1 UNIVERSITE DE PARIS 1 – PANTHEON SORBONNE INSTITUT DE RECHERCHE ET D’ETUDES SUPERIEURES DE TOURISME « LE VOYAGE AVENTURE : un système organisé autour d’un Tour Opérateur responsable et d’aventuriers encadrés » Mémoire professionnel présenté pour l’obtention du Diplôme de Paris 1 – Panthéon Sorbonne MASTER PROFESSIONNEL « TOURISME » (2 e année) Spécialité Développement et Aménagement Touristiques des Territoires Par : Clémentine CONCAS Directrice du mémoire : Saskia COUSIN, Docteur en anthropologie sociale JURY Membres du jury : ………………………………………….. : ………………………………………….. : ………………………………………….. Session de Juin 2011
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UNIVERSITE DE PARIS 1 – PANTHEON SORBONNE
INSTITUT DE RECHERCHE ET D’ETUDES SUPERIEURES DE TOURISME
« LE VOYAGE AVENTURE :
un système organisé autour d’un Tour Opérateur responsable et
d’aventuriers encadrés »
Mémoire professionnel présenté pour l’obtention du
Diplôme de Paris 1 – Panthéon Sorbonne
MASTER PROFESSIONNEL « TOURISME » (2e année)
Spécialité Développement et Aménagement Touristiques des Territoires
Par : Clémentine CONCAS
Directrice du mémoire : Saskia COUSIN, Docteur en anthropologie sociale
JURY
Membres du jury : …………………………………………..
: …………………………………………..
: …………………………………………..
Session de Juin 2011
2
A ma mère, qui m’a transmis le goût du voyage et l’envie de découvrir le monde.
« Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté … »
Charles Baudelaire, L’invitation au voyage, Les Fleurs du mal, 1857
3
Remerciements à :
Saskia Cousin, qui m’a guidée dans ce travail et cette réflexion, et qui m’a fait découvrir
des domaines d’études comme la sociologie et l’anthropologie, qui se sont ajoutés à mon
regard de géographe.
Tous mes remerciements pour votre disponibilité, vos précieux conseils et votre
confiance.
B, dont les récits de voyages ont nourri ce mémoire. Je te remercie de m’avoir consacré
du temps et te souhaite de continuer à parcourir le monde « en voyageuse ».
Sylvette et Brigitte, pour leurs relectures respectives.
Thomas, pour ta patience pendant toute cette année, et pour … tout.
4
Sommaire
SOMMAIRE 4
INTRODUCTION 6
PARTIE 1 : LE VOYAGE AVENTURE, PRECIS DE DEFINITION 11
CHAPITRE 1 : VERS UN TOURISME AUTREMENT 12
1.1 Les fonctions du loisir et du tourisme 12 1.2 L’évolution des différents systèmes touristiques 13 1.3 Le rejet du tourisme de masse et l’apparition de nouvelles tendances 17
CHAPITRE 2 : LEXICOLOGIE 19
2.1 Voyageur versus touriste 20 2.2 D’aventures en aventures : une balade nommée trekking 22 2.3 Les lieux de prédilection des voyages aventures 27
PARTIE 2 : MISE EN PLACE D’UNE STRATEGIE AUTOUR DE LA RESPONSABILITE ET DE
L’AVENTURE PAR LE TOUR OPERATEUR 31
CHAPITRE 1 : DE L’ART DE VENDRE UN « BON » ET « VRAI » VOYAGE RESPONSABLE 32
1.1 Analyse du discours responsable des tours opérateurs expliqué dans leur brochure 33 1.2 Une stratégie de communication 42 1.3 L’importance d’associer un projet solidaire au voyage 46
CHAPITRE 2 : ENCADRER UNE AVENTURE 48
2.1 Le discours du tour opérateur : entre aventure et encadrement 48 2.2 L’aventure humaine : la rencontre de l’autre 53
PARTIE 3 : LES VOYAGEURS AVENTURIERS 62
CHAPITRE 1 LES MOTIVATIONS DES TOURISTES : ANALYSE DU DESIR ET DE LA PERCEPTION D’UN VOYAGE
AVENTURE A TRAVERS LE RECIT DE VOYAGE D’UNE TOURISTE 64
1.1 Portrait d’une voyageuse en quête d’authenticité et d’elle-même 64 1.2 L’appropriation du discours du tour opérateur 73 1.3 L’interprétation du discours du tour opérateur 76
CHAPITRE 2 : LES LIMITES DE CE TYPE DE TOURISME 81
2.1 Limite floue entre le voyage aventure et l’humanitaire : de l’impression de faire partie d’une ONG en donnant des crayons dans un village. 81 2.2 Le tourisme durable, un « vocable-mythe » ? 84 2.3 Les risques du voyage-aventure 87
CONCLUSION 91
5
BIBLIOGRAPHIE 95
ANNEXES 99
TABLE DES MATIERES 121
RESUME 123
« L’université Paris 1- Panthéon Sorbonne n’entend donner aucune approbation ou
improbation aux opinions émises dans les mémoires et thèses. Ces opinions doivent être
considérées comme propres à leurs auteurs. »
6
Introduction
De plus en plus de chercheurs qui s’intéressent aux problématiques du tourisme se
posent cette question centrale : Pourquoi fait-on du tourisme ? D’où vient ce besoin de
partir ? Au-delà de quelques variables classiques, comme l’âge, le revenu, le temps de
travail, il s’agit de s’interroger sur ce besoin humain de partir. Quelle que soit la forme de
tourisme de masse, d’aventure, de luxe, etc. on trouve aujourd’hui un besoin de tourisme
que l’on ne peut plus nier. Selon la théorie qui relève du marketing, d’Abraham Maslow
(1940), l’individu agirait selon des besoins hiérarchisés. On distingue dans la pyramide des
besoins de Maslow, des besoins d’ « avoir » et des besoins d « ’être ». Les besoins d’
« avoir » font référence à des besoins physiologiques et de sécurité. Une fois ces deux
besoins comblés, l’individu a des besoins d’ « être », qui sont classés selon leur ordre
d’importance. On trouve tout d’abord des besoins d’appartenance, puis des besoins
d’estime et pour finir des besoins de s’accomplir. Le tourisme se situe aujourd’hui dans
les besoins d’ « être » des individus. Chacun le place plus ou moins haut dans cette
pyramide. Jean Pierre Lamic1 explique ainsi : « Malgré les nombreuses disparités sociales
révélées par un nombre important et croissant d’exclus, la France *…+ se trouve depuis
des années à un niveau où les besoins de subsistance sont couverts pour une large
majorité de ses habitants. Cette assertion est corroborée par les chiffres suivants : 13 %
des revenus des ménages seulement est alloué à la nourriture (30 % dans les années
1970). » La société française s’oriente donc davantage « vers une demande, de santé, de
loisir, de culture ». Ainsi, « le mieux-être succède progressivement aux plus-avoir. »2
Comprendre, voilà l’objet de cette étude. Comprendre le tourisme au lieu de
l’appréhender comme un phénomène systématiquement médiatisé, nuisible pour les
territoires et les sociétés. Mais aussi comprendre le touriste et ses besoins de voyages. De
nombreux auteurs préféreront employer le terme « motivation ». Selon Rachid Amirou,
« la notion de motivation ne se situe pas sur le plan objectif du réel, mais bien au niveau
1 LAMIC J-P, Le tourisme durable : utopie ou réalité ? , Paris, L’Harmattan, 2008
2 LAMIC, 2008, Ibid.
7
du désir, de l’imaginaire. Elle s’inscrit dans un univers de sens. »3 C’est cet univers de sens
que nous tenterons de découvrir à travers ce mémoire. Chabloz et Raout4 expliquent que
« selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), le continent africain a enregistré ces
dernières années la plus forte augmentation de fréquentation touristique au monde,
même si l’Afrique ne représente que 4 % du volume touristique mondial. Depuis les
indépendances, le tourisme en Afrique a été appréhendé par les chercheurs tour à tour
comme une forme de néocolonialisme, un facteur de développement, comme
destructeur des sociétés traditionnelles locales, puis comme facteur de paix et de
rencontre entre les peuples. La figure néo-coloniale du touriste blanc, riche et puissant,
tant décriée par les chercheurs des années 1970, laisse de plus en plus la place à celle du
touriste culturel, solidaire, respectueux et en quête de rencontre avec l’autre. » C’est ce
« nouveau » type de tourisme, qui s’effectue très souvent en Afrique, qui fait l’objet de
notre étude. J’ai choisi d’effectuer ma recherche de fin d’études sur le phénomène du
voyage-aventure, car cette pratique du tourisme m’intéresse tout particulièrement. J’ai
donc voulu comprendre et analyser ce phénomène en profondeur. Pour mon travail, la
sociologie, l’anthropologie et la géographie sont les principales disciplines d’étude qui
seront mises à contribution.
Il s’agit de comprendre ce phénomène et ses deux principales parties prenantes, à savoir
le tour opérateur (TO) qui organise le voyage et le touriste lui-même qui se trouve au
cœur de celui-ci. Nous privilégierons alors une approche systémique, c’est-à-dire qui
étudie les systèmes en se fondant sur la prise en compte des interactions de ses
différents éléments. Nous définirons un système selon les termes de Roger Brunet, père
de la géographie systémique française comme un « ensemble organisé d’éléments et
d’interactions entre les éléments ; du grec systema : qui tient ensemble, mais avec l’idée
3 AMIROU R et at, Tourisme et souci de l’autre, L’Harmattan, 2005
4 RAOUT J & CHABLOZ N, « Corps et âmes. Conversions touristiques à l’africanité », Cahiers d’études
africaines, n° 193-194, pages 7 à 26, 2009
8
d’union (syn) en un tout organisé, voire stable, debout (histanai), comportant la racine
sta »5.
La problématique principale de ce travail est l’étude du voyage aventure, comme un
système. Comment ce système s’organise-t-il ? Et quelle articulation y a-t-il entre ses
principales composantes, à savoir les tours opérateurs et les touristes ?
Nos hypothèses de travail sont les suivantes : L’un agit sur l’autre, le TO a un grand
pouvoir puisqu’il orchestre le voyage et les touristes influencent le TO pour qu’il conçoive
son voyage en fonction de ce que les touristes veulent voir. Le TO serait donc un système
gouvernant, de contrôle, et les touristes apparaîtraient comme un système gouverné,
opérationnel.
Afin d’essayer de répondre à cette problématique, et de vérifier ces hypothèses, j’ai choisi
d’utiliser une méthodologie de travail qui s’articule en trois parties :
La première partie de ce mémoire traitera du voyage aventure. L’évolution des pratiques
et de l’offre touristique sera abordée dans un premier chapitre, afin de comprendre ces
nouvelles tendances du tourisme qui nous amènent à porter une réflexion sur ce type de
tourisme de niche. Puis, afin de mieux comprendre ce phénomène, il nous faudra
travailler sur les deux termes qu’il cache : le voyage et l’aventure, qui sont toutes deux
des notions fortes et importantes, abordées dans un second chapitre et qui guideront
notre réflexion.
