1 Le va-et-vient des êtres. Une anthropologie de la présence. Albert Piette Document de travail (2012) Qui sont ces « êtres » que n’importe quel humain, dans n’importe quelle partie du monde, rencontre au fil des situations d’une journée ? Des non-humains, gros, grands, petits, vivants, non-vivants, réels, actuels, virtuels. Ils constituent avec chacun des hommes de drôles de présence, tant leur manière d’aller et venir, d’être présents et absents leur est caractéristique. Tout au long des situations qu’il traverse, un humain rencontre puis quitte des autres êtres (nous dirons des para-humains, existant à côté des hommes, leurs compagnons) qui eux-mêmes continuent ou non leur existence après ce moment de coprésence, au même endroit ou dans d’autres lieux. De cette rencontre, l’homme comme le para-humain garde ou ne garde pas de traces. Ces para-humains sont tous des individualités bonnes à penser et à observer, en tant que présentes en situation, en tant qu’objet d’individuation, de cognition, de perception, par les humains. Au fil des situations, un humain rencontre donc des para-humains. S’installent ainsi des coprésences qui sont méthodologiquement capitales pour repérer, observer et décrire ceux-ci. Une fois que la parole et le geste de l’homme ont fait repérer un para-humain, il s’agit bien alors de les quitter pour se « rapprocher » de celui-ci, de le suivre, de repérer ses actions et ses modes de présence. L’ontographe, je désigne ainsi celui qui est observateur des êtres et des existences, se trouve dans un lieu, attend et regarde ce qui s’y passe, observe un humain percevant un para-humain et tente de « suivre » ce dernier. Dans un lieu de culte par exemple, il déduit, à partir de ce que fait un humain, la présence de la divinité, qu’il tente alors de suivre au fil des séquences d’action dans cet espace, au-delà des gestes et paroles de cette personne en question, attendant d’autres actions humains pour repérer d’autres formes de présence du dieu. Pour l’ontographie d’une divinité ou d’une institution, l’Etat, il est bon aussi de privilégier un lieu spécifique (lieu de culte ou espace politique) et des lieux indifférents (espaces privés, espaces urbains) dans lesquels il serait possible d’attendre et de repérer le para-humain en question. Une ontographie déductive consiste ainsi à décrire, à partir des situations, des dispositifs et des actions des hommes, les actions et les modes de présence des para-humains. Pour comprendre des modes de présence para-humains, le suivi d’un homme est une autre ressource possible, des humains « spécialisés » (hommes religieux, croyants, hommes politiques, fonctionnaires) mais aussi « non spécialisés ». Par ailleurs, l’ethnographie classique peut être la phase exploratoire de l’ontographie, comme mise en familiarité et rencontre avec des gens, une activité, un groupe, avant cette phase de suivis individuels. L’ethnographie en posant le chercheur au centre d’une situation et à l’écoute simultanée de diverses personnes en coprésence par exemple avec une divinité, permet d’accumuler des notes et des informations sur la circulation justement à la fois simultanée et différente, de ladite divinité auprès des unes et des autres. Avec un chien ou tout autre animal domestique, l’équitabilité complète est bien sûr plus réalisable qu’avec un para-humain invisible. Elle consisterait à suivre et observer l’homme et le chien dans leur journée respective, pas nécessairement simultanément, d’observer aussi leurs moments de coprésence qui ne sont que quelques-uns parmi l’ensemble
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Le Va-et-Vient Des Etres. Une Anthropologie de La Presence
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Le va-et-vient des êtres. Une anthropologie de la présence.
