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1 Ecole française d'Extrême-Orient Séminaire mensuel de l'EFEO Paris François Joyaux L'EFEO et la numismatique Lundi 13 février 2012 Maison de l'Asie Monnaies d'Extrême-Orient Société de Numismatique Asiatique
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L'Ecole Française d'Extrême-Orient et la numismatique

Feb 08, 2023

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Page 1: L'Ecole Française d'Extrême-Orient et la numismatique

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Ecole française d'Extrême-Orient

Séminaire mensuel de l'EFEO Paris

François Joyaux

L'EFEO et la numismatique

Lundi 13 février 2012 Maison de l'Asie

Monnaies d'Extrême-Orient

Société de Numismatique Asiatique

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Ce fascicule comprend les trois dossiers suivants, réunis pour le Séminaire mensuel de l'EFEO du 13 février 2012 :

- I. Histoire de la collection numismatique de l'EFEO (1900-1956)

- II. Les Pères M. et H. de Pirey, membres correspondants de l'EFEO et numismates

- III. Le Dr. Albert Sallet, membre correspondant de l'EFEO et

numismate

Un quatrième dossier, faisant l'objet d'un fascicule séparé, sera consacré à

- René Mercier, membre de l'EFEO, graveur de monnaies et

numismate en Indochine (1927-1946)

Sommaire détaillé in fine.

Société de Numismatique Asiatique 86, quai de la Fosse

44000 Nantes

[email protected]

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I

Histoire de la collection numismatique de l'EFEO (1900-1956)

A l’origine de la collection

numismatique nationale du Vietnam*

Les premières mentions occidentales relatives aux monnaies

vietnamiennes furent le fait de quelques missionnaires catholiques et de quelques voyageurs des XVII-XVIIIes siècles, mais jusqu’à la fin du XIXe siècle, elles étaient demeurées très fragmentaires. En fait, ce fut avec l’ouverture du pays à la période coloniale, que débuta réellement la recherche numismatique relative au Vietnam. L’une des premières recherches importantes fut celle d’Edward Toda, publiée en 1882, sous le titre « Annam and its minor currency » dans le Journal of the North China Branch of the Royal Asiatic Society1 à Shanghai. Avec la colonisation française, ces études se multiplièrent rapidement. Parmi les précurseurs en ce domaine, citons Jules Silvestre, inspecteur des Affaires indigènes, qui publia à Saïgon, en 1882 également, dans la revue Excursions et Reconnaissances (éditée par le Gouvernement de la Cochinchine), des « Notes pour servir à la recherche et au classement des monnaies et médailles de la Cochinchine française »2 , Désiré Lacroix sur lequel nous reviendrons plus longuement car il concerne très directement notre sujet, ou encore Albert Schroeder, homme d’affaires et numismate très averti, qui publiera en 1905 un important ouvrage, Annam. Etudes numismatiques3, fondé sur des sources vietnamiennes et sa propre collection.

C’est dans ce contexte que fut créée, à Hanoi, l’Ecole française

d’Extrême-Orient (EFEO) : celle-ci, dès le départ, s’intéressa de près à la numismatique et constitua sa propre collection. En effet, en 1898, Paul Doumer, alors gouverneur général de l’Indochine, avait souhaité donner une dimension culturelle à sa politique indochinoise et à cette fin, avait créé une « Mission archéologique de l’Indo-Chine » dont la direction avait été confiée à un jeune

* Ce texte est celui d'un article à paraître dans le Bulletin de l'Ecole Française d'Extrême-Orient sous le titre "A l'origine de la collection numismatique nationale du Vietnam". 1 Pages 41-220. 2 N° 14, p. 305-475, réédité sous forme d’un livre au titre identique, Saïgon, Imprimerie nationale, 1883, 125 p. 3 Paris, Imprimerie nationale, 1905, 2 vol.

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sanskritiste, Louis Finot (1864-1935)4 . Deux ans plus tard, en 1900, cette « Mission » était transformée en Ecole Française d’Extrême-Orient, une institution dont les modèles étaient en fait les Ecoles de Rome et d’Athènes et dont la mission principale était l’exploration archéologique de l’Indochine. Louis Finot, qui connaissait le Musée ethnographique de Batavia, fit en sorte très tôt que l’Ecole eut, de même, son propre musée : c’est dans le cadre de ce dernier que tout naturellement allait naître et grandir la collection numismatique de l’EFEO, devenue de nos jours, collection nationale du Vietnam.

Certes, la numismatique n’était pas la préoccupation prioritaire de l’Ecole,

créée principalement pour favoriser les recherches archéologiques et philologiques. Toutefois, force est de remarquer que dès le début, la numismatique tint une place non négligeable dans ses activités. Alors que le premier numéro du Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient (BEFEO) ne sera publié qu’en 1901, l’Ecole, l’année même de sa création, en 1900, inaugura ses publications par un ouvrage de numismatique, à savoir la Numismatique annamite de Désiré Lacroix5. L’achat de la collection Knosp

Dès après avoir publié cet ouvrage de Lacroix, l’Ecole, ou plus exactement le cabinet du gouverneur-général, confirma cet intérêt pour la numismatique par l’achat, en 1901, d’un premier ensemble de monnaies à un architecte de Hanoi nommé Knosp6 : cet ensemble allait donc devenir le noyau initial de la collection de l’Ecole.

La négociation de cet achat avait été difficile, Knops étant passé

directement par le cabinet du gouverneur-général où il avait probablement ses entrées. A Louis Finot, il écrivait le 27 janvier 1901 : « Je pourrai vous remettre quelque chose de bien en annamites et chinoises. J’aurai soin qu’elles soient bien lisibles et vous en mettrai autant que possible deux de chaque espèce. Cela fera plus de deux mille pièces. J’y ajouterai tout ce que je pourrai en laotiennes, siamoises, cambodgiennes et japonaises ». L’EFEO, de son côté, considérait qu’il ne s’agissait que du « fond de ses tiroirs » qu’il proposait pour 10.000 piastres et estimait ce lot à 6.000 piastres tout au plus. Knops en exigea

4 Sur Louis Finot, voir Coedès (G.), « In memoriam. Louis Finot”, BEFEO, XXXV, 1936, p. 507-515. 5 Saïgon, Ménard et Legros, 1900, 231 p., première des « Publications de l’Ecole française d’Extrême-Orient ». 6 Son nom figure à l’ Annuaire de l’Indochine Française de 1897, p. 306. Nous n’avons pas réussi à préciser la relation de famille existant entre ce Knosp et un certain Gaston Knosp qui séjourna en Indochine de 1898 à 1904 et auquel le Gouvernement général de l’Indochine avait confié (probablement par relations) une mission sur la musique indochinoise. Le compte-rendu en fut publié par la revue allemande Internationales Archiv für Ethnographie (Band XX, Hefter 3,4 et 5 (1911), et Band XXI, Hefter 1,2 et 3 (1912), Leyde, Brill. Cette étude fut très mal accueillie par l’EFEO (Noël Péri, BEFEO, vol. 12 (1912), p. 18-21)

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finalement 7.000 piastres et les archives de l’Ecole7 ne nous en disent pas plus, car ce fut le cabinet qui régla directement cet achat avec Knops.

