-
1
UNIVERSIT DE GRENOBLE
THSE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE LUNIVERSIT DE GRENOBLE Spcialit : Mouvement et
Comportement pour la sant et lAutonomie
Arrt ministriel : 7 aot 2006
Prsente par
Yohann FORTUNE
Thse dirige par Jean SAINT-MARTIN et Pierre KAHN
prpare au sein du Laboratoire SENS (E.A. 3742) dans l'cole
Doctorale I.S.C.E.
LCOLE SUR LES CHEMINS DU STADE
Lathltisme scolaire et son enseignement en France dans le second
degr : entre mise en conformit du sport dans lducation physique
scolaire et
enculturation sportive de la jeunesse (1941-1967)
Thse soutenue publiquement le 6 dcembre 2012,
devant le jury compos de :
M. Michal ATTALI MCF HDR en STAPS, Universit de Grenoble I,
Membre
M. Jacques DEFRANCE PU en STAPS, Universit de Paris X Nanterre,
Rapporteur
M. Pierre KAHN PU en Sciences de lducation, Universit de Caen,
Membre
M. Luc ROBNE PU en STAPS, Universit de Rennes II, Rapporteur
M. Andr ROBERT PU en Sciences de lducation, Universit de Lyon
II, Membre
M. Jean SAINT-MARTIN MCF HDR en STAPS, Universit de Grenoble I,
Membre
M. Thierry TERRET PU en STAPS, Universit de Lyon I, Membre
Universit Joseph Fourier / Universit Pierre Mends France /
Universit Stendhal / Universit de Savoie / Grenoble INP
-
2
-
3
Rsum Constitu dun ensemble dpreuves de marches, de courses, de
sauts et/ou de
lancers, lathltisme vise la ralisation de performances
maximales, mesures selon une
chelle de temps ou despace et sexprimant dans un contexte
comptitif rglement. Que
reste-t-il de toutes ces caractristiques ds lors quelles passent
au tamis de lcole ? En quoi
et comment se transforment-elles sous leffet des contraintes
institutionnelles, pdagogiques
et didactiques inhrentes celle-ci ? Sur la base de ces
questionnements, lobjectif de cette
recherche sinscrit dans la dtermination des processus
sous-jacents et des enjeux relatifs
limplantation et la diffusion de lathltisme dans lcole. Entre
1941 et 1967, les acteurs du
monde scolaire, fdral, politique et culturel saccordent pour
rendre lactivit conforme
lorthodoxie scolaire. En ce sens, lathltisme de lcole nest
jamais quun support ducatif
particulier, la fois singulier et pluriel, rvlant davantage la
culture de linstitution laquelle
il appartient que celle du milieu associatif civil. Il sert un
double projet : celui dune
enculturation sportive de la jeunesse et celui dune mise en
conformit du sport lcole.
Tandis que le premier rpond un modle essentiellement comptitif
et slectif, revendiqu
par les acteurs fdraux, le second consolide la reconnaissance et
lintgration institutionnelle
de lducation physique, chres aux enseignants. En consquence,
nous mettons lhypothse
que cest par lintermdiaire dun appui privilgi sur lathltisme que
lcole du second degr
prend les chemins du stade et tend diffuser auprs des lves, une
image de la pratique
sportive la fois singulire et paradoxale, relevant de cinq
grands enjeux : des enjeux
idologiques, institutionnels, disciplinaires, docimologiques et
culturels.
Mots cls Athltisme, ducation Physique, Enculturation, Enjeux,
Scolarisation.
Summary Made up of a group of walking, running, jumping and/or
throwing events,
athletics aims for the production of measured and maximal
performances according to a space
or time scale which takes place in a competitive and controlled
context. But what does remain
of those characteristics when they encounter school ? In which
and how do they change under
the effect of institutional, educational and didactic pressures
? On the basis of those
questionings, the point of this research is to establish the
underlying process and the stakes
related to the installation and the spread of athletics at
school. Between 1941 and 1967 the
operators of the school, federal, political and cultural world
agree to make the activity comply
with the educational orthodoxy. In this sense, athletics is
nothing but a specific educational
back-up and it reveals more the culture of the institution to
which it belongs than the one of
the civil associative environment. Athletics has got a double
goal : first the youth's sports
enculturation and second the conforming of sport at school. The
first one answers a mainly
competitive and selective example, claimed by the federal
players whereas the second one
secures the institutional acknowledgement and integration of the
physical education that
teachers are fond of. Consequently, we suggest that high school
takes up sport through a
privileged support based on athletics and strives for the spread
of a different and paradoxical
image of the sports practice, belonging to five important issues
which are ideological,
institutional, disciplinary, docimological and cultural.
Keywords Athletics, Physical Education, Enculturation, Issues,
Schooling.
-
4
-
5
Remerciements
Ces pages reprsentent bien plus quune somme de quatre annes de
travail. Elles sont le rsultat dun
ensemble de rencontres, de partages, dinfluences et damours qui
jalonnent la vie dun homme. Si ma
personnalit rejaillit sans doute leur dtour, elles sont aussi
marques par toutes celles et ceux sans
qui je naurais jamais pu les crire. Que de chemin parcouru
depuis cette premire paire de chaussures
pointes, trenne (et trs vite use !) sur le bitume indformable
dun trottoir. lpoque, je ne
savais pas encore que les pistes dathltisme taient faites dun
matriau spcial ! Depuis, les chemins
du stade se sont heureusement claircis. vous tous et vous toutes
qui avez permis cela, soyez-en
chaleureusement remercis
Sverine, Oscar et XX, les deux et bientt trois rayons de soleil
de ma vie. Le chemin fut long
et difficile mais votre prsence mes cts a rendu les choses bien
plus douces.
David, Pascale et leur canap sudois, sans qui cette thse naurait
tout simplement jamais pu
voir le jour. Je ne vous remercierai jamais assez pour a !
Jean Saint-Martin et Pierre Kahn, pour mavoir guid dans ce
travail sans jamais me
contraindre et pour avoir toujours rpondu mes sollicitations.
Grce vous, les subtilits de la
recherche sont devenues un peu moins obscures. Merci pour votre
clairvoyance et vos conseils aviss
qui mont aid progresser.
Messieurs Jacques Defrance et Luc Robne, pour avoir accept dtre
les rapporteurs de cette
thse malgr des dlais assez courts. Merci galement Messieurs
Michal Attali, Andr Robert et
Thierry Terret davoir bien voulu faire partie des membres du
jury.
Je remercie aussi Christine Bertrand et Jean-Pierre Heuzard pour
mavoir ouvert les portes des
archives de la bibliothque de luniversit de Caen et du CREPS
dHoulgate. Merci Philippe Leynier
pour son aide matrielle et Jean-Pierre Cleuziou pour avoir fait
preuve de patience devant mon
ignorance au sujet des subtilits statistiques des tables de
cotations. Michal Attali, Jean Saint-Martin,
Robert Rongy, Pierre Trouillon, Robert Vaussenat, Nicole
Letessier et Monique Letessier, pour
mavoir ouvert les portes de leurs archives ou de leur
mmoire.
Mes collgues, qui ont su tre comprhensifs et avec qui cest un
rel plaisir de
travailler (Jean-Baptiste, Claude, Herv, Jean-Marc, Emmanuel,
Frdric). Merci aussi Catherine
Garncarzyk et au conseil scientifique de luniversit de Caen pour
mavoir accord une dcharge de
service, qui ma permis de mener ce travail dans de meilleures
conditions.
Mes amis, mes formateurs ou entraneurs, pour avoir compt dans ma
vie, tout
simplementMonsieur Le Duff, Robert Le Jolu, Jean-Yves Paulic,
Herv Gicquel, Daniel Laigre,
Christian Flix, Claude Daireaux, Greg, Mathieu et tous les
autres !
Un remerciement tout fait spcial Alain Droguet, dont jai crois
la route au tout dbut de
ce travail. Toi, le pape de lathltisme rennais, breton, mondial
et intersidral !!! Je suis certain que
tu en aurais eu des choses dire sur ce sujet.
Enfin, je remercie mes parents, pour mavoir toujours laiss la
libert de suivre le chemin sur
lequel jai eu envie de mengager. Ce travail est aussi le rsultat
de lducation que jai reue.
-
6
-
7
Cest ce que nous pensons dj connatre qui nous empche souvent
dapprendre .
Claude BERNARD.
Ce qui constitue, pour ainsi dire, lidal de lexplication dans
les sciences sociales, cest de
retrouver simultanment les intentions des acteurs et le mcanisme
par lequel les acteurs ont
construit un monde diffrent de celui quils avaient lintention de
construire .
Raymond ARON, Leons sur lhistoire.
Oublions ces examens qui agissent comme des aimants pernicieux
en orientant les efforts
vers la " russite ". En ralit, ils ne sont que des vnements
anecdotiques, de peu
d'importance ct de l'enjeu essentiel : construire cet outil
fabuleux qu'est notre
intelligence .
Albert JACQUARD, Petite philosophie l'usage des non -
philosophes.
Un noir et un blanc, cest la mme chose, sauf quil y en a un qui
court plus vite .
Coluche, Penses et anecdotes.
-
8
-
9
TABLE DES MATIRES
INTRODUCTION 17
I.1. Un athltisme scolaire chahut. 17
I.2. Aux origines taient les sports athltiques . 27
I.2.1. Un athltisme entre sports et jeux.. 27
I.2.2. Athltisme et athltisme scolaire : tentative de
dfinition.. 30
I.3. 1941-1967 : lge dor de lathltisme scolaire. 32
I.3.1. Lorigine institutionnelle du dcret du 26 mars 1941 33
I.3.2. Le virage de 1967. 36
I.4. Lathltisme lcole ou le choc des cultures.. 39
I.4.1. La culture saccorde au pluriel 40
I.4.2. Entre acculturation et enculturation 42
I.4.3. Les cultures sportives 44
I.4.4. La culture scolaire. 47
I.5. Au carrefour de plusieurs histoires.. 52
I.5.1. Une histoire culturelle. 53
I.5.2. Une histoire institutionnelle. 55
I.5.3. Une histoire du sport et de lducation physique .. 59
I.6. Revue de littrature.. 60
I.6.1. Lapproche anthropologique du geste athltique 60
I.6.2. Les approches technologiques. 62
I.6.3. Histoire de lentranement et histoire de lathltisme
fminin.. 64
I.6.4. Historiographies diverses et varies 67
I.6.5. Lathltisme et lcole : naissance dune idologie . 68
I.7. Lcole sur les chemins du stade 71
I.8. Lathltisme scolaire et ses enjeux. 73
-
10
I.9. Corpus et mthodologie. 79
CHAPITRE 1 DES ENJEUX IDOLOGIQUES
Lathltisme la conqute de lcole : se farder pour mieux
sduire..
