Le surréalisme et la peinture d’André Breton : pour une nouvelle esthétique surréaliste Mémoire Émilie St-Pierre Maîtrise en études littéraires Maître ès arts (M.A.) Québec, Canada ©Émilie St-Pierre, 2018
Le surréalisme et la peinture d’André Breton : pour une nouvelle esthétique surréaliste
Mémoire
Émilie St-Pierre
Maîtrise en études littéraires Maître ès arts (M.A.)
Québec, Canada
©Émilie St-Pierre, 2018
Le surréalisme et la peinture d’André Breton : pour une nouvelle esthétique surréaliste
Mémoire
Émilie St-Pierre
Sous la direction de :
Anne-Marie Fortier, directrice de recherche
iii
Résumé
Ce mémoire a pour sujet d’étude Le surréalisme et la peinture d’André
Breton. Nous cherchons à montrer de quelle manière Breton redéfinit le
mouvement surréaliste à la lumière des arts visuels. Nous avons pour
postulat qu’il s’agit du texte central de Breton pour comprendre la peinture
surréaliste, et qu’il pourrait même s’agir là d’un manifeste de la peinture
surréaliste. Nous étudions de quelle manière Breton s’inscrit dans une
lignée d’écrivains qui abordent les arts visuels dans leurs textes, et qu’il
fait cela tout en se détachant des critiques d’art de son époque. Nous
croyons que Le surréalisme et la peinture est un texte qui allie à la fois un
discours critique et poétique. De plus, en nous penchant sur d’autres
textes sur l’art de Breton, nous montrons l’évolution de ses idées sur les
arts visuels. Nous nous penchons aussi sur des concepts comme le modèle
intérieur et l’automatisme pour comprendre avec quels paramètres Breton
tente de définir la peinture surréaliste.
iv
Table des matières Résumé ................................................................................................... iii
Table des matières ................................................................................... iv
Remerciements ......................................................................................... v Introduction ............................................................................................. 1
André Breton et la critique ................................................................ 5 Définitions de la critique ........................................................................ 5 La critique d’art de 1846 à 1925 ............................................................ 7 La critique d’art et André Breton aux débuts du surréalisme ................ 13 La critique d’art selon André Breton ..................................................... 16 Les écrivains critiqués par Breton ........................................................ 20 Les critiques contemporains de Breton ................................................ 22
André Breton, écrivain d’art ............................................................. 32 Le modèle intérieur .............................................................................. 32 Hybridité des discours ......................................................................... 40 Critères d’évaluation des œuvres ......................................................... 44 La prose poétique ................................................................................ 49 Poisson soluble .................................................................................... 57 Le critique en tant qu’artiste ................................................................ 59
Pour une esthétique du surréalisme et de la peinture ....................... 65 La peinture surréaliste en 1923 ........................................................... 65 L’automatisme ..................................................................................... 69 La peinture surréaliste en 1941 ........................................................... 74 Le surréalisme et la peinture : un manifeste de la peinture? .................. 79
Conclusion ............................................................................................. 88
Bibliographie .......................................................................................... 91
v
Remerciements
Je tiens d’abord à remercier Anne-Marie Fortier, ma directrice de
recherche, pour ses précieux conseils et sa confiance en moi pendant ce
long processus qu’a été la rédaction de mon mémoire, et sans qui je
n’aurais jamais pu mener ce projet à terme.
Je veux aussi remercier ma famille et mes amis pour leur écoute et leur
soutien pendant toute la durée de mon mémoire. Et merci à Jean-
François, pour tout le reste.
1
Introduction
André Breton (1896-1966) a consacré son œuvre au projet littéraire
et artistique qu’est le surréalisme. Ce mouvement d’avant-garde, né
officiellement en 1924 avec la publication du Manifeste du surréalisme,
prend forme après dada et la Première Guerre mondiale, prônant un appel
à l’inconscient et à l’imaginaire du rêve, au moyen de l’écriture
automatique. Le mouvement surréaliste demeure davantage perçu, du
moins au départ, comme un mouvement poétique, mais il est certain que
le surréalisme est aussi un mouvement plastique, et Breton en témoigne
pendant les années suivantes en écrivant sur la peinture surréaliste.
Dès le début des années 1920, Breton participe aux manifestations
dadaïstes et fonde la revue Littérature avec Louis Aragon et Paul Éluard. De
plus, il expérimente l’écriture automatique avec Philippe Soupault, avec
qui il écrit les Champs magnétiques en 1919, un ouvrage rédigé seulement
au moyen de l’écriture automatique. Breton explique l’automatisme comme
un état de rêve dans lequel il se plongeait pour écrire : « Ces phrases,
remarquablement imagées et d’une syntaxe parfaitement correcte,
m’étaient apparues comme des éléments poétiques de premier ordre. […] Il
suffisait pour cela de faire abstraction du monde extérieur et c’est ainsi
qu’elles nous parvinrent deux mois durant […]1 ». Cette découverte de
l’automatisme pave la voie à une réflexion qui deviendra, quelques années
plus tard, le surréalisme. La distanciation avec dada à la fin de 1922, la
formation du groupe surréaliste en 1924 et la création de la revue La
Révolution surréaliste la même année permettent à Breton de définir peu à
peu le surréalisme poétique, ainsi que d’étendre sa réflexion esthétique.
1 André Breton, « Entrée des médiums », dans Les pas perdus, Paris, Gallimard, 1969, p. 118.
2
Dès le départ, les membres du groupe surréaliste ne s’entendaient
pas sur les critères d’une peinture surréaliste. Plusieurs articles ont été
publiés dans les premiers numéros de La Révolution surréaliste, avant que
Breton ne prenne la direction de la revue, pour discuter d’arts visuels
surréalistes et cela a soulevé des questions entourant l’existence possible
d’un art surréaliste, comme par exemple l’article « Les Yeux enchantés » de
Max Morise. Dans son article, Morise « soul[ève] ce problème de la
possibilité d’une peinture surréaliste ou du moins d’une peinture qui ne
contredise pas les ambitions du Surréalisme2 ». En effet, il note que
Chirico ne peut passer pour un surréaliste, car « les images sont
surréalistes, leur expression ne l’est pas 3 ». Tout le problème du
surréalisme en peinture réside dans le fait que le peintre ne peut appliquer
les mêmes méthodes que le poète, qui pratique l’écriture automatique. « Le
peintre serait donc obligé d’élaborer par le moyen de facultés conscientes
et apprises des éléments que l’écrivain trouve tout fabriqués dans sa
mémoire4 », écrit Morise. Ce clivage entre les techniques utilisées par le
poète et le peintre, ainsi que la difficulté d’appliquer l’écriture automatique
seront aussi des éléments soulevés par Breton dans ses textes sur l’art
pendant les années suivantes. Alors que chez Morise, la solution pourrait
se trouver en s’inspirant de l’art des fous et des médiums, chez Breton,
nous verrons que la solution est ailleurs. Un autre poète qui doute de
l’existence de la peinture surréaliste est Pierre Naville, qui écrit dans un
bref article : « Plus personne n’ignore qu’il n’y a pas de peinture
surréaliste5 ». L'ambivalence des positions du groupe surréaliste sur les
arts visuels conduit entre autres Breton à écrire Le surréalisme et la
peinture pour clarifier sa position sur l’existence d’une peinture surréaliste. 2 José Pierre, André Breton et la peinture, Lausanne, L’Âge d’homme, 1987, p. 87. 3 Max Morise, « Les yeux enchantés » dans La Révolution surréaliste, n° 1 (1er décembre 1924), Paris, Jean-Michel Place, 1975, p. 26. 4 Ibid., p. 26-27. 5 Pierre Naville, « Beaux-arts » dans La Révolution surréaliste, n° 3 (15 avril 1925), Paris, Jean-Michel Place, 1975, p. 27.
3
Breton publie Le surréalisme et la peinture en 1928 : l’ouvrage est constitué
de textes publiés initialement dans La Révolution surréaliste entre 1925 et
1928. Il résume ses idées sur la peinture surréaliste. En écrivant ces
textes, Breton ne restreint plus son champ d’étude du surréalisme à la
poésie, comme il le faisait avec l’écriture du premier Manifeste du
surréalisme en 1924, entièrement consacré à la poésie, mais il étend
désormais ses observations et ses théories sur le surréalisme au domaine
de la peinture.
Ce texte présente d’abord un problème intéressant : il s’intitule Le
surréalisme ET la peinture et non La peinture surréaliste ou Le surréalisme
en peinture6. Ce choix pourrait trouver son origine dans le débat qu’a
suscité la peinture surréaliste au sein même du groupe. Il témoigne d’une
hésitation présente chez Breton dans sa pensée, car il écrivait quelques
années plus tôt dans le Manifeste du surréalisme que les autres moyens
surréalistes ne l’intéressaient pas. De plus, il tente de définir une peinture
à la lumière de récentes découvertes poétiques. Il est d’ailleurs curieux de
remarquer que malgré la postérité du surréalisme et bien que Breton soit
reconnu pour son Manifeste du surréalisme et sa poésie, ses écrits sur l’art
demeurent relativement peu étudiés par les chercheurs. Quand ils font
l’objet d’études, ils sont souvent considérés dans leur totalité. Nous
proposons de prendre à part Le surréalisme et la peinture. Nous
l’étudierons dans sa version « originale » de 1928, et non dans l’édition
augmentée de 1965. Ce choix nous permettra de dégager la manière dont
Breton a tenté de définir la peinture et le surréalisme pendant les années
1920.
Il est vrai que ce texte semble, à première vue, hermétique, tout
comme la poésie de Breton, et qu’il résiste à un classement par genre
6 Ce choix de titre a également été relevé par José Pierre dans André Breton et la peinture.
4
littéraire. Avons-nous affaire à de la critique, à de la prose poétique, à un
manifeste ou à tout cela à la fois? Il est difficile de trouver une réponse.
Nous proposons donc une exploration de ce texte dans les prochains
chapitres. Nous montrerons en quoi il s’agit d’un texte central pour
comprendre l’esthétique du surréalisme chez Breton et l’évolution de sa
pensée sur la peinture. Ce texte a permis à Breton de redéfinir le
surréalisme à partir des arts visuels.
Notre travail se divisera en trois grandes parties. Dans la première
partie, nous nous pencherons sur l’histoire de la critique de 1850 à 1925,
pour voir comment Breton s’inscrit à la fois dans une lignée d’écrivains sur
l’art et de quelle manière il se positionne vis-à-vis des critiques de son
époque et du marché de l’art. Dans la deuxième partie, nous aborderons
les notions de modèle intérieur, de représentation et de critique créatrice
pour mieux comprendre Le surréalisme et la peinture, qui est un texte
hésitant entre plusieurs types de discours, comme la critique et la prose
poétique. Dans la dernière partie, nous survolerons des textes sur l’art de
Breton de 1923 et de 1941 pour mesurer la constance de ses idées
esthétiques. Nous montrerons aussi l’évolution du terme « automatisme »,
qui était d’abord utilisé uniquement en poésie puis ultérieurement
appliqué aux arts visuels. Nous verrons, pour terminer, en quoi Le
surréalisme et la peinture est le texte sur l’art le plus complet de Breton.
L’essence même de sa réflexion sur l’art peut se lire dans ce texte et il
pourrait peut-être constituer une forme de manifeste sur la peinture
surréaliste. Nous chercherons du moins à observer les caractéristiques du
texte manifestaire que comporte cet ensemble.
5
Premier chapitre André Breton et la critique
Définitions de la critique
L’étude des textes sur l’art et de la critique a longtemps été mise de
côté « pour cause de “non scientificité ”7 » au profit de l’histoire de l’art. Ce
n’est que depuis les années 1980 qu’un regain d’intérêt pour ces textes est
apparu, dans la foulée des études sur la réception des œuvres. La majorité
des chercheurs s’entend toutefois pour situer les débuts de la critique
d’art, telle que nous la connaissons aujourd’hui, au milieu du XVIIIe siècle
français avec les écrits de Diderot. Celui-ci est considéré comme une
figure-phare de l’écrivain critique, un double rôle qui s’est étendu au cours
du XIXe siècle avec l’apparition des grandes revues et de plusieurs autres
écrivains pratiquant la critique comme notamment, Baudelaire, Zola et les
frères Goncourt. La critique, telle que pratiquée en France entre la fin du
XVIIIe siècle et le milieu du XXe siècle, semble toutefois bien difficile à
définir de manière précise étant donné la variété, à l’intérieur du genre
même de la critique, de nombreuses pratiques et styles, puisqu’elle peut
passer du simple commentaire à une critique plus créative, comme le
poème. Cependant, l’une des définitions les plus utilisées chez les
chercheurs modernes se penchant sur l’histoire et l’étude de la critique
d’art reste celle d’Albert Dresdner, professeur d’histoire de l’art allemand,
qui a étudié notamment les écrits de Diderot et entrepris le projet d’écrire
une histoire de la critique d’art, du XVIIIe au début du XXe siècle. Dans
son ouvrage La Genèse de la critique d’art dans le contexte historique de la
vie culturelle européenne, publié en 1915, il définit la critique d’art comme
ceci : « […] j’entends par critique d’art le genre littéraire autonome qui a
pour objet d’examiner, d’évaluer et d’influencer l’art qui lui est
7 Jean-Paul Bouillon, « Préface » dans Dictionnaire de la critique d’art à Paris. 1890-1969, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 12.
6
contemporain8 ». L’un des éléments centraux de cette définition repose sur
le fait que le critique décrit des œuvres qui lui sont contemporaines, un
critère essentiel selon Dresdner pour délimiter les frontières de la critique
vis-à-vis l’histoire de l’art : « c’est la production artistique contemporaine et
uniquement elle qui constitue l’objet de la critique9 ». Cette définition peut
sembler assez générale, mais les étapes qui y sont relevées demeurent
essentielles à l’exercice de la critique :
la description (puisque le critique doit rendre compte d’une rencontre sensible et particulière avec une œuvre particulière), de l’évaluation (puisque le critique juge ou apprécie la qualité, la réussite ou l’échec de l’œuvre), de l’interprétation (puisque le critique dégage un contenu ou un sens), de l’expression (puisque le critique dit ses choix, ses conceptions, ses goûts, ses sentiments)10.
Les multiples définitions de la critique ne font cependant pas état du style
en tant que tel de la critique, qui peut être assez varié, passant du
commentaire au poème. La critique d’art est rarement pratiquée par des
universitaires ou des érudits, mais plutôt par des journalistes, des
amateurs, des artistes eux-mêmes, et dans la majorité des cas, par des
écrivains ou des poètes ayant un intérêt pour l’art, comme ce sera le cas
pour André Breton. Faisant part de leurs goûts au public, les écrivains-
critiques tentent aussi, comme Dresdner le mentionne dans sa définition,
d’influencer l’art de leur temps : « il faut un peu plus que les impératifs
d’un goût personnel, d’une préférence, pour espérer “ influencer ” l’art de
son temps11 ». Les critiques font alors parfois, en plus de la description et
de l’interprétation des œuvres, une tentative d’ancrer les tableaux qu’ils
regardent dans un projet esthétique plus grand : « la critique d’art […] sera
8 Albert Dresdner, La Genèse de la critique d’art, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, 2005, p. 31. 9 Idem. 10 Pierre-Henry Frangne et Jean-Marc Poinsot, « Histoire de l’art et critique d’art. Pour une histoire critique de l’art », dans L’invention de la critique d’art, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 9-10. 11 Bernard Vouilloux, « Les trois âges de la critique d’art française », dans Revue d’histoire littéraire de la France, 2011/12 (vol. 111), p. 390.
7
désormais surtout pratiquée par les écrivains comme la manifestation,
voire le manifeste d’engagements esthétiques dans lesquels leur propre
conception de la littérature est impliquée […]12 ». Cette volonté de rattacher
les différents arts, d’exposer non plus seulement son interprétation
personnelle mais sa vision de l’art et de la littérature se retrouvera chez
plusieurs écrivains, dont Breton.
La critique d’art de 1846 à 1925
Nous avons mentionné précédemment que les débuts de la critique
d’art en France se situent au milieu du XVIIIe siècle avec Diderot, dont les
textes « s’imposèrent à tous comme un modèle du genre13 ». Un autre
précurseur de la critique d’art tout aussi important est bien entendu
Baudelaire, autant pour les idées qu’il défend que pour le style de sa
critique. Ses critiques d’art sont rassemblées sous le titre de Curiosités
esthétiques. Les écrits de ces deux auteurs auront des échos chez les
critiques qui les suivront aux siècles suivants : « The most important
historical representatives of French art criticism, Diderot and Baudelaire,
repeatedly used poetry and related terms to describe paintings they
admired, and their criticism and ideas formed the basis of most critical
positions through the 1920s14 ». Ainsi, plusieurs auteurs auront pour
modèle et inspiration Diderot et Baudelaire, qui sont considérés comme
des fondateurs du genre, autant pour leur style que leurs idées
esthétiques.
Baudelaire demeure l’une des figures influentes de la critique d’art
française du XIXe siècle, notamment grâce aux idées qu’il véhicule.
12 Ibid., p. 401. 13 Ibid., p. 398. 14 Kim Grant, Surrealism and the Visual Arts, Cambridge, Cambridge University Press, 2005, p. 13.
