; A. RIEG, Le rôle de la volonté dans l’acte juridique en droit
français et allemand, LGDJ, 1961, n°277 ; F. DESSEMONTET, Sûretés, garanties et
abstraction, in Sûretés et garanties bancaires, Publication CEDIDAC, 1997, p. 71 et s. ; Ch.
GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale, RTD com. 1980, p. 10 ;
F. MOLENAAR, Les engagements abstraits pris par le banquier, Rapport général, in
Travaux de l’Association H. Capitant, T. XXXV, 1984, p. 222 et 223 ; J.-L. RIVES-LANGE,
Les engagements abstraits pris par le banquier, Rapport français, in Travaux de l’Association
H. Capitant, T. XXXV, 1984, p. 303 ; P. VAN OMMESLAGHE, Sûretés issues de la
pratique et autonomie de la volonté, in Les Sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984,
p. 356 et 357 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°426 et 427). Cette deuxième explication
de l’indépendance fondée sur le rôle de la cause ne nous paraît pas non plus convaincante.
Non seulement « dire que l’engagement est « coupé » de sa cause et que celle-ci se trouve
dans l’engagement lui-même n’explique rien » (Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L.
AYNES et P. CROCQ, n°335, note 24), mais surtout il n’est pas certain qu’une obligation
puisse être détachée de sa cause (en ce sens, cf. Ph. THERY, n°111). 542 En ce sens, cf. I. FADLALLAH, art. préc., n°15 543 Ph. DUPICHOT (th. préc., n°339 à 348) analyse la spécificité de l’objet de l’obligation du
garant autonome d’une manière tout à fait originale. En effet, il considère la garantie
autonome comme une promesse de gage-espèces consentie en garantie de la dette d’autrui :
certaine), soit par l’emprunt du seul montant de la dette principale, pour déterminer
celui dû par le garant à la suite de la défaillance du débiteur principal (le constitut544
et la délégation imparfaite incertaine545 répondent à cette définition). Dans les deux
cas, il y a un détachement originaire de l’obligation de règlement du garant par
rapport à celle du débiteur principal546, détachement qui consiste à faire dépendre
l’existence et l’étendue de l’engagement du garant de la volonté des parties au
contrat de garantie et non de l’existence et de l’étendue du contrat principal.
En second lieu, la dualité d’obligations de règlement peut s’exprimer par la
différence de nature entre l’obligation du débiteur principal et celle du garant : là où
le premier supporte une obligation monétaire ou une obligation de faire ou de ne pas
faire, le second s’engage à indemniser le créancier. Les garanties indemnitaires ne
constituent pas, ainsi, une catégorie de garanties personnelles distincte de celle des
garanties personnelles indépendantes, mais manifestent, au contraire, la seconde
forme de dualité de Schuld, donc d’indépendance547. L’objet de l’obligation de
règlement du garant n’est pas, en effet, la dette même du débiteur principal. Le
garant souscrit un engagement nouveau, qui consiste à réparer le préjudice subi par
le créancier en raison de l’inexécution de ses obligations par le débiteur (tel est le
« l’autonomie de la garantie par rapport au contrat de base ne provient ici nullement d’une
obligation dite indépendante de consigner, créée de toutes pièces, mais de la réelle originalité
de l’objet de l’obligation dû par le garant (…). La garantie autonome a pour objet une option
de constitution d’un gage-espèces, soit un objet effectivement distinct de celui du contrat de
base ». Si cette analyse est tout à fait séduisante, d’un point de vue théorique, elle l’est
beaucoup moins, sur un plan pratique. En effet, elle rend incohérent le régime de la garantie
autonome élaboré jusqu’ici par la Cour de cassation. Par ailleurs, en rapprochant la garantie
autonome du gage, le risque d’inefficacité est sérieux, puisque le formalisme de l’article 2075
du Code civil devient applicable. 544 Sur l’absence de caractère accessoire du constitut, cf. F. JACOB, th. préc., n°66 à 70 : « le
constituant ne s’engage pas à la dette (principale), mais à une même dette ». Sur la
quantification de la dette du constituant par référence au montant de la dette principale, cf. F.
JACOB, ibid., n°274 à 280 545 La délégation imparfaite incertaine, dans laquelle le délégué s’engage pour ce que doit le
délégant au délégataire, n’est pas une garantie personnelle présentant un caractère accessoire
renforcé. En effet, « la délégation incertaine crée une obligation dont l’objet est simplement
identique à celui de l’obligation du délégant » (C. LACHIEZE, th. préc., n°264. Dans le
même sens, cf. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°256). Contra, cf. Ph. DUPICHOT, th.
préc., n°361et 368 ; M. OURY-BRULE, th. préc., n°209 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY,
n°473-5 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°326 546 Sur ce détachement comme caractéristique de l’indépendance, cf. F. JACOB, th. préc.,
n°67 ; A. PRÜM, th. préc., n°178 ; Ph. SIMLER, Les solutions de substitution au
cautionnement, JCP 1990, I, 3427, n°23 ; A. PRÜM, De l’autonomie des contre-garanties à
première demande, Mélanges AEDBF, 1997, p. 261 ; C. GINESTET, art. préc., n°9 ; H.
CHANTELOUP et V. HEUZE, art. préc., n°108 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°33
; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°100 ; Ph. SIMLER et Ph.
DELEBECQUE, n°200 et 212 547 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°381 ; D. GRIMAUD, th. préc., n°211 et 212 ;
Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°100
En faveur, au contraire, d’une distinction tripartite entre les sûretés personnelles accessoires,
les sûretés personnelles indépendantes, et les sûretés personnelles indemnitaires, cf. Ph.
SIMLER, Peut-on substituer la promesse de porte fort à certaines lettres d’intention, comme
technique de garantie ?, RD bancaire et bourse 1997, n°64, p. 223 ; Ph. SIMLER et Ph.
DELEBECQUE, n°8
cas dans la promesse de porte fort548, le ducroire du commissionnaire549 et
l’assurance-crédit interne550) ou en raison, non seulement de cette défaillance du
débiteur, mais aussi de l’inexécution des obligations que le garant a lui-même
souscrites pour conforter la situation dudit débiteur (fonctionnent selon ce schéma
les lettres d’intention comportant un engagement juridique autre que celui de se
substituer au débiteur principal551).
548 En faveur du caractère indépendant de la promesse de porte fort, en raison de l’obligation
propre du promettant, et de la nature indemnitaire de la garantie, cf. P. ANCEL, th. préc.,
n°52 à 56 ; M. OURY-BRULE, th. préc., n°211 ; A. JONVILLE, Pratique de la promesse de
porte-fort, Droit et patrimoine 1998, n°57, p. 32 ; J.-F. SAGAUT, Variations autour d’une
sûreté personnelle sui generis : la promesse de porte fort de l’exécution, RDC 2004, p. 840 et
s. ; P. ANCEL, n°152 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°25 ; D. LEGEAIS, n°286 ; H., L.
et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-22 ; Ph. SIMLER et Ph.
DELEBECQUE, n°11 549 La nature de la convention de ducroire est débattue en doctrine. Certains auteurs ne
tranchent pas la question et qualifient le ducroire de contrat sui generis (J. HEMARD, Les
sûretés personnelles en Europe occidentale au XIXe et XXe s., Rapport général, in Les
sûretés personnelles, Recueils de la société Jean Bodin pour l’histoire comparative des
institutions, Tome XXX, 3ème partie, Editions de la librairie encyclopédique Bruxelles 1969
n°54 à 60 ; D. HENNEBELLE, La spécificité de la nature juridique du ducroire
d’intermédiaire, JCP 2000, éd. E., p. 1366 et s. ; I. MOREAU-MARGREVE, Les sûretés
personnelles en droit belge, in Les sûretés, Paris, FEDUCI, 1984, p. 239 et 240 ; B. de
SAINT-MARS, Marchés financiers et garantie de ducroire, Mélanges AEDBF, Banque
Editeur, 1999, p. 389). D’autres classent le ducroire parmi les sûretés accessoires, sans le
justifier (D. GRIMAUD, th. préc., n°204 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°32 et 374).
D’autres, enfin, auxquels nous nous joignions, relèvent l’existence d’une dette propre du
commissionnaire ducroire, pour en déduire le caractère indépendant de cette garantie et le lien
de parenté avec une autre garantie indemnitaire, la promesse de porte fort
(P. ANCEL, ibid., n°72 à 78 bis ; F. JACOB, th. préc., n°132 ; D. ARLIE, sous Cass. com., 22
octobre 1996, D. 1998, p. 511 ; A. BRUYNEEL, art. préc., p. 16 ; C. GINESTET, art. préc.,
n°9 ; D. LEGEAIS, n°286 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-23 ;
Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°40). 550 Si la majorité de la doctrine constate que l’objet de l’obligation de l’assureur-crédit n’est
pas l’exécution de l’obligation du débiteur, mais la réparation du préjudice résultant de la
défaillance éventuelle de ce dernier (en ce sens, cf. P. ANCEL, ibid., n°24 ; Ph. DUPICHOT,
th. préc., n°429, 432 ; A. BRUYNEEL, ibid., p. 16 ; I. FADLALLAH, art. préc., p. 323 ; L.
SIMONT, art. préc., p. 293 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ,
n°124 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°24 ; Ph. THERY, n°48), quelques auteurs
classent l’assurance-crédit interne parmi les sûretés accessoires (D. GRIMAUD, ibid., n°204 ;
M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°32). Cette dernière solution nous paraît critiquable dans
la mesure où elle repose sur l’opposabilité, par l’assureur, des exceptions nées du contrat
principal. Or, cette opposabilité ne découle pas de l’unicité de dettes, mais de la détermination
des risques couverts. 551 Le caractère indépendant ou accessoire des lettres d’intention est controversé. Beaucoup
d’auteurs s’appuient, comme nous le faisons, sur l’objet propre de l’obligation de l’émetteur
de la lettre, pour en déduire leur caractère indépendant (B. de GRANVILLIERS, th. préc.,
n°142 ; Ph. DUPICHOT, ibid., n°407 ; L. AYNES, art. préc., p. 380 ; A. BAC, La lettre
d'intention ou le dilemme liberté/ sécurité, Droit et patrimoine 1999, n°67, p.52 ; C. FERRY,
Les sûretés personnelles en droit international privé, Droit et patrimoine 1995, p. 44 ;
GRELLIERE, JCP 1992, éd. E., II, 345, p.216, n°1 ; J. MESTRE, Les lettres d’intention, une
zone d’aménagement contractuel, Droit et patrimoine 1999, n°67, p. 63 ; H. SYNVET, sous
Cass. com., 21 déc. 1987, Rev. sociétés 1988, p. 398 ; H., L. et J. MAZEAUD et F.
306. Le critère de distinction entre les garanties personnelles accessoires
et les garanties personnelles indépendantes : l’objet de l’obligation de
règlement. A partir de l’objet de l’obligation de règlement du garant, il est donc
possible de distinguer les garanties personnelles présentant un caractère accessoire
renforcé des garanties personnelles indépendantes. L’objet de l’obligation de
règlement du garant constitue, ce faisant, une caractéristique distinctive essentielle
en matière de garanties personnelles552. Cela est vrai pour une autre raison encore.
307. La détermination de l’objet de l’obligation de règlement. Des
différences entre les garanties personnelles se font jour relativement à la
détermination de l’objet de l’obligation de règlement du garant.
D’une part, c’est le mode de détermination qui est variable. Elle peut avoir lieu
par emprunt à l’obligation principale, par simple référence à celle-ci, ou encore sans
aucune appréciation des modalités d’exécution de l’obligation principale.
D’autre part, c’est le moment de la détermination qui n’est pas identique dans
toutes les garanties personnelles. Dans certaines, cette détermination doit avoir lieu
ab initio, sous peine de requalification. Tel est le cas en matière de garantie
autonome et de délégation imparfaite certaine. Dans d’autres contrats de garantie,
l’objet reste nécessairement indéterminé, mais déterminable, jusqu’à la défaillance
du débiteur principal. Le constitut et toutes les garanties indemnitaires en fournissent
l’illustration. Dans d’autres mécanismes encore, l’objet peut être, selon la volonté
des parties, soit déterminé dès la conclusion de la garantie, soit indéterminé jusqu’à
l’appel de celle-ci. Le cautionnement, la solidarité, ou la délégation imparfaite
incertaine présentent cette polyvalence.
308. Conclusion de la Section 2 et du Chapitre 2. Afin de respecter
l’exigence d’assimilation des caractéristiques des garanties personnelles, et donc
l’objectif d’efficacité de ces mécanismes, des règles spéciales doivent être édictées
en fonction de la nature de l’obligation de règlement du garant, en fonction du
CHABAS, par Y. PICOD, n°53-15 et s. ; Ph. SIMLER, n°900). D’autres classent les lettres
d’intention parmi les sûretés accessoires (X. BARRE, La lettre d'intention technique
contractuelle et pratique bancaire, Economica, 1995, préf. Ch. GAVALDA ; P. ANCEL,
Nouvelles sûretés pour créanciers échaudés, JCP 1989, éd. E., suppl. Cahier droit des
entreprises, n°5, p. 5 à 7 ; J. DEVEZE, Aux frontières du cautionnement : lettre d'intention et
garantie indépendante. La revanche de la liberté, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des
entreprises 2-92, p. 26 et 30 ; Lamy droit du financement 2000, 6ème partie, Les garanties du
crédit, §2950 et s.). Cette dernière solution nous semble procéder d’une confusion entre le
caractère accessoire essentiel des garanties personnelles et le caractère accessoire renforcé du
cautionnement. 552 La doctrine dominante fonde la catégorisation des garanties personnelles sur le caractère
accessoire (en ce sens, cf. notamment D. GRIMAUD, th. préc., n°8 à 10, 190 ; L. AYNES,
ibid., p. 378 et s. ; I. FADLALLAH, art. préc., n°13 ; C. GINESTET, art. préc., n°15 ; M.
CABRILLAC et Ch. MOULY, n°59-2 ; D. LEGEAIS, n°55 ; H., L. et J. MAZEAUD et F.
CHABAS, par Y. PICOD, n°15 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°8, 30). Comme le
caractère accessoire est ambivalent (caractère accessoire essentiel, d’une part, caractère
accessoire renforcé, d’autre part), et comme le caractère accessoire renforcé se définit au
regard de l’objet de l’obligation de règlement, nous préférons fonder la catégorisation des
garanties personnelles sur l’objet de cette obligation, plutôt que sur le caractère accessoire.
caractère accessoire renforcé ou indépendant de la garantie personnelle, mais aussi
en fonction du mode et du moment de détermination de l’objet de cette obligation de
règlement553. D’autres caractéristiques distinctives doivent également influer sur le
régime des garanties personnelles, pour que leur efficacité subjective soit favorisée.
Il s’agit de la « cause » de l’obligation de couverture, du niveau d’équilibre dans les
relations entre les parties, et des caractéristiques relatives au garant et au créancier,
envisagés séparément.
Ce sont, par ailleurs, les caractéristiques communes à l’ensemble des garanties
personnelles qui doivent être intégrées dans les règles légales et jurisprudentielles
pour que l’attente objective des créanciers se réalise. Plus précisément, l’exigence
d’assimilation et l’objectif d’efficacité devraient conduire à appliquer aux seules
garanties personnelles, mais à l’ensemble de celles-ci, les règles fondées sur leurs
caractéristiques techniques propres (l’obligation de garantir et leur caractère
accessoire essentiel). En revanche, les règles se rapportant aux caractéristiques
qu’elles partagent avec d’autres mécanismes (les effets de la constitution ou de la
réalisation de la garantie sur la situation du créancier ou sur celle du débiteur)
devraient s’appliquer, selon le cas, soit à toutes les garanties de paiement, soit à
toutes les garanties de crédit.
309. Conclusion de la 1ère Partie. L’assimilation des caractéristiques des
garanties personnelles n’est que l’une des conditions de l’efficacité du droit
applicable à ces contrats. Pour que le contenu de ce droit soit en adéquation avec
l’objectif d’efficacité, il est en plus nécessaire que la loi et les décisions
jurisprudentielles présentent certaines qualités formelles, les unes améliorant la
rationalité des choix des créanciers, les autres confortant la réalisation de la finalité
assignée à la garantie personnelle conclue. Si ces conditions sont remplies, le droit
des garanties personnelles devrait faire apparaître leurs facteurs d’efficacité et donc
atteindre l’objectif d’efficacité, qu’il doit nécessairement poursuivre pour que les
effets produits par ces contrats soient identiques à leur fonction et à leur finalité. La
mise au jour des conditions juridiques de l’efficacité des garanties personnelles
ayant permis d’élaborer une grille d’analyse de ces mécanismes et du droit qui leur
est applicable, il est désormais possible d’évaluer le droit positif au regard de ces
conditions, en vue de porter un jugement sur l’efficacité actuelle des garanties
personnelles.
553 Sur les règles spéciales que nous proposons de fonder sur l’objet de cette obligation, cf.
infra n°971-995
Deuxième partie
L’EFFICACITÉ DES GARANTIES
PERSONNELLES DE LEGE LATA :
UNE ÉVALUATION
310. L’évaluation du droit positif des garanties personnelles. Les effets
produits par les garanties personnelles sont-ils aujourd'hui en adéquation avec les
attentes objectives et subjectives que font naître ces contrats chez les créanciers.
Pour répondre à cette question, il convient d’apprécier l’efficacité des garanties
personnelles de lege lata, c'est-à-dire sous l’angle des solutions légales et
jurisprudentielles en vigueur. Le droit positif doit être évalué554 au regard des
conditions juridiques de l’efficacité des garanties personnelles, précédemment mises
en lumière.
Il s’agit, ainsi, de s’interroger sur les objectifs actuellement poursuivis par
le législateur et par les juges. Ceux-ci s’impliquent-ils dans la construction de
l’efficacité des garanties personnelles et, le cas échéant, quel est leur degré
d’intervention dans l’apparition des facteurs d’efficacité objective et subjective ?
Comment sont articulés, dans le droit en vigueur, l’objectif de protection des intérêts
financiers des créanciers, d’une part, et ces principes directeurs du contrat, que sont
la justice et l’éthique, d’autre part ? Il s’agit également de vérifier si la loi et les
décisions jurisprudentielles présentent les qualités formelles nécessaires à la
réalisation des attentes des bénéficiaires. Il s’agit, enfin, de rechercher de quelle
manière sont appréhendées les caractéristiques communes et distinctives des
garanties personnelles. Sont-elles pleinement assimilées par le législateur et par les
juges ou ceux-ci, au contraire, n’en déduisent-ils qu’imparfaitement le régime de ces
contrats ?
Les textes555 et la jurisprudence556 relatifs aux garanties personnelles
doivent être étudiés en vue de répondre à ces différentes questions et, finalement, en
vue de porter un jugement sur l’efficacité actuelle des garanties personnelles.
554 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, v° Evaluation,
p. 363 : « appréciation (qualitative) de l’application d’une loi ; spécialement, appréciation a
posteriori des choix et des résultats d’une loi dans la perspective d’un nouvel examen de
celle-ci ». 555 Seuls les textes adoptés avant la fin de l’année 2004 font l’objet de la présente étude. 556 Les arrêts de la Cour de cassation en matière de garanties personnelles sont extrêmement
nombreux et ils donnent souvent lieu à de multiples commentaires doctrinaux. Par
311. Utilités de l’évaluation. Ce travail de critique législative n’a pas
uniquement pour intérêt de fournir aux distributeurs de crédit et aux garants une
photographie, en quelque sorte, des solutions qui leur sont respectivement favorables
et défavorables.
L’évaluation de l’efficacité des garanties personnelles de lege lata est
également utile pour découvrir les qualités et les lacunes du droit existant. Elle
constitue ainsi le préalable nécessaire à la recherche de solutions nouvelles visant à
remédier aux défauts du droit positif. Dans le but de fournir l’image la plus
exhaustive possible de ce qu’il est raisonnable d’attendre des garanties personnelles
aujourd'hui et de préparer la reconstruction de cette matière, il importe donc de
présenter les raisons de leur efficacité (Titre 1), puis les raisons de leur inefficacité
(Titre 2).
conséquent, les arrêts publiés au Bulletin de la Cour de cassation ne seront assortis que de leur
référence audit Bulletin. Les références des analyses doctrinales seront, quant à elles,
présentées de la manière la plus complète possible dans l’Index des décisions judiciaires.
TITRE I
LES RAISONS DE L’EFFICACITÉ
312. Les degrés d’implication du droit dans la construction de l’efficacité
des garanties personnelles. Les effets produits par les garanties personnelles ne
peuvent satisfaire les attentes qu’elles engendrent chez leurs bénéficiaires que si le
législateur et les juges s’impliquent dans la construction de leur efficacité.
Cette intervention du droit dans l’apparition des facteurs d’efficacité des
garanties personnelles peut-être plus ou moins directe557. En effet, la loi et la
jurisprudence peuvent se contenter de fournir aux parties et, plus particulièrement,
aux créanciers, les matériaux pour construire l’efficacité, ou bien intervenir de
manière plus dynamique en privilégiant eux-mêmes la fonction de garantie des
contrats conclus.
313. L’efficacité subjective favorisée par le droit des garanties
personnelles. Pour que les garanties personnelles soient efficaces in concreto, il
suffit que l’intervention du droit ait lieu par le truchement de la volonté des parties.
L’efficacité subjective est ainsi favorisée par le législateur qui ne limite pas la
liberté des créanciers d’opérer des choix relatifs aux modalités de la protection de
leurs intérêts, choix qui aboutissent à l’adéquation entre leurs attentes subjectives
initiales et les attentes nées de la garantie personnelle effectivement conclue.
L’efficacité subjective est par ailleurs favorisée par les juges qui valident les
choix des créanciers et permettent, ce faisant, l’adéquation entre la finalité assignée
à la garantie constituée et les effets qu’elle produit.
Chaque fois que le droit positif autorise de la sorte cette double adéquation, il
favorise l’efficacité subjective des garanties personnelles (Chapitre 1).
314. L’efficacité objective organisée par le droit des garanties
personnelles. S’agissant de l’efficacité in abstracto, elle réside dans la protection
des intérêts financiers de l’ensemble des créanciers. C’est le droit qui l’organise en
provoquant l’apparition des facteurs d’efficacité qui ne peuvent procéder de la
volonté des parties et en prenant lui-même en charge la protection des créanciers,
par le biais de règles qui leur sont immédiatement favorables et de contraintes utiles
à l’efficacité. En ce qu’il instaure des règles augmentant de la sorte les chances de
557 Pour de plus amples développements sur les degrés d’implication du droit dans
l’apparition des facteurs d’efficacité des garanties personnelles, cf. supra n°98-108 ; 109-115
paiement des créanciers, et donc de réalisation de la fonction des garanties
personnelles, le droit positif organise leur efficacité objective (Chapitre 2).
CHAPITRE I
LE DROIT POSITIF
FAVORISE L’EFFICACITE SUBJECTIVE
315. La liberté des créanciers de protéger leurs intérêts. Chaque créancier,
avant la conclusion d’une garantie personnelle, se trouve dans une situation
spécifique. Le libre choix des modalités de protection est essentiel, puisqu’il permet
l’adaptation du contrat conclu aux particularités de cette situation. Il réduit donc les
risques de conclusion d’une garantie personnelle inutile ou, au contraire,
exorbitante, et donc inefficace.
Le droit des garanties personnelles peut favoriser la réalisation des attentes
subjectives des créanciers, non en prenant lui-même en charge la protection de leurs
intérêts, mais en leur laissant cette liberté dans l’aménagement de leur protection. En
effet, l’absence d’une réglementation spéciale impérative autorise les créanciers à
conclure une garantie personnelle qui réponde aux attentes que l’octroi de crédit au
débiteur a engendrées chez eux558. Si les silences de la loi et les dispositions légales
seulement supplétives peuvent ainsi faciliter l’adéquation entre les deux niveaux
d’attentes subjectives, ils ne garantissent pas la réalisation de ces attentes. C’est de
la jurisprudence que dépend cette seconde identité et, plus précisément, de la
reconnaissance par les juges de la liberté des créanciers d’organiser la protection de
leurs intérêts.
Pour faire ressortir l’efficacité du droit positif sur ces deux points, il convient,
d’une part, de détailler les manifestations de la liberté contractuelle au sein de la
seule garantie personnelle réglementée en tant que telle, le cautionnement, et,
d’autre part, de souligner la liberté laissée aux créanciers de protéger leurs intérêts
au moyen d’une garantie personnelle non spécialement réglementée. Seront ainsi
mises en lumière l’efficacité subjective du cautionnement (Section 1), puis
l’efficacité subjective des garanties personnelles innomées (Section 2).
558 L’adéquation entre les deux niveaux d’attentes subjectives est favorisée, non seulement par
la liberté laissée aux créanciers de protéger leurs intérêts, mais aussi par la rationalité de leurs
choix. Sur les facteurs améliorant cette rationalité et sur les facteurs permettant aux créanciers
de remporter les conflits de rationalités, cf. supra n°178-205
SECTION 1 : L’EFFICACITÉ SUBJECTIVE
DU CAUTIONNEMENT
316. La souplesse du droit du cautionnement. La réalisation des attentes
propres à chaque créancier bénéficiaire d’un cautionnement, autrement dit
l’efficacité subjective de cette sûreté, dépend de la liberté laissée aux créanciers
d’organiser la protection de leurs intérêts au moyen de cette garantie personnelle.
Cette liberté résulte du caractère supplétif de nombre de dispositions légales
régissant le cautionnement, et de la validation jurisprudentielle des clauses grâce
auxquelles les créanciers donnent au cautionnement un contenu conforme à leurs
attentes initiales. La souplesse du droit positif en matière de cautionnement est donc
la cause de l’efficacité in concreto de ce mécanisme, puisqu’elle permet l’adaptation
du contrat conclu aux attentes subjectives du créancier nées lors de l’octroi de crédit.
Cette souplesse se manifeste à l’égard du choix de la caution, dans la mesure
où, en principe559, le législateur n’impose, ni n’interdit, le recours à une caution
déterminée, et où les juges ne subordonnent pas non plus la validité du
cautionnement conclu à la qualité du garant. Cette première manifestation de la
liberté contractuelle ne sera pas approfondie, car elle n’est pas spécifique au
cautionnement560.
Des développements méritent, en revanche, d’être consacrés aux stipulations
contractuelles relatives à l’étendue de l’engagement de la caution, que les créanciers
vainqueurs du conflit de rationalités sont libres d’imposer à celle-ci561. Certaines 559 Ce principe de liberté connaît deux limites, dont le domaine est tellement circonscrit,
qu’elles ne remettent pas en cause l’efficacité subjective découlant du libre choix de la
caution. La première limite concerne les cautionnements légaux et judiciaires, que nous avons
exclus de notre étude. Dans ce cadre, le législateur déroge à la liberté de choix du
cocontractant en imposant fréquemment le recours à un garant professionnel (cf., par
exemple, l’article 1799-1 alinéa 3 du Code civil, l’article L. 124-8 du Code du travail, l’article
14 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance). La seconde limite a trait aux
cautionnements conventionnels, et elle consiste dans l’interdiction faite à certaines personnes
morales de garantir des débiteurs principaux ou des dettes déterminés. Le législateur interdit,
ainsi, le cautionnement d’un dirigeant social par sa société (article L. 223-21 du Code de
commerce, pour les SARL ; articles L. 225-43 et L. 225-91 du Code de commerce, pour les
SA), pour protéger l’intérêt des tiers (surtout les créanciers sociaux), celui des associés
(principalement les minoritaires), mais aussi l’intérêt social lui-même. Il interdit également
aux collectivités locales de cautionner certains débiteurs et des dettes autres que des emprunts
(article L. 2251 et s. du Code général des collectivités territoriales.
Cf. A. CERLES et S. HOMONT, Les cautionnements donnés par les collectivités locales, in
Sûretés et garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°93, p. 48 et s. ; L.
RAPP, La collectivité locale, caution d’une personne privée, Aspects contemporains du
cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 2-92, p. 33 et s.). 560 Sur le libre choix du garant dans le cadre des garanties personnelles innomées, cf. infra
n°373 561 Dans la mesure où nous étudions ici l’efficacité du cautionnement, nous ne présenterons
pas les clauses défavorables aux créanciers, que ceux-ci se voient contraints d’accepter
lorsqu’ils se trouvent en situation d’infériorité par rapport à la caution (sur les situations dans
lesquelles les créanciers sont susceptibles de perdre le conflit de rationalités, cf. supra n°87).
Signalons simplement qu’il peut s’agir d’une clause obligeant le bénéficiaire à engager des
poursuites contre la caution dans un délai plus court que celui imparti par la loi, ou d’une
clause prévoyant l’extinction de l’obligation de règlement de la caution lors de la survenance
clauses permettent au bénéficiaire d’être payé au moment où il le souhaite. Il s’agit
des clauses favorisant un paiement ponctuel (§1). D’autres autorisent le créancier à
recevoir de la caution une somme satisfaisant ses attentes. Il s’agit des clauses
favorisant un paiement intégral (§2).
§1 : LES CLAUSES
FAVORISANT LE PAIEMENT PONCTUEL DU CREANCIER
317. Le cautionnement conclu est efficace, in concreto, à la condition que le
créancier bénéficiaire puisse recevoir le paiement de la caution au moment où il le
souhaite. Cela suppose, d’une part, qu’il puisse librement fixer la durée de
l’engagement de la caution (A) et, d’autre part, qu’il puisse choisir à quelle date ledit
paiement aura lieu en cas de modification du terme suspensif du contrat principal
(B).
A/ LES CLAUSES FIXANT LA DUREE DU CAUTIONNEMENT
318. La durée de l’engagement de la caution peut être librement fixée lorsque
la garantie est passée par acte notarié ou lorsque, conclue sous seing privé, elle est
souscrite, soit par une caution personne morale, soit par une caution personne
physique au bénéfice d’un créancier non professionnel. Dans ces trois hypothèses de
liberté contractuelle562, les créanciers peuvent choisir, soit de calquer la durée de la
garantie sur celle du contrat principal, le cautionnement est alors indéfini (1), soit
d’assortir l’obligation de la caution d’un terme extinctif qui lui soit propre (2).
1. Le cautionnement indéfini
319. Notion de cautionnement indéfini. Si la jurisprudence est fluctuante sur
la notion de cautionnement indéfini et sur le régime de cet engagement régi par
l’article 2016 du Code civil563, un consensus doctrinal existe, en revanche, sur la
définition de ce cautionnement564. Le cautionnement indéfini, encore appelé illimité,
est celui qui ne comporte aucune restriction par rapport à l’obligation principale. Il
est calqué purement et simplement sur celle-ci. Le créancier qui entend bénéficier
d’une couverture intégrale de la dette principale devrait ainsi opter en faveur de ce
type de cautionnement. La seule référence à l’obligation garantie suffit pour que le
cautionnement épouse les limites de celle-ci.
du terme extinctif du cautionnement omnibus, ou encore d’une clause restreignant, voire
supprimant, la liberté du créancier d’octroyer des délais au débiteur principal. 562 Ces trois hypothèses se déduisent d’une lecture a contrario de l’article L. 341-2 du Code de
la consommation, issu de la dernière réforme du cautionnement en date du 1er août 2003 (Loi
n°2003-721, pour l’initiative économique, JO 5 août 2003, p. 13449). Sur cette nouvelle
disposition, cf. infra n°408, 411, 545, 549, 604, 614, 618 563 Sur les hésitations jurisprudentielles relatives à la notion de cautionnement indéfini, cf.
infra n°518. Sur le contentieux relatif aux accessoires de la dette principale dans le cadre de
l’article 2016 du Code civil, cf. infra n°446, 449, 566 564 Cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°151 ; J. FRANÇOIS, n°195 ; D. LEGEAIS,
n°142 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°242 et 244 ; Ph.
SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°86 ; Ph. SIMLER, n°264 et 270 ; Ph. THERY, n°32
320. Cautionnement indéfini d’une obligation à terme. Si l’obligation
principale comporte un terme, même incertain, le cautionnement dure ce que dure
l’obligation principale, et c’est la survenance du terme extinctif de l’obligation
garantie qui y met fin. Le cautionnement à durée déterminée, par emprunt du terme
extinctif du contrat principal, met le créancier à l’abri d’une résiliation unilatérale de
la caution.
321. Cautionnement indéfini d’une obligation à durée indéterminée. Si la
dette garantie ne comporte pas de terme, le cautionnement indéfini est lui aussi à
durée indéterminée. Des aménagements conventionnels sont susceptibles de réduire
les effets néfastes de la résiliation unilatérale d’un tel cautionnement. Une clause
peut ainsi interdire la résiliation pendant une durée déterminée, ou ne la rendre
possible qu’à certaines époques, ou encore la subordonner au respect d’un délai de
préavis, utile au créancier pour trouver une nouvelle garantie ou, à défaut, pour
réduire ou supprimer les crédits au débiteur principal, tout en respectant le délai de
30 à 60 jours imposé par l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier565. Tous
ces aménagements sont valables car, en restreignant la faculté de résiliation sans la
supprimer, ils ne contreviennent pas à la prohibition des engagements perpétuels566.
2. Le cautionnement comportant un terme extinctif propre
322. Interprétation de l’article 2013 du Code civil. Le caractère accessoire
du cautionnement ne postule nullement que l’engagement de la caution épouse
rigoureusement les limites de l’obligation principale. L’étendue de cette obligation
ne constitue qu’un maximum ne pouvant être dépassé (article 2013 du Code civil).
Ce faisant, dès lors que l’on se situe dans le domaine du cautionnement
conventionnel, l’obligation de la caution peut être limitée dans le temps567.
323. Les attraits du cautionnement à durée déterminée. Pour différentes
raisons, le futur bénéficiaire d’un cautionnement peut souhaiter que celui-ci soit
assorti d’un terme extinctif certain (cautionnement pour telle durée ou jusqu’à telle
date) ou incertain (par exemple, cautionnement pour la durée d’une opération
déterminée ou pour la durée des fonctions exercées par la caution au sein de la
personne morale garantie).
Il peut ainsi vouloir empêcher une résiliation unilatérale, qui déjouerait ses
prévisions568.
565 La formule type de cautionnement résultant de la recommandation de l’AFB n°89-225 du
28 juillet 1989 prévoit ainsi un délai de préavis de 90 jours. 566 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°284 567 Cette liberté n’existe pas dans le cadre des cautionnements légaux et judiciaires, car le
débiteur est alors tenu de fournir une caution disposée à s’engager purement et simplement.
En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°312 568 Si la stipulation d’un terme est, en principe, exclusive de la faculté de résiliation
unilatérale (Cass. com., 23 février 1993 : Bull. civ. IV, n°69), la jurisprudence admet la
validité de la clause autorisant la caution à résilier le cautionnement à durée déterminée (Cass.
com., 7 juillet 1992 : D. 1992, IR, p. 217 ; JCP 1992, IV, n°2610 ; Cass. com., 28 février
1995 : JCP 1995, I, 3851, n°5, obs. SIMLER). Nous ne faisons que mentionner cette clause,
car elle ne protège pas les intérêts du créancier. Celui-ci n’y consent que s’il est en situation
d’infériorité par rapport à la caution.
Il peut également espérer qu’en mesurant pleinement l’ampleur du risque
qu’elle assume, la caution prendra des mesures afin de disposer des fonds suffisants
lors de l’échéance du terme extinctif de son engagement, et qu’elle sera moins
encline à contester ses obligations.
Si la stipulation d’un terme extinctif propre au cautionnement est avantageuse
pour la caution, en ce qu’elle limite l’étendue de son engagement569, elle concourt
donc également à rendre le cautionnement efficace. L’Association française des
banques a ainsi recommandé aux banques, à compter du 1er février 1983, de limiter,
sauf cas exceptionnels, la durée des cautionnements exigés des clients570.
324. Cautionnement à durée déterminée d’une dette déterminée. La
stipulation d’un terme extinctif est possible, tant dans le cautionnement d’une dette
déterminée, que dans le cautionnement d’un ensemble indéterminé de dettes.
Dans le premier cas, l’échéance de l’obligation de la caution peut être plus
rapprochée que celle prévue pour l’obligation principale. Cela ne contrevient pas à
l’article 2013 du Code civil, dès lors que le cautionnement garantit un contrat à
exécution successive et que la stipulation du terme signifie seulement que la caution
ne couvre que les échéances du contrat principal antérieures à la survenance du
terme571.
Lorsque l’échéance du cautionnement est postérieure à celle du contrat de base,
les juges considèrent le terme comme suspensif et non comme extinctif572, ou encore
comme le dernier jour du délai de prescription extinctive conventionnellement
abrégé, lorsque les parties utilisent des termes comme « validité » ou « fin »573.
325. Cautionnement omnibus à durée déterminée. Lorsqu’un terme
extinctif est stipulé dans un cautionnement omnibus, la jurisprudence décide que la
caution est tenue des engagements contractés par le débiteur pendant le délai fixé,
quelles que soient l’échéance de ces engagements et l’époque des poursuites
engagées contre elle, pourvu qu’il n’y ait pas prescription574. Conformément à
l’analyse dualiste de l’obligation de la caution dans le cautionnement de dettes
futures, développée par Mouly, c’est donc uniquement l’obligation de couverture qui
s’éteint avec la survenance du terme, et non l’obligation de règlement des dettes
nées antérieurement.
569 Les cautions professionnelles ne concluent ainsi que des cautionnements à durée
déterminée. Tout au plus, consentent-elles des cautionnements renouvelables par tacite
reconduction (cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°174 et 180). 570 Banque 1982, p. 702 571 En ce sens, cf. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°92 ; Ph. SIMLER, n°321 572 Cass. 1ère civ., 9 mai 1996 : Bull. civ. I, n°192 573 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°186 ; Ph. SIMLER, n°321
Cass. 3e civ., 22 juin 1976 : Bull. civ. III, n°276 ; Cass. com., 26 avril 1977 : D. 1977, IR,
p. 345 ; Gaz. Pal. 1977, 2, Somm., p. 248 ; CA Versailles, 1er juillet 1993 : RJDA 10/1993,
n°823 574 Cass. com., 17 octobre 1977 : Bull. civ. IV, n°227 ; Cass. com., 5 juin 1978 : Gaz. Pal.
1978, 2, Somm., p. 374 ; Cass. 1ère civ., 11 juillet 1978 : Bull. civ. I, n°264 ; Cass. 3e civ., 20
juin 1979 : Rev. loyers 1980, p. 92, obs. J.D. ; Cass. 1ère civ., 4 juillet 1979 : Bull. civ. I,
n°201 ; Cass. com., 10 janvier 1984 : Bull. civ. IV, n°9 ; Cass. 1ère civ., 6 novembre 1985 :
Bull. civ. I, n°288 ; Cass. com., 16 juillet 1993 : Bull. civ. IV, n°244
326. La liberté, laissée par la loi et encouragée par les juges, de déterminer la
durée du cautionnement permet la réalisation des attentes subjectives des créanciers
concernant le moment du paiement. Le droit positif favorise également le paiement
ponctuel du créancier en autorisant les clauses relatives à une modification du terme
suspensif du contrat principal.
B/ LES CLAUSES RELATIVES A UNE MODIFICATION
DU TERME SUSPENSIF DU CONTRAT PRINCIPAL
327. En vertu de l’article 2013 du Code civil, le créancier ne peut poursuivre
la caution que si la dette du débiteur est exigible. Il doit donc attendre le terme
convenu avec celui-ci pour faire valoir son droit contre la caution. Comme le terme
suspensif initialement fixé dans le contrat principal peut être avancé ou retardé,
l’insertion, dans le cautionnement, de clauses relatives, tant à la déchéance (1), qu’a
la prorogation de ce terme (2), évite que de telles modifications ne compromettent la
réalisation des attentes subjectives des créanciers concernant la date du paiement.
1. La déchéance du terme du contrat principal
328. Les causes de déchéance du terme suspensif du contrat principal. La
déchéance du terme suspensif du contrat principal peut avoir différentes causes. Très
souvent, le contrat principal contient une clause prévoyant une déchéance
automatique du terme en cas d’inexécution par le débiteur de l’une de ses
obligations. Par ailleurs, l’article 1188 du Code civil permet au créancier de
demander cette déchéance en justice lorsque le débiteur diminue les sûretés. Enfin,
la loi impose la déchéance du terme en cas de liquidation judiciaire (article L. 622-
22 du Code de commerce) ou de plan de cession totale des biens du débiteur en
redressement judiciaire (article L. 621-94 du Code de commerce)575.
En présence de tels événements rendant la dette principale exigible par
anticipation, la question se pose de savoir si la caution peut invoquer le terme
originaire ou si elle est obligée de payer en même temps que le débiteur principal.
Autrement dit, la déchéance lui est-elle opposable ?
329. La solution jurisprudentielle de principe : l’inopposabilité à la
caution de la déchéance du terme. Sauf en matière d’aval, où l’article L. 511-38
du Code de commerce autorise la poursuite de l’avaliste avant l’échéance
initialement convenue, le législateur n’adopte aucune solution de principe. L’article
2013 du Code civil ne fournit, en effet, aucune réponse, car il ne concerne pas les
fluctuations postérieures aux prévisions initiales576.
Dans le silence de la loi, la jurisprudence admet depuis longtemps que la
caution puisse garder le bénéfice du terme originaire577. Le principe est donc celui
575 En revanche, depuis la loi du 25 janvier 1985, le jugement d’ouverture du redressement
judiciaire ne rend pas exigibles les créances non échues à la date de son prononcé (article L.
621-49 du Code de commerce). 576 En ce sens, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°119 577 Cass. req., 3 juillet 1890 : D.P. 1891, 1, p. 5 ; S. 1890, 1, p. 445 ; Cass. 1ère civ., 20
décembre 1976 : Bull. civ. I, n°415 ; Cass. com., 5 octobre 1983 : Bull. civ. IV, n°254 ; Cass.
1ère civ., 30 octobre 1984 : Bull. civ. I, n°290 ; Cass. com., 2 mars 1993 : Bull. civ. IV, n°79 ;
de l’inopposabilité à la caution de la déchéance du terme de l’obligation
principale578.
330. La validation jurisprudentielle des clauses rendant la déchéance
opposable à la caution. Or, le créancier peut souhaiter poursuivre la caution dès la
déchéance du terme du contrat principal, car celle-ci révèle, le plus souvent, la
défaillance du débiteur. En outre, le créancier peut attendre du cautionnement qu’il
soit, non seulement une garantie de paiement, mais aussi une garantie de ponctualité.
En conséquence, le créancier peut vouloir, dès la conclusion du cautionnement,
insérer une clause étendant à la caution une éventuelle déchéance du terme du
contrat principal.
Pour que cette attente subjective initiale relative à la ponctualité du paiement se
réalise, encore faut-il que la jurisprudence valide la clause prévoyant que la
déchéance du terme de l’obligation principale entraîne celle de l’obligation de la
caution, et donc qu’elle admette que la convention des parties écarte la solution
qu’elle retient habituellement.
C’est justement ce qu’elle fait, favorisant, par là même, l’efficacité subjective
du cautionnement conclu. Le motif de la validation est l’autonomie de la volonté.
L’inopposabilité de principe de la déchéance étant justifiée par le respect de la
volonté probable de la caution de bénéficier du terme originaire, les juges n’hésitent
pas à l’écarter en présence d’une clause exprimant clairement la volonté de la
caution d’être poursuivie immédiatement. Outre la fonction de garantie du
cautionnement et l’autonomie de la volonté, c’est le caractère accessoire du
cautionnement qui peut justifier l’opposabilité de la déchéance à la caution579. Non
seulement cette opposabilité ne contrevient pas au caractère accessoire, car elle ne
rend pas plus onéreuse l’obligation de la caution par rapport à celle du débiteur
principal, mais elle en est même l’expression, puisqu’elle entraîne
« l’homogénéisation des régimes de la dette et de sa garantie »580, qui symbolise le
caractère accessoire renforcé du cautionnement.
Cass. com., 8 mars 1994 : Bull. civ. IV, n°96 ; Cass. com., 26 octobre 1999 : Bull. civ. IV,
n°183 578 Pour justifier cette solution, les juges se fondent sur la volonté probable de la caution de
bénéficier du terme initial, sur le fait que le cautionnement est un contrat distinct du contrat
principal, ayant une force obligatoire propre, et sur le principe de l’effet relatif des contrats.
Ce sont donc les articles 1134, 2015 et 1165 du Code civil que les juges visent à l’appui de
leurs décisions (en ce sens, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°119 ; C. LACHIEZE, th. préc.,
n°366 ; J. FRANÇOIS, n°242 ; D. LEGEAIS, n°220 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,
Pour toutes ces raisons, la jurisprudence reconnaît la validité des clauses par
lesquelles la caution renonce expressément à l’inopposabilité de la déchéance581, de
la clause prévoyant que « toutes clauses et conditions du contrat principal sont
opposables à la caution comme si ledit contrat avait été revêtu de sa propre
signature »582, et elle admet même une renonciation simplement tacite à
l’inopposabilité de la déchéance583. Par ailleurs, la jurisprudence valide la clause
d’extension à la caution de la déchéance encourue par le débiteur mis en liquidation
judiciaire ou dont les biens font l’objet d’un plan de cession globale584.
331. Quelle que soit la cause de la déchéance du terme du contrat principal,
les créanciers sont donc autorisés à poursuivre la caution en même temps que le
débiteur. Une telle liberté accroît les chances de réalisation des attentes subjectives
du créancier concernant la date du paiement, et favorise donc l’efficacité in concreto
du cautionnement conclu. En va-t-il de même à l’égard de l’autre type de
modification du terme suspensif du contrat principal, à savoir sa prorogation ?
2. La prorogation du terme du contrat principal
332. Les caractéristiques de la prorogation du terme. « La prorogation
consiste en un étirement conventionnel de la relation contractuelle »585.
Contrairement à une reconduction expresse ou tacite, la prorogation n’est pas
génératrice d’obligations nouvelles. Le même contrat continue, seule sa durée est
atteinte par la prorogation.
L’article 2039 du Code civil dispose que « la simple prorogation du terme,
accordée par le créancier au débiteur principal, ne décharge point la caution »586.
Le caractère supplétif de ce texte permet aux parties de l’écarter ou de l’aménager
581 Les contrats types des établissements de crédit contiennent souvent une clause stipulant
que « la caution sera tenue de s’exécuter dès que les obligations du cautionné à l’égard de la
banque deviendraient exigibles, fût-ce par anticipation pour quelle que cause que ce soit ». La
jurisprudence valide une telle clause. En ce sens, cf. Cass. 1ère civ., 30 octobre 1984 : Bull.
civ. I, n°290 ; Cass. 1ère civ., 18 février 2003 : RJDA 12/2003, n°1253 582 Cass. com., 11 juillet 1988 : Bull. civ. IV, n°236 583 Cass. com., 10 juillet 1962 : Bull. civ. IV, n°350 ; Cass. 1ère civ., 8 février 1977 : Bull. civ.
I, n°71 ; Cass. com., 13 mai 2003 : RJDA 12/2003, n°1247 (la renonciation a été déduite de la
connaissance de la caution des clauses du contrat principal et notamment de celle relative aux
frais entraînant la déchéance du terme). 584 CA Aix-en-Provence, 20 septembre 1990 et 28 février 1991 : Rev. proc. coll. 1993, p. 136,
obs. DELEBECQUE 585 M.-E. ANDRE, Le sort des cautions en cas de poursuite de la relation cautionnée,
Mélanges
Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 265 et s., n°3 586 Malgré la clarté de ce texte, la Cour de cassation a dû réaffirmer à plusieurs reprises
l’absence de libération de la caution en cas de prorogation du terme du contrat principal :
Cass. req., 17 août 1859 : DP 1859, 1, p. 359 ; S. 1860, 1, p. 1445 ; Cass. req., 6 mars 1935 :
Gaz. Pal. 1935, 2, p. 186 ; Cass. req., 16 mars 1938 : Gaz. Pal. 1938, 2, p. 15 ; D.H. 1938,
p. 292 ; Cass. civ., 25 mai 1938 : Gaz. Pal. 1938, 2, p. 183 ; D.H. 1938, p. 385 ; Cass. 1ère civ.,
6 janvier 1959 : Bull. civ. I, n°9 ; Cass. 1ère civ., 27 février 1968 : Bull. civ. I, n°81 ; Cass. 1ère
civ., 16 février 1970 : Bull. civ. I, n°58 ; Cass. com., 5 novembre 1971 : Bull. civ. IV, n°264 ;
Cass. com., 27 mai 2003 : RJDA 1/2004, n°100
librement587. Une clause peut ainsi préciser le moment auquel la caution devra payer
en cas de prorogation du terme du contrat principal.
333. La solution jurisprudentielle de principe : l’opposabilité par la
caution de la prorogation. Si le créancier souhaite poursuivre la caution en même
temps que le débiteur principal, il suffit de prévoir, dans le cautionnement, que les
délais accordés par le créancier au débiteur profiteront à la caution. A défaut d’une
telle clause, c’est d’ailleurs la solution qu’adopte la jurisprudence588. L’opposabilité
par la caution de la prorogation s’explique par le caractère accessoire du
cautionnement, qui s’oppose à ce que la caution soit poursuivie en l’absence
momentanée d’exigibilité de la dette principale, et qui invite, au contraire, à une
homogénéisation des régimes de la dette et de sa garantie589.
334. Les arguments en faveur de la validation des clauses rendant la
prorogation inopposable par la caution. Si le créancier préfère poursuivre la
caution dès l’échéance initialement fixée, sans attendre l’expiration du nouveau
délai octroyé au débiteur principal, il pourrait mentionner dans le cautionnement
qu’une prorogation du terme du contrat principal serait inopposable par la caution.
Bien qu’une telle stipulation transforme profondément le rôle de la caution et porte
atteinte au caractère accessoire du cautionnement, plusieurs arguments pourraient
conduire les juges à la valider590.
En premier lieu, la fonction même du cautionnement. Celui-ci a pour but de
garantir au créancier un paiement de sa créance à la date initialement prévue. « La
garantie de l’échéance fait partie de la garantie procurée par le cautionnement »591.
En deuxième lieu, le fait que, dans le silence des parties, les juges acceptent que
la caution paye dès l’échéance du terme originaire592. Cette solution repose sur le
587 En ce sens, cf. M.-E. ANDRE, art. préc., n°10 ; E. LE CORRE-BROLY, La faculté de
résiliation de la caution au regard de l’article 48 de la loi du 1er mars 1984, LPA 17 août
1998, n°98, p. 6 ; J. FRANÇOIS, n°246 ; D. LEGEAIS, n°223 ; Ph. SIMLER, n°469 588 CA Lyon, 6 janvier 1903 : DP 1910, Somm., p. 1. Ph. SIMLER (n°465) a remarqué que
« le fait même que les tribunaux n’aient eu à statuer que très rarement sur cette question tend
à prouver que les créanciers, respectant spontanément une solution fondée en droit comme en
équité, ne poursuivent pas les cautions solidaires dans cette hypothèse ». 589 Dès lors que l’extension à la caution des délais consentis au débiteur se justifie ainsi par le
caractère accessoire du cautionnement et que l’engagement d’une caution solidaire présente
un tel caractère, une clause prévoyant cette extension doit pouvoir être insérée dans un
cautionnement solidaire. Même si l’article 2021 du Code civil dispose que l’effet de
l’engagement de la caution solidaire « se règle par les principes qui ont été établis pour les
dettes solidaires », et qu’un codébiteur solidaire ne peut se prévaloir des délais accordés par le
créancier à un autre codébiteur, en ce qu’ils constituent une exception purement personnelle,
il convient de faire prévaloir le caractère accessoire de l’engagement de la caution solidaire et
d’admettre que celle-ci profite de la prorogation du terme du contrat principal. En ce sens, cf.
C. LACHIEZE , th. préc., n°120 à 122 ; J. FRANÇOIS, n°245 ; Ph. SIMLER, n°465 590 A notre connaissance, la Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée sur une telle
clause. 591 Ch. MOULY, th. préc., n°236 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°211. Dans le même
sens, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°120 à 122 ; C. LACHIEZE , th. préc., n°365 ; D.
LEGEAIS, n°221 592 Cass. com., 5 novembre 1971 : Bull. civ. IV, n°264
principe de l’effet relatif des contrats et évite à la caution de subir des risques
supplémentaires de dégradation de la solvabilité du débiteur.
En troisième et dernier lieu, le maintien du terme initial est la solution retenue
par la loi et les juges en cas de moratoire légal ou de délai judiciaire différant
l’exécution de la dette cautionnée593.
Pour toutes ces raisons, une clause pourrait donc rendre la prorogation du terme
du contrat principal inopposable par la caution et permettre au créancier d’obtenir du
garant un paiement à l’échéance, même s’il a consenti au débiteur un nouveau
délai594.
335. Les juges favorisent l’efficacité in concreto du cautionnement en
permettant la réalisation des attentes subjectives des créanciers relatives au moment
du paiement de la caution en cas de déchéance ou de prorogation du terme de
l’obligation principale. La satisfaction des attentes initiales des créanciers
concernant la durée de l’engagement de la caution est également favorisée par la
liberté de calquer cette durée sur celle du contrat principal ou d’introduire dans la
garantie un terme extinctif propre595. La souplesse du droit positif à l’égard de la
durée du cautionnement permet donc aux créanciers d’être payés au moment
escompté.
Une telle souplesse existe également par rapport au montant du paiement et elle
contribue pareillement à rendre le cautionnement efficace in concreto.
§2 : LES CLAUSES
FAVORISANT LE PAIEMENT INTEGRAL DU CREANCIER
336. Si le paiement intégral constitue sans doute une attente partagée par tous
les créanciers dispensateurs de crédit, les moyens pour atteindre ce but sont
nombreux et chaque créancier peut, en fonction des particularités de sa situation, en
privilégier certains plutôt que d’autres. Les moyens pour obtenir un paiement
intégral font donc l’objet d’attentes subjectives. La réalisation de celles-ci suppose,
d’une part, que les créanciers soient libres d’introduire des clauses dans le contrat de
cautionnement qui favorisent l’entier paiement et, d’autre part, que les juges valident
ces clauses.
L’efficacité in concreto du cautionnement se trouve ainsi favorisée par le fait
que la jurisprudence donne leur plein effet, non seulement aux dispositions
contractuelles favorisant le paiement intégral de la dette principale (A), mais aussi
aux clauses augmentant les chances d’exécution volontaire de la caution (B).
593 Sur l’inopposabilité par la caution des délais accordés au débiteur principal dans le cadre
d’une procédure collective ou de surendettement, cf. infra n°495 594 Suite à un tel paiement, la caution pourrait exercer contre le débiteur principal le recours
que lui ouvre l’article 2039 du Code civil. 595 Rappelons que cette liberté n’existe pas si le cautionnement sous seing privé est conclu
entre un créancier professionnel et une caution personne physique.
A/ LES CLAUSES
FAVORISANT LE PAIEMENT INTEGRAL DE LA DETTE PRINCIPALE
337. La détermination de l’étendue de l’obligation de la caution constitue
l’« un des points névralgiques »596 de la matière597. L’abondant contentieux, tendant
à préciser ce qui est garanti et combien doit la caution, résulte du caractère lacunaire
de nombreux actes. « Même lorsque le contrat de cautionnement fait l’objet d’une
rédaction circonstanciée, la clause consacrée à son étendue n’est pas la plus longue
et son contenu reste hermétique »598.
Plusieurs explications peuvent en être fournies. Le renvoi au contrat principal
semble suffisant. Les règles du droit commun, notamment celles relatives à
l’interprétation des conventions, paraissent protectrices aux yeux de chacune des
parties. Le créancier ne souhaite pas effrayer la caution en énumérant tout ce qu’elle
risque de payer. Enfin, la caution étant le plus souvent persuadée de n’être jamais
poursuivie, évite l’effort d’une négociation sur l’étendue de son engagement.
Le laconisme est d’autant plus regrettable que, la détermination du montant de
l’obligation de la caution relevant, en principe599, de la liberté contractuelle, les
créanciers peuvent se ménager un paiement intégral de la dette principale, soit en
faisant souscrire à la caution un engagement indéfini (1), soit en assortissant le
cautionnement défini de clauses de non concours (2).
1. Le cautionnement indéfini
338. Les attraits du cautionnement indéfini. De par son caractère
accessoire, le cautionnement indéfini épouse les limites, et notamment le montant,
de l’obligation garantie. Il permet ainsi au créancier de ne subir aucune perte en cas
de défaillance du débiteur principal.
Le cautionnement indéfini peut tout aussi bien s’adjoindre à une ou plusieurs
dettes déterminées, qu’à un ensemble de dettes seulement déterminables. Dans le
cautionnement portant sur toutes les dettes du débiteur, l’obligation de couverture de
la caution est en général exprimée par une longue clause, fort descriptive,
comportant souvent des formules redondantes, qui énumère presque toutes les
opérations bancaires susceptibles de faire naître une créance au profit de la banque
bénéficiaire600.
596 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°145 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°85 ; Ph.
SIMLER, n°262 597 Le contentieux sur l’étendue du cautionnement pourrait diminuer avec la généralisation,
opérée par la loi du 1er août 2003 (nouvel article L. 341-2 du Code de la consommation), de la
mention manuscrite fixant un plafond à l’engagement de la caution, à tous les cautionnements
sous seing privé accordés par une personne physique à un créancier professionnel. En ce sens,
cf. V. AVENA-ROBARDET, Réforme inopinée du cautionnement, D. 2003, chron., p. 2083 598 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°146 599 Depuis la loi du 1er août 2003 (nouvel article L. 341-2 du Code de la consommation), la
liberté contractuelle a vu son champ se restreindre. Elle ne peut aujourd'hui être exercée que
dans trois hypothèses : si le cautionnement est notarié, ou si le contrat sous seing privé est
souscrit par une caution personne morale ou encore si le cautionnement sous seing privé unit
une caution personne physique à un créancier non professionnel. 600 Exemple de clause figurant dans les contrats types : « Ce cautionnement solidaire
s’applique au paiement ou remboursement de toutes sommes que le cautionné peut à ce jour
ou pourra devoir à l’avenir à la banque, en toute monnaie, chez l’un quelconque de ses sièges,
Ce cautionnement omnibus est tout à fait susceptible de satisfaire les attentes
des créanciers avides de souplesse, car il permet de garantir des dettes dont personne
ne connaît l’étendue, ni souvent la nature. Il évolue en même temps que les créances
contre le débiteur, et couvre ainsi l’ensemble des relations d’affaire entre le
créancier et son client. Lorsque le cautionnement général est fourni par un
dirigeant601, il présente, en outre, l’avantage d’écarter la limite de responsabilité que
créent les sociétés anonymes et les sociétés à responsabilité limitée602.
339. Les dangers du cautionnement omnibus. Très attrayant pour les
créanciers, le cautionnement omnibus est conjointement considéré comme « le plus
dangereux qui puisse se concevoir »603. Il essuie de ce fait de nombreuses
critiques604. Il lui est notamment reproché de surprendre les cautions, même les plus
intégrées dans les affaires du débiteur principal, et d’engendrer des excès605. Par
ailleurs, son objet serait trop indéterminé et il contreviendrait, par conséquent, à
l’exigence de l’article 1129 du Code civil.
340. Les tentatives d’interdiction générale du cautionnement omnibus.
Pour toutes ces raisons, des tentatives d’interdiction générale des cautionnements
illimités voient le jour périodiquement.
La dernière en date a eu lieu à l’occasion du vote de la loi du 29 juillet 1998.
Une disposition, visant à compléter le dernier alinéa de l’article 2013 du Code civil,
précisait qu’ « à peine de nullité, le contrat de cautionnement doit comporter
mention du montant maximum à l’égard de la personne cautionnée pour lequel il y
en principal augmenté des intérêts, commissions, frais et accessoires, à raison de tous
engagements, de toutes opérations et, d’une façon générale, de toutes obligations nées sans
exception, directement ou indirectement, pour quelque cause que ce soit. C’est ainsi qu’il
s’applique (l’énumération qui va suivre étant simplement indicative et non limitative) à toutes
obligations résultant :
- de tous crédits par caisse ou par signature, du solde exigible en faveur de la banque de
tout compte courant ouvert au nom du cautionné, des opérations de bourse traitées par
lui, de tous chèques, billets ou effets comportant sa signature à quelque titre que ce soit
et pour lesquels la banque aura été ou non dispensée de tout protêt, de toute dénonciation
de protêt ou de tout avis de non-paiement, des négociations de lettres de change-relevés,
d’actes de cession de créances professionnelles, de tous engagements d’aval, de caution
ou de garantie de paiement fournis par le cautionné ;
- de tous engagements d’aval, de caution, de garantie ou de contre-garantie, ou de toutes
acceptations, donnés par la banque pour le compte du cautionné ou sur son ordre ». 601 Depuis la réforme du 1er août 2003, il semblerait que les dirigeants ne puissent souscrire un
cautionnement omnibus au profit d’un créancier professionnel qu’à la condition de le faire
devant un notaire. Sur l’application des articles L. 341-2 et suivants du Code de la
consommation au dirigeant caution, cf. infra n°526 602 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°166 603 D. LEGEAIS, n°149 604 Cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°171 605 Ch. MOULY, Abus de caution ?, Rev. jurisp. com., n° spécial février 1982, p. 14 : « les
cautionnements de tout ce que le débiteur doit et pourra devoir au créancier sont abusifs
lorsque confortés de quelques clauses bien tournées, ils engagent la caution au-delà du
prévisible en l’obligeant à garantir des dettes dont l’existence est liée au hasard ». L’auteur
poursuit en citant les clauses prévoyant la garantie des risques indirects, des dettes existant
déjà au jour du cautionnement et des dettes à venir de n’importe quelle nature.
est consenti, y compris les accessoires ou les frais mentionnés à l’article 2016 ».
Cette disposition avait été votée par l’Assemblée nationale, mais elle a été rejetée
par le Sénat606.
La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique s’est contentée, quant à
elle, de restreindre un peu plus la liberté dans la détermination du montant du
cautionnement607, sans toutefois instaurer une interdiction générale des
cautionnements indéfinis et notamment des plus dangereux, c'est-à-dire ceux portant
sur toutes les dettes du débiteur envers le créancier.
341. La validation jurisprudentielle des cautionnements omnibus. En
jurisprudence, la validité du cautionnement omnibus est reconnue, à condition que
son objet soit déterminable par une identification suffisante des parties608. Par
application de l’article 1326 du Code civil, ils doivent aussi être revêtus d’une
mention manuscrite exprimant, sous une forme quelconque, mais de façon explicite,
la connaissance par la caution de la nature et de l’étendue de l’obligation par elle
contractée609.
Non seulement les créanciers peuvent, sous ces conditions, valablement faire
souscrire un cautionnement illimité, mais ils peuvent également insérer dans ce
cautionnement une clause destinée à faciliter la liquidation de la dette principale et,
par conséquent, la détermination du montant dû par la caution. Ce type de clause610
est valable, puisqu’il ne s’agit que d’une convention sur la preuve de la dette.
Même si le cautionnement indéfini présente ainsi de multiples avantages, les
créanciers peuvent lui préférer un cautionnement défini assorti de clauses de non
concours.
2. Le cautionnement défini assorti de clauses de non concours
342. Interprétation de l’article 2013 du Code civil. Le caractère accessoire
du cautionnement n’exige aucunement que cet engagement épouse rigoureusement
les limites de l’obligation principale. L’étendue de celle-ci ne constitue qu’un
plafond (article 2013 du Code civil). Les parties sont donc libres, dans le cadre d’un
cautionnement conventionnel, de décider que la caution va s’engager dans une
moindre mesure que le débiteur.
343. La limitation du montant de l’obligation de la caution. La limitation
du montant de l’obligation de la caution peut être retenue, que le cautionnement
couvre une ou plusieurs dettes déterminées, ou qu’il couvre un ensemble de dettes
seulement déterminables. Cette dernière formule est la plus fréquente aujourd'hui, et
606 J.O. Sénat Séance, 12 juin 1998, p. 3190 607 Cf. infra n°411 608 Cass. com., 29 octobre 1992 : RTD com. 1993, 325, obs. CHAMPAUD ; Cass. com., 11
mai 1993 : JCP 1994, II, 22188, note DELEBECQUE ; Cass. com., 22 février 1994 : Bull.
civ. IV, n°68 609 Cass. 1ère civ., 3 mars 1970 : D. 1970, p. 403, note ETESSE ; Banque 1970, p. 602, obs.
MARIN 610 Exemple de clause inscrite dans les contrats types : « Les sommes dues seront
exclusivement déterminées par la comptabilité du créancier, et traduites par un extrait de
compte certifié sincère et véritable par le créancier, cet extrait étant expressément reconnu
comme valant titre. Le paiement doit intervenir ».
la plus protectrice de la caution, puisqu’elle lui évite le risque d’imprévisibilité du
montant qu’elle pourrait avoir à payer.
La limitation du montant peut revêtir différentes formes. La caution peut
garantir une fraction de la dette principale ou être tenue d’un « montant plafond »,
pouvant comprendre une évaluation des accessoires. L’acte peut prévoir que ces
accessoires s’ajoutent au montant fixé (« plus les frais et accessoires ») ou, au
contraire, qu’ils sont inclus dans ce montant (« y compris tous accessoires »). La
caution peut encore restreindre son engagement aux seuls intérêts de la dette
principale, à l’exclusion du capital.
344. Les attraits du cautionnement limité en montant. Toutes ces formes
de limitation du montant de l’obligation de la caution peuvent, a priori, paraître
désavantageuses pour les créanciers. En réalité, elles sont susceptibles de répondre à
certaines de leurs attentes subjectives et de favoriser, par là même, l’efficacité in
concreto du cautionnement conclu611.
D’une part, un créancier peut être sensible au fait que la détermination du
montant de l’engagement de la caution augmente les chances d’exécution volontaire
de celle-ci. Dès lors que la caution connaît le montant pour lequel elle peut être
poursuivie, elle est effectivement à même de prendre des précautions pour disposer
des fonds suffisants lors d’un éventuel appel de la garantie. Par ailleurs, la
détermination du montant peut éviter certaines contestations. L’Association
française des banques a ainsi conseillé aux établissements de crédit, dès 1982, de
limiter, sauf cas exceptionnels, le montant des cautionnements exigés des clients612.
D’autre part, bénéficier d’un cautionnement défini ne signifie pas
nécessairement, pour le créancier, renoncer à un paiement intégral de la dette
principale. La raison en est que le créancier peut faire souscrire plusieurs
cautionnements limités à différentes cautions613. Par ailleurs, il peut assortir le
cautionnement défini de clauses de non concours.
345. Les clauses de non concours. Un concours entre le créancier et la
caution est susceptible de se produire lorsque la caution n’a payé qu’une partie de la
dette principale, conformément aux stipulations du cautionnement défini, et qu’elle
exerce un recours contre le débiteur.
La caution dispose, tout d’abord, d’un recours avant paiement614. Le créancier
peut souhaiter que ce recours anticipé ne perturbe pas ses prévisions de règlement, ni
ses relations avec le débiteur principal. Il peut alors insérer, dans le contrat de
cautionnement, une clause prévoyant que l’action principale en paiement doit
611 Il ne faut pas s’étonner de voir apparaître la limitation du montant de l’obligation de la
caution au sein des facteurs d’efficacité, alors que l’absence de limitation a été préalablement
rangée dans cette même catégorie. En effet, dans le cadre de l’efficacité subjective, une chose
et son contraire sont susceptibles d’être protectrices des intérêts du créancier. 612 Recommandation du 21 avril 1982 (Banque 1982, p. 702) 613 Nous ne nous étendrons pas sur ce cumul de garanties, car la protection des intérêts du
créancier qui en résulte n’est pas un effet de la constitution ou de la réalisation de l’un des
cautionnements. Or, l’efficacité des garanties personnelles ne peut être appréciée qu’au regard
des effets qu’elles produisent elles-mêmes (cf. supra n°20). 614 Pour une présentation détaillée de ce recours et des raisons pour lesquelles il contribue à
rendre le cautionnement efficace, cf. infra n°418-423
l’emporter sur l’action préventive de la caution615. La jurisprudence reconnaissant
cette priorité à l’action du créancier616, elle pourrait valider la clause aux termes de
laquelle la caution renonce aux recours anticipés.
La caution dispose, ensuite, de recours en remboursement617. L’article 1252 du
Code civil reprenant le principe « nemo contra se subrogare censetur », en vertu
duquel un créancier n’est pas censé subroger un tiers solvens contre ses propres
intérêts, fait primer le subrogeant sur le subrogé qui n’a payé qu’une partie de la
dette, tant que le subrogeant n’est pas payé du solde. Cette règle a une portée
limitée. D’une part, l’article 1252 du Code civil joue uniquement dans le cadre du
recours subrogatoire de l’article 2029 du Code civil618. D’autre part, en l’absence de
privilèges ou de sûretés réelles profitant au créancier, aucune priorité n’est reconnue
à celui-ci. Un règlement par contribution doit donc être mis en œuvre619. Compte
tenu de ces restrictions à la règle de l’article 1252 du Code civil, le créancier qui a
pris la peine d’exiger un cautionnement peut être victime de sa propre garantie.
Afin d’échapper aux effets du concours, les créanciers peuvent inscrire dans le
contrat de cautionnement une clause qui subordonne dans tous les cas le
remboursement de la caution au désintéressement intégral du créancier620. Cette
clause ne supprime pas le recours après paiement. Elle ne fait que le différer621. En
615 Exemple de clause des contrats types, intéressant le recours avant paiement justifié par une
prorogation du terme du contrat principal : « La caution renonce à se prévaloir des
dispositions de l’article 2039 du Code civil, qui, sans décharger la caution de son engagement,
l’autorise à poursuivre le cautionné pour le forcer au paiement au cas de délais de paiement
accordés à celui-ci par le créancier, bénéficiaire de l’engagement. De ce fait, si le cautionné
obtient de pareils délais de la banque, la caution, qui reste tenue, ne pourra poursuivre le
cautionné avant l’expiration de ces délais ».
Sur la clause de renonciation par la caution à l’exercice du recours anticipé, cf. M.
CABRILLAC et Ch. MOULY, n°237 ; Ph. SIMLER, n°620 616 Cass. req., 11 juillet 1894 : DP 1896, 1, p. 113 ; S. 1899, 1, p. 353 617 Pour une présentation détaillée de ces recours et des raisons pour lesquelles ils contribuent
à rendre le cautionnement efficace, cf. infra n°427-433 618 Cass. req., 1er août 1860 : DP 1860, 1, p. 502 ; S. 1861, 1, p. 366 ; Cass. civ., 25 novembre
1891 : DP 1892, 1, 261 ; S. 1892, 1, 298 619 Cass. req., 13 février 1899 : DP 1899, 1, p. 246 ; S. 1902, 1, p. 277 ; CA Lyon, 2 mars
1942 : RTD civ. 1944, p. 38, obs. H. et L. MAZEAUD
En ce sens en doctrine, cf. J. FRANÇOIS, n°276 et 282 ; H., L. et J. MAZEAUD et F.
CHABAS, par Y. PICOD, n°51-3 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°145 et 149 ; Ph.
SIMLER, n°568 et 592 620 Exemple de clause de non concours figurant dans les contrats types : « La caution renonce
à se prévaloir de toute subrogation, de toutes actions personnelles ou autres qui auraient pour
résultat de faire venir la caution en concours avec la banque tant que cette dernière n’aura pas
été désintéressée de la totalité des sommes en principal, intérêts, commissions, frais et
accessoires qui lui seront dues. Il en sera ainsi que la caution soit libérée partiellement ou
totalement de ses obligations et alors même que le présent engagement serait d’un montant
inférieur aux sommes dues par le cautionné à la banque ».
Une clause similaire est préconisée par l’AFB (cf. brochure AFB, Le cautionnement et la
banque, octobre 1990, p. 45, clause VII). 621 En ce sens, cf. J.-J. FRAIMOUT, La caution exerçant ses recours, un intrus dans la
procédure collective du débiteur cautionné, Gaz. Pal. 15-16 septembre 2000, p. 17 ; Ph.
SIMLER, n°568
reconnaissant la validité de cette clause de non concours622, et en lui faisant produire
de larges effets623, la jurisprudence favorise la réalisation de l’attente subjective
concernant le paiement intégral, malgré le montant limité de l’engagement de la
caution.
346. Le droit positif permet la satisfaction des attentes subjectives ayant pour
objet, non seulement l’entier paiement de la dette principale, mais aussi le paiement
intégral de sa dette par la caution, grâce à la validation des clauses favorisant
l’exécution volontaire de celle-ci.
B/ LES CLAUSES
FAVORISANT L’EXECUTION VOLONTAIRE DE LA CAUTION
347. Tout créancier, qu’il envisage la conclusion d’un cautionnement défini
ou illimité, espère que la caution exécutera la totalité de son engagement en cas de
défaillance du débiteur principal. Les attentes subjectives relatives au paiement
intégral de sa dette par la caution ont trait aux moyens de favoriser ce paiement. Le
droit en vigueur permet la réalisation de ces attentes et favorise, par là même,
l’efficacité in concreto du cautionnement conclu, en validant les clauses qui
augmentent les chances d’exécution volontaire du garant. Certaines ont pour objet
de rendre plus sûre la solvabilité de la caution en cas d’appel de la garantie (1),
d’autres de priver la caution de moyens de défense (2).
1. Les clauses favorisant la solvabilité de la caution
348. La remise au garant d’un exemplaire du contrat de cautionnement.
Avant d’envisager les clauses pouvant être insérées dans un contrat de
cautionnement, il convient de remarquer qu’il existe une pratique susceptible de
favoriser la solvabilité de la caution à l’échéance. Il s’agit de la remise au garant
d’un exemplaire du contrat de cautionnement. Bien que cette remise ne soit pas
obligatoire, puisque le contrat unilatéral de garantie n’est pas soumis à la formalité
du double original de l’article 1325 du Code civil, le créancier a tout intérêt à s’y
plier volontairement. En effet, en diminuant le risque que la caution n’oublie le
contrat conclu et que ses héritiers n’ignorent l’existence même de cet engagement, la
remise d’un exemplaire de la garantie à la caution augmente les chances que celle-ci
ou ses héritiers prennent les précautions nécessaires pour disposer des fonds
suffisants en cas d’appel de la garantie. Cette remise a été conseillée par
l’Association française des banques, dans sa recommandation du 21 avril 1982624.
622 Cass. com., 19 décembre 1972 : Bull. civ. IV, n°338 ; Cass. 2e civ., 8 décembre 1982 :
Bull. civ. II, n°162 623 La clause repousse, tant l’action subrogatoire, que l’action personnelle. Elle empêche la
caution de produire pour le paiement effectué tant que le créancier n’est pas désintéressé. Elle
s’impose à l’organe de la procédure chargé de répartir les dividendes. Enfin, elle interdit à la
caution ayant partiellement payé de faire inscrire une hypothèque judiciaire provisoire,
attributive de rang sur un immeuble du débiteur garanti (Cass. 2e civ., 8 décembre 1982 :
préc.). 624 Recommandation de l’AFB du 21 avril 1982 « relative aux garanties personnelles
s’appliquant aux crédits aux PME » (Banque 1982, p. 703 ; Banque 1983, p. 15) : « Au
349. Les clauses relatives à l’assiette du droit de gage général du
créancier contre la caution : les « sûretés négatives ». S’agissant des clauses
proprement dites concernant l’assiette du droit de gage général du créancier contre la
caution, elles « traduisent juridiquement l’omnipotence économique du distributeur
de crédit »625, puisque, sans rien coûter à celui-ci, elle lui ménage, soit un « droit de
regard », soit un « droit de veto »626. Il existe ainsi deux types de « sûretés
négatives »627.
350. Le droit de regard du créancier sur le patrimoine de la caution. Tout
d’abord, certaines clauses permettent au créancier de surveiller l’évolution de la
situation patrimoniale du garant au cours de la vie du cautionnement. Ces clauses
instituent une « transparence conventionnelle » au stade de l’exécution du contrat628,
rendue d’autant plus nécessaire par la dématérialisation des fortunes, tant des
personnes morales que des personnes physiques. Le droit de regard conventionnel
permet au créancier de mesurer les risques qu’il court et de déclencher, en temps
opportun, les mesures de sauvegarde qui s’imposent, telles des sûretés
conservatoires.
La surveillance de l’évolution de l’assiette du droit de gage général contre la
caution peut revêtir différentes formes. Une clause peut prévoir une communication
périodique de la comptabilité de la caution, ou même donner au créancier un accès
direct aux documents comptables. Le contrat peut également mettre à la charge de la
caution une obligation de renseignement relative à l’état de son patrimoine et aux
opérations qu’elle entend accomplir pendant la durée du contrat garanti. Le non
respect de ces stipulations peut se traduire par la mise en jeu de la responsabilité
contractuelle de la caution.
Toutes ces clauses sont valables, sous réserve, néanmoins, de ne porter atteinte,
ni à la vie privée de la caution629, ni aux droits des tiers630. Le créancier doit
moment du contrat, l’acte sera établi en un exemplaire original qui sera conservé par la
banque et une copie qui sera obligatoirement remise à la caution ». 625 Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°320 626 Y. CHAPUT, Les sûretés négatives, Ann. Fac. de droit de Clermont-Ferrand, fasc. 11,
1976, p. 166 et s. 627 Sur les sûretés négatives, cf. M. de LANDER, Les sûretés négatives, th. Paris I, 1998 ; Y.
CHAPUT, Les clauses de garantie, in Les principales clauses des contrats conclus entre
professionnels, PUF Aix, 1990, p. 119 ; MEINERTZAGEN-LIMPENS, Les engagements de
ne pas faire en matière de crédit, in Les sûretés issues de la pratique, PU Bruxelles, 1983, vol.
3, p. 1 et s. ; M. VASSEUR, Les garanties indirectes du banquier, Rev. jurisp. com.,
n° spécial, février 1982, p. 104 et s. ; Me VERIGNON, Les garanties du crédit à l’entreprise :
évolution et perspectives, Rapport au 82e Congrès des Notaires, Nice 1986, p. 473 et s. ; M.
CABRILLAC et Ch. MOULY, n°576 et s. ; D. LEGEAIS, n°23 ; Ph. SIMLER et Ph.
DELEBECQUE, n°16 628 J. MESTRE, Transparence et droit des contrats, in La transparence, Rev. jurisp. com.
1993, n° spécial, p. 81 629 Y. GUYON, Le droit de regard du créancier sur le patrimoine et l’activité du débiteur
considéré comme sûreté, Rev. jurisp. com., n° spécial, février 1982, p. 121 et s., n°11 : « le
droit de regard doit se limiter au patrimoine du débiteur et ne pas déborder sur sa vie privée,
même si celle-ci intéresse au plus haut point le créancier car elle peut provoquer des
modifications non négligeables de la solvabilité ».
également veiller à ne pas exercer un droit de regard tel qu’il pourrait être qualifié
de dirigeant de fait de la société caution.
351. Les obligations de ne pas faire imposées à la caution. La seconde
catégorie de « sûretés négatives » regroupe les clauses destinées à protéger l’assiette
du droit de gage général, autrement dit à conserver à celui-ci son efficacité, en
imposant à la caution des obligations de ne pas faire. Elles peuvent affecter un bien
déterminé ou l’ensemble du patrimoine de la caution.
Dans le premier cas, la caution peut s’engager à ne pas louer ou vendre un
certain bien, ou encore à ne pas le grever d’une sûreté réelle. Ces engagements sont
valables, sauf, le cas échéant, vice de perpétuité. Par ailleurs, si une clause prévoit
une inaliénabilité, elle doit respecter les conditions de l’article 900-1 du Code civil,
c'est-à-dire être limitée dans le temps et être justifiée par un intérêt sérieux et
légitime. En outre, si le bien visé par la clause est un immeuble, l’opposabilité de
cette stipulation à un éventuel acquéreur est subordonnée au respect des règles de la
publicité foncière. Enfin, bien que valable, la clause visant un bien meuble risque
d’être privée d’efficacité par le jeu de l’article 2279 du Code civil. Certes, la caution
qui se dépossède d’un tel bien peut être condamnée à des dommages et intérêts, mais
le bien ne pouvant réintégrer son patrimoine, la clause ne permet finalement pas de
préserver la consistance de ce patrimoine.
L’engagement de ne pas faire peut également concerner l’ensemble des biens
de la caution, lorsque celle-ci s’oblige à ne pas contracter d’emprunt ou à ne pas
souscrire une autre garantie personnelle. La conclusion de tels contrats, en violation
de la « sûreté négative », ne peut être sanctionnée que par l’indemnisation du
créancier, le principe de l’effet relatif des conventions s’opposant à la remise en
cause des contrats passés avec des tiers de bonne foi. Par conséquent, les
engagements de ne pas faire ne sont efficaces, c'est-à-dire ne protègent l’assiette du
droit de gage général du créancier contre la caution, que s’ils sont respectés par
celle-ci.
352. Les « sûretés négatives », qu’elles permettent de surveiller ou de
préserver le patrimoine de la caution, augmentent donc les chances d’exécution de
celle-ci, même si elles ne suppriment pas complètement le risque d’insolvabilité. Le
paiement intégral peut encore être favorisé par les clauses privant la caution de
moyens de défense.
2. Les clauses privant la caution de moyens de défense
353. De nombreuses stipulations contractuelles sont susceptibles de réduire les
risques de contestation du cautionnement et, par conséquent, de libération partielle
ou totale de la caution. Certaines ont trait à l’information de la caution (a), d’autres à
son obligation de règlement (b), d’autres enfin à son obligation de couverture (c).
630 La question se pose en présence de clauses donnant accès au créancier à la comptabilité de
son débiteur, car les écritures comptables peuvent relater les relations de ce dernier avec des
tiers. Si ceux-ci subissent un préjudice du fait de cette communication, ils peuvent en
demander réparation par application du droit commun de la responsabilité délictuelle.
a. Les clauses relatives à l’information de la caution
Deux voies sont ouvertes aux créanciers pour éviter des contestations grâce à
l’information de la caution.
354. Les obligations conventionnelles d’information de la caution. La
première consiste, pour le futur bénéficiaire du cautionnement, à s’engager à fournir
à son garant des informations sur la situation du débiteur principal, que la loi ne
l’oblige pas à communiquer.
Loin de vider le cautionnement de sa substance, ce type de clause peut en
renforcer l’efficacité631. En effet, donnée spontanément et au bon moment,
l’information de la caution peut se révéler particulièrement protectrice des intérêts
du créancier. Tout d’abord, la caution avertie peut faire pression sur le débiteur pour
l’inciter à éteindre lui-même sa dette. Ensuite, la fourniture d’informations par le
créancier établit sa bonne foi, ce qui est de nature à dissuader la caution de contester
son engagement ou, à défaut, à conduire au rejet des prétentions de la caution par le
juge saisi. Enfin, la passivité d’une caution informée peut lui être reprochée, au point
de paralyser les contestations qu’elle a pu soulever632.
Si l’information de la caution présente d’indéniables avantages, en termes
d’efficacité, il convient de reconnaître qu’il est aujourd'hui difficile, pour les
créanciers, de s’engager à informer au-delà des exigences légales, tant celles-ci se
sont développées depuis une vingtaine d’années633. Cela explique que l’Association
française des banques ait pu recommander cette information volontaire au début des
années quatre-vingt634, c'est-à-dire à une époque où le législateur n’était pas encore
intervenu pour réglementer l’information des cautions au stade de l’exécution du
contrat, et qu’elle conseille plutôt depuis de faire peser sur la caution le poids du
renseignement.
355. Les clauses faisant peser sur la caution le poids du renseignement. Le
contrat de cautionnement peut prévoir que la caution a parfaite connaissance de la
situation du débiteur principal, ou qu’elle fait son affaire personnelle de l’étude de
son évolution, ou qu’elle n’en fait pas une condition déterminante de son
engagement635, ou encore qu’elle dispense le créancier de la fourniture de certaines
informations636.
631 En ce sens, cf. J.-M. CALENDINI, Le point de vue du banquier sur le cautionnement,
Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 2-92,
p. 3 et 4 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°277-2 632 Comme en atteste la jurisprudence rendue à l’encontre des cautions intégrées dans les
affaires du débiteur principal, la passivité de la caution informée peut notamment l’empêcher
d’engager la responsabilité du créancier pour octroi abusif ou rupture abusive de crédit (cf.
infra n°465). 633 Sur les obligations légales d’information comme causes d’inefficacité du cautionnement,
cf. infra n°513, 519, 525-527, 532, 548, 601, 608, 611, 613, 614, 620 634 Recommandations de 1981 et 1982, cf. Banque 1982, p. 703 635 Il s’agit de la formule préconisée par l’AFB (cf. formule annexée à la circulaire AFB 89-
225 A du 28 juillet 1989, in brochure Le cautionnement et la banque, t. 1, octobre 1990, art.
II, p. 43). 636 Exemple de clause insérée dans les contrats types : « La banque ne sera pas tenue
d’informer la caution des événements qui pourraient affecter la situation financière ou
Qu’elles soient de constatation ou de renonciation, ces clauses peuvent
paralyser deux moyens de défense : l’annulation du cautionnement pour réticence
dolosive du créancier, et la responsabilité contractuelle du créancier pour
manquement à une obligation d’information.
La jurisprudence reconnaît la validité de ces clauses637, dès lors, toutefois, que
la caution ne renonce pas à une information légale638 et que le créancier ne l’insère
pas en ayant déjà connaissance des difficultés financières du débiteur principal639.
Sous ces réserves, les clauses dispensant le créancier d’informer la caution sont bien
susceptibles de priver celle-ci de moyens de libération. En les validant, les juges
favorisent l’efficacité du contrat conclu.
Il en va de même au sujet des clauses relatives à l’obligation de règlement de la
caution.
b. Les clauses relatives à l’obligation de règlement de la caution
356. L’obligation de règlement, commune au cautionnement de dettes
présentes et au cautionnement de dettes futures, a pour objet le paiement que la
caution effectuera si nécessaire. Des clauses peuvent être stipulées, dans le contrat
de cautionnement, d’une part, pour éviter le retard dans l’exécution de cette
obligation de règlement, d’autre part, pour en éviter l’extinction.
357. Les clauses excluant le bénéfice de discussion. Le règlement de la
caution est nécessairement retardé et, par conséquent, le coût de la protection des
intérêts du créancier se trouve automatiquement augmenté, lorsque la caution exerce
le bénéfice de discussion que lui accorde l’article 2021 du Code civil640. « Les
exceptions sont nombreuses et variées, au point que les applications du bénéfice
sont devenues rarissimes en pratique »641. Certaines exclusions du bénéfice de
discussion ne dépendent pas d’une manifestation de volonté des parties et n’ont donc
pas à être ici développées642. D’autres, en revanche, résultent de clauses introduites
dans le cautionnement.
juridique du cautionné ou d’une autre caution, tels que le décès d’une personne physique ou la
dissolution d’une personne morale. Elle ne sera pas davantage tenue d’informer la caution de
toute décision d’une autre caution de mettre fin à son engagement ». 637 Cass. com., 10 mai 1988 : Bull. civ. IV, n°152 638 Cass. com., 14 décembre 1993 : Bull. civ. IV, n°467 : « les parties à un contrat de
cautionnement ne peuvent déroger aux dispositions d’ordre public de l’article 48 de la loi du
1er mars 1984 ». Pour une critique de cette solution, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY,
n°277-3
Un auteur (A. CERLES, obs. sous CA Paris, 25 avril 2003, RD bancaire et financier 2003,
n°188) a remarqué que « les tribunaux ne paraissent condamner que la renonciation par la
caution au bénéfice des dispositions de l’article 48, intégrée dans l’acte de cautionnement lui-
même ». Les créanciers pourraient donc demander à leur caution une dispense d’information,
après la signature de la garantie. Il serait néanmoins prudent de ne procéder à cette demande
qu’après la délivrance d’une première information conforme à la réglementation. 639 Cass. 1ère civ., 13 mai 2003 : Bull. civ. I, n°114 ; Cass. com., 25 février 2004 : RJDA 4/05,
n°455 640 Sur les conditions d’exercice du bénéfice de discussion, cf. infra n°438 641 Ph. SIMLER, n°505 642 Il s’agit des exclusions prévues par les articles 2042 (à l’égard des cautions judiciaires) et
2043 du Code civil (à l’égard du certificateur d’une caution judiciaire).
L’article 2021 du Code civil prévoit que les parties peuvent écarter le bénéfice
de discussion, soit par une clause de solidarité, soit par une clause de renonciation à
ce seul bénéfice643. De nombreux actes additionnent ces deux clauses644. Si cette
redondance est juridiquement inutile, elle présente néanmoins une vertu didactique
pour les cautions ignorantes du concept de solidarité645.
Si ces clauses évitent le retard dans l’exécution de l’obligation de règlement,
d’autres empêchent plus radicalement l’extinction de celle-ci par voie accessoire646.
358. La clause dérogeant au bénéfice de l’article 2038 du Code civil. En
premier lieu, la caution est libérée en cas de dation en paiement intervenant entre le
créancier et le débiteur. Alors que le paiement proprement dit ne décharge la caution
que s’il est valable et libératoire pour le débiteur, l’article 2038 du Code civil précise
que la dation en paiement a pour effet d’éteindre le cautionnement, même si elle
s’avère inefficace pour le créancier en raison de l’éviction qu’il subit. La doctrine
s’accorde pour retenir que l’article 2038 constitue une faveur spécialement instituée
au profit de la caution647. En conséquence, si les créanciers ne peuvent l’écarter par
des réserves unilatérales, rien ne s’oppose, en l’état du droit positif, à la validité
d’une renonciation par la caution648. Le bénéfice de l’article 2038 ne semble pas
impératif. En l’absence de disposition légale contraire, une clause du contrat de
cautionnement pourrait donc priver la caution de cette cause d’extinction accessoire
de son obligation de règlement.
359. L’accession de la caution à la novation de l’obligation principale. En
deuxième lieu, comme le prévoit l’article 1281 alinéa 2 du Code civil, la caution est
643 Lorsque le cautionnement porte sur une dette d’un entrepreneur individuel, l’article 47-II
de la loi du 11 février 1994 dispose que la renonciation n’est valable que si le cautionnement
est limité à un montant global. La même règle a été étendue à tous les cautionnements sous
seing privé souscrits par une personne physique au bénéfice d’un créancier professionnel, par
la loi du 1er août 2003 (article L. 341-5 du Code de la consommation). 644 Exemple de clause usuelle dans les contrats types : « Le cautionnement est solidaire, c'est-
à-dire qu’il entraîne pour la caution une renonciation aux bénéfices de discussion et de
division. En renonçant au bénéfice de discussion, la caution accepte de payer la banque sans
pouvoir exiger de celle-ci qu’elle poursuive préalablement le cautionné ». 645 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°506 646 L’une des principales causes d’extinction du cautionnement par voie principale, le
bénéfice de subrogation, n’est plus susceptible de donner lieu à des renonciations de la part
des cautions depuis que l’article 49 de la loi du 1er mars 1984 a prévu que « toute clause
contraire est réputée non écrite » (article 2037 alinéa 2 du Code civil). Sur les renonciations
au bénéfice de cession d’actions avant cette loi, cf. P. ANCEL, Le cautionnement des dettes
de l’entreprise, Dalloz, 1989, n°496 à 498 ; Ph. SIMLER, La renonciation par la caution au
bénéfice de l’art. 2037, JCP 1975, I, 2711 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°267 ; Ph.
SIMLER, n°814 à 816
Pour une critique, en termes d’efficacité, de cette prohibition, cf. infra n°612 647 En ce sens, cf. D. HIEZ, La nature juridique de la dation en paiement. Une modification
de l’obligation aux fins de paiement, RTD civ. 2004, p. 199 et s., n°51, 54 ; M. CABRILLAC
et Ch. MOULY, n°197 ; J. FRANÇOIS, n°311 ; Ph. SIMLER, n°678. Contra, cf. C.
LACHIEZE, th. préc., n°315 : « cette conception est purement descriptive, elle n’explique pas
le fondement du régime de la dation ». 648 En ce sens, cf. D. HIEZ, ibid., n°51 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°197 ; D.
LEGEAIS, n°178 ; Ph. SIMLER, n°685
libérée par la novation à l’égard du débiteur principal. Cependant, le troisième alinéa
de ce même article réserve la possibilité de l’accession de la caution. Le maintien du
cautionnement est donc permis, à condition que la caution donne son accord à la
substitution de l’obligation nouvelle à la dette préexistante. Les parties au contrat
novatoire peuvent demander cet engagement nouveau à la caution au moment de
l’opération de novation. Mais il est également possible que la caution donne son
accord par anticipation, dans une clause du contrat de cautionnement649. Une
nouvelle cause d’extinction accessoire de l’obligation de règlement de la caution se
trouve, par là même, évincée contractuellement.
360. La clause mettant à la charge de la caution la déclaration de la
créance du bénéficiaire. En troisième et dernier lieu, la jurisprudence décide que la
caution est libérée en cas de forclusion du créancier pour défaut de déclaration de sa
créance à la procédure collective du débiteur principal650. Si la renonciation a priori
de la caution à cette exception de forclusion risque fort d’être invalidée par les juges,
qui y verraient une atteinte manifeste à la règle de l’accessoire, les effets néfastes de
la libération de la caution pourraient être atténués si la jurisprudence admettait la
clause mettant à la charge de la caution l’obligation de résultat d’effectuer, pour le
compte du créancier, la déclaration de la créance garantie651. En l’absence de
déclaration, la caution serait certes déchargée, mais le créancier pourrait recevoir ce
qu’elle aurait dû payer, à titre indemnitaire.
361. Si les clauses relatives à l’extinction de l’obligation de règlement de la
caution n’ont pas encore été soumises au contrôle de la Cour de cassation, tel n’est
pas le cas de celles concernant l’obligation de couverture, dont la validité a déjà été
nettement reconnue.
c. Les clauses relatives à l’obligation de couverture de la caution
362. Un cautionnement de dettes futures peut exclure des causes d’extinction
de l’obligation de couverture ou au moins limiter les conséquences néfastes d’une
telle extinction652. Certaines clauses ou pratiques ne font qu’exprimer des solutions
que la jurisprudence consacre dans le silence des parties. D’autres, en revanche,
dérogent à des dispositions légales supplétives ou à des solutions jurisprudentielles.
363. Les clauses relatives aux changements affectant les rapports entre la
caution et le débiteur principal. Le contrat de cautionnement peut comporter une
clause aux termes de laquelle la modification ou la disparition des liens ou des
rapports de fait ou de droit susceptibles d’exister entre la caution et le débiteur
649 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°698 650 Sur cette jurisprudence comme cause d’inefficacité du cautionnement, cf. infra n°591, 592 651 La doctrine est partagée sur la validité d’une telle clause. En faveur de sa validité, cf. F.
DERRIDA, D. 1982, p. 72. Contra, cf. M. BEHAR-TOUCHAIS, Le banquier et la caution
face à la défaillance du débiteur, RTD civ. 1993, p. 737 et s., n°25 ; Ph. DELEBECQUE,
Rev. proc. coll. 1991, p. 346 652 Si l’obligation de couverture n’est pas spécifique au cautionnement de dettes futures (cf.
supra n°262, 264), dès qu’il s’agit d’étudier l’extinction de cette obligation, c’est dans ce
cautionnement qu’il est le plus intéressant de se situer, car l’extinction peut ici conduire à la
libération partielle, voire totale, de la caution.
principal n’emportera pas, à elle seule, la décharge de la caution. Une telle
stipulation est parfaitement valable, puisque, dans le silence du contrat, c’est la
solution qu’adoptent les juges, notamment en cas de cessation de ses fonctions par le
dirigeant caution ou de séparation entre le débiteur principal et son conjoint, qui
s’est porté garant653.
364. Les clauses relatives aux modifications affectant la société créancière
ou la société débitrice. Le contrat de cautionnement reprend également une solution
jurisprudentielle, retenue dans le silence des parties, lorsqu’il prévoit le maintien de
l’obligation de couverture de la caution en présence d’événements qui affectent la
société créancière ou la société débitrice, sans emporter leur disparition. Il peut
s’agir de modifications statutaires portant sur la dénomination sociale, sur
l’implantation du siège social, sur le montant ou la composition du capital social ou
encore sur l’objet ou la forme de la société. Toutes ces modifications n’entraînent
aucun effet novatoire. Elles ne créent pas une personne morale nouvelle. La
jurisprudence refuse, en principe, d’y voir un terme extinctif implicite de
l’obligation de couverture de la caution654, et les parties sont libres d’adopter cette
même solution655.
365. Les clauses relatives à la disparition du créancier ou du débiteur
principal. Lorsque le créancier ou le débiteur disparaissent, par décès pour les
personnes physiques, par fusion, absorption ou scission pour les personnes morales,
les juges décident, au contraire, que la garantie subsiste pour les dettes nées avant
ces événements, mais qu’elle est en revanche éteinte pour l’avenir656. Toutefois,
l’extinction de l’obligation de couverture n’est pas impérative, puisque la
jurisprudence admet que la caution puisse manifester la volonté de rester tenue. La
survie de l’obligation de couverture peut donc résulter, soit d’une clause du contrat
de cautionnement prévoyant l’indifférence à l’égard de la caution d’événements
emportant la disparition du créancier ou du débiteur, soit d’une manifestation
expresse de volonté de la caution lorsqu’un tel événement se produit.
366. Les clauses relatives au décès de la caution. Depuis 1982, la
jurisprudence décide que le décès de la caution constitue un terme extinctif implicite
de son obligation de couverture657. Bien que la Cour de cassation fasse reposer cette
solution sur l’analyse des volontés, elle lui confère, depuis 1987, un caractère
impératif, en considérant que toute clause qui aurait pour résultat de mettre à la
charge des héritiers une obligation de règlement née après le décès constituerait un
pacte sur succession future, prohibé par l’article 1130 du Code civil658.
653 Sur cette jurisprudence, cf. infra n°453, 454 654 Cf. infra n°452 655 Il convient de souligner que la caution en position de force par rapport au créancier
pourrait faire insérer dans l’acte de cautionnement une disposition prévoyant sa libération, ou
l’obligation pour le créancier de solliciter une réitération du cautionnement en cas de
changement important dans le fonctionnement des sociétés partenaires. 656 Sur cette jurisprudence, cf. infra n°572 657 Sur cette jurisprudence, cf. infra n°570 658 Cass. com., 13 janvier 1987 : Bull. civ. IV, n°9
Si une clause faisant survivre l’obligation de couverture au décès de la caution
ne peut donc permettre au créancier d’obtenir un paiement intégral par les héritiers
de la caution, une parade à la jurisprudence de 1982 est néanmoins proposée par
certains auteurs659. Il s’agit de requérir de la caution qu’elle se porte fort que ses
héritiers cautionneront les dettes nées après son décès. Grâce à une telle stipulation,
le créancier n’aura pas à souffrir de l’extinction de l’obligation de couverture car,
soit les héritiers vont ratifier la promesse faite par le de cujus et vont donc être
engagés en tant que cautions pour les dettes postérieures au décès (sous réserve de la
faculté de résiliation), soit leur refus de ratifier va les obliger à indemniser le
créancier à hauteur des dettes impayées (sauf s’ils renoncent à la succession ou ne
l’acceptent que sous bénéfice d’inventaire). La jurisprudence n’a pas encore eu
l’occasion de se prononcer sur l’utilisation de la promesse de porte fort dans de
telles circonstances660.
367. Les clauses relatives à la reconduction du contrat principal. La
position de la Cour de cassation est bien connue, en revanche, au sujet d’un autre
événement mettant fin à l’obligation de couverture, à savoir la reconduction du
contrat principal. A la différence de la prorogation, « la reconduction donne
naissance à un nouvel accord substitué à son terme à la convention initiale »661. Ces
deux causes de poursuite de la relation contractuelle sont à ce point distinctes qu’en
cas de reconduction du contrat principal, la Cour de cassation ne fait pas jouer la
clause stipulant que « la caution accepte sans réserve toutes prorogations ou délais
qui pourraient éventuellement être accordés à l’emprunteur, lesquels ne
constitueraient novation en aucun cas »662. La reconduction, qui peut être expresse
ou tacite, donne donc naissance à un nouveau contrat.
En matière de bail, c’est le législateur lui-même qui prévoit que la reconduction
emporte extinction de l’obligation de couverture. L’article 1740 du Code civil
dispose, en effet, que la caution ne garantit pas le loyer du bail reconduit ou
renouvelé, qui est considéré comme un nouveau bail. Mais cette règle n’a qu’un
caractère supplétif. En conséquence, le cautionnement peut mettre à la charge de la
caution toutes les dettes nées du bail, même celles nées postérieurement à une
éventuelle reconduction663.
En matière d’ouverture de crédit et de compte courant à durée déterminée, c’est
la jurisprudence qui, dans le silence des parties, décide que la reconduction met fin à
659 En ce sens, cf. A. JONVILLE, Pratique de la promesse de porte fort, Droit et Patrimoine
1998, n° 57, p. 30 ; Ph. SIMLER, n°791 660 Si cette pratique ne peut constituer une fraude à la loi, elle pourrait en revanche être perçue
comme une fraude à la jurisprudence de la Cour de cassation. Cela pourrait conduire cette
dernière à l’invalider, sur le fondement discutable de l’article 1130 du Code civil. 661 M.-E. ANDRE, Le sort des cautions en cas de poursuite de la relation cautionnée,
Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 265 et s., n°4
Jurisprudence en ce sens : Cass. 1ère civ., 17 juillet 1980 : Bull. civ. I, n°220 ; Cass. 3ème civ.,
8 février 1984 : Bull. civ. III, n°33 ; Cass. com., 13 mars 1990 : Bull. civ. IV, n°77 662 Cass. com., 11 février 1997 : Bull. civ. IV, n°46 ; Cass. com., 6 février 2001 : RJDA
6/2001, n°725 ; RD bancaire et financier 2001, n°109, obs. LEGEAIS ; JCP 2001, I, 370,
n°24, obs. CONSTANTIN 663 CA Paris, 4 décembre 1981 : Gaz. Pal. 1982, 1, Somm. p. 81 ; Cass. 1ère civ., 1er octobre
1986 : Gaz. Pal. 1986, 2, pan. jur., p. 246
l’obligation de couverture664. La caution reste uniquement tenue d’une obligation de
règlement portant sur le solde débiteur lors de l’extinction de l’obligation de
couverture, duquel doivent être déduites les remises postérieures665. Là encore, une
telle solution ne vaut qu’à défaut de clause contraire666. Ainsi, quelle que soit la
nature du contrat principal, le cautionnement peut prévoir que sa reconduction ne
libérera pas la caution pour l’avenir.
368. Les clauses relatives au solde provisoire du compte courant
cautionné. La dernière hypothèse d’extinction de l’obligation de couverture
concerne le cautionnement de compte courant. Que l’obligation de couverture
prenne fin par résiliation, par survenance du terme extinctif expressément convenu
ou par l’un des événements que la jurisprudence qualifie de terme extinctif implicite
(le décès de la caution, la disparition du créancier ou du débiteur principal, la
reconduction du contrat principal), la Cour de cassation décide, depuis 1972667, que
toutes les remises en compte (remise d’un chèque ou d’un effet de commerce à
l’encaissement, virement créditeur, dépôt d’espèces) postérieures au jour de
l’extinction de l’obligation de couverture, constituent des paiements de la dette du
solde provisoire débiteur.
Comme la caution ne garantit aucune avance nouvelle consentie au débiteur, il
suffit donc que le solde du compte devienne créditeur, même pour une courte
période, pour que la caution soit entièrement libérée. Afin d’empêcher cette cause
essentielle d’inefficacité du cautionnement668, les créanciers « ont cherché à
cristalliser le solde provisoire, en évitant que les remises ultérieures viennent le
diminuer »669.
La jurisprudence a condamné certaines parades, comme étant frauduleuses. Des
accords passés entre le créancier et le débiteur ont été ainsi invalidés670 : l’ouverture
d’un second compte courant destiné à enregistrer les opérations nouvelles dès que
l’extinction du cautionnement est intervenue671 ; l’affectation de certaines remises
664 Cass. com., 11 février 1997 : préc. ; Cass. com., 1er avril 2003 : RD bancaire et financier
2003, n°137, obs. LEGEAIS 665 Cass. 1ère civ., 28 octobre 1997 : Bull. civ. I, n°296 666 Cass. com., 11 juin 2003 : RJDA 7/2004, n°900 667 Cass. com., 22 novembre 1972 : Bull. civ. IV, n°298
Sur la jurisprudence Bard et sur le système du double plafond qui était précédemment retenu
par les juges, cf. P. ANCEL, Le cautionnement des dettes de l’entreprise, Dalloz, 1989, n°293
à 296 ; M. CABRILLAC, Obligation de couverture, obligation de règlement et
cautionnement du solde du compte courant, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 293 et s. ;
M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°193 ; J. FRANÇOIS, n°346 ; D. LEGEAIS, n°209 ; Ph.
MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°277 ; Ph. SIMLER et Ph.
DELEBECQUE, n°187 ; Ph. SIMLER, n°664 et 781 ; Ph. THERY, n°83 668 Pour de plus amples développements sur cette cause d’inefficacité, cf. infra n°573 669 Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°277 670 Dans la mesure où les accords liant le créancier au débiteur sont étrangers au contrat de
cautionnement, et où l’efficacité des garanties personnelles ne doit être appréciée qu’au regard
des effets qu’elles produisent elles-mêmes, ces accords ne peuvent être qualifiés de facteurs
d’efficacité. 671 Cass. com., 3 avril 1978 : Bull. civ. IV, n°106. Pour une critique de cette jurisprudence, en
raison du caractère supplétif des règles d’imputation, cf. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,
portées au crédit du compte courant à l’extinction d’avances déterminées inscrites au
débit de ce compte672. A également été condamnée, comme directement contraire à
l’article 2013 du Code civil, la clause inscrite dans le cautionnement aux termes de
laquelle « le solde provisoire est exigible sans que la demande de son paiement
emporte clôture du compte »673. Toute possibilité de protection des intérêts du
créancier n’est pourtant pas exclue, puisque deux clauses peuvent être valablement
insérées dans le cautionnement.
Il s’agit, d’une part, de la clause stipulant que « les remises créditrices
postérieures à l’extinction du cautionnement s’imputent d’un commun accord par
priorité sur les remises débitrices postérieures à cette extinction ». L’accord de la
caution écarte ici l’argument de la fraude674.
Il s’agit, d’autre part, de la clause prévoyant que la caution doit payer le solde
débiteur au jour de l’extinction de son obligation de couverture, sans que les remises
postérieures ne puissent en diminuer le montant. Tout se passe alors comme si le
compte était, à l’égard de la caution, clôturé définitivement au jour de l’extinction de
son obligation de couverture, sous réserve d’une diminution de la dette, s’il s’avère
que le solde définitif, au moment de la clôture, est inférieur au solde provisoire.
Cette clause, qui reprend le système du double plafond appliqué en jurisprudence
avant 1972, est validée par la Cour de cassation. La Haute juridiction refuse d’y voir
une atteinte au principe d’interdiction des engagements perpétuels675.
369. Conclusion de la Section 1. Les créanciers ont donc de multiples
moyens à leur disposition, soit pour empêcher qu’un événement n’emporte
extinction de l’obligation de couverture de la caution, soit pour réduire les effets
néfastes d’une telle extinction. Plus généralement, grâce à la liberté contractuelle
que leur reconnaît le droit positif, les créanciers peuvent voir leurs attentes relatives
à un paiement ponctuel et intégral satisfaites. La souplesse du droit positif quant à la
durée et au montant de l’engagement de la caution favorise indéniablement la
réalisation des attentes subjectives des créanciers nées lors de l’octroi de crédit.
Si l’efficacité in concreto du cautionnement est bien réelle, les causes
d’inefficacité ne le sont pas moins676. Les créanciers peuvent ainsi souhaiter être
couverts par une autre garantie personnelle qu’un cautionnement. Le droit positif
autorise la conclusion de garanties personnelles non spécialement réglementées et
favorise, par là même, l’efficacité subjective des garanties personnelles innomées.
n°187 ;
Ph. SIMLER, n°667 672 Cass. com., 6 juillet 1983 : Bull. civ. IV, n°204 673 CA Paris, 18 mars 1994 : D. 1994, IR, 112 ; JCP 1994, I, 3807, n°12, obs. SIMLER et
DELEBECQUE
Mais, deux arrêts de la Cour de cassation ont semblé consacrer, de manière incidente, la
validité de cette clause : Cass. com., 25 novembre 1974 : Bull. civ. IV, n°298 ; Cass. com., 24
février 1975 : Bull. civ. IV, n°55 674 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°195 ; D. LEGEAIS, n°213 675 Cass. com., 12 février 1991 : Bull. civ. IV, n°62 ; Cass. com., 9 juin 1992 : Bull. civ. IV,
n°227 ; Cass. com., 10 décembre 2002 : Bull. civ. IV, n°190 ; Cass. com., 18 février 2003 :
RJDA 10/2003, n°1013 676 Cf. infra Titre 2
SECTION 2 : L’EFFICACITÉ SUBJECTIVE
DES GARANTIES PERSONNELLES INNOMÉES
370. Le libre choix de la garantie personnelle à constituer. Pour que le
droit des garanties personnelles favorise l’efficacité in concreto de ces mécanismes,
il doit non seulement permettre l’adéquation entre les attentes nées de l’octroi de
crédit et celles résultant de la garantie personnelle effectivement conclue, mais il
doit aussi faciliter la réalisation de ces attentes. Rapporté à la question du choix de la
garantie personnelle à constituer, cela signifie que le législateur ne doit pas imposer
la conclusion d’une garantie personnelle particulière, et que les juges doivent valider
le choix du créancier en faveur d’une garantie personnelle innomée.
Aujourd'hui, aucun texte ne limite le nombre des garanties personnelles ou
n’impose un impératif de parcimonie. La liberté contractuelle préside au choix de la
garantie personnelle à constituer et permet, ce faisant, l’adéquation entre les deux
niveaux d’attentes subjectives des créanciers. La jurisprudence, quant à elle, autorise
ces derniers à conclure des garanties personnelles, qui diffèrent du cautionnement de
par leur indépendance vis-à-vis de la dette principale, et qui présentent, en outre, des
attraits propres. Le droit positif favorise ainsi l’adéquation entre les attentes
subjectives du créancier et les effets produits par la garantie personnelle constituée,
en reconnaissant la liberté de déroger au caractère accessoire renforcé du
cautionnement (§1), ainsi que les caractéristiques distinctives des garanties
personnelles innomées (§2).
§1 : LA LIBERTE DE DEROGER AU CARACTERE ACCESSOIRE
RENFORCE DU CAUTIONNEMENT
371. Dans la mesure où la jurisprudence valide les garanties personnelles
indépendantes (A), et où les limites apportées à ce principe de validité sont peu
contraignantes pour les bénéficiaires (B), il apparaît que le droit positif satisfait les
attentes subjectives des créanciers concernant le choix de la garantie personnelle à
constituer.
A/ LE PRINCIPE DE VALIDITE
DES GARANTIES PERSONNELLES INDEPENDANTES
372. La validation jurisprudentielle des deux catégories de garanties
personnelles indépendantes. Depuis une vingtaine d’années, la jurisprudence
valide les garanties personnelles innomées dans lesquelles l’obligation de règlement
du garant n’a pas pour objet la dette même du débiteur principal. Les deux
catégories de garanties personnelles indépendantes ont été reconnues par les
juges677.
Dans la catégorie des garanties personnelles indépendantes par détachement
originaire de l’obligation du garant de celle du débiteur principal, la Cour de
cassation a consacré la validité de la garantie autonome, d’abord dans un contexte
677 Sur la notion d’indépendance et les catégories de garanties personnelles indépendantes, cf.
supra n°304, 305
international678, puis dans des rapports internes679, même lorsque le garant est un
simple particulier680. Elle a aussi validé le constitut681.
Dans la catégorie des garanties personnelles indépendantes par différence de
nature entre l’obligation de règlement du garant et celle du débiteur principal, ont été
validées la lettre d'intention comportant une obligation de faire ou de ne pas faire à
la charge de l’émetteur682, ainsi que la promesse de porte fort dans laquelle le « fait »
promis est l’exécution de l’engagement du débiteur683.
373. Le fondement de la validation. Le fondement de l’indépendance est
l’autonomie de la volonté684, comme en atteste le visa de l’article 1134 du Code civil
678 Cass. com. 20 décembre 1982 : Bull. civ. IV, n°417
L’autonomie du crédit documentaire confirmé, qui est aujourd’hui considéré comme une
forme de garantie autonome (en ce sens, cf. H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y.
PICOD, n°53-23 ; Ph. SIMLER, n°44), avait déjà été admise par Cass. com., 14 octobre
1981 : Bull. civ. IV, n°357 679 Cass. com., 2 février 1988 : Bull. civ. IV, n°55 ; Cass. com., 3 novembre 1992: Bull. civ.
IV, n°335 680 Com., 20 février 1985 : Bull. civ. IV, n°74 ; CA Paris, 1er octobre 1986 : D. 1986, Somm.,
p. 171, obs. VASSEUR ; Cass. com., 29 avril 1986 : Bull. civ. IV, n°73 ; CA Paris, 14 février
1991 et CA Besançon, 11 avril 1991 : JCP 1991, éd. N, p. 347 ; CA Paris, 5 février 1992 :
RJDA 4/1992, n°388 ; CA Paris, 12 février 1993 : D. 1993, IR, 121 ; RTD com. 1993, p. 555,
obs. CABRILLAC et TEYSSIE ; CA Paris, 5 avril 1994 : JCP 1994, IV, 2452 et éd. E, II,
603, note PIEDELIEVRE ; D. 1994, IR, p. 136 681 Cass. com., 7 octobre 1997 : Bull. civ. IV, n°242. Cet arrêt est présenté comme ayant
consacré le constitut, car la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel (« la Cour d’appel
a pu ») d’avoir retenu des « engagements de payer la dette d’autrui ». Des arrêts très anciens
allaient déjà dans ce sens (Cass. civ., 17 janvier 1849 : DP 1849, 1, 49 ; S. 1849, 1, 228). 682 Cass. com., 21 décembre 1987 : Bull. civ. IV, n°281 683 CA Versailles, 7 avril 1987 : Gaz Pal 1987, 2, Somm., p. 479 ; Cass. com., 22 juillet
1986 : RTD civ. 1987, p. 307, obs. Mestre ; CA Paris, 21 avril 1992 : JCP 1992, éd. E., pan.
1154 ; JCP 1993, I, 3680, n°9, obs. SIMLER 684 Sur la volonté d’autonomie des garanties à première demande, cf. A. PRÜM, Les garanties
à première demande, Litec, 1994, préf. B. TEYSSIE, n°28 à 318
L’autonomie de la volonté justifie également le libre choix du garant. « La liberté
contractuelle constituant l’un des piliers de notre système juridique, on n’aperçoit pas
l’argument qui permettrait d’affirmer que, par principe, tel contrat serait interdit à telle
catégorie de personnes. Seul le législateur pourrait, s’il le jugeait nécessaire, arrêter une
telle mesure » (Ph. SIMLER, n°920. Dans le même, cf. P. ANCEL, Nouvelles sûretés pour
créanciers échaudés, JCP 1989, éd. E, suppl. Cahier droit des entreprises, n°5, p. 9 ; Ch.
BASTARD de CRISNAY, Brèves remarques sur l’application du cautionnement et de la
garantie à première demande en matière de promesse unilatérale de vente, Defrénois 1992,
article 35389, p. 1393 et s., n°8 ; E. RAWACH, La licéité des garanties à première demande
à la lumière du droit de la consommation, RD bancaire et financier 2000, n° 1, p. 57 et s.,
n°2 ; Ph. SIMLER, A propos des garanties autonomes en droit interne souscrites par des
personnes physiques, JCP 1991, éd. E, I, 90, n°4 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L.
AYNES et P. CROCQ, n°338). Il n’en reste pas moins que des auteurs avancent certains
arguments en vue d’interdire la signature d’une garantie autonome par un particulier : rigueur
de la garantie autonome ; risque d’abus du créancier ; moindres possibilités de recours du
garant contre le donneur d'ordre en raison de l’inexistence de la subrogation légale ;
souscription habituelle des garanties autonomes par des banques (cf. Ch. MOULY, Pour la
dans la quasi totalité des arrêts rendus par la Cour de cassation en matière de
garantie autonome685. En interprétant l’indépendance comme une expression de la
liberté contractuelle, la jurisprudence reconnaît implicitement que le caractère
accessoire renforcé est « un élément essentiel du cautionnement, mais (qu’) il ne
répond à aucune norme de portée générale »686. Le caractère accessoire renforcé ne
peut pas, en effet, être un principe d’ordre public, car il dépend de la détermination
de l’objet de l’obligation de règlement du garant, détermination qui est elle-même
affaire de convention. Les parties étant libres de fixer l’objet de leurs obligations,
rien ne les oblige donc à opter en faveur d’une « Schuld d’emprunt »687.
374. Le but de la validation. Au-delà de ce motif juridique de validation des
garanties personnelles indépendantes, l’objectif que poursuivent les juges lorsqu’ils
reconnaissent la liberté de déroger au caractère accessoire renforcé du
cautionnement est la satisfaction des attentes des créanciers, et donc des impératifs
du crédit688.
La subordination de l’obligation de la caution à celle du débiteur principal,
découlant de l’unicité de dettes, est un facteur d’inefficacité objective, puisqu’elle
permet à la caution d’opposer au créancier des moyens de défense, tirés du contrat
principal, qui éludent, réduisent, modifient, retardent ou encore rendent plus
onéreuse la protection des intérêts financiers du bénéficiaire. A l’inverse,
l’indépendance de la garantie personnelle est un facteur d’efficacité objective en ce
qu’elle réduit les risques de contestation de l’exécution du garant. En validant les
garanties personnelles indépendantes, la jurisprudence répond, non seulement à
l’attente objective des créanciers, mais elle réalise également leurs attentes
liberté des garanties personnelles, Banque 1987, p. 1166 ; E. RAWACH, ibid., n°6 ; J.
TERRAY, Le cautionnement : une institution en danger, JCP 1987, I, 3295). 685 Si l’article 1134 du Code civil n’est pas autant visé dans les autres garanties personnelles
indépendantes, ce n’est pas parce que l’autonomie de la volonté y est moins présente, mais
simplement parce que la Haute juridiction peut se fonder sur des textes plus précis, tels que
l’article 1120 du Code civil pour la promesse de porte fort, l’article 1121 du Code civil pour
la stipulation pour autrui, les articles 1137 et 1147 du Code civil pour la lettre d'intention, les
articles L. 132-1 et s. du Code de commerce pour le ducroire du commissionnaire. 686 Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale, RTD com. 1980,
p. 1 et s., n°11. Dans le même sens, cf. D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les
sûretés personnelles, in Sûretés et garanties, Droit et patrimoine 2001, n°92, p.70 687 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, n°308 et 321 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L.
AYNES et P. CROCQ, n°319 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-
9 688 La Cour de cassation a peut-être également poursuivi un autre objectif, à savoir le
rapprochement du droit français de droits étrangers reconnaissant déjà les garanties
personnelles indépendantes. Sur les législations étrangères en matière de garantie autonome,
cf. F. LOGOZ, La protection de l’exportateur face à l’appel abusif à une garantie bancaire,
Etude comparative des droits allemand, français, belge et suisse, th. Lausanne 1991, Librairie
Droz, Genève, 1991 ; A. PRÜM, th. préc., n°21, 22 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY,
n°415 ; Ph. SIMLER, n°859, 864
Sur les garanties indemnitaires en droits allemand, suisse et anglais, cf. P. ANCEL, th. préc.,
n°33 et s.
Sur les lettres d’intention en Angleterre, aux Etats-Unis et en Allemagne, cf. X. BARRE, La
subjectives. En effet, cette validation offre un véritable choix aux créanciers quant à
la garantie personnelle à constituer. Ce choix est d’ailleurs d’autant plus manifeste
que les limites apportées au principe de validité des garanties personnelles
indépendantes sont peu contraignantes pour les créanciers.
B/ DES LIMITES PEU CONTRAIGNANTES
375. Les limites au principe de validité des garanties personnelles
indépendantes résident dans l’interdiction de l’indépendance au sein même d’un
cautionnement (1) et de la fraude au droit du cautionnement (2). Ces limites ne sont
pas de nature à restreindre les choix des créanciers concernant la garantie à
constituer et, par conséquent, à empêcher l’adéquation entre leurs attentes initiales et
celles nées de la garantie personnelle effectivement conclue.
1. L’interdiction de l’indépendance au sein même d’un cautionnement
376. Le sort des clauses dérogeant au caractère accessoire renforcé du
cautionnement. La première limite au principe de validité des garanties
personnelles indépendantes tient à l’illicéité de la dérogation au caractère accessoire
renforcé au sein même du cautionnement. Alors que des systèmes juridiques
étrangers admettent certaines renonciations de la caution au caractère accessoire de
son engagement689 (le droit allemand valide même le cautionnement à première
demande690), la jurisprudence française refuse aux parties le droit d’introduire dans
le cautionnement une part d’indépendance691.
689 Une telle renonciation est admise en droit italien et en droit espagnol. Cf. G. MORIOS,
Essai sur la qualification juridique de la garantie à première demande, Mémoire DEA, Lyon
III, 1995, p. 13 et s. ; M. VASSEUR, Rapport de synthèse, in Les garanties bancaires dans
les contrats internationaux, FEDUCI, éd. Moniteur, 1981, p. 326 et s. 690 Le droit d’exiger le paiement n’est pas subordonné à l’existence, ni à l’étendue de la dette
principale. En cela, le cautionnement à première demande est indépendant. Mais le droit de
conserver le paiement est, par contre, subordonné au respect du caractère accessoire renforcé
du cautionnement, puisque, après le paiement à première demande, la caution peut exercer
contre le créancier un recours en remboursement, fondé sur l’enrichissement sans cause, à
l’occasion duquel les questions de droit ou de fait liées à la dette principale peuvent être
soulevées. La renonciation de la caution au caractère accessoire renforcé est donc limitée dans
le temps.
Sur ce mécanisme, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°324 ; F. JACOB, th. préc. n°135 à 140 ; F.
LOGOZ, th. préc. ; P. CROCQ, L’évolution des garanties du paiement, de la diversité à
l’unité, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 322 ; D. LEGEAIS, Le cautionnement à
première demande, Mélanges M. Vasseur, Banque Editeur, 2000, p. 87 et s. ; Ch. MOULY,
Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles,
FEDUCI 1984, p. 151 ; A. ROHMERT, Le cautionnement à première demande en droit
allemand, une sûreté hybride, RD bancaire 1994, n°43, p. 122 et s. ; D. LEGEAIS, n°327 à
330 691 Cass. com., 22 mars 1982 : D. 1992, Somm., p. 498, obs. VASSEUR (la clause par
laquelle des cautions s’engageaient « à payer à première demande sans pouvoir différer le
paiement ou soulever de contestation pour quelque motif que ce soit » ne crée pas un
cautionnement à première demande, mais opère seulement un renversement de la charge de la
preuve) ; Cass. com., 25 juin 2002 : D. 2002, Somm., p. 3333, obs. AYNES ; RJDA 12/2002,
n°1318 (en présence d’une clause d’un acte intitulé « déclaration de cautionnement »
prévoyant que la banque devra payer « sans pouvoir différer le paiement ou soulever de
Face à une clause dissociant le régime de l’obligation du garant de celle du
débiteur principal, les juges ne retiennent qu’une seule alternative : soit donner plein
effet à cette clause si la garantie personnelle conclue est indépendante, soit la priver
de toute portée si la garantie souscrite est un cautionnement692.
Le rejet de la clause de paiement à première demande insérée dans un
cautionnement signifie ainsi que l’exercice de la liberté contractuelle ne doit pas
contrevenir à l’essence d’un contrat. Si le législateur peut créer des cautionnements
légaux méconnaissant fortement le principe du caractère accessoire693, les parties, en
revanche, ne sont libres de déroger au caractère accessoire renforcé du
cautionnement qu’en sortant de celui-ci.
377. L’invalidation des cautionnements partiellement indépendants n’est
pas un facteur d’inefficacité. Cette limite à la liberté contractuelle n’est pas
susceptible d’empêcher l’adéquation entre les deux niveaux d’attentes subjectives
des créanciers et, par là même, l’efficacité in concreto de la garantie personnelle
conclue. En effet, dès lors que la jurisprudence reconnaît la validité des garanties
personnelles indépendantes, ainsi que les degrés dans le lien d’accessoire à
principal694, le besoin d’indépendance, né lors de l’octroi de crédit, peut être
satisfait, même si la jurisprudence refuse qu’il le soit au sein même du
cautionnement695. Par ailleurs, alors que les parties augmentent le risque de
divergences d’interprétation en concluant une garantie personnelle hybride696,
l’invalidation des cautionnements partiellement indépendants diminue, au contraire,
le risque de remise en cause des prévisions contractuelles intrinsèques et donc
contestation pour quelque cause que ce soit », la Cour de cassation a décidé que c’est dans
l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la Cour d’appel retient que cette
clause « ne s’applique qu’à la renonciation au bénéfice de division et de discussion, voire à
l’impossibilité de contester le quantum de la réclamation »). 692 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°287 ; D. GRIMAUD, th. préc., n°308 ; D.
LEGEAIS, n°325 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°123 693 Parmi ces cautionnements légaux hybrides, peuvent être cités les cautionnements de
marchés publics (article 144 du Code des marchés publics), les cautionnements souscrits en
faveur des administrations douanières et fiscales, les garanties d’achèvement (article R. 261-
21 du Code de la construction). 694 Cf. infra n°383-393 695 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°896 : « l’admission d’un tel hybride (le cautionnement à
première demande) est d’autant moins utile ou opportune qu’il existe une variété de
garanties, intermédiaires entre le classique cautionnement et la rigoureuse garantie à
première demande, pouvant répondre à des besoins spécifiques ».
Au contraire, D. LEGEAIS (Le cautionnement à première demande, Mélanges M. Vasseur,
Banque Editeur, 2000, p. 87 et s.) défend vivement la consécration jurisprudentielle du
cautionnement à première demande, en relevant qu’il ne s’agit pas d’une sûreté totalement
nouvelle, puisqu’il constitue un dérivé du cautionnement, et qu’il pourrait combler l’attente
des praticiens d’une sûreté personnelle en adéquation avec les exigences de la vie des affaires.
Le cautionnement à première demande serait un remède, d’une part, à la crise du
cautionnement et, d’autre part, à l’échec des garanties de substitution. 696 En ce sens, cf. Ch. BASTARD de CRISNAY, Brèves remarques sur l’application du
cautionnement et de la garantie à première demande en matière de promesse unilatérale de
vente, Defrénois 1992, article 35389, p. 1393 et s. ; D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire
dans les sûretés personnelles, in Sûretés et garanties – Pratiques et innovations, Droit et
patrimoine 2001, n°92, p. 68 et s.
d’inefficacité subjective. Cette première limite au principe de validité des garanties
personnelles indépendantes est donc loin d’attenter à l’efficacité in concreto de ces
mécanismes.
2. L’interdiction de la fraude au droit du cautionnement
378. La fraude au droit du cautionnement est dénoncée par la doctrine.
La seconde limite réside dans la fraude à la loi. Celle-ci se manifeste par un « acte
régulier en soi, accompli dans l’intention d’éluder une loi impérative ou
prohibitive »697.
Nombre d’auteurs ont soutenu que la conclusion de garanties personnelles
indépendantes, dans les matières où le cautionnement est régi par des textes d’ordre
public, constitue une fraude à la loi, car elle est motivée par la volonté d’échapper à
ces règles impératives698. Afin de conserver leur utilité aux dispositions protectrices
de la caution et d’éviter l’incohérence qui résulterait de l’admission du
contournement du cautionnement à un moment où celui-ci est de plus en plus
encadré, les membres de cette doctrine ont donc préconisé de frapper d’inefficacité
les garanties personnelles indépendantes souscrites en ces matières.
379. La fraude au droit du cautionnement est très rarement retenue en
jurisprudence. Jusqu’à aujourd'hui, les juges ne semblent pas avoir été sensibles à
ces arguments. La Cour de cassation n’a jamais invalidé une garantie personnelle
indépendante sur le fondement d’une fraude au droit du cautionnement, et les
décisions des juges du fond retenant un tel motif sont des plus rares699. Plusieurs
explications peuvent en être données.
380. Les arguments s’opposant à l’invalidation des garanties personnelles
indépendantes sur le fondement de la fraude au droit du cautionnement. Tout
d’abord, les textes d’ordre public n’imposent pas de recourir au cautionnement. Ils
protègent seulement certaines cautions. En concluant une garantie personnelle
indépendante, les parties n’éludent donc pas une règle dont les conditions
d’application sont réunies, mais se placent seulement en dehors de ces conditions.
Autrement dit, elles ne se livrent pas à une fraude, mais font uniquement preuve
697 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, v° Fraude,
p. 412 698 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°487 et 488 ; F. JACOB, th. préc., n°165 et s. ;
M. MIGNOT, th. préc., n°614 ; J.-J. DAIGRE, Les substituts du cautionnement : de la lettre à
la garantie. La revanche de la liberté, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 6-92,
p. 7 ; Ph. DELEBECQUE, Les garanties autonomes en droit interne, Bull. Joly 1992, p.374,
n°7 ; J. DEVEZE, Aux frontières du cautionnement : lettre d'intention et garantie
indépendante, in Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des
entreprises 2-92, p. 32 ; E. RAWACH, La licéité des garanties à première demande à la
lumière du droit de la consommation, RD bancaire et financier 2000, n° 1, p. 57 et s., n°11 ;
D. LEGEAIS, n°284 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°211 ; Ph. SIMLER, n°922 699 CA Paris, 19 novembre 1974 : Gaz. Pal. 1974, 1, 286 ; RTD com. 1975, 547, obs.
HOUIN (la Cour d’appel a annulé l’engagement de codébiteur non intéressé à la dette pris par
une SA aux côtés de son PDG, dans le seul intérêt de celui-ci, par application de l’article 106
de la loi du 24 juillet 1966) ; TI Lons-le-Saulnier, 18 novembre 1997 : Contr., conc., consom.
avril 1998, n°64, obs. RAYMOND (l’engagement de codébiteur solidaire non intéressé à la
dette visait à éluder les exigences du Code de la consommation relatives à la mention
manuscrite prescrites à peine de nullité)
d’habileté700. Le caractère d’ordre public d’une matière n’interdit pas d’avoir recours
à un mécanisme qui ne soit pas prévu par cette matière. Ce caractère impose
seulement que la convention conclue respecte l’impératif légal, protégé par la notion
d’ordre public. Lorsque la disposition d’ordre public vise à protéger le consentement
de la caution701, il suffit que le garant ait été pleinement informé de la nature et de la
portée de son engagement pour que la volonté du législateur soit respectée et que le
grief de fraude soit écarté702.
Ensuite, la fraude suppose que l’intention d’éluder une règle obligatoire soit le
motif exclusif de l’acte. Or, nombre de motifs légitimes peuvent coexister avec cette
intention. Les attraits propres que présentent les garanties personnelles innomées703
peuvent ainsi expliquer le choix des créanciers en leur faveur et suffire à exclure la
fraude.
Par ailleurs, on ne peut pas s’abriter derrière l’esprit de la loi pour démontrer
une fraude, car les textes d’ordre public en matière de cautionnement étant des textes
d’exception, ils doivent recevoir une application stricte704.
Enfin, les juges estiment sans doute que les arguments en faveur de la fraude à
la loi ne sont pas suffisants pour risquer de compromettre l’efficacité résultant du
libre choix de la garantie personnelle à constituer.
Plutôt que d’invalider, de manière générale, les garanties personnelles
indépendantes sur le fondement de la fraude, les juges préfèrent étendre au cas par
cas les protections accordées aux cautions. La jurisprudence « sanctionne le choix
d’une garantie qui lui déplaît, tout en étant consciente de ne pouvoir en interdire le
principe »705. L’inefficacité des garanties personnelles indépendantes ne résulte donc
pas de leur nullité mais bien plutôt de leur requalification en cautionnement ou du
rapprochement de leur régime avec celui du cautionnement706.
381. La reconnaissance de la validité des garanties personnelles dérogeant au
caractère accessoire renforcé du cautionnement permet l’adéquation entre les
attentes subjectives des créanciers et les effets produits par la garantie personnelle
constituée. Les limites à ce principe de validité n’étant pas de nature à entraver le
choix des créanciers en faveur d’une garantie personnelle indépendante, le droit
positif favorise l’efficacité subjective du contrat conclu. Le droit positif favorise
également l’efficacité in concreto des garanties personnelles innomées en
reconnaissant leurs caractéristiques distinctives.
700 Sur cette distinction entre la fraude et l’habileté, cf. J. GHESTIN et G. GOUBEAUX,
Traité de droit civil, Introduction générale, t. 1, 2e éd., 1983, n°754 701 Sur le formalisme informatif en matière de cautionnement, cf. infra 408, 411, 507, 526,
528, 532, 545, 547, 549, 602-605, 614, 618 702 En ce sens, cf. N. MONACHON DUCHENE, La garantie à première demande en matière
de crédit à la consommation, Gaz. Pal. 23, 24 déc. 1994, doctr., p. 2 ; E. RAWACH, art.
préc., n°14 703 Cf. infra n°394-402 704 En ce sens, cf. J. CASEY, th. préc., n°401 705 S. PIEDELIEVRE, note sous CA Paris, 5 avril 1994 : JCP 1994, éd. E., II, 603 706 Sur ces causes d’inefficacité des garanties personnelles innomées, cf. infra n°628-707
§2 : LA RECONNAISSANCE DES CARACTERISTIQUES
DISTINCTIVES DES GARANTIES PERSONNELLES INNOMEES
382. La diversité des garanties personnelles : un facteur d’efficacité
subjective. L’efficacité subjective des garanties personnelles dépend de l’étendue
du choix des créanciers concernant le mécanisme à constituer. En effet, plus les
garanties personnelles auxquelles les créanciers ont le droit de recourir sont
diversifiées, plus grandes sont les chances que la finalité assignée au contrat
effectivement choisi soit identique à leurs attentes initiales, et qu’elle se réalise. A
cet égard, il ne suffit pas de reconnaître aux créanciers le droit de conclure une
garantie personnelle dérogeant au caractère accessoire renforcé du cautionnement. Il
est en plus nécessaire de leur permettre de choisir parmi une gamme diversifiée de
contrats, ce qui implique de reconnaître les caractéristiques distinctives des
mécanismes non spécialement réglementés en tant que garantie personnelle, qu’ils
soient créés par la pratique ou qu’il s’agisse de mécanismes du droit commun des
obligations utilisés à des fins de garantie707. C’est ce que fait le droit positif, non
seulement en admettant que dans sa mise en œuvre la règle de l’accessoire soit
susceptible de degrés (A), mais aussi en confortant les attraits propres des
principales garanties personnelles innomées (B).
A/ LES DEGRES DANS LE LIEN D’ACCESSOIRE A PRINCIPAL
383. La liberté des parties de moduler l’intensité du lien d’accessoire : un
facteur d’efficacité subjective. L’opposition entre le caractère accessoire renforcé
et l’indépendance doit être relativisée708, car la force du lien unissant l’accessoire au
principal est susceptible de degrés709. Ce lien peut se trouver accentué ou relâché par
la loi, ou par la volonté des parties, sans pour autant ne jamais disparaître710.
Dès lors qu’au nom de la liberté contractuelle les parties sont autorisées à
constituer des garanties personnelles indépendantes, il n’est pas surprenant que la
jurisprudence leur reconnaisse également le droit d’ « aménager des garanties plus
707 Sur la richesse du droit des obligations, cf. J.-J. DAIGRE, Les substituts du
cautionnement : de la lettre à la garantie. La revanche de la liberté, JCP 1992, éd. E., Cahier
droit des entreprises 6-92, p. 11 ; D. R. MARTIN, Du changement de contractant, D. 2001,
chron., p. 3144 et s. ; Ph. SIMLER, Les solutions de substitution au cautionnement, JCP 1990,
I, 3427, n°14 ; D. LEGEAIS, n°285 708 En ce sens, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°294 et 295 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par
L. AYNES et P. CROCQ, n°100 709 En ce sens, cf. Ph. BRIAND, th. préc., n°283, 294 ; P. CROCQ, th. préc., n°278 ; G.
GOUBEAUX, th. préc., n°25 ; D. GRIMAUD, th. préc., n°295, 314, 318 ; C. GINESTET, La
qualification des sûretés, Defrénois 1999, p. 204 à 210 ; D. LEGEAIS, La règle de
l’accessoire dans les sûretés personnelles, in Sûretés et garanties – Pratiques et innovations,
Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 68 et s. ; J.-M. RAPP, Garanties à première demande et
autres garanties bancaires, in Sûretés et garanties bancaires, Publication CEDIDAC, 1997,
p. 259 et s. ; J.-L. RIVES-LANGE, Les engagements abstraits pris par le banquier, Rapport
français, in Travaux de l’Association H. Capitant, T. XXXV, 1984, p. 307 ; P. VAN
OMMESLAGHE, Sûretés issues de la pratique et autonomie de la volonté, in Les Sûretés,
Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 356 710 Les garanties personnelles présentent toutes un caractère accessoire essentiel (cf. supra
n°271-279).
ou moins accessoires ou indépendantes, de créer ainsi un droit des sûretés
personnelles sur mesure »711.
En permettant aux contractants de moduler l’intensité du lien d’accessoire, le
droit positif leur offre la possibilité d’adapter la garantie personnelle effectivement
conclue aux attentes initiales du créancier, et il favorise ainsi l’efficacité subjective
du mécanisme constitué. Autrement dit, en validant les degrés dans le lien
d’accessoire à principal, la jurisprudence admet des degrés dans l’étendue des droits
du créancier contre le garant et elle permet, finalement, la conclusion d’une garantie
personnelle efficace, c'est-à-dire qui ne soit ni insuffisante, ni exorbitante au regard
du besoin de protection du créancier, né lors de l’octroi de crédit au débiteur
principal.
384. Mise en perspective des degrés dans le lien d’accessoire à principal
au regard du régime des exceptions nées du contrat principal. Afin de mesurer
l’intensité du lien d’accessoire et, par conséquent, la sécurité que tout créancier est
en droit d’attendre en présence d’un mécanisme déterminé, il convient de découvrir
les exceptions au paiement qu’offre ledit mécanisme au garant712.
Plus précisément, il s’agit d’examiner les exceptions nées de l’obligation à
laquelle l’engagement du garant s’adjoint, c'est-à-dire l’obligation du débiteur
principal envers le créancier. Les exceptions nées dans les rapports entre le garant et
le débiteur principal, ou celles tirées des rapports entre le garant et le créancier sont,
en revanche, insusceptibles de caractériser la force du lien d’accessoire.
L’inopposabilité des premières ne fait que traduire le principe de l’effet relatif des
contrats, et l’opposabilité des secondes n’est que l’expression de la force obligatoire
du contrat de garantie personnelle.
385. Les exceptions opposables en matière de garantie autonome. Dans les
garanties autonomes, l’obligation de règlement du garant vient s’adjoindre à une
obligation principale et sert l’exécution de celle-ci. Ce lien d’accessoire essentiel est
le seul qui unisse l’obligation du garant à celle du débiteur principal car, dès la
conclusion du contrat, les parties détachent l’obligation de règlement du garant de
celle du donneur d'ordre, en lui conférant un objet propre (le paiement d’une somme
forfaitaire), et en stipulant l’inopposabilité des exceptions nées du contrat de base.
La jurisprudence confère à ce détachement de larges effets, puisqu’elle déclare
inopposables au créancier la nullité du contrat principal713, sa résolution ou
résiliation714, son inexécution par le créancier715, son exécution totale par le donneur
711 D. LEGEAIS, art. préc. , p. 75 712 En ce sens, cf. D.R. MARTIN, L’engagement de codébiteur solidaire adjoint, RTD civ.
1994, p. 51 : « s’agissant de comparer des degrés d’obligation à la dette d’autrui,
l’instrument de mesure ne peut être constitué que par le spectre des exceptions au paiement ». 713 CA Paris, 29 janvier 1981 : D. 1981, p. 336, 1ère espèce, note VASSEUR ; Cass. com., 20
décembre 1982 : Bull. civ. IV, n°417 ; Cass. com., 13 décembre 1983 : D. 1984, p. 420, note
VASSEUR ; CA Paris, 22 septembre 1987 : D. 1988, Somm., p. 248, obs. VASSEUR
Contra : CA Paris, 14 janvier 1993 : JCP 1993, II, 22069, note DUMESNIL-ROSSI ; RTD
com. 1993, p. 556, obs. CABRILLAC et TEYSSIE 714 TGI Montluçon, 9 janvier 1981 : D. 1981, p. 390, note VASSEUR ; RTD com. 1981,
p. 580, obs. CABRILLAC et TEYSSIE ; CA Paris, 13 février 1987 : D. 1987, Somm., p. 172,
obs. VASSEUR ; CA Paris, 19 mai 1988 : D. 1989, Somm., p. 146, obs. VASSEUR ; CA
d’ordre716, sa modification717, son extinction par compensation718, par transaction719,
ou encore pour défaut de déclaration de la créance à la procédure collective du
débiteur principal720.
Le détachement de l’obligation du garant par rapport à celle du donneur d'ordre
connaît néanmoins quelques limites. Tout d’abord, la nullité absolue de la garantie
autonome, résultant de l’illicéité ou de l’immoralité de l’objet du contrat principal
pourrait être opposée au créancier721.
Ensuite, en cas d’appel manifestement abusif ou frauduleux de la garantie par le
créancier722, l’opposabilité des exceptions se trouve rétablie.
Enfin, le lien d’accessoire à principal est susceptible de varier en fonction des
conditions de mise en œuvre prévues par les parties723. Si le détachement de
Paris, 15 décembre 1991 : RD bancaire et bourse 1992, p. 174, obs. CONTAMINE-
RAYNAUD 715 CA Paris, 17 janvier 1983 : JCP 1983, II, 19966, note STOUFFLET ; D. 1983, IR, p. 303,
obs. VASSEUR ; RTD com. 1983, p. 448, obs. CABRILLAC et TEYSSIE ; Cass. com., 17
octobre 1984 : Bull. civ. IV, n°265 ; Cass. com., 10 juin 1986 : Bull. civ. IV, n°117 ; T. com.
Paris, 29 novembre 1988 : D. 1990, Somm., p. 205, obs. VASSEUR ; CA Paris, 23 novembre
1990 : D. 1991, IR, p. 30 ; CA Paris, 17 février 1993 : RD bancaire et bourse 1994, p. 88, obs.
CONTAMINE-RAYNAUD ; Cass. com., 25 mars 2003 : RJDA 10/2003, n°1021 716 Cass. com., 21 mai 1985 : Bull. civ. IV, n°160 ; Cass. com., 18 mai 1999 : Bull. civ. IV,
n°102 717 CA Paris, 1er octobre 1986 : D. 1987, Somm., p. 171, obs. VASSEUR 718 CA Paris, 7 novembre 1983 : D. 1984, IR, p. 205, obs. VASSEUR ; T. com. Paris, réf., 12
avril 1991 : D. 1992, Somm., p. 239, obs. VASSEUR 719 T. com. Paris, 6 mars 1987 : D. 1988, Somm., p. 24, obs. VASSEUR ; CA Paris, 23
octobre 1992 : RD bancaire et bourse 1993, p. 137, obs. CONTAMINE-RAYNAUD 720 TGI Paris, 8 mars 1995 : RD bancaire et bourse 1995, p. 191, obs. CONTAMINE-
RAYNAUD ; Cass. com. 30 janvier 2001 : Bull. civ. IV, n°25 ; Cass. com., 9 juin 2004 : Bull.
civ. IV, n°118 : “en raison du caractère autonome de son engagement, le garant ne pouvait ni
imputer à faute au bénéficiaire la non-déclaration de sa créance au titre du contrat de base
au passif du redressement judiciaire des sociétés garanties, ni prétendre avoir de ce fait subi
un préjudice” 721 En ce sens, cf. P. ANCEL, th. préc., n°203 ; H. CHANTELOUP et V. HEUZE,
Financement et garantie, in Pratique des contrats internationaux, 1997, n°136 ; I.
FADLALLAH, Rapport général sur les sûretés personnelles, Travaux de l’association H.
Capitant « Les garanties de financement », journées portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ,
p. 323 et s., n°13 ; Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale,
RTD com. 1980, p. 1 et s., n°12 ; P. VAN OMMESLAGHE, Sûretés issues de la pratique et
autonomie de la volonté, in Les Sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 363 ; Ph.
SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°202 ; Ph. THERY, n°108, 115
Contra, cf. A. PRÜM, th. préc., n°402 ; M. CONTAMINE-RAYNAUD, Les rapports entre la
garantie à première demande et le contrat de base en droit français, Mélanges Roblot, p. 425
et s. ; J.-L. RIVES-LANGE, Existe-t-il en droit français des engagements abstraits pris par le
banquier ?, Banque 1985, p. 902 et s. 722 Sur l’application de « fraus omnia corrumpit » en matière de garantie autonome, cf. infra
n°707 723 Sur ces conditions formelles de mise en jeu de la garantie autonome (à première demande,
documentaire ou justifiée), cf. P. ANCEL, th. préc., n°130 à 133 ; A. PRÜM, th. préc., n°344
à 361 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°398 à 401-1 ; J. FRANÇOIS, n°404 ; D.
LEGEAIS, n°302 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°206 à 209 ; Ph. SIMLER, n°903 à
918
l’obligation du garant par rapport à celle du débiteur principal est total dans la
garantie à première demande, il est moins net lorsque l’appel de la garantie nécessite
la fourniture de documents attestant de l’inexécution de ses obligations par le
débiteur principal. Selon la nature de ces documents, le détachement est d’ailleurs
plus ou moins poussé724 : la relation entre la garantie personnelle et le contrat garanti
est relativement étroite dès lors que le créancier doit présenter au garant une
décision de justice révélant la défaillance du débiteur principal. Au contraire, cette
relation est particulièrement distendue quand le bénéficiaire peut se contenter de
produire une déclaration, établie par ses soins, faisant état du manquement du
débiteur à ses obligations.
Si, en principe, le lien d’accessoire à principal est réduit à sa plus simple
expression en matière de garantie autonome, ce qui est particulièrement protecteur
des intérêts des créanciers, il existe donc quelques limites au détachement, imposées
aux créanciers (le contrôle de la licéité de l’objet et l’application de l’adage « fraus
omnia corrumpit ») ou consenties par eux (la fourniture de documents lors de
l’appel de la garantie).
386. Les exceptions opposables en matière de constitut. En matière de
constitut, le lien d’accessoire à principal est également plus relâché qu’il ne l’est
dans le cautionnement, puisque le constituant ne s’engage pas à la dette même du
débiteur principal, mais seulement à une même dette725. La conséquence immédiate
de cette dualité d’obligations de règlement réside dans l’inopposabilité des
exceptions inhérentes à la dette principale726, comme le défaut de déclaration de la
créance à la procédure collective du débiteur principal727, ainsi que des exceptions
personnelles à ce dernier, comme la compensation.
Le détachement de l’obligation du constituant par rapport à celle du débiteur
principal n’est pourtant pas absolu. D’une part, le constituant, comme le garant
autonome, devrait pouvoir opposer au créancier, non seulement sa fraude dans la
mise en œuvre de la garantie728, mais aussi la contrariété du contrat principal à
l’ordre public ou aux bonnes mœurs.
D’autre part, la particularité de l’engagement du constituant, tenant au fait que
son quantum est celui de l’obligation garantie, conduit à reconnaître audit
constituant des moyens de défense tirés du contrat de base, dont ne dispose pas un
garant autonome. En effet, comme le montant de la dette principale est l’élément
essentiel de détermination du montant de la garantie, cette dette principale doit
exister et être liquide729. De plus, le constituant doit pouvoir s’assurer que la
quantification de sa dette est bien conforme à ce qui a été envisagé, c'est-à-dire est
bien opérée à partir de la dette garantie730.
724 En ce sens, cf. P. ANCEL, ibid., n°201 ; Ph. DUPICHOT, th. préc., n°307 ; J. FRANÇOIS,
n°404 ; Ph. THERY, n°101 725 En ce sens, cf. F. JACOB, th. préc., n°68 et 258 726 Cf. F. JACOB, ibid., n°272 et 273 727 Cass. com., 3 janvier 1995 : Bull. civ. IV, n°4 728 En ce sens, cf. F. JACOB, th. préc., n°361 à 374 ; Ph. SIMLER, n°899. Ces deux auteurs
estiment, qu’en matière de constitut, la fraude ou la mauvaise foi du créancier n’a pas à être
évidente, comme elle doit l’être dans le cadre des garanties autonomes. 729 En ce sens, cf. F. JACOB, ibid., n°275 730 En ce sens, cf. F. JACOB, ibid., n°276 à 278 ; Ph. SIMLER, n°899
L’indépendance du constitut n’est donc pas aussi accusée que celle de la
garantie autonome. C’est la raison pour laquelle beaucoup y voient une « sûreté
intermédiaire entre le cautionnement et la garantie autonome »731.
387. Les exceptions opposables en matière de délégation imparfaite. En
matière de délégation imparfaite, les caractères nouveau et propre de l’obligation de
règlement du délégué interdisent, en principe, à celui-ci de faire échec à l’exécution
de son obligation envers le délégataire en puisant un moyen de défense dans les
relations que ce dernier entretient avec le délégant. L’inopposabilité des exceptions
inhérentes à la dette principale ou personnelles au délégant traduit l’indépendance de
l’engagement du délégué732.
Ici encore, le détachement n’est pas absolu puisque pourraient être opposées les
exceptions fondées sur un cas de nullité absolue733, ainsi que la fraude du
délégataire.
Par ailleurs, l’indépendance peut être écartée par une clause rattachant
l’obligation du délégué à celle du délégant. Sont alors opposables les exceptions
nées des rapports entre le délégant et le délégataire734.
L’indépendance, et l’inopposabilité des exceptions en découlant, ne sont donc
pas de l’essence de la délégation imparfaite735. Le lien d’accessoire à principal peut
y être aussi distendu que dans la garantie autonome (délégation certaine) ou aussi
renforcé que dans le cautionnement (délégation incertaine)736.
731 F. JACOB, ibid., n°410 à 412 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°491 ; D. LEGEAIS,
n°296 732 En ce sens, cf. C. LACHIEZE, th. préc., n°26 à 32 ; L. GODON, La distinction entre
délégation de paiement et indication de paiement, Defrénois 2000, article 37103, p.193 et s.,
n°22 ; Ph. SIMLER, Juriscl. Civil, Contrats et obligations, Délégation, art. 1271 à 1281, fasc.
40, n°89 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°473-4 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,
n°256
Contra, cf. M. MIGNOT, th. préc., n°675 : contestation de l’inopposabilité des exceptions, car
l’obligation nouvelle du délégué synthétise les deux rapports fondamentaux. S’il faut
maintenir l’inopposabilité des moyens de défense, ce n’est que pour des raisons pratiques,
mais pas parce que l’obligation nouvelle du délégué est autonome des deux rapports
fondamentaux.
Pour une illustration jurisprudentielle de l’inopposabilité des exceptions dans la délégation
certaine, cf. Cass. com. 25 février 1992 : JCP 1992, II, 21922, obs. BILLIAU
L’inopposabilité de l’exception de défaut de déclaration de la créance a été très clairement
affirmée par la Cour de cassation : « l’obligation du délégué est une obligation personnelle,
indépendante de l’obligation du délégant, de sorte que l’extinction de la créance du
délégataire contre le délégant pour défaut de déclaration au passif de sa liquidation
judiciaire laisse subsister l’obligation distincte du délégué » (Cass. com., 7 décembre 2004 :
Bull. civ. IV, n°214). 733 En ce sens, cf. C. LACHIEZE, th. préc., n°37 et s. ; Ph. THERY, n°115 734 Cass. 1ère civ., 17 mars 1992 : Bull. civ. I, n°84 735 En ce sens, cf. P. ANCEL, th. préc., n°93 ; F. JACOB, th. préc., n°124 ; M.-L. NIBOYET,
Une illustration du concept de droit civil des affaires. La délégation de locataire, à titre de
garantie, Mélanges M. Jeantin, 1999, p. 75 736 Même si, au regard du degré dans le lien d’accessoire à principal, un rapprochement peut
être opéré entre la délégation imparfaite et la garantie autonome, d’une part, et la délégation
imparfaite et le cautionnement, d’autre part, la requalification de la délégation en l’une de ces
deux formes de garantie personnelle ne devrait pas avoir lieu. En effet, qu’elle soit certaine ou
388. Les exceptions opposables en matière de stipulation pour autrui.
Dans le cadre d’une stipulation pour autrui, le promettant (garant) prend un
engagement nouveau envers le tiers bénéficiaire. Il ne peut donc opposer à ce
dernier les exceptions fondées sur le contrat passé entre le bénéficiaire et le stipulant
(débiteur principal).
Ce détachement originaire de l’obligation de règlement du promettant par
rapport à celui du stipulant ne met pas le bénéficiaire à l’abri de toute contestation.
Comme le promettant ne s’engage à payer que ce qu’il doit au stipulant, il peut
opposer les exceptions nées de son contrat avec ce dernier, même celles apparues
postérieurement à la naissance du droit direct du bénéficiaire737. La dérogation au
principe de l’effet relatif des contrats, sur laquelle repose la stipulation pour autrui,
atténue ainsi la sécurité procurée au bénéficiaire par le relâchement du lien
d’accessoire à principal.