85
1. Des Hommes et des Dieux 89
1.1. Lathltisme au temple dOlympie.. 89
1.2. Hbertisme et Athltisme : vrais ou faux jumeaux
?.............................................. 95
2. Lathltisme est dcrt sport de base 107
2.1. Aux origines dun concept tenace.. 107
2.2. Limpulsion de Vichy. 109
2.3. la poursuite dun idal 112
2.4. Une minorit peu entendue 117
3. Nat-on athlte ou le devient-on
?............................................................................
121
3.1. Lathltisme ne fait pas crdit.. 121
3.2. Quand le don chasse leffort. 127
3.3. Un sport complet 133
4. Relve toi et marcheplus vite, plus haut, plus loin
!............................................ 138
4.1. Lathltisme au service du redressement national 138
4.2. On narrte pas le progrs
!...................................................................................
146
5. Des atouts prcieux pour des conditions denseignement
difficiles.. 155
5.1. Le sport de peu. 155
5.2. Des verdicts sans appel 162
Conclusion.. 167
-
11
CHAPITRE 2 DES ENJEUX INSTITUTIONNELS
Officialiser la pratique de lathltisme lcole : un soutien
politique permanent
169
1. Le Front Populaire : embryon dune politique en faveur de
lathltisme 172
2. Le temps de limposition (1941-1944). 175
2.1. Un rgime rtrograde.. 175
2.2. Lpuration rate de lcole. 178
2.3. Former lhomme daction patriote 180
2.4. Premires actions en faveur de lathltisme scolaire.. 183
2.4.1. Lathltisme dans les IO de 1941.. 183
2.4.2. Lathltisme au sanctuaire du baccalaurat. 191
3. nos actes manqus ! (1945-1958). 196
3.1. La France renat de ses cendres. 196
3.2. Lcole de la IVme
Rpublique : le changement sans la rforme .. 199
3.3. Bilan dune politique sportive en demi-teinte. 204
3.4. Lathltisme au rang des priorits 208
3.4.1. Lathltisme scolaire officiel : rupture ou continuit
?....................................... 208
3.4.2. Relancer lathltisme national.. 215
4. Le temps de la rcolte (1959-1967).. 223
4.1. La France prend son envol 223
4.2. Quand les rformes prennent forme 227
4.3. Quand lEP devient sportive. 230
4.4. Lathltisme scolaire au filtre de la sportivisation..
234
4.4.1. Un volontarisme paradoxal : entre contrainte et
consentement 234
4.4.2. Lathltisme dans les programmes officiels.. 237
4.4.3. Lathltisme obligatoire au baccalaurat. 248
Conclusion.. 255
-
12
Chapitre 3 DES ENJEUX DISCIPLINAIRES
Vers une typologie des savoirs athltiques scolaires
257
1. Des acteurs au cur des dbats sur la dfinition des savoirs
athltiques scolaires.. 259
1.1. Maurice Baquet (1897-1965) : lathltisme au service du
dressage corporel.. 259
1.2. Jean Vivs (1921-1999) : un athltisme entre hritage
hbertiste et mthodes actives.. 265
1.3. Pierre Sprecher (1921-2003) : pour la dfense dun athltisme
complet 272
1.4. Auguste Listello : le jeu dabord la technique ensuite
!....................................... 276
2. Quand les institutions prennent le relais.. 280
2.1. La FFA et lathltisme des enfants : une proccupation mineure
mais pas dlaisse... 280
2.1.1. Un athltisme du contrle, du redressement et de la
dtection. 280
2.1.2. Robert Bobin et le tournant fdral sur lathltisme de
lenfant 283
2.2. CNMA, INS et ENSEP : le cas des coles de cadres.. 285
2.2.1. Le CNMA : une question de routines. 285
2.2.2. LINS et la valorisation dun athltisme plus convivial.
288
2.2.3. LENSEP et lintellectualisation des savoirs athltiques.
292
2.3. En queue de peloton, dautres sessoufflent : le cas de la
LFEP. 298
3. De la mise en forme des savoirs leur justification.. 302
3.1. Des savoirs athltiques compatibles avec linstitution
scolaire 302
3.2. Vers les Eldorados athltiques : le cas des exemplarits
trangres 304
3.2.1. Athltismes dici et dailleurs : le mythe de ltranger..
304
3.2.2. Puiser les savoirs athltiques scolaires au-del des
frontires : mirage ou ralit ?..... 307
3.3. Lexcellence technique du champion : une forme de savoir
savant pour lEP ?........ 312
3.4. La science au secours du discours technique.. 317
4. lcole rien de nouveau
!...................................................................................
322
4.1. Le jeu face des mthodes pdagogiques au parfum de
naphtaline.. 322
4.2. Quand lathltisme des filles reste sur la touche 328
Conclusion 331
-
13
Chapitre 4 DES ENJEUX DOCIMOLOGIQUES
De la ncessit dvaluer
333
1. Athltisme et valuation scolaire : conditions favorables pour
une rencontre 336
1.1. Les alas de lvaluation : une donne nouvelle prendre en
compte.. 337
1.2. Athltisme et mesure de la valeur physique : le poids des
traditions.. 342
1.3. La comptition : un nouvel espace pour le contrle des
rsultats. 347
1.4. Quand le manque dunit jette le discrdit sur les enseignants
dEP 352
2. La table Letessier : loutil de la synthse entre notation et
athltisme. 359
2.1. Les tables de cotation : une ncessit pour juger lathlte
complet.. 360
2.2. La table Letessier : une affaire de familles
?...........................................................
363
2.2.1. Jean Letessier (1921-1984) : linstigateur.. 363
2.2.2. Pierre Letessier (1925-1996) : lhomme de lombre.. 366
2.2.3. Le groupe dtude n5 : la seconde famille.. 368
2.3. Un outil de promotion de lathltisme scolaire.. 371
3. Au service dune normalisation de lEP scolaire. 374
3.1. Outil scientifique ou empirique
?...........................................................................
375
3.2. La consignation des rsultats : quand lathltisme sert de
marqueur 383
3.3. Vers une homognisation des preuves et des barmes dEP aux
examens scolaires.. 392
3.4. La mort annonce du Brevet Sportif Populaire 401
3.4.1. Du brevet dhygine au brevet sportif : une lente
transformation (1937-1959).. 401
3.4.2. La table Letessier au chevet du BSP : un acte manqu ?
(1959-1967). 408
Conclusion. 419
Chapitre 5 DES ENJEUX CULTURELS
Entre lcole et le club
421
1. Une lite tricolore inconstante.. 425
1.1. Aveu de faiblesse (1941-1945). 426
1.2. Des lendemains qui chantent et qui dchantent (1946-1958)..
430
1.3. Le temps du renouveau ? (1959-1967) 434
1.4. Au tableau des mdailles. 438
-
14
2. Lcole et le club unis pour conqurir la masse
?..................................................... 442
2.1. Lcole : une usine champions
?.........................................................................
443
2.2. Un passage de tmoin difficile entre lcole et le club
446
2.3. Une politique dcomplexe : Maurice Herzog et la voie de la
synthse.. 455
3. Entre massification et slection : le cas des preuves
dathltisme de lOSSU. 460
3.1. Le cross-country ou la belle cole dun athltisme de masse.
461
3.1.1. Une discipline aux multiples vertus ducatives.. 461
3.1.2. Les challenges du nombre : une vitrine pour lOSSU 467
3.2. Pour un champ de prospection tendu : lexemple des coupes de
la jeunesse.. 475
3.2.1. Quand la FFA marque le pas et que lOSSU dcolle. 475
3.2.2. Des coupes passes au lifting 479
3.3. Tout le monde court, saute et lance : les triathlons de
lOSSU 483
3.3.1. Promouvoir lathltisme complet pour mieux slectionner
483
3.3.2. Quand les triathlons scolaires font mieux que ceux de la
FFA 490
Conclusion.. 493
CONCLUSION GNRALE . 495
BIBLIOGRAPHIE. 509
SOURCES.. 531
PRINCIPAUX SIGLES UTILISS... 551
LISTE DES ANNEXES 555
-
15
-
16
-
17
INTRODUCTION
I.1. Un athltisme scolaire chahut
Par la note de service n2002-131 du 12 juin 20021 portant sur
lvaluation de
lducation Physique et Sportive (EPS) aux baccalaurats de
lenseignement gnral et
technologique, lathltisme scolaire subit une mutation sans
prcdent. Le texte fixe une liste
nationale dpreuves sur laquelle figurent des disciplines
athltiques jusqualors inconnues du
monde fdral, car non inscrites dans les programmes officiels des
grands championnats. Pour
la premire fois, les jeunes scolaires vont devoir se confronter
des preuves indites qui
nexistent qu lcole : parmi elles, le 3x500m, le 2x150m haies et
le pentabond2. Au nombre
des acteurs lorigine de cette rupture, Alain Soler3, enseignant
lUFR STAPS de
Montpellier, fait partie des membres du groupe dexperts EPS
charg de rdiger les nouveaux
programmes des lyces. cette occasion, il se penche sur lanalyse
des solutions techniques
proposes aux lves et rflchit la nature des situations auxquelles
il convient de les
confronter pour que ceux-ci dveloppent les comptences dfinies
par les Instructions
Officielles (IO) ou tmoignent de leur matrise. Les preuves
labores sont ainsi censes
rvler la mobilisation de lensemble des acquisitions vises,
c'est--dire la fois les
connaissances techniques et tactiques, les connaissances sur soi
et les savoir-faire sociaux.
Mais la rupture impulse par la publication de ce texte nest pas
sans provoquer quelques
ractions, parfois vives, de la part de certains enseignants. En
effet, les nouvelles propositions
sont critiques et les reproches sorientent principalement dans
deux directions. Tandis que
les premiers tendent contester les modalits dvaluation telles
que les dfinit le rfrentiel
1 Bulletin Officiel de lducation Nationale (BOEN) n25 du 20 juin
2002, Annexe 2, pp.1694-1699.
2 Drives du 1.500m, du 400m haies et du triple-saut, ces preuves
ne sont pas inscrites au registre des preuves
officielles de lathltisme fdral. Elles sont donc exclusivement
pratiques dans le cadre de lducation
physique scolaire et nont pas vocation tre inscrites dans les
programmes des grands championnats. 3 Triple-sauteur licenci
l'Association Sportive Universitaire Perpignanaise, Alain Soler
entre lUnit
dEnseignement et de Recherche dducation Physique et Sportive de
Montpellier en 1979. Titulaire du
Certificat dAptitude au Professorat dEPS (1983) puis de
lagrgation (1991), il enseigne tout dabord au
collge Paul Langevin dAvion, dans le Pas-de-Calais. Au cours de
cette priode, il est associ la recherche de
lInstitut National de Recherche Pdagogique (INRP) pour
lathltisme et devient membre de la commission
nationale de rflexion sur lenseignement de lEPS en classes
prprofessionnelles de niveau et en classes
prparatoires lapprentissage. En 1989, il intgre lUFR STAPS de
Montpellier, o il assure depuis les cours
dathltisme et prpare les tudiants au CAPEPS, concours dans
lequel il a t plusieurs fois membre du jury. En
1994, dans le cadre dun Diplme dtudes Approfondies, il participe
des travaux de recherche en analyse de
lenseignement, occasion pour lui de se pencher sur la
connaissance des contenus ports par des enseignants
spcialistes et non spcialistes de lathltisme. Il travaille
paralllement sur l'enseignement des techniques
sportives et analyse la permanence des approches technicistes en
EPS.