8
Défenseur du romantisme, « l’expression la plus récente, la plus actuelle
du beau15 » et de Delacroix, « un poète en peinture16 », Baudelaire défend
aussi Constantin Guys, le « peintre de la vie moderne », tout en s’opposant
au réalisme. Il n’appuie pas la théorie de « l’art pour l’art » qui était mise de
l’avant à la même époque par Théophile Gautier. Bien que certaines de ses
idées soient tributaires de celles de Diderot et près d’une vision de l’art du
XVIIIe siècle, comme « la référence au “ modèle idéal ” et le critère du
“ beau ” comme fondement du jugement esthétique 17 », Baudelaire
s’éloigne toutefois de son prédécesseur en amenant différentes
propositions à l’avant-garde de son époque : « Ce besoin d’absolu et de
pureté dans l’art, en tout cas, devait être singulièrement puissant pour un
débutant […]. Baudelaire commence par un coup d’originalité, […] en
possession de cette référence esthétique qu’il ne trahira jamais18 », écrit
Henri Lemaître. L’art pur, chez Baudelaire, est intimement lié à
l’imagination. Bien que l’idée de faire appel à l’imagination, en peinture,
n’est pas une nouveauté, car elle était déjà utilisée par Diderot un siècle
plus tôt, Baudelaire réussit à pousser cette idée plus loin :
For Baudelaire poetry was closely allied to the imagination, but, unlike Diderot, he privileged the imagination’s capacity to go beyond the limits of concrete experience. Diderot called a painting a poem when it stimulated his emotions and led him to directly engage with the vraisemblable image. In contrast, Baudelaire described a painting as poetic when it suggested a reality beyond the depicted image, indeed, beyond the possibility of imagistic representation19.
15 Charles Baudelaire, « Qu’est-ce que le romantisme ? », dans Curiosités esthétiques, l’Art romantique et autres œuvres critiques [éd. Henri Lemaître], Paris, Éditions Garnier, 1986, p. 103. 16 Charles Baudelaire, « Eugène Delacroix », dans op. cit., p. 117. 17 Nicolas Valazza, Crise de plume et souveraineté du pinceau. Écrire la peinture de Diderot à Proust, Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 108. 18 Henri Lemaître « Introduction », dans Curiosités esthétiques, op. cit., p. XXXIV. 19 Kim Grant, op. cit., p. 16.
9
L’imagination, que Baudelaire nomme « la reine des facultés20 », devient
ainsi le baromètre pour juger les œuvres d’art que le poète regarde : « Mais
c’est par sa manifestation dans l’art que l’imagination affirme et légitime
son règne, et c’est bien par référence aux effets spirituels de l’imagination
dans l’art que Baudelaire procède au jugement des œuvres et des
artistes21 ». Dans son « salon de 1846 », Baudelaire consacre également un
texte consacré au rôle de la critique qui s’intitule À quoi bon la critique ? Il
y écrit notamment que la critique d’art doit être « partiale, passionnée,
politique22 » et préconise ainsi une critique qui a un parti pris clair, une
critique plutôt créative et subjective :
Je crois sincèrement que la meilleure critique est celle qui est amusante et poétique, non pas celle-ci, froide et algébrique, qui, sous prétexte de tout expliquer, n’a ni haine ni amour, et se dépouille volontairement de toute espèce de tempérament ; […]. Ainsi le meilleur compte rendu d’un tableau pourra être un sonnet ou une élégie23.
Cette affirmation montre bien que Baudelaire est en faveur de la créativité
et de l’imagination dans la critique même, et non pas uniquement chez le
peintre. Puisque « ce genre de critique est destiné aux recueils de
poésie24 », Baudelaire affirme que le critique doit aussi être poète. Ce
double rôle va de pair avec le fait que son appréciation personnelle du
tableau qu’il regarde devient un point central de sa critique. Il n’hésite pas
à mentionner ses propres sentiments et goûts dans ses textes. Sa vision
même de la critique se distingue ainsi des codes qui l’ont précédé : « Il
préconisait l’individualisme voire le subjectivisme pour rompre la dictature
de la critique d’art normative des néo-classiques 25 ». La critique de
20 Henri Lemaître, « Introduction », dans op. cit., p. XLIII. 21 Ibid., p. XLVIII. 22 Charles Baudelaire, « À quoi bon la critique ? », dans op. cit., p. 101. 23 Idem. 24 Idem. 25 Wolfgang Drost, « Pour une réévaluation de la critique d’art de Gautier » dans Cahiers de l’Association internationale des études françaises, 2003, n°55, p. 420.
10
Baudelaire marque ainsi une rupture avec les codes établis auparavant
par Diderot et les autres critiques des salons du XVIIIe siècle, et en
bousculant les codes autant de la critique elle-même et en abordant un
point de vue esthétique différent et audacieux pour son époque, il pave la
voie aux autres critiques du XIXe et du XXe siècles.
La manière d’écrire la critique d’art de Baudelaire n’était cependant
pas la manière dominante au milieu du XIXe siècle. Plusieurs styles de
critiques se côtoyaient, comme par exemple celle de Théophile Gautier,
poète et critique, ami de Baudelaire, mais qui écrivait sur l’art avec un
style et une approche complètement différents. Celui-ci pratiquait une
critique plus objective : « […] sa critique d’art, qui en ce sens est proche de
la méthode des historiens de l’art faisant abstraction de leur propre goût
pour être objectifs26 ». Cela peut s’expliquer aussi par le fait qu’il ne
défendait pas les mêmes peintres que Baudelaire ; Gautier préférait aux
romantiques tels que Delacroix – chez lesquels il reconnaissait tout de
même certaines qualités – les peintres néoclassiques, par exemple Ingres :
« Dans une perspective historique, on pourrait ranger Gautier du côté des
Poussinistes ou des dessinateurs idéalistes en opposition à Baudelaire qui
défendait plutôt les Rubénistes, c’est-à-dire les coloristes ou
sensualistes27 ». Il est possible de constater que tout comme différentes
écoles artistiques se côtoyaient au milieu du XIXe siècle, différentes façons
d’écrire la critique existaient dans le milieu des avant-gardes parisien.
Après la fin de la domination du romantisme et du néoclassicisme en
peinture au milieu du XIXe siècle, d’autres mouvements font leur
apparition, comme le réalisme avec Corot, Courbet et Manet, puis
l’impressionnisme vers 1880. À la fin du XIXe siècle, le mouvement
26 Idem. 27 Ibid., p. 405.
11
symboliste prend de l’ampleur, autant dans le domaine des arts visuels
que de la poésie. De nombreuses revues d’avant-garde, comme le Mercure
de France et la Revue blanche, apparaissent vers 1890. La critique d’art
devient une activité très présente dans les cercles littéraires à la fin du
siècle, et plusieurs poètes importants s’y sont consacrés, comme Stéphane
Mallarmé, Gustave Kahn, etc. Bien qu’elle n’était pas marginale à l’époque
de Baudelaire, la critique d’art devient une pratique encore plus prisée des
écrivains, qui s’en servent comme tremplin pour une carrière littéraire :
« Davantage qu’un mode d’accès à la carrière littéraire, la critique d’art
permet aux écrivains de mettre au point les théories esthétiques qu’ils
appliquent éventuellement dans leurs écrits28 ». Les critiques symbolistes
cherchent d’ailleurs à valoriser cette pratique : « Cette entreprise de
légitimation repose sur le paradoxe suivant : le critique se veut à la fois
une médiation langagière de l’œuvre picturale et une pratique littéraire à
part entière 29 ». La pratique de la critique dépasse ainsi le simple
commentaire sur une œuvre pour devenir une pratique qui se veut un
genre littéraire, au même titre que la poésie ou le roman. Cette volonté de
faire de la critique un genre à part entière des écrivains symbolistes
français se retrouve notamment à une autre échelle chez un auteur
anglais, Oscar Wilde. Dans The Critic as Artist, publié en 1891, Wilde met
de l’avant, au moyen d’un dialogue entre deux personnages fictifs, le fait
que la critique est un moyen de création littéraire. Le tableau, création du
peintre, devient alors un point de départ pour l’écriture d’un texte chez le
critique. La critique n’est plus uniquement commentaire, elle devient une
création indépendante et autonome. Cette proposition de Wilde reste
partagée simultanément par certains symbolistes à la même époque, qui
veulent eux aussi faire de la critique un art à part entière. Nous voyons
apparaître à la fin du XIXe siècle, avec une multiplication des petites
28 Françoise Lucbert, Entre le voir et le dire. La critique d’art des écrivains dans la presse symboliste en France de 1882 à 1906, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 85. 29 Ibid., p. 157.
12
revues d’art et une effervescence des expositions et des peintres, une
volonté de la part des critiques de mettre en valeur la critique d’art. Ils
désirent resserrer des liens déjà existants entre les différents arts.
Le début du XXe siècle en France est marqué par l’apparition de
nombreux mouvements d’avant-garde qui se succèdent et se chevauchent
à une vitesse plus rapide qu’au siècle précédent. Cette effervescence
artistique donne naissance à différents mouvements artistiques en
peinture, notamment le fauvisme, le cubisme, le futurisme, et plus
tardivement, le mouvement dada et le surréalisme. Les liens tissés entre
écrivains et peintres font que la critique est aussi l’occasion de prendre
position dans le milieu des avant-gardes. Plusieurs écrivains vont prendre
la défense de certains peintres et mouvements, comme Baudelaire le faisait
pour Delacroix et le romantisme, en plus de tenter de formuler des
théories et de définir les mouvements artistiques qui se forment devant
leurs yeux. C’est le cas de Guillaume Apollinaire, qui a défendu le
mouvement cubiste, en particulier les œuvres de Picasso et Braque. Il a
tenté simultanément de théoriser le cubisme dans son ouvrage intitulé
Méditations esthétiques. Les peintres cubistes, publié en 1913. Le double
exercice de défense de l’art et de théorisation du mouvement se retrouvera
ensuite chez Breton, car il définit le surréalisme dans les arts visuels après
avoir écrit le premier Manifeste du surréalisme, consacré à la poésie.
La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle sont une époque où le
marché de l’art se trouve en pleine transformation ; le commerce de l’art se
popularise, les collectionneurs et les marchands d’art se multiplient :
« Jamais on n’a vendu autant d’œuvres d’art30 ». Ces changements font en
sorte que le rôle de l’artiste change, dans ce milieu où l’art se vend plus
30 Philippe Dagen et Françoise Hamon [dir.], Époque contemporaine. XIXe – XXIe siècles, Paris, Flammarion (coll. Histoire de l’art), 2011, p. 154.
13
que jamais, et la critique d’art prend une importance qu’elle n’avait pas
auparavant :
La naissance de la critique d’art comme genre a en partie été déterminée par cette transformation du marché de l’art. Comme le constatait en le regrettant, Courbet, “ l’artiste est marchand aussi ”. L’objet plastique acquiert le statut de produit dans la société technicienne du XIXe siècle, qui nécessite entre producteur et consommateur un médiateur nécessaire et fondamental : le critique. Il produit un jugement, mais ce jugement est un producteur de valeur esthétique certes, mais aussi de valeur économique31.
La critique d’art se révèle être d’une utilité non plus seulement pour
l’écrivain qui tente de percer dans le milieu artistique, mais elle devient le
baromètre de l’appréciation d’un peintre ou d’une œuvre en particulier,
une sorte de médiateur entre l’amateur d’art et le marchand. Le rôle du
critique comporte aussi un enjeu économique. Ce double rôle de la critique
d’art, qui ne parle plus nécessairement de l’art que par intérêt personnel
mais par intérêt financier, se révèlera un problème et un enjeu chez
certains écrivains, par exemple Breton, que nous verrons plus loin.
La critique d’art et André Breton aux débuts du surréalisme
Au début des années 1920, le milieu des avant-gardes continue de
se transformer. Le cubisme, avant-gardiste une dizaine d’années plus tôt,
devient un mouvement assez connu et répandu à travers l’Europe pendant
ces années. Après la fin de la Première Guerre mondiale, le mouvement
dada, qui débute en 1916 en réaction à l’absurdité de la guerre et qui a
pour volonté de faire table rase des valeurs du passé, continue ses
activités, initialement situées au Cabaret Voltaire à Zurich, et s’exporte à
Paris en 1920, où les membres, dont Tristan Tzara, y feront plusieurs
manifestations jusqu’en 1922, au moment de la dissolution du groupe.
Pendant ces trois brèves années, des jeunes poètes, Breton, Aragon et 31 Jean-Pierre Leduc-Adine, « Des règles d’un genre : la critique d’art », dans Romantisme, 1991, n° 71, p. 95.
14
Éluard, s’intéressent à dada et participent à certaines expositions et
salons. Ils fondent et rédigent en même temps la revue Littérature (1919-
1924). De nombreuses autres revues d’art, qui s’intéressent notamment
aux mouvements d’avant-garde, font leur apparition pendant cette
décennie, dont entre autres, L’amour de l’art (1920-1953) avec Louis
Vauxcelles comme directeur et Waldemar George comme secrétaire
général, L’Esprit nouveau (1920-1925), fondé par Amédée Ozenfant et Le
Corbusier, L’art vivant (1925-1939), dirigé par Florent Fels et les Cahiers
d’art (1925-1960) dirigé par Christian Zervos.
En 1924, André Breton écrivait, dans le premier Manifeste du
surréalisme, que « les moyens surréalistes demanderaient […] à être
étendus32 ». Cette phrase laisse sous-entendre que dès les débuts du
surréalisme, Breton avait l’intention de théoriser et de participer à un
mouvement qui incluait divers arts. De plus, l’intérêt de Breton pour l’art
trouve ses sources bien plus tôt qu’au moment des débats entourant la
peinture surréaliste dans la Révolution surréaliste. Il avait développé très
tôt dans sa vie un goût pour la peinture :
Cette esquisse demeurerait incomplète si l’on omettait de signaler ici l’attrait que très tôt la peinture exerça sur Breton. […] Il visite des expositions, les musées ou les galeries : ainsi en 1913 pendant les vacances de Pâques, le Salon des Indépendants, […], le musée du Luxembourg, pour les toiles de Gustave Moreau33.
La passion de Breton pour les arts se développe en tandem avec une
passion pour la poésie pendant toutes ses années d’études, où il entretient
une correspondance avec plusieurs écrivains, comme Guillaume
Apollinaire, Paul Valéry et Jacques Vaché. De tels échanges lui
32 André Breton, Manifestes du surréalisme, Paris, Gallimard (coll. Folio Essais), 1979, p. 53. 33 Marguerite Bonnet, André Breton. Naissance de l’aventure surréaliste, Paris, Librairie José Corti, 1975, p. 34.
15
permettront de développer ses goûts littéraires et artistiques. Il fait ses
premiers pas dans le milieu des avant-gardes parisien à la fin de 1918 et
1919, en fondant d’abord la revue Littérature, puis en se joignant en 1920
au mouvement dada récemment arrivé à Paris, dont il se détachera peu à
peu pour le quitter complètement en 1922. Par la suite, Breton se
consacrera à l’écriture des Pas perdus et du premier Manifeste du
surréalisme afin de définir et de théoriser ce nouveau mouvement inspiré
de la découverte de l’automatisme. Il ne faut pas non plus omettre un
autre évènement d’importance dans la vie de Breton qui le mettra en
contact avec le marché de l’art. Il s’agit de son embauche à titre de
bibliothécaire et de conseiller artistique pour le couturier et collectionneur
Jacques Doucet de 1921 à 1925 : « Tenu par son employeur non
seulement de lui suggérer des achats d’œuvres d’art moderne, mais de lui
décrire longuement l’aspect et l’intérêt de celles-ci, […] Breton s’est trouvé
amené à considérer la peinture sous un angle nouveau : celui où la
placent ses rapports avec le marché de l’art34 ». Ce contact non seulement
avec les artistes et leurs œuvres, mais aussi avec le marché de l’art et ses
spéculations, mènera Breton à juger sévèrement ce milieu à plusieurs
reprises dans sa carrière littéraire.
À la fin de 1925, Breton prend la direction de la Révolution
surréaliste, auparavant dirigée par Pierre Naville, et se met à publier des
chroniques sur la peinture surréaliste, qui constitueront Le surréalisme et
la peinture en 1928. Le surréalisme et la peinture pourrait se diviser
essentiellement en deux parties qui se chevauchent pendant tout le texte :
d’abord, il est question de la critique d’un point de vue général, où Breton
aborde le sujet de la puissance des images, du possible surréalisme en
peinture. Puis, il passe en revue différents artistes comme Picasso, Chirico,
34 José Pierre, op. cit., p. 81.
16
et d’autres artistes contemporains pour mieux définir et parler du
surréalisme.
La critique d’art selon Breton
Le texte Le surréalisme et la peinture débute avec la phrase suivante :
« L’œil existe à l’état sauvage35 ». Nous croyons que cette phrase résume la
volonté de Breton de montrer qu’il est possible de voir et d’apprécier une
œuvre au premier regard, en se laissant guider par ses impressions et non
son érudition. Cette première phrase résume bien sa vision concernant le
jugement sur les œuvres d’art en général. Il écrit plus loin :
Je suis très indulgent. Pourvu qu’une œuvre ou qu’une vie ne tourne pas à la confusion générale, pourvu que des considérations de la sorte la plus mesquine et la plus basse ne finissent pas par l’emporter sur tout ce qui pourrait me rendre cette vie ou cette œuvre véritablement significative et exemplaire, je ne demande qu’à respecter et à louer. (SP-26)
Breton met de l’avant l’honnêteté et la sincérité qu’il possède pour juger
des œuvres, et il ne demande de l’artiste que la même chose. Cette
insistance sur le fait que l’artiste ne doit pas se laisser influencer par autre
chose, comme l’argent, et qu’il doit se fier uniquement à son intuition et à
son imagination reviendra à plusieurs reprises dans Le surréalisme et la
peinture. Une œuvre qui ne « tourne pas à la confusion générale » reste une
œuvre qu’il est possible d’apprécier à sa juste valeur. Malgré le fait qu’il
admet ne demander qu’à louer des œuvres, Breton considère que la
manière de juger des œuvres demeure un travail qui doit être réévalué et
qu’il faut changer l’échelle de jugements des œuvres :
La portée révolutionnaire d’une œuvre, ou sa portée tout court, ne saurait dépendre du choix des éléments que cette œuvre met en jeu. De là la difficulté d’obtention d’une échelle rigoureuse et objective des valeurs plastiques en un temps où l’on est sur le
35 André Breton, Le surréalisme et la peinture, Paris, Gallimard (coll. Folio Essais), 1965, p. 11. (Désormais, les renvois à cette œuvre seront indiqués, dans le corps du texte, par la mention SP- suivi du numéro de la page.)
