Auteur : Romain LEO Directrice de mémoire : Kamila TABAKA Maître d’apprentissage : Ludovic GAUTIER Impacts et domaines de pertinence du transport par câble aérien en milieu urbain Master 2 : Urbanisme, Habitat et Coopération Internationale Année : 2013 - 2014
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Auteur : Romain LEO
Directrice de mémoire : Kamila TABAKA
Maître d’apprentissage : Ludovic GAUTIER
Impacts et domaines de pertinence du transport par câble
aérien en milieu urbain
Master 2 : Urbanisme, Habitat et Coopération Internationale Année : 2013 - 2014
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Avant-Propos :
Le Master UHCI Urbanisme, Habitat & Coopération Internationale propose d’effectuer
l’année de master 2 sous le régime de l’alternance.
J’ai ainsi été accepté dans la section Ville & Transport du bureau d’étude et de maitrise
d’œuvre Ingerop Méditerranée, pour une alternance de 10 mois. J’y ai principalement
travaillé sur des problématiques de transport urbain.
Dans ce contexte, j’ai eu en charge un dossier relativement conséquent : « l’étude de
faisabilité pour l’implantation d’un transport par câble sur le centre-ville de Marseille ». Ce
dossier a éveillé mon intérêt pour ce mode de transport et j’ai pu constater le manque de
données et de retour d’expérience qu’il y avait autour de ce sujet.
Le transport par câble s’est alors avéré comme un sujet de mémoire novateur et intéressant, où
s’impose une vision transversale à laquelle l’urbaniste peut répondre. C’est donc le défi que je
me suis lancé, en essayant d’avoir la vision la plus complète possible le long de ce mémoire
d’étude.
3
Auteur LEO Romain
Titre Impacts et domaines de pertinence du transport par
Algérie, Bolzano, Val de Marne, Coblence, Portland
Résumé :
A travers le monde, certaines agglomérations utilisent désormais le transport par câble aérien
comme véritable mode de transport urbain. Il recueille un certain succès jusqu’à en devenir
l’emblème de certains quartiers. En Europe et plus particulièrement en France, les
collectivités découvrent cette solution et commencent à élaborer des projets. Mais la prudence
est de mise puisque chaque pays à sa réglementation, et les constructeurs sont encore
inexpérimentés à l’insertion urbaine. En s’appuyant sur les différentes réalisations en service
ainsi que sur la documentation disponible, il est proposé d’étudier les forces et les faiblesses
du transport aérien en milieu urbain et d’imaginer comment ce mode de transport atypique
peut participer à l’amélioration de la mobilité urbaine.
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Remerciements :
Je tiens à remercier Ingerop Marseille pour m’avoir confié des missions qui m’ont permis
d’apprendre énormément et de mettre un pied dans le monde des transports urbains. Je
remercie Messieurs Ludovic GAUTIER et Thomas GRATTAROLA pour leur accueil. Leurs
esprits critiques et leurs connaissances m’ont permis de comprendre rapidement les processus
d’études. Merci également à toute l’équipe d’Ingerop Marseille pour leur accueil dans une
ambiance sympathique et motivante.
Ensuite, je remercie Mme Kamila TABAKA, ma tutrice de stage à l’Institut d’Urbanisme de
Grenoble, qui a su répondre à mes interrogations et m’orienter dans les bonnes directions pour
ce mémoire.
Je remercie également Madame Sandrine ROUSIC, chargée d’étude au CEREMA* et
spécialiste de la question des transports par câble, pour ses avis éclairés.
* Voir Glossaire p 8
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Liste des abréviations : - BHNS : Bus à haut niveau de service - CERTU : Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions
publiques - CETE/CEREMA : Centre d'Études Techniques de l'Équipement - PMR : Personne à mobilité réduite - TC : Transport en commun - TpC : Transport par câble
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Table des matières
Introduction……………………………………………………………………………..8
PARTIE 1 : Généralités sur les TpC ...................................................................................... 11
1.1 Histoire du TpC .............................................................................................................................. 11
1.2 Technologies appropriées à la ville ........................................................................................ 12
1.2.1 Famille des systèmes à deux véhicules ....................................................................................... 13
1.2.2 Famille des systèmes multi-cabines .............................................................................................. 14
1.3 Exemples et retours d’expérience à travers le monde .................................................... 16
1.3.1 A l’étranger .............................................................................................................................................. 17
1.3.2 En France .................................................................................................................................................. 22
2.1.1 Un système capacitaire ........................................................................................................................ 27
2.1.2 Un système accessible à tous ............................................................................................................ 31
2.1.3 Une sécurité exemplaire ..................................................................................................................... 32
2.1.4 Un bilan environnemental remarquable ..................................................................................... 32
2.2 Contraintes et limites techniques ........................................................................................... 33
2.2.1 Un Impact sonore à contenir ............................................................................................................ 33
2.2.2 Coût compétitif mais pas toujours fiable ..................................................................................... 34
2.2.3 Des temps de travaux réduits .......................................................................................................... 36
2.2.4 Une maintenance à réorganiser pour le milieu urbain .......................................................... 37
2.2.1 Des objectifs de confort urbain difficiles à atteindre.............................................................. 38
2.2.1 Un tracé trop géométrique ................................................................................................................ 38
2.3 Encadrement législatif et juridique du TpC ......................................................................... 39
2.3.1 Encadrement français, une réglementation trop contraignante ........................................ 40
2.3.2 Réactions des villes françaises face aux barrières législatives........................................... 43
Figure 14 - Insertion du téléphérique dans le plan du réseau de transport, Val de Marne
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1.4 Conclusion
Au regard des réalisations récentes il semble qu’une nouvelle page soit en train de s’écrire
dans la longue histoire du TpC. Après sa vocation industrielle puis montagneuse, le câble
commence à s’imposer maintenant au monde de l’urbain.
Armés d’une batterie de technologies différentes, les constructeurs attisent la curiosité des
collectivités. Pour autant, gagner sa place ne sera pas facile car les modes de transports
concurrents sont déjà bien implantés. Néanmoins, en jouant de ses qualités particulières, le
TpC a les moyens de convaincre et certaines agglomérations ont déjà franchi le pas.
Pour l’heure, ce sont les villes les plus denses et contraintes qui ont fait le choix d’utiliser le
TpC comme un élément moteur de leurs réseaux de transport urbain, notamment en Amérique
du Sud et au Maghreb. Le succès est tel que l’on trouve maintenant dans ces agglomérations
jusqu’à quatre lignes. Le câble a permis le désenclavement de certains quartiers dont il est
aujourd’hui l’emblème.