-
18
national, les seconds portent plutt sur la nature mme des
preuves inscrites au programme.
La mise en place dun athltisme scolaire en rupture vis--vis de
son homologue fdral ne
semble donc pas faire lunanimit auprs des professeurs.
Peu ou pas convaincus par la logique docimologique sous-tendant
ces disciplines
insolites, nombreux sont ceux qui en contestent dabord le sens,
au regard de la finalit mme
de lathltisme, c'est--dire de la capacit produire, dans un
environnement codifi, des
performances maximales en diminuant le temps ou en augmentant
lespace. Contrairement
la stricte logique fdrale, elles ont pour ambition dvaluer non
seulement la capacit courir
plus vite, sauter plus haut ou lancer plus loin, mais aussi
lensemble des progrs physiques
et techniques, rsultats de linvestissement durant les leons
dEPS. Pour servir cette
ambition, des modalits particulires dvaluation sont labores. Au
3x500m par exemple,
les lves doivent annoncer les performances vises pour chacune
des trois courses, une partie
de la note tant alloue lcart entre le projet annonc et les temps
effectivement raliss.
Sur les vingt points de la note finale, douze sont affects au
temps cumul des trois courses,
six concernent lcart au projet4 et deux portent sur la mise en
uvre de lchauffement et de
la rcupration5 (Annexe 1). Dans ce cas, cest la perte de points
engendre par un temps rel
trop largement infrieur ou suprieur au projet initial qui est
conteste. Car un lve effectuant
chacun de ses trois 500m cinq secondes trop vite par rapport ses
prvisions cumule un cart
celles-ci de quinze secondes et se voit noter 1.8/6, soit autant
quun lve les ayant
parcourus cinq secondes trop lentement. Que le candidat aille
trop vite ou pas assez par
rapport aux temps viss, la sanction est la mme : la note baisse
! Puisquen athltisme, nul ne
court jamais trop vite pourvu quil franchisse la ligne darrive,
lincohrence saute aux yeux
et suscite le mcontentement. Les autres preuves6 tant organises
selon des principes
similaires, les enseignants affrontent mal la ncessit de devoir
diminuer la note dun lve
dont les performances samliorent. La condamnation de la rforme
est vive et, de manire
sous-jacente, pose des questions essentielles. Les nouvelles
modalits dvaluation ne vont-
elles pas lencontre des principes fondamentaux de lathltisme ?
Permettent-elles llve
daccder toute la richesse dun vritable vcu athltique ? Dans
quelle mesure sont-elles
susceptibles de rpondre aux normes imposes par lcole et de
russir lacculturation
sportive des jeunes ? Les dbats sont pres et les avis
tranchs.
4 Le projet quivaut au temps cumul des trois courses. Il est
annonc par llve avant de dbuter lpreuve.
Plus lcart est grand en-de ou au-del des temps prvus et plus la
note diminue. 5 Lenseignant juge si la mise en uvre de lchauffement
et de la rcupration est cohrente par rapport
lpreuve. 6 Pentabond, course de haies, lancer de javelot, saut
en hauteur et lancer de poids.
-
19
Pour Catherine Desbois, enseignante dEPS Montpellier, il sagit
de dnoncer la
perversit du mode dvaluation dfini pour le pentabond, dans
lequel les lves se lancent
dans des calculs pour obtenir ces points []. Pour moi,
lathltisme doit rester une activit
de performance, pas une activit de calcul pour obtenir une note
7. Il en va de mme chez
Anne Levard, qui considre les modalits dvaluation gnratrices de
stratgies de petit
gagnant, de calculateur []. Depuis que jai vu des terminales
viser sans lan au poids
ou au pentabond pour surtout ne pas perdre les points de
lamlioration lie llan, jai
arrt de proposer ces preuves 8. Quoique partisans 9, ces
tmoignages rvlent pourtant
que le contenu de la note de service du 12 juin 2002 ne fait pas
lunanimit auprs du corps
enseignant. Initiateur du projet, Alain Soler prend lui aussi
ses distances vis--vis des choix de
la commission nationale dvaluation, jugeant que ses
prescriptions nont pas t
suffisamment suivies et que les nouvelles preuves ne remplissent
pas les cinq
caractristiques indispensables toute bonne certification :
faisabilit, accessibilit tous les
lves, prise en compte de la performance, de la matrise de
lexcution et des qualits
physiques amliorables durant les cours, apprciation des
comptences dfinies par
linstitution et respect de la logique de lActivit Physique et
Sportive (APS)10
. Sur ce point,
les disciplines utilises dans les comptitions fdrales ne sont
pas un modle incontournable.
Au contraire, ce nest pas seulement pour sadapter aux
caractristiques du public scolaire, ni
pour tenir compte des objectifs ducatifs de dveloppement de la
personne mais aussi,
paradoxalement, pour mieux transmettre la culture de lathltisme,
que la pratique scolaire de
ce sport doit ncessairement prendre des formes diffrentes de
celles en vigueur dans le
champ fdral. Tel est en tout cas le point de vue dfendu par
Alain Soler pour expliquer
combien les nouvelles preuves dathltisme du baccalaurat ne sont
pas, quoiquon en dise,
contre-culturelles11
.
Le souffle de la critique retomb, une question majeure reste
malgr tout pose :
comment donner envie aux lves de pratiquer lathltisme dans le
cadre de lEP scolaire, tout
en leur permettant dapprendre, mais aussi tout en respectant
lessence de lactivit ? Sous
7 Desbois, Catherine, Un trio en triathlon , Contrepied, n19,
octobre 2006, p.3.
8 Levard, Anne, Lesprit combinard , Contrepied, n19, octobre
2006, pp.12-14.
9 Organe du centre national dtudes et dinformation EPS &
socit, la revue Contrepied constitue une tribune
pdagogique pour le Syndicat National des professeurs dEPS
(SNEP). En ce sens, elle a tendance diffuser un
discours militant. 10
Soler, Alain, Regard sur lvaluation certificative en EPS , EPS,
n301, mai-juin 2003, pp.24-28. 11
Au triple-saut, il montre quun lve optant pour une stratgie de
deux sauts relis par un pas de rquilibrage
peut trouver l, dans le cadre dune pratique scolaire rduite, une
faon acceptable de sen sortir et de sauter
assez loin, pourvu quil possde les qualits physiques
suffisantes. Mais en ralit, cet lve contourne le
problme de lactivit. Le pentabond, en incluant deux sauts
supplmentaires, ne rend pas cette stratgie efficace
car elle est nettement moins avantageuse sur le plan de la
performance. Du coup, cela oblige llve rpartir
quitablement ses bonds, ce qui nest pas forcment le cas en
triple-saut.
-
20
leffet de quelques arrangements indispensables pour viter
certains comportements
inappropris12
, la note de service n2007-137 du 2 aot 200713
corrige le tir et redfinit les
modalits dvaluation de lexamen. Ainsi, lpreuve du 3x500m
attribue-t-elle dsormais
quatorze points au temps cumul des trois courses et six points
lcart au projet des temps
annoncs, mais pour les deux premires courses seulement (Annexe
2). La nuance est de taille
puisquen plus de savoir respecter un projet de course sur les
deux 500m initiaux
(connaissance de soi), llve doit aussi chercher amliorer sa note
en se surpassant sur le
troisime (performance), ntant plus alors contraint par une
limite de temps susceptible de la
lui faire baisser. Ralentir sa course nest donc plus une
stratgie payante et, sous couvert de
quelques ajustements, le nouveau texte incite une expression
simultane de lensemble des
comptences dfinies par les programmes. Ainsi, en course de haies
par exemple, llve doit
la fois franchir les obstacles plus efficacement, sy ajuster en
adaptant ses foules et
maintenir la vitesse de course. Selon Michel Pradet, il est
impensable dimaginer un
traitement non articul de ces trois axes lors de lintervention
de lenseignant. Isoler les
problmes de franchissement de ceux relatifs lajustement aux
obstacles na aucun sens.
Tout comme il est insens de sparer les aspects techniques et
nergtiques, qui contribuent
accrotre lefficacit dans lpreuve 14. En notant la fois le
meilleur temps (8 points), la
performance cumule des deux courses (8 points) et lcart au
projet (4 points), la nouvelle
mouture du 2x150m haies engage, elle aussi, au respect de ces
prrogatives (Annexe 3).
Bien que la note de service de 2002 prsente quelques
imperfections, on peut
nanmoins stonner de voir merger un second type de critique,
portant cette fois-ci non pas
sur les modalits dvaluation, mais contestant plutt la nature des
preuves proposes.
Labsence dancrage fdral du pentabond, du 3x500m et du 2x150m
haies heurte la
susceptibilit des puristes 15
et provoque le rejet de ces preuves se situant hors du
registre
athltique traditionnel que reprsente le programme olympique
(Annexe 4). Tout cela
napparat donc pas conforme au modle suggr par lathltisme
orthodoxe. Mais alors, dans
quelle mesure ces oppositions sont-elles recevables de la part
denseignants qui sont souvent
les premiers se plaindre de la confusion opre entre EPS et sport
fdral16
? La frontire
12
Des lves sobligent ainsi ralentir en course ou sauter moins loin
pour augmenter leur note. 13
BOEN n31 du 6 septembre 2007, pp.1708-1714. 14
Pradet, Michel & Soler, Alain, La course de haies en
situation, Paris, Revue EPS, 2004. 15
Soler, Alain, op.cit., 2003. Comme le souligne Alain Soler, bien
que ces critiques soient largement relayes
par certains enseignants, elles nont jamais fait lobjet dune
quelconque argumentation srieuse, ni daucune
publication. On reste donc ici dans la sphre dune dnonciation
anonyme et diffuse. 16
Pradet, Michel, Passer des apparences la performance ,
Contrepied n19, octobre 2006, pp.89-90. La
rflexion de Michel Pradet illustre trs bien ce point de vue : ce
qui est paradoxal chez nombre denseignants
dEPS, cest que dans le mme temps o ils disent vouloir se dtacher
des APSA et du modle de la haute
performance, ils ont tendance exiger de leurs lves des gestes
techniques qui ne peuvent sappliquer ou ntre
-
21
entre les deux territoires est soumise de vives tensions et pour
Alain Soler, cest bien l que
le problme se pose. Ce nest donc pas un hasard sil milite en
faveur de loriginalit et de
lauthenticit des formes scolaires de lathltisme, au travers
dpreuves indites, adaptes
aux ressources des lves et susceptibles de leur faire vivre de
rels mois athltiques17
. En
effet, les diffrences entre lcole et le club sont telles que,
dune manire gnrale, il est
surprenant de constater combien nous peinons admettre la prsence
de dcalages entre les
formes scolaires et les formes fdrales de la pratique de
lathltisme. Car cest au contraire
une absence de diffrences entre ces deux formes de pratique qui
devrait interroger, et qui
aurait pu et d nous troubler depuis fort longtemps dj 18.