389. Mise en perspective des degrés dans le lien d’accessoire à principal
au regard des conditions de la réparation due par le « garant indemnitaire ». Dans ces autres garanties personnelles indépendantes que sont les garanties
indemnitaires, ce n’est pas exactement la question de l’opposabilité des exceptions
nées du contrat de base qui se pose, mais celle des conditions de la réparation, à
savoir l’existence d’un fait générateur, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre
ces deux derniers738. Cela n’empêche pas de s’interroger sur l’incidence des
événements affectant la dette principale sur l’obligation de règlement du garant et,
par conséquent, sur l’étendue des droits du créancier contre celui-ci.
390. Le degré d’indépendance de l’assurance-crédit interne. En matière
d’assurance-crédit interne, l’assureur n’est pas tenu d’une obligation de même
nature que celle du débiteur principal, puisqu’il s’engage à réparer le dommage subi
par le créancier assuré en cas d’insolvabilité du débiteur.
L’indépendance, résultant de la nature indemnitaire de l’obligation de
règlement de l’assureur, peut être masquée par une définition restrictive du risque
couvert par celui-ci739. Si le risque couvert est seulement l’insolvabilité constatée, et
incertaine, la délégation présente des attraits propres, non afférents au lien d’accessoire à
principal, que l’objectif d’efficacité invite à préserver (sur ces attraits propres de la délégation,
cf. infra n°401). Par ailleurs, concernant spécifiquement la délégation incertaine, elle ne
saurait être confondue avec le cautionnement, car l’objet de l’obligation de règlement du
délégué ne fait pas qu’un avec l’objet de l’obligation principale, mais lui est seulement
identique (sur le caractère indépendant de la délégation imparfaite incertaine, cf. supra
n°305). 737 En ce sens, cf. C. LACHIEZE, th. préc., n°8 ; D. LEGEAIS, Les garanties
conventionnelles sur créances, Avant-propos J. STOUFFLET, Préface Ph. REMY,
Economica, 1986, n°298 ; M. VASSEUR, Les garanties indirectes du banquier, Rev. jurisp.
com., n° spécial, février 1982, p. 104 et s. , n°16 738 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°900 739 L’insolvabilité, qui est le risque le plus fréquemment couvert par les assureurs-crédit, est
établie de diverses façons suivant les contrats (exemples : jugement d’ouverture d’un
redressement ou d’une liquidation judiciaire ; règlement amiable ; saisie infructueuse ; délai
de carence de plusieurs mois). Cf. Lamy droit du financement 2000, 6ème partie, Les garanties
du crédit, §3355 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°379 et 380
non l’absence de paiement à l’échéance, et que le refus de paiement du débiteur tient
au fait qu’il ne s’estime pas tenu (dette nulle ou éteinte), alors l’assureur peut refuser
d’indemniser le créancier. La garantie procurée par l’assureur est paralysée, non par
voie accessoire, mais par la non réalisation du risque couvert. « Ne subsistent alors
de l’absence de caractère accessoire (renforcé), que des conséquences limitées et
peu significatives »740. Pour autant, l’assureur ayant une dette propre, le caractère
indépendant de son engagement ne doit pas être occulté. Il convient simplement de
reconnaître que le relâchement du lien d’accessoire ne suffit pas à préserver le
créancier de toute contestation issue du contrat de base, dès lors que le risque
couvert fait l’objet d’une définition restrictive.
391. Le degré d’indépendance de la promesse de porte fort.
L’indépendance de la promesse de porte fort, tenant également au caractère
indemnitaire de l’obligation de règlement du promettant, n’empêche pas non plus ce
dernier de se prévaloir d’événements affectant la dette du tiers garanti. Cela
s’explique par le fait que la réparation du dommage subi par le bénéficiaire ne doit
être opérée que si le risque couvert, à savoir l’inexécution du débiteur, se réalise et
ce, dans certaines conditions. Comme l’a montré M. le Professeur Ancel741, le
promettant peut opposer au créancier, pour se dégager, l’absence initiale
d’obligation principale car, dans ce cas, le risque qu’il a voulu garantir n’existe pas
et son engagement manque donc totalement de cause. L’illicéité ou l’immoralité de
l’objet de l’obligation principale peut aussi paralyser la réparation. Le paiement du
débiteur, dans la mesure où il fait disparaître le risque couvert, est également un
moyen de défense efficace. Enfin, le promettant peut opposer l’extinction de la dette
principale par le fait du créancier (remise de dette totale ou partielle, inexécution de
ses obligations par le créancier).
392. Le degré d’indépendance de la lettre d'intention. Dans le cadre des
lettres d’intention comportant des obligations de faire ou de ne pas faire à la charge
de l’émetteur, on pourrait penser que les rapports entre le créancier et le débiteur
principal ne peuvent pas être invoqués comme moyens de défense. En effet, si les
obligations souscrites par le garant sont de résultat, celui-ci voit sa responsabilité
engagée dès que le résultat n’est pas atteint et seule la preuve d’une cause étrangère
est exonératoire. La garantie est due indépendamment de tout autre rapport de droit.
Si les obligations sont de moyens, la seule possibilité pour le souscripteur
d’échapper à la responsabilité tient au fait que le bénéficiaire ne parvient pas à
rapporter la preuve du défaut d’accomplissement des moyens à mettre en œuvre. Il
convient néanmoins de relativiser, non pas l’indépendance de la lettre d'intention,
mais le caractère inopérant des exceptions tirées du contrat principal et ce, à cause
des conditions de mise en jeu de la responsabilité de l’émetteur.
La défaillance du tiers conforté a été considérée comme le fait générateur de la
responsabilité du garant par les auteurs qui voient dans cette responsabilité « une
nouvelle manifestation de la responsabilité contractuelle du fait d’autrui…voulue et
organisée par les parties et non point imposée par la loi ou la jurisprudence »742. 740 P. ANCEL, th. préc., n°26 741 P. ANCEL, th. préc., n°186 à 196. Cf. aussi, D. GRIMAUD, th. préc., n°300 742 J. DEVEZE, Aux frontières du cautionnement : lettre d'intention et garantie indépendante,
in Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 2-
Cette analyse risque d’occulter les obligations qui sont personnellement contractées
par l’auteur de la lettre et qui ne concernent pas nécessairement la solvabilité du
débiteur principal.
Pour éviter de confondre de la sorte l’obligation du débiteur et celle du garant,
il semble préférable de retenir la responsabilité du fait personnel du souscripteur et
d’envisager la défaillance du débiteur principal comme le préjudice subi par le
créancier. Alors, si le bénéficiaire de la lettre d'intention n’a pas ou plus la qualité de
créancier à l’égard du tiers conforté, il ne souffre pas de la défaillance du débiteur et
ne subit aucun préjudice. Ainsi, la nullité, la résolution du contrat principal, le
paiement du créancier, ou encore la compensation entre la dette principale et une
créance du débiteur contre le bénéficiaire, pourraient empêcher l’indemnisation. Si
le contrat de base peut servir de moyen de défense au souscripteur d’une lettre
d'intention, ce n’est donc pas grâce au caractère accessoire renforcé de cette garantie
personnelle, mais uniquement en raison des conditions de mise en jeu de la
responsabilité contractuelle.
393. L’étude des moyens de défense issus du contrat principal pouvant être
opposés au créancier permet de mesurer à quel point, d’une garantie personnelle
innomée à une autre, les conditions de la contestation de son engagement par le
garant diffèrent et l’étendue des droits du créancier contre le garant varie. En
présence d’une telle diversité, le créancier peut véritablement choisir le contrat qui
s’adapte le mieux, à la fois à son besoin de protection, et au degré de sévérité
consenti par le futur garant. La reconnaissance jurisprudentielle des caractéristiques
distinctives des garanties personnelles innomées, tenant aux degrés dans le lien
d’accessoire et aux possibilités variables de contestation, favorise donc l’adéquation
entre la finalité assignée à la garantie personnelle choisie et les attentes initiales du
créancier. L’efficacité subjective des garanties personnelles innomées est encore
favorisée par la reconnaissance de leurs attraits propres.
B/ LES ATTRAITS PROPRES
DES PRINCIPALES GARANTIES PERSONNELLES INNOMEES
394. La reconnaissance des avantages propres à chaque garantie
personnelle : un facteur d’efficacité subjective. Le choix d’un créancier en faveur
d’une garantie personnelle particulière peut être dicté par la volonté d’éviter les
inconvénients d’autres mécanismes, notamment l’opposabilité des moyens de
défense tirés du contrat principal. Ce choix peut également s’expliquer au regard des
attraits spécifiques de la garantie personnelle, attraits indépendants du nombre et de
la nature des contestations que le garant peut soulever. En validant les garanties
personnelles innomées, la jurisprudence permet que des attentes subjectives initiales
soient satisfaites grâce aux avantages propres à chaque mécanisme et, par
conséquent, elle favorise l’efficacité in concreto de la garantie personnelle choisie.
395. Les attraits propres des garanties autonomes. S’agissant des garanties
autonomes, il est possible de relever deux attraits particuliers.
92, p.26. Dans le même sens, cf. S. PIEDELIEVRE, L’efficacité des lettres de confort, Droit
et patrimoine 1996, p. 56 et s., note 15
Le premier consiste dans l’avantage procédural découlant de la clause de
paiement à première demande. Celle-ci emporte, en effet, un « renversement de la
charge et du risque de la procédure »743. Pour pouvoir réclamer l’exécution des
engagements du garant, le créancier n’a pas à établir la réalité du manquement du
donneur d’ordre à son égard. Le créancier évite ainsi les retards, qui augmentent le
coût de sa protection, et qui s’expliquent par le fait que la démonstration de la
défaillance du débiteur ne peut généralement résulter que d’une décision judiciaire
ou arbitrale, qui ne peut être elle-même obtenue qu’à l’issue d’une procédure parfois
extrêmement longue. Par ailleurs, comme les contestations fondées sur le contrat de
base ne peuvent pas être soulevées par le garant avant paiement, mais seulement par
le donneur d’ordre agissant en répétition de l’indu, le créancier ne pâtit pas de
l’insolvabilité de celui-ci pendant la procédure réglant la contestation et il bénéficie
d’un allégement dans la charge de la preuve, puisqu’il est défendeur dans l’action en
restitution.
Le second avantage de la garantie autonome réside dans le rejet, par les juges,
des interdictions d’exécution de la garantie émanant du débiteur principal. « En
donnant l’ordre de souscription d’une garantie d’un degré de liquidité et
d’irrévocabilité équivalent à celui d’un dépôt de fonds, le débiteur s’interdit de
s’opposer à la mise en œuvre de la garantie pour quelque raison que ce soit »744. En
conséquence de l’indépendance voulue par les parties, la Cour de cassation écarte
ainsi les interdictions directes de payer formées par le donneur d'ordre745, ainsi que
les interdictions indirectes, qu’il s’agisse d’une saisie conservatoire ou d’une saisie-
attribution746, même lorsque celle-ci est fondée sur une cause étrangère au contrat de
base747.
743 J.-J. DAIGRE, Les substituts du cautionnement : de la lettre à la garantie. La revanche de
la liberté, JCP 1992, éd. E, Cahier droit des entreprises 2-92, p. 4. Cf. aussi, J. DEVEZE, Aux
frontières du cautionnement : lettre d'intention et garantie indépendante, in Aspects
contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 2-92, p. 32 ;
Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale, RTD com. 1980,
p. 5 ; A. PRÜM, De l’autonomie des contre-garanties à première demande, Mélanges
AEDBF, 1997, Droit bancaire et financier, p. 270 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°442 ;
Ph. THERY, n°102 744 F. JACOB, th. préc., n°92
Sur l’ordre d’émission de la garantie autonome comportant une renonciation formelle à
contester le bien-fondé des paiements, cf. A. PRÜM, th. préc., n°36 à 65 745 Cass. com., 21 mai 1985 : Bull. civ. IV, n°160 ; Cass. com., 3 mai 1988 : Bull. civ. IV,
n°149 ; Cass. com., 23 octobre 1990 : Bull. civ. IV, n°242 ; Cass. com., 18 décembre 1990 :
Bull. civ. IV, n°325 ; Cass. com., 5 février 1991 : Bull. civ. IV, n°49 ; Cass. com., 19 mai
1992 : Bull. civ. IV, n°187 ; Cass. com., 7 juin 1994 : Bull. civ. IV, n°203
Sur le rejet des défenses de payer, cf. P. ANCEL, th. préc., n°220 ; A. PRÜM, ibid., n°527 à
542 ; F. CHARTIER, Evolution de la jurisprudence en matière de garanties à première
demande, Banque 1987, n°468, p. 14 et 15 ; F.-J. CREDOT, L’actualité des garanties
autonomes, LPA 17 juin 1998, n°72, p. 68 et s. ; Ph. SIMLER, Les solutions de substitution
au cautionnement, JCP 1990, I, 3427, n°25 ; J. STOUFFLET, La lettre de garantie
internationale, Rev. jurisp. com., n° spécial, février 1982, p. 79 ; P. VAN OMMESLAGHE,
Sûretés issues de la pratique et autonomie de la volonté, in Les Sûretés, Colloque de
Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 357 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°443 ; J. FRANÇOIS,
n°418 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°225 ; Ph. SIMLER, n°968 à 970 746 Les saisies pratiquées par le donneur d'ordre entre les mains du garant se heurtent, non
seulement à un obstacle de fond, la renonciation du donneur d'ordre à discuter la créance du
396. Le principal avantage du constitut. L’avantage du constitut par rapport
à d’autres garanties personnelles indépendantes dans lesquelles l’obligation du
garant est détachée de celle du débiteur principal, réside dans l’alignement du
montant de la dette du garant sur celui de la dette principale. Le maintien de cette
référence à la dette garantie évite la détermination ab initio d’une somme forfaitaire
(comme dans la garantie autonome et la délégation imparfaite certaine) ou la
limitation de la garantie à la somme due par le garant au débiteur principal (comme
dans la stipulation pour autrui). La détermination du quantum du constitut par
référence à celui de la dette principale met donc le créancier à l’abri d’une
couverture seulement partielle de cette dette principale, qui caractérise l’inefficacité
objective, et qui peut exprimer l’inefficacité subjective.
397. Les atouts de la lettre d’intention. En ce qu’une lettre d'intention
n’impose pas à son émetteur de payer une somme d’argent au bénéficiaire en cas de
défaillance du débiteur conforté, elle peut sembler moins protectrice des intérêts du
créancier que d’autres garanties personnelles. En réalité, cette relative douceur de la
lettre d'intention peut être recherchée par le créancier dispensateur de crédit et
constituer, ainsi, l’atout spécifique de ce mécanisme.
En effet, un créancier n’entend pas nécessairement subordonner son soutien à
une garantie aussi énergique qu’un cautionnement, voire qu’un constitut ou une
garantie autonome. « Il peut lui suffire d’obtenir la certitude qu’il n’est pas appelé à
financer une structure destinée à ne rester qu’une coquille vide »748. Les seules
assurances de la société-mère satisfont alors ses attentes initiales.
Lorsque le créancier n’est pas en mesure d’imposer ses choix au futur garant,
parce qu’il n’est pas dans une position de force par rapport à ce dernier, la lettre
d'intention peut apparaître comme le seul moyen d’obtenir une garantie. Certains
groupes, qui ont pour politique de ne jamais cautionner les engagements de leurs
bénéficiaire, mais aussi à un obstacle procédural tenant aux conditions de la saisie (sur ce
dernier obstacle, cf. P. ANCEL, th. préc., n°220 ; F. LOGOZ, th. préc. ; A. PRÜM, th. préc.,
n°492 et s. ; F. CHARTIER, ibid., p. 14 et 15 ; J. STOUFFLET, ibid., p. 79 ; M.
CABRILLAC et Ch. MOULY, n°444 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°227 ; Ph.
SIMLER, n°974). 747 Lorsque le débiteur principal est créancier du bénéficiaire à d’autres titres que le contrat
garanti (un autre contrat a pu être passé avec le même cocontractant, sans être couvert par la
garantie autonome, ou le contrat de base a pu être suivi d’avenants auxquels la garantie ne
s’applique pas), et qu’il entend pratiquer une saisie entre les mains du débiteur de son débiteur
(le garant), l’indépendance de la garantie par rapport au contrat principal n’est pas en cause.
Si la Cour de cassation rejette la saisie (Cass. com., 18 mars 1986 : Bull. civ. IV, n°47 ; Cass.
com., 18 octobre 1988 : Bull. civ. IV, n°278. Ces arrêts ont été rendus en matière de crédit
documentaire. La solution devrait être la même en matière de garantie autonome), c’est donc
moins pour une raison juridique (le respect de l’indépendance et, plus fondamentalement, de
la loi du contrat) que pour un motif de politique jurisprudentielle, à savoir la volonté d’assurer
la sécurité absolue du bénéficiaire. En ce sens, cf. I. FADLALLAH, Rapport général sur les
sûretés personnelles, Travaux de l’association H. Capitant « Les garanties de financement »,
journées portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ, p. 335, n°26 ; J. FRANÇOIS, n°418 ; Ph.
SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°227 ; Ph. SIMLER, n°976 748 H. CHANTELOUP et V. HEUZE, Financement et garantie, in Pratique des contrats
internationaux, 1997, n°103
filiales, notamment pour contraindre celles-ci à une gestion indépendante et
rigoureuse, peuvent ainsi consentir uniquement des obligations de faire ou de ne pas
faire, en vue de conforter leurs filiales. La douceur et la souplesse de la lettre
d'intention, pour la société-mère, conditionnent alors la satisfaction des attentes du
créancier et peuvent donc apparaître comme des avantages pour celui qui est en
passe de perdre le conflit de rationalités.
Un autre attrait de la lettre d'intention tient au fait que le montant de
l’éventuelle condamnation du souscripteur défaillant peut être supérieur à celui de la
dette principale, puisque le préjudice subi par le créancier, du fait de l’inexécution
de l’émetteur, peut être plus élevé que le montant des impayés. La Cour de cassation
a récemment précisé que cette situation est tout à fait licite, compte tenu du fait que
l’article 2013 du Code civil ne joue pas en matière de lettre d'intention749.
398. L’avantage commun aux mécanismes du droit commun des
obligations utilisés à des fins de garantie. Concernant les mécanismes du droit
commun des obligations utilisés à des fins de garantie, ils présentent tous l’avantage
d’être bien implantés dans notre système juridique et donc d’avoir un régime plus
prévisible qu’une création sui generis née de nécessités pratiques750.
399. L’attrait propre de la solidarité passive. La solidarité traditionnelle
présente l’avantage de superposer les qualités de garant et de débiteur principal751.
« De son intérêt même partiel pour la dette, le codébiteur solidaire tire néanmoins
des informations et des moyens d’action qui lui permettent d’en surveiller
l’évolution et l’extinction »752. La double qualité du garant favorise ainsi l’une des
expressions de l’efficacité objective, à savoir l’extinction de la dette principale, par
la seule constitution de la garantie personnelle, sans mise en jeu de celle-ci753.
400. L’attrait propre de l’engagement de codébiteur solidaire adjoint.
L’avantage de la solidarité de l’article 1216 du Code civil tient à sa « légitimité
opératoire »754. Le créancier qui souhaite bénéficier d’une garantie personnelle, qui
soit à la fois innomée, pour que sa liberté ne soit pas bridée par les dispositions
impératives du cautionnement, et « domestiquée » par le législateur, pour que sa
constitution ne paraisse pas illégitime, a tout intérêt à être garanti par un codébiteur
solidaire adjoint. En effet, le législateur lui-même impose souvent la solidarité à des
749 Cass. com., 6 mai 2003 : JCP 2003, I, 176, n°13, obs. SIMLER 750 En ce sens, cf. A. BRUYNEEL, L’évolution du droit des sûretés, in Les sûretés, colloque
de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 11 ; A. JONVILLE, Pratique de la promesse de porte fort,
Droit et Patrimoine 1998, n° 57, p. 32 751 Sur cette superposition, cf. M. MIGNOT, th. préc., n°115, 539 752 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°383 753 Sur cette expression de l’efficacité objective, cf. supra n°62-68 754 D. R. MARTIN, L’engagement du codébiteur solidaire adjoint, RTD civ. 1994, p. 55.
Dans le même sens, cf. M. OURY-BRULE, th. préc., n°643 (l’engagement du codébiteur non
intéressé à la dette empruntant une figure parfaitement connue de notre droit, les problèmes
d’identification et de détermination de son régime sont limités. Par conséquent, « les atteintes
qui risqueraient d’être portées consécutivement à une utilisation plus massive du mécanisme
ne seraient que ponctuelles et limitées »).
personnes n’ayant aucun intérêt personnel à la dette755. L’engagement solidaire de
payer la dette d’autrui peut ainsi faire figure de « formule quasi miraculeuse »756.
401. L’avantage commun à la stipulation pour autrui et à la délégation
imparfaite. Dans les garanties personnelles reposant sur un changement de
créancier, à savoir la stipulation pour autrui et la délégation imparfaite dans laquelle
le délégué est débiteur du délégant757, c’est l’absence de concours avec les
créanciers du débiteur principal (stipulant ou délégant), qui peut expliquer le choix
des créanciers en faveur de ces mécanismes. Cette absence de concours, que la Cour
de cassation a expressément retenue en matière de délégation758, et qui est
préconisée par la doctrine en matière de stipulation pour autrui759, se justifie par
l’ordre donné par le débiteur principal au garant de payer un nouveau créancier. Cet
ordre emporte renonciation du débiteur principal à demander au garant le paiement
de sa créance primitive. Et cette renonciation est opposable aux créanciers du
délégant ou du stipulant, qui subissent ainsi les fluctuations du patrimoine de leur
débiteur760.
402. Les atouts de la promesse de porte fort. S’agissant, enfin, de la
promesse de porte fort, elle présente deux avantages. Le premier est d’imposer une
obligation de résultat au promettant, ce qui allège les preuves à rapporter par le
755 C’est le cas, notamment, dans la solidarité des époux séparés de biens pour des impôts dûs
personnellement, comme l’impôt sur le revenu des personnes physiques ; dans la solidarité
des associés de la société en nom collectif (article L. 221-1 du Code de commerce) ; dans la
solidarité du loueur de fonds de commerce à l’égard du locataire-gérant pour les dettes
d’exploitation contractées par celui-ci (article 8 de la loi du 20 mars 1956) ou encore dans la
solidarité du cédant de créances professionnelles pour le paiement des créances cédées par
bordereau Dailly (article 1er-1 et 2 de la loi du 2 janvier 1981). 756 P. ANCEL, Qualification et régime de l’engagement de codébiteur solidaire non intéressé
à la dette prévu par l’article 1216 du Code civil, note sous Cass. 1ère civ., 17 novembre 1999,
D. 2000, p. 407 757 Cette dette préalable n’est pas une caractéristique essentielle de la délégation.
Contrairement à ce qu’ont affirmé certains auteurs (M. BILLIAU, La délégation de créance,
Essai d’une théorie juridique de la délégation en droit des obligations, LGDJ, 1989, préf. J.
GHESTIN, n°16 et s. et 406 et s. ; J. FRANCOIS, Les opérations triangulaires attributives
(stipulation pour autrui et délégation de créance), th. dactyl. Paris II, 1994), la Cour de
cassation n’exige pas que le délégué soit déjà débiteur du délégant (Cass. com. 21 juin 1994 :
Bull. civ. IV, n°225. Déjà en ce sens, cf. Cass. com., 22 juin 1983 : Bull. civ. IV, n°183 ;
Cass. com., 11 décembre 1984 : D. 1985, IR, p. 198, obs. HONORAT). 758 Cass. com., 24 juin 1986 : Bull. civ. IV, n°141 ; Cass. com., 16 avril 1996 : Bull. civ. IV,
n°120
Seuls sont interdits la saisie-attribution, l’avis à tiers détenteur et la revendication de la
créance du délégant par le liquidateur de celui-ci (cf. Cass. com., 29 avril 2002 : Bull. civ. IV,
n°72 ). En revanche, une saisie conservatoire peut être pratiquée, car la créance sur le délégué
subsiste dans le patrimoine du délégant, fût-ce conditionnellement (en ce sens, cf. I.
DAURIAC, Le sort de la créance du délégant envers le délégué au cours de la délégation,
Defrénois 1997, p. 1169 ; M.-L. NIBOYET, Une illustration du concept de droit civil des
affaires. La délégation de locataire, à titre de garantie, Mélanges M. Jeantin, 1999, p. 76). 759 D. LEGEAIS, th. préc., n°298 760 En ce sens, cf. L. GODON, La distinction entre délégation de paiement et indication de
paiement, Defrénois 2000, article 37103, p. 193 et s., n°15 ; M.-L. NIBOYET, art. préc., p. 75
créancier et qui restreint les causes d’exonération du garant. Le second tient au fait
que les juges condamnent le promettant à la somme que devait le tiers garanti761, et
évitent par conséquent au créancier l’inefficacité résultant de la couverture partielle
de la défaillance du débiteur principal.
403. Conclusion de la Section 2. Les degrés dans le lien d’accessoire à
principal, et donc les possibilités variables de contestation fondées sur le contrat de
base, ainsi que les attraits propres des garanties personnelles innomées, constituent
les caractéristiques distinctives de ces mécanismes762. Leur assimilation par la
jurisprudence, tout comme la reconnaissance de la liberté de déroger au caractère
accessoire renforcé du cautionnement, permettent l’identité de la finalité assignée à
la garantie personnelle choisie aux attentes préalables à sa constitution.
404. Conclusion du Chapitre 1. Le droit positif favorise donc la réalisation
des attentes subjectives des créanciers en laissant à ces derniers la liberté
d’aménager la protection de leurs intérêts. La liberté contractuelle résultant des
silences de la loi ou de son caractère seulement supplétif, ainsi que la validation
jurisprudentielle des manifestations de volonté des parties, sont les causes de
l’efficacité in concreto des garanties personnelles.
S’agissant du cautionnement, son efficacité subjective résulte ainsi de la
souplesse du droit qui lui est applicable. Cette souplesse se manifeste
essentiellement à l’égard de l’étendue de l’engagement de la caution. En effet, les
créanciers sont libres, en principe, de stipuler des clauses qui augmentent leurs
chances d’être payés, au moment où ils le souhaitent, et pour le montant envisagé
lors de l’octroi de crédit au débiteur principal.
Concernant les garanties personnelles innomées, leur efficacité subjective
s’explique par le fait qu’aucun texte n’impose un objectif de parcimonie, ni le
recours au cautionnement, et par le fait que la jurisprudence valide les mécanismes
distincts du cautionnement en raison de leur indépendance et/ou de leurs attraits
propres. Le droit positif peut rendre les garanties personnelles efficaces, non
seulement en permettant aux créanciers d’user de la liberté contractuelle en vue de la
réalisation de leurs attentes subjectives, mais aussi en prenant lui-même en charge la
761 CA Paris, 7 juillet 1989 : Juris-Data, n°023369
Sur le montant de la réparation, cf. A. JONVILLE, Pratique de la promesse de porte-fort,
Droit et patrimoine 1998, n°57, p. 32 ; G. TILLEMENT, Promesse de porte-fort et droit des
sociétés, Rev. sociétés janv-mars 1993, p. 58 à 64 762 En raison de ces caractéristiques distinctives, il nous paraît contestable de considérer
certains mécanismes comme semblables à d’autres et donc dénués d’utilité. Ainsi, nous
n’adhérons pas à l’assimilation entre le constitut et le cautionnement (cf. Ph. DUPICHOT, th.
préc., n°354), entre le constitut et la délégation incertaine sans obligation préalable entre le
délégant et le délégué (cf. J. CASEY, th. préc., n°116 bis), entre la promesse de porte fort et le
cautionnement (cf. J. CASEY, ibid., n°359 ; Ph. DUPICHOT, ibid., n°424), entre la promesse
de porte fort et la lettre d'intention contenant une obligation de résultat (cf. Ph. DUPICHOT,
ibid., n°423 ; A. JONVILLE, ibid., p. 31 et 32 ; Ph. SIMLER, Les solutions de substitution au
cautionnement, JCP 1990, I, 3427, n°20 ; Ph. SIMLER, Peut-on substituer la promesse de
porte fort à certaines lettres d’intention comme technique de garantie ?, RD bancaire 1997,
p. 224 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°243 ; Ph. SIMLER, n°1015), entre le
cautionnement et la solidarité de l’article 1216 du Code civil (cf. Ph. DUPICHOT, ibid.,
n°378, 379 ; M. MIGNOT, th. préc., n°614 ; J. FRANÇOIS, n°461).
protection des intérêts financiers de tous les créanciers bénéficiaires d’une garantie
personnelle. Il ne favorise plus alors l’efficacité subjective, mais organise l’efficacité
objective.
CHAPITRE II
LE DROIT POSITIF
ORGANISE L’EFFICACITE OBJECTIVE
405. L’implication directe du droit positif dans l’efficacité objective du
cautionnement. Lorsque le droit positif prend lui-même en charge la protection des
intérêts économiques des créanciers bénéficiaires d’une garantie personnelle, son
implication dans l’apparition des facteurs d’efficacité est directe, puisqu’elle
s’exerce sans le truchement de la volonté des parties. Ce sont alors les dispositions
légales impératives et les décisions jurisprudentielles ne se prononçant pas sur la
validité de stipulations contractuelles, qui sont à l’origine des expressions de
l’efficacité in abstracto et, plus particulièrement, des expressions de l’efficacité liées
à l’exécution du garant763.
Dans la mesure où seul le cautionnement est aujourd'hui spécialement
réglementé, il n’est possible de s’intéresser qu’à la manière dont le droit positif
organise l’efficacité objective de ce mécanisme. A cet égard, il apparaît que le
législateur, aussi bien que les juges, sont directement à l’origine de facteurs
augmentant les chances de solvabilité et d’exécution volontaire de la caution.
Ces différents facteurs concourant à l’efficacité in abstracto du cautionnement
apparaissent, non seulement lorsque le droit positif assure la primauté de la fonction
de garantie de ce contrat (Section 2), mais également lorsqu’il impose des
protections de la caution utiles à l’efficacité objective du cautionnement (Section 1).
763 Il existe deux autres expressions de l’efficacité objective des garanties personnelles :
l’extinction de la dette principale par le débiteur lui-même, d’une part, et l’extinction de cette
même dette par un tiers cessionnaire, d’autre part (cf. supra n°62-68). Les facteurs favorisant
chacune de ces expressions ont essentiellement pour origine la volonté des parties. C’est le
cas du choix du garant, de certaines clauses présentant un caractère comminatoire pour le
débiteur principal (comme la clause de « défauts croisés »), de la surveillance de ce dernier
par le garant, ou encore de clauses relatives à la transmissibilité de la garantie avec
l’obligation principale. Les facteurs dont le droit positif est directement à l’origine sont
surtout l’efficacité des recours du garant contre le débiteur et la transmission de la garantie
avec le principal. Nous envisagerons le premier à l’occasion de l’étude des moyens par
lesquels le droit positif organise l’exécution volontaire de la caution (cf. infra n°418-423 ;
427-433). Et nous rappellerons simplement que le second est mis en œuvre par l’article 1692
du Code civil.
SECTION 1 : LES PROTECTIONS DE LA CAUTION
UTILES A L’EFFICACITÉ DU CAUTIONNEMENT
406. Il n’existe pas une incompatibilité de principe entre la protection du
créancier et celle du garant. Malgré l’antagonisme des intérêts de ces contractants,
certaines protections du garant fondées sur l’impératif d’éthique contractuelle
peuvent permettre l’apparition de facteurs d’efficacité764. Le droit actuel en fournit
diverses illustrations à travers, d’une part, certaines contraintes pesant sur les
créanciers (§1) et, d’autre part, les protections du garant non mises à la charge de ces
derniers, que sont les recours de la caution contre le débiteur principal (§2).
§1 : LES CONTRAINTES IMPOSEES AUX CREANCIERS
407. L’utilité des contraintes fondées sur l’impératif d’éthique
contractuelle. Les contraintes fondées sur l’éthique contractuelle, que la loi et la
jurisprudence font supporter aux créanciers, peuvent servir les intérêts de ces
derniers, tout en protégeant indirectement la caution. Elles peuvent en effet conduire
à l’exécution volontaire de celle-ci, soit parce qu’elles augmentent les chances de
solvabilité de la caution lors de l’appel de la garantie, soit parce qu’elles diminuent
les risques de contestation du cautionnement. Si les modalités des contraintes
imposées aux créanciers ne sont pas toujours fixées en ayant égard à l’objectif
d’efficacité765, il n’en reste pas moins que, dans leur principe même, elles peuvent
rendre plus sûre la réalisation de l’attente commune à tous les bénéficiaires d’un
cautionnement.
Ces contraintes utiles à la protection des intérêts des créanciers sont de deux
types. Certaines constituent des manifestations positives de l’impératif d’éthique
contractuelle. Elles obligent le créancier à faciliter l’exécution de la caution (A).
D’autres sont des traductions négatives de cet impératif. Elles interdisent au
bénéficiaire de profiter de sa situation de force pour exploiter la caution (B).
A/ LES OBLIGATIONS POSITIVES
408. Les obligations d’information de la caution. En imposant aux
créanciers de fournir à la caution des renseignements sur la nature et la portée de son
engagement et sur la situation du débiteur principal, la loi encourage l’exécution de
la caution. En effet, ces informations réduisent le risque de contestation ou d’accueil
judiciaire des contestations. Par ailleurs, elles augmentent les chances de solvabilité
de la caution à l’échéance, puisqu’elles incitent celle-ci à prendre des précautions
pour disposer des fonds nécessaires en cas d’appel de la garantie.
L’information de la caution, qui exprime la solidarité devant exister entre les
contractants au nom de l’éthique contractuelle, est imposée par la loi au stade de la
conclusion du cautionnement, par le biais des mentions manuscrites requises, soit à
titre probatoire (article 1326 du Code civil), soit à peine de nullité (articles L. 313-7,
L. 313-8, L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation ; article 22-1 de la loi
du 6 juillet 1989).
764 Cf. supra n°168-171 765 Cf. infra n°601-615
L’information est également exigée au cours de la vie de la garantie (article L.
313-22 du Code monétaire et financier ; article 47-II alinéa 2 de la loi du 11 février
1994 ; article 2016 alinéa 2 du Code civil ; article L. 341-6 du Code de la
consommation), et en cas d’incident de paiement du débiteur principal (articles L.
313-9 et L. 341-1 du Code de la consommation ; article 47-II alinéa 3 de la loi du 11
février 1994)766.
409. Les contraintes relatives à l’étendue de l’engagement de la caution.
Le second type d’obligations positives mises à la charge des créanciers, et utiles à la
protection de leurs intérêts, a trait à l’étendue de l’engagement de la caution. Il
existe aujourd’hui plusieurs hypothèses dans lesquelles la liberté dans la
détermination de l’étendue de l’engagement de la caution est atténuée, voire
supprimée.
410. L’obligation de choisir entre un cautionnement solidaire et un
cautionnement indéfini. Tout d’abord, le cautionnement limité en montant est
encouragé par deux textes. L’article 47-II alinéa 1er de la loi du 11 février 1994
concerne le cautionnement, par une personne physique, des dettes professionnelles
d’un entrepreneur individuel. L’article L. 341-5 du Code de la consommation se
rapporte au cautionnement notarié souscrit par une personne physique au profit d’un
créancier professionnel767. Ces deux dispositions768 prévoient que les stipulations de
solidarité et de renonciation au bénéfice de discussion sont réputées non écrites si
l’engagement de la caution n’est pas limité à un montant global, incluant le
principal, les intérêts, les frais et les accessoires. Le plafonnement du cautionnement
n’est pas ici une condition de validité de la garantie elle-même, mais seulement de la
stipulation de solidarité et de la renonciation au bénéfice de discussion. Le
cautionnement limité n’est pas imposé, il n’est qu’encouragé769. Le créancier a donc
un choix à faire entre un cautionnement solidaire et un cautionnement indéfini. S’il
opte pour le premier, il peut espérer que la limitation du montant de l’engagement de
la caution va permettre à celle-ci de comprendre ce pour quoi elle s’engage, et va
l’inciter à prendre des précautions pour être solvable en cas de défaillance du
débiteur principal.
411. L’obligation de déterminer l’étendue de l’engagement de la caution.
Les articles L. 313-7 et L. 341-2 du Code de la consommation sont encore plus
contraignants, puisqu’ils condamnent le cautionnement d’un montant indéterminé ou
donné pour une durée indéterminée, dès lors que le contrat est conclu, sous-seing
privé, entre une caution personne physique et un créancier professionnel770. A peine
766 Pour le détail des modalités de ces différentes obligations d’information, cf. infra n°548 767 L’article L. 341-5 du Code de la consommation ne vise pas expressément le cautionnement
notarié, mais c’est uniquement en restreignant de la sorte le champ d’application de cette
nouvelle disposition qu’il est possible d’éviter la contradiction entre celle-ci et l’article L.
341-2 du même Code. Sur l’articulation entre ces deux textes, cf. infra n°549 768 L’article L. 341-5 n’est que la reproduction de l’article 47-II alinéa 1er de la loi de 1994. 769 En ce sens, cf. B. DEPRET, De nouvelles contraintes pour les banques, un sort amélioré
pour les cautions. Quelques brèves remarques sur certaines dispositions de la loi Madelin du
11 fév.1994, LPA 10 juin 1994, n°69, p. 11 ; L. LEVENEUR, Contr. conc. cons. 1994, n°48 770 Sur l’articulation entre ces deux dispositions, cf. infra n°545
de nullité du cautionnement, les créanciers professionnels doivent donc prévoir une
somme-plafond771 et un terme extinctif. Cela conduit à limiter les risques pouvant
être garantis par la caution772, mais aussi à limiter le risque d’insolvabilité de la
caution à l’échéance.
412. Les contraintes imposées aux créanciers visant à faciliter l’exécution de
la caution, par son information ou par la limitation de l’étendue de son engagement,
peuvent donc rendre le cautionnement efficace. Il en va de même des abstentions
que l’éthique contractuelle commande également aux créanciers.
B/ LES OBLIGATIONS DE NE PAS FAIRE
413. Le devoir de tempérance du créancier. L’impératif d’éthique
contractuelle s’oppose à ce qu’une convention ne serve d’instrument d’exploitation
d’un contractant par l’autre. Le contractant en situation de force ne doit pas profiter
de l’ignorance, de l’inexpérience, de l’inaptitude à la négociation, ou encore de
l’urgence des besoins de son cocontractant, pour lui imposer des obligations
disproportionnées. En matière de contrats unilatéraux, l’impératif d’éthique
contractuelle condamne, non pas la disproportion entre les droits et obligations des
parties, mais la disproportion des moyens employés par le créancier pour protéger
ses intérêts. Le bénéficiaire d’une garantie personnelle doit être tempérant, c'est-à-
dire éviter de confondre protection et surprotection de ses intérêts. Deux obligations
de ne pas faire vont en ce sens et sont en même temps utiles à l’efficacité du
cautionnement.
771 La somme « couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des
pénalités ou intérêts de retard », les créanciers sont obligés d’estimer le montant des
différents accessoires. 772 En ce sens, cf. Commentaire de la loi pour l’initiative économique du 1er août 2003, par le
Groupement de recherche sur les organisations et les groupements, Rev. jurisp. com. 2003,
p. 350 ; V. AVENA-ROBARDET, Réforme inopinée du cautionnement, D. 2003, chron.,
p. 2083 et s. ; Ph. DELEBECQUE, Les incidences de la loi du 31 déc. 1989 sur le
cautionnement, D. 1990, chron., p. 255, n°7 ; J. DEVEZE, Du mauvais usage de la loi en
matière de cautionnement. Petit guide des effets pervers (avérés ou potentiels) de quelques
dispositions récentes, Mélanges P. Vellas, Recherches et réalisation, Pédone, 1995, p. 386 ;
M. GERMAIN, La loi n°2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique, JCP 2003,
act. 401 ; D. HOUTCIEFF, Les dispositions applicables au cautionnement issues de la loi
pour l’initiative économique, JCP 2003, I, 161 ; D. LEGEAIS, Le Code de la consommation
siège d’un nouveau droit du cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au
cautionnement introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et
sur la ville, JCP 2003, éd. E, p. 1610 et s. ; S. PIEDELIEVRE, Droit des sûretés et droit de la
consommation, Droit et patrimoine 1997, p. 58 ; S. PIEDELIEVRE, La réforme de certains
cautionnements par la loi du 1er août 2003 (loi pour l’initiative économique), Defrénois 2003,
article 37837, p. 1371 et s. ; A. PRÜM, Protéger les cautions contre elles-mêmes !, RD
bancaire et financier 2003, n°5, p. 269 ; J.-Y. RODIERE-GRANGER, Réforme du droit du
cautionnement (à propos de la loi n°721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique), LPA
27 octobre 2003, n°214, p. 4 et 5 ; Ph. SIMLER, Prévention et dispositif de protection de la
caution, LPA 10 avril 2003, n°72, p. 22 ; I. TRICOT-CHAMARD, Les vicissitudes de la
mention manuscrite dans le cautionnement : suite ou fin ?, JCP 2004, I, 112, n°15 ; Ph.
SIMLER, n°259
414. L’obligation de ne pas faire souscrire à la caution un engagement
disproportionné par rapport à ses facultés financières. Tout d’abord, le droit
positif fait régner l’impératif d’éthique contractuelle, dans sa dimension négative, en
interdisant aux créanciers de faire souscrire à une caution personne physique un
engagement disproportionné par rapport à ses biens et revenus au jour de la
conclusion du contrat. C’est d’abord l’article L. 313-10 du Code de la
consommation qui a imposé aux établissements de crédit de ne pas conclure un
cautionnement de crédit à la consommation ou de crédit immobilier avec une
personne physique dont la situation financière serait manifestement insuffisante. La
Cour de cassation a ensuite généralisé l’exigence de proportionnalité en se fondant
sur les règles de la responsabilité civile773. Enfin, au moment où la Haute juridiction
semblait vouloir remettre en cause sa jurisprudence Macron774, c’est à nouveau le
législateur qui a imposé la proportionnalité, en l’étendant à tous les cautionnements
unissant une caution personne physique et un créancier professionnel (article L. 341-
4 du Code de la consommation)775.
Le devoir d’abstention, et l’obligation positive implicite qui en découle de
vérifier la solvabilité de la caution avant de conclure le contrat de garantie776,
protègent indéniablement les intérêts de la caution, puisqu’ils préservent son « droit
à la liberté patrimoniale », en vertu duquel la caution « par un seul acte…ne doit
pas se ruiner définitivement pour avoir consenti des sûretés excessives »777.
L’efficacité du cautionnement n’est pas pour autant sacrifiée. Tout d’abord, la
jurisprudence décide que la caution est privée du droit de se prévaloir de la
disproportion si elle ne coopère pas dans la fourniture des informations nécessaires à
l’appréciation de sa solvabilité778. Le respect de l’impératif d’éthique contractuelle
s’impose donc à chacun des contractants.
L’efficacité se trouve ensuite préservée par la règle de retour à meilleure
fortune, instituée par l’article L. 313-10 et reprise par l’article L. 341-4 du Code de
la consommation, selon laquelle la caution peut être poursuivie, malgré la
disproportion initiale, si son patrimoine, lors de l’appel de la garantie, lui permet de
faire face à son engagement779.
773 Cass. com., 17 juin 1997, arrêt Macron : Bull. civ. IV, n°188 774 Sur la jurisprudence Nahoum de la Chambre commerciale remettant en cause le principe
de proportionnalité, cf. infra n°466 775 Sur l’articulation entre les articles L. 313-10 et L. 341-4 du Code de la consommation, cf.
infra n°545 776 Sur cette obligation de vérification de la solvabilité de la caution, cf. Ph. DELEBECQUE,
Les incidences de la loi du 31 déc. 1989 sur le cautionnement, D. 1990, chron., p. 255, n°13 ;
B. LEGROS, La protection jurisprudentielle du dirigeant social caution, Rev. sociétés, avril-
juin 1998, p. 296 ; S. PIEDELIEVRE, Droit des sûretés et droit de la consommation, Droit et
patrimoine 1997, p. 58 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°84 ; Ph. SIMLER, n°248 777 D. LEGEAIS, Principe de proportionnalité : le cas du contrat de crédit avec constitution
de garantie, LPA 30 septembre 1998, n°117, p. 38 778 Cass. com., 8 juillet 2003 : RD bancaire et financier 2003, n°221, obs. LEGEAIS 779 D. HOUTCIEFF (art. préc., n°26) relativise l’efficacité résultant de l’ « exception de
proportionnalité » en remarquant qu’elle confine au paradoxe, puisque « non seulement le
créancier professionnel n’est pas le mieux placé pour apporter pareille preuve, mais cette
démonstration suppose virtuellement la réussite de l’opération garantie et l’inutilité du
recours ! »
Enfin, à condition d’être assortie d’une sanction dissuasive780, l’obligation de
ne pas conclure un cautionnement disproportionné peut même constituer un facteur
d’efficacité objective. En effet, les risques d’insolvabilité de la caution et de
contestation de son engagement peuvent être réduits dès lors que l’impératif
d’éthique contractuelle est imposé, par la loi ou les juges, aux créanciers, et que
ceux-ci ne prennent pas la caution en otage en lui faisant souscrire un contrat hors de
proportion par rapport à ses facultés patrimoniales781.
415. L’obligation de ne pas compromettre le recours subrogatoire de la
caution. C’est par ailleurs l’obligation de ne pas compromettre le recours
subrogatoire de la caution, inscrite dans l’article 2037 du Code civil, qui se révèle, à
la fois protectrice des intérêts de la caution, et utile à l’efficacité objective du
cautionnement. L’efficacité des recours de la caution contre le débiteur principal
étant un facteur d’efficacité782, cette obligation contribue aussi à l’exécution
volontaire de la caution et donc à la satisfaction des attentes du créancier.
416. Protéger les intérêts de la caution en faisant peser sur les créanciers des
obligations positives et négatives n’est pas, en soi, incompatible avec l’efficacité
d’une garantie personnelle. En instaurant des contraintes fondées sur l’impératif
d’éthique contractuelle, le législateur et les juges, loin de contrevenir à la fonction
du cautionnement, peuvent, au contraire, protéger les intérêts des créanciers.
Il existe une autre forme de protection de la caution utile à l’efficacité in
abstracto du cautionnement, mais non mise à la charge du créancier. Il s’agit des
recours ouverts à la caution contre le débiteur principal.
§2 : LES RECOURS DE LA CAUTION
CONTRE LE DEBITEUR PRINCIPAL
417. L’efficacité des recours du garant contre le débiteur principal : un
facteur d’efficacité des garanties personnelles. L’efficacité des recours du garant
contre le débiteur principal, permettant au premier de sortir indemne de l’opération
de garantie, constitue un facteur d’efficacité objective des garanties personnelles à
un double titre. D’une part, l’efficacité des recours présente un caractère
comminatoire à l’égard du débiteur principal, qui se trouve incité à éteindre lui-
même sa dette. D’autre part, l’efficacité des recours favorise l’exécution volontaire
du garant, puisque ce dernier sait ainsi disposer de moyens pour ne pas supporter
définitivement le poids de son paiement.
780 Sur la sanction des articles L. 313-10 et L. 341-4 du Code de la consommation, cf. infra
n°619 781 En ce sens, cf. M. BEHAR-TOUCHAIS, Le banquier et la caution face à la défaillance du
débiteur, RTD civ. 1993, p. 739, n°3 : « le remède à la crise du cautionnement nous semble
être effectivement dans la limitation de la possibilité d’engager tous ses biens pour garantir
la dette d’un tiers…Ce sont précisément les cautionnements ruineux qui suscitent la réaction
de protection des juges. Au contraire, un cautionnement plus équilibré aurait une force
obligatoire plus effective ». 782 Cf. n°64, 131, 417
Le droit positif protège à la fois les intérêts de la caution et ceux du créancier
en rendant efficaces, non seulement les recours avant paiement (A), mais aussi les
recours en remboursement contre le débiteur principal (B).
A/ LES RECOURS AVANT PAIEMENT
418. Fondement, cas d’ouverture et nature des recours anticipés. Les
articles 2032 et 2039 du Code civil prévoient six cas dans lesquels la caution est en
droit d’exercer un recours préventif contre le débiteur principal. C’est un souci
d’équité qui explique cette faveur législative au bénéfice de la caution783, puisqu’il
s’agit d’éviter que celle-ci ne souffre d’une aggravation du risque d’avoir à payer
sans disposer d’un recours en remboursement efficace.
Cette aggravation se produit dans deux cas, qui sous-tendent les six hypothèses
légales784. Le risque de non remboursement est accru, d’une part, lorsque
l’insolvabilité du débiteur est avérée et que la caution est poursuivie ou est sur le
point de l’être, de sorte qu’il y a urgence à mettre en cause le débiteur (article 2032-
1°, 2° et 4°), d’autre part, lorsque la caution voit son obligation prolongée au-delà de
ce qui était contractuellement prévu ou au-delà d’un délai raisonnable (articles 2032-
3° et 5° et 2039).
Dans ces deux cas, la loi diminue donc le risque d’absence de remboursement
de la caution en autorisant celle-ci, quelles que soient les caractéristiques de son
engagement785, à exercer contre le débiteur principal786 un recours anticipé. Ce
recours, qui ne peut être fondé sur la subrogation, faute d’un paiement déjà opéré par
la caution, présente une nature personnelle787, mais se distingue du recours personnel
de l’article 2028 du Code civil, en ce qu’il repose sur une créance d’indemnité
783 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°237 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES,
par L. AYNES et P. CROCQ, n°161 ; S. PIEDELIEVRE, n°130 ; Ph. SIMLER et Ph.
DELEBECQUE, n°151 ; Ph. SIMLER, n°610; Ph. THERY, n°75. Ces auteurs en déduisent
que les recours avant paiement présentent un caractère exceptionnel, et que la liste des articles
2032 et 2039 du Code civil est limitative. 784 En ce sens, cf. P. ANCEL, Le cautionnement des dettes de l’entreprise, Dalloz, 1989,
n°309 ; J. FRANÇOIS, n°288 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ,
n°161 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°153 ; Ph. SIMLER, n°610 785 Les recours avant paiement sont ouverts à toute caution : caution simple comme solidaire
(Cass. civ., 19 novembre 1872 : DP 1873, 1, p. 38 ; S. 1873, 1, p. 193, note LABBE),
personnelle comme réelle, avaliste (Cass. req., 6 février 1906 : S. 1906, 1, p. 481 ; DP 1908,
1, p. 225 ; Cass. civ., 25 mai 1938 : DH 1938, p. 385 ; Gaz. Pal. 1938, 2, p. 183 ; Cass. com.,
12 juillet 1971 : Bull. civ. IV, n°202). 786 L’interprétation stricte des articles 2032 et 2039 du Code civil a conduit la jurisprudence à
admettre les recours préventifs seulement contre le débiteur principal, à l’exclusion d’un
codébiteur solidaire non cautionné (Cass. com., 27 novembre 1978 : Bull. civ. IV, n°277),
d’un cofidéjusseur (Cass. com., 3 mars 1981 : Bull. civ. IV, n°117), ou encore d’une sous-
caution (Cass. com., 24 mars 1980 : Bull. civ. IV, n°141 ; Cass. com., 12 juin 2001 : Bull. civ.
IV, n°114 ; Cass. com., 11 décembre 2001 : Bull. civ. IV, n°196). Cette dernière solution
s’explique par le fait que, dans la relation caution / sous-caution, la première n’agit pas en
qualité de caution, mais en tant que créancier garanti. L’absence de recours anticipé contre la
sous-caution n’empêche cependant pas la caution de solliciter, comme tout créancier garanti,
des mesures conservatoires qui rejoignent celles de l’action avant paiement (en ce sens, cf.
Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°152). 787 Cass. com., 3 mars 1981 : Bull. civ. IV, n°117
distincte de celle qui appartient au créancier contre le débiteur788. Si l’objectif de
prévention de ce recours personnel avant paiement est certain, les moyens de le
réaliser concrètement ne sont pas définis par les textes.
419. Recours préventif sous la forme d’un appel en garantie du débiteur
principal. Lorsque la caution est poursuivie en justice pour le paiement (article
2032-1° du Code civil), la jurisprudence admet que le recours anticipé prenne la
forme d’un appel en garantie du débiteur principal789.
Cette manière de procéder cumule plusieurs avantages pour la caution790 et,
corrélativement, présente plusieurs inconvénients pour le débiteur, susceptibles de
l’inciter à multiplier les efforts pour les éviter. Tout d’abord, l’appel en garantie vaut
dénonciation au débiteur des poursuites dont la caution fait l’objet et ouvre ainsi
droit au remboursement des frais prévus par l’article 2028 du Code civil791. Ensuite,
il permet de solliciter immédiatement la prise de mesures conservatoires sur le
patrimoine du débiteur. En outre, il évite à la caution les frais et délais
supplémentaires qu’impliquerait un recours distinct intenté après paiement. Enfin,
même si le fait que le créancier poursuive la caution sans même agir contre le
débiteur laisse supposer que celui-ci est insolvable ou hors d’atteinte, et donc que le
recours avant paiement risque de demeurer infructueux, l’appel en garantie présente
néanmoins l’intérêt pour la caution d’obtenir au moindre coût un tire exécutoire,
dans l’attente de jours meilleurs.
Si l’appel en garantie est impossible, en raison d’une suspension des
poursuites contre le débiteur principal792, la jurisprudence admet que la caution
puisse pratiquer une saisie-attribution entre les mains d’un tiers, au besoin par voie
de référé793.
420. Recours anticipé de la caution par déclaration de sa créance à la
procédure collective du débiteur principal. Lorsque le débiteur est en faillite ou
en déconfiture civile (article 2032-2° du Code civil), le recours anticipé prend la
788 Cass. com., 19 juin 1984 : Bull. civ. IV, n°198 ; Cass. com., 2 mars 1993 : Bull. civ. IV,
n°80 ; Cass. com., 25 octobre 1994 : Bull. civ. IV, n°305 ; Cass. com., 3 mars 1998 : Banque
et droit 1999, n°63, p. 48, note RONTCHEVSKY 789 Cass. com., 1er février 1977 : Bull. civ. IV, n°33 ; Cass. com., 21 janvier 2003 : Bull. civ.
IV, n°8 790 En ce sens, cf. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°153 ; Ph. SIMLER, n°621 791 Sur l’assiette du recours personnel de l’article 2028 du Code civil, cf. infra n°432 792 Cette suspension est imposée par l’article L. 621-40 du Code de commerce en cas
d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, et elle est
également rendue possible par l’article L. 331-5 du Code de la consommation, en présence
d’une procédure de surendettement. La plupart des auteurs considèrent que l’arrêt provisoire
des poursuites individuelles, dans cette dernière hypothèse, est opposable à la caution (en ce
sens, cf. L. AYNES, note sous Cass. 1ère civ., 13 novembre 1996 : LPA 31 janvier 1997,
p. 15, note n°20 ; S. PIEDELIEVRE, Surendettement et cautionnement, Defrénois 2000,
article 37233, p. 1073 et s. , n°9). D’autres retiennent que la créance de la caution n’est pas
affectée par la suspension, car celle-ci ne trouverait à s’appliquer que dans les rapports des
parties intervenant au processus de négociation amiable, ce qui n’est pas le cas de la caution
(en ce sens, cf. E. BROCARD, Cautionnement et surendettement (à propos d’un arrêt de la
Cour de Cassation du 13 novembre 1996), D. Aff. 1998, n°106, p. 318 et s., n°17). 793 Cass. com., 1er février 1977 : Bull. civ. IV, n°33
forme d’une déclaration de la créance de la caution à la procédure collective ouverte
contre le débiteur. La Cour de cassation décide que cette action préventive ne saurait
être utilisée contre la caution, en détournant l’article 2032-2° de sa finalité794. Par
conséquent, il a été jugé que la déclaration de la caution préserve uniquement le
droit de celle-ci, sans assurer la survie de la créance principale non déclarée795.
Dans la mesure où, si le créancier ne déclare pas sa propre créance, la caution
est déchargée796, et s’il la déclare, la caution va être, après paiement, subrogée dans
ses droits en vertu de l’article 2029 du Code civil, la déclaration de la caution au
titre de son recours avant paiement peut sembler dépourvue d’intérêt797. Le recours
ouvert par l’article 2032-2° est pourtant utile à la caution lorsque la procédure
collective est clôturée pour insuffisance d’actif. Dans ce cas, alors que le recours
subrogatoire demeure paralysé par l’article L. 622-32 du Code de commerce, le
recours personnel, dont l’article 2032 est une illustration, peut être exercé, à
condition justement que la caution ait déclaré sa créance798.
421. Les incertitudes relatives à l’objet des recours avant paiement. Si la
jurisprudence admet ainsi sans difficulté que le recours anticipé puisse se traduire
par un appel en garantie du débiteur principal ou par la déclaration de la créance de
la caution à la procédure collective de ce dernier, elle est moins tranchée dans
l’admission d’un véritable paiement anticipé de ce que le débiteur peut devoir. En
effet, des décisions de justice viennent corroborer chacune des deux thèses
doctrinales qui s’affrontent concernant l’objet des recours avant paiement. Selon que
cet objet est appréhendé de manière stricte ou, au contraire, de manière libérale, le
recours présente un caractère plus ou moins comminatoire à l’encontre du débiteur
principal.
422. Le recours anticipé comme moyen de pression contre le débiteur. Dans une première conception, restrictive et aujourd'hui minoritaire799, l’objet du
recours préventif n’est, ni le paiement de la somme garantie (le paiement serait
injuste, en cas de prorogation du terme accordée au débiteur principal, ou absurde,
puisque si le débiteur peut payer la caution, il devrait plutôt payer le créancier), ni le
remboursement anticipé de ce que la caution n’a pas payé, ni encore l’indemnisation
d’un préjudice hypothétique et inexistant. Dans cette conception étroite, le recours
préventif est avant tout un moyen de pression contre le débiteur.
794 Cass. com., 19 juin 1984 : Bull. civ. IV, n°198 795 Cass. com., 25 octobre 1994 : Bull. civ. IV, n°305 ; Cass. com., 14 février 1995 : JCP
1995, I, 3851, n°7, obs. SIMLER 796 Sur l’extinction du cautionnement en cas de forclusion du créancier pour défaut de
déclaration de sa créance, cf. infra n°591, 592 797 En ce sens, cf. J. FRANÇOIS, n°290 ; Ph. SIMLER, n°625 798 En ce sens, cf. Ph. THERY, n°78 799 En faveur de cette conception restrictive, cf. C. LACHIEZE, th. préc., n° 393 à 399 ; P.
ANCEL, Le cautionnement des dettes de l’entreprise, Dalloz, 1989, n°306 ; P. ANCEL,
n°139 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°166
Pour obliger celui-ci à exécuter ses obligations, la caution ne peut qu’exiger la
fourniture de sûretés destinées à garantir son recours ultérieur après paiement800, et
prendre des mesures conservatoires si le débiteur ne peut pas fournir de garanties
suffisantes801. En revanche, n’étant pas à proprement parler créancière du débiteur,
la caution ne pourrait obtenir des mesures d’exécution, telles des saisies-exécution.
Pour la même raison, elle ne pourrait pas participer à une procédure de
distribution802, et elle ne pourrait pas davantage invoquer une compensation avec
une créance qu’elle aurait contre le débiteur garanti803.
423. Le recours anticipé comme action en paiement contre le débiteur.
Dans la conception large, aujourd'hui dominante804, l’objet du recours est plus
étendu, et son caractère coercitif à l’égard du débiteur principal est, de ce fait, plus
accusé. En effet, le recours préventif est ici analysé comme un véritable paiement
anticipé de ce que le débiteur pourrait devoir à terme à la caution. Le risque de
paiement que fait courir le débiteur à celle-ci constitue un préjudice actuel, qui
justifie l’action en indemnisation805.
Dès lors, le débiteur peut être condamné au versement d’une somme d’argent,
soit entre les mains d’un tiers (séquestre), soit entre les mains de la caution. Cette
dernière peut également participer à une procédure de distribution et percevoir les
dividendes806, ou encore invoquer, à son bénéfice, la compensation807. « Les sommes
obtenues par l’action préventive sont pleinement acquises à la caution et ne sont
même grevées d’aucune affectation particulière au paiement ultérieur du
créancier »808.
Néanmoins, ces sommes doivent être restituées au débiteur s’il doit
ultérieurement payer le créancier. Par ailleurs, si elles sont reversées par la caution
au créancier, un recours contre d’éventuels cofidéjusseurs doit être exclu, à due
concurrence, sous peine de procurer à la caution un enrichissement injustifié809.
Enfin, si la caution a obtenu un paiement sur le fondement de l’article 2032 du Code
civil, elle ne peut pas, après avoir payé, réclamer un remboursement intégral : le
recours personnel ou subrogatoire après paiement doit être amputé des sommes
perçues au titre du recours anticipé. Celui-ci doit donc prémunir la caution contre le
800 Cass. req., 22 janvier 1868 : DP 1868, 1, p. 168 ; S. 1868, 1, p. 256 ; CA Douai, 12 février
1891 : DP 1893, 2, p. 481, note PLANIOL ; CA Toulouse, 21 décembre 1904 : DP 1905, 2,
p. 359 801 Cass. com., 1er février 1977 : Bull. civ. IV, n°33 802 Cass. civ., 17 avril 1905 : S. 1909, 1, p. 385 (solution implicite) ; CA Grenoble, 3 août
1853 : S. 1854, 2, p. 449 ; DP 1855, 2, p. 70 803 Cass. com., 3 mars 1998 : D. Aff. 1998, p. 536 804 En faveur de cette conception, cf. S. PIEDELIEVRE, n°8 ; M. CABRILLAC et Ch.
MOULY, n°239 ; D. LEGEAIS, n°276 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y.
février 1982 : Bull. civ. I, n°55 ; Cass. com., 29 octobre 1991 : Bull. civ. IV, n°316 806 CA Paris, 2 mars 1971 : Gaz. Pal. 1971, 2, p. 824. Incidemment, cf. Cass. 1ère civ., 2
février 1982 : Bull. civ. I, n°55 807 Cass. com., 5 novembre 1971 : Bull. civ. IV, n°264 808 Ph. SIMLER, n°614 809 CA Paris, 2 mars 1971 : Gaz. Pal. 1971, 2, p. 824. Contra : Cass. 1ère civ., 2 février 1982 :
Bull. civ. I, n°55
risque d’insolvabilité du débiteur, sans toutefois conduire à un enrichissement sans
cause.
424. Que l’objet du recours avant paiement soit entendu restrictivement ou
largement, ledit recours diminue le risque, pour la caution, de ne pas être
remboursée après exécution de ses obligations. L’efficacité du recours anticipé est,
non seulement protectrice des intérêts de la caution, mais aussi de ceux du créancier,
puisqu’elle est de nature à augmenter les chances d’extinction de la dette principale
par le débiteur lui-même, extinction qui constitue l’une des expressions de
l’efficacité objective des garanties personnelles. L’efficacité in abstracto du
cautionnement est également liée à l’efficacité des recours en remboursement.
B/ LES RECOURS EN REMBOURSEMENT
425. Les recours en remboursement contre les cofidéjusseurs et contre les
sous-cautions. L’efficacité du recours contre les cofidéjusseurs810 et contre les sous-
810 La caution ne peut demander aux cofidéjusseurs que ce qu’elle a payé en plus de sa part
(cf. Cass. 1ère civ., 9 mars 2004 : RJDA 8-9/2004, n°1033 et 1046). Elle a cependant intérêt à
le faire en cas d’insolvabilité du débiteur. Pour augmenter ses chances de remboursement, la
caution peut, d’une part, exercer le recours contre le débiteur principal et contre les
cofidéjusseurs en même temps et, d’autre part, agir contre ceux-ci cumulativement sur le
fondement de son action personnelle (article 2033 du Code civil) et de l’action du créancier
dans laquelle elle est subrogée (article 1251-3° du Code civil). Le recours subrogatoire permet
à la caution solvens de bénéficier des sûretés qui garantissent le recours du créancier contre
les cofidéjusseurs. Ce recours est spécialement protecteur des intérêts de la caution solvens et
l’incite, par conséquent, à exécuter ses obligations envers le créancier, lorsque la dette d’une
autre caution est garantie par une sûreté réelle, ou lorsqu’un cofidéjusseur est lui-même
garanti par un certificateur de caution.
Les conditions pour pouvoir exercer un recours contre les cofidéjusseurs ne sont pas
contraignantes (sur ces conditions, cf. P. ANCEL, Le cautionnement des dettes de
l’entreprise, Dalloz, 1989, n°682 à 685 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°242 ; J.
FRANÇOIS, n°293 ; D. LEGEAIS, n°282 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et
P. CROCQ, n°175 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°158 ; Ph. SIMLER, n°638 à 642 ;
Ph. THERY, n°71). Il suffit, en effet, que la caution ait été contrainte de payer (avant le
paiement, la caution est autorisée à appeler les cofidéjusseurs en garantie. Cf. Cass. 1ère civ.,
15 juin 2004 : Bull. civ. I, n°169), que son paiement ait été utile au sens de l’article 2031 du
Code civil, et que les cofidéjusseurs poursuivis aient été tenus de la même dette que la caution
solvens.
La jurisprudence a écarté de nombreuses conditions, renforçant par là même l’efficacité des
recours contre les cofidéjusseurs. Ainsi, lesdits recours sont ouverts dès que la caution est
mise en demeure par le créancier, sans qu’un jugement de condamnation ne soit nécessaire.
Le paiement n’a pas à être intégral. Il suffit que la caution solvens ait désintéressé le créancier
au-delà de sa part contributive dans la dette (CA Paris, 13 janvier 1995 : D. 1995, 573, note
FOURNIER ; JCP 1995, éd. E, I, 515, n°9, obs. SIMLER. Contra, cf. CA Paris, 9 mai 2003 :
JCP 2003, I, 176, n°9, obs. SIMLER). Par ailleurs, l’échelonnement dans le temps des
différents cautionnements n’a aucune incidence sur le recours (Cass. 1ère civ., 3 octobre 1995 :
Bull. civ. IV, n°338), et aucun lien conventionnel préalable entre les cofidéjusseurs n’est
requis. Les juges décident, en outre, que la renonciation par une caution solidaire à son
recours contre le débiteur principal ne la prive pas du droit d’agir contre les cofidéjusseurs
(Cass. 1ère civ., 21 novembre 1973 : Gaz. Pal. 1974, 1, Somm., p. 2 ; D. 1974, IR, p. 28).
Enfin, dans le contexte d’une procédure collective ouverte contre le débiteur principal, la
cautions811 peut encourager la caution à exécuter volontairement son engagement et
conforter, ce faisant, la réalisation de l’attente objective du créancier. Ces recours ne
seront pourtant pas détaillés, car la protection des intérêts du bénéficiaire pouvant
résulter de leur efficacité ne découle pas de la constitution ou de la réalisation du
cautionnement lui-même. Or, les seuls effets à prendre en compte dans la définition
et l’appréciation de l’efficacité des garanties personnelles sont ceux produits par le
contrat de garantie lui-même812.
426. L’influence du droit sur les conditions de l’efficacité des recours en
remboursement du garant contre le débiteur principal. S’agissant du recours en
remboursement contre le débiteur principal, son efficacité est subordonnée à deux
conditions. La première a trait à l’existence même du recours et au fait qu’il soit
largement ouvert à la caution. La seconde réside dans la solvabilité du débiteur
principal.
Le droit positif a peu de prise sur cette seconde condition. Il favorise
néanmoins la sauvegarde du droit de gage général de la caution contre le débiteur
principal, en autorisant celle-ci à prendre des sûretés réelles sur le patrimoine du
Cour de cassation a décidé, d’une part, que le recours contre les cofidéjusseurs peut être
exercé même si la caution solvens n’a pas déclaré sa créance contre le débiteur principal, les
autres cautions ayant elles-mêmes la faculté d’effectuer une telle déclaration, même avant
d’avoir payé, en vertu de l’article 2032 du Code civil (Cass. com., 5 novembre 2003 : Bull.
civ. IV, n°158). La Cour de cassation a retenu, d’autre part, que les cofidéjusseurs doivent
rembourser, à hauteur de leur part et portion dans la dette, la caution qui a payé la dette
principale, même si cette dette était éteinte pour ne pas avoir été déclarée à la procédure
collective du débiteur principal (Cass. com., 5 février 2002 : JCP 2002, I, 162, n°10, obs.
SIMLER). Lorsque la procédure collective frappe un cofidéjusseur, la Chambre commerciale
retient une solution moins favorable à la caution exerçant son recours, puisqu’elle décide que
sa créance prend naissance à la date de son engagement et non à la date de son paiement
(Cass. com., 16 juin 2004 : Bull. civ. IV, n°123). En conséquence, la créance fondant le
recours doit être déclarée si la procédure est ouverte après la signature du cautionnement et,
dans cette hypothèse, ladite créance ne relève pas de l’article L. 621-32 du Code de
commerce. 811 Le recours de la caution principale contre la sous-caution est nécessairement de nature
personnelle, puisque, comme il n’existe aucune relation entre le créancier et la sous-caution,
la caution de premier rang solvens ne saurait se prévaloir d’une subrogation dans les droits du
La première Chambre civile de la Cour de cassation a renforcé l’efficacité du recours de la
caution contre la sous-caution en décidant que cette dernière ne peut pas se prévaloir de
l’article 2031 du Code civil à l’encontre de la première qui lui demande le remboursement de
ce qu’elle a payé au créancier (Cass. 1ère civ., 26 février 2002 : Bull. civ. I, n°67). La caution
peut donc payer à la demande du créancier, sans craindre d’être déchue de son droit à
remboursement par la sous-caution au cas où la créance ainsi payée serait éteinte. Il n’est pas
sûr que cette solution protectrice des intérêts, tant de la caution, que du créancier, se
maintienne, car la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 17 septembre
2002 : Bull. civ. IV, n°123), a jugé qu’une sous-caution, sauf en cas d’admission de la créance
de la caution au passif du débiteur principal (Cass. com. 11 février 2004 : RJDA 8-9/2004,
n°1017 et 1047 ; JCP 2004, I, 188, n°9, obs. SIMLER ; Cass. com., 30 mars 2005 : D. 2005,
AJ, p. 1151), peut, pour se soustraire à l’action en paiement dirigée contre elle par la caution,
opposer la non déclaration de la créance principale au passif du débiteur. 812 Cf. supra n°20
débiteur813. Il réduit par ailleurs les conséquences néfastes pour la caution de
l’insolvabilité du débiteur lors du recours, en lui permettant de déduire fiscalement
de son revenu imposable les sommes versées au créancier814.
C’est surtout à l’égard de la première condition, tenant à l’existence et aux
conditions du recours en remboursement, que le droit positif joue un rôle
déterminant. Sous cet angle, la loi et les juges œuvrent pour l’efficacité du recours.
Dans la mesure où cette efficacité est de nature à inciter le débiteur principal à
éteindre lui-même sa dette et à augmenter les chances d’exécution volontaire de la
caution, il apparaît qu’elle protège les intérêts financiers du créancier. Le droit
positif, en rendant les recours après paiement efficaces, contribue ainsi à rendre le
cautionnement lui-même efficace.
Il est intéressant de souligner, tant les causes d’efficacité communes aux deux
recours en remboursement de la caution contre le débiteur principal (1), que les
causes d’efficacité propres au recours personnel, d’une part, et au recours
subrogatoire, d’autre part (2).
1. Les causes d’efficacité communes aux deux recours en remboursement
427. Les sujets du recours. La caution peut se retourner contre tout débiteur
principal. En cas de pluralité de débiteurs solidaires, si la caution les a tous
cautionnés, l’article 2030 du Code civil dispose qu’elle « a, contre chacun d’eux, le
recours pour la répétition du total de ce qu’elle a payé ». Si la caution n’a garanti
qu’un ou plusieurs d’entre eux, la jurisprudence admet qu’elle puisse agir contre le
codébiteur non cautionné, non seulement par un recours subrogatoire815, mais aussi
par un recours personnel816.
813 Cette pratique est très rare chez les cautions profanes. Ce sont les cautions professionnelles
qui réclament des sûretés au débiteur pour renforcer leur action en remboursement (en ce
sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°230). 814 La déduction fiscale des paiements faits par la caution, fondée sur les articles 13 et 83-3 du
Code général des impôts, est soumise à plusieurs conditions (cf. P. ANCEL, Le
cautionnement des dettes de l’entreprise, Dalloz, 1989, n°694 à 703 ; S. NONORGUE, La
situation fiscale du dirigeant, caution de la société, JCP 1997, éd. E., I, 649, n°3 à 34 ; M.
CABRILLAC et Ch. MOULY, n°227 ; Ph. SIMLER, n°412). L’obligation de la caution doit
avoir été la conséquence de son activité professionnelle, ce qui est le cas pour les dirigeants-
cautions. Le dirigeant doit être salarié ou avoir une fonction rémunérée dans la société
cautionnée. Il doit s’agir d’une fonction de direction, et cette fonction doit être effective. Le
cautionnement doit être directement rattaché à la qualité de dirigeant et donné « en vue de
servir les intérêts de l’entreprise » (CE 18 octobre 1993 : JCP 1994, éd. E., II, 552, note
D.F.). Le paiement doit avoir été fait sur poursuites. Le dirigeant salarié doit renoncer à la
déduction forfaitaire de 10% et adopter le régime des frais réels. Le Conseil d’Etat écarte la
restriction de la déduction en faveur des dirigeants ayant moins de 50% du capital social,
comme le préconisait le Fisc (CE 4 novembre 1988 : JCP 1988, éd. E., I, 17926 ; JCP 1989,
éd. N., II, 351, note D.F.).
Si toutes ces conditions sont réunies, la déduction n’est admise que dans la limite d’une
proportion entre la rémunération perçue l’année du cautionnement et le total cumulé des
dettes cautionnées. Cette proportion a été plafonnée à un tiers par le Conseil d’Etat (CE plén.,
22 décembre 1989 : RJF 2/1990, n°105 ; Dr. fisc. 1990, n°17-18, comm. 858, concl.
RACINE). Si le cautionnement est jugé hors de proportion avec la rémunération, une
déduction partielle est admise (CE 20 février 1991 : JCP 1991, éd. E., pan. 363). 815 Cass. civ., 6 juillet 1896 : DP 1896, 1, p. 455 ; S. 1897, 1, p. 5, note LYON-CAEN ; Cass.
civ., 21 janvier 1935 : S. 1935, 1, p. 110 ; DH 1935, 1, p. 116 ; Gaz. Pal. 1935, 1, p. 452 ;
428. L’inopposabilité à la caution exerçant ses recours des mesures
fondées sur l’impératif de justice distributive. La Cour de cassation a reconnu à la
caution le droit de demander remboursement au débiteur principal ayant bénéficié de
mesures fondées sur l’impératif de justice distributive817. En effet, la première
Chambre civile, dans un arrêt du 15 juillet 1999818, a décidé que la mesure de
réduction du solde d’un prêt immobilier encore dû à l’établissement de crédit après
la vente du domicile du débiteur surendetté ne s’applique pas au recours de la
caution qui a payé la dette du débiteur principal.
Cette solution a une portée plus large que la seule réduction fondée sur l’article
L. 331-7 alinéa 1er 4° du Code de la consommation819. Elle pourrait s’appliquer à
toutes les hypothèses dans lesquelles la dette garantie a été réduite ou rééchelonnée,
ou celles dans lesquelles son échéance a été prorogée.
La Haute juridiction semble admettre que la caution puisse exiger un
remboursement intégral, aussi bien lorsqu’elle exerce un recours personnel, que
lorsqu’elle met en œuvre le recours subrogatoire, puisqu’elle vise simultanément les
articles 2028 et 2029 du Code civil. En acceptant le recours subrogatoire, alors que
la caution ne devrait pas avoir plus de droits que n’en avait le créancier envers le
débiteur surendetté820, la Cour de cassation fait nettement primer les intérêts de la
caution sur ceux du débiteur principal, qui devient « le grand perdant de ce jeu à
trois personnes »821.
Le recours de la caution risque, en effet, d’anéantir le plan de redressement mis
en place, d’autant que ce recours ne paraît pas pouvoir être paralysé par un délai de
grâce accordé au débiteur822. Sauf à ce que ce dernier demande l’application de
nouvelles mesures, cette fois directement contre la caution, ou demande même
l’ouverture d’une nouvelle procédure si la première était déjà achevée, ou sauf à ce
que la caution participe au plan de redressement et renonce à exercer immédiatement
ses recours, ceux-ci ne sont donc pas affectés par l’ouverture d’une procédure de
surendettement. La jurisprudence a privilégié la protection directe de la caution et la
protection incidente du créancier au détriment du redressement du débiteur
principal.
Cass. 1ère civ., 12 décembre 1960 : Bull. civ. I, n°537 ; Cass. 3ème civ., 25 mai 1977 : D. 1977,
IR, p. 453 ; Gaz. Pal. 1977, 2, somm., p. 306 816 Le recours personnel contre le codébiteur non cautionné est fondé sur la gestion d’affaire,
cf. Cass. com., 27 novembre 1978 : Bull. civ. IV, n°277 817 Sur les expressions de la justice distributive en matière contractuelle, cf. supra n°134-136 818 Cass. 1ère civ., 15 juillet 1999 : Bull. civ. I, n°248. Dans le même sens, cf. Cass. 1ère civ.,
28 mars 2000 : Bull. civ. I, n°107 819 En ce sens, cf. S. PIEDELIEVRE, Surendettement et cautionnement, Defrénois 2000,
article 37233, p. 1073 et s., n°21 820 La doctrine préconise de limiter la solution au seul recours personnel. Cf. C. LACHIEZE,
th. préc., n°386 à 392 ; E. BROCARD, Cautionnement et surendettement (à propos d’un arrêt
de la Cour de Cassation du 13 novembre 1996), D. Aff. 1998, n°106, p. 318 et s., n°15 ; S.
PIEDELIEVRE, ibid., n°22 ; J. FRANÇOIS, n°328 ; Ph. SIMLER, n°719 821 S. PIEDELIEVRE, ibid., n°23 822 Cass. 1ère civ., 16 décembre 1992 (Bull . civ. I, n°317 ; D. 1994, Somm., p. 18, obs.
FORTIS ; RTD com. 1993, p. 174, obs. PAISANT) a refusé que le juge puisse, pour un même
débiteur, cumuler les dispositions de l’article L. 332-5 du Code de la consommation avec
celles de l’article 1244-1 du Code civil.
429. L’influence limitée des causes d’inefficacité des recours en
remboursement sur l’efficacité du cautionnement. Seules deux causes
d’inefficacité du recours sont susceptibles d’inciter le débiteur principal à ne pas
exécuter ses obligations et de compromettre ainsi l’efficacité du cautionnement lui-
même. Il s’agit, d’une part, de la suspension des recours contre le débiteur principal
en redressement judiciaire (article L. 621-40 du Code de commerce), ou en
procédure de surendettement (article L. 331-5 du Code de la consommation) et,
d’autre part, de l’absence de recours contre le débiteur incapable, dont l’obligation
est nulle823.
Les autres hypothèses dans lesquelles la caution se trouve privée de recours en
remboursement n’incitent pas nécessairement celle-ci à refuser d’exécuter son
engagement, et n’affectent donc pas nécessairement l’efficacité du cautionnement.
Tout d’abord, la jurisprudence décide aujourd'hui que les recours personnel et
subrogatoire ne peuvent plus être exercés par la caution à l’expiration du délai de
forclusion de deux ans prévu par l’article L. 311-37 du Code de la consommation824.
Si cette solution compromet l’efficacité des recours en remboursement contre le
consommateur bénéficiaire d’un crédit mobilier, on peut se demander si la
modification de l’article L. 311-37 du Code de la consommation par la loi MURCEF
du 11 décembre 2002825 ne pourrait pas conduire à sa remise en cause. En effet,
depuis cette loi, la forclusion biennale est inopposable à l’emprunteur qui conteste la
régularité formelle de l’offre de crédit et ne concerne plus que la seule action du
prêteur. Si la Cour de cassation limite, comme l’y invite la loi nouvelle, l’application
du délai de deux ans aux actions du créancier contre le débiteur, une cause
d’inefficacité des recours de la caution contre le débiteur se trouverait supprimée et
le cautionnement y gagnerait en efficacité.
Une seconde cause d’exclusion du recours en remboursement est cette fois
d’ores et déjà tempérée par la jurisprudence. Il s’agit de la donation indirecte
consentie par la caution au débiteur826. Sauf si elle se situe dans les rapports entre
823 Sur cette question, cf. Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ,
n°139 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°77 ; Ph. SIMLER, n°224 : « Tout au plus
peut-on admettre un recours contre l’incapable dans la mesure où l’affaire qui le liait au
créancier a tourné à son profit, recours qui trouve son fondement, soit dans la subrogation de
la caution dans les droits conférés au créancier contre l’incapable par l’article 1312 du Code
civil, soit dans la théorie de la gestion d’affaire ». 824 Cass. 1ère civ., 17 novembre 1993, 2 arrêts : Bull. civ. I, n°333 et 334 ; Cass. 1ère civ., 27
mai 1997 : Bull. civ. I, n°173 ; Cass. 1ère civ., 9 décembre 1997 : Bull. civ. I, n°366
Cette solution s’explique par le fait que, depuis la loi du 23 juin 1989, le dispositif protecteur
du consommateur a été étendu au cautionnement des opérations de crédit (cf. la loi du 23 juin
1989, modifiant l’article 2 de la loi du 10 janvier 1978, et codifiée à l’article L. 311-2 du
Code de la consommation : « Les dispositions du présent chapitre s’appliquent à toute
opération de crédit, ainsi qu’à son cautionnement éventuel, consentie à titre habituel par des
personnes physiques ou morales, que ce soit à titre onéreux ou gratuit. »). 825 Loi n°2001-1168 du 11 décembre 2001 (article 16-II). Sur cette loi, cf. X. LAGARDE,
Forclusion biennale et crédit à la consommation. La réforme de l’art. L. 311-37 du Code de
la consommation, JCP 2002, I, 106 ; X. LAGARDE, Mouvement sur la forclusion (à propos
de l’article L. 311-37 du Code de la consommation), LPA 8 janvier 2003, n°5, p. 4 et s. 826 Sur cette question, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°236 ; J. FRANÇOIS, n°273 ;
D. LEGEAIS, n°282 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°154 ;
époux (article 1096 du Code civil), la libéralité est irrévocable et, par conséquent,
exclusive de tout recours contre le débiteur principal827. La renonciation expresse de
la caution à son recours est rare. Le plus souvent, cette renonciation s’induit des
circonstances, notamment des relations entre la caution et le débiteur et de
l’intention libérale qu’elles révèlent. La jurisprudence préserve l’efficacité du
recours en remboursement et, par là même, protège les intérêts du créancier, en
retenant que le seul fait que le cautionnement ait été souscrit à titre de service gratuit
entre parents ou proches, n’implique nullement la renonciation au recours828. Une
autre raison explique que le défaut de recours en cas de libéralité consentie au
débiteur n’empêche pas le cautionnement d’être efficace. En effet, si la qualification
de donation indirecte est retenue, c’est que les liens entre la caution et le débiteur
principal sont particulièrement prégnants, et dénotent un animus donandi. Or, dans
un tel contexte, il est plus que probable que la caution exécute volontairement ses
obligations, afin d’éviter au débiteur principal des tracasseries. L’inefficacité du
recours n’aura donc pas de répercussions négatives sur la protection des intérêts du
créancier.
La troisième cause d’inefficacité du recours après paiement n’affectant pas
l’efficacité du cautionnement lui-même réside dans les deux cas de déchéance
prévus par l’article 2031 du Code civil829. Ce texte vise à sanctionner la négligence
ou l’excès de zèle de la caution et à éviter un paiement indu. Si l’article 2031 ne nuit
pas à l’efficacité du cautionnement, c’est en premier lieu parce qu’il pose des
conditions strictes à la déchéance de la caution830, en deuxième lieu parce qu’il est
H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°51-4 ; Ph. SIMLER et Ph.
DELEBECQUE, n°144 ; Ph. SIMLER, n°560 ; Ph. THERY, n°70 827 CA Bordeaux, 26 février 2002 : JCP 2002, éd. E, 1424, n°1, obs. SIMLER 828 CA Paris, 11 juillet 1980 : Juris-Data n°099329 : la convention de liquidation d’une
communauté après divorce n’emporte pas renonciation par la femme au recours contre le
mari. Mais, la première Chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 1ère civ., 12 mai 1982 :
Bull. civ. I, n°173) a retenu la qualification de donation indirecte en présence d’un
cautionnement consenti entre un amant et une maîtresse (pour une critique de cet arrêt, cf. J.
CASEY, th. préc., n°311 à 314 ). 829 Sur ces deux fins de non recevoir, cf. P. ANCEL, Le cautionnement des dettes de
l’entreprise, Dalloz, 1989, n°667 à 669 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°233 ; J.
FRANÇOIS, n°284 ; D. LEGEAIS, n°277 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et
P. CROCQ, n°155 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°51-4 ; Ph.
SIMLER, n°601 à 603 ; Ph. THERY, n°70 830 La condition commune aux deux hypothèses de l’article 2031 du Code civil est le défaut
d’avertissement du débiteur principal par la caution solvens. Cette première condition est
appréciée de manière très libérale, puisqu’il suffit que le paiement effectué ou projeté soit
porté à la connaissance du débiteur (il s’agit d’un fait juridique à l’égard duquel une preuve
écrite ne saurait être exigée), et la source de l’information est indifférente. La condition
requise spécialement par l’article 2031 alinéa 1er est le second paiement opéré par le débiteur.
Cela suppose une mauvaise foi caractérisée du créancier. L’article 2031 alinéa 2 pose, quant à
lui, deux conditions en plus du défaut d’avertissement : la caution doit avoir payé, sans avoir
été poursuivie par le créancier, et alors que le débiteur disposait de moyens de défense pour
déclarer la dette éteinte (pour un exemple d’application de l’article 2031 alinéa 2, cf. CA.
Paris, 6 avril 2004 : RJDA 5/05, n°622).
interprété strictement par la jurisprudence831 et, en troisième lieu, parce qu’il prévoit,
au bénéfice de la caution, une action en répétition de l’indu contre le créancier.
430. Par le biais des recours en remboursement de la caution contre le débiteur
principal, le droit positif protège les intérêts du créancier, non seulement en ouvrant
largement lesdits recours, mais aussi en évitant que les causes d’inefficacité de ceux-
ci ne compromettent l’efficacité du cautionnement lui-même. En plus des causes
d’efficacité communes aux deux types de recours après paiement, il existe des
causes d’efficacité propres au recours personnel et au recours subrogatoire, qui
augmentent encore les chances de réalisation de l’attente objective des créanciers.
2. Les causes d’efficacité
propres au recours personnel et au recours subrogatoire
431. Cumul des deux recours après paiement. Chacun des recours en
remboursement dont dispose la caution présente des avantages distincts, qui peuvent
être cumulés, puisque la caution peut agir, par une même demande en justice, sur le
fondement du contrat de crédit qui la lie au débiteur principal, ou de la gestion
d’affaire si le cautionnement a été donné à l’insu du débiteur, ou encore sur le
fondement de la subrogation organisée par l’article 1251-3° du Code civil832.
432. Les causes d’efficacité du recours personnel. Le recours personnel de
l’article 2028 du Code civil est une action en paiement obéissant au droit
commun833. La caution peut, par la voie d’une procédure de référé, solliciter l’octroi
d’une provision834, et elle peut également obtenir satisfaction par le biais d’une
compensation avec des sommes qu’elle devait par ailleurs au débiteur835.
Les conditions d’exercice du recours personnel sont peu contraignantes,
puisqu’il suffit que la caution ait payé, quel qu’en soit le mode, sans que le créancier
831 Les recours restent ouverts à la caution lorsqu’elle paye une seconde fois, faute d’avoir été
avertie par le débiteur de son propre paiement, ou encore lorsqu’elle paye sur les poursuites
du créancier, pendant que le débiteur avait un moyen de faire déclarer la dette éteinte (en ce
sens, cf. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°141). Le recours est aussi maintenu dans le
cas où la caution poursuivie a payé alors qu’elle avait connaissance d’une exception qui aurait
pu être opposée au créancier ou du moins d’une contestation sérieuse de la dette (Cass. com.,
19 octobre 1970 : Bull. civ. IV, n°269 ; Cass. 1ère civ., 16 novembre 1971 : Bull. civ. I,
n°288 ; Cass. 1ère civ., 9 décembre 1997 : Bull. civ. I, n°366). Le recours est enfin maintenu
lorsque la caution a payé, sur les poursuites du créancier et après en avoir averti le débiteur,
dans l’ignorance d’une transaction ayant éteint la dette (Cass. com., 11 décembre 1985 : Bull.
civ. IV, n°293). 832 Cass. com., 30 novembre 1948 (Bull. civ. IV, n°264) a admis que le fait d’avoir saisi le
tribunal sur le fondement de l’article 2029 du Code civil n’interdit pas à la caution d’invoquer
en cours d’instance les dispositions de l’article 2028
Sur l’exercice simultané des deux recours, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°232 ; J.
FRANÇOIS, n°271 ; D. LEGEAIS, n°277 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et
P. CROCQ, n°153 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°51-1 ; Ph.
SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°140 ; Ph. SIMLER, n°556 833 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°564 834 Cass. 1ère civ., 11 mars 1986 : Bull. civ. I, n°60 835 Cass. com., 6 février 1996 : Bull. civ. IV, n°34, 2e arrêt
ne l’ait obligatoirement poursuivie, dès lors toutefois que le paiement est valable et
libératoire pour le débiteur principal.
Le principal avantage du recours prévu par l’article 2028 du Code civil réside
dans son assiette. Il permet à la caution de réclamer au débiteur plus que ce qu’elle a
effectivement payé au créancier. Le recours personnel présente donc un caractère
comminatoire pour le débiteur, qui a tout intérêt à l’éviter en éteignant lui-même sa
dette. La caution, en plus du principal836, peut demander remboursement des intérêts
moratoires sur la somme globale qu’elle a versée au créancier837. Ces intérêts
peuvent être plus élevés que ne le prévoit la loi, dès lors qu’un accord a été
initialement passé en ce sens entre la caution et le débiteur838. Par ailleurs, par
dérogation au droit commun de l’article 1153 alinéa 3 du Code civil, la
jurisprudence décide que ces intérêts courent de plein droit dès le jour du paiement
fait par la caution au créancier, indépendamment de toute sommation ou
poursuite839. La caution peut aussi réclamer le remboursement des frais qu’elle a
exposés pour le recouvrement de sa créance, tels que des honoraires d’avocat ou les
frais qu’elle a dû avancer au créancier auquel elle a pu opposer le bénéfice de
discussion. L’article 2028 alinéa 2 du Code civil limite, cependant, le
remboursement aux seuls frais engagés depuis que la caution a dénoncé au débiteur
les poursuites dirigées contre elle. Enfin, la caution peut obtenir des dommages et
intérêts compensatoires destinés à indemniser un préjudice indépendant du simple
retard et causé par la mauvaise foi du débiteur840.
Un autre avantage du recours personnel tient à l’indépendance de son régime
par rapport à celui de l’action du créancier. Ce recours est ainsi soumis à « un délai
de prescription nouveau et autonome, en principe trentenaire (article 2262) quelles
qu’aient été la nature et la durée restant à courir de la prescription de la dette
principale »841.
Les derniers avantages du recours de l’article 2028 du Code civil se manifestent
en cas de procédure collective ouverte contre le débiteur principal. D’une part, si
l’on retient que le droit de la caution contre le débiteur prend naissance au jour du
paiement du créancier, et que ce paiement a lieu alors que le débiteur est en période
d’observation, la caution devrait bénéficier du principe posé par l’article L. 621-32
du Code de commerce, ce qui lui permettrait d’être payée par préférence à d’autres
créanciers du débiteur842. D’autre part, la loi du 10 juin 1994 a modifié l’article 169
836 Le principal, au sens de l’article 2028 alinéa 2 du Code civil, recouvre, non seulement le
principal de la dette garantie, mais aussi toutes les sommes versées au créancier, dans la
mesure où elles étaient répétibles contre la caution (intérêts de la dette principale, frais
engagés par le créancier, éventuels dommages et intérêts dûs à ce dernier par le débiteur). 837 Cass. 1ère civ., 22 mai 2002 : Bull. civ. I, n°138 838 Cass. 1ère civ., 22 mai 2002 : Bull. civ. I, n°138 839 Cass. 1ère civ., 26 avril 1977 : Bull. civ. I, n°187. Cette solution s’explique par le fait que le
recours personnel est habituellement fondé, soit sur le mandat, soit sur la gestion d’affaire, et
que dans ces deux mécanismes, les intérêts moratoires courent de plein droit (article 2001 du
Code civil sur le mandat). 840 Pour des exemples de tels préjudices, cf. Ph. SIMLER, n°580 841 Ph. SIMLER, n°565 842 En ce sens, cf. CA Toulouse, 25 novembre 1992 : JCP 1994, éd. E, I, 365, n°7, obs.
SIMLER ; Rev. proc. coll. 1997, p. 71, obs. SAINT-ALARY-HOUIN ; TGI Saint-Nazaire, 14
septembre 1998 : JCP 2000, éd. E, p. 1076, obs. LUCAS ; CA Rennes, 31 mars 2000 : RD
de la loi du 25 janvier 1985 (article L. 622-32 du Code de commerce), afin de
rétablir le recours personnel de la caution à la suite de la clôture de la procédure
pour insuffisance d’actif843.
Le recours personnel est donc largement ouvert à la caution, ce qui augmente
les chances d’exécution volontaire de son engagement, et son assiette est tellement
large que le débiteur principal se trouve incité à éteindre lui-même sa dette.
433. Les causes d’efficacité du recours subrogatoire. Le recours
subrogatoire de l’article 2029 du Code civil présente également un avantage
susceptible d’encourager la caution à s’exécuter, et donc de protéger les intérêts du
créancier. En effet, ce recours est moins étendu que le précédent844, mais il est plus
sûr, en ce que la caution est in loco creditoris845. « C’est l’originalité majeure du
paiement avec subrogation que de ne pas éteindre la créance de l’accipiens (le
créancier) mais de la transférer avec tous ses accessoires au solvens (la
caution) »846.
La caution peut ainsi bénéficier de tous les droits et avantages que le créancier
s’était ménagé contre le débiteur principal, dès lors qu’il existe un lien suffisamment
étroit avec la créance acquittée et que ces droits ne sont pas empreints d’un caractère
bancaire et financier 2000, n°70, obs. LUCAS ; CA Metz, 21 mai 2002 : D. 2002, AJ,
p. 2468, obs. LIENHARD
Le conditionnel est de mise, car la Cour de cassation décide, dans les rapports entre la caution
et le débiteur (Cass. com., 1er mars 2005 : D. 2005, p. 1365, note LE CORRE), ainsi que dans
les rapports entre cofidéjusseurs (Cass. com., 16 juin 2004 : D. 2004, AJ, p. 2046 ; RD
p. 758, obs. CROCQ ; JCP 2005, éd. E., p. 32, obs. CABRILLAC), que la créance de la
caution prend naissance à la date de son engagement. 843 « La portée de ce recours est néanmoins réduite dans la mesure où il ne peut être utile que
pour les débiteurs personnes physiques, puisque si le débiteur garanti était une personne
morale, la liquidation des biens aura emporté sa dissolution » (Ph. SIMLER et Ph.
DELEBECQUE, n°177). 844 Cass. 1ère civ., 29 octobre 2002 : Bull. civ. I, n°257 ; Cass. 1ère civ., 18 mars 2003 : D.
2003, AJ, p. 1092, obs. AVENA-ROBARDET ; JCP 2003, éd. E., 1160, note MARLY ; JCP
2003, II, 10105, note BILLIAU ; RJDA 10/2003, n°1019 ; RD bancaire et financier 2003,
n°139, obs. LEGEAIS : « la subrogation est à la mesure du paiement ; le subrogé ne peut
prétendre, en outre, qu’aux intérêts produits au taux légal par la dette qu’il a acquittée
lesquels, en vertu de l’article 2033, courent de plein droit à compter du paiement ». Cette
solution fragilise l’efficacité du cautionnement en ce qu’elle n’incite pas le débiteur à exécuter
lui-même sa dette. En effet, « la charge définitive est moins lourde que la charge initiale (…).
La vertu (le désintéressement de la caution) vient au secours du vice (le débiteur ne tient pas
sa parole) » (Ph. THERY, obs. sous Cass. 1ère civ., 29 octobre 2002, Defrénois 2003, article
37850, p. 1614). 845 Comme la caution est placée dans la même situation que le créancier, la Cour de cassation
décide que sa créance de remboursement contre le débiteur trouve sa cause dans le contrat
principal. Si celui-ci est un contrat de prêt d’un montant déterminé, la caution peut ainsi
exercer son recours subrogatoire suivant la procédure d’injonction de payer prévue par
l’article 1405 du nouveau Code de procédure civile (Cass. 2ème civ., 4 mars 2004 : Bull. civ.
II, n°89). 846 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°231
propre847. Il en va ainsi des privilèges du vendeur ou du prêteur de deniers, des
hypothèques légales et conventionnelles, des gages, du droit de rétention, de la
clause de réserve de propriété848, des assurances garantissant le créancier contre la
disparition d’un bien, contre le décès ou l’invalidité du débiteur. Subrogée dans les
droits réels du créancier, la caution peut même se retourner contre le tiers acquéreur
de l’immeuble hypothéqué en lui opposant son droit de suite et en lui réclamant le
remboursement, à concurrence de la valeur de l’immeuble849. La caution solvens
profite donc de toutes les garanties constituées en vue du paiement de la même dette
et ce, même si elles n’ont pas été constituées avant la conclusion du
cautionnement850. La caution est subrogée, non seulement dans les droits, mais aussi
dans les actions dont disposait le créancier, tant contre le débiteur principal851, que
contre des tiers852.
434. Conclusion de la Section 1. La réalisation de l’attente objective des
créanciers (le paiement de la dette principale) peut provenir de la protection de la
caution. En effet, les contraintes imposées aux créanciers, qu’elles aient trait à
l’information de la caution ou à l’étendue de l’engagement de celle-ci, peuvent faire
apparaître deux facteurs d’efficacité objective concourant à l’exécution du garant, à
savoir la solvabilité de ce dernier lors de l’appel de la garantie, et l’absence de
contestation de ses obligations.
La protection de la caution, non mise à la charge du créancier, et découlant de
ses recours contre le débiteur principal, sert également les intérêts du créancier.
L’efficacité des recours avant paiement et celle des recours en remboursement ont
en commun d’inciter le débiteur principal à s’exécuter. L’efficacité des recours
personnel et subrogatoire peut conduire, en plus, à un autre facteur d’efficacité, qui
est l’exécution volontaire de la caution.
En instaurant certaines protections du garant, le droit positif organise donc
l’efficacité in abstracto du cautionnement. Mais, c’est surtout lorsqu’il place les
intérêts du créancier au premier plan, et fait primer la fonction de garantie du
847 Sont exclus du recours subrogatoire les droits de nature alimentaire, les prérogatives de
puissance publique appartenant au Trésor (Cass. com., 9 février 1971 : Bull. civ. IV, n°39),
l’engagement pris par un tiers envers le créancier exclusivement, même s’il garantit le droit
de celui-ci (Cass. com., 25 avril 1983 : Bull. civ. IV, n°124 ), les droits contre l’AGS (article
L. 143-11-7 du Code du Travail). 848 Cass. com., 15 mars 1988, 2 arrêts : Bull. civ. IV, n°105 et 106 849 Cass. req., 16 mars 1938 : D. 1939, 1, 41, note VOIRIN 850 CA Rouen, 3 mai 1961 : Gaz. Pal. 1961, 2, p. 166
Le moment de constitution des droits préférentiels joue, au contraire, un rôle essentiel dans
l’application de l’article 2037 du Code civil (cf. infra n°459). 851 Sur l’action résolutoire contre le débiteur principal, cf. Cass. com., 7 décembre 1981 :
Bull. civ. IV, n°427
Comme la caution est subrogée dans toutes les actions du créancier contre le débiteur, la Cour
de cassation décide que la déclaration au passif de la créance garantie suffit à sauvegarder
l’existence du recours de la caution, sans qu’il lui soit nécessaire de déclarer elle-même la
créance dont la subrogation l’investit envers le débiteur principal (Cass. com., 28 janvier
2004 : RJDA 8-9/2004, n°1041 ; JCP 2004, I, 188, n°9, obs. SIMLER). 852 Sur l’action en responsabilité contre le notaire qui avait fourni des renseignements sur la
solvabilité du débiteur principal, cf. Cass. 1ère civ. 7 décembre 1983 : Bull. civ. IV, n°291
cautionnement, que l’implication du droit positif dans l’apparition de cette efficacité
est la plus manifeste.
SECTION 2 : LA PRIMAUTÉ DE LA FONCTION
DE GARANTIE DU CAUTIONNEMENT
435. La protection directe des intérêts des créanciers par le droit des
garanties personnelles. La prise en charge légale ou jurisprudentielle des intérêts
financiers des créanciers consiste à encourager la principale expression de
l’efficacité objective, à savoir l’exécution du garant, en provoquant l’apparition des
deux facteurs concourant à cette manifestation, que sont, d’une part, la solvabilité du
garant lors de l’exigibilité de la dette principale et, d’autre part, l’absence de
contestation de l’engagement du garant.
436. L’influence limitée du droit positif sur la solvabilité de la caution.
S’agissant de la solvabilité de la caution, il convient de reconnaître que le droit du
cautionnement ne déploie que peu de moyens pour la rendre plus sûre à l’échéance.
Il existe, certes, des dispositions dans le Code civil relatives à cette solvabilité853, qui
sont protectrices des seuls intérêts du créancier854, mais la plupart ne concernent que
les cautionnements légaux et judiciaires855. Seule la faculté de remplacement de
853 L’article 2018 du Code civil exige que la caution « ait un bien suffisant pour répondre de
l’objet de l’obligation » et ce, au moment de la fourniture de la sûreté. « Le législateur ne
s’est pas contenté de poser la condition de solvabilité en laissant au juge le soin d’apprécier :
il donne des directives précises et concrètes » (Ph. SIMLER, n°239). En effet, l’article 2019
du Code civil impose d’apprécier la solvabilité de la caution eu égard aux seules propriétés
foncières. Cette restriction, que beaucoup dénoncent comme une « séquelle anachronique de
l’adage res mobilis, res vilis » (Ph. SIMLER, n°241. Dans le même sens, cf. J. FRANÇOIS,
n°78 ; D. LEGEAIS, n°210), est écartée dans deux cas par l’article 2019 alinéa 1er lui-même
(pour les dettes modiques et pour les dettes commerciales), et également par l’article 2041,
lorsque le débiteur fournit, à la place du cautionnement, « un gage en nantissement
suffisant ». L’article 2019 exclut aussi la prise en compte d’immeubles litigieux (non pas au
sens de l’article 1700 du Code civil, mais comme contestables à un titre quelconque). 854 « Les conditions de solvabilité et de domicile ne sont pas, au sens de l’article 2018, des
conditions de validité. Ces conditions sont prohibitives, en ce sens que la caution qui ne les
remplit pas peut être refusée par le créancier ou par le juge, mais non dirimantes, le
cautionnement ne pouvant être annulé sous prétexte qu’elles n’étaient pas remplies » (Ph.
SIMLER, n°235). Les règles des articles 2018 et suivants ne sont donc instituées qu’au profit
du créancier. En conséquence, celui-ci est libre de recevoir une caution indigente.
Corrélativement, il peut refuser, sans abus, la caution qui lui est proposée si elle ne répond pas
aux prescriptions légales. Enfin, seul le créancier peut invoquer ces dispositions, la caution ne
pouvant s’en prévaloir pour faire annuler son propre engagement (Cass. com., 7 février 1984 :
Gaz. Pal. 1984, 2, pan., p. 163, obs. A.P. ; Cass. com., 3 mars 1987 : Bull. civ. IV, n°58). 855 Les articles 2018, 2019 et 2041 concernent les hypothèses dans lesquelles le créancier se
trouve confronté à un garant qu’il n’a pas choisi. Dans le cadre des cautionnements imposés
par la loi ou un juge, le créancier ne peutt refuser la caution qui lui est présentée par le
débiteur, « car ce serait pour lui un moyen de refuser l’avantage prévu par le législateur »
(M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°335). La loi impose alors des conditions de solvabilité
pour assurer un équilibre entre les intérêts opposés en présence (en ce sens, cf. Ph. SIMLER,
n°236). Il convient néanmoins de souligner que c’est justement dans le cadre des
cautionnements légaux et judiciaires que ces conditions de solvabilité sont les moins utiles,
l’article 2020 du Code civil est appliquée par la jurisprudence aux cautionnements
conventionnels856.
Les autres moyens légaux permettant aux créanciers de poursuivre une caution
solvable ne sont pas propres à la matière du cautionnement. Il s’agit des mesures
conservatoires prises sur le patrimoine de la caution857, de la tierce-opposition contre
une décision rendue au profit de la caution et qui lui fait grief858, et de l’action
paulienne, dans l’hypothèse où la caution organiserait son insolvabilité859.
437. L’influence décisive du droit positif sur les contestations des
cautions. C’est principalement à l’égard du second facteur concourant à l’exécution
du garant, c'est-à-dire l’absence de contestation des obligations de ce dernier, que le
rôle du droit positif est le plus accusé. La loi et la jurisprudence font primer les
intérêts des créanciers en empêchant ou en rejetant les contestations de la caution,
car lesdits cautionnements sont le plus souvent octroyés par des banques (en ce sens, cf. J.
RAYNAUD, La solvabilité de la caution, LPA 21 janvier 2000, n°15, p. 13).
En plus des dispositions précitées du Code civil, il existe aujourd'hui d’autres exigences
concernant la solvabilité des cautions légales, surtout en droit des affaires. Ainsi, les sociétés
de caution mutuelle et les banques qui veulent être agréées par des créanciers institutionnels,
tels que l’administration fiscale ou douanière, sont obligées de déposer en gage une somme
d’argent (environ 15000 euros) à la Caisse des dépôts et consignations, qui permet de
répondre de leur solvabilité (sur cette exigence, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°18 et
335). 856 En cas d’insolvabilité survenue postérieurement à la fourniture de la caution, ou en cas
d’insolvabilité existant dès cette époque, mais restée ignorée du créancier, l’article 2020
impose au débiteur de fournir une autre caution, à peine de déchéance du terme stipulé pour le
remboursement de sa dette (sur les hypothèses dans lesquelles cette obligation et la sanction
qui y est attachée sont écartées, cf. Ph. SIMLER, n°244). La Cour de cassation fait jouer cette
obligation même en présence d’un cautionnement conventionnel (Cass. 3ème civ., 4 janvier
1983 : Bull. civ. III, n°1) 857 Dès lors qu’il existe une créance paraissant fondée dans son principe et que le créancier
justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement (articles 67 et s. de la loi
du 9 juillet 1991), ledit créancier peut pratiquer des mesures conservatoires, et notamment
inscrire une sûreté judiciaire (Cass. com., 14 décembre 1966 : Bull. civ. III, n°482 ; Cass. 2ème
civ., 22 mai 1996 : RD bancaire et bourse 1997, p. 23, obs. CREDOT et GERARD), ou
exercer une saisie conservatoire (Cass. 2ème civ., 18 mars 1966 : Bull. civ. II, n°376 ; Cass.
com., 1er mars 1971 : Bull. civ. IV, n°65 ; Cass. com., 1er février 1977 : Bull. civ. IV, n°33).
Sur la justification de ces mesures conservatoires, cf. supra n°264 858 La tierce-opposition est le plus souvent exercée contre le jugement d’homologation du
changement de régime matrimonial de la caution, réalisé en fraude des droits du créancier. Cf.
Cass. 1ère civ., 2 mars 1982 : Bull. civ. I, n°93 859 L’action paulienne peut être exercée dès qu’il existe une créance certaine en son principe
au moment de l’acte litigieux (Cass. com., 12 juillet 1994 : Bull. civ. IV, n°260 ; Cass. 1ère
civ., 2 juillet 2002 : RJDA 2/2003, n°64). L’action paulienne est même possible, en l’absence
de créance actuelle, s’il y a anticipation de la fraude. Celle-ci est établie dès que la caution a
connaissance du préjudice causé au créancier. La Cour de cassation exige, par ailleurs, que le
créancier apporte la preuve de l’insolvabilité de la caution (Cass. com., 14 novembre 2000 :
Bull. civ. IV, n°173). Enfin, la Chambre mixte a récemment précisé que, si le créancier exerce
une action paulienne, sa faute ne peut pas être invoquée par la caution par voie d’exception
Sur l’ensemble de cette question, cf. B. ROMAN, La caution et l’action paulienne : la
délicate alliance des règles de fond et de procédure, D. 2003, chron., p. 2156 et s.
aussi bien lorsque le débiteur principal n’est pas soumis à une procédure collective
de paiement (§1), que lorsqu’il bénéficie de mesures relevant de l’impératif de
justice distributive (§2).
§1 : LA PRIMAUTE DE LA FONCTION DE GARANTIE
EN DEHORS DE TOUTE PROCEDURE COLLECTIVE
DE PAIEMENT CONTRE LE DEBITEUR
438. Régime du bénéfice de discussion. En dehors de toute procédure
collective ou de surendettement dirigée contre le débiteur principal, le droit positif
fait primer la fonction de garantie du cautionnement de diverses façons. Il évite tout
d’abord les retards dans l’exécution de l’obligation de règlement de la caution et, par
conséquent, l’augmentation du coût de la protection des intérêts du créancier, en
n’exigeant pas que le débiteur soit concomitamment recherché en paiement860, et en
subordonnant, au contraire, la mise en œuvre du bénéfice de discussion à de strictes
conditions861.
860 Lors de la préparation de la loi pour l’initiative économique, il a été envisagé de faire
figurer dans le nouvel article L. 341-3 la règle suivante : « Nonobstant toute clause contraire,
toute personne physique qui s’est portée caution envers un créancier professionnel ne peut
être poursuivie si le débiteur n’est pas lui-même concomitamment recherché en paiement de
son obligation ». Alors que l’auteur de cet amendement entendait spécialement protéger le
conjoint d’un entrepreneur individuel, la règle présentait un champ d’application beaucoup
plus large. Cet amendement a été vivement critiqué par le secrétaire d’Etat R. Dutreil pour les
raisons suivantes (Séance Sénat du 26 mars 2003). D’une part, une telle règle aboutirait à une
situation assez paradoxale, puisque le créancier ayant d’abord vainement poursuivi le débiteur
ne pourrait se retourner contre la caution faute de poursuites concomitantes contre le débiteur.
Cela obligerait finalement le créancier à poursuivre systématiquement le débiteur et la caution
en même temps. D’autre part, comme un tel amendement rendrait impératif le bénéfice de
discussion de l’article 2021 du Code civil, les créanciers risqueraient d’exiger de la caution
qu’elle s’engage en tant que garante à première demande ou, pis, en tant que codébiteur
solidaire entièrement tenu de la dette. C’est donc, non seulement pour préserver l’efficacité du
cautionnement, mais aussi pour éviter des effets pervers à l’encontre des garants, que
l’amendement cité a été écarté au profit d’une information de la caution solidaire, complétée
par l’obligation d’engagements proportionnés et par la fixation obligatoire d’un plafond. 861 Le régime du bénéfice de discussion est sévère pour la caution, afin que le caractère
subsidiaire de son engagement ne lui permette pas d’organiser son insolvabilité et de frauder
les droits du créancier (en ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°323 ; Ph.
SIMLER, n°513). La jurisprudence décide, tout d’abord, qu’en cas de pluralité de débiteurs
principaux, même solidaires, la caution ne peut requérir la discussion des biens d’un débiteur
non garanti par elle (CA Paris, 15e ch., 20 octobre 1978, Philippe contre Girard, inédit).
Ensuite, l’article 2022 du Code civil impose que le bénéfice soit requis sur les premières
poursuites, avant toute défense au fond, comme doit l’être toute exception dilatoire (articles
74 et 108 du nouveau Code de procédure civile). La caution n’en profite donc pas de plein
droit et, en laissant continuer les poursuites à son encontre, elle est censée y renoncer. Elle ne
peut l’invoquer pour la première fois en appel (Cass. req., 27 janvier 1835 : S. 1835, 1,
p. 774 ; Cass. 1ère civ., 15 juillet 1999 : Bull. civ. I, n°236). De surcroît, un juge ne peut lui
octroyer d’office. L’article 2023 du Code civil pose deux conditions supplémentaires. La
première est une condition de fond. La caution doit indiquer au créancier les biens
susceptibles d’être discutés, ce qui n’est pas le cas des biens litigieux, des biens aliénés à des
tiers, des biens ayant une valeur insuffisante ou encore, condition quelque peu archaïque, des
439. Les interprétations de l’article 1415 du Code civil favorables aux
créanciers. La jurisprudence sauvegarde, par ailleurs, le droit de gage général du
créancier contre la caution mariée sous le régime de communauté en limitant
l’application de l’article 1415 du Code civil862.
440. Mais c’est surtout en écartant de multiples contestations que pourrait
soulever la caution pour être déchargée partiellement, voire totalement, de ses
obligations, que le droit positif organise l’efficacité objective du cautionnement. La
primauté conférée à la fonction de garantie du cautionnement conduit au rejet de
contestations ayant trait à l’étendue de l’engagement de la caution (A), aussi bien
qu’au rejet de contestations relatives à l’existence même de cet engagement (B).
A/ LE REJET DES CONTESTATIONS
RELATIVES A L’ETENDUE DE L’ENGAGEMENT DE LA CAUTION
441. Régime du bénéfice de division. En cas de pluralité de cautionnements
d’une même dette, chacune des cautions souhaite que les poursuites dirigées contre
elle aient pour objet, non pas la totalité de cette dette, mais seulement sa part
biens situés hors du ressort de la Cour d’appel (pour des exemples de ces différents biens
insaisissables ou difficilement saisissables, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°323 ; Ph.
SIMLER, n°518). La seconde condition posée par l’article 2023 est relative au financement
de la discussion. Elle est particulièrement dissuasive pour la caution, puisqu’elle oblige celle-
ci à avancer les frais au créancier. 862 La loi du 23 décembre 1985, modifiant l’article 1415du Code civil, n’a pas transformé le
cautionnement en acte de cogestion. La jurisprudence en a déduit que l’article 1415 ne peut en
aucun cas fonder une action en nullité de cette sûreté lorsqu’elle est souscrite par un époux
seul (CA Paris, 26 novembre 1991 : D. 1992, IR, p. 23 ; Cass. 1ère civ., 9 novembre 2004 :
Bull. civ. I, n°255, selon lequel, l’action en inopposabilité fondée sur l’article 1415 du Code
civil n’est pas de celles qui se prescrivent dans le délai de cinq ans).
Par ailleurs, la Cour de cassation a jugé que seuls les époux peuvent se prévaloir de l’article
1415, à l’exclusion notamment du tiers acquéreur de l’immeuble commun ayant inscrit sur
celui-ci une hypothèque judiciaire provisoire (Cass. 1ère civ., 14 janvier 2003 : Bull. civ. I,
n°3).
C’est surtout l’interprétation du « consentement exprès » qui se révèle protectrice des intérêts
des créanciers. En premier lieu, le consentement du conjoint n’est pas un engagement de sa
part. Les juges le soustraient ainsi à l’application de l’article 1326 du Code civil (Cass. 1ère
civ., 4 juin 1996 : Bull. civ. I, n°325 ; Cass. 1ère civ., 13 novembre 1996 : Bull. civ. I, n°392).
Il suffit qu’il soit exprès, donc clair et certain (CA Versailles, 2 mai 2002 : Defrénois 2003,
article 37808, note BREMOND : les exigences de l’article 1415 sont remplies si l’accord du
conjoint est explicitement exprimé ou si ce conjoint « averti n’a pas manifesté
d’opposition »). En deuxième lieu, la Haute juridiction a décidé que le cautionnement
solidaire nul de l’épouse vaut « à tout le moins, …consentement exprès à l’engagement de
caution de son époux » (Cass. 1ère civ., 29 avril 1997 : Dr. famille décembre 1997, n°181 ;
Droit et patrimoine octobre 1997, p. 73). En troisième et dernier lieu, la Cour de cassation a
écarté l’article 1415 lorsque les époux se sont portés cautions d’une même dette (Cass. 1ère
civ., 13 octobre 1999 : Bull. civ. I, n°273). Mais, elle a très récemment retenu la solution
inverse dans une espèce où les époux s’étaient engagés en qualité de causion par actes séparés
et à des dates distinctes, sans qu’aucun des actes ne fassent référence à l’existence de l’autre
engagement (Cass. 1ère civ., 8 mars 2005 : JCP 2005, éd. N., 1265 ; D. 2005, IR,
p. 1048).
contributive dans celle-ci. Elle entend ainsi limiter l’étendue de son engagement en
obligeant le créancier à diviser ses poursuites.
En privant les cautions solidaires du bénéfice de division863, et en imposant aux
cautions simples de respecter de strictes conditions pour soulever cette exception864,
le droit positif renforce l’efficacité objective du cautionnement, puisqu’il évite au
créancier, d’une part, d’engager des frais supplémentaires pour poursuivre les
différentes cautions865, d’autre part, de supporter l’insolvabilité de l’une des cautions
survenue après la division866.
442. Qu’il y ait une seule ou plusieurs cautions d’une même dette, la loi et la
jurisprudence organisent par ailleurs l’efficacité in abstracto du cautionnement en
empêchant leur décharge partielle. Sont en effet écartés des moyens de défense
susceptibles de réduire le montant de l’engagement de la caution, soit directement
(1), soit par le biais d’une sanction prononcée contre le créancier (2).
1. Les contestations visant à réduire le montant de l’engagement de la caution
443. Les cautions contestent le montant de leur engagement principalement de
deux façons : tout d’abord, en niant s’être engagées à couvrir certaines dettes,
ensuite, en tentant de limiter la durée de leur cautionnement, lorsque celui-ci couvre
des dettes futures. La jurisprudence rejette souvent ces contestations. Elle protège
ainsi les intérêts financiers des bénéficiaires, non seulement en considérant que la
preuve d’un engagement exprès de la caution est rapportée par le créancier (a), mais
863 Le bénéfice de division de l’article 2026 du Code civil est une faveur faite aux cautions
simples, lorsqu’elles sont plusieurs (en tant que tel, il peut faire l’objet de renonciations,
comme l’admet l’article 2026 lui-même, soit expresses, soit tacites). L’article 1203 du Code
civil prive expressément de ce bénéfice les codébiteurs solidaires. La jurisprudence a toujours
appliqué cette règle aux cautions solidaires (Cass. req., 16 mars 1898 : DP 1898, 1, p. 301 ; S.
1902, 1, p. 331). Dès qu’une clause de solidarité est stipulée dans le cautionnement, entre les
cautions, voire seulement à l’égard du débiteur principal (Cass. 1ère civ., 27 juin 1984 : Bull.
civ. I, n°213 ; Cass. com., 7 janvier 1992 : Bull. civ. IV, n°1), ou dès que le cautionnement est
commercial ou cambiaire, le bénéfice de division est donc écarté. La Cour de cassation en
prive également la caution réelle (Cass. 1ère civ., 6 mars 1979 : Bull. civ. I, n°78). 864 A l’égard des cautions simples, le principe selon lequel, en cas de pluralité de débiteurs,
l’obligation se divise de plein droit entre eux, est écarté par l’article 2025 du Code civil. Le
principe étant donc celui de l’obligation au tout, la division des poursuites contre les cautions
simples ne peut avoir lieu que si plusieurs conditions sont réunies. Tout d’abord, la division
doit être demandée. Le juge ne peut la prononcer d’office. Ensuite, elle doit l’être avant toute
défense au fond. Bien que le bénéfice semble être « une exception péremptoire tendant à la
limitation définitive des poursuites à la part contributive de la caution qui l’invoque » (Ph.
SIMLER, n°528), l’article 108 du nouveau Code de procédure civile le qualifie d’exception
dilatoire, devant être soulevée in limine litis (article 74 du même Code). Enfin, la division ne
peut être demandée qu’entre cautions solvables. L’exclusion ne concerne que les cautions
insolvables « dans le temps où une des cautions a fait prononcer la division » (article 2026
alinéa 2). Si toutes ces conditions sont remplies, la division n’a d’effet qu’à l’égard de la
caution qui la demande, sauf aux autres à en faire de même. 865 Dans le cadre du bénéfice de division, ces frais n’ont pas à être avancés par la caution qui
l’invoque. Ils doivent être exposés par le créancier lui-même. 866 L’un des principaux effets du bénéfice de division est de fixer le moment où la caution qui
en jouit ne supporte plus le risque d’insolvabilité des autres. « L’admission de cette exception
arrête, par conséquent, les bases de calcul de sa part contributive » (Ph. SIMLER, n°532).
aussi en écartant des termes extinctifs implicites de l’obligation de couverture de la
caution (b).
a. La preuve d’un engagement exprès de la caution
444. Les articles 2015 et 1326 du Code civil : des moyens de défense prisés
par les cautions. Lorsqu’elles sont poursuivies par les créanciers, les cautions ne
manquent pas d’invoquer les principes d’interprétation et de preuve pour tenter de
limiter la portée de leur engagement. Le contentieux reposant sur les articles 2015 et
1326 du Code civil est ainsi particulièrement nourri867. La jurisprudence contribue à
rendre le cautionnement efficace objectivement en conférant à ces dispositions un
sens favorable aux créanciers.
445. L’interprétation du contrat de cautionnement : position du
problème. L’interprétation du contrat de cautionnement est rendue nécessaire par le
fait que les parties ne mettent pas toujours à profit la liberté qui leur est reconnue de
déterminer le champ de l’obligation de couverture de la caution868. Se pose alors le
problème de la charge des dettes dont les parties n’avaient pas expressément stipulé
la garantie.
En se fondant sur la fonction de garantie du cautionnement, le créancier
invoque l’absence de précision en sa faveur. « Pour lui, le cautionnement doit
garantir, éventuellement dans la limite du montant, les dettes dans toute leur
diversité »869. S’appuyant sur la nécessaire prévisibilité des risques qu’elle entend
garantir, la caution cherche, au contraire, à limiter son engagement à ce qui est visé
dans le cautionnement, afin de réduire le montant de ses obligations.
La recherche de l’étendue de l’engagement de la caution est gouvernée par
deux principes, qui peuvent entrer en contradiction. D’un côté, le caractère
accessoire renforcé commande de mettre à la charge de la caution toutes les suites de
l’obligation principale, de l’autre, le principe d’interprétation stricte (article 2015 du
Code civil) invite à limiter la couverture aux éléments de la dette prévus ou
prévisibles au moment de la conclusion du cautionnement.
446. Les interprétations favorables aux créanciers. De nombreux arrêts de
la Cour de cassation donnent gain de cause aux créanciers en faisant primer le
caractère accessoire renforcé, ainsi que la fonction de garantie du cautionnement, et
en sanctionnant, par une cassation fondée sur l’article 2015, « les juges du fond (qui)
succombent parfois à la tentation de corriger, sous couvert d’interprétation, les
867 L’extension, par le nouvel article L. 341-2 du Code de la consommation, de l’obligation de
fixer un plafond à l’engagement de la caution, comprenant le principal et les accessoires, à
tous les cautionnements sous seing privé unissant une caution personne physique à un
créancier professionnel, devrait diminuer le contentieux fondé sur les articles 2015 et 1326 du
Code civil (en ce sens, cf. V. AVENA-ROBARDET, Réforme inopinée du cautionnement, D.
2003, chron., p. 2083 ; J. FRANÇOIS, n°177). En effet, ces textes n’auront désormais
vocation à jouer qu’à l’égard des cautionnements suivants : ceux conclus avant le 1er févier
2004, date d’entrée en vigueur de la loi du 1er août 2003 ; ceux souscrits par une caution
personne morale non commerçante ; ceux souscrits par une caution personne physique au
bénéfice d’un créancier non professionnel. 868 Sur cette liberté, cf. supra n°317-341 869 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°149
conséquences imprévues d’engagements pris en termes trop généraux, sinon trop
généreux »870.
Dans la recherche de la commune intention des parties relative à l’étendue du
cautionnement, la Haute juridiction décide ainsi que toute donnée permettant
d’établir une volonté certaine peut être retenue. Le juge peut se fonder, notamment,
« sur les termes de l’acte et sur les circonstances qui l’ont précédé ou suivi »871,
telles d’autres cautionnements intervenus entre les mêmes parties872.
Concernant les cautionnements indéfinis de dettes déterminées, c’est en
considérant que la règle de l’accessoire impose de déterminer l’étendue de la
garantie d’après celle de l’opération principale, que la jurisprudence a pu mettre à la
charge de la caution des pénalités contractuelles dues par le débiteur873. Les juges
retiennent aussi que celui qui s’est porté caution d’un bail, sans autre précision, est
tenu, non seulement au titre des loyers, mais aussi de toutes les autres obligations
que la loi ou le contrat mettent à la charge du preneur874.
Concernant les cautionnements indéfinis de dettes seulement déterminables, la
même volonté d’étendre la garantie à des dettes qui n’y sont pas expressément
visées, ou qui n’y sont pas désignées de manière précise se dessine. En effet, la
caution est condamnée, par application de l’article 2016 du Code civil, à payer, outre
la dette principale, tous ses accessoires (les intérêts, les frais exposés par le créancier
à l’occasion des poursuites contre le débiteur principal, les dommages et intérêts dûs
par celui-ci à raison de son inexécution875, l’indemnité forfaitaire prévue par une
clause pénale876, les condamnations encourues à raison de la fraude dont le débiteur
s’est rendu coupable dans l’exécution du contrat877, les réparations locatives
imputables à un locataire878, ou encore les dettes quasi-contractuelles découlant
d’une répétition de l’indu879). En outre, la Cour de cassation impose la couverture,
que l’origine de la dette principale soit directe ou indirecte880.
Le principe d’interprétation stricte, primé par la règle de l’accessoire et par la
fonction de garantie du cautionnement, ne permet donc pas toujours de réduire le
montant des obligations de la caution881.
870 Ph. SIMLER, n°268 871 Cass. req., 9 mai 1877 : DP 1878, 1, p. 110 872 Cass. com., 8 décembre 1987 : Bull. civ. IV, n°262 873 En matière de crédit-bail, cf. Cass. com., 3 janvier 1991 : Bull. civ. IV, n°1. En matière de
prêt, au sujet d'une indemnité de résiliation anticipée, cf. Cass. 1ère civ., 27 mars 1990 : Bull.
civ. I, n°73 874 CA Orléans, 7 décembre 1988 : RTD civ. 1989, p. 359, obs. BANDRAC 875 Cass. 1ère civ., 8 février 1977 : Bull. civ. I, n°71 ; Cass. com., 7 novembre 1977 : JCP
1978, IV, 12 876 Cass. 1ère civ., 20 janvier 1970 : Bull. civ. I, n°26 ; Cass. 1ère civ., 18 février 1976 : Bull.
civ. I, n°76 ; Cass. com., 15 juillet 1986 : Bull. civ. IV, n°155 ; Cass. com., 3 janvier 1991 :
Bull. civ. IV, n°1 877 Cass. req., 18 février 1861 : DP 1861, 1, p. 245 ; S. 1861, 1, p. 417, note CARETTE 878 Cass. 1ère civ., 23 juin 1992 : Bull. civ. I, n°193 879 Cass. 1ère civ., 20 janvier 1987 : Banque 1987, p. 412, obs. RIVES-LANGE 880 Cass. com., 28 janvier 2004 : RJDA 8-9/2004, n°1041 (la caution doit garantir les dettes
indirectes du débiteur nées d’opérations réalisées avec des tiers dans les droits desquels le
créancier se trouve subrogé à l’égard du débiteur principal). 881 Nous exposerons plus loin les solutions protectrices des intérêts de la caution fondées sur
l’article 2015 du Code civil (cf. infra n°567, 577).
447. La preuve du cautionnement souscrit par le dirigeant de la société
débitrice. S’agissant, en second lieu, des règles de preuve et, plus particulièrement
de celle figurant à l’article 1326 du Code civil, elles ne constituent pas non plus en
toute hypothèse une planche de salut pour les cautions882. Ainsi, le défaut ou
l’insuffisance de la mention manuscrite du montant dû par la caution883, ou d’une
formule exprimant la compréhension par la caution de l’étendue de son engagement,
lorsque celui-ci est indéfini et qu’il porte sur des dettes seulement déterminables884,
ne permet pas aux cautions intégrées dans les affaires du débiteur principal d’obtenir
la réduction, voire l’extinction, de leurs obligations885. Si les dirigeants cautions non
commerçants (gérants de SARL, administrateurs de SA) sont soumis, depuis la loi
du 12 janvier 1980886, à l’article 1326 du Code civil, la Cour de cassation a
neutralisé l’effet de cette réforme de l’article 109 du Code de commerce en
empruntant deux voies successives887.
Dans un premier temps, elle a introduit un critère subjectif d’appréciation du
caractère suffisamment explicite de la mention manuscrite888, et a jugé que les
882 Cf. infra n°566, 578, 579 les solutions jurisprudentielles fondées sur l’article 1326 du
Code civil constitutives de causes d’inefficacité du cautionnement. 883 La jurisprudence décide que la règle de l’article 1326 du Code civil ne doit pas être
étendue à d’autres caractéristiques ou modalités de son engagement que le montant. Il en va
ainsi de la date de l’acte (Cass. com., 6 décembre 1994 : Bull. civ. IV, n°363), de la nature
des dettes garanties (Cass. com., 29 octobre 1991 : Bull. civ. IV, n°315 ; Cass. 1ère civ., 9 mai
1996 : Bull. civ. I, n°193) et de la stipulation de solidarité (Cass. 1ère civ., 31 janvier 1989 :
Bull. civ. I, n°45). 884 Cass. 1ère civ., 3 mars 1970 : D. 1970, p. 403, note ETESSE ; Banque 1970, p. 602, obs.
MARIN 885 Cette rigueur s’explique par le fait que « la vie des affaires s’accommode mal des règles de
protection du consentement. Elle requiert de la souplesse, mais en même temps de la sécurité.
Il faut donc éviter que des personnes impliquées dans cette vie des affaires ne puissent
remettre en cause trop facilement leur parole » (Ph. DELEBECQUE, Forme et preuve du
cautionnement, in Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E, Cahier droit
des entreprises 2-92, p. 5 et s., n°6). « Mieux vaut, semble dire la jurisprudence, un
déséquilibre au profit du créancier qu’une raréfaction générale du crédit aux PME. Le sort
funeste de la caution semble ainsi être le prix à payer pour le maintien de l’entreprise de
petite dimension » (D. DANET, Le dirigeant et l’omnibus, RTD com. 1994, p. 181). 886 Depuis cette loi, la liberté probatoire n’existe que pour les cautionnements donnés par les
commerçants, pour les besoins de leur commerce, à l’exclusion de ceux fournis par les
dirigeants sociaux non commerçants, qui restent soumis aux règles de preuve du droit civil
(Cass. com., 21 juin 1988 : Bull. civ. IV, n°212 ; Cass. com., 15 novembre 1988 : Bull. civ.
IV, n°310 ; Cass. com., 19 janvier 1993 : LPA 31 mars 1993, p. 19, note VIDAL ; Cass. com.,
13 mars 2001 : Bull. Joly, §183, p. 854, note SAINTOURENS ; Cass. 1ère civ., 18 mai 2004 :
Bull. civ. I, n°140). 887 Alors que la jurisprudence exclut la protection des dirigeants-cautions fondée sur la
mention manuscrite ad probationem, le législateur semble vouloir faire profiter à ces cautions
intégrées de la mention manuscrite ad validitatem du nouvel article L. 341-2 du Code de la
consommation. Sur l’application de cette disposition à toutes les cautions personnes
physiques, cf. infra n°526 888 Cass. 1ère civ., 4 mars 1986 : Bull. civ. I, n°49 : « Pour l’appréciation de ce caractère
explicite et non équivoque, il doit être tenu compte, non seulement des termes employés, mais
également de la qualité, des fonctions et des connaissances de la caution, de ses relations
dirigeants cautions, par hypothèse parfaitement informés, ne pouvaient invoquer les
dispositions protectrices de l’article 1326 du Code civil889.
Dans un second temps, la Chambre commerciale a adopté un raisonnement
moins ouvertement dérogatoire au droit commun, en considérant que la seule qualité
de dirigeant constitue un complément de preuve extrinsèque suffisant890. Dès lors
que la caution exerce effectivement des fonctions directoriales891, elle ne peut donc
pas être déchargée partiellement, voire totalement, si la mention manuscrite fait
référence au corps du texte de l’acte de cautionnement, établi sous forme d’un
imprimé, ou si elle est donnée sous forme d’une lettre dactylographiée
complémentaire892. La Cour de cassation considère également que la preuve de
l’engagement du dirigeant est rapportée par sa seule signature apposée au bas de
l’acte instrumentaire portant contrat principal et cautionnement893. Par ailleurs, la
signature d’un acte de cautionnement, apposée à la fois en qualité de représentant de
la société et en qualité de caution, constitue un commencement de preuve par écrit
pouvant être complété par la qualité de gérant894. L’interprétation que retient la
jurisprudence de l’article 1326 du Code civil est donc particulièrement protectrice
avec le créancier et le débiteur de l’obligation cautionnée, ainsi que de la nature et des
caractéristiques de cette dernière ». 889 Cass. com., 19 juin 1990 : Bull. civ. IV, n°180 ; Cass. com., 26 juin 1990 : Bull. civ. IV,
n°188 ; Cass. com., 15 janvier 1991 : Bull. civ. IV, n°24 ; Cass. com., 29 janvier 1991 : Bull.
civ. IV, n°42 ; Cass. com., 25 mai 1993 : Bull. civ. IV, n°205 890 Cass. com., 1er juin 1993 : Bull. civ. IV, n°213 ; Cass. com., 24 juin 1997 : Bull. civ. IV,
n°198 ; Cass. com., 3 avril 2002 : Bull. civ. IV, n°64 ; Cass. com., 20 mai 2003 : RJDA
12/2003, n°1246
Il convient de souligner qu’après avoir longtemps contrôlé la suffisance des éléments
extrinsèques, la Cour de cassation a expressément reconnu la souveraineté des juges du fond
en ce domaine (Cass. com., 11 juin 2003 : D. 2003, AJ, p. 2311 ; JCP 2003, I, 176, n°3, obs.
SIMLER ; LPA 24 novembre 2003, n°234, p. 4, chron. HOUTCIEFF ; RJDA 12/2003,
n°1245 ; RD bancaire et financier 2004, n°64, obs. LEGEAIS). 891 La qualité de dirigeant social constitue un élément extrinsèque, « peu important que
l’intéressé ait eu la qualité de salarié de la société » (Cass. com., 3 avril 2002 : Bull. civ. IV,
n°64).
En revanche, la protection de l’article 1326 du Code civil joue en présence d’une caution âgée
et malade exerçant des fonctions théoriques d’administrateur de la société débitrice (Cass.
com., 6 décembre 1994 : Bull. civ. IV, n°364), ou d’une caution âgée n’étant qu’un dirigeant
social de complaisance (Cass. com., 6 juillet 1993 : Bull. civ. IV, n°279).
A plus forte raison, la jurisprudence décide que ne peuvent constituer un élément extrinsèque
suffisant la seule qualité d’associé, même majoritaire (Cass. com., 31 mai 1994, 2 arrêts :
Bull. civ. IV, n°192 et 193 ; Cass. com., 29 avril 2003 : JCP 2003, I, 176, n°3, obs. SIMLER ;
RJDA 11/2003, n°1125), ou les seuls liens de parenté ou d’alliance entre la caution et le
débiteur principal (Cass. 1ère civ., 6 décembre 1994 : Bull. civ. I, n°363 ; Cass. 1ère civ., 10
mai 2000 : RD bancaire et financier 2000, n°193, obs. LEGEAIS ; Dr. sociétés 2000, n°132,
p. 12 ; D. 2001, Somm., p. 691, obs. AYNES). 892 Cass. com., 20 octobre 1992 : RJC 1993, p. 120, note GRAFMEYER 893 Cass. com., 18 mai 1999 : Bull. civ. IV, n°103 ; Cass. com., 23 mai 2000 : RD bancaire et
financier 2000, n°192, obs. LEGEAIS ; Dr. sociétés 2000, n°132, p. 12 ; D. 2001, Somm.,
p. 690, obs. AYNES 894 Cass. com., 23 mai 2000 : Bull. civ. IV, n°107. Dans le même sens, la Cour de cassation
décide que la validité d’un cautionnement notarié ne tient pas à une double signature, mais à
une double qualité, à savoir « représentant du débiteur / caution » (Cass. com., 8 octobre
2003 : Bull. civ. IV, n°153).
des intérêts des créanciers lorsque la caution est intégrée dans les affaires du
débiteur principal.
448. La preuve intrinsèque. Quelle que soit la qualité de la caution,
l’efficacité du cautionnement est également favorisée par le fait que la Cour de
cassation admet que « l’élément de preuve complémentaire puisse être intrinsèque à
l’instrumentum constatant le cautionnement dès lors qu’il est extrinsèque à son
negotium »895. La mention manuscrite irrégulière peut donc être complétée par un
élément figurant dans l’acte signé par la caution, que celui-ci soit en même temps
l’acte contenant l’engagement du débiteur principal896, ou qu’il s’agisse même d’un
acte distinct du contrat garanti897. Par conséquent, pour que la condition probatoire
de l’article 1326 du Code civil soit satisfaite, il suffit que le créancier fasse signer à
la caution un contrat dont le corps relate précisément le contenu de la dette garantie.
« Autant dire, qu’en pratique, il ne reste pas grand chose de l’exigence de la
mention manuscrite ! »898
449. La preuve de la couverture des accessoires de la dette principale.
C’est encore sur le terrain de la preuve de la couverture des accessoires de la dette
principale que la jurisprudence renforce l’efficacité objective du cautionnement
indéfini899. La Chambre commerciale900 et la première Chambre civile de la Cour de
cassation901 n’exigent plus, en effet, que les accessoires figurent dans la mention
manuscrite pour être couverts. Il suffit que le corps de l’acte de cautionnement,
imprimé ou dactylographié, y fasse référence, pour que l’exigence d’engagement
895 P. CROCQ, RTD civ. 2003, p. 122 896 Cass. 1ère civ., 9 décembre 1997 : Bull. civ. I, n°360 ; Cass. 1ère civ., 15 janvier 2002 : Bull.
civ. I, n°13 ; Cass. 1ère civ., 12 mars 2002 : RD bancaire et financier 2002, n°84, obs.
LEGEAIS ; Cass. 1er octobre 2002 : Bull. civ. I, n°132 ; Cass. 1ère civ., 29 octobre 2002 : Bull.
civ. I, n°248 et 250 ; Cass. com., 13 novembre 2002 : RD bancaire et financier 2003, n°12,
obs. LEGEAIS 897 Cass. com., 4 février 2003 : Bull. civ. IV, n°13. Dans cet arrêt, la Cour a néanmoins exigé
« l’absence de contradiction entre les termes de l’acte et la mention manuscrite ».
L’arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation du 5 mai 2004 (D. 2004, AJ ;
Droit et patrimoine 2004, n°130, p. 109, obs. SAINT-ALARY ; D. 2004, Somm., p. 2708,
LEVENEUR), bien que précisant que « les éléments extrinsèques susceptibles de compléter le
commencement de preuve constitué par l’acte de cautionnement irrégulier ne peuvent être
puisés dans les autres énonciations de l’acte », ne doit pas être interprété comme remettant en
cause les décisions citées précédemment. En effet, cet arrêt a été rendu dans une situation très
particulière, puisque la mention « bon pour caution solidaire dans les termes ci-dessus »
n’avait pas été apposée par la caution, qui avait seulement signé l’acte de cautionnement. 898 P. CROCQ, art. préc., p. 123 899 Ici encore, l’efficacité que développe la jurisprudence risque d’être compromise par la
nouvelle mention manuscrite ad validitatem, qui doit viser un montant global, incluant le
principal et les différents accessoires, par dérogation au droit commun de l’article 2016 du
Code civil. 900 Cass. com., 16 mars 1999 : Bull. civ. IV, n°59 ; Cass. com., 3 avril 2002 : Bull. civ. IV,
n°64 ; Cass. com., 4 février 2003 : Bull. civ. IV, n°13 ; Cass. com., 13 mai 2003 : RD
bancaire et financier 2003, n°189, obs. CERLES 901 Cass. 1ère civ., 29 octobre 2002 : Bull. civ. I, n°248 et 250 ; Cass. 1ère civ., 5 mai 2004 :
RJDA 10/04, n°1163
exprès formulée par l’article 2015 du Code civil soit satisfaite, et pour qu’ils soient
garantis par la caution, comme le prévoit l’article 2016 du Code civil902. Les
cautions ne peuvent donc plus s’appuyer sur une lecture déformante des articles
1326, 2015 et 2016 pour échapper au paiement des accessoires et, par conséquent,
pour bénéficier d’une réduction du montant de leurs obligations.
450. Si la détermination du champ de l’obligation de couverture, ainsi que la
preuve de celle-ci, ne sont donc pas des terrains sur lesquels les contestations de la
caution prospèrent aisément, les tentatives des cautions pour limiter la durée de
l’obligation de couverture sont encore moins fructueuses.
b. Les termes extinctifs implicites de l’obligation de couverture de la caution
451. Lorsque le cautionnement de dettes futures n’est assorti d’aucun terme
extinctif exprès, il est fréquent que la caution cherche à réduire la durée de son
obligation de couverture, en assimilant certains événements à des termes extinctifs
implicites. La jurisprudence repousse ces tentatives de limitation du montant de
l’obligation de règlement et renforce, par là même, l’efficacité in abstracto du
cautionnement.
452. Les changements affectant la société créancière ou la société
débitrice. Les modifications statutaires portant sur la dénomination sociale,
l’implantation du siège social, le montant ou la composition du capital social, ou
encore l’objet ou la forme de la société, ne se traduisent pas par une novation en la
personne du créancier ou du débiteur. La pérennité de la personne morale suffit,
selon la jurisprudence, à assurer le maintien du cautionnement, et à écarter tout
moyen de défense fondé sur l’existence d’un terme extinctif implicite903.
453. Les changements affectant les rapports entre la caution et le débiteur
principal : les arguments en présence. C’est essentiellement au sujet des
changements dans les rapports entre la caution et le débiteur principal que la
question de l’extinction de l’obligation de couverture s’est posée. Dans le silence du
contrat, il s’agit de savoir si les parties ont ou non voulu que le cautionnement se
maintienne après une modification de ces relations.
De nombreux arguments ont été avancés par la doctrine904, et repris par les
cautions, au soutien de la thèse du terme implicite. Le raisonnement repose
essentiellement sur une analyse des attentes des parties.
902 Si le taux d’intérêt n’a pas à figurer dans la mention manuscrite, il doit être stipulé dans
l’acte de cautionnement lui-même, sauf lorsque le cautionnement porte sur des dettes futures
(Cass. 1ère civ., 9 mars 2004 : Bull. civ. I, n°77). Dans cette dernière hypothèse, le taux
conventionnel est en effet inconnu au jour de l’engagement de la caution. 903 Cass. com., 9 avril 1973 : Bull. civ. IV, n°152 ; Cass. com., 2 octobre 1979 : Bull. civ. IV,
n°240 ; Cass. com., 20 février 2001 : Bull. civ. IV, n°38 ; Cass. com., 5 novembre 2003 :
RJDA 02/2004, n°230 (« le changement de dénomination sociale d’une banque suivi de
l’absorption par celle-ci d’une autre société n’a pas concouru à la création d’une société
nouvelle »). 904 Cf. notamment Ch. MOULY, th. préc., n°341 à 346 ; D. DANET, art. préc., p. 178 et 179 ;
Ch. MOULY, Abus de caution ?, Rev. jurisp. com., n° spécial février 1982, p. 22 ; Ph.
SIMLER, Le juge et la caution. Excès de rigueur ou excès d’indulgence ?, JCP 1986, éd. N, I,
169, n°35 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°312 ; Ph. SIMLER, n°287
Concernant la caution, elle ne souscrit un cautionnement de dettes futures qu’en
raison de sa position lui permettant d’influer sur l’évolution de la dette principale.
Le cautionnement omnibus donné par un dirigeant de société n’est l’effet, ni du
hasard, ni de la coïncidence. « Un tel cautionnement marque la confiance que l’on a
en sa propre gestion »905. En conséquence, il est peu probable que la caution ait
entendu maintenir son engagement en cas de disparition des liens l’unissant au
débiteur principal.
Concernant le créancier, il prend en considération la personne de la caution, et
sa qualité, tout autant, voire davantage, que son patrimoine. En règle générale, il
recherche spécialement le dirigeant ou le conjoint, car ils ont sur le débiteur une
influence qui incite ce dernier à payer906. La qualité de dirigeant lui sert également à
« faire sauter la limitation de responsabilité »907. La position du garant dans la
société débitrice est à ce point importante aux yeux des créanciers qu’ils
s’empressent souvent d’exiger le même engagement de caution du successeur de
celui qui a quitté ses fonctions. En raison de cette reprise d’engagement, il est
d’ailleurs avancé que la reconnaissance du terme extinctif implicite ne léserait
nullement les intérêts des créanciers908. Et, à défaut de cautionnements successifs,
cette reconnaissance pourrait aussi demeurer indolore, à condition que les créanciers
ne consentent pas de nouveaux crédits au débiteur909.
Si les raisons pour admettre l’extinction de l’obligation de couverture en cas de
changement dans les rapports entre le débiteur et la caution sont sérieuses, celles
militant en faveur de son rejet ne le sont pas moins.
En premier lieu, même si la considération de la personne de la caution joue un
rôle déterminant dans l’opération de garantie, le cautionnement n’est pas un contrat
conclu intuitus personae910. En effet, l’obligation de la caution n’est pas de celles
qui ne peuvent pas être exécutées par un autre débiteur.
En deuxième lieu, le cautionnement de dettes futures souscrit pour une durée
indéterminée ouvre droit à une faculté de dénonciation. En application de l’article L.
313-22 du Code monétaire et financier ou de l’article L. 341-6 du Code de la
consommation, les cautions se le voient périodiquement rappeler. L’obligation
d’information annuelle « rend moins pressant le besoin d’un terme extinctif
implicite : si la caution veut mettre fin à son engagement, qu’elle le fasse »911. Si
elle ne le fait pas, elle peut plus difficilement prétendre avoir cru que sa garantie
était éteinte par un changement dans ses relations avec le débiteur912.
905 Ph. THERY, n°82 906 Sur la qualité du garant comme facteur incitant le débiteur principal à exécuter ses
obligations, cf. supra n°63, 71, 77 907 Ch. MOULY, art. préc., p. 22. Sur cette question, cf. P. ANCEL, Le cautionnement des
dettes de l’entreprise, Dalloz, 1989, n°37 et 38 ; A. PIEDELIEVRE, Remarques sur
l’infléchissement de la notion de personnalité morale par le cautionnement, Gaz. Pal, 1982, 1,
doct., 10 908 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, art. préc., n°35 909 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°287 910 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°312 ; Ph. SIMLER, n°65 911 Ph. THERY, n°82 912 L’argument reposant sur l’obligation d’information annuelle est à double tranchant. En
effet, la caution pourrait soutenir que, si elle n’a pas résilié, c’est parce qu’elle pensait que la
cessation de ses relations avec le débiteur principal constituait un terme extinctif implicite.
En troisième lieu, l’argument selon lequel la caution dirigeante s’abstient de
résilier, de peur des conséquences de la résiliation sur la situation de l’entreprise,
devient inopérant en cas de cessation des fonctions.
En quatrième et dernier lieu, c’est la sécurité des transactions, et l’efficacité du
cautionnement, qui commandent d’écarter la thèse du terme implicite913.
« L’inconvénient de toute recherche de volonté implicite est l’incertitude quant à ses
résultats. Or, l’extinction du cautionnement doit survenir de manière indiscutable et
certaine à un moment précis, au su de tous, et notamment du créancier »914.
454. La position de la jurisprudence : les changements affectant les rapports
entre la caution et le débiteur principal ne constituent pas des termes extinctifs
implicites. Après avoir accepté une fois l’interprétation souveraine des juges du fond
reposant sur l’idée d’un terme implicite915, la Cour de cassation a systématiquement
rejeté cette solution.
En cas de perte de la qualité de dirigeant ou d’associé, provoquée par une
démission, une révocation ou une cession de contrôle de la société débitrice,
l’obligation de couverture de la caution ne se trouve pas affectée916. Seule la
résiliation par la caution de son engagement, ou le jeu d’une stipulation expresse
dans l’acte de cautionnement917, peuvent emporter l’extinction de celui-ci pour
l’avenir. Le fait que la cession des parts ou des actions par le dirigeant caution soit
suivie d’un accord, en vertu duquel le cessionnaire accepte de se substituer au cédant
dans les engagements pris envers le créancier, demeure sans incidence sur
l’engagement du cédant918. Et la Cour de cassation rejette toute idée de devoir
particulier du créancier d’informer la caution initiale qu’elle reste tenue de ses
engagements, sous réserve d’une clause contraire919.
L’idée d’un terme extinctif implicite est pareillement écartée dans l’hypothèse
d’une rupture du lien conjugal ou du concubinage920, ou encore de la relation de
travail921.
913 En ce sens, cf. R. ROBLOT, Le cautionnement des dettes d’une société commerciale par
ses dirigeants, Mélanges Derrupé, Litec, 1991, p. 347 et s., n°15 ; D. LEGEAIS, n°202 ; Ph.
MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°270 914 Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°270 915 Cass. com., 8 juillet 1969 : Banque 1970, 296 ; RTD com. 1970, 160, obs. HOUIN 916 Cass. com., 2 décembre 1974 : Bull. civ. IV, n°308 ; Cass. com., 3 novembre 1988 : Bull.
civ. IV, n°283 ; Cass. com., 24 avril 1990 : Bull. civ. IV, n°117 ; Cass. com., 15 octobre
1991 : Bull. civ. IV, n°285 917 La caution peut faire du maintien de sa qualité une condition de son engagement (Cass.
com., 28 février 1995 : JCP 1995, I, 3851, n°5, obs. SIMLER). 918 Sur cette question, cf. E. JEULAND, Essai sur la substitution de personne dans un rapport
d’obligation, LGDJ, 1999, préf. L. CADIET, n°23 et 27 ; O. SALVAT, Cession unilatérale
de contrat : le cas de la reprise des engagements de caution par un dirigeant de société, LPA
23 décembre 1999, n°255, p. 10 et s. 919 Cass. com., 29 janvier 2002 : Bull. civ. IV, n°21 920 Cass. com., 19 janvier 1981 : Bull. civ. IV, n°32
Une position contraire a été défendue par le Garde des Sceaux (Rép. quest. écrite n°1686 : JO
Sénat 12 août 1993, p. 1413 ; JCP 1994, éd. N, prat. 2846, p. 8) : il serait possible d’admettre
un terme implicite en cas de rupture du concubinage, dès lors que les parties ont entendu lier
le maintien de la garantie à l’existence de la situation qui en a déterminé l’octroi et que le
créancier a connaissance du changement survenu.
Afin de maintenir dans sa plénitude l’efficacité du cautionnement, la
jurisprudence subordonne donc la disparition de celui-ci à des facteurs indiscutables.
« Au mécanisme du terme extinctif implicite, les tribunaux préfèrent aujourd'hui la
résiliation unilatérale ou le terme explicite, qui ne risquent pas de surprendre les
prévisions des créanciers »922.
455. La jurisprudence fait donc primer la fonction de garantie du
cautionnement pour rejeter les contestations des cautions visant à limiter, tant le
champ, que la durée de leur obligation de couverture. L’efficacité objective du
cautionnement se trouve également renforcée par le rejet des contestations tendant à
sanctionner le créancier.
2. Les contestations visant à sanctionner le créancier
456. Pour obtenir une réduction de leur engagement, les cautions invoquent
fréquemment la faute de leur cocontractant. En adoptant une interprétation stricte
des obligations légales mises à la charge des créanciers (a), et en refusant de
découvrir des obligations conventionnelles implicites à l’encontre de ceux-ci (b), la
jurisprudence empêche la libération partielle des cautions et organise, ce faisant,
l’efficacité in abstracto du cautionnement.
a. L’interprétation stricte des obligations légales pesant sur les créanciers
457. L’obligation d’information annuelle de la caution (article L. 313-22 du
Code monétaire et financier) et l’obligation de ne pas faire perdre à la caution des
droits préférentiels dans lesquels elle est susceptible d’être subrogée (article 2037 du
Code civil) donnent lieu à un contentieux particulièrement abondant923. Si de
nombreuses décisions rendues en application de ces obligations légales
compromettent l’efficacité du cautionnement924, d’autres privilégient, au contraire,
la fonction de garantie de ce contrat, et protègent par conséquent les intérêts des
créanciers.
458. L’interprétation stricte de l’obligation d’information annuelle de la
caution. A plusieurs égards, la jurisprudence retient une interprétation stricte de
l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier.