En France, certaines villes lancent des études sur l’opportunité d’un TpC dans leur périmètre
urbain, mais la prudence est de mise face à ce mode de transport innovant. Cette vigilance est
justifiée, car les projets semblent fragiles face à la mobilisation citoyenne, à l’instar des
projets de Grenoble et de Marne la vallée. Autre risque, le coût. En effet si les chiffres
annoncés par les constructeurs sont souvent en-deçà des modes de transport concurrents,
l’inexpérience sur le terrain urbain peut remettre en question le bilan économique des TpC et
certaines réalisations ont subi de fortes majorations de coût.
Dans la partie suivante, nous nous intéresserons aux particularités techniques du TpC pour
cerner ses avantages mais aussi ses limites. Aussi, nous tacherons d’analyser le régime
juridique français autour de ce mode de transport et de le comparer à la situation à l’étranger.
27
2 Caractéristiques techniques et juridiques du
TpC
Si aucun projet de TpC n’a encore vu le jour en France, des études sur les particularités de ce
mode de transport ont été menées par des bureaux d’ingénierie et d’urbanisme publics comme
privés. Cette partie propose une compilation de différentes données, qui permettra de cerner
correctement les avantages et les limites de ce transport, tout en mettant en lumière les zones
d’incertitudes liées à l’inexpérience française dans ce domaine.
2.1 Avantages techniques
2.1.1 Un système capacitaire
Définition : La capacité des systèmes de transport par câble est déterminée en
multipliant la capacité unitaire d'une cabine par le nombre maximal de cabines
pouvant passer en station en une heure. Le débit maximal est atteint lorsque,
notamment, l'organisation des flux de passagers est optimale en station.
Dans son ouvrage sur les Transports en Commun en Milieu Urbain, le CERTU désigne la
capacité comme un élément crucial dans le choix d’un système de transport. La capacité est
généralement calculée en nombre de passagers par heure et par sens.
La capacité nécessaire est évaluée en fonction de la demande et de son évolution. En effet, la
mise en place d’un système de transport peut bouleverser les flux de personne sur un axe de
déplacement : un mode de transport urbain doit pouvoir s’adapter à ces fluctuations.
C’est aussi un enjeu de rentabilité et de qualité pour les gestionnaires du réseau et les
collectivités, puisque les TC fonctionnent à l’économie d’échelle. C’est à dire que plus une
28
ligne est utilisée, plus elle est rentable et plus le coût unitaire d’un déplacement et les temps
d’attente sont réduits. 13
Le CERTU a mis en place des tableaux permettant de comparer les performances de
différents modèles de TpC, à l’exemple du tableau ci-dessous :
On remarque que le TpC bicâble ou tricâble avoisine une capacité de 4500 voyageurs par
heure et par sens. Ce chiffre est conséquent mais on peut se demander si les conditions
d’implantation en ville permettent vraiment une aussi grande capacité. En effet, les TpC
existants en milieu urbain et intégrés aux réseaux de TC, comme à Londres, en Algérie, à
Medellin ou encore à Bolzano, ont des capacités bien en deçà qui oscillent plutôt entre 2500 et
3000 voyageurs par heure et par sens au maximum. Le constat est le même en France, les
villes de Toulouse et de Brest sont les plus avancées sur leurs projets de transport urbain par
câble, les agglomérations annoncent respectivement une capacité de 1500 et 1200 personnes
par heure et par sens.
13 François Mirabel, Economie des transports en commun, La Découverte, 2013
Figure 15 - Capacité maximale théorique de différents systèmes de transport, Sources : CERTU, Constructeur.
Figure 16 - Capacité de systèmes de transport par câble existants.
Sources : Constructeurs, Exploitants
29
Ainsi les capacités théoriques des systèmes de TpC en milieu urbain sont élevées mais celles
des projets réalisés bien plus restreintes. Plusieurs éléments expliquent cet écart, notamment
le fait que les constructeurs manquent d’expérience sur le sol urbain français et annoncent
alors des chiffres correspondant plus au milieu montagneux. Il est pourtant évident que le
milieu urbain a tendance à réduire les performances des TpC. Par exemple, en ville ils devront
effectuer un passage en station très ralenti et relativement long pour assurer l’accès à tous les
types de PMR. Certaines communes proposent même un arrêt total de la cabine, à l’instar des
autres TC, ce qui limite fortement la capacité.
Cette estimation haute de la capacité est aussi une manière pour les constructeurs de comparer
les performances des TpC à celles des tramways (un système qui peut atteindre une capacité
de 7000 passagers/heure/sens). Les futurs projets atteindront peut être les chiffres annoncés,
mais pour l’heure, les systèmes de TpC existants dans les villes à travers le monde atteignent
des performances qui correspondent plus à celle des BHNS.
Il est aussi important de connaître l’évolutivité d’un mode de transport pour pouvoir l’inscrire
dans une vision à long terme où la demande évolue, mais aussi pour l’adapter aux heures de
pointe et aux heures creuses qui rythment la journée.
Il y a plusieurs façons d’augmenter la capacité d’un système :
- en mettant des véhicules supplémentaires en circulation, à vitesse constante ;
- en augmentant la vitesse de circulation, à nombre de véhicules constant ;
- en remplaçant les véhicules existants par des véhicules de capacité supérieure.
Par rapport aux tramways, bus et métros, il est plus difficile pour des systèmes de transport
par câble de faire évoluer leur capacité. En effet si l’on souhaite ajouter des cabines ou les
remplacer par des cabines plus lourdes, le système devra être dimensionné dès la phase de
conception, sinon c’est tout l’installation qui sera à modifier.
Le dossier du CERTU 14 nous donne cependant deux exemples de systèmes par câble
évolutifs :
Le télécabine tricâble de Bolzano ne tourne aujourd’hui qu’avec huit cabines en heure de
pointe mais a été dimensionné pour supporter deux cabines supplémentaires en cas de hausse
14 CERTU, Transport par câble aérien en milieu urbain, collection Référence, p 39
30
de la fréquentation. En heure creuse, six cabines sont stockées (trois dans chaque station) et
seulement deux cabines sont mises en circulation.