Le catalogue qui en subsiste dans les archives de l’EFEO est très

incomplet : il ne répertorie que 212 monnaies chinoises, couvrant une période allant de la dynastie Tang (618-907) jusqu’à l’ère Guang Xu (1875-), 94 monnaies vietnaminnes allant de XIIe siècle jusqu’au règne récent de Tu Duc (1848-1883), 3 monnaies cambodgiennes, 8 coréennes et 2 japonaises. En revanche, ce catalogue répertorie une collection de 191 monnaies siamoises, ce qui semble complet. Mais au total, la collection acquise à Knosp était beaucoup plus importante, puisque le BEFEO rapporte ainsi cette acquisition : « Le Musée a acquis de M. Knosp, architecte à Hanoi, une collection numismatique comprenant un total de 1933 monnaies ou médailles se décomposant ainsi : 692 pièces annamites ; 980 chinoises ; 146 de diverses provenances (Corée, Japon, Cambodge, Siam) ; 63 amulettes ; 62 non classées ». La conséquence de cet achat était que la collection de l’EFEO, dès son origine, comprit donc tout à la fois des monnaies strictement vietnamiennes, mais aussi des monnaies chinoises ayant circulé dans le pays. D’ailleurs, comment dissocier les unes des autres alors que les monnaies vietnamiennes sont toutes inspirées des monnaies chinoises ou même en sont des copies pures et simples et que ces dernières ont toujours circulé en masse dans le pays ? Et le Bulletin de conclure : « Cette collection constitue un premier fonds chinois et annamite que des achats et des trouvailles du genre de celles déjà faites sur l’emplacement de Dai-la continueront à développer »8.

En effet, en même temps que cet achat, intervint une découverte qui stimula, elle aussi, l’intérêt de l’Ecole pour la numismatique. Des travaux dans la ville de Hanoi firent découvrir une collection de poteries et de monnaies sur l’emplacement de l’ancienne citadelle de Dai-la : ce matériel archéologique fut donné à l’EFEO par le chef des travaux de la ville, nommé Babonneau9. Par ailleurs, toujours dans cette même année 1901, Albert Schroeder, l’un des meilleurs numismates d’Indochine à l’époque, écrivit au Gouverneur-Général pour lui proposer une étude sur un trésor de plus de 20.000 monnaies qui avait été découvert deux ans plus tôt lors de travaux à l’Hippodrome de Hanoi (alors que la « Mission archéologique » dirigée par Louis Finot existait déjà). Cette étude étant destinée au nouveau Bulletin de l’Ecole, le dossier avait été transmis à cette dernière10 (qui d’ailleurs ne le publia pas11). Autant d’éléments qui ne pouvaient qu’inciter l’EFEO à s’intéresser de près à sa nouvelle collection de monnaies, dont l’achat Knosp et la trouvaille de Hanoï constituaient le noyau. 7 Archives de l’EFEO (AEFEO), carton XII,dossier 1, chemise 1, correspondance de janvier-avril 1901. 8 BEFEO, n°1, 1901, p. 409. 9 BEFEO, n° 1, 1901, p. 58. 10 AEFEO, carton XII, lettre du 19 septembre 1901. 11 On retrouve le texte proposé dans le livre de Schroeder, op. cit. p. 372 et suiv.

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Proposition d'Albert Schroeder de publier le Trésor de l'Hippodrome de Hanoi

dans le Bulletin de l'EFEO (1901) (Archives de l'EFEO)

De fait, Louis Finot décida dès 1901 de faire dresser un premier inventaire

de cette collection numismatique naissante12. Le catalogue manuscrit de 1901, conservé aux archives de l’EFEO, répertoriait déjà plus de 1.800 monnaies. Il est divisé en trois parties : les monnaies chinoises (n° 1 à 573), au nombre de 980, qui s’échelonnent de la période dite des « Royaumes combattants » jusqu’au règne contemporain de Guang Xu ; les monnaies annamites (n°1 à 403), au nombre de 694 (dont 12 en or et 127 en argent), qui s’échelonnent de la dynastie des Lê antérieurs (980-1010) jusqu’à l’ère Thanh Thai (1889-) ; et enfin, 147 monnaies diverses provenant de Chine, Hong Kong, Corée, Japon, Cambodge, Siam et Laos. Cela représentait donc un assez bel ensemble pour une institution qui n’était que dans sa deuxième année d’existence : au total, 1821

12 AEFEO, « Ecole Française d’Extrême-Orient. Inventaire. 1901. Monnaies chinoises et annamites », Musée Louis Finot, carton XIII, Dossier 7, chemise 44.

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monnaies13. On le constate, l’EFEO attacha donc une réelle importance à la numismatique indochinoise dès les premières années de son existence. A propos des monnaies siamoises

Dès l’origine, la collection de l’Ecole, du fait de l’achat Knosp, comprit une collection de monnaies siamoises, ce qui appelle certaines explications. Certes, une des missions de l’EFEO, fixée dès sa création, était d’étudier non seulement les civilisations de l’Indochine, mais aussi celles des pays voisins. En ce sens, les recherches sur la civilisation siamoise étaient donc parfaitement justifiées. Mais l’intérêt porté aux monnaies siamoises par l’Ecole allait quelque peu au-delà du simple souci scientifique. La suzeraineté traditionnelle de Hué sur certaines populations laotiennes, la crise franco-siamoise de 1893 à propos du Laos, la revendication franco-khmère sur les provinces occidentales du Cambodge, notamment celle d’Angkor, occupées par Bangkok, la rivalité franco-anglaise dans les confins lao-birmans étaient autant de facteurs qui, depuis des décennies poussaient la France à s’intéresser au Siam. D’ailleurs, en 1901, J. Silvestre, dont nous avons déjà noté l’intérêt pour les monnaies vietnamiennes, avait rédigé une « Notice sur les monnaies ayant eu ou ayant cours au Siam » qui fut publiée sous forme d’un Rapport au ministre des Finances14. C’est dire que l’inclusion de monnaies siamoises dans la collection de l’EFEO relevait autant du politique que du scientifique. C’est dans cet esprit que l’exposition d’une « Collection de monnaies anciennes et modernes et de médailles du Siam », appartenant à une certaine dame Da Costa, fut organisée dès 1902, lors du Congrès des orientalistes qui eut lieu à Hanoi à cette date. Le catalogue en fut dressé par un militaire italien en poste à Bangkok, le colonel Gerini, lequel, en outre, représenta le Siam à ce congrès. Le colonel Gerolamo Emilio Gerini (1860-1913), sorti de l’Ecole militaire de Modène, était détaché Bangkok par l’Italie, en tant qu’Instructeur de la Garde royale du Siam. Il y avait fait toute sa carrière, s’était passionné pour ce pays et en avait appris la langue. En 1902, il avait déjà publié plusieurs petites études sur divers aspects de la société siamoise : l’influence de l’Inde sur l’organisation militaire (1894), le rôle de l’ordalie dans le droit du pays (1895), les rapports entre Siamois et population shan (1898), etc15 . C’est donc à lui que le gouvernement de Bangkok demanda de rédiger le catalogue de l’exposition

13 Des monnaies avaient donc été éliminées puisque la collection Knosp comptait à elle seule 1933 monnaies. 14 Administration des Monnaies et Médailles, Rapport au ministre des Finances, Année 1901, Paris, Imprimerie nationale, p. 277. 15 Cordier (Henri), « Nécrologie. Colonel G.E. Gerini », Toung Pao, 2, 1914, XV, p. 280-281.