Cette condition de connaissance effective par le créancier de l’événement constitutif du terme
est également prônée par certains auteurs (Ph. SIMLER, n°287 et 288). 921 CA Paris, 12 mars 1981 : Juris-Data n°020655 ; CA Rouen, 20 mars 1991 : Juris-Data
041379 922 Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°270, qui poursuivent en
relevant que « le terme implicite est réservé aux situations dans lesquelles la faculté de
résiliation ne peut pas être efficacement exercée », c'est-à-dire en cas de décès de la caution.
Sur l’extinction de l’obligation de couverture suite au décès de la caution, cf. infra n°570 923 Le contentieux portant sur l’interprétation de l’article L. 313-22 du Code monétaire et
financier devrait diminuer, puisque le champ d’application de cette disposition est
essentiellement absorbé par celui du nouvel article L. 341-6 du Code de la consommation. Sur
l’articulation entre ces deux textes, cf. infra n°548 924 Cf. infra n°607, 608
En premier lieu, aucune forme particulière n’est prescrite. L’information,
abstraction faite des difficultés probatoires, peut être donnée par simple lettre925.
En deuxième lieu, si le créancier doit prouver avoir envoyé l’information, la
Haute juridiction décide qu’ « il n’incombe pas à l’établissement de crédit de
prouver que la caution a effectivement reçu l’information »926.
En troisième lieu, la sanction spécifique du défaut d’information (« déchéance
des intérêts depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de
la nouvelle information ») est strictement encadrée par la jurisprudence. Cette
sanction ne concerne que les intérêts conventionnels dûs par le débiteur principal.
Aucune déchéance n’est encourue pour les intérêts légaux dont la caution est
redevable à titre personnel à compter de sa mise en demeure927. Par ailleurs, la
déchéance ne s’applique, conformément à la lettre du texte, qu’aux seuls intérêts, et
non à d’autres accessoires de la dette, tels que des commissions, bien que ces
accessoires doivent également figurer parmi les informations données928. Si la
sanction doit jouer, elle ne constitue aucunement un obstacle aux poursuites de la
caution pour les autres sommes dues en vertu du cautionnement, et notamment pour
le solde du capital929. La déchéance prend effet, non à la date de conclusion du
cautionnement, mais à celle où l’information aurait dû être donnée la première fois,
à savoir le 31 mars suivant la date de l’engagement930. L’établissement de crédit
définitivement déchu des intérêts depuis la dernière notification peut limiter les
effets de la sanction pour l’avenir par une notification tardive931.
En quatrième et dernier lieu, c’est en empêchant le cumul entre la sanction
spécifique de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier et la responsabilité
de droit commun que la Cour de cassation protège les intérêts des créanciers. La
Chambre commerciale considéra, dans un premier temps, que la sanction spéciale de
l’article 48 de la loi de 1984 n’empêchait pas la caution d’obtenir réparation sur la
base de l’article 1147 du Code civil932. Les dommages et intérêts venaient alors en
compensation de la dette de la caution, et emportaient sa réduction. Dans un
deuxième temps, la Cour de cassation a précisé les conditions de ce cumul. La
Chambre commerciale a ainsi rejeté la demande en réparation émanant du dirigeant-
caution en raison du défaut de préjudice933. De son côté, la première Chambre civile
n’a pas permis à des cautions d’obtenir une libération sur le fondement de l’article
1147 du Code civil, faute pour elles de justifier d’un préjudice spécifique réparable,
après avoir relevé qu’elles ne pouvaient se libérer de leur engagement avant le terme
convenu, dans la mesure où leur cautionnement était limité dans le temps et à une 925 Cass. com., 27 novembre 1991 : JCP 1992, IV, 367 ; RJDA 2/1992, n°182 ; Cass. com., 17
juin 1997 : Bull. civ. IV, n°188 926 Cass. 1ère civ., 25 novembre 1997 : Bull. civ. I, n°326 ; Cass. com., 17 octobre 2000 : Bull.
civ. IV, n°154 ; Cass. 1ère civ., 2 octobre 2002 : Bull. civ. I, n°225 927 Cass. 1ère civ., 9 décembre 1997 : Bull. civ. I, n°359 ; Cass. com., 20 mai 1997 : Bull. civ.
IV, n°152 ; Cass. 1ère civ., 12 mars 2002 : Bull. civ. I, n°86 (2ème arrêt) 928 CA Paris, 24 avril 1998 : Juris-Data 021555 929 Cass. com., 25 mai 1993 : Bull. civ. IV, n°205 ; Cass. 1ère civ., 17 novembre 1998 : Bull.
civ. I, n°321 ; Cass. com., 26 octobre 1999 : JCP 1999, IV, 3040 ; D. 2000, AJ, p. 5, obs.
AVENA-ROBARDET ; RJDA 1/2000, n°94 930 Cass. com., 6 juin 1995 : Juris-Data n°004278 931 Cass. com., 22 juin 1993 : Bull. civ. IV, n°257 932 Cass. com., 20 octobre 1992 : Bull. civ. IV, n°311 933 Cass. com., 17 octobre 2000 : Bull. civ. IV, n°154
opération bien précise934. Aujourd'hui, la Cour de cassation paraît vouloir revenir sur
la possibilité même du cumul. La Chambre commerciale décide que, sauf dol ou
faute lourde du dispensateur de crédit, l’omission des informations prévues par le
législateur est sanctionnée par la seule déchéance des intérêts935. La première
Chambre civile, après avoir considéré que l’omission des informations « ne peut à
elle seule être sanctionnée que par la déchéance des intérêts »936, a tempéré cette
solution en précisant qu’il n’en va ainsi qu’à défaut de « dol ou (de) faute
distincte »937. En conséquence, « le créancier, débiteur d’une obligation
d’information, peut bien faire preuve d’une impéritie manifeste, seul son
comportement dolosif constituera une source de responsabilité, ce qui, on en
conviendra, devrait rester fort rare »938.
La fonction de garantie du cautionnement est respectée dans toutes ces
décisions, puisque la jurisprudence adopte une interprétation stricte des modalités
d’exécution, de la preuve, et de la sanction de l’obligation d’information annuelle.
459. Interprétation stricte du bénéfice de subrogation. S’agissant de
l’article 2037 du Code civil, nombre de décisions révèlent une volonté de la Cour de
cassation de ne pas étendre inconsidérablement le bénéfice de subrogation, et donc
de ne pas décharger partiellement, voire totalement, la caution sur ce fondement.
Tout d’abord, les « droits, hypothèques et privilèges » ne font pas l’objet d’une
interprétation laxiste qui risquerait, « non seulement de faire perdre au mécanisme sa
spécificité, mais surtout, si la caution obtenait trop facilement sa décharge, de ruiner
l’institution du cautionnement »939. Ainsi, en l’absence d’un droit préférentiel
quelconque, la caution ne peut être libérée en vertu de l’article 2037 du Code civil,
même si un comportement fautif peut être imputé au créancier, et si un préjudice en
est résulté pour elle940. Le droit de gage général, par définition, ne confère aucun
droit préférentiel. Par conséquent, le bénéfice de cession d’actions ne peut jouer
lorsque le créancier laisse le débiteur devenir insolvable, notamment en le soutenant
artificiellement941. D’autres situations sont également exclusives d’une libération
fondée sur l’article 2037 : la simple prorogation du terme ou le défaut de poursuites
contre le débiteur principal942, le manquement à une obligation de renseignement943,
934 Cass. 1ère civ., 16 janvier 2001 : Bull. civ. I, n°3 ; Cass. 1ère civ., 10 décembre 2002 : Bull.
civ. I, n°303 935 Cass. com., 25 avril 2001 : Bull. civ. IV, n°75 ; Cass. com., 11 juin 2002 : D. 2002,
Somm., p. 3335, obs. AYNES ; Cass. com., 1er avril 2003 : RDC 2004, chron., HOUTCIEFF ;
Cass. com., 29 avril 2003 : RJDA 11/2003, n°1128 ; Cass. com., 1er juillet 2003 : RJDA
1/2004, n°99 936 Cass. 1ère civ., 6 novembre 2001 : Bull. civ. I, n°303 ; Cass. 1ère civ., 10 décembre 2002 :
Bull. civ. I, n°303 937 Cass. 1ère civ., 4 février 2003 : Bull. civ. I, n°35 938 V. BREMOND, obs. sous Cass. 1ère civ., 4 février 2003, D. 2003, p. 1284 939 Ph. SIMLER, n°824 940 Dans cette hypothèse, la décharge partielle ne pourrait résulter que de la mise en jeu de la
responsabilité civile du créancier (Cass. 1ère civ., 17 mars 1998 : Bull. civ. I, n°114). 941 Cass. 1ère civ., 16 février 1970 : Bull. civ. I, n°58 ; Cass. 1ère civ., 17 mars 1998 : Defrénois
1998, article 36827, p. 807, note AUBERT ; Cass. com., 14 mars 2000 : Rev. proc. coll. 2000,
p. 134 942 Cass. com., 27 février 1968 : Bull. civ. I, n°81 ; Cass. com., 24 avril 1972 : Bull. civ. IV,
n°118
le fait de laisser vendre un bien grevé d’une sûreté réelle, dès lors que les droits du
créancier sont préservés par le droit de suite944, le fait de ne pas demander
l’attribution d’un fonds de commerce945, la renonciation par le créancier à la
domiciliation des salaires du débiteur, non constitutive d’une sûreté, mais d’un
simple mode de règlement946, ou encore le défaut de notification d’une cession
Dailly, qui ne procure aucun droit de préférence947.
La jurisprudence protège les intérêts des créanciers en limitant, par ailleurs, le
jeu de la décharge de l’article 2037 au cas de perte de droits préférentiels ayant
existé au moment de l’engagement de la caution, ou promis par le créancier. « Le
bénéfice de subrogation suppose que la caution ait pu compter sur le droit
préférentiel au moment où elle s’est engagée ; que celui-ci ait été certain et non
seulement éventuel »948. La caution ne peut donc reprocher au créancier, ni la perte
de droits acquis ou constitués postérieurement à la conclusion du cautionnement, ni
l’absence d’acquisition de sûretés nouvelles lorsque le créancier avait la faculté de
les constituer949.
De troisième part, c’est en dépassant l’ « illusoire neutralité »950 des termes
« fait du créancier », et en exigeant une faute, que la jurisprudence préserve
l’efficacité du cautionnement. Nombreux sont les faits qui ont été jugés non fautifs,
et n’ont donc pas permis à la caution d’obtenir une réduction, voire une extinction,
de son engagement951. C’est à la caution qu’il revient de prouver l’obligation
préexistante et la violation de celle-ci par le créancier952.
943 Cass. com., 24 juin 1969 : JCP 1970, II, 16221, note PRIEUR ; Cass. com., 7 décembre
2004 : RJDA 4/05, n°464 (le créancier n’est pas tenu d’informer la caution du débiteur de
l’intention du bailleur de résilier le bail de l’immeuble dans lequel s’exploite le fonds de
commerce grevé) 944 Cass. com., 20 octobre 1980 : Bull. civ. IV, n°340 945 Cass. com., 5 novembre 2003 : RJDA 03/2004, n°366 946 CA Versailles, 24 juin 1998 : Juris-Data n°042805 947 Cass. 1ère civ., 30 septembre 1997 : JCP 1998, I, 103, n°15, obs. SIMLER ; Droit et
patrimoine mai 1998, p. 106, obs. SAINT-ALARY ; Cass. com., 11 décembre 2001 : Bull.
civ. IV, n°196 948 Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°283 949 Cass. com. 25 janvier 1994 : Bull. civ. IV, n°30 ; Cass. com., 17 octobre 1995 : RTD com.
1997, p. 147 ; Cass. com., 24 octobre 1995 : RTD com. 1997, p. 147 ; Rev. proc. coll. 1996-2,
p. 231, obs. KERCKHOVE ; Cass. 1ère civ., 13 mai 1997 : Bull. civ. I, n°155 ; Cass. 1ère civ.,
13 mai 1998 : Rev. proc. coll. 1999, p. 123 ; Cass. 1ère civ., 12 octobre 1999 : Rev. proc. coll.
2000, p. 58 ; Cass. com., 15 février 2000 : Bull. civ. IV, n°28 ; Cass. 1ère civ., 29 février
2000 : Bull. civ. I, n°70 ; Cass. 1ère civ., 12 mars 2002 : Bull. civ. I, n°187 ; Cass. 1ère civ., 22
mai 2002 et 10 juillet 2002 : RD bancaire et financier 2002, n°179, obs. LEGEAIS ; Cass.
com., 8 octobre 2003 : RJDA 03/2004, n°367 ; LPA 17 mai 2004, n°98, p. 5, note
HOUTCIEFF 950 Ph. THERY, n°85 951 Exemples : hypothèse où le créancier nanti en fonds de commerce s’abstient de régler les
loyers dûs par le débiteur principal alors qu’il est appelé dans l’instance de référé engagée par
le bailleur à l’encontre du locataire pour voir prononcer la résiliation du bail, et qu’il laisse
ainsi perdre le nantissement par suite de la résiliation (Cass. com., 2 avril 1996 : Bull. civ. IV,
n°100. Dans le même sens, cf. Cass. 1ère civ., 13 février 1998 : Rev. proc. coll. 1998-5,
p. 498 ; Cass. com., 30 octobre 2000 : RJDA 2/2001, n°230 ; Cass. com., 15 mai 2001 : RJDA
10/2001, n°1034 ) ; absence de demande d’attribution judiciaire d’un fonds de commerce
nanti (Cass. com., 13 octobre 1998 : Bull. civ. IV, n°233) ; « l’article 2037 du Code civil
Non seulement la Cour de cassation impose donc l’existence d’une faute, mais
elle exige, de surcroît, que la perte du droit préférentiel soit imputable exclusivement
au créancier. En supposant établie l’impossibilité de subrogation de la caution, le
créancier peut ainsi écarter l’application de l’article 2037 en démontrant que la perte
du droit préférentiel est due à la force majeure953, au fait d’un tiers954, du débiteur955,
de la caution elle-même956 ou encore de ces deux derniers957.
Enfin, c’est en ajoutant une condition qui ne figure pas dans l’article 2037, à
savoir un préjudice subi par la caution, que la jurisprudence fait primer la fonction
de garantie du cautionnement. Le droit perdu ou non constitué doit avoir représenté
un avantage effectif pour la caution. Ce n’est pas le cas lorsqu’il était de toute façon
voué à l’inefficacité en raison de son rang ou de l’absence de valeur réelle de son
assiette958. A fortiori, la caution ne peut être déchargée si l’acte du créancier lui a été
profitable959, ou si le bien perdu a été remplacé par d’autres960.
En toute hypothèse, la caution n’est déchargée qu’à concurrence de la valeur
des droits pouvant lui être transmis par subrogation961.
n’impose pas au créancier de se porter acquéreur du bien offert en garantie pour en
sauvegarder la valeur » (Cass. 1ère civ., 19 décembre 2000 : RD bancaire et financier 2001,
n°58, obs. LEGEAIS ; D. 2001, AJ, p. 375) ; absence de recours contre une décision d’un
juge commissaire (Cass. com., 26 mai 1999 : Bull. civ. IV, n°108) ; reprise et vente du
matériel par le crédit-bailleur (Cass. com., 23 novembre 1999 : Bull. civ. IV, n°203) ; absence
de référence au cautionnement dans la déclaration de créance (Cass. 1ère civ., 1er février 2000 :
RJDA 5/2000, n°600 ; Rev. proc. coll. 2000, p. 134) ; défaut d’inscription d’un nantissement
au RCS (Cass. com., 20 mars 2001 : RJDA 7/2001, n°816) 952 Cass. 1ère civ., 13 novembre 1996 : Bull. civ. I, n°394 953 Cass. req., 22 juin 1886 : DP 1887, 1, 387 ; S. 1888, I, 53 954 Cass. com., 10 février 1970 : Bull. civ. IV, n°48 ; Cass. 1ère civ., 4 octobre 2000 : RJDA
1/2001, n°85 ; Cass. com., 3 avril 2001 : RJDA 8-9/2001, n°915 ; Cass. com., 13 mai 2003 :
Bull. civ. IV, n°71 ; Cass. 1ère civ., 4 janvier 2005 : RJDA 3/05, n°330 955 Cass. req., 16 mars 1936 : DH 1936, p. 217 ; Cass. com., 2 mars 1970 : Bull. civ. IV, 77 ;
Cass. 1ère civ., 3 mars 1998 : Bull. civ. I, n°88 ; Cass. 1ère civ., 13 mai 1998 : Rev. proc. coll.
1999, p. 123 ; Cass. com., 30 octobre 2000 : RJDA 2/2001, n°231 ; Cass. com., 20 février
janvier 2002 : RD bancaire et financier 2002, n°50, obs. LEGEAIS; Cass. 1ère civ., 7
décembre 2004 : Bull. civ. I, n°300 956 Cass. com., 20 janvier 1975 : Bull. civ. IV, n°16 ; Cass. com., 9 mai 1995 : RTD com.
1997, p. 149 ; Rev. proc. coll. 1995-4, p. 458 ; Cass. com., 14 mars 2000 : Rev. proc. coll.
2000, p. 134
La caution n’a cependant pas l’obligation d’informer le créancier sur les risques par elle
encourus en cas de perte d’un droit préférentiel (Cass. com., 23 novembre 2004 : Bull. civ.
IV, n°198). 957 Cass. com., 11 janvier 1994 : Bull. civ. IV, n°15 ; Cass. 1ère civ., 14 novembre 2001 : Bull.
civ. I, n°275 958 Cass. 3ème civ., 3 décembre 1974 : Bull. civ. III, n°451 ; Cass. 1ère civ., 25 juin 1980 : Bull.
civ. I, n°197 ; Cass. com., 26 mai 1999 : Bull. civ. IV, n°112 ; Cass. 1ère civ., 29 janvier 2002 :
JCP 2002, éd. E, 1424, n°9, obs. SIMLER ; Cass. 1ère civ., 12 février 2002 : Bull. civ. I, n°51 959 Cass. com., 21 juillet 1964 : Bull. civ. IV, n°390 ; Cass. com., 8 mai 1967 : Bull. civ. IV,
n°185 960 CA Chambéry, 15 juillet 1901 : DP 1903, 2, p. 341 961 Cass. 1ère civ., 9 mai 1994 : Bull. civ. I, n°169 ; Cass. 1ère civ. 15 décembre 1998 : Bull.
civ. I, n°361 ; Cass. 1ère civ., 12 février 2002 : Bull. civ. I, n°51
460. En adoptant une interprétation stricte, non seulement de l’obligation de
ne pas faire perdre à la caution des droits préférentiels dans lesquels elle est
susceptible d’être subrogée, mais aussi de l’obligation d’information annuelle, la
jurisprudence évite que les créanciers ne soient trop aisément sanctionnés et voient
ainsi le montant de leur garantie diminuer. Le même résultat est atteint lorsque les
juges refusent de découvrir dans le cautionnement des obligations implicites à la
charge du créancier.
b. Le refus de découvrir des obligations conventionnelles implicites
à la charge des créanciers
461. Le caractère unilatéral du cautionnement n’est pas exclusif d’une
éventuelle responsabilité du créancier, qui ne respecterait pas l’impératif d’éthique
contractuelle. Faute de pouvoir bénéficier d’une réduction de leur engagement sur le
fondement de règles propres au cautionnement, pour toutes les raisons déjà
exposées, les cautions tentent de plus en plus souvent d’engager la responsabilité
contractuelle du créancier. Mais, la jurisprudence semble avoir compris que « le
développement de la responsabilité a des limites : le cautionnement est fait pour
garantir le créancier et doit permettre à celui-ci de faire crédit au débiteur. Seuls
des comportements évidemment abusifs doivent être sanctionnés »962.
462. Les obligations de choisir ou d’agir. Tout d’abord, la jurisprudence
refuse d’imposer aux créanciers certaines obligations positives.
Elle préserve ainsi la liberté des créanciers de choisir les sûretés assortissant les
concours accordés à leurs clients, en qualifiant de non fautif le fait de ne pas prendre
des sûretés réelles en garantie du remboursement du prêt consenti au débiteur
principal963.
Elle préserve également le libre choix des modes de remboursement des
créances, parmi ceux que la loi ou le contrat confèrent au créancier, en décidant que
celui-ci ne commet aucune faute en choisissant de poursuivre une caution en
paiement964, ou en optant en faveur de la vente forcée d’un bien gagé plutôt qu’en
faveur de son attribution judiciaire965, ou encore en ne notifiant pas une cession
Dailly au débiteur cédé966. A ce sujet, la Haute juridiction a récemment posé un
principe général : « sauf fraude ou abus, le créancier qui bénéficie d’une pluralité
962 Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°297. Sur la responsabilité
comme « arme défensive souvent rendue inefficace par le juge », cf. D. ARLIE, La
responsabilité civile du banquier : une voie étroite de libération pour la caution, LPA 24
septembre 2002, p. 4 et s. 963 Cass. 1ère civ., 29 février 2000, Marche c/ CRCAM de l’Aube et de la Haute-Marne, arrêt
n°412 D, Juridisque Lamy 964 Cass. com., 14 juin 1994 : Bull. civ. IV, n°209 965 Cass. com., 3 novembre 1983 : JCP 1984, II, 20234, note MESTRE ; Gaz. Pal. 1984, pan.,
p. 76, note A. PIEDELIEVRE ; RTD civ. 1984, p. 526, obs. REMY
Dans le même sens, en cas de défaut de demande d’attribution du gage, cf. Cass. 1ère civ., 8
juillet 2003 : D. 2004, p. 52, obs. LE CORRE ; RD bancaire et financier 2003, n°224, obs.
LEGEAIS 966 Cass. com., 18 novembre 1997 : Bull. civ. IV, n°293 ; Cass. com., 12 janvier 1999 : RJDA
4/1999, n°462 ; RD bancaire et bourse 1999, p. 102, obs. CONTAMINE-RAYNAUD ; Cass.
com., 11 décembre 2001 : Bull. civ. IV, n°196
de sûretés ne commet pas de faute en choisissant le moyen d’obtenir le paiement de
sa créance »967.
Par ailleurs, la Cour de cassation décide que le créancier, qui s’abstient d’agir
en recouvrement contre le débiteur principal, ne peut, si longue que soit la durée de
son inaction, voir sa responsabilité engagée, sauf s’il est démontré que sa négligence
a été inspirée par la mauvaise foi ou que son comportement traduit une légèreté
blâmable.
463. L’obligation d’information ou de conseil. La question de la
responsabilité du créancier se pose souvent à l’égard de l’obligation d’informer la
caution, lors de la conclusion du contrat, sur le contexte du cautionnement ou sur le
débiteur principal et, pendant l’exécution du contrat, sur l’évolution de la situation
de celui-ci. Parce qu’il y aurait « un intense paradoxe à demander au créancier de
fournir à la caution des informations que ce créancier recherche justement à travers
le cautionnement »968, parce que la caution, comme tout contractant, a le devoir de
veiller à ses propres intérêts, donc de s’informer, parce que le créancier n’a pas
toujours la libre disposition des informations qu’il possède, à cause notamment du
secret bancaire et, enfin, parce que la caution peut être autant, sinon mieux à même
que le créancier de connaître la solvabilité du débiteur et son évolution, la
jurisprudence n’admet pas l’existence d’une obligation générale et permanente
d’information969.
Elle est également traditionnellement hostile à un devoir de conseil970,
notamment sur l’intérêt du cautionnement ou son opportunité971, sur l’intérêt de
souscrire une assurance972, ou encore sur les risques encourus973.
464. L’obligation de surveiller l’affectation des fonds prêtés. La Cour de
cassation, en l’absence d’une clause d’affectation des sommes empruntées, décide
que la caution doit prouver la faute du créancier974 et le caractère déterminant sur
son consentement de la surveillance de la destination des fonds975. En règle générale,
« les tribunaux sont sceptiques, tant sur l’intention des parties de créer
implicitement une obligation à la charge du créancier, que sur le caractère
967 Cass. com., 2 juin 2004 : Bull. civ. IV, n°106 968 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°277-1-1° 969 Cass. com., 16 février 1982 : Bull. civ. IV, n°61 ; Cass. com., 10 novembre 1982 : Bull.
civ. IV, n°345 ; Cass. com., 28 février 1989 : JCP 1989, éd. E, I, 18401 ; Cass. com., 7 avril
1992 : Bull. civ. IV, n°148 ; Cass. 1ère civ., 13 février 1996 : Bull. civ. I, n°78 ; Cass. com., 1er
juin 1999 : JCP 1999, IV, 2394 ; D. 1999, IR, p. 182 ; RJDA 8-9/1999, n°994 ; Banque et
droit sept-oct. 1999, p. 47, obs. JACOB ; Cass. com., 26 mai 2004 : RJDA 11/04, n°1265 ;
RD bancaire et financier 2004, n°235, obs. LEGEAIS 970 Cass. com., 7 avril 1992 : Bull. civ. IV, n°148 ; Cass. com., 19 décembre 2000 : RJDA
5/2001, n°640 ; Cass. com., 15 octobre 2002 : RJDA 2/2003, n°190 ; Cass. com., 18 mars
2003 : RJDA 11/2003, n°1127 971 Cass. 1ère civ., 13 février 1996 : Bull. civ. I, n°78 972 Cass. 1ère civ., 4 décembre 2001 : Resp. civ. et ass., mars 2002, n°114, p. 19 ; RD bancaire
et financier 2002, n°12, obs. LEGEAIS ; RJDA 4/2002, n°435 973 Cass. com., 11 juin 2003 : RD bancaire et financier 2003, n°225, obs. LEGEAIS 974 Cass. com., 17 décembre 2003 : RJDA 5/2004, n°621 975 Cass. 1ère civ., 3 mars 1987 : Bull. civ. I, n°77 ; Cass. 1ère civ., 25 mai 1987 : Bull. civ. I,
n°163
déterminant de cette obligation dans le consentement de la caution. Ou bien encore,
ils rejettent le reproche pour absence de préjudice »976.
Lorsqu’une clause d’affectation existe, sa violation ne peut conduire à la mise
en jeu de la responsabilité du créancier que si elle a bien été stipulée dans le contrat
de cautionnement, et non dans un contrat auquel le créancier serait tiers977.
465. La responsabilité pour octroi abusif ou rupture abusive de crédit.
C’est surtout à l’égard des établissements financiers que des devoirs d’abstention ont
été écartés, afin de ne pas brider l’octroi de crédit. Après une période de relatif
laxisme dans l’appréciation de la responsabilité de ces créanciers, la jurisprudence a
défini avec plus de rigueur les conditions dans lesquelles la responsabilité pour
octroi abusif ou rupture abusive de crédit peut être engagée.
Elle exige une faute du créancier978, dont l’appréciation est délicate, car « elle
est influencée par des considérations macro-économiques sur la nécessité du crédit
bancaire»979. La faute suppose, qu’en connaissance de cause980, l’établissement de
crédit ait financé une entreprise dans une situation irrémédiablement compromise981,
même si elle n’est pas encore en cessation des paiements982. Ni l’accroissement
régulier du débit du compte courant de l’entreprise débitrice983, ni le déclenchement
de la procédure d’alerte par les commissaires aux comptes antérieurement à l’octroi
de crédit984, ne sont considérés comme des contextes suffisants pour retenir une
faute à l’encontre de la banque.
La jurisprudence exige, en outre, que la caution ne soit pas elle-même
responsable de la défaillance du débiteur et qu’elle subisse un dommage. Le
préjudice réside dans la perte d’une chance « de ne pas être inquiétée »985 ou
d’exercer avec succès un recours contre le débiteur. La réparation de ce préjudice
peut être plus ou moins étendue, suivant la probabilité de réalisation de la chance
perdue, mais ne peut égaler le montant de la dette garantie986.
976 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°279-4°. En ce sens, cf. Cass. com., 10 et 17 juillet
2001 : RD bancaire et financier 2001, n°220, obs. LEGEAIS 977 Cass. com., 8 octobre 2002 : Bull. civ. IV, n°137. La Cour précise que, pour qu’il soit fait
exception au principe de l’effet relatif du contrat, qui fonde le rejet de la responsabilité du
créancier, il est nécessaire que « l’imputation litigieuse ait été faite dans le but de nuire à la
caution ». 978 Cass. com., 28 avril 1982 : Bull. civ. IV, n°143 ; Cass. com., 9 janvier 1985 : Bull. civ. IV,
n°17 ; Cass. 1ère civ., 18 juin 1985 : Bull. civ. I, n°188 979 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°282-5° 980 L’absence de connaissance du créancier peut se déduire d’un rapport très positif de
l’expert comptable de la société débitrice (Cass. com., 24 septembre 2003 : Bull. civ. IV,
n°136). 981 Les juges du fond ne peuvent condamner une banque pour octroi abusif de crédit sans
constater la situation irrémédiablement compromise du débiteur principal à ce moment, ou
encore l’absence de viabilité de l’opération financée (Cass. com., 7 janvier 2004 : Bull. civ.
IV, n°2). 982 Cass. com., 22 juillet 1980 : Bull. civ. IV, n°317 983 Cass. com., 10 octobre 2000 : RJDA 1/2001, n°67 984 Cass. com., 22 mai 2001 : RD bancaire et financier 2001, n°150, obs. LEGEAIS 985 Cass. com., 22 avril 1980 : Bull. civ. IV, n°163 986 En ce sens, cf. Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°298
Concernant le lien de causalité, il peut être difficile à établir, car la défaillance
du débiteur est souvent due à un faisceau de circonstances987, et car la jurisprudence
décide qu’il convient d’apprécier le comportement de la banque en se plaçant au
jour de l’octroi de crédit988.
Au vu de toutes ces conditions, il apparaît que la responsabilité du créancier
dispensateur de crédit est particulièrement difficile à mettre en jeu. Cela est d’autant
plus vrai lorsque la caution est le dirigeant de la société débitrice. « Afin d’enrayer
l’invocation quasi systématique de l’argument fondé sur le soutien abusif, la Cour
de cassation a décidé, à la manière des arrêts de règlement »989, que le dirigeant
n’est pas fondé, à défaut de circonstances exceptionnelles, à engager la
responsabilité de la banque990. Sauf si le dirigeant manque manifestement
d’expérience ou de compétence, ou s’il ne dispose pas de toutes ses facultés
mentales, ou encore s’il n’exerce aucun pouvoir véritable991, sa parfaite
connaissance de la situation du débiteur l’empêche d’obtenir une réduction de son
engagement par le biais d’une compensation avec des dommages et intérêts dûs par
le créancier. Le fait qu’il ait lui-même sollicité les crédits abusifs, ou qu’il n’ait pas
contrôlé l’endettement du débiteur principal, supprime, en effet, le lien de causalité
entre la faute du créancier et le préjudice qu’il subit992.
466. L’obligation de ne pas faire souscrire à la caution un engagement
manifestement disproportionné par rapport à ses facultés financières. Pour en
terminer avec le rejet d’obligations implicites pesant sur les créanciers, il convient
de remarquer que la Chambre commerciale de la Cour de cassation semblait vouloir
remettre en cause l’obligation de ne pas faire souscrire à la caution intégrée un
engagement manifestement disproportionné par rapport à ses biens et revenus, avant
que le législateur n’en étende le champ à tous les cautionnements conclus entre une
caution personne physique et un créancier professionnel (article L. 341-4 du Code
de la consommation). La Chambre commerciale a jugé que, pour être déchargées en
987 Cass. com., 6 mars 1978 : D. 1979, IR, p. 362, obs. VASSEUR ; Cass. com., 9 juin 1987 :
Bull. civ. IV, n°137 ; Cass. com., 3 novembre 1992 : Bull. civ. IV, n°336 988 Cass. com., 24 novembre 1992 : JCP 1993, II, 21993, note VIDAL 989 Ph. SIMLER, n°450 990 Cass. com., 15 février 1994 : Bull. civ. IV, n°60 ; Cass. com., 12 novembre 1997 : Bull.
civ. IV, n°284 ; Cass. com. 11 mai 1999 : Bull. civ. IV, n°95 ; Cass. com. 6 février et 22 mai
2001 : Bull. Joly août-sept. 2001, p. 847, note DELEBECQUE ; RD bancaire et financier
2001, n°150, obs. LEGEAIS ; Cass. com. 24 juin 2003 : Bull. civ. IV, n°103 ; Cass. com., 1er
juillet 2003 : RJDA 01/2004, n°99 ; RD bancaire et financier 2003, n°226, obs. LEGEAIS ;
RD bancaire et financier 2004, n°13, obs. CERLES ; Cass. 3ème civ., 3 novembre 2004 :
RJDA 4/05, n°460
La même solution s’applique à l’égard de cautions non dirigeantes, dont les fonctions au sein
de l’entreprise débitrice impliquent la connaissance de la situation financière de celle-ci. Il en
a été jugé ainsi au sujet d’un cogérant ou encore d’une secrétaire comptable qui signait les
correspondances destinées à la banque créancière et lui adressait les ordres à exécuter (Cass.
com., 11 juin 2003 : RJDA 7/2004, n°900). 991 Cass. com., 19 novembre 2003 : RJDA 5/2004, n°606 et 623 (responsabilité du créancier
pour octroi abusif de crédit en présence d’une jeune caution, soit-disant directrice technique,
mais n’ayant en réalité aucun pouvoir sur les comptes de la société) 992 Cass. com., 9 juin 1993 : Bull. civ. IV, n°384 ; Cass. com., 15 février 1994 : Bull. civ. IV,
n°60
raison de la disproportion de leur engagement, les cautions auraient dû démontrer
« que la banque aurait eu, sur leurs revenus, leurs patrimoines et leurs facultés de
remboursement raisonnablement prévisibles en l’état du succès escompté de
l’opération immobilière entreprise par la société, des informations qu’elles-mêmes
auraient ignorées »993. La Chambre commerciale entendait ainsi abandonner le
principe de proportionnalité au profit d’une comparaison des connaissances
respectives des parties994. Le simple constat d’une disproportion manifeste ne
suffisait plus pour caractériser la mauvaise foi du créancier. Devait s’y ajouter une
réticence dolosive995. Ce faisant, la Haute juridiction entravait les possibilités pour
les cautions dirigeantes de rechercher la responsabilité des établissements de
crédit996 et de diminuer, par conséquent, l’étendue de leur engagement. Cette
jurisprudence, qui semblait confinée aux cautions intégrées997, et que n’adoptait pas
993 Cass. com., 8 octobre 2002 : Bull. civ. IV, n°136 ; Cass. com., 4 février 2003 : D. 2003,
p. 1284, obs. BREMOND ; Cass. com., 18 mars 2003 : RJDA 11/2003, n°1127 ; Cass. com.,
17 décembre 2003 : Bull. civ. IV, n°206
Dans le même sens, au sujet des relations entre la banque et le débiteur principal emprunteur,
cf. Cass. com., 3 décembre 2002 : JCP 2004, II, 10003, note BARUCHEL 994 En ce sens, cf. D. BAKOUCHE, La proportionnalité dans le cautionnement à l’épreuve de
la loi et de la jurisprudence, Contr., conc., consom. avril 2004, p. 7 et s. ; D. LEGEAIS, note
sous Cass. com., 8 octobre 2002, JCP 2002, éd. E, 1730 ; S. PESENTI, Le principe de
proportionnalité en droit des sûretés, LPA 11 mars 2004, n°51, p. 12 et s., n°23 ; Y. PICOD,
Proportionnalité et cautionnement. Le mythe de Sisyphe, Liber amicorum J. Calais-Auloy,
Etudes de droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 843 et s. 995 En ce sens, cf. D. BAKOUCHE, ibid., n°5 ; F. JACOB, obs. sous Cass. com. 8 octobre
2002, Banque et droit janv-fév. 2003, p. 52 ; V. BREMOND, obs. sous Cass. com., 4 février
2003, D. 2003, p. 1285 : dans le cadre du cautionnement disproportionné, « le dol est
constitué, semble-t-il, par la simple conscience de causer un préjudice à la caution ». 996 En ce sens, cf. V. BREMOND, D. 2003, p. 1284 : « la porte du recours au droit commun
de la responsabilité civile n’est pas fermée, mais elle est singulièrement étroite ! ». 997 La responsabilité a été écartée à l’égard, non seulement d’un dirigeant-caution, mais aussi
de cautions associées (cf. Cass. com., 11 juin 2003 : Bull. civ. IV, n°95). La qualité de la
caution a été expressément mise en avant dans l’arrêt de la Chambre commerciale du 21
janvier 2004 (n°02-17.038.) : « la caution, qui par ses qualité et fonction, a connaissance,
lors de son engagement, de la situation de la société cautionnée, n’est pas fondée à
rechercher la responsabilité de l’établissement de crédit, pour manquement à son obligation
d’information lors de l’octroi de concours ». Dans son arrêt du 12 mai 2004, la même
Chambre a écarté l’action en responsabilité exercée par le dirigeant-caution, non pas en raison
de sa qualité, mais sur le fondement de la prescription de l’article L. 110-4 du Code de
commerce (Cass. com., 12 mai 2004 : D. 2004, AJ, p. 1664, obs. V. AVENA-ROBARDET ;
LPA 28 juillet 2004, n°150, p. 8, note E.C. ; RD bancaire et financier 2004, n°160, obs.
LEGEAIS ; D. 2004, Somm., p. 2708, obs. AYNES ; RJDA 11/04, n°1267).
Depuis, la disproportion a permis à de nombreuses cautions profanes d’être déchargées de
leur engagement (Cass. 1ère civ., 12 octobre 2004 : RJDA 2/05, n°196).
La Chambre commerciale (Cass. com., 25 mars 2003 : RD bancaire et financier 2003, n°135,
obs. LEGEAIS ; JCP 2003, I, 176, n°4, obs. SIMLER) a aussi censuré une Cour d’appel qui
avait écarté l’argument de disproportion sans préciser si la caution exerçait dans la société
débitrice des fonctions qui l’auraient privée du droit de mettre en cause la responsabilité de
l’établissement de crédit. A contrario, en l’absence de telles fonctions, la disproportion aurait
pu être prise en compte. Cette analyse a été confirmée par deux arrêts de la Chambre
commerciale du 17 décembre 2003 (Bull. civ. IV, n°206 ), qui ont écarté le régime instauré
par l’arrêt Nahoum en présence de cautions non dirigeantes. Dans le premier, la Cour de
la première Chambre civile998, pourrait être maintenue dans les interstices laissés par
l’article L. 341-4 du Code de la consommation999.
467. En refusant de mettre à la charge des créanciers des obligations
conventionnelles implicites, en interprétant strictement les obligations légales,
particulièrement celles posées par les articles L. 313-22 du Code monétaire et
financier et 2037 du Code civil, la jurisprudence limite les risques de condamnation
des créanciers, et renforce donc la protection de leurs intérêts. Si le droit positif
organise l’efficacité objective du cautionnement en rejetant des contestations de la
caution visant à réduire l’étendue de leur engagement, il fait aussi primer la fonction
de garantie du cautionnement en écartant des moyens de défense tendant à remettre
en cause l’existence même du contrat conclu.
B/ LE REJET DES CONTESTATIONS
RELATIVES A L’EXISTENCE MEME DE L’ENGAGEMENT DE LA CAUTION
468. Assignées en paiement, les cautions cherchent souvent à échapper
purement et simplement à leurs obligations. Pour ce faire, elles élèvent des
contestations se rapportant, soit à leur propre engagement, soit à la dette principale.
Nombre de ces tentatives de libération demeurent infructueuses, car la jurisprudence
rejette de multiples causes d’extinction du cautionnement par voie principale (1), et
quelques causes d’extinction par voie accessoire (2).
1. Le rejet de causes d’extinction par voie principale
469. Les juges empêchent l’extinction du cautionnement par voie principale,
non seulement en interprétant les termes du contrat conclu dans un sens lui
conservant sa pleine efficacité (a), mais aussi en reconnaissant largement la validité
de ce contrat (b).
a. L’interprétation de l’engagement de la caution
L’interprétation de l’engagement de la caution se révèle protectrice des intérêts des
créanciers dans trois hypothèses.
cassation a reproché aux juges d’appel d’avoir considéré, pour ne pas engager la
responsabilité du créancier, que l’épouse-caution profitait des actes de son conjoint, sans
caractériser davantage la disproportion. Dans le second arrêt, les juges du fond ont au
contraire été approuvés d’avoir retenu la responsabilité de la banque créancière, le caractère
disproportionné ayant été suffisamment établi par la faiblesse des ressources de la caution. 998 Cass. 1ère civ., 9 juillet 2003 : Bull. civ. I, n°167 999 En ce sens, cf. D. HOUTCIEFF, Les dispositions applicables au cautionnement issues de
la loi pour l’initiative économique, JCP 2003, I, 161, n°29 ; J. FRANÇOIS, n°148
Dans la mesure où cette nouvelle disposition semble applicable à tous les cautionnements
conclus entre une caution personne physique et un créancier professionnel, même
antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 1er août 2003 (sur l’application dans le temps
de cette loi nouvelle, cf. infra n°507), la jurisprudence Nahoum pourrait être maintenue, d’une
part, entre une caution personne physique et un créancier non professionnel et, d’autre part, à
l’égard des cautions personnes morales.
470. L’interprétation du terme extinctif du cautionnement. C’est tout
d’abord le cas de l’interprétation du terme extinctif propre que le cautionnement
d’un ensemble indéterminé de dettes peut comporter1000. La jurisprudence décide
que, faute de précision en sens contraire dans le contrat, la caution reste tenue de
toutes les dettes nées avant l’arrivée du terme de son engagement, quelles que soient
leur échéance et l’époque des poursuites dirigées contre elle, pourvu qu’il n’y ait pas
de prescription1001. Le terme ne met donc fin qu’à l’obligation de couverture et non à
l’obligation de règlement de la caution. Cette « solution est commandée par
l’interprétation la plus plausible de l’intention des parties et par le bon sens »1002.
Dans le cas contraire, il serait en effet impossible au créancier de poursuivre
instantanément la caution, faute d’exigibilité de la dette principale.
471. Le rejet des conditions implicites. C’est ensuite au sujet des conditions
pouvant assortir l’obligation de la caution que la jurisprudence retient une
interprétation protectrice des intérêts des créanciers. A défaut d’avoir songé à
subordonner l’existence de leur engagement à certaines conditions, ou à défaut
d’avoir fait accepter au créancier de telles modalités lors de la conclusion du
cautionnement, les cautions ont tendance à ériger a posteriori telle particularité de
l’opération en condition prétendue de leur engagement1003. Mais la jurisprudence
écarte les conditions non expressément stipulées.
Concernant l’affectation à une fin déterminée des fonds remis au débiteur
principal, elle exige qu’une telle condition ait été réellement envisagée et, par la
suite, violée par le créancier1004, et qu’elle ait revêtu, pour la caution, un caractère
déterminant de son engagement1005, ce qu’elle a le plus souvent beaucoup de mal à
prouver.
La caution rencontre les mêmes difficultés lorsqu’elle prétend que l’existence
ou le maintien de son obligation était subordonnée à la présence de
cofidéjusseurs1006, ou d’autres sûretés1007.
1000 Sur ce terme, cf. supra n°322-325 1001 Cass. com., 10 janvier 1984 : Bull. civ. IV, n°9 ; Cass. com., 29 février 1984 : Bull. civ.
IV, n°83 ; Cass. 1ère civ., 24 janvier 1990 : Bull. civ. I, n°20 ; Cass. com., 3 janvier 1995 :
Bull. civ. IV, n°1 ; Cass. com., 16 avril 1996 : Bull. civ. IV, n°119 ; Cass. 1ère civ., 19 juin
2001 : Bull. civ. I, n°179
La même solution s’applique à l’égard d’une clause de résiliation par la caution. Cf. Cass. 1ère
civ., 2 juin 2004 : RD bancaire et financier 2004, n°159, obs. LEGEAIS ; Droit et Patrimoine
2004, n°130, p. 107, obs. SAINT-ALARY 1002 Ph. SIMLER, n°322 1003 En ce sens, cf. J. FRANÇOIS, n°212 ; Ph. SIMLER, n°326 à 328 1004 Cass. 3ème civ., 4 juillet 1968 : Bull. civ. III, n°320 ; Cass. com., 7 février 1972 : Bull. civ.
IV, n°46 1005 Cass. 1ère civ., 25 mai 1987 : Bull. civ. I, n°163 1006 Ainsi, des cautions n’ont pas été libérées dans des espèces où plusieurs cautions devaient
s’engager et où certaines se sont abstenues de signer l’acte (Cass. com., 2 octobre 1979 : Gaz.
Pal. 1980, 1, somm., p. 16), ou ont résilié leur engagement (Cass. 1ère civ., 18 mai 1978 : Bull.
civ. I, n°195 ; Cass. com., 10 juillet 1978 : Bull. civ. IV, n°192 ; Cass. 1ère civ., 17 mai 1982 :
Gaz. Pal. 1982, 2, pan., p. 340, obs. A.P.). 1007 Cass. 1ère civ., 4 octobre 2000 : RJDA 1/2001, n°85
472. L’interprétation des cautionnements successifs donnés par une
même personne. Enfin, c’est l’interprétation des cautionnements successifs donnés
par une même personne, qui donne lieu à des solutions favorables au créancier. « Il
arrive parfois que le banquier qui travaille en compte courant avec une société dont
les besoins de financement s’accroissent demande aux cautions qui avait donné une
garantie limitée de modifier ou d’étendre celle-ci »1008. Faute de mention expresse
révélant l’existence d’une novation ou d’une incompatibilité entre les deux
engagements successifs1009, la question se pose alors de savoir si le cautionnement
souscrit le dernier en date remplace le premier, ce que prétend la caution, ou si les
engagements de celle-ci sont cumulatifs, ce qu’espère le créancier.
La substitution suppose que soient réunies les conditions strictes de réalisation
d’une novation, qui ne peut se présumer et doit résulter clairement de l’acte (article
1273 du Code civil). En règle générale, les tribunaux et la Cour de cassation se
montrent exigeants dans la preuve de l’intention de nover et donc d’éteindre la
première sûreté. En l’absence d’une volonté certaine du créancier de décharger la
caution de son engagement précédent, ils décident que les cautionnements successifs
s’additionnent1010.
473. Par le biais de l’interprétation des termes du cautionnement et de la
volonté des parties, la jurisprudence écarte donc plusieurs causes d’extinction du
contrat par voie principale. Elle préserve également les intérêts des créanciers en
prononçant avec parcimonie la nullité du cautionnement.
b. La validité de l’engagement de la caution
474. L’indépendance de principe des engagements des cofidéjusseurs.
Avant de passer en revue les conditions de validité figurant à l’article 1108 du Code
civil, il convient de souligner que la validité de l’engagement d’une caution est
indépendante de celle des engagements d’éventuels cofidéjusseurs. « Les causes
d’anéantissement (annulation, inopposabilité, révocation, résolution) ou de
paralysie (disproportion entre le cautionnement et le patrimoine du garant) qui
affectent l’un des cautionnements doivent demeurer sans influence sur la validité,
l’efficacité ou le maintien des autres »1011. Ce principe d’indépendance dans la
situation des cofidéjusseurs découle du principe de relativité des conventions.
Même s’il est susceptible de se traduire par une aggravation du sort des
cautions, puisque, en conséquence de la disparition de l’un des cautionnements, la
contribution à la dette des cautions restantes augmente, le principe d’indépendance
ne contredit en rien l’article 2015 in fine du Code civil. En effet, ce texte ne
concerne que l’obligation à la dette, c'est-à-dire les rapports entre la caution et le
créancier.
1008 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°287 1009 Une telle incompatibilité existe en présence d’un nouveau cautionnement par le même
garant de la même dette, fût-il assorti de modalités différentes, ou dans l’hypothèse de
cautionnements généraux successifs souscrits par une même personne. 1010 Cass. 1ère civ., 9 février 1988 : Bull. civ. I, n°32 ; Cass. com., 22 avril 1997 : Bull. civ. IV,
n°96 ; Cass. com., 14 janvier 2004 : JCP 2004, I, 141, n°6, obs. SIMLER ; Cass. 1ère civ., 2
juin 2004 : Bull. civ. I, n°157 ; JCP 2005, II, 10004, note RIVOAL ; JCP 2005, I, 135 1011 J. MESTRE, Les cofidéjusseurs, Droit et Patrimoine 1998, n°56, p. 74
Le principe d’indépendance, qui est nécessaire à la sécurité du créancier ayant
exigé une pluralité de cautions pour fortifier le recouvrement de sa créance, a été à
plusieurs reprises appliqué en jurisprudence. La Cour de cassation a ainsi jugé que
« la solidarité entre cautions n’a pas pour effet leur représentation mutuelle dans
l’exercice de la faculté individuelle de révocation »1012, et que « l’extinction de la
dette de la caution en liquidation judiciaire est sans effet sur l’obligation de l’autre
caution à la dette »1013. Sauf en cas de remise de dette et de novation1014, la solidarité
entre les cautions ne peut donc nuire au créancier. La jurisprudence a bien compris
que les cautionnements, « en leur qualité fondamentale de garantie, n’ont pas
vocation à être traités comme un simple château de cartes ! »1015.
La situation des cofidéjusseurs étant rappelée, les quatre conditions de validité
de l’article 1108 du Code civil peuvent être successivement envisagées.
475. Les vices du consentement. S’agissant du consentement et, plus
précisément, des vices du consentement, ils font partie des moyens de défense que
les cautions invoquent fréquemment, à toutes fins utiles, mais souvent sans raison
suffisante et donc sans chance de succès1016.
476. L’erreur. En matière d’erreur, la jurisprudence se montre effectivement
très rigoureuse à l’encontre des cautions. Pour emporter l’annulation du
cautionnement, l’erreur de la caution doit avoir été déterminante de son
consentement, excusable, et relative à la substance de l’acte. Ces conditions sont
rarement remplies, de sorte que « l’erreur reste le remède à faibles statistiques
qu’elle doit être »1017. Ainsi, la jurisprudence écarte, en principe, l’erreur sur la
nature de l’engagement1018, sur la solvabilité du débiteur1019, sur l’étendue de son
engagement1020, ou encore sur l’affectation du crédit garanti1021.
1012 Cass. 1ère civ., 13 juin 1995 : Bull. civ. I, n°258 1013 Cass. com., 28 janvier 1997 : Bull. civ. IV, n°27 1014 Nous étudierons ces causes d’extinction à l’occasion de la présentation de l’inefficacité du
cautionnement, cf. infra n°583, 584 1015 J. MESTRE, art. préc., p. 74 1016 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°132. Contra, cf. D. LEGEAIS, n°83 1017 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°84 1018 A moins que la caution soit « positivement illettrée » (Cass. 1ère civ., 25 mai 1964 : Bull.
civ. I, n°269), ou atteinte de déficiences mentales (CA Versailles, 22 avril 1988 : Juris-Data
n°040934), ou encore étrangère et comprenant très mal le français (CA Orléans, 3 septembre
1996 : Juris-Data n°055637), l’usage courant du cautionnement explique que la jurisprudence
refuse l’annulation à la caution prétendant avoir cru ne souscrire qu’une garantie morale. « La
sévérité, ici, s’impose, sous peine de priver de crédibilité la garantie constituée par le
cautionnement » (Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°55). 1019 La couverture du risque d’insolvabilité étant l’objet même du cautionnement, la
jurisprudence considère que la caution n’est pas déliée de ses obligations, sauf si elle
démontre qu’elle avait fait de la solvabilité du débiteur la condition expresse de son
engagement (Cass. 1ère civ., 25 octobre 1977 : Bull. civ. I, n°388 ; Cass. com., 2 mars 1982 :
Bull. civ. IV, n°79 ; Cass. com., 11 janvier 1994 : Bull. civ. IV, n°15 ; Cass. 1ère civ., 16 mai
1995 : RJDA 10/1995, n°1076 ; JCP 1996, II, 22736, note LUCAS). Cette condition expresse
de solvabilité du débiteur, dont la Cour de cassation réserve l’hypothèse, est difficilement
concevable, puisque son insertion pourrait semer le doute dans l’esprit du créancier et
empêcher, ce faisant, la conclusion du cautionnement aussi bien que celle du contrat principal.
477. Le dol. En matière de dol, la jurisprudence ne fait pas montre de moins
d’exigence. Pour que le silence du créancier sur l’état financier désespéré ou
fortement obéré du débiteur soit cause de nullité du cautionnement, la caution doit
rapporter de nombreuses preuves. Elle doit établir, non seulement la réticence en soi,
mais aussi le caractère véritablement dolosif de celle-ci. Doivent ainsi être prouvés
la connaissance par le créancier de la situation irrémédiablement compromise ou
lourdement obérée du débiteur1022, l’ignorance corrélative de la caution sur cette
situation1023, et le caractère déterminant du consentement de la caution des
informations dissimulées1024.
Tout en continuant à exiger que la solvabilité du débiteur principal constitue une condition
déterminante de l’engagement de la caution, la Cour de cassation a récemment assoupli sa
position, au détriment des intérêts des créanciers, en admettant que la condition ne soit que
tacite (Cass. com., 1er octobre 2002 : Bull. civ. IV, n°131). La portée de cette nouvelle
solution est néanmoins limitée par le fait que la Cour a pris soin de relever que la caution était
un « tiers à la société » débitrice. 1020 Ce type d’erreur est invoqué dans le cadre des cautionnements omnibus. « Une annulation
pour erreur ne peut être admise, en fait, parce que la sécurité des créanciers garantis de cette
façon serait ruinée, en droit, parce qu’une telle erreur s’apparente à une erreur sur la valeur,
qui est inopérante » (Ph. SIMLER, n°139). La Cour de cassation se prononce en ce sens (cf.
notamment Cass. com., 16 février 1982 : Bull. civ. IV, n°61 ; Cass. 1ère civ., 13 novembre
1990 : Bull. civ. I, n°242). 1021 Dans le silence du contrat, la preuve du caractère déterminant de l’erreur est difficilement
rapportée. En ce sens, cf. CA Paris, 19 octobre 1994 : Juris-Data n°024722 1022 La jurisprudence ne se satisfait pas d’une simple présomption. La connaissance du
créancier ne peut être déduite de sa seule qualité de banquier (Cass. com., 10 juin 1987 : D.
1987, Somm., p. 445, obs. AYNES). « Au mieux, la preuve de cette connaissance par la
banque sera facilitée lorsque le débiteur avait son compte courant au sein de l’établissement
bancaire, ou lorsque c’est l’établissement en question qui a octroyé le prêt cautionné » (C.
VUILLEMIN-GONZALEZ, La réticence dolosive des établissements bancaires à l’égard des
cautions, un manquement à l’obligation de contracter de bonne foi, D. 2001, chron., p. 3340).
Par ailleurs, la jurisprudence n’impose pas au créancier de s’informer afin d’être en mesure de
pouvoir informer en temps utile la caution sur la situation du débiteur. La connaissance par le
créancier de la situation désespérée du débiteur n’est pas établie, en outre, lorsqu’au jour du
cautionnement rien ne lui permettait de supposer que ledit débiteur ne pourrait faire face à ses
engagements, ou lorsqu’à cette date les difficultés de trésorerie ne paraissaient que passagères
(Cass. com., 1er février 1994 : Bull. civ. IV, n°39 ; Cass. com., 13 décembre 1994 : RJDA
4/1995, n°479), ou encore lorsqu’un long temps se sera écoulé entre l’octroi du
cautionnement et la défaillance du débiteur (Cass. 1ère civ., 29 juin 1999 : pourvoi n°97-
13.280). Enfin, la jurisprudence décide qu’on ne peut reprocher au créancier son attitude s’il a
lui-même été abusé par la production d’un faux bilan (Cass. 1ère civ., 19 mars 1985 : Bull. civ.
I, n°98) ou si, malgré plusieurs demandes, il n’a pu obtenir communication de ce bilan (Cass.
1ère civ., 31 mars 1998 : pourvoi n°96-13.536). 1023 La caution ne saurait reprocher au créancier d’avoir fait preuve de mauvaise foi en lui
dissimulant un fait qu’elle était à même de connaître. « L’appréciation de la légitimité de
l’ignorance de la caution suppose que l’on prenne en considération certains critères relatifs à
sa personne, comme son âge, sa personnalité, sa position ou ses fonctions » (C.
VUILLEMIN-GONZALEZ, ibid., p. 3341). L’aptitude de la caution à déceler les risques
d’insolvabilité du débiteur est essentiellement reconnue à ceux qui dirigent l’entreprise (Cass.
com., 10 juin 1987 : D. 1987, Somm., p. 445, obs. AYNES ; Cass. com., 28 mai 1991 : Bull.
civ. IV, n°180 ; Cass. com., 3 mars 1992 : Bull. civ. IV, n°99 ; Cass. com., 16 novembre
Par ailleurs, la jurisprudence favorise l’efficacité objective du cautionnement en
appliquant littéralement l’article 1116 du Code civil. Même si, très souvent, c’est le
débiteur contraint de trouver une caution qui est l’auteur des manœuvres ou
réticences dolosives, la Cour de cassation décide que le dol du débiteur ne peut être
opposé au créancier s’il ne s’en est pas rendu complice1025. Si cette solution peut être
critiquée en ce qu’elle occulte le caractère triangulaire de l’opération de garantie et
le rôle central que tient le débiteur dans cette opération, elle présente, en revanche,
le mérite d’élever la fonction de garantie du cautionnement au premier plan et de ne
pas compromettre les droits des créanciers.
478. La violence. Sur le fondement du vice de violence, les cautions ont
encore moins de chances d’obtenir l’extinction de leur engagement. La
jurisprudence refuse l’annulation en raison de l’état de santé précaire de la
caution1026, d’une situation de désarroi ou de dépendance1027, de la seule pression des
circonstances économiques1028, ou encore d’une menace d’un arrêt de crédit1029.
Ce n’est donc pas sur le terrain des vices du consentement que les cautions
peuvent remettre en cause aisément l’existence même de leur engagement.
479. Les conditions de capacité et de pouvoir. La jurisprudence veille
également à la protection des intérêts des créanciers dans l’application de la
deuxième condition de validité visée par l’article 1108 du Code civil, à savoir la
capacité de contracter, à laquelle il est possible d’adjoindre les conditions de
pouvoir. Deux questions en ce domaine ont donné lieu à des solutions confortant
l’efficacité in abstracto du cautionnement.
480. Caractère gratuit ou onéreux du cautionnement. En premier lieu, le
problème s’est posé de savoir si le cautionnement constitue un acte à titre gratuit ou
1993 : Bull. civ. IV, n°404 ; Cass. com., 17 décembre 1996 : D. 1998, IR, p. 82 ; Cass. com.,
2 octobre 2001 : RD bancaire et financier 2001, n°223, obs. LEGEAIS ; Cass. com., 29
octobre 2002 : RTD com., p. 152, n°14, obs. LEGEAIS ; Cass. com. 12 octobre 2004 : RJDA
4/05, n°456). Au contraire, le dol a pu être retenu au bénéfice d’une caution associée à la
société débitrice, mais non aguerrie aux affaires, et intervenant dans un contexte familial dont
elle ne pouvait maîtriser les implications financières sans les informations de l’établissement
prêteur (Cass. 1ère civ., 8 juillet 2003 : RJDA 01/2004, n°96). 1024 Cass. 1ère civ., 13 mai 2003 : Bull. civ. I, n°114 ; Cass. 1ère civ., 8 juillet 2003 : D. 2003,
AJ, p. 2308, obs. AVENA-ROBARDET 1025 Cass. 1ère civ., 27 juin 1973 : Bull. civ. I, n°219 ; Cass. com., 13 novembre 2002 : Bull.
civ. IV, n°161 1026 CA Paris, 16 juin 1989 : D. 1989, IR, p. 215 ; RD bancaire et bourse 1989, p. 217, obs.
CONTAMINE-RAYNAUD 1027 CA Paris, 4 janvier 1984 : Juris-Data n°20378 1028 Cass. com., 28 mai 1992 : D. 1992, 166, note MORVAN ; Defrénois 1992, 318, obs.
AUBERT ; CA Versailles, 27 février 2003 : RJDA 5/2004, n°619 (comme la réalité de la
violence résultant de la contrainte économique doit s’apprécier en considération de la
personne qui en est victime, la nullité doit être écartée en présence d’une caution dirigeante,
pouvant être considérée comme un homme d’affaires averti). 1029 Cass. com., 3 mars 1987 : Bull. civ. IV, n°58
un acte à titre onéreux1030. La qualification est importante, puisqu’elle détermine la
capacité et les pouvoirs requis pour se porter caution1031.
Si le contrat passé entre la caution et le débiteur peut être à titre gratuit ou à
titre onéreux, cette qualification ne doit avoir aucune incidence sur la nature gratuite
ou onéreuse du cautionnement lui-même, car le créancier peut ignorer les motifs qui
incitent la caution à s’engager. La qualification du cautionnement ne doit dépendre
que des rapports existant entre le créancier et la caution. Or, dans ces rapports, il
n’existe, le plus souvent, aucune intention libérale, qui est de « l’essence des
dispositions à titre gratuit »1032. La caution est très rarement animée d’un esprit de
bienveillance à l’égard du créancier. En conséquence, le cautionnement doit entrer
dans la catégorie des contrats à titre onéreux.
Un autre argument milite en ce sens : « le cautionnement ne doit pas être
qualifié de contrat de bienfaisance car l’application des règles restrictives de
compétence qui en découleraient serait un obstacle important à l’efficacité de cette
sûreté »1033.
Pour ces deux raisons, mais aussi parce que, du fait de ses recours contre le
débiteur, la caution ne subit aucun dessaisissement immédiat et définitif, la Cour de
cassation considère que le cautionnement est un acte à titre onéreux et ne le soumet
donc pas à l’article 1422 du Code civil, qui déclare nuls les actes de disposition à
titre gratuit portant sur les biens de la communauté, accomplis par un époux seul1034.
Le régime normal de capacité, c'est-à-dire celui des actes à titre onéreux, s’applique
donc à l’acte de cautionnement, ce qui est de nature à empêcher des causes
d’extinction préjudiciables à son efficacité.
481. Conditions de validité du cautionnement souscrit par une société. La
protection des intérêts des créanciers guide également les juges lorsqu’ils ont à
résoudre des questions relatives à la validité des cautionnements souscrits au nom
d’une société par son dirigeant.
De tels cautionnements sont fréquents dans le cadre des groupes de sociétés, car
ils permettent à une société groupée d’obtenir un accès privilégié au crédit, en
offrant tout ou partie de la surface financière du groupe. Il arrive aussi que des
sociétés civiles constituées pour détenir l’immobilier d’entreprise se portent cautions
des engagements de la société commerciale locataire. Dans ces hypothèses, le
patrimoine de la société-caution se déplace au service d’autrui. « Le cautionnement
1030 Sur cette question, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°73 et 139 ; J. FRANÇOIS,
n°27 et 28 ; D. LEGEAIS, n°58 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P.
CROCQ, n°226 à 228 ; S. PIEDELIEVRE, n°37 ; Ph. SIMLER, n°59 et 60 ; Ph. THERY,
n°26 1031 Cette qualification présente d’autres intérêts, qui ne seront pas étudiés, à savoir la
détermination du formalisme à respecter lors de la conclusion du contrat, la détermination de
la validité ou de la nullité de l’acte conclu en période suspecte et la détermination des
conséquences de l’acte dans la succession de la caution. 1032 Cass. req., 27 juin 1887 : DP 1888, 1, 303 1033 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°90 1034 Cass. 1ère civ., 21 novembre 1973 : Bull. civ. I, n°318 ; Cass. 1ère civ., 11 juillet 1978 :
Bull. civ. I, n°264 ; Cass. 1ère civ., 27 janvier 1982 : Bull. civ. I, n°46
opère, en quelque sorte, une déspécialisation de la société caution dont il convient
de se demander quelles limites y apporte l’objet social »1035.
Dans toutes les sociétés, le pouvoir des dirigeants d’engager la personne morale
qu’ils représentent est limité par le principe de spécialité. Si le cautionnement
consenti par le dirigeant n’entre, ni directement, ni indirectement, dans l’objet du
groupement, il est susceptible d’être remis en cause. La nullité ne concerne
cependant pas toutes les sociétés. Les SARL et les SA sont engagées par les actes de
leurs représentants, même s’ils sont étrangers à l’objet social, car les limites de
celui-ci sont inopposables aux tiers qui n’en ont pas connaissance1036. C’est donc
uniquement dans les sociétés civiles et les sociétés de personne que le non-respect
de l’objet social peut entraîner la nullité du cautionnement pour dépassement de
pouvoir du dirigeant. Cette sanction n’est pas fréquemment prononcée, car la
jurisprudence apprécie avec souplesse la conformité à l’objet social.
Si les statuts n’ont pas fait entrer le cautionnement dans l’objet social, ils
peuvent être modifiés avant la conclusion effective d’un cautionnement1037. Par
ailleurs, le cautionnement donné par des sociétés civiles est considéré comme
conforme à l’objet social dès qu’il a été approuvé par l’unanimité des associés1038,
sous réserve qu’il n’y ait pas de collusion frauduleuse avec le créancier garanti, aux
dépens des créanciers sociaux1039. Une dernière circonstance est susceptible de
conférer validité à un cautionnement qui, a priori, ne serait pas conforme à l’objet
social. Il s’agit de l’existence d’une communauté d’intérêts entre la société caution
et le débiteur principal. Cette communauté d’intérêts est reconnue entre les sociétés
d’un même groupe, ou en cas de dissociation au sein d’une entreprise entre société
immobilière et société de gestion1040 ou, plus généralement, dans toute situation où
la société caution tire avantage du maintien de l’activité ou de la prospérité de
l’entreprise cautionnée. La notion de communauté d’intérêts étant particulièrement
1035 H. HOVASSE, Les cautionnements donnés par les sociétés et l’objet social, in Sûretés et
garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 76 1036 En matière de SA : article L. 225-64 du Code de commerce. En matière de SARL : article
L. 223-18 du Code de commerce. 1037 Cass. 1ère civ., 19 mai 1987 : Bull. civ. I, n°158 1038 L’article 1854 du Code civil dispose que « les décisions peuvent encore résulter du
consentement de tous les associés exprimé dans un acte ». Cf. notamment Cass. 3ème civ., 4
février 1971 : JCP 1972, II, 16980, note DAGOT et SPITERI ; Rev. sociétés 1971, p. 595,
note GUILBERTEAU ; Cass. 1ère civ., 20 octobre 1992 : Bull. Joly décembre 1992, p. 1311 ;
RTD com. 1993, p. 333, obs. ALFANDARI et JEANTIN ; Cass. 3ème civ., 1er décembre
1993 : Dr. sociétés juillet 1994, p. 12, obs. LE NABASQUE ; RTD com. 1995, p. 149, obs.
JEANTIN et ALFANDARI ; Banque mars 1994, p. 98, note GUILLOT ; Cass. com., 14
décembre 1999 : Defrénois 2000, p. 505, note HOVASSE ; Dr. sociétés 2000, n°51, p. 13 ;
Cass. 3ème civ., 25 novembre 2002 : Defrénois 2003, article 37739, p. 721, note HOVASSE
Au sujet d’un cautionnement donné par une société en nom collectif, cf. Cass. com., 18 mars
2003 : Bull. civ. IV, n°46 (validation d’un cautionnement donné avec l’accord unanime de
tous les associés lors d’une assemblée générale extraordinaire. Application de l’article L. 221-
6 alinéa 1er du Code de commerce). 1039 La fraude est constituée lorsque les associés ont consenti au cautionnement dans le seul
but de permettre à leur créancier personnel de contourner l’autonomie patrimoniale de la
société (Cass. 3ème civ., 22 mai 1975 : JCP 1976, II, 18346, note RANDOUX ; Cass. com., 14
décembre 1999 : préc.; Cass. com., 28 mars 2000 : Bull. civ. IV, n°69). 1040 Cass. 1ère civ., 15 mars 1988 : Bull. civ. I, n°75
vaste, les risques d’annulation du cautionnement pour défaut de conformité à l’objet
social sont donc considérablement réduits. Les intérêts des créanciers ne s’en
trouvent que mieux protégés.
Sur le terrain de la capacité et des pouvoirs de la caution, les contestations
visant à remettre en cause l’existence même du cautionnement ont donc peu de
chances de prospérer.
482. L’objet. Il en va de même à l’égard de la troisième condition de validité
imposée par l’article 1108 du Code civil, à savoir l’objet. L’objet du contrat de
cautionnement est la garantie fournie par la caution, et l’objet de l’obligation de
règlement de la caution est l’exécution de cette garantie. A la différence d’autres
conventions, le cautionnement satisfait facilement aux exigences de notre droit
concernant l’objet.
S’agissant de l’exigence de détermination ou déterminabilité de l’objet de
l’obligation (article 1129 du Code civil), elle est aisément remplie. Il suffit que la
référence faite par le contrat de cautionnement à l’obligation principale soit
suffisamment précise. Elle l’est par l’indication du nom du débiteur principal ou des
éléments permettant de l’identifier1041, et par la référence aux obligations garanties,
qui doivent être déterminables1042, mais dont le montant n’a pas à être
nécessairement chiffré1043.
S’agissant de la condition de licéité et de moralité de l’objet, elle est également
facilement respectée, car l’objet de l’obligation de la caution consiste le plus souvent
en un paiement de somme d’argent, lequel est licite, même si la dette principale est
issue d’une infraction pénale1044. L’hypothèse de l’illicéité de l’objet du seul
cautionnement, alors que l’obligation principale est valable, résidait
traditionnellement dans le contrôle des changes, puisque la jurisprudence déclarait
nul, faute d’autorisation préalable, le cautionnement ayant pour objet, même à titre
éventuel, un transfert de valeurs à l’étranger1045. La Cour de cassation a modifié sa
position dans le sens de la validité du cautionnement consenti en France au bénéfice
d’un créancier étranger, dont seule l’exécution requiert l’autorisation prévue par la
1041 Dans l’appréciation de cette identification, la jurisprudence se montre souple. Ainsi, le
cautionnement est valable lorsque le débiteur désigné est, en réalité, une enseigne et non une
personne physique ou morale (Cass. com., 16 janvier 1978 : Bull. civ. IV, n°21 ; Cass. 1ère
civ., 1er juin 1999 : RJDA 11/1999, n°1247), ou lorsque le cautionnement désigne comme
débiteur une personne physique alors qu’il bénéficie, en réalité, à la société dont cette
personne est le dirigeant (Cass. com., 24 novembre 1970 : Bull. civ. IV, n°314). Par ailleurs, il
importe peu que la désignation du débiteur soit faite au crayon (Cass. com., 8 octobre 1996 :
Bull. civ. IV, n°224) ou qu’elle soit indiquée à la main par quelqu’un d’autre que la caution
(CA Paris, 19 avril 1988 : D. 1988, IR, p. 146). Enfin, en cas d’omission pure et simple de
l’indication du débiteur garanti, la Cour de cassation a déjà jugé que le document signé par la
caution peut constituer un commencement de preuve par écrit autorisant le créancier à
rapporter une preuve complémentaire (Cass. 1ère civ., 20 octobre 1993 : Bull. civ. I, n°292 ;
Cass. 1ère civ., 27 février 1996 : Bull. civ. I, n°110 ; Cass. 1ère civ., 13 novembre 1997 : Bull.
civ. I, n°305 ; Cass. 1ère civ., 13 avril 1999 : RJDA 6/1999, n°722). 1042 Cass. com., 22 février 1994 : Bull. civ. IV, n°68 1043 Cass. com., 23 février 1993 : Bull. civ. IV, n°69 1044 Cass. 1ère civ., 8 octobre 1996 : Bull. civ. I, n°342 ; Cass. 1ère civ., 13 mai 1998 : Bull. civ.
I, n°173 1045 Cass. com., 3 février 1976 : Bull. civ. IV, n°41
réglementation des changes1046. Même en période de contrôle des changes, l’acte de
cautionnement est donc en toute hypothèse valable.
On le voit, en matière de cautionnement, le rôle de l’objet est spécialement
ténu. Cela s’explique par le fait que toutes les obligations valables (et même les
obligations nulles pour défaut de capacité du débiteur principal) peuvent être
garanties, qu’elles soient de nature contractuelle ou délictuelle1047, qu’elles soient
présentes ou futures. Le relatif effacement de la théorie de l’objet s’explique surtout
par le phagocytage qu’opère le principe du caractère accessoire renforcé1048. Comme
c’est la dette même du débiteur garanti qui constitue l’objet de l’obligation de
règlement de la caution, si cette dette n’existe pas ou est illicite, l’obligation de la
caution est certes privée d’objet, mais c’est le plus souvent sur le terrain du caractère
accessoire renforcé du cautionnement que celui-ci se trouve anéanti. Inversement, il
suffit de respecter le principe du caractère accessoire pour que les exigences
relatives à l’objet soient satisfaites.
L’extinction du cautionnement pour défaut ou illicéité de l’objet de l’obligation
de règlement de la caution n’est donc prononcée que dans des cas exceptionnels, ce
qui renforce la protection des intérêts des créanciers.
483. La cause. L’efficacité objective n’est pas non plus menacée par la
théorie de la cause, qui constitue la dernière condition de validité imposée par
l’article 1108 du Code civil. Depuis l’arrêt Lempereur, la Cour de cassation décide
que la cause objective de l’obligation de la caution réside dans la considération que
la caution a du crédit que le débiteur reçoit du créancier1049. S’agissant de la cause
subjective, elle prend en compte les mobiles qui ont conduit la caution à s’engager,
dès lors qu’ils ont été déterminants, sans qu’ils aient pour autant à être communs aux
deux parties1050.
La conception de la cause objective retenue par la jurisprudence fait obstacle à
ce que cette condition de validité joue un rôle déterminant en matière de
cautionnement. En effet, l’absence de cause coïncidant nécessairement avec
l’inexistence ou la nullité de l’obligation garantie, c’est sur le fondement du principe
du caractère accessoire renforcé que le cautionnement risque d’être privé d’effet.
« Le rôle de la cause est en quelque sorte occulté par l’incidence du caractère
accessoire »1051.
Dans la mesure où la jurisprudence fait résider la cause de l’obligation de la
caution dans le crédit accordé au débiteur par le créancier, elle a écarté le grief
1046 Cass. com., 30 juin 1981 : Bull. civ. IV, n°299 ; Cass. com., 22 novembre 1983 (2 arrêts) :
Bull. civ. IV, n°315 et 316 1047 Une jurisprudence classique semblait prohiber le cautionnement de dettes délictuelles
(Cass. com., 17 janvier 1995 : JCP 1995, éd. E, I, 515, n°5, obs. SIMLER). Elle est
aujourd'hui abandonnée (Cass. 1ère civ., 8 octobre 1996 : Bull. civ. I, n°342 ; Cass. 1ère civ., 13
mai 1998 : Bull. civ. I, n°173). 1048 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, n°124 ; Ph. SIMLER, n°198 1049 Cass. com., 8 novembre 1972 : Bull. civ. IV, n°278 1050 Cass. 1ère civ., 7 octobre 1998 : Bull. civ. I, n°285 ; JCP 1998, II, 10202, note
MALEVILLE ; JCP 1999, I, 114, n°1, obs. JAMIN ; D. 1998, p. 563, rapp. SAINTE-ROSE ;
D. 1999, Somm., p. 111, obs. DELEBECQUE ; Defrénois 1998, article 36895, p. 1408, obs.
MAZEAUD 1051 Ph. SIMLER, n°188. En ce sens, cf. aussi D. LEGEAIS, n°135 ; Ph. THERY, n°47
d’absence de cause dans des hypothèses où la caution invoquait l’insolvabilité du
débiteur à la date de l’engagement1052, le défaut d’autres cautionnements1053, ou
l’infériorité du crédit octroyé par rapport au niveau de concours envisagé1054, ou
encore l’extinction de la dette principale avant son engagement1055.
Concernant l’illicéité ou l’immoralité de la cause subjective, elle n’est guère
plus susceptible que l’absence de cause objective d’emporter la nullité du
cautionnement. En effet, l’intrusion d’un motif illicite ou immoral dans le contrat de
cautionnement lui-même est peu plausible. De plus, si c’est l’obligation principale
qui est atteinte d’un tel vice, c’est une fois encore le caractère accessoire renforcé du
cautionnement qui risque de justifier l’anéantissement du contrat.
S’agissant de la disparition de la cause subjective, elle est souvent invoquée par
les cautions, mais jamais retenue par la Cour de cassation. Si la Haute juridiction
refuse l’annulation du cautionnement en cas de cessation des fonctions de la
caution1056, de divorce des époux, cautions l’un de l’autre1057, de transformation de la
société garantie,1058 ou encore de disparition d’autres sûretés1059, c’est parce que,
d’une part, la cause s’apprécie au stade de la formation du contrat et non à celui de
son exécution1060 et, d’autre part, parce que le cautionnement ne jouerait plus son
rôle de garantie si la caution pouvait ainsi opposer au créancier des événements
affectant sa vie familiale ou professionnelle.
484. Afin de préserver la fonction de garantie du cautionnement, la
jurisprudence rejette ainsi l’argument fondé sur la disparition de la cause, mais aussi
la plupart des contestations fondées sur le non respect des conditions de validité de
l’article 1108 du Code civil. Comme les juges interprètent, par ailleurs, les termes du
contrat conclu et la volonté des parties dans un sens favorable au créancier, les
1052 La Cour de cassation refuse de voir dans la solvabilité du débiteur la cause de
l’engagement de la caution. Elle relève que, dès lors que la dette garantie existe, l’obligation
de la caution n’est pas dépourvue de cause (Cass. 1ère civ., 30 mai 1978 : Bull. civ. I, n°207). 1053 La Cour de cassation considère que l’engagement d’une caution ne peut pas être la cause
de celui d’éventuels cofidéjusseurs (Cass. com., 10 juillet 1978 : Bull. civ. IV, n°192 ; Cass.
com., 2 octobre 1979 : Gaz. Pal. 1980, 1, Somm., p. 16 ; Cass. com., 24 novembre 1981 : Gaz.
Pal. 1982, 1, pan., p. 180). 1054 Cass. com., 29 octobre 2002 : RTD com. 2003, p. 152, n°14, obs. LEGEAIS 1055 Cass. com., 13 mai 2003 : RJDA 12/2003, n°1244 1056 Cass. com., 8 novembre 1972 : préc. ; Cass. com., 16 février 1977 : JCP 1979, II, 19154,
note SIMLER ; Cass. com., 17 juillet 1978 : Bull. civ. IV, n°200 ; Cass. com., 6 décembre
1988 : Bull. civ. IV, n°334 ; Cass. com., 2 octobre 2001 : RD bancaire et financier 2001,
n°223, obs. LEGEAIS ; RJDA 2/2002, n°199
La jurisprudence refuse pareillement d’annuler le cautionnement donné par un employeur au
profit de l’un de ses salariés en raison de la cessation des fonctions de ce dernier (CA
Versailles, 21 octobre 2003 : RJDA 04/2004, n°478). 1057 Cass. com., 24 juin 1969 : JCP 1970, II, 16221, note PRIEUR ; Cass. com., 28 février
1977 : JCP 1977, IV, 110 ; D. 1977, IR, p. 235 ; Gaz. Pal. 1977, 1, Somm., p. 190 ; Cass.
com., 19 janvier 1981 : Bull. civ. IV, n°32 1058 Cass. com., 9 avril 1973 : Bull. civ. IV, n°152 ; Cass. com., 16 octobre 1978 : Bull. civ.
IV, n°227 1059 Cass. com., 10 juillet 1978 : Bull. civ. IV, n°192 1060 Si une partie de la doctrine soutient, à la suite de Capitant, que la cause peut être prise en
considération pendant toute la vie du contrat, seule la cause objective est visée, et non les
motifs impulsifs et déterminants de l’engagement.
risques de remise en cause du cautionnement, par voie principale, sont donc
minimes. L’efficacité objective du cautionnement se trouve également confortée par
le rejet de causes d’extinction par voie accessoire.
2. Le rejet de causes d’extinction par voie accessoire
485. Analyse téléologique du cautionnement. L’application du caractère
accessoire renforcé du cautionnement constitue l’une des principales causes de
libération de la caution. Pour autant, il arrive que la jurisprudence adopte une
analyse téléologique du cautionnement en résolvant les antagonismes pouvant
éventuellement surgir entre les solutions déclinées à partir du caractère accessoire et
celles qu’imposerait la prise en compte de sa fonction de garantie, selon un postulat
de primauté du but sur la technique de l’institution1061. Il arrive ainsi que les juges
maintiennent le cautionnement malgré l’extinction de la dette principale.
486. Le paiement du débiteur principal. La cause d’extinction par voie
accessoire la plus évidente est le paiement opéré par le débiteur principal. Dans deux
hypothèses ce paiement n’affecte cependant pas l’existence du cautionnement.
En premier lieu, en présence d’une dette seulement partiellement cautionnée, la
question s’est posée de savoir si le paiement partiel effectué par le débiteur s’impute
d’abord sur la partie cautionnée de la dette ou, au contraire, sur la partie non
garantie. Dans le silence de la loi et du contrat, la jurisprudence a opté en faveur de
la solution la plus favorable aux créanciers, à savoir l’imputation du paiement partiel
sur la part non cautionnée1062. Le visa de l’article 1256 du Code civil est peu
pertinent, puisque ce texte ne concerne pas l’hypothèse d’une dette unique
partiellement cautionnée, mais celle d’une pluralité de dettes, dont certaines
seulement sont garanties, et parce que, à l’égard de cette dernière hypothèse, c’est au
contraire une solution défavorable aux créanciers qui prévaut. Ce qui justifie
fondamentalement la solution, c’est, en réalité, d’une part, le nécessaire accord du
créancier en cas de paiement partiel (article 1254 du Code civil)1063 et, d’autre part,
la fonction de garantie du cautionnement1064. Afin de protéger les intérêts des
créanciers, la solution s’imposait, comme, en matière de sûretés réelles, s’impose la
règle de l’indivisibilité1065.
La seconde hypothèse dans laquelle le paiement du débiteur principal ne prive
pas le créancier du droit de demander à la caution l’exécution de ses obligations est
celle où ledit paiement se trouve anéanti1066, et où le créancier est donc tenu de
restituer ce qu’il a reçu au débiteur. L’effet extinctif qui est attaché au paiement
1061 En ce sens, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°284 1062 Cass. civ., 12 janvier 1857 : DP 1857, 1, p. 278 ; S. 1857, 1, p. 349 ; Cass. com., 28
janvier 1997 : Bull. civ. IV, n°28 1063 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°674, qui propose de fonder la solution sur l’article 1254 du
Code civil, puisque cette disposition répond aussi à un esprit de faveur pour le créancier. 1064 En ce sens, cf. Ch. MOULY, th. préc., n°32 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°201 ; J.
FRANÇOIS, n°308 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°249 ;
Ph. THERY, n°80 1065 Sur cette analogie, cf. Ph. THERY, n°80 1066 Les causes de cet anéantissement sont diverses : défaut de propriété du bien utilisé pour
payer, défaut de capacité du solvens ou de l’accipiens, nullité de la période suspecte, action
paulienne…
disparaît alors, et le créancier retrouve le droit de poursuivre la caution1067. Il ne
suffit donc pas que le débiteur principal paye sa dette pour que la caution soit
libérée, encore faut-il que ce paiement soit valable. L’anéantissement du paiement
fait revivre le cautionnement, sauf quand la loi en dispose autrement, ce qui est le
cas en matière de dation en paiement (article 2038 du Code civil).
487. La novation de l’obligation principale. Une autre cause d’extinction du
cautionnement par voie accessoire réside dans la novation de l’obligation principale,
comme le prévoit l’article 1281 alinéa 2 du Code civil1068. Afin d’être libérées, les
cautions doivent prouver, tant l’élément objectif de la novation (la création d’une
obligation nouvelle et valable), que son élément subjectif (la volonté d’éteindre
l’ancienne obligation par la création d’une nouvelle). Elles échouent fréquemment
dans cette tentative, car il y a plus souvent de simples modifications des modalités
de l’obligation principale qu’une véritable novation1069.
488. La prescription de l’obligation principale. En matière de prescription
de l’obligation principale, quelques solutions se révèlent également protectrices des
intérêts des créanciers.
Tout d’abord, l’article 2250 du Code civil, en précisant que « l’interpellation
faite au débiteur principal, ou sa reconnaissance interrompt la prescription contre
la caution », évite au créancier, qui aurait vainement poursuivi le débiteur principal,
de se voir ensuite opposer par la caution la prescription1070.
Par ailleurs, la Cour de cassation considère que, si une décision définitive est
intervenue contre la caution, sans qu’elle n’ait pu ou voulu invoquer la prescription,
l’autorité de chose jugée s’oppose à ce qu’elle puisse se prévaloir d’un jugement
ultérieur déclarant le débiteur libéré par prescription1071.
Surtout, la Haute juridiction fait primer la fonction de garantie du
cautionnement sur son caractère accessoire renforcé en jugeant que le créancier, qui
ne poursuit pas la caution dans le délai de deux ans de l’article L. 311-37 du Code de
1067 Cass. com., 14 avril 1992 : Bull. civ. IV, n°155 ; Cass. com., 22 octobre 1996 : RD
bancaire et bourse 1997, p. 243, obs. CONTAMINE-RAYNAUD 1068 Si l’article 1281 ne vise expressément que « la novation faite entre le créancier et l’un
des débiteurs solidaires », il ne fait aucun doute que les règles qu’il formule ont vocation à
s’appliquer en cas de novation par changement d’objet, de débiteur, ou de créancier. 1069 N’ont pas été qualifiés de novation la conversion de la dette en une monnaie autre que
celle prévue au contrat (Cass. civ., 17 décembre 1928 : DH 1929, p. 49 ; S. 1929, 1, p. 100), la
modification du taux de l’intérêt dans les rapports entre le créancier et le débiteur (Cass. com.,
8 juin 1999 : RJDA 8-9/1999, n°1007), la prorogation du terme (Cass. req., 13 novembre
1877 : DP 1878, 1, p. 300 ; S. 1878, 1, p. 415 ; Cass. com., 3 avril 2002 : RJDA 10/2002,
n°1085), le rééchelonnement de la durée du contrat principal (Cass. 3ème civ., 4 avril 2001 :
RD bancaire et financier 2001, n°148, obs. LEGEAIS), les nouvelles conditions d’escompte et
de découvert accordées au débiteur principal (Cass. 1ère civ., 18 janvier 2000 : RJDA 4/2000,
n°479), le réaménagement de la dette pour l’exécution d’un plan conventionnel de
surendettement (Cass. 1ère civ., 20 mai 2003 : Bull. civ. I, n°122), le changement de forme de
la société débitrice ou créancière. Le législateur lui-même est venu préciser que la fusion ou
l’absorption de la société débitrice ou créancière n’emportent pas novation, mais ont pour
effet la transmission universelle du patrimoine des sociétés fusionnées ou scindées qui
disparaissent (article L. 236-3 du Code de commerce). 1070 Pour une application de ce texte, cf. Cass. com., 13 avril 1999 : RJDA 6/1999, n°725 1071 Cass. req., 25 novembre 1905 : S. 1906, 1, p. 345
la consommation, n’est pas privé de son droit d’agir1072. Si la motivation retenue
n’emporte pas la conviction, en ce qu’elle repose sur la perte par la caution solidaire
du bénéfice de discussion, perte qui est insusceptible d’expliquer pourquoi la caution
ne peut pas opposer au créancier une extinction par voie accessoire de son
engagement1073, la solution elle-même peut être approuvée, en ce qu’elle conforte
l’efficacité objective du cautionnement.
489. La nullité de l’obligation principale. Concernant l’extinction du
cautionnement pour cause de nullité de l’obligation principale, ses effets néfastes
pour les créanciers sont atténués depuis que la Cour de cassation décide, au visa de
l’article 2012 du Code civil, que « tant que les parties n’ont pas été remises en l’état
antérieur à la conclusion des conventions annulées, l’obligation de restitution
inhérente au contrat de prêt demeure valable (et) que dès lors, le cautionnement en
considération duquel le prêt a été consenti subsiste tant que cette obligation valable
n’est pas éteinte »1074. Cette solution fait respecter tout à la fois le caractère
accessoire renforcé du cautionnement et sa fonction de garantie1075. Elle protège les
intérêts des créanciers, sans toutefois aggraver le sort de la caution, puisque, si la
date de remboursement est avancée pour le débiteur principal1076, la caution
conserve le terme initial.
490. L’extinction de la dette principale ne permet donc pas en toute hypothèse
à la caution d’être déchargée de ses obligations. Certaines causes d’extinction par
voie accessoire sont paralysées lorsque la jurisprudence procède à une analyse
téléologique du mécanisme.
En rejetant les contestations des cautions visant à remettre en cause, par voie
principale ou accessoire, l’existence même de leur engagement ou, à tout le moins, à
1072 Cass. 1ère civ., 8 octobre 1996 : Bull. civ. IV, n°340
Il convient de souligner que si la caution paie le créancier, qui l’a poursuivie après
l’expiration du délai biennal, elle peut exercer le recours personnel de l’article 2028 du Code
civil. 1073 Sur les critiques de la motivation de la solution étudiée, cf. D. ARLIE, La négligence du
prêteur, la règle de l’accessoire attachée au cautionnement et la libération de la caution,
LPA 3 octobre 2001, n°197, p. 7 ; M. FARGE, L’application au cautionnement du bref délai
prévu en matière de crédit mobilier à la consommation, JCP 2001, I, 310, n°6 ; D. LEGEAIS,
n°186
P. CROCQ (obs. sous Cass. 1ère civ., 8 octobre 1996, RTD civ. 1997, p. 187) a proposé de
justifier la solution par la référence à la distinction entre l’obligatio et le debitum : le délai de
forclusion n’éteindrait pas la dette, il priverait simplement le créancier de son droit d’agir en
justice pour obtenir paiement. 1074 Cass. com., 17 novembre 1982 : Bull. civ. IV, n°357 ; Cass. 1ère civ., 18 mars 1997 : Bull.
civ. I, n°96 ; Cass. 1ère civ., 1er juillet 1997 : Bull. civ. I, n°224 ; Cass. 1ère civ., 29 octobre
2002 : RJDA 3/2003, n°298 et 320
La même solution joue en cas de résolution du contrat principal (CA Versailles, 30 avril
1986 : D. 1987, Somm., p. 451, 2e esp., obs. AYNES). 1075 Sur les justifications de cette solution, cf. D. ARLIE, art. préc., p. 10 ; M. CABRILLAC
et Ch. MOULY, n°223 et 223-1 ; J. FRANÇOIS, n°192 ; D. LEGEAIS, n°132 ; Ph. SIMLER,
n°233 et 234 1076 La nullité produit, à cet égard, les mêmes effets qu’une déchéance du terme.
réduire l’étendue de leurs obligations, la jurisprudence organise l’efficacité in
abstracto du cautionnement.
Il convient désormais de se demander si la fonction de garantie du
cautionnement est autant prise en compte par le droit positif lorsque le débiteur
principal est soumis à une procédure collective de paiement.
§2 : LA PRIMAUTE DE LA FONCTION DE GARANTIE
EN CAS DE PROCEDURE COLLECTIVE DE PAIEMENT
CONTRE LE DEBITEUR PRINCIPAL
491. La question de la charge définitive des mesures consenties au
débiteur sur le fondement de l’impératif de justice distributive. La procédure
collective ou de surendettement ouverte à l’encontre du débiteur principal traduit
l’impératif de justice distributive1077. Lorsque le créancier a pris la précaution, avant
que ne s’ouvre une telle procédure, de demander l’engagement d’un tiers, toute la
question est de savoir si la solidarité devant répondre aux besoins que la crise
économique fait ressentir au débiteur principal doit être supportée par le créancier ou
par la caution. Autrement dit, sur lequel doit peser le risque d’altération du droit de
créance, dû à la procédure collective ?1078
Deux voies extrêmes peuvent être empruntées. La première consiste à
privilégier la technique juridique du cautionnement, et donc à appliquer le principe
du caractère accessoire renforcé, sans distinction du contexte. La caution ne devant
pas être tenue à plus que le débiteur principal, c’est donc le créancier qui supporte
définitivement le poids des mesures fondées sur l’impératif de justice distributive.
La seconde voie consiste à faire primer la raison d’être du cautionnement, et donc à
réclamer à la caution ce que devrait le débiteur en dehors de toute procédure. C’est
ici la caution qui supporte toutes les faveurs faites au débiteur principal, puisqu’elle
doit payer le créancier, même si son recours contre le débiteur se trouve compromis.
492. La position du droit français. Alors que nombre de droits étrangers
écartent la règle de l’accessoire lorsque la défaillance du débiteur est établie, la loi et
la jurisprudence françaises n’adoptent pas une position aussi tranchée. Le droit
positif procède à une répartition des risques entre le créancier et la caution, en
privilégiant, tantôt la théorie de l’accessoire, tantôt la fonction de garantie du
cautionnement. A l’occasion de l’étude des causes d’inefficacité, les solutions
favorables aux cautions seront présentées1079. Pour l’heure, il importe d’envisager
les manifestations de la primauté du but de l’institution sur sa technique1080, c'est-à-
dire les hypothèses dans lesquelles la loi ou les juges, conscients que l’ouverture
d’une procédure collective ou de surendettement consacre l’incapacité du débiteur
1077 Cf. supra n°134-135 1078 M. BEHAR-TOUCHAIS (Le banquier et la caution face à la défaillance du débiteur,
RTD civ. 1993, p. 737 et s., n°5) rapproche cette question de la théorie des risques : « la
procédure collective est à la créance, ce que le cas fortuit est à la chose. Si le cas fortuit peut
entraîner la disparition de la chose, la procédure collective peut entraîner l’altération, voire
l’extinction du droit de créance ». 1079 Cf. infra n°560-562, 591, 592 1080 D. GRIMAUD (th. préc., n°215) parle de « conception transcendantale de la fonction de
sûreté ».
principal à faire face à ses engagements, empêchent la caution de se prévaloir des
mesures bénéficiant au débiteur. Le droit positif évite les retards dans l’exécution,
par la caution, de son obligation de règlement (A), la réduction de celle-ci (B), mais
aussi la remise en cause de l’existence même de cette obligation (C).
A/ LE MOMENT DE L’EXECUTION DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT
493. La suspension des poursuites à l’encontre du débiteur principal. Le
droit en vigueur prive la caution du bénéfice de la suspension des poursuites, parfois
imposée aux créanciers. Ainsi, ni la suspension facultative pouvant être prononcée
dans le règlement amiable1081 ou dans le cadre du redressement judiciaire civil1082, ni
la suspension automatique dont bénéficie le débiteur en cas de redressement
judiciaire1083, de liquidation judiciaire1084 ou de rétablissement personnel1085, ne
mettent la caution à l’abri de poursuites immédiates si la créance est exigible1086.
Cela s’explique par le fait que ces différentes suspensions sont attachées à des
procédures qui constituent une poursuite collective de paiement, et que le
cautionnement a justement pour fonction de lutter contre l’inconvénient en résultant
pour le créancier.
494. La vérification des créances. La Cour de cassation décide aussi que les
lenteurs de la procédure ne permettent pas à la caution de retarder son paiement. En
effet, quand le créancier a déclaré sa créance, le tribunal devant lequel il poursuit la
caution doit examiner son action sans attendre le résultat de la vérification des
créances qui s’opère devant le juge commissaire, sauf à surseoir à statuer dans
l’intérêt d’une bonne justice1087. La motivation retenue n’est guère convaincante,
1081 Article 36 de la loi du 1er mars 1984, modifié par la loi du 10 juin 1994. 1082 Toute procédure d’exécution contre le débiteur peut être suspendue par le juge de
l’exécution, sauf pour les dettes alimentaires (article L. 331-5 du Code de la consommation). 1083 Article L. 621-40 du Code de commerce. Pour des exemples d’application de cette
disposition, cf. Cass. 1ère civ., 31 mars 1998 : Bull. civ. IV, n°135 ; Cass. com., 22 juin 1999 :
Bull. civ. IV, n°134 1084 Article L. 622-3 du Code de commerce, qui renvoie à l’article L. 621-40. 1085 Loi n°2003-710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville. Sur
cette loi, cf. notamment P. BOUTEILLER, La procédure de rétablissement personnel de la
loi du 1er août 2003, Droit et patrimoine 2003, n°120, p. 34 et s. ; S. PIEDELIEVRE, Le droit
à l’effacement des dettes, Defrénois 2004, article 37852, p. 14 et s., n°24 : « cette suspension
est strictement personnelle au débiteur surendetté ; elle ne concerne pas les cautions et les
coobligés ». 1086 Une dérogation est aujourd'hui prévue par l’article L. 621-48 alinéa 2 du Code de
commerce, sur laquelle nous reviendrons lors de l’étude des causes d’inefficacité du
cautionnement. Cf. infra n°560-562 1087 Cass. com., 30 juin 1987 : JCP 1987, IV, p. 310 ; Gaz. Pal. 1987, pan., 215 ; Cass. com.,
28 mai 1991 : Bull. civ. IV, n°178 ; Cass. com., 18 janvier 2000 : Bull. civ. IV, n°11 et 12 ;
Cass. com., 17 septembre 2002 : Bull. civ. IV, n°123 ; Cass. com., 5 novembre 2003 : Bull.
civ. IV, n°158 ; Cass. com., 11 février 2004 : RDC 2004, chron., p. 745, HOUTCIEFF ; Cass.
com., 10 mars 2004 : Bull. civ. IV, n°50 ; Cass. com., 9 novembre 2004 : RJDA 3/05, n°327
Parallèlement, la Chambre commerciale de la Cour de cassation décide que le juge-
commissaire n’est pas tenu de surseoir à statuer dans l’attente de la décision du juge du
cautionnement, car cette décision ne s’impose que dans les rapports entre le créancier et la
caution (Cass. com., 11 février 2004 : JCP 2004, p. 1373, obs. PETEL).
puisqu’elle repose sur le fait que la caution solidaire est privée du bénéfice de
discussion et qu’elle est représentée par le débiteur. En revanche, la solution elle-
même mérite approbation, car la vérification des créances dure souvent plusieurs
années, et qu’il serait donc inéquitable et contraire au but du cautionnement
d’imposer aux créanciers de si longs délais1088. Le cautionnement garantit en effet
autant la ponctualité du paiement que son montant.
495. Les délais de paiement accordés au débiteur principal. En troisième et
dernier lieu, c’est en refusant à la caution le bénéfice des délais de paiement
accordés au débiteur principal en procédure collective ou de surendettement, que le
droit positif fait primer l’analyse téléologique du cautionnement.
Sous l’empire de la loi du 13 juillet 1967 (article 49), la caution ne pouvait se
prévaloir des délais concordataires. Bien que le concordat procédât d’un vote, ces
délais n’étaient pas considérés comme des prorogations du terme, car « le concordat
s’insérait dans le cadre d’une procédure judiciaire de constatation et
d’aménagement de la défaillance du débiteur contre laquelle les cautions devaient
précisément garantir les créanciers »1089.
La loi du 25 janvier 1985 a adopté la même solution (article 64 alinéa 2, devenu
l’article L. 621-65 du Code de commerce). Le plan de redressement, qui a remplacé
le concordat, est arrêté par jugement et est opposable à tous les créanciers, sans
qu’aucun vote n’intervienne. Les délais accordés dans le cadre de ce plan présentent
un caractère judiciaire encore plus marqué que sous la loi de 1967, et ne peuvent
profiter aux cautions1090. La jurisprudence applique scrupuleusement cette
solution1091 et atteste par là même du fait que les délais consentis au débiteur n’étant
que la suite de son impécuniosité, ils révèlent la survenance du risque assumé par la
caution.
S’agissant de la procédure de surendettement, quoique son caractère judiciaire
ait été édulcoré par la loi du 8 février 1995, elle constitue une véritable procédure
collective imposée aux créanciers. L’article L. 331-7 du Code de la consommation
prévoit que le juge de l’exécution peut, sur recommandation de la commission de
surendettement, reporter ou rééchelonner d’autorité le paiement des dettes dans
certaines limites. Ces délais consentis à l’occasion du plan de redressement civil
n’étant, eux aussi, qu’une forme de constatation de la défaillance du débiteur, la
Cour de cassation décide que la caution n’est pas admise à s’en prévaloir1092.
Lors de l’élaboration de la loi sur la lutte contre l’exclusion, la commission
spéciale de l’Assemblée nationale a voulu que la caution bénéficie du moratoire
aujourd'hui prévu par l’article L. 331-7-1 du Code de la consommation1093, en raison
du fait que le surendettement de la caution peut être uniquement dû à l’existence
1088 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°220-4 ; J. FRANÇOIS, n°251 1089 Ph. SIMLER, n°475 1090 Cette solution protectrice des intérêts des créanciers pourrait être prochainement étendue,
puisque l’article 102 du projet de loi de sauvegarde des entreprises n°1596 du 12 mai 2004
dispose que : « Par dérogation aux dispositions de l'article L. 626-8, les cautions
personnelles, coobligés et les personnes ayant consenti une garantie autonome ne peuvent se
prévaloir des dispositions du plan » (nouvel article L. 631-16 du Code de commerce). 1091 Cass. com., 28 mai 1991 : Bull. civ. IV, n°179 1092 Cass. 1ère civ., 3 mars 1998 : Bull. civ. I, n°82 1093 Doc. AN n°8556, p. 69
d’un cautionnement. Le Sénat a rejeté cet amendement au motif qu’il risquait de
faire perdre au cautionnement toute signification1094. La situation de la caution d’un
débiteur surendetté ne peut donc jamais être gelée. Cette solution n’a pas été remise
en cause par la nouvelle loi sur le surendettement du 1er août 2003.
Concernant, enfin, les règlements collectifs amiables, ils donnaient
traditionnellement lieu à des solutions favorables aux cautions. Dans la procédure
amiable prévue par l’article L. 611-3 du Code de commerce (article 35 de la loi du
1er mars 1984), les délais éventuellement octroyés au débiteur principal procèdent
d’un accord négocié entre les créanciers et l’entreprise débitrice, et paraissent devoir
être traités comme des délais conventionnels opposables aux créanciers par les
cautions. Cette solution semble remise en cause depuis que la Cour de cassation
considère que les remises consenties dans le cadre d’un plan conventionnel de
redressement négocié entre un débiteur surendetté et ses créanciers ne constituent
pas, malgré leur caractère volontaire, des remises au sens de l’article 1287 du Code
civil1095. Ce qui vaut pour les remises devrait pareillement jouer pour les délais, et ce
qui vaut pour le plan conventionnel de redressement du débiteur surendetté devrait
aussi s’appliquer au règlement amiable de l’article L. 611-3 du Code de commerce.
En conséquence, il semble qu’aujourd'hui les délais accordés au débiteur à
l’occasion des règlements amiables ne profitent plus aux cautions. La Cour de
cassation a été sensible au fait que ces règlements « participent davantage d’une
constatation collective et amiable de la défaillance du débiteur que d’une démarche
de faveur faite par les créanciers »1096.
496. Quelle que soit la procédure engagée, aucun des délais accordés au
débiteur ne bénéficie donc à la caution par voie accessoire. La fonction de garantie
du cautionnement l’emporte, afin que les créanciers ne pâtissent d’aucun retard dans
l’exécution de l’obligation de règlement de la caution. La raison d’être du
cautionnement est également privilégiée lorsque celle-ci entend réduire le montant
de son engagement.
B/ LE MONTANT DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT
497. La caution ne peut pas contester, en principe, les créances vérifiées.
La Cour de cassation refuse, tout d’abord, que la créance vérifiée et portée sur l’état
définitif des créances ne soit contestée par la caution, sous réserve de la fraude du
créancier ou du débiteur qui laisse admettre la créance sans soulever de moyen de
défense1097.
498. La caution ne bénéficie pas de l’arrêt du cours des intérêts. Ensuite,
la caution ne peut voir son engagement amputé des intérêts dûs par le débiteur
principal.
Sous l’empire de la loi du 13 juillet 1967 (article 39), le jugement déclaratif
n’arrêtait le cours des intérêts qu’à l’égard de la masse, et non du débiteur principal.
1094 P. LORIDANT, Doc. Sénat n°473, p. 101 et JO Sénat CR séance du 12 juin 1998, p. 3181 1095 Cass. com., 13 novembre 1996 : Bull. civ. IV, n°401 1096 Ph. SIMLER, n°478 1097 Cass. com., 8 juin 1979 : Bull. civ. IV, n°185 ; Cass. com., 7 juin 1988 : Bull. civ. IV,
n°192
La caution, débiteur accessoire, était donc tenue des intérêts postérieurs au jugement
d’ouverture1098.
L’article 55 de la loi du 25 janvier 1985, dans sa rédaction initiale, retenait une
solution différente. Le jugement d’ouverture arrêtait le cours des intérêts légaux et
conventionnels, ainsi que tous les intérêts de retard et majorations pour les prêts
d’une durée inférieure à un an. Alors que la doctrine s’attendait à ce que la Cour de
cassation n’étende pas cette règle nouvelle aux cautions, la Haute juridiction a jugé
que l’arrêt du cours des intérêts constituait une exception inhérente à la dette
autorisant la décharge partielle de la caution1099.
C’est le législateur lui-même, en 1994, qui a rétabli la solution antérieure, en
précisant que les cautions ne peuvent se prévaloir de l’arrêt du cours des intérêts
(article L. 621-48 alinéa 1er in fine). Le caractère accessoire renforcé du
cautionnement est écarté au profit de sa fonction de garantie. La suspension ou
l’arrêt du cours des intérêts n’étant que des aménagements connexes à la défaillance
du débiteur, la raison d’être du cautionnement impose de ne pas en faire bénéficier
les cautions. « S’il y a dérogation au droit commun du cautionnement, elle réside
non pas dans le maintien de la garantie pour les intérêts dont le cours est arrêté ou
dont le taux est réduit, mais dans la privation du recours contre le débiteur
principal »1100.
499. La caution ne profite pas des remises de dette consenties au débiteur
principal. La réduction du montant de l’obligation de règlement de la caution est
enfin empêchée par le fait que celle-ci ne profite pas des remises de dette accordées
au débiteur principal.
Déjà sous l’empire de la loi du 13 juillet 1967, la jurisprudence décidait que les
remises consenties dans le cadre du concordat restaient sans influence sur
l’engagement de la caution1101.
Puis, l’article 64 alinéa 2 de la loi du 25 janvier 1985 (article L. 621-65 du
Code de commerce) a repris cette solution à l’égard des remises prenant place dans
un plan de continuation ou de cession de l’entreprise débitrice. La défaillance de
celle-ci étant réalisée lorsque s’ouvre une procédure de redressement judiciaire, la
couverture de cette défaillance, qui est la fonction même du cautionnement, prime le
caractère accessoire renforcé. « Bien que l’on parle de remise de dette, il s’agit
uniquement d’une solution procédurale à l’insolvabilité du débiteur dans laquelle
on ne retrouve pas les caractères de la remise de dette et notamment la volonté de
1098 Cass. com., 11 mai 1981 : Bull. civ. IV, n°215 1099 Cass. com., 13 novembre 1990 : Bull. civ. IV, n°277 ; Cass. com., 14 décembre 1993 :
Bull. civ. IV, n°467 ; Cass. com., 22 mars 1994 : Bull. civ. IV, n°122
La Cour de cassation considérait néanmoins que la caution ayant reçu une mise en demeure
restait tenue personnellement, à compter de la réception de celle-ci, des intérêts au taux légal
sur le principal de la dette (Cass. com., 14 décembre 1993 et 22 mars 1994 : préc.). 1100 Ph. SIMLER, n°297 1101 Cass. com., 22 décembre 1981 : Bull. civ. IV, n°454 ; Cass. com., 16 juillet 1985 : Bull.
civ. IV, n°212
soulager le débiteur »1102. L’article 1287 du Code civil doit donc demeurer
inapplicable, et la caution solidaire ne saurait être partiellement libérée1103.
Il en va de même à l’égard des allégements ou effacements de dette consentis
dans le cadre du redressement judiciaire civil. Si les lois du 31 décembre 1989, 8
février 1995, 29 juillet 1998 et 1er août 2003 ont omis de préciser le sort des
cautions, la Cour de cassation décide que ces dernières ne peuvent bénéficier des
réductions octroyées au débiteur surendetté1104. Pour autant, les cautions ne
supportent pas définitivement le poids des mesures fondées sur l’impératif de justice
distributive, puisqu’elles peuvent exercer un recours en remboursement contre le
débiteur principal, au risque de faire ainsi échouer le plan de redressement1105.
S’agissant des remises accordées à l’entreprise débitrice avant sa cessation des
paiements, dans le cadre du règlement amiable (article L. 611-3 du Code de
commerce), elles étaient traditionnellement considérées comme des remises
conventionnelles, en raison de l’acceptation donnée par les créanciers. En
conséquence de quoi, elles devaient profiter aux cautions. Statuant à propos d’un
règlement amiable en matière de surendettement, la première Chambre civile de la
Cour de cassation a clairement retenu la solution opposée1106. Au-delà des
discussions relatives au caractère conventionnel ou judiciaire des remises consenties
dans ce cadre, c’est la finalité du plan qui est avancée pour écarter le principe du
caractère accessoire renforcé. Ce plan se justifie par la nécessité d’aider au
redressement ou au rétablissement de la situation du débiteur et d’éviter au créancier
une perte accrue sur sa créance. En d’autres termes, la remise de dette n’est que la
conséquence de la défaillance du débiteur, contre laquelle le créancier a cherché à se
prémunir en exigeant un cautionnement. Le risque s’étant réalisé, la fonction de
garantie du cautionnement commande de le faire assumer par la caution, sans qu’elle
ne puisse s’autoriser de la remise. La solution de la première Chambre civile a été
implicitement consacrée par les lois du 29 juillet 1998 et du 1er août 2003, mais, au
contraire, expressément contredite par un arrêt de la Chambre commerciale relatif au
règlement amiable institué par la loi du 1er mars 19841107.
500. Face aux contestations des cautions du débiteur en procédure collective
ou de surendettement, visant à réduire l’étendue de leur engagement, le droit positif
fait donc largement primer la fonction de garantie du cautionnement. Il conforte
également l’efficacité objective de cette sûreté en empêchant la libération pure et
simple de la caution.
1102 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°291 1103 Cass. com., 17 novembre 1992 : Bull. civ. IV, n°355 ; Cass. com., 17 mai 1994 : Bull. civ.
IV, n°177
En revanche, à l’égard des cautions simples, la solution est inverse : “il résulte de l’article L.
621-65 du Code de commerce que les cautions non solidaires peuvent se prévaloir des
dispositions du plan de redressement judiciaire” (Cass. com., 23 novembre 2004 : Bull. civ.
IV, n°203). 1104 Cass. 1ère civ., 3 mars 1998 : Bull. civ. I, n°82 ; Cass. 1ère civ., 18 janvier 2000 : Contr.,
conc., consom. 2000, p. 26, n°103 ; Cass. 1ère civ., 26 avril 2000 : Bull. civ. I, n°122 1105 Cf. supra n°428 1106 Cass. 1ère civ., 13 novembre 1996 : Bull. civ. I, n°401 1107 Cass. com., 5 mai 2004 : Bull. civ. IV, n°84
C/ L’EXISTENCE DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT
501. L’absence de vérification des créances. Tout d’abord, l’absence de
vérification des créances du débiteur principal, selon les règles de la procédure
collective, ne constitue pas une cause de libération de la caution. La Cour de
cassation considère que, comme « la mise en redressement judiciaire du débiteur
principal ne fait pas obstacle à ce que le créancier poursuive la caution en paiement
de la dette (…), les juges du fond devaient vérifier eux-mêmes, selon les règles du
droit commun, l’existence et le montant de la créance »1108.
502. Plan de cession. Ensuite, la décharge totale de la caution est empêchée
en cas de plan de cession adopté dans le cadre d’une procédure de redressement
judiciaire. Dans un tel plan, des contrats cautionnés peuvent être transmis au
cessionnaire en application de l’article L. 621-88 du Code de commerce relatif aux
contrats de crédit-bail, de location et de fourniture de biens ou services. La Cour de
cassation affirme que la cession ne produit aucun effet novatoire1109. Cette solution
s’explique par le fait que ladite cession intervient en vertu d’une décision de justice
et non d’un accord de volonté des parties. Elle en déduit que la caution continue à
garantir les dettes exigibles au jour de la cession, mais elle est libérée pour l’avenir.
Seule l’obligation de couverture s’éteint et non l’obligation de règlement.
Lorsque la caution garantit le remboursement d’un prêt nécessaire à l’achat de
matériel repris par un cessionnaire en application de l’article L. 621-96 du Code de
commerce, la Haute juridiction décide également que la cession du matériel nanti
n’entraîne nullement une novation de l’obligation de remboursement. Mais, comme
la dette de l’emprunteur naît intégralement lors de la remise des fonds, et non au fur
et à mesure de l’exécution du contrat, l’obligation de couverture de la caution se
confond avec son obligation de règlement, et la cession du contrat de prêt n’a
aucune incidence sur l’existence de ces obligations. Ainsi, la caution continue de
garantir le remboursement de « l’intégralité de l’emprunt dont les échéances
constituent des créances nées avant l’ouverture de la procédure collective »1110.
503. Clôture de la procédure pour insuffisance d’actif. Enfin, la libération
de la caution est écartée dans l’hypothèse d’une clôture pour insuffisance d’actif de
la procédure de liquidation judiciaire (article L. 622-32 du Code de commerce) ou
de la procédure de rétablissement personnel (article L. 332-9 du Code de la
consommation). Cette clôture ne fait pas recouvrer aux créanciers l’exercice
individuel de leurs droits contre le débiteur principal. En se prévalant du caractère
accessoire renforcé de leur engagement, des cautions ont soutenu qu’elles pouvaient
se prévaloir de cette cause d’extinction de la dette principale. La jurisprudence n’a
1108 Cass. com., 24 septembre 2003 : RJDA 02/2004, n°228 1109 Cass. com., 12 octobre 1993 : Bull. civ. IV, n°333 ; Cass. com., 3 mai 1994 : RD bancaire
et bourse 1995, p. 42 et 86, obs. CAMPANA et CALENDINI ; Cass. com., 14 février 1995 :
Rev. proc. coll. 1995-2, p. 171, note SOINNE ; Banque mai 1995, p. 92, obs. GUILLOT ;
RTD com. 1995, p. 848, obs. MARTIN-SERF ; Cass. com., 21 novembre 1995 : Bull. civ. IV,
n°267 ; Cass. com., 13 avril 1999 : Bull. civ. IV, n°87 ; Cass. com., 6 juillet 1999 : RJDA
11/1999, n°1234 ; Cass. com., 26 octobre 1999 : RJDA 1/2000, n°92 1110 Cass. com., 13 avril 1999 : Bull. civ. IV, n°87 ; Cass. com., 3 avril 2002 : Act. proc. coll.
21 juin 2002, n°143
pas retenu cette analyse. Elle a considéré que l’article L. 622-32 paralyse seulement
l’exercice du droit de poursuite, sans éteindre la créance elle-même. En
conséquence, les créanciers conservent leur droit d’agir contre la caution1111.
La loi du 10 juin 1994, en ajoutant le recours de la caution contre le débiteur
principal ayant profité de la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance
d’actif, a implicitement reconnu que l’extinction ne peut profiter à la caution, et a
donc consacré la solution jurisprudentielle1112.
La loi Borloo du 1er août 2003 a été encore plus explicite, puisqu’elle a prévu
que la clôture entraîne l’effacement de toutes les dettes non professionnelles du
débiteur, à l’exception de celles dont le prix a été payé aux lieu et place du débiteur
par la caution ou le coobligé (article L. 332-9 du Code de la consommation).
504. Conclusion du Chapitre 2 et du Titre 1. Au moment où le
cautionnement se révèle le plus utile aux créanciers, c'est-à-dire lorsque le débiteur
principal fait l’objet d’une procédure collective ou de surendettement, le droit positif
conforte son efficacité en empêchant que l’exécution de l’obligation de règlement de
la caution ne soit retardée, amputée, voire paralysée.
Comme la loi et la jurisprudence font également primer la fonction de garantie
du cautionnement en dehors de toute procédure collective de paiement contre le
débiteur, en rejetant les contestations de la caution relatives, tant à l’étendue, qu’à
l’existence même de son engagement, et que, par ailleurs, elles mettent en place des
protections de la caution qui se révèlent utiles à la protection des intérêts des
créanciers, il est permis d’affirmer que le droit positif organise l’efficacité objective
du cautionnement.
Il favorise également la réalisation des attentes subjectives des créanciers, non
seulement en leur permettant de fixer l’étendue de l’engagement de la caution, de
manière à recevoir un paiement ponctuel et intégral, mais aussi en validant le
recours à des garanties personnelles distinctes du cautionnement, de par leur
indépendance et/ou leurs attraits propres.
Si, à certains égards, la loi et la jurisprudence organisent donc l’efficacité in
abstracto du cautionnement et favorisent l’efficacité in concreto de l’ensemble des
garanties personnelles, nombreuses sont aussi les hypothèses dans lesquelles elles
entravent la réalisation de la fonction et de la finalité des contrats conclus.
1111 Cass. com., 8 juin 1993 : Bull. civ. IV, n°230 1112 L’article 138 du projet de loi de sauvegarde des entreprises n°1596 du 12 mai 2004 va
dans le sens de la loi du 10 juin 1994, puisqu’il précise que « la caution ou le coobligé qui a
payé au lieu et place du débiteur peut poursuivre celui-ci » en cas de clôture de la procédure
pour insuffisance d’actif (nouvel article L. 643-11 du Code de commerce).
TITRE II
LES RAISONS DE L’INEFFICACITÉ
505. Les lacunes du droit des garanties personnelles. Les garanties
personnelles ne produisent pas l’effet attendu chaque fois que le droit en vigueur
présente des lacunes, au regard des conditions juridiques de leur efficacité1113. Il ne
s’agit pas du même type de lacune en matière de cautionnement et en matière de
garanties personnelles innomées.
A l’égard du cautionnement, le manque se rapporte à l’objectif poursuivi par le
législateur et par les juges, soit que ceux-ci n’aient pas en vue de protéger les
intérêts patrimoniaux des créanciers, soit qu’ils adoptent des règles inadéquates pour
que les attentes de ces derniers se réalisent. Les lacunes du droit du cautionnement
tiennent donc au défaut de conformité des dispositions légales et des décisions
jurisprudentielles à l’objectif d’efficacité. Ce sont ces « fausses lacunes »1114 qui
sont à l’origine de l’inefficacité du cautionnement (Chapitre 1).
A l’égard des garanties personnelles innomées, le manque est plus ostensible
encore, puisqu’il réside dans l’absence de règles spéciales fixant le régime de ces
mécanismes en les appréhendant comme des garanties personnelles. Cette « vraie
lacune » du droit1115 favorise l’inefficacité des garanties personnelles innomées, en
ce qu’elle rend incertains la qualification et le régime de ces contrats (Chapitre 2).
1113 Sur les conditions juridiques de l’efficacité des garanties personnelles, cf. supra 1ère Partie 1114 Par opposition à la « vraie lacune » du droit, qui consiste en l’absence pure et simple de
normes, la « fausse lacune » du droit réside dans la carence des normes au regard de l’objectif
qu’elles devraient poursuivre. P. FORIERS (Les lacunes du droit, in Le problème des lacunes
du droit, Travaux du Centre national de recherches de logique, études publiées par Ch.
Perelman, éd. Bruylant, 1968, p. 9 et s.) a précisé qu’il y a « fausse lacune » du droit lorsque
la règle qui existe n’apporte pas la solution acceptable. Cette règle est contestée dans son
opportunité, car elle est « en contradiction avec une norme non écrite tirée de l’idée de
justice, de l’intérêt social ou du bien général ». Dans le même sens, Ch. HUBERLANT (Les
mécanismes institués pour combler les lacunes de la loi, in Le problème des lacunes du droit,
Travaux du Centre national de recherches de logique, études publiées par Ch. Perelman, éd.
Bruylant, 1968, p. 31 et s.), a distingué les « lacunes proprement dites » des « prétendues
lacunes », et a souligné que ces dernières sont des « insuffisances de la réglementation », au
regard d’un droit idéal. Elles se caractérisent par « l’absence d’une disposition qui permettrait
d’atteindre, dans un cas déterminé, le résultat jugé souhaitable ». 1115 La « vraie lacune » du droit constitue une imperfection législative se reconnaissant au fait
que la loi ne contient pas de règles régissant une matière déterminée. « Il n’y a pas de règle là
où il en faudrait une » (P. FORIERS, ibid., p. 10). Cette « vraie lacune » est susceptible de
degrés (en ce sens, cf. F. TERRE, Les lacunes du droit, in Le problème des lacunes du droit,
La mise au jour de ces différentes lacunes du droit fera apparaître l’incertitude
affectant, de lege lata, la réalisation des attentes des créanciers, et justifiera que l’on
s’interroge ultérieurement sur l’efficacité des garanties personnelles de lege ferenda.
Travaux du Centre national de recherches de logique, études publiées par Ch. Perelman, éd.
Bruylant, 1968, p. 143 et s.), puisqu’elle peut s’apparenter à un vide législatif intégral ou
résider seulement dans l’absence d’une réglementation spéciale complétant des principes de
droit commun. A l’égard de toutes les garanties personnelles autres que le cautionnement, la
« vraie lacune » prend cette dernière forme, car leur sont applicables les règles du droit
commun des contrats, ainsi que toutes les règles visant les garanties, sans distinction. Sur la
signification du qualificatif « innomé », cf. supra n°229-231
CHAPITRE I
LES « FAUSSES LACUNES »
DU DROIT DU CAUTIONNEMENT
506. Les garanties personnelles ne peuvent être efficaces que si le droit qui
leur est applicable présente des qualités formelles qui favorisent la réalisation des
attentes objectives et subjectives des créanciers et seulement si le contenu des règles
de droit reflète l’objectif d’efficacité. Le droit du cautionnement étant aujourd'hui
déficient en ces deux points, il rend le cautionnement inefficace.
En effet, les textes régissant la matière présentent des défauts formels qui se
traduisent par une insécurité juridique susceptible de remettre en cause les attentes
des créanciers (Section 1).
Par ailleurs, le législateur et les juges, ignorant souvent la fonction de garantie
du cautionnement, mènent une politique de protection de la caution incompatible
avec l’objectif d’efficacité (Section 2).
SECTION 1 : LES DÉFAUTS FORMELS DE LA LOI
507. Les qualités formelles du droit positif. L’efficacité des garanties
personnelles, envisagée in concreto, suppose une double adéquation : d’une part,
une adéquation entre les attentes nées de l’octroi de crédit au débiteur et la finalité
assignée à la garantie personnelle conclue, d’autre part, une adéquation entre cette
finalité et les effets produits par le contrat de garantie. Chacune de ces adéquations a
d’autant plus de chances d’exister que les lois et la jurisprudence relatives aux
garanties personnelles présentent des qualités formelles qui sécurisent les choix des
créanciers, lors de la formation de la garantie, ainsi que les prévisions des parties.
Certaines de ces qualités caractérisent le droit aujourd'hui applicable au
cautionnement.
Tout d’abord, le volume des textes ayant pour objet ce contrat est raisonnable.
Le phénomène d’inflation législative n’ayant pas gagné la matière du
cautionnement, les créanciers sont susceptibles de connaître toutes les dispositions
légales utiles à leur prise de décision, et ont plus de chances d’opérer des choix
techniques et comportementaux présentant le meilleur rapport coût / avantage.
Ensuite, les lois intéressant le cautionnement n’étant pas « éphémères et
jetables après emploi »1116, la stabilité législative qui en résulte favorise, non
seulement la rationalité des choix des créanciers lors de la constitution de la
garantie, mais aussi le respect des prévisions des parties, tant extrinsèques,
qu’intrinsèques1117.
Enfin, la survie de la loi ancienne étant le plus souvent préférée à l’application
immédiate, voire à la rétroactivité de la loi nouvelle, les cautionnements peuvent
demeurer soumis, tout au long de leur vie, aux mêmes règles de droit que celles en
vigueur lors de leur formation, ce qui rend plus sûre la réalisation de la finalité
assignée par les parties au contrat conclu1118.
1116 F. OST, L’amour de la loi parfaite, in L’amour des lois, la crise de la loi moderne dans
les sociétés démocratiques, éd. Les presses de l’Université de Laval, L’Harmattan, 1996, p. 53 1117 Si la législation est assez stable en matière de cautionnement, tel n’est pas le cas de la
jurisprudence, qui est relativement mouvante. Il convient d’ailleurs de remarquer que la
dernière réforme du cautionnement (loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique), en
remettant en cause nombre de solutions jurisprudentielles (sur la portée de la mention
manuscrite, sur l’interprétation de l’article 2016 du Code civil, sur le principe de
proportionnalité) risque de renforcer cette instabilité. En ce sens, cf. V. AVENA-
ROBARDET, Réforme inopinée du cautionnement, D. 2003, chron., p. 2083 ; D.
HOUTCIEFF, Les dispositions applicables au cautionnement issues de la loi pour l’initiative
économique, JCP 2003, I, 161 ; D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège d’un
nouveau droit du cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au cautionnement
introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et sur la ville, JCP
2003, éd. E, p. 1610 et s., n°2 ; S. PIEDELIEVRE, La réforme de certains cautionnements
par la loi du 1er août 2003 (loi pour l’initiative économique), Defrénois 2003, article 37837,
p. 1371 et s. ; Ph. SIMLER, JCP 2003, I, 176, n°1 1118 La survie de la loi ancienne a été expressément imposée par le législateur à plusieurs
reprises. L’article 57 de la loi du 23 décembre 1985 énonce que l’article 1415 du Code civil
ne s’applique qu’aux engagements souscrits après son entrée en vigueur, soit le 1er juillet
1986. La Cour de cassation a précisé que « la date à laquelle naît la créance à l’égard de la
caution est la date à laquelle elle s’engage » (Cass. 1ère civ., 14 mai 1991 : JCP 1992, II,
21830, note LE GUIDEC ; D. 1992, Somm., 222, obs. LUCET ; RTD civ. 1991, 772, obs.
1ère civ., 10 juin 1992 : Bull. civ. I, n°175 ; Cass. com., 8 juin 1993 : Bull. civ. IV, n°226 ;
Cass. 1ère civ., 27 juin 1995 : Bull. civ. I, n°282). La Cour de cassation a également décidé que
l’article 114 de la loi du 25 juin 1999, ayant modifié la sanction de l’obligation d’information
de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier, n’a aucun caractère interprétatif et est
d’application immédiate (Cass. 1ère civ., 18 mars 2003 : Bull. civ. I, n°80 et 81 ; Cass. com.,
29 avril 2003 : Bull. civ. IV, n°62, 1er arrêt ; Cass. com., 14 janvier 2004 : RD bancaire et
financier 2004, n°205, obs. CERLES ; Cass. 1ère civ., 2 juin 2004 : Bull. civ. I, n°156).
L’application immédiate a également été retenue au sujet de l’article 47-II alinéa 2 de la loi du
11 février 1994, cette fois par le législateur lui-même (article 47-II alinéa 4). C’est la solution
Le droit du cautionnement présente donc certaines qualités formelles, mais ces
qualités ne sont pas suffisantes pour contrebalancer l’insécurité juridique résultant
des défauts que présente par ailleurs ce droit. L’inefficacité du cautionnement
procède essentiellement du manque de clarté (§1) et de cohérence (§2) des textes
adoptés depuis une vingtaine d’années en ce domaine1119.
§1 : LES OBSCURITES
508. L’obscurité législative : un facteur d’inefficacité. L’obscurité
législative peut être définie comme étant l’incapacité des dispositions légales à
révéler, elles-mêmes, le sens des règles qu’elles renferment.
Cette obscurité constitue un facteur d’inefficacité pour deux raisons1120. En
premier lieu, en entravant la compréhension des textes, l’obscurité limite la
rationalité des choix des créanciers et augmente, ce faisant, le risque d’inadéquation
entre les attentes nées de l’octroi de crédit et celles produites par le cautionnement
effectivement conclu. En second lieu, en favorisant les divergences d’interprétation
entre le créancier et la caution, l’obscurité stimule le désir de contestation de celle-
ci. Or, les contestations, même si elles sont finalement inopérantes, entament
l’efficacité du cautionnement conclu, puisqu’elles accroissent le coût de la
protection du créancier. Si elles sont accueillies, l’inefficacité tient à l’inadéquation
entre les attentes subjectives du créancier et les effets produits par le cautionnement
constitué.
L’obscurité est susceptible de compromettre de la sorte la réalisation des
attentes des créanciers, lorsque le sens de la règle de droit est équivoque en raison
des termes employés par le législateur. C’est alors d’obscurité par commission dont
il s’agit (A). Le manque de clarté peut aussi procéder d’oublis législatifs. On est
alors en présence d’obscurités par omission (B).
A/ LES OBSCURITES PAR COMMISSION
509. Les textes intéressant le cautionnement se caractérisent par leur
technicité. Les articles 2011 à 2043 du Code civil, aussi bien que les textes adoptés
depuis les années 1980, ne comportent aucune déclaration d’intention n’ayant
qu’une portée politique et à la normativité discutable. Le manque de clarté ne résulte
donc pas de ce qu’il est courant d’appeler aujourd'hui un « droit flou, mou, à l’état
gazeux ».
Les obscurités par commission procèdent de l’emploi de formules ou de notions
dont le sens est discutable. Plus précisément, l’insécurité juridique préjudiciable à
qui pourrait aussi s’imposer à l’égard des différentes obligations d’information instituées par
la loi du 29 juillet 1998 (à l’exclusion de l’article 2016 alinéa 2), ainsi que par le nouvel
article L. 341-6 du Code de la consommation (les travaux parlementaires de la loi du 1er août
2003 ont mis en avant cette solution. En ce sens en doctrine, cf. V. AVENA-ROBARDET,
ibid., p. 2083 ; L. AYNES, ibid., p. 32 ; D. HOUTCIEFF, ibid., n°3 ; D. LEGEAIS, ibid.,
n°13 ; F. PASQUALINI, ibid., n°38). L’efficacité du cautionnement s’en trouverait affectée. 1119 Seuls les textes adoptés avant la fin de l’année 2004 font l’objet de la présente étude. 1120 Pour de plus amples développements sur l’inefficacité résultant des obscurités
législatives, cf. supra n°221-223
l’efficacité du cautionnement est causée par l’utilisation maladroite de la langue
ordinaire (1), et par le recours à des notions juridiques équivoques (2).
1. L’utilisation maladroite de la langue ordinaire
510. L’utilisation maladroite de la langue ordinaire : un facteur
d’inefficacité. Dans les lois récentes intéressant le cautionnement, certains termes
ou expressions n’appartenant pas spécifiquement au vocabulaire juridique sont
employés de manière ambiguë. L’interprétation erronée que risquent d’en retenir les
créanciers est susceptible de leur faire manquer des choix présentant le meilleur
rapport coût / avantage. Par ailleurs, l’interprétation jurisprudentielle rendue
nécessaire par l’obscurité législative peut conduire à une remise en cause, non
seulement des données juridiques sur lesquelles les parties s’étaient appuyées lors de
la formation du cautionnement (prévisions extrinsèques), mais aussi du contenu de
leur accord de volonté (prévisions intrinsèques). Pour ces raisons, l’utilisation
maladroite de la langue ordinaire est source d’inefficacité. La loi du 29 juillet 1998
relative à la lutte contre les exclusions en fournit plusieurs illustrations.
511. « Alors » (article L. 331-3 alinéa 7 du Code de la consommation).
Tout d’abord, l’emploi du terme « alors », au 7ème alinéa de l’article L. 331-3 du
Code de la consommation, fait difficulté. La question se pose de savoir s’il renvoie à
l’hypothèse du 6ème alinéa, auquel cas les créanciers ne devraient informer la
commission de surendettement de l’existence d’un cautionnement et d’une
éventuelle action contre la caution que s’ils contestent le montant de leur créance, ou
s’il vise l’hypothèse générale du 4ème alinéa, auquel cas cette information serait due
en tout état de cause. Si les travaux parlementaires invitent à retenir la première
branche de l’alternative1121, la volonté qu’a manifestée le législateur en 1998
d’intégrer davantage les cautions dans la procédure de surendettement du débiteur
principal, et le souci d’éviter à la caution elle-même une telle procédure, pourraient
convaincre les juges d’adopter la seconde interprétation1122.
512. « En toute hypothèse » (article 2024 du Code civil). L’article 2024 du
Code civil comporte également une ambiguïté. Deux lectures peuvent être faites de
l’expression « en toute hypothèse ». La première consiste à considérer que la
réduction du droit de gage général contre la caution simple peut intervenir, sans
qu’une faute du créancier ne soit nécessaire1123. La seconde emporte l’extension du
reste à vivre aux cautions solidaires. Cette mesure ayant été insérée dans une
disposition relative au bénéfice de discussion, qui appartient uniquement à la caution
simple, l’expression « en toute hypothèse » viserait à évincer toute distinction tenant
1121 Commission de l’Assemblée Nationale (Doc. AN, n°856, 21 avril 1998, p. 53) : « les
créanciers qui contestent la validité d’une créance doivent indiquer si la créance en cause a
donné lieu à une caution et si celle-ci a été actionnée ». 1122 En faveur d’une application générale de l’article L. 331-3 du Code de la consommation,
cf. F. CREDOT, La prévention du surendettement et la réforme du cautionnement, LPA 27
mai 1999, n°101, p. 29 ; D. LEGEAIS, La réforme du cautionnement par la loi du 29 juillet
1998 relative à la lutte contre les exclusions, JCP 1998, éd. E., p. 1724, n°38 1123 En ce sens, cf. S. PIEDELIEVRE, Le cautionnement dans la loi relative à la lutte contre
les exclusions, JCP 1998, I, 170, n°20
à la nature du cautionnement1124. Compte tenu de la finalité sociale assignée au reste
à vivre, il est probable que les juges en fassent profiter toutes les cautions personnes
physiques. Ce résultat aurait pu être atteint, sans aucune « malfaçon législative »1125
et, par conséquent, en évitant un contentieux nuisible à l’efficacité du
cautionnement, si le législateur, plutôt que d’utiliser une expression équivoque dans
une disposition inappropriée, avait inscrit le reste à vivre dans un nouvel article à
indice du Code civil consacré aux effets du cautionnement1126, voire dans un nouvel
article de la loi du 9 juillet 1991 relative aux voies d’exécution1127.
encore au sein de l’article 2016 alinéa 2 du Code civil. En effet, le terme
« évolution » semble limiter l’obligation d’information annuelle aux seuls cas dans
lesquels la créance garantie a subi un changement, alors que le législateur, en 1998,
a paru vouloir étendre le plus possible cette obligation. Pour éviter toute difficulté
d’interprétation, il eût été plus judicieux d’exiger, comme dans les articles L. 313-22
du Code monétaire et financier et L. 341-6 du Code de la consommation, une
information sur les sommes restant dues par le débiteur1128.
514. Si le vocabulaire usuel peut donc être source de contentieux lorsqu’il est
employé avec une certaine légèreté, le vocabulaire juridique peut aussi
compromettre l’efficacité du cautionnement, lorsque le législateur ne prend pas la
peine d’en dissiper l’éventuelle équivocité.
2. L’emploi de notions juridiques équivoques
515. La polysémie n’est pas étrangère au vocabulaire juridique. Afin de
renforcer, tant la compréhension des règles de droit, que le respect des prévisions
des parties, le législateur devrait veiller, soit à recourir à des notions juridiques non
équivoques, soit à préciser le sens qu’il convient d’attribuer à des notions sujettes à
interprétation. Ce souci de clarté ne caractérisant pas toujours le travail législatif,
l’efficacité du cautionnement se trouve fragilisée.
516. La distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et les
exceptions purement personnelles au débiteur (articles 2012 et 2036 du Code
civil). Au titre des imperfections originelles, il est permis de citer, tout d’abord, la
1124 En ce sens, cf. B. AUBERT, Les modifications apportées par la loi d’orientation du 29
juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, Rev. proc. coll., juin 1999, p. 87 ; F.
CREDOT, art. préc., p. 30 ; D. LEGEAIS, art. préc., n°30 ; J. FRANÇOIS, n°259 ; Ph.
SIMLER, n°495 1125 F. CREDOT, ibid., p. 30 1126 F. CREDOT (ibid., p. 30) a remarqué que le reste à vivre aurait été mieux à sa place dans
l’article 2021 du Code civil. Cet emplacement nous paraît présenter le même défaut que celui
reproché au législateur, puisque cet article concerne également le bénéfice de discussion. 1127 En ce sens, cf. Ch. JUBAULT, Les exceptions dans le Code civil, à la frontière de la
procédure et du fond, LPA 15 janvier 2003, n°11, p. 4 à 17 et LPA 17 janvier 2003, n°13,
p. 4 à 14, n°93.
Cette solution aurait certes évité l’ambiguïté dénoncée, mais elle aurait présenté
l’inconvénient, en termes d’efficacité du cautionnement, de contribuer au phénomène
d’éclatement de la législation applicable à ce contrat. 1128 En ce sens, cf. B. AUBERT, art. préc., p. 84 ; D. LEGEAIS, art. préc., n°15
distinction entre les exceptions purement personnelles au débiteur et celles
inhérentes à la dette, présente dans les articles 2012 et 2036 du Code civil. La
frontière entre ces deux catégories d’exceptions étant difficile à tracer, et la loi
n’ayant pas suffisamment exploité la technique de l’exemplarité1129, la jurisprudence
a pu utiliser le flou de cette distinction pour protéger les intérêts, soit des créanciers,
soit des cautions, sans aucune prévisibilité.
517. Les conditions d’application du bénéfice de subrogation. Le manque
de clarté est également manifeste dans l’article 2037 du Code civil. Le législateur a
en effet eu recours à deux formules particulièrement vagues, à savoir les « droits »
dans lesquels la caution peut être subrogée, et le « fait du créancier ». A la lecture du
seul article 2037, les créanciers et les cautions ne peuvent percevoir les droits et
libertés que ce texte concrétise à leur encontre ou à leur profit. L’inintelligibilité de
cette disposition compromet la rationalité des choix comportementaux des
créanciers. L’interprétation jurisprudentielle étant nécessaire1130, ceux-ci risquent, en
outre, de se voir reprocher un comportement dont le caractère répréhensible n’était
pas prévisible.
518. La notion de cautionnement indéfini (article 2016 du Code civil).
L’obscurité caractérise aussi l’expression « cautionnement indéfini », figurant à
l’article 2016 du Code civil. Deux interprétations peuvent en être données. La
première, restrictive, que la première Chambre civile de la Cour de cassation a
retenue pour déterminer le contenu de la mention manuscrite, consiste à ne qualifier
d’indéfinis que les engagements garantissant des sommes ne pouvant être chiffrées
au moment de l’acte1131. La seconde, plus large, qu’a d’abord préconisée la
doctrine1132, et qu’a ensuite adoptée la Chambre commerciale1133, étend le
qualificatif indéfini à tous les cautionnements de dettes déterminées ou seulement
déterminables ne comportant pas de limite propre. Alors même que le législateur, en
1998, a étendu l’obligation d’information annuelle à toutes les cautions personnes
physiques ayant souscrit un cautionnement indéfini, il n’a pas pris la peine de lever
cette difficulté d’interprétation en insérant dans le nouvel article 2016 alinéa 2 du
Code civil l’une des deux définitions précitées. Il appartient donc à la jurisprudence
de préciser ce qu’il faut entendre par cautionnement indéfini dans le cadre de
l’obligation d’information annuelle1134, au risque que cette définition ne soit pas la
même que celle privilégiée en application de l’article 1326 du Code civil. 1129 Sur l’interprétation de l’exemple de la minorité donné par l’article 2012 alinéa 2 du Code
civil, cf. infra n°588 1130 Sur l’interprétation de l’article 2037 dans un sens favorable aux créanciers, cf. supra
n°459, et dans un sens favorable aux cautions, cf. infra n°607 1131 Cass. 1ère civ., 8 décembre 1987 : D. 1988, Somm., p. 271, obs. AYNES 1132 Cf. supra n°319 1133 Cass. com., 16 mars 1999 : Bull. civ. IV, n°59. Dans cet arrêt, la Chambre commerciale a
jugé que le cautionnement pur et simple d’un prêt est un cautionnement indéfini, et que la
caution est, par conséquent, tenue des accessoires, par application de l’article 2016 du Code
civil. 1134 La loi du 1er août 2003 ayant encore élargi le champ d’application de l’obligation
d’information annuelle, le domaine de l’article 2016 alinéa 2 est aujourd'hui résiduel. La
jurisprudence devrait donc avoir moins l’occasion de discuter de la signification de
l’expression « cautionnement indéfini ».
519. Les conditions d’application de l’obligation d’information annuelle
(article L. 313-22 du Code monétaire et financier). Dans les textes récents, les
notions juridiques équivoques sont également légion. Il en va ainsi de l’article 48 de
la loi du 1er mars 1984 (article L. 313-22 du Code monétaire et financier), dont la
plupart des termes ont nécessité des éclaircissements.
Celui d’ « entreprise », tout d’abord, est particulièrement équivoque. La
qualification d’entreprise suppose-t-elle la qualité de commerçant ? La personnalité
morale ? La poursuite d’un but lucratif ? Un contentieux important s’est nourri de
ces questions. La Cour de cassation a paru vouloir tarir cette source de contestations
en donnant une définition unitaire de l’entreprise reposant sur le critère de l’activité
économique1135. Dans la mesure où ce critère est lui-même flou et difficilement
opératoire1136, la notion d’entreprise risque de continuer à alimenter le contentieux,
dans le champ restreint qu’est aujourd'hui celui de l’article L. 313-22 du Code
monétaire et financier1137.
L’expression « sous la condition du cautionnement », inscrite dans l’article 48
de la loi du 1er mars 1984, est également « source de difficultés insondables » et
« donne lieu à une interprétation capricieuse »1138. L’obligation d’information doit-
elle être respectée lorsqu’un cautionnement est exigé lors de l’ouverture d’un
compte courant, mais avant tout découvert ? Le cautionnement omnibus peut-il être
considéré comme la condition de crédits accordés plusieurs années après sa
constitution ? Plus généralement, le terme « condition » doit-il être entendu dans un
sens juridique précis ou plutôt comme synonyme d’une expression plus neutre, telle
que « sous le couvert du cautionnement » ? L’emploi d’une notion juridique
1135 Cass. 1ère civ., 12 mars 2002 (3 arrêts) : Bull. civ. I, n°86. Dans ces trois arrêts, la Cour de
cassation a décidé de faire application de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier en
présence de : prêts accordés en vue de l’achat d’un portefeuille d’assurance (l’agent
d’assurance libéral n’est pas un commerçant ; la personnalité morale est inexistante ; un but
lucratif est poursuivi) ; prêts accordés à une SCI (groupement non commerçant, ayant la
personnalité morale, à but lucratif) ; prêts octroyés à une association à vocation religieuse
(groupement commerçant, ayant la personnalité morale, à but non lucratif). La Haute
juridiction a considéré qu’une activité économique était exercée dans les trois cas. Elle a
confirmé cette solution au sujet de l’activité libérale des notaires (Cass. 1ère civ., 23 mars
2004 : Bull. civ. I, n°94) et à l’égard d’une SCI (Cass. 1ère civ., 5 mai 2004 : RJDA 10/04,
n°1163). Le critère de l’activité économique est également celui retenu par la Cour de justice
des communautés européennes, dans le contexte du droit de la concurrence (cf. CJCE 23 avril
1991, Höfner et Elser, aff. 41/90, Rec. 1991, p. I. 1979).
La Cour de cassation décide, en outre, qu’il importe peu que le prêt soit qualifié de personnel
s’il profite, en réalité, à une entreprise et que cette destination est expressément entrée dans le
champ contractuel (prêt souscrit par des époux ayant vocation à être incorporé dans une
SARL par voie d’augmentation de capital). En ce sens, cf. Cass. 1ère civ., 29 juin 2004 : Bull.
civ. I, n°186 1136 En ce sens, cf. S. SCHILLER, La définition de l’entreprise au secours de la caution (à
propos des arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation du 12 mars 2002),
RD bancaire et financier 2002, n°3, p. 154 et s., n°19 et 20 1137 Le contentieux relatif à l’interprétation de l’article L. 313-22 du Code monétaire et
financier ne portera désormais que sur les cautionnements donnés par une personne morale
pour garantir un concours financier à une entreprise accordé par un établissement de crédit,
puisque ceux fournis par des personnes physiques sont aujourd'hui soumis à l’article L. 341-6
du Code de la consommation. 1138 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°272
complexe, là où le vocabulaire courant est suffisant à la compréhension de la règle
de droit formulée, étant une source d’obscurité inutile, le législateur aurait été mieux
inspiré, soit de recourir à la langue ordinaire, soit d’indiquer plus précisément le
sens juridique qu’il convenait d’assigner à l’expression litigieuse.
520. Le caractère « manifeste » de la disproportion (articles L. 313-10 et
L. 341-4 du Code de la consommation). Dans les articles L. 313-10 et L. 341-4 du
Code de la consommation, c’est le terme « manifeste », qualifiant la disproportion,
qui est l’ « occasion de chicane »1139. On peut notamment se demander si le
cautionnement est manifestement disproportionné lorsque la caution ne peut pas
l’honorer sur ses revenus, ou s’il ne l’est qu’à la condition que l’exécution soit
impossible, même après la vente de tous les biens de la caution. « En ne définissant
pas suffisamment ce qu’est un cautionnement proportionné, la loi réintroduit
l’imprévisibilité là où elle devrait avoir pour souci essentiel de la pourchasser »1140.
521. La notion de créancier professionnel (articles L. 341-1 à L. 341-6 du
Code de la consommation). L’expression « créancier professionnel », utilisée pour
la première fois en 1998, dans l’article L. 341-1 du Code de la consommation, a été
reprise par la dernière réforme du cautionnement en date du 1er août 2003, alors
même qu’elle est spécialement ambiguë. Deux interprétations sont envisageables1141.
La plus restrictive consisterait à n’imposer les diverses contraintes des articles L.
341-1 à L. 341-6 du Code de la consommation qu’aux établissements de crédit. La
plus large y soumettrait les personnes qui, à l’occasion de leurs activités
professionnelles, sont amenées à consentir un crédit et à se faire garantir par un
cautionnement1142. Si la jurisprudence souhaite conférer aux obligations nouvelles la
portée la plus large possible, afin de protéger le plus grand nombre de cautions
1139 J. DEVEZE, Du mauvais usage de la loi en matière de cautionnement. Petit guide des
effets pervers (avérés ou potentiels) de quelques dispositions récentes, Mélanges P. Vellas,
Recherches et réalisation, Pédone, 1995, p. 391. Dans le même sens, cf. D. HOUTCIEFF, art.
préc., n°26 ; S. PIEDELIEVRE, La réforme de certains cautionnements par la loi du 1er août
2003 (loi pour l’initiative économique), Defrénois 2003, article 37837, p. 1371 et s., n°18
Pour des exemples d’appréciation de la disproportion en jurisprudence, cf. O. CUPERLIER et
A. GORNY, L’engagement disproportionné de la caution. Après la loi n°2003-721 du 1er
août 2003 sur l’initiative économique (Réflexions et statistiques), JCP 2004, éd. E, 1475 1140 M. BEHAR-TOUCHAIS, Le banquier et la caution face à la défaillance du débiteur,
RTD civ. 1993, p. 739 1141 En ce sens, cf. L. AYNES, La réforme du cautionnement par la loi Dutreil, Droit et
patrimoine 2003, n°120, p. 29 et 30 ; F. CREDOT, La prévention du surendettement et la
réforme du cautionnement, LPA 27 mai 1999, n°101, p. 35 ; D. LEGEAIS, La réforme du
cautionnement par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, JCP 1998,
éd. E., p. 1724, n°21 ; D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège d’un nouveau droit
du cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au cautionnement introduites par
les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et sur la ville, JCP 2003, éd. E,
p. 1610 et s, n°10 ; F. PASQUALINI, L’imparfait nouveau droit du cautionnement, LPA 3
février 2004, n°24, p. 3 et s., n°12 ; S. PIEDELIEVRE, Le cautionnement dans la loi relative
à la lutte contre les exclusions, JCP 1998, I, 170 , n°14 1142 Cette seconde interprétation se rapproche de la conception du professionnel retenue en
matière de clause abusive, puisque la Cour de cassation privilégie en ce dernier domaine le
« rapport direct » existant entre la créance et l’activité professionnelle.
personnes physiques, ce qui semble le plus probable au vu de l’actuelle politique
jurisprudentielle de protection de ces cautions, elle devrait privilégier la seconde
interprétation. Il est regrettable que le législateur de 1998 n’ait pas lui-même opté
plus nettement en faveur de l’une des deux solutions et que celui de 2003 n’ait
modifié aucune des imperfections, qui avaient pourtant été fustigées par la doctrine.
522. Plus de précisions dans l’utilisation de la langue ordinaire et dans
l’emploi du vocabulaire juridique éviteraient que les règles de droit ne demeurent
incomprises et que les attentes des créanciers ne soient déjouées. L’obscurité des
textes, qui contribue à rendre le cautionnement inefficace, n’est pas seulement la
conséquence de malfaçons tenant au « vocabulaire déficient » utilisé1143. Elle résulte
également d’omissions.
B/ LES OBSCURITES PAR OMISSION
523. S’il est vrai que le caractère général de la loi s’oppose à ce que le
législateur entre dans le détail de toutes les situations de fait qu’il régit, il ne permet
pas d’expliquer, en revanche, nombre d’oublis législatifs qui affectent l’efficacité du
cautionnement, non seulement en ce qu’ils limitent la rationalité des choix des
créanciers, mais aussi en ce qu’ils favorisent la remise en cause des prévisions
intrinsèques des parties.
Il est possible de distinguer deux degrés dans les omissions législatives.
L’omission peut être ponctuelle et ne concerner que certains éléments du régime
d’une règle de droit déterminée (1). Elle peut également être plus générale et se
traduire par l’oubli du cautionnement lui-même au sein d’une réglementation où il
aurait pourtant toute sa place, à savoir le droit du surendettement (2).
1. Les oublis législatifs ponctuels
524. Le manque de clarté des textes peut résulter de leur incomplétude. Celle-
ci peut affecter le champ d’application d’une règle, ses modalités d’exécution, ou
encore sa sanction.
525. Le droit transitoire. Les oublis législatifs relatifs au champ
d’application d’une règle concernent, tout d’abord, le droit transitoire. Le législateur
ne prend pas toujours la peine de préciser si les contrats conclus avant l’entrée en
vigueur d’une loi nouvelle seront immédiatement soumis à celle-ci, ou s’ils
demeureront régis par la loi ancienne. Une telle omission caractérise la loi du 1er
mars 1984, qui est restée muette sur l’application dans le temps du nouvel article
2037 du Code civil, celle du 29 juillet 1998, qui ne comporte pas non plus de
disposition transitoire, et enfin celle du 1er août 2003. L’article 12 de ce dernier texte
prévoit certes une entrée en vigueur différée pour certaines dispositions1144, mais les
1143 F. OST, L’amour de la loi parfaite, in L’amour des lois, la crise de la loi moderne dans
les sociétés démocratiques, éd. Les presses de l’Université de Laval, L’Harmattan, 1996, p. 53 1144 Article 12 de la loi du 1er août 2003 : « Les articles L. 341-2, L. 341-3, L. 341-5 et L. 341-
6 du Code de la consommation entrent en vigueur six mois après la publication de la présente
loi ». Ce « sursis » doit permettre aux créanciers professionnels de remettre à jour leurs
formulaires et contrats types (en ce sens, cf. V. AVENA-ROBARDET, Réforme inopinée du
cautionnement, D. 2003, chron., p. 2083 ; D. HOUTCIEFF, Les dispositions applicables au
problèmes de droit transitoire ne sont pas réglés1145. Cette omission constitue un
facteur d’inefficacité à un double titre : d’une part, elle empêche les créanciers
d’avoir connaissance des règles leur permettant d’opérer des choix présentant le
meilleur rapport coût / avantage ; d’autre part, elle risque de se traduire par une
remise en cause des prévisions des parties.
526. La qualité de la caution. Les mêmes griefs peuvent être formulés
lorsque le législateur vise « les cautions » ou encore « les cautions personnes
physiques », sans autre précision. La question se pose alors de savoir si aucune
distinction ne peut être opérée ou si, au contraire, les juges peuvent être amenés à
retenir un régime différencié, notamment pour les cautions personnelles et les
cautions réelles1146, ou pour les cautions profanes et celles intégrées dans les affaires
du débiteur principal.
L’omission de la « cause » de l’obligation de couverture de la caution jette ainsi
le trouble sur le champ d’application des nouveaux articles L. 341-2 à L. 341-6 du
Code de la consommation1147. Au soutien de leur application aux seules cautions
personnes physiques étrangères à l’activité du débiteur principal, plusieurs
arguments peuvent être avancés. Tout d’abord, l’absence de distinction au sein des
cautions personnes physiques n’est pas conforme à la jurisprudence de ces dernières
années, qui a institué, au contraire, un régime plus sévère à l’encontre des dirigeants
cautionnement issues de la loi pour l’initiative économique, JCP 2003, I, 161, n°3 ; S.