Autre exemple, à Medellín. Ici c’est sur la vitesse que l’on a joué, ainsi les lignes K et J du
Metrocable fonctionnent à 5, 4 ou 3,5 m/s suivant l'affluence en station. Les temps de trajet
varient alors respectivement de 7 à 11 minutes et de 9 à 14 minutes pour les lignes K et J.
Ces cas d’étude nous démontre que les TpC sont capables d’évoluer, néanmoins cela nécessite
des études en amont assez conséquentes et une vision à long terme du développement urbain.
Ajoutons également que le dimensionnement d’un système de transport par bus, tramway ou
métro est calculé sur la base « d’un remplissage des véhicules avec une densité de 4 personnes
par m² ». Dans la pratique, ce ratio peut être revu à la hausse, puisqu’on estime que la densité
effective d’un transport très chargé est de l’ordre de 6 personnes par m², ce qui permet
d’absorber le trafic en heure de pointe. Mais si un voyage dans un bus ou un tramway
surchargé est possible, la surcharge d’une bulle de télécabine est pour l’instant formellement
interdit.
Le Bureau d’Etude E.R.I.C estime que la vitesse de fonctionnement d’un système de transport
par câble est comprise entre 15 et 25 km/h et que ses véhicules peuvent avoir des tailles
modulables avec des cabines allant de 4 à 200 places selon le type de téléphérique. Nous
avons vu précédemment que les débits horaires et les fréquences de passage sont également
modulables. Ainsi, les formes que peuvent prendre ce mode de transport en commun sont
variées, ce qui laisse aux collectivités, la possibilité de choisir un téléphérique urbain ‘à la
carte’ correspondant au mieux à leur besoin, comme elles le font avec les autres modes de
transport en commun.
Notons également que si la vitesse des TpC est plus faible que celle des BHNS, le
téléphérique urbain ne rencontre ni obstacle ni circulation et propose un temps
d’embarquement et de débarquement très réduit. Son temps de parcours est donc
généralement beaucoup moins long que celui d’un bus.
Vous trouverez ci-dessous un comparatif des temps de parcours des différents modes de
transport réalisés dans le cadre de la traversée du vieux port de Marseille. Face à cette barrière
naturelle, on remarque que si l’on considère le débarquement, la durée du trajet et le temps
d’attente moyen à l’embarquement, le transport par câble se démarque largement des autres
TC.
31
2.1.2 Un système accessible à tous
La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation
et la citoyenneté des personnes handicapées impose « l'accessibilité de l'ensemble des services
de transport collectif à l'horizon 2015 ». Les dispositions de la loi ont été reprises par les
articles L1111 et L1112 du Code des transports. L'accessibilité concerne l'ensemble de la
chaîne du déplacement de son domicile à sa destination.
Les cabines des TpC, quelle que soit leur taille, doivent être accessibles aux poussettes, aux
fauteuils roulants et même aux vélos. Outre la cabine elle-même c’est plus au mouvement que
l’on doit s’intéresser. Car si le skieur entre facilement dans une cabine d’un téléphérique
débrayable en mouvement, certaines personnes auront besoin d’un arrêt total de la cabine en
milieu urbain pour pouvoir s’y installer. Le téléphérique urbain doit prendre en compte cette
contrainte dès le début du projet et calculer son temps de parcours en conséquence.
Sandrine ROUSIC15, chargée d’étude au CERTU, estime qu’un arrêt des cabines en station
limite le débit, donc la capacité du système de transport. La perte de temps et les installations
nécessaires à cette phase d’arrêt totale sont encore difficiles à quantifier, d’autant plus que la
règlementation reste encore floue sur le sujet. 15 Entretient avec Sandrine Rousic, chargé d’étude au Certu, travaillant sur le thème des TpC
Figure 17 - Comparaison des temps de parcours de différents modes de transport. Source : Etude de faisabilité pour la mise un place d'un transport par câble, Ingerop, Marseille
32
2.1.3 Une sécurité exemplaire
Bien entendu, le fait de s’élever dans les airs déclenche une appréhension chez certain, mais la
législation française considère le transport par câble comme le modèle le plus sûr au monde.
Selon une étude du STRMTG sur les remontées mécaniques françaises entre 2002 et 2011,
c'est à dire après un peu moins de 715 millions de passages, les experts ont relevé un accident
causant un mort et deux accidents causant deux blessés graves.
Selon Sandrine ROUSIC, la difficulté majeure est l’évacuation en cas de panne, avec le
sentiment de panique ou de claustrophobie qu’un arrêt prolongé d’une cabine peut procurer.
En milieu montagneux, certaines évacuations doivent se faire par hélicoptère, ainsi les villes
voulant intégrer un TpC devront soit former leur gestionnaire du réseau, soit former une
équipe de pompier. Malgré tout, l’évacuation par hélicoptère peut être très compliqué en
milieu urbain. Pour s’adapter, les sociétés de câble commencent à mettre en place des
aménagements permettant de continuer à la ligne de tourner le temps de l’évacuation grâce à
un petit moteur secondaire.
2.1.4 Un bilan environnemental remarquable
En termes de rejet de gaz à effet de serre, le transport par câble présente un bilan qui surpasse
tous ses concurrents. La technologie de câble ne requière l’utilisation que d’un seul moteur
qui entraine tout le système, ainsi que d’un seul système de frein. Les technologies actuelles
limitent au maximum les frottements au passage des pylônes et en gare, si bien que l’énergie
nécessaire à la traction des câbles est relativement faible et peut être issue d’énergie propre.
Selon Pierre Jaussaud16, expert dans les transports par câble, le rapport de frottement entre le
TpC et le tramway est de 5, et de 10 avec la voiture.
16 Interview téléphonique avec Pierre Jaussaud, directeur de l’association EFcables
33
C’est également lors de la phase de chantier que ce mode de transport se démarque, l’emprise
faible des poteaux et des gares ne nécessite que très peu de béton comparé aux tramways, aux
métros et aux BHNS.
Si ses rejets de CO2 sont minimes, le transport par câble peut par contre présenter un impact
sur la biodiversité, notamment sur les zones protégées oiseaux. Le projet de TpC entre
l’agglomération Grenobloise et le plateau du Vercors fait l’objet d’une forte contestation,
notamment parce qu’il traverse une zone privilégiée pour les oiseaux migrateurs.