17
point d’entreprendre une révision totale de toutes les valeurs et où la clairvoyance nous oblige à ne reconnaître d’autres valeurs que celles qui sont de nature à hâter cette révision. (SP-21)
Breton a comme projet de réviser les valeurs plastiques qui sont déjà mises
de l’avant dans le milieu artistique. Cette révision des valeurs plastiques se
veut plus actuelle : puisque l’art change, il ne peut plus être jugé de la
même manière que les mouvements d’avant-garde précédents. Ce
changement peut s’expliquer notamment par le fait que la peinture n’est
plus une représentation du réel, et que l’abstraction fait peu à peu son
apparition en peinture. En d’autres mots, la peinture a abandonné le
modèle extérieur (le réel) pour s’inspirer d’un modèle intérieur : « Une
conception très étroite de l’imitation, donnée pour but à l’art, est à l’origine
du grave malentendu que nous voyons se perpétuer jusqu’à nos jours »
(SP-14.) La peinture ne doit donc plus être l’imitation du réel, qui a été la
manière de créer des siècles précédents, mais se fier à un « modèle
purement intérieur ». (SP-15). Bien que le concept de modèle intérieur n’est
pas défini dans Le surréalisme et la peinture et qu’il ne semble pas faire
exactement référence au modèle intérieur auquel Kandinsky faisait appel
dans Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, il paraît être
pour Breton beaucoup plus près de l’automatisme et de l’inconscient
découverts quelques années plus tôt en poésie, un automatisme nécessaire
pour écrire dans une sorte de transe. Une nouvelle manière de faire de la
peinture, telle que Breton l’envisage, doit être jugée par une nouvelle
échelle de jugements et de valeurs esthétiques. Breton prône une nouvelle
peinture en rejetant le réel et en faisant une plus grande place à
l’imagination. Ce rejet du réel se fait de pair avec le rejet des autres arts,
qui ne sont pas aussi puissants que la peinture : « En effet les images
auditives le cèdent aux images visuelles non seulement en netteté, mais
encore en rigueur et, n’en déplaise à quelques mélomanes, elles ne sont
pas faites pour fortifier l’idée de la grandeur humaine » (SP-12).
18
L’importance que Breton accorde à la force des images visuelles fait que la
peinture reste l’art le plus élevé selon lui.
Cependant, malgré l’admiration de Breton pour la peinture, il
critique vivement la manière dont les œuvres sont vendues. Il déplore le
fait que les peintres doivent se soumettre au marché de l’art et à l’argent :
« Il y a, je ne crains pas de le dire, au moins aujourd’hui sur la route des
peintres, de ceux qui ont commencé par se tenir le mieux, une bête
grotesque et puante qui s’appelle l’argent. » (SP-36). Ce problème ne
s’adresse qu’aux peintres car « les poètes, de temps presque immémorial,
sont préservés de cette rencontre, […] ». Breton condamne violemment la
marchandisation des œuvres d’art et le fait que les peintres n’aient pas le
choix d’être confrontés un jour ou l’autre à l’argent. Cette critique est aussi
présente dans son texte Distances, écrit quelques années plus tôt : « L’art
est actuellement sous la coupe des marchands, et ceci est à la grande
honte des artistes36 ». Il juge aussi la qualité des œuvres des peintres qui
se sont soumis à un tel système. Le meilleur exemple d’un peintre qui s’est
laissé tenté par la richesse est celui de Giorgio de Chirico, un peintre
italien dont les œuvres créées entre 1910 et 1919 ont fasciné les
surréalistes. Cependant, au moment où Breton écrit Le surréalisme et la
peinture, il minimise les qualités artistiques de Chirico pour critiquer son
moyen de faire de l’argent : « J’ai assisté à une scène pénible : Chirico
cherchant à reproduire de sa main actuelle et de sa main lourde un ancien
tableau de lui-même, […], parce qu’en trichant sur son apparence
extérieure, il pouvait espérer vendre la même toile deux fois » (SP-33). Ces
actions discréditent complètement Chirico aux yeux de Breton, pour qui
les œuvres ne valent plus rien, car le peintre est impuissant « à recréer en
lui comme en nous l’émotion passée » (SP-33). Cela nous ramène à
l’importance que Breton accorde au recours à l’imagination chez un
36 André Breton, « Distances », dans Les pas perdus, op. cit., p. 137.
19
peintre, qui lui permet de mieux juger les œuvres, et dans ce cas-ci, de
rejeter un peintre, Chirico, dont la pratique de l’art ne correspond plus aux
critères esthétiques mis en place par Breton précédemment.
En plus des jugements sur le marché de l’art, Breton souhaite faire
de la critique d’art d’une manière différente. Pour s’y prendre, il rejette
d’abord la critique telle que pratiquée par les écrivains de son époque qu’il
accuse de s’attarder à des éléments inutiles et factices, et d’ainsi faillir à
leur tâche de critique :
En présence de la faillite complète de la critique d’art, faillite tout à fait réjouissante d’ailleurs, il n’est pas pour nous déplaire que les articles d’un Raynal, d’un Vauxcelles ou d’un Fels passent les bornes de l’imbécilité. Le scandale continu du cézannisme, du néo-académisme ou du machinisme est incapable de compromettre la partie à l’issue de laquelle nous sommes vraiment intéressés. Qu’Utrillo “ se vende ” encore ou déjà, que X ou Y arrive ou non à se faire passer pour surréaliste, c’est l’affaire de ces messieurs les employés de l’Épicerie. (SP-22)
Breton met de l’avant les défauts de la critique, qui s’attarde à des
éléments futiles, comme les commérages concernant les peintres plutôt
que sur les œuvres elles-mêmes. Ce sont des détails qui ne devraient pas
attirer l’attention des critiques car ils ne revêtent aucun intérêt. La critique
ne réussit alors pas sa tâche initiale, qui est de commenter les œuvres,
d’interpréter et d’influencer l’art de son époque. Les critiques sont tout
aussi fautifs que les peintres qui se détachent de leur travail pour se
laisser tenter par l’argent. Ce n’est toutefois pas la première fois que
Breton critique le marché de l’art et les critiques dans ses textes. Quelques
années plus tôt, dans son texte Distances, il écrivait à propos de la critique
d’art : « Longtemps jalouse de cette apparence de sanction que conférait à
ses jugements l’annonce tapageuse de certains prix de vente, elle
n’apparaît plus que comme l’agent louche de ces combinaisons qui n’ont
20
rien à faire avec l’art et n’en menacent pas moins de le déconsidérer37 ». En
plus de ne plus faire son véritable travail, le critique se lie avec les
marchands d’art afin de justifier ses goûts. La critique devient un outil
pour les marchands afin de légitimer les prix de vente des œuvres et les
artistes qui doivent être reconnus, et pour les critiques de justifier le fait
qu’ils écrivent sur certains peintres en particulier.
Les écrivains critiqués par Breton
Il est intéressant de constater que les critiques que Breton
dénoncent sont plus âgés que lui, mais qu’ils écrivent toujours dans les
revues d’art pendant les années 1920. Louis Vauxcelles, né en 1870,
écrivait dès 1903 dans le quotidien Gil Blas. Il a écrit sur les peintres
fauves au Salon d’automne de 1905, puis sur le cubisme (auquel il était
défavorable) dès la première exposition de Braque en 1908. Il écrit plus
tard plusieurs ouvrages sur le fauvisme. Au moment où Breton écrit et
théorise le surréalisme, Vauxcelles collabore entre autres à la revue
L’amour de l’art. Florent Fels, né en 1891, écrit pour plusieurs revues
d’avant-garde, comme Action et L’Art vivant en 1925, dont il est le
rédacteur en chef. Bien qu’il soit plus jeune que les deux autres critiques
nommés par Breton, il écrit, entre autres, quelques ouvrages sur Van
Gogh, Manet et Matisse, des peintres plus âgés qui ne font plus partie des
mouvements avant-gardistes pendant les années 1920. Maurice Raynal, né
en 1884, a fréquenté les artistes et poètes du Bateau-Lavoir et a défendu le
cubisme. Plus tard dans sa carrière, il est devenu en quelque
sorte « l’historien » du cubisme, car après avoir défendu le mouvement
dans ses débuts, il publie plusieurs ouvrages sur des peintres cubistes tels
que Juan Gris, Picasso et Braque. Il collabore à plusieurs revues pendant
les années 1920 comme L’Esprit nouveau. Il publie un article sur
Fernand Léger dans le quatrième numéro de L’Esprit Nouveau, qui offre
37 Idem.
21
une bonne vue d’ensemble sur sa pensée esthétique : « Je persiste enfin à
ne considérer dans une œuvre que ce que l’on me montre et la
juxtaposition d’un jaune et d’un noir est, à mes yeux, malgré toute cuisine
picturale, autre chose que celle d’un bleu ou d’un jaune38 ». Raynal se
place en faveur d’une peinture figurative, et il voit dans le tableau que ce
qu’il représente, l’interprétation du tableau ne fait pas partie des qualités
qu’il accorde à la peinture. Il décrit d’ailleurs l’imagination de Léger comme
étant « la plus associatrice, la plus objectivante et la plus inventive qui
soit 39 ». Raynal, en écrivant sur le cubisme, demeure en faveur du
dépassement des règles de l’art : elles sont faites pour être outrepassées,
ce qui explique bien son parti pris pour un mouvement comme le cubisme
dès le départ. Cependant, dès les débuts du surréalisme, Raynal est en
défaveur du mouvement. Il publie une critique négative sur la première
exposition surréaliste en décembre 1925 dans L’Intransigeant : « Raynal’s
review, although in many respects accurate regarding the Surrealist’s
goals, was extremely hostile and outlined the basic premises of a critical
attack on Surrealist art that remained in force for decades 40 ». Les
reproches que Raynal fait aux surréalistes peuvent se répartir en deux
points. D’abord, il les accuse de faire « de petites histoires médicales41 »,
soit de l’ornement et non pas de l’art. Le deuxième reproche formulé à
propos du mouvement est le suivant : « il reste que la peinture surréaliste
ne peut aller fort loin parce que conçue en dehors de toutes
préoccupations de style, de composition, d’architecture et de plastique42 ».
Raynal accuse les surréalistes de ne pas avoir une esthétique et un style
communs.
38 Maurice Raynal, « Fernand Léger [1921] », dans L’Esprit nouveau, n° 4, New York, Da Capo Press, 1968, p. 431. 39 Ibid., p. 432. 40 Kim Grant, op. cit., p. 147. 41 Maurice Raynal, dans L’Intransigeant, numéro 16554 (1er décembre 1925). [en ligne] http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k791298m/f2.item.r=L'Intransigeant%201925.zoom [Page consultée le 8 octobre 2016] 42 Idem.
22
Les critiques que Breton juge sévèrement sont des critiques d’abord
plus âgés que lui, en faveur de mouvements qui ne sont plus avant-
gardistes au moment où Breton écrit Le surréalisme et la peinture, et des
détracteurs du mouvement surréaliste. Breton crée alors une distance
entre lui et les mouvements qu’il juge dépassés et les critiques plus âgés,
puisqu’il ne souhaite pas s’associer à eux : « The vehemence of Breton’s
attack, his insistence that the Surrealists were uninterested in marketing
strategies and the means of artistic identification, was an attempt to
situate the new Surrealist gallery outside the usual parameters of the art
market […]43 ». En plus de vouloir placer l’art surréaliste en dehors du
marché de l’art qu’il a en horreur, Breton tente de s’éloigner de la critique
de son époque en réclamant la faillite de la critique, qui serait
« réjouissante », car elle permettrait à des critiques plus honnêtes, comme
lui, de faire valoir ses préférences esthétiques, et ultimement, sa vision
personnelle de l’art, de la critique et de l’esthétique en peinture et du
projet surréaliste.
Les critiques contemporains de Breton
Plusieurs autres critiques contemporains de Breton n’ont pas été la
cible de ses reproches concernant la faillite de la critique d’art. Certains
critiques et poètes ont été pour lui plutôt des amis ou des inspirations,
comme cela a été le cas de Guillaume Apollinaire (1880-1918), critique et
poète français, avec qui Breton a entretenu une correspondance pendant
les dernières années de la vie d’Apollinaire, entre 1916 et 1918. Apollinaire
a notamment influencé les goûts poétiques de Breton : « celui-ci
[Apollinaire] l’a néanmoins orienté vers une conception autre de la poésie,
a fait germer des attirances éprouvées en profondeur et latentes […]44 ». Il
est possible de croire que sa correspondance avec Apollinaire a donné à
voir à Breton des œuvres d’art, ce qui n’aurait pas été possible sans cela. Il 43 Kim Grant, op. cit., p. 158. 44 Marguerite Bonnet, op. cit., p. 85.
23
n’y a pas de doute qu’Apollinaire et Breton partageaient des goûts
artistiques semblables, mais il est aussi important de savoir qu’Apollinaire
a été un témoin de première ligne de la création de plusieurs mouvements
artistiques dès le début du siècle. Dès 1905, Apollinaire collabore à
plusieurs revues d’art, dont La revue blanche, puis plus tard à
l’Intransigeant et aux Soirées de Paris (1912-1914), dont il est le fondateur,
où plusieurs tableaux cubistes sont reproduits pour la première fois. Il
écrit très tôt des textes sur Picasso et s’intéresse de près aux avant-gardes
parisiennes. Il défend le cubisme dès le départ, en 1908, et publie
Méditations esthétiques. Les peintres cubistes en 1913, où il tente de définir
le cubisme et de parler des principaux peintres de ce mouvement. Sa prise
de position en faveur du cubisme se situe bien avant la publication de cet
ouvrage. En 1911, par exemple, il publie un compte rendu du Salon
d’automne, où il écrit : « […] le cubisme n’est nullement un système, mais
il forme une école, et les peintres qui la composent veulent renouveler leur
art en revenant aux principes pour ce qui concerne le dessin et
l’inspiration, […]45 ». Tout en relevant le côté révolutionnaire et avant-
gardiste de la peinture cubiste, Apollinaire fait état de son opinion pour le
mouvement : « […] je sais bien que le cubisme est ce qu’il y a de plus élevé
aujourd’hui dans l’art français46 ». Cette déclaration montre très tôt le parti
pris d’Apollinaire pour les cubistes. Cette volonté de définir ce mouvement
va aussi de pair avec un processus de définition de la peinture en général.
En 1908, il écrit un texte intitulé « Les trois vertus plastiques », qui figure
comme préface de catalogue de la IIIe Exposition du Cercle de l’Art
moderne (où des artistes comme Braque, Matisse et Derain exposent) qui a
été ultérieurement remanié pour paraître comme une des sections de Les
peintres cubistes. Ce texte met de l’avant trois vertus qui sont primordiales
en peinture selon Apollinaire, soit la pureté, l’unité et la vérité. Dans ce
45 Guillaume Apollinaire, « Les cubistes », dans Chroniques d’art. 1902-1918, Paris, Gallimard (coll. Folio essais), 1960, p. 254. 46 Ibid., p. 255.
24
court texte, Apollinaire se place d’abord en faveur de la modernité : « On ne
peut pas transporter partout avec soi le cadavre de son père47 ». Il se
positionne en faveur d’une peinture qui ne reproduit pas la réalité :
« Chaque divinité crée à son image, ainsi des peintres. Et les photographes
seuls fabriquent la reproduction de la nature48 ». Apollinaire se place en
faveur d’une peinture qui ne représente pas nécessairement le réel comme
la photographie, mais qui représente le réel du peintre. Bien que cette idée
n’aille pas aussi loin que le modèle intérieur de Breton, elle reste tout de
même cohérente avec sa défense du cubisme, qui, tout en ayant des sujets
classiques comme le portrait ou la nature morte, est une peinture où le
réel est déconstruit et fragmenté. De plus, les qualités évoquées plus haut
font partie d’une recherche constante des artistes, qui « sont des hommes
qui veulent devenir inhumains49 ». De telles déclarations poétiques restent
présentes dans tous les textes d’Apollinaire, même lorsqu’il écrit sur un
artiste en particulier. L’un des peintres sur lequel il a longtemps écrit des
chroniques est Picasso, dont il a admiré les travaux pendant plus d’une
décennie. Dans un texte de 1913 intitulé « Pablo Picasso », Apollinaire
vante les qualités artistiques de Picasso, qui est un « nouveau-né [qui] met
de l’ordre dans l’univers pour son usage personnel, et aussi afin de faciliter
ses relations avec ses semblables50 ». Apollinaire va aussi, dans ce texte,
mettre de l’avant son point de vue concernant les papiers collés et le
collage, qui étaient à cette période nouvellement inclus dans les tableaux
de Braque et Picasso : « On peut peindre avec ce qu’on voudra, avec des
pipes, des timbres-poste, des cartes postales, […] 51 ». Plus encore,
Apollinaire établit aussi à la fin de ce texte son critère principal pour juger
les œuvres d’art : « Il me suffit, à moi, de voir le travail, il faut qu’on voie le
travail, c’est par la quantité de travail fournie par l’artiste que l’on mesure
47 Guillaume Apollinaire, « Les trois vertus plastiques », dans op. cit., p. 72. 48 Ibid., p. 73-74. 49 Idem. 50 Guillaume Apollinaire, « Pablo Picasso », dans op. cit., p. 369. 51 Ibid., p. 370.
25
la valeur d’une œuvre d’art52 ». Dans sa critique, Apollinaire tente de
définir les mouvements et les artistes modernes qui se développent et
créent sous ses yeux, en plus de partager son enthousiasme face à ce qu’il
regarde. Les termes techniques sont très rares dans la critique
d’Apollinaire, qui juge plutôt selon son regard, et par des éléments qui
semblent parfois surprenants, comme le travail qu’il évoque plus haut. La
peinture dépend selon lui de l’interprétation personnelle de ceux qui la
regardent : « […] les tableaux qu’il [le peintre] offre à l’admiration des
hommes leur conféreront la gloire d’exercer aussi et momentanément leur
propre divinité53 ». Cette importance accordée au regard n’est pas sans
rappeler l’œil sauvage que Breton décrira quelques années plus tard. La
critique d’Apollinaire reste ainsi très près de la vision, de l’appréciation
personnelle du travail du peintre, assez éloignée des descriptions
techniques, ce qui ne l’empêche pas d’avoir « comme Baudelaire avant lui,
comme André Breton après lui, […] su repérer, dans l’histoire se faisant
sous ses yeux, les quelques noms et les quelques œuvres que la postérité
retiendra54 ».