PIEDELIEVRE, La réforme de certains cautionnements par la loi du 1er août 2003 (loi pour
l’initiative économique), Defrénois 2003, article 37837, p. 1371 et s., n°4). 1145 Sur les solutions que la jurisprudence pourrait adopter, cf. supra n°507 1146 La question se pose notamment au sujet des nouveaux articles L. 341-2 à L. 341-6 du
Code de la consommation. Dans la mesure où la Cour de cassation reconnaît au
cautionnement réel une nature mixte (Cass. 1ère civ. 15 mai 2002 : Bull. civ. I, n°129), elle
pourrait le soustraire à ces nouvelles dispositions. En ce sens, cf. D. LEGEAIS, Le Code de la
consommation siège d’un nouveau droit du cautionnement. Commentaire des dispositions
relatives au cautionnement introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative
économique et sur la ville, JCP 2003, éd. E, p. 1610 et s, n°7 ; F. PASQUALINI, L’imparfait
nouveau droit du cautionnement, LPA 3 février 2004, n°24, p. 3 et s., n°9 1147 Sur le débat relatif à l’application de ces nouveaux textes aux dirigeants cautions, cf. V.
AVENA-ROBARDET, art. préc., p. 2083 ; L. AYNES, La réforme du cautionnement par la
loi Dutreil, Droit et patrimoine 2003, n°120, p. 29 ; D. BAKOUCHE, La proportionnalité
dans le cautionnement à l’épreuve de la loi et de la jurisprudence, Contr., conc., consom.
avril 2004, p. 7 et s., n°9 ; S. CASTAGNE, La création d’entreprise en questions-réponses ou
la liberté d’entreprendre (L. n°2003-721 pour l’initiative économique, 1er août 2003), JCP
2004, éd. N., 1175, n°54 ; P. CROCQ, RTD civ. 2004, p. 122 ; Ph. DELEBECQUE, Le
cautionnement et le Code civil : existe-t-il encore un droit du cautionnement ?, RJ com. 2004,
p. 226 et s., n°12 ; D. HOUTCIEFF, art. préc., n°2, 19 ; D. LEGEAIS, ibid., n°9 ; C.
LEGUEVAQUES, Où va le cautionnement ?, LPA 21 mai 2004, n°102, p. 3 et 4 ; F.
PASQUALINI, ibid., n°6 et 7 ; Y. PICOD, Proportionnalité et cautionnement. Le mythe de
Sisyphe, Liber amicorum J. Calais-Auloy, Etudes de droit de la consommation, Dalloz, 2004,
p. 843 et s. ; S. PIEDELIEVRE, art. préc., n°3 ; A. PRÜM, Protéger les cautions contre
elles-mêmes !, RD bancaire et financier 2003, n°5, p. 269 ; J.-Y. RODIERE-GRANGER,
Réforme du droit du cautionnement (à propos de la loi n°721 du 1er août 2003 pour
l’initiative économique), LPA 27 octobre 2003, n°214, p. 4 ; Ph. SIMLER, JCP 2003, I, 176,
n°1
cautions1148. Ensuite, l’insertion des nouvelles dispositions dans le Code de la
consommation, et non dans le Code civil, en restreint la portée, même s’il est vrai
que le premier de ces codes ne délimite pas son champ d’application ratione
personae. Enfin, c’est la contradiction entre l’objectif affiché d’aide à « la création
et à la reprise d’entreprise » et les difficultés de financement que vont rencontrer les
entreprises, qui ne pourront proposer aux établissements de crédit le cautionnement
efficace de leurs dirigeants, qui incite à priver ceux-ci des protections nouvelles.
Cependant, une telle exclusion est rien moins que certaine, dans la mesure où,
tant l’esprit, que la lettre de la réforme, militent en faveur de son application
indifférenciée. En effet, l’intégration des nouveaux textes dans une loi sur l’initiative
économique, qui permet notamment la constitution d’une SARL sans capital social
et qui protège la résidence principale de l’entrepreneur individuel, atteste de la
volonté du législateur de protéger les créateurs d’entreprise. C’est pour cette raison
d’ailleurs que le rapporteur de la loi au Sénat s’est déclaré favorable à la protection
des dirigeants cautions1149. Si la loi entend par ailleurs limiter le risque de
surendettement, l’expérience professionnelle, le pouvoir, l’intérêt de la caution ne
devraient pas être pris en compte. S’agissant de la lettre de la réforme, elle conduit
également à la protection de toutes les cautions personnes physiques, puisque la loi
du 1er août 2003 ne comporte aucune restriction à leur égard, alors que des
précisions ont au contraire été apportées en matière d’usure1150, et que la protection
du conjoint de l’entrepreneur individuel est par ailleurs expressément visée1151.
Le champ d’application des nouvelles dispositions intéressant le cautionnement
est donc rendu incertain par l’absence de précision quant à la « cause » de
l’obligation de couverture de la caution, ce qui ne manquera pas d’occasionner un
contentieux et d’affecter l’efficacité du cautionnement.
527. Les modalités d’exécution des obligations d’information de la
caution. L’incomplétude est également très fréquente relativement aux modalités
d’exécution d’une règle. C’est tout d’abord le cas des contraintes imposées aux
créanciers. Aucune des dispositions faisant peser sur ces derniers une obligation
d’information de la caution ne précise comment ils doivent remplir leur devoir. Un
contentieux particulièrement abondant s’est développé, pour cette raison, au sujet de
l’obligation d’information de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier1152,
et ne manquera sans doute pas d’apparaître relativement aux obligations instituées
par les lois du 29 juillet 19981153 et 1er août 2003. 1148 Sur les hypothèses dans lesquelles la jurisprudence prend en compte la qualité de caution
avertie, cf. supra n°447, 458, 465, 466, 477 1149 Dans le souci de renforcer la protection des entrepreneurs, la commission mixte paritaire a
souhaité renforcer la protection des personnes qui se portent cautions. 1150 L’article 32 de la loi précise que les articles L. 313-3 à L. 313-6 du Code de la
consommation ne s’appliquent pas aux prêts accordés à une personne morale se livrant à une
activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale. 1151 L’article 8 de la loi complète le titre II du livre V du Code de commerce par un chapitre
VI intitulé « De la protection de l’entrepreneur individuel et du conjoint » (nouveaux articles
L. 526-1 à L. 526-4 du Code de commerce). 1152 Cf. infra n°608 1153 En ce sens, cf. F. CREDOT, art. préc., p. 35 ; D. LEGEAIS, La réforme du cautionnement
par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, JCP 1998, éd. E., p. 1724,
n°25
528. Les mentions manuscrites requises ad validitatem. Les mentions
manuscrites exigées à peine de nullité du cautionnement sont également obscures en
raison des non-dits du législateur. La rédaction de l’article L. 313-8 du Code de la
consommation soulève ainsi de multiples interrogations1154, qui valent aussi pour
l’article L. 341-3 du même code, puisqu’il n’en est que la reproduction1155. Pourquoi
ces textes visent le bénéfice de discussion, mais restent muets sur le bénéfice de
division, qui n’est pas moins important, ainsi que sur la stipulation d’indivisibilité,
qui accompagne souvent la clause de solidarité, et dont la signification aurait mérité
d’être rappelée ? Pourquoi les articles L. 313-7 et L. 341-2 du Code de la
consommation réservent expressément leurs exigences aux cautionnements conclus
sous seing privé et que cette précision fait défaut dans les articles L. 313-8 et L. 341-
3? Ce genre d’inadvertance1156 du législateur ne peut qu’inciter les cautions de
mauvaise foi à contester leur engagement1157, et à rendre, par là même, plus onéreuse
la protection des intérêts des créanciers.
La mention manuscrite imposée par l’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989
apparaît également lacunaire sur deux points. D’une part, le législateur n’a pas exigé
que le montant du loyer soit écrit de la main de la caution en chiffres et en lettres,
comme l’impose, au contraire, l’article 1326 du Code civil. D’autre part, seul le
montant du loyer a retenu l’attention du législateur, à l’exclusion de celui des
charges. Là encore, ces oublis risquent d’engendrer des contentieux inutiles et de
grever l’efficacité du cautionnement.
529. Les observations de la caution faites à la commission de
surendettement. Un dernier exemple d’imprécision relative aux modalités
d’exécution d’une règle peut être tiré de l’article L. 331-3 du Code de la
consommation. « Ce texte lacunaire et imprécis sera inévitablement source de
difficultés »1158 car, s’il permet à la caution, informée de l’ouverture d’une procédure
de surendettement contre le débiteur principal, de « faire connaître par écrit à la
commission ses observations », la loi ne précise pas la nature de ces observations,
non plus que leur portée. La question se pose notamment de savoir si ces
observations seront opposables au créancier poursuivant1159.
1154 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, Prévention et dispositif de protection de la caution, LPA 10
avril 2003, n°72, p. 22 ; Ph. SIMLER, n°260 1155 Sur les imperfections formelles des articles L. 313-8 et L. 341-3 du Code de la
consommation, cf. V. AVENA-ROBARDET, art. préc., p. 2085 ; D. HOUTCIEFF, art. préc.,
n°9, 13 ; S. PIEDELIEVRE, art. préc., n°11, 12 ; J. FRANÇOIS, n°172 et 175 1156 C’est l’explication qu’a donnée le Conseil supérieur du notariat dans un avis du 4 mai
1990 (JCP 1990, éd. N, prat., p. 1471). 1157 La question a déjà été soumise à la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 1er février 2002 :
BRDA 2002, n°5, p. 14), puis à la première Chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 1ère
civ., 24 février 2004 : Bull. civ. I, n°60), qui ont décidé que l’article L. 313-8 du Code de la
consommation ne s’applique qu’aux actes sous seing privé, à l’exclusion des actes
authentiques. 1158 D. LEGEAIS, La réforme du cautionnement par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte
contre les exclusions, JCP 1998, éd. E., p. 1724, n°35 1159 En faveur d’une réponse négative, cf. D. LEGEAIS, ibid., n°36
530. La sanction des obligations d’information imposées par l’article L.
331-3 du Code de la consommation. Ce même article L. 331-3 du Code de la
consommation peut être cité au titre des omissions concernant la sanction d’une
règle de droit. En effet, aucune sanction spécifique n’est prévue en cas de non
respect par la commission de son obligation d’informer la caution de l’ouverture
d’une procédure contre le débiteur principal. S’il paraît peu probable que cette
inexécution emporte la décharge de la caution, ou la remise en cause des mesures
adoptées par la commission, on peut se demander si les juges indemniseront la
caution pour avoir perdu une chance de bénéficier de l’appui de la commission, ou
de contester la créance plus facilement qu’après l’assignation du créancier1160.
L’obligation faite aux créanciers d’informer la commission de l’existence d’un
cautionnement et d’une éventuelle action contre la caution n’est également assortie
d’aucune sanction. Le projet de loi initial envisageait la caducité du cautionnement.
Au cours des débats parlementaires, la caducité étant apparue trop lourde, compte
tenu du fait que la formalité mise à la charge des créanciers est somme toute
accessoire, toute sanction a été supprimée. L’orientation ainsi prise lors des travaux
préparatoires devrait dissuader les juges de raisonner par analogie avec le défaut de
déclaration de la créance dans le cadre d’une procédure collective, et donc de
prononcer la déchéance des droits du créancier contre la caution. Reste à savoir si
les juges ne retiendront aucune sanction, ou s’ils feront application du droit commun
de la responsabilité civile1161. Une telle incertitude fragilise incontestablement les
choix comportementaux des créanciers, et fait planer un sérieux doute sur la
réalisation de la finalité assignée au contrat conclu.
531. La sanction du non respect du principe de subsidiarité de l’article L.
313-21 du Code monétaire et financier. Un autre texte est muet sur la sanction de
l’obligation qu’il impose aux créanciers. Il s’agit de l’article L. 313-21 du Code
monétaire et financier (article 47-I de la loi du 11 février 1994), qui exige des
établissements de crédit se proposant d’accorder un concours financier à un
entrepreneur individuel, moyennant une ou des garanties réelles ou personnelles
consenties par une personne physique, d’informer ledit entrepreneur de la possibilité
qu’il a d’affecter en priorité en garantie les « biens nécessaires à l’exploitation de
l’entreprise ». Une sanction est certes prévue, mais son domaine est restreint,
puisque l’article précité retient que le créancier ne peut se prévaloir des garanties
prises, que dans ses seules « relations avec l’entrepreneur ». Une caution constituée,
alors même que l’obligation d’information n’aurait pas été respectée, n’aurait donc,
aux termes de cette disposition, aucun recours possible pour invalider son
engagement. Le cautionnement serait opposable à la caution, et ne le serait pas au
débiteur principal. Il est probable que les juges vont chercher à réparer l’oubli du
législateur et à éviter, en conséquence, « la solution aberrante » à laquelle cette
1160 Certains auteurs admettent ce préjudice (cf. F. CREDOT, art. préc., p. 29), d’autres
considèrent que la caution ne perd aucune de ses prérogatives et ne subit aucun préjudice (cf.
D. LEGEAIS, ibid., n°37). 1161 En faveur de cette dernière solution, cf. B. AUBERT, art. préc., p. 86 ; D. LEGEAIS,
ibid., n°39 ; S. PIEDELIEVRE, Le cautionnement dans la loi relative à la lutte contre les
exclusions, JCP 1998, I, 170, n°13
omission conduit, à savoir que « la sanction de la violation de l’obligation frappe
ceux que son exécution devrait protéger »1162.
532. Les sanctions reprises par la loi du 1er août 2003. L’omission relative
aux sanctions est encore présente dans la loi du 1er août 2003, car le législateur n’a
pas profité de la réforme pour dissiper les incertitudes entourant l’interprétation des
textes qui ont servi de modèle à la loi nouvelle.
Ainsi, la nature de la nullité sanctionnant l’irrégularité de la mention
manuscrite de l’article L. 341-2 du Code de la consommation n’est pas précisée,
alors que la question se posait déjà au sujet de la mention imposée par l’article L.
313-71163.
Deux oublis concernent également la sanction de l’obligation d’information
annuelle de l’article L. 341-6 du Code de la consommation. En premier lieu, ce texte
est muet sur la possibilité ou non d’octroyer des dommages et intérêts
complémentaires. Cela montre que « le législateur n’a tiré aucune leçon des
difficultés passées »1164 relatives à l’article L. 313-22 du Code monétaire et
financier1165. En second lieu, l’article L. 341-6 ne comportant pas la règle
d’imputation ajoutée à l’article L. 313-22 par la loi du 25 juin 19991166, on peut se
demander si le législateur va rapidement intervenir pour combler cet oubli
involontaire ou si la différence de sanction va perdurer entre les deux textes, ajoutant
ainsi de l’incohérence à l’obscurité.
533. En présence d’oublis législatifs, qu’ils portent sur le champ
d’application, sur les modalités d’exécution, ou sur la sanction d’une règle de droit,
la rationalité des choix des créanciers se trouve toujours limitée, ce qui compromet
l’adéquation entre les deux niveaux d’attentes subjectives, et la stabilité des
prévisions des parties est incertaine, ce qui rend aléatoire l’adéquation entre la
finalité assignée au contrat conclu et les effets qu’il produit. Si l’inefficacité est ainsi
favorisée par des oublis ponctuels, elle l’est également par l’ignorance dans laquelle
le législateur tient le cautionnement dans une hypothèse particulièrement sensible, à
savoir le surendettement du débiteur principal.
2. Le cautionnement oublié par le droit du surendettement
534. Les dispositions du droit du surendettement intéressant le
cautionnement. Alors que le droit des procédures collectives comporte de
nombreuses dispositions définissant le sort des cautions en cas de redressement ou
1162 J. DEVEZE, Du mauvais usage de la loi en matière de cautionnement. Petit guide des
effets pervers (avérés ou potentiels) de quelques dispositions récentes, Mélanges P. Vellas,
Recherches et réalisation, Pédone, 1995, p. 384 1163 La doctrine est partagée sur la nature de la nullité de l’article L. 341-2. En faveur d’une
nullité relative, cf. V. AVENA-ROBARDET, art. préc., p. 2085 ; L. AYNES, art. préc.,
p. 31 ; A. PRÜM, art. préc., p. 270. En faveur d’une nullité absolue, cf. S. PIEDELIEVRE,
art. préc., n°10 1164 D. HOUTCIEFF, art. préc., n°32. Cet auteur poursuit en remarquant qu’ « à légiférer
comme sur du vide, le risque est grand de légiférer dans le vide ». 1165 Sur le contentieux portant sur un éventuel cumul entre l’article L. 313-22 du Code
monétaire et financier et l’allocation de dommages et intérêts, cf. supra n°458 1166 Sur cette règle d’imputation, cf. infra n°620
de liquidation judiciaire de l’entreprise débitrice principale1167, le droit du
surendettement ne se soucie globalement pas de la situation de la caution1168. Le
cautionnement n’apparaît que dans quelques dispositions éparses, à savoir
expressément dans les articles L. 331-3, L. 331-5 alinéa 4 et L. 332-9 du Code de la
consommation et, implicitement, dans les articles L. 331-6 alinéa 3 et L. 331-7
alinéa 2 du même code.
535. Le défaut de réglementation du cautionnement d’un débiteur
surendetté : un facteur d’inefficacité. Cet oubli législatif1169 est préjudiciable aux
intérêts des créanciers1170. En effet, alors même que le surendettement du débiteur
oblige à se déterminer en faveur, soit de la protection de la caution, par application
du caractère accessoire renforcé du cautionnement, soit de la protection des intérêts
financiers des créanciers, en considération de la fonction de garantie du
cautionnement, lesdits créanciers demeurent dans l’ignorance du parti pris par le
législateur. Cela entrave la rationalité de leurs choix, lors de la formation du contrat,
et cela fragilise leurs prévisions, puisque c’est à la jurisprudence qu’il appartient de
fixer le sort des cautions en cas de surendettement du débiteur principal. Si
l’efficacité du cautionnement est favorisée par le fait que la Cour de cassation ne fait
pas supporter aux créanciers le poids des avantages octroyés au débiteur sur le
fondement de l’impératif de justice distributive1171, cette efficacité est en revanche
fragilisée par le fait que le régime du cautionnement, en cas de surendettement du
débiteur, se construit au coup par coup, sans aucune prévisibilité, et qu’il comporte
encore de nombreuses zones d’ombre. La sécurité juridique et l’efficacité du
cautionnement seraient mieux respectées si le législateur, au lieu d’approuver
implicitement les solutions jurisprudentielles, comme il l’a fait en 1998 et en 2003,
réglait expressément le sort des cautions garantissant un débiteur surendetté.
1167 Sur les dispositions faisant primer la fonction de garantie du cautionnement, cf. supra
n°491-503. Sur les dispositions ayant pour finalité de protéger les cautions, cf. infra n°560-
562 1168 La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique a complété le 1er alinéa de l’article L.
331-2 du Code de la consommation, afin d’étendre la compétence des commissions de
surendettement aux personnes physiques, autres que les dirigeants, qui cautionnent les dettes
professionnelles d’un entrepreneur individuel ou d’une société. Cette nouvelle disposition a
trait au surendettement de la caution elle-même et non à celui du débiteur principal. 1169 L’absence de prise en compte du cautionnement peut s’expliquer par le fait que le droit du
surendettement ne comprend pas une organisation collective aussi importante que celle
prévue par la loi du 25 janvier 1985, par la diversité des situations des cautions, ou encore par
le fait que les cautions personnes physiques contractant avec un créancier professionnel sont
déjà protégées par le droit de la consommation. En ce sens, cf. S. PIEDELIEVRE,
Surendettement et cautionnement, Defrénois 2000, article 37233, p. 1073 et s., n°5 ; S.
PIEDELIEVRE, Le droit à l’effacement des dettes, Defrénois 2004, article 37852, p. 14 et s.,
n°11 1170 L’absence de prise en compte de la situation de la caution constitue également une
entrave à une meilleure résolution des difficultés financières du débiteur principal, car la
caution étant souvent le conjoint de celui-ci, cette ignorance empêche d’avoir une vision
d’ensemble de la situation patrimoniale du couple. 1171 Cf. supra n°428
536. Les oublis législatifs, qu’ils soient aussi généraux que dans le cadre des
procédures de surendettement, ou qu’ils affectent plus ponctuellement certains
aspects du régime d’une règle de droit, entament la protection des intérêts des
créanciers, car ils suscitent des obscurités rendant incertaine la réalisation des
attentes de ces derniers. Ces obscurités par omission, comme les obscurités par
commission tenant à l’emploi d’un « vocabulaire déficient », constituent des défauts
formels de la loi, contribuant à rendre le cautionnement inefficace. Au titre de ces
défauts formels, il convient d’ajouter les incohérences.
§2 : LES INCOHERENCES
537. L’incohérence législative : un facteur d’inefficacité. Les incohérences
législatives entravent la compréhension des règles de droit. Elles empêchent les
créanciers d’opérer des choix conduisant à l’adéquation entre leurs attentes
subjectives initiales et les attentes nées du cautionnement effectivement conclu. Les
incohérences législatives favorisent aussi l’inefficacité du cautionnement en ce
qu’elles suscitent des divergences d’interprétation, d’une part, entre le créancier et la
caution, ce qui augmente le risque de contestation de la garantie, d’autre part, entre
les parties et les juges, ce qui déstabilise les prévisions intrinsèques des premières.
Ces incohérences législatives peuvent être repérées à deux niveaux. Tout
d’abord, l’incohérence peut se situer au sein d’une règle de droit. Elle prend alors la
forme d’une distinction injustifiée (A). Ensuite, elle peut se révéler au regard d’un
ensemble de règles ayant un même objet, mais un contenu plus ou moins différent.
Elle consiste alors dans le défaut d’harmonisation entre ces règles (B).
A/ LES DISTINCTIONS INJUSTIFIEES AU SEIN D’UNE REGLE DE DROIT
538. Le manque de justification des règles de droit : un facteur
d’inefficacité. Si la justification d’une règle de droit est difficile à cerner,
l’intelligibilité même de cette règle se trouve entravée, sa parfaite exécution est
compromise, et le risque de contentieux portant sur son interprétation est aggravé.
Autant de raisons qui permettent de dire que le manque de raison d’être d’une règle
constitue un facteur d’inefficacité du mécanisme qui lui est soumis. Plusieurs
distinctions au sein de règles régissant le cautionnement apparaissent injustifiées et
compromettent ainsi la sécurité juridique nécessaire à l’efficacité de ce contrat.
539. La distinction entre le cautionnement simple et le cautionnement
solidaire (article L. 621-65 du Code de commerce). L’article L. 621-65 du Code
de commerce interdit aux seules cautions solidaires de se prévaloir des dispositions
du plan de redressement de l’entreprise débitrice. Cette distinction entre le
cautionnement simple et le cautionnement solidaire, qui existait déjà dans l’article
35 de l’ordonnance de 1967, n’est pas le fruit d’une omission législative concernant
le régime du cautionnement simple. Elle résulte d’un amendement du
Gouvernement1172. Le Garde des sceaux, lors des travaux parlementaires1173, a en
1172 Il n’est donc pas permis d’interpréter l’article L. 621-65 « en entendant le mot même entre
caution et solidaire » (Ch. JUBAULT, Les exceptions dans le Code civil, à la frontière de la
effet indiqué que les cautions simples devaient profiter des dispositions adoptées
dans le plan, car elles jouissent du bénéfice de discussion.
Cette justification de la distinction entre le cautionnement simple et le
cautionnement solidaire est dénuée de pertinence pour plusieurs raisons. Tout
d’abord, elle résulte d’une confusion ministérielle sur le rôle du bénéfice de
discussion1174. Ensuite, même si ce bénéfice avait été correctement analysé, il ne
pourrait pas profiter à la caution simple, car les conditions strictes auxquelles il est
subordonné1175 ne peuvent être remplies si le débiteur est en état de cessation des
paiements1176. Enfin, que le cautionnement soit simple ou solidaire, il présente un
caractère accessoire renforcé. Si le législateur décide d’écarter cette règle essentielle
au profit de la fonction de garantie du cautionnement, il n’y a aucune raison pour
qu’il ne le fasse que dans le cautionnement solidaire.
Si la différence de traitement imposée par l’article L. 621-65 n’a que peu
d’incidence pratique, en raison de la rareté des cautionnements simples, surtout dans
les relations d’affaire, elle n’en est pas moins critiquable, car elle révèle le peu
d’importance que le législateur attache à la justification des règles qu’il édicte.
540. La distinction entre le cautionnement personnel et le cautionnement
réel (article L. 621-48 alinéa 2 du Code de commerce). Une autre distinction
injustifiée tenant à la nature du cautionnement, et intéressant aussi le sort de la
caution en cas de procédure collective du débiteur principal, figure à l’article L. 621-
48 alinéa 2 du Code de commerce. Ce texte n’accorde la suspension des poursuites,
consécutive au jugement d’ouverture, qu’aux seules cautions personnelles personnes
physiques. Or, comme le législateur entendait encourager les dirigeants cautions à
déposer le bilan le plus tôt possible1177, il est difficile de comprendre pourquoi ont
été exclus les cautionnements réels1178, dont la mise en œuvre peut tout autant
dissuader le dirigeant de demander l’ouverture d’une procédure collective contre son
entreprise. Cette distinction entre le cautionnement personnel et le cautionnement
réel paraît tellement dénuée de fondement que certains n’y voient que la
conséquence d’une « bévue rédactionnelle »1179.
541. La distinction entre le cautionnement à durée déterminée et le
cautionnement à durée indéterminée (article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989). Parmi les distinctions injustifiées, peuvent également être relevées celles relatives à
la durée du cautionnement. L’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 ne soumet le
procédure et du fond, LPA 15 janvier 2003, n°11, p. 4 à 17 et LPA 17 janvier 2003, n°13, p. 4
à 14, n°93). 1173 JOAN 1984, p. 1300 1174 En ce sens, cf. Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°137 1175 Sur ces conditions, cf. supra n°438 1176 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°476 1177 Pour de plus amples développements sur la justification de la suspension des poursuites et
sur son régime, cf. infra n°560-562 1178 Cette exclusion législative a déjà donné lieu à contentieux. La Cour d’appel de Colmar
(26 juin 1998 : Banque et droit mai-juin 1999, p. 42, note RONTCHEVSKY) a affirmé que
les cautions réelles ne peuvent pas profiter de la suspension des poursuites. 1179 M. STORCK, Cautionnement et procédures collectives, LPA 20 septembre 2000, n°188,
p. 34 ; J. FRANÇOIS, n°325 ; Ph. SIMLER, n°472
cautionnement à un formalisme ad validitatem1180 que s’il est à durée indéterminée.
Le cautionnement pour la durée du bail ou pour un nombre limité de périodes de
renouvellement reste soumis au droit commun. « La justification de cette
discrimination, limitant le pensum de la page d’écriture au cas de durée
indéterminée, reste obscure »1181, dans la mesure où le besoin d’information de la
caution, lors de la souscription de son engagement, existe quelle que soit la durée de
celui-ci.
542. La distinction entre le cautionnement à durée déterminée et le
cautionnement à durée indéterminée (article 47-II alinéa 2 de la loi du 11
février 1994). La même distinction relative à la durée du cautionnement figure à
l’article 47-II alinéa 2 de la loi du 11 février 1994, et se révèle pareillement
injustifiée. L’information sur l’évolution de la dette principale peut sembler inutile
en présence d’un cautionnement comportant un plafond qui lui est propre. Elle ne
l’est pas, en revanche, dans le cadre d’un cautionnement assorti d’un terme. Que la
caution soit engagée pour une durée déterminée ou pour une durée indéterminée,
l’intérêt de l’information sur l’encours de la dette principale existe. Imposer
l’information aux seuls créanciers bénéficiaires d’un cautionnement à durée
indéterminée est donc difficilement explicable1182.
543. On voit ainsi combien les distinctions injustifiées au sein d’une règle de
droit, qui résultent d’une mauvaise assimilation des caractéristiques du mécanisme
réglementé, peuvent compromettre l’efficacité de celui-ci. Ce n’est
malheureusement pas la seule forme d’incohérence législative. Il en existe
également entre des règles ayant un même objet.
B/ LE MANQUE D’HARMONISATION ENTRE LES REGLES DE DROIT
544. Une illustration topique : la loi du 1er août 2003. La cohérence
législative se reconnaît au fait que les dispositions afférentes à un objet déterminé
forment un tout logique, un système au sein duquel elles s’ajustent. L’articulation
des règles de droit ayant un objet commun est la marque de la cohérence. Au
contraire, le chevauchement des règles est l’expression de l’incohérence législative.
La dernière réforme du cautionnement illustre parfaitement ce manque
d’harmonisation entre les règles de droit, puisque la loi du 1er août 2003 pour
l’initiative économique a étendu aux cautions personnes physiques contractant avec
un créancier professionnel des protections existantes, sans se préoccuper de
l’articulation entre les anciennes et les nouvelles dispositions1183.
1180 Sur ce formalisme informatif, cf. infra n°604 1181 Ph. SIMLER, Prévention et dispositif de protection de la caution, LPA 10 avril 2003,
n°72, p. 23 ; Ph. SIMLER, n°261 1182 En ce sens, cf. D. PARDOEL, Les obligations d’information de la caution portant sur
l’évolution de la dette principale, LPA 3 juillet 2001, n°131, p. 20. Cet auteur remarque que
la durée du cautionnement n’est pas un critère pertinent par rapport à l’information sur
l’évolution de la dette principale. La distinction selon la durée du contrat de garantie n’a
d’intérêt que par rapport à l’information sur la faculté et les modalités de la résiliation. 1183 La réforme du cautionnement n’a pas été préparée et réfléchie de longue date, puisqu’elle
procède d’amendements insérés à la hâte dans la loi pour l’initiative économique. Cette
545. Les dispositions faisant double emploi. Les articles L. 313-7, L. 313-8
et L. 313-10 du Code de la consommation font aujourd'hui purement et simplement
double emploi avec les nouveaux articles L. 341-2, L. 341-3 et L. 341-4 du même
code1184. En effet, la loi de 2003 a recopié, avec tous leurs défauts, les règles
relatives aux mentions manuscrites ad validitatem et à la disproportion, en
supprimant uniquement la précision tenant à la nature de la dette garantie. Les
cautionnements de crédit à la consommation ou immobilier consentis par une
personne physique au bénéfice d’un créancier professionnel entrant dans le champ
des nouveaux textes, le droit du cautionnement aurait gagné en lisibilité, et donc en
efficacité, avec l’abrogation des dispositions de la loi du 31 décembre 19891185.
546. L’articulation entre l’article L. 341-5 du Code de la consommation et
l’article 47-II alinéa 1er de la loi du 11 février 1994. S’agissant de l’article L. 341-
5 du Code de la consommation, il doit être articulé avec l’article 47-II alinéa 1er de
la loi du 11 février 1994, qu’il reproduit. Désormais, la solidarité et la renonciation
au bénéfice de discussion sont interdites dans le cautionnement indéfini conclu entre
une personne physique et un créancier professionnel, par application de l’article L.
341-5, et dans le cautionnement indéfini souscrit par une personne physique en
garantie d’une dette d’un entrepreneur individuel envers un créancier non
professionnel, par application de la loi de 1994. Les cautionnements solidaires non
limités en montant ne sont donc valables que dans deux hypothèses : d’une part,
lorsque la caution est une personne morale, d’autre part, lorsque le cautionnement
est donné par une personne physique à un créancier non professionnel et que le
débiteur principal n’est pas un entrepreneur individuel.
547. L’articulation entre les règles nouvelles de la loi du 1er août 2003 et
celles du cautionnement commercial. Il convient de remarquer que le champ
précipitation explique en partie les nombreux défauts formels qu’elle présente. En ce sens, cf.
V. AVENA-ROBARDET, Réforme inopinée du cautionnement, D. 2003, chron., p. 2083 ; P.
CROCQ, RTD civ. 2004, p. 124 ; D. HOUTCIEFF, Les dispositions applicables au
cautionnement issues de la loi pour l’initiative économique, JCP 2003, I, 161, n°33 ; D.
LEGEAIS, Le Code de la consommation siège d’un nouveau droit du cautionnement.
Commentaire des dispositions relatives au cautionnement introduites par les lois du 1er août
2003 relatives à l’initiative économique et sur la ville, JCP 2003, éd. E, p. 1610 et s., n°1 ; F.
PASQUALINI, L’imparfait nouveau droit du cautionnement, LPA 3 février 2004, n°24, p. 3
et s., n°2 1184 L’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989, qui impose également une mention manuscrite à
peine de nullité, ne paraît pas, en revanche, affecté par la réforme. Non seulement parce que le
spécial déroge au général, mais aussi parce que les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la
consommation visent l’engagement de la caution de « rembourser » le créancier, il semble
que les mentions imposées par ces nouvelles dispositions ne concernent pas les
cautionnements de dettes locatives. En ce sens, cf. V. AVENA-ROBARDET, ibid. p. 2084 ;
D. HOUTCIEFF, ibid., n°17 ; S. PIEDELIEVRE, La réforme de certains cautionnements par
la loi du 1er août 2003 (loi pour l’initiative économique), Defrénois 2003, article 37837,
p. 1371 et s., n°9. Contra, cf. L. AYNES, La réforme du cautionnement par la loi Dutreil,
Droit et patrimoine 2003, n°120, p. 30 ; J. FRANÇOIS, n°176 1185 En ce sens, cf. V. AVENA-ROBARDET, ibid., p. 2085 ; L. AYNES, ibid., p. 33 ; D.
d’application de l’article L. 341-5 est si vaste qu’il « entame la présomption de
solidarité induite par les cautionnements commerciaux »1186. L’articulation entre les
règles nouvelles et celles du cautionnement commercial est chaotique à un autre
égard, puisque la lettre de l’article L. 341-2 permet aux personnes physiques ayant la
qualité de commerçant de se prévaloir de la mention manuscrite ad validitatem,
alors que l’article L. 110-3 du Code de commerce écarte le jeu de la mention
manuscrite probatoire lorsque le cautionnement est commercial1187.
548. L’articulation entre les différentes obligations d’information
annuelle. L’article L. 341-6 du Code de la consommation s’ajoute à la liste déjà
longue de dispositions imposant une obligation d’information annuelle sur l’encours
de la dette principale.
La multiplication de textes instaurant des contraintes similaires présente
plusieurs inconvénients en termes d’efficacité. Tout d’abord, en aboutissant à
l’éparpillement des règles de droit1188, cette multiplication entrave la connaissance
du droit applicable, et limite la rationalité des choix des créanciers. Ensuite, en
conduisant à l’adoption de règles proches, mais non parfaitement identiques, elle
engendre des difficultés de compréhension, puisqu’elle empêche les créanciers de
savoir s’ils sont effectivement soumis à une obligation et, dans l’affirmative, à
laquelle. « Toutes les distinctions devant être combinées ensemble, voilà qui est de
nature à égarer les plus hardis amateurs de labyrinthe juridique»1189. Si
l’intelligibilité de toutes les différences entre les textes proches est loin d’être chose
aisée pour les professionnels du droit, il y a fort à craindre que la plupart des
créanciers ne sachent pas précisément à quelles obligations ils sont soumis. Dans le
doute, ils peuvent décider de multiplier les diligences. Le risque est alors d’exécuter
des obligations non requises par le législateur, et donc de voir le coût de la
protection inutilement augmenter. Dans le doute, ils peuvent, au contraire, s’abstenir
de toute information, au risque, cette fois, que les cautions contestent leur
engagement (ce qui accroît, en tout état de cause, le prix de la protection), et que les
juges accueillent ces protestations (ce qui porte atteinte aux prévisions intrinsèques
des parties). Enfin, la stratification législative opérée dans le mépris de la cohérence
des règles ayant un même objet risque de faire supporter aux créanciers un cumul
d’obligations1190.
1186 D. HOUTCIEFF, ibid., n°12. En ce sens, cf. aussi D. LEGEAIS, art. préc., n°22 ; D.
LEGEAIS, RTD com. 2003, p. 798 ; J. FRANÇOIS, n°47, 71 1187 En ce sens, cf. L. AYNES, art. préc., p. 29 : « la liberté de preuve qu’institue l’article L.
110-3 du Code de commerce a peu de poids, opposée aux règles substantielles de la loi
nouvelle » ; D. HOUTCIEFF, ibid., n°19 1188 Sur l’éclatement du droit du cautionnement auquel contribue la loi du 1er août 2003, cf.
M. GERMAIN, JCP 2003, Act. 401 ; D. HOUTCIEFF, ibid., n°31 ; D. LEGEAIS, art. préc.,
n°2 ; S. PIEDELIEVRE, art. préc., n°1 ; J. FRANÇOIS, n°215 1189 F. CREDOT, La prévention du surendettement et la réforme du cautionnement, LPA 27
mai 1999, n°101, p. 27 et s., n°22 1190 Un tel cumul est susceptible de se produire dans le domaine de l’information de la caution
sur la défaillance du débiteur principal. En effet, le premier incident de paiement n’étant pas
défini de la même manière dans les articles 47-II alinéa 3 de la loi du 11 février 1994 et L.
341-1 du Code de la consommation (« non régularisé dans le mois d’exigibilité du
paiement »), et dans l’article L. 313-9 de ce même code (« caractérisé susceptible
d’inscription au fichier »), les deux obligations d’information vont se superposer, et certains
Les obligations instituées par les articles L. 313-22 du Code monétaire et
financier, 47-II alinéa 2 de la loi du 11 février 1994, 2016 alinéa 2 du Code civil et
L. 341-6 du Code de la consommation ont à peu près le même objet1191, mais non le
même domaine1192. Six critères d’application ressortent de ces quatre textes1193.
S’il est vrai que l’extension de l’obligation d’information annuelle à tous les
cautionnements conclus entre une personne physique et un créancier professionnel,
par l’article L. 341-6 du Code de la consommation, est de nature à simplifier les
choses, il n’en reste pas moins que l’information ne faisant pas l’objet d’un principe
général se substituant aux précédentes dispositions, celles-ci conservent un domaine
résiduel. Celui de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier est le
cautionnement donné par une personne morale pour garantir un concours financier
accordé par un établissement de crédit à une entreprise. Celui de l’article 47-II alinéa
2 de la loi de 1994 est le cautionnement à durée indéterminée donné par une
personne physique à un créancier non professionnel pour garantir une dette
professionnelle d’un entrepreneur individuel. Celui de l’article 2016 alinéa 2 du
Code civil est le cautionnement indéfini donné par une personne physique à un
créancier non professionnel.
En plus des différences de domaine, il existe des différences affectant les
modalités, notamment la date d’exécution1194, et la sanction1195 de l’obligation
créanciers seront donc tenus à une double vigilance, à savoir contrôler le paiement périodique
du débiteur et vérifier l’utilité d’une inscription au fichier national (en ce sens, cf. B.
AUBERT, Les modifications apportées par la loi d’orientation du 29 juillet 1998 relative à la
lutte contre les exclusions, Rev. proc. coll., juin 1999, p. 85 ; O. LUTUN, L’information de la
caution de la défaillance du débiteur principal, RD bancaire et financier 2003, n°4, p. 262 et
s.). 1191 A peu près seulement, car l’obligation d’informer la caution sur le terme de son
engagement ou sur sa faculté de résiliation, si son engagement est à durée indéterminée, est
imposée par les articles L. 313-22 du Code monétaire et financier, 47-II alinéa 2 de la loi du
11 février 1994 et L. 341-6 du Code de la consommation, mais pas par l’article 2016 alinéa 2
du Code civil. 1192 L’article L. 313-22 du Code monétaire et financier concerne le cautionnement souscrit par
une personne physique ou morale au profit d’un établissement de crédit, afin de garantir les
concours financiers accordés à une entreprise. L’article 47-II alinéa 2 de la loi de 1994 vise le
cautionnement à durée indéterminée consenti par une personne physique, pour garantir les
dettes professionnelles d’un entrepreneur individuel. L’article 2016 alinéa 2 du Code civil a
trait au cautionnement indéfini donné par une personne physique. Enfin, l’article L. 341-6 du
Code de la consommation s’intéresse au cautionnement conclu entre une personne physique et
un créancier professionnel. 1193 Ces critères sont les suivants : caution personne physique ou morale ; créancier
professionnel ou non ; débiteur principal : particulier, entrepreneur individuel ou entreprise ;
dette principale : concours financier ou non ; cautionnement indéfini ou défini ;
cautionnement à durée déterminée ou non. 1194 L’information, dans les articles L. 313-22 du Code monétaire et financier, 47-II alinéa 2
de la loi de 1994 et L. 341-6 du Code de la consommation, doit être donnée au plus tard avant
le 31 mars de chaque année. L’article 2016 alinéa 2 du Code civil prévoit qu’elle doit l’être à
la date convenue par les parties ou, à défaut, à la date anniversaire du contrat. 1195 La sanction, dans les articles L. 313-22 du Code monétaire et financier et 47-II alinéa 2 de
la loi de 1994, consiste dans « la déchéance des intérêts échus depuis la précédente
information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information ». L’article 2016
alinéa 2 du Code civil retient « la déchéance de tous les accessoires de la dette, frais et
d’information annuelle. A défaut d’harmonisation dans les textes eux-mêmes, c’est à
la jurisprudence qu’il appartient de coordonner et de concilier les règles. Elle peut le
faire en rapprochant le régime des quatre obligations d’information annuelle,
notamment par rapport à leurs modalités d’exécution. Mais, les différences les plus
importantes, celles relatives au domaine et à la sanction de ces obligations,
demeureront irréductibles. La « mosaïque bigarrée »1196 qu’a créée le législateur
devrait ainsi continuer à rendre le cautionnement inefficace.
549. L’articulation entre l’article L. 341-2 et les articles L. 341-5 et L.
341-6 du Code de la consommation. Pour en terminer avec les incohérences de la
réforme de 2003, il convient de souligner le manque d’harmonisation entre les règles
nouvelles elles-mêmes. Deux contradictions découlent du rapprochement entre,
d’une part, l’article L. 341-2 et l’article L. 341-5 et, d’autre part, l’article L. 341-2 et
l’article L. 341-6. Dans la mesure où l’article L. 341-2 prohibe les cautionnements
indéfinis, l’interdiction de la solidarité et de la renonciation au bénéfice de
discussion dans de tels cautionnements paraît inutile. De la même façon, dans la
mesure où ce même article interdit le cautionnement à durée indéterminée, le rappel
de la faculté de résiliation unilatérale dans le cadre d’un tel engagement semble
dénué de sens. Pour lever ces contradictions, il est nécessaire de considérer que les
articles L. 341-5 et L. 341-6 ne sont applicables qu’aux seuls cautionnements
notariés, à l’exclusion des cautionnements sous seing privé expressément visés par
l’article L. 341-21197.
550. Conclusion de la Section 1. La cohérence législative, et l’efficacité du
cautionnement qui en dépend, ne peuvent résulter d’interventions législatives
ponctuelles donnant lieu à des strates de règles successives non harmonisées entre
elles. La cohérence entre les règles de droit ayant un même objet dépend de l’énoncé
de quelques règles de portée générale, tenant compte des évolutions constatées, et
donc de l’émergence (ou de la résurgence) d’un droit commun, au détriment de
règles spéciales n’ayant plus de justification1198.
pénalités ». Dans ce dernier texte, aucune limitation dans le temps n’est indiquée. Les travaux
préparatoires de la loi de 1998 révèlent que la différence de sanction a été expressément
invoquée lors de l’examen du texte par le Sénat, et que la limitation temporelle de la
déchéance a été refusée (rapport présenté par M. SEILLIER, au nom de la Commission des
affaires sociales du Sénat, Doc. Sénat, n°544, session ordinaire de 1997-1998, t. 1, p. 96). Une
limitation dans le temps ayant été expressément adoptée, dans le cadre de l’obligation
d’information sur la défaillance du débiteur (déchéance circonscrite à la période allant de la
date à laquelle l’information aurait dû être donnée à celle où elle a été délivrée), la thèse de
l’oubli législatif est encore moins probable. S’agissant de l’article L. 341-6 du Code de la
consommation, il prévoit la déchéance des « pénalités ou intérêts de retard échus depuis la
précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information ». 1196 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°271 1197 En ce sens, cf. V. AVENA-ROBARDET, art. préc., p. 2084 ; D. LEGEAIS, art. préc.,
n°21 ; D. LEGEAIS, RTD com. 2003, p. 798 ; F. PASQUALINI, art. préc., n°18 ; S.
PIEDELIEVRE, art. préc., n°9 1198 De nombreux auteurs critiquent aujourd'hui la multiplication des régimes spéciaux et
défendent, au contraire, l’unité du cautionnement, par le biais de quelques principes clairs et
faciles à mettre en œuvre. En ce sens, cf. J. CASEY, th. préc., n°469 ; P. CROCQ, Les
développements récents de l’obligation d’information de la caution, Mélanges M. Cabrillac,
A s’en tenir au droit positif, il apparaît que les textes, en matière de
cautionnement, manquent de clarté, en raison du caractère équivoque du vocabulaire
ordinaire ou juridique utilisé et des oublis ponctuels ou plus généraux du législateur.
Ils manquent aussi de cohérence, à cause des distinctions injustifiées au sein d’une
règle de droit déterminée, et à cause de l’absence d’harmonisation des règles de droit
ayant un même objet. Du fait de ces défauts formels, le droit positif entrave
l’efficacité du cautionnement.
L’autre principale cause d’inefficacité réside dans l’objectif de protection de la
caution, poursuivi par le législateur et par les juges, au détriment de la fonction de
garantie du cautionnement.
SECTION 2 : LA POLITIQUE LÉGALE
ET JURISPRUDENTIELLE DE PROTECTION
DE LA CAUTION
551. L’efficacité des garanties personnelles dépend, pour une large part, de
l’articulation qu’opèrent la loi et les juges entre l’objectif d’efficacité, d’une part, et
ces impératifs fondamentaux que sont la justice et l’éthique contractuelle, d’autre
part1199. Plus précisément, l’efficacité risque d’être compromise si le droit positif
met en œuvre l’impératif de justice corrective dans les rapports entre le créancier et
la caution, ou encore s’il impose aux bénéficiaires des contraintes en vue de protéger
les intérêts de la partie réputée faible et non dans le but de faire respecter l’impératif
d’éthique contractuelle.
Le droit du cautionnement tombe dans ces travers, non seulement lorsqu’il
autorise l’allégement, voire l’extinction, de l’obligation de règlement de la caution
(§1), mais aussi lorsqu’il met à la charge des créanciers des contraintes excessives
(§2). La fonction du cautionnement et son caractère unilatéral se trouvant méconnus
par cette politique légale et jurisprudentielle de protection de la caution, l’efficacité
du cautionnement s’avère particulièrement en danger.
§1 : L’ALLEGEMENT OU L’EXTINCTION
DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT DE LA CAUTION
552. La réduction du droit de gage général du créancier contre la caution
(articles 1415 et 2024 du Code civil). Le droit positif compromet l’efficacité du
cautionnement lorsqu’il autorise la réduction du droit de gage général du créancier
contre la caution1200. C’est le cas chaque fois que les juges adoptent une
Litec, 1999, p. 349 et s., n°20 ; D. LEGEAIS, La réforme du cautionnement par la loi du 29
juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, JCP 1998, éd. E., p. 1724, n°2 et 43 ; D.
PARDOEL, art. préc., n°13 et 25 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°24-1 et 24-3 1199 Sur les rapports entre l’objectif d’efficacité des garanties personnelles et l’impératif de
justice contractuelle, cf. supra n°124-144. Sur les rapports entre l’objectif d’efficacité des
garanties personnelles et l’impératif d’éthique contractuelle, cf. supra 163-171. 1200 A l’occasion du vote de la loi pour l’initiative économique, certains membres de la
commission mixte paritaire ont envisagé une limitation a priori du droit de gage général du
créancier contre la caution. A l’image des entrepreneurs individuels, il s’agissait de protéger
la résidence principale de la caution. Cette proposition n’a finalement pas été retenue, le
interprétation extensive de l’article 1415 du Code civil, afin de protéger le
patrimoine familial1201. C’est également le cas lorsque les conditions de mise en jeu
du « reste à vivre », institué par la loi du 29 juillet 1998 (article 2024 alinéa 2 du
Code civil) sont réunies1202.
législateur ayant préféré étendre le système existant de sanction a posteriori des engagements
disproportionnés par rapport aux biens et revenus de la caution. 1201 Par application de l’article 1415 du Code civil, le créancier qui n’a pas reçu le
consentement du conjoint de la caution ne peut prendre des sûretés sur les biens communs.
Ainsi, il ne peut obtenir, ni une inscription provisoire d’hypothèque, ni une conversion de
l’hypothèque provisoire en inscription définitive (Cass. 1ère civ., 2 juillet 1991 : Bull. civ. I,
n°225 ; Cass. 1ère civ., 18 novembre 1992 : Bull. civ. I, n°280 ; Cass. 1ère civ., 29 mai 1996 :
Bull. civ. I, n°220 ; Cass. 1ère civ., 17 février 1998 : Bull. civ. I, n°63 ; Cass. 1ère civ., 15 mai
2002 : Bull. civ. I, n°128 ; Cass. 1ère civ., 11 mars 2003 : Bull. civ. I, n°66). Le créancier subit
la présomption de communauté de l’article 1402 du Code civil et doit donc apporter la preuve
du caractère propre du bien qu’il entend saisir (TGI Lyon, 12 septembre 1995 : D. 1996, IR,
p. 63 ; Dr. famille février 1997, n°35 ; CA Paris, 5 septembre 1996 : JCP 1997, I, n°4047,
n°19, obs. SIMLER). Si le créancier souhaite saisir un compte joint, il doit démontrer que le
compte était bien alimenté par les revenus de l’époux caution (Cass. 1ère civ., 3 avril 2001 :
Bull. civ. I, n°92 ; Cass. 1ère civ., 18 février 2003 : Bull. civ. I, n°48 ; Cass. 1ère civ., 17 février
2004 : Bull. civ. I, n°45). En outre, la Cour de cassation décide qu’un plan d’épargne
logement et un compte-titres, que l’époux caution alimente avec ses seuls revenus, ne peuvent
être saisis par le créancier, car il s’agit d’acquêts (Cass. 1ère civ., 14 janvier 2003 : Bull. civ. I,
n°2).
Alors que l’article 1415 du Code civil constitue une exception au principe posé par l’article
1413, et qu’il devrait donc faire l’objet d’une interprétation littérale, la jurisprudence en
retient, sur certains points (pour les hypothèses dans lesquelles une interprétation stricte
prévaut, cf. supra n°439), une interprétation extensive et ce, dans le but de protéger le
patrimoine familial (en ce sens, cf. R. CABRILLAC, L’emprunt ou le cautionnement dans le
passif de la communauté légale, Droit et patrimoine 2003, n°115, p. 72 et s. ; Y. FLOUR, Le
cautionnement et le patrimoine des couples, in Sûretés et garanties – Pratiques et innovations,
Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 80 et s. ; A. GAONAC’H, L’implication de l’article 1415
du Code civil dans la gestion des biens communs, LPA 1er mars 2000, n°43, p. 9 et s. ; N.
PETERKA, La caution mariée sous un régime de communauté, RD bancaire et financier
2003, n°4, p. 249 et s. ; S. ROBINNE, Article 1415 du Code civil, Liber amicorum J. Calais-
Auloy, Etudes de droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 963 et s . ; Ph. SIMLER, n°168).
Ainsi, les juges appliquent l’article 1415 en présence d’un aval (Cass. com., 4 février 1997 :
Bull. civ. IV, n°39) ou d’un cautionnement réel (Cass. 1ère civ., 11 avril 1995 : Bull. civ. I,
n°165 ; Cass. 1ère civ., 26 mai 1999 : JCP 1999, I, 156, n°5, obs. SIMLER ; RTD civ. 2000,
p. 366, obs. CROCQ ; Cass. 1ère civ., 15 mai 2002 : Bull. civ. I, n°127, 128 et 129 ; Cass.
com., 13 novembre 2002 : Bull. civ. IV, n°161). Ils y soumettent également les époux mariés
sous un régime de séparation de biens assortie d’une société d’acquêts (Cass. 1ère civ., 25
novembre 2003 : Bull. civ. I, n°236) et même sous un régime de communauté universelle
(Cass. 1èreciv., 3 mai 2000 : Bull. civ. I, n°125 ; Cass. 1ère civ., 28 janvier 2003 : RJDA 8-
9/2003, n°880). Dans cette hypothèse, sous réserve d’éventuels biens propres par nature ou de
biens donnés avec clause d’exclusion de la communauté, l’interprétation extensive de l’article
1415 conduit à priver de tout gage le créancier cautionné par un seul des époux. La portée
conférée à l’article 1415 est enfin très large en ce que la jurisprudence considère que le
créancier ne peut écarter ses dispositions, même lorsque la caution a commis une fraude à son
égard en dissimulant sa situation maritale (Cass. 1ère civ., 17 février 1998 : Bull. civ. I, n°63). 1202 En application de l’article 2024 alinéa 2 du Code civil, le créancier doit laisser à la
caution personne physique un montant égal au RMI. Cette limitation du droit de poursuite du
créancier constitue une expression de l’impératif de justice distributive. Il s’agit, en effet,
553. La réduction ou l’extinction de l’obligation de règlement de la
caution. Le droit du cautionnement compromet aussi l’efficacité de cette sûreté
lorsqu’il autorise la réduction, voire l’extinction, de l’obligation de règlement de la
caution. Certaines dispositions légales et décisions jurisprudentielles tentent
d’instaurer un équilibre au sein du contrat de cautionnement en allégeant cette
obligation (A). D’autres font encore plus nettement primer les intérêts de la caution
sur ceux du créancier en permettant l’extinction pure et simple de l’obligation de
règlement (B).
A/ L’ALLEGEMENT DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT
554. Le droit positif compromet l’efficacité du cautionnement lorsqu’il déjoue
l’attente objective des créanciers portant sur le paiement ponctuel et intégral de la
caution. Ainsi, chaque fois que le législateur ou les juges déterminent le moment de
l’exécution de la caution (1), ou le montant de son paiement (2), en ayant pour
dessein d’alléger son obligation de règlement, ils méconnaissent la fonction de
garantie du cautionnement et contribuent à rendre ce mécanisme inefficace aux yeux
des créanciers.
1. Le moment de l’exécution de l’obligation de règlement
555. Le paiement ponctuel de la caution, partant l’efficacité du
cautionnement, sont menacés, d’une part, en cas de modification du terme suspensif
d’éviter que la caution personne physique ne soit totalement démunie et qu’à un endettement
excessif du débiteur principal ne s’ajoute un surendettement de la caution (en ce sens, cf. S.
PIEDELIEVRE, Le cautionnement dans la loi relative à la lutte contre les exclusions, JCP
1998, I, 170, n°18. Sur le reste à vivre comme technique de sauvegarde de l’existence
matérielle et de l’intégration sociale de la caution personne physique, cf. C. NOBLOT, La
qualité du contractant comme critère légal de protection. Essai de méthodologie législative,
LGDJ, 2002, préf. F. LABARTHE, n°102). Le reste à vivre a pour but d’empêcher que la
caution, pour obtenir le minimum vital, ne soit obligée d’avoir recours à une procédure de
surendettement (cf. Rapp. V. NEIERTZ, Ass. Nat. n°1002, JO Sénat, 8 juillet 1998, p. 3718).
Si l’impératif de lutte contre l’exclusion, et donc de lutte contre les atteintes à la dignité
humaine, doit l’emporter sur l’objectif d’efficacité du contrat de garantie (cf. supra n°138),
encore faut-il que la mesure fondée sur l’impératif de justice distributive soit véritablement
utile au garant. Or, le reste à vivre est critiqué comme étant illusoire. Le Sénat (JO Sénat CR
séance du 12 juillet 1998, p. 3191) avait d’ailleurs supprimé l’amendement en considérant le
reste à vivre comme inutile, dans la mesure où la situation de surendettement de la caution lui
permet de bénéficier, devant la commission, des mêmes dispositions que tout débiteur
surendetté. Après réintroduction du texte par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, le
Sénat maintînt sa position. Finalement, l’Assemblée nationale eût le dernier mot. Cela
n’empêche pas l’article 2024 alinéa 2 d’être toujours suspecté d’inutilité (en ce sens, cf. B.
AUBERT, Les modifications apportées par la loi d’orientation du 29 juillet 1998 relative à la
lutte contre les exclusions, Rev. proc. coll., juin 1999, p. 87 ; F. CREDOT, La prévention du
surendettement et la réforme du cautionnement, LPA 27 mai 1999, n°101, p. 30 ; S.
PIEDELIEVRE, ibid., n°20). Cette critique risque d’être d’autant plus vivement formulée,
maintenant que le législateur a expressément ouvert la procédure de surendettement aux
cautions non dirigeantes (article L. 331-2 alinéa 1er du Code de la consommation, dans sa
rédaction issue de la loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique).
du contrat principal (a) et, d’autre part, en cas de suspension des poursuites contre la
caution garantissant un débiteur placé en redressement judiciaire (b).
a. Les modifications du terme suspensif du contrat principal
556. La prorogation conventionnelle du terme suspensif du contrat
principal. La modification du terme suspensif du contrat principal peut être
d’origine conventionnelle. Lorsque le créancier accorde un délai au débiteur
principal, la caution n’est pas déchargée (article 2039 du Code civil), mais la
jurisprudence lui offre une option susceptible de nuire aux attentes du créancier. En
effet, à défaut de clause insérée dans le contrat de cautionnement prévoyant à quel
moment la caution devra payer en cas de prorogation du terme du contrat
principal1203, la caution peut, selon son intérêt, se prévaloir de ce sursis1204 ou, au
contraire, refuser d’en assumer les conséquences1205.
Dans le premier cas, la caution estime qu’il subsiste des chances sérieuses
d’exécution de l’obligation par le débiteur et refuse le paiement à l’échéance
initialement fixée. L’opposabilité des délais consentis par le créancier, qui se justifie
principalement par le fait que le créancier ne peut unilatéralement dissocier
l’exigibilité de la dette principale et celle de l’obligation accessoire, peut nuire aux
intérêts de ce créancier, puisqu’il doit supporter un retard dans les poursuites.
Dans le second cas, la caution refuse d’être tenue plus longtemps, car elle
redoute que la situation du débiteur ne s’aggrave pendant le délai supplémentaire
octroyé par le créancier et que ses chances de remboursement ne se trouvent par là
même réduites. L’inopposabilité à la caution de la prorogation du terme du contrat
principal empêche l’accomplissement de l’attente subjective relative à la poursuite
concomitante du débiteur principal et de la caution.
557. La déchéance du terme suspensif du contrat principal. La déchéance
du terme du contrat principal peut également être l’occasion d’une remise en cause
des attentes du créancier, puisque, dans le silence du contrat1206, le principe retenu
par la jurisprudence est celui de l’inopposabilité à la caution de cette déchéance. La
caution bénéficie du terme originaire1207, même lorsque la déchéance procède de la
liquidation judiciaire du débiteur principal1208. Les juges fondent cette solution sur
les articles 1134 (respect de la volonté de la caution) et 2015 du Code civil
(interprétation stricte du cautionnement).
La règle de l’accessoire est purement et simplement occultée en présence d’une
exigibilité anticipée de la dette principale, alors qu’elle est appliquée dans
l’hypothèse d’un report conventionnel de l’échéance du contrat principal. « La règle
1203 Sur ces clauses, cf. supra n°332-334 1204 CA Lyon, 6 janvier 1903 : DP 1910, Somm., p. 1 1205 Cass. com., 5 novembre 1971 : Bull. civ. IV, n°264 1206 Sur les clauses relatives à la déchéance du terme suspensif du contrat principal, cf. supra
n°328-330 1207 Cass. req., 3 juillet 1890 : D.P. 1891, 1, p. 5 ; S. 1890, 1, p. 445 ; Cass. 1ère civ., 20
décembre 1976 : Bull. civ. I, n°415 ; Cass. 1ère civ., 30 octobre 1984 : Bull. civ. I, n°290 ;
Cass. com., 2 mars 1993 : Bull. civ. IV, n°79 ; Cass. com., 26 octobre 1999 : Bull. civ. IV,
n°183 1208 Cass. com., 5 octobre 1983 : Bull. civ. IV, n°254 ; Cass. com., 8 mars 1994 : Bull. civ. IV,
n°96 ; Cass. com., 25 mars 1997 : Droit et patrimoine janvier 1998, 90, obs. SAINT-ALARY
d’homogénéisation qui s’attache à la théorie de l’accessoire est pleinement mise en
œuvre ou totalement neutralisée selon qu’elle adoucit ou qu’elle aggrave le sort de
la caution »1209. Cette instrumentalisation de la règle de l’accessoire fragilise le
cautionnement, car elle rend incertain l’accomplissement des attentes des créanciers
portant sur le paiement ponctuel de la caution.
558. Les modifications légales ou jurisprudentielles du terme suspensif du
contrat principal. La modification du terme suspensif du contrat principal peut
aussi être d’origine légale ou judiciaire.
L’article L. 621-49 du Code de commerce refuse que le jugement d’ouverture
du redressement judiciaire contre le débiteur principal emporte une telle
modification et prohibe toute clause contraire rendant exigibles les créances dans
une telle hypothèse. En raison du caractère accessoire renforcé du cautionnement
(article 2013 du Code civil), la Cour de cassation a précisé que la déchéance du
terme non encourue par le débiteur principal ne peut être invoquée contre la
caution1210, et que toute clause contraire du contrat de cautionnement doit être
condamnée1211. Cette jurisprudence fait peu de cas de la fonction de garantie du
cautionnement à un moment où le besoin de garantie est justement le plus prégnant.
Elle est d’autant plus contestable que « le mirage du renflouement des entreprises
sous main de justice a été dissipé par la réalité de 15 ans d’application de la loi de
1985»1212.
Les moratoires légaux ou les délais de grâce sont, en principe, inopposables par
la caution au créancier1213 et ce, parce qu’ils réalisent l’une des éventualités contre
lesquelles le créancier entendait se prémunir en exigeant un cautionnement. Ce
principe connaît néanmoins des exceptions, qui sont autant de situations dans
lesquelles le créancier est privé d’un paiement ponctuel, et donc d’une garantie
efficace. La loi peut, tout d’abord, étendre expressément aux cautions le bénéfice du
moratoire1214. Ensuite, la caution peut bénéficier d’un moratoire légal lorsque celui-
ci est octroyé, non en raison des difficultés financières d’une catégorie de débiteurs,
mais en raison de la nature de la dette. Enfin, la caution peut profiter des délais
légaux lorsqu’elle appartient elle-même à la catégorie de débiteurs auxquels la loi
entend accorder une protection particulière.
559. A l’occasion des modifications du terme suspensif du contrat principal,
qu’elles soient d’origine conventionnelle ou légale, les attentes du créancier peuvent
donc être déjouées. L’efficacité du cautionnement peut également être menacée
lorsque la loi impose aux créanciers une suspension des poursuites contre la caution.
b. La suspension des poursuites contre la caution
1209 D. GRIMAUD, th. préc., n°120 à 122 1210 Cass. com., 2 mars 1993 : Bull. civ. IV, n°79 1211 Cass. com., 14 juin 1994 : JCP 1995, I, 3851, n°6, obs. SIMLER ; RD bancaire et bourse
1995, p. 120 et 156, obs. CAMPANA et CALENDINI ; Cass. 1ère civ., 24 janvier 1995 : Bull.
civ. I, n°51 ; Cass. com., 20 juin 1995 : Bull. civ. IV, n°184 1212 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°210-1 1213 Sur les délais consentis dans le cadre d’une procédure collective ou de surendettement, cf.
supra n°495 1214 Exemples : la loi du 12 juillet 1937 sur les dettes agricoles ; la loi du 11 décembre 1963
instituant des mesures de protection en faveur des rapatriés d’Algérie.
560. Droit commun et droit des procédures collectives. Comme tout
débiteur, la caution a le droit de solliciter, si sa situation personnelle le justifie, un
délai de grâce, sur le fondement de l’article 1244-1 du Code civil.
En outre, depuis 1994, la suspension des poursuites est automatique, à
l’encontre des « cautions personnelles personnes physiques », du jugement
d’ouverture du redressement judiciaire du débiteur principal jusqu’au jugement
arrêtant le plan de redressement ou prononçant la liquidation, c'est-à-dire pendant la
période d’observation. L’article L. 621-48 alinéa 2 du Code de commerce ajoute que
« le tribunal peut ensuite leur accorder des délais ou un différé de paiement dans la
limite de deux ans ». Alors que les juges favorisent l’efficacité du cautionnement en
refusant à la caution le droit de se prévaloir de la suspension des poursuites contre le
débiteur principal, prévue par l’article L. 621-40 du Code de commerce1215, le
législateur fait primer les intérêts de certaines cautions sur ceux des créanciers en les
faisant bénéficier personnellement d’une telle suspension1216.
561. La notion de « suspension » des poursuites et son fondement. Si le
terme « suspend » pouvait laisser penser que seules les actions en cours seraient
concernées1217, les travaux préparatoires et l’esprit de la loi du 10 juin 1994 ont
conduit les juges à décider qu’aucune nouvelle poursuite ne peut être engagée après
le jugement d’ouverture1218.
La disposition nouvelle avait en effet pour but d’inciter les dirigeants de
société, qui se sont portés cautions de leur entreprise, à ne pas retarder l’ouverture de
la procédure de redressement judiciaire. Or, ce n’est qu’à la condition d’être assurés
d’être à l’abri de nouvelles poursuites, que les dirigeants cautions peuvent être
incités à déposer le bilan en temps utile.
La suspension des poursuites n’ayant pas été prévue dans le cadre du règlement
amiable, ces dirigeants ont naturellement intérêt à déposer le bilan plutôt qu’à
rechercher l’accord amiable. Si l’on sait que le législateur entendait justement
favoriser ce règlement amiable, il apparaît que la disposition nouvelle engendre un
effet pervers. Elle est, par ailleurs, susceptible de favoriser le désintérêt des
créanciers pour le cautionnement.
562. L’article L. 621-48 alinéa 2 du Code de commerce : un facteur
d’inefficacité. Dans la mesure où la liquidation judiciaire est généralement
prononcée, sinon immédiatement, du moins très rapidement, ce n’est pas la 1215 Cf. supra n°493 1216 La situation des créanciers sur ce point risque d’être prochainement aggravée, puisque
l’article 42 du projet de loi de sauvegarde des entreprises n°1596 du 12 mai 2004 dispose que
« le jugement d'ouverture suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la
liquidation toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant constitué une
caution personnelle ou une garantie autonome» (nouvel article L. 622-26 alinéa 2 du Code de
commerce). 1217 La suspension des actions en cours se traduit notamment par le fait que le créancier ayant
obtenu une inscription provisoire d’hypothèque sur un immeuble de la caution avant
l’ouverture de la procédure collective contre le débiteur principal ne peut pas introduire une
action au fond après cette ouverture pour obtenir l’inscription définitive (Cass. 2ème civ., 30
avril 2002 : Bull. civ. II, n°85). 1218 TGI Saintes, 18 septembre 1998 : JCP 1999, IV, 2179 ; Banque et droit mai-juin 1999,
p. 42, note RONTCHEVSKY
suspension des poursuites pendant la période d’observation qui porte le plus atteinte
à l’efficacité du cautionnement, mais bien plutôt le rappel de la règle de l’article
1244-1 du Code civil (article L. 621-48 alinéa 2 in fine). Les juges peuvent y voir
une invitation à accorder largement des délais à la caution. Or, « le cautionnement
concrètement ne vaut plus rien si le créancier ne peut agir pendant la période de
suspension et les deux ans suivants »1219.
Conscient du risque d’organisation de son insolvabilité par la caution pendant
la période où aucune poursuite ne peut être dirigée contre elle, le législateur a
précisé que les créanciers peuvent prendre des mesures conservatoires (article L.
621-48 alinéa 3). Cette précision est inutile, puisque le droit commun de l’article 67
de la loi du 9 juillet 1991 autorise déjà la prise de telles garanties. Surtout, elle n’est
pas à même de rassurer les créanciers. En effet, « lorsqu’une petite entreprise a
cessé ses paiements, il est rare que ses dirigeants ou leurs proches puissent
présenter des garanties solides : le pourraient-ils que les biens en question seraient
mieux utilisés au redressement de l’entreprise qu’à la garantie de l’action du
créancier »1220.
563. Sous le prétexte officiel de hâter le dépôt de bilan, le législateur protége
le dirigeant caution pendant la période d’observation, et se livre ainsi à un véritable
« travail de sape du cautionnement »1221. Les juges, quant à eux, méconnaissent la
fonction de garantie du cautionnement et manipulent la règle de l’accessoire,
lorsqu’en cas de modification du terme suspensif du contrat principal, ils
déterminent le moment du paiement de la caution en ne prenant en compte que les
intérêts de celle-ci.
La protection des intérêts des créanciers est également oubliée lorsque
l’allégement de l’obligation de règlement de la caution résulte d’une réduction du
montant de cette obligation.
2. La réduction du montant de l’obligation de règlement
564. La réduction par voie accessoire. La réduction du montant de
l’obligation de règlement de la caution peut s’opérer par voie accessoire ou par voie
principale. La réduction imposée par l’article 2013 du Code civil, dans l’hypothèse
où l’obligation de la caution s’avère excessive par rapport à l’obligation principale,
les réductions consécutives à un paiement partiel du débiteur1222, à une remise de
1219 J. DEVEZE, Le cautionnement des entreprises en difficulté, brèves observations sur la loi
du 10 juin 1994, LPA 12 octobre 1994, n°122, p. 11 1220 J. DEVEZE, Du mauvais usage de la loi en matière de cautionnement. Petit guide des
effets pervers (avérés ou potentiels) de quelques dispositions récentes, Mélanges P. Vellas,
Recherches et réalisation, Pédone, 1995, p. 390 1221 D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les sûretés personnelles, in Sûretés et
garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 70 1222 En cas de pluralité de dettes du même débiteur envers le même créancier et à défaut
d’imputation conventionnelle, la jurisprudence retient que la ou les dettes cautionnées doivent
être considérées comme acquittées d’abord, le débiteur ayant intérêt à éteindre par son
paiement l’obligation de la caution, plutôt qu’une dette non cautionnée, dont il est seul tenu
(Cass. 1ère civ., 29 octobre 1963 : Bull. civ. I, n°462 ; Cass. 1ère civ., 19 janvier 1994 : Bull.
civ. I, n°28).
dette partielle1223 ou encore à une transaction portant sur l’étendue des obligations
des parties1224 ne seront pas développées. La raison en est que, dans ces différentes
hypothèses, les intérêts financiers du créancier ne sont pas compromis. Seul est évité
un enrichissement que le cautionnement n’a pas pour fonction de procurer.
565. La réduction par voie principale. Lorsque la réduction s’opère par voie
principale, il est en revanche des cas dans lesquels l’efficacité du cautionnement se
trouve menacée. Il en va ainsi chaque fois que les juges adoptent une interprétation
déformante des articles 1326, 2015 et 2016 du Code civil, dans le seul but d’alléger
l’obligation de règlement de la caution (a), mais aussi chaque fois qu’ils découvrent
des causes d’extinction de l’obligation de couverture, ou font produire à cette
extinction des conséquences défavorables aux intérêts des créanciers (b).
a. La réduction par le biais d’un défaut de preuve d’un engagement exprès
566. La portée excessive conférée à la mention manuscrite de l’article
1326 du Code civil. Si la jurisprudence semble aujourd'hui limiter la portée des
articles 1326 et 2015 du Code civil et redonner, au contraire, tout son sens à l’article
20161225, il n’en reste pas moins que la protection de la caution que la Cour de
cassation a fondée sur les exigences de mention manuscrite et d’engagement exprès,
depuis le début des années 1980, a profondément nui à l’image du cautionnement.
En effet, la Cour de cassation a dévoyé le sens des articles 1326 et 2015, et a paru
vouloir rayer l’article 2016 du Code civil, dans le but d’alléger l’obligation de
règlement de la caution1226.
« Aussi nécessaire que soit le rôle créateur de la jurisprudence, il paraît
difficile de lui reconnaître le pouvoir d’abroger des articles du Code civil »1227,
celui de transformer une simple règle de preuve, l’article 1326, en un instrument de
détermination de l’étendue d’un engagement, ou celui de tenir pour lettre morte la
volonté des parties exprimée dans le corps de l’acte de cautionnement, imprimé ou
dactylographié. La politique jurisprudentielle de protection des cautions s’est
développée au détriment de l’impératif de sécurité juridique et de l’objectif
d’efficacité du cautionnement.
1223 Comme le prévoit l’article 1287 du Code civil, la remise de dette opère extinction de
l’obligation de la caution, à due concurrence, au même titre qu’un paiement. Il s’agit d’un
« corollaire nécessaire du caractère accessoire du cautionnement » (Ph. SIMLER, n°707). 1224 La jurisprudence assimile une telle transaction à une remise de dette profitant à la caution. 1225 La jurisprudence n’exige plus que les accessoires figurent dans la mention manuscrite
pour être couverts (cf. supra n°449). Ce courant jurisprudentiel est remis en cause par la loi
du 1er août 2003, puisque le nouvel article L. 341-2 du Code de la consommation écarte le jeu
de l’article 2016 du Code civil en exigeant que le plafond inscrit dans la mention manuscrite
ad validitatem inclut les différents accessoires. 1226 A partir de 1983, la première Chambre civile de la Cour de cassation a jugé que lorsqu’un
montant est exprimé dans la mention manuscrite, « le cautionnement ne peut excéder cette
somme », les juges du fond n’ayant pas à rechercher si les clauses de l’acte étendent
l’obligation aux accessoires, encore moins si ceux-ci en sont la suite normale au sens de
l’article 2016 (cf. notamment, Cass. 1ère civ., 22 juin 1983 : Bull. civ. I, n°182 ; Cass. 1ère civ.,
10 mai 1988 : Bull. civ. I, n°133). Elle exigeait également que la caution inscrive le taux
conventionnel de l’intérêt, faute de quoi seul le taux légal était applicable (Cass. 1ère civ., 10
mars 1992 : Bull. civ. I, n°77). 1227 Ph. SIMLER, n°389
567. Les interprétations du cautionnement favorables aux cautions. Si
l’on assiste aujourd'hui à un certain retour à l’orthodoxie de la part de la
jurisprudence, il n’est pas douteux que le principe d’interprétation stricte, formulé
par l’article 2015du Code civil, constitue encore un instrument de protection des
cautions et, par conséquent, une cause d’inefficacité du cautionnement1228. En effet,
aux limites explicites de l’engagement de la caution, les juges, en se fondant sur ce
texte, ajoutent des limites implicites, en vue de réduire le montant de l’obligation de
règlement de la caution.
Ainsi, dans le cadre des cautionnements indéfinis de dettes déterminées,
l’article 2015 permet de limiter l’engagement aux seules obligations qui se
rattachent directement au contrat dont les obligations sont garanties1229.
En matière de cautionnement indéfini de dettes seulement déterminables, grâce
au principe d’interprétation stricte, le doute relatif à l’étendue de la couverture
profite à la caution1230. La jurisprudence a ainsi restreint la portée d’un
cautionnement omnibus en décidant que la caution, qui s’était engagée dans le cadre
de relations contractuelles, n’avait pas entendu garantir des dettes délictuelles, alors
même qu’elle avait précisé qu’elle garantissait toutes les dettes du débiteur « à
quelque titre » ou « pour quelque cause que ce soit »1231. Ont également été écartés
des risques indirects1232, des dettes nées de liens contractuels parallèles ou connexes
entre les mêmes débiteur et créancier1233 et des dettes résultant d’activités nouvelles
du débiteur1234.
1228 Le contentieux fondé sur l’article 2015 du Code civil pourrait diminuer avec l’extension
du champ d’application de la mention manuscrite ad validitatem, puisque l’article L. 341-2 du
Code de la consommation exige que cette mention comporte, à peine de nullité, le montant
garanti. 1229 La jurisprudence a eu l’occasion d’exclure de la garantie des dettes nées d’un contrat
tacitement reconduit, au motif qu’un nouveau contrat s’était substitué à l’ancien (Cass. com.,
11 février 1997 : Bull. civ. IV, n°46), des dettes d’un débiteur, simple successeur du premier
garanti (Cass. 1ère civ., 6 octobre 1993 : JCP 1993, IV, 2513 ; JCP 1994, éd. E, I, 365, n°4,
obs. SIMLER et DELEBECQUE), des dettes liées à l’exploitation d’un fonds voisin à celui
garanti, même si les deux fonds constituaient une même entreprise (Cass. 1ère civ., 15
décembre 1993 : JCP 1994, éd. E, pan. 236), ou encore des dommages et intérêts dus par le
débiteur (Cass. com., 7 décembre 2004 : RJDA 4/05, n°457). 1230 Si le doute porte sur le caractère indéfini ou limité du cautionnement, la caution n’est
tenue que d’un engagement défini (Cass. 1ère civ., 21 juillet 1970 : Bull. civ. I, n°245). Si le
cautionnement est pur et simple et qu’il subsiste un doute sur le point de savoir si telle
obligation est comprise parmi celles qui sont couvertes par la garantie, cette obligation est
écartée (Cass. com., 15 décembre 1992 : Bull. civ. IV, n°408). 1231 CA Bordeaux, 2 décembre 1969 : Gaz. Pal. 1971, 1, Somm., p. 39 ; CA Lyon, 3 décembre
1982 : Gaz. Pal. 1983, 1, Somm., p. 113 ; JCP 1986, I, 3265 ; JCP 1986, éd. E, II, 14778,
n°135 ; RTD com. 1983, p. 263, obs. CABRILLAC et TEYSSIE 1232 Le cautionnement de « tous les engagements d’une société envers une banque » ne couvre
pas les recours que cette dernière exerce en tant que tiers porteur d’une lettre de change (Cass.
com., 12 mai 1992 : Bull. civ. IV, n°176 ; Cass. com., 9 juillet 2002 : RJDA 1/2003, n°72). 1233 Cass. 1ère civ., 9 mai 1962 : Bull. civ. I, n°238 ; Cass. com., 3 décembre 1979 : Bull. civ.
IV, n°317 ; Cass. com., 25 novembre 1997 : Bull. civ. IV, n°300 1234 Cass. com., 19 novembre 1962 : Bull. civ. IV, n°462 ; Cass. 1ère civ., 8 décembre 1987 :
Bull. civ. I, n°262 ; Cass. com., 7 juillet 1992 : Bull civ. IV, n°260
568. Grâce au principe d’interprétation stricte de l’article 2015 du Code civil
et à l’exigence de mention manuscrite de l’article 1326, les juges allègent le sort des
cautions et déjouent, ce faisant, les attentes des créanciers. La jurisprudence attache
aussi plus d’importance à la protection des cautions qu’à la satisfaction des attentes
des créanciers lorsqu’elle réduit l’obligation de règlement de la première en se
fondant sur l’extinction de l’obligation de couverture.
b. La réduction par le biais de l’extinction de l’obligation de couverture
569. La jurisprudence protège les intérêts des cautions, au détriment de ceux
des créanciers, non seulement en découvrant des termes implicites de l’obligation de
couverture1235, mais aussi en décidant que, dans le cadre du cautionnement d’un
compte courant, cette extinction peut avoir pour effet de « faire fondre la garantie
comme neige au soleil »1236.
570. Décès de la caution. Tout d’abord, les juges acceptent de libérer pour
l’avenir des cautions, à la suite de certains changements dans la physionomie initiale
de l’opération de garantie. Ce mouvement a été amorcé au sujet du décès de la
caution. L’article 2017 du Code civil, conformément au principe selon lequel les
successeurs à titre universel succèdent à tous les droits et obligations du défunt et au
principe selon lequel les contrats passés avec celui-ci continuent à produire leurs
effets, dispose que « les engagements des cautions passent à leurs héritiers ». Il était
traditionnellement admis que les héritiers étaient tenus, même pour des dettes nées
postérieurement au décès, et ceci jusqu’au terme fixé par le contrat de
cautionnement ou jusqu’à la résiliation de l’engagement1237.
Les juges du fond, à partir de la fin des années 1970, ont cherché à protéger les
héritiers. Parce que ceux-ci n’ont souvent aucun moyen de connaître l’existence du
cautionnement, qui n’est formalisé qu’en un seul exemplaire original, détenu par le
créancier, et parce qu’ils engagent leur patrimoine personnel (par l’effet de la
confusion des patrimoines) pour garantir l’engagement d’une personne ou d’une
société qu’ils peuvent ne pas connaître, les juges ont de plus en plus été sensibles à
des arguments d’équité1238.
En premier lieu, ils ont allégé le sort des héritiers en retenant la responsabilité
du créancier pour manquement à l’obligation d’informer ces héritiers de l’existence
du cautionnement1239. Le préjudice subi par les héritiers résidait dans la perte d’une
chance de résilier le cautionnement, ou de renoncer à la succession, ou encore
d’accepter celle-ci sous bénéfice d’inventaire.
1235 Les juges n’entérinent pas systématiquement les arguments de la caution visant à
assimiler certains événements à des termes implicites. Sur les termes extinctifs implicites non
admis par la jurisprudence, cf. supra n°451-454 1236 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°13 ; Ph. SIMLER, n°666 1237 Cass. com., 14 novembre 1966 : Bull. civ. IV, n°427 ; Cass. 1ère civ., 16 décembre 1969 :
Bull. civ. I, n°396 ; Cass. com., 14 novembre 1980 : Bull. civ. IV, n°371 1238 En ce sens, cf. B. SAVOURE, Caution et famille : la caution et ses héritiers, in Sûretés et
garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 90 et s. 1239 CA Aix-en-Provence, 15 novembre 1977 : Bull. arrêts Aix 1977/4, n°299 ; CA Paris, 28
avril 1980 : Gaz. Pal. 1980, 2, p. 604, note PIEDELIEVRE ; D. 1981, IR, p. 15, obs.
VASSEUR ; CA Fort de France, 17 septembre 1981 : JCP 1982, IV, 209 ; Banque 1983,
p. 237, obs. MARIN
En second lieu, c’est la Cour de cassation elle-même qui a pris en charge la
protection des héritiers en faisant sienne la thèse de Mouly relative à la dualité
d’obligations dans le cautionnement de dettes futures indéterminées. Elle a décidé
que la caution ne pouvait transmettre à ses héritiers d’engagement pour les dettes
nées postérieurement à son décès1240. Autrement dit, si la dette principale existe au
jour du décès, quels que soient sa date d’échéance ou le moment des poursuites,
dans la limite de la prescription, les héritiers en sont tenus. Par application du droit
commun successoral, l’obligation de règlement relative aux dettes nées avant le
décès se trouve donc transmise aux héritiers, même si ces dettes ne deviennent
exigibles que postérieurement1241. En revanche, la jurisprudence assimilant le décès
de la caution à un terme extinctif implicite, l’obligation de couverture prend fin à ce
jour, ce qui empêche de poursuivre les héritiers pour des dettes nées après le décès.
Outre le fait que l’absence de transmission de l’obligation de couverture aux
héritiers n’est pas conforme à la logique du droit successoral, cette solution place les
créanciers dans une réelle incertitude. La réalisation de leurs attentes est d’autant
plus compromise que la Cour de cassation décide que l’absence de notification du
décès au créancier n’empêche pas l’effet extinctif de se produire1242, et qu’elle
interdit toute clause contraire en l’assimilant à un pacte sur succession future1243. Le
souci de protection des héritiers l’emporte donc sur la fonction de garantie du
cautionnement.
571. Disparition de la société caution. L’efficacité de ce mécanisme est
pareillement menacée dans les autres hypothèses dans lesquelles les juges ont
découvert un terme extinctif implicite de l’obligation de couverture. Il en va ainsi en
cas de fusion ou de scission de la société caution, qui emportent, comme le décès
d’une personne physique, dévolution universelle du patrimoine de la société
dissoute. La garantie subsiste pour les dettes nées avant ces opérations, mais non
pour les nouvelles1244.
572. Disparition de la société créancière ou de la société débitrice.
L’obligation de couverture s’éteint également en cas de disparition du créancier ou
du débiteur, consécutive à une absorption1245, une fusion1246, une scission1247, un
1240 Cass. com., 29 juin 1982 : Bull. civ. IV, n°258 1241 Cass. 1ère civ., 20 juillet 1994 : Bull. civ. I, n°258 1242 Cass. 1ère civ., 3 juin 1986 : Bull. civ. I, n°147 1243 Sur cette jurisprudence, cf. supra n°366 1244 Cass. com., 7 novembre 1966 : Bull. civ. IV, n°421 1245 Sur l’absorption de la société créancière, cf. Cass. com., 6 mars 1978 : Bull. civ. IV,
n°79 ; CA Paris, 9 janvier 2002 : RTD com. 2002, p. 370 ; Cass. com., 4 juin 2002 : JCP
2003, I, 124, n°8, obs. SIMLER ; Cass. 1ère civ., 28 septembre 2004 : Bull. civ. I, n°214
Sur l’absorption de la société débitrice, cf. Cass. com., 25 octobre 1983 : Bull. civ. IV, n°274 ;
Cass. com., 29 avril 2003 : RJDA 11/2003, n°1128 1246 Sur la fusion de la société créancière, cf. Cass. com., 20 janvier 1987 : Bull. civ. IV,
n°20 ; Cass. com., 17 juin 1990 : Bull. civ. IV, n°216 ; Cass. com., 25 mars 1997 : D. 1998,
Somm., p. 183, obs. HALLOUIN ; Cass. 1ère civ., 12 janvier 1999 : RD bancaire et bourse
1999, p. 77, obs. CONTAMINE-RAYNAUD ; Cass. com., 17 juillet 2001 : Bull. civ. IV,
n°139 ; Cass. 1ère civ., 2 juillet 2002 : RJDA 1/2003, n°70 ; Cass. com., 21 janvier 2003 :
Bull. civ. IV, n°9 ; Cass. com., 8 juillet 2003 : RJDA 02/2004, n°229
apport partiel d’actif1248, ou encore une dissolution réalisée dans les conditions de
l’article 1844-4 du Code civil1249. En considérant ainsi que l’obligation de
couverture présente un caractère intuitus personae, ce qui est surtout contestable à
l’égard du créancier1250, la jurisprudence allège l’obligation de règlement de la
caution et fragilise donc le cautionnement.
573. Les effets de l’extinction de l’obligation de couverture de la caution
garantissant un compte courant. L’efficacité du cautionnement se trouve
également compromise par les effets que la Cour de cassation fait produire à
l’extinction de l’obligation de couverture de la caution garantissant un compte
courant. Au moment où l’obligation de couverture prend fin (par la résiliation de la
caution, la survenance du terme expressément stipulé ou découvert par les juges), le
banquier est titulaire d’ « une créance dont le montant est en état de fluctuation, une
créance qui ne sera rendue certaine, liquide et exigible que par la clôture du
compte, événement dont la survenance est placée sous le signe de la plus grande
incertitude »1251.
Jusqu’en 1972, la Cour de cassation décidait que la caution était tenue, jusqu’à
la clôture, dans la double limite du montant de son engagement et du solde
provisoire observé au jour de l’extinction de son obligation de couverture. Les dettes
nouvelles inscrites en compte après cette date étaient réputées payées d’abord par les
remises en crédit postérieures. Cette solution, qui se justifiait par le principe
d’indivisibilité et de fusion des articles du compte en un solde final, protégeait les
intérêts financiers des créanciers, mais elle privait d’effet libératoire la résiliation de
la caution1252.
Afin de donner tout son sens à cette résiliation et d’alléger, par conséquent,
l’obligation de règlement de la caution, la Cour de cassation a opéré un revirement
de jurisprudence dans l’arrêt Bard du 22 novembre 19721253, de nombreuses fois
Sur la fusion de la société débitrice, cf. Cass. com., 14 décembre 1966 : Bull. civ. IV, n°482 ;
Cass. com., 17 octobre 1978 : Bull. civ. IV, n°231 ; Cass. 3ème civ., 16 février 2000 : JCP
2001, I, 356, n°7, obs. SIMLER ; Cass. com., 16 octobre 2001 : RJDA 2/2002, n°154 et 202 ;
CA Versailles, 28 mai 2002 : RJDA 12/2002, n°1323 ; JCP 2003, éd. E, p. 232, note
CHABERT ; Cass. com., 21 janvier 2003 : Bull. civ. IV, n°9 1247 Sur la scission de la société créancière, cf. Cass. com., 22 janvier 1985 : Bull. civ. IV,
n°30 1248 CA Paris, 24 septembre 1992 : JCP 1992, éd. E, pan. 57 ; Bull. Joly 1992, p. 1238, note
DELEBECQUE ; CA Versailles, 17 septembre 1998 : Bull. Joly décembre 1998, p. 1259 ;
JCP 1999, éd. E, p. 624, note VARIN ; Banque et droit janv-fév. 1999, p. 42, obs. STORCK ;
Cass. com., 19 mai 2004 : RJDA 11/04, n°1269 1249 Hypothèse d’une dissolution sans liquidation, avec attribution intégrale du patrimoine de
la société dissoute à l’associé unique. Cf. Cass. com., 19 novembre 2002 : Bull. civ. IV,
n°175 1250 En ce sens, cf. G. DAMY, Le cautionnement et la transmission universelle du patrimoine,
Droit et patrimoine 2004, n°129, p. 46 et s. ; Ph. THERY, n°82 1251 M. CABRILLAC, Obligation de couverture, obligation de règlement et cautionnement du
solde du compte courant, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 293 et s., n°4 1252 En ce sens, cf. M. CABRILLAC, ibid., n°5 ; Ph. SIMLER, n°781 1253 Cass. com., 22 novembre 1972 : Bull. civ. IV, n°298
confirmé depuis1254. Elle décide qu’au jour de l’extinction de l’obligation de
couverture est établi un solde provisoire, qui tient compte des opérations en
cours1255. Ce solde constitue un plafond. Les avances ultérieures du créancier sont
indifférentes à la caution, puisque son obligation de couverture est éteinte. En
revanche, toute ligne créditrice postérieure, résultant des remises faites par le
débiteur, diminue d’autant le montant garanti par la caution. A l’égard de celle-ci, le
solde provisoire ne subit plus de fluctuations bilatérales et s’amoindrit au fur et à
mesure des mouvements du compte. « L’indivisibilité du compte courant n’est plus
qu’à usage interne, réservée aux seules parties à la convention »1256. Cette jurisprudence sonne le glas des mécanismes fondamentaux du compte courant, et
notamment de l’enchevêtrement des remises. Elle s’avère également particulièrement
attentatoire aux intérêts des créanciers1257. Ces derniers se voient pratiquement tenus de
clôturer immédiatement le compte courant de leur client, s’ils veulent éviter que leur garantie
ne s’étiole du fait des remises postérieures à l’extinction de l’obligation de couverture, sauf à
ce qu’ils aient inclus dans le cautionnement une clause déjouant la solution de principe
retenue par la jurisprudence1258.
574. Que ce soit par le biais de l’extinction de l’obligation de couverture de la
caution ou par celui du défaut de preuve d’un engagement exprès, les juges réduisent
donc le montant de l’obligation de règlement et empêchent, par là même, le
paiement intégral des créanciers. Comme le paiement ponctuel est également
menacé en cas de modification du terme suspensif du contrat principal ou de
suspension des poursuites contre la caution, il apparaît que le droit positif entrave la
réalisation des attentes des créanciers et compromet, ce faisant, l’efficacité du
cautionnement. Ce constat s’impose d’autant plus que le droit en vigueur ne se
contente pas d’alléger l’obligation de règlement de la caution, il lui arrive également
de favoriser la libération pure et simple de celle-ci.
B/ L’EXTINCTION DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT
575. La protection de la caution atteint son paroxysme, et l’efficacité du
cautionnement est le plus en péril, lorsque les juges retiennent une interprétation
extensive des textes permettant l’extinction de l’obligation de règlement de la
caution, soit par voie principale (1), soit par voie accessoire (2).
1. L’extinction par voie principale
1254 Cf. notamment Cass. com., 23 mai 1989 : Bull. civ. IV, n°158 ; Cass. com., 14 décembre
1993 : Bull. Joly 1994, p. 159, note DELEBECQUE ; Cass. com., 1er juillet 2003 : Bull. civ.
IV, n°113 1255 Cass. com., 16 octobre 1984 : Bull. civ. IV, n°262 ; Cass. com., 6 novembre 1990 : Bull.
civ. IV, n°260 1256 Ph. THERY, n°83 1257 En ce sens, cf. M. CABRILLAC, art. préc., n°28 : « la mise en œuvre de la distinction de
Mouly n’a pas permis de réaliser un équilibre harmonieux entre les intérêts en présence. Le
régime de l’obligation de règlement tel que l’a défini la jurisprudence se révèle trop sévère
pour les banquiers » ; Ph. THERY, n°83 : « ce n’est pas un mince paradoxe que la garantie
résultant du mécanisme du compte annihile la garantie résultant du cautionnement ». 1258 Sur ces clauses, cf. supra n°368
576. La jurisprudence adopte une interprétation stricte des conditions de
validité du cautionnement1259. Ce n’est donc pas sur ce terrain que la libération de la
caution par voie principale se trouve favorisée1260. La décharge de la caution, en
dehors de l’application de la règle de l’accessoire, qui sera envisagée plus loin,
repose essentiellement, d’une part, sur une interprétation extensive, voire
déformante, des articles 1326 et 2015 du Code civil (a) et, d’autre part, sur la prise
en compte de la pluralité de cautionnements garantissant la même dette (b).
a. La libération de la caution fondée sur les articles 2015 ou 1326 du Code civil
577. Les interprétations du cautionnement favorables aux cautions. Par
dérogation aux dispositions de l’article 1353 du Code civil, les juges ne peuvent
fonder l’existence d’un cautionnement sur des présomptions, fussent-elles graves,
précises et concordantes et ce, même lorsque la preuve écrite n’est pas requise. La
jurisprudence décharge ainsi à raison les personnes n’ayant pas exprimé
positivement l’intention de s’engager comme caution1261. Elle applique en revanche
à tort l’article 2015 lorsque l’intention de se porter garant n’est pas seulement tacite.
Lorsque les juges déchargent l’épouse qui s’est portée caution de « tous
engagements que son mari peut ou pourra devoir (…) pour quelque cause que ce
soit »1262, la volonté de ne pas laisser un profane souscrire un cautionnement
1259 Cf. supra n°474-484 1260 Quelques décisions récentes conduisent à relativiser le faible rôle joué par la théorie des
vices du consentement dans la protection des cautions. Il s’agit de l’admission de l’erreur sur
la solvabilité du débiteur (Cass. com., 1er octobre 2002 : Bull. civ. IV, n°131), de l’erreur
commune des parties portant sur une qualité substantielle du débiteur principal, sur le
fondement de l’article 1110 alinéa 2 du Code civil (Cass. com., 19 novembre 2003 : Bull. civ.
IV, n°172), de l’erreur sur l’existence d’une pluralité de sûretés (CA Paris, 22 avril 2003 : RD
bancaire et financier 2004, n°14, obs. CERLES), ou encore de la sanction de la réticence
dolosive, sans que les juges du fond n’aient à constater que le défaut d’information imputé au
créancier avait pour objet de tromper la caution (Cass. 1ère civ., 13 mai 2003 : Bull. civ. I,
n°114).
Comme les cautions ont de plus en plus de mal à engager la responsabilité des créanciers (cf.
supra n°461-466), elles vont certainement se rabattre sur les vices du consentement. « Le
risque est alors qu’un contentieux chasse l’autre, le droit du cautionnement comme la nature,
ayant horreur du vide » (Y. PICOD, note sous Cass. com., 1er octobre 2002, D. 2003,
p. 1618). Ce risque paraît cependant moins prégnant depuis l’extension de la protection du
consentement des cautions personnes physiques contractant avec un créancier professionnel
(article L. 341-2 du Code de la consommation). 1261 La libération de la caution, sur le fondement de l’article 2015 du Code civil, semble tout à
fait justifiée dans les hypothèses suivantes : en cas de silence gardé par un tiers (Cass. com.,
16 décembre 1981 : Bull. civ. IV, n°447) ; lorsqu’une personne souscrit une promesse
d’hypothèque, sans s’engager personnellement à payer la dette d’autrui (Cass. 3ème civ., 27
avril 1982 : JCP 1982, IV, 236 ; Gaz. Pal. 1982, 2, pan., p. 292, obs. A.P. ; Banque 1982,
p. 1388) ; en présence de simples pourparlers (CA Paris, 27 janvier 1984 : Juris-Data
n°20359) ; lorsqu’une personne remplit simplement une fiche de renseignements (CA Paris,
10 janvier 1984 : Juris-Data n°20006) ; lorsque le cautionnement est signé au nom d’une
personne qui n’a délivré aucun mandat en ce sens (Cass. 1ère civ., 13 novembre 2002 : RJDA
8-9/2004, n°1038). 1262 Cass. 1ère civ., 22 avril 1992 : Bull. civ. I, n°129
omnibus l’emporte ainsi sur la lettre de l’article 20151263. Est également contestable
l’arrêt qui déclare inefficace un cautionnement, sur le fondement du seul article
2015, sans aucune référence à l’article 1326, en raison du caractère imprécis de la
mention manuscrite, alors que le corps de l’acte contenait indiscutablement un
engagement exprès de cautionner « toutes les dettes pouvant être dues » par une
société à une autre1264.
578. L’omission de la somme en chiffres dans la mention manuscrite. Au
sujet de l’article 1326 du Code civil, de nombreuses dérives jurisprudentielles, au
regard de l’objectif d’efficacité du cautionnement, peuvent également être
dénoncées1265. Tout d’abord, la première et la deuxième Chambre civile de la Cour
de cassation décident que l’omission de la somme en chiffres affecte la force
probante de l’acte, même si la mention en lettres, qui prévaut selon les termes de
l’article 1326 in fine, existe1266. Cette rigueur de la Haute juridiction, même si elle
est tempérée par le fait que l’acte vaut, malgré une telle omission, commencement
de preuve par écrit1267, surprend, dans la mesure où le risque de falsification n’est en
rien comparable à celui existant dans l’hypothèse où c’est la mention en lettres qui
fait défaut. Surtout, la première Chambre civile de la Cour de cassation retient la
solution inverse en matière de reconnaissance de dettes1268.
579. La preuve du cautionnement omnibus. Ensuite, c’est à l’égard des
cautionnements d’un montant indéterminé que les juges se servent de l’article 1326
pour décharger la caution. Dans le cadre de ces cautionnements, la Cour de cassation
exige que la mention manuscrite exprime « sous une forme quelconque, mais de
façon explicite et non équivoque, la connaissance par celui qui s’engage de la
1263 Comme l’article L. 341-2 du Code de la consommation interdit désormais les
cautionnements indéfinis souscrits par une personne physique au bénéfice d’un créancier
professionnel, l’article 2015 devrait plus rarement être utilisé pour fonder de telles décharges. 1264 Cass. 1ère civ., 2 avril 1997 : Juris-Data n°001623. A rapprocher de Cass. 1ère civ., 15
décembre 1998 : Bull. civ. I, n°360 1265 Le champ d’application de l’article 1326 du Code civil étant très limité depuis la réforme
du 1er août 2003, les dérives jurisprudentielles, si elles devaient perdurer, ne pourraient
concerner que les cautionnements conclus avant l’entrée en vigueur de cette loi, les
cautionnements postérieurs unissant une caution personne physique à un créancier non
professionnel, ou encore les cautionnements postérieurs souscrits par une personne morale
non commerçante. 1266 Cass. 1ère civ., 13 novembre 1996 : Bull. civ. I, n°393 ; Cass. 2ème civ., 27 juin 2002 : Bull.
civ. II, n°147 ; Cass. 1ère civ., 25 mai 2005 : D. 2005, AJ, p. 1548, obs. AVENA-ROBARDET 1267 Cass. 1ère civ., 13 novembre 1996 : préc. ; Cass. 2ème civ., 27 juin 2002 : préc. ; Cass. 1ère
civ., 25 mai 2005 : préc.
Mais la Cour de cassation décide que, si la qualification de commencement de preuve par
écrit n’est pas invoquée, l’acte ne peut produire aucun effet, et donc la caution doit être
LEVENEUR). 1268 Cass. 1ère civ., 19 décembre 1995 : Bull. civ. I, n°467 ; Contr., conc., consom. 1996, n°37,
obs. LEVENEUR ; RTD civ. 1996, p. 620, obs. MESTRE ; Cass. 1ère civ., 18 septembre
2002 : Bull. civ. I, n°207 ; JCP 2002, éd. E, 1573 ; RJDA 1/2003, n°98 ; JCP 2003, éd. E,
852, n°2, obs. SIMLER ; Cass. 1ère civ., 19 novembre 2002 : Bull. civ. I, n°278 ; Contr.,
conc., consom. 2003, n°54, obs. LEVENEUR
nature et de l’étendue de l’obligation qu’il contracte »1269. Si les juges entendent
libérer la caution d’un engagement omnibus, qu’ils estiment trop lourd, il leur suffit
de déclarer la formule insuffisante et dépourvue de caractère explicite. Il y a
quelques années, la Cour de cassation a ainsi écarté des mentions qui paraissaient
pourtant établir la connaissance de la caution1270. L’efficacité du cautionnement s’en
est trouvée menacée.
580. La preuve du mandat sous seing privé de se porter caution. Enfin, il
est permis de relever une interprétation extensive de l’article 1326 dans son
application au mandat sous seing privé de se porter caution1271.Même s’il est tout
aussi dangereux de donner un tel mandat que de cautionner directement une dette,
cette solution jurisprudentielle demeure critiquable1272. En effet, le mandataire ne
s’engage pas à payer une somme d’argent, comme l’exige l’article 1326, mais
seulement à représenter le mandant dans un acte juridique. Ainsi, « le critère
déterminant retenu par la Cour de cassation dans cette matière ne réside pas dans
le respect des qualifications juridiques, mais dans la volonté d’apprécier les risques
encourus par la caution »1273. Encore une fois, c’est donc la volonté de protéger le
garant qui l’emporte sur la lettre des textes et sur l’objectif d’efficacité du
cautionnement.
581. La libération de la caution, préjudiciable aux intérêts des créanciers, peut
résulter, non seulement d’une interprétation extensive des articles 2015 ou 1326 du
Code civil, mais aussi de la prise en compte de la pluralité de cautionnements
solidaires.
b. La libération de la caution
résultant de l’existence d’une pluralité de cautionnements solidaires
582. Si, en principe, l’extinction d’un cautionnement solidaire n’influe pas sur
l’existence des autres engagements1274, il existe néanmoins deux hypothèses dans
1269 Cass. 1ère civ., 3 mars 1970 : D. 1970, p. 403, note ETESSE ; Banque 1970, p. 602, obs.
MARIN 1270 A été jugée insuffisamment explicite par rapport à la nature et au montant des obligations
garanties, la mention suivante : « bon pour cautionnement solidaire, à concurrence de la
somme de tous engagements en principal, plus intérêts, commissions et accessoires » (Cass.
1ère civ., 6 février 1980 : JCP 1981, II, 19535, note REMOND-GOUILLOUD ; D. 1980, IR,
p. 418 ; Banque 1980, p. 236, obs. MARTIN ; Cass. 1ère civ., 4 mars 1986 : Bull. civ. I, n°49). 1271 Cass. 1ère civ., 31 mai 1988 : Bull. civ. I, n°163 ; Cass. 1ère civ., 6 mars 2001 : Bull. civ. I,
n°57 ; Cass. 1ère civ., 4 juin 2002 : Bull. civ. I, n°158 ; Cass. com., 1er octobre 2002 : Bull. civ.
I, n°132 ; Cass. 1ère civ., 29 octobre 2002 : Bull. civ. I, n°251.
En raison du parallélisme des formes, l’article 1326 ne devrait pas jouer en présence d’un
mandat sous seing privé donné par une caution personne physique pour conclure un
cautionnement au profit d’un créancier professionnel. Dans cette hypothèse, le mandat devrait
plutôt comporter la mention de l’article L. 341-2 du Code de la consommation (en ce sens, cf.
V. AVENA-ROBARDET, Réforme inopinée du cautionnement, D. 2003, chron., p. 2085 ; L.
AYNES, La réforme du cautionnement par la loi Dutreil, Droit et patrimoine 2003, n°120,
p. 31 ; J. FRANÇOIS, n°177). 1272 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°377 1273 C. ALBIGES, Le mandat de se porter caution, D. 2002, chron., p. 706 et s., n°20 1274 Cf. supra n°474
lesquelles la jurisprudence considère que cette extinction emporte la libération des
cofidéjusseurs.
583. La novation de l’obligation de l’une des cautions. Il en va ainsi, tout
d’abord, en cas de novation de l’obligation de l’une des cautions. En adoptant un
raisonnement syllogistique, la première Chambre civile de la Cour de cassation
décide, depuis 1984, de faire prévaloir les règles de la solidarité passive (article
1281 alinéa 1er du Code civil) sur celles du cautionnement, et donc de libérer les
cofidéjusseurs, à proportion de la part du cofidéjusseur « nové »1275.
584. La remise de dette au profit de l’un des cofidéjusseurs. La libération
peut, ensuite, résulter d’une remise de dette au profit de l’une des cautions
solidaires. La Haute juridiction décide, également depuis 1984, que « lorsque le
créancier, moyennant le paiement d’une certaine somme, a déchargé l’une des
cautions solidaires de son engagement, les autres cautions solidaires ne restent
tenues que déduction faite, soit de la part et portion dans la dette du cofidéjusseur
bénéficiaire de la remise conventionnelle, soit du montant de la somme versée par
ce dernier lorsque cette somme excède sa part et portion »1276.
Paradoxalement, le cautionnement solidaire, en cas de novation ou de remise de
dette assortie d’une contrepartie, est donc moins protecteur des droits du créancier
que le cautionnement simple1277.
585. Le dol du cofidéjusseur. Plus récemment, la Cour de cassation a fondé
la libération de la caution, non pas sur un événement affectant les rapports entre le
créancier et l’une des cautions solidaires, mais sur les rapports personnels entre les
cofidéjusseurs. En effet, elle a décidé que « dans les rapports entre cofidéjusseurs,
le dol peut être invoqué par la caution qui se prévaut de la nullité du cautionnement
lorsqu’il émane de son cofidéjusseur »1278.
Cette solution est directement contraire à la lettre de l’article 1116 du Code
civil et à la jurisprudence rendue en matière de dol du débiteur principal1279. En
1275 « Il résulte de l’article 2021 du Code civil que l’engagement d’une caution solidaire au
regard du créancier se règle par les principes établis pour les dettes solidaires. D’après
l’article 1281 du même code, la novation faite entre le créancier et l’un des débiteurs
solidaires a pour effet de libérer les codébiteurs. Il s’en suit, en l’absence de convention
contraire, que la novation opérée à l’égard des cautions C et F libère leur cofidéjusseur B »
(Cass. 1ère civ., 11 janvier 1984 : Bull. civ. I, n°11).
Antérieurement, la novation restait indifférente à l’égard des cofidéjusseurs, cf. Cass. civ., 18
juillet 1866 : DP 1866, 1, p. 326 ; S. 1866, 1, p. 429. C’est d’ailleurs à cette solution que
semble se rallier la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui décide que « la
novation opérée à l’égard de l’une des cautions n’a pas pour effet de libérer le débiteur
principal et, par suite, pas davantage les autres cautions solidaires, sauf convention
contraire » (Cass. com., 7 décembre 1999 : Bull. civ. IV, n°219). 1276 Cass. 1ère civ., 11 juillet 1984 : Bull. civ. I, n°229 1277 En ce sens, cf. J. MESTRE, Les cofidéjusseurs, Droit et Patrimoine 1998, n°56, p. 78 ; J.
FRANÇOIS, n°367 ; Ph. SIMLER, n°759
Sur le sort d’un cautionnement simple en cas de remise de dette, cf. Cass. 1ère civ., 23 juin
1992 : Bull. civ. I, n°192 1278 Cass. com., 29 mai 2001 : Bull. civ. IV, n°100 1279 Cf. supra n°477
consacrant ainsi un « dol à géométrie variable »1280, la Haute juridiction fragilise
très profondément le cautionnement, puisqu’elle prive le créancier de tout droit
contre la caution, alors même qu’il n’est en rien à l’origine de l’erreur de celle-ci sur
la situation du débiteur. Le souci de moralisation des rapports entre
cofidéjusseurs1281 l’emporte donc sur la fonction de garantie du cautionnement.
Les attentes du créancier sont également remises en cause lorsque les juges
confèrent à la règle de l’accessoire une portée très large afin de décharger
complètement la caution.
2. L’extinction par voie accessoire
586. Le caractère accessoire renforcé est souvent présenté comme le talon
d’Achille, le vice congénital du cautionnement. La multiplication des causes de
libération de la caution découlant de l’unicité d’objet entre l’obligation de règlement
de cette dernière et l’obligation principale serait, ainsi, la principale cause
d’inefficacité du cautionnement. Dans la mesure où tous les créanciers connaissent
cette caractéristique essentielle du cautionnement, le risque d’extinction par voie
accessoire fait partie des prévisions contractuelles. Ce n’est donc pas tant le
caractère accessoire renforcé lui-même qui porte atteinte à l’efficacité du
cautionnement que, d’une part, la conception extensive qu’en retient la
jurisprudence (a) et, d’autre part, son application au moment où l’insolvabilité du
débiteur principal est avérée, c'est-à-dire lorsque celui-ci est soumis à une procédure
collective (b).
a. L’interprétation extensive du caractère accessoire renforcé du cautionnement
587. Afin de protéger les cautions, la jurisprudence confère une très large
portée à la règle de l’accessoire. Non seulement les juges interprètent restrictivement
l’exception à la règle de l’accessoire figurant à l’article 2012 alinéa 2 du Code civil,
mais ils font aussi produire à cette règle des effets qui n’en sont pas des
conséquences nécessaires.
588. L’interprétation restrictive de la dérogation légale au caractère
accessoire renforcé (article 2012 alinéa 2 du Code civil). Tout d’abord, au titre
des exceptions purement personnelles au débiteur principal, que l’article 2012 alinéa
2 interdit aux cautions d’invoquer, la jurisprudence retient les causes d’incapacité.
Comme la minorité n’est citée qu’à titre d’exemple par ce texte, l’analogie avec
d’autres causes d’incapacité se trouve autorisée par la loi1282. Est donc valable le
cautionnement d’un majeur incapable, même si celui-ci a contracté la dette garantie
sans être assisté de son curateur ou sans être représenté par son tuteur.
La dérogation au caractère accessoire renforcé, en présence d’une cause
d’incapacité1283, quelle qu’elle soit, ne s’explique pas par la volonté de protéger les
1280 P. CROCQ, obs. sous Cass. com., 29 mai 2001, RTD civ. 2003, p. 322 1281 En ce sens, cf. F. BUY, Le dol du cofidéjusseur (à propos de Cass. com., 29 mai 2001),
Droit et patrimoine 2002, n°101, p. 22 1282 Sur l’exemplarité comme « une analogie autorisée et assistée », cf. G. CORNU, Le règne
discret de l’analogie, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p. 133 et 134 1283 La Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 29 octobre 2002 : RJDA
3/2003, n°315) a précisé que l’état de cessation des paiements de l’entreprise débitrice ne
constitue pas une cause d’incapacité.
intérêts des créanciers, mais par le souci de faciliter l’accès au crédit des
incapables1284. Cette ratio legis conduit la jurisprudence à limiter les exceptions
purement personnelles au débiteur aux seules causes d’incapacité.
Les vices frappant le consentement du débiteur peuvent ainsi être opposés par
la caution au créancier. Pourtant, en ce que ces vices « affectent ce que chaque
individu a de plus personnel et de plus intime : sa liberté de décision »1285, ils
auraient pu être qualifiés d’exceptions purement personnelles au débiteur principal,
comme ils le sont, d’ailleurs, en application de l’article 1208 du Code civil.
Peut également être invoqué par la caution, le défaut de pouvoir du débiteur
principal. Après avoir refusé l’annulation du cautionnement dans l’hypothèse du
défaut de pouvoir du représentant de la société ayant conclu le contrat principal1286,
la Cour de cassation a en effet refusé d’assimiler cette hypothèse à celle de
l’incapacité. Elle fait donc application de l’article 2012 alinéa 1er1287, alors que le
défaut de pouvoir ne répond manifestement pas à l’idée d’exception inhérente à la
dette, et elle justifie sa solution en relevant que la sanction du défaut de pouvoir
réside dans une nullité absolue fondée sur l’ordre public1288, ce qui est également
contestable.
Au nom de la protection des intérêts de la caution, la jurisprudence adopte ainsi
une lecture restrictive de la dérogation légale au caractère accessoire du
cautionnement.
589. La volonté des parties au contrat de base est sans influence sur
l’extinction par voie accessoire du cautionnement. Dans cette même optique de
protection de la caution, la jurisprudence s’oppose à ce que l’extinction réflexe du
cautionnement ne soit paralysée par la volonté des parties au contrat de base. Le
créancier ne peut donc pas empêcher la libération de la caution, consécutive à la
défaillance de la condition suspensive assortissant le contrat principal, en renonçant
à cette condition1289. Un accord entre le créancier et le débiteur principal, par lequel
ils renoncent à la réalisation d’une condition, est pareillement insusceptible de
remettre en cause la libération de la caution1290. Sont encore inopposables à celle-ci
les renonciations du seul débiteur principal à des causes d’extinction de sa dette,
telles que la prescription1291 ou la compensation légale1292.
1284 En ce sens, cf. A. SCHNEIDER, Des exceptions que la caution peut opposer au
créancier. Pour un retour aux sources, JCP 2002, I, 121 ; J. FRANÇOIS, n°188 ; Ph.
MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°139 ; Ph. SIMLER, n°219 1285 Ph. SIMLER, n°218 1286 Cass. 1ère civ., 27 avril 1976 : Bull. civ. I, n°141 1287 Cass. com., 25 novembre 1980 : Bull. civ. IV, n°394 ; Cass. 1ère civ., 20 octobre 1987 :
Bull. civ. I, n°269 1288 Ch. Mixte 25 novembre 1980 : Defrénois 1981, article 56326, p. 1274, obs. J.V. ; Ch.
Mixte 10 juillet 1981 : Bull. civ. Ch. Mixte n°7 ; D. 1981, p. 367, concl. CABANNES 1289 Cass. 1ère civ., 12 juin 1990 : Bull. civ. I, n°158 1290 Cass. 1ère civ., 29 avril 1997 : Bull. civ. I, n°133 1291 La renonciation du débiteur principal à la prescription n’aboutit pas à faire renaître
l’obligation (Cass. req., 2 février 1886 : S. 1887, 1, p. 5, 2e espèce, note LABBE ; DP 1886, 1,
233 ; Cass. civ., 18 mars 1895 : DP 1895, 1, p. 367 ; S. 1896, 1, p. 28). La caution peut
toujours invoquer la prescription extinctive de l’obligation principale, même si le débiteur a
négligé de le faire et s’est laissé condamner (Cass. com., 19 novembre 1996 : Bull. civ. IV,
n°276).
Par ailleurs, en cas d’inaction du débiteur, la jurisprudence admet que la
caution puisse prendre l’initiative de demander la résolution du contrat principal1293
ou encore sa nullité relative1294.
590. Menacée par la conception jurisprudentielle hyperbolique du caractère
accessoire renforcé, l'efficacité du cautionnement l’est également par la primauté de
ce caractère accessoire sur la fonction de garantie, au moment où celle-ci est la plus
attendue, c'est-à-dire lors de l’ouverture d’une procédure collective contre le
débiteur principal.
b. La primauté du caractère accessoire renforcé
en cas de procédure collective de paiement contre le débiteur principal
591. L’exception de forclusion pour défaut de déclaration de la créance.
Lorsque l’entreprise débitrice fait l’objet d’une procédure collective, la libération
par voie accessoire de la caution peut résulter du défaut de déclaration de la créance
dans cette procédure1295.
Avant 1984, la Cour de cassation décidait que le créancier ne commettait
aucune faute en ne déclarant pas sa créance avant de poursuivre la caution, et elle
refusait de libérer celle-ci1296.
Dans un arrêt du 19 juin 1984, la Chambre commerciale a opéré un revirement
de jurisprudence, en affirmant que l’extinction de la créance, par suite du défaut de
production dans le délai légal, constitue une exception inhérente à la dette opposable
par la caution au créancier1297. Sous l’empire la loi du 13 juillet 1967, « la forclusion
1292 Cass. com., 26 octobre 1999 : Bull. civ. IV, n°181 1293 Cass. com., 30 novembre 1982 : Bull. civ. IV, n°384 ; Cass. 1ère civ., 20 décembre 1988 :
Bull. civ. I, n°368 1294 Par dérogation au principe selon lequel seule la personne protégée peut se prévaloir de la
nullité relative, il est admis qu’en cas d’abstention du débiteur principal, la caution peut
exercer cette action en nullité. La jurisprudence n’a pas encore eu l’occasion de décider si la
caution peut encore invoquer la nullité relative, lorsque celle-ci a fait l’objet d’actes positifs
de confirmation. La doctrine est divisée sur cette question (cf. COUTURIER, La confirmation
des actes nuls, LGDJ, 1972, n°51 ; Ch. MOULY, th préc., n°210 ; M. CABRILLAC et Ch.
MOULY, n°61 ; J. FRANÇOIS, n°184 ; D. LEGEAIS, n°130 ; Ph. MALAURIE et L.
AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°129 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par
Y. PICOD, n°21 ; S. PIEDELIEVRE, n°52 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°75 ; Ph.
SIMLER, n°231). Tout dépend de la portée que l’on souhaite conférer, d’une part, à l’article
1338 alinéa 3 du Code civil, d’autre part, à la règle de l’accessoire. 1295 La loi n°2003-710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la
rénovation urbaine impose aux créanciers de déclarer leur créance suite à l’ouverture de la
procédure de liquidation judiciaire du patrimoine personnel du débiteur surendetté. Le nouvel
article L. 332-7 du Code de la consommation précise que le non respect du délai, qui sera fixé
par un décret en Conseil d’Etat, entraînera l’extinction des créances, sauf aux créanciers à
obtenir du juge de l’exécution un relevé de forclusion. Il est plus que probable que les juges
retiendront, comme en matière de procédure collective, que l’extinction de la créance pour
défaut de déclaration dans cette procédure de surendettement emportera l’extinction par voie
accessoire de la dette de la caution. 1296 Cass. com., 4 octobre 1972 : Bull. civ. IV, n°231 ; Cass. 1ère civ., 4 juillet 1979 : Bull. civ.
I, n°200 ; Cass. com., 16 novembre 1982 : Bull. civ. IV, n°353 ; Cass. com., 16 février 1983 :
Bull. civ. IV, n°68 1297 Cass. com., 19 juin 1984 : Bull. civ. IV, n°198
étant peu appliquée et souvent pardonnée »1298, cette solution ne se traduisait pas
trop souvent par la libération de la caution1299. Il en va tout autrement en application
de l’article 53 de la loi du 25 janvier 1985 (article L. 621-46 du Code de commerce).
La jurisprudence a confirmé, en 1990, que l’extinction prévue par le 4e alinéa
de ce dernier texte constitue une exception inhérente à la dette, que la caution peut
invoquer pour être entièrement déchargée1300. Mais, comme les conditions de la
forclusion sont plus facilement réunies sous l’empire de la loi de 1985, la solution de
la Cour de cassation se révèle beaucoup plus nuisible aux intérêts des créanciers.
592. L’extinction du cautionnement pour défaut de déclaration : un
facteur d’inefficacité essentiel. Les créanciers ressentent d’autant plus durement la
libération de la caution que la défaillance de leur débiteur est consommée. Priver les
créanciers de leur garantie au moment où, par définition, ils en ont le plus besoin,
s’avère particulièrement contraire à l’objectif d’efficacité. Quand on sait que le délai
pour déclarer sa créance est très bref, qu’il court très tôt, et que, par ailleurs, les
conditions d’un relevé de forclusion sont très restrictives, l’extinction du
cautionnement pour défaut de déclaration de la créance à la procédure collective du
débiteur apparaît comme « un moyen de spoliation des créanciers …(comme) une
chausse-trappe pour les créanciers de bonne foi »1301. Il se peut, en effet, que « des
créanciers mal informés des conséquences du défaut de déclaration se soient
abstenus de s’y soumettre en raison d’une quasi-certitude de la vanité de leur
démarche, le débiteur étant notoirement insolvable »1302. Quelle que soit la raison de
l’absence de déclaration, elle est donc considérée par la jurisprudence comme une
cause de libération de la caution par voie accessoire.
Les juges font primer d’autant plus nettement le caractère accessoire du
cautionnement sur sa fonction de garantie, qu’ils reconnaissent à cette cause
d’extinction un champ d’application très étendu. En effet, ils décident que l’absence
de vérification des créances ne dispense pas les créanciers de leur obligation de
déclaration1303. Par ailleurs, les créances déclarées une première fois à l’occasion du
redressement judiciaire doivent faire l’objet d’une seconde déclaration dans la
procédure de liquidation, à défaut de quoi elles s’éteignent, ainsi que le
cautionnement, par voie accessoire1304. En outre, la jurisprudence assimile à
l’absence de déclaration, la déclaration tardive sans relevé de forclusion, le rejet de
la déclaration1305 et la déclaration irrégulière, faite par une personne non habilitée à
1298 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°305 1299 La libération de la caution, sous l’empire de la loi de 1967, supposait remplies deux
conditions : l’absence de clause de retour à meilleure fortune (une telle absence était rarissime
devant le caractère de clause de style d’une telle disposition) et l’exécution totale du
concordat (ce que la pratique a rarement démontré). Cf. Cautionnement et redressement
judiciaire des entreprises, in Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E.,
Cahier droit des entreprises 2-92, p. 9 et s. 1300 Cass. com., 17 juillet 1990 : Bull. civ. IV, n°214 et 215 1301 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°220 et 305 1302 Ph. SIMLER, n°723 1303 Cass. com., 23 novembre 1999 : Bull. civ. IV, n°208 1304 Cass. com., 6 décembre 1994 : Bull. civ. IV, n°362 ; Cass. com., 23 juin 1998 : RTD com.
1999,
p. 502, obs. MARTIN-SERF 1305 Cass. com., 19 octobre 1993 : Bull. civ. IV, n°351
représenter le créancier. La jurisprudence se montre très exigeante relativement aux
conditions de la représentation et elle augmente, ce faisant, les risques de forclusion
des créanciers, et donc de décharge intégrale de la caution1306.
593. Lorsque le débiteur est placé en redressement judiciaire, la primauté du
caractère accessoire du cautionnement sur sa fonction de protection des intérêts
financiers des créanciers compromet donc gravement l’efficacité de cette sûreté.
En dehors de toute procédure collective, la jurisprudence a également tendance
à adopter une interprétation extensive du caractère accessoire du cautionnement. La
libération des cautions par voie accessoire se trouve par conséquent favorisée.
La libération par voie principale, qu’elle repose sur une interprétation extensive
des articles 2015 ou 1326 du Code civil, ou sur l’existence d’une pluralité de
cautionnements solidaires, est pareillement encouragée par les juges.
Si la jurisprudence n’hésite pas à décharger la caution, dans l’oubli de la
fonction de garantie du cautionnement, elle hésite encore moins, d’une part, à
réduire le montant de l’obligation de règlement de la caution (en raison du défaut de
preuve d’un engagement exprès ou de l’extinction de l’obligation de couverture) et,
d’autre part, à déterminer le moment de l’exécution de la caution dans un souci de
protection des intérêts de celle-ci.
La politique légale et jurisprudentielle de protection de la caution ne se
manifeste pas qu’à travers l’allégement, voire l’extinction de l’obligation de
règlement. Elle se concrétise également par les contraintes mises à la charge des
créanciers.
§2 : LES CONTRAINTES EXCESSIVES
IMPOSEES AUX CREANCIERS
594. Les contraintes imposées aux créanciers, sur le fondement de l’éthique
contractuelle, peuvent être utiles à l’efficacité du cautionnement1307. En revanche,
1306 La déclaration est considérée comme irrégulière à défaut de pouvoir identifier son
signataire et donc de pouvoir vérifier l’existence, à son profit, d’une délégation de pouvoirs
suffisante (Cass. com., 27 octobre 1998 : RJDA 12/1998, n°1387, 1ère espèce). S’agissant des
déclarations opérées par un préposé, elles nécessitent une délégation de pouvoirs, qui ne peut
pas être implicitement établie par la fonction du déclarant (Cass. com., 4 juillet 2000 : RJDA
1/2001, n°48, 1ère espèce), et qui ne peut pas résulter des seules attestations du secrétaire
général et du responsable de la direction juridique (CA Amiens, 8 septembre 2003 : RD
bancaire et financier 2004, n°11, obs. LEGEAIS). S’agissant des déclarations confiées à un
mandataire, elles ne sont régulières que si celui-ci bénéficie d’un pouvoir spécial (Cass. com.,
13 avril 1999 : RJDA 11/1999, n°1227 ; Cass. com., 5 novembre 2003 : RD bancaire et
financier 2004, n°11, obs. LEGEAIS), à moins qu’il ne s’agisse d’un avocat, qui est dispensé
d’en justifier. Un écrit doit apporter la preuve du mandat (Cass. com., 17 décembre 1996 :
Bull. civ. IV, n°313), et il doit être produit dans le délai même de la déclaration. Une
régularisation ultérieure est inefficace (Cass. com., 27 octobre 1998 : RJDA 12/1998, n°1387,
1ère espèce). La jurisprudence refuse qu’il soit supplée au mandat spécial et écrit au moyen
d’un commencement de preuve par écrit complété par d’autres éléments (Cass. Ass. Plén., 26
janvier 2001 : Bull. Ass. Plén., n°1). La Cour de cassation a décidé aussi que les juges du fond
doivent rechercher si la signature de la déclaration, précédée de la mention P/O (pour ordre),
est bien celle de la personne habilitée à procéder à cette déclaration (Cass. 1ère civ., 1er avril
2003 : D. 2003, AJ, p. 1292 ; RJDA 10/2003, n°1020 ; RD bancaire et financier 2003, n°137,
obs. LEGEAIS).
les contraintes ayant pour finalité la protection de la caution, réputée faible du seul
fait de cette qualité, et les contraintes dont les modalités provoquent l’apparition de
facteurs d’inefficacité, tels que le refus d’exécution du garant ou l’augmentation du
coût de la protection du créancier, sont excessives au regard de l’objectif d’efficacité
du cautionnement. Les contraintes mises à la charge des créanciers peuvent être des
facteurs d’inefficacité, en raison de leur principe même (A), de leurs modalités (B),
ou de leur sanction (C).
A/ LE PRINCIPE MEME DES CONTRAINTES
595. Lorsque la loi ou les juges imposent aux créanciers de se préoccuper des
intérêts de leur garant, soit en les obligeant à faciliter l’exécution de la prestation de
celui-ci, soit en les dissuadant d’adopter des comportements prédateurs, la protection
du garant n’est qu’incidente. C’est l’impératif d’éthique contractuelle qu’ils
cherchent avant tout à promouvoir. Le respect de cet ordre de priorité rend plus sûre
l’efficacité des garanties personnelles.
Au contraire, lorsque des contraintes sont imposées aux créanciers dans le but
principal de protéger des cautions réputées en danger, le principe même des
contraintes heurte la fonction de garantie du cautionnement et menace, par
conséquent, l’efficacité de celui-ci. Sont excessives, pour cette raison, les contraintes
sociétaires inscrites dans les articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce
(1), ainsi que les obligations conventionnelles découvertes par les juges allant bien
au-delà de la tempérance et de la solidarité que commande l’impératif d’éthique
contractuelle (2).
1. Les contraintes sociétaires
596. L’exigence d’autorisation du cautionnement donné par une société
anonyme (articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce). Par dérogation
au principe de plénitude des pouvoirs des représentants sociaux, le cautionnement
donné par une société anonyme doit être autorisé par le conseil d’administration
(article L. 225-35 du Code de commerce) ou par le conseil de surveillance (article L.
225-68 du Code de commerce).
La justification habituellement donnée à cette procédure d’habilitation est la
nécessité de tempérer les pouvoirs exorbitants du président du conseil
d’administration et de soumettre au contrôle de l’organisme collégial des
engagements susceptibles de présenter un danger pour la personne morale.
L’exigence d’autorisation protège donc directement les intérêts de la société caution,
en dehors de toute déloyauté du créancier, et elle ne répond pas à l’impératif
d’éthique contractuelle. Par conséquent, cette contrainte sociétaire est contraire à la
fonction de garantie du cautionnement.
Elle est également contestable parce qu’il lui « manque une juste raison
d’être »1308. Tout d’abord, le dispositif institué par la loi de 1966 « ne se justifie, ni
par un important contentieux antérieur, ni par une tradition »1309, et il n’a pas
d’équivalent dans la plupart des législations voisines. Ensuite, rien ne justifie de
1307 Sur les contraintes utiles à l’efficacité du cautionnement, cf. supra n°407-416 1308 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°121 1309 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°121
protéger les sociétés anonymes plus que d’autres cautions. Les cautionnements
donnés par ces personnes morales pourraient même être moins encadrés que ceux
souscrits par d’autres sociétés, puisque les associés bénéficient d’une limitation de
responsabilité que l’on ne retrouve pas dans toutes les formes de groupement. Enfin,
le manque de justification tient au fait que des actes tout aussi dangereux que le
cautionnement, notamment les sûretés réelles, sont librement consentis par le
président directeur général.
Alors même que le besoin de protection de la société anonyme accordant sa
garantie à un tiers est donc très discutable, le législateur oblige les créanciers à
obtenir l’autorisation du conseil d’administration ou de surveillance au nom de cette
protection et leur impose, par là même, une contrainte dont la finalité est contraire à
la fonction de garantie du cautionnement1310.
597. Contrainte injustifiée, injuste pour le créancier qui peut se voir opposer la
négligence de la société caution, et incompatible avec la fonction de garantie du
cautionnement, l’exigence d’autorisation n’est pas la seule qui soit excessive dans
son principe même. Ce reproche peut également être adressé aux obligations
conventionnelles implicites outrepassant les exigences de l’impératif d’éthique
contractuelle.
2. Les obligations conventionnelles implicites
excédant l’impératif d’éthique contractuelle
598. Les excroissances de l’impératif d’éthique contractuelle. L’impératif
d’éthique contractuelle impose des limites au déploiement de l’individualité des
créanciers. Il exige, négativement, que ceux-ci ne profitent pas de leur situation de
force pour exploiter le garant et, positivement, qu’ils facilitent l’exécution de ce
dernier. La tempérance des créanciers et la solidarité entre les contractants sont les
deux versants de l’impératif d’éthique contractuelle1311. Si les créanciers sont soumis
à des obligations exprimant l’une de ces deux exigences de l’éthique contractuelle,
l’efficacité du cautionnement n’est pas menacée, dès lors, toutefois, que les
modalités de ces obligations ne compromettent pas certains facteurs d’efficacité et
ne facilitent pas l’apparition de certains facteurs d’inefficacité.
Si, au contraire, sont mises à la charge des créanciers des obligations qui
excèdent ce qui est nécessaire au respect de l’impératif d’éthique contractuelle,
l’efficacité du cautionnement se trouve compromise, quelles que soient les modalités
de ces contraintes, car c’est leur principe même qui se révèle alors contraire à la
fonction de garantie du cautionnement.
599. La responsabilité pour octroi excessif ou rupture abusive de crédit. Il
en va tout d’abord ainsi lorsque les juges découvrent à la charge des créanciers, non
pas seulement un devoir de tempérance, qui impose de limiter l’octroi de crédit et le
montant de la garantie aux facultés financières respectives du débiteur principal et
de la caution, mais une véritable obligation de ne pas distribuer ou de ne pas retirer
1310 Certains juges du fond n’hésitent pas à mettre en avant les travers des contraintes
sociétaires. La Cour d’appel de Riom (CA Riom, 29 janvier 2003 : RD bancaire et financier
2003, n°228, obs. CERLES) a ainsi relevé « qu’admettre une telle opposabilité (de la nullité
de l’autorisation) permettrait à la caution autorisée de se ménager une possibilité d’échapper
à son engagement en le faisant volontairement précéder d’une autorisation irrégulière ». 1311 Cf. supra n°146-161
du crédit, alors même que la situation du débiteur n’est pas encore désespérée1312.
Chaque fois que la responsabilité du banquier est engagée pour octroi excessif de
crédit, ou pour rupture brutale de crédit, sans que ne soit exigée une situation
irrémédiablement compromise du débiteur, ce n’est pas un abus du créancier qui est
sanctionné, mais seulement une imprudence1313. En considérant comme fautif
« l’octroi imprudent de financements à un débiteur dont la situation est fragile »1314,
la Cour de cassation va bien au-delà de ce qu’exige l’impératif d’éthique
contractuelle et, plus précisément, le devoir de tempérance qui en découle. Elle
compromet, ce faisant, l’efficacité du cautionnement.
600. Devoir de conseil. Un même constat peut être formulé lorsque les juges
retiennent la responsabilité du créancier pour manquement au devoir de conseil à
l’égard de la caution. Si l’impératif d’éthique contractuelle exige que les
contractants se montrent solidaires l’un envers l’autre, c'est-à-dire renseignent leur
partenaire sur tout ce qui est susceptible de faciliter ou, au contraire, d’entraver
l’exécution de sa prestation, il n’impose pas aux créanciers de conseiller la caution
sur l’opportunité de son engagement et de s’abstenir, le cas échéant, de recevoir le
cautionnement.
Alors que la Cour de cassation refusait traditionnellement de faire peser sur les
créanciers un devoir de conseil à l’égard de la caution1315, elle paraît aujourd'hui plus
favorable à l’admission de ce devoir et aux obligations qui lui sont dérivées, à savoir
celle de se renseigner avant de conseiller et celle de refuser éventuellement le
cautionnement1316. Sans reconnaître expressément ce devoir de conseil envers la
caution1317, la Haute juridiction retient la responsabilité du créancier ayant sollicité
un cautionnement alors que l’opération cautionnée n’était pas économiquement
viable1318. Cette responsabilité vient ici sanctionner le manquement du créancier à 1312 Sur ce glissement des exigences de l’éthique contractuelle vers ses excroissances, cf. C.
WILLEMS, De la mise en garde à la dissuasion contractuelle, Droit et patrimoine 2002,
n°109, p. 32 et s. 1313 Cass. com., 18 novembre 1997 : Juris-Data n°004772 (hypothèse du soutien ruineux au
débiteur) ; Cass. com., 17 novembre 1998 : Juris-Data n°004553 (hypothèse de la rupture
brutale de crédit). La Cour de cassation s’est contentée du fait que les comptes du débiteur
étaient chroniquement débiteurs et ses résultats d’exploitation décevants. 1314 Cass. com., 24 janvier 1989 : Lexilaser n°87-14 638 1315 Cass. com., 7 avril 1992 : Bull. civ. IV, n°148 ; Cass. 1ère civ., 13 février 1996 : Bull. civ.
I, n°78 1316 Sur la notion d’obligation de conseil et les obligations qui lui sont dérivées, cf.
notamment
P. CROCQ, Les développements récents de l’obligation d’information de la caution,
Mélanges M. Cabrillac, Litec, 1999, p. 349 et s. ; A. GOURIO, La responsabilité civile du
prêteur au titre de l’octroi d’un crédit à un particulier, RD bancaire et financier 2001, p. 51 et
s. ; D. LEGEAIS, L’obligation de conseil de l’établissement de crédit à l’égard de
l’emprunteur et de sa caution, Mélanges AEDBF, Banque éditeur 1999, p. 257 et s. ; M.
TCHENDJOU, L’alourdissement du devoir d’information et de conseil du professionnel, JCP
2003, I, 141 1317 Il n’est pas permis de considérer que la Cour de cassation consacre un devoir de conseil
lorsqu’elle casse un arrêt pour manque de réponse à conclusions sur l’obligation de loyauté du
créancier (Cass. 1ère civ., 8 juillet 2003 : D. 2003, AJ, p. 2308, obs. AVENA-ROBARDET). 1318 Cass. com., 23 juin 1998 : Bull. civ. IV, n°208 : le crédit-bailleur « qui ne pouvait ignorer
l’absence totale de viabilité de l’opération, a commis une faute en sollicitant le
son obligation de déconseiller à la caution la souscription de la garantie, voire à son
obligation de refuser la conclusion de la sûreté envisagée.
La reconnaissance implicite du devoir de conseil paraît excessive au regard de
l’objectif d’efficacité du cautionnement. « Aider l’autre partie dans ses choix,
l’inciter à agir au mieux de ses intérêts, orienter sa décision en opportunité »1319, au
point de se priver de la conclusion du contrat projeté, dépasse l’exigence de
solidarité entre les contractants. Le devoir de conseil, dans son principe même,
menace l’efficacité du cautionnement, puisqu’il n’est pas sous-tendu par l’impératif
d’éthique contractuelle, mais par la volonté de protéger directement les intérêts de la
caution.
Dans d’autres hypothèses, ce n’est pas le principe même des contraintes mises à
la charge des créanciers qui heurte la fonction de garantie du cautionnement, mais
leurs modalités.
B/ LES MODALITES DES CONTRAINTES
601. Les obligations d’informer la caution et de ne pas compromettre les
recours de celle-ci contre le débiteur principal constituent des contraintes dont le
principe même est compatible avec l’objectif d’efficacité du cautionnement1320.
Dans le choix de leurs modalités, il arrive cependant que le législateur et les juges
soient davantage guidés par le souci de protéger directement les intérêts des cautions
que par celui de faire respecter l’impératif d’éthique contractuelle. Ce faisant, les
contraintes en question produisent des facteurs d’inefficacité.
L’information de la caution par le biais d’un formalisme direct et indirect ne
rend pas plus sûre l’exécution de la caution et encourage plutôt celle-ci à contester
son engagement (1). L’interprétation jurisprudentielle extensive des articles L. 313-
22 du Code monétaire et financier et 2037 du Code civil augmente le coût de la
protection des créanciers et bouleverse les prévisions extrinsèques et intrinsèques
des parties (2). Enfin, l’absence ou la mauvaise prise en compte de la qualité du
bénéficiaire et du débiteur des contraintes accroît inutilement le coût de la protection
des créanciers (3).
1. Le formalisme informatif
602. En donnant de l’intensité au consentement de la caution, les risques de
contestation de la garantie, lors de sa mise en œuvre, sont réduits1321. L’information
de la caution sur la nature et l’étendue de son engagement est, non seulement une
exigence de l’impératif d’éthique contractuelle, mais aussi un facteur d’efficacité1322.
cautionnement et en incitant (les cautions) à se méprendre sur les risques réels de leur
engagement ». 1319 A. GOURIO, art. préc., p. 51 1320 Cf. supra n°408, 414 1321 En ce sens, cf. L. AYNES, Les garanties du financement, Defrénois 1986, article 33779,
p. 909 et s., n°5 : « le mal, généralement, tient à la légèreté du consentement. Aveuglée par
l’instant, la caution veut ignorer l’avenir. Ce qu’il faudrait, c’est donner du poids, une
intensité à son consentement ». 1322 Sur les facteurs favorisant l’exécution volontaire du garant, cf. supra n°69-78
Néanmoins, il convient de reconnaître que l’information de la caution peut rester sans
conséquence sur l’intensité de son consentement, en présence d’un besoin impérieux de crédit
Il convient cependant de remarquer que certains modes d’information, loin de
favoriser la protection directe des intérêts des créanciers et la protection incidente de
ceux de la caution, sont sources de contestations, et donc d’inefficacité du
cautionnement. C’est le cas du formalisme informatif, dans ses deux dimensions.
603. Le formalisme indirect. Le « formalisme indirect »1323 réside, d’une
part, dans la fourniture à la caution d’une copie de l’offre de prêt1324 ou d’un
exemplaire du contrat de location1325 et, d’autre part, dans les délais de réflexion
laissés à la caution garantissant un crédit immobilier (10 jours) ou un crédit à la
consommation (7 jours)1326.
Il est douteux que la communication de l’offre de prêt à la caution améliore son
consentement et diminue, de ce fait, les risques de contestation. En effet, ces offres
sont hermétiques à la compréhension des profanes. La seule lecture des tableaux
d’amortissement ne permet pas de prendre conscience de la réalité économique et du
risque concret de non paiement du débiteur1327.
Par ailleurs, l’information sur la dette principale est surtout pertinente lorsque
le cautionnement est indéfini, c'est-à-dire dépourvu de limitation propre, car, dans ce
cas, le montant dû par la caution est calqué sur celui de la dette principale. Or,
l’article L. 313-7 du Code de la consommation exige que le cautionnement d’un
crédit à la consommation ou d’un crédit immobilier comporte un plafond. Le
formalisme indirect paraît ainsi inadapté pour donner plus de poids au consentement
de la caution1328. Il ne fait qu’alourdir les contraintes pesant sur les créanciers et
offrir aux cautions de nouveaux moyens de défense.
ou de logement en la personne d’un proche. Dans une telle hypothèse, la caution donne sa
garantie, quelles que soient les conditions et la portée de son engagement, et la multiplication
des mentions informatives est impuissante à dissuader de la souscription d’une obligation. 1323 S. PIEDELIEVRE, Droit des sûretés et droit de la consommation, Droit et Patrimoine
1997, p. 59 1324 Article L. 311-8 du Code de la consommation (en matière de crédit à la consommation).
Article L. 312-7 du Code de la consommation (en matière de crédit immobilier).
Cass. 1ère civ., 10 décembre 2002 (Contr., conc., consom. 2003, n°96, note RAYMOND) : la
preuve que l’envoi à la caution de l’offre préalable de crédit a été faite par voie postale
(comme l’exige l’article L. 312-7 du Code de la consommation) appartient à l’établissement
de crédit. 1325 Article 22-1 alinéa 3 in fine de la loi du 6 juillet 1989 (issu de la loi du 21 juillet 1994). 1326 Sur le délai de réflexion en matière de crédit immobilier, cf. l’article L. 312-10 du Code
de la consommation, et en matière de crédit à la consommation, cf. l’article L. 311-15 du
Code de la consommation. 1327 En ce sens, cf. M. BEHAR-TOUCHAIS, Le banquier et la caution face à la défaillance
du débiteur, RTD civ. 1993, p. 737 et s., n°2 ; A. LEPAGE, Les paradoxes du formalisme
informatif, Liber amicorum J. Calais-Auloy, Etudes de droit de la consommation, Dalloz,
2004, p. 597 et s. ; S. PIEDELIEVRE, art. préc., p. 59 1328 Sur l’inefficacité du formalisme informatif à l’égard du consommateur emprunteur, cf. J.
STOUFFLET, Propos non conformistes sur la protection du consommateur emprunteur,
Mélanges Ch. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 287 et s., n°19 : « que ce soit l’effet d’une
insuffisante réflexion ou d’une inaptitude à exploiter l’information reçue ou encore de
l’incapacité à estimer correctement ses capacités financières, nombre d’emprunteurs se
placent dans des situations financières désastreuses. En témoigne l’appel croissant à la
procédure de traitement du surendettement ».
604. Le formalisme direct. Le « formalisme direct », quant à lui, consiste
dans les mentions manuscrites que la loi impose, à peine de nullité du
cautionnement.
Dans les cautionnements sous seing privé conclus entre une caution personne
physique et un créancier professionnel, le formalisme est extrêmement rigide,
puisque la mention ne peut être que celle prévue par l’article L. 341-2 du Code de la
consommation1329. Le but du législateur a été de rendre « la formule type de
cautionnement prévue par la loi exclusive de toute autre »1330. « Un formalisme
aussi pointilleux ne peut que susciter de nouveaux contentieux, aucun pouvoir
d’appréciation ne pouvant être reconnu au juge »1331. Cette rigueur est d’autant plus
regrettable que la mention imposée par la loi Neiertz et recopiée par la loi du 1er août
2003 est loin d’être compréhensible par tous. Il est « assez téméraire de penser que
le non professionnel du droit (et peut-être aussi le professionnel) puisse savoir ce
qu’il exprime en disant qu’il renonce au bénéfice de discussion et au bénéfice de
division »1332. Par conséquent, la protection du consentement de la caution semble
illusoire et les bénéfices du formalisme informatif direct, en termes d’efficacité, le
sont tout autant.
Dans le cadre des cautionnements de baux d’habitation, la mention manuscrite
n’est pas prédéterminée par la loi. Le risque de contestation ne procède donc pas de
l’omission ou de la modification des mots prescrits par le législateur. Il s’explique
par le fait que l’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 exige que la mention exprime
« de façon explicite et non équivoque la connaissance qu’elle a de la nature et de
l’étendue de l’obligation qu’elle contracte ». Une telle exigence incite à la chicane
sur le caractère suffisamment explicite de la mention1333, comme en atteste le
contentieux sur l’application de l’article 1326 du Code civil au cautionnement d’un
1329 Cette mention est la même que celle imposée par l’article L. 313-7 du Code de la
consommation dans le domaine du cautionnement de crédit à la consommation ou immobilier.
Les deux textes présentent un haut degré d’impérativité puisqu’il y est précisé que la mention
manuscrite doit être « uniquement » celle édictée par le législateur. Il est heureux,
néanmoins, que la Cour de cassation admette des différences qui « n’affectent, ni le sens, ni la
portée de la mention manuscrite prescrite par l’article L. 313-7 du Code de la
consommation » (Cass. 1ère civ., 9 novembre 2004 : Bull. civ. I, n°254, au sujet de l’omission
de la conjonction de coordination « et » entre, d’une part, la formule définissant le montant et
la teneur de l’engagement, d’autre part, celle relative à la durée de celui-ci). 1330 J.O Déb. Ass. Nat. 7 décembre 1989, p. 6152 1331 Ph. SIMLER, Prévention et dispositif de protection de la caution, LPA 10 avril 2003,
n°72, p. 21 ; Ph. SIMLER, n°259. Dans le même sens, cf. S. PIEDELIEVRE, n°66 1332 H. DAVO, Formalisme bancaire et protection du consommateur, Liber amicorum J.
Calais-Auloy, Etudes de droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 329 et s. ; S.
PIEDELIEVRE, Les modifications apportées à certains cautionnements par la loi du 31
décembre 1989, Gaz. Pal. 1990, 1, 157. Dans le même sens, cf. S. PIEDELIEVRE, La
réforme de certains cautionnements par la loi du 1er août 2003 (loi pour l’initiative
économique), Defrénois 2003, article 37837, p. 1371 et s., n°8 1333 En ce sens, cf. J. DEVEZE, Du mauvais usage de la loi en matière de cautionnement.
Petit guide des effets pervers (avérés ou potentiels) de quelques dispositions récentes,
Mélanges P. Vellas, Recherches et réalisation, Pédone, 1995, p. 384
Le contentieux devrait essentiellement concerner les cautionnements conclus par acte sous
seing privé. Pour autant, les cautionnements notariés ne devraient pas être épargnés, puisque
certains juges leur ont déjà appliqué l’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 (TI Grenoble, 8
janvier 2002 : JCP 2003, éd. N, 1213, note DAGOT).
montant indéterminé1334. Concernant la protection du consentement de la caution, il
n’est pas non plus certain ici que le formalisme évoqué y conduise. Certes,
l’obligation faite à la caution de reproduire le montant du loyer et ses conditions de
révision, tels qu’ils figurent au contrat de location, est de nature à éclairer son
consentement. Mais, comme la caution a une bonne trentaine de lignes à écrire trois
fois (ce qui avoisine une heure d’écriture)1335, les indications importantes sont
noyées parmi celles qui le sont moins et recopiées de manière purement mécanique,
sans que l’attention de la caution ne soit attirée. Ici encore, comme le formalisme
informatif conduit à une protection du consentement de la caution douteuse et
comporte des exigences sujettes à interprétation, le risque de contestation qu’il
renferme est réel.
605. Les dangers du formalisme informatif. Quel que soit le contrat auquel
il se rapporte, le formalisme informatif est accusé d’être « dépassé »1336 et, surtout,
générateur de contentieux1337. « La multiplication et la diversification des formalités
placent les opérateurs économiques sous la constante menace de la dénonciation de
l’illicite et, de fait, la moindre erreur matérielle justifie l’anéantissement
d’opérations formellement incorrectes alors même que le préjudice subi par la
partie faible n’est pas avérée »1338. Le risque de contestation est d’autant plus grand
1334 Cf. supra n°579 1335 Cf. F. MAGNIN, Une page d’écriture pour la caution, LPA 5 et 10 octobre 1994, n°119
et 121 1336 A. PRÜM, Protéger les cautions contre elles-mêmes !, RD bancaire et financier 2003,
n°5, p. 270 : « le formalisme protecteur continue ainsi à reposer sur la valeur symbolique
attachée au geste de la main. La méthode paraît dépassée depuis que la preuve de tout
engagement, même unilatéral, peut être rapportée par un acte dématérialisé et alors que le
législateur s’apprête à assimiler pleinement l’acte sous seing privé électronique à celui revêtu
d’une signature manuscrite, y compris lorsque l’écrit est exigé ad validitatem ».
La loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique a certes
consacré l’assimilation de l’acte sous seing privé électronique à l’acte revêtu d’une signature
manuscrite (nouvel article 1108-1 alinéa 2 du Code civil : «Lorsque est exigée une mention
écrite de la main même de celui qui s’oblige, ce dernier peut l’apposer sous forme
électronique si les conditions de cette apposition sont de nature à garantir qu’elle ne peut
être effectuée que par lui-même »), mais elle a assorti ce principe de quelques exceptions, au
nombre desquelles figurent les actes sous seing privé relatifs à des sûretés personnelles
(nouvel article 1108-2 du Code civil : « Il est fait exception aux dispositions de l’article 1108-
1 pour : 1°Les actes sous seing privé relatifs au droit de la famille et des successions ; 2°Les
actes sous seing privé relatifs à des sûretés personnelles ou réelles, de nature civile ou
commerciale, sauf s’ils sont passés par une personne pour les besoins de sa profession »). Le
formalisme informatif a donc encore de beaux jours devant lui en matière de garanties
personnelles.
Sur cette nouvelle loi, cf. notamment L. GRYNBAUM, Après la loi « économie numérique »,
pour un Code européen des obligations…raisonné, D. 2004, chron., p. 2213 et s. 1337 En ce sens, cf. A. LEPAGE, Les paradoxes du formalisme informatif, Liber amicorum J.
Calais-Auloy, Etudes de droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 597 et s. ; J.
STOUFFLET, art. préc., n°21 ; G. LOISEAU et J. DJOUDI, De la fonction de la mention
manuscrite, RD bancaire et financier 2003, n°4, p. 256 et s. : « une formalité mécanique
exposée à l’esprit de chicane ». 1338 X. LAGARDE, Observations critiques sur la renaissance du formalisme, JCP 1999, I,
170, n°2. L’auteur dénonce également le formalisme comme étant « une prime à la mauvaise
que le formalisme tatillon peut être exploité par des débiteurs de mauvaise foi. Loin
de protéger le consentement des cautions et, par ricochet, les intérêts financiers des
créanciers, le formalisme informatif est ainsi susceptible de ne profiter, in fine, qu’à
ceux qui abusent de leur protection.
C’est donc parce que le formalisme, tant direct, qu’indirect, augmente le risque
de contestation du cautionnement, qui est l’un des principaux facteurs d’inefficacité
des garanties personnelles, qu’il constitue un mode d’information de la caution
guère compatible avec l’objectif de protection des intérêts économiques des
créanciers.
D’autres obligations légales mises à la charge de ces derniers apparaissent
excessives en raison de l’interprétation extensive qu’en retient la jurisprudence.
2. L’interprétation extensive des obligations légales pesant sur les créanciers
606. Certaines obligations légales, dont le principe même est en adéquation
avec l’objectif d’efficacité du cautionnement, se révèlent préjudiciables aux intérêts
des créanciers en raison des modalités qu’en retient la jurisprudence. L’obligation de
ne pas compromettre le recours subrogatoire de la caution contre le débiteur (article
2037 du Code civil) et l’obligation d’information annuelle de l’article L. 313-22 du
Code monétaire et financier font ainsi l’objet, sur certains points1339, d’une
interprétation extensive favorisant des facteurs d’inefficacité.
607. L’interprétation extensive du bénéfice de subrogation. Concernant le
bénéfice de subrogation, chacune de ses conditions de mise en œuvre donne lieu à
des solutions protectrices de la caution, qui déjouent les prévisions des créanciers.
En premier lieu, la faveur pour les cautions apparaît à l’examen des « droits »
dont la perte peut être invoquée. D’une part, il arrive que la décharge de la caution
procède de la perte du seul droit de gage général contre le débiteur principal1340.
D’autre part, à la disparition ou à la réduction du « droit » sont assimilés
l’inexistence et le dépérissement de la chose qui en constituait l’assiette1341.
foi », et il souligne que « les individus de bonne foi subiront le contrecoup de leur
surprotection en ce qu’ils ne rencontreront plus que cynisme ou méfiance de la part de leurs
éventuels contractants ». 1339 Sur l’interprétation stricte de ces obligations, cf. supra n°458, 459 1340 Lorsque le droit de gage général perdu n’est assorti d’aucune situation d’exclusivité,
l’application de l’article 2037 semble excessive. Il en va ainsi dans l’hypothèse de perte d’un
recours cambiaire contre le tiré accepteur d’un effet de commerce pour défaut de déclaration
par le banquier escompteur (Cass. com., 6 février 1996 : Bull. civ. IV, n°33). Le jeu du
bénéfice de subrogation révèle également le souci de protéger directement les intérêts de la
caution lorsqu’il sanctionne un créancier ayant déclaré sa créance au passif d’un GIE, mais
non à celui de chacun des membres de ce groupement (Cass. com., 20 février 2001 : RD
bancaire et financier 2001, n°120, obs. LUCAS ; RD bancaire et financier 2001, n°108, obs.