2.2 Contraintes et limites techniques
2.2.1 Un Impact sonore à contenir
On pourrait imager qu’il y ait une corrélation entre les frottements réduits du système de
transport par câble et son impact sonore. Pourtant dans son rapport le CETE de Lyon17 estime
que son impact acoustique est comparable à celui du tramway. En effet, plusieurs sources
sonores se cumulent (voir schéma ci-dessous) entre les vibrations au passage des pylônes, les
nuisances des cabines elles-mêmes et celles des stations. Selon les technologies mises en
place le rayon d’incidence autour des pylônes peut varier entre 15 m et 40 m. En station ce
sont les phases d’accélération et de décélération des cabines qui conditionnent le rendu
sonore, donc la vitesse d’exploitation du système.
17 CERTU, Transport par câble aérien en milieu urbain, collection Référence, p 78
Figure 18 - Emission de gaz à effet de serre par mode de transport. Source : Etude de faisabilité pour un transport par câble, Brest
34
L’élément sonore est ainsi une contrainte supplémentaire à l’implantation du téléphérique
dans le milieu urbain déjà saturé en nuisances acoustiques diverses. Cette contrainte peut
influer dans le choix de l’emplacement des pylônes et des stations. L’isolation du système
peut diminuer les nuisances mais également avoir un impact fort sur le coût total du projet.
2.2.2 Coût compétitif mais pas toujours fiable
La question du coût est évidemment un élément majeur lors du choix d’un système de
transport. La crise économique de 2008 a particulièrement touché les pays européens qui ont
encore aujourd’hui des difficultés à se relancer. Une politique d’austérité a été lancée sur le
continent ce qui a poussé la France à réduire ses dépenses publiques. Les collectivités ont
alors vu leurs budgets se réduire et sont d’autant plus à l’écoute de solutions novatrices et
économiques. C’est dans ce contexte que le transport par câble peut tirer son épingle du jeu.
En effet son rapport coût/capacité est avantageux notamment lorsque les autres modes de
transports sont contraints de franchir des barrières urbaines ou une topographie particulière.
A l’exemple du projet de câble de la région Grenobloise entre le Vercors et Fontaine où une
comparaison des coûts de réalisation a été donnée entre tramway et téléphérique. Les résultats
sont les suivant : de l'ordre de 30 M€/km pour le tramway, contre 7,5 M€/km pour le TpC.
Le cas de Londres nous incite à la prudence dans les estimations. Et le récent projet avorté à
Toulouse confirme la fragilité des prix. En effet la ville avait préféré son projet de TpC
(nommé aérotram) plutôt qu’un tunnel ou un contournement routier car qu’il était bien moins
Figure 19 - Localisation des nuisances sonores émises par un transport par câble. Source : CETE Lyon
35
couteux. Estimé à 45 M€, une étude complémentaire a revu le coût à la hausse , le portant à
63€. Devant cette augmentation la ville a choisi d’abandonner le projet.18
Au final on peut estimer que les projets de téléphérique urbain qui ne rencontrent ni
complication technique ou foncière, ni de complication lors des travaux ont un coût oscillant
entre 5 et 15 M€ / kilomètre.
Ainsi dans la majorité des cas, il est plus avantageux financièrement de mettre en place un
téléphérique plutôt qu’un tramway (coût moyen environ 25 M€ / km) ou qu’un métro (coût
moyen 55 - 80 M€ / km). Le téléphérique urbain vient se placer dans la même gamme de prix
que les BHNS.
Ces chiffres sont pour autant à relativiser et évolueront notamment en fonction du design des
pylônes et des gares ainsi que du confort recherché. Par exemple, le téléphérique Londonien
enjambant la Tamise (voir partie 1.3 ) a été équipé de pylône au design très travaillé, chiffrés
à 5 M€ pièce. Ce projet a également rencontré de multiples problèmes durant sa construction
et au final le coût total du projet a quasiment doublé : 72 M€ pour seulement un kilomètre. Il
est ainsi le téléphérique au prix kilométrique le plus cher du monde et nous montre la fragilité
3.5 Un outil d’extension du réseau de transport en commun en
périphérie
Devant le constat de la poursuite de l’étalement urbain et de l’utilisation de la voiture, les
collectivités s’interrogent sur le périmètre des transports collectifs urbains le plus pertinent.
Comme nous l’avons explicité précédemment, le passage de la ville automobile à la ville
durable ne se fera qu’à condition de réussir à mettre en cohérence les outils fonciers,
d’aménagement et de développement de la mobilité.
Dans son ouvrage Jacques Stambouli33 nous parle d’un modèle qui semble être approuvé par
beaucoup, celui d’une ville à l’espace périphérique correctement maillée, disposant de parc
relais aux limites de l’agglomération. Le reste de l’aire urbaine pourrait ensuite être relié à ces
parkings relais par le train, le bus ou d’autres modes de transport innovants à l’exemple du
tram-train. Les parkings relais en limite d’agglomération peuvent pousser à plus d’étalement
urbain. Une politique foncière d’aménagement et de réduction des vitesses doit parvenir à
contenir ce problème. Bien entendu, ce modèle se heurte à des limites économiques et
sociales et ne se développera qu’à condition d’un choix modal maîtrisé.
De nombreuses collectivités avancent vers ce modèle, mais si les centres villes sont
aujourd’hui habituellement bien maillés, on trouve encore des espaces périphériques
d’agglomération où il n’y a pas de réelle alternative à la voiture individuelle. Ces espaces sont
parfois décrit comme pas assez denses pour accueillir un transport lourd qui soit rentable, ou
alors trop compliqués et trop chers à relier à cause de fractures urbaines.
C’est dans ce contexte que le TpC peut être une carte à jouer car il s’accommode aux
demandes faibles ou moyennes propres aux périphéries ( de 1000 à 5000
voyageurs/heure/jour). De surcroit, il enjambe sans surcoût les obstacles urbains qui se
trouvent souvent à la lisière ‘centre-ville – périphérie’ (pas besoin de grands ouvrages de
franchissement) et sa rapidité de mise en place évite le mécontentement citoyen lié aux
travaux longs, comme c’est le cas à Grenoble.
33 Jacques Stambouli, les territoires du tramway moderne : de la ligne à la ville durable, paru dans
Développement durable et territoires, 2005
54
Ainsi, il permet de concilier stabilité politique, budgétaire et de réussir à mailler un espace
périphérique isolé avec un mode de transport collectif en site propre à la fiabilité exemplaire
et pouvant fonctionner sur les mêmes plages horaires que les transports lourds, donc proposer
une vraie intermodalité.