Après avoir précisé ce type de tourisme, il conviendra de s’intéresser dans une seconde
partie aux TO qui orchestrent le voyage aventure et qui se définissent comme des
« créateurs de voyage et non des fournisseurs de vacances »6. Ces TO représentent le
premier double terrain de notre recherche. Cette seconde partie est une analyse du
discours de plusieurs TO spécialistes dans le voyage aventure, à savoir Chemins de Sable,
Allibert Trekking, Nomade Aventure, Atalante puis Point Afrique, à travers leurs
5 BRUNET R, FERRAS R, THERY H, Les mots de la géographie, La Documentation Française, 2006
6 Propos tenus par Myriam Lallemand, responsable développement durable du TO Voyageurs du monde,
lors de la Journée mondiale pour un tourisme durable, le 1er Juin 2011 à Paris.
9
brochures. Dans un premier chapitre nous nous intéresserons à la démarche responsable,
durable et solidaire que mettent en avant Chemins de Sable, Allibert Trekking, Nomade
Aventure et Atalante, alors que le voyage-aventure n’a, au départ, pas de lien avec le
tourisme éthique, solidaire etc. mais porte une connotation sportive, liée à l’imaginaire
de l’exploration et de l’aventure. Puis nous essayerons de voir quel est le discours porté
sur l’aventure en analysant trois présentations de voyages, au cours d’un second
chapitre :
- Djenné, le fleuve, les Dogons, catalogue Nomade Aventure, hiver 2010-2011
- Rando en pays Sénoufo, catalogue Nomade Aventure, hiver 2010-2011
- La Tanouchertoise, catalogue Point Afrique, hiver printemps 2010-2011
Le décryptage du discours du TO, nous amènera à travailler sur les questions de la
rencontre des populations locales, mais aussi du projet de développement solidaire
associé au voyage, etc.
Pour finir, notre dernière partie essaiera de comprendre les motivations et l’expérience
que recherchent les voyageurs aventuriers, puisque, comme le dit André Suarès, écrivain
français, co-fondateur de la Nouvelle Revue Française, « le voyageur est encore ce qui
importe le plus dans le voyage ». Le touriste n’est plus seulement une personne
séjournant plus de vingt-quatre heures hors de chez elle, comme le définit officiellement
l’OMT, mais plutôt le personnage central du phénomène touristique sur lequel il convient
de s’arrêter. C’est donc là qu’intervient notre deuxième terrain : les touristes. Nous nous
pencherons alors sur cette notion de motivation et essaierons de comprendre quels
désirs les TO suscitent chez les touristes et quelles sont les motivations de ces derniers
face au discours du TO. Par rapport à cette étude, il m’a paru plus pertinent de me baser
sur une enquête qualitative, à savoir un entretien compréhensif avec une touriste ayant
effectué les trois voyages aventures analysés auparavant (le pays Dogon, le pays Sénoufo
et la Tanouchertoise). J’ai préféré n’effectuer qu’un seul entretien compréhensif, en
essayant de comprendre en profondeur qui était cette touriste, comment et pourquoi elle
avait fait ces choix de voyages. Ce choix méthodologique appuyé sur le récit de vie et
l’entretien biographique permet, dans notre cas, d’en apprendre plus sur les motivations
10
des touristes que des dizaines de questionnaires. La biographie est une méthodologie
utilisée en sciences sociales, comme l’a fait par exemple Pierre Bourdieu, grand
sociologue français, dans son ouvrage « La misère du monde » . Cet entretien sert donc
de base à ce troisième chapitre qui traite d’abord des motivations des touristes. J’insiste
ici sur le fait qu’il faille garder en tête tout au long de la lecture que les propos énoncés
par la touriste interviewée ne concernent qu’elle et constitue seulement un exemple qui
nourrit notre réflexion, mais en aucun cas une généralité pour tous les touristes ayant
recours à ce type de pratique. Après avoir nourri notre réflexion de cet interview et
analysé ses récits de voyages, nous serons amenés dans un ultime chapitre à nous
pencher sur les limites de ce type de tourisme, qui « flirte » parfois avec l’humanitaire,
avec qui il entretient une limite volontairement très floue, pour le plus grand plaisir des
voyageurs.
11
PARTIE 1 : LE VOYAGE AVENTURE, PRECIS DE DEFINITION
12
CHAPITRE 1 : VERS UN TOURISME AUTREMENT
1.1 Les fonctions du loisir et du tourisme
Roger Sue7 distingue les fonctions « psychologiques », « sociales » et « économiques » du
loisir, qui peuvent s’appliquer également au tourisme. Les fonctions psychologiques que
l’on retrouve sont la détente, le divertissement et le développement, analysées
également par Joffre Dumazedier8. La détente constitue finalement la principale
composante du tourisme moderne. Cela signifie que le touriste recherche « le repos et la
libération des soucis ainsi que des contraintes de la vie quotidienne »9. Le divertissement,
se caractérise ici par la recherche de plaisir et donne notamment un caractère plus
dynamique au loisir, « qui n’est plus un simple moment de récupération, mais devient
une quête de bien-être et de plaisir. Se divertir, c’est, pour certains, oublier, pour un
moment, la monotonie de la vie quotidienne et, pour d’autres, s’adonner à des jeux ou
des activités qui réalisent une rupture avec le cadre de vie habituel10. » Pour finir, le
développement, se comprend dans le sens du « perfectionnement personnel11. » Pour
l’auteur, « une dimension d’autodidaxie est en effet présente dans le loisir : formation,
perfectionnement et recyclage sont souvent attendus ou entrepris par les individus ».
Autour de cette notion de « développement » va se créer une prise de conscience pour
voyager « intelligent » ou « utile ». Pour Rachid Amirou, le tourisme a également une
fonction de socialisation. « En effet, la complexité de la vie moderne, l’éclatement et
l’appauvrissement du lien familial, l’anonymat des grands ensembles et des grandes
mégapoles, et d’autres facteurs notamment professionnels, génèrent un isolement et une
7 SUE R, Le loisir, PUF, 1993
8 DUMAZEDIER J, Vers une civilisation du loisir ? , Seuil, 1972
9 DUMAZEDIER J. Ibid.
10 DUMAZEDIER J, Ibid.
11 DUMAZEDIER J, Ibid.
13
atomisation des individus12 ». Le tourisme apparaîtrait donc pour Amirou comme « un
antidote à la solitude ».
1.2 L’évolution des différents systèmes touristiques
L’équipe de chercheurs MIT (Mobilité, Itinéraires, Tourismes), dans son dernier ouvrage
sorti récemment13, s’interroge sur l’évolution du tourisme : « Si le terme “tourisme”
s’applique bien à ce qui existe depuis 1800, il est clair aussi que les modalités de cet
ensemble ont changé. » Pour eux, quatre systèmes touristiques se sont succédé depuis le
XVIIIe siècle. Le premier système touristique est appelé « petit nombre », il apparaît entre
1780 et 1830, c’est le début du tourisme. A cette époque, le tourisme est très réservé :
une seule catégorie sociale figure dans un seul continent. C’est donc l’aristocratie anglaise
qui effectue de la villégiature dans des lieux comme Bath ou Brighton. Mais c’est aussi
l’époque du Grand Tour, « un itinéraire en forme de boucle, qui mène le plus souvent le
futur gentleman de Londres à Rome, à travers le continent européen constitué d’une
suite d’étapes obligées et de lieux plus intéressants qui méritent “la station” (un séjour de
quelques jours)14. » Ce type de voyage représente l’achèvement de l’éducation du jeune
aristocrate. Le tourisme se met en place peu à peu : les services adaptés apparaissent
(hôtels, transports etc.). La saisonnalité s’installe également. C’est parallèlement
l’émergence de lieux emblématiques comme Nice (début des bains de mer) ou Chamonix
(découverte de la montagne). Puis ils distinguent ensuite un deuxième système
touristique dans les années 1850-1870, qu’ils nomment « grand nombre ». Le tourisme
tend à se démocratiser : « D’une part, l’aristocratie est rejointe par la bourgeoisie
montante ; d’autre part, les producteurs de lieux touristiques ne sont plus seulement les
aristocrates mais aussi les entrepreneurs-industriels15. » On fait face à des sociabilités
plus ouvertes. On n’est plus seulement dans l’entre soi, mais on « s’expose aux gens du
12 AMIROU R, Imaginaire touristique et sociabilités du voyage, PUF, 1995
13 MIT, Tourismes 3, La révolution durable, Belin, 2011
14 MIT, Tourismes 2, Moments de lieux, Belin, 2005
15 MIT, 2011, op. cit.
14
commun »16. Pour Laurent Tissot, cette période constitue une rupture essentielle : « De
profonds changements brisent ce cadre intime. Une progressive industrialisation du
tourisme s’opère. Un appareil technico-commercial se met peu à peu en place, qui
permet à un nombre croissant de personnes de se livrer aussi à cette forme de plaisir.
Nous assistons à proprement parler au passage d’un tourisme d’élite à un tourisme que
l’on ne peut pas encore appeler de masse, mais qui se donne peu à peu les moyens de le
devenir. Autrement dit, nous assistons à la transition d’un tourisme de type artisanal vers
un tourisme proprement industriel. »17 Cette période correspond à la naissance de
l’entreprise Thomas Cook, premier tour opérateur. Il semble donc important de s’arrêter
quelques instants sur la naissance des TO qui sont l’objet de notre étude en seconde
partie. L’entreprise Thomas Cook prend réellement forme au moment de la première
Exposition universelle (1851), où le seul TO du moment transporte 165 000 personnes.