LEGEAIS). 1341 Cf. Cass. com., 3 novembre 1975 : Bull. civ. IV, n°247 (déchéance du créancier qui
n’empêche pas la résiliation du bail commercial, élément essentiel du fonds de commerce
nanti, et qui ne s’oppose pas au transfert du matériel) ; Cass. 1ère civ., 26 avril 1983 : Bull. civ.
I, n°130 (déchéance du créancier qui ne vérifie pas les droits du débiteur sur le cheptel
warranté) ; Cass. 1ère civ., 26 janvier 1999 : RD bancaire et bourse 1999, p. 77, obs.
CONTAMINE-RAYNAUD (déchéance du créancier n’ayant réalisé son fonds de commerce
que très longtemps après la défaillance du débiteur principal et alors que le bien affecté avait
En deuxième lieu, la jurisprudence assortit de deux correctifs le principe
d’antériorité, qu’elle a elle-même créé, et selon lequel le droit perdu doit avoir existé
au moment de l’engagement de la caution pour emporter la libération de celle-ci.
Tout d’abord, l’article 2037 du Code civil peut jouer lorsque le créancier s’est
engagé à constituer d’autres droits ou sûretés1342. Cette solution est excessivement
sévère à l’égard du créancier lorsqu’un engagement seulement tacite est pris en
compte. Ensuite, le bénéfice de cession d’actions a vocation à s’appliquer, même en
l’absence d’un tel engagement du créancier, lorsque la caution pouvait
« normalement » ou « légitimement » croire que des droits ou sûretés seraient
constitués1343. Ce dernier correctif laisse aux juges du fond une marge de manœuvre
très importante pour décharger les cautions au-delà de ce qu’impose l’impératif
d’éthique contractuelle et rend particulièrement imprévisible la réalisation de la
finalité assignée au cautionnement.
En troisième lieu, le « fait du créancier » est entendu de manière
compréhensive à l’égard des cautions. Les mêmes effets sont attribués aux fautes de
commission et d’abstention, aux fautes intentionnelles et aux fautes d’imprudence,
aux fautes du créancier lui-même et aux fautes commises par les personnes dont il
doit répondre1344. Une faute est retenue, même lorsque l’omission concerne
l’exercice d’une simple faculté1345. Par ailleurs, la Cour de cassation reconnaît
l’existence d’une faute exclusive du créancier, même lorsque le fait litigieux a été
sollicité par un tiers1346.
En quatrième et dernier lieu, c’est au sujet du préjudice subi par la caution que
se manifeste le souci jurisprudentiel de protéger directement les intérêts de celle-ci.
Par dérogation au droit commun de la responsabilité civile, la charge de la preuve du
préjudice ne pèse pas sur la caution. C’est au créancier qui ne veut pas être déchu de
ses droits qu’il appartient de démontrer que la subrogation rendue impossible par
dépéri) ; Cass. com., 28 janvier 2004 : JCP 2004, I, 188, n°10, obs. SIMLER (déchéance du
créancier nanti sur fonds de commerce qui a laissé passer plus de deux ans après le premier
impayé, de sorte que la valeur du fonds a été irrémédiablement dépréciée par l’effet de la
liquidation judiciaire). 1342 Cass. com., 5 janvier 1957 : Bull. civ. IV, n°7 ; Cass. com., 7 octobre 1968 : Bull. civ. IV,
n°252 ; Cass. 1ère civ., 24 février 1982 : Bull. civ. I, n°89 ; Cass. 1ère civ., 26 avril 1983 :
préc. ; Cass. com., 13 novembre 1984 : Gaz. Pal. 1985, 1, pan., p. 117 ; Cass. 1ère civ., 9 mai
1994 : Bull. civ. I, n°169 1343 Cass. 1ère civ., 9 février 1970 : Gaz. Pal. 1970, 1, p. 201 ; D. 1970, Somm., p. 101 ; RTD
com. 1970, p. 461, obs. CABRILLAC et RIVES-LANGE ; Cass. com., 20 juillet 1973 : Bull.
civ. IV, n°259 ; Cass. 1ère civ., 24 février 1982 : préc. ; Cass. com., 13 avril 1999 : RJDA
6/1999, n°727 1344 Cass. com., 3 mars 1980 : Bull. civ. IV, n°105 1345 Au sujet de la demande d’attribution judiciaire d’un nantissement sur matériel, cf. Cass.
com., 13 mai 2003 : Bull. civ. IV, n°71 ; Cass. com., 3 décembre 2003 : RJDA 5/2004, n°626.
Au sujet de l’action directe du sous-traitant contre le maître d’ouvrage, cf. Cass. com., 14
janvier 2004 : RD bancaire et financier 2004, n°122, obs. LEGEAIS ; JCP 2004, I, 188, n°10
obs. SIMLER 1346 Cass. 1ère civ., 6 juin 2001 : Bull. civ. I, n°161 (la mainlevée d’hypothèque consentie par
le créancier avait été sollicitée par le constituant).
son fait n’aurait de toute façon pas été efficace1347. La Haute juridiction décide en
outre que la valeur du droit perdu s’apprécie à la date d’exigibilité de l’obligation de
la caution, c'est-à-dire à la date de défaillance du débiteur principal1348. Les
conséquences de la dépréciation de la chose entre la date de cette défaillance et celle
de la poursuite de la caution sont ainsi laissées à la charge des créanciers.
Si le principe même de l’obligation de ne pas compromettre le recours
subrogatoire de la caution contre le débiteur principal est compatible avec l’objectif
d’efficacité du cautionnement, certaines de ses modalités conduisent donc à la
remise en cause des attentes des créanciers, car elles sont découvertes dans le souci
de protéger les cautions. Il en va de même à l’égard de l’obligation d’information de
l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier.
608. L’interprétation extensive de l’obligation d’information annuelle.
L’obligation d’informer la caution, au cours de l’exécution du contrat, sur le
montant de la dette principale, exprime la solidarité devant exister entre les
contractants au nom de l’éthique contractuelle, et favorise l’apparition de certains
facteurs d’efficacité. Le principe même de cette contrainte est donc en harmonie
avec l’objectif d’efficacité du cautionnement. Ce qui l’est moins, c’est
l’interprétation que retient la jurisprudence des conditions dans lesquelles cette
contrainte doit être exécutée1349.
Tout d’abord, la Cour de cassation exige que les composantes de la dette
principale soient distinguées, pour le moins en ce qui concerne le principal et les
accessoires1350. Cette exigence de ventilation, qui ne figure pas dans le texte même
de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier, est excessive dans l’hypothèse
où la garantie s’applique à un compte courant. En raison de l’indivisibilité
caractérisant ce type de compte, l’établissement de crédit ne peut porter à la
connaissance de la caution que le montant du solde débiteur au 31 décembre de
l’année précédente.
Ensuite, la jurisprudence se montre particulièrement exigeante relativement à la
preuve que les créanciers doivent rapporter de la bonne exécution de leur
obligation1351. Ils doivent prouver, non seulement l’expédition de la lettre
d’information, mais aussi son contenu1352. S’agissant des modes de preuve, ont été
1347 Cass. com., 3 novembre 1995 : Bull. civ. IV, n°247 ; Cass. com., 27 février 1996 : Bull.
civ. IV, n°68 ; Cass. 1ère civ., 1er juin 1999 : Bull. civ. I, n°182 ; Cass. com., 13 mai 2003 :
préc. ; Cass. 1ère civ., 18 mai 2004 : JCP 2004, I, 188, n°10, obs. SIMLER 1348 Cass. 1ère civ., 24 février 1987 : Bull. civ. I, n°64 ; Cass. com., 7 janvier 2003 : RJDA
6/2003, n°646 1349 L’interprétation jurisprudentielle de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier
doit servir de guide pour l’interprétation du nouvel article L. 341-6 du Code de la
consommation, puisque ce dernier texte a essentiellement reproduit l’ancien article 48 de la
loi du 1er mars 1984. 1350 Cass. com., 5 octobre 1993 : JCP 1993, IV, 2524 ; D. 1993, IR, p. 230 ; Cass. com., 22
juin 1993 : Bull. civ. IV, n°257 ; Cass. com., 30 novembre 1993 : Bull. civ. IV, n°434
Contra, cf. Cass. 1ère civ., 15 décembre 1998 : Bull. civ. I, n°361 ; Cass. 1ère civ., 12 février
2002 : Bull. civ. I, n°51 1351 En ce sens, cf. J.-M. FERNANDEZ, L’information annuelle des cautions : une obligation
légale universalisée, LPA 27 février 1998, n°25, p. 12 1352 Cass. 1ère civ., 17 novembre 1998 : Bull. civ. I, n°321
déclarés irrecevables des tableaux d’amortissement1353, des relevés de compte1354, et
même l’attestation par un commissaire aux comptes de l’existence du listing
contenant les informations requises, accompagnée du constat par un huissier de la
mise sous pli et de l’affranchissement1355.
En dernier lieu, c’est au sujet de la durée de l’obligation d’information que la
jurisprudence fait primer la protection de la caution sur la fonction de garantie du
cautionnement. La Cour de cassation décide, en effet, que l’obligation d’information
doit être respectée jusqu’à l’extinction de la dette, quand bien même la caution aurait
déjà été assignée par l’établissement de crédit, ou que celui-ci aurait déjà déclaré sa
créance entre les mains du représentant des créanciers1356. Dans la mesure où la
procédure collective ouverte contre le débiteur et la procédure en paiement dirigée
contre la caution permettent à celle-ci de connaître le montant de la dette principale,
l’information émanant du créancier fait double emploi. La contrainte imposée au
créancier ne se justifie donc pas au regard de l’impératif de solidarité entre les
parties, et elle nuit à l’efficacité du cautionnement.
609. Certaines modalités d’exécution de l’obligation d’information annuelle
imposées par la jurisprudence ne sont donc pas compatibles avec l’objectif de
protection des intérêts des créanciers, soit parce qu’elles ne peuvent pas être
pratiquement respectées, soit parce qu’elles augmentent considérablement et/ou
inutilement le coût de cette protection. Ce dernier facteur d’inefficacité est
également favorisé lorsque la loi ou les juges imposent des contraintes aux
créanciers en ne prenant pas ou mal en compte la qualité des parties.
3. Les qualités du bénéficiaire et du débiteur des contraintes
610. Pour que les contraintes mises à la charge des créanciers servent la
protection de leurs intérêts, leur exécution ne doit pas se traduire par une
augmentation injustifiée du coût de cette protection. Une telle augmentation, source
d’inefficacité, est à redouter lorsque le législateur et les juges imposent le respect de
l’impératif d’éthique contractuelle et, plus précisément, de solidarité entre les
contractants, sans tenir compte de la qualité de ces derniers, ou en adoptant des
distinctions inadaptées.
611. Les protections bénéficiant à l’ensemble des cautions : l’information
annuelle sur l’encours de la dette principale. L’absence de prise en compte de la
qualité des parties se manifeste, tout d’abord, en présence de contraintes bénéficiant
à toutes les cautions. Tel est le cas de l’obligation d’information annuelle. L’article
L. 313-22 du Code monétaire et financier prévoit que l’information annuelle sur le
1353 CA Metz, 15 mars 1991 : RD bancaire et bourse 1992, p. 80 1354 Cass. com., 5 octobre 1993 : JCP 1993, IV, 2524 ; D. 1993, IR, p. 230 1355 Cass. com., 11 avril 1995 : Bull. civ. IV, n°119 ; CA Nancy, 15 septembre 1997 : JCP
1998, I, 149, n°4, obs. SIMLER 1356 Cass. com., 2 novembre 1993 : Bull. civ. IV, n°370 ; Cass. com., 30 novembre 1993 :
Bull. civ. IV, n°434 ; Cass. 1ère civ., 30 mars 1994 : Bull. civ. I, n°123 ; Cass. com., 17 mai
1994 : Bull. civ. IV, n°176 ; Cass. com., 20 juin 1995 : Bull. Joly 1995, p. 957 ; Cass. com.,
25 avril 2001 : Bull. civ. IV, n°75 ; Cass. 1ère civ., 6 novembre 2001 : Bull. civ. I, n°265 ;
Cass. com. 25 juin 2002 : RJDA 12/2002, n°1319 ; Cass. com., 21 janvier 2003 : RJDA
6/2003, n°641
montant de la dette garantie est due aux cautions personnes physiques ou morales
ayant conclu un contrat de cautionnement avec un établissement de crédit pour
garantir un concours financier accordé à une entreprise. La jurisprudence n’admet
aucune restriction quant aux cautions bénéficiaires.
L’obligation d’information doit être respectée dans des hypothèses où elle est
dépourvue de raison d’être. C’est le cas lorsque la caution est elle-même un
établissement de crédit. L’application de l’article 48 de la loi du 1er mars 1984 était
tellement incompatible dans ce cas avec l’exigence de souplesse des relations
commerciales et avec l’objectif d’efficacité du cautionnement que l’AFB a
recommandé à ses membres, le 8 juillet 1985, de ne pas se conformer, entre eux, à la
prescription légale1357. Cette directive a été suivie, sans susciter de contentieux.
L’information annuelle sur l’encours de la dette principale est également
injustifiée à l’égard des cautions intégrées dans les affaires du débiteur principal,
puisque leur fonction leur permet d’être parfaitement au courant de la situation de
l’entreprise débitrice. La Cour de cassation n’a pas été sensible à cet argument et,
sous couvert du respect de la règle « Ubi lex… », elle a décidé que l’information est
due, quelle que soit la qualité de la caution, y compris, par conséquent, aux
dirigeants1358. Une telle solution accroît inutilement le coût de la protection des
créanciers et fragilise, ce faisant, le cautionnement aux yeux de ces derniers.
612. Les protections bénéficiant à l’ensemble des cautions : le bénéfice de
subrogation. En second lieu, c’est dans l’application de l’article 2037 du Code civil
qu’un traitement différencié selon la qualité de la caution fait défaut. En effet,
l’article 49 de la loi du 1er mars 1984 a érigé en règle d’ordre public la libération de
la caution lorsque le créancier a laissé dépérir des droits ou garanties, qui eussent pu
lui profiter par voie de subrogation. La renonciation au bénéfice de cession d’actions
est donc nulle, dans tout cautionnement, et à l’égard de toutes les cautions.
Si l’obligation incidente qui est faite aux créanciers de préserver l’efficacité du
recours subrogatoire de la caution se justifie pleinement au regard de l’impératif
d’éthique contractuelle, mais aussi de l’objectif d’efficacité du cautionnement,
lorsque la caution est profane, il en va tout autrement en présence de cautions
professionnelles. Celles-ci ont effectivement « les moyens de réduire le risque que
représente la non subrogation en prenant des contregaranties ; elles peuvent aussi
répartir ou réassurer le risque pour offrir au client un service qu’il souhaite : un
cautionnement plus solide que celui que peut miner un bénéfice de subrogation »1359.
A l’égard des cautions intégrées, le caractère d’ordre public de l’article 2037
peut également paraître excessif, dans la mesure où elles disposent de certains
moyens pour éviter la perte des sûretés, et qu’elles n’entendent pas toujours exercer
de recours contre le débiteur principal1360.
1357 Banque 1985, p. 868 1358 Cass. com., 25 mai 1993 : Bull. civ. IV, n°203 ; Cass. com., 5 octobre 1993 : JCP 1993,
IV, 2524 ; D. 1993, IR, p. 230 ; Cass. 1ère civ., 27 février 1996 : Bull. civ. I, n°109 ; Cass.
com., 13 octobre 1998 : RTD com. 1999, p. 173, obs. CABRILLAC
La Cour d’appel de Paris a précisé que le dirigeant caution « ne peut valablement renoncer à
son droit dans son engagement de caution » (CA Paris, 25 avril 2003 : RD bancaire et
financier 2003, n°188, obs. CERLES). 1359 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°268 1360 En ce sens, cf. Ch. MOULY, th. préc., n°486
Si la solution de l’article 49 de la loi de 1984 a les vertus de la simplicité, elle
n’en est donc pas moins trop radicale. Lorsqu’elles profitent aux cautions intégrées
et aux cautions professionnelles, les contraintes de l’article 2037 manquent de
justification et nuisent, par conséquent, à l’efficacité du cautionnement.
L’application indifférenciée, au bénéfice de toutes les cautions, de règles
contraignantes pour les créanciers, révèle le souci législatif ou jurisprudentiel de
protection des cautions et l’absence de prise en compte de la fonction de garantie du
cautionnement. Elle se traduit par une augmentation injustifiée du coût de la
protection des créanciers.
613. Les contraintes mises à la charge de l’ensemble des créanciers.
L’inefficacité du cautionnement est également favorisée lorsque des contraintes sont
mises à la charge de tous les créanciers, sans distinction tenant à leur qualité. C’est
le cas de l’obligation d’information annuelle de l’article 2016 alinéa 2 du Code civil.
Il est à craindre que beaucoup de créanciers non professionnels ignorent, de bonne
foi, cette obligation. Ils n’apprendront alors l’existence de cette contrainte que
lorsque la caution en invoquera le manquement pour être partiellement déchargée.
« La pénalisation a posteriori qui en résultera ne paraît pas procéder d’une saine
politique législative. Elle sera immanquablement génératrice de nouveaux
contentieux, parfaitement artificiels »1361. Ce risque de contestation, et donc
d’inefficacité du cautionnement, n’avait d’ailleurs pas échappé au Sénat qui, lors de
l’examen de la loi sur la lutte contre l’exclusion, avait voté la suppression de
l’extension de l’obligation d’information à tous les créanciers1362. L’absence
d’assimilation de la qualité de créancier non professionnel est d’autant plus
critiquable que la sanction de l’article 2016 alinéa 2 du Code civil est plus lourde
que celles prévues à l’encontre des établissements de crédit pour non respect des
articles L. 313-22 du Code monétaire et financier et L. 341-6 du Code de la
consommation1363. « Le particulier est donc sanctionné plus sévèrement que le
professionnel, alors que les manquements à l’obligation d’information seront plus
fréquents et plus excusables »1364.
614. Les protections réservées aux cautions personnes physiques. Si
l’absence de distinction tenant à la qualité du bénéficiaire ou du débiteur des
contraintes se révèle ainsi incompatible avec l’objectif de protection des intérêts des
créanciers, la différenciation qu’opère de plus en plus souvent le législateur entre les
cautions personnes physiques et les cautions personnes morales n’est pas non plus
exempte de vices1365.
1361 Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°116-1 1362 J.O Sénat, 8 juillet 1998, p. 3718 1363 Sur la sanction du non respect de ces obligations d’information, cf. infra n°620 1364 D. LEGEAIS, La réforme du cautionnement par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte
contre les exclusions, JCP 1998, éd. E., p.1724, n°18 1365 On trouve cette dissociation dans des lois d’influence consumériste : la loi du 31
décembre 1989 (article L. 313-9 du Code de la consommation) ; la loi du 29 juillet 1998
(article 2016 alinéa 2 du Code civil ; article L. 341-1 du Code de la consommation ; article
47-II alinéa 3 de la loi du 11 février 1994) ; la loi du 1er août 2003 pour l’initiative
économique (articles L. 341-2 à L. 341-6 du Code de la consommation).
Cette dissociation globalise, en effet, la protection des cautions personnes
physiques, alors que le besoin de protection est lui-même variable. En raison du non
respect de la règle selon laquelle « à des déséquilibres circonstanciels doivent
correspondre des réglementations circonstancielles »1366, les créanciers se voient
contraints d’informer des cautions n’ayant pas besoin de l’être, compte tenu des
rapports qu’elles entretiennent avec le débiteur principal. Si les créanciers respectent
les obligations qui leur sont imposées, le coût de leur protection s’accroît
inutilement. S’ils ne se conforment pas à ces obligations, ils risquent de se heurter
aux contestations des cautions averties à la bonne foi douteuse.
L’efficacité du cautionnement est donc compromise, non seulement par
l’absence de prise en compte de la qualité des parties, mais également par l’absence
de distinction, au sein de la catégorie des cautions personnes physiques, entre les
cautions étrangères à l’activité garantie et les cautions intégrées dans les affaires du
débiteur principal.
615. Lorsque les contraintes mises à la charge des créanciers sur le fondement
de l’impératif d’éthique contractuelle emportent des risques sérieux de contestation
ou augmentent inutilement le coût de la protection des créanciers, ce n’est pas leur
principe même, mais leurs modalités qui s’avèrent incompatibles avec l’objectif
d’efficacité du cautionnement. De telles contraintes apparaissent comme excessives,
au regard dudit objectif, car elles révèlent que, dans le choix de leurs modalités, le
législateur et les juges se sont montrés plus soucieux de protéger les cautions que de
faire respecter la fonction de garantie du cautionnement.
C’est aussi dans la sanction des contraintes que l’on peut déceler le primat
accordé par le droit positif à la protection des cautions.
C/ LES SANCTIONS DES CONTRAINTES
616. La politique légale et jurisprudentielle de protection des cautions, dont
résulte en grande partie l’inefficacité du cautionnement, se manifeste à travers les
sanctions assortissant les contraintes supportées par les créanciers. Plus précisément,
c’est, d’une part, le choix du législateur en faveur de sanctions présentant un
caractère forfaitaire (1) et, d’autre part, le rejet par les juges des régularisations et
ratifications (2), qui expriment la primauté de la protection des cautions et qui
conduisent à considérer les contraintes imposées aux créanciers comme excessives
au regard de l’objectif d’efficacité du cautionnement.
1. Les sanctions présentant un caractère forfaitaire
617. Deux types de sanctions se traduisent par une décharge, totale ou
partielle, de la caution, sans que le préjudice subi par celle-ci ne soit examiné. Il
s’agit de la nullité et de la déchéance. Ces sanctions forfaitaires, si elles ont le mérite
Sur la protection de la caution en qualité de personne physique dans le Code civil et dans des
lois spéciales, cf. C. NOBLOT, La qualité du contractant comme critère légal de protection.
Essai de méthodologie législative, LGDJ, 2002, préf. F. LABARTHE, n°47 à 65 1366 Sur cette « notion élémentaire de la technique juridique », cf. E.S. DE LA MARNIERRE,
Les législations de « protection », D. 1950, chron., p. 93 et s.
d’être dissuasives, menacent l’efficacité du cautionnement en ce qu’elles ne sont
proportionnées, ni au manquement du créancier, ni au préjudice de la caution1367.
618. La nullité. La nullité, tout d’abord, vient sanctionner le non respect du
formalisme informatif, aussi bien direct1368, qu’indirect1369, quelles que soient la
gravité de l’omission et les compétences de la caution1370. Cette dernière peut très
bien être entièrement déchargée, alors même que, malgré le non respect du
formalisme, elle avait pleinement conscience de la nature et de l’étendue de son
engagement1371. Dans une telle hypothèse, la nullité est véritablement excessive, et
elle n’est finalement qu’une « faveur à l’esprit de chicane »1372.
L’annulation contrevient également à l’objectif d’efficacité du cautionnement
lorsque seule la mention manuscrite supplémentaire de la solidarité fait défaut ou
n’est pas conforme aux termes imposés par les articles L. 313-8 ou L. 341-3 du
Code de la consommation1373. Cette rigueur semble d’autant plus inutilement sévère
1367 Sur l’inefficacité des sanctions civiles inadaptées au déséquilibre existant et/ou
disproportionnées aux effets de la violation, cf. C. OUERDANE-AUBERT de VINCELLES,
Altération du consentement et efficacité des sanctions contractuelles, th. Paris II, 2000, sous
la direction d’Y. LEQUETTE, n°26, 217 à 224 (inefficacité de la nullité automatique) 1368 Les articles L. 313-7, L. 313-8, L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation, et
l’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989, imposent des mentions manuscrites à peine de nullité
du cautionnement. 1369 En cas d’absence de remise de l’offre de prêt ou en cas de remise d’une offre incomplète,
le cautionnement est nul (Cass. 1ère civ., 19 janvier 1994 : Contr., conc., consom. 1994, n°85,
note RAYMOND ; Cass. 1ère civ., 13 juin 1995 : Bull. civ. I, n°260). La même sanction
s’applique en cas d’acceptation du cautionnement avant l’expiration du délai de 10 jours après
réception de l’offre de prêt immobilier (Cass. 1ère civ., 30 mars 1994 : Bull. civ. I, n°130). 1370 CA Lyon, 21 juin 1995 : JCP 1997, éd. E, I, 631, n°6, obs. SIMLER ; CA Versailles, 30
janvier 1998 : D. Aff. 1998, p. 571 ; Rev. huissiers 1999, p. 471, obs. TEILLAIS ; CA
Toulouse, 5 mai 1998 : Banque et droit mars 2000, p. 51, obs. GUILLOT 1371 CA Paris, 20 septembre 2001 (Loyers et copr. février 2002, n°28, p. 8, obs. VIAL-
PEDROLETTI) a expressément exclu la nécessité, pour la caution demandant l’annulation de
son engagement en raison du non respect de l’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989, d’établir
un grief. Contra, cf. CA Versailles, 22 décembre 2000 : D. 2002, p. 1725
En faveur d’une sanction facultative découlant de l’application de la maxime « pas de nullité
sans grief », cf. V. MAGNIER, Les sanctions du formalisme informatif, JCP 2004, I, 106,
n°17 et s. 1372 X. LAGARDE, Observations critiques sur la renaissance du formalisme, JCP 1999, I,
170, n°19. Dans le même sens, cf. V. MAGNIER, ibid., n°25 1373 L’irrégularité de la mention des articles L. 313-8 et L. 341-3 du Code de la consommation
ne devrait être sanctionnée que par la nullité de la clause de solidarité. Comme dans le cadre
des articles 47-II alinéa 1er de la loi du 11 février 1994 et L. 341-5 du Code de la
consommation, le cautionnement solidaire se transformerait alors en un cautionnement
simple. En ce sens, cf. V. AVENA-ROBARDET, Réforme inopinée du cautionnement, D.
2003, chron., p. 2085 ; L. AYNES, La réforme du cautionnement par la loi Dutreil, Droit et
patrimoine 2003, n°120, p. 31 ; D. HOUTCIEFF, Les dispositions applicables au
cautionnement issues de la loi pour l’initiative économique, JCP 2003, I, 161, n°10 ; G.
LOISEAU et J. DJOUDI, De la fonction de la mention manuscrite, RD bancaire et financier
2003, n°4, p. 257 ; F. PASQUALINI, L’imparfait nouveau droit du cautionnement, LPA 3
février 2004, n°24, p. 3 et s., n°16 ; S. PIEDELIEVRE, La réforme de certains
cautionnements par la loi du 1er août 2003 (loi pour l’initiative économique), Defrénois 2003,
article 37837, p. 1371 et s., n°12 ; J. FRANÇOIS, n°175 ; S. PIEDELIEVRE, n°69
que, dans le droit commun du cautionnement, la clause de solidarité n’a pas
nécessairement à être rédigée de la main de la caution1374.
L’absence de limitation de l’étendue de la nullité à la seule clause de solidarité,
et l’absence de prise en compte du caractère déterminant du consentement de la
caution des formalités omises, conduisent ainsi à considérer la nullité comme une
sanction inadaptée au regard de l’objectif de protection des intérêts des créanciers.
619. La déchéance totale. S’agissant de la déchéance totale, elle assortit, en
premier lieu, le défaut de déclaration de la créance à la procédure collective du
débiteur. « La libération intégrale de la caution peut paraître choquante au moment
précis où la défaillance du débiteur garanti est avérée. Une solution plus
raisonnable serait de ne décharger la caution que dans la mesure du préjudice que
lui aura causé le défaut de déclaration »1375. Une telle solution n’est pas d’actualité,
puisque la jurisprudence considère que l’absence de préjudice ne peut faire obstacle
à l’effet extinctif du défaut de déclaration1376.
La déchéance totale s’applique, en second lieu, en cas de manquement à
l’exigence de proportionnalité du cautionnement aux biens et revenus de la caution
(articles L. 313-10 et L. 341-4 du Code de la consommation)1377. L’état
psychologique de la caution lors de la conclusion du contrat est indifférent1378. La
disproportion s’apprécie objectivement, sans qu’il ne soit tenu compte de la bonne
ou mauvaise foi de la caution ou du créancier. Le manque de nuance n’a pas
seulement trait à l’état d’esprit des contractants. Il caractérise également l’étendue
1374 Cass. 1ère civ., 31 janvier 1989 : Bull. civ. I, n°45 ; Cass. com., 27 novembre 1991 : Bull.
civ. IV, n°364 ; Cass. com., 7 janvier 1992 : Bull. civ. IV, n°1 1375 Ph. SIMLER, n°723 1376 CA Grenoble, 21 décembre 1994 : RD bancaire et bourse 1995, p. 220, obs. CALENDINI
et CAMPANA 1377 L’article L. 313-10 du Code de la consommation se contentant d’énoncer que le créancier
« ne peut se prévaloir » du cautionnement souscrit, la Cour de cassation a dû préciser que la
sanction ne consiste pas dans la nullité du cautionnement (Cass. 1ère civ., 22 octobre 1996 :
Bull. civ. I, n°362). En effet, le contrat a été valablement formé. Par ailleurs, le créancier peut
s’en prévaloir s’il s’avère que la caution, peu fortunée à l’origine, s’est enrichie. Certaines
juridictions du fond continuent cependant de prononcer la nullité des cautionnements
disproportionnés (cf. CA Rennes, 19 décembre 2003 : JCP 2004, I, 141, n°2, obs. SIMLER).
En dehors du champ d’application de l’article L. 313-10 du Code de la consommation, la
Cour de cassation décide également que « la sanction d’une telle disproportion ne peut être
recherchée que sur le terrain de la responsabilité civile du banquier et ne saurait consister en
l’annulation du cautionnement » (Cass. 1ère civ., 29 juin 2004 : Bull. civ. I, n°185. Dans le
même sens, cf., Cass. 1ère civ., 6 avril 2004 : Bull. civ. I, n°110 ; Droit et patrimoine 2004,
n°3569, obs. SAINT-ALARY).
Sur la sanction de la disproportion, cf. Ch. ATIAS, Propos sur l’article L. 341-4 du code de la
consommation. L’impossibilité de se prévaloir du bénéfice d’un engagement valable, D. 2003,
chron.,
p. 2620 et s. ; D. BAKOUCHE, La proportionnalité dans le cautionnement à l’épreuve de la
loi et de la jurisprudence, Contr., conc., consom. avril 2004, p. 7 et s., spéc. n°13 ; G.
PIETTE, La sanction du cautionnement disproportionné, Droit et patrimoine 2004, n°127,
p. 44 et s. 1378 CA Paris, 27 mai 1997 : Contr., conc., consom. 1998, n°47, obs. RAYMOND
de la sanction, puisque l’on est en présence d’un « système du tout ou rien »1379. A
partir du moment où l’engagement de la caution est jugé excessif lors de sa
souscription, il ne produit aucun effet. Là encore, il n’est pas tenu compte du
préjudice subi réellement par la caution. Sans que « le patrimoine de la caution au
moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation »1380, il
se peut que ladite caution dispose de biens et de revenus. Cela n’empêche pourtant
pas la jurisprudence de priver le cautionnement de toute efficacité en prononçant la
déchéance totale du créancier.
620. La déchéance partielle. La déchéance peut ne frapper que certains droits
du bénéficiaire. Telle est la sanction que le législateur a retenue à l’égard des
obligations d’information annuelle1381, et des obligations d’information portant sur
la défaillance du débiteur principal1382. La sanction est limitée mais, comme celles
envisagées précédemment, elle fait abstraction de toute considération tenant au
préjudice effectif de la caution.
Ce caractère forfaitaire risque d’autant plus de nuire aux créanciers que, depuis
la loi du 25 juin 1999 relative à l’épargne et à la sécurité financière, la sanction de
l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier a été aggravée1383. En effet, dans
l’intérêt des cautions, le législateur a dérogé au principe posé par l’article 1254 du
Code civil, selon lequel les paiements s’imputent en priorité sur les intérêts de la
dette, et a remis en cause la jurisprudence existant en la matière1384, en énonçant que
« les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports
1379 S. PIEDELIEVRE, Droit des sûretés et droit de la consommation, Droit et patrimoine
1997, p. 60 ; S. PIEDELIEVRE, Le cautionnement excessif, Defrénois 1998, article 36836,
p. 849 et s., n°14 ; S. PIEDELIEVRE, La réforme de certains cautionnements par la loi du 1er
août 2003 (loi pour l’initiative économique), Defrénois 2003, article 37837, p. 1371 et s.,
n°18 1380 Hypothèse visée par les articles L. 313-10 et L. 341-4 in fine du Code de la
consommation, dans laquelle la déchéance se trouve écartée. Le retour à meilleure fortune, et
donc la mise en jeu du cautionnement, supposent « un enrichissement à la mesure de
l’engagement, et non pas seulement une plus grande aisance financière » (V. AVENA-
ROBARDET, art. préc., p. 2086). 1381 Les articles L. 313-22 du Code monétaire et financier et 47-II alinéa 2 de la loi du 11
février 1994 prévoient la déchéance des intérêts échus depuis la précédente information
jusqu’à la date de communication de la nouvelle information. L’article 2016 alinéa 2 du Code
civil vise « la déchéance de tous les accessoires de la dette, frais et pénalités ». L’article L.
341-6 du Code de la consommation précise, quant à lui, que « la caution ne saurait être tenue
au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information
jusqu’à la date de communication de la nouvelle information ». 1382 Les articles L. 313-9 et L. 341-1 du Code de la consommation et l’article 47-II alinéa 3 de
la loi du 11 février 1994 disposent que, si le créancier ne se conforme pas à cette obligation,
« la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus entre
la date de ce premier incident et celle à laquelle elle en a été informée ». 1383 L’article L. 341-6 du Code de la consommation n’a pas repris la règle d’imputation
ajoutée par la loi du 25 juin 1999 à l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier, alors
même qu’il reproduit en grande partie ce dernier article. 1384 La Cour de cassation décidait, avant la loi de 1999, que la déchéance se limitait aux
intérêts échus non encore payés (Cass. com., 11 juin 1996 : Bull. civ. IV, n°164), et que les
intérêts déjà acquittés par le débiteur principal ne pouvaient pas être imputés sur le principal
restant dû (Cass. 1ère civ., 31 mars 1998 : JCP 1999, I, 116, obs. SIMLER ; RD bancaire et
bourse 1998, p. 102, obs. CREDOT et GERARD).
entre la caution et l’établissement, affectés prioritairement au règlement du
principal de la dette ».
621. Lorsque le législateur adopte une sanction forfaitaire, qu’il s’agisse de la
nullité ou de la déchéance, totale ou limitée aux accessoires de la dette principale, il
fait primer les intérêts de la caution sur ceux du créancier, puisqu’il autorise la
libération de la première sans égard au préjudice qu’elle subit en conséquence du
non respect par le créancier des contraintes qui lui sont imposées. L’efficacité du
cautionnement s’en trouve menacée. Elle est également compromise chaque fois que
les juges refusent que les vices soient couverts par régularisation ou ratification.
2. Le rejet des régularisations et ratifications
622. La sanction des contraintes mises à la charge des créanciers est
excessive, au regard de l’objectif d’efficacité, lorsque les juges interdisent d’y
échapper par des régularisations ou ratifications. On constate cette politique de
protection de la caution essentiellement en deux domaines.
623. Le rejet des régularisations dans le cadre du cautionnement d’un
crédit à la consommation. Le premier est celui du cautionnement d’un crédit à la
consommation. La Cour de cassation considère que l’ensemble du système
protecteur mis en place par le Code de la consommation est insusceptible de
régularisation, malgré son caractère d’ordre public de protection1385. En cas de
remise d’une offre de crédit immobilier incomplète, le cautionnement est ainsi
annulable, même si une régularisation ultérieure par acte authentique intervient1386.
624. Le rejet de la ratification du cautionnement donné par une société
anonyme sans autorisation. Le second domaine dans lequel la rigueur des juges se
manifeste à l’encontre des créanciers est celui du cautionnement donné par une
société anonyme. La jurisprudence décide que le cautionnement donné sans
autorisation du conseil d’administration ou de surveillance est inopposable à la
société1387. Cette solution est critiquable dans la mesure où « la sanction naturelle
d’une irrégularité, notamment du défaut de pouvoir d’un représentant, est la
nullité »1388. Elle l’est surtout parce qu’elle conduit les juges à refuser la ratification
1385 Cass. 1ère civ., 30 mars 1994 : Bull. civ. I, n°130 ; Cass. 1ère civ., 27 juin 1995 : JCP 1996,
éd. N, II, p. 461, note PIEDELIEVRE. Contra, cf. CA Paris, 17 mai 1996 ( JCP 1997, I, 3991,
n°6) : la caution peut confirmer un engagement irrégulier, notamment en l’exécutant en
connaissance de cause.
La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique n’a pas précisé la portée de la nullité
édictée par les nouveaux articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation. 1386 Cass. 1ère civ., 13 juin 1995 : Bull. civ. I, n°260 1387 Cass. com., 29 janvier 1980 : Bull. civ. IV, n°47 ; Cass. com., 8 novembre 1988 : Bull.
civ. IV, n°302 ; Cass. com., 8 décembre 1998 : JCP 1999, éd. E, p. 668, obs. VIANDIER et
CAUSSAIN ; RTD com. 1999, p. 445, obs. CABRILLAC ; Bull. Joly 1999, p. 353, note LE
CANNU 1388 Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°64
B. LEGROS (La protection jurisprudentielle du dirigeant social caution, Rev. sociétés 1998,
p. 281 et s., n°19) précise que « le critère de distinction entre la nullité et l’inopposabilité est
la fraude. Lorsqu’il y a fraude ou intention de nuire, la sanction est en principe
l’inopposabilité. Dans le cas du détournement de pouvoir, l’existence d’une fraude devrait
du cautionnement par le conseil d’administration ou par l’assemblée générale des
actionnaires lors de la vérification des comptes annuels1389. Si la Cour de cassation
retenait comme sanction la nullité relative du cautionnement, comme l’y invite la
majorité de la doctrine, la confirmation serait au contraire permise, et les intérêts des
créanciers seraient mieux protégés.
625. Les sanctions excessives au regard de l’objectif d’efficacité. Tant en
matière de cautionnement de crédit à la consommation que de cautionnement donné
par une société anonyme, la jurisprudence fait donc prédominer la protection de la
caution sur la fonction de garantie du cautionnement, en s’opposant à ce que des
irrégularités ne soient ultérieurement couvertes. La nullité assortissant le formalisme
informatif et l’inopposabilité sanctionnant le défaut d’autorisation du conseil
d’administration ou de surveillance paraissent ainsi excessives au regard de
l’objectif d’efficacité.
626. Une sanction non excessive au regard de l’objectif d’efficacité : la
responsabilité civile du créancier. La responsabilité civile du créancier ne figure
pas dans la liste des sanctions à l’origine de l’inefficacité du cautionnement, pour
deux raisons.
D’une part, la responsabilité est une sanction proportionnée au préjudice subi
par la caution, dès lors, toutefois, que les juges respectent le principe
indemnitaire1390.
D’autre part, les principaux inconvénients qui lui ont été reprochés1391 sont en
voie de disparition. En offrant à la caution qui invoque la responsabilité du créancier
dispensateur de crédit une option procédurale entre la simple défense au fond et la
demande reconventionnelle1392, et en reconnaissant même l’indifférence de la
qualification procédurale de la demande de la caution1393, la Cour de cassation évite
faire pencher la balance en faveur de l’inopposabilité. En revanche, dans la question qui
nous intéresse, il ne s’agit pas d’un détournement de pouvoir, mais d’un dépassement ou d’un
excès de pouvoir, en principe exclusif de toute fraude. La sanction qui s’impose est donc la
nullité ». 1389 Cass. com., 11 juillet 1988 : Bull. civ. IV, n°246 ; Cass. com., 15 octobre 1991 : Bull. civ.
IV, n°298 ; Cass. com., 17 novembre 1992 : Bull. civ. IV, n°364 1390 En application du principe de proportionnalité, la première Chambre civile de la Cour de
cassation a rappelé que le préjudice subi par la caution « ne peut être équivalent à la dette
toute entière mais seulement à la mesure excédant les biens que la caution pouvait proposer
en garantie » (Cass. 1ère civ., 9 juillet 2003 : Bull. civ. I, n°167. Dans le même sens, cf. Cass.
1ère civ., 6 avril 2004 : Bull. civ. I, n°110). 1391 Pour une critique du recours à la responsabilité civile en matière de cautionnement, cf.
M.-N. JOBARD-BACHELLIER et V. BREMOND, De l’utilité du droit de la responsabilité
pour assurer l’équilibre des intérêts des contractants, RTD com. 1999, p. 327 et s. 1392 Cass. com., 26 octobre 1999 : Bull. civ. IV, n°182 ; Cass. com., 26 avril 2000 : Bull. civ.
IV, n°80 ; Cass. 1ère civ., 4 octobre 2000 : Bull. civ. I, n°233 ; Cass. com., 20 février 2001 :
RJDA 6/2001, n°727 1393 Cass. ch. mixte, 21 février 2003 : Bull. ch. mixte, n°3 : « les demandes reconventionnelles
et les moyens de défense sont formés de la même manière à l’encontre des parties à
l’instance ». La Cour de cassation en déduit que la Cour d’appel (celle-ci avait repris la
jurisprudence Gandolfo de 1993) aurait dû répondre à la demande de la caution, quelle qu’en
fût la qualification procédurale. La cassation est prononcée au visa des articles 4, 64, 68 et 71
les conséquences perverses auxquelles conduisait sa jurisprudence antérieure1394. En
effet, la décharge directe qu’emporte la défense au fond facilite certes la tâche de la
caution au plan procédural1395, mais évite aussi le « paiement abrégé », consécutif à
la demande reconventionnelle1396, et ses effets pervers, à savoir l’enrichissement de
la caution suite au recours contre le débiteur principal et la perte de l’action du
créancier contre ce dernier, à hauteur du paiement intervenu par compensation.
Compte tenu de ces évolutions jurisprudentielles, la responsabilité civile ne doit
donc pas être classée parmi les sanctions excessives, au regard de l’objectif
d’efficacité du cautionnement.
627. Conclusion de la Section 2 et du Chapitre 1. Aussi bien dans sa forme
que dans son contenu, le droit du cautionnement ne respecte pas toujours l’objectif
d’efficacité.
Les textes régissant le cautionnement manquent de clarté en raison de l’emploi
de termes équivoques (obscurités par commission) et d’oublis affectant aussi bien le
régime de certaines règles que le sort de la caution garantissant un débiteur
surendetté (obscurités par omission). Les textes manquent également de cohérence à
cause des distinctions injustifiées au sein de règles déterminées et de l’absence
d’harmonisation entre les règles ayant un même objet, mais un contenu plus ou
moins différent. Ces défauts formels se traduisent par une insécurité juridique qui
compromet la réalisation des attentes objectives et subjectives des créanciers.
L’efficacité du cautionnement est par ailleurs menacée par la politique légale et
jurisprudentielle de protection de la caution. Le droit positif autorise l’allégement et
même l’extinction de l’obligation de règlement de la caution, afin d’établir un
certain équilibre contractuel. Or, la mise en œuvre de l’impératif de justice
corrective dans les rapports entre le créancier et la caution est parfaitement
incompatible avec l’objectif d’efficacité. Le droit positif méconnaît également cet
objectif lorsqu’il met à la charge des créanciers des obligations que ne commande
pas l’impératif d’éthique contractuelle. Le souci de protéger directement les intérêts
du nouveau Code de procédure civile. Le Premier Avocat général, dans cette affaire, avait
invité la Haute juridiction à adopter cette solution en remarquant que c’est « celle qui fait la
meilleure part au principe dispositif et à celui de la liberté d’exercice de l’action en justice »
(concl. DE GOUTTES, RJDA 6/2003, p. 499). Dans le même sens, cf. Cass. com., 24 juin
2003 : JCP 2003, I, 176, n°6, obs. SIMLER 1394 La Cour de cassation a jugé, à partir de 1993 (Cass. com., 16 mars 1993 : Bull. civ. IV,
n°102 ; Cass. com., 22 avril 1997 : Bull. civ. IV, n°96 ; Cass. 1ère civ., 24 juin 1997 : Bull. civ.
I, n°211), que la responsabilité du créancier ne pouvait être invoquée à titre d’exception à ses
poursuites, mais seulement par une action principale ou une demande reconventionnelle. Sur
la critique de cette solution, d’un point de vue procédural, cf. S. GUINCHARD, Le droit a-t-il
encore un avenir ? (qui cassera les arrêts de la Cour de cassation ?), in L’avenir du droit,
Mélanges F. Terré, 1999, p. 761 1395 En ce sens, cf. D. ARLIE, La responsabilité civile du banquier : une voie étroite de
libération pour la caution, LPA 24 septembre 2002, p. 4 et s. ; D. LEGEAIS, L’option
procédurale offerte à la caution invoquant la responsabilité du banquier, RD bancaire et
bourse 1999, p. 196 et s. ; B. ROMAN, Les moyens de défense de la caution : l’importance
accrue des aspects procéduraux, Droit et patrimoine 2004, n°124, p. 55 et 56 (« une leçon de
solidarisme judiciaire ») 1396 Les dommages et intérêts accordés par le juge, en réponse à la demande
reconventionnelle, se compensent avec les sommes dues par la caution.
des cautions contribue à rendre excessives nombre de contraintes, dans leur principe,
leurs modalités ou leur sanction.
Dès lors que les règles adoptées pour protéger les intérêts des créanciers ne
sont pas adéquates ou que la protection de la caution est favorisée au détriment de la
fonction de garantie du cautionnement, l’efficacité de cette sûreté est donc
compromise. L’inefficacité du cautionnement résulte ainsi d’une « fausse lacune »
du droit en vigueur, c'est-à-dire d’une lacune concernant la finalité poursuivie par le
législateur et par les juges.
A l’égard des garanties personnelles innomées, l’inefficacité peut
également s’expliquer par une lacune du droit, mais il s’agit cette fois d’une « vraie
lacune ».
CHAPITRE II
LA « VRAIE LACUNE » DU DROIT
À L’ÉGARD DES GARANTIES INNOMÉES
628. La vraie lacune du droit des garanties personnelles. Toutes les
garanties personnelles autres que le cautionnement sont innomées1397. Il existe à leur
égard une « vraie lacune » du droit. Cette lacune ne s’apparente nullement à un vide
législatif, car ces mécanismes sont soumis au droit commun des contrats, et à toutes
les règles visant, de manière générale, les garanties. La « vraie lacune » du droit
consiste dans le défaut de règles spéciales fixant le régime du mécanisme en
l’appréhendant comme une garantie personnelle.
629. Les conditions de l’efficacité des garanties personnelles innomées.
Comme, par définition, les garanties personnelles innomées ne sont pas soumises à
une réglementation spéciale, ce n’est pas une telle réglementation qui peut les rendre
efficaces. Leur efficacité dépend d’une qualité de la jurisprudence, à savoir le
respect de l’autonomie normative de la garantie personnelle innomée. Cette
autonomie est recherchée par les parties, afin de bénéficier d’avantages que le droit
du cautionnement entrave, et d’être à l’abri, au contraire, des désagréments que
l’application de cette réglementation occasionne. Pour que cette finalité assignée à la
garantie personnelle innomée s’accomplisse, le respect, par les juges, des prévisions
intrinsèques des parties doit revêtir trois formes1398.
La première réside dans la reconnaissance de la validité même des garanties
personnelles innomées. A cet égard, la jurisprudence favorise l’efficacité de ces
contrats, puisqu’elle a érigé en principe la liberté de déroger au caractère accessoire
renforcé du cautionnement, et ne s’est pas saisie de l’argument tiré de la fraude à la
loi pour limiter la validité des garanties personnelles indépendantes et des garanties
personnelles accessoires innomées1399.
Le respect de la liberté contractuelle se manifeste, en deuxième lieu, à travers la
qualification du contrat retenue par les juges. La volonté des parties de se démarquer
du cautionnement ne peut être respectée que si les juges, d’une part, n’usent pas du
procédé de la qualification à des fins détournées, pour faire d’un contrat innomé un
contrat nommé, soumis à des règles déterminées et que, d’autre part, ils respectent
1397 Sur la signification du qualificatif innomé, cf. supra n°229-231 1398 Cf. supra n°232-235 1399 Cf. supra n°372-381
les caractéristiques distinctives des garanties personnelles non spécialement
réglementées1400.
Le respect des prévisions intrinsèques des parties s’exprime, en troisième lieu,
par la reconnaissance de l’autonomie du régime de la garantie personnelle innomée
par rapport à celui du cautionnement.
630. Les raisons de l’inefficacité des garanties personnelles innomées.
Dans ces deux dernières formes, le respect de la liberté contractuelle est loin de
caractériser la jurisprudence actuelle. C’est essentiellement parce que les juges
rendent les critères de qualification des garanties personnelles innomées incertains
(Section1), et parce qu’ils alignent leur régime sur celui du cautionnement (Section
2), que les prévisions intrinsèques des parties risquent d’être déjouées et donc que
l’inefficacité des garanties personnelles innomées se trouve favorisée.
SECTION 1 : DES CRITÈRES DE QUALIFICATION
INCERTAINS
631. L’étroitesse de la gamme de qualifications : un facteur d’inefficacité.
La qualification du contrat de garantie adoptée par le juge éventuellement saisi est
source d’inefficacité chaque fois qu’elle entrave la réalisation des attentes
subjectives du bénéficiaire. La protection des intérêts des créanciers se trouve ainsi
compromise lorsque les juges s’en tiennent à une gamme limitée de qualifications,
qui ne reflète pas l’originalité imprimée au contrat conclu1401.
Ce phénomène peut s’expliquer diversement. Tout d’abord, les juges peuvent
retenir la qualification de cautionnement, en somme par facilité, car il s’agit de celle
qui leur est la plus familière1402. Ensuite, la requalification en cautionnement peut
s’expliquer par la volonté d’étendre à un garant, tenu de la dette même du débiteur
principal, les protections octroyées aux cautions1403. Enfin, le fait que les
1400 Sur ces caractéristiques distinctives, liées aux degrés dans le lien d’accessoire à principal
et aux attraits propres des principales garanties personnelles innomées, cf. supra n°382-402 1401 La protection des intérêts des créanciers se trouve donc compromise par le « numerus
clausus, non des sûretés ou des garanties personnelles en général, mais plus précisément des
garanties personnelles de substitution au cautionnement » (Ph. DUPICHOT, th. préc., n°472). 1402 En présence d’un contrat qui stipulait que « dans le cas de mise en location-gérance, le
concessionnaire se porte fort et garant solidaire… de l’exécution de toutes les clauses et
conditions du présent contrat par son gérant», la Cour d’appel de Paris (24 avril 1984 : Juris-
Data n°22203) a condamné le concessionnaire en qualité de caution. C’est probablement le
caractère inhabituel de l’engagement de porte-fort sûreté qui a conduit la Cour à lui préférer la
qualification de cautionnement, de loin plus connue. 1403 La requalification en cautionnement d’engagements de codébiteur solidaire adjoint relève
de cette logique. Ainsi, l’obligation de garantie pesant sur le locataire ayant cédé son bail a
déjà été qualifiée de cautionnement (Cass. soc., 17 mai 1957 : Bull. civ. IV, n°573 ; Cass. 3ème
civ., 14 novembre 1973 : Bull. civ. III, n°579 ; Cass. 3ème civ., 12 novembre 1974 : Bull. civ.
III, n°408), alors qu’elle relève plus certainement de l’article 1216 du Code civil. En effet, le
cédant n’est pas une personne étrangère à l’obligation principale. Son obligation initiale
survit, sans intéressement à la dette. La qualification de cautionnement montre que les juges,
en contradiction avec le principe de l’article 1273 du Code civil, présument une novation de
l’obligation du cédant. S’ils font également peu de cas de l’exigence de l’article 2015 du Code
civil, c’est parce que la qualification de cautionnement leur permet, notamment, de faire
qualifications retenues ne reflètent pas la richesse des garanties personnelles
innomées découle de l’effet hyperbolique que les juges confèrent à la fonction
distinctive de la règle de l’accessoire1404. Le principe de catégorisation tiré de cette
règle engendre ainsi un « effet pernicieux », puisqu’ « il joue un rôle souterrain de
fermeture dans la définition des notions et des catégories juridiques (…), il impose
son lot d’exclusion et de restriction au sein des qualifications de sûretés
personnelles (…), il empêche la réception de procédés de garantie à rigueur
intermédiaire entre le cautionnement et la garantie à première demande, et ce, en
dépit des appels réguliers de la pratique commerciale »1405.
En adoptant rarement les qualifications de constitut1406, ou de promesse de
porte fort1407, la jurisprudence ne laisse pas de place, ainsi, aux degrés dans le lien
d’accessoire à principal, et elle paralyse les attraits propres de ces mécanismes.
L’efficacité de ces garanties personnelles innomées s’en trouve affectée.
632. Les incertitudes entourant la qualification des garanties personnelles
innomées : un facteur d’inefficacité. La protection des intérêts des créanciers n’est
pas seulement menacée par ces réticences dans l’adoption de qualifications
intermédiaires. Elle l’est également par les incertitudes entourant les critères de
bénéficier au garant de l’article 2037 du Code civil (sur cette question, cf. M. OURY-
BRULE, th. préc., n°86 ; J. LAFOND, Cession de bail commercial et clause de solidarité,
JCP 2004, éd. E., 1098 ; I. LEMAIRE, Les garanties offertes aux créanciers lors de la cession
isolée du bail commercial, Droit et patrimoine 2001, n°99, p. 28 et s. ; J. FRANÇOIS, n°456 ;
Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°37). Récemment, la qualification d’engagement de
codébiteur solidaire adjoint a été approuvée par la Cour de cassation, qui en a déduit
l’exclusion de l’application de l’article 2037 du Code civil (Cass. com., 17 décembre 2003 :
D. 2004, Somm., p. 2035, obs. BREMOND). 1404 Sur la fonction distinctive du caractère accessoire, cf. notamment D. GRIMAUD, th.
préc., n°8 à 10, 190, 203 à 209 ; L. AYNES, Rapport français sur les sûretés personnelles,
Travaux de l’association H. Capitant « Les garanties de financement », journées portugaises,
Tome 47, 1996, LGDJ, p. 378 et s. ; I. FADLALLAH, Rapport général sur les sûretés
personnelles, Travaux de l’association H. Capitant « Les garanties de financement », journées
portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ, p. 329 et 330 ; C. GINESTET, La qualification des
sûretés, Defrénois 1999, p. 204 ; D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les sûretés
personnelles, in Sûretés et garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001,
n°92, p. 68 et s. ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°59-2 ; D. LEGEAIS, n°55 ; H., L. et J.
MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°15 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°30 1405 D. GRIMAUD, ibid., n°308 1406 De nombreux arrêts ont été considérés par la doctrine comme des occasions manquées de
reconnaître le constitut : TC Paris, 18 octobre 1985 et CA Paris, 15 mars 1987 (RD bancaire
et bourse 1987, p. 96, obs. CONTAMINE-RAYNAUD) ; Cass. com., 3 janvier 1995 (Bull.
civ. IV, n°4) ; CA Paris, 3 mars 1995 (RTD civ. 1995, p. 888, obs. MESTRE) ; CA Paris, 12
avril 1995 (JCP 1995, I, 3889, n°11, obs. SIMLER ; RD bancaire et bourse 1995, p. 223, obs.
CONTAMINE-RAYNAUD) ; Cass. 1ère civ., 2 avril 1996 (JCP 1996, IV, 1265) ; CA
Toulouse, 9 octobre 1997 (Juris-Data n°047433) ; Cass. com., 23 février 1999 (Banque et
droit 1999, p. 40, obs. JACOB). 1407 Cass. com., 7 octobre 1986 : pourvoi n°84-14.453 ; Cass. 1ère civ., 27 février 1990 :
pourvoi n°88-16.726
qualification des garanties personnelles non spécialement réglementées1408. En
l’absence de définition légale de ces mécanismes, il appartient aux juges du fond de
dégager ces critères, sous le contrôle de la Cour de cassation.
La lenteur dans l’élaboration des éléments de distinction des différentes
garanties personnelles entrave la connaissance des règles de droit par les créanciers,
et limite donc la rationalité de leurs choix. Par ailleurs, les hésitations
jurisprudentielles relatives aux critères de qualification encouragent les garants de
mauvaise foi à contester leur engagement. Enfin, ces tâtonnements sont à l’origine
de remises en cause des prévisions intrinsèques des parties. Pour toutes ces raisons,
les incertitudes affectant la qualification des garanties personnelles innomées
apparaissent comme des facteurs d’inefficacité de ces mécanismes.
Si ces incertitudes concernent toutes les garanties personnelles non
spécialement réglementées1409, il est intéressant d’en dévoiler les causes dans les
garanties personnelles innomées qui concentrent aujourd'hui l’essentiel du
contentieux, à savoir la garantie autonome (§1) et la lettre d'intention (§2).
§1 : LES RAISONS DE L’INSECURITE
EN MATIERE DE GARANTIE AUTONOME
633. Une part importante du contentieux en matière de garantie autonome
porte sur la qualification même des actes de garantie. La validité des garanties
indépendantes étant admise1410, la contestation du caractère autonome constitue l’un
des seuls moyens de défense que le donneur d'ordre peut soulever en vue d’obtenir
une défense de payer1411, et dont le garant peut se prévaloir, afin de retarder, voire
1408 Sur ces incertitudes, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°445 à 471 ; D. LEGEAIS,
L’imprévisible droit des garanties personnelles, Mélanges Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 658 à
663 1409 Les arrêts reconnaissant la validité de garanties personnelles innomées n’en précisent pas
toujours les critères de qualification. Ainsi, l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de
cassation du 7 octobre 1997 (Bull. civ. IV, n°242), présenté comme ayant consacré le
constitut, approuve la Cour d’appel d’avoir retenu « un engagement de payer la dette
d’autrui », mais n’en donne aucune définition.
Dans son arrêt du 17 novembre 1999 (Bull. civ. I, n°309), la première Chambre civile s’est
réfugiée derrière le pouvoir souverain des juges du fond, qui avaient retenu la qualification
d’engagement de codébiteur solidaire non intéressé à la dette. « Ce faisant, elle se refuse à
poser un critère objectif de distinction entre l’engagement solidaire de l’article 1216 et le
cautionnement…La cohérence d’ensemble du droit des sûretés se trouve menacée si la liberté
des parties de choisir leur forme de garantie n’est pas limitée par une différenciation
objective des différents types de sûretés » (P. ANCEL, note sous Cass. 1ère civ., 17 novembre
1999, D. 2000, p. 407). 1410 Cf. supra n°372-381 1411 Le plus souvent, le contentieux est porté devant le juge des référés. Or, comme
l’intervention de ce juge est subordonnée à l’absence de contestation sérieuse, il ne peut pas
prendre parti sur la qualification de l’engagement, lorsqu’elle apparaît incertaine. Dès lors
qu’il faut attendre que le tribunal compétent tranche la question de la qualification pour que
l’exécution soit possible, quand bien même la qualification retenue serait favorable au
créancier, celui-ci pâtit incontestablement d’un retard, que la conclusion d’une garantie
autonome avait justement pour but d’éviter.
d’éluder, le paiement, surtout lorsque le donneur d'ordre est en faillite et qu’un
recours contre lui semble illusoire.
Si, plus de vingt ans après la validation des garanties indépendantes, le
contentieux de la qualification est encore particulièrement nourri, c’est parce que le
rattachement d’un acte de garantie à la catégorie du cautionnement ou à celle de la
garantie autonome fait toujours l’objet d’incertitudes. En cas de litige, il est difficile
de déterminer par avance la qualification qui sera définitivement retenue. « Or, si les
parties doivent plaider pendant dix ans pour obtenir le paiement prévu, la garantie
autonome manque singulièrement son objectif »1412.
L’insécurité relative à la qualification du contrat conclu est créée, soit par les
parties elles-mêmes, lorsque la rédaction de l’acte est ambiguë (A), soit par les
juges, lorsqu’ils apprécient l’objet de l’obligation du garant (B) ou adoptent un
raisonnement téléologique (C). C’est surtout l’insécurité créée par la jurisprudence
qui menace l’efficacité des garanties autonomes.
A/ L’AMBIGUÏTE DES ACTES DE GARANTIE
634. Les manifestations de l’ambiguïté. Les actes par lesquels s’engage un
garant autonome sont souvent brefs et fort ambigus.
« L’équivoque peut naître par défaut lorsque l’engagement fait l’objet dans le
contrat de fausses qualifications »1413. A cet égard, l’ambiguïté se trouve accrue en
matière internationale, en raison de la rédaction de l’acte en langue étrangère et des
traductions approximatives des termes « guarantee » ou « bond »1414.
« L’équivoque résulte parfois, à l’inverse, de l’excès lorsque les termes de la
promesse sont contradictoires »1415. L’acte de garantie emprunte alors des critères
propres à la garantie autonome et au cautionnement, et se caractérise par un
« mélange des genres »1416.
1412 D. LEGEAIS, note sous Cass. com., 7 octobre 1997, JCP 1998, éd. E, p. 226 1413 J. DEVEZE, Aux frontières du cautionnement : lettre d'intention et garantie
indépendante, in Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des
entreprises 2-92, p. 31 1414 Ces termes ont souvent été traduits par « cautionnement », plutôt que par « garantie ».
Ainsi, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 27 septembre 1983 (D. 1984, IR, p. 201, obs.
VASSEUR), en l’absence de clause de paiement à première demande, a traduit le terme
« bond » par « cautionnement accessoire ». 1415 J. DEVEZE, art. préc., p. 31 1416 A. CERLES (Garanties bancaires : contre le mélange des genres, D. Aff. 1998, n°115,
p. 747 et 748) fournit des « exemples à ne pas suivre » : acte qualifié de « garantie à première
demande » comportant une clause de solidarité ; acte qualifié de « garantie à première
demande », dans lequel « le garant s’engage au cas de défaillance du donneur d'ordre à se
substituer au paiement de la dette de celui-ci », ou encore « à payer au lieu et place de celui-
ci » ; engagement de garantie à première demande obligeant expressément le garant à
exécuter les clauses contractuelles, c'est-à-dire à payer les échéances du contrat principal ;
« acte de cautionnement », dans lequel le garant est « tenu de payer irrévocablement et
inconditionnellement » à première demande du bénéficiaire, « sans pouvoir différer le
paiement ni soulever de contestations pour quelque motif que ce soit » ; cautionnement
solidaire par lequel le garant s’engage à payer toutes sommes pouvant être dues au
bénéficiaire par le débiteur, mais précisant que « le bénéficiaire pourra demander le paiement
635. Les raisons de l’ambiguïté. Ces confusions peuvent s’expliquer de
plusieurs manières.
A l’origine, les maladresses de rédaction pouvaient être rattachées à une
connaissance insuffisante de l’institution nouvelle. « La spécificité de la garantie
autonome n’a été perçue que progressivement par ceux-là même qui l’ont mise en
œuvre »1417.
Des confusions pouvaient également résulter du recours habituel et quasi
automatique à des termes familiers appartenant au registre du cautionnement1418.
Aujourd'hui, les ambiguïtés peuvent surtout s’expliquer par la volonté des
créanciers d’échapper aux causes d’inefficacité du cautionnement, tout en laissant
espérer au garant qu’il souscrit un cautionnement. Ils cherchent ainsi à concilier
l’inconciliable. Dans ce contexte, si un litige survient et qu’il aboutit à la
requalification de la garantie indépendante en cautionnement, l’efficacité du contrat
conclu est certes affectée, mais le créancier a pris le risque qu’il en aille ainsi. Cela
conduit à relativiser le rôle que peut jouer l’ambiguïté de la rédaction de l’acte de
garantie dans l’inefficacité de la garantie autonome.
636. Les solutions jurisprudentielles claires permettant de dissiper
l’ambiguïté des actes de garantie. La jurisprudence adopte quelques solutions
claires, qui permettent de prévoir comment seront levées certaines ambiguïtés et qui
atténuent, ce faisant, l’insécurité engendrée par celles-ci.
Tout d’abord, les principes d’interprétation appliqués en préalable de
l’opération de qualification proprement dite sont fermement établis. Les juges du
fond doivent rechercher la commune intention des parties1419, en ayant égard, non
seulement aux termes de l’acte (ceux inscrits dans les mentions manuscrites doivent
prévaloir sur ceux figurant dans des clauses dactylographiées1420), mais aussi à des
éléments extérieurs aux stipulations contractuelles1421.
Ensuite, en cas de doute sur la nature exacte de l’engagement pris par le garant,
c’est l’engagement minimal qui doit être retenu, autrement dit la requalification en
sans avoir à justifier du bien fondé de sa créance, le garant ne pouvant tenir compte de toute
défense ou refus de payer émanant du donneur d'ordre ».
L’auteur souligne que « le mauvais exemple vient parfois d’en haut », puisqu’un arrêté
ministériel du 10 décembre 1993, pris en application des articles 131 et 322 du Code des
marchés publics, a établi deux modèles de garantie en faveur de titulaires de marchés publics,
qui mélangent, comme dans les clauses précitées, les caractéristiques du cautionnement et
celles de la garantie autonome. 1417 Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°214 1418 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°892 1419 Cass. com., 15 mai 1992 : RTD com. 1992, p. 657, n°11, obs. CABRILLAC et TEYSSIE 1420 Il a été jugé que le mot « cautionnement » dans la mention manuscrite l’emportait sur
l’expression « garantie à première demande », contenue dans une mention dactylographiée
(Cass. com., 8 juin 1993 : Bull. civ. IV, n°225). 1421 Cass. com., 19 février 1991 : JCP 1991, II, 21670, note VASSEUR ; Cass. com., 19 mai
1992 : D. 1993, Somm., p. 104, obs. VASSEUR
cautionnement s’impose. Cette solution se recommande des articles 1162, 11591422
et 2015 du Code civil1423.
Enfin, l’interprétation de certains termes ou clauses ne laisse plus de place à
l’incertitude. Ainsi, conformément au principe selon lequel le juge doit restituer leur
exacte qualification aux actes litigieux, sans s’arrêter à la dénomination que les
parties en auraient proposée (article 12 du nouveau Code de procédure civile),
l’intitulé « cautionnement », ou « garantie à première demande », ou encore «
garantie autonome », n’est pas déterminant, au contraire du contenu même de
l’acte1424.
S’agissant des qualificatifs « inconditionnel » et « irrévocable », après avoir
été jugés significatifs de l’existence d’une garantie autonome1425, ils ne sont plus
aujourd'hui considérés comme déterminants1426.
La clause de solidarité ne l’est pas davantage. Alors même que la solidarité ne
peut naître que d’une communauté de dettes, et qu’elle est donc dépourvue de sens
dans un engagement autonome, la Cour de cassation décide que sa stipulation n’est
pas de nature à remettre en cause la qualification de garantie autonome, dès lors que
les autres clauses de l’acte expriment clairement la volonté du garant de prendre un 1422 Dans le cadre du commerce international, l’usage est celui de la garantie indépendante,
donc le doute doit conduire à retenir cette qualification. En droit interne, l’usage dominant est,
au contraire, celui du cautionnement. Une requalification en ce sens s’impose donc. 1423 « La garantie autonome étant un engagement plus lourd de conséquences encore, la ratio
legis (de l’article 2015) impose que, dans le doute, ce soit la qualification de garantie
autonome qui soit écartée au profit de celle de cautionnement » (Ph. SIMLER, n°895). En ce
sens, cf. CA Paris, 17 décembre 1992 : JCP 1993, éd. E, I, 243, n°39, obs. GAVALDA et
STOUFFLET ; D. 1993, Somm., p. 98, obs. VASSEUR ; CA Versailles, 4 mars 1999 : RJDA
6/1999, n°721 1424 Cf. notamment Cass. com., 2 février 1988 : Bull. civ. IV, n°55 ; Cass. com., 22 mai 1991 :
D. 1992, Somm., p. 233, obs. VASSEUR ; Cass. com., 7 octobre 1997 : Bull. civ. IV, n°242 ;
Cass. com., 23 février 1999 : JCP 1999, éd. E, act. 439 ; RTD com. 1999, p. 480, obs.
CABRILLAC ; Cass. com., 6 juin 2000 : RJDA 11/2000, n°1044 ; CA Paris, 28 avril 2000 :
RD bancaire et financier 2000, n°196, obs. MATTOUT ; Cass. com., 6 mai 2003 : JCP 2003,
II, 10186, note GUERCHOUN ; Cass. com., 16 juin 2004 : RD bancaire et financier 2004,
n°232, obs. LEGEAIS ; RJDA 12/04, n°1378 et 1388 1425 Au sujet du qualificatif « inconditionnel », cf. CA Paris, 9 mai 1984 : JCP 1986, éd. E, II,
14828, note AZENCOT. Au sujet du qualificatif « irrévocable », cf. CA Paris, 7 octobre
1981 : JCP 1982, II, 13734, obs. BOULOY ; RTD com. 1982, p. 281, obs. CABRILLAC et
TEYSSIE ; CA Paris 10 avril 1986 : D. 1988, Somm., p. 244, obs. VASSEUR ; Cass. com.,
18 mai 1999 : Bull. civ. IV, n°102 ; Cass. 3ème civ., 27 septembre 2000 : RJDA 2/2001, n°233 1426 Cass. com., 27 juin 2000 (RD bancaire et financier 2000, n°225, obs. MATTOUT ; RJDA
12/2000, n°1169) et Cass. com., 30 janvier 2001 (Bull. civ. IV, n°25) ne reprennent pas
comme élément caractéristique de la garantie autonome le caractère irrévocable ou
inconditionnel de l’engagement du garant.
Cette solution doit être approuvée, car la garantie autonome peut être assortie d’une condition
(les garanties documentaires en fournissent une illustration) et le cautionnement peut
également être assorti ou non d’une condition. « Au mieux, le qualificatif inconditionnel ne
peut être crédité d’une signification plus précise que s’il est appliqué non à l’engagement,
mais à son exécution (engagement de payer inconditionnellement et non engagement
inconditionnel de payer) » (Ph. SIMLER, n°892).
S’agissant de l’irrévocabilité, elle est pareillement sans rapport avec l’autonomie. Ainsi, une
caution n’est pas autorisée à remettre en cause unilatéralement son obligation de règlement,
même si le contrat est à durée indéterminée.
engagement indépendant1427. La volonté réelle des parties l’emporte ainsi sur la
clause de solidarité, qui a pu être inscrite dans l’acte par routine, inadvertance, ou
encore ignorance de sa signification profonde1428.
Enfin, la mention d’un « paiement à première demande », ou les formules
exprimant l’inopposabilité des exceptions (« sans pouvoir opposer aucune objection
de fait ni de droit, ni différer le paiement » ; « sans pouvoir soulever aucune
contestation pour quelque motif que ce soit »), ne constituent plus « le critère par
excellence de la garantie autonome »1429. Ces termes sont certes nécessaires, mais
ils ne suffisent plus pour emporter la qualification de garantie indépendante, si, par
ailleurs, le critère de l’objet propre de l’obligation de règlement du garant n’est pas
respecté1430.
637. Quelques solutions fermement établies permettent donc de résoudre, de
manière prévisible, certaines ambiguïtés figurant dans les actes de garantie. Si la
jurisprudence supprime ainsi quelques incertitudes, et rend plus sûre la qualification
qui sera définitivement retenue, elle est corrélativement à l’origine d’une véritable
insécurité en matière de qualification.
B/ L’APPRECIATION DE L’OBJET
DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT DU GARANT
638. Le critère de qualification de la garantie autonome : le caractère
propre de l’objet de l’obligation de règlement du garant. Depuis 1994, « la Cour
de cassation a compris que le propre de l’engagement indépendant est dans
l’indépendance de cet engagement ! Cette tautologie signifie que le banquier ne doit
pas avoir assumé l’obligation du débiteur »1431. La Haute juridiction retient, en effet,
1427 Cass. com., 8 décembre 1987 : Bull. civ. IV, n°261 ; Cass. com., 22 mai 1991 : D. 1992,
Somm., p. 233, obs. VASSEUR 1428 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, A propos des garanties autonomes en droit interne
souscrites par des personnes physiques, JCP 1991, éd. E, I, 90, n°18 ; Ph. SIMLER et Ph.
DELEBECQUE, n°214 ; Ph. SIMLER, n°893 1429 M. VASSEUR, note sous Cass. com., 2 février 1988, D. 1988, Somm., p. 239 1430 En faveur d’une requalification de l’engagement de payer la dette même du débiteur
principal en cautionnement, alors même que l’acte de garantie stipulait que ce paiement devait
avoir lieu « sans pouvoir soulever de contestation pour quelque motif que ce soit », cf.
notamment Cass. com., 9 décembre 1997 : D. Aff. 1998, p. 199, obs. S.P. ; RD bancaire et
bourse 1998, p. 66, obs. CONTAMINE-RAYNAUD ; Cass. com., 25 juin 2002 : D. 2002,
Somm., p. 3333, obs. AYNES ; RJDA 12/2002, n°1318 ; Cass. com., 5 novembre 2002 :
RJDA 3/2003, n°314 et 321 ; Cass. com., 8 octobre 2003 : RJDA 03/2004, n°361 ; RD
bancaire et financier 2004, n°15, obs. CERLES ; LPA 17 mai 2004, n°98, p. 8, note
BARTHEZ ; JCP 2004, I, 141, n°8, obs. SIMLER ; Cass. 1ère civ., 6 juillet 2004 : Bull. civ. I,
n°199
En faveur d’un cumul entre l’autonomie de l’engagement et l’inopposabilité des exceptions,
cf. Cass. com., 27 juin 2000 : RD bancaire et financier 2000, n°225, obs. MATTOUT ; RJDA
12/2002, n°1169 ; Cass. com., 30 janvier 2001 : Bull. civ. IV, n°25
Contra, cf. Cass. com., 9 juin 2004 : Bull. civ. IV, n°118 (qualification de garantie autonome
fondée sur la seule renonciation à toutes contestations des demandes faites au titre de la
garantie accordée). 1431 I. FADLALLAH, Rapport général sur les sûretés personnelles, Travaux de l’association
H. Capitant « Les garanties de financement », journées portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ,
p. 323 et s., n°14
comme critère essentiel de qualification de la garantie autonome, le caractère propre
de l’objet de l’obligation de règlement du garant. Elle requalifie le contrat litigieux
en cautionnement dès que le garant assume la dette même du débiteur principal,
même si l’acte est intitulé « garantie autonome » et comporte une mention
manuscrite de paiement à première demande1432.
Si l’objet de l’obligation de règlement du garant constitue, en théorie, un critère
particulièrement fiable de distinction entre le cautionnement et la garantie
autonome1433, son appréciation, en pratique, est source d’insécurité. La jurisprudence
de ces dix dernières années en atteste.
639. La question des références du contrat de garantie au contrat de base.
A la lumière de l’arrêt du 13 décembre 1994, l’efficacité des garanties autonomes a
semblé particulièrement menacée. En effet, les créanciers pouvaient craindre que
toute référence au contrat de base serait interprétée comme manifestant l’unicité
d’obligations de règlement, et qu’elle conduirait à requalifier de nombreux actes en
cautionnement, et donc « à raréfier de façon drastique les garanties
indépendantes »1434.
Or, la référence au contrat principal est nécessaire pour identifier la cause de
l’obligation de règlement du garant1435, et pour permettre à celui-ci de vérifier que
l’appel de la garantie se rattache bien au contrat ayant donné lieu à son engagement.
Cette référence est également indispensable lorsque la garantie est stipulée
« glissante », c'est-à-dire lorsqu’elle se réduit au fur et à mesure de l’exécution de la
convention principale.
Dans la crainte de la requalification, les praticiens devaient donc développer
des prodiges d’imagination pour éviter cette référence quasi inéluctable au contrat
de base. Ce n’était pas pour rendre plus clairs les actes de garantie et pour dissuader
les garants et les donneurs d’ordre de contester le caractère autonome de la garantie
mise en place.
1432 Cass. com., 13 décembre 1994 : Bull. civ. IV, n°375. Dans le même sens, cf. Cass. com.,
5 décembre 1995 : RJDA 1996, n°386 ; Cass. com., 13 mars 1996 : JCP 1997, I, 3991, n°11,
obs. SIMLER ; RD bancaire et bourse 1996, p. 123, obs. CONTAMINE-RAYNAUD ; Cass.
com., 11 mars 1997 : Bull. civ. IV, n°67 ; Cass. 1ère civ., 18 mars 1997 : RD bancaire et
bourse 1997, p. 123, obs. CONTAMINE-RAYNAUD ; Cass. com., 9 décembre 1997 : D.
Aff. 1998, p. 199, obs. S.P. ; RD bancaire et bourse 1998, p. 66, obs. CONTAMINE-
RAYNAUD ; JCP 1999, éd. E, p. 764, obs. GAVALDA et STOUFFLET ; Cass. 1ère civ., 23
février 1999 : Bull. civ. I, n°64 ; Cass. com., 25 juin 2002 : D. 2002, Somm., p. 3333, obs.
AYNES ; RJDA 12/2002, n°1318 ; Cass. com., 5 novembre 2002 : RJDA 3/2003, n°314 et
321 ; Cass. com., 6 mai 2003 : JCP 2003, II, 10186, note GUERCHOUN ; Cass. com., 8
octobre 2003 : RD bancaire et financier 2004, n°15, obs. CERLES ; RJDA 03/2004, n°361 ;
JCP 2004, II, 10069, note GUTIERREZ-LACOUR ; Cass. com., 2 juin 2004 : RD bancaire et
financier 2004, n°232, obs. LEGEAIS ; Cass. com., 16 juin 2004: RD bancaire et financier
2004, n°232, obs. LEGEAIS ; RJDA 12/04, n°1378 et 1388 1433 Sur cette caractéristique distinctive des garanties personnelles, cf. supra n°301-306 1434 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°469 ; M. CABRILLAC, obs. sous Cass. com., 13
décembre 1994, RTD com. 1995, p. 458 1435 Sur la cause de l’obligation de règlement du garant comme élément de définition du
caractère accessoire essentiel des garanties personnelles, cf. supra n°278
640. L’évolution de la jurisprudence au sujet des références au contrat de
base. Dans un arrêt du 7 octobre 19971436, la Chambre commerciale de la Cour de
cassation, en présence d’un engagement de rembourser « toutes sommes qui
pourraient être dues en raison » du contrat principal, a considéré que ledit
engagement avait un objet propre, et que « peu importait qu’il soit fait référence à
l’opération juridique à l’occasion de laquelle l’engagement avait été souscrit ».
Cette décision marquait un assouplissement a priori favorable aux créanciers,
puisque des termes similaires avaient jusque là conduit la Cour de cassation à
pencher en faveur d’une requalification en cautionnement. En réalité, cette solution
fragilisait l’efficacité des garanties autonomes, car elle rendait spécialement ténue la
frontière entre le cautionnement et les garanties indépendantes. En admettant qu’une
garantie à première demande puisse faire référence au contrat de base pour définir le
montant dû par le garant, la Cour de cassation autorisait, plus qu’un renvoi au
contrat principal, une véritable référence à l’obligation de règlement du débiteur. Le
critère de l’objet propre de l’obligation du garant s’en trouvait obscurci1437, et la
sécurité nécessaire à l’efficacité des garanties autonomes s’en trouvait menacée.
Il a fallu attendre un arrêt du 18 mai 19991438, pour que la Chambre
commerciale de la Cour de cassation précise les conditions et les limites dans
lesquelles il est permis, sans s’exposer au risque de requalification, de faire
référence dans un acte de garantie autonome au contrat de base. Ces références sont
admises pour autant qu’elles n’impliquent pas « une appréciation des modalités
d’exécution (du contrat de base) pour l’évaluation des montants garantis ou pour la
détermination des durées de validité » de la garantie1439. La référence au contrat
principal doit donc « uniquement faciliter la causalité fondamentale de l’opération,
et non lier l’engagement du garant à celui du débiteur principal »1440. Une fois
conclue, la garantie indépendante doit fonctionner et produire ses effets sans
référence à l’étendue des obligations du donneur d'ordre. Son montant doit être
1436 Cass. com., 7 octobre 1997 : Bull. civ. IV, n°242 1437 En ce sens, cf. M. CABRILLAC, obs. sous Cass. com., 7 octobre 1997, RTD com. 1998,
p. 189 : « c’est un chemin de crête bien étroit que celui qui sépare la référence au contrat de
base de la référence à la propre dette du débiteur principal. L’arrêt ne fait pas apparaître le
critère de la séparation ». Dans le même sens, cf. D. LEGEAIS, note sous Cass. com. 7
octobre 1997, JCP 1998, éd. E, p. 226 1438 Cass. com., 18 mai 1999 : Bull. civ. IV, n°102 1439 Dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 18 mai 1999, l’étendue des deux garanties
litigieuses avait été fixée au moment de leur conclusion, et ne dépendait pas des conditions
d’exécution du contrat principal. La Chambre commerciale a ainsi censuré la Cour d’appel
qui avait disqualifié la garantie en cautionnement. Dans un arrêt du 30 janvier 2001 (Bull. civ.
IV, n°25), la qualification de garantie autonome a également été préférée à celle de
cautionnement, dans la mesure où le montant de la garantie avait été fixé sans référence aux
conditions du contrat de base. Dans d’autres arrêts, les précisions apportées sur les références
au contrat principal ont, au contraire, abouti à la requalification de l’acte en cautionnement
(Cass. com., 23 février 1999 : Bull. civ. I, n°64 ; Cass. com., 14 juin 2000 : RD bancaire et
bourse 2000, n°226, obs. MATTOUT ; Cass. com., 27 juin 2000 : RD bancaire et bourse
2000, n°225, obs. MATTOUT ; Cass. com., 8 octobre 2003 : RD bancaire et financier 2004,
n°15, obs. CERLES ; RJDA 03/2004, n°361). Dans ces dernières affaires, le garant s’était
obligé à payer « les sommes dues ou restant dues par le débiteur ». 1440 D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les sûretés personnelles, in Sûretés et
garanties, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 72
définitivement fixé dès l’émission, ce qui n’exclut pas une variabilité si elle est
prévue dans la convention. Par ailleurs, l’autonomie suppose que l’exécution du
garant ne soit pas subordonnée à la défaillance du débiteur, ce qui n’empêche pas la
conclusion d’une garantie à première demande justifiée1441.
Les précisions apportées par la Chambre commerciale de la Cour de cassation
fournissent aux créanciers les moyens de conclure des garanties autonomes qui
répondent à leurs attentes subjectives initiales, et dont la finalité ne risque pas d’être
contrariée par une requalification en cautionnement. Cette jurisprudence évite que
« l’opération de qualification des différentes garanties personnelles ne se
transforme en un jeu de hasard réservé à quelques initiés »1442. Elle favorise donc
l’efficacité des garanties autonomes.
L’insécurité en la matière n’a pourtant pas complètement disparu. En effet,
l’appréciation de l’objet de l’obligation de règlement du garant que retient la
première Chambre civile de la Cour de cassation diverge de celle de la Chambre
commerciale. Dans un arrêt du 12 décembre 20001443, la première Chambre civile a
jugé qu’un engagement de garantir « toutes sommes dues par le locataire », à
première demande du bailleur, est dépourvu d’ambiguïté, et ne présente pas un
caractère accessoire. Certaines juridictions du fond statuent également en ce sens1444.
Ces solutions ne sont qu’en apparence protectrices des intérêts des créanciers,
puisqu’en faisant planer un doute sur le critère de qualification des garanties
autonomes, elles fragilisent, en réalité, l’efficacité de celles-ci.
Le critère de l’objet de l’obligation de règlement du garant est également
mis à mal chaque fois que les juges procèdent à des qualifications téléologiques.
C/ LES QUALIFICATIONS TELEOLOGIQUES
641. Le raisonnement téléologique consiste à poser comme prémisse ce que
l’on attend en conclusion. Il conduit à retenir la qualification qui emporte
l’application ou, au contraire, l’éviction d’une règle de droit déterminée. Le but qui
oriente la qualification peut être, soit la protection des intérêts du garant (1), soit la
protection des intérêts du créancier bénéficiaire (2).
1. Les qualifications dictées par l’objectif de protection des intérêts du garant
642. Les qualifications dictées par l’objectif de protection des intérêts du
garant : un facteur d’inefficacité. Lorsque la qualification jurisprudentielle est
dictée, non par les caractéristiques imprimées par les parties au contrat, mais par le
1441 La Chambre commerciale (Cass. com., 30 janvier 2001 : Bull. civ. IV, n°25) a admis la
qualification de garantie autonome en présence d’un acte prévoyant que la demande du
bénéficiaire devait porter « la déclaration que le débiteur n’a pas rempli ses obligations
contractuelles ». Cette décision se rapporte à une garantie conclue dans un contexte
international. Dans ce cadre, des degrés dans l’autonomie (garantie justifiée, garantie
documentaire) sont souvent présents. 1442 D. LEGEAIS, note sous Cass. com., 7 octobre 1997, JCP 1998, éd. E, p. 226 1443 Cass. 1ère civ., 12 décembre 2000 : JCP 2001, I, 315, n°8, obs. SIMLER ; Contr., conc.,
consom. 2001, n°54, p. 13 1444 CA Paris, 28 juin 2002 : RD bancaire et financier 2003, n°72, obs. LEGEAIS (la
qualification de garantie autonome a été retenue en présence d’un engagement « au paiement
des loyers, charges et accessoires du loyer dont le preneur sera redevable au titre du bail »).
souci de protéger le garant, l’efficacité de la garantie autonome conclue est
compromise, puisque la fonction de garantie est primée par la protection des intérêts
du garant. Plus largement, c’est l’efficacité de la garantie autonome, en tant
qu’institution, qui se trouve affectée, car les solutions téléologiques ne permettent
pas de connaître les critères de qualification avec certitude.
643. La protection des garants non professionnels. Ainsi, bien que la Cour
de cassation rejette apparemment la qualité des parties comme critère de distinction
entre le cautionnement et la garantie autonome1445, nombre de requalifications en
cautionnement semblent avoir été motivées par la volonté de protéger un garant non
professionnel1446. Ainsi, la jurisprudence sur l’objet de l’obligation de règlement du
garant a été inaugurée à propos de garanties à première demande souscrites par des
personnes physiques1447. Par ailleurs, l’arrêt de la première Chambre civile de la
Cour de cassation du 23 février 19991448, qui semblait remettre en cause la
possibilité d’une référence au contrat de base dans une garantie autonome1449, avait
mis l’accent sur le fait que le garant « n’intervenait pas à titre professionnel ».
Dès lors que l’appréciation du caractère accessoire ou autonome de l’obligation
de règlement du garant est orientée par la qualité de ce dernier, sans que cette qualité
ne soit ouvertement érigée en critère de qualification, la prévisibilité de celle-ci
devient illusoire. La fiabilité des critères expressément mis en œuvre peut, quant à
elle, être mise en doute. Lorsque la requalification en cautionnement est dictée par la
volonté de protéger le garant, et non par les termes de l’engagement, l’insécurité
1445 Si la Cour d’appel de Paris a déjà jugé que toute garantie personnelle souscrite par une
personne physique non commerçante est un cautionnement (CA Paris, 26 janvier 1993 : D.
1993, IR, p. 93), la Cour de cassation rejette les présomptions portant sur la qualité des
parties. La Chambre commerciale (Cass. com., 10 mai 1994 : Bull. civ. IV, n°171) a cassé un
arrêt qui s’était principalement appuyé sur le fait que le garant était une banque pour qualifier
un acte litigieux de garantie indépendante. La Cour de cassation décide aussi que la qualité du
créancier est indifférente (Cass. com., 30 janvier 2001 : Bull. civ. IV, n°25). 1446 Cette finalité a été expressément invoquée par la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 5
février 1992 : JCP 1993, I, 3623, obs. SIMLER ; D. 1993, Somm., p. 107, obs. VASSEUR ;
RJDA 4/1992, n°388) : la qualification de garantie autonome a été écartée au motif que la
généralisation de cette forme de garantie, en droit interne, serait inéquitable en raison de la
rupture d’équilibre, lorsque le garant n’est pas un organisme de crédit. 1447 Dans son commentaire de l’arrêt du 13 décembre 1994 (RTD com. 1995, p. 458), M.
CABRILLAC a mis en avant la finalité de protection du garant non institutionnel en ces
termes : « on concevrait mal, au sujet d’un engagement souscrit par un établissement de
crédit, une disqualification pour les motifs qui ont été retenus en l’espèce. Reste à savoir s’il
est de bonne technique de résoudre le problème par la dualité d’interprétation en fonction de
la personne du souscripteur, solution vers laquelle on paraît s’orienter ». 1448 Cass. 1ère civ., 23 février 1999 : Bull. civ. I, n°64 1449 L’arrêt précise que « l’engagement se référait à la dette du débiteur principal et n’était
donc pas autonome ». Compte tenu de la généralité des termes employés par la première
Chambre civile, la question se posait de savoir si elle ne refusait pas, au contraire de la
Chambre commerciale, toute référence au contrat principal. En réalité, dans la mesure où, en
l’espèce, la référence en question était faite pour déterminer l’objet de l’obligation de
règlement, à savoir « toutes sommes dues par le preneur en vertu de la convention de crédit-
bail », il n’y avait pas de divergence de fond au sein de la Cour de cassation, mais seulement
des manières plus ou moins précises de poser les critères de distinction entre le cautionnement
et la garantie autonome.
règne donc, et l’efficacité des garanties autonomes se trouve compromise. Un même
constat s’impose lorsque la qualification est orientée par l’objectif de protection des
intérêts des créanciers.
2. Les qualifications dictées par l’objectif de protection des intérêts du créancier
644. Lorsque le souci de protéger les intérêts des bénéficiaires incite les juges
à retenir la qualification de garantie autonome, alors que les caractéristiques du
contrat devraient plutôt les conduire à celle de cautionnement, l’efficacité du contrat
litigieux est certes favorisée, mais l'efficacité de la garantie autonome, en tant
qu’institution, se trouve fragilisée. La requalification de certaines garanties imposées
par la loi en garanties autonomes, dans le seul but d’éviter aux créanciers
l’extinction pour défaut de déclaration de la créance à la procédure collective du
débiteur en constitue une illustration topique.
645. Les garanties faisant l’objet de qualifications téléologiques. Ont
d’abord été concernées les garanties de bonne fin d’achèvement des travaux1450.
Habituellement qualifiées de cautionnements1451, elles sont aujourd'hui considérées
par la Cour de cassation comme des garanties autonomes, non éteintes par un défaut
de déclaration1452.
Furent ensuite l’objet d’une qualification téléologique, les garanties financières
professionnelles. La plus grande confusion a régné en la matière au cours des années
1990, puisque « les chambres civile et commerciale de la Cour de cassation ont
rendu des solutions opposées1453, puis ont chacune admis les arguments de l’autre et
ont alors opéré un revirement de jurisprudence, de sorte qu’elles se sont à nouveau
trouvées en opposition1454 »1455. L’Assemblée Plénière a voulu « mettre bon ordre à
1450 L’article R. 233-11 du Code de la construction et de l’habitation prévoit que la garantie
extrinsèque d’achèvement « est constituée par une caution solidaire donnée par un
établissement de crédit ou une entreprise d’assurance agréée à cet effet », et l’article R. 261-
21 du même code la définit comme étant « une convention de cautionnement aux termes de
laquelle la caution s’oblige envers l’acquéreur, solidairement avec le vendeur, à payer les
sommes nécessaires à l’achèvement de l’immeuble ». Cette garantie présente la spécificité
d’être conclue entre le débiteur principal et le garant. 1451 Cass. 3ème civ., 5 janvier 1978 : Bull. civ. III, n°16 ; Cass. 3ème civ., 7 juillet 1981 : Gaz.
Pal. 1982, 2, p. 447, note GOURIO ; Cass. 3ème civ., 3 décembre 1985 : JCP 1986, IV, 62 ;
Gaz. Pal. 1986, 1, pan. p. 52 ; Cass. 3ème civ., 9 novembre 1994 : Bull. civ. III, n°185 1452 Cass. 3ème civ., 12 mars 1997 : Bull. civ. III, n°53 ; Cass. 3ème civ., 14 janvier 1998 : Bull.
civ. III, n°10 ; Cass. 3ème civ., 28 novembre 2001 : Bull. civ. III, n°139 ; Cass. com., 25
février 2004 : RD bancaire et financier 2004, n°206, obs. CERLES 1453 La première Chambre civile a d’abord refusé aux sociétés de caution mutuelle délivrant
des garanties financières professionnelles d’invoquer le défaut de déclaration, sans se
prononcer expressément sur la qualification de telles garanties (Cass. 1ère civ., 4 juin 1991 :
Bull. civ. I, n°179). Dans le même temps, la Chambre commerciale considérait ces garanties
comme des cautionnements, donnant lieu à l’application de l’article 53 de la loi du 25 janvier
1985 (Cass. com., 1er octobre 1991 : JCP 1993, II, 21900, note BEHAR-TOUCHAIS). 1454 Dans un second temps, la Chambre commerciale a jugé que la garantie imposée par la loi
et spécialement affectée au remboursement des fonds, effets ou valeurs reçus par les
professionnels garantis ne s’éteint que pour l’une des causes énumérées de manière limitative
par les textes applicables à la cause et ne cesse pas si le client omet de déclarer au passif sa
créance de restitution des sommes versées (Cass. com., 5 octobre 1993 : Bull. civ. IV, n°311).
La première Chambre civile, quant à elle, a décidé que « l’action dont dispose le client d’un
cette cacophonie »1456, en décidant « qu’en raison de son caractère autonome, la
garantie financière (…) n’est pas éteinte lorsqu’en cas de redressement ou de
liquidation judiciaire de l’agent immobilier, le client ne déclare pas au passif sa
créance de restitution de la somme versée »1457. La Chambre commerciale1458, puis
la première Chambre civile de la Cour de cassation1459, ont depuis repris à leur
compte cette analyse.
Après les garanties extrinsèques et les garanties financières professionnelles, ce
sont les garanties de remboursement de livraison souscrites par des assureurs dans le
cadre d’un contrat de construction individuelle1460, ainsi que les garanties fournies
en remplacement de la retenue de garantie exigée dans les marchés privés de
construction1461, qui se sont vues refuser la qualification de cautionnement et, par là
même, l’application de l’article L. 621-46 du Code de commerce.
Ce mouvement de promotion de garanties légales au rang de garanties
autonomes a pris une telle ampleur, qu’il est raisonnable de penser que d’autres
garanties financières professionnelles1462, et que d’autres garanties relevant du droit
de la construction1463, y seront soumises.
agent immobilier contre l’organisme assurant la garantie financière de ce dernier n’est pas
une action directe ; les règles spécifiques qui gouvernent l’extinction de cette garantie ne
privent pas le garant, tenu dans les termes du droit commun du cautionnement, de la
possibilité d’opposer au créancier, conformément à l’article 2036 du Code civil, l’exception
inhérente à la dette que constitue l’extinction de la créance par application de l’article 53 de
la loi du 25 janvier 1985 » (Cass. 1ère civ., 10 janvier 1995 : Bull. civ. I, n°17 ; Cass. 1ère civ.,
27 juin 1995 : Bull. civ. I, n°278). 1455 S. CABRILLAC, Garanties financières professionnelles, Droit et Patrimoine 2002,
n°106, p. 58 1456 Ph. SIMLER, n°724 1457 Cass. Ass. plén., 4 juin 1999 : Bull. civ., n°4 1458 Cass. com., 23 mai 2000 : RD bancaire et financier 2000, n°195, obs. LEGEAIS 1459 Cass. 1ère civ., 12 décembre 2000 : RD bancaire et financier 2001, n°113, obs. CERLES 1460 Cass. 3ème civ., 14 mars 2001 : Bull. civ. III, n°32 ; Cass. 3ème civ., 23 juin 2004 : RD
bancaire et financier 2004, n°204, obs. CERLES (interprétation a contrario). Auparavant, la
Chambre commerciale décidait que cette garantie ne pouvait être qu’un cautionnement, et non
une garantie indépendante (Cass. com., 11 décembre 1985 : Bull. civ. IV, n°293). En dehors
du problème de défaut de déclaration de la créance, la troisième Chambre civile reconnaît
toujours l’autonomie, puisqu’elle retient que la garantie de livraison d’une maison
individuelle ne peut être privée d’efficacité par l’effet d’une novation du contrat de
construction de maison individuelle (Cass. 3ème civ., 4 juin 2003 : Bull. civ. III, n°120). 1461 Cass. 3ème civ., 3 octobre 2001 : Bull. civ. III, n°111. Mais, lorsque l’application de
l’article L. 621-46 du Code de commerce n’est pas en cause, la Cour de cassation retient la
qualification de cautionnement (Cass. com., 6 mai 2003 : RJDA 11/2003, n°1124 ; RD
bancaire et financier 2003, n°187, obs. CERLES). 1462 Notamment la garantie financière des avocats (loi du 31 décembre 1971, modifiée par la
loi du 31 décembre 1990), des agences de voyage (décrets du 28 mars 1977 et du 16 juin
1994), des courtiers d’assurance (article L. 530-1 du Code des assurances), des notaires
(décret du 20 mai 1955) et des banques (loi du 24 janvier 1984, modifiée par la loi du 29 juin
1999). 1463 Notamment les garanties prévues dans le cadre de la promotion immobilière, de la vente
en l’état futur d’achèvement, de la vente à terme, de la sous-traitance ou de l’article 1799-1 du
Code civil.
646. Les qualifications dictées par l’objectif de protection des intérêts des
créanciers : un facteur d’inefficacité. Si l’efficacité des garanties personnelles
suppose que le droit qui leur est applicable poursuive comme objectif la protection
des intérêts des créanciers bénéficiaires, cette efficacité ne peut être que de façade
lorsque cet objectif est poursuivi au stade de la qualification du contrat de garantie.
Ainsi, en découvrant de l’autonomie dans les garanties légales précitées, la Cour de
cassation a certes rendu effective la protection dont le législateur a voulu faire
profiter un certain nombre de particuliers1464, mais elle a aussi rendu incertaine la
notion d’autonomie, ce qui fragilise l’efficacité de la garantie autonome, en tant
qu’institution.
En effet, comme le résultat (l’éviction de l’article L. 621-46 du Code de
commerce) importait plus que la détermination de la nature des garanties litigieuses,
la Haute cour est demeurée très imprécise dans son contrôle de qualification. Dans
l’arrêt du 4 juin 1999, rendu en Assemblée Plénière, elle n’a pas expressément
qualifié la garantie financière des agents immobiliers. Elle s’est seulement attachée à
l’affirmation du caractère autonome de cette garantie, sans que l’on sache
précisément s’il s’agit d’une autonomie par opposition au caractère accessoire
renforcé du cautionnement ou d’une autonomie de la réglementation applicable à
cette garantie, ce qui lui conférerait un caractère sui generis.
Dans son arrêt du 3 octobre 2001, la troisième Chambre civile a justifié
l’indépendance de la garantie fournie en remplacement de la retenue de garantie
exigée par la loi du 16 juillet 1972 par son « caractère spécifique ». Il s’agit d’ « un
critère aussi brumeux que peu opératoire. Sa vertu explicative est nulle »1465.
L’insécurité ne résulte pas uniquement de ces imprécisions. Elle découle, plus
profondément, du fait que l’autonomie des garanties susmentionnées n’aurait pas été
consacrée si la Cour de cassation avait fait application du critère de l’objet de
l’obligation de règlement du garant, qu’elle met en œuvre depuis dix ans pour
distinguer les garanties indépendantes du cautionnement. Dans la mesure où la
plupart des textes réglementant ces garanties leur donnent pour objet le paiement de
la dette même du débiteur principal1466, l’application du critère inauguré par l’arrêt
1464 Le premier Avocat général, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de l’Assemblée
Plénière du 4 juin 1999, a souligné que la Cour pouvait trouver une justification de sa
décision en s’appuyant sur les travaux préparatoires de la loi Hoguet du 2 janvier 1970, qui
montrent clairement que l’objectif poursuivi par le législateur, en imposant à certains
professionnels des garanties financières, a été en priorité d’assurer une meilleure protection de
leurs clients, pris en qualité de consommateurs. En écartant l’application de l’article L. 621-46
du Code de commerce, la Cour de cassation rend effective cette volonté de protection à
l’origine de l’institution de garanties légales, puisque « les particuliers accédant à la
propriété de maisons individuelles, les clients habituels des notaires, administrateurs de biens
ou autres agents d’affaire ne comptent pas parmi les lecteurs les plus assidus du Bodacc » (F.
JACOB, note sous Cass. 3ème civ., 3 octobre 2001, Banque et droit mars-avril 2002, p. 49). 1465 F. LUCAS, note sous Cass. 3ème civ., 3 octobre 2001, JCP 2002, éd. E, p. 123 1466 L’article 39 alinéa 1er du décret du 20 juillet 1972 prévoit que l’objet de la garantie
financière est de régler la dette de l’agent immobilier, en cas de défaillance de celui-ci.
Malgré cette précision, certains auteurs considèrent que le garant ne paie pas la dette d’autrui,
mais une dette propre, car il ne s’engage pas au profit de créanciers déterminés (S.
CABRILLAC, Garanties financières professionnelles, Droit et Patrimoine 2002, n°106, p.
58), ou encore parce que les conditions d’exigibilité de la dette principale et de la garantie ne
sont pas identiques (M. BEHAR-TOUCHAIS, nous sous Cass. Ass. plén., 4 juin 1999, JCP
de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 13 décembre 1994 aurait dû
conduire à la qualification de cautionnement1467. Est-ce à dire que ce critère ne
vaudrait que pour les garanties conventionnelles et non pour les garanties légales ?
Autrement dit, que l’autonomie pourrait avoir une nature différente selon qu’elle est
prévue par les parties ou par le législateur ? Rien ne permettrait de le justifier. La
Cour de cassation n’a certainement pas entendu se lancer dans une telle voie. Reste
qu’en ignorant le critère de l’objet de l’obligation de règlement du garant en
présence de garanties légales, elle a compromis la fiabilité de ce critère et, plus
largement, la sécurité indispensable à l’efficacité de la garantie autonome. « Peut-on
impunément triturer de la sorte les concepts sans ébranler progressivement le
système juridique en le privant de toute certitude ? Est-il de bonne méthode de
traiter le mal dans ses effets plutôt que dans ses causes ? »1468. Au regard de
l’objectif d’efficacité des garanties autonomes, une réponse négative s’impose
évidemment.
647. Les qualifications téléologiques, qu’elles soient inspirées par le souci
d’éviter à certains créanciers la déchéance pour défaut de déclaration, ou par celui de
protéger les garants non institutionnels, ébranlent la distinction entre le
cautionnement et la garantie indépendante. Ce faisant, la rationalité des choix des
créanciers lors de la formation du contrat de garantie se trouve limitée, et les
chances de réalisation de la finalité assignée à la garantie autonome conclue se
trouvent réduites. L’insécurité en matière de qualification, qu’elle procède de ces
raisonnements judiciaires opportunistes, d’une appréciation imprévisible de l’objet
de l’obligation de règlement du garant, voire de la rédaction ambiguë des actes de
garantie, menace donc l’efficacité des garanties autonomes.
L’insécurité qui entoure la qualification des lettres d’intention compromet tout
autant l’efficacité de cette autre garantie personnelle innomée.
§2 : LES RAISONS DE L’INSECURITE
EN MATIERE DE LETTRE D'INTENTION
648. L’ambiguïté des lettres d’intention. L’inefficacité des lettres
d’intention, liée au caractère incertain de leur qualification, est en partie imputable
aux contractants eux-mêmes. Alors que ces engagements sont en général souscrits
dans des secteurs où les juristes jouent un rôle important, ils sont très souvent
empreints d’obscurité, d’imprécision. S’il en est ainsi, c’est parce que les opérateurs
1999, II, 10152). Ces considérations étant étrangères à l’objet de l’obligation de règlement du
garant, elles ne permettent pas de déterminer si cette obligation présente un caractère
autonome ou, au contraire, un caractère accessoire renforcé. 1467 La qualification de cautionnement pouvait d’autant plus facilement s’imposer que les
textes organisant les garanties étudiées retiennent cette dénomination et opèrent des renvois
aux articles 2011 et suivants du Code civil. En outre, les garanties financières professionnelles
sont souvent consenties par des établissements de crédit dont le cautionnement est l’objet
statutaire même, à savoir les sociétés de caution mutuelle. 1468 Ph. SIMLER, obs. sous Cass. Ass. plén., 4 juin 1999, JCP 2000, I, 209, n°8
développent une véritable « stratégie de l’ambiguïté »1469. Le flou est recherché par
l’émetteur, dans le but de rassurer le créancier, sans être juridiquement engagé. Le
flou est également recherché par le créancier, afin de bénéficier d’une garantie
solide, sans ouvertement la demander. « Les formules employées révèlent souvent un
jeu du chat et de la souris (les deux animaux devant être crédités de la même
intelligence) »1470. En cas de difficultés dans l’exécution du contrat principal, ce jeu
marqué par l’hypocrisie, les arrière-pensées, conduit naturellement au litige.
L’efficacité de la lettre d'intention est complètement inexistante si le contentieux
révèle que le créancier n’avait qu’un « simple pétard mouillé »1471 entre les mains.
Quand bien même la lettre apparaîtrait comme une « bombe à retardement »1472 pour
la société-mère, son efficacité n’en serait pas moins affectée par l’augmentation du
coût de la protection du créancier résultant du litige.
649. L’inconstance de la jurisprudence. L’ambiguïté volontairement
entretenue par les parties n’est pas la seule cause d’insécurité en matière de
qualification, et donc d’inefficacité de la lettre d'intention. L’insécurité s’explique
également par le fait que « les tâtonnements et tergiversations sont les deux
mamelles du droit positif en ce domaine »1473. La versatilité de la jurisprudence
réduit les chances des créanciers, non seulement de faire souscrire une lettre qui
réponde à leurs attentes subjectives initiales, mais aussi de voir la finalité assignée à
la lettre reçue se réaliser. Les solutions imprévisibles concernant, tant la
qualification des obligations souscrites par l’émetteur (A), que la qualification de la
lettre d'intention en « garantie », au sens des articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code
de commerce (B), compromettent ainsi l’efficacité des lettres de confort.
1469 Ph. PEYRAMAURE, Les substituts du cautionnement : de la lettre à la garantie. La
revanche de la liberté, Rapport de synthèse, JCP 1992, éd. E, Cahier droit des entreprises 2-
92, p. 12 1470 Ph. THERY, n°97 bis 1471 J.-J. DAIGRE, Les substituts du cautionnement : de la lettre à la garantie. La revanche de
la liberté, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 6-92, p. 9 1472 J.-J. DAIGRE, ibid., p. 9 1473 D. MAZEAUD, Variations sur une garantie épistolaire et indemnitaire : la lettre
d'intention, Mélanges M. Jeantin, 1999, p. 341 et s., n°14. Sur la difficile lisibilité de la
jurisprudence en matière de lettre d'intention, cf. aussi D. LEGEAIS, L’imprévisible droit des
garanties personnelles, Mélanges Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 657 et s. ; M. PARIENTE, Les
lettres d’intention, Mélanges Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 861 et s.
A/ LA QUALIFICATION DES OBLIGATIONS
DE L’EMETTEUR DE LA LETTRE
650. Dans l’arrêt du 21 décembre 1987, ayant consacré la validité des lettres
d’intention, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a dressé une typologie
des obligations pouvant être souscrites par l’émetteur de la lettre, et a posé le critère
permettant de qualifier la nature de ces obligations1474.
651. Typologie des obligations souscrites par l’émetteur de la lettre
d’intention. Une lettre d'intention peut comporter quatre types d’obligations, dont la
portée détermine l’étendue de la protection du bénéficiaire.
En premier lieu, le souscripteur peut uniquement consentir un engagement
moral. Sa responsabilité contractuelle ne peut alors être mise en jeu en cas de
défaillance du débiteur principal. Seule sa responsabilité délictuelle pourrait être
retenue s’il a, par exemple, donné un conseil de mauvaise foi, voire avec une
intention malveillante, et s’il en est résulté un préjudice pour le créancier.
En deuxième lieu, la lettre peut comporter des obligations de faire de moyens.
La responsabilité contractuelle de l’émetteur est engagée seulement si le créancier
prouve l’inexécution de ces obligations.
En troisième lieu, peuvent être mises à la charge de l’auteur de la lettre des
obligations de résultat. La responsabilité contractuelle de l’émetteur est alors plus
facilement retenue puisque, d’une part, le créancier doit seulement prouver que le
résultat promis n’est pas atteint et que, d’autre part, seule une cause étrangère
emporte un effet exonératoire.
En quatrième et dernier lieu, la lettre d'intention peut dissimuler un véritable
cautionnement, lorsqu’elle contient un engagement de se substituer au débiteur
principal.
652. Le critère de qualification des obligations de l’auteur de la lettre : la
commune intention des parties. Selon la Cour de cassation, le critère permettant de
classer les obligations souscrites dans l’une de ces quatre catégories réside dans la
commune intention des parties, exprimée dans les termes de l’acte. C’est donc du
contenu et de la rédaction de la lettre que dépendent la nature de l’obligation de
l’émetteur et l’étendue de la protection du destinataire.
Le principe d’interprétation littérale rend inévitable la casuistique et
l’incertitude dans la qualification. D’une juridiction à une autre, voire d’une décision
à une autre rendue par une même juridiction, des termes identiques ou très proches
dans le langage courant peuvent recevoir une portée différente. Dans ces conditions,
la réalisation de la finalité assignée au contrat conclu est tout à fait imprévisible en
cas de litige, et l’efficacité de la lettre d'intention apparaît particulièrement aléatoire.
1474 Cass. com., 21 décembre 1987 : Bull. civ. IV, n°281 : « Une lettre d'intention peut, selon
ses termes, lorsqu’elle a été acceptée par son destinataire et eu égard à la commune intention
des parties, constituer à la charge de celui qui l’a souscrite un engagement contractuel de
faire ou de ne pas faire pouvant aller jusqu’à l’obligation d’assurer un résultat, si même elle
ne constitue pas un cautionnement ».
653. Les engagements litigieux. Si les lettres d’intention contenant
uniquement un engagement moral1475, et celles déguisant un véritable
cautionnement1476, suscitent guère de contentieux, il n’en va pas de même de celles
comportant des obligations de faire ou de ne pas faire. Comme les engagements
spéciaux mettant à la charge du souscripteur l’accomplissement d’actes ou
opérations précisément définis1477 et les obligations de ne pas faire sont en principe
considérés comme des obligations de résultat1478, ce sont surtout les engagements
généraux relatifs à la solvabilité du débiteur conforté qui font difficulté.
654. Le critère de distinction entre les obligations de moyens et les
obligations de résultat : la volonté des parties. La question se pose de savoir si les
engagements généraux de l’émetteur de la lettre constituent des obligations de
moyens ou de résultat. Le critère de distinction entre ces deux types d’obligations
« manque de la précision permettant de le mettre en œuvre, et donne à la distinction
1475 Ne comportent aucun engagement juridique les lettres de présentation ou de
recommandation (CA Paris, 30 avril 1984 : Banque 1985, p. 754, obs. RIVES-LANGE ; RTD
civ. 1985, p. 730, obs. MESTRE ; CA Paris 4 mai 1993 : Bull. Joly 1993, p. 729, §212, obs.
DELEBECQUE ; Rev. sociétés 1993, p. 662, obs. GUYON ; CA Bordeaux, 16 octobre 1985 :
D. 1989, 438), les lettres déclaratives ou descriptives d’une situation, comme celles indiquant
que la société-mère est informée des engagements financiers de sa filiale ou celles par
lesquelles la société-mère précise la politique financière du groupe. 1476 La lettre ayant donné lieu à l’arrêt du 21 décembre 1987 comportait l’engagement de
l’émetteur de payer au créancier, en cas de défaillance du débiteur principal, ce qui lui restait
dû par celui-ci au titre des prêts consentis. La Cour de cassation a considéré que la lettre
d'intention constituait, en réalité, un cautionnement. Une lettre dont l’auteur se considérait
comme « personnellement responsable du débit de la société » sur les livres de la banque, a
également été requalifiée en cautionnement (TC Versailles, 11 janvier 1989 : RD bancaire et
bourse 1990, p. 136). Il en a été de même à l’égard d’un acte par lequel le souscripteur
promettait la bonne fin des opérations commerciales et l’exécution des engagements
financiers d’une société, au besoin en se substituant à celle-ci (Cass. com., 5 mars 1996 : Bull.
Joly 1996, p. 586, note BARBIERI).
La Cour d’appel de Paris (3 octobre 1991 : D. 1991, IR, p. 259 ; JCP 1992, I, 3583, n°10) a
précisé que, faute de clause de solidarité, étrangère à la nature de la lettre d'intention,
l’engagement requalifié en cautionnement ne peut être qu’un cautionnement simple, à moins
qu’il ne soit de nature commerciale.
Sur la requalification de lettres d’intention en cautionnements, cf. J. GHESTIN, La
qualification en droit français des garanties données par une société mère au profit de sa
filiale, Mélanges A. Rieg, Bruylant, 2000, p. 427 et s. 1477 Maintien d’une participation, fourniture d’une information ou d’une garantie, réalisation
d’un apport en capital ou en compte courant, apurement d’un compte courant, abandon de
créance, renforcement des fonds propres de la société confortée, conclusion d’un crédit
fournisseur nécessaire à l’activité de la filiale, apport d’un soutien technique ou commercial… 1478 L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 9 février 1989 (D. 1989, Somm., p. 35, obs.
VASSEUR ; Banque 1989, p. 869, obs. RIVES-LANGE) a néanmoins retenu que l’obligation
de ne pas céder sa participation dans la filiale sans en avertir préalablement le créancier
constituait une obligation de moyens. Cette solution n’a pas été remise en cause par la Cour
de cassation (Cass. com., 19 mars 1991 : Bull. Joly 1991, p. 523, obs. LE CANNU ; RD
bancaire et bourse 1991, p. 151, obs. CONTAMINE-RAYNAUD ; D. 1992, p. 53, note
NAJJAR).
des allures de sophisme »1479. En effet, cette dissociation des moyens et des buts ne
repose pas sur des critères objectifs, mais sur la volonté des parties.
La Cour de cassation a précisé que la nature de l’obligation du souscripteur ne
peut être déterminée en tenant compte de l’existence ou de l’absence d’une
autorisation du conseil d’administration1480. Le rejet de ce critère objectif mérite
l’approbation car, si le régime auquel un acte se trouve soumis dépend de la
qualification de cet acte, la nature de l’acte ne saurait, à l’inverse, découler de son
régime.
Sans l’avoir jamais expressément condamné, la Haute juridiction ne met pas
non plus en avant le critère objectif du rôle actif ou passif joué par le débiteur, qui
pourrait pourtant rendre la distinction entre les obligations de moyens et les
obligations de résultat plus prévisible1481.
La Cour de cassation préfère s’en tenir à l’examen des termes de la lettre. Ce
faisant, des expressions très proches dans le langage courant se voient attribuer une
portée différente. Ainsi, l’obligation de « faire tout le nécessaire » est le plus souvent
qualifiée d’obligation de résultat1482, alors que les obligations de « faire tous ses
efforts »1483, ou de « tout mettre en œuvre »1484, sont plutôt considérées comme des
obligations de moyens. L’atteinte à la sécurité juridique est encore plus grave
lorsque les mêmes termes reçoivent une qualification différente au fil des décisions.
A cet égard, l’obligation de « faire le nécessaire » donne lieu à une jurisprudence
fluctuante1485.
655. Les solutions jurisprudentielles accentuant l’insécurité. Les
précisions, que la Cour de cassation a jusque là apportées sur la distinction entre les
obligations de moyens et de résultat, loin de rendre plus sûre la qualification des
lettres d’intention, ont au contraire accru les incertitudes.
Dans son arrêt du 23 octobre 19901486, la Chambre commerciale de la Cour de
cassation a repris l’affirmation de la Cour d’appel selon laquelle la lettre contenait
1479 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°483 1480 Cass. com., 26 février 2002 : Bull. civ. IV, n°43 1481 Sur l’intérêt, en termes d’efficacité, de ce critère objectif, cf. infra n°994 1482 Cass. com., 23 octobre 1990 : Banque 1991, p. 207, obs. RIVES-LANGE ; Rev. jurisp.
com. 1991, p. 349, obs. DELEBECQUE ; RTD com. 1991, p. 402, obs. REYNHARD ;
Defrénois 1991, article 35131, p. 1191, note HONORAT ; D. 1992, Somm., p. 34, obs.
VASSEUR ; LPA 15 mai 1991, p. 23, note BAILLOD ; RTD civ. 1991, p. 322, obs.
MESTRE ; Dr. sociétés 1991, n°16, note MATTEAU-PETIT ; Cass. com., 29 mars 1994 : QJ
1994, n°45 ; Cass. com., 8 novembre 1994 : Bull. Joly 1995, p. 31, §4, note MEDUS ; RD
bancaire et bourse 1995, p. 151, obs. CONTAMINE-RAYNAUD ; Defrénois 1995, article
36017, p. 255, note LE CANNU ; Cass. com., 26 février 2002 : Bull. civ. IV, n°43 ; Cass.
com., 9 juillet 2002 : Bull. civ. IV, n°117 ; Cass. com., 17 décembre 2002 : RD bancaire et
financier 2003, n°73, obs. LEGEAIS 1483 Cass. com., 19 mars 1991 : Bull. civ. IV, n°110 ; Cass. com., 16 juillet 1991 : Bull. civ.
IV, n°265 1484 Cass. com., 15 janvier 1991 : Bull. civ. IV, n°28 1485 En faveur de la qualification d’obligation de résultat, cf. supra. En faveur de la
qualification d’obligation de moyens, cf. Cass. com., 17 octobre 1995 : Bull. Joly 1996, p. 40,
§9, note PRIETO ; Cass. com., 26 janvier 1999 : Bull. civ. IV, n°31 ; Cass. com., 18 avril
2000 : Bull. civ. IV, n°78 ; CA Paris, 19 novembre 2002 : RJDA 04/2004, n°480 1486 Cass. com., 23 octobre 1990 : préc.
une obligation de résultat dès lors qu’elle était de nature à rendre son auteur
responsable des conséquences de la défaillance du débiteur. Dans la mesure où cette
défaillance peut survenir après l’inexécution d’une obligation de résultat, aussi bien
que d’une obligation de moyens, et que dans les deux cas la responsabilité du
souscripteur peut être engagée, la définition de l’obligation de résultat ainsi retenue
pouvait couvrir toutes les obligations de faire mises à la charge de l’émetteur.
Surtout, il ne s’agissait pas d’une véritable définition, permettant à de futurs
contractants de rédiger la lettre sans risque de requalification, mais bien plutôt de
l’énoncé des conséquences attachées à l’inexécution d’une obligation de résultat.
Le critère de qualification des obligations de résultat, adopté par la
jurisprudence Sony et quelques arrêts postérieurs1487, n’a pas apporté plus de
sécurité. Dans la mesure où l’obligation de résultat s’est trouvée réduite à
« l’engagement de se substituer purement et simplement » au débiteur principal
défaillant, il n’y avait plus que « l’épaisseur d’un cheveu pour distinguer la lettre
d'intention valant engagement de payer du cautionnement»1488.
Depuis, la Chambre commerciale est certes revenue sur cette analyse
excessivement simplificatrice des lettres d’intention, en reconnaissant expressément
l’existence d’obligations de résultat qui ne sont pas des obligations de se substituer
au débiteur principal, c'est-à-dire qui ne sont pas des cautionnements1489, mais la
sécurité en matière de qualification des lettres d’intention n’est toujours pas de mise.
En faisant toujours dépendre cette qualification des termes de la lettre, que les
parties rendent volontairement ambigus, la Cour de cassation entrave la prévisibilité
de la qualification.
656. A défaut de critères objectifs de distinction entre les obligations de
résultat et les obligations de moyens, « tout dépend de la commune intention des
parties… et de ce que les juges font passer pour telle car il n’est pas impossible que
sous couvert d’interprétation, un certain équilibre soit imposé de façon
prétorienne »1490. Les qualifications téléologiques et l’insécurité qui en découle sont
favorisées par l’interprétation littérale des lettres d’intention. L’efficacité de ces
garanties personnelles innomées est donc menacée par l’absence de critères objectifs
permettant de qualifier les obligations de l’émetteur et, par conséquent, de mesurer
l’étendue de la protection du destinataire.
L’efficacité des lettres d’intention est également compromise par le caractère
imprévisible de leur qualification en « garantie », au sens des articles L. 225-35 et L.
225-68 du Code de commerce.
1487 Cass. com., 26 janvier 1999 : préc. Dans le même sens, cf. Cass. com., 18 avril 2000 :
préc. ; Cass. com., 16 mai 2000 : Bull. Joly 2000, p. 803 ; CA Paris 16 janvier 2001 : Bull.
Joly 2001, p. 374 1488 J.-P. MATTOUT, obs. sous Cass. com., 18 avril 2000, RD bancaire et financier 2000,
décembre 2002 : préc. 1490 J. DEVEZE, Aux frontières du cautionnement : lettre d'intention et garantie
indépendante, in Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des
entreprises 2-92, p. 28
B/ LA QUALIFICATION DE LA LETTRE D'INTENTION EN « GARANTIE»
657. L’enjeu de la qualification de la lettre d'intention en garantie :
l’exigence d’autorisation des articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de
commerce. Le recours aux lettres d’intention traduit une « aspiration à la
liberté »1491. Les parties entendent se soustraire aux contraintes qu’imposent le droit
du cautionnement, ainsi que le droit des sociétés. Plus précisément, entre dans leurs
prévisions intrinsèques l’éviction de l’autorisation préalable par le conseil
d’administration ou de surveillance des « garanties » consenties par une société
anonyme.
En cas de litige, si la lettre est qualifiée par le juge saisi de « garantie », au sens
des articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce, et qu’elle n’a pas fait
l’objet d’une autorisation, elle va demeurer lettre morte, puisque le non respect de
cette contrainte sociétaire est sanctionnée par l’inopposabilité de l’acte à la société
anonyme émettrice.
Si, au contraire, cette qualification est écartée, les intérêts du créancier
bénéficiaire sont certes protégés, mais l’efficacité de la lettre d'intention, en tant
qu’institution, ne s’en trouve pas moins fragilisée. En effet, refuser de soumettre les
lettres d’intention à l’exigence d’autorisation revient à nier la fonction de garantie
que leur attribuent indéniablement les parties et à ôter toute substance à la notion de
garantie.
658. L’imprévisibilité de la qualification de la lettre d'intention en
garantie. Alors que la qualification de la lettre d'intention en garantie joue ainsi un
rôle essentiel dans l’efficacité de ce mécanisme, la jurisprudence rend imprévisible
cette qualification. Partagée entre le souci d’éviter qu’un trop grand nombre de
lettres ne soient déclarées inopposables et celui de ne pas priver la notion de garantie
de toute cohérence, la jurisprudence n’adopte pas toujours les mêmes critères de
qualification. Celui qu’elle retient le plus souvent, reposant sur la nature des
obligations du souscripteur, laisse aux juges une telle marge de manœuvre qu’il est
difficile de savoir quelle solution sera définitivement adoptée en cas de litige.
659. La nature de l’obligation de l’émetteur comme critère d’application
des contraintes sociétaires. Dans un premier temps, la Cour de cassation a fondé
l’application des articles 98 et 128 de la loi du 24 juillet 1966 sur la distinction entre
les obligations de moyens et de résultat. Les lettres d’intention comportant une
obligation de résultat se sont vues qualifier de garanties, soumises à l’exigence
d’autorisation, alors que celles n’engendrant qu’une obligation de moyens ont été
soustraites à cette contrainte sociétaire1492.
La jurisprudence laisse les contractants dans l’incertitude en opérant une telle
dissociation, puisque la frontière entre les obligations de résultat et les obligations de
moyens est particulièrement mouvante et évanescente. En dépit d’un libellé
analogue ou quasi similaire, les obligations de l’émetteur reçoivent une qualification
1491 D. MAZEAUD, Variations sur une garantie épistolaire et indemnitaire : la lettre
d'intention, Mélanges M. Jeantin, 1999, p. 341 et s., n°12 1492 Au sujet d’une obligation de résultat, cf. Cass. com., 23 octobre 1990 : préc. Au sujet
d’une obligation de moyens, cf. Cass. com., 4 octobre 1990 : Bull. Joly 1994, §371, note
MEDUS
distincte. Les souscripteurs sont donc incités à contester la nature de leurs
obligations, et l’opposabilité de la lettre reste imprévisible jusqu’à ce que le litige
soit définitivement tranché. En subordonnant l’exigence d’autorisation à la nature
des obligations de l’émetteur, la Cour de cassation entrave ainsi la sécurité juridique
et l’efficacité des lettres de confort.
Par ailleurs, cette efficacité est menacée par le fait que le refus de voir dans les
obligations de moyens des garanties procède d’un raisonnement téléologique. Seule
la volonté de limiter le champ d’application des articles L. 225-35 et L. 225-68 du
Code de commerce permet d’expliquer un tel refus, car nombreux sont les
arguments qui militent, au contraire, en faveur de la qualification de garantie. En
effet, entre les obligations de moyens et de résultat, existe une différence de degré et
non de nature1493. Dans les deux cas, les parties ont l’intention de mettre en place un
mécanisme qui augmente la confiance du créancier à l’égard du débiteur, en rendant
plus sûre la solvabilité de celui-ci à l’échéance du contrat principal. Dans les deux
cas, l’exécution de l’obligation du souscripteur est susceptible de procurer au
créancier une satisfaction que la mise en œuvre de son seul droit de gage général
contre le débiteur n’aurait pas permise. En outre, une obligation de moyens peut être
plus étendue qu’une obligation de résultat, et peut même faire peser sur le confortant
des contraintes plus lourdes qu’un véritable cautionnement. Dénier aux obligations
de moyens la qualification de garantie revient donc à méconnaître les incidences
économiques réelles d’une lettre d'intention1494, les attentes des parties, ainsi que les
effets qu’engendre l’exécution de ces obligations.
660. L’application des contraintes sociétaires sans égard à la nature de
l’engagement de l’auteur de la lettre. Certainement sensible à ces arguments, la
Cour de cassation, dans un deuxième temps, a appliqué les dispositions sociétaires
litigieuses, sans se référer à la distinction entre les obligations de moyens et de
résultat, et en relevant seulement « l’intention ferme et définitive du signataire »
d’exécuter son engagement1495.
Dans les premiers arrêts imposant cette solution uniforme, les lettres
contenaient certainement des obligations de résultat1496. En revanche, dans l’arrêt du
9 décembre 19971497, la promesse de résultat était plus qu’improbable, puisque la
société-mère s’était engagée à « étudier toutes mesures pour permettre à la filiale de
mener à bonne fin ses crédits ». On pouvait ainsi s’attendre à ce que, désormais,
toutes les lettres d’intention soient soumises à l’exigence d’autorisation, même
celles ne comportant qu’une obligation de moyens. Cette solution aurait certes réduit
l’attrait des lettres de confort, mais elle aurait eu le mérite de la prévisibilité.
1493 En ce sens, cf. A. BAC, La lettre d'intention ou le dilemme liberté/ sécurité, Droit et
patrimoine 1999, n°67, p. 51 ; J. FRANÇOIS, n°477 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,
n°247 1494 En ce sens, cf. J.-L. MEDUS, L’émission irrégulière d’une lettre de confort par une
société anonyme et sa sanction, Bull. Joly 1994, p. 609 1495 Cass. com., 8 novembre 1994 : Bull. civ. IV, n°330 1496 Cass. com., 17 novembre 1992 : Bull. civ. IV, n°364 ; Cass. com., 8 novembre 1994 :
préc. ; Cass. com., 3 janvier 1996 : Bull. Joly 1996, p. 294 ; JCP 1997, I, 3991, n°8 1497 Cass. com., 9 décembre 1997 : Bull. civ. IV, n°332
661. L’application des contraintes sociétaires de nouveau subordonnée à
la distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat. Par
un nouveau revirement, la Cour de cassation, dans un troisième et dernier temps,
s’est à nouveau attachée à la distinction entre les obligations de moyens et de
résultat. Elle décide aujourd'hui que seuls les engagements de payer au lieu et place
du débiteur principal constituent des garanties au sens de la loi de 1966. Au
contraire, l’engagement de « faire le nécessaire pour que la filiale soit en mesure de
satisfaire ses engagements à l’égard des prêteurs » n’est qu’une obligation de
moyens, « ce dont il résulte qu’il ne constitue pas une garantie au sens de l’article
98 de la loi du 24 juillet 1966 et ne nécessite pas une autorisation préalable du
conseil d’administration »1498.
La jurisprudence Sony redonne certes espoir aux partisans de la liberté
contractuelle et revivifie les lettres de confort qui, dépourvues d’autorisation,
auraient été privées d’efficacité. Mais, corrélativement, elle menace cette efficacité
par l’insécurité qu’elle crée. Elle laisse en effet dubitatif sur la nature des obligations
de moyens, dès lors que la qualification de garantie leur est refusée. Par ailleurs, elle
réintroduit le flou de la distinction entre les obligations de moyens et de résultat. Si
la Cour de cassation entendait soustraire purement et simplement les lettres
d’intention constitutives d’obligations de faire ou de ne pas faire à l’exigence
d’autorisation, ce que laisse penser la définition extrêmement réductrice de
l’obligation de résultat, elle aurait pu se dispenser de se référer à cette distinction si
incertaine1499. Mais, c’eût été affirmer trop expressément peut-être que les
contraintes sociétaires doivent être écartées, en matière de lettre d’intention, pour
des raisons de pure opportunité. La Cour de cassation adopte un raisonnement
téléologique, mas le dissimule en se référant à la nature des obligations du
souscripteur.
662. Les évolutions jurisprudentielles envisageables. La question se pose
maintenant de savoir quelle va être la quatrième étape de cette évolution
jurisprudentielle rendant si incertaine l’efficacité des lettres d’intention. Plusieurs
voies sont possibles.
La Haute juridiction pourrait continuer à faire dépendre l’application des
articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce de la qualification des
obligations du signataire, mais en revenant sur la définition restrictive de
l’obligation de résultat, comme elle l’a déjà fait dans des arrêts ne s’intéressant qu’à
la preuve de l’inexécution des obligations de l’émetteur1500.
Elle pourrait aussi maintenir la solution de l’arrêt Sony, ce qui aboutirait à une
définition différente de l’obligation de résultat, selon que le litige a pour objet la
preuve de l’inexécution des obligations de l’auteur de la lettre ou l’application à
celle-ci de l’exigence d’autorisation. A l’insécurité s’ajouterait alors l’incohérence,
ce que l’on ne peut que redouter.
Enfin, la Cour de cassation pourrait à nouveau abandonner toute référence à la
nature des obligations du souscripteur.
1498 Cass. com., 26 janvier 1999 : préc. Dans le même sens, cf. Cass. com., 18 avril 2000 :
préc. et Cass. com., 16 mai 2000 : préc. 1499 En ce sens, cf. L. AYNES, note sous Cass. com., 26 janvier 1999, D. 1999, p. 577 1500 Cass. com., 26 février 2000 : préc. ; Cass. com., 9 juillet 2002 : préc.
663. Conclusion de la Section 1. L’insécurité entourant, tant la qualification
des lettres d’intention en garantie au sens des articles L. 225-35 et L. 225-68 du
Code de commerce, que la qualification des obligations souscrites par l’auteur de la
lettre, fragilise l’efficacité de ce contrat innomé, tout comme l’insécurité
caractérisant la distinction entre le cautionnement et la garantie autonome
compromet l’efficacité de cette autre garantie non spécialement réglementée.
La protection des intérêts des bénéficiaires de garanties personnelles innomées
n’est pas seulement menacée par le contentieux de la qualification. Elle l’est
également par la remise en cause de l’autonomie du régime de ces contrats par
rapport à celui du cautionnement.
SECTION 2 : LE NIVELLEMENT DE RÉGIME
DES DIFFÉRENTES GARANTIES PERSONNELLES
664. L’hostilité des juges envers les substituts du cautionnement. Le choix
des créanciers dispensateurs de crédit en faveur de garanties personnelles innomées
s’explique, positivement, par les avantages que présente chacune d’elles1501 et,
négativement, par le souci d’éviter les faiblesses du cautionnement1502. Dès lors que
les garanties personnelles innomées sont utilisées, pour une large part, comme
substituts du cautionnement, la question se pose de savoir si la jurisprudence
respecte l’autonomie normative recherchée par les parties et, plus particulièrement,
par les créanciers, ou bien si elle rapproche le régime de ces garanties personnelles
non spécialement réglementées de celui du cautionnement.
Les arrêts rendus ces vingt dernières années en matière de garantie autonome,
de lettre d'intention ou encore de mécanismes du droit civil remplissant une fonction
de garantie personnelle révèlent l’hostilité des juges à l’égard des substituts du
cautionnement. La jurisprudence refuse de laisser un fossé se creuser entre ces
contrats de garantie et le cautionnement. En raison de l’autonomie de la volonté, les
juges n’interdisent certes pas la souscription de garanties personnelles innomées1503,
mais ils en réduisent la spécificité, afin que la protection déjà mise en œuvre au
bénéfice de la caution ne reste pas lettre morte.
665. Les moyens mis en œuvre par les juges pour priver les garanties
personnelles innomées de leur autonomie normative. Le nivellement de régime
des différentes garanties personnelles peut résulter, soit de l’extension de règles du
cautionnement aux garanties personnelles innomées, soit de l’application du droit
commun des contrats. La position de la jurisprudence relativement à la première
forme de nivellement étant particulièrement incertaine, il serait prématuré d’affirmer
que les attentes des créanciers se trouvent déjouées par ce biais. Aujourd'hui,
l’extension des règles du cautionnement aux garanties personnelles innomées est
surtout à l’origine d’interrogations, qu’il est intéressant de présenter pour montrer à
quel point le régime de ces mécanismes est loin de se caractériser par la certitude
nécessaire à leur efficacité (§1). Concernant l’application du droit commun des
1501 Sur les attraits propres des principales garanties personnelles innomées, cf. supra n°394-
402 1502 Sur les raisons de l’inefficacité du cautionnement, cf. supra n°506-626 1503 Sur la validation des garanties personnelles indépendantes, cf. supra n°372-381
contrats, la position de la jurisprudence est plus affirmée. En effet, les juges se sont
déjà largement emparés de règles du droit commun pour remettre en cause
l’autonomie normative recherchée par les créanciers et donc pour rendre moins
attrayantes aux yeux de ceux-ci les garanties personnelles non spécialement
réglementées (§2).
§1 : L’EXTENSION DE REGLES DU CAUTIONNEMENT
AUX GARANTIES PERSONNELLES INNOMEES
666. Le nivellement de régime des différentes garanties personnelles est
particulièrement évident en cas d’extension aux mécanismes innomés de règles
appartenant au droit du cautionnement. Cette extension fait difficulté dans la mesure
où les arguments en sa faveur se heurtent aux arguments confortant l’autonomie
normative des garanties personnelles non spécialement réglementées. Une fois
rappelés les termes du débat (A), seront présentées les règles du cautionnement sur
lesquelles se concentrent le contentieux et les discussions doctrinales (B).
A/ LES TERMES DU DEBAT
667. Si les arguments au soutien de l’application aux garanties personnelles
innomées de règles du cautionnement ne manquent pas (1), les arguments en faveur
de l’autonomie du régime de ces mécanismes non spécialement réglementés sont
également nombreux et convaincants (2).
1. Les arguments en faveur de l’extension aux garanties personnelles innomées
de règles du cautionnement
668. Les arguments de cohérence et d’opportunité. Au soutien de
l’extension de règles du cautionnement aux garanties personnelles innomées, deux
arguments ont trait à la place qu’occupe le cautionnement au sein de ces
mécanismes de garantie1504. L’argument a coherentia, tout d’abord, consiste à
relever que le cautionnement est le modèle des garanties personnelles. L’argument
d’opportunité, ensuite, met en avant le danger des substituts du cautionnement pour
la survie de cette institution.
Sauf à considérer que l’ancienneté d’un mécanisme et sa fréquence d’utilisation
sont suffisantes pour légitimer son effet tentaculaire, rien ne permet de justifier un
quelconque rapport hiérarchique entre le cautionnement et les autres garanties
personnelles. C’est pourquoi, ces deux premiers arguments ne paraissent pas
déterminants.
669. L’argument de logique législative. Un argument de logique législative
l’est davantage, à tout le moins à l’égard des règles du cautionnement les plus
anciennes. Selon cet argument, si les textes protecteurs ne visent que les seules
cautions, c’est parce qu’à l’époque de leur rédaction, le cautionnement était la seule
garantie personnelle utilisée, et non en raison d’une volonté délibérée d’exclure tout
1504 Sur les arguments en faveur de l’extension aux substituts du cautionnement de protections
accordées à la caution, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°34-2
autre garant. Par conséquent, ces textes ont une « vocation naturelle à être appliqués
aux nouvelles sûretés personnelles lorsque celles-ci apparaissent »1505.
L’extension des dispositions du cautionnement aux garanties personnelles
innomées ne peut être fondée sur cet argument que si la disposition en question est
antérieure aux années 1980, date à laquelle les substituts du cautionnement ont
commencé à être mis en place. Dans la mesure où la plupart des règles litigieuses
ont été justement adoptées à partir du milieu de la décennie 1980, l’argument de
logique législative ne semble pas convaincant.
670. L’argument a pari. Il n’en va pas de même de l’argument a pari. Bien
que les garanties personnelles innomées soient très différentes du cautionnement, en
raison de leurs attraits propres et d’une moindre intensité du lien d’accessoire à
principal, elles présentent néanmoins des points communs avec cette garantie
personnelle réglementée1506. Si la raison d’être d’une règle du cautionnement réside
dans une caractéristique que présentent, non seulement le cautionnement, mais aussi
les garanties personnelles innomées, le raisonnement par analogie commande
d’étendre à celles-ci ladite règle1507. Il convient donc d’identifier la ratio legis, puis
de vérifier si cette dernière se rattache ou non à une caractéristique commune à
toutes les garanties personnelles. Selon la même logique, les règles reposant sur le
caractère accessoire renforcé du cautionnement pourraient être appliquées à tous les
mécanismes se caractérisant par une unicité d’objet entre l’obligation de règlement
du garant et celle du débiteur principal.
671. L’argument a fortiori. Un dernier argument peut être avancé au soutien
de l’application aux garanties personnelles innomées de règles du cautionnement. Il
s’agit de l’argument a fortiori. Dès lors qu’une disposition a pour finalité la
protection de la caution, la ratio legis impose de soumettre à cette disposition tous
les engagements pouvant se révéler plus sévères pour le garant, en raison de leur
nouveauté (la sévérité s’explique par le risque de non compréhension de
l’engagement), ou de leur indépendance (la sévérité découle de l’inopposabilité des
exceptions).
672. Si les arguments a coherentia, d’opportunité, et de logique législative
sont peu pertinents, les arguments a pari et a fortiori sont, au contraire, tout à fait à
même de justifier l’extension aux garanties personnelles innomées de règles du
cautionnement. L’autonomie normative de ces mécanismes ne doit pourtant pas être
trop vite écartée, car nombreux et solides sont les arguments militant en sa faveur.
1505 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°34-2 1506 Sur les caractéristiques communes à l’ensemble des garanties personnelles, cf. supra
n°244-247 ; 261-279 1507 Sur l’extension analogique, cf. G. CORNU, Le règne discret de l’analogie, Mélanges A.
Colomer, Litec, 1993, p. 129 et s.
2. Les arguments en faveur de l’autonomie normative
des garanties personnelles innomées
Trois types d’arguments peuvent être avancés au soutien de la soumission des
garanties personnelles non spécialement réglementées à des régimes distincts de
celui du cautionnement.
673. Les arguments « techniques ». En premier lieu, il s’agit d’arguments
que l’on peut qualifier de « techniques ».
Tel est le cas de l’argument de logique législative selon lequel les
« protections, exorbitantes du droit commun, ne peuvent découler que d’un texte
précis »1508. Dès lors que le législateur n’accorde ces protections qu’aux seules
cautions, il n’est pas question d’en faire bénéficier d’autres garants.
Un autre argument technique réside dans l’exclusion de l’extension
analogique à l’égard des règles constitutives d’exceptions1509.
L’argument a pari devrait également être tenu en échec lorsque la mise en
œuvre d’une règle du cautionnement s’avère inadaptée, compte tenu des
caractéristiques propres de la garantie personnelle innomée envisagée.
674. Les arguments relatifs à la protection des garants. En deuxième lieu,
ce sont des arguments se rapportant à la protection des garants qui étayent la thèse
de l’autonomie normative des contrats de garantie non spécialement réglementés.
Tout d’abord, les raisonnements analogique et a fortiori doivent être mis en
œuvre avec circonspection, car toutes les cautions, aujourd'hui, ne jouissent pas des
mêmes protections. Dans la mesure où la jurisprudence prive les cautions intégrées
dans les affaires du débiteur principal de certains moyens de défense1510, il serait
incohérent que les dirigeants souscrivant des garanties personnelles innomées
fassent l’objet d’une plus grande sollicitude, en se voyant octroyer ces moyens de
défense.
Ensuite, certains garants peuvent souhaiter, en toute connaissance de cause,
ne point bénéficier des protections accordées aux cautions. Il s’agit des garants
professionnels, qui se font d’autant plus rémunérer qu’ils s’engagent de manière
contraignante. Leurs engagements ne doivent pas être dénaturés par l’extension de
solutions tirées du cautionnement.
Par ailleurs, au bénéfice des garants méritant d’être protégés et des garants
ne renonçant pas aisément à la conclusion d’un cautionnement, il existe d’autres
modes de protection que l’extension des règles du cautionnement. Si la
requalification de la garantie personnelle innomée en cautionnement constitue un
moyen particulièrement attentatoire à l’efficacité recherchée1511, l’application du
droit commun des contrats ou du droit de la consommation peut se révéler moins
nuisible aux intérêts des créanciers, dès lors qu’elle jouit d’une certaine prévisibilité.
Enfin, c’est parce que l’histoire démontre que la multiplication des
protections offertes aux garants suscite l’apparition de substituts de plus en plus
1508 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°34-2 1509 Sur cette exclusion, cf. G. CORNU, art. préc., p. 132 1510 Cf. supra n°447, 458, 465, 466, 477 1511 Sur l’inefficacité résultant des requalifications dictées par l’objectif de protection du
garant, cf. supra n°644-646
sévères, qu’il convient d’éviter d’étendre trop facilement les règles du
cautionnement aux garanties personnelles innomées.
675. Les arguments relatifs à la protection des créanciers. En troisième et
dernier lieu, ce sont des arguments ayant directement trait à la protection des intérêts
des créanciers qui militent en faveur de l’autonomie normative des contrats de
garantie non spécialement réglementés.
Permettre que ces contrats soient soumis à un régime distinct de celui du
cautionnement, c’est tout d’abord respecter les attentes subjectives des créanciers
nées lors de l’octroi de crédit au débiteur principal.
C’est ensuite respecter leurs prévisions extrinsèques. En effet, « la lettre des
textes, limitant souvent la protection au cautionnement, crée une apparence que l’on
ne peut demander au créancier d’ignorer, contre son intérêt »1512.
Ne pas étendre les règles du cautionnement, c’est encore reconnaître la
primauté de la liberté contractuelle et de la sécurité des relations juridiques et veiller,
par conséquent, à la réalisation des prévisions intrinsèques.
Enfin, maintenir des régimes autonomes, c’est respecter les impératifs du
crédit.
B/ LES REGLES DU CAUTIONNEMENT LITIGIEUSES
676. Les dispositions du cautionnement, à l’égard desquelles la question de
l’extension aux garanties personnelles innomées se pose, sont celles qui limitent,
voire suppriment, les droits des créanciers contre la caution. Il s’agit essentiellement
de l’article 1415 du Code civil, de l’article L. 313-22 du Code monétaire et
financier1513, de l’article 2037 du Code civil et de l’article L. 621-46 du Code de
commerce. Comme l’application de ces textes détermine l’étendue des droits des
créanciers, il est fondamental que ceux-ci connaissent les mécanismes qui en sont
l’objet. Alors même que l’efficacité des garanties personnelles innomées exige ainsi
des solutions jurisprudentielles claires et constantes sur la soumission ou non de ces
mécanismes aux dispositions susvisées, les arrêts de la Cour de cassation sont
encore rares (1). La doctrine étant, en outre, très partagée (2), le régime des garanties
personnelles innomées est véritablement entouré d’un halo d’incertitudes, qui
entrave leur efficacité.
1. Une jurisprudence clairsemée
677. L’exception de défaut de déclaration de la créance. La Haute
juridiction refuse aux codébiteurs solidaires le droit de se prévaloir de l’article 53 de
la loi du 25 janvier 19851514. Cette solution, qui semble devoir également concerner
1512 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°34-2 1513 En raison de l’extension de l’obligation d’information annuelle au bénéfice de toute
caution personne physique contractant avec un créancier professionnel, les discussions
doctrinales et le contentieux devraient également porter sur le nouvel article L. 341-6 du Code
de la consommation. 1514 Cass. com., 19 janvier 1993 : Bull. civ. IV, n°25 ; Cass. 1ère civ., 17 novembre 1993 :
Bull. civ. I, n°335 ; Cass. com., 11 décembre 2001 : JCP 2002, éd. E, 155 ; JCP 2002, éd. E,
763, n°9, obs. PETEL ; Act. proc. coll. 2002, n°23, obs. REGNAUT-MOUTIER ; D. 2002,
402, obs. LIENHARD
les codébiteurs solidaires non intéressés à la dette1515, repose sur la qualification du
défaut de déclaration en exception personnelle, inopposable par le coobligé solidaire
(article 1208 alinéa 2 du Code civil). Si cette solution a le mérite de préserver les
droits du bénéficiaire d’un engagement solidaire, sa motivation est peu fiable,
puisque, en matière de cautionnement, le défaut de déclaration est au contraire
qualifié d’exception inhérente à la dette.
L’éviction de l’article L. 621-46 du Code de commerce est justifiée d’une
manière beaucoup plus convaincante en matière de garantie autonome par l’absence
de caractère accessoire renforcé de ce contrat1516. C’est donc la différence de nature
entre le cautionnement et la garantie à première demande qui empêche de faire jouer
l’extension analogique.
678. Le bénéfice de subrogation. S’agissant de l’article 2037 du Code civil,
la Cour de cassation refuse depuis longtemps d’en faire profiter les codébiteurs
solidaires1517, et elle a récemment adopté la même position à l’égard des codébiteurs
solidaires adjoints1518.
Les juridictions du fond écartent aussi le bénéfice de subrogation en matière de
garantie autonome1519. L’argument de logique législative (un texte exprès est
nécessaire pour que joue une protection exorbitante du droit commun) l’emporte
donc sur l’argument d’analogie (l’article 2037 a pour raison d’être de préserver le
recours subrogatoire, dont disposent la plupart des garants).
Au sujet de l’application aux garanties indépendantes des articles 48 de la loi
du 1er mars 1984 et 1415 du Code civil, seules des juridictions du fond se sont
jusqu’à présent prononcées.
679. L’obligation d’information annuelle. Plusieurs Cours d’appel ont
refusé le bénéfice de l’information annuelle aux garants autonomes1520. L’extension
analogique est tenue en échec, non seulement parce que l’article L. 313-22 du Code
monétaire et financier ne vise que le cautionnement1521, mais surtout parce que la
1515 CA Paris, 5 juin 1992 : JCP 1993, éd. E, pan. 176
En ce sens, cf. P. ANCEL, note sous Cass. 1ère civ., 17 novembre 1999, D. 2000, p. 407 ; D.
R. MARTIN, L’engagement du codébiteur solidaire adjoint, RTD civ. 1994, p. 52 ; J.
FRANÇOIS, n°458 ; Ph. SIMLER, n°724 1516 Cass. com., 30 janvier 2001 : Bull. civ. IV, n°25 1517 Cass. req., 12 mai 1835 : DP 1835, 1, p. 259 ; Cass. req., 5 décembre 1843 : DP 1844, 1,
p. 58 ; Cass. req., 18 février 1861 : DP 1861, 1, p. 388 ; S. 1861, 1, p. 986 ; Cass. req., 7 juin
1882 : DP 1882, 1, p. 441, note AUBRY ; S. 1882, 1, p. 321 ; Cass. req., 24 juin 1914 : DP
1916, 1, p. 39 ; Cass. com., 8 mai 1968 : Bull. civ. IV, n°48 1518 Cass. com. 17 décembre 2003 : D. 2004, Somm., p. 2035, obs. BREMOND. Dans le
même sans, cf. CA Paris, 8 mars 1851 : DP 1851, 2, p. 106 ; CA Paris, 27 septembre 1979 :
D. 1980, IR, p. 339 ; CA Paris, 1er mars 1990 : JCP 1990, II, 21559, note PETIT ; RTD civ.
1990, p. 677, obs. REMY ; CA Versailles, 20 février 1991 : JCP 1992, I, 3583, n°9 1519 CA Paris, 1er juin 1986 : D. 1988, Somm., p. 243 ; CA Metz, 3 octobre 1991 : Juris-Data
n°051134 ; CA Rennes, 6 novembre 1991 : Juris-Data n°048834 ; CA Paris, 28 avril 1994 :
Juris-Data n°021848 ; CA Toulouse, 26 avril 1995 : Juris-Data n°047462 ; CA Nancy, 22
septembre 1997 : JCP 1998, IV, 2360 ; RTD com. 1998, p. 644, obs. CABRILLAC 1520 CA Rennes, 6 juillet 1993 : Juris-Data n°048104 ; CA Nancy, 22 septembre 1997 : préc. 1521 Dans la mesure où les garanties autonomes étaient parfaitement connues lorsque le
législateur, en 1998 et en 2003, a instauré de nouvelles obligations d’information, et qu’elles
mise en œuvre de cette règle s’avère inadaptée au regard des caractéristiques de la
garantie autonome1522. En effet, cette garantie devant comporter un montant
déterminé ab initio, et étant normalement inscrite dans une durée déterminée, la
notification des encours de la dette garantie en principal et intérêts est sans grande
utilité1523. De plus, la sanction est sans objet, car la déchéance du droit aux intérêts
ne peut pas être appliquée au montant de la garantie autonome qui, par définition, ne
les inclut pas.
680. La limitation du droit de gage général imposée par l’article 1415 du
Code civil. Concernant l’application de l’article 1415 du Code civil à la garantie
indépendante, les juridictions du fond sont plus divisées.
En faveur de l’exclusion de l’article 14151524, un argument technique est
principalement avancé : cette disposition constituant une exception au principe
énoncé par l’article 1413 du Code civil, elle ne doit pas donner lieu à une extension
analogique1525. A cet argument technique s’ajoutent les arguments tenant à
l’efficacité de la garantie autonome, mais aussi l’argument reposant sur l’effet
pervers des protections injustifiées. En effet, « toute réduction des pouvoirs des
époux entraîne le risque d’une surenchère dans la prise des sûretés de la part des
créanciers »1526.
Même si les raisons de conserver aux garanties autonomes un régime distinct
de celui du cautionnement sont donc sérieuses, c’est en faveur de l’extension de
l’article 1415 aux garanties indépendantes que les juridictions du fond se sont
majoritairement prononcées1527. Ce texte ayant pour but de protéger le patrimoine
commun contre les engagements jugés trop dangereux souscrits par un seul des
époux, il doit s’appliquer aux garanties personnelles présentant les mêmes risques,
voire des risques supérieurs à ceux résultant d’un cautionnement. C’est donc
l’argument a fortiori qui justifie que le créancier bénéficiaire d’une garantie
indépendante se voit imposer une restriction de gage.
n’ont pourtant pas été visées, l’argument de logique législative, selon lequel les textes doivent
être étendus aux garanties personnelles nouvelles dès qu’elles apparaissent, ne devrait pas être
opérant, au contraire de l’autre argument de logique législative, en vertu duquel l’extension
analogique est paralysée en présence de protections exorbitantes du droit commun. 1522 En ce sens, cf. M. CABRILLAC, obs. sous CA Nancy, 22 septembre 1997, RTD com.
1998, p. 655 ; J. FRANÇOIS, n°442 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°222 ; Ph.
SIMLER, n°960 1523 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°499 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,
n°222 1524 CA Douai, 30 juin 1994 : JCP 1996, I, 3908, n°14, obs. SIMLER 1525 J. CASEY, th. préc., n°108 : « consacrer l’interprétation a pari, c’est ruiner l’essentiel de
l’article 1413 et rompre avec la corrélation de l’actif et du passif. Le crédit des ménages en
serait sûrement fortement touché, mais pire encore ce serait une forme d’incapacité que l’on
instaurerait sous couvert de protection ». 1526 J. CASEY, ibid., n°108 1527 CA Douai, 27 février 1992 : JCP 1993, I, 3656, n°9, obs. SIMLER ; RTD civ. 1993,
p. 869, obs. LUCET et VAREILLE ; CA Versailles, 17 février 1994 : JCP 1995, I, 3821,
n°17 ; CA Versailles, 19 mai 1994 : Bull. Joly 1994, p. 964, note LE CANNU ; JCP 1996, éd.