Le TpC a donc le potentiel pour avoir sa place dans le modèle de ville durable actuel. On
l’imagine clore un maillage ou alors même jouer le rôle du ‘dernier kilomètre’ d’un réseau de
transport. Il devra s’inscrire dans une vision à long terme et anticiper la demande puisque son
évolutivité est très limitée contrairement aux autres modes de transport.
Le périurbain et la liaison centre-périurbain semblent être des territoires dans lesquels le TpC
peut le plus faire valoir ses atouts. Les projets devront néanmoins faire avec la contrainte
législative de survol ne permettant pas de survoler du parcellaire privé. Mais la morphologie
de certaines périphéries laisse à penser que des projets de TpC pourraient s’implanter sur des
distances assez longues. Cela se fera au cas par cas pour chaque ville.
3.6 Un outil de désenclavement
En enjambant les barrières urbaines les TpC s’affranchissent de leur simple rôle de
transporteur et deviennent un outil de résolution de deux problématiques urbaines
récurrentes : l’enclavement urbain et la marginalisation sociale.
En effet, en permettant de relier deux portions de territoire jusque là séparées par des fractures
urbaines, le TpC enclenche un processus de dynamisation et de développement.
Contrairement à un projet de tramway qui va nécessiter tout un travail de restructuration du
réseau, de la voirie et parfois même un traitement des façades des bâtiments riverains, un TpC
peut venir s’intégrer rapidement dans le maillage existant et changer la valeur d’une entité
urbaine simplement en augmentant ses connexions avec le reste du territoire. La dynamisation
peut également être impulsée par l’atypisme de l’infrastructure. Le TpC peut ainsi devenir
l’emblème d’un quartier de part son côté novateur et de part la balade visuelle qu’il propose.
En somme, loin des grands travaux et des grandes distances du tramway ou des BHNS, le
TpC peut s’établir sur des distances courtes ou moyennes et devenir un maillon
55
complémentaire du réseau de transport permettant de relier un quartier à un autre ou à un pôle
de rabattement.
Le projet de TpC prend alors une dimension transversale, à l’exemple des projets de Toulouse
et de Brest, où il permet l’intégration de quartiers exclus de la ville vers les centres. Le câble
devient bel et bien facteur de développement social.
Si ces deux projets proposent de relier des espaces qui sont en rupture physique avec le reste
de la ville, ce ne sont pas pour autant des espaces dits ‘sensibles’ ou règne un sentiment
d’insécurité. En effet, il n’y a pour l’heure pas de projet de TpC en France projetant de relier
un quartier sensible de nos périphéries.
Ces derniers semblent pourtant faire parti des espaces les plus enclavés physiquement. Dans
son ouvrage34 Hervé Vieillard-Baron explique que des contraintes spatiales particulières
pèsent sur la majorité des quartiers sensibles. L’auteur explique qu’ils ne sont généralement
pas physiquement éloignés des centres villes (distant en moyenne 2,3 km des centres en
province, 18 km à Paris) mais ce sont « les temps de déplacement, les signes physiques de
rupture et les carences relationnelles qui sont vivement ressenties. »
Il ajoute qu’en 1990 L’INSEE constate que « 83% des quartiers étudiés sont longés par des
voies rapides ou des grandes routes nationales, 13% d'entre eux sont traversés et 30% bordés
par une autoroute. Si un tiers est desservi par une gare, 40% sont simplement longés par une
voie ferrée. Près de la moitié d'entre eux sont survolés ou limités par une ligne à haute
tension. »
Autre particularité des quartiers sensibles, une grande partie d’entre eux conçus dans les
années 60-70 - à l’époque des ZUP - ont été pensés comme des enclaves monofonctionnelles
(cité-dortoir). Ainsi ces espaces n’ont pas été intégrés correctement à leurs communes dès le
départ. Isolés à la base, les plans de circulation se sont développés autour d’eux sans les
intégrer ce qui explique leur enclavement profond et l’on comprend mieux comment ils se
sont retrouvés à un tel point bordés de fractures urbaines.
34 Hervé Vieillard-Baron les quartiers sensibles, de la globalisation à la distinction, (texte paru dans "Les
Sciences sociales devant la question de l'inégalité" sous la direction de J.C. Combessie ("Travaux et documents"
N°25, Université de Paris 8-Vincennes Saint-Denis), 2008
56
Les collectivités doivent maintenant penser aux TpC dans les opérations de renouvellement
urbain sur les quartiers sensibles et juger de leur utilité. Si le contexte juridique est très
différent, elles pourront s’appuyer sur certains projets d’Amérique du Sud, notamment celui
de Medellin, qui ont réussi à faire du câble un outil de réintégration de quartiers sensibles.
Au final, le téléphérique a une relation avec son territoire de projet beaucoup plus complète
en milieu urbain qu’en montagne. En montagne, son rôle se résume à monter les sportifs aux
sommets, tandis qu’en ville le TpC prend une dimension sociale, économique et
environnementale. Il participe à la prolifération des dynamiques urbaines vers des espaces
exclus de par leur environnement (fractures urbaines ou topographie forte).
Le téléphérique trouve alors sa pertinence dans un projet de transport en milieu urbain lorsque
deux conditions sont réunies : la nécessité de franchir un obstacle urbain important et la
volonté de raccorder un espace au réseau de déplacement. Dans un tel contexte, le TpC peut
se démarquer des autres modes même si sa pertinence peut être remise en cause par ses
limites techniques et juridiques.
3.7 Survoler les axes routiers
Les contraintes techniques du système et les distances de sécurité incendie obligent les projets
de TpC à trouver des espaces larges et rectilignes. Les axes routiers semblent remplir ces deux
conditions. La ville de Bordeaux a récemment lancé une étude pour un câble longeant un
boulevard de la ville.
De manière générale, un transport en commun longeant un axe routier doit avoir une forte
capacité puisque la demande sur le tracé est logiquement importante. Un transport peu adapté
serait rapidement en situation de sous capacité et la qualité du transport en serait affectée
(temps d’attente trop long, dégradation accéléré du matériel). Le TpC devra alors prendre
garde à ne pas se retrouver dans cette situation.