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numismatique siamoise de Hanoi16, d’autant qu’il était lui-même collectionneur averti de monnaies de ce pays : « Je suis moi-même un fervent collectionneur » écrivait-il dans la préface de ce catalogue.

D’après Gerini, la collection Da Costa était « une des plus rares et des plus complètes qui existent ». Elle se répartissait en sept parties, d’importance très inégale. Les trois premières réunissaient les monnaies proprement dites, classées chronologiquement, au nombre de 392 ; la quatrième présentait 21 médailles contemporaines, la cinquième, des monnaies de quelques Etats tributaires du Siam (Laos, Cambodge, Ligor, Tenasserim) au nombre de 29 ; la sixième se limitait à 6 types différents de cauris ; plus 2 pièces supplémentaires dans la septième. Cela constituait un bel ensemble de 450 pièces et cauris, dont 14 pièces en or et 360 en argent. Toutefois, alors que l’EFEO acheta plusieurs des ensembles qui avaient été présentés à cette exposition organisée à l’occasion du Congrès des orientalistes de 1902, elle ne fit pas l’acquisition de cette collection Da Costa17. En revanche, les monnaies siamoises de l’Ecole, au nombre de 236 (plus quelques monnaies non classées), provenant en majorité de la collection Knosp, furent répertoriées « d’après les indications du catalogue de Madame da Costa dressé par le colonel Gerini » 18. La succession Lacroix

La succession Lacroix fut à l’origine, en 1904, d’un nouvel accroissement de la collection numismatique de l’Ecole. Désiré Lacroix (1859 ? – 1903) était capitaine d’artillerie de Marine. C’était un numismate passionné, qui d’ailleurs semble avoir plus étudié que collectionné. Il se présentait comme étant un disciple de Jules Silvestre avec lequel il avait « été en relations journalières pendant trois ans » ; c’était d’ailleurs celui-ci qui lui avait conseillé de poursuivre son œuvre numismatique et c’est à lui qu’il dédia sa Numismatique annamite. Dès 1900, à peine créée, l’Ecole avait choisi ce livre comme premier volume, on l’a noté, de sa nouvelle collection de « Publications de l’Ecole Française d’Extrême-Orient ». L’ouvrage avait été favorablement accueilli ; plusieurs revues savantes, en 1901-1902, en avaient donné des comptes-rendus élogieux, ainsi le Journal of the Royal Asiatic Society, ou encore Henri Cordier

16 Catalogue d’une collection de monnaies anciennes et modernes et de médailles du Siam et de quelques anciens Etats tributaires du même Royaume, exposée par Madame da Costa. Hanoi. 1902. Notice par G.E. Gerini. Bangkok, Imp. « Siam Free Press », 1902, 30 p. (Publié à 6 exemplaires !). 17 L’achat par le Gouvernement-Général de l’Indochine, en 1903, d’objets d’art appartenant à Mme Da Costa (et M. Teutsch) et ayant été exposés à Hanoi, ne semble pas avoir compris cette collection de monnaies siamoises (AEFEO, carton XII, dossier 1, chemise 2 ,pièces 149, 179, 183). 18 AEFEO, Catalogue des monnaies et médailles du Royaume de Siam classées d’après les indications du catalogue de la collection de Madame da Costa dressé par le Colonel Gerini », carton XIII, dossier 7, chemise 44.

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dans le Toung Pao. L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, en juin 1902, l’avait même gratifié du Prix Stanislas Julien19.

Publication de Désiré Lacroix à l'EFEO (1900) Ces éloges, il est vrai, étaient peut-être quelque peu usurpés. Comme D.

Lacroix l’écrivait lui-même dans sa préface, son livre n’était « qu’une nouvelle édition », remaniée et augmentée, du travail de Silvestre20. C’est donc à ce dernier que revenait une grande partie du mérite qui était ainsi récompensé. Mais il est vrai que le Capitaine Lacroix avait, lui aussi, réuni une collection de monnaies vietnamiennes et surtout l’avait minutieusement étudiée21 : ce livre était donc également le fruit de ses propres recherches. Il fit d’ailleurs autorité dans ces premières années du XXe siècle, car plus que les travaux de Silvestre, il constituait, non sans raison, un véritable catalogue pour les nombreux collectionneurs que comptait alors l’Indochine. En revanche, dès 1905, la parution du livre de Schroeder fera franchir une étape décisive à la numismatique vietnamienne et dès lors, ce dernier s’imposera, à juste titre, comme la référence obligée, ce qu’il est encore de nos jours, en partie du moins.

Or ce fut en 1903, c’est-à-dire avant la publication du livre de Schroeder,

que décéda Désiré Lacroix. Le fait que sa Numismatique annamite ait été accueillie parmi les « Publications de l’Ecole d’Extrême-Orient » et que son 19 BEFEO, vol. 2, 1902, p. 312. 20 P. 3 de sa préface. 21 Il citait deux autres collectionneurs de monnaies vietnamiennes qui l’avaient beaucoup aidé : Stem, contrôleur des douanes de la Cochinchine et Grilhon, élève en pharmacie.

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aura n’ait pas encore été obscurcie par l’étude de Schroeder, conférait à ses travaux un certain prestige. C’est ce qui amena l’EFEO à accueillir très favorablement la collection de Lacroix que celui-ci, dans ses dispositions testamentaires, lui avait léguée.

En fait, cette collection n’était pas d’une ampleur considérable. Elle

comptait au total 444 monnaies chinoises et vietnamiennes (dont quelques dizaines de monnaies de présentation vietnamiennes et amulettes chinoises), ainsi qu’une petite collection de 82 monnaies siamoises des XVII-XIXes siècles22. Mais de plus, le legs comprenait tous les manuscrits, notes, livres, que possédait Lacroix en numismatique chinoise et vietnamienne : cela représentait un ensemble de 36 dossiers, chemises ou ouvrages de documentation sur le sujet23. C’était là le premier fonds quelque peu scientifique que recueillait l’EFEO en matière numismatique, l’achat de la collection Knosp n’ayant été accompagné d’aucune documentation comparable. Un enrichissement continu Après celle de Lacroix, ce fut probablement la collection Dumoutier qui constitua l’enrichissement le plus notable de celle de l’EFEO durant cette première décennie de son existence, non par son ampleur, mais du fait de l’appartenance de Dumoutier à l’EFEO. Gustave Dumoutier (1850-1904) avait étudié le vietnamien et le chinois à l’Ecole des Langues orientales. Lorsque Paul Bert, qui l’appréciait, avait été nommé Résident général en Annam et Tonkin, en 1886, il lui avait proposé de le suivre à Hanoi en tant qu’ « interprète pour l’annamite et le chinois ». Ainsi avait commencé la carrière indochinoise de Dumoutier. Celui-ci avait surtout travaillé à l’organisation de l’enseignement et la création des écoles franco-annamites, mais s’était bientôt intéressé à tous les aspects du pays, folklore, archéologie, langue, etc. : son œuvre scientifique fut assez éclectique. A la suite de difficultés avec l’Administration, il avait été contraint à faire valoir ses droits à la retraite en avril 1904. Très affecté par cette disgrâce qu’il jugeait injuste, il s’était retiré à Doson, où il était décédé en août de la même année24. Il n’avait rien écrit en matière de numismatique, mais avait rassemblé un petit lot de monnaies qui revint à l’EFEO après son décès. Celui-ci ne comportait guère qu’une centaine de pièces, principalement chinoises (53), mais aussi vietnamiennes (10), siamoises (5), non identifiées et diverses (33)25.