N, II, p. 799, n°14, obs. SIMLER ; CA Paris, 3 novembre 1994 : D. 1995, p. 532, note
LECENE-MARENAUD ; JCP 1995, I, 3851, n°11 ; RJDA 1995, n°337 ; D. 1995, Somm.,
326, obs. GRIMALDI
681. D’une règle protectrice de la caution à une autre, d’une garantie
personnelle innomée à une autre, la jurisprudence n’est donc pas sensible aux
mêmes arguments. Il est par conséquent impossible de savoir à l’avance quelles
solutions la jurisprudence adoptera parmi celles que propose la doctrine.
2. Une doctrine partagée
L’extension aux garanties autonomes de règles limitant, voire supprimant, les droits
du créancier contre la caution a déjà donné lieu à contentieux. Par contre,
l’extension de ces règles à d’autres garanties personnelles innomées n’a été débattue,
pour le moment, qu’en doctrine.
682. L’exception de défaut de déclaration de la créance. L’application de
l’article L. 621-46 du Code de commerce en matière de lettre d'intention est
envisagée par certains auteurs au motif que « le redressement judiciaire n’est plus le
constat d’une défaillance mais, selon l’utopie du législateur de 1985, une méthode
de gestion permettant de redresser une situation compromise »1528. Dès lors que le
défaut de déclaration est envisagé comme un « mécanisme d’allégement du
passif »1529, l’argument a pari conduit à appliquer la déchéance qui en résulte à tous
les créanciers bénéficiaires d’une garantie personnelle.
Au soutien de l’absence d’incidence du défaut de déclaration en matière de
lettre de confort, ce sont les caractéristiques propres de ce mécanisme qui sont au
contraire mises en avant. « La créance du bénéficiaire contre le signataire est
devenue certaine et exigible dès le redressement judiciaire, qui constate que le
signataire n’a pas fait tout le nécessaire pour que sa filiale paye. En conséquence, le
bénéficiaire a une créance indépendante contre le signataire. Une déclaration dans
la procédure de la filiale est inutile »1530.
683. La limitation du droit de gage général imposée par l’article 1415 du
Code civil. Au sujet de l’application de l’article 1415 du Code civil en matière de
constitut, de lettre d'intention, ou encore d’engagement de codébiteur solidaire
adjoint, les mêmes arguments que ceux avancés à propos des garanties autonomes
s’affrontent.
Pour refuser la restriction de gage organisée par l’article 1415, les auteurs
insistent sur le fait que ce texte étant dérogatoire au principe formulé par l’article
1413, une interprétation littérale et restrictive s’impose. Seul un « toilettage
législatif » pourrait autoriser l’élargissement de la protection aux garanties
personnelles innomées citées1531.
1528 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°482 1529 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°482 1530 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°482. Dans le même sens, cf. J. MESTRE, Les lettres
d’intention, une zone d’aménagement contractuel, Droit et patrimoine 1999, n°67, p. 63 ; P.
ANCEL, n°159 ; J. FRANÇOIS, n°481 ; D. LEGEAIS, n°339 ; H., L. et J. MAZEAUD et F.
CHABAS, par Y. PICOD, n°53-19 ; Ph. SIMLER, n°1017 1531 A propos du constitut, cf. J. CASEY, th. préc., n°386 ; F. JACOB, th. préc., n°147.
A propos de la lettre d'intention, cf. H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD,
n°53-19 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°246.
Au contraire, en faveur de l’extension de l’article 1415 à toutes les garanties
personnelles, c’est la ratio legis qui est mise en avant. La protection des intérêts de
la famille doit avoir lieu en présence d’engagements aussi dangereux, voire plus
dangereux, que le cautionnement1532.
684. L’obligation d’information annuelle. S’agissant de l’obligation
d’information annuelle de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier,
différents arguments sont avancés contre son extension aux garanties personnelles
non spécialement réglementées. En premier lieu, la lettre du texte1533. En deuxième
lieu, c’est le caractère inadapté de la mise en œuvre de cette règle en présence
d’engagements pouvant être exécutés sans référence à la dette principale qui
s’oppose à l’extension analogique. Ainsi, le fait que l’auteur d’une lettre d'intention
souscrive une obligation de faire, et non une obligation de payer les dettes du
débiteur, ôte toute justification à la notification des encours de ces dettes1534.
L’information est également dénuée d’intérêt lorsque le garant s’engage ab initio
pour un montant déterminé, comme c’est le cas dans le cadre d’une délégation
imparfaite certaine. En troisième lieu, c’est l’esprit même de l’article 48 de la loi du
1er mars 1984 qui s’oppose à son extension lorsque le garant a les moyens de
connaître le montant de la dette principale. Le codébiteur solidaire adjoint étant aux
yeux du créancier un véritable coobligé ne pouvant ignorer l’évolution de sa propre
dette, il ne devrait pas, pour cette raison, être informé annuellement1535.
L’extension de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier aux garanties
personnelles innomées est au contraire préconisée sur le fondement de l’analogie. Ce
texte a pour raison d’être la protection de la caution pouvant être amenée à payer les
mêmes sommes que le débiteur principal. Dès lors que le montant de l’engagement
du garant est identique à celui du débiteur principal, le raisonnement a pari impose
A propos de l’engagement de codébiteur solidaire adjoint, cf. Y. PICOD, note sous Cass. 1ère
civ., 17 novembre 1999, JCP 2000, II, 10403 1532 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°514 ; F. JACOB, ibid., n°147 ; M. OURY-
BRULE, th. préc., n°555 ; P. ANCEL, Qualification et régime de l’engagement de codébiteur
solidaire non intéressé à la dette prévu par l’article 1216 du Code civil, note sous Cass. 1ère
civ., 17 novembre 1999, D. 2000, p. 411 ; J. PIEDELIEVRE, De quelques difficultés posées
par la souscription d’une garantie à première demande par un époux commun en biens, JCP
1996, éd. N, I, p. 1320 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°142 et 484 ; J. FRANÇOIS,
n°478 ; Ph. SIMLER, n°1026 1533 F. JACOB, ibid. ; M. OURY-BRULE, ibid., n°468 ; P. ANCEL, note préc. ; A. CERLES,
La lettre d'intention dans les pratiques bancaires, Droit et patrimoine 1999, n°67, p. 60 ; J.
DEVEZE, Aux frontières du cautionnement : lettre d'intention et garantie indépendante, in
Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 2-92,
p. 30 ; D. R. MARTIN, L’engagement du codébiteur solidaire adjoint, RTD civ. 1994, p. 52 ;
J. MESTRE, Les lettres d’intention, une zone d’aménagement contractuel, Droit et patrimoine
1999, n°67, p. 63 ; Y. PICOD, note préc. ; P. VILLEROIL, La lettre d'intention à l’épreuve
de la jurisprudence de la Cour de cassation, Banque et droit 1995, n°43, p. 11 ; M.
CABRILLAC et Ch. MOULY, n°487, 490 (sur la promesse de porte fort), n°492 (sur
l’engagement de l’article 1216 et la délégation) ; Ph. SIMLER, n°1020 (sur la lettre
d'intention). 1534 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°499 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY,
n°487 ; Ph. SIMLER, n°1020 1535 En ce sens, cf. M. OURY-BRULE, th. préc., n°470 ; P. ANCEL, note préc. ; M.
CABRILLAC et Ch. MOULY, n°492
l’extension de l’obligation d’information annuelle. Tel peut être le cas en matière de
promesse de porte fort, de constitut, ou encore de délégation imparfaite incertaine,
autant de garanties personnelles innomées dans lesquelles le montant du paiement
du garant est calqué sur celui de la dette principale.
685. Le bénéfice de subrogation. Concernant, enfin, le bénéfice de
subrogation, on retrouve ici encore l’opposition entre la lettre de l’article 2037 du
Code civil, qui en fait une cause d’extinction propre au cautionnement1536, et son
esprit, qui incite à en faire profiter toute personne pouvant être amenée à payer une
dette sans être entièrement intéressée à celle-ci1537.
686. La question de l’extension aux garanties personnelles innomées des
principales règles du cautionnement protégeant la caution demeure largement sans
réponse. Si quelques décisions ont été rendues à ce sujet en matière de garantie
autonome, l’incertitude reste entière à l’égard des autres mécanismes de garantie non
spécialement réglementés, car la jurisprudence est encore silencieuse et la doctrine
partagée. Dans ces conditions, il est particulièrement difficile de savoir si
l’autonomie normative recherchée par les créanciers se faisant consentir une garantie
personnelle innomée sera respectée. L’incertitude entoure véritablement le
nivellement des régimes des garanties personnelles par le biais de leur soumission à
des règles du cautionnement.
S’agissant du nivellement par application du droit commun des contrats, il est
d’ores et déjà opéré par les juges, au détriment de l’efficacité des garanties
personnelles innomées.
§2 : LA SOUMISSION DES GARANTIES PERSONNELLES
INNOMEES AU DROIT COMMUN DES CONTRATS
687. L’instrumentalisation du droit commun des contrats au service de la
protection du garant. La soumission des garanties personnelles innomées au droit
commun des contrats est inévitable, puisqu’il s’agit bien de contrats, nécessitant
l’acceptation, même tacite, du créancier bénéficiaire1538, et non pas, comme l’ont
soutenu quelques auteurs étrangers, d’engagements unilatéraux1539.
1536 En ce sens, cf. F. JACOB, th. préc., n°349 ; J. DEVEZE, art. préc., p. 30 ; P. ANCEL,
n°159 (sur la lettre d'intention) ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°471-11, 487 (sur la
lettre d'intention), n°490 (sur la promesse de porte fort), n°492 (sur l’engagement de l’article
1216 et la délégation-sûreté) ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-
19 (sur la lettre d'intention) ; Ph. SIMLER, n°1017 (sur la lettre d'intention). 1537 En ce sens, cf. P. ANCEL, note préc. ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°471-11, 484,
487 ; J. FRANÇOIS, n°459, 480 1538 La qualification de « contrat » a été retenue par Cass. com., 2 février 1988 : Bull. civ. IV,
n°55. Sur la nécessité de l’acceptation du créancier bénéficiaire, cf. T. com. Paris, 26 mai
1989 : D. 1990, Somm., p. 206 1539 L. SIMONT, L’engagement unilatéral, in Les obligations en droit français et en droit
belge, Dalloz et Bruylant, 1994, n°2 et 9 ; P. VAN OMMESLAGHE, Sûretés issues de la
pratique et autonomie de la volonté, in Les Sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984,
p. 351
L’application des règles du droit commun menace particulièrement l’efficacité
des garanties personnelles innomées lorsqu’elle conduit à la limitation, voire à
l’anéantissement, des droits du créancier contre le garant, sans que les conditions
habituellement requises ne soient réunies. Dès lors que les juges utilisent le droit
commun en vue de supprimer les avantages que présentent les garanties personnelles
innomées par rapport au cautionnement, l’inefficacité est patente, puisque cette
utilisation déjoue les prévisions extrinsèques des parties et empêche la réalisation de
la finalité assignée au contrat conclu.
Autrement dit, ce n’est pas la soumission des garanties personnelles non
spécialement réglementées au droit commun des contrats qui porte atteinte aux
intérêts des créanciers, mais plutôt l’instrumentalisation de ce corps de règles au
service de la protection du garant, voire du débiteur principal. Par le biais de cette
application téléologique du droit commun des contrats, le niveau de protection du
garant ayant souscrit un engagement innomé peut être équivalent à celui de la
caution. Ce nivellement contredit évidemment les attentes des créanciers
bénéficiaires d’une garantie personnelle non spécialement réglementée, qui voient
en celle-ci le moyen de ne pas pâtir de la politique légale et jurisprudentielle de
protection de la caution.
Ce nivellement, attentatoire à l’efficacité des garanties personnelles innomées,
s’opère au moyen, d’une part, des conditions de validité et de preuve du droit
commun (A) et, d’autre part, de l’impératif d’éthique contractuelle (B).
A/ LES CONDITIONS DE VALIDITE ET DE PREUVE
688. A défaut de pouvoir interdire la conclusion de garanties personnelles plus
rigoureuses à l’encontre du garant qu’un cautionnement, ce que seul le législateur
pourrait faire, il n’est pas rare que les juges empêchent qu’elles ne produisent des
effets, soit en prononçant leur nullité pour non respect de l’une des conditions de
validité de l’article 1108 du Code civil (1), soit en considérant que la preuve n’en est
pas rapportée, au regard des exigences de l’article 1326 du Code civil (2). Sur ces
deux fondements, les juges prennent certaines libertés avec les règles du droit
commun, afin de rendre les garanties personnelles innomées moins attrayantes aux
yeux des créanciers.
1. Les conditions de validité de l’article 1108 du Code civil
689. La cause. Si la cause est au cœur des débats doctrinaux relatifs aux
garanties indépendantes1540, elle ne joue, en revanche, aucun rôle aujourd'hui dans la
protection des garants ayant souscrit un engagement innomé. En effet, comme la
Cour de cassation pose le principe selon lequel « l’engagementd’un garant à
première demande est causé, dès lors que le donneur d’ordre a un intérêt
économique à la conclusion du contrat de base, peu important qu’il n’y soit pas
partie » 1541, l’absence de conclusion du contrat de base n’est pas une cause de
nullité de la garantie autonome. A cet égard, les garants indépendants ne sont pas
1540 Cf. supra n°304 1541 Cass. com., 19 avril 2005 : D. 2005, AJ, p. 1285 ; LPA 18 mai 2005, n°98, p. 9, rapport
COHEN-BRANCHE ; JCP 2005, éd. E., 91, note STOUFFLET ; JCP 2005, II, 10075, note
PIEDELIEVRE
moins bien traités que les cautions, puisque la cause joue également un rôle
négligeable en matière de cautionnement.
690. L’objet. L’objet ne constitue pas non plus un mode de protection
privilégié par les juges. Sa licéité n’a pas donné lieu à contentieux, et son caractère
déterminé, ou au moins déterminable, est aisément retenu. Ainsi, en matière de
garantie autonome, la Cour de cassation décide que l’identification du débiteur et de
la dette garantie peut résulter de circonstances telles que la qualité de dirigeant du
garant, l’identité de date de signature du contrat de crédit et du contrat de garantie,
ou encore l’identité de terme entre ces deux contrats1542. Semble ainsi tout à fait
isolé un arrêt de la Cour d’appel de Colmar1543, qui a pris prétexte de l’absence
d’objet propre de la garantie autonome, et de la référence aux « sommes dues aux
termes du contrat (principal) », pour prononcer la nullité de la garantie autonome
faute d’objet déterminé. De tels éléments sont en principe relevés pour justifier la
requalification de la convention en cautionnement1544, et non pour fonder une
annulation.
691. Les conditions de capacité et de pouvoir. S’agissant de la capacité, elle
ne fait pas l’objet d’une appréciation différente selon la gravité ou selon le caractère
indépendant ou accessoire de la garantie constituée. Est seulement déterminante la
qualification d’engagement de payer à titre de garantie. En matière de garanties
personnelles innomées, la capacité ne constitue donc pas un mode de protection du
garant plus utilisé qu’en matière de cautionnement.
Pour ce qui est des règles de pouvoir et, plus précisément, de l’exigence
d’autorisation du conseil d’administration ou de surveillance prévue par les articles
L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce, la Cour de cassation décide
naturellement d’y soumettre les garanties autonomes1545. Il reste à espérer qu’à
l’égard des autres mécanismes innomés, la qualification de « garantie » ne donnera
pas lieu à autant de tergiversations, et donc d’incertitudes, qu’en matière de lettre
d'intention1546.
692. Le consentement libre et éclairé. Si la cause, l’objet, et la capacité sont
donc peu instrumentalisés au service de la protection du garant, il n’en va pas de
1542 Cass. com., 19 octobre 1999 : RJDA 12/1999, n°1385 1543 CA Colmar, 22 février 1994 : JCP 1994, I, 3765, n°12, obs. SIMLER 1544 Cf. supra n°638-640 1545 Cass. com., 26 janvier 1993 : D. 1995, Somm., p. 17, obs. VASSEUR ; Bull. Joly 1993,
p. 469, note DELEBECQUE
La première Chambre civile (Cass. 1ère civ., 10 octobre 1996 : RD bancaire et bourse 1996,
p. 239, obs. CONTAMINE-RAYNAUD) a précisé que le pouvoir d’émettre un
cautionnement ne vaut pas celui d’émettre une garantie indépendante. 1546 Sur ce contentieux en matière de lettre d'intention, cf. supra n°657-662
En faveur de l’application des contraintes sociétaires en matière de promesse de porte fort, cf.
Ph. SIMLER, Peut-on substituer la promesse de porte fort à certaines lettres d’intention,
comme technique de garantie ?, RD bancaire et bourse 1997, n°64, p. 224 ; M. CABRILLAC
et Ch. MOULY, n°490
En matière d’engagement de codébiteur solidaire adjoint, l’application de ces contraintes
pourrait dépendre du caractère ostensible ou non du défaut d’intéressement à la dette. Ainsi,
l’autorisation serait inutile dans l’hypothèse où l’engagement serait « habillé en une dette
propre de la société » (M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°492).
même de la dernière condition de validité de l’article 1108 du Code civil, à savoir le
consentement libre et éclairé.
Lorsque les garanties personnelles innomées sont souscrites par des
établissements de crédit, des sociétés, ou d’autres professionnels avisés, l’existence
et la qualité du consentement ne suscitent guère de difficultés. En revanche, la
vigilance est accrue en présence de garants non initiés. Si la relative nouveauté, le
caractère « insolite » et la rigueur des garanties personnelles innomées peuvent
expliquer que les juges vérifient avec soin la réalité et le caractère éclairé du
consentement du garant non averti, ils ne permettent pas, en revanche, de justifier
que les arrêts ne soient rendus qu’en équité. L’efficacité des garanties personnelles
innomées est menacée, non par leur soumission à l’exigence d’un consentement
libre et éclairé, mais par le dévoiement de cette condition de validité au service de la
protection des garants non professionnels.
693. La violence. Le vice de violence n’est pas encore utilisé en ce sens. En
effet, la jurisprudence continue à exiger une véritable contrainte injuste et illicite1547,
et ne se contente pas d’un abus de faiblesse ou de position dominante.
694. L’erreur. L’erreur sur la nature et la portée de l’engagement contracté a
davantage de succès auprès des juges, sensibles au caractère inhabituel, voire
« ésotérique », de certaines garanties personnelles innomées1548, sans qu’il soit pour
autant possible de constater une dérive dans l’appréciation de ce moyen de défense.
695. Le dol. En réalité, c’est sur le terrain du dol qu’ont été essentiellement
tenus des raisonnements téléologiques, dictés par le souci d’éradiquer les garanties
personnelles innomées, et notamment les garanties autonomes souscrites par des
particuliers.
L’arrêt Blanchet, rendu par la Cour d’appel de Paris le 27 juin 1990, en
constitue un exemple topique1549. La Cour a estimé qu’un dol par réticence avait été
commis par l’établissement de crédit-bail à l’encontre de l’épouse du dirigeant de la
société crédit-locataire, épouse qui avait signé une garantie autonome. Les différents
arguments relevés au soutien de l’annulation ne résistent pas à l’analyse1550. Celui
1547 CA Versailles, 28 février 1992 : D. 1993, Somm., p. 109 ; CA Rennes, 26 juin 1992 :
Juris-Data n°048868 ; CA Grenoble, 1er avril 1997 : Juris-Data n°041005 1548 En ce sens, à propos de la garantie autonome, de la promesse de porte fort, du constitut,
de l’engagement de l’article 1216 du Code civil, et de la délégation-sûreté, cf. M.
CABRILLAC et Ch. MOULY, n°471-2, 490, 491, 492 1549 CA Paris, 27 juin 1990 : Defrénois 1990, p. 1349, obs. AYNES ; JCP 1991, éd. E, II, 119,
note HASSLER ; RD bancaire et bourse 1991, p. 27, note CONTAMINE-RAYNAUD ; Gaz.
Pal. 7-8 décembre 1990, p. 11 ; D. 1992, 30, note BLANC ; D. 1991, Somm., 193, obs.
p. 374, obs. BANDRAC 1550 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, A propos des garanties autonomes en droit interne
souscrites par des personnes physiques, JCP 1991, éd. E, I, 90, n°7 : le caractère incomplet de
l’acte ne convainc pas, puisque les rubriques laissées en blanc n’intéressaient que le
créancier ; la précipitation dans laquelle le contrat aurait été conclu est particulièrement
exagérée, puisque 7 jours s’étaient écoulés entre la signature du contrat de crédit-bail et celle
de la garantie ; affirmer que le garant n’a pas pu apprécier les conséquences de l’acte, alors
qui constitue « la clé de l’énigme »1551, à savoir le caractère inusité de la garantie
autonome, est spécialement critiquable car, si l’annulation d’un procédé contractuel
librement convenu et licite, sous prétexte de son caractère inhabituel, peut
s’expliquer par des raisons d’équité, aucun motif juridique ne peut par contre venir
l’étayer. A l’évidence, c’est le choix lui-même en faveur d’une garantie
indépendante que la Cour d’appel a voulu stigmatiser. Pour ce faire, elle a dû
« forcer la note »1552, et découvrir un silence dolosif là où il n’y en avait pas.
Quelques années plus tard, la même Cour a de nouveau manifesté son hostilité
à l’encontre des garanties à première demande signées par des particuliers, sous
couvert d’un prétendu silence dolosif, en relevant encore le caractère inhabituel de
ces garanties1553. Les juges n’hésitent donc pas à « manipuler » la théorie des vices
du consentement afin de protéger les garants ayant souscrit un engagement innomé.
696. Les conditions de validité ne sont pas les seules règles du droit commun
des contrats dont les juges se servent pour rapprocher le régime des garanties
personnelles non spécialement réglementées de celui du cautionnement. L’exigence
de mention manuscrite de l’article 1326 du Code civil est également utilisée à cette
fin.
2. L’exigence de mention manuscrite de l’article 1326 du Code civil
697. Jusqu’à présent, la Cour de cassation ne s’est prononcée sur l’application
de l’article 1326 du Code civil qu’à l’égard de trois mécanismes innomés. Si la
solution retenue en matière de lettre d’intention est de nature à favoriser l’efficacité
de cette garantie, il n’en va pas de même relativement à la garantie autonome et à
l’engagement de codébiteur solidaire adjoint.
698. L’exclusion légitime de l’article 1326 du Code civil en matière de
lettre d'intention. En matière de lettre d'intention, l’article 1326 du Code civil ne
doit pas s’appliquer. Dès que cet engagement est souscrit par une société
commerciale, en faveur d’une autre, pour la garantie d’un crédit bancaire précis, il
constitue un acte de commerce pouvant être librement prouvé (article L. 110-3 du
Code de commerce). Même lorsque l’émetteur n’est pas commerçant, l’application
de l’article 1326 ne s’impose pas, puisque ce texte vise les contrats unilatéraux ayant
pour objet le paiement d’une somme d’argent, et non les obligations de faire ou de
ne pas faire que contiennent la plupart des lettres de confort1554.
que celui-ci contenait tous les éléments chiffrés de la dette, revient à nier la force obligatoire
des clauses imprimées du contrat. 1551 Ph. SIMLER, ibid., n°7 1552 Ph. SIMLER, ibid., n°7 1553 CA Paris, 16 avril 1996 : D. 1996, IR, p. 165 ; JCP 1997, I, 3991, n°10, obs. SIMLER 1554 En ce sens, cf. A. BAC, La lettre d'intention ou le dilemme liberté/ sécurité, Droit et
patrimoine 1999, n°67, p. 51 ; Ph. SIMLER, Les solutions de substitution au cautionnement,
JCP 1990, I, 3427, n°21 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°487 ; J. FRANÇOIS, n°478 ;
D. LEGEAIS, n°339 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-19 ; Ph.
SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°245 ; Ph. SIMLER, n°1019
Si la Cour d’appel de Paris a d’abord statué en ce sens1555, elle est ensuite
revenue sur cette solution, en décidant que l’obligation unilatérale contenue dans
une lettre d'intention lui rend applicable l’article 13261556. Comme la Cour de
cassation fait pareillement primer l’esprit de ce texte (protéger le débiteur qui
s’engage sans contrepartie) sur sa lettre (protection réservée aux engagements de
payer une somme d’argent), en matière de mandat sous seing privé de se porter
caution1557, on pouvait craindre qu’elle n’entérine la soumission des lettres
d’intention à l’exigence de mention manuscrite1558.
La Haute juridiction a heureusement censuré cette instrumentalisation du droit
commun, en décidant que l’obligation de résultat « n’est pas soumise, pour sa
preuve, à l’exigence d’une mention manuscrite exprimant la connaissance de la
nature et de l’étendue de l’engagement »1559. Sur le terrain probatoire, le
rapprochement entre la lettre d'intention et le cautionnement étant ainsi évité, le sort
funeste que l’on pouvait prédire aux lettres de confort1560 est moins d’actualité et
leur efficacité se trouve préservée.
699. L’application délicate de l’article 1326 du Code civil en matière de
garantie autonome. S’agissant de la garantie autonome, dès lors qu’elle est
souscrite par un non commerçant ou par un commerçant ne s’engageant pas pour les
besoins de son commerce1561, elle doit comporter la mention manuscrite imposée par
1555 CA Paris, 26 septembre 1991 : JCP 1991, éd. E., pan. 1272 ; JCP 1992, éd. E., II, 345,
note GRELLIERES ; Banque 1991, p. 1088, note RIVES-LANGE 1556 CA Paris, 14 décembre 1999 : RJDA 3/2000, n°342. Dans cet arrêt, la Cour a retenu la
même interprétation de l’article 1326 que celle en vigueur en matière de cautionnement.
Après avoir rappelé que la mention n’est exigée qu’à titre probatoire et qu’en son absence la
connaissance qu’a pu avoir le signataire de la portée de son engagement peut être prouvée par
un élément extrinsèque à l’acte, elle a estimé qu’en l’espèce « le défaut de mention
manuscrite était pallié par la connaissance qu’avait le garant de la situation financière du
garanti ». 1557 Sur cette question, cf. supra n°580 1558 Sur cette crainte, cf. X. BARRE, La lettre d'intention technique contractuelle et pratique
bancaire, Economica, 1995, préf. Ch. GAVALDA, n°185 ; J. DEVEZE, Aux frontières du
cautionnement : lettre d'intention et garantie indépendante, in Aspects contemporains du
cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 2-92, p. 30 ; Ph. SIMLER, Les
solutions de substitution au cautionnement, JCP 1990, I, 3427, n°21 ; M. CABRILLAC et Ch.
MOULY, n°484 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°245 ; Ph. SIMLER, n°1019 1559 Cass. com., 17 décembre 2002 : RD bancaire et financier 2003, n°73, obs. LEGEAIS ;
JCP 2003, I, 176, n°13, obs. SIMLER ; RJDA 12/2003, n°1254 1560 D. MAZEAUD, Variations sur une garantie épistolaire et indemnitaire : la lettre
d'intention, Mélanges M. Jeantin, 1999, p. 341 et s., n°18 : « en dépit de sa nature originale,
la lettre d'intention est assimilée, quant à son régime, au cautionnement. De là à considérer
qu’il n’est plus guère utile de les distinguer, voire qu’il est inéluctable de les confondre, et,
par conséquent, que la survivance même des lettres d’intention sera moins utile pour la
pratique des affaires que pour la curiosité d’auteurs en quête d’inspiration, il n’y a qu’un
pas ». 1561 En matière de garantie indépendante, doit être exclue « la commercialité par contagion,
telle que celle admise en matière de cautionnement, lorsque la caution a un intérêt
commercial dans l’opération principale garantie » (Ph. SIMLER, n°874). Plusieurs
juridictions du fond ont déjà retenu cette conséquence de l’autonomie de la garantie (CA
Versailles, 11 février 1993 : D. 1993, IR, p. 97 ; RTD com. 1993, p. 556, obs. CABRILLAC
l’article 1326 du Code civil, car il s’agit bien d’un contrat unilatéral ayant pour objet
le paiement d’une somme d’argent.
C’est en ce sens que statue la Cour de cassation1562. Elle confère à la mention
manuscrite la même portée en matière de garantie indépendante que de
cautionnement. En effet, dans les deux cas, la mention manuscrite est considérée
comme une formalité probatoire1563, jouant un rôle protecteur du consentement de
celui qui s’engage et, dans les deux cas, l’acte irrégulier au regard de l’article 1326
constitue un commencement de preuve par écrit, pouvant être complété par des
éléments extrinsèques établissant que la personne engagée avait une exacte
connaissance de la nature et de la portée de son engagement1564.
Si la transposition des solutions admises en matière de cautionnement risque de
fragiliser les garanties autonomes, c’est non seulement parce que l’on sait à quel
point l’article 1326 a pu constituer une planche providentielle de salut pour les
cautions1565, mais aussi parce que cette transposition n’est pas si naturelle1566. En
effet, la recherche d’un complément de preuve dans le contrat principal va moins de
soi dans une garantie détachée du contrat de base que dans une garantie accessoire
comme le cautionnement. Si l’on peut admettre que la prise en compte du contrat
principal, à titre d’élément de fait, pour compléter le commencement de preuve par
écrit, ne remet pas en cause l’autonomie de la garantie1567, il n’en reste pas moins
que cette prise en compte ne lève pas toutes les difficultés, et ne conduit pas aussi
directement qu’en matière de cautionnement à la preuve de l’engagement. La raison
en est que, s’agissant de la connaissance de la nature de l’engagement, il est rien
moins qu’évident que le contrat de base prévoit la fourniture d’une garantie
expressément stipulée autonome. S’agissant de la connaissance de la portée de
et TEYSSIE ; CA Aix-en-Provence, 15 avril 1993 : JCP 1993, IV, 2570 ; LPA 20 décembre
1993, p. 13, note PUTMAN ; CA Dijon, 6 mai 1994 : JCP 1995, éd. E, pan., 65). Il en résulte
que la garantie autonome souscrite par le dirigeant de société au profit de celle-ci relève de la
compétence du tribunal civil, alors qu’un cautionnement signé par le même dirigeant,
considéré comme commercial, doit être examiné par les juges consulaires. 1562 D’abord implicitement, cf. Cass. com., 10 janvier 1995 : Bull. civ. IV, n°13. Puis,
expressément, cf. Cass. com., 22 novembre 1996 : JCP 1997, I, 4033, n°10, obs. SIMLER ;
RTD civ. 1997, p. 183, obs. BANDRAC 1563 Quelques juridictions du fond (CA Dijon, 26 février 1992 : D. 1992, Somm., p. 399, obs.
FORTIS ; CA Montpellier, 30 janvier 1992 : Juris-Data n°034027 ; CA Montpellier, 30 mars
1993 : Juris-Data n°034572) ont sanctionné l’insuffisance de la mention manuscrite par la
nullité de la garantie autonome, à une époque où la première Chambre civile de la Cour de
cassation avait déjà opéré son revirement de jurisprudence, en faveur du formalisme
probatoire. 1564 Comme en matière de cautionnement, la Cour de cassation considère que la qualité de
gérant est un élément extrinsèque (Cass. com., 10 décembre 2002 : JCP 2003, I, 176). 1565 Sur l’article 1326 du Code civil comme cause d’inefficacité du cautionnement, cf. supra
n°566, 578, 579 1566 En ce sens, cf. Ph. THERY, n°109 quater 1567 En ce sens, cf. M. BANDRAC, obs. sous Cass. com., 22 novembre 1996, RTD civ. 1997,
p. 183 : « l’autonomie de la garantie par rapport au contrat de base n’implique ni en fait ni
en droit aucune autonomie instrumentaire et plus généralement aucune autonomie de la
preuve des deux rapports ». Contra, cf. M. BILLIAU, note sous Cass. com., 10 janvier 1995,
JCP 1995, II, 22397 : le caractère autonome de la garantie commande le rejet de toute preuve
tirée d’éléments extrinsèques à l’instrumentum. Ce rejet nécessaire devrait conduire à décider
de l’exclusion de l’article 1326 en matière de garantie autonome.
l’engagement, le montant du contrat principal et celui de la garantie autonome
n’étant pas nécessairement identiques, la seule connaissance par le garant de
l’étendue de la dette principale pourrait être jugée insuffisante. La transposition des
solutions rendues en matière de cautionnement sur le fondement de l’article 1326
pourrait donc entraver la preuve des garanties autonomes et, par là même,
compromettre leur efficacité.
700. L’exclusion critiquable de l’article 1326 du Code civil en matière de
solidarité adjointe. Dans le cadre de l’engagement de codébiteur solidaire adjoint,
la Cour de cassation écarte l’application de l’article 1326 du Code civil, en relevant,
de manière quasi tautologique, que la dette « était la contrepartie d’une créance
»1568.
En apparence, cette solution est tout à fait favorable aux créanciers, puisqu’au
stade de l’obligation à la dette, le codébiteur solidaire non intéressé est traité, non
comme une caution, mais comme un coobligé non protégé par l’article 1326.
En réalité, « cette sécurité n’est peut-être que provisoire car la Cour de
cassation n’a pas dit son dernier mot. Il ne s’agit probablement que d’un galop
d’essai »1569. La Haute juridiction pourrait revenir sur cette solution, parce qu’elle
dénature la solidarité de l’article 1216 du Code civil. La Cour de cassation confère
en effet un caractère synallagmatique à l’engagement du codébiteur solidaire
adjoint, alors que celui-ci n’a pas de part personnelle dans l’affaire commune. Il
s’engage pour garantir la dette d’autrui. Même s’il y a une contrepartie à
l’engagement de l’autre codébiteur solidaire (celui qui est intéressé à la dette), cette
contrepartie ne profite pas, par hypothèse, au codébiteur solidaire non intéressé1570.
La mention manuscrite de l’article 1326 devrait donc figurer dans l’engagement
prévu par l’article 1216, que cet engagement soit recueilli dans l’acte constatant
l’obligation garantie ou, a fortiori, par acte ultérieur et séparé1571.
L’article 1326 ne devrait être écarté que si le garant ne parvient pas à prouver
que le créancier savait qu’il n’avait personnellement aucun intérêt à la dette. Dans
une telle situation, « l’habit juridique emprunté prévaut formellement »1572. En
conséquence, le fait pour le garant d’avoir pris la qualité apparente de débiteur
solidaire le rend justiciable du seul régime de preuve de l’acte dans lequel cette
1568 Cass. 1ère civ., 17 novembre 1999 : Bull. civ. I, n°309
En faveur de cette solution, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°384, 492 : « la mention
manuscrite est inutile, puisque le garant est censé payer sa propre dette, au moins en partie,
et ainsi équilibrer son engagement par la contrepartie reçue ailleurs ». 1569 Y. PICOD, note sous Cass. 1ère civ., 17 novembre 1999, JCP 2000, II, 10403. Un autre
auteur ne croit tellement pas à la pérennité de la solution qu’il s’interroge même « sur ce qui
vaut à cet arrêt d’être désigné comme devant être publié au Bulletin » (Ph. SIMLER, obs.
sous Cass. 1ère civ., 17 novembre 1999, JCP 1999, I, 209, n°9). 1570 Sur le caractère par principe unilatéral de l’engagement clairement pris, en qualité de
garant, par le codébiteur solidaire adjoint, cf. M. OURY-BRULE, th. préc., n°293 et 294 1571 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°511 ; D. R. MARTIN, L’engagement du
codébiteur solidaire adjoint, RTD civ. 1994, p. 57. Pour une position plus nuancée, prenant
appui sur la structure obligationnelle de la solidarité passive adjointe, qui peut être soit
unilatérale, soit synallagmatique, voire les deux à la fois, cf. V. BREMOND, obs. sous Cass.
com., 17 décembre 2003, D. 2004, Somm., p. 2035 1572 D. R. MARTIN, ibid., p. 57
qualité s’est exprimée, régime qui n’est pas celui de l’article 13261573. Dès lors que
la Cour de cassation évince purement et simplement l’exigence de mention
manuscrite, sans procéder à cette distinction, elle méconnaît la nature de
l’engagement de codébiteur solidaire adjoint et compromet, ce faisant, l’efficacité de
ce mécanisme.
701. L’inefficacité des garanties personnelles innomées se trouve favorisée
par le dévoiement jurisprudentiel des règles de validité et de preuve du droit
commun. Lorsque les conditions d’application de ces règles se trouvent réunies,
mais que les juges décident de ne pas y soumettre un mécanisme innomé, ils
dénaturent celui-ci et entravent son efficacité à long terme. Lorsque les conditions
d’application des règles du droit commun ne sont pas remplies, mais que les juges
en font néanmoins profiter les garants ayant souscrit un engagement innomé, ils
fragilisent aussi l’efficacité des mécanismes non spécialement réglementés en
occultant leur fonction de garantie, ainsi que la finalité qui leur est assignée.
Un même constat s’impose au regard de l’instrumentalisation de l’impératif
d’éthique contractuelle.
B/ L’IMPERATIF D’ETHIQUE CONTRACTUELLE
702. L’instrumentalisation de l’impératif d’éthique contractuelle. Lorsque
les contraintes mises à la charge des créanciers ont pour finalité le respect de
l’éthique contractuelle, elles demeurent compatibles avec l’objectif d’efficacité des
garanties personnelles, et peuvent même servir cet objectif1574. Au contraire, si ces
contraintes sont imposées en vue d’alléger, voire de supprimer, l’obligation de
règlement du garant, elles méconnaissent purement et simplement la fonction de
garantie des contrats conclus et constituent des facteurs d’inefficacité.
A cet égard, l’efficacité des garanties personnelles innomées se trouve menacée
lorsque, sous couvert d’éthique contractuelle, les juges cherchent en réalité à
remettre en cause les intérêts attachés à la conclusion de contrats non spécialement
réglementés, et particulièrement le déficit de protection du garant qu’engendrent ces
contrats par rapport au cautionnement. Si cette instrumentalisation de l’impératif
d’éthique contractuelle est susceptible de concerner les deux facettes de cet
impératif, que sont le devoir de solidarité (1), et le devoir de tempérance (2), les
déviances se sont jusqu’à présent surtout concentrées autour du second.
1573 En ce sens, cf. P. ANCEL, note sous Cass. 1ère civ., 17 novembre 1999, D. 2000, p. 410 1574 Cf. supra n°168-171 ; 407-416
1. Le devoir de solidarité
703. Les déviances envisageables. L’expression positive de l’impératif
d’éthique contractuelle, à savoir la solidarité entre les contractants, n’a pas encore
donné lieu à des solutions injustifiées. Le souci de certains juges d’aligner la
protection des garants ayant souscrit un engagement innomé sur celle de la caution
laisse craindre, cependant, qu’ils ne découvrent à la charge des créanciers des
obligations que n’impose pas l’éthique contractuelle.
Tel serait le cas de l’obligation précontractuelle d’information du garant sur la
nature et l’étendue de son engagement, si elle devait bénéficier à des garants avertis
ou, a fortiori, professionnels.
Tel serait également le cas de l’obligation de surveiller la correcte affectation
des fonds prêtés, si elle devait être sanctionnée dans le cadre de garanties
personnelles détachées du contrat de base1575.
2. Le devoir de tempérance
704. La sanction de la disproportion de l’engagement du garant par
rapport à ses facultés financières. L’impératif d’éthique contractuelle commande
aux créanciers de ne pas faire souscrire au garant un engagement manifestement
disproportionné par rapport à ses biens et revenus. Si l’on peut admettre l’extension
du principe de proportionnalité aux garanties personnelles innomées1576, encore faut-
il que les conditions de mise en jeu de cette règle soient compatibles avec les
caractéristiques du contrat conclu.
Sauf à instrumentaliser l’impératif d’éthique contractuelle, la responsabilité des
créanciers destinataires de lettres d’intention ne devrait pas être engagée sur le
terrain de la disproportion, faute d’une telle compatibilité. En effet, comme c’est
l’émetteur qui décide librement de la manière d’exécuter ses obligations de moyens
ou de résultat, la disproportion des moyens mis en œuvre au regard de ses facultés
financières ne devrait pas pouvoir être imputée au créancier.
705. La sanction de l’octroi abusif ou de la rupture abusive de crédit.
L’impératif d’éthique contractuelle commande également aux créanciers de ne pas
favoriser ou accélérer la défaillance du débiteur principal. Dans le cadre des
garanties indépendantes, l’impératif d’éthique contractuelle ne peut être respecté que
si la mise en jeu de la responsabilité du créancier pour octroi abusif ou rupture
abusive de crédit ne remet pas en cause le détachement de l’obligation du garant par
rapport au contrat de base.
L’éthique contractuelle serait, au contraire, utilisée au profit de la protection
directe des intérêts du garant, si les juges acceptaient que celui-ci se prévale d’un
1575 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°471-7 1576 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°495 et 496 ; M. OURY-BRULE, th. préc.,
n°462 ;
P. CROCQ, RTD civ. 1998, p. 157 ; D. HOUTCIEFF, Les dispositions applicables au
cautionnement issues de la loi pour l’initiative économique, JCP 2003, I, 161, n°29 ; D.
LEGEAIS, Principe de proportionnalité : le cas du contrat de crédit avec constitution de
garantie, LPA 30 septembre 1998, n°117, p. 38 ; S. PESENTI, Le principe de
proportionnalité en droit des sûretés, LPA 11 mars 2004, n°51, p. 12 et s., n°26 ; S.
PIEDELIEVRE, Le cautionnement excessif, Defrénois 1998, article 36836,
p. 849
préjudice subi par le débiteur principal, comme peut le faire une caution. L’éthique
contractuelle serait pareillement instrumentalisée, si les juges admettaient que le
préjudice résultant d’un soutien abusif consiste dans l’augmentation de la dette
principale.
Pour que l’indépendance de la garantie soit préservée, il convient donc de ne
prendre en compte que le préjudice personnel du garant autonome. Par ailleurs, le
préjudice réparable ne peut être que la suppression, par le soutien abusif, du
caractère éventuel de la mise en jeu de la garantie1577.
706. La restitution de l’enrichissement procuré par la réalisation de la
garantie. Le devoir de tempérance impose encore aux créanciers de ne pas
détourner de sa fonction la garantie personnelle dont ils bénéficient. Cela signifie
notamment que les créanciers ne doivent pas s’enrichir en conservant un paiement
excédant le montant de la dette principale. La Cour d’appel de Paris fait ainsi une
exacte application de l’impératif d’éthique contractuelle en décidant que le créancier
bénéficiaire de deux garanties à première demande, indépendantes entre elles1578,
peut demander la totalité de leur engagement aux deux garants, sous réserve de
restituer le trop perçu à chacun1579.
707. La sanction de l’abus ou de la fraude dans l’appel de la garantie. Ne
pas détourner la garantie personnelle de sa fonction signifie aussi que les créanciers
ne doivent pas en demander l’exécution en ayant conscience de n’avoir aucun droit
pour ce faire. L’impératif d’éthique contractuelle exige que soit sanctionné l’appel
abusif ou frauduleux de la garantie.
Mais, comme l’application du principe général fraus omnia corrumpit est l’un
des seuls moyens d’empêcher l’exécution d’une garantie indépendante1580, il est à
craindre que les juges ne déclarent trop facilement l’appel de cette garantie abusif ou
frauduleux dans le seul but de protéger le garant ou le débiteur principal1581.
L’efficacité des garanties indépendantes est ainsi compromise si les juges se servent
de la fraude ou de l’abus de droit pour rétablir l’opposabilité des exceptions, que le
1577 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°471-8 1578 Aucune des deux garanties ne faisait référence à l’autre, et elles avaient été souscrites
indépendamment par deux banques différentes. 1579 CA Paris, 12 mai 2000 : RD bancaire et financier 2000, n°197, note MATTOUT. La Cour
d’appel s’est fondée sur l’article 1134 alinéa 3 du Code civil. La restitution s’opère selon une
clé de répartition respectant le montant relatif de l’engagement de chacun des garants par
rapport à la somme des deux. 1580 Le refus de paiement du garant peut aussi être fondé sur les caractéristiques objectives du
contrat de garantie. Il en va ainsi en cas d’appel prématuré ou tardif. Est également voué à
l’échec l’appel d’une garantie nulle ou déjà éteinte (T. com. Paris, 14 décembre 1990 : D.
1991, Somm., p. 201, obs. VASSEUR, au sujet d’une garantie à laquelle le bénéficiaire avait
antérieurement renoncé).
Sur l’impossibilité de principe, pour le donneur d'ordre, de s’opposer à l’exécution de la
garantie autonome, cf. supra 395 1581 Compte tenu des difficultés que peuvent rencontrer les donneurs d’ordre exerçant un
recours en restitution contre le bénéficiaire ayant reçu du garant un paiement indu, la
protection de ces débiteurs est plus efficace si elle est préventive, c'est-à-dire si elle empêche
le paiement du garant.
détachement de l’obligation du garant par rapport au contrat principal a pour but
d’éluder.
Ce risque est d’autant plus grand que les notions de fraude et d’abus ne font pas
l’objet de définitions précises. Si la Cour de cassation exerce un contrôle sur le
caractère frauduleux ou abusif de l’appel d’une garantie, elle n’en fournit pas
clairement les critères, ce qui rend les solutions rendues en la matière
imprévisibles1582. Au registre des certitudes, il convient néanmoins de ranger le refus
de la Haute juridiction de traiter différemment la fraude et l’abus1583, alors même
qu’il est possible de distinguer ces deux attitudes déloyales1584. La Cour de cassation
semble donc admettre la paralysie de la garantie autonome, même si le créancier n’a
pas agi avec l’intention de nuire au donneur d'ordre ou au garant, dès lors qu’il a
demandé le paiement en ayant conscience de son caractère indu. Est donc abusif ou
frauduleux l’appel de la garantie fait de mauvaise foi, c'est-à-dire avec la conscience
du préjudice causé, autrement dit avec la conscience de l’absence de droit1585.
Bien que la Haute cour limite le risque qu’il ne soit trop facilement fait
référence au contrat de base pour caractériser l’abus ou la fraude, et donc qu’il ne
soit trop aisément porté atteinte à l’autonomie de la garantie, en exigeant que l’abus
ou la fraude soient manifestes1586, il n’en demeure pas moins que certaines décisions
1582 En ce sens, cf. J.-J. DAIGRE, Les substituts du cautionnement : de la lettre à la garantie.
La revanche de la liberté, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 6-92, p. 6 ; Ch.
GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale, RTD com. 1980, p. 1 et
s., n°17 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°429 : « puisqu’ils sont généraux, ces principes
sont imprécis. Ils entraînent donc une imprévisibilité qui est l’ennemie des bonnes relations
commerciales. Ils affaiblissent la garantie et ne satisfont plus les besoins des parties (…)
Impossibilité de les formuler correctement. Nulle liste des critères de la fraude n’est fournie.
Les principes généraux, loin de limiter les incertitudes de la notion d’abstraction, y ajoutent
d’autres incertitudes encore plus graves ». 1583 La Cour d’appel de Paris (12 juin 1985 : D. 1986, Somm., p. 161, obs. VASSEUR) a
opéré une distinction entre la fraude et l’abus (l’appel de la garantie, même manifestement
abusif, n’est que l’exécution d’une clause du contrat de garantie ; la fraude suppose des
manœuvres destinées à tromper le cocontractant). Elle a été censurée par la Cour de cassation
(Cass. com., 20 janvier 1987 : Bull. civ. IV, n°19). La Haute juridiction considère que, même
s’il n’est pas inspiré par la malveillance, l’appel de la garantie peut être paralysé lorsqu’il est
manifestement abusif. 1584 C. HANNOUN, Réflexions sur la distinction de la fraude et de l’abus dans les garanties à
première demande, RD bancaire et bourse 1987, n°10, p. 188 : « l’abus consiste dans le
mauvais exercice d’un droit, alors que la fraude est le détournement d’une règle juridique
dans le dessein d’acquérir un droit dont on était privé. L’abus affecte l’exercice du droit pour
le bénéficiaire d’appeler la garantie, alors que la fraude suppose une manœuvre aboutissant
à un résultat inadmissible. (…) L’abus est déterminé à partir des conditions d’exercice du
droit (…), la fraude est caractérisée par des manœuvres effectuées dans un but illicite ».
Sur la portée de la distinction entre la fraude et l’abus de droit à propos des garanties
autonomes, cf. également A. PRÜM, th. préc., n°439 à 448 1585 En ce sens, cf. F. JACOB, th. préc., n°362 à 374 ; A. PRÜM, ibid., n°452 à 483 ; H.
CHANTELOUP et V. HEUZE, Financement et garantie, in Pratique des contrats
internationaux, 1997, n°155 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-
19 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°229 ; Ph. SIMLER, n°985 1586 La Cour de cassation décide que « le fait même apparemment établi » que le donneur
d'ordre a rempli toutes ses obligations ne dispense pas le garant de payer (Cass. com., 21 mai
1985 : Bull. civ. IV, n°160). La raison en est que « ce qui est apparemment établi ne l’est pas
révèlent que les juges succombent à la tentation de réintroduire, sous couvert
d’appel abusif, une certaine dose d’opposabilité des exceptions dans la garantie
indépendante1587. L’impératif d’éthique contractuelle se trouve par là même
instrumentalisé au détriment de l’efficacité de la garantie autonome constituée.
708. Conclusion de la 2ème Partie. L’autonomie normative des garanties
personnelles innomées est recherchée par les créanciers, afin de bénéficier
d’avantages que le droit du cautionnement entrave, et d’être à l’abri, au contraire,
des désagréments que l’application de cette réglementation occasionne. Pour que
avec une absolue certitude, de sorte que l’appel de la garantie n’est pas manifestement
abusif » (Ph. SIMLER, Les solutions de substitution au cautionnement, JCP 1990, I, 3427,
n°25). La garantie étant payable par principe à première demande, il ne faut pas permettre au
donneur d'ordre de retarder ce paiement par de simples allégations, qui obligeraient les
tribunaux à des vérifications approfondies. Les juges du fond ont ainsi précisé qu’une simple
probabilité, ou un simple risque de fraude, ne justifient pas un refus d’exécution de la garantie
(CA Paris, 15 février 1989 : D. 1989, Somm., p. 158 ; RD bancaire et bourse 1989, p. 138), ou
encore qu’un tribunal ne saurait être autorisé à ordonner une expertise dans le seul but de
rechercher si l’appel de la garantie était justifié ou présentait, au contraire, un caractère
frauduleux (CA Paris, 21 janvier 1987 : D. 1987, Somm., p. 176, obs. VASSEUR ; CA Paris,
13 octobre 1988 : D. 1990, Somm., p. 211, obs. VASSEUR). Il est vrai que, « si le recours à
l’expertise est nécessaire, c’est qu’il existe un doute, et s’il y a doute, l’abus ne peut être
manifeste » (H. CHANTELOUP et V. HEUZE, ibid., n°155). Pour qu’un juge prenne la
décision de défendre au garant autonome de payer sur la demande du bénéficiaire, ne doivent
être nécessaires, ni des preuves supplémentaires, ni des mesures d’instruction ou de
vérifications particulières, ni l’appel d’un tiers. Cela s’explique par le fait que le blocage est
demandé au juge des référés, qui ne statue qu’au vu de l’apparence (article 809 du nouveau
Code de procédure civile). Or, « celle-ci est en faveur du droit du bénéficiaire, seule une
évidence contraire peut la combattre » (Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P.
CROCQ, n°343). Surtout, cette solution s’explique par l’indépendance de la garantie. Comme
la recherche de preuves supplémentaires ne pourrait être effectuée que par référence au
contrat de base, et que les exceptions tirées de ce contrat sont inopposables en matière de
garantie autonome, le seul moyen de préserver la spécificité de cette garantie est d’exiger que
la fraude ou l’abus soient manifestes. En effet, « ce qui est manifeste n’a pas à être prouvé »
(Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°229 ; Ph. SIMLER, n°986). Le caractère manifeste
s’apprécie, non en considération de critères objectifs, mais au regard de l’évidence de la
mauvaise foi du créancier, c'est-à-dire de sa conscience de l’absence de droit (en ce sens, cf.
Ph. SIMLER, n°987). 1587 CA Paris 20 juin 1984 : D. 1985, IR, p. 241, obs. VASSEUR ; RTD com. 1985, p. 548,
obs. CABRILLAC et TEYSSIE (appel abusif lorsque le bénéficiaire ne règle pas au donneur
d'ordre les sommes qu’il lui doit et qu’il se borne à faire état, par des allégations vagues et de
pure forme, de malfaçons et retards) ; CA Paris, 18 novembre 1986 : D. 1987, Somm. 173,
obs. VASSEUR (appel abusif lorsque le débiteur estime avoir achevé l’exécution de ses
obligations) ; CA Versailles, 1er décembre 1988 : D. 1989, Somm., p. 155, obs. VASSEUR
(appel abusif lorsque le bénéficiaire a cessé d’honorer ses obligations sans donner
d’explication) ; CA Bordeaux, 1er mars 1990 : D. 1990, Somm., p. 210 ; RD bancaire et
bourse 1990, p. 207 ; T. com. Nanterre, réf., 14 mars 1991 : LPA 19 avril 1991 ; RD bancaire
et bourse 1991, p. 200 ; RTD com. 1991, p. 425, obs. CABRILLAC et TEYSSIE ; D. 1992,
Somm., p. 241, obs. VASSEUR ; T. com., Paris, 20 septembre 1991 : RJDA 11/1991, n°952 ;
JCP 1992, I, 3583 ; D. 1992, Somm., p. 243 ; CA Paris, 27 janvier 1999 : Juris-Data n°020505
(appel d’une garantie de restitution d’acompte jugé manifestement abusif au motif que le
montant des travaux effectués était largement supérieur à celui des avances)
cette finalité assignée aux garanties personnelles innomées se réalise, le droit positif
doit laisser aux créanciers la liberté de protéger leurs intérêts financiers au moyen
d’une garantie non spécialement réglementée.
Dès lors que le législateur n’impose pas, en matière contractuelle, la conclusion
de garanties déterminées et que les juges reconnaissent, tant la liberté de déroger au
caractère accessoire renforcé du cautionnement, que les caractéristiques distinctives
des garanties personnelles innomées, il est permis d’affirmer que le droit positif
favorise l’efficacité subjective de ces mécanismes.
Ce constat d’efficacité mérite cependant d’être relativisé. D’une part, les
incertitudes entourant la qualification des garanties personnelles innomées, et
particulièrement des garanties autonomes et des lettres d’intention, constituent des
facteurs d’inefficacité. D’autre part, c’est le nivellement de régime des différentes
garanties personnelles qui compromet l’efficacité de celles qui ne sont pas
spécialement réglementées. Les juges ne respectent donc pas toujours l’autonomie
normative des garanties personnelles innomées. S’ils n’invalident pas purement et
simplement ces mécanismes, ils cherchent néanmoins à les rendre moins attrayants
aux yeux des créanciers.
La coexistence de fait entre le cautionnement et les contrats lui servant de
substituts, qu’engendre l’absence de réglementation spéciale de ces derniers, conduit
ainsi à la remise en cause des attentes objectives et subjectives des créanciers
bénéficiaires de garanties personnelles innomées. C’est donc bien la « vraie lacune »
du droit existant à l’égard de ces dernières qui est à l’origine de leur inefficacité.
L’inefficacité du cautionnement s’explique également par les lacunes du droit
positif, mais il s’agit, cette fois, de « fausses lacunes », c'est-à-dire de lacunes ayant
trait à l’objectif poursuivi par le législateur et par les juges. L’inefficacité du
cautionnement résulte, en effet, non seulement de la primauté accordée à la
protection directe des intérêts de la caution sur la fonction de garantie du
cautionnement, mais aussi des défauts formels de la loi et de la jurisprudence, qui
révèlent l’inadéquation entre le contenu du droit en vigueur et l’objectif d’efficacité.
Même si les fausses lacunes du droit du cautionnement grèvent indéniablement
l’efficacité de ce mécanisme, il serait excessif d’en conclure qu’il ne protège plus,
aujourd'hui, les intérêts des créanciers. En effet, la souplesse du droit positif, tenant
aux espaces laissés à la liberté contractuelle et à la validation jurisprudentielle des
stipulations protectrices des intérêts financiers des bénéficiaires, favorise la
réalisation des attentes subjectives de ceux-ci relativement à un paiement ponctuel et
intégral. Par ailleurs, en mettant en place des protections de la caution qui servent en
même temps les intérêts des créanciers et, surtout, en rejetant nombre de
contestations de la caution relatives à l’étendue et à l’existence de son engagement,
que le débiteur principal soit ou non soumis à une procédure collective de paiement,
le droit en vigueur joue un rôle encore plus actif dans la construction de l’efficacité
du cautionnement.
L’étude du droit positif conduit donc à porter un jugement nuancé sur
l’efficacité actuelle des garanties personnelles : comme le droit en vigueur favorise à
certains égards leur efficacité subjective et organise leur efficacité objective, mais
qu’il provoque aussi l’apparition de multiples facteurs d’inefficacité, l’efficacité des
garanties personnelles est incertaine. L’évaluation des garanties personnelles de lege
lata révélant ainsi que, sur de nombreux points, l’efficacité reste à construire, il
convient désormais d’envisager cette efficacité de lege ferenda.
Troisième partie
L’EFFICACITÉ DES GARANTIES
PERSONNELLES
DE LEGE FERENDA :
UNE RECONSTRUCTION
709. La reconstruction du droit des garanties personnelles. Si la
reconstruction du droit des garanties personnelles est aujourd'hui prônée par de
nombreux auteurs et hommes politiques1588, elle n’en doit pas moins être justifiée.
Toute réforme présente, en effet, un danger pour la sécurité juridique1589. Par
ailleurs, en matière de garanties personnelles, une refonte du droit en vigueur peut
apparaître comme « une entreprise difficile et périlleuse »1590. Difficile, à cause,
notamment, des intérêts contradictoires à prendre en compte, des liens entre le droit
des garanties personnelles et d’autres branches du droit, et du nombre de
mécanismes à réglementer. Périlleuse, à cause de l’incidence de la réglementation
des garanties personnelles sur l’octroi de crédit et donc sur la bonne marche de
l’économie. Pour toutes ces raisons, il est donc nécessaire de préciser les
justifications de la réforme du droit des garanties personnelles (Titre 1). Une fois
mises au jour la nécessité, et même l’inéluctabilité de cette réforme, le contenu du
nouveau droit pourra être exposé. Sans prétendre à l’exhaustivité, et sans aller
1588 Lors de son discours à la Sorbonne, le 11 mars 2004, à l’occasion du bicentenaire du
Code civil, le Président de la République a souhaité, « au plus vite », une « refonte du droit
des obligations » et a demandé qu’on réécrive « en cinq ans le droit des contrats et celui des
sûretés ». A cette fin, un groupe de travail relatif à la réforme du droit des sûretés a été mis en
place, à l’initiative de la Direction des affaires civiles et du Ministère de la Justice, en juillet
2003. Ce groupe de travail est présidé par M. Grimaldi. Ses autres membres sont : L. Aynès,
A. Bac, P. Crocq, D. Dos-Reis, E. Frémeaux, A. Gourio, A. Provansal, Ph. Simler et H.
Synvet. 1589 Selon R. HOUIN (De lege ferenda, Mélanges P. Roubier, 1961, t. 1, p. 273 et s., n°280),
toute réforme législative est en soi dangereuse pour les raisons suivantes : « une règle de droit
doit avoir une certaine stabilité dans le temps pour produire tous les effets qu’on en attend,
surtout dans les relations civiles » ; « tout changement de législation modifie l’équilibre des
intérêts et porte nécessairement atteinte à certains intérêts en en protégeant d’autres » ; « des
modifications trop fréquentes de la loi nuisent à la force obligatoire de la loi et peuvent même
aboutir à l’anarchie ». 1590 Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°24-3
jusqu’à rédiger une proposition de loi1591, nous présenterons des règles susceptibles
de remédier aux lacunes du droit positif et donc susceptibles de rendre plus sûre
l’efficacité des garanties personnelles (Titre 2).
1591 La rédaction des lois relève de la technique législative, qui est l’« art de faire les lois, la
partie de la science législative qui a pour objet la mise en œuvre des options de la politique
législative et qui consiste non seulement dans la rédaction du texte de la loi ou plus
généralement dans sa mise en forme (présentation formelle, plan, titres, division, articulation,
etc.), mais aussi dans le choix et l’agencement des modes d’énoncé de la règle de Droit et des
procédés techniques de sa réalisation » (Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF,
Quadrige, 3e éd., 2002, v° Législatif, p. 515).
La rédaction d’une réforme suppose une parfaite maîtrise de la technique législative. Or, « les
études dans les Facultés de droit ne préparent pas directement à la création législative. (…)
La formation juridique, telle qu’elle est actuellement conçue et organisée, est infiniment plus
tournée vers l’application du droit en vigueur que vers d’éventuelles réformes législatives.
(…) La technique législative ne s’invente pas et mérite d’être étudiée» (R. HOUIN, art. préc.,
p. 273 et 274).
TITRE I
LES JUSTIFICATIONS DE LA RÉFORME
710. La recherche de l’efficacité rend nécessaire une réforme du droit des
garanties personnelles. L’évaluation du droit positif à travers le prisme de
l’efficacité des garanties personnelles a montré, qu’à certains égards, la loi et la
jurisprudence favorisent l’efficacité in concreto et organisent l’efficacité in
abstracto de ces mécanismes. Mais, nombreuses sont également les hypothèses dans
lesquelles le droit en vigueur entrave la réalisation des attentes objectives et
subjectives des créanciers. Ce bilan très mitigé explique que, sur de nombreux
points, l’efficacité des garanties personnelles reste à construire. C’est ainsi la
recherche de l’efficacité qui rend nécessaire la réforme du droit des garanties
personnelles (Chapitre 1).
711. La réforme du droit des garanties personnelles par l’adoption d’un
Code civil européen n’est pas à l’ordre du jour. Depuis une trentaine d’années,
des discussions ont cours au sujet d’un Code civil européen ou, au moins, d’un
Eurocode des contrats. Soit en raison de l’entrée en vigueur d’un tel code, soit en
vue d’offrir un modèle1592 ou, au contraire, une alternative à la codification
européenne1593, une réforme du droit des garanties personnelles pourrait se produire.
1592 Ph. DUPICHOT, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, th. Paris II,
2003, sous la direction de M. GRIMALDI, n°965 : « une refonte (du droit des sûretés) au plan
français serait sans doute de nature à permettre à celui-ci de « peser » davantage lors des
travaux d’élaboration si, d’aventure, une réforme du droit européen des contrats devait
effectivement englober la matière des sûretés » ; B. FAUVARQUE-COSSON, Faut-il un
Code civil européen ?, RTD civ. 2002, p. 463 et s., n°2 : « sans réforme d’ensemble, notre
code se trouve en assez mauvaise posture pour exercer une quelconque valeur de modèle au
cours de l’inéluctable processus d’unification du droit privé européen » ; H. LEMAIRE et A.
MAURIN, L’opportunité d’une refonte du droit français des obligations, Defrénois 2004,
article 37941, p. 687 : « il est certain que dans le cadre d’une harmonisation du droit
européen ou de l’élaboration d’un code européen des contrats, seuls les systèmes de droit
positif « actualisés » et modernes seront pris en compte ». 1593 D. LEGEAIS, L’imprévisible droit des garanties personnelles, Mélanges Y. Guyon,
Dalloz, 2003, p. 669 : « la question d’une réforme d’ensemble du cautionnement mérite
d’autant plus d’être posée qu’une nouvelle réforme du Code civil peut être envisagée pour
proposer une alternative à une codification européenne ».
Au-delà du fait que la codification européenne ne saurait constituer une justification
de réforme propre à la matière des garanties personnelles, c’est surtout le manque
d’actualité d’un tel code qui empêche d’y voir un fait déclencheur d’une réforme du
droit des garanties personnelles.
En effet, alors que le Parlement européen1594 et la Commission européenne ont
initialement encouragé l’adoption d’un Code civil européen, ce projet n’a plus
aujourd'hui leurs faveurs. Une consultation1595 opérée par la Commission
européenne auprès des autres institutions communautaires, des gouvernements
nationaux, des opérateurs économiques, et de la doctrine des différents Etats
membres, a révélé qu’une grande majorité des consultés est opposée à l’absence
d’intervention communautaire, tout aussi bien qu’à l’adoption d’un nouveau droit
civil européen. En revanche, une majorité s’est exprimée en faveur, d’une part, de
l’amélioration de la qualité du droit communautaire actuellement en vigueur et,
d’autre part, du développement de principes contractuels, communs aux différents
Etats membres1596. Tirant les conséquences de ces résultats, la Commission a
d’abord cessé de prôner l’unification des droits civils des Etats membres1597, puis a
1594 A plusieurs reprises, le Parlement européen s’est prononcé en faveur d’un Code civil
européen : résolution du 26 mai 1989 sur un effort de rapprochement du droit privé des Etats
membres (JOCE C 158-400) ; résolution du 6 mai 1994 sur l’harmonisation de certains
secteurs du droit privé des Etats membres (JOCE C 205-518) ; le 16 mars 2000, le Parlement
européen a demandé une harmonisation du droit civil des contrats, qu’il jugeait essentielle
pour le développement du marché européen ; résolution du 15 novembre 2001 concernant le
rapprochement du droit civil et du droit commercial des Etats membres. 1595 Au moyen d’une «communication » du 11 juillet 2001 sur le droit européen des contrats
(JOCE
C 255-1), la Commission européenne a procédé à une consultation en suggérant un choix
entre quatre partis.
Option 1° : aucune action communautaire : laisser les développements futurs aux mécanismes
du marché.
Option 2° : promouvoir la mise au point de principes communs de droit des contrats pour
renforcer la convergence des droits nationaux.
Option 3° : améliorer le droit privé communautaire existant, en simplifiant les directives et en
adaptant les instruments juridiques existants au lieu d’en adopter de nouveaux.
Option 4° : adopter une nouvelle législation complète au niveau communautaire.
Sur cette communication, cf. N. CHARBIT, L’esperanto du droit ? La rencontre du droit
communautaire et du droit des contrats. A propos de la Communication de la Commission
européenne relative au droit européen des contrats, JCP 2002, I, 100 ; B. FAUVARQUE-
COSSON, art. préc., p. 463 et s., n°36 et s. ; M. FONTAINE, La protection du consommateur
et l’harmonisation du droit européen des contrats, Liber amicorum J. Calais-Auloy, Etudes
de droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 385 et s. ; Ph. MALAURIE, Le Code civil
européen des obligations et des contrats. Une question toujours ouverte, JCP 2002, I, 110,
n°5 et s. ; D. STAUDENMAYER, Le plan d’action de la Commission européenne concernant
le droit européen des contrats, JCP 2003, I, 127 1596 Communiqué de la Commission du 3 avril 2002 rendant public un résumé des résultats de
la consultation.
Pour plus de détails sur les réactions des institutions communautaires (résolution du
Parlement européen du 15 novembre 2001 ; rapport du Conseil du 16 novembre 2001 ;
opinion du Comité économique et social des 17-18 juillet 2002) et sur les réactions des parties
intéressées, cf. D. STAUDENMAYER, ibid., n°3 à 7 1597 Dans une communication du 22 mai 2002 intitulée « Un projet pour l’Union
européenne », la Commission ne parle plus d’unification, mais d’harmonisation, qu’elle
adopté le 12 février 2003 un plan d’action « pour un droit européen des contrats plus
cohérent », qui ne vise aucunement à remplacer le Code civil français ou à créer un
Code civil européen1598. Pour cette raison, un membre de la Commission européenne
a remarqué que la « controverse1599 qui s’est développée sur ce point est loin de la
réalité des réflexions communautaires sur le sujet »1600.
subordonne aux exigences du marché intérieur et à l’égard de laquelle le rôle des Parlements
nationaux redevient incontournable. « On est loin de l’idée d’un Code civil européen, tout à la
fois obligatoire et détaillé » (B. FAUVARQUE-COSSON, art. préc., p. 463 et s., n°17). 1598 La première partie de ce plan décrit les problèmes relatifs à l’application uniforme du
droit communautaire et à la réalisation du marché intérieur. Sa seconde partie propose des
mesures à court, moyen et long terme, qui combinent plusieurs options de la communication
du 11 juillet 2001. Les propositions reposent essentiellement sur les options 2° et 3°.
En premier lieu, sont proposées des mesures visant à améliorer le droit communautaire
existant. Dans une première étape, il s’agit d’établir un cadre commun de référence, qui
devrait fournir des principes communs et une terminologie commune en matière de droit
européen des contrats (document publiquement accessible et traduit dans toutes les langues
officielles). Les recherches en ce sens devraient commencer en 2004, et les résultats de ces
recherches ne devraient pas être connus avant 2007. Dans une seconde étape seulement, serait
utilisé ce cadre commun de référence.
En deuxième lieu, sont proposées des mesures de promotion de l’établissement de clauses
contractuelles types, par le biais d’un échange d’informations sur le web.
En troisième et dernier lieu, sont proposées des réflexions sur l’opportunité de mesures non
sectorielles comme un instrument optionnel, qui existerait en parallèle avec les droits
nationaux. Les réflexions devront porter sur les questions suivantes. Quel devrait être le
contenu d’un tel instrument ? Ne devrait-il concerner que des contrats entre commerçants ou
aussi des contrats entre commerçants et consommateurs ? S’agirait-il d’une solution dite opt-
out ou opt-in ? L’acte juridique proprement dit devrait-il être un règlement ou une
recommandation ? Quelle en serait la base légale ? Les résultats de toutes ces réflexions ne
sont pas attendus avant 2007.
Pour une présentation très détaillée de ce plan, cf. D. STAUDENMAYER, art. préc., n°8 à 16
Sur les réactions respectives du Parlement européen et du Conseil à l’égard de ce plan
(résolution du Parlement du 2 septembre 2003 et résolution du Conseil du 22 septembre
2003), cf. C. NOURISSAT, Droit civil de l’Union européenne (second semestre 2003), D.
2004, chron., p. 1321 et s., n°3 1599 Sur cette controverse, cf. notamment Le droit privé européen, sous la dir. de P. de
VAREILLES-SOMMIERES, Economica, 1998 ; L’harmonisation du droit des contrats en
Europe, sous la dir. de Ch. JAMIN et D. MAZEAUD, Economica, 2000 ; Ch. von BAR, Le
groupe d’études sur un Code civil européen, RID comp. 2001, p. 127 ; J. BASEDOW, Un
droit commun des contrats pour le Marché commun, RID comp. 1998, p. 7 et s. ; R.
CABRILLAC, L’avenir du Code civil, JCP 2004, I, 121 ; N. CHARBIT, art. préc. ; G.
CORNU, Un code civil n’est pas un instrument communautaire, D. 2002, chron., p. 351 ; B.
FAUVARQUE-COSSON, art. préc. ; J. FOYER, « Le Code civil est vivant. Il doit le
demeurer », JCP 2004, I, 120 ; Ph. GLAUDET, Le Code civil européen : une utopie ?, Droit
et patrimoine 2004, n°125, p. 32 et s. ; V. HEUZE, A propos d’une initiative européenne en
matière de droit des contrats, JCP 2002, I, 152 ; P. LEGRAND, Sens et non-sens d’un Code
civil européen, RID comp. 1996, p. 779 et s. ; Y. LEQUETTE, Quelques remarques à propos
du projet de code civil européen de M. von Bar, D. 2002, 2202 ; Y. LEQUETTE, Rapport de
synthèse du 100e Congrès des notaires de France, JCP 2004, éd. N., 1337 ; Ph. MALAURIE,
art. préc. ; R. SACCO, Non, oui, peut-être, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 163 et s. ; B.
MARKESINIS, Deux cents ans dans la vie d’un code célèbre. Réflexions historiques et
comparatives à propos des projets européens, RTD civ. 2004, p. 45 et s. ; C. PRIETO, Un
Code civil européen : de l’utopie à la prospective juridique, LPA 7 mai 2004, n°92, p. 19 et
Par conséquent, si « une codification plus méthodique du droit
communautaire »1601 et l’élaboration de principes communs en matière
contractuelle1602 sont tout à fait à l’ordre du jour, l’adoption d’un Code civil
européen, qui emporterait une réforme du droit des garanties personnelles, ne l’est
donc pas.
712. La réforme du droit des garanties personnelles aura nécessairement
lieu à l’occasion de la transposition de la directive communautaire sur le crédit
aux consommateurs. Une autre évolution du droit communautaire devrait, au
contraire, rendre inéluctable cette réforme. Il s’agit du projet d’harmonisation des
dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en
matière de crédit aux consommateurs, que concrétise une proposition de directive du
Parlement européen et du Conseil, en date du 11 septembre 20021603. Ce texte
s’applique, non seulement aux contrats de crédit, mais aussi aux « contrats de
sûreté »1604. S’il est définitivement adopté, une réforme du droit des garanties
personnelles sera inévitable1605, puisque, du fait de la structure pyramidale de notre
s. ; D. TALLON, Vers un droit européen du contrat, Mélanges A. Colomer, Paris, 1992,
p. 485 et s. ; F. TERRE et A. OUTIN-ADAM, L’année d’un bicentenaire, D. 2004, chron.,
p. 12 et s. ; C. WITZ, Plaidoyer pour un code européen des obligations, D. 2000, chron.,
p. 79 et s. 1600 D. STAUDENMAYER, art. préc., n°15 1601 J. CHIRAC, discours à la Sorbonne du 11 mars 2004, à l’occasion du bicentenaire du
Code civil : « Ce chantier (est) à bien des égards prioritaire par rapport à l’élaboration d’un
Code civil européen, qui ne pourra être conduite que dans le respect de la diversité et de la
richesse des différentes traditions nationales ». 1602 Des principes communs ont déjà été établis par la Commission Lando (Les principes du
droit européen des contrats, vol. 1, L’exécution, l’inexécution et ses suites, version française
par I. de LAMBERTERIE, G. ROUHETTE, D. TALLON, La Documentation française,
1997 ; Les principes du droit européen des contrats, vol. 2, Formation, validité,
interprétation ; D. TALLON, Les principes pour le droit européen du contrat : quelles
perspectives pour la pratique ?, Defrénois 2000, article 37182,
p. 683 et s.). Par ailleurs, s’est constituée en 1990, à l’initiative du professeur Gandolfi,
l’Académie des privatistes européens, qui a publié en 2001, en français, un Code européen
des contrats qui prend pour modèle le livre IV du Code civil italien. Une seconde partie est en
cours sur les contrats spéciaux. Parallèlement, le Groupe d’études sur le Code civil européen,
dirigé par le professeur von Bar, formé en 1998, a pris le relais de la Commission Lando. Les
thèmes qu’il aborde sont la vente, les contrats de service (y compris financiers et assurance),
les sûretés personnelles, les obligations non contractuelles, le transfert de propriété des
meubles, les trusts. En raison de ses ambitions plus politiques que doctrinales, ce groupe fait
l’objet de nombreuses critiques (sacrifice de la langue française, opacité des méthodes, défaut
de légitimité de ce groupe autoproclamé, absence de diffusion des travaux en cours). 1603 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'harmonisation
des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière
de crédit aux consommateurs (COM/2002/0443 final - COD 2002/0222 ; Journal officiel
n°31du 31/12/2002 p. 0200 – 0248).
Cf. http://europa.eu.int/prelex/detail_dossier_real.cfm?CL=fr&DosId=176090 1604 Seules les dispositions intéressant le « contrat de sûreté » feront l’objet de la présente
étude. 1605 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège d’un nouveau droit du
cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au cautionnement introduites par les
lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et sur la ville, JCP 2003, éd. E,
système juridique, il existera une « obligation juridique de légiférer »1606, c'est-à-
dire de transposer la directive communautaire. La proposition de directive sur le
crédit aux consommateurs constitue ainsi la seconde justification de la refonte du
droit des garanties personnelles (Chapitre 2).
p. 1610 et s., n°31 ; F. PASQUALINI, L’imparfait nouveau droit du cautionnement, LPA 3
février 2004, n°24, p. 3 et s., n°2 1606 Sur cette obligation, cf. J.-M. GARRIGOU-LAGRANGE, L’obligation de légiférer,
Mélanges Ardant, 1999, p. 306
CHAPITRE I
LA RECHERCHE DE L’EFFICACITÉ
713. La suppression des lacunes du droit en vigueur. L’efficacité des
garanties personnelles est aujourd'hui fragile en raison des lacunes que présentent les
textes et les décisions jurisprudentielles qui les régissent. Pour rendre plus sûre la
réalisation des attentes objectives et subjectives des bénéficiaires, doivent être
supprimées les fausses lacunes du droit du cautionnement, liées à la politique de
protection de la caution et au caractère inadéquat de certaines règles pour atteindre
l’objectif d’efficacité. Doit également être supprimée la vraie lacune du droit relative
aux autres garanties personnelles, c'est-à-dire le défaut de réglementation spéciale
les concernant.
Pour faire disparaître ces différentes lacunes, le droit des garanties personnelles
doit faire l’objet d’une refonte. La recherche de l’efficacité justifie, non seulement
l’étendue de la réforme (Section 1), mais aussi sa structure (Section 2)1607.
SECTION 1 : LA JUSTIFICATION
DE L’ÉTENDUE DE LA RÉFORME
714. La technique de suppression des lacunes dictée par l’objectif
d’efficacité : la réforme législative. Pour perfectionner l’efficacité des garanties
personnelles, une réforme législative est nécessaire. Le comblement des vraies
lacunes de la loi1608 ne doit pas être abandonné à la jurisprudence car, dans le silence
des textes, les juges ne parviennent pas à rendre la qualification et le régime des
1607 La recherche de l’efficacité dicte également le contenu de la réforme (cf. Titre 2). 1608 Sur les techniques permettant de combler les lacunes de la loi, cf. P. FORIERS, Les
lacunes du droit, in Le problème des lacunes du droit, Travaux du Centre national de
recherches de logique, études publiées par Ch. Perelman, éd. Bruylant, 1968, p. 25 et 26 ; Ch.
HUBERLANT, Les mécanismes institués pour combler les lacunes de la loi, in Le problème
des lacunes du droit, Travaux du Centre national de recherches de logique, études publiées par
Ch. Perelman, éd. Bruylant, 1968, p. 43 et s., spéc. p. 65 : « L’histoire du droit montre que
pour combler les lacunes de la loi, deux grands types de mécanismes institutionnels ont été
tour à tour établis : d’une part, l’obligation faite au juge de se référer à une autorité
extérieure à lui, laquelle est le plus souvent le législateur ; d’autre part, l’obligation faite au
juge de statuer même en cas de silence de la loi et de résoudre lui-même la difficulté » ; F.
TERRE, Les lacunes du droit, in Le problème des lacunes du droit, Travaux du Centre
national de recherches de logique, études publiées par Ch. Perelman, éd. Bruylant, 1968,
p. 157 : « Deux voies paraissent avoir été utilisées à cette fin par le droit : la règle et le
jugement ».
garanties personnelles innomées prévisibles1609. Sauf à statuer contra legem, la
jurisprudence n’est pas non plus en mesure de supprimer les fausses lacunes du droit
du cautionnement résultant de la politique légale de protection de la caution ou de
l’assimilation défectueuse des caractéristiques des garanties personnelles. La
recherche de l’efficacité justifie une intervention d’office du législateur1610 pour une
autre raison encore : seul le législateur est à même d’organiser une réforme de
l’ampleur que cette recherche exige, à savoir, non seulement une réforme
d’ensemble du droit du cautionnement (§1), mais aussi une réglementation de
l’ensemble des garanties personnelles (§2).
§1 : UNE REFORME D’ENSEMBLE
DU DROIT DU CAUTIONNEMENT
715. Les réformes partielles qu’a connues le droit du cautionnement ces
dernières années ont grandement contribué à rendre cette garantie inefficace. A
l’inverse, une refonte de cette matière pourrait faire disparaître les différentes
fausses lacunes qui en grèvent l’efficacité.
716. Une protection plus ciblée des intérêts de la caution. En premier lieu,
la fausse lacune tenant à la prédominance de la protection de la caution sur l’objectif
d’efficacité est susceptible d’être, sinon jugulée, du moins circonscrite par une
réforme d’ensemble du droit du cautionnement. En effet, si l’ampleur de la
modification du droit existant n’implique pas la poursuite de l’objectif d’efficacité, il
est raisonnable de penser qu’une réforme portant sur tous les éléments du régime du
cautionnement conduirait à une protection plus ciblée des intérêts de la caution. Une
telle réforme peut effectivement être l’occasion de mieux répartir la protection de la
caution tout au long de la vie du contrat de garantie et de supprimer les contraintes
imposées aux créanciers faisant double emploi.
717. Une assimilation plus complète des caractéristiques du
cautionnement. S’agissant, en deuxième lieu, de la fausse lacune provenant de la
mauvaise prise en compte des caractéristiques du cautionnement, une refonte du
droit en vigueur risque moins de la faire apparaître que des réformes ponctuelles.
Ces dernières ne s’attachent pas nécessairement à déduire les règles nouvelles des
caractéristiques du mécanisme réglementé. Au contraire, la refonte d’une matière
repose sur « la reconsidération de ses éléments fondamentaux »1611. L’assimilation
des caractéristiques du cautionnement, qui conditionne son efficacité, tant objective,
que subjective, pourrait donc être favorisée par une réforme d’ensemble.
1609 En tout état de cause, la jurisprudence, « véhicule d’évolution, et non de révolution, peut,
de nos jours, apparaître, en diverses circonstances, comme un remède trop lent, lorsque la
pratique constate les imperfections ou les lacunes du droit positif » (F. TERRE, ibid., p. 157). 1610 Depuis que l’article 4 du Code civil a supprimé le référé législatif, qu’avait institué
l’article 12 de la loi des 16-24 août 1790, le législateur ne peut combler les lacunes ou faire
dissiper les obscurités de la loi que de sa propre initiative, et non à la demande des juges. 1611 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, v° Refonte,
p. 746 : « espèce de réforme législative caractérisée par le remaniement tant au fond qu’en la
forme de l’ensemble des dispositions d’une matière et, en général, par la reconsidération de
ses éléments fondamentaux ».
718. Une amélioration de la qualité formelle du droit du cautionnement.
En troisième et dernier lieu, une réforme globale du droit du cautionnement est
nécessaire pour supprimer la fausse lacune résultant des défauts formels du droit
positif. Les réformes sectorielles de ces vingt dernières années ont provoqué
l’éclatement du droit du cautionnement et de multiples incohérences. La rationalité
des choix des créanciers s’en trouve compromise, tout autant que le respect des
prévisions extrinsèques et intrinsèques des parties. L’apparition de nombreux
facteurs d’efficacité pourrait, à l’inverse, être provoquée par une refonte du droit du
cautionnement.
Ainsi, le nombre des textes relatifs à cette garantie personnelle pourrait
diminuer grâce à la suppression des dispositions actuelles faisant double emploi1612.
L’accessibilité matérielle du droit du cautionnement pourrait également être
améliorée par le regroupement des textes le concernant. En facilitant de la sorte la
connaissance du droit, la rationalité des choix des créanciers serait plus étendue et
l’adéquation entre leurs attentes subjectives initiales et la finalité assignée au
cautionnement serait plus sûre.
En outre, l’approche systémique, que développe plus facilement le législateur à
l’occasion d’une réforme globale que d’une réforme partielle, favorise
l’intelligibilité du droit, car elle tend à l’ajustement, à la complémentarité de ses
règles. Cette accessibilité intellectuelle du droit conforterait également l’adéquation
entre les deux niveaux d’attentes subjectives des créanciers.
C’est encore la cohérence qu’emporte une réforme d’ensemble qui pourrait
renforcer l’efficacité du cautionnement. En effet, le remaniement général des
dispositions légales permet de supprimer les contradictions, mais aussi d’articuler
les règles ayant un même objet, de manière à éviter des cumuls injustifiés, facteurs
d’inefficacité. La stabilité de l’interprétation des règles de droit, résultant de cette
cohérence, augmenterait les chances de réalisation de la finalité assignée au
cautionnement et rendrait par conséquent plus sûre l’efficacité de ce dernier.
719. Si la recherche de l’efficacité justifie donc une refonte du droit du
cautionnement, elle implique également que celui-ci ne soit pas la seule garantie
personnelle concernée par la réforme. La suppression de la vraie lacune du droit
relative aux garanties personnelles innomées exige, en effet, une réglementation de
l’ensemble des garanties personnelles.
§2 : UNE REFORME
DE L’ENSEMBLE DES GARANTIES PERSONNELLES
720. D’une logique de substitution à une logique de complémentarité. La
coexistence de fait entre le cautionnement et toutes les autres garanties personnelles
1612 En cas de réforme du droit du cautionnement, l’un des objectifs du législateur « devrait
être la simplification du droit du cautionnement. Un toilettage des dispositions s’impose.
Beaucoup de textes se cumulent inutilement » (D. LEGEAIS, Le Code de la consommation
siège d’un nouveau droit du cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au
cautionnement introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et
sur la ville, JCP 2003, éd. E, p. 1610 et s., n°31).
rend incertaine l’efficacité de celles-ci. Les juges considérant les garanties
personnelles innomées comme des substituts du cautionnement, ils cherchent
souvent, d’une part, à les requalifier, quitte à rendre imprévisibles les critères de
qualification, et, d’autre part, à remettre en cause leur autonomie normative, quitte à
manipuler les règles du droit commun des contrats ou à faire une application a pari
injustifiée des règles protectrices de la caution.
Pour empêcher l’apparition de ces facteurs d’inefficacité, il est nécessaire de
remplacer la logique actuelle de contournement par une logique de complémentarité
entre les différentes garanties personnelles. A cette fin, le législateur devrait cesser
de ne s’intéresser qu’au seul cautionnement et réglementer, au contraire, l’ensemble
des garanties personnelles.
721. Les facteurs d’efficacité favorisés par une réforme de l’ensemble des
garanties personnelles. La reconnaissance légale de toutes les garanties
personnelles, ainsi que la détermination légale de leur régime, devraient conforter la
réalisation de la finalité qui leur est assignée, en tarissant les contestations fondées
sur la fraude au droit du cautionnement, et en empêchant la remise en cause des
prévisions intrinsèques des parties par requalification ou application de règles
inattendues, tant du droit commun des contrats, que du droit du cautionnement.
En amont, la « juridification »1613 des garanties personnelles innomées devrait
également favoriser la conformité de la finalité du contrat conclu aux attentes
initiales du bénéficiaire. En effet, en rendant le droit applicable prévisible, elle est
susceptible d’améliorer la rationalité des choix des créanciers.
Par ailleurs, en permettant un choix positif du mécanisme de garantie, c'est-à-
dire un choix uniquement dicté par les attraits propres de ce mécanisme au regard
des besoins à satisfaire, elle devrait augmenter les chances d’adéquation entre les
deux niveaux d’attentes subjectives des créanciers.
722. Une réforme de l’ensemble des garanties personnelles n’est pas une
entrave à la réalisation des attentes subjectives des créanciers. Si la réforme de
l’ensemble des garanties personnelles peut donc supprimer des facteurs
d’inefficacité et faire apparaître certains facteurs d’efficacité subjective, il convient
de se demander si, dans le même temps, elle ne risque pas d’entraver l’efficacité in
concreto, en restreignant la liberté des créanciers de protéger leurs intérêts.
Autrement dit, une réforme d’ensemble empêcherait-elle nécessairement l’efficacité
que l’on peut attribuer au caractère innomé d’une garantie personnelle ?
Une réponse négative s’impose, car l’efficacité subjective dépend, en réalité, de
la place que la réglementation laisse à la liberté contractuelle, et de la façon dont
cette réglementation appréhende les attraits propres des différents mécanismes (les
envisage-t-elle et, le cas échéant, en les préservant ou en leur portant atteinte ?). Ce
n’est donc pas le caractère innomé lui-même qui fait l’objet d’attentes subjectives,
mais bien plutôt la souplesse qu’il autorise. Dès lors que cette souplesse est
préservée par la réforme d’ensemble des garanties personnelles, la réalisation des
1613 La « juridification » est la « consécration par la loi d’une pratique jusqu’alors non
réglementée »
(A. JEAMMAUD, Introduction à la sémantique de la régulation juridique, Des concepts en
jeu, in Les transformations de la régulation juridique, LGDJ, 1998, coll. « Droit et société.
Recherches et travaux », n°5, dirigé par J. CLAM et G. MARTIN, p. 65).
attentes subjectives est tout à fait possible. Une telle réforme constitue bien, alors,
une réponse adéquate à la recherche d’efficacité.
723. La question de la forme de la réglementation d’ensemble. Démontrer
qu’une réforme portant sur toutes les garanties personnelles est source d’efficacité
est nécessaire, mais ne résout pas toutes les difficultés. Se pose ensuite le problème
de savoir si chaque garantie personnelle doit être réglementée de manière isolée,
c'est-à-dire sans prendre en compte l’existence des autres mécanismes de garantie,
ou, au contraire, en ayant égard à la diversité de ces garanties. Quelle forme la
réglementation d’ensemble doit-elle donc revêtir pour rendre plus sûre l’efficacité de
toutes les garanties personnelles ?
SECTION 2 : LA JUSTIFICATION
DE LA STRUCTURE DE LA RÉFORME
724. Les techniques de réglementation d’ensemble inadéquates au regard
de l’objectif d’efficacité. La reconnaissance de la licéité de quelques mécanismes
seulement et l’interdiction pure et simple de tous les autres ne permettraient pas de
satisfaire l’objectif d’efficacité. En effet, une telle réglementation compromettrait
sérieusement l’efficacité in concreto des contrats conclus, car elle empêcherait le
choix en faveur de garanties répondant aux attentes initiales des créanciers1614. Elle
risquerait, par conséquent, de perpétuer la quête de solutions de substitution et de
provoquer l’apparition des facteurs d’inefficacité liés à la logique de contournement.
La validation de tous les mécanismes utilisés aujourd'hui par la pratique
pourrait également favoriser ces facteurs d’inefficacité si elle n’était assortie que de
règles propres aux différentes garanties personnelles. En effet, une telle
réglementation d’ensemble supprimerait, dans un premier temps, la vraie lacune du
droit, mais n’empêcherait pas, à terme, la constitution de nouvelles garanties
personnelles, dont l’efficacité risquerait d’être fragilisée de la même manière que
l’est celle des actuelles garanties personnelles innomées. D’autres facteurs
d’inefficacité pourraient encore accompagner la réglementation isolée des diverses
garanties personnelles. Ainsi, l’augmentation importante du nombre de dispositions
légales pourrait entraver la connaissance du droit applicable, et donc la rationalité
des choix des créanciers. En outre, le défaut d’harmonisation des règles régissant les
différentes garanties personnelles risquerait de rendre le droit en vigueur tout à la
fois inintelligible et instable, et donc de compromettre la réalisation des attentes des
créanciers. Finalement, c’est l’absence d’assimilation des caractéristiques partagées
par toutes les garanties personnelles, qui pourrait menacer l’efficacité subjective de
celles-ci.
725. La structure adéquate au regard de l’objectif d’efficacité. La
recherche de l’efficacité invite à envisager une réglementation d’ensemble, qui
repose, non seulement sur des règles propres aux principales garanties personnelles,
1614 C’est ce risque de rigidité qui a conduit les auteurs du Code civil à écarter la
détermination légale et impérative d’un régime matrimonial, au profit de la liberté des
conventions matrimoniales (cf. J. FLOUR et G. CHAMPENOIS, Les régimes matrimoniaux,
Armand Colin, 2e éd., 2001, n°4).
mais aussi sur des règles communes à toutes ces garanties. La réforme de toutes les
garanties personnelles ne pourra rendre plus sûre leur efficacité que si elle institue
un régime primaire, complété par des règles spéciales (§1), fondés respectivement
sur les caractéristiques communes des garanties personnelles et sur leurs
caractéristiques distinctives (§2).
§1 : UN REGIME PRIMAIRE
COMPLETE PAR DES REGLES SPECIALES
726. Un régime primaire, complété par des règles spéciales, n’est pas une
forme de réglementation inconnue de notre droit, puisque, en matière matrimoniale,
existe déjà « un régime de base, une couche première sur laquelle s’articulent des
régimes particuliers »1615. En matière de garanties, cette structure ne caractérise
certes pas les textes actuels, mais le droit romain l’avait expérimentée1616 et elle est
aujourd'hui vivement préconisée par la doctrine, surtout à l’égard des sûretés
réelles1617, mais aussi à propos des garanties personnelles1618.
1615 G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil, Les régimes matrimoniaux, 2e éd., par P.
RAYNAUD, Sirey, 1986, n°20. Si « l’expression « régime primaire » évoque avec justesse
l’idée que tous les régimes matrimoniaux reposent sur une base commune, qui s’impose à la
volonté des époux » (J. FLOUR et G. CHAMPENOIS, Les régimes matrimoniaux, Armand
Colin, 2e éd., 2001, n°53), cette dénomination a été initialement critiquée comme laissant
croire que les règles communes peuvent constituer à elles seules un régime matrimonial
complet et suffisant (en ce sens, cf. AUBRY et RAU, Droit civil français, Contrat de
mariage, Régimes matrimoniaux, t. VIII, 7e éd., par P. ESMEIN et A. PONSARD, Librairies
techniques, 1973, n°9 ; A. COLOMER, Droit civil, Régimes matrimoniaux, 10e éd., Litec,
2000, n°62 ; J. FLOUR et G. CHAMPENOIS, ibid., n°53). Même si aujourd'hui certains
(AUBRY et RAU, ibid., n°9 ; J. FLOUR et G. CHAMPENOIS, ibid., n°53) ; « statut
impératif de base » (A. COLOMER, ibid., n°60 ; J. FLOUR et G. CHAMPENOIS, ibid.,
n°53) ; « règles applicables à tous les époux » (J. FLOUR et G. CHAMPENOIS, ibid.,
n°53)), celle de régime primaire fait désormais l’objet d’un consensus et sa signification est
dénuée d’ambiguïté. C’est en raison de ce pouvoir évocateur que nous reprenons l’expression
« régime primaire ». 1616 En 531, l’empereur Justinien fut à l’origine d’une importante unification des règles
applicables au cautionnement et à ses dérivés. Ainsi, la sponsio et la fidepromissio disparurent
et les textes les régissant furent étendus à la fideiussio. Le caractère extinctif de la litis
contestatio fut supprimé, tant à l’égard des cautions, que des débiteurs solidaires. Les règles
du mandatum pecuniae credendae (cautionnement non formaliste, dans lequel le mandant
était garant et le mandataire créancier) et de la fideiussio furent rapprochées. Grâce à ces
différentes mesures, Justinien entendait rendre inutile le recours à des expédients pour
échapper à l’effet extinctif de la litis contestatio, qui correspond à notre extinction pour non
déclaration de la créance à la procédure collective du débiteur.
Sur cette unification, cf. R. MONIER, Manuel de droit romain, Les obligations, Domat-
Montchrestien, 5ème éd., 1954, n°228 ; J.-P. LEVY et A. CASTALDO, Histoire du droit civil,
Dalloz, 2002, n°748 1617 En faveur d’un régime primaire des sûretés réelles, cf. P. CROCQ, L’évolution des
garanties du paiement : de la diversité à l’unité, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 317 et
s., n°22, 23 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°520 à 526 ; Ph. SIMLER et Ph.
DELEBECQUE, n°19, 261
Afin d’établir que cette structure mérite effectivement d’être défendue, comme
étant susceptible d’engendrer de multiples facteurs d’efficacité (B), il convient d’en
rappeler les fondements logique et méthodologique (A).
A/ LES FONDEMENTS LOGIQUE ET METHODOLOGIQUE
DE CETTE STRUCTURE
727. Le fondement logique : l’analogie. D’un point de vue logique, la mise
en place d’un régime primaire repose sur un raisonnement analogique. Ici, l’analogie
« est une inspiratrice de l’art législatif, dont la « force créatrice » agit en amont de
la loi »1619. L’analogie comme technique législative se distingue de l’application a
pari des règles d’un mécanisme nommé à un mécanisme innomé.
Plus généralement, c’est la logique formelle qui inspire la création, tant d’un
régime primaire, que de régimes particuliers. En vertu de cette logique, les identités
de nature doivent conduire à des identités de régime (Ubi eadem ratio, idem jus) et,
inversement, les différences de nature doivent conduire à des différences de
régime1620.
728. Le fondement méthodologique : la catégorisation. Pour mettre en
œuvre cette logique formelle, et donc pour instaurer un régime primaire et des règles
spéciales, il est nécessaire d’opérer un travail de catégorisation. « Il ne s’agit plus
Des auteurs ont même divisé leur traité en deux volumes distincts, l’un consacré au droit
commun des sûretés réelles, l’autre au droit spécial (J. MESTRE, E. PUTMAN et M.
BILLIAU, Traité de droit civil, Droit commun des sûretés réelles, LGDJ, 1996 ; Traité de
droit civil, Droit spécial des sûretés réelles, LGDJ, 1996). 1618 Ph. DUPICHOT, th. préc., n°476 : « encore largement en devenir, l’unification du droit
foisonnant des sûretés personnelles autour d’un droit commun ne peut procéder que du
modèle du cautionnement » ; D. LEGEAIS, Le cautionnement à première demande, Mélanges
M. Vasseur, Banque Editeur, 2000, p. 96 ; D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège
d’un nouveau droit du cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au
cautionnement introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et
sur la ville, JCP 2003, éd. E, p. 1610 et s., n°31 : « le Code civil doit à nouveau énoncer
quelques principes clairs, proposant un droit commun applicable à l’ensemble des cautions et
distinguant clairement les différents cautionnements » ; V. BREMOND, note sous CA
Versailles, 16e ch., 2 mai 2002, Defrénois 2003, article 37808 ; M. CABRILLAC et Ch.
MOULY, n°34-1 : « la question est de savoir s’il existe une sorte de théorie générale des
sûretés personnelles qui distinguerait ce qui est leur régime primaire impératif de ce qui est
propre à chacune » ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°6-3 : « un
régime de base pourrait être esquissé, malgré de vifs contrastes entre les différentes garanties
personnelles » ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°19 : « il convient de faire le départ
entre les solutions liées au caractère essentiellement accessoire du cautionnement et celles
tenant à sa nature de sûreté personnelle. Ces dernières peuvent constituer un « régime
primaire » des garanties personnelles dont on peut déceler des indices en législation » ; Ph.
SIMLER, n°864, 891 1619 G. CORNU, Le règne discret de l’analogie, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p. 129,
134. 1620 Sur ce principe, cf. J.-L. BERGEL, Différence de nature = différence de régime, RTD civ.
1984,
p. 255 et s., n°3 ; J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Dalloz, Coll. Méthodes du droit,
1999, n°192
d’étudier chaque mécanisme juridique en soi mais de le comparer aux autres pour
l’en rapprocher ou l’en dissocier. Il faut regrouper dans une même catégorie,
soumise à un régime déterminé, les entités les plus profondément semblables et
séparer en catégories différentes, dotées de règles différentes, des entités
foncièrement dissemblables»1621.
729. Les étapes de la catégorisation. Le travail de classification1622 comporte
ainsi deux étapes. Il commence par la découverte inductive1623 des traits communs
aux mécanismes étudiés et de leurs différences significatives1624. Il se poursuit par le
regroupement des espèces similaires en un même genre et par la subdivision du
genre en ses différentes espèces1625.
Cette seconde étape est particulièrement décisive, puisque c’est à cette occasion
que des distinctions sont opérées entre les mécanismes étudiés. Pour ne pas
compromettre l’efficacité de ceux-ci, l’opération de distinction doit, non seulement
être menée en considération de l’objectif à atteindre, mais elle doit aussi faire l’objet
de précautions méthodologiques élémentaires1626. Il convient ainsi d’identifier et
d’expliciter les critères de catégorisation1627, et de « s’assurer de leur indépendance
lorsque l’on entend en superposer plusieurs, pour définir, ou plutôt pour
« encadrer » un objet par ses attributs essentiels »1628.
Cette opération de distinction fait apparaître des catégories générales1629, qui
peuvent elles-mêmes être subdivisées en sous-catégories spéciales1630. Le nombre
1621 J.-L. BERGEL, art. préc., n°9 ; J.-L. BERGEL, op. cit., n°189 1622 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002,
V° Classification, p. 153 : « action de regrouper systématiquement les éléments homogènes
ou hétérogènes d’un ensemble en un tableau rationnel comportant une division majeure
fondée sur un critère dominant et des sous-distinctions fondées sur divers critères combinés
(notamment par genre et espèce), afin de proposer à l’analyse, dans l’abstrait, une référence
élaborée ». 1623 Pour catégoriser, il faut partir des données connues, c'est-à-dire des objets mêmes qu’il
convient de regrouper. En faveur de ce passage du particulier au général, du concret à
l’abstrait, cf. J.-L. BERGEL, op. cit., n°190 ; Ch. EISENMANN, Quelques problèmes de
méthodologie des définitions et des classifications en science juridique, in La logique du
droit, APD, tome XI, Sirey, 1966, p. 24 et s., n°11 1624 Sur cette première étape, cf. J.-L. BERGEL, art. préc., n°3 ; J.-L. BERGEL, op. cit.,
n°193 1625 En ce sens, cf. J.-L. BERGEL, art. préc., n°9 ; Ch. EISENMANN, art. préc., n°10, 15 1626 En ce sens, cf. J.-L. BERGEL, art. préc., n°9, 20 ; J.-L. BERGEL, op. cit., n°194, 197 ;
M.-L. IZORCHE, Réflexions sur la distinction, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 53 et s.,
n°4 ; T. TAURAN, Les distinctions en droit civil, LPA 7 avril 2000, n°70, p. 5 et s. 1627 « Le choix du principe de classification est la première démarche, celle qui décidera de
tout le reste » (Ch. EISENMANN, art. préc., n°14).
Il est nécessaire d’identifier et d’expliciter, d’une part, « les critères de liaison », pour
regrouper des espèces similaires en un même genre et, d’autre part, « les critères de
dissociation », pour subdiviser un genre en espèces. Sur ces deux types de critères, cf. J.-L.
BERGEL, op. cit., n°193. Sur l’identification de ces différents critères, en matière de
garanties personnelles, cf. infra n°737-743 1628 M.-L. IZORCHE, art. préc., n°14 1629 La catégorie est un « schéma abstrait qui ne retient que les traits communs à une espèce »
(J.-L. BERGEL, art. préc., n°3). Il s’agit, « dans un ensemble (une classification), (du) groupe
des catégories ne doit pas être excessif, sinon elles deviennent inutilisables1631.
Néanmoins, il ne faut pas se contenter de quelques catégories très générales, car le
risque est alors de faire entrer dans l’une d’elles des éléments trop disparates.
730. La définition des catégories. Comme « le droit a besoin de reconnaître
à des signes extérieurs les catégories qu’il utilise »1632, les catégories fondées sur les
critères de liaison, aussi bien que celles fondées sur les critères de différenciation,
doivent être définies avant d’être soumises à un régime déterminé. La recherche de
l’efficacité invite à faire figurer ces définitions dans la loi elle-même1633, et à
préférer les « définitions terminologiques »1634 aux « définitions réelles »1635. En
effet, si ces dernières ont une valeur scientifique plus accusée1636, les premières
présentent de nombreux avantages, au regard de l’objectif d’efficacité des garanties
personnelles : elles ont immédiatement une valeur d’usage, elles sont d’utilisation
simple, elles atteignent un haut degré de certitude et de précision, et leur plasticité
permet de les adapter facilement aux évolutions de la pratique1637.
731. Une fois identifiée la nature des mécanismes à réglementer et opérés les
travaux de classification et de définition des catégories, le législateur peut faire un
emploi judicieux et sûr de l’analogie, et mettre en œuvre la logique formelle, en
instaurant des règles communes à tous les mécanismes appartenant au même genre
et des règles propres aux différentes espèces de ce genre. Le régime primaire et les
règles spéciales ainsi créés satisfont l’objectif d’efficacité.
distinctif d’éléments présentant des caractères semblables » (Vocabulaire juridique, dirigé
par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V°Catégorie, p. 132). 1630 En ce sens, cf. J.-L. BERGEL, ibid., n°3 1631 « La multiplication des distinctions finit par épuiser le principe même de la distinction »
(M.-L. IZORCHE, art. préc., n°15). Dans le même sens, cf. F. TERRE, Introduction générale
au droit, 5e éd., Dalloz, 2000, n°364 1632 J.-L. BERGEL, art. préc., n°3 1633 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, L’imprévisible droit des garanties personnelles, Mélanges
Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 670 : en cas de réforme, l’une des missions du législateur serait de
« rétablir des qualifications satisfaisantes dans le droit des garanties personnelles pour lui
donner cohérence et efficacité ».
Sur les avantages des définitions légales, en termes d’efficacité, cf. supra n°222 1634 Selon le Doyen Cornu (Les définitions dans la loi, Mélanges Vincent, 1981, p. 77 et s.,
n°8 et s.), les définitions terminologiques « portent sur la paille des mots ». Il s’agit de
définitions de termes relatives et empiriques. « Le sens retenu est présenté comme étant, sans
autre prétention, celui que revêt le mot dans la loi à laquelle se rattache le chapitre de
définition ». Les définitions terminologiques ne sont donc que des « explications de texte »,
des « conventions de langage ». 1635 Selon le Doyen Cornu (ibid., n°8 et s.), les définitions réelles « portent sur le grain des
choses ». Elles sont objectives, substantielles, et ont pour caractéristique de porter sur les
choses mêmes. A partir de la réalité qu’elles appréhendent, elles déterminent une notion
juridique. 1636 « D’un point de vue scientifique, la définition réelle est supérieure à la définition
terminologique car elle accède, par hypothèse, à un certain degré de généralité,
d’abstraction et de rationalité. (…) Elle forge des unités logiques qui ont une valeur
doctrinale » (G. CORNU, ibid., n°32). 1637 Sur ces différents avantages, cf. G. CORNU, ibid., n°34 à 36
B/ L’EFFICACITE DE CETTE STRUCTURE
732. La complexification du droit des garanties personnelles, qui pourrait être
reprochée à la mise en place d’un régime primaire assorti de règles spéciales, est
amplement contrebalancée par les avantages que présente ce type de réglementation,
au regard de l’objectif d’efficacité.
733. Les facteurs d’efficacité procédant de la logique formelle et de la
catégorisation. Tout d’abord, cette structure jouit des mêmes avantages que ceux
caractérisant ses fondements logique et méthodologique. Parmi ces avantages,
certains sont susceptibles d’augmenter les chances de conformité entre les attentes
subjectives initiales des créanciers et la finalité assignée à la garantie personnelle
conclue.
Il s’agit, en premier lieu, de l’économie de textes, à laquelle conduit la
catégorisation1638, et qui favorise une meilleure connaissance du droit applicable.
Il s’agit, en deuxième lieu, de la légitimité1639, tenant au fait que la logique
formelle repose sur l’équité1640 et l’impartialité1641. Cette légitimité rend le droit
intelligible et améliore, ce faisant, la rationalité des choix des créanciers.
Il s’agit, en troisième lieu, de la cohérence, que génère le recours aux
catégories1642, et qui rend également le droit plus compréhensible. Cette cohésion
rend aussi plus sûre la seconde adéquation définissant l’efficacité in concreto, à
savoir l’adéquation entre la finalité assignée à la garantie personnelle et les effets
qu’elle produit. La cohérence du droit participe, en effet, à la stabilité de son
interprétation et, par conséquent, assure le respect des prévisions des parties.
Le maintien de ces prévisions est d’autant plus probable qu’en ayant recours à
l’analogie comme technique législative, les incertitudes liées au nivellement
jurisprudentiel des régimes des différentes garanties personnelles se trouvent
évincées1643.
734. L’efficacité d’un régime primaire. Outre toutes ces qualités formelles,
l’instauration de règles impératives communes à l’ensemble des garanties
personnelles présente d’autres avantages, en termes d’efficacité.
1638 La loi de l’économie de moyens, qui consiste à faire le plus possible avec le moins
d’éléments possible, innerve le travail de catégorisation. En ce sens, cf. J.-L. BERGEL, op.
cit., n°190 : « pour appréhender tous les aspects de la vie avec un nombre raisonnable de
règles juridiques, il faut les intégrer dans des classifications tranchées à portée exhaustive » ;
G. CORNU, Le règne discret de l’analogie, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p. 136 1639 En ce sens, cf. Ch. EISENMANN, art. préc., n°15 : « toute classification conforme aux
principes élémentaires de la logique n’est logiquement pas critiquable mais est logiquement
admissible ». 1640 En ce sens, cf. G. CORNU, art. préc., p. 137 : « le règne de l’analogie est le règne même
de l’équité. L’équité commande de traiter semblablement des choses semblables ». 1641 En ce sens, cf. J.-L. BERGEL, op. cit., n°190 1642 En ce sens, cf. J.-L. BERGEL, ibid., n°190 : « le recours aux catégories permet de
renforcer la rationalité et la cohérence du droit » ; G. CORNU, art. préc., p. 137 1643 G. CORNU (ibid., spéc. p. 132) a ainsi démontré la supériorité, au regard de l’impératif
de sécurité, de l’analogie comme technique législative sur l’analogie dans l’interprétation, qui
est un « exercice intellectuel, en un sens acrobatique ».
D’une part, en entravant la logique de contournement, le régime primaire
pourrait empêcher l’apparition des facteurs d’inefficacité liés à l’assimilation des
garanties personnelles jusqu’ici innomées à des substituts du cautionnement.
D’autre part, sous réserve de reposer sur des critères de liaison suffisamment
généraux, les règles communes à toutes les garanties personnelles pourraient
immédiatement s’appliquer à des mécanismes encore non utilisés à cette fin1644. Cela
éviterait, non seulement une nouvelle vraie lacune du droit et l’inefficacité en
découlant, mais aussi l’obsolescence rapide de la réforme, et donc l’inefficacité
résultant de l’instabilité des règles de droit.
735. L’efficacité des règles spéciales. S’agissant des avantages de la création
de règles spéciales, ils tiennent à la suppression de la vraie lacune du droit, à
l’assimilation des caractéristiques distinctives des garanties personnelles, et à
l’instauration d’une complémentarité entre celles-ci, nécessaire à la satisfaction des
attentes spécifiques des créanciers nées lors de l’octroi de crédit au débiteur1645.
736. La recherche de l’efficacité conduit donc à préconiser une réforme de
l’ensemble des garanties personnelles, qui s’articulerait autour, d’une part, d’un
régime primaire, c'est-à-dire de règles applicables à toutes ces garanties et, d’autre
part, de règles spéciales, propres aux principales catégories de garanties
personnelles.
La recherche de l’efficacité dicte, par ailleurs, les fondements de cette structure
dans le domaine qui nous occupe, c'est-à-dire les critères de catégorisation des
garanties personnelles.
§2 : LES CRITERES DE CATEGORISATION
DES GARANTIES PERSONNELLES
737. La catégorisation n’est pas neutre. Elle est commandée par l’objectif
à atteindre. « Plusieurs classifications, une multitude, sont généralement possibles,
parce que toute classe d’objets présente de multiples traits, que chacun d’eux peut
servir de principe à une classification»1646. Les catégories ne sont pas de la nature
des choses, elles ne préexistent pas à l’intervention des juristes1647. Les bases de la
1644 Sur l’utilité de la classification « lorsqu’elle permet de regrouper de façon rationnelle
tous les contrats spéciaux existants et tous les rapports contractuels nouveaux susceptibles de
se former en leur conférant une réglementation de base suffisante, quand ils sont dépourvus
de toute réglementation », cf. J.-F. OVERSTAKE, Essai de classification des contrats
spéciaux, LGDJ, 1969, spéc. p. 15 et s.
Sur la nécessaire flexibilité des catégories juridiques, se reconnaissant à leur capacité
ibid., n°18 et 19 : « souvent, la distinction est opérée non à cause d’une certaine conception
(plus ou moins consciente) du réel, mais afin de suggérer une certaine conception du monde
(instrument d’orientation de la pensée) ». 1649 Ch. EISENMANN, ibid., n°17 et 18 1650 Pour de plus amples développements sur ces caractéristiques communes à l’ensemble des
garanties personnelles, cf. supra n°244-247 ; 254 ; 261-279
l’absence d’existence autonome du mécanisme de garantie, à l’affectation exclusive
du droit de créance contre le garant au service de l’extinction de la créance1651 et,
enfin, au fait que la cause finale de l’obligation de règlement du garant réside dans
l’extinction de l’obligation principale.
739. Les conséquences de l’assimilation des caractéristiques communes.
Le premier type de caractéristiques communes à l’ensemble des garanties
personnelles se retrouve dans d’autres mécanismes ayant pour fonction de protéger
le créancier contre une perte pécuniaire, alors que le second type de caractéristiques
communes est spécifique aux garanties personnelles.
L’assimilation de ces caractéristiques communes, qui conditionne l’adéquation
entre le contenu du droit et l’objectif d’efficacité, devrait conduire à appliquer les
règles fondées sur les effets principaux de la garantie à l’égard du créancier et du
débiteur à tous les mécanismes qui, comme les garanties personnelles, produisent
ces effets. Nous avons appelé ces mécanismes « garanties de paiement » et
« garanties de crédit ».
En revanche, l’exigence d’assimilation et l’objectif d’efficacité devraient se
traduire par l’application aux seules garanties personnelles, mais à toutes celles-ci,
des règles fondées sur leurs caractéristiques techniques spécifiques.
La recherche de l’efficacité justifie ainsi que, au sein du nouveau régime
primaire des garanties personnelles, certaines dispositions soient propres à
l’ensemble de ces contrats1652 et que d’autres, au contraire, puissent être également
appliquées à toutes les garanties de paiement, ou à toutes les garanties de crédit1653,
voire à tous les mécanismes ayant pour raison d’être d’augmenter la potentialité du
dénouement satisfactoire de l’opération de crédit principale1654.
Si la recherche de l’efficacité exerce ainsi une influence sur la structure du
régime primaire, elle dicte également le choix des critères de différenciation fondant
les règles spéciales.
B/ LES CRITERES DE DIFFERENCIATION
FONDANT LES REGLES SPECIALES
740. Les différences pouvant séparer les garanties personnelles sont légion.
C’est la raison pour laquelle les critères de différenciation à la base des règles
spéciales sont eux-mêmes très nombreux. Ici encore, c’est le problème à résoudre, à
savoir le perfectionnement de l’efficacité des garanties personnelles, qui doit guider
le choix des critères de dissociation. Après avoir donné des exemples de critères non
pertinents, au regard de la recherche de l’efficacité, nous rappellerons les
caractéristiques distinctives des garanties personnelles dont l’assimilation constitue
une condition de la satisfaction des attentes subjectives des créanciers.
1651 Ces deux premiers éléments constitutifs de la notion de caractère accessoire essentiel sont
également les éléments constitutifs de la notion d’accessoire de la créance. Cf. supra n°273,
274 1652 Sur ces règles du régime primaire propres aux garanties personnelles, cf. infra n°796-847 1653 Sur les règles applicables à toutes les garanties de paiement, cf. infra n°851-859. Sur les
règles applicables à toutes les garanties de crédit, cf. infra n°861-867 1654 Sur les règles applicables à toutes les garanties, cf. infra n°869-873
741. Les critères de différenciation dénués de portée normative. Compte
tenu de la problématique retenue, manquent tout d’abord de pertinence les critères
de différenciation insusceptibles de fonder des règles spéciales. Tel est le cas des
critères conduisant à des distinctions uniquement descriptives, pédagogiques1655.
Il en va ainsi du critère lié à l’origine des garanties personnelles, sur lequel
repose la distinction entre les sûretés traditionnelles et les sûretés issues de la
pratique, ou encore la distinction entre le cautionnement, les sûretés personnelles
nées de la pratique et les techniques classiques du droit des obligations.
Il en va également ainsi du critère reposant sur les créances pouvant être
garanties et conduisant à la distinction entre les sûretés polyvalentes et les sûretés
monovalentes1656.
742. Une différenciation non pertinente au regard de l’objectif
d’efficacité : la distinction entre les garanties et les sûretés. Au regard de
l’objectif de renforcement de la sécurité des créanciers, se révèlent également
insatisfaisants les critères de dissociation dépourvus d’intérêt aux yeux des
bénéficiaires. Le critère reposant sur le caractère exclusif ou non de la fonction de
1655 Certaines catégories « n’ont qu’une fonction pédagogique ou classificatoire : elles
appartiennent non au domaine du droit positif, mais à celui de la science du droit. Elles sont
créées par la doctrine pour les besoins épistémologiques de la réflexion liée à la
compréhension, à l’analyse critique et à la connaissance du phénomène juridique ». Elles
s’opposent aux catégories fonctionnelles, qui « sont directement utilisables en pratique et
permettent la mise en application concrète de la règle de droit » (C. NOBLOT, La qualité du
contractant comme critère légal de protection. Essai de méthodologie législative, LGDJ,
2002, préf. F. LABARTHE, n°15 et 16). 1656 M. DAGOT, Sûretés monovalentes et sûretés polyvalentes, JCP 1999, éd. N., p. 381 :
« les sûretés polyvalentes peuvent garantir n’importe quelle créance ; les sûretés
monovalentes ne peuvent garantir que les créances pour la garantie desquelles elles ont été
instituées et ne peuvent intervenir qu’une seule fois au sein d’un patrimoine déterminé ».
Comp. Ch. MOULY, Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les sûretés,
Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 129 et s. : distinction entre les techniques
ponctuelles de garantie, qui ne peuvent donner satisfaction que dans un domaine limité, et les
techniques universelles.
garantie1657, qu’une partie de la doctrine retient pour distinguer les sûretés des
garanties1658, en est l’illustration topique.
Théoriquement, il est possible et intéressant1659 de fournir une définition
moniste de la sûreté1660, distincte de celle de la garantie, en s’attachant à la raison
1657 Cf. D. LEGEAIS, th. préc., n°32 (distinction entre la « garantie par nature », qui ne peut
avoir d’autres fonctions, et la « garantie par destination », qui n’a pas nécessairement une
fonction de garantie et, si cette fonction existe, elle n’est pas unique et est toujours liée à la
création ou au transfert d’un droit) ; R. PERROT, De l’influence de la technique sur le but des
institutions, dir. LE BALLE, Sirey, 1947 (distinction entre les techniques spécialement créées
en vue de la protection du créancier et les techniques non spécialement conçues dans ce but,
mais qui présentent une plasticité suffisante pour lui être adaptées, compte tenu des besoins de
la pratique) ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°2 et 4 (distinction entre l’objectif
directement recherché par les parties, l’essence d’une institution, et l’effet annexe) ; J.
MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°11 et 14 (distinction entre les « techniques
spécifiques » et les techniques indirectes, « transférables » vers d’autres objectifs) ; Ph.
SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°5 (distinction entre le principal objectif poursuivi par les
parties et la garantie comme effet induit de la technique contractuelle choisie, dont les parties
n’ont pas été conscientes au moment de l’engagement). 1658 Comme « le critère de la finalité apparaît inutilisable dans un domaine où il s’agit
toujours d’améliorer la situation du créancier » (C. GINESTET, La qualification des sûretés,
Defrénois 1999, article 36927, p. 80 à 92 et article 36940, p. 203 à 215, n°2 ; dans le même
sens, cf. C. SAINT-ALARY-HOUIN, Sûretés et procédures collectives : morceaux choisis,
Rapport de synthèse, LPA 20 septembre 2000, n°188, p. 40 et s., n°3 ; D. LEGEAIS, n°1 ; J.
MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°11), une partie de la doctrine retient la
qualification de « sûreté », lorsque la fonction de garantie présente un caractère exclusif, et
celle de « garantie », lorsque la protection des intérêts financiers du créancier n’est que l’une
des utilités d’un mécanisme déterminé. En faveur de cette distinction entre les sûretés et les
garanties, reposant sur le caractère exclusif ou non de la fonction de garantie, cf. J. CASEY,
Sûretés et famille, th. sous la direction de J. HAUSER, n°6 ; M. OURY-BRULE,
L’engagement du codébiteur solidaire non intéressé à la dette. Article 1216 du Code civil,
LGDJ, 2002, préf. C. FERRY, n°17, 139 à 142 ; A. PRÜM, Les garanties à première
demande, Litec, 1994, préf. B. TEYSSIE, n°7 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°2, 4,
503 ; D. LEGEAIS, n°21 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°11 ; S.
PIEDELIEVRE, n°12
L’adoption de ce critère de différenciation conduit à considérer les sûretés comme un sous-
ensemble des garanties. En ce sens, cf. P. CROCQ, Propriété et garantie, LGDJ, 1995, préf.
M. GOBERT, n°285 ; Ph. DUPICHOT, th. préc., n°5 ; A.-M. TOLEDO, Notion de sûreté et
droit du commerce international, th. Paris I, 1997, sous la direction de L. AYNES, n°27 ;
Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V° Garantie, p.
416 ; C. GINESTET, ibid., n°6, 7 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, ibid., n°3 ; M. CABRILLAC
et Ch. MOULY, n°4 ; D. LEGEAIS, n°1 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et
P. CROCQ, n°2 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 ; J.
MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°2, 11 ; Ph. THERY, n°2, 6 1659 La distinction entre les sûretés et les garanties pourrait permettre de conserver à la notion
de sûreté sa spécificité et d’éviter une extension sans bornes, une dilatation de cette notion (en
ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, ibid., n°5 ; P. CROCQ, ibid., n°262 ; C. SAINT-ALARY-
HOUIN, ibid., n°4 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°4, 503 ; D. LEGEAIS, n°20 ; H., L.
et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 ; S. PIEDELIEVRE, n°11). L’autre
intérêt théorique de cette distinction serait de permettre la remise en cause de la classification
traditionnelle des sûretés (en ce sens, cf. P. CROCQ, ibid., n°262). 1660 Une définition moniste de la sûreté, couvrant aussi bien les sûretés personnelles que les
sûretés réelles, a été proposée par P. CROCQ (ibid., n°282) : «une sûreté est l’affectation à la
d’être des mécanismes étudiés1661. Mais, pratiquement, la distinction entre les
sûretés et les garanties ne présente guère d’intérêt1662.
Certains auteurs affirment le contraire en soulignant que nombre de textes
actuels emploient le terme « sûreté » et ne sauraient donc s’appliquer aux
garanties1663. Cet argument ne paraît pas convaincant dans la mesure où les textes
cités s’appliquent, soit à tous les mécanismes ayant pour effet principal de protéger
les intérêts des créanciers et pour effet incident de faciliter l’accès au crédit du
débiteur1664, soit uniquement aux mécanismes qui remplissent une fonction de
satisfaction du créancier d’un bien, d’un ensemble de biens ou d’un patrimoine, par
l’adjonction aux droits résultant normalement pour lui du contrat de base, d’un droit d’agir,
accessoire de son droit de créance, qui améliore sa situation juridique en remédiant aux
insuffisances de son droit de gage général, sans être pour autant une source de profit, et dont
la mise en œuvre satisfait le créancier en éteignant la créance en tout ou partie, directement
ou indirectement ».
La définition de P. CROCQ a été reprise par Ph. DUPICHOT, ibid., n°5 ; M. OURY-BRULE,
th. préc., n°114 à 120 ; A.-M. TOLEDO, th. préc., n°273 ; D. LEGEAIS, n°21; Ph.
MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°2 ; H., L. et J. MAZEAUD et F.
CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°5 1661 Certains auteurs continuent de déplorer l’obscurité de la distinction entre sûretés et
garanties. Cf. D. LEGEAIS, n°17, 20 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y.
PICOD, n°5-1 : « la mise en œuvre de la distinction entre « sûreté » et « garantie » suscite
des controverses sur lesquelles le dernier mot ne sera sans doute jamais prononcé ». D’autres
doutent même de l’existence d’une notion technique de sûreté, à caractère moniste. En ce
sens, cf. J. CASEY, th. préc., n°5 ; P. ANCEL, Nouvelles sûretés pour créanciers échaudés,
JCP 1989, éd. E., suppl. Cahier droit des entreprises, n°5, p. 5 ; M. CABRILLAC et Ch.
MOULY, n°2 : « introuvable notion de sûreté. (…) La sûreté n’est pas une notion, ce n’est
qu’une étiquette qui s’accommode du disparate. Aller au-delà des deux idées
complémentaires (objectif de la sûreté et affectation) relèverait d’un exercice de style, qui
pourrait être dangereux car il jetterait la confusion sur les notions distinctes de sûretés
réelles et de sûretés personnelles, qui sont elles-mêmes bien malaisées à cerner » ; Ph.
THERY, n°6 : « la possibilité même de définir ce qu’est une sûreté fait l’objet de discussion.
(...) La définition de la notion de sûreté est soit inutile (parce que mettant en lumière des
caractères que personne ne conteste), soit impossible, lorsque l’on essaie d’y faire rentrer des
institutions trop disparates, malgré une commune finalité ». 1662 Sur l’inutilité pratique de la distinction entre sûretés et garanties, cf. J. CASEY, ibid.,
n°3 ; P. ANCEL, ibid., p.5 ; Ph. DELEBECQUE, Garanties et contre-garanties, Mélanges
Ch. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 91 et s., n°1 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°20 : « en
cette matière, intimement liée à celle du crédit, où le droit et l’économie se trouvent associés,
il peut paraître préférable de donner à la notion de sûreté une définition fonctionnelle,
conforme à la réalité. Cette définition extensive paraît bien être aussi celle du droit positif » ;
Ph. THERY, n°6 1663 P. CROCQ, th. préc., n°262 ; C. GINESTET, art. préc., n°5 (article 51 de la loi du 25
janvier 1985 ; article 1415 du Code civil) ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°4 ; D.
LEGEAIS, n°20 (articles 767 alinéa 7, 1188, 1752-2 du Code civil ; articles 40, 50, 51, 93 de
la loi de 1985 ; articles 217-9 et 340 de la loi du 24 juillet 1966 ; articles 2, 312-8 du Code de
la consommation); H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 (articles 767
alinéa 7, 1188, 1752 du Code civil ; article 40 de la loi de 1985 ; article 312-8 du Code de la
du Code civil ; articles 34 et 107 de la loi de 1985) 1664 Tel est le cas des textes imposant la constitution de « sûretés » (articles 1752, 767 alinéa 7
et 1094-2 du Code civil ; article 517 du nouveau Code de procédure civile) et des textes
relatifs à la perte de la « sûreté » (articles 1188 et 2037 du Code civil).
garantie en affectant préférentiellement au bénéficiaire un bien du débiteur, c'est-à-
dire aux sûretés réelles1665. Dans les deux cas, le caractère exclusif de la fonction de
garantie étant, en réalité, indifférent, la distinction entre les sûretés et les garanties
manque donc de pertinence1666.
De lege ferenda, cette dissociation n’est pas non plus utile car, pour rendre plus
sûre la réalisation des attentes des créanciers, il suffit de régir, d’une part, les effets
que la constitution et la mise en œuvre de la garantie sont à même de produire sur
leur situation et, d’autre part, les moyens à orchestrer pour que la garantie engendre
ces résultats. Autrement dit, si le législateur instaurait, comme nous le préconisons,
des règles applicables à toutes les garanties de paiement et des règles visant, encore
plus largement, toutes les garanties, il n’y aurait plus de place pour un régime propre
aux mécanismes ayant exclusivement pour but de protéger les intérêts des
créanciers. En raison de son inutilité pratique, la mise en place d’un corps de règles
fondé sur le caractère exclusif de la fonction de garantie ne mérite donc pas d’être
défendue1667.
743. Les caractéristiques distinctives des garanties personnelles. La
recherche de l’efficacité conduit, en revanche, à préconiser l’instauration de règles
spéciales basées sur les caractéristiques distinctives des garanties personnelles, dont
l’assimilation conditionne la réalisation des attentes subjectives des créanciers1668.
Nous ne développons pas ici le champ d’application de ces textes, car nous nous y attarderons
longuement à l’occasion de la présentation des règles applicables à toutes les garanties de
paiement (cf. infra n°851-859) et à toutes les garanties de crédit (cf. infra n°861-867). 1665 Emploient ainsi le terme « sûreté » de manière trop générale, comme synonyme de
« sûreté réelle », les textes suivants : articles L. 611-4 VII, L. 621-25 alinéa 3, L. 621-32, L.
621-43, L. 621-44, L. 621-80 alinéa 3, L. 621-96, L. 621-107-6°, L. 225-68 alinéa 2 et L. 232-
1 du Code de commerce.
Une interprétation stricte de ces textes s’impose pour ne pas entraver exagérément la liberté
d’action des sociétés, ou pour ne pas priver trop facilement les créanciers de certains
avantages, ou encore pour favoriser le redressement des entreprises en difficulté. 1666 Comp. Ph. THERY, n°6 : « certes, l’existence de textes particuliers qui font référence,
soit aux sûretés, soit aux garanties, devrait normalement rendre indispensable une définition.
Mais ces textes ont un champ d’application restreint. Aussi n’est-il pas interdit d’adopter,
pour leur application, une définition particulière, même si, intellectuellement, une telle
position n’est pas satisfaisante ». 1667 Certains auteurs rejettent l’instauration d’un corps de règles propre aux sûretés en raison
des difficultés entourant nécessairement la mise en place d’un tel régime. En ce sens, cf. A.
BRUYNEEL, L’évolution du droit des sûretés, in Les sûretés, colloque de Bruxelles,
FEDUCI 1984, p. 14 : « formuler des généralités valables pour toutes les sûretés est un
exercice fort difficile, tant les sûretés réelles et les sûretés personnelles diffèrent de nature.
Une telle différence de nature explique que la théorie générale des sûretés, à la supposer
possible et utile, n’ait jamais été construite jusqu’ici de manière cohérente et complète » ; H.,
L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°6-3 : « il est bien difficile de tracer les
grandes lignes d’un droit commun des sûretés, le dénominateur commun étant chaque jour
plus difficile à trouver » ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°19 : « en raison de la
différence profonde de nature entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles, un droit
commun à toutes les sûretés ne peut sans doute avoir qu’une consistance limitée et se situer à
un niveau élevé d’abstraction ». 1668 Pour de plus amples développements sur ces caractéristiques distinctives, cf. supra n°281-
307
Un premier corps de règles pourrait ainsi se rapporter aux garanties
personnelles souscrites par un garant personne physique1669. Les autres
caractéristiques de l’opération de garantie (qualité du créancier et du débiteur, nature
du contrat principal et du contrat de garantie) pourraient demeurer indifférentes, car
il s’agirait essentiellement de réglementer les spécificités de la personnalité physique
par rapport à la personnalité morale, d’une part, et de délimiter les risques financiers
supportables par les garants personnes physiques, pour éviter le surendettement et
l’exclusion, d’autre part1670.
Ensuite, des règles spéciales pourraient être fondées sur les principales
« causes » de l’obligation de couverture du garant.
En premier lieu, pourraient être instaurées des règles propres aux garanties
personnelles souscrites par un « garant consommateur »1671, c'est-à-dire par un
garant personne physique ne s’engageant pas dans un but professionnel1672. Le fait
générateur du service consenti par ce type de garant réside dans les relations
affectives qu’il entretient avec le débiteur, et le but poursuivi dans l’amélioration de
la situation de celui-ci grâce à l’octroi ou au maintien du crédit garanti. Le
législateur pourrait pallier les « faiblesses inhérentes et relatives »1673 de ces 1669 En faveur de règles propres aux garanties personnelles souscrites par des personnes
physiques, cf. J. CASEY, th. préc., n°463 : « l’enjeu du droit créé étant celui de l’engagement
de masses de biens, il est impossible de raisonner autrement qu’en termes de patrimoine. En
fait, la distinction profane / professionnel n’est utile que pour la détermination des sûretés
permises. Mais plus avant, une fois ce tri effectué, c’est le droit des biens qui doit guider les
réponses » ; L. AYNES, La réforme du cautionnement par la loi Dutreil, Droit et patrimoine
2003, n°120, p. 29, note 5 : « la distinction, dans sa simplicité, est source de sécurité. Il faut
bien tirer les conséquences de l’adoption de la forme sociale, quitte à appliquer, à la marge,
la théorie de la fraude ou celle de la fictivité » ; Ph. DELEBECQUE, Le cautionnement et le
Code civil : existe-t-il encore un droit du cautionnement ?, RJ com. 2004, p. 226 et s., n°14 1670 Sur cette distinction entre les textes qui protègent les personnes physiques en raison de
leurs spécificités par rapport aux personnes morales (exemples : les textes protégeant le
contractant contre des atteintes à son intégrité physique ou morale) et ceux dont le champ
d’application pourrait, sans illogisme, s’étendre à celles-ci (les lois qui protègent spécialement
le patrimoine de la personne physique), cf. C. NOBLOT, th. préc., n°43 et 44 1671 En faveur d’un régime propre aux garants profanes, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°963 ;
D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les sûretés personnelles, in Sûretés et garanties –
Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 68 et s. ; D. LEGEAIS, Le Code
de la consommation siège d’un nouveau droit du cautionnement. Commentaire des
dispositions relatives au cautionnement introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à
l’initiative économique et sur la ville, JCP 2003, éd. E, p. 1610 et s., n°31, 49 ; Ph. THERY,
La différenciation du particulier et du professionnel : un aspect de l’évolution du droit des
sûretés, in Sûretés et garanties, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 53 et s. ; D. LEGEAIS,
n°5 1672 « Les cautions profanes assimilées au consommateur ne participent pas à la gestion de
l’entreprise emprunteuse, ni à son capital social et ne sont pas associées à la marche des
affaires » (D. POHE, note sous Cass. com., 8 octobre 2002, RJ com. 2003, p. 267 et s.). 1673 La « faiblesse inhérente » du contractant se caractérise par l’insuffisance de ses
connaissances dans la matière du contrat à conclure et par la légèreté avec laquelle il
s’engage. La « faiblesse relative » peut résulter, soit de la puissance économique du
partenaire, soit de l’état de besoin du contractant qui la subit. Sur ces deux types de faiblesse,
cf. M. FONTAINE, Rapport de synthèse, in La protection de la partie faible dans les
rapports contractuels, LGDJ, 1996, p. 615 et s., n°2
«garants consommateurs», en imposant aux créanciers de faire spécialement preuve
de solidarité et de tempérance à leur égard. Le régime des « garants
consommateurs » pourrait donc surtout faire respecter les exigences de l’impératif
d’éthique contractuelle.
En deuxième lieu, pourraient être mises en place des règles spécifiques aux garants
non consommateurs, c'est-à-dire aux garants agissant dans un but professionnel1674.
Cette catégorie est hétéroclite, puisqu’elle regroupe les garants professionnels, dont
l’activité a pour objet la fourniture de garanties, les garants intégrés dans les affaires
du débiteur principal, qui exercent un pouvoir juridique de contrôle ou de direction à
l’encontre de ce dernier, et les garants dépendants financièrement du débiteur, dont
les revenus professionnels proviennent de l’activité de celui-ci. Le régime applicable
aux garanties personnelles souscrites par ces garants pourrait essentiellement
consacrer la liberté des créanciers d’organiser la protection de leurs intérêts
financiers.
En troisième et dernier lieu, le législateur pourrait s’intéresser aux conséquences de
l’existence ou de l’absence d’une dette préalable du garant envers le débiteur
principal, en réglementant les garanties personnelles souscrites par un garant non
tenu envers le débiteur.
Ces trois corps de règles fondés sur la « cause » de l’obligation de couverture du
garant pourraient jouer quels que soient, en principe, la qualité du créancier, la
nature du contrat principal ou celle de la garantie personnelle. Cette dernière
caractéristique devrait néanmoins donner lieu à des règles spéciales, tant l’objet de
l’obligation de règlement du garant constitue un trait distinctif essentiel des
garanties personnelles.
En vue de l’assimilation des spécificités liées à la nature de l’obligation de
règlement du garant, au mode et au moment de détermination de l’objet de cette
obligation, et aux rapports entre ledit objet et celui de l’obligation principale, des
règles propres aux garanties personnelles présentant un caractère accessoire
renforcé, d’une part, et aux garanties personnelles indépendantes, d’autre part,
pourraient ainsi être instituées.
En fondant les règles spéciales sur la personnalité physique du garant, sur la
« cause » de son obligation de couverture, et sur l’objet de son obligation de
règlement, toutes les caractéristiques distinctives des garanties personnelles, dont la
prise en compte légale est nécessaire à l’adéquation du contenu du droit à l’objectif
d’efficacité, pourraient donc être envisagées. La réalisation des attentes subjectives
des créanciers s’en trouverait confortée.
744. Conclusion du Chapitre 1. Si le législateur entendait rendre l’efficacité
des garanties personnelles plus sûre qu’elle ne l’est aujourd'hui, une volonté
politique forte devrait présider à la réforme de cette matière. En effet, la recherche
de l’efficacité exige une réforme d’envergure : la suppression des fausses lacunes du
1674 En faveur d’un régime propre aux garants agissant dans un cadre professionnel, cf. D.
LEGEAIS, Le cautionnement à première demande, Mélanges M. Vasseur, Banque Editeur,
2000, p. 96 ; D. LEGEAIS, L’imprévisible droit des garanties personnelles, Mélanges Y.
Guyon, Dalloz, 2003, p. 670 ; Ph. THERY, La différenciation du particulier et du
professionnel : un aspect de l’évolution du droit des sûretés, in Sûretés et garanties, Droit et
patrimoine 2001, n°92, p. 53 et s. ; D. LEGEAIS, n°25, 36 ; Ph. SIMLER et Ph.
droit du cautionnement nécessite une reforme globale de ce droit et la suppression
de la vraie lacune du droit à l’égard des autres garanties personnelles commande une
réforme de l’ensemble de ces garanties et, particulièrement, une réglementation de
toutes celles qui sont actuellement innomées. Cette réforme d’ensemble ne sera
source d’efficacité que si elle présente une certaine structure, à savoir un régime
primaire fondé sur les caractéristiques partagées par toutes les garanties personnelles
(leurs effets principaux sur la situation du créancier et sur celle du débiteur ; leurs
techniques de protection des intérêts des créanciers, que sont l’obligation de garantir
et leur caractère accessoire essentiel), et des règles spéciales fondées sur leurs
caractéristiques distinctives (personnalité physique du garant, « cause » de son
obligation de couverture, objet de son obligation de règlement). Si une volonté
politique forte orientée vers l’efficacité venait à faire défaut, la réforme du droit des
garanties personnelles n’aurait peut être pas l’étendue et la structure que nous
venons de proposer, mais une réforme n’en demeurerait pas moins inéluctable,
compte tenu du nouvel intérêt du droit communautaire pour cette matière. Outre la
recherche de l’efficacité, c’est en effet la proposition de directive sur le crédit aux
consommateurs qui justifie qu’une réforme du droit des garanties personnelles ait
prochainement lieu.
CHAPITRE II
LA PROPOSITION DE DIRECTIVE
SUR LE CRÉDIT AUX CONSOMMATEURS
745. Motifs et objectifs de la proposition de directive. La directive
87/102/CEE1675, modifiée en 1990 et en 19981676, a fixé le cadre communautaire du
crédit à la consommation en vue de contribuer à la création d’un marché commun
dans le domaine du crédit et d’instituer des règles communes minimales de
protection du consommateur. De nombreux rapports et consultations1677 ont révélé, à
la fin des années 1990, de « grandes disparités entre les législations des différents
Etats membres dans le domaine du crédit aux personnes physiques en général et du
crédit à la consommation en particulier»1678, ainsi qu’une inadéquation de la
directive de 1986 à la réalité nouvelle du marché du crédit à la consommation1679.
1675 Directive 87/102/CEE du Conseil du 22 décembre 1986 relative au rapprochement des
dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de
crédit à la consommation. 1676 Directive 90/88/CEE du Conseil du 22 février 1990 modifiant la directive 87/102/CEE
relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des
Etats membres en matière de crédit à la consommation (JOCE, n° L 061 du 10/03/1990 p. 14-
18), elle-même modifiée par la directive 98/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 16
février 1998 (JOCE, n° L 101 du 01/04/1998 p. 17-23). 1677 Commission européenne, Rapport sur l’application de la directive 87/102/CEE,
COM(95)117 final du 11.05.95 ; Commission européenne, Rapport sur l’application de la
directive 90/88/CEE, COM (96) 79 final du 12.04.96 ; Commission européenne, Compte
rendu succinct des réactions et commentaires, COM(97) 465 final du 24.09.97 1678 Article 1.1. de l’exposé des motifs de la proposition de directive du Parlement européen et
du Conseil relative à l'harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et
administratives des Etats membres en matière de crédit aux consommateurs (COM/2002/0443
final - COD 2002/0222 ; Journal officiel n° C 331 E du 31/12/2002 p. 0200 – 0248).
Les écarts se sont notamment creusés par l’adoption, lors de la transposition en droit interne,
de dispositifs nationaux plus exigeants que les textes communautaires eux-mêmes, comme
l’autorisait la clause minimale de l’article 15 de la directive de 1986 (pour des exemples de
ces disparités, cf. l’article 2.2. de l’exposé des motifs de la proposition de directive du 11
septembre 2002). 1679 Sur l’évolution spectaculaire de la notion de « crédit à la consommation », cf. l’article 1.2.
de l’exposé des motifs de la proposition de directive du 11 septembre 2002 et la fiche
d’impact de celle-ci.
Afin d’enrayer les dangers liés à ces disparités et à cette inadéquation1680 et afin
de « permettre aux consommateurs et aux entreprises de tirer pleinement bénéfice
du marché intérieur »1681, la Commission européenne a décidé de réviser ladite
directive. Elle a ainsi présenté, le 11 septembre 2002, une proposition de directive
relative à l’harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et
administratives des Etats membres en matière de crédit aux consommateurs.
746. Ce texte ne régit pas uniquement le crédit aux consommateurs. Il a
également pour objet d’harmoniser les dispositions nationales relatives « aux
contrats de sûreté conclus par des consommateurs »1682. Ce nouvel intérêt du droit
communautaire pour les garanties personnelles (Section 1) rend inévitable une
réforme de cette matière.
Bien que la directive qu’adopteront finalement le Conseil et le Parlement
européen1683 risque de s’éloigner sur de nombreux points de la proposition initiale de
la Commission, il est néanmoins possible de présenter les principales répercussions
de cette directive en matière de garanties personnelles, au vu de cette seule
proposition. En effet, alors que les dispositions relatives au crédit aux
consommateurs ont déjà donné lieu à de nombreuses critiques1684, celles ayant trait
1680 Les disparités entre les législations nationales emportent des distorsions de concurrence
entre les prêteurs et une restriction, pour les consommateurs, des possibilités d’obtenir un
crédit dans d’autres Etats membres. Le volume et la nature de la demande de crédit
transfrontière s’en trouvent affectés ainsi que, par contrecoup, l’achat de biens et de services.
Par ailleurs, les consommateurs ne bénéficient pas de la même protection dans tous les Etats
membres. 1681 Articles 1.2. et 2.3. de l’exposé des motifs de la proposition de directive du 11 septembre
2002. 1682 Article 1er de la proposition de directive. 1683 La proposition de directive ayant pour objet de rapprocher des dispositions nationales qui
pourraient gêner la libre circulation, sa base juridique est l’article 95 du Traité (ancien article
100-A). Ce texte exige que la proposition de la Commission fasse l’objet d’une consultation
obligatoire du Comité économique et social et soit présentée pour adoption au Conseil et au
Parlement européen. L’article 251 du Traité (ancien article 189-B) impose, en outre, une
procédure de codécision, c'est-à-dire que la proposition doit être adoptée par le Conseil, à la
majorité qualifiée, et par le Parlement européen, à la majorité absolue. 1684 « Que ce soit de la part de gouvernements, d’associations de consommateurs,
d’institutions professionnelles représentant nombre de métiers ou secteurs d’activité, les
réactions négatives ont inondé la Commission » (S. HUBERT, chef de cabinet du
parlementaire J. WUERMELING, interview lors du Congrès FENCA).
Dans une proposition de résolution du 13 novembre 2002, le Sénat a souhaité que « le texte
exclut expressément les opérations de crédit immobilier et qu’il n'alourdisse pas à l'excès
certaines procédures de facilités de paiement dont bénéficient actuellement les
consommateurs, notamment les opérations de « paiement en trois fois, sans frais » dont le
volume ne justifie pas qu'elles entrent dans le cadre du dispositif proposé ». Le Sénat s'est
également interrogé sur l'utilité de multiplier les informations relatives aux différents taux du
crédit dans le contrat de prêt, dès lors que l'information préalable de l'emprunteur est précise
et complète. En conséquence, il a demandé au Gouvernement « 1° que soient précisées les
conditions d'instauration, d'utilisation et d'actualisation des fichiers informatiques de
données de type négatif envisagés pour lutter contre le surendettement ; 2° que soit supprimée
l'incitation à la constitution de fichiers de type positif, susceptibles de créer des disparités
entre États membres ; 3° que soit déterminée la procédure de conservation des données
au « contrat de sûreté » ont été, au contraire, bien accueillies1685. Par conséquent, si
« la directive ne sera pas votée dans sa forme»1686, les modifications ne devraient
pas affecter profondément les dispositions intéressant les garanties personnelles. Il
est donc d’ores et déjà possible de mettre en avant les conséquences de la future
informatiques pour valoir preuve du comportement responsable du prêteur ; 4° que soient
aménagées les conditions dans lesquelles le contrat de prêt peut recevoir un début d'exécution
durant la période de rétractation sans motif de l'emprunteur ; 5° que figurent au contrat de
prêt les conditions de son remboursement anticipé, et notamment la possibilité d'y procéder
sans paiement d'indemnité compensatoire au prêteur ; 6° que soit autorisé le démarchage à
domicile pour la vente de biens ou services assortie d'une proposition de prêt accessoire ; 7°
que soit supprimée la responsabilité solidaire du prêteur et du fournisseur de biens et services
durant toute la durée de vie du produit vendu à crédit ».
Si EURO COOP (Communauté européenne des Coopératives de consommateurs) s’est
montrée globalement d’accord avec la proposition de directive, dans un communiqué du 31
octobre 2003, elle a cependant adressé des commentaires sur des points spécifiques :
l’harmonisation maximale, la définition de l’intermédiaire de crédit, la mention de trois taux
d’intérêt différents, le champ d’application (le crédit hypothécaire devrait bénéficier du même
niveau élevé de protection des consommateurs et d’harmonisation à travers l’Europe), la
publicité, le remboursement anticipé, les sanctions.
Le 27 février 2003, le MEDEF a soutenu, sur le principe, une proposition qui permettrait la
mise en place d’une base commune de dispositions identiques et impératives. Néanmoins, il a
remarqué que les règles envisagées par la proposition de directive prévoient un régime
particulièrement déséquilibré au détriment des prêteurs professionnels, qui risquent de voir
leur activité fortement perturbée et leur rentabilité menacée. Il a aussi relevé que l’atteinte
portée au crédit à la consommation et la baisse consécutive de son offre et de son accès vont
avoir des répercussions négatives sur l’ensemble de l’économie et sur le taux de croissance.
La proposition de directive emporterait ainsi un risque d’aggravation du ralentissement de
l’activité économique, tant au niveau national, que communautaire. Les dispositions
principalement critiquées par le MEDEF concernent : le caractère abusif de certaines clauses,
le traitement des données personnelles informatisées, le démarchage, la responsabilité
solidaire entre le vendeur et l’établissement prêteur, le devoir de conseil, le « prêt
responsable », l’insertion des crédits courts de type « paiement en trois fois sans frais », la
communication de trois taux différents, la condamnation du crédit affecté au financement
d’un achat, et le délai de rétractation.
L’Association française des Sociétés Financières (ASF), le 1er avril 2003, a salué la
proposition de directive en ce qu’elle permet de réaliser un progrès, en termes
d’harmonisation totale et impérative, mais a relevé nombre d’imperfections : risque de remise
en cause de l’existence même du crédit sur le lieu de vente ; déresponsabilisation du
consommateur ; fragilisation du crédit découlant de la responsabilité du prêteur en cas de non
conformité des biens ou services financés ; illisibilité du droit communautaire (la proposition
de directive instaure un régime dérogatoire au droit commun européen fixé par des directives
sectorielles) ; discriminations injustifiées à l’encontre des établissements de crédit au regard
des autres agents économiques ; distorsions de concurrence entre les établissements de crédit
eux-mêmes ; risque de renchérissement des conditions de crédit pour les emprunteurs en
raison de l’accroissement important des coûts pour les établissements prêteurs. 1685 Dans sa proposition de résolution du 13 novembre 2002, le Sénat a ainsi relevé que « les
dispositions sur la protection des cautions sont globalement convenables ». 1686 S. HUBERT, chef de cabinet du parlementaire J. WUERMELING, interview lors du
Congrès FENCA
Tant que le Conseil n’a pas statué, la Commission peut modifier sa proposition tout au long
des procédures conduisant à l’adoption d’un acte communautaire.
directive, tant sur le droit des garanties personnelles en vigueur, que sur les contrats
de garantie personnelle en cours (Section 2).
SECTION 1 : LE NOUVEL INTÉRÊT
DU DROIT COMMUNAUTAIRE
POUR LES GARANTIES PERSONNELLES
747. Avant la proposition de directive du 11 septembre 2002, les garanties
personnelles n’ont donné lieu, au niveau communautaire, qu’à des législations de
détail et à des projets avortés, alors même que la Communauté est parfaitement
compétente en cette matière. La proposition de directive sur le crédit aux
consommateurs rompt avec cette traditionnelle absence du droit communautaire en
matière de garanties personnelles (§1), puisque les « contrats de sûreté conclus par
des consommateurs » entrent dans son champ d’application (§2).
§1 : L’ABSENCE TRADITIONNELLE
DU DROIT COMMUNAUTAIRE
EN MATIERE DE GARANTIES PERSONNELLES
748. Des législations de détail. Avant la proposition de directive du 11
septembre 2002, les réglementations communautaires n’ont concerné que des points
de détail du régime de certaines garanties personnelles professionnelles. Ainsi, les
directives du 24 juillet 19731687 et du 18 juin 19921688 ont mentionné « la caution »
au nombre des activités d’assurance. Une autre directive du 22 juin 1987 s’est
attachée à la solvabilité des entreprises pratiquant l’assurance-crédit et l’assurance-
caution. Des règlements du Conseil1689 se sont intéressés, quant à eux, aux garanties
légales et, plus précisément, aux garanties à fournir pour assurer le paiement d’une
dette douanière1690.
749. Un projet avorté de réglementation d’ensemble. Le droit
communautaire aurait pu avoir une influence beaucoup plus importante en matière
de garanties personnelles si le projet de directive de 1979 « concernant
l’harmonisation du droit applicable au cautionnement et à la garantie »1691 avait
abouti. En effet, ce projet, qu’avait préparé une étude comparative réalisée par le
Max Planck Institut de Hambourg1692, aurait pu imposer, non seulement l’adoption
1687 Directive n°73-239 en matière d’assurance 1688 Directive n°92-49 sur l’assurance non-vie 1689 Règlements du Conseil n°69-542 du 18 mars 1969 sur le transit communautaire, n°77-222
du 13 décembre 1976, n°89-4046 du 21 décembre 1989 sur les « garanties à fournir pour
assurer le paiement d’une dette douanière ». 1690 Sur ces garanties, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°353 1691 Direction générale du Marché intérieur et des affaires industrielles, n°III/629/79-FR 1692 Le cautionnement dans le droit des Etats membres des Communautés européennes,
Bruxelles, publ. de la Commission des CE, coll. Etudes, série Concurrence-Rapprochement
des législations, 1971, n°14
Après l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté européenne, cette étude a été complétée
par un rapport rédigé par T.C. HARTLEY : Le droit du cautionnement et de la garantie au
de règles très novatrices en matière de cautionnement1693, mais surtout la
reconnaissance légale des garanties indépendantes1694 et, plus spécialement, de la
garantie indemnitaire1695. Ce projet de directive n’ayant pas connu de suite, le droit
communautaire est resté globalement absent en matière de garanties personnelles.
750. Les raisons de la traditionnelle absence du droit communautaire en
matière de garanties personnelles. « Le crédit et les sûretés font partie intégrante
de l’activité économique que le traité de Rome posait en fondement de la CEE et
que l’Union économique et monétaire met aujourd'hui au premier plan des objectifs
contemporains »1696. Ce n’est donc pas par incompétence que le droit
communautaire est longtemps resté absent en matière de garanties personnelles. Ce
relatif effacement peut s’expliquer de deux autres façons.
Tout d’abord, l’intervention du législateur européen a pu sembler inutile pour
plusieurs raisons. En premier lieu, le marché européen transfrontière du crédit est
peu développé1697. En deuxième lieu, les principes essentiels du droit
communautaire, notamment les libertés fondamentales de circulation des capitaux et
d’établissement, s’appliquent sans discussion en matière de crédit et de sûreté. En
troisième et dernier lieu, le droit du cautionnement est assez semblable d’un Etat
membre à un autre1698.