Lors de la mise en place d’un tramway parallèlement à un axe routier, la voirie est retravaillée
et la capacitaire routière est généralement réduite. Sans cela, le débit routier est réduit
quelques temps (puisqu’une partie utilise désormais le tramway) mais il est ensuite remplacé
57
par de nouveaux utilisateurs qui sont attirés par la baisse du trafic. Au final au bout de
quelques années, on se retrouve au même niveau de congestion qu’auparavant. 35
Le transport par câble devra appréhender le survol d’axe de la même manière, et l’espace au
sol libéré par le rétrécissement de la voie routière pourrait être mis à profit pour développer
des espaces verts ou des pistes pour modes doux. En libérant de la place au sol, le TpC permet
de rendre à la collectivité un bien précieux : du foncier. Elle devra l’utiliser à bon escient. La
mise en place d’espace vert est intéressante pour l’acceptation du TpC puisque les riverains se
voient alors compenser le passage du câble dans les airs par un travail au sol sur la réduction
de nuisance automobile et les espaces verts.
Le survol d’un axe pose aussi une question sécuritaire, car même si nous sommes habitués à
rouler sous des ponts où dans des tunnels, la gêne procurée par un transport en mouvement
circulant au dessus des conducteurs est difficile à estimer. Des études devront être menées au
cas par cas.
35 François Mirabel, Economie des transports en commun, La Découverte, 2013, p 50
Figure 29 - Image de synthèse, société Skytran
58
3.8 Conclusion
Les enjeux de la mobilité durable sont à la fois environnementaux, sociaux et économique.
Pour atteindre leurs objectifs, les collectivités ne doivent pas hésiter à utiliser tout les moyens
en leur possession et faire preuve d’innovation. Le TpC semble s’inscrire parfaitement dans
cette situation demandant innovation, maîtrise et vision à long terme.
En France le TpC est encore principalement utilisé pour franchir les cours d’eau qui sillonnent
nos agglomérations, mais demain il pourrait jouer un rôle plus important en permettant de
terminer certains maillage à un coût raisonnable.
S’il apparaît comme assez contraint pour assurer une desserte fine dans les centres urbains, le
TpC semble adéquat pour relier certains espaces des périphéries d’agglomération. Nous avons
vu que nos villes ont créé leurs propres barrières de déplacement au cours de leur
développement depuis la moitié du XXème siècle. Ces barrières sont très présentes en
périphérie des villes, en particulier autour des quartiers sensibles. En restreignant les moyens
de rejoindre ce type d’espace, ces barrières participent à leur enclavement physique et social.
Le TpC semble être le seul mode de transport lourd à avoir la capacité d’outrepasser ces
barrières urbaines sans surcoût, sans grands travaux et tout en assurant un débit conséquent et
évolutif. Il devient alors un outil de désenclavement et devra savoir s’insérer dans des projets
globaux de rénovation urbaine, à l’instar des grands projets de ville actuels.
Il existe un autre domaine où le TpC peut mettre en avant ses avantages sans être brider par la
juridiction : le survol des routes. Cela peut permettre d’inscrire le TpC dans un projet global
comprenant une revitalisation de la surface routière gagnée grâce au transport aérien au profit
d’espaces verts par exemple.
Au final, il va s’en dire qu’en ville le TpC est un transport très contraint par ses modalités
techniques et juridiques. Néanmoins lorsqu’il parvient à trouver l’espace et les conditions
permettant son implantation, il propose un rapport ‘coût / capacité / rapidité d’exécution’
imbattable.
59
4 Eléments à prendre en compte pour une
insertion urbaine réussie du TpC
Les transports collectifs lourds marquent l’urbain de leur passage. Aujourd’hui les
déplacements sur rail et sous terre sont acceptés et éprouvés. La câble reste lui un élément
encore étrange et atypique dans les villes françaises. Pour réussir son insertion, il faudra alors
prendre en considération les changements qu’il implique, tant comme objet physique que dans
la représentation mentale.
4.1 L’impact paysager
Il va sans dire qu’une infrastructure de transport par câble aérien a un impact significatif sur le
paysage qu’elle traverse et de manière plus générale sur le territoire dans lequel elle
s’implante.
Bien entendu, chaque agglomération a sa propre morphologie et sa propre topographie.
L’impact paysager d’un téléphérique ne peut donc pas être généralisé et doit faire chaque fois
l’objet d’une étude paysagère spécifique.
Pour autant, la sensibilité paysagère est subjective et sera impactée par le côté novateur et
atypique d’un mode de transport urbain à dimension aérienne. Cette appréhension face à la
nouveauté peut être mise en parallèle avec celle vécue lors de la réintroduction du tramway en
France, à Nantes en 1985.
Alain Chenard, Maire Nantais à l’époque, raconte que si le tramway était reconnu comme la
solution de transport « la plus intelligente »36 à mettre en place, cela nécessitait de réaménager
complètement les voiries, ce qui « politiquement, c’était un suicide ». Le maire a en effet dû
faire face à de nombreux opposants au projet, y compris à l’intérieur même de son équipe
municipale.
Après presque quinze années de pourparlers et un coût final presque cinq fois supérieur au
36 http://fr.wikipedia.org/wiki/Tramway_de_Nantes
60
coût initial - dû au manque d’expérience des différents acteurs - le projet vit le jour. Il
rencontra rapidement un franc succès jusqu’à devenir un emblème de modernité pour la ville.
Sa fréquentation a été beaucoup plus forte que prévue et aujourd’hui, la plupart des grandes
villes françaises sont équipées de tramway urbain. Si les deux modes de transport ne sont pas
toujours comparables, on peut néanmoins estimer que le transport aérien par câble en milieu
urbain peut rencontrer des difficultés d’implantation similaire.
L’insertion paysagère est aussi très dépendante au design de l’infrastructure. Chaque élément
est à travailler : les pylônes, les stations ainsi que les cabines. C’est une différence notable
avec d’autres modes de transport comme le bus ou le tramway dont les designs sont
principalement liés aux seuls matériels roulants.
Ce travail de design a pour but de former un ensemble qui s’insère au mieux dans le paysage
urbain et qui se doit également d’être en cohérence avec les autres modes de transport en
commun. Comme nous l’avons vu dans la partie relative aux coûts (voir partie 2.2.2 ), le
design, notamment celui des pylônes peut avoir un effet significatif sur le coût total.
En utilisant le domaine aérien, le transport par câble créé du paysage autant qu’il le marque,
en proposant aux usagers des points de vue nouveaux sur la ville. En ce sens il est créateur de
paysage.
4.2 Imaginaire collectif de la ville aérienne
L’acceptation d’une infrastructure passe aussi par l’image qu’elle renvoie. Pour l’instant le
transport par câble reste l’image d’une structure rattachée aux sports d’hiver. Sa transition de
la montagne vers l’urbain est difficile, surtout en France où la culture de la montagne est
forte, l’usager estimant que l’infrastructure n’a pas sa place en ville.