Un autre critique d’art contemporain de Breton est Philippe
Soupault (1897-1990), avec qui Breton a écrit Les champs magnétiques en
1919. Bien que ses textes sur l’art soient moins nombreux que ceux des
autres écrivains dont il est question ici, Soupault reste tout de même
important à plusieurs égards. Il a écrit sur plusieurs peintres
contemporains, mais aussi des textes sur des peintres méconnus à son
époque, dont William Blake (1757-1827), peintre anglais, et Paolo Uccello
(1397-1475), peintre italien de la Renaissance, que Breton évoque
rapidement dans Le surréalisme et la peinture. Nous nous pencherons ici
52 Idem. 53 Guillaume Apollinaire, « Les trois vertus plastiques », dans op. cit., p. 73. 54 Vincent Gilles, « Guillaume Apollinaire », dans Dictionnaire de la critique d’art à Paris. 1890-1969, Claude Schvalberg [dir.], op. cit., p. 44.
26
sur deux textes de Soupault, l’un sur Robert Delaunay écrit en 1923 et
l’autre sur Jean Luçat, écrit en 1928, puisqu’en plus de porter sur des
peintres contemporains de Soupault, ces textes offrent deux perspectives
différentes sur le style de critique de Soupault. L’écriture sur l’art de
Soupault repose sur la narration et l’anecdote. Son écriture se décline
parfois sous forme de poème. Il écrit d’ailleurs à plusieurs reprises sur le
même peintre à quelques années d’intervalle, ce qui donne deux visions
différentes du peintre à des moments différents. Par exemple, Soupault a
écrit deux textes sur Delaunay, l’un étant un court poème en 1922, et un
second texte en 1923. Ce texte est beaucoup plus narratif, très près de
l’anecdote, et Soupault y relate les premières années de Delaunay à Paris,
son enfance, ce qui l’a mené à peindre, en employant les termes et
l’univers de Delaunay. Un lecteur connaissant l’œuvre du peintre peut
reconnaître aisément les sujets des tableaux décrits, comme la tour Eiffel,
Paris, la grande roue : « Delaunay comprit toute la beauté négligée de ce
grand jouet mécanique55 », écrit Soupault. La critique se lit comme un récit
et non comme un commentaire ou une tentative de théoriser l’art : « J’ai
connu Robert Delaunay un beau jour. Il faisait un temps magnifique. Il
faisait si beau que les maisons grises étaient ornées de fleurs bleues,
rouges, violettes56 ». Les premières phrases du texte sont visiblement très
narratives, où le critique se met en scène pour raconter sa rencontre avec
le peintre. Le texte est aussi parsemé de certaines touches d’humour : « En
1905, il terminait une toile […]. Paris tourne plus vite, c’est l’été. (Il est
curieux de rappeler que ce tableau fut refusé au Salon d’Automne.)57 ». Le
texte sur Delaunay reste un texte narratif plus léger, comme un exercice
de style, alors que le texte sur Jean Lurçat, cependant, est plus historique
et revendicateur. D’abord, Soupault mentionne les mouvements d’avant-
garde des dernières années en France, notamment le fauvisme et le
55 Philippe Soupault, « Robert Delaunay, peintre », dans Écrits sur la peinture, Paris, Lachenal & Ritter, 1980, p. 173. 56 Ibid., p. 167. 57 Ibid., p. 169.
27
cubisme. Il conclut : « Le piétinement, telle est sans doute l’image qui,
lorsqu’on songe à des dernières années, convient le mieux pour définir la
peinture d’aujourd’hui58 ». Cette introduction lui permet de faire valoir le
génie de Lurçat, qui est passé « [d’]un homme qui faisait de la peinture […]
[à] un peintre59 ». L’énumération des qualités et la description des tableaux
de Lurçat permettent à Soupault de mieux le situer dans son époque, de le
comparer aux autres artistes et de montrer comment il se distingue de
ceux-ci, faisant de lui un artiste sur qui il vaut la peine de s’attarder.
Soupault décrit la peinture de Lurçat comme ceci : « Je résume les trois
qualités maîtresses de l’art de Lurçat par ces trois mots : clarté, lucidité,
pureté. […] je dirais que la peinture de Lurçat est claire comme le jour60 ».
Ces qualités évoquées par Soupault ne sont pas sans rappeler les trois
vertus plastiques d’Apollinaire. L’un des points les plus intéressants du
texte sur Lurçat est l’importance que Soupault accorde au tableau plutôt
qu’au peintre lui-même, car il met de l’avant l’idée que celui-ci doit
s’effacer pour laisser place à son œuvre, chose que certains peintres avant
lui n’auraient pas fait : « Jean Lurçat avec la netteté qui le caractérise se
détache presque absolument du tableau. Ce n’est pas sa peinture qu’il
étale, mais c’est un tableau qu’il achève. […] Celles [la personnalité] des
peintres du siècle dernier encombrent la plupart des toiles […] 61 ».
Soupault accorde plus d’importance à la toile en tant que telle plutôt qu’au
peintre. Il passe alors plus de temps à décrire le travail du peintre et ses
toiles, ce qui explique sans doute qu’il passe parfois par la narration pour
faire ressentir les tableaux et l’univers du peintre. Il ne s’attarde pas aux
anecdotes : ce que Breton, par exemple, déplorait chez certains critiques.
58 Philippe Soupault, « Jean Lurçat » dans op. cit., p. 231. 59 Ibid., p. 233. 60 Ibid., p. 234. 61 Ibid., p. 237-238.
28
Le dernier critique contemporain de Breton dont nous allons aborder
l’œuvre est Louis Aragon (1897-1982). Il semble d’ailleurs être le plus près
de Breton en ce qui concerne certaines idées esthétiques. Cela s’explique
sans doute par le fait qu’ils partagent des références littéraires et
artistiques très semblables, ayant été pendant plusieurs années dans le
même cercle littéraire (collaboration avec dada, la revue Littérature, La
Révolution surréaliste). Il travaille, tout comme Breton, comme conseiller
littéraire pour Jacques Doucet. Les textes sur l’art d’Aragon sont plus
tardifs que ceux de Breton, allant du milieu des années 1930 aux années
1970 et se centrent sur le réalisme. Quelques textes écrits entre 1925 et
1930 restent très éclairants sur sa vision de la peinture. Ils permettent de
saisir sa position devant les premières manifestations de l’art surréaliste.
Aragon écrit en 1925 une critique dans La Révolution surréaliste intitulée
« Au bout du quai, les arts décoratifs! », où il critique vivement les arts
décoratifs, qui sont, selon lui, inférieurs à la peinture, qui ne sont que des
marchandises : « Bientôt, aujourd’hui même, on ne peindra plus que pour
aller avec un ameublement. L’usage roi62 ». Il prend d’ailleurs position
contre l’art décoratif, à quoi il « préfère après tout le Grand Art63 ». Il
s’indigne de la place que l’on accorde aux arts décoratifs, qui n’ont
d’artistique que leur extérieur, et dont on a créé des expositions que pour
accommoder certaines personnes : « Cela flattait un principe de démocratie
idéale64 ». Ce jugement sévère sur les arts décoratifs se retrouve cinq ans
plus tard dans la préface au catalogue de l’exposition de collages « La
peinture au défi », en 1930, où Aragon déplore encore l’aspect décoratif et
marchand de la peinture :
Aujourd’hui les mécènes ne font plus guère faire leurs portraits, ni retracer leurs exploits guerriers dans des compositions kilométriques, mais ils font marcher de pair leur ameublement et les tableaux dont ils égaient leurs murs. […] La peinture tourne
62 Louis Aragon, « Au bout du quai, les arts décoratifs ! », dans Écrits sur l’art moderne, Paris, Flammarion, 2011, p. 53. 63 Idem. 64 Ibid., p. 52.
29
au confortable, flatte l’homme de goût qui l’a payée. Elle est luxueuse. Le tableau est un bijou65.
Aragon critique encore le goût répandu des mécènes qui veulent posséder
des tableaux pour la façon dont ils complètent bien le décor, plutôt que
par réel goût pour l’art. Les sujets des peintures n’importent plus, car les
œuvres ne servent que de décorations. Ce point de vue est assez semblable
à celui de Breton, dans la mesure où les deux déplorent, bien que de
manière différente, la marchandisation des œuvres d’art et le fait que les
peintres ne font plus de l’art que pour plaire. Alors que Breton réclame des
artistes qu’ils soient fidèles à leur imagination, Aragon arrive à une autre
conclusion : « Or voici qu’il est possible aux peintres de s’affranchir de
cette domestication par l’argent. Le collage est pauvre66 ». Le collage reste
une voie que les artistes peuvent emprunter pour se distancier du marché
de l’art, car il nécessite des objets de la vie quotidienne et non des
matériaux « nobles ». Aragon trace ensuite dans « La peinture au défi » une
brève histoire du collage, en prenant pour point de départ les papiers
collés de Braque et Picasso, sujet qu’il traite avec humour : « Vers le même
temps, Picasso fit une chose très grave. Il prit une chemise sale et il la fixa
sur une toile avec du fil et une aiguille. Et comme avec lui tout tourne en
guitare, ce fut une guitare par exemple67 ». Il inclut ensuite la contribution
du mouvement dada au développement du collage comme technique
picturale, avec comme exemple Max Ernst. Puis, il mentionne l’utilisation
du collage par les surréalistes. L’importance qu’Aragon accorde au collage
peut s’expliquer par ce qu’il admire chez les peintres : « Au reste, ce qui me
passionne dans l’œuvre d’un homme, ce n’est pas ce en quoi il excelle, ce
qu’il sait faire, mais ce qu’il découvre, et ce qu’il est près de découvrir68 ».
Ce désir de la découverte et de l’étonnement chez Aragon est présent chez
65 Louis Aragon, « La peinture au défi », dans op. cit., p. 74. 66 Idem. 67 Ibid., p. 79. 68 Ibid., p. 80.
30
Breton, mais contrairement à celui-ci, Aragon prend le merveilleux comme
point de départ aux découvertes artistiques. C’est le merveilleux, dont
Lautréamont est considéré comme une grande inspiration par Aragon, qui
doit motiver la création des peintres : « Ceux qui n’y parviendront pas
n’auront pas à s’étonner d’être considérés comme des artisans qui
fabriquent à grand prix un produit rendu inutile par une simple réflexion
de quelques contemporains69 ». Cependant, Aragon ne croit pas que la
création soit uniquement individuelle : « […] l’art a véritablement cessé
d’être individualiste70 », tout comme le merveilleux : « Le merveilleux doit
être fait par tous et non point par un seul71 ». Nous pouvons ici sentir
l’influence du socialisme qui se prolongera chez Aragon lorsqu’il écrira sur
le réalisme pendant la décennie qui suivra. Mais il reste que le projet des
surréalistes reste tout de même très présent dans ce texte, soit celui de
changer l’art et la vie. Il y a également une volonté de se détacher du
marché de l’art et de se trouver en-dehors des codes picturaux déjà
existants.
Ces brèves observations sur l’évolution de la critique d’art tout au
long du XIXe siècle et du XXe siècle nous permettent de mieux saisir le
milieu dans lequel Breton a écrit sur les arts visuels. Nous pouvons aussi
constater que dans la plupart des cas étudiés, les critiques poursuivent
des objectifs communs, soit celui de théoriser l’art qui se crée sous leurs
yeux, en plus de prendre position dans le milieu artistique en écrivant en
faveur de certains peintres. Les critères des critiques pour juger des
œuvres d’art restent toutefois personnels et variés : alors que Breton
favorise l’imagination, Apollinaire préfère le travail de l’artiste et Soupault,
la clarté d’une œuvre. Le marché de l’art demeure vivement critiqué par
plusieurs auteurs comme Aragon et Breton. L’évolution de la critique au
69 Ibid., p. 82. 70 Ibid., p. 73. 71 Ibid., p. 82.
31
cours du siècle et les critères d’évaluation relevés précédemment nous
permettront mieux de comprendre l’écriture même de Breton à propos de
l’art. Nous verrons comment il se distancie de ses contemporains pour
mieux définir le surréalisme et le rôle même de la critique d’art à travers
une hybridité des discours, qui se situe entre la prose poétique et la
critique.
32
Deuxième chapitre André Breton, écrivain d’art
André Breton, en écrivant Le surréalisme et la peinture, prend
position dans le débat par rapport au surréalisme présent dans les arts
visuels, en plus de faire valoir ses critères d’évaluation des œuvres. Il
reproche à la critique de faillir à sa tâche initiale. En lui reprochant de ne
plus s’attarder à ce qui est important, nous pouvons remarquer que
Breton se place lui-même dans une position favorable, car contrairement
aux autres écrivains, il considère qu’il exerce son travail de critique de la
bonne manière. Ces aspects que nous avons relevés dans le précédent
chapitre ne tenaient cependant pas compte de l’écriture même de Breton et
du style de critique qu’il préconise dans Le surréalisme et la peinture, un
texte qui est bâti non seulement d’une hybridité des discours mais aussi
de la prose poétique sur l’art. Les moyens qu’il utilise pour parler de l’art
font en sorte qu’il s’inscrit dans une lignée d’écrivains qui tentent de
poétiser l’art et de rendre la critique autonome du tableau. Ainsi, elle
devient en quelque sorte une forme d’art : de la poésie à part entière.
Le modèle intérieur
Dans Le surréalisme et la peinture, l’un des principaux critères
auquel la peinture doit se plier selon Breton est le modèle intérieur. Il écrit
à ce sujet, dès les premières pages : « L’œuvre plastique, pour répondre à
la nécessité de révision absolue des valeurs réelles sur laquelle aujourd’hui
tous les esprits s’accordent, se référera donc à un modèle purement
intérieur, ou ne sera pas » (SP-15). Le modèle intérieur opère comme une
réponse au « grave malentendu » concernant l’art moderne, soit l’attente
que l’art soit une imitation du réel. Breton, avec cette affirmation, ne
définit cependant pas le modèle intérieur en détail et propose un débat sur
la peinture qui prend ses débuts avant le surréalisme :
33
Reste à savoir ce qu’on peut entendre par modèle intérieur, et c’est ici qu’il convient de s’attaquer au grand problème soulevé ces dernières années par l’attitude de quelques hommes ayant vraiment retrouvé la raison de peindre, problème qu’un misérable critique d’art s’efforce désespérément d’éluder. (SP-15)
Ce problème, écrit Breton, a été mis de l’avant en poésie par Lautréamont,
Rimbaud et Mallarmé, et se retrouve en peinture avec Picasso, qui a pavé
la voie à une nouvelle peinture « voilà quinze ans » (SP-16). Ces nouveaux
questionnements sur la peinture coïncident avec la création du cubisme
pendant les années 1910 et les débuts de l’abstraction à la même période,
alors que l’art quitte peu à peu la représentation classique du réel et
l’imitation pour aller dans une autre direction : lentement les artistes se
mettent à se fier à un modèle intérieur ou hors du réel, et à exécuter des
recherches plus formelles.
Si Breton situe les débuts du modèle intérieur aux recherches de
Picasso et au cubisme apparu quinze ans plus tôt, le concept de modèle
intérieur a été utilisé à plusieurs reprises par d’autres critiques et peintres
avant lui. Bien qu’il ne soit pas toujours nommé avec les termes « modèle
intérieur » par les autres écrivains, l’idée générale reste la même : une
critique de l’imitation est présente. Il y a également un parti pris pour
l’imagination et l’émotion en peinture. Les peintres et auteurs se mettent
peu à peu à rejeter et critiquer l’imitation de la nature pour concentrer
leurs idéaux sur d’autres styles en peinture, ce qui donnera
éventuellement naissance aux avant-gardes du début du XXe siècle.
Baudelaire demeure l’un des premiers à avoir rejeté, d’une certaine
façon, le beau conventionnel et les règles de l’imitation au profit d’un autre
modèle idéal. Dans ses textes sur l’art, Curiosités esthétiques, il se
positionne en faveur d’un modèle idéal de création, et comme nous l’avons
mentionné dans le chapitre précédent, il préconise le recours à
34
l’imagination, qu’il surnomme la « reine des facultés ». Il rejette lui aussi
l’imitation de la nature, « cette doctrine, ennemie de l’art72 ». L’artiste ne
doit pas se fier à l’imitation et la reproduction de la nature, mais plutôt
écouter son imagination, son inspiration, écrit Baudelaire :
L’artiste, le vrai artiste, le vrai poète, ne doit peindre que selon ce qu’il voit et qu’il sent. Il doit être réellement fidèle à sa propre nature. Il doit éviter comme la mort d’emprunter les yeux et les sentiments d’un autre homme […] car alors les productions qu’il nous donnerait seraient, relativement à lui, des mensonges, et non des réalités73.
Cette affirmation de Baudelaire démontre sa position selon laquelle
l’artiste doit se fier à son imagination et à elle seule, car elle reste la façon
de légitimer le rôle de l’artiste et sa sincérité. L’imitation doit être évitée ;
elle est en tout cas fortement critiquée. L’artiste doit ainsi rester fidèle à
lui-même et à son inspiration. Cependant, cet idéal demeure malgré tout
inaccessible : « Les poètes, les artistes et toute la race humaine seraient
bien malheureux, si l’idéal, cette absurdité, cette impossibilité, était
trouvé74 ». Le modèle idéal défini par Baudelaire reste en effet impossible à
atteindre, mais l’artiste doit toutefois y tendre, se soumettre et écouter afin
de créer, et faire de lui un véritable artiste.