Pour cet événement, « il ajouta au transport, à l’accompagnement et au guidage,
l’hébergement et la restauration : le voyage tout compris était né18. » Au début de son
activité, l’entreprise a quelques difficultés à trouver des tarifs préférentiels au niveau du
transport ferroviaire. En jouant de la concurrence, Cook contourne l’obstacle et « en
1863, il organisa un premier voyage en Suisse19. » « Dès 1864, 17 groupes de « cookistes »
bénéficièrent de cette entreprise pionnière, tandis que l’Italie intégrait déjà le « Cooks’s
excursionnist » qui préfigurait déjà le catalogue moderne20. » Dans les années 1870, Cook
se constitue un véritable empire en Egypte. « En rendant plus accessibles des lieux qui
étaient réservés précédemment à une élite, Cook fut critiqué mais il sut tirer parti de la
diversité de la demande en créant, dès 1872, une formule de groupes indépendants
baptisés « Select Independant Parties ». Cette formule flattait l’élite et avait ses faveurs,
car celle-ci se distinguait de la sorte des grands circuits organisés et donc de la masse et,
très tôt, la prospérité de la branche égyptienne « Thomas Cook & Son » reposa sur les
16 MIT, 2011 Ibid.
17 TISSOT L, Naissance d’une industrie touristique. Les Anglais et la Suisse au XIXème siècle, Payot, 2000
18 MIT, Tourismes 2, op. cit.
19 Ibid.
20 Ibid.
15
voyageurs “individuels” ».21 A la fin du XIXe siècle Thomas Cook perd son monopole, mais
réussi à innover « en offrant de nouveaux bateaux plus luxueux et des circuits plus
longs ». C’est donc ce premier TO qui parvient à mettre en tourisme la vallée du Nil, qui,
pour l’équipe MIT, apparaît comme « particulièrement moderne et efficace ». Ce second
système touristique, concerne des lieux comme Arcachon, Deauville, mais aussi nous
l’avons vu avec Thomas Cook, c’est le début de l’exotisme, avec des lieux, plus éloignés,
comme l’Egypte. En même temps que les prémices des TO, on voit se développer le
concept de la station touristique. C’est le début de l’enclavement touristique. On retrouve
ensuite à partir des années 1920-1950, un troisième système touristique qui est celui de
la « masse ». Le tourisme entre alors dans une « démocratisation mondiale22 »,
néanmoins nous noterons que cette démocratisation se fait plus au niveau social qu’au
niveau géographique. Le développement du tourisme de masse va de pair avec
l’avènement de l’automobile et de l’avion. On accède ainsi à des destinations plus
lointaines. « Les pratiques touristiques évoluent également et sortent définitivement du
domaine thérapeutique pour devenir strictement ludiques et sportives ou de
découvertes23. » C’est également l’apparition des parcs à thèmes et de ces nouveaux lieux
dits « hors sol24. » C’est à cette période que l’on retrouve le modèle « Sea, Sex and Sun ».
Pour finir, l’équipe MIT parle d’un quatrième système touristique apparu dans les années
1970-1980 : « le tourisme de masse individualisé ». Ce dernier système correspond à
notre système contemporain. Pour ces chercheurs, le tourisme « est devenu
véritablement de masse, en franchissant un nouveau seuil : désormais, les touristes se
comptent en milliards ». On a donc une réelle massification en nombre. Et, d’autre part,
« ce système touristique contemporain octroie un rôle et une responsabilité sans
précédents à l’individu ». Pascal Cuvelier l’appelle « post-fordisme » en raison de la
« flexibilité et des dynamiques d’autonomisation du touriste25. » C’est l’apparition du
21 MIT, Tourismes 2, op. cit.
22 MIT, Tourismes 3, op. cit.
23 Ibid.
24 KNAFOU R & Al, Tourisme et Loisir, Reclus / La Documentation française, 1997
25 CUVELIER P, Anciennes et nouvelles formes de tourisme, une approche socio-économique, L’Harmattan,
1998
16
tourisme « sur mesure ». « Le monde du tourisme sur mesure auto organisé est constitué
des individus qui souhaitent vivre une expérience touristique complexe et riche en
services mais qui parallèlement souhaitent être les artisans de son organisation.26 » On a
donc une nouvelle exigence du touriste. Par ailleurs, l’équipe MIT souligne deux
révolutions importantes de cette époque : internet et le « low-cost ». Le touriste achète
désormais son voyage sur internet, c’est la désintermédiation des opérateurs
touristiques. On trouve aujourd’hui de moins en moins d’agences de voyages puisque les
tour opérateurs vendent directement leurs produits sur internet. Ils sont ainsi passés d’un
commerce « B to B » (business to business), où ils vendaient leurs voyages à des agences
professionnelles, à un commerce « B to C » (business to consumer), où ils s’adressent
directement au client. C’est d’ailleurs de ce marketing « B to C » dont il sera question
dans la seconde partie de ce mémoire. Le tourisme s’est donc inséré de manière
progressive dans les sociétés. L’équipe MIT insiste sur le fait que chaque système ne
chasse pas le précédent à son arrivée, mais qu’il existe plutôt un chevauchement, qui
montre la complexité du système touristique. Cependant, même si ces systèmes
cohabitent, on voit se profiler un refus du tourisme de masse. Ainsi, une fois qu’on a
inventé un modèle entièrement préconçu, le tourisme de masse, « d’autres touristes,
s’ingéniaient à s’en détourner pour un ailleurs plus mystérieux et bricolé27. » Le touriste
tente ainsi de s’échapper de « l’univers aseptisé conçu pour lui28. » Peu à peu, en
opposition au tourisme de masse, on voit se développer de nouvelles tendances du
tourisme, dans la continuité de ce quatrième système, qui remet l’individu au cœur du
tourisme.
26 Ibid.
27 MIT, Tourismes 2, op. cit.
28 Ibid.
17
1.3 Le rejet du tourisme de masse et l’apparition de nouvelles
tendances
La mobilité touristique a pris une ampleur telle qu’on ne peut plus la négliger aujourd’hui.
Selon Doquet et Evrard29, pendant longtemps, « deux attitudes ont prévalu au sein des
sciences sociales, notamment francophones, à l’égard de ce phénomène. La première
considérait le tourisme comme un objet mineur, sinon trivial ; la seconde y voyait la
simple extension de rapports commerciaux à de nouveaux secteurs de la vie sociale et,
ou, de société. » Aujourd’hui, le tourisme ne peut plus être ignoré, nous l’avons vu en
retraçant son évolution. Il est devenu une réalité économique, sociale et politique pour
l’ensemble des pays. Sous l’influence de la mondialisation en cours, on voit se dessiner de
nouvelles tendances touristiques.
L’équipe MIT, à nouveau, a travaillé sur le rejet du tourisme de masse. Ils expliquent que
« nombreux sont ceux qui préconisent et souhaitent la mort du tourisme de masse. Un
« tourisme culturel » ou « tourisme éthique » viendrait alors le remplacer30. » En 2000,
une journaliste, Marjorie Alessandrini, écrit ainsi : « En l’an 2000, le tourisme de masse a
fait son temps. On rêve de voyage comme d’un accomplissement individuel, mais dans
un souci éthique. En quête d’émotions, de rencontres avec des paysages, des cultures et
des langages.31 » Elle ajoute également : « En l’an 2000, on s’interroge sur un tourisme
respectueux de l’autre. On aimerait bien aussi, nous les nantis, ne pas partir seulement
pour un plaisir égoïste. Mais pour témoigner d’une certaine forme de solidarité32. » Puis ;
« en l’an 2000 on se veut nomade. On part en train ou en croisière, sur les fleuves ou les
océans : à l’ère de la vitesse, on redécouvre les délices de la lenteur. On se perd dans le
silence infini des déserts. *…+ On s’abandonne à la fascination de l’Asie, le continent des
origines, étrange, familier. *…+ En l’an 2000, on a le souci de l’écologie. On recherche le
contact avec la nature, mais on aime aussi qu’elle soit civilisée : dormir dans une tente au
29 DOQUET A et EVRARD O, « Tourisme, mobilités et altérités contemporaines », Civilisations n°57, 2008
30 MIT, Tourismes 1, op. cit.
31 ALESSANDRINI M, Le Nouvel observateur, n°1877, 19 au 25 octobre 2000, supplément voyage
32 Ibid.
18
pied de l’Atlas, quel bonheur ! surtout si sur le sol sont étalés des tapis précieux. Le
voyage fait partie de tout un art de vivre. » Ainsi, dès l’an 2000, le rejet du tourisme de
masse s’accompagne de l’apparition de nouvelles tendances. Elles sont confirmées
quelques années après. En mars 2006, le Figaro a fait part d’une étude sur les touristes du
futur33, effectuée par Cendant Travel Distribution Services et la Future Foundation du
groupe Experian. Plusieurs lignes fortes s’en dégagent et sont retranscrites par la
journaliste. Tout d'abord, « on ne partira plus une ou deux fois par an (vacances d'été et
ski), mais plutôt quatre fois. *…+ Les consommateurs voudront aussi “quatre expériences
très différentes” ». Les voyagistes devront donc s’adapter à cette évolution : « Les
voyageurs occidentaux, en quête d'“expériences nouvelles uniques”, délaisseront les
traditionnelles vacances à la plage fly and flop (avion-plage). Il faudra leur incorporer des
éléments culturels, éducatifs, de développement personnel, de l'authenticité et répondre
aux besoins variés d'une famille comptant plusieurs générations. « Déjà aujourd'hui, on se
différencie de plus en plus par ce qu'on fait plutôt que par ce qu'on achète », constate la
Future Foundation. » Une dernière tendance forte s’impose : c’est la préoccupation d’un
tourisme plus responsable et plus soucieux de l’environnement. « De produit de niche, il
va devenir une nécessité34. » Soyons clairs, cela ne symbolise pas la fin du tourisme de
masse, car une nouvelle vague de consommateurs chinois, brésiliens, etc. est en train
d’émerger. L’urbaniste Thierry Paquot écrit : « Rompre avec le tourisme de masse ne
revient pas à le moraliser *…+ mais à s’y opposer et à préconiser le voyage, et le temps et
l’espace qui vont avec35. » Jean-Pierre Lamic s’interroge : « comment concilier tourisme
responsable, multiplication des départs et courts séjours, incitations permanents au
déplacement, juxtapositions d’expériences uniques s’apparentant à un zapping
permanent ? »36 Il fait le constat suivant : « Depuis les vingt dernières années, force est de
constater que ces produits ont été légion : tourisme d’aventure, voyages à la carte, en
famille, de même que les loisirs sportifs en vogue : canyoning, rafting, hydro-speed, snow-
33 FAY S, « Portraits des touristes du futur », Le Figaro (rubrique L’actualité économique), 4 mars 2006
34 Propos recueillis par Sophie Fay, le Figaro, ibid.
35 Propos tenus par Thierry PAQUOT dans Le Monde diplomatique de juillet 2001
36 LAMIC J-P, Le tourisme durable : utopie ou réalité ? , Paris, L’Harmattan, 2008
19
board, surf… » Pour Lamic, le tourisme s’envisage dans l’avenir en réfléchissant
« localement et individuellement à chacune des conséquences de ses gestes et actes
d’achat ». « Cette assertion se vérifie particulièrement au sein des voyagistes d’aventure
dont le développement récent bouleverse l’échiquier touristique. *…+ Certaines agences
affichent des taux de croissance annuels supérieurs à 30 %, preuve qu’il s’agit là d’un
véritable phénomène de société. » On assiste donc à l’apparition de nouvelles formes de
tourisme qui tendent à se définir en opposition au tourisme de masse et dont le voyage
aventure fait partie.