Pourquoi les enseignants dEPS
proposeraient-ils les mmes preuves que les entraneurs des
associations sportives civiles,
alors mme que les profils des pratiquants sont si dissemblables,
que ce soit en termes de
motivations (pratique subie vs pratique volontaire), de niveaux
(dbutants vs confirms), ou
bien encore daspirations et de prdispositions physiques
(htrognit vs homognit) ?
Pourquoi les contenus seraient-ils identiques alors que les
conditions de la pratique (horaires,
formes de groupements des lves, matriel, infrastructures) et la
formation des cadres sont
si diffrentes19
? Autrement dit, partir du moment o il semble peu probable de
voir un
enseignant dEPS organiser une sance de volley-ball en 6x6 ou de
football 11x11 pour des
enfants de 6me
dbutant dans lactivit, pourquoi alignerait-il alors ces mmes
lves sur un
50m haies rglementaire, respectant strictement les hauteurs
dobstacles et les intervalles de
lpreuve fdrale benjamins-benjamines20
? En quoi le pentabond serait-il moins
reprsentatif de lathltisme que le triple-saut ? Pourquoi le
2x150m haies ne serait-il pas
mieux adapt que le 400m haies pour confronter les lves la
logique dune course de
vitesse prolonge avec obstacles ? Lenjeu est de taille, puisquil
sagit ici de confronter
llve lessence mme des activits athltiques, c'est--dire ce qui
fait leur richesse. En
efficaces que pour des athltes de haut niveau. Ils vont par
exemple critiquer un 3x500m ou un pentabond parce
que ces preuves ne respectent pas les pratiques sociales de
rfrence que sont le 1.500m ou le triple saut,
tout en affirmant bien haut que lEPS nest pas du sport. Cest
parfois un peu incomprhensible . 17
Soler, Alain, Linvitable originalit et lindispensable
authenticit des formes scolaires de la pratique de
lathltisme , in Roger, Anne (sous la dir.), Regards croiss sur
lathltisme, Montpellier, AFRAPS, 2006,
pp.17-25. 18
Id. On notera nanmoins quil existe une diffrence profonde entre
le premier moi des enseignants dEPS
portant sur le paradoxe dune logique scolaire de lvaluation
contraire la logique sportive de la pratique
athltique, et le second moi, portant quant lui sur des pratiques
scolaires non reconnues comme preuves
officielles par la FFA. 19
Pour Alain Soler, les cours dEPS dans les collges et lyces sont
encadrs par les meilleurs enseignants, mais
dont certains connaissent mal et napprcient pas beaucoup
lathltisme. linverse, les clubs disposent des
meilleurs entraneurs, majoritairement spcialistes des activits
athltiques dans lesquelles ils entranent, mais
pas forcment polyvalents. 20
En athltisme, un lve en ge dtre en classe de 6me
est normalement dans la catgorie benjamins-
benjamines (12-13 ans). Pour cette catgorie, lpreuve fdrale de
rfrence en course de haies est le 50m haies,
avec une hauteur dobstacle 0.76m et un intervalle inter-obstacle
de 7.50m.
-
22
effet, si lon souhaite garder une chance de satisfaire lexigence
ducative de
transmission culturelle, il convient de faire en sorte que les
formes scolaires de la pratique de
lathltisme soient porteuses de ce qui dfinit fondamentalement
cette discipline sportive et de
ce qui est essentiel dans chacune des diverses spcialits qui la
composent []. Ce nest pas
la ressemblance des formes de la pratique qui importe mais bien
davantage la similitude des
expriences athltiques vcues. Entre analogie de forme et
dexprience, cest la seconde qui
doit primer 21.
Si lathltisme est sujet dbat lintrieur mme de lcole, il lest
galement au sein
de linstitution qui en rgit lorganisation sur le territoire
national. De son ct, la Fdration
Franaise (FFA) se proccupe en effet dune certaine mise lcart de
la part du monde
scolaire et dplore quil soit moins souvent programm en EPS. Pour
Jean-Paul Bourdon et
Charles Gozzoli, la fois enseignants et responsables de la
formation au sein de la FFA et de
lIAAF22
, mettre disposition de tous les enfants des formes de pratique
adaptes est
lenjeu majeur de lathltisme daujourdhui. Sans cette dmarche, le
premier des sports
olympiques ne sera plus, dans quelques dcennies, quun sport
spectacle organis tous les
quatre ans 23. Pour ces responsables de lathltisme franais
impliqus dans les relations
avec le milieu scolaire24
, lactivit semble donc connatre une crise sans prcdent,
victime
non seulement de la concurrence dAPS mergentes, la fois
vectrices de nouvelles
sensations et redfinissant la gographie des espaces de
pratiques25
, mais galement coupable
de navoir pas su se renouveler et sadapter aux volutions des
jeunes publics, faute de stre
trop focalise sur llite. Et si lathltisme fdral devient un
vritable cimetire de jeunes
talents 26, le systme scolaire et lEPS sont, quant eux,
directement accuss davoir conduit
lrosion du potentiel physique et moteur des jeunes enfants
27
en dtournant ces derniers
vers des activits juges moins exigeantes au plan nergtique. En
filigrane, ces propos posent
non seulement le problme du choix des activits supports en EPS,
mais sous-entendent
galement que lathltisme disposerait de vertus particulires pour
solliciter efficacement
les ressources motrices. Certaines APS seraient-elles donc plus
lgitimes que dautres pour
21
Soler, Alain, in Roger, Anne (sous la dir.), op. cit., 2006,
pp.21-22. 22
International Association of Athletics Federations. 23
Bourdon, Jean-Paul & Gozzoli, Charles, Lathltisme ducatif,
Toulouse, Savoir Gagner, 2006, p.9. 24
Ils sont galement chargs des relations entre la FFA et le
ministre de lducation nationale. 25
Bessy, Olivier & Hillairet, Dieter (sous la dir.), Les
espaces sportifs innovants. Tome 2 : Nouvelles pratiques,
nouveaux territoires, Voiron, Presses Universitaires du Sport,
2002. 26
Bourdon, Jean-Paul & Gozolli, Charles, op. cit., 2006, p.23.
Les auteurs font le constat que sur les 80 garons
et filles qualifis en minimes la comptition des pointes dor
(preuve fdrale constituant lantichambre
des preuves combines et rserve aux meilleurs jeunes), 40% sont
encore licencis la FFA deux ans aprs et
30% seulement quatre ans aprs. Dautre part, deux ans aprs leurs
exploits, douze filles et dix garons
seulement sont classs parmi les trente meilleurs dune discipline
athltique. 27
Ibid., p.11.
-
23
figurer dans les programmations des tablissements ? Au nom de
quels principes lathltisme
devrait-il possder une place de choix dans les enseignements
dEPS ? Connat-il lcole un
rel dclin, ou nassiste-t-on pas plutt leffondrement dun systme
de valeurs infondes,
ayant depuis longtemps consist le rendre incontournable ? Et
surtout, dans quelle mesure
lcole peut-elle saccommoder de ce discours fdral sans y inscrire
sa propre empreinte ?
En tous les cas, force est dadmettre que les liens entre la FFA
et le ministre de
lducation nationale (MEN) sont aujourdhui tenaces et quils sont
la preuve dune relle
volont dchange et de partage entre les deux institutions. Depuis
les annes 1980 au moins,
des protocoles daccord sont mme signs afin de faire valoir une
certaine permabilit des
comptences. Comme le stipule le journal Le Monde du 2 fvrier
1984, la FFA et lUNSS
ont sign, le 31 janvier, une convention pour le dveloppement de
lathltisme dans le milieu
scolaire afin de permettre une meilleure dtection des talents
28. Bien dautres suivront,
jusqu celle du 25 mai 2010 (Annexe 5), dernire en date,
linitiative de Luc Chatel
(Ministre de lducation nationale), Bernard Amsalem (Prsident de
la FFA), Laurent
Ptrynka (Directeur de lUNSS) et Jean-Michel Sautreau (Prsident
de lUSEP), dans laquelle
les signataires entendent, de manire conjointe, [] renforcer les
pratiques diverses de
lathltisme 29 plusieurs niveaux : EPS obligatoire, activits
sportives priscolaires,
journes mondiales de lathltisme lcole, semaine nationale du
cross, etc. Comme en
1984, la dimension de llite nest pas oublie puisque les
dirigeants sengagent aussi
promouvoir et dvelopper les sections sportives scolaires
athltisme 30, antichambres du
sport de haut niveau. Malgr cette apparente continuit, une
diversification des objectifs
apparat pourtant. Avec laval des diffrents corps dinspection
(IGEN, IA-IPR dEPS, IEN),
les cadres fdraux sont par exemple encourags produire et
diffuser une documentation
pdagogique, ainsi qu faire peser leur expertise auprs des
enseignants dEPS non
spcialistes31
, notamment par le biais des stages de formation continue : afin
de complter
les connaissances techniques de son personnel et dtayer les
mthodes pdagogiques
utilises, les autorits comptentes du ministre solliciteront pour
des actions de formation,
inscrites au plan acadmique de formation, des cadres dsigns par
la FFA 32. En outre, si
les tablissements le souhaitent, ils peuvent faire appel aux
clubs locaux pour quils leur
28
Puyo, Jean-Paul, Lducation physique au baccalaurat, Thse de
doctorat, Universit de Bordeaux II, 1984,
p.61. 29
Convention FFA-MEN du 25 mai 2010, p.2. 30
Ibid., p.3. 31
ce titre, on retiendra les universits dt de la FFA, plusieurs
fois consacres lathltisme dans
lenseignement primaire et secondaire, ainsi que le DVD produit
par la FFA et intitul Plante athl jeunes.
Celui-ci sadresse la fois aux entraneurs, ducateurs et
enseignants. Il propose une conception de lathltisme
pour les jeunes avec les progressions pdagogiques qui en
dcoulent. 32
Convention FFA-MEN du 25 mai 2010, p.3.