Dans Le peintre de la vie moderne, Baudelaire se positionne par
rapport à l’importance de la modernité en art, l’une des qualités que le
peintre doit rechercher, le « poétique dans l’historique75 ». Il définit ensuite
la modernité comme ceci : « La modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le
contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et
72 Charles Baudelaire, « La reine des facultés », dans Curiosités esthétiques, op. cit., p. 320. 73 Ibid., p. 320-321. 74 Charles Baudelaire, « De l’idéal et du modèle », dans Curiosités esthétiques, op. cit., p. 147. 75 Charles Baudelaire, « Le peintre de la vie moderne », dans Curiosités esthétiques, op. cit., p. 466.
35
l’immuable76 ». Le peintre doit alors prendre en considération la modernité
et son époque lorsqu’il crée une œuvre, car toute œuvre est à la fois
fugitive – moderne, propre à son époque – et éternelle. La beauté demeure
un autre sujet abordé par Baudelaire dans les Curiosités esthétiques, où il
écrit : « Le beau est toujours bizarre. […] Je dis qu’il contient toujours un
peu de bizarrerie, de bizarrerie naïve, non voulue, inconsciente, et que
c’est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement le Beau77 ». Le Beau
en art est, chez Baudelaire, lié à la laideur et la bizarrerie, au Mal – tout
comme dans sa poésie, comme Les Fleurs du Mal. L’artiste doit donc
chercher, en plus de se soumettre à un idéal, la beauté dans la laideur et
le bizarre. Il doit demeurer conscient de la modernité de son époque pour
créer.
Un autre peintre qui refuse l’imitation au profit de l’imagination et
d’un modèle idéal strictement intérieur, est le peintre russe Wassily
Kandinsky, membre des avant-gardes expressionnistes allemandes, en
particulier du groupe Der Blaue Reiter. Kandinsky écrit en 1910 l’ouvrage
Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, où il explique sa
vision de l’art et de la peinture aux débuts de l’abstraction, qu’il est l’un
des premiers à avoir exploré en peinture. Le principe central qu’il prône et
qu’il développe dans son livre se nomme la nécessité intérieure, qu’il
définit de la manière suivante : « Il est donc clair que l’harmonie des
formes doit reposer uniquement sur le principe de l’entrée en contact
efficace avec l’âme humaine. Ce principe a été ici défini comme le principe
de la nécessité intérieure78 ». La nécessité intérieure se base sur trois
différents critères, trois « nécessités mystiques », qu’il énumère : « Chaque
artiste, en tant que créateur, doit exprimer ce qui lui est propre […] chaque
76 Ibid., p. 467. 77 Charles Baudelaire, « Exposition universelle de 1855 », dans Curiosités esthétiques, op. cit., p. 215. 78 Wassily Kandinsky, Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier, Paris, Gallimard (coll. Folio Essais), 1989, p. 118.
36
artiste, en tant qu’enfant de son époque, doit exprimer ce qui est propre à
cette époque […] chaque artiste, en tant que serviteur de l’art, doit
exprimer ce qui est propre à l’art en général 79 ». L’importance que
Kandinsky accorde à ces critères vient principalement du fait qu’à ses yeux
l’artiste doit avoir un éveil spirituel et le cultiver. Cet éveil devient la
principale source d’inspiration de l’artiste, d’où le principe de la nécessité
intérieure, qui constitue le point de départ pour la création de l’artiste :
« L’artiste doit être aveugle vis-à-vis de la forme “ reconnue ” ou “ non
reconnue ”, sourd aux enseignements et aux désirs de son temps. Son œil
doit être dirigé vers sa vie intérieure et son oreille tendue vers la voix de la
nécessité intérieure80 ». Bien qu’il ait écrit plus tôt que l’artiste devait être
conscient de son époque, nous pouvons comprendre que l’artiste, ici, ne
doit pas créer en fonction des règles et des formes établies de son époque,
mais créer en prenant en considération à la fois les critères et obsessions
de son époque, tout en conservant comme point de départ la nécessité
intérieure. Cela fait que le peintre crée hors des règles mais en ne niant
pas les préoccupations de son époque, il est alors ancré dans une
historicité tout en se distanciant des attentes de l’époque. Cette position de
l’artiste, entre sa nécessité intérieure et la conscience de son époque, lui
fournit la créativité nécessaire pour s’exprimer et faire avancer l’art.
Kandinsky écrit aussi sur la beauté, qui ne doit pas être extérieure
mais intérieure, une beauté qui pourrait sembler laide « à celui qui n’y est
pas habitué81 ». Il évoque d’ailleurs à ce sujet les avancées de l’art abstrait,
qui est selon lui le futur de la peinture, contrairement à la production
picturale basée sur l’imitation. Kandinsky se pose cependant en faveur
d’un art qui, bien qu’abstrait, laisse voir la sensibilité de l’artiste et sa
nécessité intérieure – qui est l’un des buts de l’art abstrait. Il écrit : « La
79 Wassily Kandinsky, op. cit., p. 132-133. 80 Ibid., p. 138. 81 Ibid., p. 88.
37
beauté de la couleur et de la forme (malgré les prétentions des purs
esthètes et des naturalistes, qui visent surtout la “ beauté ”) n’est pas un
but suffisant en art82 », et il rejette du même coup l’art pour l’art, tout
comme Baudelaire avant lui. L’art abstrait permet de montrer l’état de la
vie intérieure de l’artiste. L’abstraction demeure aussi un signe de progrès,
une révolution en art qui ne fait que débuter : « Notre peinture se trouve
cependant aujourd’hui dans une autre situation ; son émancipation de sa
dépendance directe de la “ nature ” n’en est qu’à ses débuts83 ». Kandinsky
prédit en 1910 l’importance et l’avancement de l’abstraction dans le
domaine pictural. Ces changements seront observés par la suite par
Breton, qui considère lui aussi que l’imitation de la nature en peinture
n’était qu’un malentendu dont il fallait se libérer. Bien que nous ne
pouvons pas avancer que Breton ait lu Du spirituel dans l’art au moment
où il commençait à écrire sur la peinture surréaliste, la première
traduction en français de l’ouvrage datant de 1949, le rejet de l’imitation et
du réel au profit de nouvelles explorations artistiques étaient des idées
dans l’air du temps dans l’Europe du début du XXe siècle, comme c’était le
cas, par exemple, pour les cubistes et les expressionnistes allemands.
Ces observations sur les définitions du modèle idéal et d’inspiration
de Baudelaire et Kandinsky demeurent près de la vision du modèle
intérieur de Breton. Les trois auteurs se positionnent contre l’imitation
qui, à plusieurs niveaux, est dépassée en art, et à laquelle les artistes ne
devraient plus se fier pour créer. Le rejet de l’imitation conduit les peintres
à explorer de nouvelles avenues en peinture, que ce soit l’abstraction, le
surréalisme ou leur inspiration intérieure, ce qui fera d’eux de véritables
artistes. Baudelaire fait de l’imagination le moteur et la source
d’inspiration, alors que pour Kandinsky, la nécessité intérieure qui permet
au peintre de créer est de nature spirituelle. Breton, quant à lui, ne prend 82 Ibid., p. 176. 83 Ibid., p. 174.
38
pas en considération ces aspects. Bien qu’il semble plus près du concept
de l’imagination de Baudelaire, le modèle intérieur de Breton naît des
découvertes cubistes de Picasso et du rejet de l’imitation au profit des
explorations formelles, ce qui n’existait pas encore à l’époque de
Baudelaire. Le modèle intérieur, chez Breton, n’est pas basé uniquement
sur une nécessité intérieure, comme chez Kandinsky, qui prend ses
sources dans une sensibilité spirituelle que le peintre doit cultiver. Breton
propose ici un modèle de création et une source d’inspiration beaucoup
plus près de l’inconscient et du rêve, ce qui fait qu’il s’éloigne fermement
des deux autres, qui proposent que le peintre soit conscient de sa
sensibilité et de son imagination. Sa vision de l’imagination reste
relativement près de celle de Baudelaire, puisqu’il écrit lui aussi que
« [l]’imagination pure est seule maîtresse de ce qu’au jour le jour elle
s’approprie […] » (SP-63), à propos de la peinture de Mirò. L’imagination
domine ainsi la création des peintres chez les auteurs. Chez Breton,
l’imagination prend ses sources dans l’inconscient, alors que Baudelaire
ne précise pas nécessairement les sources de l’imagination, excepté le fait
qu’elle ne se retrouve pas dans l’imitation de la nature et la production des
autres artistes.
Breton tente, dans Le surréalisme et la peinture, de définir un
nouveau modèle de la peinture, qui prend ses sources dans le cubisme et
autres explorations avant-gardistes des dernières années. Le modèle
intérieur semble ainsi beaucoup plus proche de l’automatisme, déjà
présent en poésie surréaliste, qui serait appliqué ici à la peinture. Le
modèle intérieur serait ainsi un moyen pour Breton de rapprocher la
production picturale des artistes du surréalisme, de lier l’automatisme et
l’image surréaliste aux arts visuels. Celle-ci prend ses sources dans la
théorie des images de Reverdy que Breton a évoquée dans le premier
Manifeste du surréalisme. L’efficacité de cette image se définit comme suit :
39
« Pour moi, la plus forte est celle qui présente le degré d’arbitraire le plus
élevé 84 ». Aux images poétiques surréalistes succèdent les images
surréalistes picturales, qui possèdent elles aussi une force évocatrice que
le peintre doit aller chercher non pas dans la nature, mais dans son
inconscient. Puisque Breton ne fournit pas, dans Le surréalisme et la
peinture, plus de précisions concernant le modèle intérieur, qui demeure
un objet que les critiques essaient d’élucider sans succès, il est difficile
d’avancer une définition assez claire de la signification de cette expression
dans ce texte-ci. Cependant, puisque Breton déclare que « l’œuvre
plastique […] se référera donc à un modèle purement intérieur, ou ne sera
pas » (SP-15), nous croyons qu’il est possible qu’il tente ici de redéfinir
l’automatisme à la lumière de la peinture.
Selon Breton, l’artiste doit créer à partir de son imagination et son
inconscient. Le modèle intérieur demeure alors le point de départ pour la
création de l’artiste. Cependant, pour la personne qui regarde le tableau –
dans ce cas-ci, Breton – c’est le tableau qui constitue une ouverture, un
point de départ. La personne qui regarde le tableau possède tout de même
un rôle dans l’interprétation et la réception de l’œuvre produite par le
peintre. Il écrit :
C’est ainsi qu’il m’est impossible de considérer un tableau autrement que comme une fenêtre dont mon premier souci est de savoir sur quoi elle donne, autrement dit si, d’où je suis, “ la vue est belle ”, et je n’aime rien tant que ce qui s’étend devant moi à perte de vue. Je jouis, à l’intérieur d’un cadre de n figure, paysage ou marine, d’un spectacle démesuré. (SP-13).
Il utilise ici une métaphore déjà existante de la peinture, c’est-à-dire que le
tableau est une ouverture sur un autre monde particulier. En employant
cette métaphore déjà existante, il la subvertit : « Dans l’esthétique réaliste
84 André Breton, Manifestes du surréalisme, op. cit., p. 50.
40
[…] le tableau était considéré comme une fenêtre donnant sur la réalité85 ».
Breton réutilise cette image de la fenêtre, une métaphore qui avait déjà été
utilisée par d’autres mouvements en peinture, comme le réalisme, pour
expliquer que le tableau donne à voir quelque chose, que ce soit un
paysage, une scène86. Cette fois-ci, ce n’est pas sur la réalité extérieure
que donne cette fenêtre mais sur la réalité intérieure. La peinture demeure
« une réhabilitation partielle de la fonction représentative de l’art87 », dans
le sens où la représentation reste au centre dans la peinture surréaliste,
mais le sujet de la représentation change : « la réalité mentale, onirique ou
fantastique a remplacé la réalité extérieure88 ». Il apparaît essentiel de se
pencher non seulement sur l’inconscient comme modèle de prédilection du
peintre pour sa création mais aussi sur le point de départ de l’écriture de
la critique d’art pour Breton, car elle permet de comprendre que le tableau
devient lui aussi, et en retour, le point de départ pour une écriture
surréaliste et hors de la réalité chez Breton.
Hybridité des discours
Nous avons mentionné dans le chapitre précédent que la critique
pouvait prendre plusieurs formes et qu’elle ne se limitait pas uniquement
au discours critique. Cependant, dans Le surréalisme et la peinture, Breton
oscille entre différents types de discours, comme la prose poétique,
l’anecdote et le récit. La critique n’est pas soumise à des règles strictes de
style, ce qui donne une certaine liberté dans l’écriture aux auteurs, mais
cet aspect particulier des textes sur l’art de Breton est relevé à plusieurs
reprises par des chercheurs, comme Elza Adamowicz qui écrit : « Ces
textes éclectiques et hybrides charrient des registres multiples, où la
déclaration programmatique, l’effusion lyrique ou l’anecdote l’emportent
85 Elza Adamowicz, Ceci n’est pas un tableau. Les écrits surréalistes sur l’art, Lausanne, L’âge d’homme, 2004, p. 42. 86 Nous pouvons entre autres penser aux travaux de Louis Marin. 87 Idem. 88 Ibid., p. 53.
41
souvent sur l’élaboration critique89». L’alternance entre différents types de
discours reste particulièrement présente tout au long du Surréalisme et la
peinture. Ces différents types de discours sont insérés à plusieurs
occasions au fil du texte.
L’anecdote est l’un de ces discours présents à quelques reprises
dans le texte. La définition de l’anecdote a changé au cours de l’histoire,
mais nous choisissons de nous pencher sur celle-ci :
il y va surtout de la relation entre un évènement et un contexte, entre un fait et un récit, entre une singularité et une exemplarité, entre une donnée et un sens. L’anecdote se dessine dans l’espace sinon étroit, du moins compact d’une découpe où évènement, forme et représentativité se déterminent mutuellement90.
L’une de ses fonctions principales demeure d’ordre argumentatif, car
l’anecdote sert alors à illustrer par un exemple un point que le locuteur
veut mettre en valeur, ce qui est le cas pour l’utilisation dont Breton fait de
ses anecdotes dans son texte. Marie-Pascale Huglo écrit à ce sujet :
« l’anecdote ne dispose pas moins d’un éventail persuasif étendu :
amusante, curieuse, représentative, éclairante ou révélatrice, son capital à
la fois didactique, divertissant et référentiel la dispose tout
particulièrement à des fins illustratives91 ». Les anecdotes, comme nous
verrons dans le cas de Le surréalisme et la peinture, servent à illustrer
l’opinion de Breton sur la production artistique de Chirico. Par exemple,
l’anecdote est présente dans le passage que Breton consacre à la peinture
de Chirico :
Louis Aragon se souvient comme moi du passage dans ce café où nous étions un soir avec Chirico place Pigalle, d’un enfant qui venait vendre des fleurs. Chirico, le dos tourné à la porte, ne l’avait pas vu entrer et c’est Aragon qui, frappé de l’allure bizarre
89 Elza Adamowicz, Ceci n’est pas un tableau. Les écrits surréalistes sur l’art, op. cit., p. 39. 90 Marie-Pascale Huglo, Métamorphoses de l’insignifiant. Essai sur l’anecdote dans la modernité, Montréal, Le Griot éditeur (coll. L’Univers des discours), 1997, p. 29-30. 91 Ibid., p. 41.
42
de l’arrivant, demanda si ce n’était pas un fantôme. Sans se retourner Chirico sortit une petite glace de sa poche et, après y avoir longuement dévisagé le jeune garçon, répondit qu’en effet c’en était un. (SP-32-33)
Cette anecdote permet à Breton d’expliquer et d’introduire le fait que le
don de Chirico, qui consistait entre autres à avoir une vision différente des
autres, soit une vision qui permettait même de voir des fantômes, se
dissipe avec le temps. Chirico ne devient plus que l’ombre de lui-même et
perdra ultimement ses qualités de peintre en tentant de vendre des
répliques de ses anciennes toiles. Il y a plus loin dans Le surréalisme et la
peinture un récit inséré qui sert à présenter Chirico. Il s’agit du récit de
Taine, qui observe un malade qui hallucine en buvant du bouillon. Le fait
de boire le bouillon met fin aux hallucinations du malade, qui rêvait d’une
femme à qui il pouvait parler et toucher. Breton explique ensuite ce qu’il
aurait fait à la place du personnage, soit ne pas boire le bouillon, afin de
ne pas perdre la capacité de voir ces hallucinations, pour ensuite écrire :
« Chirico, que je tiens pour le héros d’une histoire semblable […] » (SP-30).
Breton accorde alors à Chirico, une fois de plus, un don pour les visions,
les hallucinations. Mais cela demeure un don gâché. Cette métaphore du
bouillon est réutilisée pour illustrer les déceptions de Breton devant les
œuvres plus tardives de Chirico : « Le “ bol de bouillon ”, suivi
naturellement de bien d’autres bols (l’Italie, le fascisme […] l’ambition
artistique qui est la plus médiocre de toutes, la cupidité, même), a eu tôt
fait de dissiper les enchantements » (SP-30). L’insertion de l’anecdote
permet à Breton de faire valoir son idée d’une façon plus métaphorique, en
comparant le peintre avec un malade qui hallucine, où tout disparaît
lorsqu’il boit son bouillon et qu’il se guérit de cette fièvre qui lui permettait
de voir différemment. Cette anecdote rappelle d’ailleurs L’entrée des
médiums, texte où Breton relate son expérience chez une médium en
compagnie d’autres poètes, dont Éluard et Desnos. L’état entre le sommeil
et le réveil, une sorte de transe, avait permis à Desnos d’écrire, et il ne
43
pouvait plus se souvenir de ce qui s’était produit ou de ce qu’il avait écrit
au réveil de cette transe. Cet état entre le rêve et la réalité est très cher aux
surréalistes, et il rappelle les premières explorations d’écriture
automatique de Breton et Soupault, qui avaient mené à l’écriture de Les
champs magnétiques. Breton défend sa position et son opinion sur Chirico
en concluant, à la fin du récit sur le malade, « Certes je n’aurais pas bu le
poison » (SP-30). Breton se positionne alors dans une posture de critique
capable de juger la perte du pouvoir hallucinatoire de Chirico et ses
conséquences sur sa production artistique. Ce pouvoir hallucinatoire, qu’il
est possible d’associer avec l’inconscient et l’imagination du peintre,
demeure précieux pour la création de l’artiste. En perdant ses facultés, et
donc sa source d’inspiration, le charme est rompu et l’œuvre de l’artiste
perd tout son intérêt et sa beauté.