CHAPITRE 2 : LEXICOLOGIE
On trouve des définitions très différentes d’un « voyage aventure » selon les tours
opérateurs. Dans tous les cas, notre étude traite d’un forfait touristique où l’on associe
généralement un déplacement qui renvoie à la mobilité dite « douce », à savoir souvent
la marche, mais aussi, le canoë, le vélo, le dromadaire, l’équitation, la pirogue etc. On
associe également au voyage aventure la découverte « active » d’une région. J-P Lamic
définit la découverte « active » en opposition à une découverte « passive » qu’il décrit par
l’exemple suivant, très stéréotypé : « Nous avons tous à l’esprit ces autocars qui
marquent l’arrêt photo obligatoire et déversent à intervalles réguliers des cohortes de
touristes, certains plus préoccupés par le bon fonctionnement de leur appareil photo,
l’emplacement des toilettes et la composition du repas, que par le site prévu au
programme. »37 Alors qu’une découverte « active » serait « pénétrer un espace, le vivre,
aidé de ses cinq sens ». Cette notion est vague et l’on peut y associer beaucoup de
choses. Ce type de voyage puise justement sa force dans le flou de sa définition. Enoncer
une définition claire risquerait d’établir un carcan qui limiterait certaines actions. Nous
appellerons donc le type de voyage sur lequel nous travaillons le « voyage aventure ». Il
paraît important dans un premier temps, toujours sans donner de définition claire, de
comprendre ce qui se cache derrière l’expression « voyage aventure ».
37 LAMIC, ibid.
20
2.1 Voyageur versus touriste
Intéressons nous en premier lieu à la notion de « voyage ». Pour Roger Brunet, le voyage
représente « un déplacement, en principe avec retour ». Pour lui, « l’ensemble des
voyages forment le tourisme ». Le tourisme serait donc fait de voyages. Il explique ensuite
que le voyage a ses limites, notamment pour les poètes du XIXe siècle, où l’on retrouve
des citations telles que : « Amer savoir celui qu’on tire du voyage » (Baudelaire, Les Fleurs
du mal). « Avec le temps, la passion des grands voyages s’éteint » (Nerval, Les Nuits
d’octobre). « Je ne voyage plus *…+ je peux l’arranger moi-même, leur pays » (H. Michaux,
Plis). « Qu’en dis-tu, voyageur des pays et des gares ? / Du moins as-tu cueilli l’ennui,
puisqu’il est mûr » (Verlaine, Sagesse). R. Brunet ajoute ensuite : « il est vrai qu’en anglais
“travel” vient du mot “travail”, dont on sait la pénible origine *…+. De nombreux voyages
sont d’ailleurs sans retour, et les émigrés partis des campagnes de l’Ouest vers le Canada,
ou d’Irlande aux Etats-Unis, avaient leur propre conception du voyage. On trouve une
connotation assez dure du terme « voyage ». Dès le XIXe siècle, en Europe, « le mépris
antitouristique est déjà présent. En France, en Suisse, en Italie, c’est le voyageur anglais
qui en est l’objet principal38. » Cette image négative ne faiblira plus jusqu’à aujourd’hui.
Au XXIe siècle, et même dès la fin du XXe, le voyage semble se redéfinir de plus en plus en
opposition au tourisme. Être un voyageur aujourd’hui est bien plus valorisant qu’être un
touriste. « Le touriste, c’est celui qu’on croise au cours de ses déplacements à soi, qui,
bien sûr, ne sont jamais touristiques. Le touriste est un être forcément moutonnier,
imbécile, et dont il est convenu, entre gens bien, de moquer le ridicule39. » Sylvie Brunel
peint à travers ses chroniques, un portrait de cet être mal vu, qu’est le touriste. Jean-
Didier Urbain40 a beaucoup travaillé sur l’opposition de ces deux notions que l’on
retrouve dans son ouvrage L’Idiot du voyage, qui, par son titre, annonce déjà le portrait
de ce « héros complexé » dont il est question. On montre en effet souvent une image
stéréotypée du touriste, ridicule, dont lui-même finit par avoir honte : « Il regarda
38 URBAIN J-D, L’Idiot du voyage, petite bibliothèque Payot, 2002
39 BRUNEL S, La Planète disneylandisée, Sciences Humaines Editions, 2006
40 URBAIN J-D, L’Idiot du voyage, op. cit.
21
perplexe l’œil rond de son “reflex”. Un visage apparut, le sien, avec un gros nez rouge
brûlé par le soleil qui le surmontaient, opaque, un binocle batracien et un petit “bob”
blanc ». Avec un trait d’humour, Urbain41 montre un stéréotype qui existe réellement
dans notre société et qui fait que pour certains, « être touriste *…+ est une perspective
insupportable ». « Touriste » est devenu un terme qui « porte atteinte à la dignité du
voyageur. Et si l’indigène l’emploie fréquemment en ce sens, le touriste aussi, pour parler
de ses semblables ». Puisque en effet, nous en conviendrons, le touriste, c’est l’autre.
« Touriste » est donc un terme péjoratif. Pour Urbain, il « dépouille dans l’instant le
voyageur de sa qualité principale : voyager ». Puisque le touriste ne voyage pas, lui, il ne
fait que passer. Le tourisme compte parce parfois il peut être vu comme une ressource
économique. Mais les touristes, eux sont vus comme une invasion : « C’est une invasion.
Par hordes barbares et marées cannibales, elle dévore, empoisonne, colonise, assassine
les espaces et les traditions », affirme à nouveau Urbain. On va retrouver au sein de la
classe touristique, une réelle « discrimination catégorielle ». Le voyage va se démarquer
du tourisme, du fait que celui-ci fait référence à l’ « authenticité42 » alors que le tourisme
ne serait finalement qu’ « une vaste opération de falsification du monde qui, au fil de
l’aménagement matériel et humain de son infrastructure, déforme tout et toujours plus».
Le touriste et le voyageur se définissent ainsi à travers un miroir, où l’un serait le double
non complexé de l’autre. On retrouve ici la notion de « complexe du faux » dont parle
Urbain à propos du touriste. Si l’on en croit ses démonstrations, il semblerait que les
voyageurs qui font l’objet de notre étude soient ici de la strate supérieure de la
population vacancière. Les voyages dont nous traitons, permettent finalement aux
touristes de se distinguer, puisqu’ils se situent sur une haute échelle de valeur « qui va du
vrai au faux voyage », mais aussi de se distinguer financièrement puisque les voyages que
nous étudions se situent minimum à 1 000 euros la semaine. Nous voyons donc un
voyageur qui tend à se distinguer d’un simple touriste. De plus, dans ce type de pratiques
touristiques, le terme « tourisme » n’est jamais employé, il est remplacé par le terme
« voyage ». On le retrouve tout d’abord dans le nom des tours opérateurs concernés :
Voyageurs du monde, Nomade Aventure, Terres d’Aventure, Chemins de Sables, Cavaliers 41 URBAIN J-D, Ibid.
42 Voir supra, chap. 3.
22
du Monde, la Balaguère (vent venant du Sahara), Terres Voyages, Comptoir des voyages,
Voyager Autrement, Club Aventure, Atalante (petite planète), Allibert Trekking. Nous
sommes là dans un champ lexical qui fait référence au monde et à la terre dans le sens de
surface sur laquelle on marche. On retrouve donc cette notion de marche (chemins,
terres, sable, trekking), de vagabondage (nomade, cavaliers), mais aussi d’aventure
alternative (aventure, autrement). Ces noms font donc référence au voyage et non au
tourisme ou aux vacances. Ils s’adressent ainsi à des voyageurs et non pas à des touristes.
Ces agences vendent pourtant du tourisme ; comme le dit Marc Augé, « Voyager, oui, il
faut voyager, il faudrait voyager. Mais surtout ne pas faire du tourisme. Ces agences qui
quadrillent la terre, qui l’ont divisée en parcours, en séjours, en clubs soigneusement
préservés de toute proximité sociale abusive, qui ont fait de la nature un “produit”,
comme d’autres voudraient faire de la littérature et de l’art, sont les premières
responsables de la mise en fiction du Monde, de sa déréalisation d’apparence *…+. Le
Monde existe encore en sa diversité. Mais celle-ci a peu à voir avec le kaléidoscope
illusoire du tourisme.43 »
2.2 D’aventures en aventures : une balade nommée trekking
Voyons maintenant ce que signifie le terme « aventure » au sens large. Selon Nelly
Andrieux-Reix44, c’est un nom féminin emprunté au latin populaire « adventura », pluriel
neutre, devenu substantif féminin singulier, du participe futur « adventurum », de
« advenire » (« se produire »). Il prend une première signification en ancien français : son
sens initial est « sort », « destin », il est voisin de celui d’ « avenir ». Au début du XIIe
siècle, l’ « aventure » s'est dit aussi pour « hasard » : il en subsiste l'expression « bonne
aventure » (XVe siècle) dans le contexte de la prédiction. Mais le terme aventure peut
aussi avoir le sens de « danger » dans l'expression « se mettre en aventure ». Dès le XIe
siècle, ce terme a pris une nuance particulière, celle d'un événement inattendu,
accidentel avec des expressions du type « par aventure » et « d'aventure ». On retrouve
43 AUGE M, L’Impossible voyage, Payot & Rivages, 1997
44 ANDRIEUX-REIX N, Ancien français, fiches de vocabulaire, PUF, 2004.
23
alors le sens d' « action extraordinaire mêlant le danger et le plaisir de la découverte » qui
apparaît avec les romans de chevalerie (XIIe siècle), fréquent au pluriel et en emploi
absolu (« l’aventure »). On a donc une évolution de ce terme jusqu’au français moderne.
Le mot conserve l'idée de « hasard » : « s'exposer à des aventures diverses ». Toujours
selon cet auteur on y retrouve le sens de "danger" investit d'autres valeurs au XVIIe siècle
: « danger du voyage », « exploration de terres inconnues » ; puis, au XIXe siècle :
« risque physique par l'imaginaire collectif ». « Avoir l'esprit d'aventure » signifie la
recherche du nouveau, de l'extraordinaire. Nous retiendrons donc l’aventure du voyage
et la recherche du nouveau.
Il paraît alors intéressant de s’intéresser à la définition que donne les géographes du
terme « aventure ». Pour cela nous nous baserons sur la définition de Roger Brunet. Pour
lui, l’aventure est « essentiel dans le mouvement de la géographie : l’esprit d’aventure a
fait les explorations, les grandes découvertes, les nouveaux espaces de l’innovation, de
l’émigration et de l’exode, les espaces pionniers, la conquête des territoires, les nouvelles
frontières45. » Cette aventure apparaît alors comme nécessaire pour aller de l’avant. Elle
est également nécessaire pour aller au-delà d’un simple voyage avec de simples pratiques
touristiques (visite de sites et monuments connus, plage, etc.). Il définit également
l’expression « à l’aventure » : « en errant, sans itinéraire tracé ou préétabli ». Si l’on se
tient à cette expression, le voyage aventure qui fait l’objet de cette étude, ne fait en
aucun cas référence à l’expression « partir à l’aventure », puisque nous le verrons, les
itinéraires sont étudiés avec pertinence et préétablis par des professionnels. Le voyage
aventure ferait donc référence à une autre forme d’aventure. Il s’agira au cours de notre
étude, de comprendre laquelle.