On ressent également cet attachement au milieu montagneux dans la réglementation. Comme
nous l’avons vu en première partie, cette dernière est encore très orientée montagne et peine à
évoluer. Elle est un des principaux freins au développement du transport par câble en ville.
Malgré sa figure montagnarde, en ville la dimension supplémentaire et « suspendue » que
propose le transport par câble nous renvoie aussi à l’imaginaire des villes du futur. La
dimension aérienne du déplacement est d’ailleurs présente dans de nombreux romans ou films
61
de sciences fictions. Cette imaginaire participe peut être au rejet de ce mode de transport par
certain, vécu comme trop technologique et moins humain. On peut pourtant considérer que la
ville est déjà aérienne depuis bien longtemps, avec ses buildings, ses ponts et ses terrasses. La
dimension supplémentaire est atteinte depuis bien des années dans la morphologie urbaine
française.
Il en va de même pour la présence du câble dans le paysage, élément souvent utilisé comme
argument contre le mode de transport, alors que les ciels de nos agglomérations déjà
encombrés par des fils en tout genre auxquels nos yeux se sont habitués.
Le rejet du câble par une partie de la population est évidemment compréhensible, mais il ne
doit pas faire oublier les m2 de béton que le câble peut remplacer, et le m3 de gaz à effet de
serre qu’il permet d’éviter. Cette acceptation d’un paysage nouveau, c’est peut être là
l’équation de la ville durable de demain : quels changements nous sommes prêt à accepter
pour une ville plus propre et plus respectueuse de l’environnement ? il va de soi que pour
atteindre les objectifs de transition énergétique, le visage de nos agglomérations devra
obligatoire évoluer.
Ce changement de visage et cette prise de risque apparaît nécessaire à beaucoup de grands
penseurs de la ville, à l’exemple de David MANGIN qui estime que, dans la recherche de
solutions urbaines plus respectueuses de l’environnement « le droit à l’expérimentation
devrait venir à la rescousse, car la ville durable doit s’inventer de manière audacieuse, dans
ses formes, ses pratiques, ses matériaux et ses modes de faire »37
L’auteur estime également que l’urbanisme doit élargir ses connaissances et ses techniques
pour mieux appréhender les « investissements scientifiques et technologiques, avec les
nécessaires spécialisations et capitalisations des connaissances ».
Les téléphériques urbains font assurément partis de ces ‘expérimentations audacieuses’ que
les enjeux financiers et environnementaux nous imposent de prendre, quitte à bousculer notre
imaginaire de la ville.
37 David Mangin, la ville passante, Ed Parenthèses, 2008
62
4.3 L’impact sur l’espace urbain
Aujourd’hui, pour rendre les transports en commun attractifs, les villes s’efforcent de leur
donner le maximum de confort en proposant un matériel roulant de qualité, de taille et de
fréquence adaptées à la demande. Le transport aérien par câble doit remplir ces objectifs et
peut même aller plus loin, en proposant un confort à l’usager qui serait aussi visuel, une
véritable balade au-dessus du patrimoine urbain. Outre l’attractivité touristique, c’est aussi
une façon nouvelle d’aborder le transport urbain pour les citadins, qui s’oppose aux longs
tunnels sombres des métros ou aux transports au sol qui restent mélangé à la circulation
automobile.
En ville, le téléphérique peut permettre de prendre la hauteur nécessaire pour se couper un
temps des nuisances de la ville. Il apporte une nouvelle dimension aux déplacements
quotidiens comme à l’espace urbain. Il multiplie les façons de profiter de son voyage en
donnant à l’usager un plaisir visuel à 360°. C’est une manière de découvrir la ville par un
angle nouveau, avec plus de hauteur et de calme.
Cette prise de hauteur peut être l’occasion de penser l’espace public voire l’espace privé
d’une nouvelle façon, par les architectes et les urbanistes, notamment dans les zones voisines
au tracé d’un téléphérique urbain. Dans ce cas, le TpC doit s’insérer dans un projet plus
Figure 30 - Téléphérique de La Paz, Bolivie. Photographe : Alberto Benitez Reyes
63
global, axé sur l’espace au sol libéré, sur les nouveaux points paysager créés et sur le duo
transport-urbanisme notamment aux points de desserte.
Le déplacement dans les airs touche aussi à un autre élément du milieu urbain : l’intimité.
L’intimité est une richesse que les TpC peuvent remettre en cause par leur passage. Cécile
Clement-Werny, directeur d'études "Systèmes innovants et territoires spécifiques" au Certu
explique que cette possible intrusion visuelle a généré des inquiétudes chez les riverains mais
aussi chez les décideurs, car elle pourrait entrainer une dévalorisation immobilière des
bâtiments proches du tracé38. Il conviendrait alors que quantifier l’intrusion visuelle, et de
réfléchir à des solutions pour la diminuer. Des solutions ont été imaginées (installation de
fenêtres-miroirs sur les bâtiments, angle mort dans les cabines, ..) mais peu d’applications se
sont concrétisées.
4.4 Gouvernance autour du TpC
La dynamique entre les différents acteurs concernés par un projet de TpC en milieu urbain en
est encore à ses débuts en France et apparaît parfois comme un frein au développement des
projets.
Tout d’abord, intéressons nous aux constructeurs, ces derniers accusent depuis quelques
années une baisse des commandes de remontées mécaniques en stations d’hivers. En effet les
installations ont une durée de vie de presque 30 ans et le parc montagneux mondial est
aujourd’hui relativement bien maillé. L’implantation en milieu urbain est donc une occasion
de se lancer sur un nouveau marché très prometteur.39 40
Il semble pourtant que les collectivités ne soient pas pleinement satisfaites de la manière donc
les constructeurs appréhendent l’urbain. Habitués à la règlementation de montagne, les
constructeurs se sont vu reprocher de ne pas avoir su d’adapter à la complexité des villes. A
l’exemple du projet de Brest, où les constructeurs n’ont pas su répondre à la demande de la 38 http://www.actu-environnement.com/ae/news/transports-par-cable-aerien-une-solution-envisageable-16900.php4
39 SOURCE : Le site internet www.usinenouvelle.com publie le 15 novembre 2007 un article intitulé « les
remontées mécaniques visent d'autres sommets » [Sylvie Andreau et Sarah Sermondadaz, 2007] .