Dans Le surréalisme et la peinture, il y a certains moments où Breton
fait appel à des aphorismes pour décrire un tableau ou le statut d’un
peintre. Par exemple, il utilise une expression détournée, « Œil pour œil,
dent pour dent », à propos de Miró : « Mot pour œil, dent pour mot » (SP-
62) pour expliquer l’une des qualités de Miró, qui serait sa capacité
« d’associer […] l’inassociable ». Ce chevauchement de plusieurs types de
discours permet d’expliquer notamment l’abondance et l’importance de la
digression dans Le surréalisme et la peinture, comme l’écrit Adélaïde
Russo : « Les textes de Breton sont […] marqués par des digressions
multiples. […] La digression, au lieu d’être un trait qu’il faut épurer du
style, devient la marque même de style92 ». La digression sert à la fois
d’introduction, de conclusion ou de transition pour parler de la peinture :
parfois elle illustre la métaphore du travail d’un peintre, comme dans le
92 Adélaïde Russo, « André Breton et les dispositifs du jugement : spéculaire, spéculatif », dans Chénieux-Gendron, Jacqueline [dir.], Lire le regard : André Breton et la peinture, Paris, Lachenal & Ritter, 1993, p. 155.
44
cas de Chirico, ou elle sert à introduire un nouveau peintre dont il est
question, de changer le sujet tout en conservant la fluidité du texte.
Critères d’évaluation des œuvres
Nous avons relevé précédemment les critères auxquels Breton a
recours dans Le surréalisme et la peinture pour juger les œuvres d’art et les
peintres. Breton démontre une volonté de louer des œuvres qui ne
« tournent pas à la confusion générale » (SP-26) et se positionne dès le
début du texte en faveur d’un regard pur, « à l’état sauvage ». Il écrit
« [qu’en] un temps où l’on est sur le point d’entreprendre une révision
totale de toutes les valeurs et où la clairvoyance nous oblige à ne
reconnaître d’autres valeurs que celles qui sont de nature à hâter cette
révision » (SP-21) des règles d’évaluation des œuvres d’art, celles-ci
devraient être modifiées. La volonté de renouveler les critères d’évaluation
de l’art s’explique notamment par le fait que le surréalisme se distingue
des autres mouvements d’avant-garde, puisque le mouvement ne prône et
ne dicte pas de technique particulière ; l’essence même du surréalisme se
trouve du côté du rêve et de l’imagination, de la force des images. Breton
tente de se détacher non seulement de ce qui a été produit auparavant,
mais aussi des règles en art de façon générale. Il soutient à plusieurs
reprises le même propos concernant la révision des valeurs plastiques, et
va même plus loin en rejetant complètement les règles en peinture. Il écrit
à propos de Braque : « C’est que Braque “ aime la règle qui corrige
l’émotion ” alors que je ne fais, moi, que nier violemment cette règle. Cette
règle, où la prend-il? […] C’est très joli de peindre et c’est très joli de ne pas
peindre » (SP-23). Breton montre ici l’absurdité d’une telle règle, en
insistant sur le fait qu’il est joli de peindre ou pas. Cette remarque fait
d’ailleurs état du côté arbitraire de cette règle. En se demandant où
Braque a pris cette règle, Breton suggère que les règles en art peuvent
45
venir de n’importe où, et, ce faisant, il les invalide toutes. En plus de
rejeter cette règle, Breton écrit aussi plus loin à propos de Masson :
À quoi bon la peinture, à quoi bon telle ou telle méditation sur la peinture! N’en parlons plus. Parlons à mots couverts de l’alibi que nous nous donnons pour ne pas être à cent mille lieues d’où nous sommes. Aucune règle n’existe, les exemples ne viennent qu’au secours des règles en peine d’exister. Pigeon vole! Poisson vole! Flèche vole! […] Vaudevilles! (SP-56)
Dans cette citation, Breton annonce que les règles n’existent pas, et
renchérit par une accumulation d’exclamations « Poisson vole! » qui se
terminent par « Vaudevilles! », exprimant son mépris des règles en art. Il
note d’ailleurs « qu’aucune règle n’existe », ce qui fait qu’il les rejette en
bloc en niant leur existence.
Bien que Breton affirme à plusieurs reprises qu’il ne croit pas en ces
règles et qu’il en appuie aucune, il n’échappe cependant pas à sa fonction
de critique, soit de juger les œuvres d’art qu’il regarde. Adélaïde Russo
écrit :
Breton peut explicitement écarter l’existence des règles de jugement, ou de création artistique, mais cela ne l’empêche pas de formuler en même temps une série détaillée de critères – des critérium qui sont à la base de ces jugements pour décrire les qualités de la peinture surréaliste et le fonctionnement du surréalisme dans le domaine plastique93.
Ces critères se retrouvent au fil du texte et s’insèrent à différents moments
lorsque Breton écrit sur des peintres différents. Ils lui servent à introduire
un peintre en particulier ou à définir son travail. Par exemple, Breton écrit
sur le lyrisme, qu’il tente de définir : « Le lyrisme, par quoi se recommande
toute œuvre que nous admirons, n’est pas, dans sa nature, une propriété
indéfinissable […] C’était le lyrisme. Quelque chose de dressable et que
d’aucuns disaient avoir dressé. » (SP-41). Breton fournit sa définition du
93 Adélaïde Russo, op. cit., p. 168.
46
lyrisme et la recherche en peinture qui en a résulté, pour arriver à parler
de Max Ernst, qui n’a pas connu ce débat, mais dont l’œuvre et la manière
de créer sont directement liées au lyrisme : « Quand Max Ernst vint, ces
différentes données étaient outrageusement simplifiées. Il apportait avec
lui les morceaux irreconstituables du labyrinthe » (SP-42). Il ajoute : « Max
Ernst opposait un vocabulaire étendu vraiment à tous les autres mots,
quitte à se passer de la signification de plusieurs d’entre eux et, scandale,
de ce qui leur confère une valeur plus ou moins émotive » (SP-43). Cette
explication du lyrisme vient alors éclairer la méthode de création d’Ernst,
qui se rapproche souvent du collage : inspiré par les papiers collés de
Picasso et Braque, il pousse le concept plus loin, en apportant avec lui des
morceaux du labyrinthe, comme l’écrit Breton. Il définit alors un critère de
création, le lyrisme, pour mettre en valeur l’apport de l’œuvre d’Ernst en
peinture, et l’introduire dans son texte. Un autre critère qu’il établit plus
loin dans le texte concerne Miró : « L’imagination pure est seule maîtresse
de ce qu’au jour elle s’approprie et Miró ne doit pas oublier qu’il n’est pour
elle qu’un instrument » (SP-63). Ce passage demeure un avertissement
qu’il formule à l’égard de Miró, qui ne doit pas faire preuve d’un « orgueil
délirant » et prendre conscience qu’il dépend de l’imagination. Breton
demeure critique à propos de l’imagination et de l’œuvre de Miró, car il
considère que tous les critères doivent être sujets à une révision, comme il
l’annonçait plus tôt dans Le surréalisme et la peinture :
Il serait vain de tenir ces notions, dans l’état où elles sont, pour de simples concepts subjectifs incapables de prendre une nouvelle réalité objective hors de l’entendement qui les conçoit. N’en déplaise à quelques idiots, je donne ici pour imprescriptibles d’autres droits que ceux de la peinture et malgré tout j’espère que Miró ne me contredira pas si j’affirme qu’il a d’autres soucis que de procurer à qui que ce soit un plaisir gratuit de l’esprit ou des yeux. (SP-63-65)
Il affirme ici que l’imagination présente dans l’œuvre du peintre n’est pas
immuable, et que ces concepts peuvent changer avec le temps – il écrivait
47
d’ailleurs plus tôt l’importance de réviser les critères d’évaluation des
œuvres, un autre aspect variable selon les époques. Il mentionne, encore
une fois, que l’œuvre d’art ne doit pas être un « plaisir gratuit », que la
peinture a d’autres buts que celui de créer quelque chose d’agréable à
regarder. Il reprend des propos semblables à ceux convoqués au moment
de parler de Braque, où il considérait que « C’est très joli de peindre et c’est
très joli de ne pas peindre ». (SP-23) La beauté et la portée du tableau ne
reposent pas sur la beauté, mais sur quelque chose de plus grand, comme
l’inspiration ou des nouveaux critères qui doivent être revus à la lumière
de l’évolution récente des avant-gardes. Breton affirme une fois de plus sa
vision d’une peinture qui évolue en même temps que ses critères
d’évaluation. Il fait état de l’apport du surréalisme aux arts visuels. En
avertissant Miró de ne pas tenir son génie pour acquis, il lui fait une mise
en garde pour qu’il ne tombe pas dans le piège d’autres peintres avant lui,
celui de dénaturer complètement son œuvre en tournant le dos à son
imagination « maîtresse » et en favorisant autre chose, le profit par
exemple, comme ça a été le cas pour Chirico. Breton met aussi l’accent sur
ses critères personnels lorsqu’il est question brièvement de Picabia dans Le
surréalisme et la peinture. Il écrit : « Seuls son incompréhension parfaite du
surréalisme et son refus très probable de se rendre à quelques-unes des
idées que j’exprime ici m’empêchent de considérer de près […] ce qu’il a fait
et ce qu’il peut encore faire et de tenter de le situer comme peintre, selon le
critérium qui est le mien » (SP-37). Ici, Breton peut sembler se contredire,
puisqu’il rejetait un peu plus tôt les règles en art mais affirme maintenant
qu’il ne peut parler de Picabia à cause de ses critères personnels. Il semble
évident que Breton rejette les règles en art en tant que quelque chose
d’immuable et d’établi, mais il demeure tout de même conscient d’établir
des critères personnels pour parler des œuvres et des peintres. Il se place
dans une posture de critique qui juge les œuvres et les peintres à partir de
ses critères et valeurs personnelles, mais ne se réclame pas d’une école de
48
critique ou de ceux qui ont échoué dans leur rôle de critique, ce qu’il
désapprouvait plus tôt dans son texte.
Malgré tous les critères et les règles pour juger les œuvres et les
peintres que Breton évoque dans ce texte, l’aspect le plus frappant dans Le
surréalisme et la peinture demeure l’absence de description des tableaux
dont il est question. Cette caractéristique est soulignée à plusieurs reprises
par des chercheurs, comme Michael Riffaterre, qui écrit : « Breton décrit
fort peu ; il garde pour lui ce que le tableau lui donne à voir. […] Breton ne
propose pas d’évaluation. Il ne calcule pas le taux d’efficacité, il ne mesure
pas l’impact94 ». Cette absence de description des tableaux va de pair avec
les règles qu’il évoque, telles que le lyrisme et l’imagination pure, et son
parti pris pour une absence de règles en art. Cela se retrouve tout au
cours de Le surréalisme et la peinture. Quand il nomme les tableaux, il ne
laisse entrevoir que certains aspects de ceux-ci : le lecteur, s’il ne connaît
pas l’œuvre évoquée, peut tout de même comprendre ce qui est représenté,
mais sans plus de détails. Par exemple :
Nous laissons derrière nous les grands “ échafaudages ” gris ou beiges de 1912, dont le type le plus parfait est sans doute L’Homme à la clarinette, d’une élégance fabuleuse et sur l’existence “ à côté ” de qui nous n’en finirions pas de méditer. […] L’Homme à la clarinette subsiste comme preuve tangible de ce que nous continuons à avancer, à savoir que l’esprit nous entretient obstinément d’un continent futur et que chacun est en mesure d’accompagner une toujours plus belle Alice au pays des merveilles. (SP-17)
Ce passage sur L’Homme à la clarinette de Picasso introduit un segment
sur le « génie » de Picasso, qui se renouvèlerait sans cesse au fil des ans.
Le contenu du tableau est évoqué ici très brièvement, avec les mots « les
grands échafaudages gris ou beiges » qui représentent très bien la palette
de couleurs utilisées pendant la période du cubisme analytique de Picasso 94 Michael Riffaterre, « Ekphrasis lyrique », dans Lire le regard : André Breton et la peinture, op. cit., p. 181.
49
et Braque. Breton se concentre cependant plus sur l’effet du tableau en
tant que tel : L’Homme à la clarinette est, à ce jour, une œuvre
emblématique du cubisme, l’une des expérimentations les plus
hermétiques de Picasso, et Breton, dans ce passage, affirme évidemment le
côté avant-gardiste de ce tableau et l’espoir qu’il représente pour
l’avancement de l’art moderne. Lorsque Breton écrit que « chacun est en
mesure d’accompagner une toujours plus belle Alice au pays des
merveilles », nous pouvons croire qu’il s’agit là d’une évolution de l’art vers
un surréalisme en peinture qui permet plus grand que soi, qui permet
d’embellir les rêves de plus en plus. Il ne faut pas oublier que l’absence de
descriptions de tableaux relevée par Riffaterre peut s’expliquer non
seulement par choix de Breton de décrire l’effet plutôt que les images du
tableau, mais aussi que plusieurs des œuvres commentées, dont L’Homme
à la clarinette, sont reproduites dans le texte, autant lorsque l’ouvrage était
sous forme de chroniques dans La révolution surréaliste que dans son
édition de 1928. L’absence de la description devient alors évidente puisque
le tableau est déjà sous les yeux du lecteur. Bien que cette observation soit
pertinente et permette de comprendre en partie le choix de Breton de ne
pas décrire les tableaux sur lesquels il écrit, ce n’est pas le cas pour
chaque tableau évoqué. Certaines œuvres ne sont pas reproduites dans les
pages du Surréalisme et la peinture, et Breton ne les décrit pas non plus :
l’inverse est aussi vrai, car certaines œuvres sont reproduites alors que
Breton ne les nomme pas explicitement. L’affirmation de Riffaterre reste
toutefois bien pertinente pour comprendre cela. Nous verrons plus tard
que ce choix de ne pas décrire les œuvres vient aussi du fait que l’écriture
sur l’art de Breton est essentiellement de la prose poétique.
La prose poétique
Dans Le surréalisme et la peinture, Breton superpose différents types
de discours, comme nous l’avons mentionné plus tôt, et celui qui domine
50
dans le texte demeure la prose poétique. Nous avons aussi mentionné le
fait que Breton considère le tableau comme une fenêtre qui constitue le
point de départ pour l’écriture. Le tableau devient alors le moteur pour
l’imagination du poète et l’écriture, comme le mentionne Adamowicz dans
son ouvrage : « La fenêtre dont il s’agit […] n’est pas seulement la fenêtre
de l’espace représenté du tableau, il s’agit avant tout de la fenêtre ouverte
par le tableau dans l’esprit du poète95 ». Cette fenêtre qu’est le tableau
permet à Breton d’écrire sur l’œuvre qu’il regarde et sur l’artiste qui a peint
l’œuvre ; il peut élaborer sur l’art à partir du tableau qu’il regarde. Il
devient donc inutile de décrire spécifiquement le tableau pour en parler ou
écrire sur l’art en général. Breton préfère décrire, entre autres, la
technique ou la méthode du peintre. Par exemple, il écrit sur Max Ernst :
« Il ne s’agissait de rien moins que de rassembler ces objets disparates
selon un ordre qui fût différent du leur et dont, à tout prendre, ils ne
parussent pas souffrir, d’éviter dans la mesure du possible tout dessein
préconçu […] » (SP-44). Il décrit ici la technique de création d’Ernst, qui
s’apparente beaucoup à la création d’images surréalistes en poésie, à la
création d’une « étincelle », d’un choc. Breton évoque aussi l’univers
pictural d’Ernst en énumérant ce que les tableaux représentent : « Il naît
sous son pinceau des femmes héliotropes, des animaux supérieurs qui
tiennent au sol par des racines, d’immenses forêts vers lesquelles nous
porte un désir sauvage […] » (SP-50). Cette énumération lui permet de
donner un aperçu de l’univers d’Ernst et de transmettre son appréciation
de son œuvre en général.
Breton a aussi recours à la prose poétique pour parler de l’œuvre d’un
artiste. C’est le cas lorsqu’il introduit Arp et ses reliefs – le nom que celui-
ci donne à ses sculptures.