Albert Piette
Document de travail (2012)
Qui sont ces « êtres » que n’importe quel humain, dans n’importe quelle partie du
monde, rencontre au fil des situations d’une journée ? Des non-humains, gros, grands, petits,
vivants, non-vivants, réels, actuels, virtuels. Ils constituent avec chacun des hommes de drôles
de présence, tant leur manière d’aller et venir, d’être présents et absents leur est
caractéristique. Tout au long des situations qu’il traverse, un humain rencontre puis quitte des
autres êtres (nous dirons des para-humains, existant à côté des hommes, leurs compagnons)
qui eux-mêmes continuent ou non leur existence après ce moment de coprésence, au même
endroit ou dans d’autres lieux. De cette rencontre, l’homme comme le para-humain garde ou
ne garde pas de traces. Ces para-humains sont tous des individualités bonnes à penser et à
observer, en tant que présentes en situation, en tant qu’objet d’individuation, de cognition, de
perception, par les humains.
Au fil des situations, un humain rencontre donc des para-humains. S’installent ainsi
des coprésences qui sont méthodologiquement capitales pour repérer, observer et décrire
ceux-ci. Une fois que la parole et le geste de l’homme ont fait repérer un para-humain, il
s’agit bien alors de les quitter pour se « rapprocher » de celui-ci, de le suivre, de repérer ses
actions et ses modes de présence. L’ontographe, je désigne ainsi celui qui est observateur des
êtres et des existences, se trouve dans un lieu, attend et regarde ce qui s’y passe, observe un
humain percevant un para-humain et tente de « suivre » ce dernier. Dans un lieu de culte par
exemple, il déduit, à partir de ce que fait un humain, la présence de la divinité, qu’il tente
alors de suivre au fil des séquences d’action dans cet espace, au-delà des gestes et paroles de
cette personne en question, attendant d’autres actions humains pour repérer d’autres formes de
présence du dieu. Pour l’ontographie d’une divinité ou d’une institution, l’Etat, il est bon aussi
de privilégier un lieu spécifique (lieu de culte ou espace politique) et des lieux indifférents
(espaces privés, espaces urbains) dans lesquels il serait possible d’attendre et de repérer le
para-humain en question. Une ontographie déductive consiste ainsi à décrire, à partir des
situations, des dispositifs et des actions des hommes, les actions et les modes de présence des
para-humains. Pour comprendre des modes de présence para-humains, le suivi d’un homme
est une autre ressource possible, des humains « spécialisés » (hommes religieux, croyants,
hommes politiques, fonctionnaires) mais aussi « non spécialisés ». Par ailleurs, l’ethnographie
classique peut être la phase exploratoire de l’ontographie, comme mise en familiarité et
rencontre avec des gens, une activité, un groupe, avant cette phase de suivis individuels.
L’ethnographie en posant le chercheur au centre d’une situation et à l’écoute simultanée de
diverses personnes en coprésence par exemple avec une divinité, permet d’accumuler des
notes et des informations sur la circulation justement à la fois simultanée et différente, de
ladite divinité auprès des unes et des autres.
Avec un chien ou tout autre animal domestique, l’équitabilité complète est bien sûr
plus réalisable qu’avec un para-humain invisible. Elle consisterait à suivre et observer
l’homme et le chien dans leur journée respective, pas nécessairement simultanément,
d’observer aussi leurs moments de coprésence qui ne sont que quelques-uns parmi l’ensemble
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des actions quotidiennes. De fait, les para-humains ne sont pas tous égaux face à l’objectif
ontographique. Pour des raisons méthodologiques (les dieux sont invisibles, l’Etat est
relativement insaisissable dans sa présence réelle mais virtuelle), ontologiques (les dieux sont
une illusion ou transcendants), disciplinaires (les animaux ont leurs chercheurs spécialisés,
éthologues chargés de les décrire, les roboticiens pas encore car les roboticiens les fabriquent
plus qu’ils ne les décrivent en situation). Des raisons d’apparence qui renvoient bien sûr à des
enjeux éthiques et sociologiques (les robots en forme humaine interpellent d’autant plus les
sciences sociales) contribuent à créer ces différences d’intérêts anthropologiques. Le degré de
dépendance ce celui-ci par rapport aux humains (la machine et le chien sont à cet égard
différents) est aussi un facteur d’intérêt, la machine, le dieu aussi, faisant plus constructions
humaines que l’animal.