22 AEFEO, « Catalogue de la collection Lacroix », carton XIII, dossier 7, chemise 44. 23 AEFEO, « Procès-verbal de remise à l’Ecole des boites de la succession Lacroix », 18 janvier 1904, et « Procès-verbal de remise des documents », 19 janvier 1904, carton XII, chemise 3, documents 192-195. 24 Maître (Cl.E.), « Nécrologie. Gustave Dumoutier », BEFEO, vol. 4, 1904, p. 790-803. Ou encore, Cordier (Henri), « Nécrologie. Gustave-Emile Dumoutier », Toung Pao, 1904. 25 AEFEO, « Collection Lacroix », carton XIII,dossier 7, chemise 44.

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Ces modestes enrichissements de la collection étaient caractéristiques de ce qui arrivait sans cesse à l’Ecole. Les archives en comportent maints témoignages qu’on ne saurait répertorier en leur ensemble. Ainsi, le 30 janvier 1902, Georges Planus, receveur des Postes et Télégraphes à Cholon26 proposait des monnaies cambodgiennes, siamoises, laotiennes, japonaises, coréennes : on lui adressa un « refus poli » le 22 mars27. Le 19 mai 1908, ce fut M. Fleury qui proposa une collection28, le 14 mars 1914, M. Ellies29, etc. Nombre de ces propositions provenaient aussi de fonctionnaires qui ne savaient que faire de ces monnaies découvertes lors de travaux publics. Par exemple, le 23 août 1915, Darles, Résident à Thai-Nguyên, faisait don à l’Ecole d’un ensemble de sapèques chinoises de la dynastie Song mises à jour lors de travaux30. Parfois, ces dons revêtaient une importance scientifique plus marquée. Ainsi, le 5 juillet 1916, le Lieutenant Poy, Délégué de Loc-Ninh, rendait compte au Résident de Lang-Son de la trouvaille de 50 kg de sapèques découvertes lors de la réfection de la route coloniale n° 12 ; la lettre était accompagnée d’un schéma très précis et le 31 juillet, il donnait au directeur de l’EFEO tous les détails demandés quant à cette trouvaille31. Ou encore, cette découverte de huit lingots d’argent du règne de Gia Long (1802-1820), lors de travaux à Hanoi : cette fois-là, on prit soin de remettre au jeune coolie qui les avait trouvés, la somme de six piastres, « conformément aux dispositions de l’article 716 du Code Civil »32.

Durant toutes les années 30 et 40, en dépit des évènements, la collection continua à s’enrichir, non par des achats, mais plutôt par quelques dons et surtout par les acquisitions provenant des fouilles ou des travaux. Les offres de ventes parvenaient toujours en grand nombre à l’EFEO, mais désormais l’heure n’était plus aux acquisitions onéreuses comme vers 1900-1905. Par exemple, lorsque Guiraud, pourtant membre du cabinet du Résident supérieur au Tonkin, chercha à vendre à l’EFEO sa collection pour 500 piastres, l’Ecole lui en proposa 2533. Ce qui était désormais la source principale, c’étaient les envois administratifs : envois du Résident de Kien-an en 1921, du Résident de Huy-yen en 1928, etc. Parfois, ces envois, ou propositions d’envois, étaient fort importants. Ainsi en février 1935, le Résident de France dans la province de Hatinh se proposait d’expédier à l’Ecole 12.000 sapèques datant de la dynastie chinoise des Jin (1115-1234), des monnaies rares, trouvées par un paysan dans le huyên de Huong-Khê34. En juin 1939, J. Larivière, Délégué à Hongay, 26 Pour tous les noms de lieux, on a conservé l’orthographe des archives. 27 AEFEO, Lettre du 30 janvier 1902, carton XII, chemise 2 bis, document 107. 28 AEFEO, Lettre à cette date, carton XII, chemise 2 bis, document 245 29 AEFEO, Lettre à cette date, carton XII, chemise 2 bis, document 422. 30 AEFEO, Lettre à cette date, carton XII, chemise 2 bis, documents 471-472. 31 AEFEO, carton XII, dossier 1, chemise 7, documents 471 à 472. 32 AEFEO, carton XII, dossier 1, chemise 7, documents 523-524. 33 AEFEO, lettres des 20 et 23 avril 1927, carton XII, dossier 3, chemise 17 34 AEFEO, lettre du 16 février 1935, carton XII, dossier 3, chemise 13.

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envoyait à l’EFEO deux jarres remplies de sapèques provenant de Vachay35. Il est d’ailleurs remarquable que certains mandarins locaux participaient, eux aussi, à ces dons : par exemple, en janvier 1940, le tuan-vu de Quang-Binh faisait parvenir au Résident supérieur d’Annam, 822 sapèques découvertes au village de Nhon-Tho, phu de Quang-Trach, qui furent aussitôt proposées à l’Ecole36. Ces envois durèrent jusque vers 1944 ; à partir de 1945, au contraire, les archives de l’EFEO n’en relatent pratiquement plus.

A la fin de la guerre du Pacifique, la collection comptait environ 4000

monnaies asiatiques, essentiellement chinoises et vietnamiennes. Aux yeux de l’EFEO, ce n’était pas une collection aussi prestigieuse que celles des tambours de bronze ou de la statuaire khmère ; elle n’en était pas moins fort importante.

Le transfert à la République démocratique du Vietnam

La décolonisation, après 1954, se traduisit évidemment par un changement complet de statut pour cette collection comme pour l’ensemble du Musée Louis Finot. En 1957, l’EFEO quitta le Vietnam Nord et ses collections furent transférées aux nouvelles autorités. A cet effet, une Commission mixte d’inventaire franco-vietnamienne fut mise en place, dirigée du côté français, par Léon Vandermeersch, alors administrateur ad interim du centre de l’EFEO à Hanoi et chargé de la conservation du Musée. Trois groupes d’inventaire furent constitués pour les bâtiments, le matériel, la bibliothèque et les diverses collections archéologiques, artistiques, ethnographiques, etc.

C’est le troisième groupe qui fut chargé de la collection numismatique.