Les “ reliefs ” de Arp, qui participent de la lourdeur et de la légèreté d’une hirondelle qui se pose sur le fil télégraphique, ces
95 Elza Adamowicz, op. cit., p. 54.
51
reliefs qui empruntent dans leur savante coloration tous les ramages de l’amour et auxquels en même temps leur découpage hâtif confère tous les déliés de la colère, ces boucles dures ou tendres sont bien pour moi ce qui résume le mieux les chances de généralité des choses particulières, ce qui me permet de faire le plus faible état de la variante. (SP-70)
Ce passage permet à Breton d’interpréter ces formes abstraites à sa
manière – les sculptures sont d’ailleurs reproduites dans le texte. Breton
utilise ici la métaphore de l’hirondelle qui se pose sur un fil pour illustrer
son impression des œuvres qu’il regarde et qui, bien que leurs titres
évoquent ce qu’elles représentent, demeurent toutefois très près de
l’abstraction. L’interprétation de Breton devient un moyen de suggérer ce
que les œuvres représentent selon lui. Deux œuvres d’Arp sont reproduites
dans Le surréalisme et la peinture, soit Femme (1927) et Nature morte :
table, montagne, ancres et nombril (1926). Les formes de la première,
Femme, peuvent rappeler un oiseau, en particulier la forme de ses yeux, ce
qui pourrait expliquer la métaphore qu’emploie Breton pour parler des
reliefs d’Arp. Une ambigüité demeure, car ce qu’elle peut évoquer chez
celui qui regarde l’œuvre peut ne pas concorder avec le titre donné par
l’artiste. Breton s’arrête cependant plus longtemps sur la deuxième œuvre,
Nature morte : table, montagne, ancres et nombril. Ce passage, situé à la
dernière page de Le Surréalisme et la peinture, s’attarde principalement au
titre de l’œuvre, que Breton qualifiera de lapsus : « L’heure de la
distribution, avec Arp, est passée. Le mot table était un mot mendiant : il
voulait qu’on mangeât, qu’on s’accoudât ou non, […]. Le mot montagne
était un mot mendiant : il voulait qu’on contemplât, […]. » (SP-72). Breton
évoque ici les possibilités d’interprétation qu’offre chaque mot. Tous les
mots du titre permettent une lecture différente de l’œuvre, ce qui ajoute de
la polysémie à une œuvre qui se prête déjà à de multiples interprétations
étant donné sa proximité avec l’abstraction. Chaque mot, employé seul,
possède un sens propre, évoque certains aspects précis, des possibilités
ancrées dans le réel. En alliant les mots dans un même titre, ils ne sont
52
plus mendiants, mais prennent des sens différents de leurs significations
d’origine et deviennent alors polysémiques et surréalistes. Breton conclut
ce passage de la manière suivante :
En réalité, si l’on sait maintenant ce que nous voulons dire par là, un nez est parfaitement à sa place à côté d’un fauteuil, il épouse même la forme du fauteuil. Quelle différence y a-t-il foncièrement entre un couple de danseurs et le couvercle d’une ruche? Les oiseaux n’ont jamais mieux chanté que dans cet aquarium. (SP-72)
Nous remarquons ici que Breton va de l’interprétation des œuvres et du
titre des œuvres d’Arp à une digression qui se rapproche de la prose
poétique. Breton crée des images surréalistes avec des éléments éloignés,
créant ainsi des associations insoupçonnées. Breton conclut alors son
passage sur Arp par une digression poétique qui peut effectivement
rappeler les Champs magnétiques ou Poisson soluble. L’écriture se trouve
beaucoup plus près de la prose poétique que de la critique, il sort de
l’œuvre d’Arp. Lorsque Breton écrit sur un peintre, il évoque toujours ses
œuvres et son appréciation personnelle, puis peu à peu le texte glisse vers
la prose, et le sujet (le peintre et son œuvre) devient alors prétexte à des
réflexions sur l’art, la poésie, la critique, et surtout, sur le surréalisme.
Adamowicz mentionne à ce propos : « Il s’agit bien moins de déchiffrer le
tableau que d’en évoquer l’effet grâce à un prolongement poétique96». Nous
nous retrouvons alors plus près du prolongement et du commentaire, que
de la seule digression. Breton dirige sa pensée ailleurs, mais il le fait à
partir de l’œuvre qui lui a inspiré cette déviation. Dans ce passage sur Arp,
la réflexion sur le sens des mots clôt Le surréalisme et la peinture et de
réfléchir sur les titres des œuvres. Ceux-ci permettent une ouverture à des
possibles interprétations. Cet effort de nommer les différentes lectures
possibles du titre n’est pas sans rappeler un passage plus tôt dans le
texte, où il écrit :
96 Elza Adamowicz, op. cit., p. 65.
53
Tout ce que j’aime, tout ce que je pense et ressens, m’incline à une philosophie particulière de l’immanence d’après laquelle la surréalité serait contenue dans la réalité même, et ne lui serait ni supérieure ni extérieure. Et réciproquement, car le contenant serait aussi le contenu. Il s’agirait presque d’un vase communicant entre le contenant et le contenu. […] Ce qu’on cache ne vaut ni plus ni moins que ce qu’on trouve. Et ce qu’on cache, que ce qu’on permet aux autres de trouver. (SP-69)
L’auteur place ici la réalité et la surréalité au même niveau, où les deux
peuvent communiquer entre eux. Ce qui peut rappeler ce qu’il écrivait
dans le premier Manifeste du surréalisme : « Je crois à la résolution future
de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la
réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi
dire97 ». Les objectifs du surréalisme mentionnés dans le Manifeste – lier le
rêve et la réalité – sont répétés dans Le surréalisme et la peinture, car les
goûts de Breton, écrit-il, sont de lier la surréalité et la réalité, et de faire
que les deux communiquent. De plus, les phrases suivantes du
paragraphe : « Ce qu’on cache ne vaut ni plus ni moins que ce qu’on
trouve. Et ce qu’on cache, que ce qu’on permet aux autres de trouver »
mettent en lumière une vision de l’interprétation de Breton. Il met au
même niveau l’action de trouver un sens à l’œuvre (l’interprétation de celui
qui regarde), qui ne vaut alors ni plus ni moins que le sens qui peut être
caché (le sens de l’artiste). Même si l’interprétation et le sens sont cachés
ou trouvés par celui qui regarde l’œuvre, ils possèdent une valeur. Les
termes « cacher » et « trouver » ne sont pas équivalents, mais les différentes
interprétations qui peuvent émerger des œuvres, elles, le sont : plusieurs
interprétations (cachées ou trouvées) peuvent émerger selon celui qui
regarde l’œuvre. Ces observations ramènent Breton face à son rôle de
critique d’art. Avec ces affirmations, Breton justifie alors ces commentaires
appréciatifs des œuvres, et son travail de critique, car il se permet de
trouver un sens nouveau à une œuvre qui, même s’il est trouvé, possède la
97 André Breton, Manifestes du surréalisme, op. cit., p. 24.
54
même valeur qu’un sens qui aurait pu être caché par l’artiste. Ce passage
sur les sens cachés et trouvés par une œuvre n’est pas sans rappeler
Mallarmé. Selon ce dernier, le langage se divise entre deux fonctions, deux
catégories, soit la prose et ce qu’il appelle « l’universel reportage ». C’est
dans la prose qu’il est possible de découvrir un sens nouveau des mots :
« Tel est bien, visiblement, l’enjeu de la prose : réaliser, par “ le prodige de
raccourcis ou d’élans ”, une nouvelle économie de la phrase qui soit en
mesure d’éliminer, comme par un phénomène de résorption interne, tout
l’appareil de la représentation d’ordinaire dévolu au mécanisme général de
la description des choses […]98 ». La prose permet de trouver un sens
caché, nouveau, au langage. Breton hérite de cette manière de voir le
langage comme une façon de faire voir un sens différent, et cela se
démontre bien dans sa manière d’écrire sur le sens des œuvres qu’il
regarde, et cela pourrait expliquer pourquoi il glisse du sujet du tableau à
de la prose poétique, qui fait alors voir différemment le tableau du peintre.
Ces exemples précédents montrent comment le tableau observé
permet à Breton d’effectuer un glissement vers la prose poétique. Ces
passages paraissent parfois hermétiques et près de l’écriture automatique.
Quelques chercheurs ayant travaillé sur les écrits sur l’art de Breton,
comme Michael Riffaterre et Elza Adamowicz, tentent d’expliquer ce
glissement avec la notion d’ekphrasis. L’ekphrasis est historiquement
considérée comme la description d’une œuvre d’art, et la première à avoir
été répertoriée est la description du bouclier d’Achille dans l’Iliade. Dans
son article Ekphrasis lyrique, Riffaterre distingue essentiellement deux
types d’ekphrasis, « “ l’ekphrasis critique ”, celle de l’historien ou du
critique d’art, qui est essentiellement un discours mimétique ou une
analyse formelle, et “ l’ekphrasis littéraire ”, celle du poète, apparentée à
98 Henri Scepi, « Mallarmé et la surface réversible : esquisse d’une poétique de la prose » dans Mallarmé et la prose, Henri Scepi [dir.], Poitiers, La licorne, 1998, p. 97.
55
“ un blason de l’œuvre picturale ”, donc essentiellement métaphorique99 ».
C’est par cette distinction qu’il explique la manière dont Breton prend une
œuvre comme point de départ et glisse lentement vers la prose poétique,
vers une description lyrique du tableau, donc une ekphrasis :
En revanche il [Breton] se met en scène constamment, se reflète littéralement dans l’artiste et dans l’œuvre qui sont les objets de sa glose. Ces objets sont déformés par l’angle sous lequel il les observe […] Son discours critique est en somme un cas extrême de la subjectivation de l’objet qui est la définition même du lyrisme100.
Il explique que le fait que Breton se met en scène et qu’il écrive sur l’œuvre
qu’il observe fait du texte un poème lyrique sur l’art. Évidemment, cette
hypothèse que l’ekphrasis pourrait permettre d’expliquer les passages
poétiques dans Le surréalisme et la peinture est intéressante, mais
Riffaterre n’étudie cependant pas ce texte dans son article et se penche
plutôt sur d’autres textes plus tardifs : sur Gorky, par exemple. Cette
notion est pertinente pour comprendre le fonctionnement de certains
passages ou d’autres textes sur l’art de Breton, mais elle ne convient
cependant pas parfaitement au cas de Le surréalisme et la peinture, étant
donné sa longueur et puisqu’il allie, comme nous l’avons mentionné plus
tôt, plusieurs types de discours. Il devient donc ardu d’appliquer cette
notion à l’ensemble du texte, même si elle illustre ces moments de
glissements vers la prose poétique. Riffaterre nuance lui-même son propos
plus loin dans l’article et écrit : « L’ekphrasis chez André Breton reste donc
une apparence, ou un geste symbolique, puisqu’elle ne performe pas les
actes de langage requis par le genre. […] Mais elle dessine une image
langagière analogue à l’image visuelle, elle déroule un texte parallèle à
celle-ci101. » Riffaterre mentionne donc que le texte sur l’art, chez Breton,
n’est pas une description d’un tableau ou une ekphrasis, mais qu’il s’agit
99 Elza Adamowicz, op. cit., p. 25. 100 Michael Riffaterre, « Ekphrasis lyrique » dans op. cit., p. 180. 101 Ibid., p. 191.
56
d’un texte parallèle à l’œuvre picturale, ce prolongement de l’œuvre peut
alors se lire avec ou sans le tableau sous les yeux.
Elza Adamowicz, quant à elle, dans son ouvrage Les écrits
surréalistes sur l’art, suggère à plusieurs reprises que l’écriture sur l’art de
Breton est un commentaire, une digression du regard du poète sur un
tableau, et qu’il s’agirait par là d’une forme de prolongement poétique à
l’œuvre d’art. Cette hypothèse permet de montrer que le texte sur l’art
devient non seulement un texte parallèle à l’œuvre mais aussi une œuvre
elle-même. Elle écrit :
L’œil qui voit au-delà de la surface de la peinture, le discours qui fait du tableau un élément d’une autre histoire, d’une vision autre, produisent un texte parallèle au tableau dans la mesure où celui-ci mime la structure du tableau lui-même. Ainsi, les écrits de Breton sur la peinture constituent une véritable mise en abyme de certaines pratiques picturales, et notamment du collage et de l’automatisme102.
Même si elle ne nomme pas la notion d’ekphrasis, cette observation n’est
pas sans la rappeler et nous montre que les textes de Breton demeurent
des commentaires sur l’art. Cependant, Adamowicz apporte un élément
qui n’est pas présent chez Riffaterre. Plutôt qu’un commentaire sur le
tableau lui-même, le texte mime, en quelque sorte, le tableau observé par
Breton. Cette piste d’analyse permet un point de vue inédit sur les textes
sur l’art de Breton et elle va plus loin que ce que propose Riffaterre. Nous
croyons que dans Le surréalisme et la peinture, Breton ne fait pas qu’imiter
les procédés utilisés par les peintres pour écrire sur l’art, et que s’il évoque
les œuvres ou l’univers pictural des artistes, il ne limite pas son texte aux
peintres. Il va plus loin que ce qu’évoque le tableau pour créer un sens
nouveau et poétique. De plus, le fait de considérer l’écriture sur l’art
102 Elza Adamowicz, op. cit., p. 70.
57
comme une mise en abyme de la peinture observée la réduit à être
prisonnière de la peinture, à en être dépendante.
Riffaterre et Adamowicz s’entendent toutefois pour dire que malgré
l’absence de descriptions des tableaux, Breton utilise les œuvres d’art pour
glisser vers autre chose, que ce soit une ekphrasis ou une mise en abyme
du tableau : « En vérité, si description il y a, il s’agit moins de ce que
représente que de ce qu’évoque le tableau103 ». Une des difficultés dans Le
surréalisme et la peinture demeure qu’il est possible de distinguer le
moment où Breton écrit sur une œuvre du moment où le texte glisse vers
la prose poétique. Il reste ardu de déterminer la nature du texte étant
donné son changement constant de discours. Il est cependant certain que
ces moments de prose poétique se détachent du tableau et vont plus loin
qu’une simple appréciation de l’œuvre. Le texte devient alors indépendant
des œuvres qu’il commente.
Poisson soluble
Nous avons examiné plus tôt que dans Le surréalisme et la peinture,
la vue du tableau provoquait chez Breton un glissement de la critique, de
la description du peintre et de son œuvre vers un autre discours, comme
l’anecdote, et plus souvent, vers la prose poétique. Ce glissement et cette
présence de la prose ne sont pas sans rappeler Poisson soluble, un recueil
de poèmes publiés quelques années plus tôt, en 1924, au même moment
que le premier Manifeste du surréalisme. Dans Poisson soluble, trente-deux
petites « historiettes104 », des petits poèmes en prose, se succèdent. À
l’intérieur même de ces poèmes en prose, souvent très près de la narration
et du récit, le texte bascule après quelques lignes vers une image
103 Ibid., p. 26. 104 Marguerite Bonnet mentionne que ce terme est utilisé par Breton lui-même pour nommer ses poèmes. Voir Marguerite Bonnet, « Manifeste du surréalisme. Notice », dans André Breton, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1988, p. 1332.
58
surréaliste, comme dans le passage suivant : « Une lime d’ivoire que je
ramassai à terre fit instantanément s’ouvrir autour de moi un certain
nombre de mains de cire qui restèrent suspendues en l’air avant de se
poser sur des coussins verts. Les moyens me manquaient, on l’a vu,
[…]105 ». Dans ce passage, le simple fait de ramasser un objet par terre fait
basculer le récit vers une image surréaliste, qui est ici les mains de cire
suspendues dans les airs. Les poèmes en prose de Poisson soluble se
maintiennent toujours entre le récit narratif, qui se rattache au réel et à la
réalité, et le poème surréaliste, où des images surréalistes se succèdent, ce
qui crée un effet poétique. Ces images se retrouvent à différents moments
du poème, comme dans le passage suivant, où le poème commence ainsi :
« Sale nuit, nuit de fleurs, nuit de râles, nuit capiteuse, nuit sourde dont la
main est un cerf-volant abject retenu par des fils de tous côtés, des fils
noirs, des fils honteux!106 ». Ici, l’image poétique est créée par « la nuit
sourde dont la main est un cerf-volant », qui permet la suite du texte, un
poème écrit à une deuxième personne. Ce procédé est utilisé à de
multiples reprises dans Poisson soluble. À ce sujet, Laurent Jenny écrit :
« En somme le récit “ automatique ” n’opère pas tant une désarticulation
qu’une perversion des formes107 ». Le basculement des récits vers des
métaphores surréalistes, sont donc, comme l’explique Jenny dans son
article, le résultat d’une déconstruction des formes traditionnelles (récit
narratif, conte, etc.) vers des images et des métaphores qui ne sont plus
liés à l’univers bâti dans les premières phrases, ce qui fait que la forme
choisie du conte, par exemple, n’est qu’un subterfuge du texte
automatique. Cela est dû entre autres à l’utilisation de l’automatisme pour
l’écriture des historiettes de Poisson soluble. Cependant, ce basculement
du récit au poétique, ou vice versa, se présente dans Le surréalisme et la
peinture, où la critique devient de la prose poétique à plusieurs reprises
105 André Breton, Poisson soluble, Paris, Gallimard, 1996, p. 131. 106 Ibid., p. 53. 107 Laurent Jenny, « La surréalité et ses signes narratifs », dans Poétique, Paris, vol. 16, 1973, p. 511.
59
lorsque Breton décrit les œuvres des peintres. Le changement de niveau de
discours – la perversion des formes, comme le nomme Jenny – à l’intérieur
même des textes de Breton devient alors une chose courante, où tous ses
écrits sont hybrides et se transforment : la critique devient poésie, la
narration devient prose poétique, etc. Dans Poisson soluble, les poèmes en
prose sont souvent ancrés dans un réel où le récit des objets du quotidien
et des personnages prend des tournures parfois inquiétantes, parfois
comiques, mais surtout inattendues. De plus, les poèmes brossent souvent
un portrait de différentes scènes, différentes histoires qui n’ont en
commun que l’étrangeté poétique vers laquelle ils basculent tous tôt ou
tard. Cela fait que les poèmes sont construits au moyen d’images fortes,
évocatrices et surréalistes de la même manière que dans Le surréalisme et
la peinture, où Breton fait basculer le sujet du tableau vers un autre point
de vue de l’œuvre du peintre, et dans la plupart des cas, son interprétation
personnelle. Les poèmes permettent de voir autrement un évènement
banal, de basculer dans l’imaginaire surréaliste. Les quelques points en
commun entre Poisson soluble et Le surréalisme et la peinture permettent
alors de comprendre les similitudes du fonctionnement de la prose
poétique dans les textes sur l’art de Breton. Les images surréalistes, qui
sont présentes dans les historiettes de Poisson soluble et qui font basculer
le récit dans le surréalisme, se retrouvent aussi dans Le surréalisme et la
peinture, où, cette fois-ci, c’est le tableau qui est un point de départ vers
un tel basculement vers le poétique.