Nous retiendrons de ces définitions une chose évidente : dans notre cas le voyage ne
comprend en rien un risque ou un danger, mais fait croire au touriste à un côté
aventureux, dans le sens où, bien souvent, on assiste, on le verra par la suite, à des nuits
en campement sauvage, dans des endroits insolites. Pour autant, cette « aventure » ne
contient aucun risque et s’adresse d’ailleurs aussi aux enfants et aux personnes qui ne
45 BRUNET R, FERRAS R, THERY H, Les Mots de la géographie, La Documentation Française, 2006
24
sont pas sportives, les différentes brochures le montrent bien, notamment par
l’accessibilité des « treks » qui ressemblent finalement plus à une balade. Une grande
partie de ces voyages se font à pied, on parlera dans ce cas de trek ou trekking. Le trek est
une forme de voyage très particulière et qui vise une niche, dans le sens où il s’agit de
randonnée. A travers les brochures, nous allons voir et tenter de comprendre à qui
s’adresse ces treks. La difficulté est notée avec une échelle très variable d’un tour
opérateur à l’autre, ce qui ne facilite pas le choix du voyage pour le touriste. Par exemple,
un touriste ayant effectué un trek niveau 2 avec Point Afrique ne peut pas forcément
prétendre effectuer un trek de niveau 2 avec Allibert Trekking. Il n’y a donc pas
d’harmonisation entre les différents TO. Les treks les plus accessibles comportent en
moyenne des marches de moins de 4 heures par jour.
Etude du niveau de difficulté minimal pour les treks :
Terres d’aventure46 : notation : 1 chaussure sur 5 : « Niveau facile. Voyages avec 1 à 4
heures de marche par jour environ, avec un faible dénivelé. Aucun entraînement
spécifique ». La brochure montre concrètement l’accessibilité du voyage.
Atalante47 : notation : 3 niveaux proposés, le niveau le plus faible est appelé Epicure, et
est décrit de la sorte :
« - Temps d’activité : 1 à 5 h de marche par jour
- Jours consécutifs d’activité : de 1 à 3 jours
- Dénivelé moyen par jour : faible
- Altitude maximum : 3 000m
- Portage : aucun
- Climat : souvent clément et agréable
- Engagement : c’est une initiation à l’activité choisie, vous n’êtes pas
Tourisme durable Tourisme durable, compensation carbone, respect de
l'environnement, voyage éco citoyen, équité, prise de
conscience, convictions
Aventure Hors des sentiers battus, dépaysement, immersion, authenticité
Ces mots ou groupes de mots n'ont pas la même taille. Les mots les plus grands sont ceux
que l'on voit d'abord et sont : populations et tourisme durable.
Il nous faut maintenant comprendre et analyser la phrase finale qui se situe en bas de
page : « Nous nous engageons avec vous en faveur d'un tourisme responsable et
solidaire, respectueux des hommes et de la planète. »
Il y a une idée forte d'engagement entre le TO et les clients (« nous » « vous »). Nous
retiendrons surtout la préposition « avec » qui montre un engagement ensemble, au
même niveau, dans une relation horizontale, gagnante-gagnante. Cet engagement se fait
« en faveur », pour un tourisme qui est qualifié de 4 adjectifs. Le tourisme est dit :
- responsable,
- solidaire,
- respectueux des hommes,
- respectueux de l'environnement.
La notion de respect est évoquée deux fois au niveau de la société et de l'environnement.
On retrouve là deux piliers du développement durable. Le tourisme est également qualifié
de responsable et solidaire. On peut comprendre ici un lien avec le troisième pilier du
développement durable à savoir le pilier économique. Finalement, le tourisme décrit dans
cette phrase semble correspondre à un tourisme durable.
35
Intéressons nous maintenant à la double page qui explique la démarche responsable de
Chemins de Sable (Annexe C). La page de gauche est intitulée « Voyager responsable... »
et correspond à une définition du voyage responsable. La page de droite quant à elle est
intitulée « Nos engagements et nos valeurs ». On retrouve en fond six photos, trois dans
chaque page. Nous noterons que nous trouvons ici des photos et non pas des dessins ;
selon Jean Didier Urbain, les photos consistent à signer « un contrat de vérité » avec le
lecteur. On n’est plus dans la simple image, mais dans la réalité. Et la réalité qui est
montrée ici, chez Chemins de Sable mais aussi chez les autres TO et très particulière et
fait appel aux valeurs du touriste. Dans la page de gauche les trois photos sont en
filigrane, et représentent toutes les trois des femmes, d'origines différentes. Une femme
africaine en haut qui est en train de travailler, une femme asiatique en bas et une petite
fille qui pourrait être latino-américaine. Sur la page de droite on trouve trois photos : une
représente trois enfants qui semblent être des jeunes moines tibétains, une autre
représente un homme d'un certain âge, qui pourrait être africain ou indien, assis devant
son commerce. La dernière photo représente un éléphant et un coucher de soleil. Ces six
photos évoquent la diversité puisque les personnes mises en scène sont toutes d'origines
différentes. Elles sont également un reflet de ce que présente le catalogue. On retrouve
également l'idée de montrer la « vraie vie » (l'homme assis devant son commerce, la
femme africaine qui travaille). Nous noterons que tout le catalogue possède la même
police de caractère et les mêmes couleurs (gamme de marron) et le fond beige sable est
présent partout. On retrouvera tout le long l'idée de terre, d'Afrique, de nature,
d'authenticité et de population. Le tour opérateur cherche ici à montrer qu’il vend un vrai
voyage, qui montre la réalité de la vie. D’ailleurs il n’hésite pas à mettre en scène la
pauvreté en présentant ces photos.
L'entreprise Chemins de sable se définit comme « responsable » et explique ce terme
dans les premières pages de sa brochure : « Responsable car nous élaborons des voyages
axés sur la connaissance des réalités économiques, culturelles et sociales des pays visités
et que nous nous efforçons de réduire notre empreinte écologique ». Cette définition
semble plus s'apparenter à celle d'un tourisme durable qu'à celle de la responsabilité. Le
terme « responsable » est cité onze fois sur cette double page. Il rejoint les termes
« durable » cité deux fois, « équitable » cité cinq fois, et « solidaire » cité sept fois. Ces
36
termes sont juxtaposés dans des phrases ou encore tout simplement disposés en titre,
séparés par des barres obliques. Ces termes sont répétés et mélangés. On est dans des
définitions très floues et larges de concepts scientifiques précis. Chemins de Sable n’est
pas le seul TO à procéder de la sorte.
1.1.2 Le cas de Nomade Aventure
On retrouve dans la double page de présentation de la démarche de Nomade Aventure
(Annexe D), le même fond beige sable que chez Chemins de Sable, et la même couleur
des caractères : marron. On est toujours dans de la communication sur la terre, le sable,
la nature et l’Afrique.
Nous noterons que Nomade Aventure et le seul de nos TO qui propose des voyages autre
part que dans un pays du Sud, en l’occurrence en Europe, et pourtant les images choisies
pour accompagner cette double page sont des photos de pays du Sud et plus
particulièrement d’Afrique. Le voyage aventure responsable se retrouve une fois de plus
associé au continent africain. Le continent africain semble être choisi chez tout ces TO car
il est associé dans l’imaginaire des gens à un tourisme d’aventure responsable, alors que
beaucoup d’autres voyages responsables sont menés en Asie ou en Amérique latine. Le
TO préférera ainsi communiquer sur l’Afrique, certainement car le continent africain
symbolise la pauvreté et la nécessité de développement. Sur cette double page on trouve
trois photos, deux sur la page de gauche et une sur la page de droite. Chez Nomade
Aventure encore plus que chez Chemins de Sable les photos apparaissent comme un
« contrat de vérité » car elles ne sont pas en filigrane, avec des encadrements fondus etc.
Elles sont posées telles quelles, rectangulaires, comme si elles sortaient directement d’un
appareil photo qui pourrait être celui du lecteur. La photo de droite montre une culture
de plantes vertes dans la mangrove (on comprend après lecture qu’il s’agit de palétuviers)
et symbolise la nature par les plantes photographiées, la couleur verte et l’eau. Les deux
autres photos, de la page de gauche, exposent la population qui travaille. La première
montre des hommes portant des sacs, qui semblent être lourds, sur leur tête. On
retrouve grâce à cette photo l’idée de souffrance physique et de travail pénible, où il faut
porter des charges en plein soleil. En arrière-plan de cette image on voit un arbre sur une
île avec une végétation verte, toujours dans l’idée de garder un esprit « nature ». La
37
seconde photo de cette page montre un groupe de femmes et d’adolescents en train de
travailler à la cueillette de piments. On a toujours cette idée de vérité, de « vraie vie », et
surtout d’enfants qui travaillent, synonyme de pauvreté. Pour ce qui est du texte
explicatif, il est très différent dans la forme des autres TO, mais sensiblement similaire au
niveau du fond. Le texte est « mis en scène » comme un interview, où un voyageur pose
des questions à un certain « Olivier » qui semble être la personne chargée de durabilité et
tourisme responsable chez Nomade. Les questions qui sont posées dans cet « interview »
sont donc similaires aux questions que se posent un touriste sur ces démarches
responsables. L’interview essaie ainsi d’éclairer le lecteur. Le premier paragraphe pose un
décor assez direct : « “Voyager autrement” c’est tendance. On parle de tourisme durable,
solidaire, responsable, équitable… esprit ATR… ? Dans cette jungle d’informations, il y a
de quoi perdre le nord ! Alors essayons d’y voir plus clair grâce à l’interview d’Olivier,
spécialiste de toutes ces questions chez Nomade. Vous comprendrez ainsi que notre
engagement, ce n’est pas que du blabla, car il est important de dire ce que l’on fait mais
surtout de faire ce que l’on dit. » Puis, sur la double page qui explique la démarche
responsable, le lecteur se retrouve perdu entre des sommes qui ne sont pas
représentatives pour lui et les différents noms d’associations énoncés. « Nomade a versé
à la fondation la somme de 32 500 euros », grâce auquel « 37 millions de palétuviers ont
déjà été plantés depuis 2006 ». Après le Sénégal, c’est la Bolivie qui est citée avec un
projet de développement du tourisme via « la communauté andine ». « Ainsi en 2009-
2010, nous avons financé à hauteur de 8 000 euros la mise en place de structures
d’accueil et de programmes de formation. » Beaucoup de sommes d’argents sont citées
ainsi, sans vraiment comprendre ce que représente le montant, ni pour l’entreprise dont
on ignore le résultat net d’exploitation, ni pour ce type de projet, qui n’est en aucun cas
développé et dont le touriste ignore le coût. Le touriste lit donc en l’espace d’une double
page, de nombreux noms d’associations qui lui sont inconnues, mais aussi beaucoup de
sommes d’un montant élevé mais qui ne représentent rien de concret. De plus, à travers
ce descriptif qui nous permettrait « d’y voir plus clair », on retrouve exactement la même
multitude de termes que chez Chemins de Sable, étalés et répétés afin que le destinataire
les ait bien saisis, mais pourtant ils ne sont pas définis, sauf le terme « responsable » :
« Voyager responsable, c’est avant tout respecter la dignité des gens, pour nous c’est la
38
base de la base… C’est porter attention au pays que vous visitez, aux hommes, à leurs
cultures et à leurs modes de vie, en laissant le minimum d’impacts sur l’environnement.