-
24
viennent en aide sous la forme de prts ou de dons en matriel et
quipement adapts. Au-del
de lensemble des documents administratifs publis, la convention
un club, un collge 33 et
le dossier daccompagnement ducatif 34 viennent ici accrditer la
thse dune volont
politique dans la promotion de lathltisme lcole en lien avec les
clubs, que ce soit par le
truchement dun apport logistique, dun renfort humain ou dun
soutien pdagogique.
Ce flash sur le prsent montre que si les rflexions voluent, et
si certaines pesanteurs
sattnuent avec le temps, les dbats que portent les acteurs
scolaires et fdraux nen restent
pas moins centrs sur la question des rapports entre sport et EP.
De ce point de vue, quoi que
lon exprimente, quoi que lon propose, la rfrence au modle du
haut niveau apparat la
fois inluctable et insurmontable. Mais sagit-il de copier ou de
transposer les pratiques
sociales de rfrence dans lenceinte scolaire en adaptant
simplement les poids des engins,
les distances de course ou la hauteur des obstacles, ou faut-il
au contraire inventer pour eux
des preuves nouvelles et originales leur permettant de sinvestir
et de ressentir les mmes
sensations, les mmes motions que les champions ? 35. La cration
dpreuves strictement
scolaires permet-elle de dpasser lobstacle dnonc par Frdric
Baillette, affirmant
qu entre le sport de lenfant et le sport de ladulte, entre le
sport du dbutant et celui du
champion confirm, entre le sport de lcole et celui des clubs
civils, la diffrence nest pas de
nature mais tout au mieux de degr 36 ? En tous les cas, la
premire interrogation pose peut
surprendre, tant on pourrait douter du bien fond de lide quelle
porte en elle. Bien que le
champion soit souvent pris en exemple, en quoi les sensations et
les motions quil ressent
valent-elles la peine dtre vcues par llve ? Si tant est quelles
soient accessibles, en quoi
cela peut-il constituer une finalit ducative pour lEPS ? Et
surtout, lorsque lon connat la
multitude des conduites dviantes parfois lies la pratique du
sport de haut niveau, on est en
droit de se demander de quelles sensations et de quelles motions
il sagit ? Nest-il pas alors
plus fondamental de savoir quelles conditions peuvent-ils [les
lves] se faire plaisir et
avoir envie de poursuivre lexprience ? Quel sens donner leur
activit pour quils
acceptent de sy investir en dveloppant leur motricit ? 37.
Toute la problmatique qui merge ici, travers les contradictions
et oppositions
manant des corps enseignant et fdral, porte en ralit sur la
question de lathltisme tel
33
http://www.athle.com/asp.net/main.pdf/pdf.aspx?path=/pdf/athle_jeunes/convention_club_college.pdf
(page
web consulte le 16 mars 2012). 34
http://www.athle.com/asp.net/main.pdf/pdf.aspx?path=/pdf/athle_jeunes/Accompagnement-Educatif.pdf
(page
web consulte le 16 mars 2012). 35
Roger, Anne (sous la dir.), Regards croiss sur lathltisme,
Montpellier, AFRAPS, 2006, p.15. 36
Baillette, Frdric, Sport ou ducation physique ? , Les sciences
de lducation pour lre nouvelle,
CERSE, Universit de Caen, 1990, pp.137-156. 37
Roger, Anne (sous la dir.), op.cit., 2006, p.15.
-
25
quil est utilis et transform par lcole. En quoi athltisme
scolaire et athltisme fdral
sont-ils la fois diffrents et similaires ? Le savoir athltique
transmis dans les classes se
distingue-t-il compltement, peu ou pas du tout de celui dispens
dans les clubs ? Pour Alain
Soler, la rponse est limpide : les formes scolaires de la
pratique de lathltisme ne peuvent
se confondre avec les formes fdrales []. Nest-il pas trange que
les preuves fdrales
puissent tre utilises ltat brut, c'est--dire sans autres
adaptations que de surface, telles
que celles concernant les distances de courses, la hauteur des
obstacles, ou le poids des
engins, pour valuer en EPS les comptences dune population
adolescente pour le moins
singulire et profondment diffrente de la population des
adolescents licencis dans les clubs
dathltisme ? 38. Autrement dit, si les deux ne peuvent se
confondre, cest non seulement
parce que les publics auxquels ils sadressent ne possdent pas
les mmes caractristiques,
mais cest aussi et surtout parce que lathltisme scolaire reste
soumis aux exigences de
linstitution laquelle il appartient. Lcole de la Rpublique
impose ses lois, ses rgles, ses
codes. Elle soumet le savoir qui slabore en dehors delle aux
filtres de ses horaires, de ses
capacits dencadrement, de ses programmes et de ses finalits,
mais galement celui des
impratifs lis lvaluation. Cest ainsi que lathltisme tel quil est
pratiqu dans les classes
nest pas seulement transform ou adapt. Il est avant tout une
pratique singulire. Et mme
sil est cens garantir le maintien dune certaine reprsentativit
culturelle vis--vis de son
homologue fdral pour y tre lgitime, une ressemblance trait pour
trait nest pas imprative.
Lpreuve propose doit simplement respecter la logique de lAPS sur
laquelle elle se fonde,
peu importe la forme quelle prend. Ainsi, les disciplines
fdrales ne sont pas un modle
incontournable pour lEP scolaire : un lve fait de lathltisme
lorsquil cherche, dans un
milieu rglement, exprimer le maximum de ses possibilits
physiques et techniques, pour
raliser la meilleure performance possible, lui permettant de se
comparer lui-mme et aux
autres. Pour cela, il nest pas forcment ncessaire, ni mme
parfois souhaitable, quil se
confronte aux preuves fdrales actuelles 39. Un pentabond nest
donc pas ncessairement
contre-culturel, en ce sens que son dimorphisme ne le rend pas
inappropri pour confronter
llve au sens profond dun saut athltique. Au contraire, cest
justement parce quil est
adapt aux caractristiques des lycens et construit pour rpondre
aux spcificits de ces
derniers que ses concepteurs peuvent en revendiquer la lgitimit
au sein de lcole.
Au regard de ce qui vient dtre dvelopp, lathltisme scolaire
semble donc
aujourdhui connatre une double crise. La premire concerne la
perte de sa prminence
parmi les activits enseignes aux lves. Au traditionnel triptyque
gymnastique / athltisme /
38
Soler, Alain, in Roger, Anne (sous la dir.), op. cit., 2006,
p.18. 39
Soler, Alain, op.cit., 2003, p.27.
-
26
natation, longtemps dominant, tentent de se substituer dautres
supports, tels que les Activits
Physiques de Pleine Nature (APPN)40
, les sports de raquettes41
ou autres activits
dexpression42
. Sous leffet conjugu dune remise en cause du modle comptitif
traditionnel
et de lmergence de nouvelles formes de pratiques souhaites par
les jeunes, les contenus
changent progressivement, rinterrogeant les certitudes sur ce
quil tait jusqualors jug
indispensable de proposer pour une juste formation physique et
sportive de lenfant. Ce
phnomne, renforc par un meilleur quipement des lieux dvolution
et une formation plus
htroclite des enseignants en matire dAPS, pousse ainsi de
nouvelles activits venir
concurrencer les courses, sauts et lancers au sein des
programmations. Quant la seconde
crise, elle concerne la remise en cause des contenus athltiques
traditionnellement enseigns.
Les nouvelles preuves et modalits dvaluation apparues laube des
annes 2000
bouleversent en effet les codes dune tradition athltique
scolaire implante depuis longtemps.
Or, comme le montrent les travaux mens par Thierry Terret,
Genevive Cogrino et Isabelle
Rogowski43
, cette crise suppose de lathltisme scolaire nest absolument pas
fonde,
plusieurs tudes confirmant mme que lactivit jouit toujours dune
place centrale dans les
leons44
. Lorigine de cette apparente faillite proviendrait alors
davantage dun branlement
40
Escalade, course dorientation, VTT, etc. 41
Le badminton est aujourdhui une activit trs largement programme
en EPS. 42
Danse, acrosport, arts du cirque, etc. 43
Terret, Thierry, Cogrino, Genevive & Rogowski, Isabelle,
Pratiques et reprsentations de la mixit en EPS,
Paris, Revue EPS, 2006. Pour les auteurs, tous les travaux
raliss depuis la fin des annes 1970 mettent en
vidence le fait que les sports dits de base (athltisme,
natation, gymnastique et les principaux sports
collectifs) constituent quasiment la moiti des activits
enseignes dans le second degr (p.103). Ltude
ralise montre que lathltisme est la premire activit enseigne
dans tout le secondaire, sans prciser pour
autant quelles en sont les disciplines les plus programmes. Il
fait ainsi partie de ce que les auteurs appellent la
catgorie des APSA dominantes, c'est--dire les plus enseignes
(avec le volley-ball, la gymnastique, le
badminton, le handball et le basket-ball). Dans tout le second
degr, de la 6me
la terminale, en passant par les
classes de BEP, CAP et baccalaurat professionnel, lathltisme
occupe entre 12% et 19% des enseignements
dEPS selon les niveaux de classes (12% pour le minimum en
6me
, jusqu 19% au maximum en terminale et
2me
anne de BEP). 44
Plusieurs tudes abondent en ce sens. Nous en recensons cinq,
publies entre 1980 et 2000. Ainsi, Jacques
Crevoisier et Guy Vernet, ( Les matires enseignes en EPS ;
Rsultats dune enqute dans lacadmie de
Besanon , EPS, n166, novembre-dcembre 1980, pp.8-10), par une
analyse quantitative effectue au mois de
juin 1978, montrent que lensemble athltisme, gymnastique et
sports collectifs reprsente 85% des activits programmes. Pour ce
qui concerne la pratique sportive scolaire (UNSS), l encore,
athltisme (39%) et sports
collectifs (53%) sont ultra majoritaires puisque le pourcentage
de programmations passe 92%. Nanmoins, les
auteurs notent galement un important dcalage entre pratique
scolaire et pratique civile pour ce qui concerne
lathltisme. Alors que lactivit est largement programme en EPS et
en AS, elle ne reprsente que 2.22% des
licencis dans les clubs. Ren Bertrand ( Les matires enseignes en
EPS , EPS, n202, novembre-dcembre
1986, pp.36-38) confirme lenqute prcdente en montrant que
lathltisme demeure lactivit la plus
programme en EPS (34.55% en 1984-1985 contre 29.03% en
1977-1978) comme en UNSS (61.47% contre
38.73%), bien quelle soit encore moins reprsentative des
activits pratiques dans le monde fdral (2.22%
contre 1.80%). Sur la base dune enqute ralise dans lacadmie de
Crteil en 1988, Olivier Bessy
( Nouvelles pratiques sports de base ? , EPS, n227,
janvier-fvrier 1991, pp.75-79) montre que dans tout le
cycle du secondaire (collges, lyces et lyces professionnels),
lathltisme reprsente 30.1% de la rpartition
temporelle des activits. Si on y ajoute les 32.6% reprsents par
les sports collectifs et les 21.1% de la
gymnastique, ces trois APS reprsentent 83.8% de la rpartition du
temps. Au moment o de nouvelles pratiques
sportives mergent, Olivier Bessy dnonce alors une drive
a-culturelle de lEPS, qui tmoigne dun refus
-
27
des supposes vertus ducatives qui lui sont historiquement
rattaches. Ainsi, il apparat en
fait que la crise actuelle que connat cette discipline nest que
la consquence dune remise
en question de postulats dont les fondements ne sont ni
scientifiques ni pdagogiques mais
essentiellement idologiques 45, lment que cette tude ambitionne
dapprofondir. De quels
axiomes sagit-il et quelles en sont les origines ? quel moment
slaborent-ils et sous
quelles influences, quelles contraintes ? travers ces
questionnements pointe ici lintrt
dune dmarche historique ancre sur le temps prsent.