Partons à la rencontre de quelques para-humains : des formes de coprésence se
déploieront devant nous. Comprendre ainsi leur présence située suppose précisément de
désubstantiver la notion de « présence », d’y injecter une dimension restrictive et négative,
mais aussi de penser ces para-humains autrement qu’ en tant qu’ils seraient objets de
représentations, d’interactions ou de relations, ou nœuds de connexions faisant et faisant faire.
Allons ainsi de para-humain en para-humain. Des points communs apparaîtront, quelques
digressions théoriques surgiront.
Chiens à la maison
Lorsqu’il s’agit d’observer un chien dans un espace domestique, il est important de
suivre les séquences d’actions par lesquelles l’homme et le chien entrent en interaction
proprement dite. Selon le lexique goffmanien (Goffman, 1974), celle-ci constitue bien un
ensemble de signes pertinents non seulement de « messages » suffisamment significatifs et
acceptables par les autres pour être le point de départ du message suivant mais aussi, , de «
sources d’expression », comme le style de l’action, ses modalités d’effectuation, sa relation au
contexte devenant des « sources d’impression » pour les autres « interactants ». Mais de fait,
en tant qu’il est un actant subordonné et sans capacité critique dans le groupe familial, le
chien est souvent en dehors de l’enjeu de la pertinence interactionnelle à l’intérieur de
laquelle se situe l’être humain. Les règles du tact, de déférence et de bonne tenue que celui-ci
maîtrise bien dans la mise en scène de la vie quotidienne avec les autres humains sont,
lorsqu’il interagit avec le chien, le plus souvent mises entre parenthèses ou en pointillé. C’est
en ce sens que le chien n’est pas très « pertinent » pour la microsociologie interactionniste
trop focalisée sur le face-à-face avec échange réciproque d’expressions et d’informations. De
plus, les interactions entre le chien et l’homme dans un même espace domestique sont rares et
de courte durée. Dans sa présence permanente, souvent passive et sans cet enjeu
interactionnel, le chien est simplement « là », près de son compagnon humain, sans construire
un face-à-face expressif. Ainsi, il ne peut pas être comparé aux objets valorisés par les
théories de l’« action située », pertinents en tant qu’ils sont supports de manipulations et
porteurs d’informations. L’apport de l’approche interactionniste reste donc limité. Car il y a
un détail, un résidu qui échappe nécessairement à une telle construction de l’objet, un reste
qui n’est pas intégrable dans la focalisation vers ce qui est partagé et pertinent pour les
interactants. Il advient ainsi que le chien est un actant dissymétrique, en tout cas neutre par
rapport au régime d’action principale dans lequel l’humain est engagé : travailler, regarder la
télévision, parler, faire la fête. Le chien est alors un être contingent dont la présence n’est pas
significative par rapport à l’action principale, sans pour autant remettre en cause sa spécificité
et son bon fonctionnement. « Le chien est là. » Et les humains le savent, se laissant à peine
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distraire par cette présence à laquelle c’est la spécificité contingente qui fait tout son sens.
Dans cette présence « à côté », le chien n’est pas un actant qui fixe l’attention, qui agit sur le
corps de l’autre. Il n’est qu’un repère en pointillé, placé à bonne distance des humains. A ce
moment-là, en pleine contingence, cette présence, passive et silencieuse, effacée, presque
oubliée, a d’autant plus de pertinence dans sa non-signification interactionnelle qu’elle peut,
de manière imprévisible, surgir, solliciter un regard, un contact physique, exprimer une
douleur, témoigner une affection d’emblée sincère, injecter l’idée (et le sentiment) qu’elle
aime. Le chien constitue une présence importante en tant qu’il appartient au brouhaha
quotidien mais en même temps parce qu’il est toujours, en tant que simple contingence,
potentiellement générateur d’une épreuve lorsqu’il souffre ou qu’il meurt. D’emblée, celle-ci
sera recadrée dans un rapport distancié permettant par exemple de remplacer le chien mort. Le
chien constitue ainsi une sorte de « bruit » permanent, une présence modalisatrice qui aime et
qu’on aime. C’est comme si le chien, en tant qu’animal domestiqué et à ce titre, introduisait
ou réintroduisait localement un signe d’humanité.