» La notion de respect est introduite mais pas définie. Selon Nomade, la responsabilité
dans le voyage renvoie avant tout au respect, et plus particulièrement au respect « de la
dignité des gens ». Il y a donc dans ce type de voyage, un rapport humain et social très
fort entre le touriste et l’autochtone. On retiendra également le fait de « porter attention
au pays *…+, aux hommes, à leurs cultures et à leurs modes de vie ». Quand on voyage
responsable, on ne fait pas que voir les choses, on les regarde. On y porte une attention
particulière, on s’y intéresse. Cela signifierait que lorsque l’on voyage, tout simplement,
sans objectif, on ne s’intéresse pas aux choses que l’on voit et aux hommes que l’on
rencontre. Pour finir, la dernière partie de cette définition est très importante « en
laissant le minimum d’impacts sur l’environnement ». Cette phrase renvoie
incontestablement à la notion de durabilité, qui répond à des besoins présents sans
compromettre la capacité des générations futures à répondre à ces mêmes besoins, donc
sans impacter sur les générations futures. Le terme impact est très souvent lié à
l’environnement et possède une connotation très négative, alors que l’impact peut être
positif par sa définition. Cette définition est à la fois très floue et très ciblée, elle a
indubitablement une dimension anthropologique, où le voyage responsable se référerait
avant tout à quelque chose d’humain, mais aussi une dimension durable, puisqu’il s’agit
de s’intéresser à la société et à l’environnement. Il nous manque ainsi le volet
économique du développement durable. On notera comme pour Chemins de Sable que
les termes du champ lexical du voyage responsable sont cités une multitude de fois : le
terme « responsable » est cité treize fois, « durable » trois fois, « équitable » deux fois et
« solidaire » quatre fois. Encore une fois on répète ces termes pour que le lecteur les
enregistre mais pourtant la majorité d’entre eux ne sont toujours pas définis.
1.1.3 Le cas d’Allibert trekking
Dans ce catalogue (Annexe E), on ne retrouve pas un fond beige sable, mais plutôt gris
clair, provenant d’un papier recyclé. La double page possède deux photos, une sur chaque
page et du texte organisé en colonnes. On trouve également plusieurs logos avec des
encadrés les expliquant, mais aussi la photo du portrait de la personne en charge de
39
tourisme responsable, Simone Allibert. On a donc à première vue beaucoup
d’informations qui sautent aux yeux. Si l’on se concentre d’abord sur les photos, on voit
que la première représente un Africain portant un chèche touareg traditionnel indigo en
train de remplir un bidon d’eau. Il semblerait que l’homme soit au bord d’un lac. On
retrouve encore et toujours cette idée de montrer la population africaine qui travaille.
Tous ces TO choisissent de montrer des photos de population africaine, même s’ils
proposent tous des voyages également en Asie et en Amérique du Sud, l’Afrique est
toujours choisie pour illustrer la démarche responsable. Il s’agit d’essayer de comprendre
pourquoi ? L’Afrique et notamment les photos choisies symbolisent la pauvreté. Le travail
de ces populations fait référence au développement. Les TO souhaitent, par les photos de
travailleurs africains, symboliser l’aide au développement par le voyage. Ils essaient ainsi
de montrer que grâce aux financements divers reversés, aux différents projets mis en
place, aux associations parrainées, l’Afrique se développe. On pourrait presque
comprendre que si ces Africains sont en train de travailler comme les photos le montrent,
c’est bien grâce aux voyageurs qui ont fait des voyages responsables. Ces photos
évoquent parfois la compassion, surtout lorsque l’on voit les enfants et les vieillards
travailler. Les TO souhaiteraient-ils inspirer de la pitié à leurs clients pour qu’ils ressentent
l’envie, voire plutôt la nécessité d’aller faire une bonne action en voyageant ? Il
semblerait que ce soit une forme possible de communication utilisée ici. La deuxième
photo utilisée par Allibert Trekking ne montre pas de travailleurs africains, mais un
groupe de personnes, des Européens et des Asiatiques, autour d’un drapeau « KEEP THE
HIMALAYAS CLEAN ! », en dessous du slogan on voit qu’il s’agit d’une initiative d’Allibert
en partenariat avec une association indienne dont le nom est à moitié caché par la tête
d’un membre du groupe. L’essentiel du message étant de voir un partenariat et un
groupe cosmopolite autour d’une action environnementale. Le groupe est sur une
montagne avec de l’herbe verte, le slogan est écrit en vert et ils portent tous le même
polo beige. Le lecteur qui voit cette photo pense forcément tout d’abord à Greenpeace
ou à WWF. Le côté écologique de la démarche responsable est mis en avant par cette
photo. Pour finir, la photo d’identité de la personne en charge de tourisme durable est
très importante dans l’explication de la démarche. Elle donne un côté réaliste à tout ce
qui est expliqué. Tout ce qui est décrit est vrai car la personne que l’on voit en à la charge.
40
La photo de cette personne arrive comme une preuve pour le lecteur que cette démarche
responsable existe. Le texte, lui, est organisé sur la double page en plusieurs parties. Dans
la page de gauche, on a surtout des explications d’associations, ATR (Agir pour un
Tourisme Responsable) et l’association d’Allibert Globetrekkeurs. On voit trois termes qui
ressortent en haut de la page près de la photo : « éthique », « respect » et
« responsabilité ». Sous chacun de ces termes on trouve une phrase qui pourrait
s’apparenter à un essai de définition. Sous le terme « responsabilité » il est écrit : « l’aide
au développement et à l’épanouissement des hommes et des femmes avec qui nous
travaillons dans les pays d’accueil ». Cette définition est très différente de celle que nous
avons évoqué au dessus avec Nomade Aventure. Chez Nomade nous avions retrouvé le
volet social et environnemental de la démarche durable, alors qu’ici nous avons tout
d’abord le volet économique, mis en avant par « l’aide au développement ». C’est alors
que vient l’idée d’ «épanouissement des hommes et des femmes avec qui nous travaillons
dans les pays d’accueil ». La responsabilité selon Allibert relèverait ainsi de
l’épanouissement de ses réceptifs… La page de droite quant à elle est une liste de projets
de développement mis en place, soutenus, ou financés par Allibert. On retrouve
également comme dans toutes les autres brochures, l’encadré CO₂ solidaire expliquant la
compensation carbone. Dans la double page d’Allibert Trekking on retrouve exactement
le même vocabulaire que dans les autres TO de notre étude. Le terme « responsable » est
cité quinze fois, le terme « durable » cité deux fois et le terme « solidaire » une fois. Nous
noterons que le terme « équitable » n’est pas cité dans la double page d’Allibert qui
pourtant prône un tourisme équitable dans sa répartition des richesses puisqu’ils
expliquent que la responsabilité se fait avant tout avec l’épanouissement des réceptifs. Il
s’agit bien sûr d’un épanouissement financier. Encore une fois, on retrouve la même
double page explicative que chez les autres TO, les mêmes termes sont utilisés en
abondance, mais les définitions sont différentes. De plus, lors de la Journée mondiale
pour un tourisme responsable55, qui s’est tenue le 1er Juin 2011 à Paris, et à laquelle j’ai
pu assister, le directeur général d’Allibert Trekking, Gérard Guerrier était présent et s’est
exprimé sur la vision qu’a Allibert Trekking du tourisme responsable. Pour lui, « depuis 55 1er Juin 2011, 5e édition organisée par la coalition pour un tourisme responsable, à Paris.
41
trente-cinq ans, Allibert fait du tourisme responsable sans le savoir ». Dans les voyages
qu’ils proposent, « il n’y a pas de cache-misère », « le touriste est en direct avec la
population ». Pour Gérard Guerrier, être responsable, « c’est avant tout être responsable
par rapport à des parties prenantes », c’est-à-dire, des équipes locales, des villages, des
Etats. Pour Allibert Trekking, « on ne fait pas du tourisme responsable pour mieux
vendre », « le tourisme responsable n’est possible que s’il est sincère, humble et lucide ».
On a donc d’un côté, un catalogue, qui se veut vendeur, où le terme « responsable » est
cité quinze fois, puis d’un autre côté, un discours qui semble sincère, puisque les actions
évoquées sont réellement mises en place. Il serait d’ailleurs beaucoup trop réducteur
pour nous, de penser qu’il s’agit seulement d’une technique de vente.
1.1.4 Le cas d’Atalante
Le catalogue Atalante (Annexe F) n’a pas le même format que les autres catalogues que
nous avons pu étudier. Il est dans un format livre de poche, avec un grammage de papier
plus lourd que les autres. On est donc dans un format plus « chic », ou le catalogue
ressemble plus à un livre. La démarche tourisme responsable est également expliquée sur
une double page, de manière beaucoup plus organisée. La page de gauche concerne la
certification ATR et la page de droite explique les actions d’Atalante menées en faveur
d’un tourisme responsable depuis 1997 jusqu’à 2009. A première vue cette double page
semble plus claire que les autres que nous avons étudiées car on y trouve globalement
moins d’informations, celle-ci est tout simplement plus petite et Atalante semble être
moins impliqué que les autres TO. Ils parlent de projet de partenariat au Maroc et au
Népal puis comme les autres de compensation carbone et de charte éthique de voyageur.
Ils évoquent également leur trophée du tourisme responsable obtenu en 2007 dont nous
parlerons ultérieurement. On est donc dans quelque chose de plus simple, de plus clair.