Cet inventaire commença le 7 octobre 1957 et dura un trimestre entier. Il fut conclu le 2 janvier 1958. Il avait abouti à un document de huit pages37, signé, du côté français, par L. Vandermeersch et du côté vietnamien, par le représentant du gouvernement de la R.D.V.N., Nguyễn Đỗ Cung. Après toutes ces années de guerre et de désordres qui en résultèrent, l’état de la collection, au vu du procès-verbal, se présentait de la façon suivante :

Collection vietnamienne : Nombre de pièces dans l’ancienne liste 589 Nombre de pièces perdues 123 Collection chinoise : Nombre de pièces d’après l’ancienne liste 2.352 Nombre de pièces perdues 47 Pièces non cataloguées et non étudiées 1.353

35 AEFEO, lettre du 20 juin 1939, carton XIII, dossier 6 36 AEFEO, lettre du 8 janvier 1940, carton XIII, dossier 6. 37 AEFEO, carton XII, dossier 96

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C’est dire que cette collection de l’EFEO, constituée depuis plus d’un

demi-siècle, comptait 4.294 monnaies lors de son transfert à la République démocratique du Vietnam. Numériquement, elle était donc presque intacte, ce chiffre correspondant tout à fait à l’importance de la collection au début de la guerre d’Indochine. Néanmoins elle ne comprenait plus que 589 monnaies vietnamiennes, c’est-à-dire moins que n’en possédait la seule collection Knosp en 1901. Qualitativement, les pertes étaient sensibles, car les pièces dites « perdues », étaient pour beaucoup, en fait, les pièces de valeur. Par exemple, dans la collection vietnamienne, les pièces « perdues » étaient essentiellement des monnaies de présentation, 80 pièces et lingots en argent des ères Minh Mạng, Thiệu Trị, Tự Dức et Thành Thái. Sur les 19 pièces en or de Minh Mạng à Thành Thái, il n’en subsistait aucune. Les 10 pièces d’or siamoises étaient également « perdues », de même que 3 petits lingots d’argent japonais et 3 monnaies d’or. La guerre s’était surtout faite sentir dans les monnaies les plus précieuses.

Depuis cette date, la collection numismatique de l’ex-Musée Louis Finot se trouve donc appartenir au Musée national d’histoire du Vietnam (Bảo tàng lịch sử Việt Nam) de Hanoï qui lui a succédé : elle constitue en somme la collection nationale vietnamienne. Après 1958, le développement de la numismatique vietnamienne a été réel, encore que limité, ce qui se comprend parfaitement du fait de la guerre. Les recherches se sont surtout développées depuis les années 1980 et 1990, comme en témoigne par exemple l’important recueil d’articles de Đỗ Văn Ninh, Tiền cổ Việt Nam (Monnaies du Vietnam), publié à Hanoi en 1992. De leur côté, les numismates asiatiques ont également été à l’origine de travaux marquants. Ce fut le cas du Japon avec les trois volumes Annam Senpu 安南钱谱 (Catalogue des monnaies d’Annam) de Miura Gosen 三浦吾泉, publiés dès 1966-71. La Chine a, elle aussi, tenu une place majeure en ce domaine, en particulier la Société numismatique du Guangxi avec la publication de l’ouvrage Yuenan lishi huobi 越南历史货币 (Monnaies historiques du Vietnam), à Pékin, en 1993, ainsi que le Musée de Shanghai en publiant, en 1994, le catalogue de sa (modeste) collection de monnaies vietnamiennes dans le volume 8 (Waiguo qianbi 外国钱币, Monnaies étrangères) de son Shanghai bowuguan qianbi cang上海博物馆钱币藏 (Fonds monétaire du Musée de Shanghai).

Le Musée de Hanoi, pour sa part, n’a pas publié le catalogue de sa collection numismatique. Toutefois, il a édité en 2005, sous la direction de Phạm Quốc Quân, son directeur, un ouvrage intitulé Tiền kim loại Việt Nam38, qui constitue 38 Hanoï, 308 p.

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une sorte de panorama de cette collection dont l’origine remonte à celle constituée par l’EFEO à partir de 1900. Pour ce faire, le Musée a étroitement coopéré avec la Chine, en l’occurrence la Société numismatique du Guangxi. Il en est résulté un ouvrage intéressant qui poursuit ainsi l’effort initié par l’EFEO voici plus d’un siècle.

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II

Les Pères M. et H. de Pirey, membres correspondants de l'EFEO et numismates*

Les Pères Maximilien et Henri Arnoulx de Pirey furent missionnaires au

Vietnam durant le premier tiers du XXe siècle. Parallèlement à leur œuvre apostolique, ces deux missionnaires réalisèrent dans ce pays un travail scientifique considérable, notamment dans les domaines archéologique et numismatique. L’aîné était le P. Maximilien de Pirey, né à Maizières, près de Besançon, le 6 mai 186739. Il avait commencé ses études de théologie au Grand séminaire de Saint-Sulpice, puis était passé à celui des Missions Etrangères de Paris. Ordonné prêtre le 21 février 1891, il était parti deux mois plus tard pour la mission de Cochinchine septentrionale. Sa vie de missionnaire se déroula entièrement au Vietnam central, l’Annam de l’époque. Il mourut en France en 1932.

P. Maximilien de Pirey P. Henri de Pirey 1867-1932 1873-1934

* Le texte qui suit est une version abrégée de l'introduction de notre ouvrage Les collections numismatiques de Pères H. et M. de Pirey (Missions Etrangères de Paris). Monnaies d'Extrême-Orient, Nantes, Société de Numismatique Asiatique, 2011, 441 p. 39 Les deux biographies des PP de Pirey ont été rédigées d’après les biographies « officielles » des deux frères figurant aux Archives des Missions Etrangères de Paris, ainsi que celles publiées dans le Bulletin de l’Ecole Française d’Extrême-Orient, 1933, p. 560-61, et 1934, p. 793, et le Bulletin des Missions Etrangères de Paris, 1936, p. 468-472.

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La vie de son frère cadet, le P. Henri de Pirey, fut très parallèle à celle du P. Maxilimien. Né lui aussi à Maizières, le 5 juillet 1873, il était entré aux Missions Etrangères en 1892 et avait été ordonné prêtre cinq ans plus tard. Comme son frère, il fut destiné à la mission de Cochinchine septentrionale où il arriva en 1898 et où il passa tout le reste de sa vie. Atteint d’un cancer, il mourut le 26 juillet 1934 à la clinique Saint Paul de Hanoi, après trente-sept ans de mission en Annam. Il est généralement admis, dans les publications de l’époque, que le P. Maximilien de Pirey fut plutôt numismate, et le Père Henri de Pirey, plutôt archéologue. En fait, ils travaillèrent toujours en étroite coopération et il est bien difficile, voire assez arbitraire, de vouloir ainsi leur affecter telle ou telle spécialité précise et exclusive. C’est ainsi, par exemple, qu’ils fouillèrent ensemble autour du lac de Bô-Trô, au Quảng-Bình, près de Đồng-Hới, première affectation du Père Maximilien en 1891 et qu’ils y firent d’importantes découvertes préhistoriques : village lacustre de l’ère de la pierre polie, avec terres cuites, hachettes, etc40. C’est également dans cette région du Quảng-Bình qu’ils firent de nombreuses fouilles de sites et monuments cham, ce domaine de la civilisation cham étant celui où leur réputation était la plus grande. Ces travaux leur valurent d'être tous deux nommés membres correspondants de l'EFEO. Deux numismates passionnés

Or cette étroite collaboration en matière archéologique se vérifie

totalement dans le domaine de la numismatique, même si c’est plutôt le P. Maximilien, on l’a rappelé, qui fut considéré comme le numismate. En fait, ce dernier n’a jamais rien publié en matière de monnaies, mais pourtant « il était l’âme des recherches numismatiques en Indochine », notait le Bulletin de l’Ecole Française d’Extrême-Orient en 1933. « Lorsque des monnaies antiques difficilement déchiffrables étaient découvertes, on avait recours à sa science très avertie et ce n’était jamais en vain », précisait de son côté le Bulletin des Missions Etrangères de Paris en 1936. Bien souvent, c’est à lui qu’on s’adressait pour l’étude des monnaies récoltées au cours des fouilles archéologiques. Un bon exemple de son expertise en la matière est l’aide qu’il fournit lors des fouilles de V. Goloubew à Đông-Sơn, en 192941. Dans les sépultures fouillées avaient été trouvées quelques monnaies de type ban liang 半兩 et

40 Ibid., p. 470 41 Ibid., 1929, p. 11. Sur ces fouilles, cf. GOLOUBEW (Victor), « L’âge du bronze au Tonkin et dans le Nord-Annam », BEFEO, XXIX (1929), p. 1-46.