C’est à partir de ces caractéristiques que la présence du chien se pose comme un
« don » aux hommes (Boltanski, 1990 et Caillé, 2007). Avec le chien : pas ou peu d’actes ou
de désirs stratégiques, pas d’attentes en retour, pas de riposte après une offense mais plutôt
une disposition immédiate à pardonner. Pour l’homme, le chien est un don non seulement
parce qu’il semble exprimer de l’amour mais surtout parce qu’il permet, sur fond de cet
attachement particulier, d’être oublié tout en étant là. Il instaure ainsi une sorte de régime de
paix sans réciprocité, tout en maintenant un enjeu affectif particularisé. Pour l’homme qui a
toujours privilégié et continue à privilégier des liens avec des entités para-humaines, le chien
est un être spécifique. Il est sans doute, parmi les actants qui font sens, c’est-à-dire qui aiment,
souffrent, se font aimer, suscitent du chagrin, celui qui peut aller le plus loin dans la
contingence et l’effet de non-pertinence. Dans le rapport qu’entretiennent l’homme et le chien,
la marge d’oscillation entre le sens et la contingence est grande, l’équilibre entre les deux
plutôt proportionné, alors qu’elle est souvent beaucoup plus réduite et en équilibre plus tendu
pour les humains entre eux1.
En vue d’une zoographie anthropologique, qui consiste pour l’anthropologue à décrire
des animaux et aussi les hommes en vue de comparer, y a-t-il plus programmatique que ce
qu’écrit Deleuze : « « L’éthologie, c’est d’abord l’étude des rapports de vitesse et de lenteur,
des pouvoirs d’affecter et d’être affecté qui caractérisent chaque chose. Pour chaque chose,
ces rapports et ces pouvoirs ont une amplitude, des seuils (minimum et maximum), des
variations ou transformations propres. Et ils sélectionnent dans le monde ou la Nature ce qui
correspond à la chose, c’est-à-dire ce qui affecte ou est affecté par la chose, ce qui meut ou est
mû par la chose. Par exemple, un animal étant donné, à quoi cet animal est-il indifférent dans
le monde infini, à quoi réagit-il positivement ou négativement, quels sont ses aliments, quels
sont ses poisons, qu’est-ce qu’il ‘‘prend’’ dans son monde ? » (Deleuze, 2003 : 168) Et un peu
plus loin : « Nous appelons longitude d’un corps quelconque l’ensemble des rapports de
vitesse et de lenteur, de repos et de mouvement, entre particules qui le composent de ce point
de vue, c’est-à-dire entre éléments non formés. Nous appelons latitude l’ensemble des affects
qui remplissent un corps à chaque moment, c’est-à-dire les états intensifs d’une force
anonyme (force d’exister, pouvoir d’être affecté). Ainsi nous établissons la cartographie d’un
corps » (p. 171).
Dieux présents
1 Je ne peux que renvoyer au doctorat de Marion Vicart (2010) qui a pratiqué une telle observation équitable
d’hommes et de chiens.
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L’observation de l’anthropologue atteste bien qu’il y a des dieux (ou disons des esprits
surnaturels) dans le monde des hommes, à différents endroits où ceux-ci s’adressent à ceux-là
sous des formes et des modalités très différentes. Et aussi en même temps, d’autres hommes
parfois très proches des premiers n’accordent aucune importance à ces divinités, certains
disent même qu’elles n’existent pas, qu’elles sont des illusions. Bref, le monde des hommes
n’est pas sans dieu au moins caractérisé par l’invisibilité, la re-présentativité, l’ubiquïté et la
possible négation de leur présence. Le monde n’est pas sans divinités, nous pouvons penser,
s’adresser à celles-ci, ne pas y penser et aussi nier plus ou moins ouvertement leur existence.