I.2. Aux origines taient les sports athltiques
Au mitan du XIXme
sicle, le sport regroupe en France lensemble des activits
rcratives susceptibles de gnrer des paris dargent ou synonymes
de pur dlassement :
courses de chevaux, canotage, chasse courre, pche, escrime, etc.
Des pratiques comme
lathltisme, le football ou le rugby ne sont pas encore des
sports. Ils constituent en revanche
la source dune nouvelle dfinition de celui-ci, qui prend forme
progressivement et suppose
une dpense dnergie musculaire, un engagement comptitif 46. Le
terme de sports
athltiques est n, en opposition aux sports mcaniques
(automobile, voile), hippiques
(quitation, chasse courre) ou dadresse (tir larc ou au
pistolet).
I.2.1. Un athltisme entre sports et jeux
Traditionnellement, lathltisme est considr comme un ensemble de
spcialits de
marches, courses, sauts et lancers, dont la finalit demeure de
produire les performances les
plus leves possibles. tymologiquement, le terme provient du grec
athlos , qui signifie
de cder un engouement passager et rejette toute adaptation aux
mutations actuelles en privilgiant un choix
dAPS exclusivement centr sur les pratiques fondamentales, censes
tre suffisantes pour faire acqurir un
savoir moteur minimum aux lves . linverse, il dnonce aussi toute
drive dmagogique consistant ne sappuyer que sur ces nouvelles
pratiques sous prtexte quelles sont motivantes pour les lves.
Sappuyant sur
les statistiques de 1992 fournies par lInspection Gnrale,
Bernard Paris ( Lcole prpare-t-elle les adultes de
demain bien grer leur vie physique ? , in Le corps lcole,
apprentissage et dveloppement, Actes du
colloque de St Jacques de la Lande, Ille et Vilaine, Paris,
ditions Revue EPS, dossier EPS n22, 1994, pp.28-
33) montre que les spcialits les plus choisies par les
enseignants sont : pour 33% les sports collectifs, 27%
lathltisme, 17% la gymnastique, 10% la natation . Enfin,
Jean-Pierre Cleuziou analyse les menus dAPS les
plus choisis pour le baccalaurat ( Lanalyse des menus et des
notes , in David, Bernard (sous la dir.), EPS. La
certification au baccalaurat, Paris, INRP, 2000, pp.77-124) et
montre que lathltisme est lactivit la plus
reprsente (19.7%), avec le volley-ball (19.2%) et le badminton
(13%). Elle est la premire activit choisie par
les garons (23.4%) et la deuxime activit choisie par les filles
(16.6%), celles-ci lui prfrant le volley-ball. 45
Terret, Thierry, Naissance dune idologie : lathltisme, sport de
base ? , in Robne, Luc & Lziart, Yvon
(sous la dir.), Lhomme en mouvement. Histoire et anthropologie
des techniques sportives, vol.1, Paris, Chiron,
2006, pp.185-194. 46
Defrance, Jacques, Sociologie du sport, Paris, La Dcouverte,
2006 (5me
dition), p.98.
-
28
combat ou rcompense 47
. Pratique progressivement codifie sous sa forme moderne
par les Anglais au cours de la seconde moiti du XIXme
sicle, il incarne aussi un ensemble
plus large de jeux et dactivits physiques auxquels sont soumis
les lves des public schools,
et dont les rglements deviennent le support dune ducation morale
visant limiter les
dbordements. lorigine, lathltisme nest donc pas limage de ce
quil est aujourdhui,
mais un domaine bien plus tendu, compos de jeux divers, non
spontans, codifis pour
duquer, et que les Britanniques regroupent sous le terme
athleticism 48. Import en France
la fin du XIXme
sicle, le mot incarne aussi bien les pratiques acrobatiques que
les courses
de chevaux ou autres exercices de lutte sans appareillage49
, tir la corde, etc. Comme le
montrent les travaux fondateurs de James-Anthony Mangan50
, cest entre 1850 et 1914 que
ces sports athltiques mergent progressivement puis consolident
leur position de modle
ducatif dominant dans le systme scolaire anglais. laube de la
Premire Guerre mondiale,
limportance qui leur est accorde est si forte quils deviennent
quasiment incontournables
aux yeux des Headmasters51. Leur utilisation ne fait pourtant
pas lunanimit car dans
lAngleterre Victorienne et Edwardienne, les sports athltiques
sont, pour les traditionalistes,
une mode pernicieuse conduisant au dnigrement des savoirs
acadmiques et un anti-
intellectualisme forcen. De ce fait, ils reprsentent un danger
pour les dfenseurs de lordre
social tabli. Pour les progressistes, ils sont au contraire un
bon entranement moral, stimulant
la joie et la sant. Sous linfluence des Muscular Christians52,
association fonde par le
chanoine anglican Charles Kingsley, se dveloppe cette poque
toute une idologie visant
concevoir les sports athltiques comme des moyens efficaces
dinculquer aux lves des
valeurs telles que le courage, la loyaut, la coopration, le
fairplay, ou bien encore la capacit
commander et obir53
. De ce point de vue, les ncessits lies la comptition et la
mesure des performances conduisent la construction despaces de
plus en plus normaliss et
47
Parient, Robert, La fabuleuse histoire de lathltisme, Paris, La
Martinire, 1996. 48
Lathltisme (ou athletics ) appartient ainsi la famille des
sports athltiques ( athleticism ), beaucoup
plus large. 49
Terret, Thierry, Fargier, Patrick, Rias, Bernard & Roger,
Anne, Lathltisme et lcole. Histoire et
pistmologie dun sport ducatif, Paris, LHarmattan, 2002. 50
Mangan, James-Anthony, Athleticism in the Victorian and
Edwardian public school, Cambridge, Cambridge
university press, 1981. 51
Chefs dtablissements. 52
Mcleod, Hugh, La religion et lessor du sport en Grande-Bretagne
, Revue dhistoire du XIXme
sicle, n28,
2004, pp.133-148. Courant impuls par les Anglicans libraux
partir de 1850, dans le but de promouvoir une
vision plus positive du sport, les Muscular Christians jugent
ncessaire que lglise sintresse tous les
domaines de la vie et simplique davantage dans lamlioration de
la sant et du bien-tre du peuple. 53
Watson, Nick, Weir, Stuart & Friend, Stephen, The
development of muscular Christianity in Victorian
Britain and beyond , Journal of religion and society, vol.7,
2005; Bancel, Nicolas & Gayman Jean-Marc, Du
guerrier lathlte, lments dhistoire des pratiques corporelles,
Paris, PUF, 2002.
-
29
de codifications de plus en plus strictes. En devenant un sport,
lathltisme se dtache donc de
ses origines festives et utilitaires pour se rationnaliser
davantage54
.
Puis, comme de nombreux autres sports, il traverse la Manche
quelques dcennies plus
tard. En novembre 1920, la FFA est cre puis reconnue dutilit
publique par le dcret du 7
avril 1925. Elle rassemble alors prs de 800 socits. Mais
lhistoire de lathltisme lcole
en France commence ds la fin du XIXme
sicle, au moment o les lycens des grands
tablissements parisiens se runissent pour pratiquer les sports
athltiques la mode anglaise
et crent successivement le Racing Club de France55
(RCF) en 1882, puis le Stade Franais56
(SF) en 1883. De ces rencontres sportives au dpart informelles
nat en 1888 le premier
championnat de France sur piste, un an aprs que les deux clubs
aient fusionn pour
harmoniser les rglements et donner naissance lUnion des Socits
Franaises de Sports
Athltiques (USFSA)57
. Cest au sein de ce groupement que des personnalits telles
que
Georges de Saint-Clair58
ou Pierre de Coubertin59
occupent des fonctions de dirigeants60
, dont
linfluence reste dterminante quant aux enjeux ducatifs adosss
aux activits sportives. Pour
ce dernier, le sport est le culte volontaire et habituel de
lexercice musculaire intensif incit
par le dsir du progrs et ne craignant pas daller jusquau risque.
Donc cinq notions :
initiative, persvrance, intensit, recherche du perfectionnement,
mpris du danger ventuel.
Ces cinq notions sont essentielles et fondamentales 61.
Fortement influenc par le modle
ducatif britannique, Pierre de Coubertin tente dimposer lide
selon laquelle le sport est un
excellent moyen dduquer lindividu la dbrouillardise62
et de lui apprendre ainsi mieux
djouer les piges quune socit industrielle en pleine mutation
impose dsormais. Il est une
cole de la vie quil sagit de rpandre dans les lyces afin daider
les futures lites franaises
lutter contre le surmenage intellectuel. La pratique des
activits sportives devient
54
Cest ce que dmontre Pierre Arnaud pour la natation. Arnaud,
Pierre, Objet culturel, objet technique, objet
didactique , STAPS, vol.7, n13, mai 1986, pp.43-55 et n14,
dcembre 1986, pp.79-86. 55
Le RCF est fond par la bourgeoisie conomique de la rive droite
parisienne (milieux de la banque, finance,
industrie, commerce). 56
Le SF est fond par la bourgeoisie intellectuelle de la rive
gauche parisienne (professeurs, avocats, mdecins). 57
Les deux clubs fusionnent en 1887 pour donner dabord naissance
lUnion des Socits Franaises de course
pied, sous limpulsion de Georges de Saint-Clair (RCF) et de
Jules Marcadet (SF). 58
Considr comme le fondateur des sports athltiques en France,
Georges de Saint-Clair (1845-1910) organise
les premires rencontres sportives dont il dicte les rglements au
sein du RCF. Il devient Prsident de lUSFSA
en 1889 et fonde avec Pierre de Coubertin la premire association
sportive au lyce Lakanal de Sceaux. 59
Bermond, Daniel, Pierre De Coubertin, Paris, Perrin, 2008.