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wuzhu五銖. Comme ces deux types de monnaies ont duré plusieurs siècles, aucune datation précise ne pouvait être déduite de cette découverte. Mais, collées au milieu de ces sapèques, on trouva également plusieurs autres monnaies d’un type différent. Goloubew fit appel aux frères de Pirey qui les datèrent du règne de Wang Mang (9 av. - 23 ap. J.C.) – il s’agissait en fait de huoquan 貨泉-- ce qui resserrait considérablement la datation. De la même façon, le P. Maximilien de Pirey travailla sur les monnaies trouvées lors des fouilles de Thánh-Hóa, en 1930, pour lesquelles il « rédigea une longue note à leur sujet »42. Le P. Henri de Pirey fut, lui aussi, un numismate averti et il seconda activement son frère aîné dans tous ses travaux numismatiques. Ainsi, lors des fouilles de Đông-Sơn, en 1929, ce sont les deux frères de Pirey que remercie V. Goloubew. On le constate, leur collaboration était donc étroite en matière numismatique. Il est d’ailleurs touchant de constater qu’après la mort de son frère Maximilien, le P. Henri de Pirey, qui pourtant avait sa propre collection, continua à enrichir celle de son frère, comme le montrent divers ajouts au catalogue de ce dernier, datés, par exemple, du 5 juillet 1933. Quatre mois avant son décès, en février 1934, alors qu’il se savait atteint d’un cancer, il écrivait encore dans ses papiers personnels, pour mémoire : « J’ai révisé avec plus d’attention un lot de pièces de l’Ecole [Française d’Extrême-Orient] provenant de la succession de M. Pouyanne et j’ai apporté à Monsieur Mus43 un bon nombre de pièces qui sont en bon état et qui sont datées sûrement. J’y ai ajouté qqs pièces du titre Bảo Đại faites à Huế »44.

Le classement de la collection de l’EFEO

Une des premières grandes entreprises numismatiques du P. Maximilien

de Pirey fut le classement de la collection de monnaies de l’EFEO. C’est en effet à lui que l’Ecole confia, en 1920, le soin de mettre un peu d’ordre dans sa collection. Celle-ci était assez considérable : commencée en 1901, du temps de Louis Finot, le premier directeur de l’Ecole, elle n’avait cessé de s’accroître par des achats, des dons, des trouvailles lors de fouilles ou de travaux45 . Le catalogue en avait été rédigé dès 1901, mais du fait de ces accroissements successifs, il était quelque peu périmé. Le P. Maximilien de Pirey entreprit donc de le réviser et même de le remanier totalement46. 42 Ibid., 1930, p. 190. 43 Il s’agit très probablement de Paul Mus, sociologue, membre de l’EFEO depuis 1927, qui venait de soutenir sa thèse sur Borobudur en 1933, et dont on apprend ainsi qu’il était également numismate. 44 Archives de Pirey (MEP). 45 Nous nous permettons de renvoyer à notre étude « A l’origine de la collection numismatique nationale du Vietnam », à paraître dans le BEFEO. 46 BEFEO, 1920, p. 239.

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On lit en première page du nouveau catalogue qui en résulta cette courte mention : « La collection a été entièrement revue par le P. Maximilien de Pirey en mai 1920 pour les pièces à caractères chinois, pièces amulettes, etc. Il a été dressé de ces pièces un inventaire complet par titres de règne, inventaire qui a été emporté par lui et qu’il doit renvoyer de Quang-Tri en juin. Cet inventaire pourra servir de base à un classement définitif ultérieur »47. En fait, le P. de Pirey commença par rédiger à la main un projet complet qui fut ensuite dactylographié et sur lequel il ajouta les caractères chinois : les archives de l’EFEO conservent tout à la fois le manuscrit et la version dactylographiée. Travail considérable car la collection comprenait alors 2.925 monnaies chinoises et vietnamiennes. A ce total, le P. Maximilien de Pirey avait contribué par 788 pièces qu’il avait extraites de sa collection personnelle de façon à compléter celle de l’Ecole. De plus, il avait non seulement classé les monnaies chinoises et vietnamiennes, mais aussi les autres monnaies asiatiques de la collection, y compris un ensemble de plus de 200 monnaies siamoises.

Catalogue de la collection numismatique de l'EFEO

rédigé par le P. Maximilien de Pirey. 1920 (Archives de l'EFEO)

47 Archives de l’EFEO (AEFEO), carton XIII, dossier 6, chemise 44

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Après 1920, le P. Maximilien de Pirey continua à s’occuper du classement de cette collection qui ne cessera de s’accroître. Il fut d’ailleurs aidé par son frère. Ainsi, en 1929, le Bulletin de l’EFEO notait : « Les PP. Max et Henri de Pirey sont venus à deux reprises pour classer la collection numismatique de l’Ecole et en préparer le catalogue »48. Et en 1932, lorsque le P. Maximilien de Pirey mourut, ce fut son frère Henri qui poursuivit ce travail pendant l’année 1933, mais lui-même disparut en 1934. Rendant hommage à ce dernier, le Bulletin de l’EFEO de 1934 pouvait écrire « qu’il se consacra dans ses derniers temps à une révision minutieuse de nos collections de sapèques que les deux frères avaient aidé si souvent à compléter et qu’ils avaient enrichi des pièces manquantes tirées de leur belle collection personnelle »49.