De tous ces êtres, chaque humain ne perçoit qu’une partie infime parmi les innombrables
présents dans le monde. Tous les humains ne voient pas, n’entendent pas d’ailleurs les mêmes
para-humains. Il en est même dont l’existence n’est pas reconnue. Bref il y a des dieux
présents dans le monde, je veux dire dans certaines situations et pas dans d’autres. Le monde
d’Homo sapiens n’est pas lui sans dieux : à chacun de s’y rapporter, d’interagir avec eux, d’y
penser, de ne pas y penser, etc. Ainsi, une divinité, souvent plus présente qu’interactive, n’est
pas sans ressemblance avec un chien.
Repérées, les divinités suscitent donc l’intérêt ontographique. Et s’ouvre alors la
possibilité du théisme méthodologique à la recherche des caractéristiques ontographiques des
divinités. Contrairement à d’autres entités fictionnelles, elles ont, entre autres propriétés, de
quitter un monde non visible, afin de venir dans celui des humains, de façon relativement
présentes et actives, sans être directement perceptibles ni reconnues par tous les hommes.
Disons que, dans un lieu de culte, il y a des divinités dont il n’est pas sûr qu’elles y soient
vraiment. Ce sont des existants incertains qui sont présents. Dans le travail d’anthropologue, il
me semble qu’en rester trop à l’analyse des modes langagiers et gestuels comme créateurs de
référence (ce qui peut paraître concevable pour certains « non-existants ») risque de manquer
l’essentiel de la situation : la présence et l’action de la divinité. L’invisibilité de Dieu est une
caractéristique ontographique, ainsi que ses modes de présence et de retrait à géométrie
variable, parfois même très saccadée.
Prenons l’exemple de la religion catholique. Certes, en particulier à certains « pics »
des célébrations comme la consécration eucharistique, la divinité s’arrête et s’accroche à l’un
ou l’autre humain. Elle lui fait verser une larme, le pousse à chanter profondément, lui donne
une joie intérieure ou une espérance. Elle est aussi interpellable par des prières. Mais le plus
souvent, la divinité ne pose pas autant de sens et d’enjeu. En deçà de quelques instants forts et
seulement pour quelques-uns, la présence du dieu reste peu exigeante. Il est là, comme en
suspension, non palpable, et sans demander à l’être, comme l’a écrit Bruno Latour (2009).
Sans obligation de réciprocité, il avance et se dégage aussitôt, flou et souple. Dans sa présence
ordinaire, Dieu est un incertain oscillateur, fluide, fluidifiant, comme je l’ai décrit dans La
religion de près (Piette, 1999). Voici ainsi quelques caractéristiques communes aux êtres
reconnus comme dieux dans différents univers religieux :
- existant non actuel (c’est-à-dire appartenant à un autre monde que celui des hommes)
- invisible mais rendu présent dans le monde humain…
- … directement (perçue) mais de manière non partagée même par les « croyants »
- … indirectement selon diverses médiations reconnues et partagées par les croyants
- avec un style polymorphique, leur attribuant des aspects et des figures très hétérogènes
- selon une capacité de re-présence puis de retrait particulièrement rapide et versatile
- avec un mode de présence paradoxale, mêlée à une absence simultanée, non
catégorique et pas nécessairement perçue comme telle, mais capable d’être simultanée
à différents lieux humains
- n’impliquant pas un face-à-face interactif comme les humains le pratiquent entre eux
- capable d’actions directes (comme guérir, aider, bénir les hommes, etc.) ou indirectes
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(comme faire faire, par exemple faire un humain se rendre au lieu de culte)
- cet être divin existant dans un monde non actuel, surgissant invisiblement dans celui
des hommes est pour ceux-ci un objet de perceptions, d’émotions, d’interlocutions,
d’idées vives, appelées « croyances », caractérisées par leurs brièvetés, leurs mises
entres parenthèses de conséquences logiques et empiriques et aussi leurs propres auto-
restrictions mentales.