60
Arnaud, Pierre, Lunion des socits franaises de sports athltiques
ou la construction de lespace sportif
dans la France mtropolitaine (1887-1897) , in Arnaud, Pierre
& Terret, Thierry (sous la dir.), Le sport et ses
espaces, XIXme
-XXme
sicles, Paris, ditions du CTHS, 1998, pp.287-312. 61
Coubertin (de), Pierre, Pdagogie sportive, Paris, Vrin, rdition
de 1972, p.7. 62
Limportance donne la notion de dbrouillardise dans les crits du
Baron prouve que celui-ci se situe sur
une vision trs utilitariste de la socit. Le dbrouillard est
celui qui sait se sortir daffaire en toutes
circonstances.
-
30
compensatoire et pallie ainsi la lourdeur des programmes
scolaires. Non suivi deffets, ses
ides nen restent pas moins trs influentes durant toute la
seconde moiti du XXme
sicle.
En dfinitive, il apparat essentiel de souligner que si des
enjeux ducatifs majeurs
traversent la priode antrieure celle de notre tude, lathltisme
amateur reste rserv une
lite dun jeune ge sexerant avant tout en dehors des murs de
lcole et fuyant la rigidit du
lyce Napolonien. Il est la fois une libration corporelle
(gestuelle sportive vs
gymnastique roborative), gographique (plein air vs milieu clos)
et organisationnelle
(autonomie dans la prise en charge de la pratique vs dirigisme
des adultes)63. Il nest pas
encore une affaire scolaire et reste bien loign des masses. On
le voit, lathltisme couvre
donc un champ smantique trs large, quil sagissait ici de
dlimiter. Ds lors, comment le
dfinir plus prcisment au sein de ce vaste espace dactivits que
constituent les jeux et les
sports athltiques ?
I.2.2. Athltisme et athltisme scolaire : tentative de
dfinition
En tant que pratique sportive fdre, lathltisme sorganise autour
dune institution
lgifrante, de rgles strictes et dune finalit comptitive64
. Thierry Terret et al. le dfinissent
comme lensemble des pratiques de course, marche, saut et lancer,
forte charge
nergtique et/ou technique qui permettent de reculer ses propres
limites ou celles des
hommes au regard de lespace et du temps sans mettre en danger
son intgrit et dans des
conditions rglementaires, humaines et matrielles normalises 65.
Pour Anne Roger,
lathltisme est un sport constitu de cinq grandes familles
dpreuves : les courses, les
sauts, les lancers, la marche et les preuves combines. Dans
chacune de celles-ci, lobjectif
est de raliser la meilleure performance possible et de battre
ses adversaires 66. Lenjeu
sous-jacent dun athltisme ainsi dfini relve dune ralisation de
performances maximales,
sexprimant dans un contexte comptitif rglement et se mesurant
selon une chelle de temps
ou despace. Mais quen est-il lorsquil est pratiqu dans le cadre
scolaire ? Peut-on exiger
systmatiquement des lves la ralisation de performances maximales
? Lcole offre-t-elle
lopportunit de pratiquer lventail complet des disciplines
athltiques ? Quelle place la
comptition peut-elle y tenir ?
63
Pociello, Christian, Sports et sciences sociales. Histoire,
sociologie et prospective, Paris, Vigot, 1999. 64
Arnaud, Pierre, op.cit., 1986. 65
Terret, Thierry, Fargier, Patrick, Rias, Bernard & Roger,
Anne, op.cit., 2002, p.17. 66
Roger, Anne, Athltisme , in Attali, Michal & Saint-Martin,
Jean (sous la dir.), Dictionnaire culturel du
sport, Paris, Armand Colin, 2010 (a), pp.21-23.
-
31
Activit performative, lathltisme est aussi frquemment associ
lide dune
technique gestuelle alliant virtuosit et prcision. Bien souvent,
dans les situations
denseignement ou dentranement, le contenu li la ralisation
motrice devient une
proccupation si forte que lactivit bascule alors dans le
registre de la reproduction de forme,
la dtournant de ce qui constitue son noyau dur, savoir la
ralisation de performances
maximales. Comme le prcisent Jean-Louis Hubiche et Michel
Pradet, pour sexprimer, la
prcision gestuelle (ou la matrise technique) exige un grand
investissement nergtique.
Cest grce cet investissement que lathlte peut dvelopper ses
potentialits physiques et
morales. Lathltisme est une activit effets et non pas forme,
c'est--dire que la matrise
gestuelle ne doit pas masquer une faible efficacit motrice.
Lessentiel est de raliser des
performances, vritables preuves des progrs accomplis 67. Pour
Bernard Rias, le
fondement culturel en athltisme se situe dans la gestion
simultane dune exigence, dune
intention et dune contradiction 68. Lexigence ncessite de
produire la plus grande
performance possible, de faon non alatoire et sans nuire son
intgrit physique. Pour le
champion comme pour llve, lintention renvoie une mobilisation
des ressources qui soit
adapte la ralisation dune performance. Enfin, la contradiction
sinscrit dans une
confrontation entre latteinte de ses limites et leur dpassement.
Quen est-il prcisment pour
les lves ? Comment les faire accder cette ralit culturelle alors
mme que lcole gnre
ses propres savoirs et impose ses exigences ? Que se passe-t-il
lorsque ce qui appartient au
dehors , c'est--dire au milieu fdral, se heurte ce qui relve du
dedans , de la ralit
du contexte denseignement ?
Cest sur la base de ces dfinitions et de ces questionnements que
nous envisagerons
lathltisme scolaire comme lensemble des pratiques de marches,
courses, sauts, lancers et
preuves combines telles quelles sont pratiques dans le cadre de
lEP et du sport scolaire,
c'est--dire soumises au filtre de certaines exigences
institutionnelles, pdagogiques et
didactiques. Que reste-t-il de cet athltisme codifi, comptitif
et performatif tel quil a t
dfini plus haut, aprs tre pass au tamis de lcole ? Cest
prcisment ce que cette
investigation se propose dclairer. La dfinition ainsi choisie se
veut donc volontairement
large, dans la mesure o lobjectif consiste dterminer quelle
place linstitution scolaire, par
le biais de lEPS, accorde la performance, la technique ou bien
encore la comptition.
Sil apparat acceptable denvisager lathltisme comme un ensemble
de disciplines courues,
67
Hubiche, Jean-Louis & Pradet, Michel, Comprendre lathltisme,
Paris, INSEP, 1993, p.9. 68
Rias, Bernard, Athltisme dhier et daujourdhui. Une interrogation
denseignant dEPS , in Goirand, Paul
& Metzler, Jacques (sous la dir.), Une histoire culturelle
du sport. Techniques sportives et culture scolaire, Paris,
Revue EPS, 1996, pp.25-67.
-
32
sautes et/ou lances, il sagit plus prcisment de dfinir ce que
lcole retient de ses
dimensions sociales et culturelles pour en faire un savoir
authentiquement scolaire. Quelle
place accorde-t-elle la gestuelle athltique et aux performances
dans les apprentissages ?
Quels choix sont oprs par les acteurs ds lors quils tentent de
dterminer la nature des
savoirs athltiques transmettre aux lves ? Lathltisme scolaire
peut-il faire de la
performance69
son unique objet, comme cest le cas pour lathltisme fdral ?
Toutes ces
questions rvlent des enjeux qui mergent lorsque lon interroge
les relations entre pratiques
scolaires et non scolaires. Quand et comment lathltisme est-il
entr dans lcole ? Sous
quelle(s) forme(s) et quel(s) prix ? Si linstitution scolaire ne
peut accepter tel quel ce qui
nat et se dveloppe en dehors de ses mrs, comment expliquer le
fait que lathltisme ait t
et reste encore aujourdhui un support majeur des programmations
dEPS ?
I.3. Lge dor de lathltisme scolaire (1941-1967)
Dune manire gnrale, luvre dinterprtation inhrente lhistoire
ncessite de
priodiser. Seule cette voie permet au chercheur didentifier
dventuels changements,
continuits ou ruptures, dans un temps qui devient alors
signifiant. Ainsi, les dates sont-elles
indispensables pour aider au reprage et la comprhension du
lecteur. Mais toutes les
priodisations ne se valent pas. Il sagit den saisir une qui ait
du sens par rapport lobjet
dtude, qui soit la fois cohrente et rvlatrice de ce que lon
souhaite apprhender. Une r-
interrogation de celles qui sont les plus usites est galement
ncessaire afin de ne pas tomber
dans le pige dun dcoupage prtabli, qui naurait aucune
signification. Comme le dit Marc
Bloch, chaque type de phnomne a son paisseur de mesure
particulire et, pour ainsi
dire, sa dcimale spcifique 70. En consquence, les bornes 1941 et
1967 ont t choisies non
seulement parce quelles correspondent la publication
dinstructions officielles en EP
(ancrage institutionnel), mais aussi parce quelles dlimitent,
selon nous, un temps durant
lequel lathltisme sinstalle progressivement mais de manire
durable dans les
programmes 71, et plus largement dans lcole. Bien que prcise,
cette priodisation nen est
pas moins souple. Et dans le respect dune histoire comprhensive,
elle invite aussi raliser
quelques incursions en amont et en aval. En effet, lhistoire de
lathltisme scolaire ne se
69
On entend par performance, le rsultat mesur de laction, sur une
chelle de temps pour les courses, et sur une
chelle de distance pour les sauts et les lancers. 70
Bloch, Marc, Apologie pour lhistoire, cit par Prost, Antoine,
Douze leons sur lhistoire, Paris, Seuil, 1996,
pp.93-94. 71
Terret, Thierry, Linvention dun sport ducatif , in Terret,
Thierry, Fargier, Patrick, Rias, Bernard &
Roger, Anne, op.cit., 2002, pp.19-66.