Corpus nummorum veterum

En effet, chacun des deux frères avait constitué une importante collection personnelle de monnaies chinoises et vietnamiennes. Elles sont en partie parvenues à la maison-mère des Missions Etrangères de Paris dans les années 1980. En réalisant la sienne, le P. Maximilien de Pirey satisfaisait incontestablement son goût de la collection, mais il poursuivait également un objectif plus élevé qui était celui d’une meilleure connaissance du passé historique du Vietnam. Or il était convaincu que la recherche numismatique constituait un outil important pour y parvenir. C’est la raison pour laquelle, assez tôt, il songea à la rédaction d’un Répertoire de numismatique annamite et chinoise, de façon à « convaincre quelques numismates jeunes et de bonne volonté de la nécessité absolue qu’il y a de mettre enfin la main à un Corpus nummorun veterum, appelé à prendre place dans les bibliothèques à côté des grands recueils d’inscriptions »50. Une lettre que lui écrivait en 1919 André Salles, ancien inspecteur des colonies et collectionneur distingué des monnaies de l’Indochine française, montre bien qu’il était fort encouragé à œuvrer en ce sens : « Aussi souhaiterais-je [écrivait Salles] voir entreprendre un inventaire de tout ce qui est actuellement connu en fait de numismatique annamite. Il serait utile de coordonner toutes les séries mises au jour par Toda, Lacroix, Schroeder, mais en y ajoutant tout ce que pourraient révéler d’abord le Trésor de Hué, ensuite la collection Marty qui est, paraît-il, fort importante, celle de l’Ecole d’Extrême-Orient et aussi les collections particulières qui doivent être assez nombreuses en Indochine. Je me rappelle avoir vu une collection de sapèques très fournie, à Hanoi, il y a une douzaine d’années. Si on ajoutait à cela une chasse que les Amis du Vx Hué pourraient faire organiser durant quelques mois par les associés indigènes, on aurait chance d’arriver à un travail qui

48 BEFEO, vol. XXIX, 1929, p. 470. 49 Ibid., vol. XXXIV, 1934, p. 793. 50 Nguyên-van-Tho, Nécrologie du Père Max de Pirey, BEFEO, 1933, p. 36.

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constituerait réellement une Numismatique annamite. C’est une lacune à combler. Il faudrait en venir là pour faire prendre place à notre Indochine, dans la Numismatique française et forcer l’attention des numismates de la métropole ». Et de conclure : « C’est vous dire, mon Rév. Père, combien je serai heureux de vous voir continuer vos recherches et étendre vos travaux numismatiques ». Malheureusement la disparition du P. Maximilien de Pirey en 1932 ne permettra jamais à ce projet d’aboutir. Son autorité scientifique en matière numismatique attirait tout naturellement à lui un grand nombre des numismates d’Indochine qui lui demandaient conseil. Son rôle dans le classement des monnaies de l’EFEO et l’identification des monnaies trouvées lors des fouilles archéologiques ou des grands travaux contribuait pour beaucoup à cette notoriété. Mais en sens inverse, son projet de Répertoire de numismatique annamite le poussait à se rapprocher des numismates de la colonie, susceptibles de lui fournir des informations nouvelles. Aussi ses archives personnelles comptent-elles de nombreuses mentions et relevés de collections plus ou moins importantes qu’il accumulait ainsi, en vue de la rédaction de ce Répertoire.

On y trouve par exemple le catalogue de la collection de René Mercier (1886-1974), graveur de monnaies et médailles en Indochine dans les années 1930 et 1940. Parmi ses correspondants, notons également Alfred Bouchet, qui fut administrateur des Services civils de l’Indochine et maire de Haïphong. Sur le plan strictement monétaire, c’est lui qui présida la commission préparatoire de la sapèque Bảo Đại de 1933 gravée par R. Mercier. Comme bien d’autres, il confia probablement sa collection au P. Maximilien de Pirey pour étude, encore qu’on n’en trouve aucune trace dans les archives de ce dernier. Et bien d'autres exemples pourraient être cités, notamment celui du Dr Albert Sallet, lui aussi membre correspondant de l'EFEO, sur la collection duquel nous allons revenir. On le constate, le P. Maximilien de Pirey se trouvait, du fait de sa grande compétence et de sa notoriété en matière numismatique, au centre d’un vaste réseau d’amateurs, lequel contribuait indirectement au rayonnement scientifique de l'EFEO en ce domaine.

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III

Le Dr. Albert Sallet membre correspondant de l'EFEO et numismate51

En 1903, le Dr Sallet (1877-1948) avait commencé sa carrière de médecin militaire en Indochine, plus précisément dans le Sud-Annam, seule région où subsistait une population de Chams. Il avait appris leur langue (en même temps que le vietnamien et les caractères sino-vietnamiens), étudié leur culture et publié nombre d’articles à leur sujet. Mais parallèlement, il s’était investi dans une vaste enquête sur la médecine traditionnelle vietnamienne et les pratiques de magie conjuratoire, ce qui est étroitement lié à la numismatique, nous y reviendrons. Il avait quitté l’Armée en 1925, mais était demeuré six autres années en Indochine, période durant laquelle lui avait été confiée, en tant que membre correspondant de l’Ecole Française d’Extrême-Orient, la conservation du Musée d’art cham de Tourane. A l’issue de ce séjour, il s’était installé à Toulouse et était devenu conservateur du Musée Georges-Labit (qui comprend d’ailleurs un fonds non négligeable d’art cham).

Le Dr Albert Sallet à son bureau du Musée de Toulouse

Durant ces décennies de séjour en Annam, il avait constitué une importante collection de monnaies qui, en partie, est toujours conservée dans sa famille. Elle n’est plus tout-à-fait complète car le Dr Sallet, dès avant 1925,

51 Le texte qui suit est une version abrégée de notre article "Entre numismatique, médecine et magie. La collection de monnaies sino-vietnamiennes d'un érudit toulousain : le Dr Albert Sallet", Bulletin de la Société Française de Numismatique, juin 2010, p. 180-189.

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avait fait don de certaines de ses monnaies au Musée Khải-Định52, fondé par l'EFEO dans le palais impérial de Huê en 1923, et après son décès, d’autres monnaies furent prelevées par sa famille. Dans son état actuel, elle compte environ 5.800 pièces : près de 4.700 sont chinoises et environ 1.100 vietnamiennes.

Le Dr Sallet était très proche de l’équipe de la revue Les Amis du Vieux Hué dont il fut un des fondateurs et des animateurs, très proche aussi de l’Ecole Française d’Extrême-Orient dont il fut, on l’a rappelé, membre correspondant : cela le mettait tout naturellement en relations directes avec les trouvailles qui étaient faites à l’occasion des fouilles archéologique et des grands travaux. C’est dire que la plupart des monnaies qui composent cette collection ont circulé au Vietnam, qu’elles soient chinoises ou vietnamiennes. Toutefois, il semble qu’une partie de celle-ci provenait d’une autre collection, fort connue dans le petit milieu des numismates d’Indochine au début du XXe siècle, celle de Louis Marty, commis puis administrateur des Services civils au Tonkin, qui avait d’ailleurs été détaché à l’EFEO en 191253. Mais la collection Marty avait probablement été constituée de la même façon que celle du Dr Sallet, à partir de trouvailles locales.

« Numismatique médicale »

Considérer cet ensemble comme le simple résultat du goût d’un homme

pour la collection équivaudrait probablement à en restreindre la signification. En effet, le Dr Sallet consacra une grande partie de ses longs séjours en Indochine, à l’étude de la médecine et de la pharmacopée traditionnelles vietnamiennes, et ce qui en est indissociable, la « magie conjuratoire », pour reprendre ses propres termes. En cela, il se situait dans une tradition de l'époque, celle de la « numismatique médicale », c’est-à-dire cette numismatique bien particulière, pratiquée par les médecins autour de monnaies à connotation médicale. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agit essentiellement des premiers médecins de France et d’Indochine qui se penchèrent sur la question des amulettes chinoises et vietnamiennes.