Les dieux des diverses religions seraient-ils si différents ? Le christianisme et la
religion de l’Antiquité grecque le sont pourtant. Voici pourtant l’analyse-résumé d’un
spécialiste du monde grec à propos des rencontres entre les hommes et des dieux : « Dans ce
jeu du cacher-montrer, se déploient non seulement toute une série de possibilités qui disent
l’impensable face-à-face entre l’homme et le dieu, mais aussi un ensemble de signes à
déchiffrer dès lors que les formes adoptées par tel ou tel dieu pour se rendre visible ne
sauraient être laissées tout à fait au hasard. Le dieu gît dans les détails » (Sineux, 2006 : 106).
N’en déplaise à saint Anselme et à Descartes, Dieu ne serait pas parfait, comme nous l’ont
suggéré ses divers modes de présence. Mais il est « là »…
Dieu, dépendant en situation des humains, est un être ainsi relationnel, même
relationniste. En commentaires2
du livre d’Étienne Souriau (Souriau, 2009), un vrai
programme d’ontisme visant à qualifier différents modes d’existence, y compris des êtres
imaginaires et divins, Bruno Latour écrit : « ce mode d’existence particulier qu’on appelle
Dieu : c’est un être sensible à ce qu’on dit de lui ; un être qui apparaît ou disparaît selon la
façon dont on l’énonce, le proclame, le prononce, le parle. Oui, il est de ces êtres particuliers
qui sont dépendants de leur condition précise d’énonciation, de la tonalité, juste ou fausse,
dans laquelle on les fait résonner ». Il est important d’indiquer que la perspective relationniste
de Bruno Latour insistant sur le faire et le faire faire est d’autant plus pertinente que les êtres
sont dépendants d’autres. Certes, mais comment est-il, que fait-il en tant que tel ? La
présence située et perçue des êtres invisibles, des dieux (mais aussi par exemple des morts) est
plus qu’une toile de fond qui par définition est large. Elle est moins jaillissante qu’un détail
sans importance qui surgit vite, s’efface et s’oublie vite, simplement distrayant. La présence,
c’est celle d’un être, de sa trace dans un texte, dans une peinture, dans un portrait, dans une
photographie, à laquelle nous tenons par-dessus tout, qui peut certes rentrer dans la toile de
fond ou surgir comme un détail sans importance, mais surtout qui est là, tel un compagnon
auquel nous ne demandons qu’à être là et qui lui ne nous demande rien. Aux autres points et
objets de perception que sont les repères, les indices, la toile de fond et les détails, la présence
vient ainsi s’ajouter. « Il est présent », comme nous pouvons le dire à propos du mort ou d’un
dieu participant tout à la fois des différents modes de perception : indice, repère, fragment,
détail, comme si la « présence » brouillait, en les cumulant tous, la figure et le fond. « Re-
présent », devrions-nous plutôt dire à propos de l’être mort qui commence de nouvelles
formes de présence avant de re-mourir lorsque ceux qu’il connaissait l’ont complètement
effacé ou qu’ils sont à leur tour morts. Notons que les analyses qui se revendiquent de la
notion d’agentivité sont plus tentées par la façon dont les humains conceptualisent l’agentivité
des non-humains, leur attribuent des capacités d’action et d’intention. Et non leurs actions et
modes de présence en situation3. La carte d’identité ontographique est plus large, ajoutant
aux actions des dieux ce qui est déductible aussi par ce que les hommes ne leur attribuent pas
directement. C’est la cohérence de la situation avec telle ou telle action ou parole humaine
qu’il est possible de dire qu’ils n’entendent pas et ne voient pas tout le temps, qu’ils vont et
viennent. . Ce qui peut paraître confondu et ambigu avec les entités surnaturelles est clair avec
2 Commentaires en ligne sur le site de Bruno Latour : http://www. bruno.latour.fr
3 Cf. le n° (34, 2010) sur l’agentivité des Ateliers du Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative de
Nanterre : http://ateliers.revue.org. Et aussi le livre d’Alfred Gell (2009)