Ensuite, l’intervention du législateur européen a pu paraître trop délicate à
cause, d’une part, de « la grande difficulté qu’il y a à cerner les autres sûretés
Royaume Uni et en Irlande, Bruxelles, publ. de la Commission des CE, coll. Etudes, série
Concurrence-Rapprochement des législations, 1974, n°28 1693 Le projet de directive de 1979 prévoyait notamment que la caution pourrait résilier son
engagement, en cas de détérioration substantielle de la situation du débiteur principal, après la
souscription du cautionnement. Peu importait la durée du cautionnement, seul comptait le
caractère successif de l’engagement et, implicitement, l’indétermination de son montant (sur
cette disposition, cf. Ch. MOULY, th. préc., n°289 et 290). 1694 Dans l’exposé des motifs du projet de directive (document n°III/168/78/FR, n°I-4), il était
indiqué que la non reconnaissance de la garantie indépendante dans tous les droits européens
« rompt l’égalité des chances entre négociants européens et peut causer un préjudice
considérable dans les échanges économiques ». 1695 Article 9 du projet de directive de 1979 : « le contrat de garantie est un contrat par lequel
le garant s’engage à répondre en tout ou en partie de pertes financières subies par le garanti
et résultant de l’inexécution d’une obligation, existante ou conditionnelle, à exécuter par un
tiers, lorsque l’engagement du garant se présente indépendamment de l’existence, de la
validité ou du caractère exécutoire de l’obligation ainsi garantie ». Cette définition
recouvrait des mécanismes comme la promesse de porte fort, le ducroire du commissionnaire
ou encore l’assurance-crédit interne.
Ce même article 9 marquait nettement la différence entre le cautionnement et le contrat de
garantie, en retenant l’inopposabilité des exceptions dans le cadre de ce dernier. Cependant,
non sans une certaine contradiction, il déclarait également applicables à la garantie
indemnitaire les règles du cautionnement, par analogie. 1696 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°9 1697 Dans l’exposé des motifs de sa proposition de directive du 11 septembre 2002 (article
2.1.), la Commission européenne en fournit trois explications : « les difficultés techniques de
pénétrer un autre marché, l’absence d’une harmonisation suffisante des législations
nationales et l’évolution des techniques et des formes de crédit depuis les années 80 ». 1698 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°9
personnelles »1699 que le cautionnement et, d’autre part, des liens très étroits que le
droit des garanties personnelles entretient avec celui des procédures collectives1700.
751. Les raisons du nouvel intérêt du droit communautaire pour les
garanties personnelles. Si toutes ces raisons éclairent la traditionnelle absence du
droit communautaire en matière de garanties personnelles, c’est « l’intégration de
plus en plus poussée du monde des affaires à l’échelle planétaire »1701 et surtout la
volonté de la Commission européenne d’ « accorder au garant personne physique
un niveau d’information et de protection comparable à celui du consommateur »1702,
qui expliquent que la proposition de directive du 11 septembre 2002 ait intégré les
garanties personnelles dans son champ d’application.
§2 : LE CHAMP D’APPLICATION
DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE
SUR LE CREDIT AUX CONSOMMATEURS
752. L’article 3.1. de la proposition du 11 septembre 2002 précise que « la
présente directive s'applique aux contrats de crédit ainsi qu’aux contrats de
sûreté ». Cette disposition ne prend tout son sens qu’à la lecture de l’article 2, qui
définit un certain nombre de termes utilisés dans la directive, notamment ceux de
« consommateur », de « prêteur », de « contrat de crédit », de « contrat de sûreté »,
et de « garant ». Il s’agit de définitions terminologiques, puisque « le sens retenu est
présenté comme étant, sans autre prétention, celui que revêt le mot dans la loi à
laquelle se rattache le chapitre de définitions »1703 (l’article 2 commence par « aux
fins de la présente directive, on entend… »). A la lumière, non seulement de ces
définitions relatives et pragmatiques, mais aussi de l’examen du dispositif de la
proposition de directive, il est possible d’expliquer l’application de celle-ci aux
garanties personnelles, en s’attachant d’abord à la notion de « contrat de sûreté »
(A), puis aux protagonistes de l’opération de garantie visés par le texte
communautaire (B).
A/ QUANT AUX « CONTRATS DE SURETE »
753. Avant d’étudier la définition du « contrat de sûreté » fournie par l’article
2 e) de la proposition de directive, il convient d’indiquer quelles conséquences
peuvent être tirées de l’emploi même des termes « contrat » et « sûreté ».
754. Les conséquences de l’emploi du terme « contrat ». Tout d’abord,
l’utilisation du terme « contrat » implique que la directive ne joue qu’à l’égard des
1699 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°9 1700 En ce sens, cf. A. BRUYNEEL, L’évolution du droit des sûretés, in Les sûretés, colloque
de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 25 1701 M. GIOVANOLI, Tendances modernes du droit des sûretés bancaires et contrôle
prudentiel des banques, in Sûretés et garanties bancaires, Publication CEDIDAC, 1997, p. 23
et s. 1702 Article 3 de l’examen du dispositif de la proposition de directive du 11 septembre 2002. 1703 G. CORNU, Les définitions dans la loi, Mélanges Vincent, 1981, p. 77 et s., n°17
mécanismes de garantie reposant sur un accord de volonté. Semblent par conséquent
exclus de son champ d’application les mécanismes dans lesquels les droits du
créancier contre un tiers résultent d’une loi et non d’un contrat. Le texte
communautaire ne devrait donc pas affecter les garanties légales comme l’action
directe, la solidarité légale, la responsabilité délictuelle du fait d’autrui, ou encore
les garanties imposées aux associés de certaines sociétés. En revanche, la directive
devrait s’appliquer à toutes les garanties conventionnelles.
Le fait générateur du contrat paraît indifférent. Il pourrait donc s’agir, non
seulement d’une demande du créancier, mais aussi d’une disposition légale ou d’une
décision judiciaire.
La forme du « contrat de sûreté » paraît également indifférente, puisqu’aucune
distinction n’est opérée entre contrat sous seing privé et contrat conclu en la forme
authentique1704.
C’est enfin la personne du cocontractant du garant qui n’est pas précisée. La
directive pourrait donc s’appliquer, aussi bien au « contrat de sûreté » passé entre le
garant et le créancier, ce qui est l’hypothèse la plus fréquente, qu’au contrat conclu
entre le garant et le débiteur principal (la stipulation pour autrui répond à ce
schéma). L’objectif affiché de protection des garants personnes physiques contre le
risque de surendettement1705 milite d’ailleurs en ce sens, puisqu’un tel risque existe
même lorsque le garant n’est pas uni contractuellement au créancier.
755. Les conséquences de l’emploi du terme « sûreté ». S’agissant de
l’emploi du terme « sûreté », on ne peut en déduire la volonté de la Commission
européenne de restreindre le champ d’application de la directive aux mécanismes
remplissant uniquement une fonction de garantie, à l’exclusion des mécanismes
pouvant avoir une autre raison d’être. En effet, la distinction entre les sûretés et les
garanties n’appartient pas au droit positif des différents Etats membres, et elle est
par trop controversée en doctrine1706 pour imaginer que le législateur communautaire
ait pu s’en emparer, par la seule utilisation du terme « sûreté ». En réalité, il
convient de ne pas attacher trop d’importance à l’emploi de ce vocable, car il résulte
avant tout d’un choix de traduction.
756. La définition communautaire du « contrat de sûreté ». Les éléments
constitutifs de la notion de « contrat de sûreté » méritent, au contraire, une attention
toute particulière. L’article 2 e) définit le « contrat de sûreté » comme étant « un
contrat accessoire, conclu par un garant et garantissant ou offrant une promesse de
garantir l’exécution de toute forme de crédit octroyé à des personnes physiques ou
morales ». Cette définition suscite plusieurs interrogations.
757. Les techniques de garantie réglementées. En premier lieu, la question
se pose de savoir si la proposition de directive s’applique à tous les contrats de
1704 Sur ce point, le texte communautaire pourrait être modifié, comme le réclame le notariat
(cf. infra n°918). 1705 Sur cet objectif de la proposition de directive, cf. infra n°771-774 1706 Sur les débats qu’occasionne la distinction entre les sûretés et les garanties dans la
doctrine française, cf. supra n°742
sûreté ou bien si elle comporte des exclusions implicites1707, tenant à la technique de
garantie mise en œuvre. Alors que l’expression « contrat de sûreté » est tout à fait
générale et que, dans l’examen du dispositif, il est précisé que « le « contrat de
sûreté » couvre toutes les sûretés, tant personnelles que réelles», une interprétation
plus restrictive s’impose.
En effet, au regard de la distinction qu’opère l’article 2 e) entre celui à qui le
crédit est octroyé et celui qui garantit ou promet de garantir ce crédit, il est permis
d’exclure les garanties fournies par le débiteur lui-même. En conséquence, le texte
communautaire n’a vocation à s’appliquer, ni aux sûretés réelles, qui se caractérisent
par une affectation préférentielle d’un bien du débiteur au créancier, ni aux garanties
par exclusion du concours, qui reposent, soit sur la réciprocité des droits et
obligations du créancier et du débiteur, soit sur le transfert de propriété d’un bien de
celui-ci au dispensateur de crédit.
En revanche, entrent dans le champ d’application de la proposition de directive
toutes les garanties fournies par un tiers au contrat de crédit. A la lecture de
l’examen du dispositif, il apparaît qu’il peut s’agir d’un contrat faisant naître à la
charge du tiers une obligation de garantir de nature personnelle, puisque le
cautionnement est cité. Mais il peut également s’agir d’un contrat par lequel un tiers
affecte l’un de ses biens, meuble ou immeuble, à l’exécution du contrat principal,
puisque sont aussi donnés en exemple le gage et l’hypothèque. La proposition de
directive s’applique donc aux garanties personnelles, ainsi qu’aux garanties mixtes,
souscrites par des tiers au contrat de base.
Un autre mécanisme entre encore dans le champ d’application du texte
communautaire. Il s’agit de la solidarité, citée dans l’examen du dispositif, au titre
des exemples de « contrat de sûreté ». Plutôt que de voir dans cette inclusion de la
solidarité une remise en cause de la règle selon laquelle la proposition de directive
ne s’applique qu’aux garanties fournies par des tiers au contrat de crédit, mieux vaut
considérer qu’elle conduit à conférer un sens original au terme « tiers ». Un tiers
serait ainsi toute personne qui ne contribue pas entièrement et définitivement à la
dette née du contrat de crédit. Cette définition large du tiers permet de faire entrer
dans le champ d’application de la proposition de directive, non seulement les
garanties personnelles et mixtes souscrites par des personnes n’ayant pas signé le
contrat de crédit, mais aussi les garanties personnelles dans lesquelles l’obligation de
garantir est à la charge du débiteur principal lui-même. La solidarité passive
traditionnelle, aussi bien que la solidarité mise à la charge d’un codébiteur non
intéressé à la dette (article 1216 du Code civil), peuvent ainsi recevoir la
qualification de « contrat de sûreté » et subir l’influence du droit communautaire.
758. L’interprétation de la notion de « promesse de garantir ». En
deuxième lieu, la question se pose de savoir en quoi consiste la « promesse de
garantir », que l’article 2 e) assimile à l’engagement de garantir lui-même. Deux
interprétations nous semblent devoir être écartées.
Tout d’abord, il paraît peu probable que la garantie de l’exécution renvoie à une
obligation de résultat et la « promesse de garantir » à une obligation de moyens. Il
1707 Alors que l’article 3.2. de la proposition de directive énumère les contrats de crédit exclus
de son champ d’application, aucune disposition ne dresse une liste des contrats de sûreté
n’entrant pas dans ce champ.
s’agirait, en effet, d’une façon particulièrement tortueuse d’exprimer que la
qualification de « contrat de sûreté » ne dépend pas du degré d’engagement du
garant.
Ensuite, même si la terminologie est proche, il convient de ne pas entendre
« promesse de garantir » par promesse de porte fort. Cette dernière expression est
effectivement propre au droit français. De plus, si la Commission européenne avait
entendu viser ce type de garantie indemnitaire, elle aurait plus probablement parlé
de « contrat de garantie », comme elle l’a fait dans sa proposition de 1979.
En réalité, c’est vers la promesse unilatérale de contrat qu’il convient de se
tourner pour interpréter la notion de « promesse de garantir ». Celle-ci serait ainsi la
convention par laquelle un individu, le promettant (futur garant), s’engage envers un
autre, qui l’accepte, le bénéficiaire, à conclure un contrat dont les conditions sont
dès à présent déterminées, si celui-ci le lui demande, dans un certain délai. Si le
bénéficiaire dispose d’une option qui lui laisse la liberté de donner ou non son
consentement au contrat définitif, le promettant est engagé, au contraire, dès la
promesse. Dans la mesure où cette dernière crée une véritable obligation à la charge
du promettant, l’assimilation qu’opère l’article 2 e) entre l’engagement de garantir
lui-même et « la promesse de garantir » prend tout son sens.
759. L’interprétation de la notion de « contrat accessoire ». En troisième et
dernier lieu, les difficultés d’interprétation se concentrent sur la définition du
« contrat de sûreté » en « un contrat accessoire ». Dès lors que le caractère
accessoire est susceptible de degrés, la question se pose de savoir si la proposition
de directive a vocation à régir tous les contrats de garantie présentant un caractère
accessoire essentiel ou seulement ceux présentant un caractère accessoire
renforcé1708.
760. Les arguments en faveur du caractère accessoire essentiel et les
conséquences de cette interprétation. En faveur de la première lecture, il peut être
avancé que l’article 2 e) définit l’objet du « contrat de sûreté », qui est une
caractéristique commune à l’ensemble des garanties personnelles, et non l’objet de
l’obligation de règlement du garant, qui en constitue une caractéristique distinctive.
En effet, il est précisé que le garant garantit ou offre de garantir l’exécution du
contrat de crédit, c'est-à-dire qu’il s’engage à ce que le créancier bénéficie du
paiement de la dette principale, et non qu’il exécute la dette même du débiteur
principal. En rappelant ainsi l’objet du « contrat de sûreté », la proposition de
directive met en avant l’affectation de ce dernier à l’extinction du contrat principal,
qui est un élément constitutif des notions d’accessoire de la créance et de caractère
accessoire essentiel1709. En ne précisant pas les rapports entre l’objet de l’obligation
de règlement du garant et l’objet de l’obligation du débiteur principal, le texte
communautaire semble ne pas attacher d’importance, au contraire, au caractère
accessoire renforcé ou indépendant du « contrat de sûreté ».
Si cette interprétation devait être adoptée, toutes les dispositions de la directive
relatives au « contrat de sûreté » devraient s’appliquer à l’ensemble des garanties
1708 Sur les degrés dans le lien d’accessoire à principal et la distinction que nous opérons entre
le caractère accessoire essentiel et le caractère accessoire renforcé, cf. supra n°271, 279, 302 1709 Cf. supra n°278
personnelles. La transposition de la directive bouleverserait alors en profondeur le
droit français, puisqu’elle conduirait à la « juridification » des actuelles garanties
personnelles innomées et à l’instauration d’un régime primaire pour toutes les
garanties personnelles conclues par des consommateurs.
761. Les arguments en faveur du caractère accessoire renforcé et les
conséquences de cette interprétation. Une autre interprétation de la notion de
« contrat accessoire » pourrait cependant prévaloir et produire de toutes autres
conséquences sur notre droit. Plusieurs arguments peuvent, en effet, étayer la thèse
selon laquelle l’article 2 e) ne vise que le caractère accessoire renforcé.
Tout d’abord, comme toutes les garanties personnelles présentent un caractère
accessoire essentiel, il peut sembler redondant de préciser que le « contrat de
sûreté » est un « contrat accessoire ». Cette indication n’aurait ainsi d’intérêt qu’en
entendant le caractère accessoire dans son sens strict.
Ensuite, il est probable que la Commission européenne se soit attachée au sens
le plus familier de la notion d’accessoire dans tous les Etats membres. Compte tenu
de l’ancienneté et de l’universalité de la technique du cautionnement, il n’est pas
déraisonnable de penser que le sens le plus partagé soit celui qui est retenu dans le
cadre de cette institution, c'est-à-dire le caractère accessoire renforcé.
L’inclusion dans le champ d’application de la proposition de directive des
seules garanties personnelles présentant ce lien de dépendance étroit par rapport au
contrat principal peut encore s’expliquer par le fait qu’il s’agit des contrats que
souscrivent le plus souvent les garants agissant dans un but non professionnel. Or, ce
sont justement ces « garants consommateurs » que le droit communautaire entend
protéger1710.
Enfin, c’est la lecture de l’examen du dispositif qui incite à appréhender la
notion d’accessoire dans un sens étroit. En effet, la Commission n’a donné comme
exemples de « contrat de sûreté » que des mécanismes dont le régime est
subordonné à celui du contrat principal (le cautionnement, la solidarité, le gage et
l’hypothèque).
Si, pour toutes ces raisons, il semble que la directive ne réglemente que les
garanties personnelles présentant un caractère accessoire renforcé, cela ne veut pas
dire qu’elle prohibe la conclusion de garanties personnelles indépendantes. Elle est
seulement muette à leur sujet. En conséquence, à l’occasion de la transposition du
texte communautaire, le législateur français sera face à une alternative. Il pourra,
soit se contenter de réformer quelques éléments du régime du cautionnement et de la
solidarité, soit profiter de la transposition de la directive pour fixer le sort des
garanties personnelles indépendantes. S’il choisit cette seconde option, il pourrait
décider, soit d’étendre le champ des règles de la directive aux garanties personnelles
indépendantes, dès lors qu’elles sont conclues par des «garants consommateurs»1711,
1710 Sur la notion de «garant consommateur», cf. infra n°764. Sur l’objectif de protection du
garant, cf. infra 771-774 1711 Serait ainsi mis en place un régime primaire des garanties personnelles conclues par un
«garant consommateur». L’interprétation large de la notion de « contrat accessoire »
conduisait également à cette solution. Quelle que soit l’interprétation de cette notion,
l’instauration d’un tel régime primaire semble ainsi tout à fait justifiée au nom de la mise en
conformité de notre droit avec les exigences communautaires.
soit d’interdire à ceux-ci la souscription de garanties personnelles ne présentant pas
un caractère accessoire renforcé.
762. La réforme de notre droit aura donc une plus ou moins grande ampleur
selon le sens qui sera donné à la notion de « contrat accessoire », mais aussi selon le
rôle que jouera l’objectif d’efficacité au moment de la transposition de la directive.
Nous analyserons plus loin l’impact du texte communautaire sur les objectifs que
devra poursuivre le législateur national1712. Pour l’heure, il convient de prolonger
l’étude du champ d’application de la proposition de directive en s’intéressant aux
contractants qu’elle désigne.
B/ QUANT AUX CONTRACTANTS
763. Au regard des articles 2 et 3 de la proposition de directive, ainsi que de
l’examen de son dispositif, il est permis de préciser quels sont les protagonistes de
l’opération de garantie auxquels s’intéresse aujourd'hui le droit communautaire.
764. Le garant. Le garant, tout d’abord, est défini comme étant « le
consommateur qui conclut un contrat de sûreté » (article 2 f) ). L’article 2 a) précise
que le consommateur est « toute personne physique qui, pour les transactions régies
par la présente directive, agit dans un but pouvant être considéré comme étranger à
son activité commerciale ou professionnelle ». Le champ d’application de la
proposition de directive, relativement au garant, repose ainsi sur deux critères
cumulatifs.
D’une part, le texte communautaire ne concerne que les garants personnes
physiques. Les garants personnes morales, qui sont déjà largement exclus du
dispositif protecteur de la caution mis en place par notre droit1713, ne profiteront
donc pas non plus des règles nouvelles édictées par la directive.
D’autre part, la proposition de directive s’attache au but que poursuit le garant
en s’engageant. Le droit communautaire se montre, à cet égard, plus sélectif que le
droit français, qui n’a jusqu’à présent jamais fait varier le régime du cautionnement
en fonction de la « cause » de l’obligation de couverture du garant1714. Au regard de
la typologie des « causes » de l’obligation de couverture que nous avons établie1715,
il apparaît que la proposition de directive s’intéresse aux garants affectivement
proches du débiteur principal. Elle les qualifie de « garants consommateurs », parce
qu’ils n’agissent pas pour des raisons et dans un but professionnels1716. En revanche,
1712 Cf. infra n°771-776 1713 Sur la distinction entre la caution personne physique et la caution personne morale en
droit positif, cf. supra n°614 1714 Sur l’inefficacité résultant du défaut d’assimilation de la cause de l’obligation de
couverture de la caution dans la législation actuelle, cf. supra n°611-614 1715 Cf. supra n°292-297 1716 Sur la comparaison entre les garants n’agissant pas dans un but professionnel et les
consommateurs, cf. supra n°295
Dans sa proposition de résolution du 13 novembre 2002, le Sénat a souligné que
l’assimilation des cautions à des consommateurs paraît pertinente compte tenu de la fréquente
méconnaissance de l’ampleur de ses engagements par la personne qui accepte de se porter
caution pour une autre.
elle ne s’applique pas aux « contrats de sûreté » conclus par des garants dont l’objet
de l’activité professionnelle est l’octroi de garanties, ou par des garants intégrés dans
les affaires du débiteur principal, ou encore par des garants qui sont dépendants
financièrement de celui-ci en raison du lien professionnel ou commercial qui les
unit.
La proposition de directive n’exclut pas expressément les « contrats de sûreté »
souscrits par des garants débiteurs du débiteur principal. Pourtant, il semblerait que
la Commission européenne ait seulement envisagé le sort des garants qui ne
s’engagent pas pour éteindre une dette préalable. En effet, dans l’examen du
dispositif, il est fait référence aux recours du garant contre le débiteur principal1717.
Or, ces recours sont paralysés lorsque le paiement fait par le garant entre les mains
du créancier emporte compensation entre la créance de remboursement dudit garant
et la dette dont il était redevable envers le débiteur. En outre, les risques financiers
dont la Commission entend préserver le «garant consommateur» n’existent que
lorsque celui-ci n’est pas déjà débiteur du débiteur principal.
Le texte communautaire devrait donc s’appliquer essentiellement aux « contrats
de sûreté » conclus par des garants personnes physiques affectivement proches du
débiteur principal et non tenus d’une dette envers de ce dernier.
765. Le créancier. S’agissant du créancier, aucune référence n’y est faite dans
la définition du « contrat de sûreté ». Pour autant, la qualité du bénéficiaire ne doit
pas demeurer sans conséquence sur la détermination du champ d’application de la
proposition de directive. En effet, comme la Commission européenne entend
protéger les «garants consommateurs» de risques financiers excessifs et que la
probabilité de tels risques augmente avec le déséquilibre économique entre les
parties, le texte communautaire devrait s’appliquer aux « contrats de sûreté »
unissant des «garants consommateurs» à des créanciers institutionnels ou à des
créanciers accordant du crédit dans le cadre de leur activité professionnelle. Il
semble, ainsi, que le crédit mentionné à l’article 2 e) soit celui défini par l’article 2
c), c'est-à-dire celui consenti par un « prêteur ». Or l’article 2 b) définit le « prêteur »
comme étant « toute personne physique ou morale qui consent ou s’engage à
consentir un crédit dans le cadre de l'exercice de ses activités commerciales ou
professionnelles ». Par conséquent, les « contrats de sûreté » conclus par des
créanciers non professionnels pourraient échapper aux règles nouvelles imposées par
le droit communautaire.
766. Le débiteur principal. Concernant, enfin, le débiteur principal, l’article
2 e) dispose qu’il peut être une personne physique ou une personne morale. Dans
l’examen du dispositif, il est en outre précisé qu’il peut avoir souscrit un crédit « à
des fins privées ou professionnelles », et qu’il peut donc s’agir tout aussi bien
d’ « un consommateur que d’un commerçant ». Sont ainsi indifférentes la qualité du
débiteur et les raisons pour lesquelles il conclut le contrat garanti.
767. La nature du contrat principal. Ce qui est déterminant, en revanche,
c’est la nature du contrat principal. Cette importance n’apparaît pas à la lecture de
l’article 2 e), puisqu’il y est indiqué que le « contrat de sûreté » peut couvrir « toute
1717 Article 10 de l’examen du dispositif.
forme de crédit ». Le « contrat de sûreté » peut donc s’adjoindre à un contrat
principal qui ne répondrait pas à la définition du « contrat de crédit » de l’article 2c)
1718.
C’est l’article 3.2. qui élève la nature du contrat de base au rang des critères
d’application de la proposition de directive. En effet, cette disposition énumère les
contrats de crédit soustraits à son application et précise que l’exclusion vaut « le cas
échéant, (pour) tout contrat de sûreté correspondant ».
Parmi les exclusions importantes, il convient de relever celle des « contrats de
crédit qui ont pour objet l’octroi d’un crédit pour l’acquisition ou la transformation
d’un bien immeuble dont le consommateur est propriétaire ou qu’il cherche à
acquérir » et celle des « contrats de location excluant le transfert de propriété au
locataire et à ses ayants droit »1719.
La proposition de directive ayant supprimé de nombreuses exclusions que
retenait la directive de 1986, elle va s’appliquer à de nouveaux contrats de crédit et,
par conséquent, à tous les contrats de sûreté y afférant. Entrent ainsi désormais dans
le champ d’application du droit communautaire les « contrats de sûreté »
couvrant les contrats de crédit, quel que soit leur montant, gratuit ou à taux réduit,
les contrats de location avec option d’achats de biens ou services, les crédits par acte
authentique, les avances en compte courant, les dépassements de ligne autorisés, non
autorisés ou tacites, et toutes les formes de crédit de courte durée entraînant des frais
ou intérêts pour le consommateur.
768. Conclusion de la Section 1. Traditionnellement absent en matière de
garanties personnelles, le droit communautaire s’intéresse aujourd'hui à tous « les
contrats de sûreté » conclus entre un «garant consommateur» et un créancier
professionnel, et couvrant la plupart des formes de crédit. Le champ d’application de
la proposition de directive du 11 septembre 2002 étant circonscrit, il convient
désormais d’envisager plus précisément les répercussions que ce texte
communautaire pourrait avoir en matière de garanties personnelles.
1718 Article 2 c) : « contrat de crédit » : un contrat en vertu duquel un prêteur consent ou
s'engage à consentir à un consommateur un crédit sous la forme d'un délai de paiement, d'un
prêt ou de toute autre facilité de paiement similaire. Les contrats conclus en vue de la
prestation continue de services (privés ou publics) aux termes desquels le consommateur a le
droit de régler le coût desdits services, aussi longtemps qu'ils sont fournis, par des paiements
échelonnés ne sont pas considérés comme des contrats de crédit aux fins de la présente
directive. 1719 D’autres exclusions auront moins de répercussions en matière de garanties personnelles,
car les contrats de crédit visés sont rarement couverts par des «garants consommateurs». Ces
exclusions concernent : « les contrats de crédit en vertu desquels le consommateur est tenu de
rembourser le crédit en une seule fois dans un délai ne dépassant pas trois mois, sans
rémunération en intérêts ni autres charges » ; « les contrats de crédit remplissant les
conditions suivantes : ils sont accordés à titre accessoire, c’est à dire en dehors de l’activité
commerciale ou professionnelle principale du prêteur, ils sont accordés à des taux annuels
effectifs globaux inférieurs à ceux pratiqués sur le marché, et ils ne sont pas proposés au
public en général » ; « les contrats de crédit conclus avec une entreprise d’investissement au
sens de l’article 1er, point 2), de la directive 93/22/CEE du Conseil, ayant pour objet de
permettre à un investisseur d'effectuer une transaction sur un ou plusieurs instruments
énumérés à la section B de l’annexe de ladite directive, lorsque l'entreprise qui octroie le
crédit intervient dans cette transaction ».
SECTION 2 : LES RÉPERCUSSIONS
DE LA FUTURE DIRECTIVE
EN MATIÈRE DE GARANTIES PERSONNELLES
769. La Commission européenne a souhaité limiter l’impact du droit
communautaire sur les contrats de crédit aux consommateurs et sur les « contrats de
sûreté » en ayant recours à une directive, plutôt qu’à un règlement, qui aurait été
directement applicable, sans transposition dans les droits nationaux1720. Les
répercussions de la future directive en matière de garanties personnelles n’en seront
pas moins très importantes. Le nouveau texte communautaire rendra en effet
inéluctables des modifications du droit positif et ce, dans les deux ans suivants
l’entrée en vigueur de la directive1721 (§1). Il aura également une influence sur les
contrats de garantie personnelle en cours puisque, si la survie de la loi ancienne fait
figure de principe, l’application immédiate des mesures nationales de transposition
est imposée à l’égard de quelques règles nouvelles (§2).
§1 : LES REPERCUSSIONS
SUR LE DROIT DES GARANTIES PERSONNELLES EN VIGUEUR
770. L’objet de la proposition de directive : l’harmonisation. L’article 1er
de la proposition du 11 septembre 2002 énonce que « la présente directive a pour
objet d’harmoniser les dispositions législatives, réglementaires et administratives
des Etats membres en matière de contrats de crédit accordés à des consommateurs
ainsi qu’aux contrats de sûreté conclus par des consommateurs ». L’objet même de
la future directive implique des répercussions sur les objectifs de notre droit des
garanties personnelles. En effet, l’harmonisation constitue le mode de relation du
droit communautaire et du droit national selon lequel ce dernier continue d’exister
en tant que tel, mais se trouve privé de la possibilité de déterminer lui-même ses
finalités. Le droit national doit se modifier et évoluer en fonction d’exigences
1720 Article 2.3. de l’exposé des motifs de la proposition de directive : « le recours à une
législation uniforme prenant la forme d’un règlement, directement applicable sans
transposition dans le droit national des Etats membres a été étudié, sans être cependant
retenu. Une directive offrira aux Etats membres la possibilité de modifier la législation en
vigueur suite à la transposition de la directive 87/102/CEE dans la mesure nécessaire pour
s’y conformer. En élaborant sa proposition de directive, la Commission s’est efforcée
d’aboutir à un équilibre fondé sur une extension maximale du champ d’application de la
directive, couvrant toutes les formes de contrat de crédit et de sûreté, et sur la volonté de
limiter l’impact de pareille réforme sur les législations des Etats membres ». 1721 Article 35 de la proposition de directive.
Sur les différents modes d’intégration du droit communautaire dans le droit interne
(intégration sans transformation substantielle du droit interne, en raison de la « juxtaposition »
ou de la « fusion-absorption » du droit communautaire, ou intégration par transformation
imposée ou volontaire du droit interne), cf. N. SAUPHANOR, L’influence du droit de la
consommation sur le système juridique, LGDJ, 2000, préf. J. GHESTIN, n°536 à 563 ; J.-L.
BERGEL, A la recherche de méthodes d’intégration du droit communautaire, Rapport de
synthèse, in Méthodes d’intégration du droit communautaire au droit français, RRJ droit
prospectif 1991, vol. 4, p. 999 et s.
définies et rendues obligatoires par le droit communautaire1722. Deux questions se
posent alors. D’une part, l’efficacité des garanties personnelles fait-elle partie des
objectifs imposés par la proposition de directive (A) ? D’autre part, quelles seront
les conséquences de l’ « harmonisation maximale » sur le régime du « contrat de
sûreté » (B) ?
A/ LES REPERCUSSIONS
SUR LES OBJECTIFS DU DROIT DES GARANTIES PERSONNELLES
771. L’objectif affiché par la Commission européenne réside dans la
protection du «garant consommateur». Pour autant, les intérêts des créanciers ne
sont pas sacrifiés. A l’occasion de la transposition de la directive, notre droit
pourrait ainsi être réformé dans le respect, non seulement de l’objectif imposé par le
droit communautaire, mais aussi de l’objectif d’efficacité des garanties personnelles.
772. L’objectif communautaire de protection des «garants
consommateurs». Dans l’examen du dispositif, la Commission européenne justifie
l’application de la future directive aux « contrats de sûreté » conclus par des
«garants consommateurs» en relevant qu’ « on ne peut priver ces personnes du
minimum d’information et d’une protection similaire à celle dont dispose le
consommateur/emprunteur ». Dans l’exposé des motifs, elle ajoute que « compte
tenu des risques encourus pour leurs intérêts économiques, la situation des
personnes physiques qui se portent garants nécessite des dispositions particulières
garantissant un niveau d’information et de protection comparable à celui prévu
pour le consommateur ».
773. La compatibilité entre l’objectif communautaire de protection des
«garants consommateurs» et l’objectif d’efficacité des garanties personnelles. Les impératifs sous-tendant cette volonté de protéger les intérêts des «garants
consommateurs» sont compatibles avec la poursuite de l’objectif d’efficacité des
garanties personnelles.
Tout d’abord, le « minimum d’information » dû au garant est imposé par
l’impératif d’éthique contractuelle dans sa dimension positive, c'est-à-dire par
l’exigence de solidarité entre les contractants, et non par le souci de protéger une
partie réputée faible. Or, si les contraintes imposées aux créanciers sur le fondement
des excroissances de l’impératif d’éthique contractuelle sont incompatibles avec
l’objectif d’efficacité, celles reposant sur les véritables exigences de l’éthique
contractuelle peuvent être utiles à l’efficacité des garanties personnelles1723.
Ensuite, alors que les mesures curatives fondées sur l’impératif de justice
distributive peuvent bouleverser les attentes des créanciers1724, les mesures visant à
1722 Sur l’harmonisation, cf. J. BOULOUIS, Droit institutionnel de l’Union européenne,
Montchrestien, 6e éd., 1997, n°413 1723 Sur l’appréciation du fondement des contraintes imposées aux créanciers au regard de
l’objectif d’efficacité, cf. supra n°163-171. Sur les protections de la caution contribuant à
rendre le cautionnement efficace in abstracto, cf. supra n°407-433 Sur la politique légale et
jurisprudentielle de la caution rendant le cautionnement inefficace, cf. supra n°551-626 1724 Sur les rapports entre l’objectif d’efficacité des garanties personnelles et la justice
distributive au profit du garant, cf. supra n°138, 139
prévenir les « risques économiques » encourus par le garant sont susceptibles, au
contraire, d’éviter l’insolvabilité de celui-ci et donc l’inefficacité de la garantie
personnelle conclue.
Enfin, dans l’examen du dispositif et dans l’exposé des motifs, on ne décèle
aucune volonté de faire respecter l’impératif de justice corrective dans les rapports
entre le créancier et le garant. Le rééquilibrage est certes prôné à de nombreuses
reprises, mais uniquement à l’égard du contrat de crédit aux consommateurs1725.
Dans le « contrat de sûreté », en revanche, la Commission européenne n’impose pas
ce rééquilibrage, qui est parfaitement incompatible avec la poursuite de l’objectif
d’efficacité des garanties personnelles1726.
La volonté de protéger le «garant consommateur» ne repose donc que sur des
impératifs compatibles avec l’objectif de protection des intérêts des créanciers. Lors
de la transposition de la directive, cet objectif d’efficacité pourra donc être poursuivi
par les législateurs nationaux. Cela est d’autant plus vrai que les dispositions
relatives aux garanties personnelles prennent place dans un texte communautaire qui
s’attache au plus haut point aux intérêts des créanciers.
774. La protection des «garants consommateurs» n’est qu’un moyen pour
favoriser le marché commun. A l’occasion de la discussion de la proposition de
résolution du Sénat du 13 novembre 2002, un sénateur a remarqué que « la
philosophie générale de la proposition de directive est d’assurer la protection du
consommateur »1727. En réalité, cette protection n’est pas le but essentiel du texte
communautaire. L’« harmonisation maximale, assurant pour tous les
consommateurs de la Communauté un haut degré de protection de leurs intérêts et
un degré d’information identique »1728 n’est qu’un moyen pour favoriser le marché
commun et les échanges transfrontières. Avant tout, « l’objectif est de permettre la
création d’un marché plus transparent, plus efficace, et offrant un degré de
protection des consommateurs tel que la libre circulation des offres de crédits puisse
s'effectuer dans les meilleures conditions tant pour les offreurs que pour les
demandeurs »1729.
La base juridique de la proposition de directive du 11 septembre 2002 révèle
d’ailleurs parfaitement que l’objectif premier réside dans la satisfaction des besoins
du marché intérieur et non dans la protection des consommateurs. En effet, pour agir
1725 Dans l’article 2.1. de l’exposé des motifs, la Commission européenne déclare vouloir
« établir un partage plus équilibré des relations entre le consommateur et le professionnel »
et, notamment, « un partage plus équilibré de leurs responsabilités ». Dans la fiche d’impact,
l’un des objectifs mis en avant est pareillement « le rééquilibrage des droits et des
obligations, tant des consommateurs, que des dispensateurs de crédit ». 1726 Sur les rapports entre l’objectif d’efficacité et l’impératif de justice corrective, cf. supra
n°125-132 1727 A. de MONTESQUIOU, Communication du 12 novembre 2002 sur l’harmonisation des
dispositions en matière de crédit aux consommateurs. 1728 Exposé des motifs, point 5 1729 Article 2.1. de l’exposé des motifs.
Dans le même sens, cf. le communiqué de presse de la Commission européenne, dans la
perspective de la réunion du Conseil Compétitivité des 14 et 15 novembre 2003 : « recherche
d’une harmonisation maximale pour améliorer la qualité des prêts et favoriser la
concurrence tronsfrontalière ».
en faveur de ces derniers1730, la Communauté peut, selon l’article 153-3 du Traité,
soit prendre des mesures qui sont directement faites pour protéger les
consommateurs1731, soit prendre des mesures en application de l’article 95 pour
rapprocher les législations de façon à supprimer les entraves à la libre circulation.
Dans ce dernier cadre, la protection des consommateurs n’est que la conséquence de
la réalisation du marché intérieur. Comme l’article 95 du Traité a été retenu comme
base juridique de la proposition de directive, on voit à quel point celle-ci n’entend
pas faire primer les intérêts des consommateurs sur ceux des créanciers, mais
cherche plutôt à « créer les conditions permettant la réalisation d’un marché
intérieur fonctionnant à la fois au bénéfice des prêteurs et des consommateurs »1732.
775. La protection communautaire des intérêts des créanciers. Loin d’être
éludée, la protection des intérêts des créanciers est même recherchée à deux niveaux.
D’une part, la Commission européenne entend instaurer des mesures
protectrices des consommateurs qui soient en même temps profitables aux prêteurs.
Dans la fiche d’évaluation d’impact de la proposition, elle énumère ainsi les
avantages que ces derniers retireront des nouvelles contraintes qui leur sont
imposées1733.
D’autre part, elle défend la protection directe des intérêts des créanciers. Ainsi,
parmi les lignes directrices devant être suivies pour atteindre l’objectif de réalisation
du marché commun, on retrouve « la mise en place d’un cadre structuré
d’information du dispensateur de crédit, afin de lui permettre de mieux apprécier
ses risques » et « l’amélioration des modalités et pratiques de traitement des
incidents de paiement »1734.
1730 Selon l’article 153 Traité CE (ancien article 129 A), la protection des consommateurs est
un but en soi de la politique communautaire. 1731 Elle doit alors respecter le principe de subsidiarité de l’article 5. 1732 Article 2.1. de la fiche d’évaluation d’impact de la proposition de directive. 1733 Article 2.3. de la fiche d’évaluation d’impact :
« Les prêteurs et intermédiaires de crédit devront adapter leur gestion du risque, y compris à
l’égard des contrats de sûreté. Ils devront faire face à une augmentation de leur
responsabilité suite (…) à l’obligation de prêt responsable. (…) Ceci constitue, cependant,
plutôt un changement d’approche qu’un coût quantifiable qui, d’ailleurs, sera compensé par
les opportunités croissantes de traiter avec des consommateurs plus confiants et dans une
concurrence plus loyale ».
« L’assainissement du marché (grâce à l’interdiction du démarchage actif et au contrôle de
l’utilisation des bases de données) est à l’avantage de toute la profession ».
« La création des bases centralisées de données, conformément à l’article 8, établira dans
certains Etats membres pour les prêteurs, et le cas échéant une obligation indirecte
d’alimenter la base et une obligation directe de consultation pour toute offre des contrats de
crédit. Cependant, l’absence de bases réglementées ne signifie pour autant pas l’absence des
frais pour évaluation de risque ; l’impact global sera donc neutre. D’ailleurs, on constate
d’ores et déjà, dans les pays où de telles obligations existent que les frais de consultation sont
marginaux (entre 0,02 € et 0,10€ par consultation) ».
« La gestion du contentieux par les prêteurs (…) devra être adaptée à l’égard des procédures
de mise en demeure, (…) de communication de l’impayé et d’exécution sur les garants.
L’introduction des règles communes constitue toutefois une large compensation de
l’augmentation marginale (éventuelle) des frais actuels ». 1734 Article 2.1 de l’exposé des motifs.
776. Non seulement parce que la protection des intérêts des créanciers est
considérée comme un moyen de favoriser le marché commun et la concurrence
transfrontalière, mais aussi parce que les impératifs sous-tendant l’objectif de
protection des «garants consommateurs» sont compatibles avec la recherche de
l’efficacité des garanties personnelles, le législateur français pourra donc, à
l’occasion de la transposition de la directive, protéger les intérêts des créanciers tout
en respectant les objectifs imposés par le droit communautaire.
L’influence de la future directive ne s’exercera pas uniquement sur les objectifs
de notre droit des garanties personnelles. Le droit communautaire aura également
des répercussions sur le contenu du droit en vigueur.
B/ LES REPERCUSSIONS
SUR LE CONTENU DU DROIT DES GARANTIES PERSONNELLES
777. Alors que la Commission européenne déclare que « l’harmonisation
visée pour ces contrats (de sûreté) portera principalement sur l’information à fournir
aux consommateurs qui concluent de tels contrats»1735, la proposition de directive
s’intéresse, en réalité, à bien d’autres éléments du régime des garanties personnelles.
Sans les étudier dès à présent dans le détail1736, nous allons énumérer les règles qui
concernent le « contrat de sûreté »1737 et nous interroger sur l’ampleur des
modifications qu’elles vont emporter en droit interne.
778. Les dispositions de la proposition de directive relatives au « contrat
de sûreté ». Le droit communautaire appréhende le « contrat de sûreté » à tous les
stades de son existence.
La période de formation fait l’objet d’une attention toute particulière. Des
dispositions ont ainsi pour objet l’interdiction du démarchage actif1738, l’information
réciproque des parties avant la conclusion du contrat1739, la collecte et le traitement
des données personnelles1740, les bases centralisées de données de type négatif et
positif1741, le prêt responsable1742, le formalisme informatif1743 et l’interdiction des
clauses abusives1744.
1735 Examen du dispositif relatif à l’article 1er. 1736 Chacune des règles de la proposition de directive sera analysée précisément lors de la
présentation du contenu de la réforme. 1737 Ces règles, ainsi que leurs aménagements postérieurs, figurent à l’adresse Internet
suivante : http://europa.eu.int/prelex/detail_dossier_real.cfm?CL=fr&DosId=176090 1738 Article 5 1739 Article 6.1 1740 Article 7 1741 Article 8 1742 Article 9 1743 Article 10.1 1744 L’article 15 ajoute à la liste des clauses abusives figurant dans la directive 93/13/CEE des
clauses pouvant figurer plus spécialement dans un contrat de crédit ou de sûreté. En réalité,
les stipulations énumérées ne concernent que le contrat de crédit et non le contrat de garantie
personnelle.
L’étendue du « contrat de sûreté » donne également lieu à des règles
importantes, aussi bien par rapport au montant1745, que par rapport à la durée de
l’engagement du garant1746.
Hormis une disposition relative à la cession des droits nés du « contrat de
sûreté »1747, tous les autres articles concernent la réalisation de la garantie et, plus
précisément, le moment des poursuites contre le garant1748, sa mise en demeure1749,
ses recours extrajudiciaires1750, les procédures de recouvrement1751, et l’interdiction
de l’utilisation de la lettre de change ou autres titres1752
779. Les exigences communautaires relatives aux sanctions. L’article 31 de
la proposition de directive précise qu’il appartiendra aux Etats membres de
déterminer les sanctions de ces différentes règles, en veillant à ce qu’elles soient
« effectives, proportionnées et dissuasives ».
L’exigence d’effectivité n’implique pas le prononcé systématique de sanctions,
mais seulement la mise en place de procédures de recours, judiciaires et
amiables1753.
S’agissant de la proportionnalité de la sanction aux violations commises, elle
suppose de prendre en compte le comportement de l’auteur du manquement,
éventuellement celui de la victime, et le préjudice résultant du non respect de la
règle. Cette exigence de proportionnalité pourrait conduire les Etats membres à
écarter les sanctions forfaitaires, comme la nullité et la déchéance, et à privilégier,
au contraire, la mise en jeu de la responsabilité.
Cependant, comme les sanctions doivent également présenter un caractère
dissuasif, celles de nature forfaitaire pourraient malgré tout être privilégiées.
D’ailleurs, le même article 31 propose de sanctionner les manquements aux
dispositions relatives au prêt responsable par une déchéance partielle, limitée aux
intérêts et frais.
Il appartiendra donc au législateur français de transposer les règles
communautaires inédites en les assortissant de sanctions qui respectent les exigences
de la directive, et de modifier, le cas échéant, les sanctions des règles déjà présentes
dans notre droit, si elles ne sont pas effectives, proportionnées et dissuasives.
780. Le caractère impératif des dispositions protectrices du «garant
consommateur». L’article 30.2 de la proposition de directive charge les Etats
membres d’une autre mission. Ils doivent « veiller à ce que les contrats de crédit et
de sûreté ne dérogent pas, au détriment du consommateur et du garant, aux
dispositions de droit national qui mettent en application la présente directive ou qui
lui correspondent ». Les dispositions de transposition ou les dispositions existantes,
1745 Articles 10.3 et 23.3 1746 Article 23.1 1747 Article 17 1748 Article 23.2 1749 Articles 24.1 et 24.2 a) 1750 Article 32 1751 Article 27 1752 Article 18 1753 La proposition de directive encourage le recours aux procédures amiables avant la mise en
œuvre des procédures de recouvrement (article 2.2. de l’exposé des motifs).
conservées ou modifiées conformément à la directive, doivent donc être impératives
dès lors qu’elles organisent la protection du garant.
L’article 30.4 ajoute que « le consommateur et le garant ne peuvent renoncer
aux droits qui leur sont conférés en vertu de la présente directive » et, dans l’examen
du dispositif, il est précisé que les renonciations ne peuvent avoir lieu « en aucun
cas ». L’interdiction porterait donc, non seulement sur les renonciations a priori
inscrites dans l’acte de garantie lui-même, mais aussi sur les renonciations à des
droits acquis. Alors que la proposition de directive instaure un ordre public de
protection, elle pourrait ainsi empêcher la confirmation des actes nuls ou toute autre
forme de régularisation.
Dans la mesure où les protections de la caution présentent déjà un caractère
impératif dans notre système légal et que nos juges refusent qu’elles ne soient
couvertes par ratification ou régularisation1754, les dispositions précitées du droit
communautaire ne vont pas profondément bouleverser le droit positif.
781. Le caractère impératif des dispositions communautaires. L’impact de
la future directive sur le contenu du droit des garanties personnelles en vigueur
pourrait surtout résulter du choix des institutions communautaires en faveur du
caractère impératif des dispositions de la directive. Ce choix apparaît à l’article 30.1,
qui dispose que « les Etats membres ne peuvent prévoir d’autres dispositions que
celles établies par la présente directive, sauf en ce qui concerne : a)
l’enregistrement des contrats de crédit et de sûreté prévu à l’article 8, paragraphe
4 ; b) les dispositions en matière de charge de la preuve visées à l’article 33 ».
L’une des causes ayant motivé l’adoption de la proposition de directive étant les
disparités entre les droits nationaux en matière de contrat de crédit1755, ce choix ne
surprend pas. S’il devait être maintenu jusqu’à l’adoption définitive de la
directive1756, il emporterait des répercussions majeures sur notre droit des garanties
personnelles.
1754 Cf. supra n°622-625 1755 Sur les motifs de la proposition de directive, cf. supra n°745, 751 1756 Le conditionnel est de mise car le choix en faveur de l’harmonisation totale est vivement
critiqué. Ainsi, EURO COOP, en octobre 2003, a montré que l’harmonisation totale peut être
dangereuse si elle ne repose pas sur des normes élevées de protection du consommateur. En
effet, dans cette hypothèse, les Etats membres désireux d’appliquer un niveau de protection
plus élevé que celui de la directive, ne seront pas autorisés à le faire. L’harmonisation totale
peut être également dangereuse en cas d’évolution des conditions économiques et sociales,
car elle empêche des adaptations législatives rapides, sauf à ce que la directive prévoit une
clause de révision. Enfin, il est reproché à l’harmonisation maximale de ne pas prendre en
compte les conditions des différents Etats membres et donc de risquer d’entraîner des lacunes
dans certaines régions.
Les critiques sont telles que le rapporteur au fond de la proposition devant le Parlement, J.
WURMELING, se montre aujourd'hui favorable au principe d’une harmonisation minimale.
Mais cette dernière solution ne fait pas non plus l’unanimité, puisque l’ASF s’est déjà élevée
contre le cumul de contraintes qui résulterait alors de la directive et des législations nationales
existantes.
Sur la question du degré de liberté d’action laissée aux Etats membres dans la transposition
des directives, cf. J.-P. PIZZIO, Le droit de la consommation à l’aube du XXIe siècle. Bilan et
perspectives, Liber amicorum J. Calais-Auloy, Etudes de droit de la consommation, Dalloz,
2004, p. 877 et s. ; S. ROBIN-OLIVIER et J.-S. BERGE, Droit de la consommation. La
Tout d’abord, l’harmonisation totale s’oppose à ce que les droits nationaux
soient moins ou plus protecteurs des «garants consommateurs» que le droit
communautaire. Dans la fiche d’évaluation d’impact de la proposition de directive,
la Commission européenne remarque ainsi que « certaines règles d’information et
de protection des Etats membres seront jugées disproportionnées et trop
particulières et ne pourront pas être maintenues dans le cadre de l’harmonisation
proposée ». Une déréglementation de certains éléments du régime du cautionnement
pourrait ainsi avoir lieu à l’occasion de la transposition de la future directive.
Ensuite, l’harmonisation maximale implique, selon l’article 30.5, que les Etats
membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher le contournement des
règles issues du droit communautaire par le biais du choix de la loi applicable au
contrat de crédit ou de sûreté.
Enfin, l’harmonisation totale s’oppose également au contournement résultant de
la conclusion de contrats dont le caractère ou le but permet d’éviter l’application de
la directive. L’article 30.3 dispose, en effet, que « les Etats membres veillent à ce
que les dispositions qu'ils adoptent pour la mise en application de la présente
directive ne puissent être contournées par des formes particulières données aux
contrats ».
782. L’impératif communautaire de lutte contre le contournement. Si la
proposition de directive ne donne des exemples de contournement qu’en matière de
contrat de crédit1757, elle semble également prohiber les contournements dans le
domaine du « contrat de sûreté », puisque les contrats sont visés de manière
générale, sans référence aux seules formes particulières données aux contrats de
crédit.
Par conséquent, le législateur français, pour se conformer à l’impératif
communautaire de lutte contre le contournement, devra faire cesser la logique de
substitution, qui caractérise aujourd'hui la matière des garanties personnelles et qui
grève l’efficacité de celles qui sont innomées. A cette fin, il devra supprimer les
vraies lacunes du droit à l’égard de toutes les garanties personnelles n’entrant pas
expressément dans le champ de la directive. Si l’on retient que celle-ci ne s’applique
qu’aux « contrats de sûreté » présentant un caractère accessoire renforcé1758, le
législateur français devra donc, soit interdire purement et simplement la conclusion
de garanties personnelles indépendantes par des «garants consommateurs», soit
difficile question de la marge de manœuvre conférée par le droit communautaire aux droits
nationaux dans la transposition des directives (Retour sur trois arrêts de la CJCE du 25 avril
2002), LPA 19 mai 2003, n°99, p. 9 et s. 1757 Article 30.3 de la proposition de directive. Dans l’examen du dispositif, la Commission
européenne précise qu’ « il importe d’éviter que les exclusions visées à l’article 3, notamment
celles qui portent sur le crédit au logement et le contrat de bail, soient tournées de sorte que
les opérations visées par la présente directive soient intégrées dans ces contrats. En d’autres
termes, si un consommateur demande un prélèvement de crédit en vertu de son crédit au
logement ou dispose dans le cadre de son contrat de bail, d’une option d’achat tacite et que
ce prélèvement doit lui permettre de financer l’achat d’une voiture, la directive s’appliquera.
Les Etats membres sont invités à éviter pareille distorsion ». 1758 Sur l’interprétation de la notion de « contrat accessoire » figurant à l’article 2 e) de la
proposition de directive, cf. supra n°760, 761
soumettre ces contrats aux mêmes règles que celles régissant les garanties
personnelles accessoires.
783. Les répercussions de la future directive sur le contenu de notre droit des
garanties personnelles seront donc de taille, puisque, non seulement le droit du
cautionnement devra être modifié pour intégrer les dispositions de la directive
intéressant le « contrat de sûreté », mais surtout les actuelles garanties personnelles
innomées vont devoir être réglementées pour respecter l’impératif de lutte contre le
contournement.
L’influence du droit communautaire ne va pas uniquement s’exercer sur les
objectifs et le contenu du droit des garanties personnelles en vigueur. Elle va
également concerner les contrats de garantie personnelle en cours.
§2 : LES REPERCUSSIONS
SUR LES CONTRATS DE GARANTIE PERSONNELLE EN COURS
784. L’article 34 de la proposition de directive instaure un régime transitoire
dans lequel la survie de la loi ancienne fait figure de principe. La Commission
européenne entend, de cette façon, ne pas bouleverser les contrats en cours,
particulièrement ceux de longue durée ou à durée indéterminée1759 (A). Cependant,
elle relève également, dans l’examen du dispositif, qu’ « une grande partie des
mesures peuvent et doivent s’appliquer aux contrats de crédit en cours, notamment
à l’égard de l’information à fournir au consommateur et au garant pendant
l’exécution et l’inexécution du contrat de crédit ou de sûreté ». Dans cette optique,
l’article 34 énumère les règles qui devront s’appliquer dès l’entrée en vigueur des
dispositions nationales de transposition. Dans les domaines où l’application
immédiate est retenue, les répercussions de la future directive sur les contrats de
garantie personnelle en cours seront inévitables (B).
A/ LE DOMAINE DE LA SURVIE DE LA LOI ANCIENNE
785. Le principe de survie de la loi ancienne. La survie de la loi ancienne
étant posée en principe par l’article 34 de la proposition de directive, toutes les
règles ne figurant pas expressément dans cette disposition, à titre d’exception,
doivent demeurer sans conséquence sur les « contrats de sûreté » en cours à la date
d’entrée en vigueur des mesures nationales de transposition.
786. Les règles n’affectant pas les « contrats de sûreté » en cours. Sont
essentiellement concernées par le principe de survie de la loi ancienne les règles
relatives à la période de formation du contrat, qui ne doivent pas s’appliquer
immédiatement, sous peine de remettre en cause rétroactivement les garanties déjà
constituées. Ainsi, ne s’appliqueront qu’aux contrats conclus postérieurement à
l’entrée en vigueur des textes de transposition les règles suivantes : l’interdiction du
démarchage actif, les exigences relatives aux demandes d’information par le
créancier et aux réponses du garant, les règles organisant la collecte et le traitement
des données personnelles concernant le garant, l’obligation pour le bénéficiaire de
1759 Examen du dispositif relatif à l’article 34.
consulter une base de données de type négatif, les règles intéressant le support du
contrat et la remise d’un exemplaire du contrat principal au garant et aussi le
principe de « prêt responsable ».
La survie de la loi ancienne joue également à l’égard des règles relatives au
contenu du « contrat de sûreté ». Ces règles ont pour objet, d’une part, la mention du
maximum garanti et des procédures extrajudiciaires auxquelles le garant peut
recourir et, d’autre part, l’interdiction des clauses abusives1760. Si les contrats
conclus avant l’entrée en vigueur des dispositions de transposition ne seront pas
affectés par ces différentes règles, le seront, en revanche, ceux formés
postérieurement. Les créanciers devront ainsi adapter leur gestion informatique et
commerciale, ainsi que leurs modèles de contrat, en fonction des données nouvelles
à mentionner. La Commission européenne a pris soin de remarquer que, comme
« cette adaptation ponctuelle peut être planifiée et exécutée sur plusieurs années
(…), les inconvénients seront largement contrebalancés par les avantages» qu’en
retireront les créanciers1761.
Enfin, ne produiront aucun effet sur les contrats de garantie personnelle en
cours les dispositions régissant la cession des droits résultant de ces contrats, ainsi
que les dispositions prohibant l’utilisation de la lettre de change ou d’autres titres.
787. Les autres règles imposées par le droit communautaire vont, au contraire,
s’appliquer dès l’entrée en vigueur des dispositions nationales de transposition et
affecter, par conséquent, les « contrats de sûreté » en cours à cette date.
B/ LE DOMAINE DE L’APPLICATION IMMEDIATE
DES DISPOSITIONS NATIONALES DE TRANSPOSITION
L’article 34.1 de la proposition de directive déclare immédiatement applicables les
mesures nationales transposant les articles 9, 23.1, 23.2, 24, et 27 du texte
communautaire.
788. Le principe de prêt responsable. Tout d’abord, il est décidé que
« l’article 9 s’applique aux dits contrats (contrats de sûreté en cours) dans la mesure
où une augmentation du montant total du crédit ou du montant garanti aurait lieu
après l’entrée en vigueur des mesures nationales de transposition de la présente
directive ». Les obligations légales et jurisprudentielles imposant la tempérance aux
1760 Il convient de relever une certaine contradiction, au sein de la proposition de directive, au
sujet de l’interdiction des clauses abusives. En effet, l’article 15, qui dresse une liste des
clauses pouvant être considérées comme abusives, ne figure pas dans l’article 34 au titre des
dispositions devant donner lieu à une application immédiate. Cependant, ce même article 34
précise que les articles 30 à 35 sont d’application immédiate. Or, l’article 33 qualifie
d’abusive « toute clause contractuelle prévoyant que la charge de la preuve du respect par le
prêteur et, le cas échéant, de l’intermédiaire de crédit, de tout ou partie des obligations que
leur impose la présente directive incombe au consommateur ». L’application immédiate de la
disposition nationale transposant l’article 33 du texte communautaire pourrait ainsi conduire à
réputer non écrites des clauses relatives à la charge de la preuve, stipulées dans des contrats
de sûreté conclus avant l’entrée en vigueur de cette disposition de transposition. 1761 Article 3 de la fiche d’évaluation d’impact de la proposition de directive.
créanciers étant déjà bien implantées dans notre système juridique1762, l’application
immédiate de l’article 9 ne devrait pas engendrer les inconvénients qu’y attache la
Commission européenne, à savoir que « les prêteurs et intermédiaires de crédit
devront adapter leur gestion du risque, y compris à l’égard des contrats de sûreté, (et
qu’) ils devront faire face à une augmentation de leur responsabilité suite (…) à
l’obligation de prêt responsable »1763.
789. La durée de l’engagement du garant. Compte tenu de la dernière
réforme du cautionnement, l’application immédiate des dispositions nationales
transposant l’article 23.1 ne devrait pas non plus emporter des bouleversements trop
conséquents sur les cautionnements en cours. En effet, l’article 23.1 impose que les
« contrats de sûreté » garantissant le remboursement d’un contrat de crédit à durée
indéterminée n’excèdent pas trois ans. Or, depuis la loi du 1er août 2003, les
cautionnements sous seing privé conclus entre un créancier professionnel et une
caution personne physique doivent comporter un terme, à peine de nullité1764. Ainsi,
l’obligation de remplacement des contrats ne respectant pas les exigences de l’article
23.1, qu’impose l’article 34.3, dans les deux ans de l’expiration de la période de
transposition1765, devrait rarement jouer en matière de cautionnement. Elle risque
d’affecter davantage les garanties personnelles qui sont aujourd'hui innomées et qui
devraient être réglementées à l’occasion de la transposition de la future directive1766.
L’application immédiate des dispositions nationales transposant l’article 23.1
emportera une autre conséquence. En effet, cet article précisant que le contrat de
sûreté « ne peut être renouvelé que moyennant l’accord exprès du garant au terme
de cette période (de trois ans) », seront inefficaces les tacites reconductions
intervenant après l’entrée en vigueur des mesures de transposition.
790. Les poursuites exercées contre le «garant consommateur».
L’application immédiate des dispositions nationales transposant les articles 23.2, 24
et 27 du texte communautaire aura une influence sur les poursuites exercées contre
les «garants consommateurs» après l’entrée en vigueur de ces dispositions. En effet,
à compter de cette date, les créanciers ne pourront agir contre leur garant « que si le
consommateur qui manque à son obligation de rembourser le crédit ne s'y est pas
conformé dans un délai de trois mois à partir de la mise en demeure » (article 23.2).
En outre, ils pourront se voir sanctionner s’ils « prennent des mesures
1762 Sur l’obligation de ne pas faire souscrire aux cautions des engagements disproportionnés
par rapport à leurs biens et revenus, cf. supra n°414, 466, 507, 520, 526, 545, 614, 619 1763 Article 3 de la fiche d’évaluation d’impact de la proposition de directive. La Commission
européenne tempère cependant ces inconvénients en relevant que « ceci constitue plutôt un
changement d’approche qu’un coût quantifiable qui, d’ailleurs, sera compensé par les
opportunités croissantes de traiter avec des consommateurs plus confiants et dans une
concurrence plus loyale ». 1764 Sur le nouvel article L. 341-2 du Code de la consommation, cf. supra n°408, 411, 507,
526, 528, 532, 545, 549, 604, 614, 618 1765 Si l’article 34.3 n’envisage que les contrats de sûreté à durée indéterminée, son esprit
incite à soumettre également à l’obligation de remplacement les contrats de sûreté dont la
durée est supérieure à 3 ans. 1766 Sur la réglementation des actuelles garanties personnelles innomées imposée par
l’impératif de lutte contre le contournement de l’article 30.3 de la proposition de directive, cf.
supra n°782
disproportionnées pour récupérer leurs créances », en cas d’inexécution du contrat
de sûreté (article 24.1. a)). Enfin, dans le cadre du recouvrement des créances
résultant de ce contrat, seront désormais interdites de nombreuses pratiques1767.
791. Conclusion de la Section 2 et du Chapitre 2. Si le principe de survie de
la loi ancienne et le domaine relativement restreint assigné à l’application immédiate
des dispositions nationales de transposition limitent l’influence qu’exercera la future
directive sur les « contrats de sûreté » en cours, les répercussions de cette directive
sur le droit des garanties personnelles en vigueur seront, en revanche, très profondes.
En effet, le droit communautaire obligera le législateur français à protéger, non
seulement les «garants consommateurs», sur le fondement des impératifs d’éthique
contractuelle et de justice distributive, mais aussi les intérêts des créanciers, afin de
favoriser la réalisation du marché intérieur et la concurrence transfrontalière. Par
ailleurs, la future directive rendra nécessaire une réforme de notre droit du
cautionnement, mais aussi une réforme de l’ensemble des garanties personnelles.
Que l’on considère la proposition de directive applicable à tous les « contrats de
sûreté » présentant un caractère accessoire essentiel, ou que l’on restreigne son
champ d’application aux garanties personnelles présentant un caractère accessoire
renforcé, tout en faisant respecter l’impératif de lutte contre le contournement, la
réglementation de l’ensemble des garanties personnelles paraît en effet imposée par
le droit communautaire.
792. Conclusion du Titre 1. La recherche de l’efficacité, d’une part, et la
future directive sur le crédit aux consommateurs, d’autre part, justifient toutes deux,
non seulement qu’une réforme de notre droit des garanties personnelles ait lieu, mais
aussi qu’il s’agisse d’une réforme en profondeur, respectueuse des attentes
objectives et subjectives des créanciers bénéficiaires.
Les justifications de la reconstruction du droit des garanties personnelles étant
réelles et concordantes, il convient désormais de s’intéresser à son contenu, c'est-à-
dire aux règles nouvelles auxquelles conduisent, tant les exigences communautaires,
que l’objectif d’efficacité des garanties personnelles.
1767 Les pratiques interdites par l’article 27.2. sont les suivantes : l'écrit qui laisse croire à tort,
par sa présentation, qu'il s'agit d'un document émanant d'une autorité judiciaire ou de
médiation de dettes ; toute communication écrite comportant des informations erronées sur les
conséquences du défaut de paiement ; la reprise de bien non autorisée, sans procédure
judiciaire ou sans accord exprès visé à l’article 26 ; toute mention sur une enveloppe dont il
ressort que la correspondance concerne la récupération d'une créance ; l'encaissement de frais
non prévus par le contrat de crédit ou de sûreté ; toute démarche chez les voisins, la famille ou
l'employeur du consommateur ou du garant, notamment toute communication d'informations
ou toute demande d'informations au sujet de la solvabilité du consommateur ou du garant,
sans préjudice des actes accomplis dans le cadre des procédures légales de saisie telles
qu’établies par les Etats membres ; le harcèlement physique ou moral du consommateur ou du
garant ; le recouvrement d’une dette prescrite.
TITRE II
LE CONTENU DE LA RÉFORME
793. Une présentation non exhaustive du nouveau droit des garanties
personnelles. Le travail de politique législative, auquel il est nécessaire de se livrer
pour proposer le contenu d’une réforme1768, ne se traduira pas par un exposé
exhaustif du nouveau droit des garanties personnelles et ce, pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, il n’est pas utile de développer à nouveau les règles grâce
auxquelles le droit positif favorise ou organise déjà l’efficacité des garanties
personnelles1769, dès lors que le droit communautaire n’impose aucune modification
à leur égard.
Ensuite, la problématique retenue implique de ne s’intéresser, ni aux règles
n’ayant aucune conséquence sur les intérêts des créanciers, ni aux règles protégeant
ces intérêts sans que l’existence ou la réalisation de la garantie personnelle ne soient
en cause. Alors que le nouveau droit des garanties personnelles devrait réglementer
les rapports entre les garants d’une même dette1770, les contregaranties ou encore les
garanties prises par le garant lui-même pour conforter son remboursement1771, seules
1768 Le travail de politique législative a pour objet d’« orienter les réformes, d’en fixer les
objectifs et d’en peser les moyens, dans le discernement de ce qui est souhaitable et de ce qui
est possible » (Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002,
V° Législatif, p. 515). En matière de politique législative, « la question fondamentale est de
savoir si et dans quelle mesure une réforme législative est nécessaire à propos d’une matière
déterminée » (R. HOUIN, De lege ferenda, Mélanges Roubier, 1961, t. 1, p. 275). La
politique législative correspond ainsi à la partie constructive de la critique législative,
puisqu’il s’agit de « proposer de lege ferenda les améliorations propres à remédier aux
défauts du droit positif » (Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e
éd., 2002, V° Législatif, p. 515). 1769 Cf. supra n°315-404 ; 405-503 1770 Des réflexions devraient ainsi être menées sur les points suivants : la solidarité entre les
cogarants ; les recours entre cogarants (la règle de l’article 2033 du Code civil pourrait être
étendue au bénéfice de tous les garants ; les modalités du recours pourraient être précisées,
ainsi que ses causes d’extinction) ; l’incidence de l’extinction totale ou partielle d’un des
engagements sur les autres (sur cette question, cf. M. MIGNOT, th préc., n°601, 920, 921,
925, 957, 966, 985 à 987, 990) ; l’incidence du dol de l’un des garants à l’égard d’un autre. 1771 B. SAINTOURENS (Certificateurs de caution et sous-cautions : les oubliés des réformes
du droit du cautionnement, Mélanges M. Cabrillac, Litec, 1999, p. 397 et s.) a mis en avant,
d’une part, les dispositions protectrices de la caution dont le champ d’application couvre
implicitement les certificateurs de caution et les sous-cautions et, d’autre part, les règles qui
les règles relatives au contrat de garantie lui-même et aux relations entre le garant et
le débiteur principal seront ici envisagées.
Enfin, même si ponctuellement il sera précisé de quelle manière les nouveaux
textes devront être rédigés pour être compréhensibles, clairs et cohérents, les
différentes règles proposées ne seront pas formulées sous forme d’articles de loi.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous allons donc mettre en lumière des règles
nécessaires, non seulement au respect des exigences communautaires relatives au
« contrat de sûreté », mais aussi à la suppression des vraies et fausses lacunes du
droit des garanties personnelles en vigueur.
794. Une présentation originale du nouveau droit des garanties
personnelles. Dans le Code civil, ainsi que dans les ouvrages généraux consacrés au
droit des sûretés, le régime du cautionnement et celui des garanties personnelles
innomées sont essentiellement présentés de façon chronologique. Sont envisagés
successivement la formation du contrat de garantie (conditions de validité et de
preuve), l’étendue de l’engagement du garant, les effets de la garantie et enfin sa
réalisation (les poursuites exercées contre le garant ; l’exécution de celui-ci et ses
recours contre le débiteur principal ; l’inexécution du garant en raison, notamment,
de l’extinction par voie principale ou accessoire de son engagement).
Afin de mettre en valeur la structure de la réforme à laquelle conduit la
recherche de l’efficacité des garanties personnelles et que la proposition de directive
du 11 septembre 2002 autorise, il est nécessaire de délaisser cette présentation
traditionnelle et d’exposer le nouveau droit des garanties personnelles en
développant d’abord le régime primaire (Chapitre 1), puis les règles spéciales
(Chapitre 2).
devraient être adaptées aux spécificités de ces deux types de cautions. Cet auteur n’a
cependant pas défendu l’instauration d’un régime propre à la certification de caution et au
sous-cautionnement. Au contraire, il s’interroge sur le point de savoir « si le problème ici
examiné doit inciter le législateur à accentuer la précision des textes pour couvrir des
hypothèses certes statistiquement marginales mais néanmoins tout aussi dignes d’intérêt ou
si, au contraire, il ne s’agit pas d’une plaidoirie pour des dispositions les plus générales
possibles qui laissent à l’interprète (au juge) un rôle actif ».
CHAPITRE I
LE RÉGIME PRIMAIRE
795. La proposition de directive sur le crédit aux consommateurs impose aux
Etats membres de veiller à ce que les dispositions de transposition « ne puissent être
contournées par des formes particulières données aux contrats » (article 30.3). Afin
de respecter cet impératif de lutte contre le contournement, le législateur français
pourra, soit interdire le recours aux garanties personnelles non régies par le droit
communautaire, soit soumettre l’ensemble des garanties personnelles à des règles
communes impératives1772. Si l’objectif d’efficacité devait dicter la réforme du droit
des garanties personnelles, la seconde voie devrait être adoptée. L’instauration d’un
régime primaire constitue, en effet, un facteur de réalisation des attentes objectives
et subjectives des créanciers, alors que l’interdiction générale de certains
mécanismes risque de compromettre l’efficacité in concreto des contrats conclus1773.
Le régime primaire des garanties personnelles, qu’autorise ainsi le droit
communautaire et que commande l’objectif d’efficacité, devrait figurer dans le Code
civil et présenter un caractère impératif1774.
Dans la mesure où un tel régime doit reposer sur les caractéristiques communes
à l’ensemble des garanties personnelles et que, parmi ces caractéristiques, certaines
leur sont propres et d’autres sont partagées par des mécanismes de garantie
distincts1775, il convient de distinguer, au sein de ce régime primaire, les règles
applicables aux seules garanties personnelles (Section 1) des règles qui pourraient
concerner d’autres garanties (Section 2).
1772 Sur le champ d’application de la proposition de directive du 11 septembre 2002, cf. supra
n°752-767 et sur les répercussions de l’impératif de lutte contre le contournement, cf. supra
782 1773 Sur la structure de la réforme que commande la recherche de l’efficacité des garanties
personnelles, cf. supra n°725-735 1774 Sur le modèle de l’article 226 du Code civil relatif au régime primaire matrimonial, une
disposition pourrait éviter toute hésitation sur la portée des règles composant le régime
primaire des garanties personnelles en indiquant que les dispositions de la présente section, en
tous les points où elles ne réservent pas l’application des stipulations contractuelles, sont
applicables, par le seul effet de la conclusion de la garantie personnelle, quels que soient la
qualité du garant, la cause de son obligation de couverture, et l’objet de son obligation de
règlement. 1775 Cf. supra n°244-247 ; 261-279
SECTION 1 : LES RÈGLES APPLICABLES
AUX SEULES GARANTIES PERSONNELLES
796. Définition terminologique des garanties personnelles. Avant
d’énoncer les règles impératives applicables à toutes les garanties personnelles et
seulement à celles-ci, le Code civil devrait fournir une définition terminologique de
ces mécanismes1776, reposant sur les caractéristiques qu’elles ont toutes en commun
et qui les distinguent d’autres formes de garantie. Ainsi, les garanties personnelles
devraient être définies au regard des techniques de garantie sur lesquelles elles
reposent, c'est-à-dire l’obligation de garantir adjointe à l’obligation principale et le
caractère accessoire essentiel.
797. Fondements des règles applicables aux seules garanties personnelles.
Ces caractéristiques communes doivent, non seulement être rappelées dans la
définition légale, mais elles doivent surtout fonder les règles composant le régime
primaire des garanties personnelles pour que l’attente objective des créanciers se
réalise1777. Un certain nombre de règles se rapportant à l’obligation de garantir
pourraient ainsi rendre l’efficacité des garanties personnelles plus sûre qu’elle ne
l’est aujourd'hui (§1). Pour favoriser l’apparition de facteurs d’efficacité et pour
faire respecter les nouvelles exigences communautaires, le régime primaire devrait,
par ailleurs, comporter des règles fondées sur l’impératif d’éthique contractuelle
(§2).
§1 : LES REGLES RELATIVES A L’OBLIGATION DE GARANTIR
798. L’obligation de garantir se caractérise, outre par son adjonction à
l’obligation principale, par sa structure duale. Elle est en effet formée de deux
obligations distinctes, mais parfaitement complémentaires. L’obligation de
couverture permet de déterminer l’étendue de la dette du garant. En tant que
« service » ayant pour objet d’assurer l’aléa du non paiement, elle constitue aussi la
technique utilisée pour que la garantie personnelle, quelle qu’elle soit, puisse
protéger les intérêts financiers du créancier avant même la défaillance du débiteur
principal. L’obligation de règlement, quant à elle, a pour objet le paiement du
créancier, lorsque cette défaillance survient. Il s’agit de la technique utilisée pour
que la mise en œuvre de la garantie personnelle puisse conduire à l’extinction de la
dette principale, satisfactoire pour le bénéficiaire.
Comme ces deux obligations participent à la réalisation de l’attente objective
des créanciers, le régime primaire devrait comporter des règles se rapportant, aussi
bien à l’obligation de couverture (A), qu’à l’obligation de règlement (B).
1776 Sur les avantages, en termes d’efficacité, des définitions légales et, plus précisément, des
définitions terminologiques, cf. supra n°730 1777 Sur l’assimilation des caractéristiques des garanties personnelles comme condition de
l’adéquation entre le contenu du droit et l’objectif d’efficacité, cf. supra n°237 et s.
A/ LES REGLES RELATIVES A L’OBLIGATION DE COUVERTURE
799. L’obligation de couverture existe avant même la défaillance du débiteur
principal, puisqu’elle est certaine dès la conclusion du contrat de garantie. A
compter de cette date, elle engendre des obligations à la charge du garant et confère
corrélativement des droits au créancier. Le législateur devrait préciser la nature de
ces droits et obligations résultant de l’existence même de l’obligation de couverture
(1). L’extinction de cette obligation compromettant partiellement, voire totalement,
la réalisation de l’attente objective des créanciers, le législateur devrait également
intégrer dans le régime primaire des garanties personnelles des règles définissant les
causes d’extinction de l’obligation de couverture (2).
1. L’existence de l’obligation de couverture
800. La conclusion de toute garantie personnelle donne naissance à une
obligation de couverture à la charge du garant, qui confère des droits au créancier
bénéficiaire, et qu’ont également intérêt à connaître tous les créanciers dispensateurs
de crédit. Le régime primaire des garanties personnelles devrait traduire ces
spécificités de l’obligation de couverture en comportant des règles intéressant, d’une
part, la préservation de la solvabilité du garant, avant la naissance de l’obligation de
règlement (a) et, d’autre part, la publicité des garanties personnelles (b).
a. La préservation de la solvabilité du garant avant l’appel de la garantie
801. Les protections du droit de gage général non spécifiques à la matière
des garanties personnelles. Par application du droit commun, les créanciers
bénéficiaires d’une garantie personnelle peuvent protéger leur droit de gage général
contre le garant, avant d’avoir à l’exercer à la suite de la défaillance du débiteur
principal. Sur le fondement de la liberté contractuelle, ils peuvent ainsi faire
souscrire au garant des sûretés négatives1778. Conformément à la loi du 9 juillet 1991
relative aux procédures d’exécution, ils peuvent prendre des mesures conservatoires
sur le patrimoine du garant1779. Dans le respect des conditions posées par l’article
1167 du Code civil, ils peuvent encore exercer une action paulienne1780.
Corrélativement, le garant étant engagé dès la conclusion du contrat de garantie, il
peut se voir sanctionner s’il organise frauduleusement son insolvabilité, par
application, soit de l’article 314-7 du Code pénal, soit de l’article L. 333-2 du Code
de la consommation.
Dans la mesure où ces droits et obligations sont reconnus par le droit commun
et que la matière des garanties personnelles n’exige pas d’y apporter des
aménagements, il n’est pas utile que le régime primaire des garanties personnelles
rappelle ces différentes règles relatives à l’existence de l’obligation de couverture.
802. Le remplacement du garant insolvable. Une règle pourrait, au
contraire, faire l’objet d’une disposition spéciale dans ce régime primaire. Il s’agit
du remplacement du garant insolvable. Que l’insolvabilité survienne 1778 Sur la validité, de lege lata, des clauses favorisant la solvabilité de la caution, cf. supra
n°348-351 1779 Sur les mesures conservatoires prises à l’encontre des cautions, cf. supra n°436 1780 Sur la jurisprudence relative aux actions pauliennes exercées à l’encontre des cautions, cf.
supra n°436
postérieurement à la constitution de la garantie personnelle, ou qu’elle existe dès
cette époque, mais en étant ignorée du créancier, elle pourrait autoriser le créancier à
exiger du débiteur principal qu’il lui fournisse un autre garant, sous peine de
déchéance du terme stipulé pour le remboursement de sa dette. Il s’agirait ainsi
d’étendre le champ d’application de l’actuel article 2020 du Code civil à l’ensemble
des garanties personnelles.
803. Si l’obligation de couverture confère donc des droits au créancier
bénéficiaire, son existence intéresse, plus largement, tous les créanciers qui
envisagent d’accorder du crédit ou de demander une garantie au garant, puisqu’au
regard de l’obligation de couverture, il est possible de déterminer dans quelle
mesure et dans quel délai le patrimoine du garant risque d’être amputé. De là naît
l’idée de porter à la connaissance des futurs créanciers l’existence de l’obligation de
couverture, autrement dit de rendre obligatoire la publicité des garanties
personnelles.
b. La publicité des garanties personnelles
804. La publicité : un facteur d’efficacité des garanties personnelles. En
permettant une appréciation très précise de la situation financière et des facultés de
remboursement du garant pressenti1781, la publicité des garanties personnelles
pourrait éviter que le créancier ne contracte avec une personne insusceptible
d’honorer son obligation de règlement1782. La publicité pourrait ainsi empêcher
qu’un cumul d’engagements à la charge d’un même garant ne se traduise, au
détriment du créancier, par une inexécution, et donc par l’inefficacité de la garantie
personnelle conclue.
La publicité pourrait faciliter, par ailleurs, l’exécution du devoir de tempérance
et limiter, ce faisant, les contestations des garants relatives à la disproportion de leur
engagement au regard de leur situation financière1783.
Ces avantages de la publicité, au regard de l’objectif d’efficacité des garanties
personnelles, compensent les inconvénients qu’elle est susceptible d’engendrer. En
effet, la diminution des risques d’inexécution totale ou de contestation du garant
1781 Des auteurs ont tempéré cet avantage de la publicité en relevant, d’une part, que « la
caution peut vider (son patrimoine) en toute légalité, ou le diviser par la création de
sociétés » et, d’autre part, que « la publicité n’offrirait pas une image fidèle de la situation
d’endettement de la caution. La dette publiée n’est pas sa dette ; elle n’y contribue pas et peut
en être totalement remboursée, spécialement si elle a obtenu des contre-garanties » (M.
CABRILLAC et Ch. MOULY, n°114). Le premier inconvénient ne paraît pas dirimant,
puisque d’autres mécanismes ont pour fonction de préserver la solvabilité du garant avant
l’appel de la garantie. Le second n’en est pas un aux yeux des créanciers, puisque
l’inefficacité peut résulter d’une mauvaise appréciation des dettes du garant, et non d’une
mauvaise appréciation de son crédit. 1782 En ce sens, cf. J.-L. VALLENS, Publicité et information en matière de sûretés, LPA 20
septembre 2000, p. 11 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°114 ; D. LEGEAIS, n°28 1783 D. KHAYAT et C. FIORI-KHAYAT (Prévention et fichier relatif à l’endettement, LPA
10 avril 2003, n°72, p. 32) remarquent, dans le même sens, que « l’instauration d’un fichier
positif serait de nature à faire échec à l’invocation des vices du consentement et surtout de la
violence par exploitation abusive de la contrainte économique, mais aussi à l’invocation du
manquement à l’obligation de conseil ».
rend tout à fait acceptables la rigidité accrue des garanties personnelles1784, ainsi que
la faible augmentation de leur coût1785. Comme le rapport coût / avantages de la
publicité est donc positif pour les créanciers, ces derniers devraient s’y plier
aisément et ne pas supporter, ce faisant, le risque de remise en cause de la garantie
lié au non respect de ce formalisme1786.
805. Les avantages de la publicité pour le garant. Avantageuse pour les
créanciers, la publicité des garanties personnelles l’est aussi pour les garants. Elle
peut en effet éviter un cumul d’engagements et, par conséquent, un endettement
excessif du garant, quelle que soit sa qualité1787. Dans la mesure où la publicité peut
être organisée de manière à ne pas attenter à la vie privée des garants personnes
physiques1788, elle devrait donc être organisée, non seulement dans l’optique de
satisfaire les attentes des créanciers, mais aussi pour empêcher l’exclusion des
garants1789.
806. Le domaine d’application de la publicité. Si, pour toutes les raisons
invoquées, la publicité du cautionnement a déjà été proposée1790, celle de l’ensemble 1784 Sur cet inconvénient de la publicité des garanties personnelles, cf. B. de
GRANVILLIERS, La transmission des sûretés par la règle de l’accessoire, th. Paris I, 2000,
sous la direction de C. LUCAS de LEYSSAC, n°810 : « ce serait trop lourd dans un monde
économique où tout doit aller vite » ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°114 : cette rigidité
ôterait aux garanties personnelles « les avantages de simplicité et de souplesse ». 1785 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°114 1786 M. CABRILLAC et Ch. MOULY (n°114) ont remarqué que la publicité des sûretés
personnelles développe leur fragilité, « car le souhait d’assurer le respect de la publicité
conduit à la sanctionner d’une inopposabilité ou d’une nullité ». 1787 Sur la lutte contre l’endettement excessif grâce à l’instauration de fichiers permettant de
connaître la situation d’endettement des particuliers, cf. D. KHAYAT et C. FIORI-KHAYAT,
art. préc., p. 30 1788 L’atteinte à la vie privée des garants personnes physiques est souvent présentée comme un
obstacle à la mise en place de la publicité des garanties personnelles (en ce sens, cf. B. de
GRANVILLIERS, th. préc., n°810 : « la publication des cautionnements impliquerait une
surveillance du patrimoine de la caution, ce qui serait ressenti comme une véritable atteinte à
la vie privée »). Ainsi, dans sa proposition de résolution du 13 novembre 2002, le Sénat a
demandé au Gouvernement que soit supprimée l’incitation à la constitution de fichiers de type
positif, que comporte la proposition de directive sur le crédit aux consommateurs, en raison
notamment des « interrogations au regard des libertés publiques » que génèrent de tels
fichiers.
Cette critique mérite d’être tempérée, car des fichiers de type positif, assurant la publicité des
garanties personnelles, peuvent être instaurés dans le respect des droits fondamentaux des
garants (cf. infra n°882). 1789 Dans le même sens, cf. D. KHAYAT et C. FIORI-KHAYAT, art. préc., p. 30 : « il
apparaît de plus en plus évident que la protection bien comprise non seulement du
consommateur, mais des établissements de crédit eux-mêmes, passe par l’instauration de
fichiers » positifs d’endettement. 1790 Au congrès international de la conférence générale des tribunaux de commerce du 6
novembre 1987 (Le juge consulaire face au cautionnement personnel, Gaz. Pal. 10-12 janvier
1988), il a été proposé d’établir une publication des cautionnements, par l’inscription aux
greffes des tribunaux de commerce et par la constitution d’un « fichier national informatisé du
cautionnement ». La publicité des cautionnements a également été défendue aux 82ème et
91ème congrès des notaires de France.
des garanties personnelles n’a pas encore fait l’objet d’un tel soutien. Elle mériterait
pourtant de figurer parmi les règles nouvelles du régime primaire des garanties
personnelles.
En effet, quels que soient la qualité des parties, la nature du contrat principal, la
« cause » de l’obligation de couverture du garant et l’objet de son obligation de
règlement, l’exécution de cette dernière obligation risque d’affecter plus ou moins
profondément et durablement le patrimoine du garant. Tous les créanciers
envisageant d’accorder du crédit ou de demander une garantie à celui-ci ont intérêt
de connaître ce risque avant même qu’il ne se réalise, c'est-à-dire dès la naissance de
l’obligation de couverture.
Corrélativement, il est de l’intérêt de la majorité des garants, quelles que soient
les caractéristiques de leur engagement, d’éviter que la multiplication de ce type de
risque ne les conduise à un endettement excessif. Seuls les contrats souscrits par les
garants dont l’activité professionnelle a pour objet l’octroi de garanties devraient
être exclus de la publicité des garanties personnelles, puisque les intérêts qui s’y
attachent normalement font défaut dans ce cadre.
Par conséquent, le régime primaire pourrait prévoir que toutes les garanties
personnelles doivent faire l’objet d’une mesure de publicité, sauf lorsqu’elles sont
souscrites par un garant professionnel.
807. Un fichier unique. Plutôt que de maintenir la publicité des
« cautionnements, avals et garanties » donnés par les sociétés commerciales, sous la
forme de l’annexe au bilan (article L. 232-1 du Code de commerce), et de créer
parallèlement un système de publicité pour les garants personnes physiques et pour
les autres garants personnes morales, il paraît plus simple de centraliser la publicité
de toutes les garanties personnelles dans un même fichier, en adaptant seulement les
mentions devant y figurer en fonction des spécificités du contrat à enregistrer.
808. Un fichier d’endettement de type positif. L’instauration de la publicité
des garanties personnelles pourrait alors se traduire par la création d’une base de
données de type positif1791. Si le droit français connaît déjà des fichiers de type
négatif, dans lesquels sont consignés des incidents de paiement1792, il ignore encore
les fichiers d’endettement de type positif.
A l’occasion de la transposition de la future directive sur le crédit aux
consommateurs, de tels fichiers pourraient être institués. En effet, dans sa
proposition de directive du 11 septembre 2002, la Commission européenne incite les
Etats membres, qui ne le feraient pas déjà1793, à « inclure l’enregistrement des
1791 « Ce qu’on appelle un fichier positif, c’est une centrale réunissant des informations sur
l’ensemble des crédits souscrits par une personne. Une telle centrale est gérée par
informatique et intègre les informations que procurent les établissements financiers sur les
contrats qu’ils ont fait souscrire. (…) Le fichier positif recense les encours de tous les
détenteurs d’un crédit à la consommation (l’addition de leurs dettes), mais ne donne pas
d’informations qualitatives sur les incidents de paiement » (M.-C. BARRET-BARNAY, Les
différents systèmes d’enregistrement des crédits dans les Etats membres de l’Union
européenne, D. 2003, chron., p. 1082 et s.). 1792 Sur les fichiers de type négatif, cf. infra n°828-832 1793 Des fichiers d’endettement de type positif existent déjà dans plusieurs Etats membres.
Ainsi, en Allemagne, un fichier positif a été créé dès 1920. Tous les crédits y figurent, ainsi
contrats de crédit et de sûreté » dans « la base centralisée de données ayant pour
but l’enregistrement des consommateurs et des garants qui ont encouru un incident
de paiement »1794. Si la mise en place d’une base de données de type positif n’est pas
rendue obligatoire par le droit communautaire1795, la Commission la défend
vivement en soulignant les principaux avantages de la publicité1796.
Pour concrétiser ces avantages, mais aussi pour éviter que les établissements de
crédit français ne soient marginalisés si le fichier positif n’est pas instauré en France
et ne soient, à l’inverse, de véritables aubaines pour des débiteurs trop endettés1797,
le législateur français devrait donc constituer des bases de données intégrant toutes
les garanties personnelles non souscrites par des garants professionnels. Le texte
que les coordonnées des comptes bancaires. L’inscription des particuliers exige leur
autorisation. Aux Pays-Bas, un fichier positif, fondé en 1965 par des établissements
financiers, doit obligatoirement être consulté avant l’octroi de crédit. En Angleterre et au Pays
de Galles, par application de l’Insolvency Act de 1985, des fichiers négatifs et positifs
coexistent et permettent de connaître, non seulement l’ensemble des charges pesant sur une
personne déterminée, mais aussi sa diligence à exécuter le paiement de ses dettes. En
Belgique, un fichier tenu par la Banque nationale doit être obligatoirement renseigné et ne
peut être utilisé que dans le cadre de « l’octroi, la gestion ou l’exécution des contrats de crédit
ou du règlement collectif des dettes » (article 19 de loi n°98-1998 du 5 juillet 1998 relative au
règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles
saisis).
Pour un récapitulatif des systèmes d’enregistrement de crédits en Europe, cf. M.-C.
BARRET-BARNAY, art. préc., p. 1087
Des fichiers d’endettement de type positif sont encore présents aux Etats-Unis. En effet, les
« credit offices » gèrent des fichiers recensant des renseignements, fournis aux banques et aux
sociétés de crédit, permettant un diagnostic rapide de la capacité d’endettement d’un
particulier. 1794 Articles 8.4 et 8.1 alinéa 1er 1795 L’article 30.1 de la proposition de directive précise que ses dispositions sont impératives
pour les Etats membres (sur ce caractère impératif, cf. supra n°770), « sauf en ce qui
concerne l’enregistrement des contrats de crédit et de sûreté prévu par l’article 8,
paragraphe 4 ».
Dans sa proposition de résolution du 13 novembre 2002, le Sénat a remarqué qu’il n’est pas
pertinent d’introduire ainsi la possibilité de situations différentes dans les Etats membres alors
que la directive se donne pour objet une harmonisation maximale. En conséquence, la
Chambre Haute a demandé au Gouvernement de supprimer l’incitation à la constitution de
fichiers de type positif. 1796 Au titre des avantages pour les consommateurs et les garants, la Commission relève, dans
l’examen du dispositif, que « les règles en matière de consultation des bases centralisées de
données diminueront le risque que les consommateurs soient victimes d’engagements
déséquilibrés auxquels ils ne peuvent plus faire face, avec pour conséquence leur exclusion
économique et des interventions sociales coûteuses pour les Etats membres ».
S’agissant de la protection des intérêts des créanciers, elle apparaît également lorsque la
Commission précise que « le prêteur disposera d’un instrument encore plus fiable par
rapport au fichier négatif, lui permettant de vérifier si un consommateur, ou le cas échéant un
garant, aurait conclu d’autres contrats de crédit ou de sûreté qui ne font pas l’objet d’un
contentieux mais dont la charge totale serait telle qu’un crédit supplémentaire serait
insupportable pour le consommateur ou, le cas échéant, le garant ». 1797 Sur ces dangers, cf. M.-C. BARRET-BARNAY, art. préc., p. 1084 ; D. KHAYAT et C.
FIORI-KHAYAT, art. préc., p. 36
instaurant ces fichiers de type positif devrait notamment définir la manière dont les
données seront enregistrées et appréhendées1798.
809. L’enregistrement des garanties personnelles dans le fichier. Il serait
tout d’abord nécessaire de préciser qui aura la charge de l’enregistrement du contrat
de garantie personnelle. Si les créanciers devaient être désignés, ils n’auraient pas
nécessairement à supporter la totalité du coût de la publicité. Comme le garant et le
créancier bénéficiaire tirent tous deux profit de cette publicité, un partage égal de
son coût serait en effet tout à fait légitime.
810. L’accès au fichier. Concernant l’accès aux données, un cadre strict
devrait être aménagé lorsqu’elles se rapportent à des personnes physiques1799.
« Dans la perspective de l’ouverture accrue du marché, et dans le contexte
d’intégration économique et monétaire qui existe désormais », cette rigueur ne
devrait pas conduire à interdire l’accès aux bases de données aux créanciers d’autres
Etats membres1800. La proposition de directive du 11 septembre 2002 interdit
d’ailleurs de telles discriminations dans l’accès aux fichiers1801. La rigueur
nécessaire à la protection des droits fondamentaux des personnes physiques ne
devrait pas non plus conduire à réserver l’accès au fichier aux seuls créanciers
agissant dans un cadre professionnel.
Cependant, afin d’éviter que la base de données ne soit consultée pour assouvir
des « curiosités mal placées », les créanciers n’agissant pas dans un cadre
professionnel pourraient avoir l’obligation de produire l’autorisation expresse du
particulier concerné.
A l’égard des créanciers agissant dans un cadre professionnel, une obligation de
consultation préalable à la signature de toute garantie personnelle pourrait être
imposée. Il s’agirait ainsi d’étendre le champ de l’obligation que la proposition de
directive n’impose qu’au sujet de la consultation des fichiers de type négatif et
seulement avant la conclusion d’une garantie personnelle souscrite pas un «garant
consommateur»1802.
1798 Dans sa proposition de résolution du 13 novembre 2002, le Sénat reproche à la
Commission européenne de ne pas avoir donné suffisamment d’indications sur l’organisation
des bases de données, qu’elles soient de type positif ou négatif. 1799 La définition stricte des conditions d’accès au fichier des garanties personnelles n’est que
l’un des moyens de protéger la vie privée des garants personnes physiques. Sur les autres
moyens que la réforme des garanties personnelles pourrait mettre en œuvre pour assurer cette
protection, cf. infra n°882 1800 En ce sens, cf. D. KHAYAT et C. FIORI-KHAYAT, art. préc., p. 35 1801 Article 8.2 : « L’accès à la base centralisée de données d’un autre Etat membre doit être
assuré dans les mêmes conditions que celles prévues pour les entreprises et personnes dudit
Etat membre, soit directement, soit par l’intermédiaire de la base centralisée de données de
l’Etat membre d’origine ». 1802 Article 8.1 alinéa 2 : « Les prêteurs doivent consulter la base centralisée de données
préalablement à tout engagement du consommateur ou du garant, dans les limites visées à
l’article 9 ».
811. La sanction du défaut de publicité. Le texte instaurant le fichier des
garanties personnelles devrait encore prévoir la sanction du défaut de publicité1803.
La nullité constituerait une sanction inadaptée en ce qu’elle compromettrait
l’efficacité des garanties personnelles de manière injustifiée. En effet, l’utilité
essentielle de la publicité étant de permettre à de futurs créanciers de se faire une
juste opinion de la situation financière de la personne (physique ou morale), dont
l’engagement en qualité de garant a été enregistré, la sanction du défaut de publicité
ne devrait pas affecter le contrat de garantie personnelle lui-même, mais seulement
les rapports entre le créancier et les tiers intéressés.
L’inopposabilité de la garantie personnelle aux créanciers du garant non
informés de son existence, bien qu’intéressant ces derniers rapports, serait également
inadaptée. Elle conduirait, en effet, à procéder à une attribution de rang, non pas sur
un bien particulier, comme dans le cadre des sûretés réelles publiées, mais sur
l’ensemble du patrimoine du garant, alors même que les diverses composantes de ce
patrimoine ne seraient pas toutes publiées au moment de l’inscription de la garantie
personnelle.
Une autre sanction du défaut de publicité, affectant également les rapports entre
le créancier de la garantie personnelle non publiée et les autres créanciers du garant,
est donc préférable. Il s’agirait de créer une fin de non recevoir à l’action en
responsabilité délictuelle exercée par le créancier n’ayant pas inscrit sa garantie
contre les autres créanciers qui, tenus dans l’ignorance de la situation exacte du
garant, lui auraient accordé des crédits excessifs ou lui auraient fait souscrire une
garantie disproportionnée1804.
812. Si le législateur français décidait de tirer les conséquences de l’existence
de l’obligation de couverture, il pourrait donc introduire dans le régime primaire des
garanties personnelles des règles relatives, non seulement à leur publicité, mais aussi
à la préservation de la solvabilité du garant avant l’appel de la garantie.
L’assimilation des caractéristiques techniques des garanties personnelles devrait se
poursuivre par l’insertion, dans ce régime primaire, de règles intéressant l’extinction
de l’obligation de couverture.
2. L’extinction de l’obligation de couverture
813. Les causes d’extinction admises. L’extinction de l’obligation de
couverture constitue l’une des principales expressions de l’inefficacité objective des
garanties personnelles, puisqu’elle emporte la libération totale ou partielle du
garant1805. En vue de conforter l’efficacité des garanties personnelles, il conviendrait
1803 La proposition de directive du 11 septembre 2002 oblige les Etats membres à déterminer
eux-mêmes les sanctions assortissant les règles qu’elle leur impose (cf. supra n°779). 1804 En faveur de cette sanction, cf. D. KHAYAT et C. FIORI-KHAYAT, art. préc., p. 33 :
« l’instauration du fichier positif serait un rempart contre les actions en responsabilité
délictuelle exercées par les autres créanciers du débiteur ». 1805 La libération est totale lorsque l’extinction de l’obligation de couverture survient dans le
cadre d’une garantie personnelle indépendante ou d’une garantie personnelle présentant un
caractère accessoire renforcé et couvrant une dette présente. La libération n’est que partielle
lorsque l’extinction de l’obligation de couverture se produit dans le cadre d’une garantie
personnelle présentant un caractère accessoire renforcé et couvrant des dettes futures.
de subordonner cette extinction à des causes indiscutables, qui ne risquent pas de
surprendre les attentes des créanciers.
Tel est le cas de la survenance du terme extinctif stipulé dans le contrat de
garantie, mais aussi de la résiliation, qui peut certes se produire à n’importe quel
moment, mais dont le créancier accepte le risque en faisant souscrire au garant un
engagement à durée indéterminée.
814. Le principe d’interdiction de l’extinction de l’obligation de
couverture par la survenance d’un terme extinctif implicite et ses
tempéraments. Les termes extinctifs implicites de l’obligation de couverture
remettent profondément en cause, au contraire, les prévisions intrinsèques des
créanciers1806. Pour rendre l’efficacité des garanties personnelles plus sûre qu’elle ne
l’est aujourd'hui, la réforme pourrait donc instituer, dans le régime primaire, une
règle interdisant l’extinction de l’obligation de couverture par la survenance d’un
terme extinctif implicite.
Serait ainsi consacrée la jurisprudence empêchant la réduction du montant de
l’obligation de règlement du garant consécutive à un changement affectant, soit la
société créancière ou débitrice, soit les rapports entretenus avec le débiteur
principal1807. Serait désavouée, en revanche, la jurisprudence acceptant de libérer les
cautions pour l’avenir, en raison des modifications dans la physionomie initiale de
l’opération de garantie.
En premier lieu, le décès de la caution cesserait de libérer les héritiers des
dettes nées postérieurement. Les intérêts des héritiers ne s’en trouveraient pas
nécessairement bafoués, puisque la réforme pourrait, conjointement à l’exclusion de
ce terme extinctif implicite, instaurer des règles nouvelles qui supprimeraient les
dangers pour les héritiers qu’occasionne la transmission de la garantie personnelle
lors du décès du garant1808.
En deuxième lieu, la disparition du créancier ne constituerait plus une cause
d’extinction de l’obligation de couverture. Serait ainsi reconnu le caractère en
principe indifférent, pour le garant, de la personne du créancier. Là encore, cette
règle n’interdirait pas de protéger le garant, si, par exception, le changement de
créancier lésait ses intérêts. Tel pourrait être le cas lorsque la détermination du
montant de l’obligation de règlement du garant se fait par emprunt ou par référence
à celui de l’obligation principale et que le nouveau créancier accorde des crédits plus
importants au débiteur que l’ancien. Dans cette hypothèse, la protection du garant
pourrait reposer sur la mise en jeu de la responsabilité contractuelle du nouveau
bénéficiaire pour octroi excessif de crédit. Ainsi, l’obligation de règlement du garant
ne serait plus amputée de manière automatique et forfaitaire par la seule extinction
de l’obligation de couverture, consécutive à la disparition du premier créancier, mais
seulement à hauteur du préjudice subi par le garant, par le jeu de la compensation
entre cette obligation de règlement et les dommages et intérêts dûs par le nouveau
créancier pour manquement à son devoir de tempérance.
En troisième et dernier lieu, le changement de débiteur principal ne pourrait
plus, en principe, être invoqué par le garant pour obtenir la réduction, voire 1806 Sur la réduction du cautionnement par le biais de l’extinction de l’obligation de
couverture, cf. supra n°569-573 1807 Sur cette jurisprudence protectrice des intérêts des créanciers, cf. supra n°452, 453 1808 Sur ces règles nouvelles relatives au décès du garant, cf. infra n°880
l’extinction, de son obligation de règlement. Une exception pourrait cependant être
introduite pour tenir compte du rôle prépondérant que jouent les pouvoirs de
direction ou de contrôle du garant sur le débiteur, tant sur la décision du garant de
s’engager, que sur l’acceptation du garant par le créancier. Ainsi, l’obligation de
couverture du garant pourrait prendre fin au jour du changement de débiteur à
condition, d’une part, que le garant n’ait pas lui-même pris l’initiative de ce
changement et, d’autre part, qu’il prouve, par tous moyens, ne plus disposer à
l’égard du nouveau débiteur des pouvoirs de direction ou de contrôle qu’il exerçait
sur l’ancien1809.
815. En posant comme principe l’interdiction des termes extinctifs implicites
de l’obligation de couverture et en assortissant ce principe de quelques correctifs,
l’efficacité des garanties personnelles pourrait donc être renforcée, sans pour autant
que les intérêts du garant ou de ses héritiers ne soient sacrifiés. Ce résultat, auquel
les règles relatives à l’existence de l’obligation de couverture conduisent également,
devrait encore être obtenu par l’insertion, dans le régime primaire des garanties
personnelles, de règles se rapportant à la seconde composante de l’obligation de
garantir, à savoir l’obligation de règlement du garant.
B/ LES REGLES RELATIVES A L’OBLIGATION DE REGLEMENT
816. Toutes les garanties personnelles donnent naissance à une obligation de
règlement subsidiaire, dont l’objet est le paiement du créancier en cas de défaillance
du débiteur principal. L’efficacité des garanties personnelles gagnerait en certitude
si le régime primaire applicable à ces mécanismes comportait des règles reposant sur
cette caractéristique technique commune. Plus précisément, la réforme du droit des
garanties personnelles devrait procéder à l’assimilation de l’obligation de règlement,
en régissant ses conditions d’exécution (1), les conséquences de son inexécution (2),
ainsi que ses causes d’extinction (3).
1. L’exécution de l’obligation de règlement
817. La prohibition des conditions implicites. Subsidiaire, l’obligation de
règlement, quelle que soit la garantie personnelle dans laquelle elle prend corps, ne
peut légitimement naître qu’en cas de défaillance du débiteur principal1810.
Conformément au droit commun des obligations, les parties peuvent en plus
subordonner son exécution à la réalisation d’une condition déterminée, comme la
présentation de documents au garant, la justification de l’appel de la garantie par le
créancier, l’affectation des fonds remis au débiteur principal à une certaine fin, ou
encore la présence de cogarants ou d’autres garanties. Afin de tarir le contentieux
relatif aux conditions implicites1811, le régime primaire des garanties personnelles
pourrait préciser que l’exécution de l’obligation de règlement du garant ne peut être
subordonnée qu’à la réalisation de conditions expressément stipulées.
1809 Une telle preuve ne pourra être rapportée que si le garant n’occupe plus des fonctions
directoriales dans la nouvelle entreprise débitrice ou s’il est devenu un dirigeant de paille. 1810 Sur la subsidiarité de l’obligation de règlement du garant, même lorsque la garantie est
payable à première demande, cf. supra n°263 1811 Sur ce contentieux en matière de cautionnement, cf. supra n°471
818. La mise en demeure obligatoire du garant. Le régime primaire
pourrait, par ailleurs, rendre obligatoire la mise en demeure du garant. En droit
positif, bien qu’aucun texte ne le formule de manière générale, la nécessité d’une
mise en demeure fait déjà figure de principe. La volonté des parties permet
néanmoins d’y déroger. La réforme du droit des garanties personnelles pourrait
empêcher cette exception, en étendant sur ce point le champ d’application de la
proposition de directive du 11 septembre 2002.
819. Le domaine d’application de la mise en demeure obligatoire. L’article
24.1 b) du texte communautaire dispose que « les Etats membres veillent à ce que le
prêteur ne puisse exiger le paiement immédiat des versements à échoir ou invoquer
une condition résolutoire expresse que moyennant une mise en demeure préalable
invitant le consommateur ou, le cas échéant, le garant, à respecter ses obligations
contractuelles dans un délai raisonnable ou à demander un rééchelonnement de la
dette ». Dans l’examen du dispositif, la Commission européenne précise que
l’objectif de cette mise en demeure obligatoire est d’ « encourager les parties
concernées à chercher des accords ou des arrangements extrajudiciaires »1812.
La mise en demeure obligatoire du garant constitue ainsi un facteur d’efficacité,
puisqu’elle est susceptible d’éviter le recours au juge et, par conséquent,
l’augmentation du coût de la protection des intérêts des créanciers qui en résulte,
ainsi que la possible remise en cause judiciaire des prévisions intrinsèques des
parties.
Compte tenu de ces avantages, il est souhaitable d’étendre le champ de l’article
24.1 b) à toutes les garanties personnelles. Le formalisme entourant la mise en
demeure étant peu contraignant, puisqu’une lettre simple suffit1813, cette dérogation
au droit commun ne rendrait pas plus onéreuse la protection des créanciers. La
plupart d’entre eux s’y plient d’ailleurs déjà spontanément.
820. La sanction du défaut de mise en demeure. La proposition de directive
n’indique pas la sanction du défaut de mise en demeure. Ce silence autorise le
maintien de la solution de l’article 1153 alinéa 3 du Code civil, à savoir que
l’absence de mise en demeure empêche les intérêts moratoires de courir.
821. L’exception à l’obligation de mise en demeure. Le texte
communautaire précise, en revanche, que la mise en demeure n’est pas nécessaire, et
donc qu’aucune sanction ne peut être prononcée, « en cas de fraude manifeste, à
démontrer par le prêteur ou le nouveau titulaire de la créance » (article 24.2 a). La
Commission européenne n’en fournit aucun exemple. En matière de garanties
personnelles, la fraude du garant aux droits du créancier pourrait résider, au stade de
1812 Dans le même sens, la Commission ajoute que «le point b) du paragraphe 1 vise à éviter
que le consommateur ou le garant ne soit confronté au remboursement immédiat du montant
total du crédit sans avoir été invité au préalable à rattraper un retard éventuel ou à formuler
une proposition à l’amiable en vue de convenir d’un rééchelonnement de la dette ». Les
procédures extrajudiciaires sont également favorisées par l’article 10.1 alinéa 3 de la
proposition de directive. 1813 L’article 1139 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 9 juillet 1991, admet que
le débiteur soit constitué en demeure par « une sommation ou par autre acte équivalent, telle
une lettre missive lorsqu’il ressort de ses termes une interpellation suffisante ».
la conclusion du contrat, dans la fourniture de renseignements erronés, et au cours
de la vie du contrat, dans l’organisation frauduleuse de l’insolvabilité.
822. La charge des frais de recouvrement. Si la mise en demeure du garant
reste infructueuse, le créancier peut charger une personne physique ou morale
d’obtenir l’exécution de l’obligation de règlement.
Selon l’article 32 alinéa 3 de la loi du 9 juillet 1991, dans sa rédaction issue de
la loi du 22 novembre 1999, les frais de recouvrement entrepris sans titre exécutoire
restent à la charge du créancier et toute stipulation contraire est réputée non
écrite1814.
A l’occasion de la transposition de la future directive sur le crédit aux
consommateurs, cette disposition devrait être modifiée. En effet, le caractère
impératif du droit communautaire et l’objectif d’harmonisation totale interdisent aux
Etats membres de maintenir des règles plus sévères que celles imposées par la
directive. Or, l’article 27.1 de la proposition du 11 septembre 2002 admet que la
rémunération, directe ou indirecte, de la personne pratiquant le recouvrement des
créances nées du contrat de crédit ou de sûreté peut être réclamée au consommateur
ou au garant si les contrats susmentionnés l’ont expressément prévu.
Si, une fois encore, le champ d’application de la proposition de directive
pourrait être étendu à toutes les garanties personnelles, c’est parce que, quelles que
soient la qualité des parties et la nature du contrat de garantie, le principe de l’effet
relatif des conventions s’oppose à ce que la rémunération ou l’indemnité due à la
personne chargée du recouvrement par le créancier soit réclamée à un tiers, c'est-à-
dire au garant. Seule une stipulation expresse du contrat de garantie personnelle
pourrait déroger à ce principe.
823. Application des délais de grâce de l’article 1244-1 du Code civil.
Concernant, enfin, le moment d’exécution de l’obligation de règlement, le régime
primaire des garanties personnelles pourrait prévoir que le garant ne peut obtenir des
délais de paiement que dans les conditions de l’article 1244-1 du Code civil. Une
telle disposition renforcerait incontestablement l’efficacité des garanties
personnelles.
824. Exclusion des délais de paiement liés à la procédure collective ou de
surendettement ouverte contre le débiteur principal. La disposition nouvelle
consacrerait, tout d’abord, les solutions jurisprudentielles rendues en matière de
cautionnement, qui évitent aux créanciers de pâtir d’un retard dans l’exécution de
l’obligation de règlement du garant lorsque le débiteur principal fait l’objet d’une
procédure collective de paiement1815.
Ainsi, les garants couvrant la dette même du débiteur se verraient légalement
privés de la suspension des poursuites dont bénéficie automatiquement ou
facultativement celui-ci. Ils ne pourraient plus invoquer les lenteurs de la procédure
1814 Si le contrat ne peut prévoir que le débiteur supportera les frais de recouvrement, l’article
32 alinéa 4 de la loi du 9 juillet 1991 précise, néanmoins, que « le créancier qui justifie du
caractère nécessaire des démarches entreprises pour recouvrer sa créance peut demander au
juge de l’exécution de laisser tout ou partie des frais ainsi exposés à la charge du débiteur de
mauvaise foi ». 1815 Sur cette jurisprudence, cf. supra n°493-495
collective et, spécialement, celles résultant de la vérification des créances. Enfin, ils
ne pourraient plus se prévaloir des délais de paiement accordés au débiteur dans le
cadre d’une procédure de surendettement.
Si l’octroi de délais de paiement était enfermé dans les conditions de l’article
1244-1 du Code civil, il conviendrait, par ailleurs, d’abroger un texte grevant
considérablement l’efficacité du cautionnement, à savoir l’article L. 621-48 alinéa 2
du Code de commerce1816. Pendant la période d’observation, les cautions
personnelles personnes physiques et, plus généralement, tous les garants, ne
bénéficieraient donc plus d’une suspension automatique des poursuites. L’attente
objective des créanciers relative à la ponctualité du paiement du garant serait, par
conséquent, plus sûrement satisfaite qu’elle ne l’est aujourd'hui. Les chances de
redressement de l’entreprise débitrice ne s’en trouveraient pas diminuées. En effet,
alors que le dépôt de bilan est sensé intervenir dans de meilleurs délais grâce à la
suspension des poursuites dont bénéficient les dirigeants-cautions, la liquidation
judiciaire est malgré tout prononcée neuf fois sur dix. Elle pourrait l’être moins
souvent si, plutôt que de chercher à hâter le dépôt de bilan, le législateur incitait les
dirigeants à se tourner vers le règlement amiable, dans lequel la suspension
automatique des poursuites contre la caution dirigeante n’a jamais été instaurée.
L’abrogation de l’article L. 621-48 alinéa 2 du Code de commerce pourrait donc
rendre le droit des procédures collectives plus cohérent et celui du cautionnement
beaucoup plus efficace.
825. En limitant les délais de paiement accordés aux garants à ceux de l’article
1244-1 du Code civil, la réforme du droit des garanties personnelles pourrait donc
renforcer leur fonction de paiement au moment où elle est la plus utile, c'est-à-dire
lorsqu’une procédure collective ou de surendettement est ouverte contre le débiteur
principal. Si cette règle nouvelle est essentiellement tournée vers la protection des
intérêts des créanciers, les autres règles proposées relatives à l’exécution de
l’obligation de règlement du garant pourraient conforter l’efficacité des garanties
personnelles, tout en ménageant les intérêts des garants. Cet équilibre pourrait
encore caractériser les dispositions du régime primaire intéressant l’inexécution de
l’obligation de règlement.
2. L’inexécution de l’obligation de règlement
826. Deux dispositions de la proposition de directive sur le crédit aux
consommateurs intéressant l’inexécution du « contrat de sûreté » conclu par un
«garant consommateur» pourraient être étendues à toutes les garanties personnelles.
827. La communication des frais d’inexécution. Il s’agit, tout d’abord, de
l’article 24.1 d), selon lequel « les Etats membres veillent à ce que le consommateur
et le garant aient le droit, à leur première demande et sans délai, de recevoir en cas
1816 Sur l’inefficacité du cautionnement résultant de cette disposition, cf. supra n°560-562
Il convient de reconnaître que l’abrogation proposée n’est pas d’actualité, puisque l’article 42
du projet de loi de sauvegarde des entreprises n°1596 du 12 mai 2004 dispose que « le
jugement d'ouverture suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la
liquidation toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant constitué une
caution personnelle ou une garantie autonome» (nouvel article L. 622-26 alinéa 2 du Code de
commerce).
d’inexécution de leurs obligations ou en cas de remboursement anticipé, un
décompte gratuit et détaillé leur permettant de vérifier les frais et intérêts
réclamés ». C’est bien des frais d’inexécution dont il est question, et non des
sommes dues en exécution du contrat de sûreté qui, elles, sont précisées dans la mise
en demeure. La communication immédiate et gratuite des décomptes, à la demande
du garant, est susceptible d’inciter celui-ci à exécuter son obligation de règlement,
pour éviter que les frais d’inexécution ne s’accumulent. Comme, par ailleurs, cette
communication est peu coûteuse pour le créancier, l’objectif d’efficacité, aussi bien
que celui de transparence, pourraient conduire à l’imposer dans le régime primaire
des garanties personnelles.
828. L’enregistrement de la défaillance du garant dans un fichier de type
négatif. C’est ensuite la règle de l’article 8.1 de la proposition de directive qui
pourrait voir son champ d’application étendu. Ce texte concerne la « base
centralisée de données ayant pour but l’enregistrement des consommateurs et des
garants qui ont encouru un incident de paiement ». Alors que l’instauration d’un
fichier de type positif n’est qu’une faculté pour les Etats membres1817, la mise en
place de ce fichier de type négatif1818 constitue une obligation.
La France dispose déjà d’une telle base de données1819, sous la forme du
« fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers »
(FICP). Mais ce fichier ne recense pas les incidents de paiement des garants. Le
« fichier des cautions défaillantes reconnues », envisagé par le règlement du Comité
de la réglementation bancaire du 19 mars 19931820, n’a jamais vu le jour. Lors de la
transposition de la directive sur le crédit aux consommateurs, le législateur français
devra donc, soit étendre le domaine du FICP1821, soit créer un fichier de type négatif
propre aux garants.
829. Les avantages d’un fichier de type négatif propre à l’ensemble des
garanties personnelles. La mise en place d’un fichier spécifique est souhaitable, car
1817 Sur les fichiers de type positif assurant la publicité des garanties personnelles, cf. supra
n°806-811 1818 « Le fichier négatif enregistre uniquement les incidents de paiement du consommateur. Il
ne donne pas d’information quantitative sur le montant total de l’endettement » (M.-C.
BARRET-BARNAY, Les différents systèmes d’enregistrement des crédits dans les Etats
membres de l’Union européenne, D. 2003, chron., p. 1082 et s.). 1819 Sur les fichiers négatifs dans d’autres pays européens, cf. M.-C. BARRET-BARNAY,
ibid., p. 1087 1820 Article 17 du règlement du Comité de la réglementation bancaire du 11 avril 1990, relatif
au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, issu du
règlement du 19 mars 1993 : « A la lumière de l’examen qui sera fait de l’application du
présent règlement, un règlement ultérieur fixera les conditions d’enregistrement éventuel
dans le fichier des cautions défaillantes judiciairement reconnues ». 1821 L’article 2 du règlement du Comité de la réglementation bancaire du 11 avril 1990, relatif
au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, précise le
domaine du FICP en définissant le terme « crédit » : « tout acte par lequel un établissement
met des fonds à la disposition d’une personne physique pour le financement de ses besoins
professionnels ou prend, dans l’intérêt de celui-ci, un engagement par signature, quelle que
soit la qualification ou la technique utilisée ». L’article 3 de ce même règlement définit la
notion d’ « incident de paiement caractérisé ».
un fichier distinct du FICP pourrait enregistrer les incidents de paiement se
rapportant à toutes les garanties personnelles, et non seulement à ceux imputables à
des «garants consommateurs». Le champ d’application de la proposition de
directive, aussi bien que celui du règlement du Comité de la réglementation bancaire
du 11 avril 1990 organisant le FICP, méritent d’être étendus, puisqu’un fichier de
type négatif est susceptible de « réduire le risque crédit »1822, tant pour les
créanciers, que pour les garants, quels que soient leur qualité, la « cause » de leur
obligation de couverture et l’objet de leur obligation de règlement.
La consultation d’un tel fichier peut effectivement permettre aux dispensateurs
de crédit souhaitant être couverts par une garantie personnelle de refuser un garant
précédemment défaillant et d’en requérir un autre ayant plus de chances d’exécuter
ses obligations.
Sans conduire à un tel refus, la consultation du fichier peut inciter les futurs
créanciers à être plus vigilants lorsqu’ils contractent avec un garant ayant déjà fait
l’objet d’une inscription. Ils peuvent ainsi procéder à un cumul de garanties ou
demander au garant d’ajouter à son engagement personnel une sûreté réelle ou
encore surveiller plus attentivement le patrimoine du garant en cours d’exécution, de
manière à prendre des mesures conservatoires en temps utiles.
La consultation du fichier de type négatif peut encore faciliter l’adaptation de
l’étendue de l’engagement du garant à ses facultés financières. Se trouvent par là
même réduits le risque de contestations fondées sur le manque de tempérance, mais
aussi le risque d’insolvabilité du garant.
La base de données recensant les incidents de paiement des garants constitue
donc un facteur d’efficacité à plusieurs égards et elle protège conjointement les
intérêts des garants inscrits en évitant qu’ils ne souscrivent de nouveaux
engagements qui les conduiraient à un endettement excessif.
En raison de ces divers avantages, l’obligation d’inscrire les incidents de
paiement dans un fichier de type négatif mériterait de figurer dans le régime
primaire des garanties personnelles.
830. Si la définition des incidents de paiement et les modalités de collecte,
d’enregistrement, de conservation et de consultation des informations figurant dans
ce fichier pourraient être fixées par un nouveau règlement du comité de la
réglementation bancaire, en s’inspirant des règles régissant le FICP1823, il pourrait
1822 Il s’agit de l’avantage que la Commission européenne attache à « l’existence
d’informations adéquates et sûres relatives aux éventuels incidents de paiement » (exposé des
motifs de la proposition de directive du 11 septembre 2002). 1823 Concernant les incidents de paiement devant être enregistrés dans le fichier, ceux visés
par l’article 3 a) du règlement du 11 avril 1990 relatif au FICP ne sont pas transposables en
matière de garanties personnelles, puisqu’ils se rattachent à l’inexécution d’obligations à
exécution successive et que l’obligation de règlement du garant est toujours à exécution
instantanée. Par contre, les incidents visés à l’article 3 b) et c) pourraient servir de référence
pour délimiter le champ du fichier se rapportant aux garanties personnelles. Ainsi, devraient
être inscrits dans le fichier, d’une part, les inexécutions de l’obligation de règlement durant
plus de quatre-vingt dix jours après la mise en demeure du garant et, d’autre part, les défauts
de paiement pour lesquels le créancier engage une procédure judiciaire.
S’agissant de l’organisation du fichier des garants défaillants, elle pourrait incomber à la
Banque de France, dans le respect de la loi Informatique et Liberté, comme c’est déjà le cas à
l’égard du FICP (article L. 333-4 du Code de la consommation). Des règles à même de
revenir, en revanche, à la loi réformant le droit des garanties personnelles de préciser
les règles nouvelles relatives au « contrat de sûreté » imposées par l’article 8 de la
proposition de directive.
831. La consultation du fichier. Tout d’abord, le régime primaire des
garanties personnelles pourrait réglementer la consultation de la base de données sur
les incidents de paiement. Comme pour le fichier de type positif assurant la publicité
des garanties personnelles, une distinction reposant sur la qualité du créancier
consultant pourrait être opérée.
Ainsi, à l’égard des créanciers n’agissant pas dans un cadre professionnel, la
consultation pourrait être une simple faculté et être subordonnée à la présentation à
l’organisme centralisant les données de l’assentiment exprès du garant pressenti.
A l’égard des créanciers agissant dans un cadre professionnel, la consultation
préalable à la conclusion d’une garantie personnelle serait, au contraire, une
obligation, comme l’impose l’article 8.1 alinéa 2 de la proposition de directive du 11
septembre 2002. Dans l’exposé des motifs, la Commission européenne souligne que
cette obligation répond à « un souci d’efficacité ». La consultation, pour un coût
modique, limite effectivement le risque que les créanciers ne souffrent de
l’inexécution du garant. Nouvelle en matière de garanties personnelles, cette
obligation de consulter un fichier de type négatif pèse déjà sur les établissements de
crédit, avant la délivrance de formules de chèques à un nouveau titulaire de
compte1824, et elle est pareillement susceptible de mettre les banques à l’abri
d’impayés.
Que le créancier agisse ou non dans un cadre professionnel, le régime primaire
pourrait en outre préciser qu’il doit, à la demande du garant, informer celui-ci, sans
délai et gratuitement, du résultat de la consultation. Il s’agirait d’étendre le bénéfice
de l’article 8.1 alinéa 3 de la proposition de directive à tous les garants inscrits dans
le fichier, qu’ils soient ou non consommateurs.
832. La sanction du défaut d’enregistrement et la sanction du défaut de
consultation. Le régime primaire des garanties personnelles pourrait également
protéger la vie privée des garants personnes physiques devraient être spécialement instaurées
pour respecter les exigences de la directive communautaire sur le crédit aux consommateurs.
La déclaration des incidents de paiement caractérisés pourrait être imposée, non seulement
aux établissements de crédit, mais aussi à tous les créanciers bénéficiaires d’une garantie
personnelle victimes d’une inexécution prolongée ou judiciairement déclarée. Comme le
prévoit l’article 4 du règlement du Comité de la réglementation bancaire du 11 avril 1990
relatif au FICP, dès qu’un incident de paiement caractérisé serait constaté, le créancier devrait
informer le garant défaillant que l’incident sera déclaré à la Banque de France à l’issue d’un
mois à compter de la date de l’envoi de cette information. Le contenu de la déclaration
pourrait être le même que celui imposé par l’article 5 du règlement précité (identification du
garant défaillant et du contrat de garantie personnelle inexécuté).
Comme le précise déjà l’article 8 du règlement relatif au FICP, à compter de la date
d’enregistrement, les informations pourraient être conservées pendant cinq ans. La radiation
pourrait suivre la déclaration par le créancier du paiement intégral des sommes dues. 1824 Article 30 du décret du 22 mai 1992 : « Tout banquier doit interroger la Banque de
France avant de procéder à la première délivrance de formules de chèques à un nouveau
titulaire de compte». Cette consultation a pour but de vérifier que le client n’est pas sous le
coup d’une interdiction d’émettre des chèques.
déterminer les sanctions assortissant respectivement le défaut d’inscription d’un
incident de paiement au fichier et le défaut de consultation de ce dernier.
Comme le défaut de publicité des garanties personnelles dans le fichier de type
positif, le défaut d’inscription de la défaillance du garant dans le fichier de type
négatif pourrait être sanctionné par une fin de non recevoir à l’action en
responsabilité délictuelle exercée contre les autres créanciers du garant.
S’agissant du défaut de consultation de la base de données, il ne saurait être
sanctionné aussi sévèrement qu’en matière de chèque1825, puisque le fichier des
garants défaillants ne recenserait que des incidents de paiement et non des
interdictions de se porter garant. Dans la mesure où la consultation constitue un
facteur d’efficacité, les créanciers se pénaliseraient eux-mêmes en ne vérifiant pas si
leur cocontractant n’a pas déjà manqué à une obligation de règlement. A l’égard des
créanciers n’agissant pas dans un cadre professionnel, qui ne devraient pas avoir
l’obligation de consulter le fichier, une nouvelle défaillance du garant pourrait
constituer une sanction suffisante. A l’égard des créanciers agissant dans un cadre
professionnel, une sanction spéciale pourrait, au contraire, être attachée au
manquement à l’obligation de consultation. Comme le préconise la Commission
européenne dans l’examen du dispositif de sa proposition de directive, « le prêteur
pourra être responsabilisé en même temps à l’aide de sanctions civiles ou
commerciales au cas où, sur la base de l’information reçue, il aurait dû
raisonnablement s’abstenir d’octroyer un nouveau crédit » ou de faire souscrire une
garantie personnelle disproportionnée. Le défaut de consultation ne serait ainsi
réprimé que s’il conduisait le créancier à faire souscrire au garant un engagement
disproportionné par rapport à ses capacités financières au jour de la conclusion de la
garantie. En conséquence, la réduction de cet engagement pourrait sanctionner tout à
la fois le manquement au devoir de tempérance et le défaut de consultation du
fichier des incidents de paiement1826.
833. Tant pour respecter les exigences communautaires concernant la
défaillance du garant que pour conforter l’efficacité des garanties personnelles, le
régime primaire devrait donc comporter des règles relatives à l’inexécution de
l’obligation de règlement du garant. Pour rendre l’efficacité des garanties
personnelles plus solide qu’elle ne l’est actuellement, il devrait également limiter les
causes d’extinction de cette obligation.
3. L’extinction de l’obligation de règlement
834. L’application des causes d’extinction de droit commun. Si la
recherche de l’efficacité des garanties personnelles devrait conduire à restreindre les
hypothèses d’extinction totale ou partielle de l’obligation de règlement, cette
restriction ne devrait pas concerner les causes d’extinction de droit commun. Le
régime primaire pourrait rappeler, comme le fait déjà l’article 2034 du Code civil
pour le seul cautionnement, que l’obligation de règlement du garant s’éteint par les
mêmes causes que les autres obligations.
1825 L’article L. 131-81 I 2 du Code monétaire et financier oblige le banquier n’ayant pas
consulté la Banque de France, avant la délivrance de formules de chèques à un nouveau
titulaire de compte, à payer les chèques sans provision émis par ce dernier. 1826 Pour de plus amples développements sur la sanction du manquement au devoir de
tempérance, cf. infra n°856
835. L’exclusion des causes d’extinction afférentes à la procédure
collective de paiement dirigée contre le débiteur principal. L’objectif d’efficacité
pourrait, en revanche, conduire à l’exclusion des causes d’extinction résultant de la
procédure collective ou de surendettement du débiteur principal. Il s’agirait ainsi de
ne pas faire peser sur les créanciers la solidarité devant répondre aux besoins que la
crise économique fait ressentir au débiteur. Plutôt que de maintenir une répartition
des risques entre le créancier et le garant1827, la réforme du droit des garanties
personnelles pourrait prévoir que les créanciers ayant pris la précaution d’étendre
leur droit de gage général, avant que ne s’ouvre une procédure collective de
paiement contre leur débiteur, n’ont pas à supporter l’altération du droit de créance
causée par cette procédure. Quel que soit l’objet de l’obligation de règlement du
garant, la fonction de paiement attachée à cette obligation se verrait ainsi reconnaître
une priorité chaque fois que la défaillance du débiteur se trouverait établie par
l’ouverture d’une procédure collective à son encontre. Dans le cadre des garanties
personnelles présentant un caractère accessoire renforcé, les mesures accordées au
débiteur sur le fondement de l’impératif de justice distributive cesseraient alors
d’être des causes de réduction, voire d’extinction, de l’obligation de règlement du
garant.
Si le régime primaire des garanties personnelles reconnaissait cette primauté de
la fonction de garantie en cas de défaillance judiciairement constatée du débiteur, se
trouveraient confortées des solutions déjà inscrites dans le droit des procédures
collectives, au sujet du cautionnement. Il en irait ainsi du maintien du cours des
intérêts (article L. 621-48 alinéa 1er du Code de commerce), de l’inopposabilité par
les cautions des remises de dette consenties au débiteur (article L. 621-65 du Code
de commerce), ou encore du maintien du cautionnement en cas de clôture de la
procédure pour insuffisance d’actif (article L. 622-32 du Code de commerce). Ces
textes pourraient être conservés, à condition toutefois d’en étendre le champ à tous
les garants1828 et d’en supprimer les défauts formels1829.
1827 En matière de cautionnement, le droit positif procède à une telle répartition des risques
entre le créancier et la caution, puisqu’il privilégie, tantôt la fonction de garantie du
cautionnement (cf. supra n°491-503), tantôt la règle de l’accessoire (cf. supra n°644-646). 1828 La réforme du droit des procédures collectives devrait déjà conduire à une extension
notable, puisque le nouvel article L. 631-16 du Code de commerce devrait interdire aux
cautions personnelles, mais aussi aux coobligés et garants autonomes, de se prévaloir du plan
de redressement judiciaire (article 102 du projet de loi de sauvegarde des entreprises n°1596
du 12 mai 2004).
Il convient cependant de remarquer que, dans le cadre de la procédure de sauvegarde (c'est-à-
dire un redressement judiciaire sans cessation des paiements), la solution retenue par le
dernier projet de loi est toute autre. En effet, le nouvel article L. 626-8 du Code de commerce
pourrait prévoir que « le jugement qui arrête le plan, en rend les dispositions opposables à
tous, y compris aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une caution
personnelle ou une garantie autonome, qui peuvent s'en prévaloir. Ne peuvent, en revanche,
s'en prévaloir les cautions personnelles, les coobligés et les personnes ayant consenti une
garantie autonome, lorsqu'il s'agit de personnes morales».
Avec cette réforme du droit des procédures collectives, « le législateur souffle le chaud et le
froid » sur le cautionnement (C. LEGUEVAQUES, Où va le cautionnement ?, LPA 21 mai
2004, n°102, p. 4).
Si le régime primaire des garanties personnelles excluait les causes d’extinction
liées à la défaillance judiciairement constatée du débiteur principal, la règle du
nouvel article L. 332-9 du Code de la consommation se trouverait également
confirmée1830, ainsi que les solutions jurisprudentielles organisant la protection des
intérêts des créanciers lors de la procédure de surendettement de leur débiteur1831.
Serait en outre supprimé le facteur d’inefficacité tenant à l’absence de parti pris
législatif clair sur le sort des garanties personnelles en cas de surendettement du
débiteur principal1832.
Enfin, si le régime primaire des garanties personnelles excluait les causes
d’extinction liées à la procédure collective du débiteur principal, la libération de la
caution pour défaut de déclaration de la créance ne devrait plus être prononcée par
les juges1833. Sur ce point, le régime du cautionnement rejoindrait celui de la
solidarité passive et des garanties indépendantes1834 et l’efficacité du cautionnement
se trouverait indéniablement renforcée.
836. La charge définitive des mesures fondées sur l’impératif de justice
distributive. La réforme du droit des garanties personnelles ne devrait pas exclure
de la sorte les causes d’extinction afférentes à la défaillance judiciairement constatée
du débiteur, sans indiquer corrélativement sur qui devrait peser définitivement le
poids des mesures consenties à celui-ci sur le fondement de l’impératif de justice
distributive. Le législateur devrait préciser si le débiteur est ou non autorisé à
opposer au garant ces mesures, lors du recours en remboursement. Une solution
différente pouvant être apportée selon les rapports qu’entretiennent le garant et le
débiteur, cette précision ne devrait pas figurer dans le régime primaire, mais plutôt
dans une règle spéciale fondée sur la « cause » de l’obligation de couverture du
garant. La question de la charge définitive des faveurs octroyées au débiteur soumis
à une procédure collective de paiement sera donc résolue à l’occasion de l’étude des
règles spéciales1835.
837. Nombre de règles nouvelles applicables à l’ensemble des garanties
personnelles pourraient donc se rapporter à cette caractéristique technique commune
qu’est l’obligation de garantir. L’efficacité des garanties personnelles se trouverait
1829 La distinction injustifiée entre les cautions simples et les cautions solidaires, que retient
l’actuel article L. 621-65 du Code de commerce, devrait ainsi être supprimée. 1830 L’article L. 332-9 du Code de la consommation, issu de la loi Borloo du 1er août 2003,
dispose que la clôture de la procédure de rétablissement personnel entraîne l’effacement de
toutes les dettes non professionnelles du débiteur, à l’exception de celles dont le prix a été
payé aux lieu et place du débiteur par la caution ou le coobligé. Cette disposition devrait viser,
plus généralement, tous les garants. 1831 Sur la jurisprudence interdisant aux cautions de se prévaloir des allégements ou
effacements de dette consentis dans le cadre du redressement judiciaire civil, cf. supra n°499 1832 Sur l’inefficacité résultant du désintérêt du droit du surendettement pour le
cautionnement, cf. supra n°534, 535 1833 Ce même résultat pourrait être atteint si la réforme du droit des procédures collectives
abrogeait l’article L. 621-46 du Code de commerce, comme les dernières propositions de loi
relatives à cette réforme le laissent présager. 1834 Sur le défaut d’application de l’article L. 621-46 du Code de commerce aux garanties
personnelles innomées, cf. supra n°677, 682 1835 Cf. infra n°962
certainement confortée par l’instauration de règles intéressant, d’une part,
l’existence et l’extinction de l’obligation de couverture et, d’autre part, l’exécution,
l’inexécution et l’extinction de l’obligation de règlement. Des règles fondées sur
l’impératif d’éthique contractuelle pourraient également servir les intérêts des
créanciers.
§2 : LES REGLES FONDEES SUR L’IMPERATIF
D’ETHIQUE CONTRACTUELLE
838. L’impératif d’éthique contractuelle commande des limites au
déploiement de l’individualité. Il oblige chacune des parties à se montrer loyale
envers son cocontractant, en n’adoptant pas un comportement prédateur à son égard
et en facilitant même son exécution. Les manquements à ces exigences de
l’impératif d’éthique contractuelle peuvent être sanctionnés par la seule application
de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil. En revanche, pour imposer a priori la
tempérance aux créanciers et la solidarité aux contractants, des dispositions
spéciales sont nécessaires.
Comme les exigences de l’éthique contractuelle, au contraire de ses
excroissances, sont utiles à la satisfaction des attentes des créanciers, la question se
pose de savoir quelles règles fondées sur l’impératif d’éthique contractuelle
mériteraient de figurer spécialement dans le régime primaire des garanties
personnelles pour que l’efficacité de l’ensemble de ces contrats soit plus solide
qu’elle ne l’est aujourd'hui. Nous allons répondre à cette question en montrant qu’en
imposant aux créanciers certaines contraintes (A), et en soumettant les garants à des
obligations s’ajoutant à leur obligation de garantir (B), le régime primaire pourrait
asseoir la solidarité devant exister entre les contractants, au nom de l’impératif
d’éthique contractuelle, et renforcer, par là même, l’efficacité de toutes les garanties
personnelles.
A/ LES CONTRAINTES IMPOSEES AUX CREANCIERS
839. La solidarité imposée aux créanciers à tous les stades de la vie du
contrat de garantie. La protection des intérêts des créanciers n’est pas
exclusivement subordonnée à l’instauration de règles qui leur soient entièrement
favorables. Certaines contraintes peuvent aussi être à l’origine de facteurs
d’efficacité. Tel est le cas des contraintes fondées sur l’impératif d’éthique
contractuelle ayant pour objet de faciliter l’exécution du cocontractant. Pour
renforcer l’efficacité de toutes les garanties personnelles, le régime primaire devrait
ainsi comporter des règles imposant aux créanciers de se montrer solidaires envers le
garant, aussi bien lors de la formation du contrat, qu’au cours de son exécution.
840. La remise au garant d’un exemplaire du contrat de garantie.
Concernant la conclusion du contrat de garantie personnelle, le régime primaire
pourrait servir les intérêts des créanciers en étendant le champ d’application de
contraintes que la proposition de directive du 11 septembre 2002 ne fait peser que
sur les créanciers agissant dans un cadre professionnel au profit des «garants
consommateurs». Ainsi, le régime primaire pourrait, non seulement imposer
l’établissement du contrat « sur un support papier ou sur un autre support
durable »1836, mais surtout rendre obligatoire la remise d’un exemplaire de ce contrat
au garant1837.
Ce formalisme pourrait concerner toutes les garanties personnelles puisque,
sans rendre plus onéreuse la protection des intérêts des créanciers, il est susceptible
de rendre plus sûre l’exécution du garant, quels que soient la « cause » de son
obligation de couverture, l’objet de son obligation de règlement, la qualité du
créancier ou encore la nature du contrat principal. En effet, la remise d’un
exemplaire du contrat de garantie au garant pourrait éviter que celui-ci n’oublie le
contenu, voire l’existence même de son engagement, et ne s’abstienne, par
conséquent, de prendre les précautions nécessaires pour pouvoir exécuter son
obligation de règlement en cas de défaillance du débiteur principal. Cette remise
pourrait également permettre aux héritiers du garant de connaître l’existence de la
garantie personnelle et donc de prendre les précautions susvisées. Par ailleurs, cette
connaissance des héritiers pourrait justifier qu’ils ne soient pas libérés des dettes
nées postérieurement au décès du garant par la découverte d’un terme extinctif
implicite1838. Pour toutes ces raisons, le régime primaire pourrait donc imposer la
remise d’un exemplaire du contrat de garantie personnelle au garant1839.
Cette règle nouvelle ne devrait pas être confondue avec celle du double
original, puisqu’elle n’est pas fondée sur la réciprocité des obligations des
contractants, mais sur la solidarité devant exister entre eux. Cependant, elle pourrait
recevoir la même sanction que la règle de l’article 1325 du Code civil. Ainsi, le
défaut de remise au garant d’un exemplaire du contrat de garantie n’entraînerait pas
la nullité de ce contrat, mais le priverait seulement de sa force probante1840, dans
l’hypothèse où ce défaut ne pourrait être couvert1841. Cette sanction devrait rarement
être prononcée tant la remise d’un exemplaire du contrat de garantie au garant est à
l’avantage des créanciers et est déjà de pratique courante1842.
841. La remise au garant d’un exemplaire du contrat principal. Pour faire
respecter l’impératif d’éthique contractuelle, ainsi que pour se conformer à la
directive sur le crédit aux consommateurs, une autre contrainte pourrait être imposée
aux créanciers lors de la conclusion du contrat de garantie. Il s’agit de la remise au
garant d’un exemplaire du contrat principal.
1836 Article 10.1 alinéa 1er de la proposition de directive sur le crédit aux consommateurs 1837 Article 10.1 alinéa 2 : « Le garant reçoit un exemplaire du contrat de sûreté ». 1838 Sur l’exclusion des termes extinctifs implicites, cf. supra n°814 1839 En faveur de cette règle nouvelle, cf. S. PIEDELIEVRE, n°97 ; Ph. SIMLER, n°57, 368 1840 En ce sens, au sujet de la formalité du double original, cf. Cass. 3ème civ., 26 juin 1973 :
Bull. civ. III, n°444 ; Cass. 3ème civ., 23 janvier 1991 : Bull. civ. III, n°35 ; Cass. 3ème civ., 13
février 1991 : Bull. civ. III, n°58 ; Defrénois, 1991, p. 1264, obs. AUBERT 1841 Par application de l’article 1325 du Code civil, la Cour de cassation décide que le défaut
de force probante ne peut être invoqué en présence d’un commencement d’exécution (Cass.
1ère civ., 20 octobre 1981 : Bull. civ. I, n°300) ou lorsque les parties ne contestent, ni
l’existence de l’écrit, ni aucune de ses mentions (Cass. 3ème civ., 16 juin 1971 : Bull. civ. III,
n°387). 1842 L’Association française des banques a recommandé à ses adhérents la remise d’une copie
du contrat de garantie personnelle dès 1982 (recommandation du 21 avril 1982 : Banque
1982, p. 703 ; Banque 1983, p. 15). Elle a réitéré ce conseil dans sa recommandation du 28
juillet 1989, ainsi que dans sa brochure d’octobre 1990.
Cette formalité peut permettre aux garants dont l’obligation est déterminée par
emprunt ou par référence à l’obligation principale de mieux évaluer les risques
encourus et donc de mieux préparer l’exécution éventuelle de l’obligation de
règlement. Quel que soit l’objet de cette obligation, la remise du contrat principal au
garant peut permettre à celui-ci de faire pression sur le débiteur de manière adéquate
pour qu’il exécute son engagement. Alors que l’article 10.1 alinéa 2 de la
proposition de directive ne la rend obligatoire que dans les « contrats de sûreté »
conclus par des «garants consommateurs» couvrant un contrat de crédit, la remise du
contrat principal au garant pourrait figurer dans le régime primaire des garanties
personnelles, puisqu’elle peut engendrer divers facteurs d’efficacité, sans augmenter
le coût de la protection des créanciers.
Si la remise du contrat principal au garant devait ainsi figurer dans le régime
primaire, perdrait son utilité la précision, figurant dans l’article 22-1 alinéa 3 de la
loi du 6 juillet 1989, selon laquelle « le bailleur remet à la caution un exemplaire
du contrat de location ».
En revanche, la règle nouvelle n’empiéterait pas sur le domaine des articles L.
311-8 et L. 312-7 du Code de la consommation, car ces textes imposent la remise,
non du contrat de crédit à la consommation ou immobilier définitivement conclu,
mais seulement de l’offre de crédit. Si l’abrogation de ces dispositions du Code de la
consommation ne saurait donc résulter de l’instauration de la formalité préconisée
dans le régime primaire, elle pourrait en revanche procéder du nouvel agencement
des protections accordées aux «garants consommateurs» dans les règles spéciales
leur étant consacrées.
S’agissant de la sanction du défaut de remise du contrat principal au garant,
l’objectif d’efficacité invite à exclure la nullité actuellement retenue en matière de
cautionnement de dettes locatives1843, au profit de la responsabilité contractuelle du
créancier. L’absence de remise du contrat de base ne serait alors sanctionnée que si
le garant parvenait à prouver en avoir subi un préjudice. La responsabilité du
bénéficiaire devrait être rarement retenue en présence d’obligations de règlement
dont l’objet est déterminé ab initio, ou encore de garanties personnelles souscrites
par des garants disposant d’informations sur le contrat principal en raison des
rapports étroits entretenus avec le débiteur.
A condition de ne pas être assortie d’une sanction forfaitaire, la remise du
contrat principal au garant pourrait donc protéger les intérêts de celui-ci tout en
augmentant les chances de satisfaction des attentes du créancier.
842. L’information du garant sur le premier incident de paiement du
débiteur principal. La solidarité à l’égard du garant peut également être utile à
l’efficacité des garanties personnelles lorsqu’elle est imposée en cours d’exécution
du contrat. Ainsi, le régime primaire pourrait servir, tant l’impératif d’éthique
contractuelle, que l’objectif d’efficacité, en obligeant les créanciers à informer le
garant du premier incident de paiement du débiteur principal.
Lorsque le montant de l’obligation de règlement du garant est déterminé par
emprunt ou par référence à l’obligation principale, cette information peut permettre
au garant d’exécuter son obligation dans les meilleurs délais et d’éviter par là même
1843 Sur l’inefficacité résultant des sanctions forfaitaires assortissant aujourd'hui le formalisme
informatif indirect en matière de cautionnement, cf. supra n°617-620
le surcoût lié à l’accumulation des intérêts moratoires dûs par le débiteur. Par
ailleurs, quels que soient l’objet de l’obligation de règlement du garant, la « cause »
de son obligation de couverture, la qualité du créancier et la nature du contrat
principal, l’information sur la défaillance du débiteur présente l’avantage, en termes
d’efficacité, de permettre au garant d’inciter ledit débiteur à exécuter ses obligations
ou, à tout le moins, à ne pas continuer à s’endetter. Si la proposition de directive du
11 septembre 2002 n’impose pas cette information, la Commission européenne
remarque, néanmoins, dans l’examen du dispositif, que « le prêteur devrait alerter
à temps le garant si le consommateur se trouve dans une situation de défaut de
paiement, de sorte que le garant puisse prendre au besoin des mesures pour ne pas
aggraver encore plus la situation débitrice du consommateur ». Compte tenu de ses
avantages et de son caractère peu onéreux, l’information du garant sur la défaillance
du débiteur pourrait donc être imposée par le régime primaire des garanties
personnelles.
L’instauration de cette règle nouvelle pourrait être l’occasion de supprimer les
défauts formels du droit du cautionnement afférents à cette obligation d’information.
Tout d’abord, l’illisibilité résultant de la coexistence des articles 47-II alinéa 3 de la
loi du 11 février 1994, L. 313-9 et L. 341-1 du Code de la consommation pourrait
cesser, puisqu’un texte unique remplacerait ces dispositions éparses. Pourrait ensuite
être supprimée l’incohérence découlant de la dualité de définitions de l’incident de
paiement. A cette fin, le législateur pourrait situer la défaillance du débiteur
principal, soit au jour du premier incident de paiement non régularisé dans le mois
d’exigibilité1844, soit au jour du premier incident de paiement susceptible
d’inscription au FICP1845. La première définition peut sembler préférable, car, en
permettant au garant d’être plus tôt avisé de la défaillance du débiteur, elle renforce
les avantages de l’information du garant. Enfin, lors de la réforme du droit des
garanties personnelles, le silence relatif aux modalités d’exécution de l’obligation
d’information pourrait être comblé par une référence à la lettre simple. Toutes ces
améliorations apportées au droit positif rendraient plus solide l’efficacité du
cautionnement.
Pour que l’efficacité de l’ensemble des garanties personnelles soit renforcée par
la généralisation de l’obligation d’informer le garant sur la défaillance du débiteur, il
paraît nécessaire d’écarter la sanction forfaitaire que retiennent les textes actuels1846,
au profit de la responsabilité contractuelle du créancier. Celui-ci ne pourrait être
condamné à des dommages et intérêts que si le garant parvenait à prouver que le
défaut d’information lui a fait perdre une chance de ne pas être poursuivi ou d’être
poursuivi pour une moindre somme. En outre, le lien de causalité entre le défaut
d’information et ce préjudice risquant de faire défaut en présence d’un garant
parfaitement informé de la situation du débiteur principal, les garanties personnelles
souscrites par des garants professionnels ou par des garants intégrés dans les affaires
1844 Il s’agit de la définition retenue par les articles 47-II alinéa 3 de la loi du 11 février 1994
et L. 341-1 du Code de la consommation. 1845 Telle est la définition de l’article L. 313-9 du Code de la consommation. 1846 Les articles 47-II alinéa 3 de la loi de 1994, L. 313-9 et L. 341-1 du Code de la
consommation sanctionnent le défaut d’information de la caution par la déchéance des
« pénalités ou intérêts de retard échus entre la date de ce premier incident et celle à laquelle
elle en a été informée ». Sur l’inefficacité résultant de cette sanction forfaitaire, cf. supra
n°620
du débiteur ou encore par des garants nourrissant des liens affectifs très étroits avec
celui-ci devraient être rarement remises en cause sur le fondement du défaut
d’information.
843. Sous réserve d’être assorties de sanctions proportionnées, les contraintes
imposées aux créanciers sur le fondement de l’impératif d’éthique contractuelle
pourraient donc conforter l’efficacité des garanties personnelles. Les intérêts des
créanciers pourraient, en plus, être directement protégés, si le régime primaire
imposait également la loyauté aux garants.
B/ LES OBLIGATIONS MISES A LA CHARGE DES GARANTS
844. La solidarité du garant à l’égard du créancier. Positivement,
l’impératif d’éthique contractuelle exige que les contractants se montrent solidaires
l’un envers l’autre. Dans un contrat unilatéral, le débiteur doit ainsi, non seulement
exécuter ses obligations au mieux des intérêts de son créancier, mais aussi
renseigner ce dernier sur tout ce qui est susceptible de faciliter ou d’entraver
l’exécution de sa prestation. L’information n’est pas l’apanage des créanciers. Sur le
fondement de l’impératif d’éthique contractuelle, il convient donc d’obliger les
garants, d’une part, à fournir des informations aux créanciers et, d’autre part, à
rechercher les informations nécessaires à l’exécution de leur obligation de garantir.
845. L’obligation de répondre loyalement aux demandes de
renseignements du créancier. L’article 6.1 alinéa 1er de la proposition de directive
sur le crédit aux consommateurs dispose que les créanciers ne peuvent demander
aux garants pressentis que « des renseignements adéquats, pertinents et non
excessifs afin d’apprécier la situation financière de ceux-ci et leurs facultés de
remboursement ». Si un créancier venait à dépasser ce cadre, les sanctions de droit
commun des violations de la vie privée, des atteintes aux droits des tiers ou encore
des discriminations pourraient s’appliquer.
Le régime primaire pourrait préciser, conformément à l’article 6.1 alinéa 2 de la
proposition de directive, que les garants « sont tenus de répondre à ces demandes de
renseignement de manière exacte et complète ». La mauvaise foi par commission,
aussi bien que par omission, devrait être pourchassée, sans distinction tenant à la
qualité des parties, à la nature du contrat principal ou à celle du contrat de garantie
personnelle. L’obligation de loyauté imposée par le texte communautaire devrait
donc voir son champ d’application étendu à l’ensemble des garanties personnelles.
Comme l’efficacité de la condamnation au paiement de dommages et intérêts
est rendue incertaine par l’éventuelle insolvabilité du garant de mauvaise foi, le
manquement à ce devoir de loyauté devrait plutôt être sanctionné par la déchéance
de certains droits. Ainsi, la fourniture d’informations incomplètes ou erronées lors
de la formation du contrat de garantie pourrait constituer une fraude dispensant le
créancier de mettre en demeure le garant1847. Par ailleurs, dans l’hypothèse où la
fourniture de tels renseignements conduirait le créancier à faire souscrire au garant
un engagement disproportionné par rapport à ses capacités financières, ledit garant
1847 Sur l’obligation de mise en demeure et l’exception procédant de la fraude du garant aux
droits du créancier, cf. supra n°818-821, 845
pourrait se voir refuser le bénéfice de la réduction de son obligation de
règlement1848.
846. L’obligation de se renseigner mise à la charge des garants. Le devoir
de conseil non imposé aux créanciers. En vertu de l’impératif d’éthique
contractuelle, le garant doit fournir des informations sur sa situation patrimoniale,
mais il doit aussi rechercher des informations à même de faciliter son exécution. En
conséquence, le régime primaire des garanties personnelles pourrait préciser que,
même lorsque le garant doit recevoir certaines informations du créancier avant de
donner son consentement1849, il doit toujours se renseigner sur le contrat de garantie
et sur le contrat principal1850, et n’est jamais créancier d’une obligation de conseil.
L’obligation de se renseigner serait justifiée, non seulement au regard de
l’objectif d’efficacité, puisqu’elle empêcherait de nombreuses contestations des
garants, mais également au regard des exigences communautaires. En effet, la
Commission européenne précise, dans l’examen du dispositif de sa proposition de
directive, que la règle relative au prêt responsable1851 « est sans préjudice de
l’obligation du consommateur d’agir avec prudence lors de la recherche d’un crédit
et de respecter ses obligations contractuelles ». Par analogie, les protections
spéciales accordées à certains garants ne devraient pas les dispenser de se
renseigner, à tous les stades de la vie du contrat.
Concernant le conseil dû aux garants, son exclusion pourrait aussi s’expliquer
par la recherche de l’efficacité, car le conseil constitue une excroissance de
l’impératif d’éthique contractuelle incompatible avec la protection des intérêts des
créanciers1852. L’exclusion du devoir de conseil ne contredirait en rien, par ailleurs,
les exigences communautaires, puisque ce devoir n’est imposé qu’au bénéfice du
consommateur1853. La proposition de directive ne comporte, par contre, aucune
disposition relative à l’opportunité, pour le garant, de conclure le « contrat de
sûreté ».
847. Conclusion de la Section 1. Pour faire régner la solidarité entre les
contractants, tout en respectant, aussi bien l’objectif d’efficacité, que la proposition
de directive sur le crédit aux consommateurs, le régime primaire des garanties
personnelles pourrait donc imposer aux garants de répondre loyalement aux
demandes de renseignements des créanciers et de s’informer sur le contrat de
garantie, ainsi que sur le contrat principal, sans attendre de leur créancier un conseil. 1848 Sur l’exigence de proportionnalité et sa sanction, cf. infra n°852-856 1849 Sur le formalisme informatif que le régime des garanties personnelles souscrites par un
«garant consommateur» devrait organiser, cf. infra n°914-917 ; 920-926 ; 929-938 1850 En faveur de cette obligation de se renseigner, cf. J. CASEY, th. préc., n°443 : « plus la
caution sera informée par elle-même, plus on peut concevoir de réduire le formalisme de son
engagement » ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°69 : « il appartient à toute personne de
bonne foi qui s’engage comme caution de se renseigner elle-même sur l’étendue du risque
qu’elle court, ce qui nous paraît de bonne politique et conforme à l’idéal de responsabilité de
chacun. Le droit n’aide que les gens vigilants ! » 1851 Sur l’article 9 de la proposition de directive relatif au prêt responsable, cf. infra n°854,
856 1852 Sur les excroissances de l’impératif d’éthique contractuelle et leur incompatibilité avec
l’objectif d’efficacité, cf. supra n°164-166 1853 Article 6.3
S’agissant des bénéficiaires, ils pourraient se voir contraints, lors de la formation de
la garantie, de remettre au garant un exemplaire de ce contrat et un exemplaire de la
convention principale et, au cours de l’exécution du contrat de garantie, d’informer
le garant du premier incident de paiement du débiteur principal non régularisé dans
le mois de l’exigibilité.