C’est clairement dans le contexte de cette « numismatique médicale » que

s’inscrivaient les préoccupations du Dr. Sallet. Comme nombre de ses confrères métropolitains et coloniaux, il fut sensible à l’originalité des pratiques médicales et magiques chinoises et vietnamiennes, ce qui le conduisit à l’étude des amulettes. C’est ainsi qu’en 1926, il réussit à faire diffuser administrativement 52 Lettre du P. Maximilien de Pirey, 28 juillet 1925. Fonds Sallet. 53 Cf. lettre du P. Maximilien de Pirey, 24 février 1926, Fonds Sallet : « On m’a encore signalé la collection Marty qui serait en la possession de Mr Salet à Haïphong ». Cf également la lettre d’ A. Salles au P. Maximilien de Pirey, 30 sept. 1919, Bulletin des Amis du Vieux Huê, 1920, p. 459-460 : « La collection Marty qui est, paraît-il, fort importante … ». Concernant le détachement de Louis Marty à l’EFEO, cf. BEFEO, 1912, p. 218.

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dans une partie de l’Annam, un questionnaire destiné à recueillir dans certains villages, des informations sur les coutumes, les traditions, les plantes médicinales et surtout les pratiques magico-médicales ; de même, il fit peindre par des sorciers, surtout le « sorcier de Tourane » qu’il cite souvent, des « images » pour pratique de « magie conjuratoire » et confection d’amulettes. De tout cela, subsiste dans les papiers du Dr Sallet un fonds documentaire d’environ 2.500 pages et 500 images, d’une extraordinaire richesse, qui a d'ailleurs été examiné par un spécialiste de l'EFEO.

Exemples d’ « images » de « magie conjuratoire »

de la collection du Dr Sallet

Or au Vietnam comme en Chine (voire Corée et Japon), la monnaie a toujours joué un grand rôle dans la pharmacopée et les pratiques de « magie conjuratoire ». Il est d’ailleurs remarquable que le mot qian 錢 sert tout à la fois à désigner la « monnaie » au sens économique et numismatique, mais aussi l’ « amulette » destinée, entre autres fonctions, à combattre démons et pestilences. D’ailleurs, tous les grands ouvrages asiatiques de numismatique portent en partie sur les amulettes.

Les papiers du Dr. Sallet ne permettent pas de mesurer exactement

l’importance du lien qu’il établissait entre ses recherches sur les pratiques thérapeutiques et magiques vietnamiennes et sa collection numismatique. Mais

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bien évidemment, il connaissait parfaitement la relation existant entre ces deux domaines. D’ailleurs, ses travaux en portent témoignage. Ainsi écrit-il dans son Officine sino-annamite, à l’article Sapèques anciennes / Cỏ văn tiến (p. 119) : « On frotte une sapèque ancienne sur une surface rugueuse : le produit de l’usure obtenu est glissé sous les paupières dans les cas d’inflammations conjonctivales : la guérison serait rapidement assurée ». Et une note complète cet article : « Cửa tùng. Les sapèques anciennes sont portées par les enfants en protection contre les maladies semées par les mauvais esprits (croyance générale) ».

Une collection d’amulettes Pour preuve que le Dr Sallet était fort intéressé par ce lien entre monnaie et « magie conjuratoire » : non seulement il collectionnait monnaies et amulettes pertinentes en ce domaine, mais encore ce sont ces dernières qu’il plaça en tête du catalogue de sa collection, rédigé lorsqu’il fut installé à Toulouse. Le Dr. Sallet s’était fait aider, lorsqu’il était en Indochine, par un lettré de grande culture, à savoir son ami Nguyen Dinh Hoe, directeur de l’Ecole mandarinale de Huê. C’est très probablement à lui qu’on doit toutes les notices et étiquettes qui ont suivi cette collection de monnaies et amulettes.

"Médailles talismaniques" ouvrant l'inventaire de la collection Sallet

(Archives du Fonds Sallet. EFEO)

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Malheureusement, très peu nombreuses sont ces amulettes – que le Dr Sallet nomme « médailles talismaniques » -- dans la collection telle qu’elle nous est parvenue. Quant à celles que les Chinois appellent ya sheng qian壓 勝錢« monnaies / amulettes (qian) pour écraser (ya) et vaincre (sheng) (les démons et esprits malfaisants) », elles en ont toutes été retirées, mais nous en connaissons encore un certain nombre grâce aux estampages contenus dans les archives écrites de la collection.

Prenons par exemple la n° 1 de ces « médailles talismaniques » dans le

catalogue dressé par le Dr. Sallet lui-même.

Médaille talismanique n° 1 (estampage)

Cette amulette comporte au droit (image de droite) le zodiaque avec les

douze animaux en périphérie et les douze signes cycliques leur correspondant. Sa fonction protectrice découle de ce que, selon les croyances chinoises et vietnamiennes, chaque individu est protégé par une divinité résidant dans telle ou telle étoile de la Grande Ourse en fonction de son année de naissance. Au revers (image de gauche), on trouve les ba gua 八卦, les « Huit trigrammes », symbole, entre autres, des différents stades de la vie, et moyen de protection contre les désordres et nuisances. Au centre, figure le Taiji 太極, union des principes yin et yang. Autant d’éléments qui ne peuvent que protéger contre les esprits malfaisants.

On comprend que de telles amulettes intéressaient au plus haut point le Dr Sallet pour ses études sur la magie conjuratoire vietnamienne. Et ces exemples pourraient être multipliés. Avec cette partie de sa collection, on était clairement au-delà de la numismatique pure, en plein cœur de ces pratiques magiques sur lesquelles il a tant travaillé. La numismatique rejoignait là l'étude de la civilisation sino-vietnamienne.

Comme bien d'autres numismates d'Indochine, le Dr Sallet avait confié sa

collection au Père Maximilien de Pirey pour classement, tous deux étant membres correspondants de l'EFEO. Aussi est-ce grâce aux archives de ce dernier, déposées aux Missions Etrangères de Paris, que certaines de ces

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Amulettes de la collection Sallet dans les archives de Pirey (Archives des Missions Etrangères de Paris)

amulettes nous sont connues. On constate combien le réseau de numismates constitué autour de l'EFEO et des Pères de Pirey était large et actif.

On concluera par un souhait. D'ores et déjà, la bibliothèque du Dr Sallet

est déposée à l'EFEO ; il serait fort souhaitable que le Fonds Sallet tout entier, y compris la collection de monnaies vietnamiennes et chinoises qui en est une partie intégrante, rejoigne un fonds public et fasse l'objet d'une étude approfondie. Extrêmement riche, il le mérite amplement.

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Sommaire

I

Histoire de la collection numismatique de l'EFEO (1900-1956) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 03

L'achat de la collection Knosp . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 04 A propos des monnaies siamoises . . . . . . . . . . . . . . . . . 07 La succession Lacroix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 08 Un enrichissement continu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 Le transfert à la République démocratique du Vietnam . 12

II Les Pères M. et H. de Pirey, membres correspondants de l'EFEO et numismates . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Deux numismates passionnés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 Le classement de la collection de l'EFEO . . . . . . . . . . . 17 Corpus nummorum veterum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

III Le Dr. Albert Sallet, membre correspondant de l'EFEO et numismate . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 "Numismatique médicale" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 Une collection d'amulettes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

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