Or nous retrouvons toujours la multitude de termes habituels, nullement définis et
répétés à tort et à travers. Le terme « responsable » est cité dix fois, le terme « durable »
est cité quatre fois, le terme « équitable » est cité une fois et le terme « solidaire » est
cité trois fois. Nous noterons qu’aucun de ces termes n’est défini contrairement aux
autres doubles pages qui définissent au moins le terme « responsable » et que le texte
42
n’est pas accompagné de photos. Cependant Atalante présente ici une version assez
sobre de sa démarche responsable par rapport aux autres TO.
Tableau récapitulatif des termes appartenant au champ lexical du voyage aventure
Responsable Durable Equitable Solidaire
Chemins de Sable 11 2 5 7
Nomade
Aventure
13 3 2 4
Allibert Trekking 15 2 0 1
Atalante 10 4 1 3
TOTAL 49 11 8 15
L’analyse de ces quatre doubles pages nous permet de comprendre la vision qu’a un TO
d’aventure du tourisme responsable. Et surtout la vision qu’il souhaite montrer à ses
clients. Il s’agit de comprendre qu’elle est la communication utilisée pour parler de
responsabilité et de durabilité.
1.2 Une stratégie de communication
Nous relevons des points communs entre tous ces TO. Ils présentent tous leur
certification ATR. ATR est une certification de tour opérateur basée sur un référentiel de
l’association ATT Association des tours opérateurs thématiques, qui regroupe des TO
prônant un tourisme responsable et durable et qui agit en sa faveur en menant diverses
actions. La certification ATR s’obtient grâce à un organisme indépendant (AFNOR).
Cependant, lors de la Journée mondiale pour un tourisme responsable 201156, au sujet de
la certification ATR, Bernard Schéou, enseignant chercheur, demande aux TO présents à
la tribune, comment se passe un contrôle ATR. La réponse a été donnée par Gérard
56 1er Juin 2011, 5e édition organisée par la coalition pour un tourisme responsable, à Paris.
43
Guerrier, directeur général d’Allibert Trekking. Il explique alors que l’AFNOR ne se rend
pas sur place, mais se base sur les données écrites du TO, qu’ils appellent des « fiches
pays » avec des référentiels. A la lecture de ces fiches, le contrôleur peut décider
d’appeler des équipes locales et des touristes, afin de demander des confirmations.
Cependant nous noterons bien que ce contrôle est plus basé sur la parole des personnes
questionnées que sur de la vérification. La labellisation est une importante forme de
communication utilisée par ces TO. Lorsqu’ils sont certifiés ATR, ils le montrent
clairement sur leur double page, souvent dans un encadré, comme une publicité. Même
si le lecteur n’a aucune idée de ce que peut être la certification ATR, expliquée très
brièvement dans les encadrés, il sait encore moins ce que cette certification vaut.
Cependant, la labellisation donne un côté « sérieux » pour le touriste, il est donc
primordial de communiquer dessus pour le TO.
Un autre point commun que l’on retrouve dans chaque catalogue est le CO₂ solidaire, en
partenariat avec le GERES www.CO2solidaire.org. La compensation carbone est un
concept que connait et comprend le touriste. Cependant on peut se poser la question :
Où se situe la réelle responsabilité ? Est-ce plus responsable d’appliquer le principe
pollueur payeur ou bien plutôt essayer de ne pas polluer ? On se trouve ainsi dans une
stratégie de communication qui consiste à utiliser des propos symboliques, connus par le
touriste.
Par ailleurs, les TO qui ont gagné le concours trophéesdutourismeresponsable.com en
parlent. Les trophées du tourisme responsable sont une manifestation organisée par
voyages.sncf.com qui a lieu chaque année et qui regroupe plus d’une centaine de
concurrents, dans diverses catégories (trophée voyage humanitaire, trophée voyagiste
voire franchement contradictoires d’un acteur à l’autre. Il convient ici de se poser la
question suivante : le voyage aventure est-il vraiment durable ?
Nous avons vu au début de ce mémoire, l’évolution des systèmes touristiques99. Cette
évolution s’accompagne de la diffusion des lieux touristiques. En effet, avec la
mondialisation on voit apparaître de plus en plus de lieux touristiques. Ceci pourrait
apparaître comme une solution aux problèmes de surconcentration du tourisme de
masse. Mais l’un des avantages du tourisme de masse est que « le touriste de masse » est
par définition assez docile et ne s’écarte pas des sentiers battus. On peut donc le
contrôler facilement. Connaissant bien son comportement et son profil, on peut agir plus
efficacement pour lutter contre ses nuisances. Alors que le voyageur aventurier, lui est
plus volatil, et du fait qu’il ait notamment payé le prix fort, il se permet beaucoup de
pratiques. On amène donc plusieurs petits groupes dans des endroits très éloignés. La
question est en fait de savoir ce qui est le plus acceptable en terme de durabilité : avoir
quelques lieux majeurs du tourisme de masse très abîmés, ou bien moult lieux d’un
tourisme d’aventure un peu abîmés ?
Le tourisme durable peut se concevoir selon deux directions distinctes. D’une part, d’un
point de vue humaniste, il s’agit de lutter contre les effets néfastes du tourisme sur les
milieux réceptifs, au plan social, économique ou environnemental. C’est ce point de vue
qu’essaient de montrer les TO dans leur discours que nous avons étudiés. Il apparaîtrait
donc comme un tourisme alternatif. Mais, selon Lanfant et Graburn100 le tourisme
alternatif n’existerait pas, il semble qu’il n’y ait pas d’alternative au tourisme mais
seulement des façons responsables de le pratiquer. D’autre part, d’un point de vue
pragmatique, il s’agit de ménager les ressources touristiques pour ne pas tuer « la poule
aux œufs d’or ». Comme le suggèrent Hall et Lew,101 le tourisme durable n’est dans ce
sens qu’une « nouvelle étiquette sur de vieilles bouteilles » car tout entrepreneur
touristique a intérêt à ce que les bases de son activité ne soient pas dégradées. On tient
alors à protéger cette nature car on veut que le tourisme perdure, car il est source de
99 Voir supra, partie 1 chapitre 1, 1.2 L’évolution des différents systèmes touristiques.
100 LANFANT M.F. & GRABURN N.H. “International tourism reconsidered : the principle of the alternative”,
in SMITH V. & EADINGTON W. Tourism alternatives, Wiley, 1992
101 HALL C.M & LEW A.A. Sustainable tourism. A geographical perspective, Longman, 1998
86
retombées économiques importantes. Cependant, il faut faire attention à la manière de
« protéger » un lieu. En effet, si protéger le tourisme c’est mettre un lieu touristique hors
de portée des visiteurs, « sous cloche », cela revient à le tuer touristiquement. Ce qui
apparaît alors contradictoire. Pour reprendre les termes de Jean-Michel Dewailly102 :
« Ces contradictions freudiennes se trouvent par définition au cœur de la nature et des
activités humaines. Mais, elles trouvent leur source dans la dialectique hégélienne selon
laquelle toute réalité contient en elle les germes de sa destruction, ce qui la conduit
nécessairement à déboucher sur une nouvelle réalité, une nouvelle solution. » Il s’agit
donc de protéger les lieux touristiques avec circonspection. Le tourisme durable pourrait
s’avérer une nécessité économique. Il nous faut définir cette notion de durabilité pour
mieux comprendre pourquoi elle-même représente une limite. La durabilité s’analyse en
termes de ressources, que les économistes appellent « capital ». Ce capital peut être soit
naturel (végétaux, ressources naturelles …) soit construit capital physique des
infrastructures, capital humain des compétences et des qualifications …). Sylvie Brunel103
différencie deux types de durabilité : une durabilité forte et une durabilité faible. La
durabilité forte signifie que le capital naturel doit absolument être maintenu en état. Elle
donne donc priorité à l’environnement. Ces partisans estiment que les activités humaines
doivent être limitées pour préserver la planète. La durabilité faible signifie que « la
somme du capital naturel et du capital construit doit être maintenue constante, c'est-à-
dire que l’on peut substituer du capital construit à du capital naturel ». La durabilité
faible, elle, donne priorité à l’humanité et montre une grande confiance envers le progrès
et les techniques. « Le progrès remet en question la notion d’irréversibilité des
destructions et des dégradations portées à l’environnement ». En effet, un fleuve pollué
peut être dépollué, les algues du milieu marin abîmées par les navires, peuvent être
réintroduites etc. L’Homme a aujourd’hui un pouvoir immense. Il est capable de
réintroduire des espèces animales, reconstruire des milieux naturels menacés… « L’être
humain doit donc primer sur toute autre préoccupation. » De par sa définition, un
écosystème a besoin d’évoluer en permanence pour subsister. Dès lors, la notion de 102 DEWAILLY Jean-Michel « Tourisme, éco-tourisme, cybertourisme. Vers un espace touristique virtuel », in
MICHEL F Tourismes, touristes et sociétés, Paris L’Harmattan, 1998
103
BRUNEL S, Le Développement durable, PUF, 2009
87
conservation chère aux écologistes ne peut s’appliquer en tant que telle dans une
durabilité faible. Cette dernière vision relative au développement durable est celle qui est
associée au voyage aventure durable par un TO. L’environnement ne serait alors que le
produit des activités humaines. Il n’existe pas sur terre de milieux naturels qui n’aient pas
été anthropisés. La nature ne serait donc qu’une construction sociale, qui dépend des
lieux, des époques et des priorités que se donnent les sociétés. La nature n’est donc pas
« naturelle » et n’existe qu’aux yeux de l’Homme qui lui donne cette importance. Ainsi, le
tourisme durable sous toutes ses formes de contemplation ou protection de la nature est
également une construction de notre société qui se préoccupe actuellement de ses
problèmes. Il semblerait alors que le tourisme durable soit avant tout un tourisme créé
par la société et pour la société, en réponse aux attentes d’une certaine époque.
2.3 Les risques du voyage aventure
2.3.1 La perte d’authenticité
On pourrait également se demander ce que ce type de tourisme laisse comme empreinte
dans des lieux aussi éloignés géographiquement, culturellement, socialement, etc. que
des lieux plus habituels ? Le groupe de touristes qui voyage dans le pays Dogon a
forcément un impact sur cette civilisation qui a un fonctionnement qui lui est propre.