Pour conforter l’efficacité des garanties personnelles, le régime primaire
pourrait, en outre, comporter des règles fondées sur cette caractéristique commune
qu’est l’obligation de garantir. L’assimilation de l’obligation de couverture pourrait
être concrétisée par des règles intéressant son existence (remplacement du garant
insolvable et publicité des garanties personnelles) et son extinction (exclusion de
tous les termes extinctifs implicites). L’assimilation de l’obligation de règlement
pourrait, quant à elle, reposer sur des règles se rapportant à son exécution (caractère
exprès des conditions subordonnant l’exécution de l’obligation de règlement ; mise
en demeure obligatoire, sauf fraude du garant ; charge des frais de recouvrement ;
octroi de délais de paiement uniquement dans les conditions de l’article 1244-1 du
Code civil), son inexécution (communication immédiate et gratuite des frais
d’inexécution ; inscription au fichier des garants défaillants et consultation de ce
fichier) et son extinction (extinction par voie principale pour les causes de droit
commun, mais exclusion des causes d’extinction découlant de la procédure
collective de paiement ouverte contre le débiteur principal).
Toutes les règles jusqu’ici préconisées pourraient s’appliquer à l’ensemble des
garanties personnelles, mais seulement à celles-ci, puisqu’elles sont fondées, soit sur
une caractéristique technique qui leur est propre, soit sur les spécificités de
l’impératif d’éthique contractuelle en leur domaine. D’autres règles du régime
primaire pourraient, au contraire, avoir un champ d’application plus étendu, comme
reposant sur des caractéristiques que les garanties personnelles partagent avec
d’autres mécanismes.
SECTION 2 : LES RÈGLES APPLICABLES
À D’AUTRES GARANTIES
848. La structure du nouveau titre XIV du Code civil. Les règles du régime
primaire des garanties personnelles fondées sur les caractéristiques qu’elles ont en
commun avec d’autres mécanismes de garantie pourraient être appliquées a pari par
les juges. L’analogie pourrait même dicter le travail législatif et conduire à
l’instauration de plusieurs régimes primaires. Ainsi, les actuels titres XIV, XVII et
XVIII du Code civil1854 pourraient fusionner en un seul titre, intitulé « Des
garanties ».
Dans le premier chapitre, baptisé « Dispositions générales », une première
section pourrait regrouper les règles applicables à toutes les garanties et les sections
suivantes pourraient être consacrées aux règles communes aux principales catégories
de garanties, c'est-à-dire les garanties de paiement et les garanties de crédit1855.
1854 Au sein du Livre troisième du Code civil relatif aux « différentes manières dont on
acquiert la propriété », le Titre XIV est consacré au cautionnement, le Titre XVII au
nantissement et le Titre XVIII aux privilèges et hypothèques. 1855 D’autres catégories de garanties pourraient également faire l’objet de règles communes,
notamment les garanties par conservation du droit de gage général, les garanties par
Dans le deuxième chapitre, nommé « Des garanties personnelles », la première
section pourrait réunir toutes les règles précédemment présentées, qui s’appliquent à
l’ensemble de ces contrats, mais seulement à ceux-ci. Les autres sections pourraient
être dédiées aux règles spéciales, qui seront envisagées plus loin1856.
Le troisième chapitre, intitulé « Des garanties réelles », sur le modèle du
précédent, pourrait commencer par une section relative à leur régime primaire1857 et
se poursuivre par plusieurs sections, chacune fondée sur une caractéristique
distinctive, ou chacune consacrée à une garantie réelle particulière.
849. Les règles fondées sur les caractéristiques que les garanties
personnelles partagent avec d’autres mécanismes. Que le législateur reconstruise
le seul droit des garanties personnelles et n’institue, ce faisant, qu’un seul régime
primaire, ou qu’il s’attèle à une tâche plus ambitieuse, le conduisant à réformer
toutes les garanties du Code civil et à poser plusieurs corps de règles communes
impératives, comme ceux proposés ci-dessus, il est indéniable que de nombreuses
règles affectant l’ensemble des garanties personnelles concernent plus largement
tous les mécanismes présentant des caractéristiques identiques. Certaines règles
pourraient ainsi s’appliquer aux garanties de paiement ou de crédit (§1), d’autres
pourraient même viser toutes les garanties (§2).
renforcement du contenu obligatoire du contrat et les garanties par exclusion du concours. Sur
ces différents types de garanties, cf. supra n°249-251, 256-258 1856 Une section 2 pourrait instaurer « des règles particulières aux garanties personnelles
souscrites par un garant personne physique », une section 3 « des règles particulières aux
garanties personnelles souscrites par un «garant consommateur» », une section 4 « des règles
particulières aux garanties personnelles souscrites par un garant non tenu envers le débiteur»,
une section 5 « des règles particulières aux garanties personnelles accessoires » et une section
6 « des règles particulières aux garanties personnelles indépendantes ». 1857 Les auteurs reconnaissant l’existence d’un droit commun des sûretés réelles ont
essentiellement mis en avant les règles suivantes : les règles fondées sur la nature des sûretés
réelles (indivisibilité ; attribution des indemnités d’assurance ; déchéance du terme ;
transmission et extinction avec la créance) ; les règles répondant à des exigences particulières
de l’ordre public (prohibition de la clause de voie parée et du pacte commissoire ; protection
du patrimoine personnel de l’entrepreneur ; sauvetage de l’entreprise avec la substitution de
garantie qui est applicable à toutes les sûretés réelles dont l’existence empêcherait l’entreprise
de disposer du prix d’aliénation ; sauvetage de l’entreprise avec l’uniformité des délais du
plan de continuation ; substitution de garantie dans le cadre d’un surendettement ; droit, pour
le débiteur, avant la vente aux enchères publiques, de rechercher lui-même l’acquéreur du
bien) ; les règles interdisant des ruptures anormales d’égalité (nullité de plein droit des sûretés
réelles constituées pendant la période suspecte pour garantir des dettes antérieures ;
prohibition des inscriptions à partir du jugement d’ouverture, pour toutes les sûretés soumises
à publicité) ; la transmission de la sûreté au cessionnaire (sur ces règles communes, cf. P.
CROCQ, L’évolution des garanties du paiement : de la diversité à l’unité, Mélanges Ch.
Mouly, Litec, 1998, p. 317 et s., n°22 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°520 à 526 ; J.
MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°19, 261).
Il sera démontré que certaines de ces règles concernent, non seulement toutes les garanties
réelles, mais aussi toutes les garanties de paiement ou de crédit, et même toutes les garanties.
Elles devraient ainsi figurer dans les régimes primaires se rapportant à ces deux ensembles de
mécanismes.
§1 : LES REGLES APPLICABLES
AUX GARANTIES DE PAIEMENT OU DE CREDIT
850. Les règles fondées sur les effets principaux de la constitution et de la
réalisation de la garantie. Toutes les garanties personnelles se caractérisent par les
mêmes effets principaux. Leur constitution peut conférer au bénéficiaire un droit
d’agir, que ne procure pas le seul droit de gage général, et qui anticipe l’éventuelle
inexécution du débiteur. Leur constitution peut également faciliter l’accès au crédit
de ce dernier. Leur mise en œuvre, quant à elle, peut permettre au bénéficiaire de
recevoir un paiement, sans pâtir d’un éventuel concours avec les autres créanciers du
débiteur.
Comme les garanties personnelles ne sont pas les seuls mécanismes à pouvoir
produire ces effets, les règles régissant ceux-ci pourraient s’appliquer à d’autres
garanties. Plus précisément, les règles relatives aux effets de la garantie sur la
situation du créancier pourraient jouer en présence de n’importe quelle garantie de
paiement (A), et les règles intéressant les effets de la garantie sur la situation du
débiteur pourraient concerner toutes les garanties de crédit (B).
A/ LES REGLES APPLICABLES AUX GARANTIES DE PAIEMENT
851. Les règles imposant aux créanciers la tempérance. Certaines règles
ayant trait au désintéressement des créanciers pourraient être appliquées à tous les
mécanismes de garantie dont la mise en œuvre est susceptible d’éteindre la dette du
débiteur en plaçant le bénéficiaire dans une situation avantageuse par rapport aux
autres créanciers dudit débiteur1858. Tel pourrait être le cas des règles faisant
respecter l’impératif d’éthique contractuelle dans sa dimension négative, c'est-à-dire
imposant aux créanciers la tempérance1859.
852. L’exigence de proportionnalité. Conformément à l’impératif d’éthique
contractuelle, les créanciers ne doivent pas confondre la protection de leurs intérêts,
qui constitue la fonction des contrats unilatéraux de garantie, avec leur
surprotection, qui consiste à faire souscrire une garantie disproportionnée, au mépris
des intérêts fondamentaux du constituant. La proportionnalité entre la garantie de
paiement et le montant de la créance, ainsi que la proportionnalité entre cette
garantie et le patrimoine du constituant, sont des exigences de l’impératif d’éthique
1858 Sur la présentation des principales garanties de paiement, cf. supra n°248 1859 En faveur de l’application à toutes les sûretés de règles imposant aux créanciers la
tempérance au stade de leur constitution, cf. D. LEGEAIS, n°26 : au rang des « principes
communs », figure la sanction des créanciers, qui manquent à leur devoir de bonne foi en se
faisant consentir des garanties excessives par rapport au patrimoine de leur débiteur et au
montant de leur créance ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°6-3 : « à
l’instar du droit allemand, on peut entrevoir une règle commune aux sûretés personnelles et
réelles à travers le principe de proportionnalité » ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M.
BILLIAU, n°161 et s. ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°19 : la règle selon laquelle un
créancier n’est jamais tenu de prendre une sûreté, mais reste libre, sous réserve de ne pas
abuser de ses prérogatives, d’en choisir une ou plusieurs, devrait figurer dans un droit
commun des sûretés.
contractuelle1860, tout autant que des facteurs d’efficacité des garanties conclues,
puisqu’elles diminuent les risques de contestation et augmentent, au contraire, les
chances de réalisation satisfactoire pour le bénéficiaire1861. Elles devraient donc être
imposées dans toutes les garanties de paiement1862.
853. L’obligation de ne pas faire souscrire au garant un engagement
disproportionné par rapport à ses facultés financières. En matière de garanties
personnelles, le devoir de tempérance au stade de la constitution pourrait se traduire
par l’édiction d’une obligation générale de ne pas faire souscrire au garant un
engagement disproportionné par rapport à ses facultés financières.
En tant que manifestation du devoir de loyauté contractuelle et facteur
d’efficacité, cette obligation devrait s’appliquer à toutes les garanties personnelles,
quels que soient la qualité des parties1863, la « cause » de l’obligation de couverture
du garant, l’objet de son obligation de règlement ou encore la nature du contrat
principal. Le droit positif pourrait se trouver profondément modifié, non seulement
par cette extension du champ d’application de l’exigence de proportionnalité1864,
1860 Pour de plus amples développements sur la tempérance des créanciers comme exigence
de l’impératif d’éthique contractuelle, cf. supra n°149-152 1861 Dans l’examen du dispositif de sa proposition de directive du 11 septembre 2002, la
Commission européenne a remarqué, en ce sens, que des règles de prudence doivent être
imposées aux prêteurs « non seulement dans l’intérêt des consommateurs ou des garants mais
également de tous les prêteurs. Ceux-ci risquent en effet de voir diminuer la solvabilité de
leurs clients en raison de contrats de crédit accordés ultérieurement par leurs concurrents,
lorsque ces contrats sont accordés dans des circonstances mettant gravement en péril les
capacités de remboursement du consommateur ou du garant ».
Dans sa proposition de résolution du 13 novembre 2002, le Sénat a également noté que la
notion de « prêt responsable » est instaurée, tant dans l’intérêt du consommateur, que dans
l’intérêt collectif des prêteurs.
Sur l’utilité des contraintes fondées sur la tempérance des créanciers, en vue de la satisfaction
des attentes de ces derniers, cf. supra n°169, 170 1862 En matière de sûretés réelles, l’édiction d’un principe général de proportionnalité
viendrait conforter les dispositions existantes autorisant la réduction des hypothèques
excessives au regard du montant de la créance (articles 2161 et 2162 du Code civil). Elle
pourrait, par ailleurs, rendre inutile le recours à la théorie de l’abus de droit pour sanctionner
les garanties disproportionnées. Sur la proportionnalité en matière de sûretés réelles, cf. S.
PESENTI, Le principe de proportionnalité en droit des sûretés, LPA 11 mars 2004, n°51,
p. 12 et s., n°27 et s. ; D. LEGEAIS, n°360 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU,
n°191 et s. 1863 Tous les garants devraient pouvoir invoquer le manquement de leur créancier au devoir de
tempérance. Ph. SIMLER (n°247) a remarqué en ce sens que, « dans l’article L. 313-10 du
Code de la consommation, la restriction aux seuls cautionnements consentis par des
personnes physiques n’a pas de justification rationnelle. Elle ne s’explique que par le
contexte de la loi du 31 décembre 1989, c'est-à-dire la prévention du surendettement des
particuliers ». Il est vrai cependant que, compte tenu de la surface financière respective des
garants personnes physiques et des garants personnes morales, la protection ne devrait
pratiquement jouer qu’au bénéfice des premiers. 1864 A l’heure actuelle, la disproportion de l’engagement du garant par rapport à ses biens et
revenus n’est légalement sanctionnée qu’en matière de cautionnement (sur les positions
doctrinales favorables à la sanction de la disproportion en matière de garanties personnelles
innomées, cf. supra n°704) et, plus précisément, seulement dans les cautionnements conclus
entre un créancier professionnel et une caution personne physique (article L. 341-4 du Code
de la consommation, issu de la loi du 1er août 2003).
mais aussi par les dispositions de la proposition de directive du 11 septembre 2002
ayant trait à la prudence dont doivent faire montre les créanciers.
854. L’interprétation du principe communautaire de « prêt
responsable ». Le devoir de tempérance et l’obligation de ne pas faire souscrire au
garant un engagement disproportionné ne sont pas expressément visés par le texte
communautaire1865, mais ils constituent les corollaires du principe de « prêt
responsable », que son article 9 formule en ces termes : « lorsque le prêteur conclut
un contrat de crédit ou de sûreté ou augmente le montant total du crédit ou le
montant garanti, il est censé avoir estimé préalablement, par tout moyen à sa
disposition, que le consommateur et, le cas échéant, le garant seront
raisonnablement à même de respecter leurs obligations découlant du contrat ».
A la lecture de cette disposition, ainsi que de l’examen du dispositif, il apparaît
que la Commission européenne n’admet pas que le manquement du créancier au
principe de « prêt responsable » puisse être constaté en tenant uniquement compte
d’une disproportion mathématique entre le montant de l’engagement du garant et ses
capacités financières au jour de la conclusion du « contrat de sûreté » ou de sa
renégociation1866. Ce constat semble plutôt dépendre de l’appréciation que le
créancier a pu porter sur la situation patrimoniale du garant et, en amont, des
investigations qu’il a pu mener pour connaître cette situation.
En effet, le but assigné à l’article 9 est avant tout d’obliger le prêteur à
« vérifier si un consommateur, et le cas échéant un garant, est à même de respecter
de nouveaux engagements »1867. La Commission européenne précise qu’il s’agit
d’ « une obligation de moyens, qui se traduit notamment par la consultation des
bases centralisées de données et l’examen des réponses fournies par le
consommateur ou le garant » et qu’ « il importe de préciser le lien entre la
conclusion du contrat de crédit et cet examen préalable »1868. Alors que le choix en
faveur d’une obligation de résultat aurait pu conduire à sanctionner le créancier
chaque fois que le garant se serait trouvé dans l’incapacité financière d’exécuter son
engagement, sous réserve de la preuve d’une cause étrangère, le choix en faveur de
l’obligation de moyens invite plutôt à ne prononcer une sanction qu’en cas
d’absence de diligences du créancier pour connaître les capacités financières du
garant1869 ou en cas de mauvaise analyse de celles-ci. La Commission souligne ainsi
1865 Dans l’examen du dispositif, la Commission européenne parle néanmoins de « règles de
prudence ou de gestion en « bon prêteur » ». 1866 La proposition de directive impose la prudence aux créanciers lors de la conclusion du
« contrat de sûreté », mais aussi lors d’une augmentation du montant garanti. Comme elle
exige, par ailleurs, que le « contrat de sûreté » comporte un plafond (article 10.3), le montant
garanti ne peut pas être déterminé par référence au montant du contrat principal, par voie
accessoire. L’augmentation du montant garanti visée par l’article 9 ne peut donc résulter que
d’une renégociation du « contrat de sûreté » avec le garant, et non d’une augmentation de la
dette principale. En conséquence, le créancier doit vérifier la capacité financière du garant
uniquement lors de la conclusion de la garantie et d’une éventuelle renégociation, et non
chaque fois qu’il accorde un crédit supplémentaire au débiteur principal. 1867 Point 15 de l’exposé des motifs de la proposition de directive. 1868 Examen du dispositif relatif à l’article 9 de la proposition de directive. 1869 Afin d’éviter la sanction, le créancier devra donc commencer par prouver s’être renseigné
sur la situation financière du garant. A cet égard, dans sa proposition de résolution du 13
novembre 2002, le Sénat a relevé une incohérence dans le dispositif de la proposition de
que « l’examen par le prêteur des capacités de remboursement du consommateur
n’est pas neutre ». Le créancier ne peut pas se contenter de consulter les bases de
données et de demander des renseignements. Il doit tirer les conséquences de ces
recherches, le cas échéant en s’abstenant de conclure le contrat ou, à tout le moins,
en adaptant le contenu du contrat aux capacités du garant. « Pareilles règles de
prudence demandent une appréciation des faits, à examiner au cas par cas, de
préférence par les autorités judiciaires ». Parmi les faits examinés, devraient figurer
les moyens dont dispose le créancier pour se renseigner de manière fiable sur la
situation du garant, ainsi que ses compétences en matière de crédit et de garantie.
855. Les critères subjectifs d’appréciation de la disproportion. A en suivre
les précisions apportées par la Commission européenne sur le principe de « prêt
responsable », le texte national imposant l’obligation de ne pas faire souscrire au
garant un engagement excessif ne devrait donc pas viser une disproportion purement
objective, résultant de la seule comparaison entre le montant de l’engagement du
garant et ses biens et revenus au jour de la conclusion du contrat de garantie ou de sa
renégociation. Il devrait plutôt imposer que l’appréciation de la disproportion repose
aussi sur des critères subjectifs1870.
Si les articles L. 313-10 et L. 341-4 du Code de la consommation ne répondent
pas à ces exigences, la jurisprudence Nahoum de la Cour de cassation, au contraire,
s’en rapprochait1871. En conséquence, à l’occasion de la réforme du droit des
garanties personnelles, les articles précités pourraient être abrogés et remplacés par
un nouveau texte, dans le Code civil, qui transposerait les exiges communautaires,
en ne s’attachant pas uniquement à une disproportion mathématique, mais en
prenant également en compte les connaissances des créanciers, comme l’avait
décidé la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 8 octobre
2002.
Une telle modification du droit positif n’empêcherait pas de protéger les garants
contre les abus manifestes des créanciers intempérants et pourrait en même temps
limiter les possibilités de remise en cause des garanties personnelles sur le
directive : « le prêteur est censé consulter les bases centralisées de données avant la
conclusion du contrat par le consommateur ou la personne agissant en garantie de celui-ci,
puis il doit détruire les données une fois le prêt accordé ou refusé. Or, s’il agit de cette
manière, on voit mal comment il pourrait faire la preuve ultérieurement qu’il a bien procédé
au contrôle préalable de la situation de son client ». En vue de supprimer cette incohérence,
qui pourrait nuire aux intérêts des créanciers, le Sénat a demandé au Gouvernement « que soit
déterminée la procédure de conservation des données informatiques pour valoir preuve du
comportement responsable du prêteur ». 1870 Si tous les créanciers, même non professionnels, étaient soumis à ce devoir de
tempérance, ils ne devraient donc pas tous avoir les mêmes risques d’être sanctionnés en cas
de disproportion de la garantie personnelle par rapport aux capacités patrimoniales du garant.
Ces risques pourraient surtout peser sur les créanciers disposant de nombreux moyens de
connaître le patrimoine du garant, c'est-à-dire sur les créanciers agissant dans un cadre
professionnel. Si la réforme préconisée venait à étendre le champ d’application des textes
actuels relatifs à la disproportion, elle ne se traduirait donc certainement pas par la sanction de
créanciers jusqu’ici non visés par ces textes. 1871 Sur les articles L. 313-10 et L. 341-4 du Code de la consommation, cf. supra n°414, 507,
520, 545, 614, 619. Sur la jurisprudence Nahoum, cf. supra n°414, 466
fondement de la disproportion1872. L’efficacité de ces mécanismes pourrait encore
être renforcée si la modification du droit en vigueur affectait également la sanction
de cette disproportion.
856. Les sanctions de la disproportion. Selon l’article 31 de la proposition
de directive sur le crédit aux consommateurs, il appartient aux Etats membres de
déterminer le régime des sanctions applicables aux violations des règles nationales
prises en application de cette directive. Au vu de cette disposition, le législateur
français serait en droit, lors de la réforme du droit des garanties personnelles, de
maintenir la sanction actuellement retenue par les articles L. 313-10 et L. 341-4 du
Code de la consommation, c'est-à-dire la déchéance totale du créancier, sous réserve
d’un retour à meilleure fortune du garant. Cependant, compte tenu, non seulement
de l’inefficacité résultant de cette sanction forfaitaire1873, mais également des
suggestions faites par la Commission européenne au sujet de la sanction du non
respect du principe de « prêt responsable », il est souhaitable que la sanction de la
disproportion soit modifiée.
A cette fin, on pourrait songer à remplacer la déchéance du créancier par la
mise en jeu de sa responsabilité1874. Le préjudice subi par le garant pourrait ainsi être
pris en compte. Mais, il est à craindre que les juges ne fixent pas le montant des
dommages et intérêts au regard de ce préjudice et qu’ils déchargent trop facilement
le garant de la totalité de son engagement.
La Commission européenne propose une autre sanction pour le cas où le
créancier ne respecterait pas les dispositions relatives au prêt responsable. Il s’agit
de « la perte d’intérêts et de frais pour le prêteur et le maintien du bénéfice de
paiement échelonné du montant total du crédit par le consommateur »1875. La
sanction préconisée est double, puisque pourraient se cumuler une déchéance
partielle, ne concernant que les accessoires et non le principal de la dette, et
l’éviction de la déchéance du terme.
1872 Si la mise en œuvre du principe de « prêt responsable » est susceptible de conforter
l’efficacité des garanties personnelles, certains craignent qu’elle n’ait des conséquences
néfastes en matière de crédit. Ainsi, en février 2003, le MEDEF a fait valoir que la
responsabilité instaurée par l’article 9 de la proposition de directive est « particulièrement
déséquilibrée. Elle ne pèse, en fait, que sur le prêteur, le consommateur apparaissant comme
n’étant pas capable d’avoir son propre jugement. Le résultat ne peut qu’être une raréfaction
du crédit à la consommation. Afin de se prémunir de sanctions pour avoir délivré des prêts
« irresponsables », les établissements de crédit seront incités à refuser des crédits qui se
seraient pourtant bien déroulés, voire à renchérir leurs conditions pour mieux assurer la
mutualisation du risque ». Dans un communiqué de presse, la Commission européenne a
répondu que la directive vise à protéger les consommateurs contre les abus et non à
restreindre l’octroi de crédits. Par rapport au principe de prêt responsable, il est seulement
exigé que les sociétés de crédit procèdent à l’évaluation honnête de la capacité du
consommateur de rembourser son emprunt. Ce principe n’implique pas de limitation du ratio
dettes-revenu. 1873 Sur cette inefficacité, cf. supra n°617-621 1874 En faveur de la sanction de la disproportion par la mise en jeu de la responsabilité du
créancier, cf. S. PESENTI, Le principe de proportionnalité en droit des sûretés, LPA 11 mars
2004, n°51, p. 12 et s., n°17 1875 Examen du dispositif relatif à l’article 31 de la proposition de directive.
Conformément à cette suggestion de la Commission européenne, le législateur
français pourrait abandonner la déchéance totale au profit d’une déchéance
seulement partielle, présentant l’avantage d’être proportionnée et de respecter la
force obligatoire du consentement donné par le garant.
Mais, plutôt que la perte forfaitaire des accessoires, la réforme pourrait retenir
la réduction de l’obligation de règlement du garant à la mesure de ses capacités
financières au jour de la conclusion ou de la renégociation du contrat de garantie1876.
Le créancier ne serait ainsi privé que des sommes que son intempérance l’avait
conduit à exiger. Proportionnée, cette sanction peut sembler insuffisamment
dissuasive. C’est pourquoi, elle pourrait être complétée par l’autre sanction
préconisée par la Commission européenne, c'est-à-dire un paiement échelonné, qui
oblige le créancier à subir l’impécuniosité du garant qu’il a créée. Par conséquent,
en cas de disproportion, les juges pourraient réduire l’engagement du garant à ses
facultés patrimoniales au jour de la conclusion du contrat et imposer
l’échelonnement du règlement en tenant compte de ces facultés au jour de la
demande de paiement. Les garants de mauvaise foi, qui fourniraient à leur créancier
des informations erronées ou incomplètes sur leur situation financière, pourraient
être privés du droit d’invoquer ces sanctions1877.
857. Si le champ d’application, les conditions d’appréciation, et la sanction de
l’exigence de proportionnalité n’ont été développés que dans le cadre des garanties
personnelles, il n’en reste pas moins que le devoir de tempérance au stade de la
formation du contrat pourrait être imposé aux créanciers dans toutes les garanties de
paiement. Il pourrait en aller de même à l’égard du devoir de tempérance au stade du
recouvrement des créances.
858. La proportionnalité dans le recouvrement des créances. L’article 24.1
a) de la proposition de directive du 11 septembre 2002 « contient un principe
général de proportionnalité à l’égard du recouvrement des dettes nées d’un contrat
de crédit ou de sûreté »1878. Il précise, en effet, que « les Etats membres veillent à ce
que les prêteurs, leurs mandataires, ainsi que toute personne qui serait le nouveau
titulaire des créances résultant d’un contrat de crédit ou d’un contrat de sûreté, ne
1876 En faveur de la sanction de la disproportion par la réduction, cf. D. BAKOUCHE, La
proportionnalité dans le cautionnement à l’épreuve de la loi et de la jurisprudence, Contr.,
conc., consom. avril 2004, p. 7 et s., n°15 et s. ; O. CUPERLIER et A. GORNY,
L’engagement disproportionné de la caution. Après la loi n°2003-721 du 1er août 2003 sur
l’initiative économique (Réflexions et statistiques), JCP 2004, éd. E, 1475 ; G. PIETTE, La
sanction du cautionnement disproportionné, Droit et patrimoine 2004, n°127, p. 44 et s. ; P.
CROCQ, RTD civ. 2004, p. 126 ; Ph. SIMLER, Codifier ou recodifier le droit des sûretés
personnelles ?, in Le Code civil 1804-2004. Livre du Bicentenaire, éd. Dalloz-Juris-Classeur
2004,
p. 382 ; Ph. SIMLER, n°248 1877 Sur cette déchéance, cf. supra n°845. En faveur de cette déchéance, cf. Y. PICOD,
Proportionnalité et cautionnement. Le mythe de Sisyphe, Liber amicorum J. Calais-Auloy,
Etudes de droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 843 et s. En faveur d’une exonération
seulement partielle du créancier lorsque le garant commet une faute d’imprudence en
s’engageant en connaissance de cause, cf. P. CROCQ, Les développements récents de
l’obligation d’information de la caution, Mélanges M. Cabrillac, Litec, 1999 1878 Examen du dispositif relatif à l’article 24 de la proposition de directive.
prennent pas des mesures disproportionnées pour récupérer leurs créances en cas
d’inexécution de ces contrats ».
Pour se conformer à cette exigence communautaire, le législateur français devra
compléter la règle générale de l’article 22 de la loi du 9 juillet 1991, qui réprime les
mesures d’exécution excessives1879, par des règles propres au recouvrement des
créances nées d’un « contrat de sûreté ».
Mais, comme le texte communautaire entend avant tout empêcher les créanciers
d’obtenir paiement par n’importe quel moyen, les règles relatives au recouvrement
des créances pourraient s’appliquer, non seulement à l’ensemble des garanties
personnelles, mais encore à toutes les garanties dont la mise en œuvre est susceptible
de procurer un paiement au créancier. Ainsi, les pratiques de recouvrement de
créances visées par l’article 27.2 de la proposition de directive pourraient être
interdites dans toutes les garanties de paiement.
859. L’exigence de proportionnalité dans le recouvrement des créances et
dans la constitution même d’une garantie pourrait donc figurer dans le régime
primaire des garanties personnelles, et même dans un corps de règles régissant
l’ensemble des garanties de paiement. Les règles relatives aux effets de la garantie
sur l’accès au crédit du débiteur pourraient également s’appliquer à d’autres
mécanismes que les garanties personnelles.
B/ LES REGLES APPLICABLES AUX GARANTIES DE CREDIT
860. Les règles fondées sur la confiance du créancier en son débiteur.
Nombre de règles fondées sur la confiance que placent les créanciers en leur
débiteur pourraient s’appliquer, non seulement à l’ensemble des garanties
personnelles, mais aussi à toutes les garanties dont la constitution a pour effet de
faciliter l’accès au crédit du débiteur1880. Tel est le cas des textes subordonnant
aujourd'hui certains droits du débiteur à la constitution d’une « sûreté » ou
« garantie », ou sanctionnant le débiteur en cas de perte d’une « sûreté »1881.
861. L’article L. 312-8 4° du Code de la consommation. L’article L. 312-8
4° du Code de la consommation exige que l’offre de prêt immobilier « énonce, en
donnant une évaluation de leur coût, les stipulations, les assurances et les sûretés
réelles ou personnelles exigées, qui conditionnent la conclusion du prêt ». Cette
1879 Article 22 de la loi du 9 juillet 1991portant réforme des procédures civiles d’exécution :
« Le créancier a le choix des mesures propres à assurer l’exécution ou la conservation de sa
créance. L’exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir
le paiement de l’obligation.
Le juge de l’exécution a le pouvoir d’ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou
abusive et de condamner le créancier à des dommages et intérêts en cas d’abus de saisie ». 1880 Sur la présentation des principales garanties de crédit, cf. supra n°255 1881 Comme les textes étudiés se réfèrent improprement aux « sûretés », il est discutable de
tirer argument de leur existence pour défendre l’utilité de la notion même de sûreté (sur la
doctrine développant cet argument, cf. supra n°742).
énumération pourrait être remplacée par la référence, non pas à toutes les garanties,
mais aux garanties de crédit1882.
862. Les articles L. 331-6 alinéa 3 et L. 331-7 alinéa 2 du Code de la
consommation. Le législateur pourrait aussi modifier les articles L. 331-6 alinéa 3
et L. 331-7 alinéa 2 du Code de la consommation relatifs aux mesures protectrices
du débiteur que les commissions de surendettement peuvent inclure dans le plan
conventionnel de redressement ou recommander après l’échec de ce plan. Ainsi,
plutôt que de préciser que ces mesures peuvent être subordonnées à
« l’accomplissement par le débiteur d’actes propres à faciliter ou à garantir le
paiement de la dette », les textes précités pourraient faire dépendre ces mesures de la
constitution de garanties de crédit.
863. L’article 517 du nouveau Code de procédure civile. Ces garanties
pourraient encore être visées par l’article 517 du nouveau Code de procédure civile,
qui subordonne actuellement l’exécution provisoire à « la constitution d’une
garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou
réparations ».
864. L’article 760 alinéa 2 du Code civil. Dans le Code civil, d’autres textes
pourraient également être modifiés. Tout d’abord, le nouvel article 760 alinéa 21883,
au lieu d’envisager les « sûretés » que doivent fournir les cohéritiers débiteurs lors
de la conversion de l’usufruit du conjoint survivant en rente viagère, pourrait viser
les garanties de crédit. Comme en attestent les textes antérieurs à la réforme du 3
décembre 20011884, ce qui importe, en effet, c’est que les héritiers fournissent des
garanties suffisantes pour que l’époux survivant crédirentier ait l’assurance de ne
pas souffrir de l’insolvabilité des héritiers débirentiers. Comme les caractéristiques
techniques du mécanisme constitué, ainsi que la fonction exclusive de garantie, sont
1882 Toutes les garanties ne doivent pas être visées, car certaines n’ont aucun effet sur l’accès
au crédit du débiteur et ne conditionnent donc pas la conclusion du prêt. La Cour de cassation
en a décidé ainsi à l’égard de ces garanties par renforcement du contenu obligatoire du contrat
que sont les clauses sanctionnant l’inexécution de celui-ci (Cass. 1ère civ., 20 juin 2000 : RTD
civ. 2000, p. 670, obs. MOLFESSIS ; RTD civ. 2000, p. 676, obs. LIBCHABER ; D. 2000,
p. 699, note NIBOYET ; JCP 2000, éd. E., I, 1663, note PIEDELIEVRE ; RJDA 2001,
n°214 ; Droits et procédure 2001, p. 49, note BAZIN). 1883 Dans sa rédaction issue de la loi du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint
survivant et des enfants adultérins, l’article 760 alinéa 2 du Code civil dispose que « s’il fait
droit à la demande de conversion, le juge détermine le montant de la rente, les sûretés que
devront fournir les cohéritiers débiteurs, ainsi que le type d’indexation propre à maintenir
l’équivalence initiale de la rente à l’usufruit ». 1884 Avant la réforme du 3 décembre 2001, l’article 767 alinéa 7 du Code civil retenait que
« jusqu’au partage définitif, les héritiers peuvent exiger, moyennant sûretés suffisantes et
garantie du maintien de l’équivalence initiale, que l’usufruit de l’époux survivant soit
converti en une rente viagère équivalente. S’ils sont en désaccord, la conversion sera
facultative pour les tribunaux ».
L’article 1094-2 alinéa 1er, également abrogé, précisait, quant à lui, que « lorsque la libéralité
faite, soit en propriété soit en usufruit seulement, portera sur plus de la moitié des biens,
chacun des enfants ou descendants aura, en ce qui concerne sa part de succession, la faculté
d’exiger, moyennant sûretés suffisantes et garantie du maintien de l’équivalence initiale, que
l’usufruit soit converti en une rente viagère d’égale valeur ».
à cet égard indifférentes1885, le terme « sûretés » pourrait donc être remplacé par
l’expression « garantie de crédit ».
865. L’article 1752 du Code civil. Pour les mêmes raisons et dans les mêmes
conditions, c’est ensuite l’article 1752 du Code civil qui pourrait être modifié. Ce
texte précise que « le locataire qui ne garnit pas la maison de meubles suffisants,
peut être expulsé, à moins qu’il ne donne des sûretés capables de répondre du
loyer ». La constitution d’une « sûreté » est un substitut de l’obligation de
garnissement, dont on perçoit l’importance en rapprochant les articles 1752 et 2102-
1° du Code civil. Cette dernière disposition institue le privilège du bailleur
d’immeuble « sur tout ce qui garnit la maison louée ». Le rapprochement de ces
deux textes conduit à se demander si la « sûreté » donnée en remplacement du
garnissement doit conférer au créancier bailleur les mêmes prérogatives que le
privilège mobilier spécial, à savoir un droit de préférence et un droit de suite (limité
par le jeu de l’article 2279 du Code civil). La lettre même de l’article 1752 impose
une réponse négative. En effet, ce n’est, ni la technique de garantie, ni le caractère
exclusif de la fonction de garantie, qui sont mis en avant, mais la confiance que doit
faire naître le mécanisme constitué chez le créancier (des sûretés « capables de
répondre du loyer »)1886. Or, la constitution d’une sûreté stricto sensu n’est pas le
seul moyen de permettre au bailleur d’obtenir une somme correspondant aux loyers
dûs. Ce résultat pourrait aussi être atteint au moyen, notamment, d’une promesse de
porte fort1887, d’une délégation imparfaite1888 ou encore d’une aliénation fiduciaire.
L’article 1752 du Code civil gagnerait donc en clarté en recourant à la notion de
garantie de crédit.
866. L’article 1188 du Code civil. Enfin, une modification mériterait d’être
apportée à l’article 1188 du Code civil. Ce texte ne concerne pas, contrairement aux
précédents, les droits du débiteur subordonnés à la constitution d’une « sûreté » ou
d’une « garantie ». Il sanctionne, par la déchéance du terme, le débiteur qui
« diminue les sûretés qu’il avait données par le contrat à son créancier ». Comme
dans les textes précités, en revanche, la confiance du créancier en son débiteur joue
un rôle essentiel. En effet, comme le terme est lié au crédit, et que celui-ci est lui-
même dépendant de cette confiance, le débiteur est sanctionné par la déchéance du
terme s’il n’honore pas la confiance qui lui est accordée, en diminuant les « sûretés »
constituées. Dans la mesure où la confiance du créancier ne repose pas 1885 Des auteurs ont ainsi remarqué que l’exigence des anciens articles 767 alinéa 7 et 1094-2
du Code civil pouvait être satisfaite sans qu’une sûreté spéciale ne soit constituée.
Particulièrement, serait susceptible de donner pleine garantie au conjoint le placement en
rente sur l’Etat, au nom des héritiers pour le capital, et au nom du conjoint survivant pour la
jouissance (cf. PLANIOL et RIPERT, Traité pratique de droit civil français, 2ème éd., t.IV,
1956, par MAURY et VIALLETON, n°141-2°). 1886 La Cour de cassation (Soc. 16 juillet 1955 : Gaz. Pal. 1955, 2, p. 199) décide que les
avantages procurés par la « sûreté » ne s’apprécient pas abstraitement, mais au regard de la
situation de l’espèce. Les juges ont ainsi un large pouvoir d’appréciation pour déterminer dans
chaque cas, compte tenu des circonstances, ainsi que de la situation particulière des parties, la
nature et l’importance des « sûretés » capables de dispenser le locataire, en tout ou en partie,
de l’obligation de garnissement. 1887 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°25 1888 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°26
nécessairement sur une sûreté stricto sensu, la déchéance du terme devrait pouvoir
jouer quelle que soit la garantie de crédit perdue ou amoindrie par le débiteur. Cette
solution, que consacre déjà la jurisprudence1889, pourrait donc intégrer un régime
primaire des garanties de crédit1890, qui comporterait, en outre, les règles
subordonnant certains droits du débiteur à la constitution d’une garantie susceptible
de faire naître la confiance du créancier.
867. Les règles ayant trait à cette confiance, ainsi que les règles relatives au
désintéressement du créancier, pourraient donc figurer dans le régime primaire des
garanties personnelles, mais il serait encore plus approprié de tirer les conséquences
de leur fondement pour les appliquer, plus largement encore, aux garanties de crédit,
d’une part, et aux garanties de paiement, d’autre part. D’autres règles communes à
l’ensemble des garanties personnelles pourraient avoir un champ d’application
encore plus étendu et concerner toutes les garanties.
§2 : LES REGLES APPLICABLES A TOUTES LES GARANTIES
868. Les règles fondées sur la qualification d’accessoire de la créance.
Certaines règles pourraient s’appliquer à tous les mécanismes ayant pour raison
d’être de renforcer la position du créancier par l’éviction d’un risque de perte
pécuniaire1891. Il en va ainsi des règles fondées sur la qualification d’accessoire de la
créance. La raison en est que toutes les garanties, quelle que soit la manière dont
elles protègent les intérêts des créanciers, n’ont pas d’existence autonome et sont
destinées à « servir » l’obligation principale1892. Les garanties étant toutes des
accessoires de la créance, trois règles tirant les conséquences de cette qualification
pourraient intégrer un régime primaire des garanties.
1889 Dans un arrêt de la première Chambre civile de la Cour de Cassation du 9 mai 1994 (Bull.
civ. I, n°171 ; RTD civ. 1995, p. 110, obs. MESTRE ; Defrénois 1995, p. 340, obs.
DELEBECQUE), un employeur avait consenti à l’un de ses salariés trois prêts et il était
convenu entre les parties, mais sans qu’une clause du contrat de prêt ne le stipule, que ces
prêts seraient remboursés par prélèvements directs sur salaires. Les juges du fond firent
application de l’article 1188 du Code civil en retenant que le salarié emprunteur, dans ses
conclusions, avait reconnu l’accord sur cette modalité de paiement et en ont déduit qu’en
démissionnant le salarié avait perdu une sûreté donnée par contrat. La Cour de Cassation a
exercé sa censure au visa de l’article 1188 en rappelant qu’ « il résulte de ce texte que les
sûretés dont la perte entraîne pour le débiteur la déchéance du terme, sont celles qu’il a
données dans le contrat ». C’est l’absence de prévision contractuelle des prélèvements qui a
justifié la cassation. En revanche, la Haute juridiction n’a pas dénié au prélèvement direct sur
salaires la qualification de « sûreté ». Il est permis d’en déduire que, pour la jurisprudence, les
notions de sûreté et de garantie de crédit pourraient être équivalentes 1890 La règle de l’article 1188 du Code civil s’applique, certes, à toutes les sûretés réelles,
mais pas uniquement à celles-ci. Plutôt que de figurer dans un régime primaire des sûretés
réelles, comme le préconisent certains auteurs (en ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch.
MOULY, n°522), elle devrait plutôt intégrer un régime primaire des garanties de crédit. 1891 En faveur d’un droit commun des garanties, cf. P. CROCQ, L’évolution des garanties du
paiement : de la diversité à l’unité, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 317 et s., n°3 et 16 ;
D. LEGEAIS, n°1 et 24 1892 Sur les éléments constitutifs de la notion d’accessoire de la créance, cf. supra n°273, 274
869. La commercialité par accessoire. Tout d’abord, le caractère civil ou
commercial de la garantie pourrait dépendre de la nature civile ou commerciale de la
créance au service de laquelle elle est affectée. L’édiction d’une telle règle ne ferait
que confirmer les solutions en vigueur en matière de sûretés réelles1893, mais
bouleverserait, au contraire, le droit positif du cautionnement, qui fait reposer la
commercialité de cette garantie sur l’intérêt personnel et patrimonial de la
caution1894. En substituant à ce critère jurisprudentiel subjectif le critère objectif de
la commercialité par accessoire, le législateur renforcerait l’efficacité du
cautionnement, non seulement par l’assimilation de son caractère accessoire
essentiel1895, mais aussi par la suppression de l’insécurité qui entoure aujourd'hui le
critère de l’intérêt de la caution1896. En outre, le droit des garanties personnelles
gagnerait en cohérence, puisque tous ces mécanismes pourraient être soumis au
même critère de commercialité, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui, dans la mesure
où le critère de l’intérêt du garant dans l’opération principale est inopérant en
matière de garanties indépendantes1897.
1893 L’article 91 alinéa 1er du Code de commerce (article L. 521-1 alinéa 1er du nouveau Code
de commerce) disposant que le gage constitué par un non commerçant pour un acte de
commerce relève des règles de preuve du droit commercial, la jurisprudence en a conclu que
le gage est commercial lorsque la créance garantie l’est elle-même (Cass. com., 8 février
1962 : Bull. civ. III, n°72 ; Cass. com., 11 juin 1974 : Bull. civ. IV, n°190 ; Banque 1975,
p. 92). 1894 En ce sens, cf. notamment Cass. com., 7 juillet 1969 : D. 1970, p. 14 ; Cass. 1ère civ., 17
mai 1982 : Bull. civ. I, n°289 ; Cass. com., 23 février 1988 : Bull. civ. IV, n°78 ; Cass. com.,
19 janvier 1993 : Bull. civ. IV, n°21 ; LPA 31 mars 1993, n°39, p. 18, note VIDAL ; Cass.
com., 7 avril 2004 : RJDA 8-9/2004, n°1040 1895 Faire dépendre le caractère civil ou commercial du cautionnement de la nature de la
créance principale se justifie par le seul fait que le cautionnement est un accessoire de cette
créance. La Cour de cassation retient d’ailleurs cette justification lorsqu’elle décide que le
juge administratif est compétent en matière de cautionnement si celui-ci est l’accessoire d’un
contrat de prêt administratif (Cass. 1ère civ., 28 mai 2002 : Bull. civ. I, n°151 ; LPA 8 octobre
2002, n°201, p. 8, note HOUTCIEFF). Il est inutile d’invoquer le caractère accessoire
renforcé du cautionnement. Il nous paraît ainsi discutable de défendre la commercialité par
accessoire en remarquant que « ce serait là restituer une conséquence au caractère accessoire
du cautionnement » (B. de GRANVILLIERS, th. préc., n°521. Dans le même sens, cf. M.
OURY-BRULE, th. préc., n°312 à 314, qui en déduit l’inapplicabilité du critère de la
commercialité par accessoire à la solidarité de l’article 1216 du Code civil). 1896 L’appréciation de l’intérêt personnel et patrimonial de la caution dans l’engagement
commercial qu’elle garantit ressortit au pouvoir souverain des juges du fond. Les hésitations
et l’arbitraire gouvernent cette appréciation jurisprudentielle et nourrissent le contentieux,
spécialement au sujet des cautionnements souscrits par un époux, un associé ou un salarié.
Sur les inconvénients du critère de l’intérêt patrimonial de la caution et sur l’utilité de le
remplacer par le critère de la commercialité par accessoire, cf. P. ANCEL, Le cautionnement
des dettes de l’entreprise, Dalloz, 1989, n°28 ; D. LEGEAIS, L’imprévisible droit des
garanties personnelles, Mélanges Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 657 et s. ; B. ROMAN, Les
moyens de défense de la caution : l’importance accrue des aspects procéduraux, Droit et
patrimoine 2004, n°124, p. 51 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°74-1, 76 ; Ph.
MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°234 ; H., L. et J. MAZEAUD et
F. CHABAS, par Y. PICOD, n°13 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°43 ; Ph. SIMLER,
n°98 et s. 1897 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°471-5 ; Ph. SIMLER et Ph.
DELEBECQUE, n°215
870. La transmission de plein droit des garanties avec la créance
principale. Ensuite, le législateur pourrait prévoir que toutes les garanties, en qualité
d’accessoires de la créance, sont transmises de plein droit avec la créance principale.
A cette fin, il suffirait de modifier l’article 1692 du Code civil en remplaçant les
trois exemples d’accessoires de la créance (« tels que caution, privilège et
hypothèque ») par un seul (« tels que les garanties »).
En matière de garanties personnelles, une telle modification n’aurait guère
d’incidence sur le droit du cautionnement, puisque la transmission de cette garantie
avec la créance principale est déjà rendue possible par l’article 1692 du Code civil.
L’effet de cette transmission pourrait cependant être plus étendu qu’il ne l’est
aujourd'hui si le régime primaire des garanties personnelles interdisait les termes
extinctifs de l’obligation de couverture du garant. En effet, sous réserve d’engager la
responsabilité du cessionnaire, la caution ne pourrait plus se prévaloir d’une
extinction partielle de son obligation de règlement due au changement de
créancier1898.
A l’égard des garanties personnelles indépendantes, la transmission de plein
droit avec la créance principale serait beaucoup plus novatrice1899 et pourrait même
être contestée.
871. Les arguments s’opposant à la transmission de plein droit des
garanties personnelles indépendantes avec la créance principale. Certains
auteurs se sont déjà montrés hostiles à une telle transmission. A l’encontre du
transfert des garanties indépendantes, deux arguments ont été essentiellement
avancés.
Tout d’abord, la transmission de plein droit ne pourrait jouer qu’en présence de
garanties dont le régime est voulu accessoire par les parties car, à l’égard des
garanties détachées de la créance principale, elle emporterait une négation de
l’autonomie1900.
1898 Sur l’exclusion des termes extinctifs implicites de l’obligation de couverture et
notamment l’indifférence de principe du changement de créancier, cf. supra n°814 1899 Le principe d’intransférabilité est affirmé par l’article 4 des règles uniformes de la
Chambre de commerce internationale relatives aux garanties sur demande et par l’article 9 de
la convention de la commission des Nations-Unies pour le commerce international sur les
garanties indépendantes et les lettres de crédit stand-by. Sur l’analyse de ces dispositions, cf.
H. CHANTELOUP et V. HEUZE, Financement et garantie, in Pratique des contrats
internationaux, 1997, n°140 ; S. PIEDELIEVRE, Remarques sur les règles uniformes de la
Chambre de commerce internationale relatives aux garanties sur demande, RTD com. 1993,
p. 619 ; S. PIEDELIEVRE, Le projet de convention de la commission des Nations-Unies pour
le commerce international sur les garanties indépendantes et les lettres de crédit stand-by,
RTD com. 1996, p. 639 ; Ph. SIMLER, n°887 1900 En ce sens, cf. B. de GRANVILLIERS, th. préc., n°97, 98 : « la sûreté ne doit se
transmettre automatiquement que si elle est un accessoire de la créance, que son régime est
voulu accessoire de celle-ci, ou bien si une disposition ou stipulation prévoit expressément le
transfert de la garantie avec ou sans la créance » ; n°103 et s. sur l’intransférabilité de la
garantie autonome (« c’est un engagement principal, dont le régime est voulu indépendant de
la créance et même du contrat. Le rapport d’affectation issu de la règle de l’accessoire est
absent ») ; n°149 et s. sur l’intransférabilité de la lettre d'intention ; n°162 et 163 sur
l’intransférabilité du constitut ; A. PRÜM, Les garanties à première demande, Litec, 1994,
Ensuite, le transfert de plein droit des garanties indépendantes contreviendrait à
leur caractère intuitus personae et au principe selon lequel la transmission des
sûretés ne doit pas aggraver le sort du garant1901.
872. Les arguments confortant la transmission de plein droit des
garanties personnelles indépendantes avec la créance principale. Aucun des
arguments précédents ne paraît suffisant pour interdire la transmission des garanties
indépendantes.
En effet, le transfert constitue une conséquence nécessaire de la qualification
d’accessoire de la créance1902. L’application de la règle « accessorium sequitur
principale » ne dépend que de cette qualification, et non du choix des parties en
faveur d’une garantie présentant un caractère accessoire renforcé. Les garanties
indépendantes étant des accessoires de la créance, elles devraient donc pouvoir être
transférées de plein droit avec la créance principale1903.
L’argument tiré du caractère intuitus personae ne devrait pas l’empêcher, car la
personne du créancier est en principe indifférente au garant1904.
préf. B. TEYSSIE, n°213, 214 : « la sûreté n’est en principe transmise au nouveau créancier
qu’en vertu d’une disposition légale spécifique ou à la condition que la sûreté ne puisse en
aucun cas être détachée de la créance » ; A.-M. TOLEDO, Notion de sûreté et droit du
commerce international, th. Paris I, 1997, sous la direction de L. AYNES, n°320 à 323 ; Ch.
GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale, RTD com. 1980, p. 12 ;
S. PIEDELIEVRE, n°205 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°222, note 3 1901 Sur ce principe, qui ne serait « qu’une simple application du principe de l’effet relatif des
contrats », cf. B. de GRANVILLIERS, ibid., n°134 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY,
n°418 : « le cessionnaire peut abuser encore plus de la garantie indépendante que le
bénéficiaire originaire car il n’est pas sûr qu’il connaisse tous les éléments du contrat »
Sur le caractère intuitus personae des garanties indépendantes, cf. A. PRÜM, ibid., n°199 à
206 ; Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, ibid., p. 12 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY,
n°418 1902 En ce sens, cf. G. GOUBEAUX, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, 1969,
préf. D. TALLON ; M. CABRILLAC, Les accessoires de la créance, Etudes Weill, 1984,
p. 107 et s ; Ph. THERY, n°3 1903 En ce sens, cf. F. JACOB, Le constitut ou l’engagement autonome de payer la dette
d’autrui à titre de garantie, LGDJ, 1998, préf. Ph. SIMLER, n°258 : « application de l’adage
« l’accessoire suit le principal » en matière de constitut, tout comme en matière de garantie
autonome, car en un sens, toutes les garanties sont accessoires » ; M. CABRILLAC et Ch.
MOULY, n°418 : « toute garantie, même indépendante, qui est au service exclusif de la
créance garantie doit la suivre, sauf disposition contraire » ; n°523 ; Ph. MALAURIE et L.
AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°346 : « certes, la garantie autonome n’est pas
accessoire par son objet. Mais, par sa finalité, elle est mise au service de l’obligation du
donneur d'ordre envers le bénéficiaire, et constitue à cet égard un « accessoire » de la
créance, au même titre qu’une clause pénale ou l’action résolutoire. (…)En droit français, la
transmission en tant qu’accessoire de la créance principale devrait être admise ». 1904 En ce sens, cf. B. de GRANVILLIERS, th. préc., n°129 : « l’argument fondé sur l’intuitus
personae ne pourrait être opposé que par le donneur d'ordre et non par le bénéficiaire ; il ne
peut motiver une intransférabilité de la garantie » ; n°159 et 162 sur la stérilité de l’argument
tenant à l’intuitus personae en matière de lettre d'intention et de constitut, puisque le quantum
de l’engagement n’est pas déterminé à l’avance ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°418 :
« le garant ne connaît pas le bénéficiaire et agit en fonction du débiteur ».
S’agissant du risque d’aggravation de la situation du garant causé par le
changement de créancier1905, il ne semble pas non plus de taille à entraver la
transmission de plein droit des garanties indépendantes, car le garant pourrait
toujours remédier à cette aggravation en mettant en jeu la responsabilité du nouveau
bénéficiaire pour avoir accordé des crédits excessifs au débiteur principal.
D’autres arguments militent encore en faveur de la transmission de plein droit
de toutes les garanties, et notamment des garanties personnelles indépendantes. En
premier lieu, la créance principale dépourvue de sa garantie risquerait de perdre de
sa valeur1906.
En deuxième lieu, la garantie perdrait toute utilité si elle n’était pas transférée,
puisque l’ancien créancier ne pourrait plus s’en prévaloir1907.
En troisième et dernier lieu, l’absence de transfert pourrait injustement «
affranchir le débiteur des obligations qu’il a souscrites ou alléger la situation qu’il a
acceptée »1908.
Pour toutes ces raisons, la transmission de plein droit des garanties avec la
créance principale pourrait être consacrée dans une nouvelle disposition légale ou
par le biais d’une modification de l’article 1692 du Code civil.
873. La « restitution » de l’enrichissement engendré par la réalisation de
la garantie. Une autre règle fondée sur la qualification d’accessoire de la créance
pourrait également s’appliquer à l’ensemble des garanties. Comme les accessoires
de la créance sont affectés au service exclusif de celle-ci, le législateur pourrait
préciser que les créanciers ne peuvent conserver l’éventuel enrichissement engendré
par la réalisation de la garantie.
En matière de garanties personnelles, cette règle justifierait l’opposabilité au
créancier, par le débiteur principal, du paiement réalisé par le garant1909, ainsi que les
1905 Une telle aggravation ne peut se produire lorsque l’objet de l’obligation de règlement du
garant indépendant est déterminé ab initio, comme c’est notamment le cas en matière de
garantie autonome. Elle ne peut intervenir que lorsque l’objet de l’obligation de règlement du
garant est déterminé par référence à l’objet de l’obligation principale, comme dans le cadre du
constitut et des garanties indemnitaires. 1906 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°418 1907 En ce sens, cf. B. de GRANVILLIERS, th. préc., n°159 : « le cédant n’a plus aucun
intérêt à conserver le bénéfice de la garantie et la sûreté ne peut plus assurer sa finalité » ;
M. CABRILLAC, art. préc., n°18 : il est « illogique que les prérogatives stipulées dans le
seul dessein d’améliorer la position du créancier demeurent à la disposition du créancier
originaire qui ne pourrait pas les utiliser ou qui ne pourrait les utiliser qu’à d’autres fins que
la détermination du montant de la créance ou son recouvrement » ; I. FADLALLAH,
Rapport général sur les sûretés personnelles, Travaux de l’association H. Capitant, « Les
garanties de financement », journées portugaises, t. 47, 1996, LGDJ, p. 323 et s., n°30 : « le
refus du transfert aboutirait à de sérieuses complications : le cédant pourrait-il appeler une
garantie qu’il ne peut plus imputer sur une créance qu’il a cédée ? » ; Ph. MALAURIE et L.
AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°346 : « si la garantie n’est pas transmise, que
devient-elle ? Le bénéficiaire ayant cédé son droit contre le donneur d'ordre ne peut plus
l’appeler, sans commettre un abus manifeste ». 1908 M. CABRILLAC, ibid., n°18 1909 Sur cette opposabilité, cf. Ch. LACHIEZE, Le régime des exceptions dans les opérations
juridiques à trois personnes en droit civil, th. Bordeaux IV, 1996, sous la direction de J.
HAUSER, n°416 à 432
actions en remboursement d’un paiement indu exercées contre le créancier, tant par
le débiteur principal1910, que par le garant lui-même.
874. Conclusion de la Section 2 et du Chapitre 1. En qualité d’accessoires
de la créance, toutes les garanties personnelles et, plus largement, tous les
mécanismes ayant pour fonction de renforcer la position du créancier par l’éviction
d’un risque de perte pécuniaire pourraient donc être soumis à des règles communes :
l’obligation pour le créancier de restituer l’enrichissement auquel a pu conduire la
mise en œuvre de la garantie, la transmission de celle-ci avec la créance principale,
et la détermination du caractère civil ou commercial de la garantie au regard de la
nature civile ou commerciale de la créance au service de laquelle elle est affectée.
En tant que garanties de crédit, toutes les garanties personnelles, ainsi que
toutes les garanties dont la constitution a pour effet de faire naître la confiance du
créancier et donc de faciliter l’accès au crédit du débiteur, pourraient également être
régies par un corps de règles communes. Celui-ci pourrait, d’une part, sanctionner le
débiteur ayant perdu totalement ou partiellement une garantie de crédit par la
déchéance du terme et, d’autre part, énoncer les droits du débiteur subordonnés à la
constitution d’une telle garantie. Parmi ces droits, pourraient figurer la dispense
d’exécution de l’obligation de garnissement, la conversion de l’usufruit du conjoint
survivant en rente viagère, l’exécution provisoire, et les mesures protectrices du
débiteur incluses dans le plan conventionnel de redressement ou recommandées par
la commission de surendettement.
En qualité de garanties de paiement, l’ensemble des garanties personnelles, de
même que toutes les garanties dont la mise en œuvre peut permettre de désintéresser
le créancier en le plaçant dans une situation avantageuse par rapport aux autres
créanciers du débiteur, pourraient encore se voir appliquer des règles communes,
traduisant l’impératif d’éthique contractuelle dans sa dimension négative. La
tempérance pourrait être imposée aux créanciers, aussi bien au stade de la
conclusion de la garantie (exigence de proportionnalité entre la garantie de paiement
et le montant de la créance couverte et de proportionnalité entre la garantie de
paiement et le patrimoine du constituant), qu’à celui du recouvrement des créances
(interdiction de certaines pratiques de recouvrement). Si les règles précitées
pourraient s’appliquer à toutes les garanties personnelles, ainsi qu’à d’autres
catégories de garanties, c’est parce qu’elles sont fondées sur des caractéristiques que
les garanties personnelles partagent avec d’autres mécanismes. Au contraire, les
règles reposant sur l’obligation de garantir et celles adaptant l’exigence de solidarité
entre les contractants au contexte particulier des garanties personnelles ne pourraient
s’appliquer qu’à celles-ci. Qu’elles soient propres aux garanties personnelles ou
qu’elles soient aussi applicables à d’autres garanties, toutes les règles envisagées
dans le régime primaire pourraient conforter les attentes objectives et subjectives des
créanciers. Certaines d’entre elles sont en plus nécessaires à la mise en conformité
1910 Sur les recours du donneur d’ordre contre le créancier bénéficiaire d’une garantie
autonome, cf. notamment D. GRIMAUD, th. préc., n°299 ; P. CROCQ, L’évolution des
garanties du paiement, de la diversité à l’unité, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 323 ; F.
MOLENAAR, Les engagements abstraits pris par le banquier, Rapport général, in Travaux
de l’Association H. Capitant, T. XXXV, 1984, p. 225 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,
n°233. Sur le recours du délégant contre le délégataire, cf. P. ANCEL, Les sûretés
personnelles non accessoires en droit comparé, th. Dijon, 1981, n°92 à 95
de notre droit à la future directive sur le crédit aux consommateurs. Toujours dans
l’optique de renforcer l’efficacité des garanties personnelles et de satisfaire aux
exigences communautaires, il convient désormais de proposer des règles spéciales,
fondées sur les caractéristiques distinctives des garanties personnelles.
CHAPITRE II
LES RÈGLES SPÉCIALES
875. La réalisation des attentes subjectives des créanciers exige que la loi
reconnaisse les spécificités susceptibles d’être imprimées par les parties à la garantie
conclue et en déduise des règles appropriées. Plus précisément, l’efficacité in
concreto des garanties personnelles est subordonnée à l’assimilation de leurs
caractéristiques distinctives dans des règles spéciales1911.
Pour conforter les attentes des créanciers, il est ainsi nécessaire de compléter le
régime primaire par trois corps de règles particulières, qui ont vocation à se
conjuguer1912 : les règles propres aux garants personnes physiques (Section 1), les
règles spéciales fondées sur la « cause » de l’obligation de couverture du garant
(Section 2) et les règles spéciales exprimant l’assimilation de la diversité des objets
de l’obligation de règlement du garant (Section 3).
1911 Sur l’assimilation des caractéristiques distinctives comme condition de l’adéquation entre
le contenu du droit des garanties personnelles et l’objectif d’efficacité, cf. supra n°237 et s.
Sur l’instauration de règles spéciales comme condition du perfectionnement de l’efficacité des
garanties personnelles, cf. supra n°735 1912Sur les classifications complexes, cf. J.-L. BERGEL, Différence de nature = différence de
régime, RTD civ. 1984, p. 255 et s., n°11, 16 ; J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit,
Dalloz, Coll. Méthodes du droit, 1999, n°192 et 203
SECTION 1 : LE RÉGIME DES GARANTIES
PERSONNELLES SOUSCRITES
PAR UN GARANT PERSONNE PHYSIQUE
876. La personnalité physique du garant constitue l’un des principaux critères
d’application des textes ayant réformé le cautionnement depuis ces vingt dernières
années. Très souvent, ce critère compromet l’efficacité du cautionnement, car il
conduit à protéger des cautions n’ayant pas besoin de l’être et donc à augmenter
inutilement le coût de la protection des intérêts des créanciers1913. Si, dans l’optique
de perfectionner l’efficacité des garanties personnelles, l’application de nombreuses
dispositions devrait donc dépendre de la « cause » de l’obligation de couverture du
garant, plutôt que de la qualité de personne physique1914, ce dernier critère ne devrait
pas être complètement abandonné pour autant.
En effet, à l’égard de certaines règles, les motifs et buts de l’engagement du
garant, mais aussi l’objet de son obligation de règlement, la nature du contrat
principal ou la qualité du créancier, sont indifférents. Seule importe la personnalité
physique du garant. Il en va ainsi, d’une part, des règles fondées sur les spécificités
de la personnalité physique par rapport à la personnalité morale (§1) et, d’autre part,
des règles intéressant le patrimoine de la personne physique et, plus spécialement,
des règles relatives aux risques financiers qu’elle peut supporter (§2).
Ces deux types de règles devraient être intégrés dans le Code civil1915 et ils ne
devraient s’appliquer de manière impérative que si la garantie personnelle est
souscrite par un garant personne physique1916, mais dès que le contrat est conclu par
une personne physique1917.
1913 Sur l’inefficacité du cautionnement résultant de l’absence ou de la mauvaise prise en
compte de la qualité de la caution, cf. supra n°611, 612, 614 1914 Sur les modifications du droit positif découlant de l’assimilation de la cause de
l’obligation de couverture du garant, cf. infra n°890-970 1915 En faveur de l’insertion des lois protégeant le contractant en qualité de personne physique
dans le Code civil, cf. C. NOBLOT, th. préc., n°159 et 165 (« la justice et la simplicité
gagneraient si, sur le plan formel, on daignait consacrer dans le titre du Code civil relatif au
cautionnement, un seul chapitre, ou une seule section, dont l’intitulé serait : « Du
cautionnement conclu par une personne physique ». De la sorte, l’éparpillement des textes
dans divers codes spéciaux cesserait »). 1916 Les règles figurant dans le régime des garanties personnelles souscrites par un garant
personne physique ne devraient donc pas s’appliquer aux garants personnes morales.
Toutefois, les règles compatibles avec les caractéristiques de la personnalité morale pourraient
être intégrées dans la garantie personnelle, par le biais de stipulations contractuelles. 1917 Sur l’indifférence souhaitable de la qualité du cocontractant de la personne physique
protégée et de l’activité de celle-ci dans la méthode de protection du contractant en qualité de
personne physique, cf. C. NOBLOT, th. préc., n°117 à 121, 159 (« les dispositions protégeant
la caution personne physique, au stade de la formation, comme au stade de l’exécution du
cautionnement, devraient s’appliquer à toutes les personnes physiques sans égard à leur
activité professionnelle ou consumériste, et à tous les créanciers sans égard à leur qualité ») ;
L. AYNES, La réforme du cautionnement par la loi Dutreil, Droit et patrimoine 2003, n°120,
p. 30
§1 : LES REGLES FONDEES SUR LES SPECIFICITES
DE LA PERSONNALITE PHYSIQUE
877. Si la plupart des règles s’appliquent indifféremment à tous les sujets de
droit, certaines ne concernent cependant que les personnes physiques, car elles
régissent les caractéristiques que celles-ci ne partagent pas avec les personnes
morales. Au sein de ces règles fondées sur les spécificités de la personnalité
physique, peuvent être distinguées celles se rapportant à la capacité et au décès du
garant personne physique (A) et celles visant à protéger la vie privée de celui-ci (B).
A/ LES REGLES RELATIVES A LA CAPACITE ET AU DECES DU GARANT
878. L’application du régime de capacité des actes à titre onéreux. Les
règles relatives à la capacité devraient être les mêmes pour tous les garants
personnes physiques, quelles que soient les autres caractéristiques de la garantie
personnelle conclue. Ces règles sont liées, en effet, à la qualification d’engagement
de payer à titre de garantie et non à la cause ou à la gravité de cet engagement.
Une règle propre aux garanties personnelles souscrites par un garant personne
physique pourrait préciser que c’est le régime de capacité des actes à titre onéreux
qui doit s’appliquer, sous réserve que ne soit prouvée l’intention libérale du garant
envers le créancier. L’efficacité de toutes les garanties personnelles s’en trouverait
renforcée, puisque seraient évitées des contestations fondées sur le non respect des
formalités contraignantes entourant les actes à titre gratuit1918.
879. Les modifications à apporter à l’article 1415 du Code civil.
Concernant le pouvoir de conclure une garantie personnelle, il pourrait également
donner lieu à une règle applicable à tous les garants personnes physiques et, plus
spécialement, à tous ceux mariés sous le régime de la communauté. Il s’agirait de
modifier l’article 1415 du Code civil en étendant son champ d’application, d’une
part, et en y apportant des précisions à même de limiter l’atteinte au droit de gage
général du créancier, d’autre part.
L’extension du champ d’application de la règle de l’article 1415 à toutes les
garanties personnelles pourrait procéder d’un raisonnement a pari à l’égard des
garanties personnelles présentant un caractère accessoire renforcé et d’un
raisonnement a fortiori à l’égard des garanties personnelles indépendantes1919. Cette
extension analogique d’origine légale supprimerait une cause d’incertitude grevant
l’efficacité des actuelles garanties personnelles innomées. Par ailleurs, elle nuirait
moins aux attentes subjectives des créanciers qu’une autre règle proposée pour
protéger le patrimoine familial, à savoir l’affirmation du « caractère d’ordre public
1918 Comme la jurisprudence considère déjà que le cautionnement est un acte à titre onéreux
(cf. supra n°480), l’édiction de la règle proposée ne supprimerait pas une cause d’extinction
de cette garantie. Elle renforcerait néanmoins son efficacité en évitant l’augmentation du coût
de la protection des intérêts du créancier résultant de la procédure engagée pour faire
reconnaître l’existence d’un acte à titre gratuit. 1919 Sur les arguments confortant ou, au contraire, excluant l’application de l’article 1415 du
Code civil aux actuelles garanties personnelles innomées, cf. supra n°680, 683
du cautionnement lorsqu’il concerne précisément, mais seulement, la famille »1920.
En effet, dès lors que le droit de gage général du créancier est limité, le patrimoine
familial se trouve protégé et il n’est pas nécessaire de priver en plus le bénéficiaire
des attraits propres des garanties autres que le cautionnement. L’obligation de
constituer un cautionnement en présence d’un garant personne physique marié sous
le régime de la communauté semble ainsi constituer un moyen de protection de la
famille disproportionné au regard de l’objectif d’efficacité. Plutôt que d’interdire les
garanties indépendantes au nom de cette protection, mieux vaudrait donc les
soumettre au même régime que le cautionnement1921.
L’objectif d’efficacité pourrait également conduire le législateur à préciser la
règle de l’article 1415 de manière à en éviter une interprétation excessivement
attentatoire aux intérêts des créanciers. A cet égard, deux solutions jurisprudentielles
pourraient recevoir une consécration légale. Tout d’abord, le nouveau texte pourrait
indiquer que seuls les époux peuvent se prévaloir du non respect de cette règle de
pouvoir1922. Ensuite, il pourrait préciser que le consentement exprès du conjoint
n’est pas requis lorsque les deux époux se portent garants d’une même dette dans le
même acte ou par actes séparés1923. Pour renforcer l’efficacité des garanties
personnelles, le législateur pourrait aussi désavouer la Cour de cassation sur deux
points. D’une part, il pourrait exclure le jeu de l’article 1415 en présence d’un garant
marié sous le régime de la communauté universelle1924. D’autre part, il pourrait
écarter la restriction de gage dans l’hypothèse où le créancier parviendrait à prouver
que le garant a commis une fraude en lui dissimulant sa situation maritale1925.
880. La transmission des garanties personnelles aux héritiers du garant.
Le régime des garanties personnelles souscrites par un garant personne physique
pourrait également s’éloigner des décisions jurisprudentielles rendues au sujet du
décès de la caution. Un nouveau texte pourrait en effet imposer la transmission de
tous les engagements des garants aux héritiers1926, en précisant que cette
transmission vaut, non seulement pour les dettes nées avant le décès du garant, mais
aussi pour celles nées postérieurement.
1920 J. CASEY, th. préc., n°421, 423 : « le principe général dégagé (celui de la protection de
la famille contre les sûretés personnelles non accessoires) permet de protéger la famille par
une technique désormais classique du droit civil : l’ordre public virtuel. Admettre ce principe
permet de déclarer le caractère accessoire du cautionnement d’ordre public en matière
familiale ». 1921 En faveur d’un régime primaire des garanties personnelles incluant la règle de l’article
1415 du Code civil, cf. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°19 1922 En ce sens, cf. Cass. 1ère civ., 14 janvier 2003 : Bull. civ. I, n°3 1923 En ce sens, cf. Cass. 1ère civ., 13 octobre 1999 : Bull. civ. I, n°273 1924 Sur l’application de l’article 1415 du Code civil à des époux mariés sous le régime de la
communauté universelle, cf. Cass. 1ère civ., 3 mai 2000 : Bull. civ. I, n°125 ; Cass. 1ère civ., 28
janvier 2003 : RJDA 8-9/2003, n°880 1925 Sur le caractère aujourd'hui inopérant de la fraude de la caution, cf. Cass. 1ère civ. 17
février 1998 : Bull. civ. I, n°63 1926 Le nouveau texte devrait donc étendre le champ d’application de l’actuel article 2017 du
Code civil, qui envisage la transmission des seuls « engagements des cautions ». Il devrait
également supprimer la référence qu’opère cet article à la contrainte par corps, qui a été
abrogée en matière civile, commerciale et contre les étrangers par la loi du 22 juillet 1867.
Cette règle spéciale ne serait qu’une illustration de la règle du régime primaire
selon laquelle l’obligation de couverture du garant ne peut s’éteindre par un terme
implicite1927. Elle n’en constituerait pas moins une remise en cause de la
jurisprudence Ernault de 19821928.
Cependant, l’abandon de cette jurisprudence ne devrait pas se traduire par un
déficit de protection des héritiers. En effet, si le régime primaire des garanties
personnelles imposait la remise d’un exemplaire du contrat de garantie au garant1929,
les héritiers ne devraient pas ignorer l’existence de ce contrat. En conséquence, ils
pourraient se libérer pour l’avenir de l’engagement transmis, soit en le résiliant s’il a
été conclu pour une durée indéterminée, soit en renonçant à la succession ou en ne
l’acceptant que sous bénéfice d’inventaire. En outre, à l’égard des dettes dont ils
seraient tenus, les héritiers devraient bénéficier des protections spécialement
instituées au bénéfice des «garants consommateurs», puisqu’ils devraient appartenir
à la catégorie des garants personnes physiques n’agissant pas dans un but
professionnel1930.
881. Compte tenu des spécificités de la personnalité physique par rapport à la
personnalité morale, le régime des garanties personnelles souscrites par un garant
personne physique pourrait donc instituer des règles nouvelles se rapportant à la
capacité, aux pouvoirs et au décès de celui-ci. Si des modifications du droit positif
en ces trois domaines sont susceptibles de conforter l’efficacité des garanties
personnelles, des règles nouvelles intéressant la vie privée du garant sont en outre
nécessaires pour se conformer à la proposition de directive sur le crédit aux
consommateurs.
B/ LA PROTECTION DE LA VIE PRIVEE DU GARANT
882. L’utilisation des données personnelles concernant le garant. Les
contrats de garantie établis par les professionnels du crédit comportent fréquemment
une clause aux termes de laquelle le garant accepte que le créancier utilise les
informations personnelles qu’il lui fournit dans le cadre de la conclusion, la gestion
ou l’exécution du contrat, à des fins commerciales. Pour ne pas compromettre
l’octroi de crédit au débiteur principal, les garants discutent rarement cette
stipulation. Le plus souvent, ils ne sont même pas conscients d’avoir souscrit une
pareille clause1931.
« Afin de garantir la confidentialité des informations et la protection des
données à caractère personnel »1932, et donc de protéger la vie privée des garants
contre des atteintes que la clause précitée facilite, la proposition de directive du 11
septembre 2002 interdit la collecte et le traitement de données personnelles à
d’autres fins que l’appréciation de la situation financière et des capacités de
1927 Sur cette règle nouvelle, cf. supra n°814 1928 Sur cette jurisprudence, cf. supra n°570 1929 Sur cette règle nouvelle, cf. supra n°840 1930 Sur les règles spéciales relatives aux garanties personnelles souscrites par un «garant
consommateur», cf. infra n°892-933 1931 En ce sens, cf. examen du dispositif de la proposition de directive sur le crédit aux
consommateurs. 1932 Point 13 de l’exposé des motifs de la proposition de directive.
remboursement du garant. Il est ainsi interdit d’utiliser ces données à des fins de
publicité, de marketing, de commercialisation ou encore pour proposer des offres de
contrat d’assurance1933. Cette interdiction concerne tous les modes de collecte
d’informations1934, mais la Commission y insiste particulièrement au sujet des
données obtenues lors de la consultation du fichier de type négatif1935. Dans ce
cadre, il est également précisé que « la destruction des données aura lieu
immédiatement après la conclusion du contrat de crédit ou de sûreté ou le refus par
le prêteur de la demande de crédit ou de la sûreté proposée ». Pour que cette règle
empêche les utilisations prohibées des informations personnelles concernant le
garant et protège ainsi la vie privée de celui-ci, sans pour autant entraver la
production éventuelle de preuves par le créancier, la Commission européenne a
suggéré, dans l’examen du dispositif, que le maître du fichier puisse « garder une
preuve de la consultation et la communiquer au besoin à l’intéressé ou au tribunal,
au cas où par exemple la responsabilité du prêteur serait engagée ou contestée en
vertu des dispositions qui règlent le « prêt responsable »».
Dans la proposition de directive, seul le «garant consommateur» ayant conclu
un « contrat de sûreté » bénéficie des protections décrites. Dans la mesure où des
atteintes à la vie privée du garant peuvent avoir lieu, quels que soient la « cause » de
son obligation de couverture et l’objet de son obligation de règlement, les
protections imposées par le droit communautaire mériteraient de profiter à tous les
garants personnes physiques1936.
Par ailleurs, dans la proposition de directive, seuls les créanciers professionnels
sont visés, puisque les atteintes à la vie privée du garant sont uniquement envisagées
sous la forme d’utilisations commerciales des données personnelles1937. Cela ne
devrait cependant pas empêcher de sanctionner pour violation de la vie privée du
garant les créanciers n’agissant pas dans un cadre professionnel.
Ainsi, dans le corps de règles propre aux garanties personnelles souscrites par
un garant personne physique, le législateur pourrait imposer à tous les créanciers de
n’utiliser les informations recueillies auprès du garant que pour apprécier la situation
financière et les facultés de remboursement de celui-ci. Mais, alors que les
créanciers non professionnels pourraient être sanctionnés uniquement sur le
fondement du droit commun de l’article 9 du Code civil, les créanciers
professionnels pourraient en outre se voir appliquer les sanctions prévues par la loi
Informatique et Liberté1938.
1933 Examen du dispositif relatif à l’article 7 de la proposition de directive. 1934 Article 7 de la proposition de directive 1935 Article 8.3 1936 La loi n°2004-801 du 6 août 2004, modifiant la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à
l’informatique, aux fichiers et aux libertés, a ainsi pour objet la protection des personnes
physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel (JO 7 août 2004,
p. 14063 ; D. 2004, p. 2107 et s.). 1937 Dans l’examen du dispositif, la Commission européenne précise que l’interdiction de faire
un usage commercial des données personnelles relatives au garant concerne « non seulement
les prêteurs et les intermédiaires de crédit mais également les bureaux d’information ainsi
que les assureurs crédit auxquels le prêteur ferait appel dans sa recherche d’information
conformément à l’article 9. La liste peut être complétée par les bureaux de recouvrement et
en général par toute personne qui aurait repris la créance du prêteur ». 1938 En ce sens, cf. D. KHAYAT et C. FIORI-KHAYAT, Prévention et fichier relatif à
l’endettement, LPA 10 avril 2003, n°72, p. 31
883. Outre des règles concrétisant l’assimilation des spécificités de la
personnalité physique par rapport à la personnalité morale (règles relatives à la
capacité, au décès et à la vie privée du garant), le régime des garanties personnelles
souscrites par un garant personne physique pourrait comporter des règles se
rapportant au patrimoine de celui-ci et, plus précisément, des règles limitant les
risques financiers supportables par un garant personne physique.
§2 : LES REGLES RELATIVES AUX RISQUES FINANCIERS
SUPPORTABLES PAR UNE PERSONNE PHYSIQUE
884. Les règles préventives inspirées par les impératifs de justice
distributive et de protection de la dignité humaine. Si le garant personne
physique n’obtient pas du débiteur principal remboursement du paiement qu’il a
effectué entre les mains du créancier, la réalisation de la garantie personnelle risque
de le conduire à la pauvreté, voire à l’exclusion. Au nom de la justice distributive1939
et de la protection de la dignité humaine, qui constitue un impératif que nul autre
objectif ne peut primer1940, le législateur doit mettre le garant personne physique à
l’abri des risques financiers les plus graves.
Afin d’éviter l’endettement excessif des garants, quels qu’ils soient, nous avons
vu que le régime primaire des garanties personnelles pourrait, d’une part, imposer
aux créanciers de vérifier que le garant est à même de respecter de nouveaux
engagements, en consultant les bases de données de type négatif et positif et, d’autre
part, dissuader les créanciers de faire souscrire au garant un engagement
disproportionné par rapport à ses biens et revenus, en pourchassant le non respect du
principe de « prêt responsable »1941.
A l’égard des garants personnes physiques, trois autres règles pourraient
prévenir les risques financiers excessifs.
885. L’interdiction du démarchage actif. En premier lieu, les créanciers
professionnels pourraient se voir interdire le démarchage actif des garants personnes
physiques.
Les principales sanctions retenues par les articles 45 à 49 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978
relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction issue de la loi précitée
n°2004-801 du 6 août 2004 sont l’avertissement, la sanction pécuniaire, l’injonction de cesser
le traitement des données, l’interruption de la mise en œuvre dudit traitement et le
verrouillage de certaines des données. 1939 Cet impératif de justice distributive sous-tend les règles protectrices des garants personnes
physiques qu’institue la proposition de directive du 11 septembre 2002. La Commission
européenne a en effet insisté sur le fait que ces protections sont nécessaires « compte tenu des
risques encourus pour leurs intérêts économiques ». Sur les objectifs que le droit
communautaire impose aux Etats membres, cf. supra n°745, 751, 771-776 1940 Sur la supériorité de l’impératif de protection de la dignité humaine sur l’objectif
d’efficacité des garanties personnelles, cf. supra n°138 1941 Sur la consultation du fichier de type positif, cf. supra n°806-811. Sur la consultation du
fichier de type négatif, cf. supra n°828-832. Sur le principe de « prêt responsable » et
l’obligation corrélative de ne pas faire souscrire au garant un engagement disproportionné, cf.
supra n°852-856
Dans la proposition de directive sur le crédit aux consommateurs, cette
interdiction a un domaine plus réduit, puisqu’elle ne se rapporte qu’aux « contrats de
sûreté » conclus par un «garant consommateur»1942. Comme la prohibition
s’explique par le fait que le démarchage non sollicité accroît le risque de non
compréhension de l’impact financier réel du contrat consenti1943, elle devrait jouer
quels que soient la « cause » de l’obligation de couverture du garant et l’objet de son
obligation de règlement1944.
Cette extension du champ d’application de l’exigence communautaire ne
devrait pas bouleverser les pratiques des créanciers professionnels car, en matière de
garanties personnelles, le démarchage actif est quasi inexistant. La raison en est que
les créanciers cherchent à adapter leur demande de garantie aux caractéristiques de
l’opération de crédit principale.
886. L’extension de la règle de subsidiarité de l’article L. 313-21 du Code
monétaire et financier à toutes les garanties personnelles souscrites par un
garant personne physique. En deuxième lieu, afin d’éviter que les garants
personnes physiques ne supportent des risques financiers excessifs, le législateur
pourrait modifier l’article L. 313-21 du Code monétaire et financier (ancien article
60-1 de la loi du 24 janvier 1984). Pour garantir le remboursement d’un concours
financier accordé à un entrepreneur individuel pour les besoins de son activité
professionnelle, il s’agirait de rendre subsidiaires toutes les garanties personnelles
consenties par une personne physique1945. De telles garanties ne devraient être
constituées que si l’entrepreneur n’est pas en mesure de proposer une garantie sur
les biens nécessaires à l’exploitation de l’entreprise. L’entrepreneur devrait être
informé de cette subsidiarité par l’établissement de crédit créancier.
Aujourd'hui, l’article L. 313-21 du Code monétaire et financier ne précise pas
quelle est l’incidence du non respect de cette obligation d’information sur le contrat
de garantie personnelle conclu1946. Le législateur pourrait réparer cette omission1947
en interdisant à l’établissement de crédit de poursuivre le garant personne physique.
1942 Article 5 de la proposition de directive. Les articles L. 121-21 à L. 121-33 du Code de la
consommation, qui organisent la protection de la personne physique démarchée, visent
pareillement les consommateurs. 1943 Examen du dispositif relatif à l’article 5 de la proposition de directive. 1944 Pour une critique de la prise en compte de l’activité du démarché et une défense, au
contraire, de l’application des règles relatives au démarchage à domicile à toutes les
personnes physiques, cf. C. NOBLOT, th. préc., n°134 à 139 1945 Aujourd'hui, l’article L. 313-21 du Code monétaire et financier retient la subsidiarité de la
« sûreté personnelle consentie par une personne physique ». Dans la mesure où ce texte
adopte le même principe à l’égard de la « sûreté réelle sur un bien non nécessaire à
l’exploitation », certains auteurs y voient une règle commune à toutes les sûretés (en ce sens,
cf. P. CROCQ, L’évolution des garanties du paiement : de la diversité à l’unité, Mélanges
Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 317 et s., n°18 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°207
et s. ). 1946 L’article L. 313-21 alinéa 3 du Code monétaire et financier dispose simplement que
« l’établissement de crédit qui n’a pas respecté les formalités prévues aux premier et
deuxième alinéa ne peut dans ses relations avec l’entrepreneur individuel se prévaloir des
garanties qu’il aurait prises ». 1947 Sur l’inefficacité résultant des obscurités par omission et notamment de celle concernant
la sanction de l’article L. 313-21 du Code monétaire et financier, cf. supra n°531
La sévérité de cette sanction pourrait inciter les créanciers professionnels à informer
l’entrepreneur individuel de la subsidiarité des garanties personnelles souscrites par
une personne physique. Le risque d’un endettement excessif de celle-ci s’en
trouverait diminué.
887. Le « reste à vivre ». En troisième et dernier lieu, dans le but d’éviter le
surendettement des garants personnes physiques et des atteintes à leur dignité, la
règle du « reste à vivre », qui ne profite actuellement qu’aux cautions, pourrait
figurer dans le régime des garanties personnelles souscrites par un garant personne
physique1948. Un défaut formel du droit du cautionnement s’en trouverait
supprimé1949.
Pour que l’utilité du « reste à vivre » ne soit plus contestée1950, le législateur
pourrait modifier la règle de l’actuel article 2024 du Code civil sur deux points.
D’une part, il pourrait préciser que le garant ne peut se prévaloir de la limitation du
droit de poursuite du créancier que si la procédure de surendettement ne lui est pas
ouverte. D’autre part, il pourrait revoir à la hausse le montant des ressources laissées
au garant, de telle sorte que le risque d’exclusion soit véritablement conjuré.
888. Les règles relatives au surendettement du garant ne devraient pas
concerner tous les garants personnes physiques. En vertu de l’impératif de justice
distributive et de celui de protection de la dignité humaine, les poursuites exercées
contre le garant personne physique pourraient donc être limitées par le « reste à
vivre ». Par ailleurs, la souscription même d’une garantie personnelle par une
personne physique pourrait être strictement encadrée lorsqu’elle est susceptible de
faire peser sur celle-ci des risques financiers excessifs. Tel est le cas dans
l’hypothèse où le garant est démarché activement et dans celle où il est amené à
couvrir les dettes professionnelles d’un entrepreneur individuel. Si ces différentes
règles préventives méritent de profiter à tous les garants personnes physiques, tel
n’est pas le cas de celles palliant le surendettement.
En effet, les mesures fondées sur l’impératif de justice distributive, qui visent à
remédier au surendettement, ne peuvent être accordées que si celui-ci n’est pas né de
dettes professionnelles. Par conséquent, les règles curatives ne devraient profiter
qu’aux «garants consommateurs» et non aux garants intégrés dans les affaires du
débiteur principal1951. Elles ne devraient donc pas avoir leur place dans un corps de
règles ayant pour objet de déduire le régime des garanties personnelles de la seule
personnalité physique du garant.
1948 En faveur de l’application du reste à vivre à l’ensemble des sûretés personnelles, cf. Ph.
DUPICHOT, th. préc., n°504 ; C. NOBLOT, th. préc., n°103, 142 et 143 ; S. PIEDELIEVRE,
Le cautionnement dans la loi relative à la lutte contre les exclusions, JCP 1998, I, 170 1949 Sur la critique de l’insertion du « reste à vivre » dans l’article 2024 du Code civil, qui
régit le cautionnement simple, cf. supra n°512 1950 Sur ces contestations, cf. supra n°552 1951 L’article L. 331-2 alinéa 1er du Code de la consommation retient déjà cette solution,
puisqu’il refuse le bénéfice de la procédure de surendettement aux cautions ou codébiteurs
solidaires qui sont dirigeants de fait ou de droit de la société débitrice. Pour que les garanties
personnelles indépendantes ne soient plus laissées pour compte, ce texte pourrait viser, plus
largement, tous les «garants consommateurs».
889. Conclusion de la Section 1. Les règles limitant les risques économiques
supportables par une personne physique, tout comme les règles régissant la capacité,
le décès et la protection de la vie privée du garant, pourraient donc s’appliquer dans
toutes les garanties personnelles souscrites par une personne physique, sans que ne
soient pris en compte, ni les motifs et les buts présidant à l’engagement du garant, ni
le caractère accessoire renforcé ou indépendant de cet engagement.
Beaucoup d’autres règles pourraient, au contraire, être fondées sur ces
caractéristiques distinctives liées à l’obligation de garantir.
SECTION 2 : LES RÈGLES SPÉCIALES
FONDÉES SUR LA « CAUSE »
DE L’OBLIGATION DE COUVERTURE
890. L’influence de la « cause » de l’obligation de couverture du garant.
Tous les garants ne s’engagent pas à couvrir le risque de perte financière pour les
mêmes raisons, ni dans les mêmes buts. Alors que la cause de l’obligation de
règlement, qui réside dans l’extinction de l’obligation principale, est objective et
commune à l’ensemble des garanties personnelles1952, la « cause » de l’obligation de
couverture est variable d’une garantie personnelle à une autre. En raison de ce
caractère subjectif, les changements ou la disparition de la « cause » de l’obligation
de couverture ne devraient pas affecter la garantie conclue1953.
En revanche, au regard des « causes » efficiente et finale de l’obligation de
couverture, le niveau de protection du garant pourrait varier. Selon sa qualité
(professionnel ou non) ou le lien qui l’unit au débiteur principal (relation affective,
dépendance patrimoniale, intégration dans ses affaires, dette préalable à son égard),
le garant pourrait bénéficier de la sollicitude du législateur dans des proportions
variables.
891. Il importe, par conséquent, d’envisager les formes et l’intensité de la
protection du garant dans les trois régimes particuliers qui pourraient être fondés sur
la « cause » de l’obligation de couverture, à savoir le régime des garanties
personnelles souscrites par un garant n’agissant pas dans un but professionnel (§1),
le régime applicable aux garants non consommateurs (§2) et enfin le régime des
garanties personnelles conclues par un garant non tenu envers le débiteur principal
(§3).
Dans ces trois corps de règles spéciales, les protections du garant pourraient
être organisées dans le respect, d’une part, des exigences communautaires et, d’autre
part, de l’objectif d’efficacité des garanties personnelles.
1952 Sur la cause de l’obligation de règlement comme élément constitutif du caractère
accessoire essentiel de toutes les garanties personnelles, cf. supra n°278 1953 Sur la jurisprudence rejetant les contestations de la caution fondées sur la disparition de la
cause subjective et, notamment, sur la cessation des fonctions de la caution ou son divorce
avec le débiteur principal, cf. supra n°483
§1 : LE REGIME DES GARANTIES PERSONNELLES
SOUSCRITES PAR UN «GARANT CONSOMMATEUR»
892. Les justifications d’un régime propre aux «garants consommateurs».
Le «garant consommateur» est une personne physique qui « agit dans un but
pouvant être considéré comme étranger à son activité commerciale ou
professionnelle »1954. La « cause » de son obligation de couverture réside dans les
relations affectives qu’il entretient avec le débiteur principal.
Compte tenu du fait que le «garant consommateur» dispose, en principe, de
connaissances limitées en matière de crédit et de garantie, qu’il ne peut exercer à
l’encontre du débiteur qu’un pouvoir de nature psychologique et non juridique, et
qu’il ne retire pas nécessairement de son engagement un bénéfice d’ordre
patrimonial, le législateur pourrait contraindre les créanciers, quelle que soit en
principe leur qualité1955, à faire spécialement preuve de solidarité et de tempérance à
son égard.
Cette intervention législative paraît d’ailleurs inéluctable au regard de
l’évolution du droit communautaire, puisque la proposition de directive du 11
septembre 2002 impose aux Etats membres d’édicter de nombreuses règles
protectrices du «garant consommateur».
893. Un régime inscrit dans le Code civil plutôt que dans le Code de la
consommation. A l’occasion de la transposition de la directive sur le crédit aux
consommateurs, le législateur pourrait regrouper toutes les règles protectrices du
«garant consommateur» dans une nouvelle section du Code civil. Même si le garant
n’agissant pas dans un but professionnel est qualifié de consommateur, il ne peut
être confondu avec un consommateur au sens strict, car il ne se procure ni n’utilise
aucun bien ou service. En conséquence, les règles le concernant ne devraient pas
figurer dans le Code de la consommation1956.
1954 Article 2 a) de la proposition de directive sur le crédit aux consommateurs. 1955 Sous réserve de quelques dispositions visant les créanciers agissant dans un cadre
professionnel, le régime applicable aux «garants consommateurs» ne devrait pas prendre en
compte la qualité du créancier. Ce régime présenterait alors une originalité certaine par
rapport aux règles régissant aujourd'hui le contrat de consommation. En effet, en droit positif,
« il n’existe pas à proprement parler un statut applicable au consommateur, qui serait
inhérent à sa seule personne. Ce qui existe, c’est un statut de la relation contractuelle
particulière qui est susceptible de se nouer entre un consommateur et un professionnel » (C.
NOBLOT, th. préc., n°415). La référence à ce binôme est ainsi expresse dans le dispositif de
protection du consommateur contre les clauses abusives (article L. 132-1 du Code de la
consommation). La double prise en compte de la qualité des parties est implicite dans le
système de protection du consommateur emprunteur (l’exigence de la qualité de
consommateur se déduit des articles L. 311-3-3° et L. 312-3-2° du Code de la consommation.
La qualité de professionnel est également requise de façon allusive dans les articles L. 311-2
et L. 312-1 du même code). 1956 Il convient de souligner que, même si le «garant consommateur» devait être purement et
simplement assimilé à un consommateur, les règles le concernant ne devraient pas
nécessairement figurer dans le Code de la consommation. En effet, certaines protections du
consommateur pourraient être insérées dans le Code civil. A l’occasion de la célébration du
bicentenaire de celui-ci, J. FOYER (« Le Code civil est vivant. Il doit le demeurer », JCP
2004, I, 120) a remarqué, en ce sens qu’« il y a actuellement un certain nombre de règles
La préférence pour une insertion dans le Code civil peut également se justifier
par le fait que ce code est traditionnellement le siège des règles de droit commun et
que les règles relatives au «garant consommateur» pourraient être envisagées
comme telles1957. Les garanties personnelles souscrites par un «garant
consommateur» ne sont, en effet, que le prolongement du cautionnement « service
d’ami », qui fait figure de principe dans le Code civil.
En outre, l’intégration de toutes les protections du «garant consommateur» dans
le Code civil pourrait conforter l’accessibilité matérielle et l’intelligibilité du droit
des garanties personnelles et renforcer, ce faisant, l’efficacité de ces mécanismes.
894. Un régime tenant compte de la forme du contrat de garantie
personnelle. Au sein des protections regroupées dans le Code civil, une distinction
pourrait être opérée entre celles profitant à tous les «garants consommateurs» (A), et
celles dépendant de la forme de la garantie personnelle (B). L’objectif d’efficacité
impose une telle distinction, car la réalisation des attentes des créanciers serait par
trop compromise si certaines protections spéciales devaient s’ajouter à celles
qu’engendre nécessairement la conclusion d’un contrat devant notaire.
A/ LES PROTECTIONS
BENEFICIANT A TOUS LES «GARANTS CONSOMMATEURS»
895. Les faiblesses des «garants consommateurs» justifiant l’instauration
de protections à tous les stades de la vie du contrat de garantie. La « faiblesse
inhérente »1958 des «garants consommateurs», résultant de l’insuffisance de leurs
connaissances dans la matière du contrat à conclure et de la légèreté avec laquelle ils
peuvent donner leur consentement, pourrait justifier qu’ils profitent tous de
protections lors de la formation de la garantie personnelle (1). En outre, comme ils
n’entretiennent avec le débiteur que des liens affectifs, ils peuvent avoir des
difficultés à influer sur l’évolution de la dette principale et peuvent même ignorer la
situation financière du débiteur. Pour ces raisons, tous les «garants consommateurs»
pourraient bénéficier de protections spéciales au cours de la vie du contrat principal
et à la suite de l’inexécution de celui-ci (2).
1. Les protections au stade de la formation du contrat de garantie personnelle
896. Les moyens à mettre en œuvre pour respecter l’impératif
communautaire de lutte contre le contournement. L’article 30.3 de la proposition
de directive du 11 septembre 2002 oblige les Etats membres à prendre des mesures
contre le contournement des règles qu’elle édicte au moyen de « formes
éparses qui pourraient rejoindre le Code civil en prenant les précautions formelles
nécessaires. Je pense par exemple qu’il serait bon d’y faire figurer les principes de base de
protection des consommateurs. Ce n’est pas un astre intouchable ». 1957 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège d’un nouveau droit du
cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au cautionnement introduites par les
lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et sur la ville, JCP 2003, éd. E,
p. 1610 et s., n°31 : « il n’est pas opportun que le siège principal des dispositions relatives au
droit du cautionnement ait sa place dans le droit de la consommation ». 1958 M. FONTAINE, Rapport de synthèse, in La protection de la partie faible dans les
rapports contractuels, LGDJ, 1996, p. 615 et s., n°2
particulières données aux contrats ». Pour respecter cette exigence communautaire,
le législateur français devra, soit réglementer l’ensemble des garanties personnelles,
soit interdire la conclusion des garanties n’entrant pas dans le champ de la
proposition de directive1959. En réalité, ces deux méthodes de lutte contre le
contournement pourraient être cumulées.
Ainsi, la réglementation de l’ensemble des garanties personnelles pourrait
reposer, non seulement sur le régime primaire et sur les règles spéciales ne
s’intéressant pas à la nature de la garantie conclue, mais aussi sur les règles spéciales
fondées sur l’objet de l’obligation de règlement du garant.
S’agissant de la prohibition des garanties non régies par le droit
communautaire1960, elle pourrait se traduire par l’interdiction de faire souscrire à un
«garant consommateur» une garantie personnelle ne présentant pas un caractère
accessoire renforcé. Les garants n’agissant pas dans un but professionnel ne
pourraient donc s’engager qu’en qualité de caution ou de codébiteur solidaire1961.
897. L’interdiction de faire souscrire à un «garant consommateur» une
garantie personnelle ne présentant pas un caractère accessoire renforcé. Cette
règle nouvelle est susceptible de protéger tout à la fois les intérêts des «garants
consommateurs» et ceux des créanciers. Du côté des garants, la protection est
évidente, puisque l’interdiction proposée leur permettrait d’échapper à la rigueur des
garanties indépendantes. Du côté des créanciers, il n’y a sans doute pas à craindre
que cette interdiction soit « très mal acceptée et ressentie comme une nouvelle et
intolérable atteinte au crédit »1962 et ce, pour plusieurs raisons.
En premier lieu, l’interdiction de faire souscrire à un «garant consommateur»
un engagement ne présentant pas un caractère accessoire renforcé ne bouleverserait
pas profondément les habitudes de la pratique, car les créanciers demandent encore
exceptionnellement à un tel garant de conclure une garantie indépendante1963.
1959 Pour de plus amples développements sur ces répercussions du droit communautaire sur le
contenu du droit des garanties personnelles, cf. supra n°782, 795 1960 Sur le champ d’application de la proposition de directive relativement au « contrat de
sûreté », cf. supra n°754-761 1961 En faveur d’une telle limitation, cf. J. CASEY, th. préc., n°419 : « il n’est pas
inconcevable d’ajouter un article au code civil (ou d’ajouter un alinéa à l’art. 2012) qui
disposerait que « le cautionnement est la seule sûreté personnelle admise lorsque le garant
est une personne physique » ». Cet auteur tempère ensuite la généralité de cette proposition en
reconnaissant qu’une distinction pourrait être opérée entre caution profane et caution intégrée
(n°427 à 431).
D’autres auteurs se montrent plus favorables à des interdictions ponctuelles des garanties
indépendantes, dans les hypothèses où le cautionnement est organisé par des textes impératifs,
notamment dans le Code de la consommation (en ce sens, cf. E. RAWACH, La licéité des
garanties à première demande à la lumière du droit de la consommation, RD bancaire et
financier 2000, p. 57 et s.) ou lorsque la garantie n’est pas liée à l’obligation de payer une
consignation (en ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°471). 1962 P. ANCEL, Nouvelles sûretés pour créanciers échaudés, JCP 1989, éd. E, suppl. Cahier
droit des entreprises, n°5, p. 9 1963 S’il en va ainsi, c’est parce qu’ « il est apparu à certains directeurs juridiques qu’un tel
comportement (faire souscrire aux particuliers des garanties autonomes en réaction à l’érosion
du droit du cautionnement) ne manquerait pas d’entraîner une réaction extrêmement forte du
législateur ou du magistrat. (…) Le gain obtenu à court terme dans certains dossiers risquait
En deuxième lieu, lorsque les créanciers osent faire souscrire une garantie
indépendante à une personne physique n’agissant pas dans un but professionnel,
leurs attentes sont le plus souvent déjouées, car les juges comblent le déficit de
protection de ce garant en requalifiant l’engagement en cautionnement, ou en le
libérant sur le fondement du droit commun des contrats, ou encore en faisant une
application a pari du droit du cautionnement1964. En termes d’efficacité, il pourrait
donc être plus avantageux de faire souscrire une garantie personnelle accessoire,
dont on puisse obtenir l’exécution, plutôt qu’une garantie indépendante, dont la
survie devant un juge est des plus incertaine.
En troisième lieu, si l’interdiction des garanties indépendantes figurait
uniquement dans le régime intéressant les «garants consommateurs», les attentes
subjectives des créanciers se rapportant aux avantages de l’indépendance pourraient
toujours être satisfaites. Il suffirait, pour cela, de contracter avec un garant
professionnel ou intégré dans les affaires du débiteur principal.
En quatrième et dernier lieu, la protection des intérêts des créanciers pourrait
tenir au fait que, « si on accepte d’exclure certaines sûretés, cela implique
nécessairement d’adopter une attitude plus libérale à l’égard du cautionnement. (…)
Une fois les dangers des autres sûretés personnelles écartés, il n’y a plus guère de
raison de vouloir surprotéger le droit du cautionnement »1965. L’obligation de faire
souscrire au «garant consommateur» un engagement présentant un caractère
accessoire renforcé pourrait ainsi avoir pour corollaire l’abandon, par le législateur
et par les juges, de solutions excessivement protectrices de la caution qui entament
aujourd'hui l’efficacité du cautionnement.
Loin de sacrifier les intérêts des créanciers, l’interdiction des engagements
indépendants souscrits par les «garants consommateurs» pourrait donc renforcer
l’efficacité des garanties accessoires conclues par ces garants, tout en ménageant à
ces derniers une protection également efficace.
898. Le caractère abusif de la clause mettant à la charge du «garant
consommateur» la preuve des obligations du bénéficiaire. La future directive
devrait conduire le législateur à instaurer une autre protection du «garant
consommateur», relative au contenu du contrat de garantie. L’article 33 de la
proposition de directive précise que « toute clause contractuelle prévoyant que la
charge de la preuve du respect par le prêteur et, le cas échéant, de l’intermédiaire
de crédit, de tout ou partie des obligations que leur impose la présente directive
incombe au consommateur et, le cas échéant, au garant, est une clause abusive au
sens de la directive 93/13/CEE ».
Il est heureux que le texte communautaire ne fournisse aucun autre exemple de
clause abusive concernant spécialement le « contrat de sûreté »1966, car l’effacement
des clauses abusives constitue une technique de rééquilibrage, qui ne devrait être
mise en œuvre que dans les contrats synallagmatiques. L’annulation des clauses
de se traduire par une perte de longue durée » (J.-L. GUILLOT, Pratiques bancaires, source
du droit des affaires, LPA 27 novembre 2003, n°237, p. 17). 1964 Sur ces différentes causes d’inefficacité des garanties personnelles innomées, cf. supra
n°628-707 1965 J. CASEY, th. préc., n°439 1966 L’article 15 de la proposition de directive énumère, au contraire, six types de clauses
devant être déclarées abusives dans le cadre du contrat de crédit.
abusives repose, en effet, sur l’impératif de justice corrective, qui n’a aucun sens
dans les contrats unilatéraux.
Dans la mesure où la règle de l’article 33 de la proposition de directive n’est
donc pas compatible avec l’objectif d’efficacité des garanties personnelles1967, il
serait souhaitable que le législateur français n’en étende pas le champ d’application.
Par conséquent, seuls les «garants consommateurs» ayant contracté avec un
créancier professionnel devraient être protégés par la prohibition de la clause
mettant à leur charge la preuve des obligations du bénéficiaire.
899. Si la protection du «garant consommateur» par le biais de l’annulation de
clauses abusives heurte l’objectif d’efficacité, celle se manifestant par l’interdiction
de souscrire un engagement ne présentant pas un caractère accessoire renforcé
pourrait, en revanche, servir conjointement les intérêts des créanciers. Certaines
protections profitant au «garant consommateur» après la conclusion du contrat
pourraient également être utiles à l’efficacité de la garantie constituée.
2. Les protections postérieures à la conclusion de la garantie personnelle
900. L’information annuelle du «garant consommateur» sur l’encours de
la dette principale. Au cours de la vie du contrat de garantie, l’information du
garant sur l’encours de la dette principale concrétise la solidarité entre les
contractants, qu’exige l’impératif d’éthique contractuelle. Par ailleurs, cette
protection du garant peut favoriser la satisfaction des attentes du créancier,
puisqu’elle est susceptible d’augmenter les chances d’exécution par le débiteur lui-
même ou, à défaut, de solvabilité du garant lors de la réalisation de la garantie1968.
Alors que, dans son principe même, l’information annuelle de la caution constitue
ainsi un facteur d’efficacité, ses traductions en droit positif sont, au contraire, à
ranger parmi les causes d’inefficacité du cautionnement. A l’occasion de la réforme
du droit des garanties personnelles, il serait donc souhaitable de conserver
l’obligation d’information annuelle sur le montant de la dette principale, mais d’en
corriger les défauts actuels.
901. Une seule obligation figurant dans le Code civil. Pour améliorer le
droit en vigueur, il conviendrait de remplacer les quatre textes régissant aujourd'hui
l’information annuelle1969 par une seule disposition dans le Code civil. Cela
renforcerait, aussi bien l’accessibilité matérielle du droit des garanties personnelles,
1967 Sur les rapports entre l’impératif de justice corrective et l’objectif d’efficacité des
garanties personnelles, cf. supra n°125-132 1968 Lorsque l’objet de l’obligation de règlement du garant est déterminé par emprunt à la
dette principale, l’information du garant sur le montant de cette dette lui permet de connaître
l’étendue de sa propre dette et de prendre, en conséquence, les précautions nécessaires pour
pouvoir disposer de fonds suffisants lors de l’éventuel appel de la garantie. En toute
hypothèse, l’information sur l’encours de la dette principale peut également permettre au
garant de faire pression sur le débiteur, pour éviter qu’il ne soit défaillant. 1969 Articles L. 313-22 du Code monétaire et financier, 47-II alinéa 2 de la loi du 11 février
1994, 2016 alinéa 2 du Code civil et L. 341-6 du Code de la consommation.
En faveur d’une disposition générale déterminant le contenu de l’obligation d’information de
la caution, cf. D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège d’un nouveau droit du
cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au cautionnement introduites par les
lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et sur la ville, JCP 2003, éd. E,
p. 1610 et s., n°31
que son intelligibilité et sa cohérence, puisque se trouverait supprimé le manque
d’harmonisation entre les textes actuels.
902. Le domaine d’application de l’obligation d’information annuelle. Le
champ d’application de la nouvelle obligation d’information annuelle devrait être
défini au regard du besoin de protection du garant, ce qui n’est pas le cas
aujourd'hui1970. Ainsi, les critères d’application de l’article L. 341-6 du Code de la
consommation, qui est actuellement le texte le plus général, pourraient être modifiés
à deux égards.
D’une part, l’information ne devrait profiter qu’aux garants n’ayant pas
nécessairement ou facilement connaissance de la situation financière du débiteur
principal. Pour éviter l’augmentation inutile du coût de la protection des intérêts des
créanciers, seuls les «garants consommateurs» pourraient, de ce fait, bénéficier de
l’information, et non l’ensemble des garants personnes physiques.
D’autre part, tous les créanciers, et non seulement les créanciers professionnels,
pourraient par contre se voir imposer de renseigner le «garant consommateur» sur
l’encours de la dette principale. Cette généralisation pourrait se justifier par le fait
que la probable ignorance de ce garant sur la situation financière exacte du débiteur
ne dépend en rien de la qualité du créancier1971. De plus, tous les bénéficiaires ont
intérêt à profiter des avantages, en termes d’efficacité, que présente cette obligation
d’information. Enfin, le risque que le créancier non professionnel n’ignore cette
obligation et ne se voit ainsi injustement sanctionné devrait être considérablement
réduit si un texte unique du Code civil régissait cette contrainte.
903. Les modalités d’exécution de l’obligation d’information annuelle. En
troisième lieu, le législateur pourrait réparer une omission, qui a jusqu’ici donné lieu
à contentieux abondant1972, en précisant les modalités d’exécution de l’obligation
d’information annuelle. A cet égard, il pourrait imposer la lettre recommandée avec
accusé de réception, car elle fait indubitablement preuve de l’expédition de
l’information, ainsi que de son contenu. Grâce à cette nouvelle formalité, les débats
judiciaires coûteux relatifs à ces preuves, voire la libération partielle de la caution
consécutive au rejet des preuves apportées par le créancier, pourraient être évités et
se trouverait compensé, par là même, le coût de la lettre recommandée.
904. La sanction du défaut d’information. Enfin, le droit positif pourrait
être modifié au sujet de la sanction du défaut d’information. A cet égard, l’éviction
de la déchéance « des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente
information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information », au
profit de la mise en jeu de la responsabilité contractuelle du créancier, ne
supprimerait certes pas le contentieux, mais diminuerait les risques qu’une sanction
ne soit effectivement prononcée.
D’une part, le défaut d’information ne serait sanctionné que s’il causait
effectivement au «garant consommateur» un préjudice. Celui-ci pourrait résider dans
1970 Sur la mauvaise prise en compte de la qualité du débiteur et du bénéficiaire de l’obligation
d’information annuelle dans les textes actuels, cf. supra n°614 1971 En ce sens, cf. C. NOBLOT, th. préc., n°142 1972 Sur le contentieux relatif aux modalités d’exécution de l’obligation d’information
annuelle, cf. supra n°608
la perte d’une chance d’inciter le débiteur principal à s’exécuter ou dans celle de
résilier la garantie à durée indéterminée.
D’autre part, l’exigence du lien de causalité entre ce préjudice et le défaut
d’information devrait empêcher de sanctionner le créancier lorsque ce manquement
intervient à un moment où le garant est nécessairement informé du montant de la
dette principale. La jurisprudence ne devrait donc plus pouvoir priver les créanciers
d’une partie de leurs droits pour ne pas avoir respecté leur obligation d’information
après l’assignation de la caution ou après la déclaration de la créance entre les mains
du représentant des créanciers.
Par ailleurs, le choix en faveur de la responsabilité contractuelle devrait mettre
un terme aux incertitudes liées à la possibilité d’un cumul entre cette sanction de
droit commun et la déchéance légale. Dans tous les cas, les juges devraient
uniquement se prononcer sur le manquement à une obligation légale et ils n’auraient
pas à rechercher l’existence d’un dol ou d’une faute lourde ou distincte du créancier.
La sanction du défaut d’information y gagnerait en prévisibilité.
Enfin, avec la déchéance du droit aux intérêts devrait être abandonnée la règle
d’imputation issue de la loi du 25 juin 1999, qui déroge au principe de l’article 1254
du Code civil uniquement dans le but de protéger les cautions.
Sous réserve d’y apporter les modifications suggérées, l’obligation
d’information annuelle sur l’encours de la dette principale pourrait donc constituer
une protection du «garant consommateur» utile à l’efficacité de la garantie conclue.
905. La protection du «garant consommateur» consécutive à la
transmission de la garantie personnelle à un tiers cessionnaire. En vertu de la
proposition de directive du 11 septembre 2002, le «garant consommateur» devrait
encore être protégé, au cours de la vie du contrat de garantie, dans l’hypothèse où les
droits du créancier au titre de ce contrat seraient cédés à un tiers. Au sujet de la
transmission du « contrat de sûreté » en dehors du transfert de la dette principale,
l’article 17 du texte communautaire exige, en effet, que « le garant puisse faire
valoir à l'égard du nouveau titulaire des créances résultant dudit contrat les mêmes
exceptions et défenses qu'il pouvait invoquer à l'égard du prêteur initial, y compris
le droit à compensation, pour autant que celle-ci soit autorisée dans l'État membre
concerné ».
Dans l’examen du dispositif, la Commission européenne a précisé que cette
règle doit jouer « sans qu’il n’y ait lieu d’avoir égard à la construction juridique
appliquée : cession de créance, subrogation, délégation, etc ». Comme
l’opposabilité des exceptions est déjà reconnue par le droit commun de la cession de
créance et de la subrogation, c’est surtout dans l’hypothèse d’une délégation des
droits du créancier contre le «garant consommateur» que celui-ci devrait être
spécialement protégé par la règle communautaire. En principe, le délégué ne peut
effectivement pas opposer au délégataire les exceptions nées du contrat conclu avec
le délégant.
Bien que la règle de l’article 17 de la proposition de directive soit ainsi
dérogatoire à notre droit de la délégation, elle devrait être étendue dans la
disposition nationale de transposition. En effet, dans la mesure où l’exigence de
protection du «garant consommateur» face à un nouveau créancier ne saurait varier
en fonction de la qualité du créancier initial, l’opposabilité des exceptions devrait
être reconnue, que celui-ci ait ou non consenti du crédit dans l’exercice de ses
activités commerciales ou professionnelles.
906. Le délai de carence. La qualité du créancier pourrait être pareillement
indifférente dans le cadre de la protection du «garant consommateur» organisée par
l’article 23.2 de la proposition de directive. Ce texte dispose que « le prêteur ne peut
agir contre le garant que si le consommateur qui manque à son obligation de
rembourser le crédit ne s'y est pas conformé dans un délai de trois mois à partir de
la mise en demeure ». En ne permettant ainsi au prêteur de « s’adresser au garant
qu’après l’écoulement d’un délai de « carence » »1973, la Commission européenne
protège indéniablement les intérêts du «garant consommateur», sans toutefois
sacrifier ceux du créancier.
907. Les avantages du délai de carence. Le garant n’agissant pas dans un but
professionnel est protégé, puisqu’il ne peut être poursuivi dès qu’un incident de
paiement survient dans le contrat principal. Exiger que cet incident se consolide
pendant trois mois évite que le garant ne soit inquiété alors qu’il n’est pas encore
certain que le débiteur ne régularisera pas. Le délai de carence protège donc le
«garant consommateur» contre des poursuites inutiles1974.
Pour le créancier, ce délai de carence présente l’avantage de favoriser
l’exécution du contrat principal par le débiteur lui-même, puisqu’il laisse au garant
le temps de faire pression sur celui-ci ou de prendre des mesures à même de faire
cesser la défaillance.
Il convient de souligner que le délai de carence ne fait pas, à cet égard, double
emploi avec l’information du garant sur le premier incident de paiement du débiteur
principal non régularisé dans le mois de l’exigibilité, que pourrait imposer le régime
primaire des garanties personnelles1975. En effet, le «garant consommateur» ne
disposant que d’un pouvoir psychologique à l’encontre du débiteur, et n’étant pas
nécessairement au fait des mesures à prendre pour remédier à la carence de celui-ci,
il peut être utile d’ajouter à l’information un délai d’action.
Si les démarches accomplies par le garant pendant ce délai devaient demeurer
infructueuses, le statu quo de trois mois pourrait néanmoins se révéler profitable au
créancier, s’il permettait au garant d’organiser sa propre solvabilité.
908. Le champ d’application du délai de carence. Compte tenu de ses
bienfaits, tant à l’égard du garant que du créancier, le délai de carence pourrait voir
son champ d’application étendu dans la disposition nationale de transposition. Il
1973 Examen du dispositif relatif à l’article 23 de la proposition de directive. 1974 Il pourrait être objecté que cette protection peut se révéler perverse. En effet, comme
pendant le délai de trois mois les intérêts moratoires courent contre le débiteur principal, si
l’engagement du «garant consommateur» couvre ces accessoires, le respect du délai de
carence pourrait conduire à une augmentation du montant de l’obligation de règlement. En
réalité, la proposition de directive empêche cet effet pervers, puisque son article 23.3 exclut
de la couverture par un «garant consommateur» les intérêts moratoires dûs par le débiteur
principal. Sur cette disposition limitant l’étendue en montant de la dette du «garant
consommateur», cf. infra n°924 1975 Sur cette obligation d’information, cf. supra n°842
pourrait ainsi profiter à tout «garant consommateur», quelles que soient la qualité du
créancier, celle du débiteur, et la nature du contrat principal.
909. Les conséquences du non respect du délai de carence. Les
conséquences du non respect du délai de carence ne sont pas envisagées par la
proposition de directive. Le législateur français pourrait alors distinguer trois
hypothèses.
Tout d’abord, si le garant payait le créancier immédiatement après avoir été
informé de la défaillance du débiteur, sans attendre que l’incident de paiement ne se
soit consolidé pendant trois mois, et sans que le créancier ne l’ait mis en demeure, ce
paiement pourrait être considéré comme valable. Le «garant consommateur» ne
pourrait donc pas agir en répétition de l’indu contre le créancier. En revanche, à
condition d’avoir averti de ce paiement le débiteur principal, il pourrait exercer
contre celui-ci son recours en remboursement.
Ensuite, si le garant payait immédiatement le créancier, sans avoir été mis en
demeure, et sans en informer le débiteur principal, qui disposait de moyens pour
faire déclarer la dette éteinte, il pourrait perdre son recours contre le débiteur, mais
exercer, par contre, une action en répétition contre le créancier. Il s’agirait d’étendre
la solution de l’article 2031 alinéa 2 du Code civil.
Enfin, si le créancier ne respectait pas le délai de carence et mettait en demeure
le «garant consommateur» dès le premier incident de paiement du débiteur, ledit
garant pourrait agir en répétition des sommes versées et demander, le cas échéant,
des dommages et intérêts en réparation du préjudice occasionné par le paiement et
non couvert par la seule répétition. Dans cette même hypothèse, le garant pourrait
aussi ne pas répondre à la mise en demeure, sans risquer de sanction et, notamment,
sans que ne commencent à courir contre lui des intérêts moratoires.
A condition de nuancer de la sorte les conséquences à apporter au non respect
du délai de carence, ce délai imposé par le droit communautaire pourrait donc
constituer une protection du «garant consommateur» compatible avec l’objectif
d’efficacité des garanties personnelles.
910. L’interdiction de faire souscrire à un «garant consommateur» une
lettre de change, un billet à ordre ou un chèque de garantie. Après la défaillance
du débiteur principal, la proposition de directive du 11 septembre 2002 impose de
protéger le «garant consommateur» en le mettant à l’abri, non seulement des
poursuites du créancier pendant trois mois, mais encore des dangers qu’engendre la
souscription de certains titres. En effet, son article 18 alinéa 1er précise qu’« il est
interdit au prêteur ou au titulaire des créances résultant d’un contrat de crédit ou
d’un contrat de sûreté d’exiger du consommateur ou du garant, ou de proposer à
ceux-ci, de garantir, au moyen d'une lettre de change ou d'un billet à ordre, le
paiement des engagements qu'ils ont contractés en vertu dudit contrat ».
Pour se conformer à cette exigence communautaire, le législateur français
pourrait étendre le champ d’application de l’article L. 313-13 du Code de la
consommation, qui retient cette même prohibition à l’égard des emprunteurs ou
bénéficiaires d’un crédit à la consommation. Mais, comme cet article est déjà
particulièrement « hermétique »1976 et qu’il est souhaitable que toutes les règles
relatives aux garanties personnelles souscrites par un «garant consommateur» soient
regroupées, il devrait plutôt introduire cette nouvelle protection dans le Code civil.
Il devrait par ailleurs en faire profiter tous les «garants consommateurs»,
quelles que soient la qualité du créancier, celle du débiteur ou encore la nature du
contrat principal. Ces circonstances d’espèce sont en effet sans incidence sur la
rigueur des titres visés, qui résulte de l’inopposabilité des exceptions aux endosseurs
successifs.
En cas de non respect de l’interdiction d’utiliser la lettre de change ou le billet à
ordre, la sanction cambiaire de l’article L. 511-5 du Code de commerce pourrait
s’appliquer et emporter la nullité du titre. Le contrat de garantie personnelle lui-
même ne serait, en revanche, nullement affecté.
En son article 18 alinéa 2, la proposition de directive interdit également de faire
signer à un «garant consommateur» « un chèque garantissant le remboursement
total ou partiel du montant dû ». Cette prohibition peut s’expliquer par le fait que les
chèques de garantie sont reconnus valables, même si leur bénéficiaire est informé de
l’absence ou de l’insuffisance de la provision lors de l’émission1977, et ils sont en
tout état de cause payables à vue, par application de l’article L. 131-31 du Code
monétaire et financier1978. Aussi dangereux que les lettres de change ou billets à
ordre, mais pour des raisons différentes, les chèques de garantie pourraient être
interdits dans les mêmes conditions que ces autres titres et recevoir la même
sanction.
911. Plutôt que de laisser souscrire aux «garants consommateurs» des
engagements dont ils ne percevraient pas immédiatement les dangers et qu’ils
chercheraient ultérieurement à contester ou qu’ils seraient dans l’impossibilité de
respecter, le législateur pourrait en interdire a priori la signature. Au stade de la
formation de la garantie, cela pourrait se traduire par l’interdiction de faire souscrire
à un «garant consommateur» un engagement ne présentant pas un caractère
accessoire renforcé et, au stade de sa réalisation, par l’interdiction d’utiliser la lettre
de change, le billet à ordre et le chèque de garantie.
Le législateur pourrait également protéger les «garants consommateurs» en leur
faisant profiter de mesures qui compensent leurs faiblesses : l’information annuelle
sur le montant de la dette principale, pour combler le manque de connaissances sur
la situation financière du débiteur, et un délai de carence, pour conforter leur
pouvoir de nature seulement psychologique à l’encontre de celui-ci.
Parce qu’elles peuvent favoriser l’exécution par le débiteur lui-même ou celle
du garant, en raison d’une diminution du risque de contestation ou d’insolvabilité à
1976 Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, Instruments de paiement et de crédit. Effets de
commerce, chèque, carte de paiement, transfert de fonds, Litec, 2001, 4e éd., n°27 1977 Cass. com., 12 janvier 1993 : Bull. civ. IV, n°3 ; D. 1993, IR, p. 36 ; JCP 1993, éd. E., II,
425, note CABRILLAC 1978 Cass. com., 22 juin 1993 : Bull. civ. IV, n°265 ; D. 1993, Somm., 315, obs.
CABRILLAC ; Cass. com., 17 novembre 1998 : Bull. civ. IV, n°269 ; D. 1999, Somm., 148,
obs. CABRILLAC ; D. 1999, p. 304, obs. PIEDELIEVRE ; JCP 1999, II, 10226, note
GIBIRILA ; RTD civ. 1999, p. 165, obs. CROCQ ; RTD com. 1999, p. 165, obs.
CABRILLAC ; JCP 1999, I, 158, n°12, obs. SIMLER et DELEBECQUE ; Cass. com., 24
octobre 2000 : Bull. civ. IV, n°162 ; D. 2000, AJ, p. 417, obs. LIENHARD
l’échéance, ces protections profitant à tous les «garants consommateurs» pourraient
participer à la satisfaction des attentes des créanciers. A l’égard d’autres formes de
protection, en revanche, l’efficacité de la garantie conclue ne pourrait être préservée,
voire renforcée, que si ces protections n’étaient pas accordées à l’ensemble des
garants personnes physiques n’agissant pas dans un but professionnel, mais
seulement à ceux s’engageant sous seing privé.
B/ LES PROTECTIONS VARIABLES
SELON LA FORME DE LA GARANTIE PERSONNELLE
912. Les avantages de l’authentification. L’authenticité présente de
nombreux avantages, tant pour le garant que pour le créancier. A l’égard du premier,
la conclusion de la garantie devant notaire donne lieu à une information
personnalisée sur la nature et l’étendue de l’engagement, et donc sur les risques
encourus. En outre, le garant bénéficie du devoir de conseil du notaire, qui est
particulièrement étendu. A l’égard du créancier, l’authenticité rime avec sécurité et
efficacité. Effectivement, elle dispense de l’accomplissement d’autres formalités
probatoires ou validantes, elle rend inopérantes certaines contestations liées à la
compréhension de l’engagement, et elle procure au créancier un titre exécutoire1979.
913. L’objectif d’efficacité invite à favoriser l’authentification plutôt qu’à
l’imposer. Bien qu’elle présente de réels avantages, l’authentification ne devrait pas
être rendue obligatoire1980, car elle entraverait l’efficacité in concreto de la garantie
conclue. La simplicité, la rapidité et la quasi gratuité de la conclusion par acte sous
seing privé peuvent en effet faire l’objet d’attentes subjectives. Plutôt que d’imposer
l’authenticité, il serait donc préférable de laisser la liberté contractuelle présider au
choix de la forme de la garantie personnelle1981.
Cela ne devrait cependant pas empêcher le législateur d’encourager
l’authentification des garanties personnelles. A cet égard, le législateur pourrait faire
dépendre de la forme choisie certaines protections du «garant consommateur». Afin
d’éviter l’inefficacité qui pourrait résulter de la surprotection de ce garant, et en
considération de la protection que lui procure déjà l’obligation d’information et de
conseil du notaire, le législateur pourrait ainsi exclure l’application de certaines
mesures en présence de garanties passées par acte authentique.
1979 En vertu de l’article 3-4° de la loi du 9 juillet 1991, les actes notariés, revêtus de la
formule exécutoire, constituent des titres exécutoires. 1980 Lors du 81e Congrès des notaires de France, l’authenticité pour les cautionnements
supérieurs à 20000 F ou illimités a été vivement défendue. L’année suivante,
l’authentification du cautionnement fut encore au cœur des débats de ce Congrès (Nice 1986),
mais le vœu de la rendre obligatoire à l’égard de tous les cautionnements a été finalement
repoussé (cf. L. AYNES, Les garanties du financement, Rapport de synthèse au 82ème
Congrès des notaires, Defrénois 1986, article 33779, p. 909 et s., n°6).
J. CASEY (th. préc., n°479 à 490) a vivement soutenu l’obligation de passer par acte notarié
les cautionnements garantissant un emprunt immobilier et ceux, en matière mobilière,
dépassant un certain montant et souscrits par toute caution, à l’exception des cautions
intégrées. 1981 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, n°41
Tel pourrait être le cas du délai d’acceptation (1). C’est, par ailleurs, au sujet de
l’étendue de l’engagement du garant que pourraient différer le régime de la garantie
sous seing privé et celui de la garantie notariée1982. Plus précisément, les limitations
de cet engagement, en montant (2), et en durée (3), pourraient être uniquement
imposées dans le cadre des garanties sous seing privé. Pour échapper à ces
contraintes, les créanciers seraient incités à faire souscrire aux «garants
consommateurs» des engagements par acte authentique. Les intérêts des créanciers,
aussi bien que ceux des «garants consommateurs», s’en trouveraient plus sûrement
protégés.
1. Le délai d’acceptation
914. Les avantages du délai d’acceptation. La protection des «garants
consommateurs» s’engageant sous seing privé pourrait reposer sur le respect d’un
délai d’acceptation. Comme les connaissances de ces garants sur le contrat à
conclure sont fréquemment limitées et comme les relations affectives qu’ils
entretiennent avec le débiteur peuvent les conduire à s’engager trop rapidement et
légèrement, il serait utile d’imposer un temps de réflexion, préalable à la conclusion
définitive de la garantie. Le consentement du garant gagnerait en densité et la
sécurité des créanciers s’en trouverait renforcée, puisque les contestations du garant
relatives au défaut de compréhension de la nature et de l’étendue de l’engagement
perdraient de leur pertinence.
915. Le domaine d’application du délai d’acceptation. Le délai
d’acceptation existe en droit positif, mais son champ d’application est trop restreint.
Il profite, en effet, à la seule caution personne physique garantissant un crédit
immobilier consenti par un établissement de crédit (article L. 312-10 du Code de la
consommation). Le délai de réflexion pourrait être accordé, plus largement, à tout
«garant consommateur», quels que soient la nature du contrat principal et la qualité
du créancier, dès lors qu’il s’engage sous seing privé. Dans le cadre des garanties
conclues par acte authentique, comme les conseils fournis par le notaire renforçent
1982 L’étendue de l’engagement du garant au stade de la contribution à la dette pourrait être
concernée par cette distinction liée à la forme de la garantie. Plus exactement, l’information
du garant sur le caractère solidaire de son engagement pourrait ne pas être donnée dans les
mêmes conditions dans le cadre d’une garantie notariée et dans celui d’une garantie sous
seing privé. Dans le premier cas, cette information pourrait être fournie par l’officier
ministériel, sans que la loi n’en prescrive la forme. Au contraire, une mention manuscrite
relative à la solidarité pourrait être imposée dans les garanties personnelles souscrites sous
seing privé par un «garant consommateur». Le législateur pourrait ainsi remplacer les articles
L. 313-8 et L. 341-3 du Code de la consommation, qui se chevauchent inutilement, par une
disposition du Code civil, qui en reprendrait le principe, tout en en corrigeant les défauts.
Ainsi, le nouveau texte pourrait préciser la signification de la solidarité, mais aussi celle de
l’indivisibilité, qui l’accompagne fréquemment. Il pourrait également réparer une autre
omission en visant, outre la renonciation au bénéfice de discussion, la renonciation au
bénéfice de division. C’est surtout la sanction du défaut ou de l’irrégularité de la mention
manuscrite qui mériterait d’être modifiée. La nullité du cautionnement en son entier, que
retient aujourd'hui le Code de la consommation, est particulièrement attentatoire à l’efficacité
de cette garantie. Elle devrait être remplacée par la nullité de la seule clause de solidarité. Le
cautionnement solidaire se transformerait alors en cautionnement simple.
l’intensité du consentement du garant, aucun délai de réflexion ne devrait, en
revanche, être octroyé à ce dernier.
916. La sanction du non respect du délai d’acceptation. Afin que la
jurisprudence ne ruine plus l’efficacité du cautionnement conclu avant l’expiration
du délai de réflexion en prononçant sa nullité1983, le législateur pourrait prescrire une
sanction plus limitée, mais néanmoins dissuasive, à savoir la déchéance du droit aux
accessoires, « en totalité ou dans la proportion fixée par le juge ». L’article L. 312-
33 alinéa 4 du Code de la consommation retient déjà cette sanction dans l’hypothèse
où une offre de crédit immobilier est acceptée moins de dix jours après son
émission.
917. L’exclusion des délais de rétractation. La généralisation du délai
d’acceptation pourrait s’accompagner de l’exclusion de tout délai de rétractation. Le
droit de revenir sur un engagement déjà conclu étant plus attentatoire à la sécurité
juridique que le droit de réfléchir avant de consentir1984, et devenant superfétatoire
lorsqu’un délai d’acceptation est institué, la caution personne physique garantissant
un crédit à la consommation consenti par un établissement de crédit ne devrait plus
pouvoir se rétracter dans un délai de sept jours1985. Plus généralement, aucun «garant
consommateur» ne devrait se voir reconnaître le droit de revenir sur son
engagement. La proposition de directive du 11 septembre 2002 n’invite pas à une
autre solution, puisqu’elle impose le droit de rétractation au bénéfice du seul
consommateur, et non du garant1986.
2. Le montant de la garantie personnelle
918. Le montant de l’engagement du garant devrait faire l’objet d’un
traitement différencié selon la forme de la garantie personnelle. En droit positif,
la plupart des dispositions encourageant ou rendant obligatoire le cautionnement
limité en montant visent les engagements sous seing privé1987. Au contraire, la
proposition de directive du 11 septembre 2002 impose différentes limitations du
montant de l’engagement du «garant consommateur», sans distinguer selon la forme
du « contrat de sûreté ». Si le texte communautaire devait être adopté en l’état, il
1983 En ce sens, cf. Cass. 1ère civ., 30 mars 1994 : Bull. civ. I, n°130. Sur l’inefficacité
résultant de la sanction du formalisme informatif par la nullité du cautionnement, cf. supra
n°618 1984 En ce sens, cf. Ph. BRUN, Le droit de revenir sur son engagement, Droit et patrimoine
1998, n°60, p. 78 et s. ; J. CALAIS-AULOY et F. STEINMETZ, Droit de la consommation,
Dalloz, 2000, 5e éd., n°169 ; D. FERRIER, La protection des consommateurs, Dalloz, 1996,
coll. Connaissances du Droit, p. 39 1985 Ce droit de rétractation n’est pas expressément affirmé par le Code de la consommation,
mais il résulte de la lecture croisée des articles L. 311-2 et L. 311-15 de ce Code. 1986 Article 11 de la proposition de directive sur le crédit aux consommateurs. 1987 Les articles L. 313-7 et L. 341-2 du Code de la consommation visent expressément
l’engagement sous seing privé. L’article L. 341-5 du même code, qui oblige les créanciers
professionnels à choisir entre l’indétermination du montant et la stipulation de solidarité, ne
devrait concerner que le cautionnement notarié, puisque, dans le cas contraire, il serait en
contradiction avec l’article L. 341-2, qui prohibe le cautionnement d’un montant indéterminé.
Seul l’article 47-II alinéa 1er de la loi du 11 février 1994, qui impose le même choix aux
créanciers, ne distingue pas selon la forme du cautionnement.
contraindrait le législateur français à étendre ces restrictions aux garanties notariées.
Les protections du «garant consommateur» pourraient alors se transformer en
surprotections, qui nuiraient à l’efficacité des garanties conclues.
Compte tenu des critiques déjà essuyées par la proposition de directive au sujet
de cette absence de distinction1988, il est néanmoins probable que le texte
communautaire final ne couvrira pas les « contrats de sûreté » conclus par acte
authentique et qu’il ne fera donc pas apparaître les facteurs d’inefficacité dénoncés.
Nous allons donc envisager le traitement qui pourrait être réservé au montant de
l’engagement du «garant consommateur», d’une part, dans les garanties notariées,
d’autre part, dans les garanties sous seing privé.
919. Le montant des garanties personnelles notariées. Informés par le
notaire de la signification du caractère accessoire renforcé de la garantie
personnelle1989 et conseillés par lui sur l’opportunité de conclure un tel contrat au vu
de leur situation, les «garants consommateurs» peuvent accepter, en connaissance de
cause, de s’engager pour le montant réclamé par le créancier. En conséquence, sauf
à assimiler ces garants à des incapables, il conviendrait de donner plein effet à ce
consentement éclairé par les conseils du notaire. En matière de garantie notariée, la
règle pourrait donc être celle de la libre fixation du montant de l’engagement du
«garant consommateur». Ce dernier devrait donc pouvoir couvrir les dettes
déterminées ou seulement déterminables du débiteur par un engagement indéfini1990.
Si le législateur tirait toutes les conséquences de la protection du consentement
du garant qu’engendrent les conseils du notaire, il devrait admettre que cet
engagement indéfini puisse être en même temps solidaire. Cela devrait le conduire à
abroger l’article L. 341-5 du Code de la consommation, qui impose au contraire un
choix entre ces deux propriétés. L’efficacité des garanties notariées en serait
d’autant plus accusée.
1988 Lors de l’audition du 29 avril 2004 devant la Commission juridique du Parlement
européen, la CNUE a fait valoir qu’ « il est important que les contrats de crédit aux
consommateurs et les contrats de sûreté conclus sous la forme d’un acte authentique signé
devant notaire ou devant un juge soient exclus du champ d’application de la proposition de
directive ». Pour conforter cette proposition, la CNUE a souligné les inconvénients de
l’absence de distinction au regard des articles 6 (information réciproque et préalable et
obligation de conseil), 9 (prêt responsable), 11 (droit de rétractation), 19 (responsabilité
solidaire) et 30 (harmonisation totale et caractère impératif des dispositions de la directive) de
la proposition de directive. Elle a également fait valoir que la Commission européenne
n’allègue aucun fait permettant de justifier que les actes authentiques aient été exclus de la
directive 87/102/CEE et qu’ils ne le soient plus dans la proposition du 11 septembre 2002.
Elle a aussi mis en avant la protection des consommateurs et la sécurité des transactions
juridiques résultant de l’intervention d’un notaire. Enfin, la CNUE a souligné que l’exemption
des contrats passés en forme authentique devrait être retenue dans un souci de cohérence du
droit européen. En effet, le système d’exemption est celui adopté dans d’autres domaines du
droit communautaire, notamment celui du commerce électronique (articles 1 et 9 de la
directive 2000/31/CE). 1989 Sur l’interdiction de faire souscrire à un «garant consommateur» une garantie personnelle
ne présentant pas un caractère accessoire renforcé, cf. supra n°897 1990 Sur le régime de la garantie personnelle accessoire indéfinie, cf. infra n°982
920. La limitation obligatoire du montant des garanties personnelles sous
seing privé. Relativement au montant des garanties sous seing privé, le droit positif
pourrait être également sensiblement modifié. La réforme du droit des garanties
personnelles ne devrait pas remettre en cause l’obligation de déterminer le montant
de l’engagement sous seing privé, d’abord instaurée par l’article L. 313-7 du Code
de la consommation, puis étendue par l’article L. 341-2 du même code. En effet,
outre le fait que cette détermination peut constituer un facteur d’efficacité1991, elle
est aujourd'hui imposée par le droit communautaire, puisque l’article 10.3 de la
proposition de directive du 11 septembre 2002 exige que « le contrat de sûreté
mentionne le montant maximal garanti ». Cette disposition étant particulièrement
générale, elle pourrait autoriser le maintien pur et simple des articles précités du
Code de la consommation. La recherche de l’efficacité pourrait cependant conduire
à leur apporter plusieurs modifications.
921. Le champ d’application du plafonnement obligatoire. En premier lieu,
il conviendrait de redéfinir le champ d’application de l’obligation de plafonnement
du montant garanti, de manière à ce que soient visés les garants à l’égard desquels
l’indétermination du montant est la plus dangereuse. En l’occurrence, le principal
danger accompagne l’engagement indéfini couvrant une dette seulement
déterminable, et il consiste dans l’imprévisibilité de la somme pouvant être réclamée
au garant. Dans la mesure où cette somme ne peut être réellement imprévisible que
lorsque le garant ne dispose pas d’un pouvoir de contrôle, voire de direction, à
l’encontre du débiteur principal, la protection pourrait ne bénéficier qu’aux garants
non intégrés dans les affaires de celui-ci. Afin que l’obligation de déterminer le
montant de l’engagement sous seing privé cesse d’être une surprotection à l’égard
des garants qui ont le pouvoir d’influer sur l’évolution de la dette principale, elle ne
devrait donc plus concerner l’ensemble des garants personnes physiques, mais
seulement les «garants consommateurs».
Elle pourrait, par contre, continuer à ne s’appliquer qu’aux créanciers
professionnels, car ce sont les principaux distributeurs de crédit d’un montant
indéterminé.
Plutôt que de modifier en ce sens les articles L. 313-7 et L. 341-2 du Code de la
consommation, il serait préférable d’abroger ces deux dispositions, qui se
chevauchent inutilement, et de les remplacer par un seul texte, dans le Code civil.
L’article 47-II alinéa 1er de la loi du 11 février 1994 devrait alors être
également abrogé, car l’alternative entre le caractère solidaire et le caractère indéfini
du cautionnement, par une personne physique, des dettes professionnelles d’un
entrepreneur individuel, n’aurait plus aucun sens si les garanties sous seing privé
souscrites par un «garant consommateur» devaient obligatoirement comporter un
plafond et si le montant des garanties conclues par les autres garants personnes
physiques devait relever de la liberté contractuelle.
922. La mention manuscrite du montant de l’engagement du garant. En
deuxième lieu, le nouveau texte du Code civil pourrait continuer à exiger que le
montant garanti figure dans une mention manuscrite, afin que ce montant ne soit pas
1991 Sur la détermination du montant de l’engagement du garant comme facteur favorisant
l’exécution de celui-ci, cf. supra n°72
noyé au milieu des clauses dactylographiées et ne risque, ce faisant, d’être occulté
par le garant.
En revanche, la mention manuscrite pourrait être présentée uniquement à
titre d’exemple et non constituer, comme aujourd'hui, la seule formule devant être
recopiée par le garant. L’abandon de ce formalisme très pointilleux pourrait éviter
une libération injustifiée du garant.
923. La couverture des accessoires de la dette principale ne devrait pas
être subordonnée à leur mention manuscrite. En troisième lieu, des modifications
devraient être apportées au sujet des dettes couvertes par le garant. Les articles L.
313-7 et L. 341-2 du Code de la consommation précisent que le montant inscrit par
le garant couvre « le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des
pénalités ou intérêts de retard ».
Tant l’objectif d’efficacité, que le caractère accessoire renforcé de
l’engagement souscrit par le «garant consommateur», invitent, au contraire, à ne pas
imposer une évaluation a priori des accessoires et à faire peser ceux-ci sur le garant
dès que le corps de l’acte de garantie, imprimé ou dactylographié, y fait référence.
Lors de la réforme du droit des garanties personnelles, il serait donc souhaitable que
le législateur, comme le fait la Cour de cassation depuis plusieurs années dans le
cadre de la mention de l’article 1326 du Code civil1992, cesse de subordonner la
couverture des accessoires à la mention manuscrite du montant garanti.
Le droit communautaire ne saurait empêcher cette modification du droit positif.
En effet, si l’article 23.3 de la proposition de directive du 11 septembre 2002 dispose
que « le montant garanti ne peut porter que sur le solde restant dû du montant total
du crédit et sur tout arriéré dû en vertu du contrat de crédit », il n’exige pas que les
intérêts et frais éventuels, constitutifs de cet « arriéré »1993, soient mentionnés de la
main du garant pour être couverts. Le droit communautaire autorise, par conséquent,
une réforme concernant le formalisme entourant la couverture des accessoires et il
va rendre nécessaire, par ailleurs, une réforme au sujet de la nature des accessoires
garantis.
924. L’interdiction de couvrir les pénalités et frais d’inexécution dûs par
le débiteur principal. Le même article 23.3 de la proposition de directive précise,
en effet, que le montant garanti ne peut porter sur « toute autre indemnité ou
pénalité prévue par le contrat de crédit ». Le garant ne devrait donc plus pouvoir
s’engager à couvrir « toute forme de pénalité ou frais d’inexécution » imposés au
débiteur1994.
Grâce à cette exclusion, le délai de carence imposé par l’article 23.2 ne risque
pas de produire un effet pervers à l’encontre du «garant consommateur», puisque
pendant les trois mois suivants la mise en demeure infructueuse du débiteur
1992 Sur l’efficacité du cautionnement résultant de la jurisprudence relative à la preuve d’un
engagement exprès de la caution, cf. supra n°444-449 1993 Examen du dispositif relatif à l’article 23.3 de la proposition de directive. 1994 Dans l’examen du dispositif relatif à l’article 23.3 de la proposition de directive, la
Commission européenne ajoute que « ces frais dûs en principal par le consommateur peuvent
se limiter à ce montant si le garant exécute immédiatement ses obligations. En effet, il serait
anormal que le garant paie pour des pénalités additionnelles causées par l’inexécution par le
consommateur de ses obligations ».
principal, les intérêts moratoires vont certes courir à l’encontre celui-ci, mais ne
pourront augmenter la dette du garant.
L’exclusion des accessoires visés par la proposition de directive conforte, en
outre, une solution que nous avions préconisée au sujet de la sanction du défaut
d’information du garant sur le premier incident de paiement du débiteur principal
non régularisé dans le mois de l’exigibilité, à savoir l’abandon de la déchéance des
pénalités ou intérêts de retard1995. Cette sanction n’aura, en effet, plus d’objet
lorsque le législateur français aura transposé la règle communautaire interdisant la
couverture de ces accessoires.
925. La mention des frais d’inexécution dûs par le «garant
consommateur». Il convient de remarquer que la Commission européenne a
spécialement insisté sur le fait que l’exclusion des frais et pénalités liés à
l’inexécution ne doit jouer qu’à l’égard de la défaillance du débiteur. Par
conséquent, « si le garant tarde dans l’exécution de ses propres obligations, le
prêteur pourra lui réclamer des intérêts de retard et des pénalités additionnelles
calqués sur le montant garanti et impayé »1996. Simple application du droit commun,
cette règle ne devrait pas donner lieu à une disposition spéciale.
Par contre, pour se conformer à l’article 10.3 de la proposition de directive, le
législateur devrait préciser que les frais d’inexécution ne pourront être réclamés au
«garant consommateur» qu’à la condition que le contrat de garantie les ait
mentionnés1997.
926. Les sanctions des règles relatives au montant des garanties
personnelles sous seing privé. En quatrième et dernier lieu, des précisions
devraient être apportées au sujet du non respect des règles relatives à la
détermination du montant de l’engagement sous seing privé souscrit par le «garant
consommateur».
Tout d’abord, si une mention manuscrite précise n’était fournie qu’à titre
d’exemple dans le nouveau texte, seul le défaut pur et simple de mention devrait être
sanctionné, et non une simple irrégularité formelle. La nullité pourrait être conservée
pour son caractère dissuasif, mais le législateur devrait préciser son caractère relatif,
1995 Cette déchéance est actuellement imposée par les articles L. 313-9 et L. 341-1 du Code de
la consommation et 47-II alinéa 3 de la loi du 11 février 1994.
Sur l’obligation d’information portant sur la défaillance du débiteur, qui pourrait figurer dans
le régime primaire des garanties personnelles, et sa sanction, cf. supra n°842 1996 Examen du dispositif relatif à l’article 23.3 de la proposition de directive.
Rappelons que le retard du «garant consommateur» ne peut être constaté qu’à l’expiration du
délai de carence de trois mois. Ce n’est donc qu’à compter de cette date que les intérêts
moratoires peuvent commencer à courir à son encontre. Sur les conséquences du non respect
du délai de carence, cf. supra n°909 1997 L’article 10.3 de la proposition de directive se contentant d’indiquer que « le contrat de
sûreté mentionne le montant maximal garanti ainsi que les frais d’inexécution selon les
modalités visées au paragraphe 2, point e) », la couverture de ces frais ne devrait pas être
subordonnée à leur insertion dans une mention manuscrite. Ils pourraient seulement être visés
dans le corps de l’acte de garantie, imprimé ou dactylographié.
afin de tarir le contentieux né du silence des textes actuels sur ce point1998, et afin de
permettre la régularisation1999.
Ensuite, le non respect de l’interdiction de couvrir les pénalités et intérêts de
retard dûs par le débiteur ne devrait pas être sanctionné par la nullité du contrat de
garantie en son entier. Seule la clause stipulant cette couverture pourrait être réputée
non écrite. Comme cette nullité partielle ne présente pas un caractère suffisamment
dissuasif, elle pourrait être complétée par la déchéance de tous les autres accessoires
de la dette principale.
927. Pour éviter la surprotection des «garants consommateurs», le législateur
pourrait donc confiner l’obligation de déterminer le montant dû par le garant dans
les engagements souscrits sous seing privé et modifier, en outre, le droit positif
relatif à cette obligation, quant à son champ d’application, son étendue par rapport
aux accessoires, et sa sanction. Toujours dans l’optique de préserver l’efficacité des
garanties conclues par des «garants consommateurs», la durée de leur engagement
pourrait également faire l’objet d’un traitement différencié selon que cet engagement
est souscrit sous seing privé ou devant un notaire.
3. La durée de la garantie personnelle
928. La durée des garanties personnelles notariées. Dans les garanties
passées par acte authentique, la durée de l’engagement du garant pourrait être
librement déterminée par les parties. Le garant s’engageant pour une durée
indéterminée devrait être informé par le notaire de la faculté de résiliation
unilatérale. Cette faculté devrait ensuite lui être rappelée chaque année par le
créancier dans la lettre lui indiquant l’encours de la dette principale2000.
929. La mention manuscrite de la durée de la garantie personnelle sous
seing privé. Dans le cadre des garanties conclues sous seing privé par un «garant
consommateur», la liberté contractuelle pourrait, par contre, demeurer exclue, au
profit de l’exigence d’une mention manuscrite de la durée de l’engagement du
garant. Une nouvelle disposition du Code civil, se substituant aux articles L. 313-7
et L. 341-2 du Code de la consommation2001, pourrait imposer cette limitation de la
durée de l’obligation de couverture. La modification du droit positif en ce domaine
ne devrait pas s’arrêter là, car la proposition de directive sur le crédit aux
consommateurs impose deux règles nouvelles relativement à la durée du « contrat de
sûreté ».
1998 Sur l’inefficacité résultant des obscurités par omission du droit du cautionnement, cf.
supra n°523-535 1999 Sur l’inefficacité résultant de l’impossibilité de régulariser ou de ratifier des défauts
formels, cf. supra n°622-625 2000 Sur l’obligation d’information annuelle de tous les «garants consommateurs» sur le
montant de la dette principale, cf. supra n°900-904 2001 Les articles L. 313-7 et L. 341-2 du Code de la consommation interdisent les
cautionnements à durée indéterminée souscrits par une personne physique au profit d’un
créancier professionnel, en exigeant que la caution fasse précéder sa signature de la mention
manuscrite de la durée de son engagement.
930. Une durée limitée à trois ans lorsque la garantie personnelle sous
seing privé couvre une dette à durée indéterminée. L’article 23.1 du texte
communautaire précise qu’ « un garant ne peut conclure un contrat de sûreté
garantissant le remboursement d’un contrat de crédit à durée indéterminée que
pour une période de trois ans ».
La Commission européenne justifie ce plafond en relevant qu’ « un garant n’a
souvent qu’une vue momentanée sur la solvabilité du consommateur. Exiger de lui
une sûreté « à vie » doit être considéré comme hors de proportions avec ses intérêts
et risque de le conduire vers l’endettement »2002.
Cette dernière justification semble peu pertinente, dans la mesure où le risque
d’endettement excessif est déjà conjuré par les contraintes imposées aux créanciers
sur le fondement du principe de « prêt responsable »2003, par les règles relatives aux
risques financiers supportables par une personne physique2004, mais aussi par la
limitation du montant de l’engagement du garant.
Pour justifier le plafonnement de la durée de l’obligation de couverture
souscrite par un «garant consommateur», il est préférable de s’attacher à deux autres
considérations. D’une part, les connaissances de ce garant en matière de crédit ne
sont généralement pas assez solides pour lui permettre de faire des projections à
long terme sur l’évolution de la dette principale. D’autre part, les relations affectives
entre le garant et le débiteur principal, qui sont la « cause » de l’obligation de
couverture du premier, peuvent s’émousser avec le temps et rendre intolérable le
maintien de l’engagement pendant une très longue durée.
Compte tenu de ces justifications, le plafonnement imposé par l’article 23.1 de
la proposition de directive pourrait être imposé dès qu’un «garant consommateur»
s’engage sous seing privé à couvrir les dettes nées d’un contrat à durée
indéterminée, quelles que soient la nature de ce contrat, la qualité du débiteur et
même celle du créancier2005.
931. La sanction du non respect des règles relatives à la durée de la
garantie personnelle sous seing privé. L’extension du champ d’application de
l’obligation de déterminer la durée de l’engagement du garant2006 pourrait se
concilier avec l’objectif d’efficacité si le non respect de cette obligation n’emportait
pas la nullité de la garantie. Pour que les attentes des créanciers ne soient pas
anéanties, il conviendrait d’abandonner la sanction des articles L. 313-7 et L. 341-2
du Code de la consommation. A défaut de mention manuscrite de la durée de
l’engagement du garant ou dans l’hypothèse où la durée stipulée serait supérieure à
trois ans, le garant pourrait être tenu du seul montant de la dette principale au jour de
2002 Examen du dispositif relatif à l’article 23.1 de la proposition de directive. 2003 Sur ces contraintes, cf. supra n°852-856 2004 Cf. supra n°884-888 2005 Si les crédits d’un montant indéterminé sont l’apanage des créanciers professionnels, tel
n’est pas le cas des contrats à durée indéterminée. Le contrat de bail en fournit l’illustration.
Par conséquent, si la limitation du montant de l’engagement du «garant consommateur» ne
devrait être imposée qu’en présence d’un créancier professionnel, le plafonnement de la durée
de l’engagement de ce garant pourrait, au contraire, être indifférent à la qualité du créancier. 2006 Le champ d’application proposé est plus large que celui imposé par la proposition de
directive, mais aussi que celui des actuels articles L. 313-7 et L. 341-2 du Code de la