40 le téléphérique sur la pente urbaine, Libération, 2013
64
collectivité qui souhaitait travailler le design de l’infrastructure, notamment celui des cabines,
en impliquant la population grâce à la concertation. 41
Les constructeurs doivent comprendre les enjeux du transport urbain (confort, intermodalité,
design, implication citoyenne) et modeler leurs projets en conséquence.
Les collectivités montrent aussi une réticence face au faible nombre de constructeurs. Elles
savent que le monde du TpC est un microcosme où POMA et DOPPELMAYR se partagent
une large part du marché. Il arrive alors parfois qu’un seul constructeur réponde à une offre,
celui ci se retrouve alors en situation de monopole, sans concurrence, et donc sans pression
sur ses coûts.
L’inexpérience des constructeurs n’est pas le seul obstacle. Le facteur politique a aussi une
importance capitale car ce type de projet ‘atypique’ dans le milieu urbain peut rapidement
créer des tensions.
A Grenoble le projet entre Fontaine - Vercors a rencontré une forte opposition. Ce projet met
en lien la communauté de communes du massif du Vercors avec la communauté
d’agglomération Alpes Métropole (la Métro). Le fait d’être à cheval sur deux territoires s’est
relevé être une difficulté supplémentaire, les habitants du Vercors rejetant un projet qu’ils
trouvent « trop accès pour les Grenoblois ». De plus, c’est en principe au département et non à
la Métro que revient la compétence transport pour gérer ce type projet liant deux territoires.
Le transfert de compétence vers la Métro a complexifié les débats.
Le projet d’Issy-les-Moulineau a également rencontré une opposition très forte au point que le
projet fut abandonné en 2008. L’association « touche pas à mon ciel » faisant barrière au
projet. Ce projet a aussi était l’occasion pour l’opposition de se saisir d’une opportunité
politique et affaiblir la municipalité en place. Le maire M.SANTINI a d’ailleurs annoncé
l’abandon du projet peu avant les élections. 42
Au final, sans un environnement administratif et politique maitrisé, les projets de transport par
câble peuvent amener à un contexte difficile et mettre les municipalités en difficulté. Le
téléphérique devient alors un choix politique risqué où la collectivité investie une forte somme
41 Entretient avec Sadrine Rousic, chargé d’étude au Certu, travaillant sur le thème des TpC
42 Sylvain Chastant, les TCA en milieu urbain, Mémoire d’étude, 2013
65
dans un objet atypique en milieu urbain et s’expose à un mécontentement d’une partie des
électeurs.
En devenant un risque politique, le transport par câble prend une dimension supplémentaire
qui peut faire oublier ses avantages en terme de coût, de performances et d’environnement.
La gouvernance autour des projets de transport par câble est ainsi complexifiée par divers
facteurs, chaque acteur ayant sa part de responsabilité. Un modèle de travail doit alors être
mis à disposition de tous, mais pour cela, des collectivités doivent accepter de franchir le pas
et faire preuve d’audace.
4.5 La prise en compte citoyenne
Les discutions autour d’éventuels projets de téléphérique urbain suscitent plusieurs réactions
chez les citoyens concernés, allant de la curiosité au rejet.
D’une part, certains décrivent la dimension aérienne comme très anxiogène. Ils ressentent une
peur du vide et n’ont pas confiance à ce mode de transport notamment face aux intempéries.
Cette situation est accentuée par le côté novateur de ce mode de transport en milieu urbain. Le
TpC en ville doit réussir à prouver sa fiabilité et vaincre les aprioris, c’est par la
sensibilisation qu’il réussira ce pari, les premières implantations auront également un rôle
crucial.
Le rejet citoyen concerne aussi l’infrastructure de manière générale. Décriée comme impropre
au milieu urbain par certain, voire comme gadget qui n’a rien à faire en ville, certains projets
font face à des réactions virulentes.
Cette difficulté d’acceptation peut mener à l’annulation de projet. C’est le cas du projet
d’Issy-les-Moulineaux, où l’implantation des pylônes métalliques de 55 m de hauteur (un sur
la place du marché, un sur une place publique et un dans le parc Henri-Barbusse) a été un
élément déclencheur de la contestation qui s’est rapidement structurée en association et qui a
mené à l’abandon du projet.
66
En plus du risque électoral qu’a voulu éviter l’équipe municipale, la contestation impacte
également sur la rentabilité du projet en ralentissant son développement et en complexifiant la
phase chantier.
A l’inverse, le projet Brestois de transport aérien par câble s’est déroulé sans encombres,
malgré l’annulation tardive du projet participatif de design des pylônes pour des raisons
financières. Si aucune contestation ne s’est formée, il faut noter que ce projet survol
uniquement la base navale de la ville. On peut alors corréler l’importance de la concertation et
de la communication en fonction du type de territoire survolé.
Si l’échec d’Issy-les-Moulineaux n’a pas empêché d’autres agglomérations de se lancer dans
l’étude d’un TpC, ces dernières doivent en tirer un retour d’expérience. Il semble que la
population ne soit pas disposée à accepter l’installation d’un téléphérique sur son territoire
pour les seules raisons économiques ou environnementales. L’intégration au plus tôt de la
population et une communication efficace semblent être des conditions indispensables à la
réussite de tels projets. Pour cela, il est nécessaire que les élus et les constructeurs soient
préparés à répondre aux questionnements citoyens. Ils leur faut alors connaître en détail le
système ainsi que les enjeux du transport urbain. La façon de ‘vendre’ le TpC sera alors
déterminante dans d’acceptation citoyenne. Les exemples à travers le monde sont encore
relativement rares et beaucoup d’entre eux se sont développés dans des pays émergents où ils
relient des quartiers informels et où les cabines passent parfois juste au-dessus de quartiers
d’habitation ( 1.3 ). Les collectivités devront faire preuve de subtilité, rester humble sur notre
inexpérience en la matière et veiller à ne pas donner une image low cost de ce transport par
une comparaison trop axée sur les pays émergents qui utilisent souvent le TpC pour rejoindre
des quartiers informels.
Ainsi, les premiers projets Français devront parvenir à conjuguer cette acceptation citoyenne
sans pour autant estomper la rentabilité des projets. Lors d’une interview sur France Info,
M.BOUVIER (Vice Président de POMA) expliquait l’importance de la réussite des premiers
projets notamment par leurs aspects jurisprudentiels.43