L’équipe de chercheurs MIT s’est penchée sur cette question. « On nous culpabilise quand
nous ne restons pas chez nous. On nous somme aujourd’hui de ne plus fréquenter le
« Sud » pour ne pas modifier les « traditions indigènes » »104. Pour eux, « ce discours sur
la « virginité » permet de légitimer des politiques de mise en réserve des espaces, où les
paysages et les populations sont censés être maintenus quasi intacts, c’est-à-dire figés
dans leur développement, muséifiés afin de préserver leur “authenticité” »105. Mais, les
cultures sont des constructions humaines, qui par nature sont amenées à évoluer. On ne
pourrait s’arrêter à des cultures dites « traditionnelles ». Or il y a un « fétichisme
104 MIT, Tourismes 1, op. cit.
105 Ibid.
88
contemporain pour les cultures traditionnelles. »106. Pour l’équipe MIT, « les processus
d’acculturation sont donc permanents et n’engendrent pas une uniformisation culturelle,
car des phénomènes d’appropriation interviennent et produisent en permanence la
différence. »107. Nous serons plus mitigés quant à ces propos. Bien évidemment le
tourisme quel qu’il soit va laisser une empreinte. Mais cette empreinte pourrait être
négative selon la façon dont le tourisme est orchestré dans ce lieu. Le voyage aventure,
qui fait l’objet de notre étude, semble au vu de notre analyse apparaître comme une des
formes de tourisme qui laisserait une empreinte négative minimale dans des lieux très
éloignés, où un autre type de tourisme, plus massif, laisserait une empreinte bien plus
forte.
2.3.2 Le risque de banalisation des lieux
Par ailleurs, le touriste serait un prédateur qui, une fois qu’il a épuisé un lieu, l’abandonne
aussitôt pour se trouver une autre « proie ». Ainsi Aisner affirme : « En analogie avec ce
que nous avons pour l’alpinisme, nous pouvons dire ici que tout paysage “vierge” et
exotique deviendra banal, une fois qu’il sera exploré ; d’où la surenchère exotique de la
course, toujours plus lointaine et effrénée, pour atteindre de nouveaux sommets intacts
pour imaginer de nouvelles destinations et attractions touristiques108. » Les voyages
aventures dans des lieux reculés finissent-ils par être banals ? Et ces lieux, très peu
industrialisés dont, finalement, le tourisme finit par devenir la plus forte retombée
économique, vont-ils être laissés pour compte ? S’il devient trop commun d’effectuer des
voyages aventures dans le pays Dogon, les touristes aventuriers iront-ils s’y précipiter ?
Que deviendront alors ces lieux, qui sont pour ainsi dire, dépendants de ce type de
tourisme ? On voit aujourd’hui apparaître cette situation de lieux délaissés, mais pour
d’autres raisons. Depuis l’hiver 2010-2011, on a vu évoluer une situation des plus
contraignantes dans le Sahel, notamment en Mauritanie, au Mali et au Niger. Les TO que
nous avons étudiés ont été contraints d’arrêter tous leurs voyages aventures dans cette
106 Ibid.
107 Ibid.
108 AISNER P & PLÜSS C, La ruée vers le soleil. Le tourisme à destination du Tiers-Monde, L’Harmattan, 1983
89
zone. Cela signifie que de nombreuses équipes locales qui avaient basé leur revenus
depuis plusieurs années sur le tourisme d’aventure se voient abandonnées. Point Afrique
a totalement arrêté son activité de voyagiste, et a mis en place une association : Point
Afrique Solidarité. Non seulement il a été important de transformer leur activité afin
qu’elle puisse perdurer, mais aussi et surtout il est important de ne pas laisser tomber les
équipes locales. Point Afrique s’est rendu compte de l’impact qu’avait leur tourisme dans
ces régions : « Il a été établi que le tourisme dans ces régions enclavées était un des
principaux moyens de lutte contre la pauvreté. Exemple : Une étude du PNUD de 2002
sur le taux de prévalence de la pauvreté dans l'Adrar mauritanien indique que ce taux est
tombé de 57 % en 1996, à 24 % en 2002, soit une diminution de moitié et souligne que le
tourisme a contribué pour une grande part à la régression de la pauvreté dans cette
région 109 ». L’objectif de cette association est de « contribuer à la lutte contre la
paupérisation et l’embrigadement djihadiste en cours dans ces régions saharo-sahélienne
désertées par les touristes français :
- Viser l’autosuffisance par des formations à l’agroécologie avec Pierre Rabhi,
- Financer des microcrédits (notamment pour les femmes) pour créer des projets
individuels ou communautaires (jardins, irrigation, entrepôts villageois, etc.), - Parrainer
la scolarisation des enfants de nos partenaires locaux,
- Faire travailler les artisans et artistes en achetant et en revendant leurs créations sur
Internet et dans nos locaux de Paris.
Les bénéficiaires des actions proposées sont : nos chameliers, piroguiers, âniers,
cuisiniers, chauffeurs, guides ainsi que les communautés villageoises périphériques qui
profitaient indirectement des retombées touristiques. » Il paraît important de montrer ici
la manière de réagir aux événements actuels d’un de ces TO qui se dit « solidaire ». A ce
jour, Point Afrique semble être le seul TO à avoir mis en place une démarche solidaire
suite aux événements de ces derniers mois, alors que tous semblaient s’axer sur une
démarche solidaire, équitable, durable. Nous ajouterons pour terminer, comme l’a
montré l’exemple de l’association Point Afrique Solidarité, que la limite du voyage
Annexe E : démarche responsable Allibert trekking page 1et 2
Source : brochure Allibert trekking Le monde à pied 2011
Allibert trekking page 2
107
108
Annexe F : démarche responsable Atalante page 1et 2
Source : guide du trek Atalante 2011
Atalante page 2
109
110
Annexe G : Charte éthique du voyageur
Source : Association ATR (Agir pour un Tourisme Responsable)
111
112
113
114
115
116
117
118
Annexe H : voyage « Djenné, le fleuve, les Dogons »
Source : catalogue Nomade Aventure 2011
119
Annexe I : voyage « Rando en pays Sénoufo »
Source : catalogue Nomade Aventure 2011
120
Annexe J : voyage « La Tanouchertoise »
Source : catalogue Point Afrique 2011
121
Table des matières
SOMMAIRE 4
INTRODUCTION 6
PARTIE 1 : LE VOYAGE AVENTURE, PRECIS DE DEFINITION 11
CHAPITRE 1 : VERS UN TOURISME AUTREMENT 12
1.1 Les fonctions du loisir et du tourisme 12 1.2 L’évolution des différents systèmes touristiques 13 1.3 Le rejet du tourisme de masse et l’apparition de nouvelles tendances 17
CHAPITRE 2 : LEXICOLOGIE 19
2.1 Voyageur versus touriste 20 2.2 D’aventures en aventures : une balade nommée trekking 22 2.3 Les lieux de prédilection des voyages aventures 27
PARTIE 2 : MISE EN PLACE D’UNE STRATEGIE AUTOUR DE LA RESPONSABILITE ET DE
L’AVENTURE PAR LE TOUR OPERATEUR 31
CHAPITRE 1 : DE L’ART DE VENDRE UN « BON » ET « VRAI » VOYAGE RESPONSABLE 32
1.1 Analyse du discours responsable des tours opérateurs expliqué dans leur brochure 33 1.1.1 Le cas de Chemins de Sable 33
1.1.2 Le cas de Nomade Aventure 36
1.1.3 Le cas d’Allibert trekking 38
1.1.4 Le cas d’Atalante 41
1.2 Une stratégie de communication 42 1.3 L’importance d’associer un projet solidaire au voyage 46
CHAPITRE 2 : ENCADRER UNE AVENTURE 48
2.1 Le discours du tour opérateur : entre aventure et encadrement 48 2.1.1 Analyse du discours d’aventure à travers le voyage « Djenné, le fleuve, les Dogons », catalogue
Nomade Aventure, hiver 2010-2011 48
2.1.2 Analyse du discours d’aventure à travers le voyage « Rando en pays Sénoufo », catalogue
Nomade Aventure, hiver 2010-2011 50
2.1.3 Analyse du discours d’aventure à travers le voyage « La Tanouchertoise », catalogue Point
Afrique, hiver printemps 2010-2011 51
2.2 L’aventure humaine : la rencontre de l’autre 53
PARTIE 3 : LES VOYAGEURS AVENTURIERS 62
122
CHAPITRE 1 LES MOTIVATIONS DES TOURISTES : ANALYSE DU DESIR ET DE LA PERCEPTION D’UN VOYAGE
AVENTURE A TRAVERS LE RECIT DE VOYAGE D’UNE TOURISTE 64
1.1 Portrait d’une voyageuse en quête d’authenticité et d’elle-même 64 1.2 L’appropriation du discours du tour opérateur 73
1.2.1 L’effet aventure 73
1.2.2 L’importance d’un voyage responsable 75
1.3 L’interprétation du discours du tour opérateur 76 1.3.1 Des aventuriers seuls au monde 77
1.3.2 L’authenticité confirmée 78
CHAPITRE 2 : LES LIMITES DE CE TYPE DE TOURISME 81
2.1 Limite floue entre le voyage aventure et l’humanitaire : de l’impression de faire partie d’une ONG en donnant des crayons dans un village. 81 2.2 Le tourisme durable, un « vocable-mythe » ? 84 2.3 Les risques du voyage aventure 87
2.3.1 La perte d’authenticité 87
2.3.2 Le risque de banalisation des lieux 88
CONCLUSION 91
BIBLIOGRAPHIE 95
ANNEXES 99
TABLE DES MATIERES 121
RESUME 123
123
Résumé
Mots clés : Voyage, aventure, tour opérateur, responsabilité , touristes, voyageurs
Le voyage aventure est une pratique touristique de niche qui se développe depuis plusieurs
années en opposition au tourisme de masse. Cette pratique fait référence à un forfait
touristique où l’on associe généralement un déplacement qui renvoie à la mobilité dite
douce, à savoir souvent la marche, mais aussi, le canoë, le vélo, le dromadaire,
l’équitation, la pirogue etc. On y associe également la découverte « active » d’une région.
Le voyage aventure s’adresse à des voyageurs initiés, qui se distinguent de simples
touristes par leurs pratiques. Ce type de tourisme est organisé par des Tour Opérateurs qui
se disent « responsables », « solidaires », « équitables » et qui communiquent beaucoup
sur leurs démarches. L’aventure se trouve également au centre de leur stratégie de vente.
Les voyageurs sont très sensibles à ces discours qu’ils interprètent à leur manière. Ce
mémoire traite donc de la complexité de l’organisation du voyage aventure comme un
système qui aurait pour composantes majeures les tours opérateurs et les touristes.
Key words : travel, adventure, tour operator, responsibility, tourists, travelers
Adventure travelling is a tourism practice niche that has been significantly growing over
the past few years in opposition to mass tourism. This practice consists in a tour package
in which locomotion is that of soft mobility: walking in most cases but also canoe, cycling,
horseback, dromedary ridding, dugout etc... “Active” discovery of a region is also often on
the menu. Adventure travelling is aimed at experienced travelers, who are marked out
tourists by their practices. This type of tourism is organized by so called “responsible” and
“fair” Tour Operators which communicate a lot about their “sustainable” approaches. Not
to mention adventure is also at the core of their selling strategies. Travellers are very
receptive to these speeches, and interpret them in their own way. This master's thesis is
about the complexity of the organization of adventure travelling as a system which has for