-
33
limite en rien ces bornes et il demeure ncessaire de savoir en
sortir pour mettre certains
arguments en perspective. Notre position est celle dune
temporalit gigogne, o les faits
sentremlent, et non celle dun dcoupage rigide. Lhistoire est
davantage une affaire de
continuits que de ruptures totales. Ainsi, la place et le statut
de lathltisme dans lEP
scolaire sont resituer dans un temps plus large, qui dmarre
avant la Seconde Guerre
mondiale et qui nest encore pas achev aujourdhui, mais dont
lanalyse se serait rvle tre
bien trop ambitieuse pour un travail doctoral limit dans le
temps. Cela tant, nul ne peut
ignorer que ces vingt-six annes sont le symbole dune priode o se
construit lidentit
scolaire de lathltisme. Elles incarnent un temps durant lequel
le sport, de par les vertus qui
lui sont associes, tend devenir un support lgitime en EP. Et
dans ce processus, les courses,
sauts et lancers tiennent une place de choix. Si ceux-ci sont dj
prsents sous plusieurs
formes dans les classes avant 1941 et quils le sont toujours
aprs 1967, nous faisons
lhypothse que cest entre ces deux dates que saffirment la fois
leur caractre scolaire
(docimologie, rigueur de lexercice, valeurs ducatives) et
sportif (comptitions, challenges,
classements, rcompenses). Aprs 1967, linstitutionnalisation de
lathltisme dans lcole
semble en effet aboutie. Sa prsence quasi incontournable aux
examens de fin dtudes
secondaires, la systmatisation de lemploi dune table de cotation
athltique scolaire,
lharmonisation des disciplines inscrites aux programmes des
diffrents brevets,
lorganisation de la pratique dans le cadre du sport scolaire,
ainsi que son enseignement
systmatis dans les leons dEP sont l pour le confirmer. laube des
annes 1970
sinaugure alors une autre priode durant laquelle les enseignants
se penchent davantage sur
un athltisme adapt lenfant, et non plus seulement sur une
pratique conue pour pouser
les normes et les usages de lcole.
I.3.1. Lorigine institutionnelle du dcret du 26 mars 1941
Cest le gouvernement du Front Populaire qui, le premier, va
tenter dintroduire
lathltisme dans lcole, notamment par le biais du Brevet Sportif
Populaire (BSP), exigible
ds 1938 pour lobtention du Certificat dtudes Primaires (CEP).
Linitiative de sa cration
et de sa mise en uvre est mettre au crdit de deux hommes : Lo
Lagrange, Sous-secrtaire
dtat lOrganisation des Loisirs et des Sports, et Henri Sellier,
Ministre de la Sant
publique, de lEP, des Loisirs et des Sports. Le 9 mars 1937, ces
derniers remettent un rapport
adress au Prsident de la Rpublique, dans lequel on peroit que
lathltisme est la rfrence
centrale des pouvoirs publics pour envisager lapplication dune
politique de formation
-
34
physique et de redressement national72
. Mais cette priode, lenseignement de lEP est
encore trs peu marqu par le sceau des activits sportives et le
BSP reste avant tout un brevet
dhygine, dans lequel le niveau de performance exig et les
modalits dorganisation des
preuves demeurent trs loigns dune logique sportive comptitive et
slective. Dans ce
cadre, lenjeu nest pas de raliser le meilleur temps ou la
meilleure distance, mais de faire la
preuve de sa capacit atteindre des performances planchers. En
outre, bien que lide du
dveloppement dun sport de masse vocation sanitaire et dune
valorisation de lathltisme
dans le champ des activits sportives soit imputable au Front
Populaire, sa pratique dans
lcole reste encore marginale. Elle ne prend son essor que quatre
ans plus tard, sous le
gouvernement de Vichy, o les Commissariats Gnraux lducation
Gnrale et Sportive
(CGEGS) successifs de Jean Borotra (1940-1942) et de Joseph
Pascot (1942-1944) lui
donnent une nouvelle paisseur73
.
En effet, le dcret du 26 mars 1941 convoque lEP au programme du
baccalaurat et la
dcline au travers dpreuves de nature exclusivement athltique :
course de vitesse, sauts en
hauteur et en longueur, lancer du poids et grimper de corde.
Mais si lathltisme simplante
officiellement lcole grce cette preuve certificative, il serait
faux de croire que cette
dcision rend compte dun enseignement rel de lactivit, lorsque
lon sait dune part
combien le dficit denseignants dans la discipline rend sa mise
en uvre dlicate et, dautre
part, tant Vichy a donn une coloration idologique particulire
lensemble de ses politiques
ducatives. De plus, les IO du 1er
juin 1941 sont aussi l pour rappeler qu cette priode, la
mthode naturelle de Georges Hbert demeure le socle fondateur des
contenus
denseignement dispenss, et que par consquent, le sport reste
encore largement aux portes
des lyces. Si limpulsion donne la diffusion de lathltisme dans
lcole peut tre situe
la charnire des gouvernements du Front Populaire et de Vichy, et
ce malgr des
positionnements idologiques contradictoires, il nen reste pas
moins vrai que ces deux
priodes sont aussi marques par des difficults importantes de
mise en uvre. Ds lors, ces
ambitions demeurent avant tout de lordre du discours et les
gymnastiques roboratives ou
autre hbertisme restent encore largement lapanage des leons dEP
dans les tablissements
scolaires publics. Nanmoins, on ne peut nier que sur le plan
institutionnel, linstauration
dune preuve facultative dEP lexamen de fins dtudes secondaires
marque le dbut dun
temps fort pour lathltisme scolaire.
72
Lassus, Marianne, Les trois naissances du brevet sportif
populaire : 1937, 1941, 1946 , Cahiers dhistoire,
n3, dcembre 2007, Paris, INJEP, pp.14-29. 73
Gay-Lescot, Jean-Louis, Sport et ducation sous Vichy
(1940-1944), Lyon, PUL, 1991.
-
35
partir de 1945, le mouvement samplifie et les enjeux ne sont
plus les mmes. Bien
que le manque de moyens humains74
et matriels75
soit toujours criant, les sports civil et
scolaire prennent une nouvelle dimension. En effet, nombreuses
sont les dcisions prises en
faveur du dveloppement du sport dans la socit et dans
lcole76
. Ltat assume dsormais
ses responsabilits en matire de politique sportive et pose les
bases dune vritable mise sous
tutelle de ladministration et de lorganisation des fdrations.
Ainsi, la cration des
Directions Rgionales et Dpartementales de la Jeunesse et des
Sports (DRJS-DDJS), la
dlgation de pouvoir accorde certaines fdrations en change du
respect des normes
administratives imposes et linstauration du contrle mdical
obligatoire pour participer aux
comptitions sont autant dillustrations de cette politique mene
en faveur du dveloppement
du sport. Sur le plan de la formation des enseignants, la
cration de lInstitut National des
Sports (INS) et des deux coles Normales Suprieures dducation
Physique (ENSEP)77
en
lieu et place de lENEPS, mais galement la transformation des
Centres Rgionaux
dducation Gnrale et Sportive (CREGS) en CREPS (Centres Rgionaux
dducation
Physique et Sportive) sont par ailleurs la preuve que la
formation des cadres se sportivise elle
aussi78
. Il en va de mme pour lEP scolaire, o les pratiques sportives
commencent devenir
un support incontournable. Ainsi, lordonnance du 12 octobre 1945
reconnat-elle lOffice du
Sport Scolaire et Universitaire (OSSU) comme un organisme
dutilit publique79
. cette
occasion, le gouvernement insiste pour que les chefs
dtablissement librent
systmatiquement les jeudis aprs-midi, afin que les lves qui le
souhaitent puissent
sinscrire aux comptitions. Dans la continuit, larrt du 5
novembre 1945 institue la
cration dune Association Sportive (AS) scolaire obligatoire et
affilie lOSSU dans tous
les tablissements du second degr. Puis cest par le dcret du 25
mai 1950 quun forfait de
74
Attali, Michal & St-Martin, Jean, Lducation physique de 1945
nos jours, les tapes dune
dmocratisation, Paris, Armand Colin, 2004. cette priode, les
auteurs valuent plus de 20% le dficit
dencadrement de lEPS dans lenseignement public secondaire
franais. 75
En matire dquipements sportifs, le pays occupe les dernires
places de la hirarchie europenne. Dans la
revue Hracls n4 du mois de juin 1946, une enqute mene par Robert
Joffet sur lquipement sportif en
France rvle que le pays est quip hauteur de 0.5 piste dathltisme
pour 100.000 habitants, contre 11 pour 100.000 en Sude. Dans les
annes 1950, la France continue de manquer cruellement
dinfrastructures sportives,
puisque le pays ne compte que deux pistes dathltisme en bon tat
en 1945, contre 110 en Sude, pays bien
moins peupl. Les plans quinquennaux mis en place ne suffiront
pas combler notre retard vis--vis de nos
voisins europens que sont lAngleterre, lAllemagne, lAutriche ou
la Sude. En 1958, si la situation est
meilleure quen 1945, lcart est toujours trs grand. Ce nest
quentre 1961 et 1965, grce au 4me
plan
dquipement, que la situation samliore plus nettement. 76
Amar, Marianne, Ns pour courir. Sport, pouvoirs et rbellions
(1944-1958), Grenoble, PUG, 1987. 77
Levet-Labry, ric, Les coles normales dducation physique et
sportive et linstitut national des sports :
tude compare des tablissements du rgime de Vichy la cration de
lINSEP, 1977, Thse de doctorat,
Universit de Marne-la-Valle, 2007 (a). Il existe deux ENSEP :
une pour les filles et une pour les garons. 78
Attali, Michal (sous la dir.), Lunivers professionnel des
enseignants dducation physique de 1940 nos
jours, Paris, Vuibert, 2006. 79
Attali, Michal & Saint-Martin, Jean, Le sport des scolaires
: une institution la croise de lcole et du
mouvement sportif (1945-2009) , Revue juridique et conomique du
sport, n91, juin 2009, pp.149-165.
-
36
trois heures sintgre lemploi du temps des professeurs dEP afin
quils prennent en charge
lanimation de celle-ci. Pour ce qui concerne lathltisme, deux
dcisions importantes sont
prises aprs la Libration. Le gouvernement dcide tout dabord de
poursuivre la promotion
de lactivit auprs des scolaires, en maintenant lexistence dune
preuve dEP facultative au
baccalaurat, qui reconduit son hgmonie80
. Ensuite, la renaissance du BSP ds 194681
marque galement cette volont de diffuser la pratique des
courses, des sauts et des lancers
chez les jeunes, mme si le brevet sadresse, lorigine, un public
plus large. Comme le
montre Thierry Terret, tout le discours idologique visant faire
de lathltisme un sport de
base , dont la mise en forme sest construite au cours des annes
1930, simpose de manire
massive partir des annes 1940, au moment mme o les pratiques
sportives viennent
contester la lgitimit des gymnastiques traditionnelles dans les
contenus dEP82
. De ce fait,
lancrage institutionnel de lathltisme scolaire en 1941, par le
truchement du dcret du 26
mars, marque louverture dune temporalit jusqualors indite que
les dcisions daprs-
guerre ne font que confirmer. En ce sens, la priode Vichyste
apparat donc comme le
moment dclencheur dune institutionnalisation de lathltisme dans
lcole.
I.3.2. Le virage de 1967
Dans la mesure o elle ne constitue pas une csure nette, la borne
distale de ltude se
rvle plus dlicate justifier. En effet, 1967 marque plutt le dbut
dun lent changement,
moins brutal et plus silencieux, caractris par lmergence de
pratiques alternat