Le critique en tant qu’artiste
Les réflexions de Breton sur l’art et la critique ne sont toutefois pas
uniques dans le milieu intellectuel européen du vingtième siècle. Bien
d’autres auteurs ont écrit sur l’art avant lui, et plusieurs se sont d’ailleurs
intéressés à la critique d’art et son rôle dans le milieu littéraire. L’un d’eux
est Oscar Wilde (1854-1900). Son essai The Critic as Artist, publié en 1890,
60
fait état des réflexions de deux personnages fictifs, Gilbert et Ernest, qui,
pendant leur discussion, abordent des sujets tels que l’art, la littérature et
surtout, la critique. Les deux personnages discutent de la littérature et en
viennent à parler des fonctions de la critique et de son rôle. Le personnage
de Gilbert – qui semble être l’alter ego de Wilde – est celui qui explique sa
vision de la critique à Ernest et qui se bute aux hésitations et aux
réfutations de Ernest.
Les personnages commencent leur discussion en parlant de la
littérature, en passant par Shakespeare et Browning jusqu’aux Grecs.
Ceux-ci sont, selon Gilbert, un peuple de critiques, car ils ont inventé la
critique d’art. Wilde spécifie alors que la création même est liée à la
critique : « Without the critical faculty, there is no artistic creation at all,
worthy the name108 ». Wilde met ici l’accent sur la conscience de l’artiste,
sur sa volonté de créer une œuvre : « the work that seems to us to be the
most natural and simple product of its time is always the result of the
most self-conscious effort. […] there is no fine art without self-
consciousness, and self-consciousness and the critical spirit are one109 ».
L’artiste est doté d’un sens critique qui lui fait prendre conscience de la
valeur de l’œuvre qu’il crée.
Ensuite, la discussion des personnages dévie sur la critique d’art,
qui serait, selon Wilde, elle-même un art. Cet élément demeure central
dans tout le texte. Gilbert explique : « Criticism is itself an art. And just as
artistic creation implies the working of the critical faculty, and, indeed,
without it cannot be said to exist at all, so Criticism is really creative in the
highest sense of the word. Criticism is, in fact, both creative and
108 Oscar Wilde, The Artist as Critic. Critical Writings of Oscar Wilde, Chicago, The University of Chicago Press, 1968, p. 355. 109 Ibid., p. 356.
61
independant110 ». Cette observation sur l’indépendance de la critique d’art
par rapport à l’œuvre d’art dont elle est le sujet permet à Wilde de toucher
le point central de The Critic as Artist : « The highest Criticism, then, is
more creative than creation […] To the critic the work of art is simply a
suggestion for a new work of his own, that need not necessarily bear any
obvious resemblance to the thing it criticises111 ». Cette affirmation permet
de voir que Wilde ne considérait pas seulement la critique comme un
moyen d’interpréter des œuvres. La critique s’éloignait nécessairement de
l’œuvre de départ et qui faisait de la critique une nouvelle œuvre à part
entière, indépendante du sujet qu’elle abordait. Wilde réclame
l’indépendance de la critique par rapport à l’œuvre d’art, car la critique est
une création :
Ainsi, la critique complète et dépasse son objet d’inspiration, y découvrant une force symbolique ignorée par l’œuvre d’art elle-même. L’écrit critique réclame donc son indépendance, il exige une autonomie par rapport à l’image picturale qui l’a inspiré, et doit acquérir l’autonomie de l’art112.
Le critique peut interpréter une œuvre pour le lecteur, fournir une piste de
compréhension de l’œuvre et la présenter sous un jour nouveau, proposer
une nouvelle lecture modernisée de l’œuvre, par exemple. Oscar Wilde
affirme d’ailleurs l’utilité de la critique pour le développement de la pensée
intellectuelle d’une époque : « It is Criticism […] that creates the
intellectual atmosphere of the age. It is Criticism […] that makes the mind
a fine instrument. […] It is Criticism, again, that, by concentration, makes
culture possible113 ». Wilde accorde une grande importance à la critique
d’art et il donne un rôle majeur à la poésie. Il hiérarchise ainsi les arts,
comme l’écrit Symington : « Dans la hiérarchie des arts, l’art poétique se
trouve au sommet, dans la mesure où il réalise la meilleure synthèse des
110 Ibid., p. 364. 111 Ibid., p. 369. 112 Micéala Symington, « Poétique de la critique picturale symboliste », dans MLN, vol. 114, n° 5, Comparative Literature Issue (Dec. 1999), p. 1110. 113 Oscar Wilde, op. cit., p. 403.
62
arts114 ». Cette dernière affirmation de Wilde ne se trouve pas dans The
Critic as Artist mais dans sa correspondance avec Whistler. Il est
intéressant de constater que Wilde, à plusieurs reprises dans ce texte,
montre l’importance des autres arts pour parler de l’art en général, de faire
une synthèse des arts – ce qui est un point commun à de nombreux
symbolistes de l’époque, comme par exemple Mallarmé. Dans The Critic as
Artist, Wilde va placer, comme les symbolistes, la musique au-dessus de
tous les autres arts : « This is the reason why music is the perfect type of
art. Music can never reveal its ultimate secret115 », une chose que Breton
rejette dès le début de Le surréalisme et la peinture. Cependant, Wilde
ajoute à la fin de la première partie de The Critic as Artist :
so the critic reproduces the work that he criticises in a mode that is never imitative, and part of whose shows us in this way not merely the meaning but also the mystery of Beauty, and, by transforming each art into literature, solves once for all the problem of Art’s unity.
Wilde conclut en mettant l’accent sur l’importance de la littérature, qui est
le moyen par excellence pour comprendre la beauté des arts et leurs
significations. De ce fait, la critique, selon lui, domine les autres arts. Cette
importance de la critique permet de mettre en valeur son autonomie par
rapport à l’œuvre dont il est question, puisqu’elle se détache de l’œuvre
pour créer une œuvre à part entière mais aussi du sens seul, sans
nécessiter la présence de l’œuvre.
Il faut noter que l’autonomisation de la critique d’art était d’ailleurs
un aspect important de la critique d’art symboliste, où les auteurs
publiant dans les nombreuses revues d’art d’avant-garde avaient des buts
semblables, souhaitaient faire reconnaître leurs écrits comme des œuvres
114 Micéala Symington, art. cit., p. 1112. 115 Oscar Wilde, op. cit., p. 370.
63
à part entière et voulaient montrer que la critique pouvait être
indépendante des tableaux évoqués :
Dans les écrits sur la critique d’art, les écrivains symbolistes s’intéressent autant à la valeur littéraire du discours lui-même, qu’à la position de l’auteur s’adonnant à cette activité. Ils tentent de légitimer leur production critique en l’élevant au niveau d’une forme littéraire et en considérant l’auteur comme un poète. […] Et si le critique professionnel joue un rôle de second plan lorsqu’on le compare à l’artiste – sa tâche consiste à faire connaître des œuvres et non à en créer lui-même – le critique-poète se situe au même niveau que le peintre puisque son texte se donne à lire comme l’équivalent verbal de l’œuvre picturale. […] Le texte du critique est doublement créateur : d’abord en tant qu’interprétation subjective de l’œuvre d’art, puis en tant qu’œuvre littéraire autonome116.
La critique d’art, chez les symbolistes, demeurait près de la vision de
Wilde, c’est-à-dire qu’elle devient une œuvre d’art autonome du tableau,
sujet du texte. Il est évident que ce désir de faire de la critique un art
indépendant et la valorisation de sa littérarité par les écrivains font que
ces idées faisaient partie des préoccupations et des réflexions des artistes
et intellectuels dans l’Europe de la fin du XIXe siècle.
Suite à ces observations d’Oscar Wilde sur le rôle de la critique d’art,
nous pouvons constater que Breton s’inscrit dans une lignée de penseurs
et écrivains qui ont réfléchi à la fonction de la critique d’art pour en faire
une pratique artistique à part entière. Cette idée, qui était déjà présente
chez les symbolistes, continue de se développer plusieurs décennies plus
tard chez les surréalistes. L’influence que les symbolistes ont eue sur
Breton est bien présente, puisqu’il évoque à plusieurs reprises dans ses
œuvres son admiration pour des poètes comme Lautréamont et Mallarmé.
Cependant, l’influence de Wilde sur Breton n’est cependant pas certaine,
car bien qu’il connaissait l’auteur – Breton évoque son nom dans ses
116 Françoise Lucbert, Entre le voir et le dire, op. cit., p. 156-159.
64
lettres à Jacques Doucet en 1921 lorsqu’il lui conseille des ouvrages,
manuscrits et revues pour son projet de bibliothèque littéraire : « Cinq
numéros seulement ont paru, contenant […] de curieuses réclames, des
poèmes et des souvenirs sur Oscar Wilde. J’estime que cette cinquantaine
de pages mérite une place dans une bibliothèque […]117 », – mais nous ne
pouvons pas confirmer s’il a réellement lu The Critic as Artist ou d’autres
œuvres de Wilde. Néanmoins, cette vision de la critique d’art, considérée
comme une création à part entière, même si elle a été articulée par Wilde à
la fin du XIXe siècle, demeurait dans l’esprit de l’époque.
Finalement, Le surréalisme et la peinture demeure un texte sur l’art
où Breton lie critique, prose poétique et autres digressions. Même s’il
rejette les critères et les règles en art, il n’échappe pas à son rôle de
critique et détermine des façons de juger les œuvres qu’il regarde, que ce
soit en évoquant un modèle intérieur ou en se laissant guider par son
regard, son envie de découvrir sur quoi donne le tableau. Bien qu’il ne
décrive pas toujours les tableaux, il ne manque pas d’évoquer ses
impressions et les effets suscités par l’œuvre. Son texte glisse alors vers la
prose poétique, vers son interprétation personnelle. Cette tentative de
définir et de décrire le surréalisme en peinture sera un projet qui durera
plusieurs décennies pour Breton. Il tentera alors d’appliquer ses
observations sur la poésie et les récentes recherches surréalistes, en
particulier l’automatisme, à une peinture qui prend forme sous ses yeux.
117 André Breton, Lettres à Jacques Doucet. 1920-1926, Paris, Gallimard, 2016, p. 89. La revue dont il est question ici s’intitule Maintenant. Seulement cinq numéros ont paru entre 1912 et 1913.
65
Troisième chapitre Pour une esthétique du surréalisme et de la peinture
Breton a écrit des textes sur l’art pendant une longue période, allant
du début des années 1920 jusqu’à sa mort, en 1966. Ces textes
témoignent autant de l’évolution de la peinture surréaliste elle-même que
de l’évolution de la pensée esthétique de Breton lui-même. De l’une à
l’autre borne, le surréalisme quittera la sphère de l’avant-garde et
deviendra reconnu internationalement pendant les années 1940 – lors de
l’exil de Breton aux États-Unis, notamment, et au moment où les
expositions surréalistes se multiplieront et qu’il fera de nombreuses
conférences partout dans le monde. Malgré la distance temporelle qui les
sépare, ces textes demeurent toutefois constants sur certains points.
Plusieurs idées de Breton restent les mêmes, que ce soit avant l’écriture du
premier Manifeste du surréalisme ou au début de la décennie 1940. Il
propose, en 1940, un bilan sur les découvertes surréalistes. Cette étude
chronologique des différents textes sur l’art de Breton nous permettra de
constater quelles idées il a favorisé tout au long de sa réflexion esthétique
sur le surréalisme et malgré les changements qui sont survenus pendant
cette longue période. Nous pourrons voir comment et en quoi ces textes
demeurent malgré tout très proches de Le surréalisme et la peinture, que
nous considérons comme le texte central pour la définition de l’esthétique
de la peinture surréaliste.
La peinture surréaliste en 1923
Dès ses premiers textes sur l’art et la littérature, rassemblés
principalement dans Les pas perdus118, Breton écrit à propos de certains
peintres qui continueront de faire l’objet de ses textes futurs, comme Max
Ernst, Francis Picabia et Giorgio de Chirico. Breton garde ainsi une
118 Le recueil Les pas perdus a été publié en 1924 mais rassemble des textes rédigés et publiés dans diverses revues entre 1918 et 1923.
66
certaine constance dans le bassin des peintres dont il choisit d’admirer ou
de critiquer la production artistique. Il fait état de sa position sur les arts
visuels dans le texte « Distances », écrit en 1922, où, comme nous l’avons
mentionné dans le premier chapitre, Breton porte un jugement sévère à
l’égard des critiques d’art et du marché de l’art. Il déplore la spéculation
des œuvres d’art qui a cours à l’époque et la supposée malhonnêteté des
critiques, dont le travail n’est pas efficace :
Ce qui me fait craindre que la presque totalité de la production artistique contemporaine ne mérite pas l’attention croissante qu’on lui porte, c’est que depuis cinq ans elle a cessé de participer, pour ainsi dire, de cette inquiétude dont le seul tort était d’être devenue systématique. Des critiques qui tentent en vain de nous orienter sur cette mer d’huile, les uns, dont la manœuvre sournoise, tout en nous faisant entrevoir le pavillon de la Renaissance, est de nous entraîner au fond de l’abîme du temps, méconnaissent, et pour cause, la barbarie de vivre ; les autres, prostrés sur leur jeunesse, demandent à quelques survivants plus qu’ils ne peuvent maintenant donner. Tous, d’un commun accord, se dispensent de faire dans les œuvres nouvelles la part du feu, en sorte qu’il n’y a plus que le métier de peintre qui compte, que par la suite on trouve de jour en jour plus de non-valeurs pour l’exercer119.
Les acteurs du marché de l’art, les peintres, mais tout particulièrement les
critiques, auraient fait dans les dernières années peu d’œuvres et de
découvertes dignes d’intérêt. De plus, puisque les critiques sont, selon
Breton, influencés par des motifs financiers et qu’ils ont le regard tourné
vers le passé et non l’avenir de la peinture, ils ne joueraient plus leur rôle.
La peinture traverse ainsi une période de questionnements et même de
crise, sujet sur lequel il reviendra dans d’autres textes des Pas perdus.
Cette insatisfaction à l’égard de l’état de la peinture et du marché de l’art
de son époque va conduire Breton à définir plus précisément ses attentes
par rapport à l’art. Dans ce texte, il prône déjà un art qui ne doit pas avoir
pour fonction d’être beau : « Je persiste à croire qu’un tableau ou une
119 André Breton, « Distances [1922] », dans Les pas perdus, op. cit., p. 136-137.
67
sculpture ne se peut envisager que secondairement sous le rapport du
goût et ne se défend qu’autant qu’il ou qu’elle est susceptible de faire faire
un pas à notre connaissance abstraite proprement dite 120 ». Breton
considère en 1922 que les arts font face à une grave crise, car depuis la
Première Guerre mondiale (et, entre autres, le retour à l’ordre), les
critiques et les peintres auraient perdu de vue leurs objectifs avant-
gardistes, et que la peinture ne devrait pas exister que pour « le plaisir des
yeux121 ». Il mentionne aussi dans le texte « Idées d’un peintre », écrit en
1921, que « la forme pour la forme ne présente aucun intérêt122 ». Breton
établit dès lors une vision de ce que devrait être la peinture et signale déjà
qu’une crise existe dans le monde des arts visuels, que ceux-ci ne sont
plus aussi innovateurs qu’ils l’étaient avant la guerre, c’est-à-dire lorsque
le cubisme, le fauvisme et le futurisme dominaient le paysage culturel
parisien.
Ce même constat est présent dans son texte « Caractères de
l’évolution moderne et ce qui en participe », une conférence présentée à
Barcelone en novembre 1922. Breton retrace dans ce texte l’évolution des
arts visuels en nommant les principaux artistes dont les recherches
demeurent dignes d’intérêt, comme Picasso, Picabia, Man Ray, Ernst ;
bref, tous ceux dont il sera question quelques années plus tard dans Le
surréalisme et la peinture. Il est intéressant de voir à quel point la liste des
peintres que Breton admire a très peu changé pendant toute la décennie
1920 : excepté Picabia, dont Breton invalidera les propos et les recherches
dans Le surréalisme et la peinture, les autres artistes demeurent les
mêmes. Picasso restera, selon Breton, le précurseur par excellence des
recherches picturales qui ont mené à dada et au surréalisme. La figure de
Picasso comme emblème de l’art moderne est présente dans Le surréalisme
120 Ibid., p. 136. 121 Idem. 122 André Breton, « Idées d’un peintre [1921] », dans Les pas perdus, op. cit., p. 84.
68
et la peinture, autant que dans « Caractères de l’évolution moderne et ce
qui en participe ». Ce choix s’accompagne d’une critique plus virulente des
artistes le précédant, et plus particulièrement de Cézanne : « il serait
absurde de parler à leur propos de Cézanne dont, en ce qui me concerne,
je me moque absolument et dont, en dépit de ses panégyristes, j’ai
toujours jugé l’attitude humaine et l’ambition artistique imbéciles, presque
aussi imbéciles que le besoin, aujourd’hui, de le porter aux nues123 ».
Breton rejette l’importance accordée à Cézanne – alors qu’aujourd’hui, il
est d’ailleurs considéré comme une influence importante pour les cubistes
et la peinture moderne par de nombreux historiens de l’art124 – et refuse de
voir en lui une influence pour les peintres nommés précédemment dans ce
texte. Ce rejet de l’influence de Cézanne lui permet ensuite de mettre de
l’avant un autre enjeu essentiel qui distingue, selon lui, la peinture et la
poésie, c’est-à-dire le fait que la poésie aurait une longueur d’avance sur la
peinture dans ses recherches :
Tandis qu’en peinture on peut dire que ces six hommes vivants ne possèdent aucun antécédent […] il est certain qu’en poésie on peut faire remonter assez loin la première manifestation de cet esprit qui nous occupe, le point de départ de cette évolution dont nous commençons à apercevoir les grands caractères125.
Ce constat s’explique notamment parce que Breton situe les premières
recherches et influences de ce qui deviendra la poésie surréaliste chez
Lautréamont et les Chants de Maldoror, en 1870, alors qu’en peinture, tout
débute autour de 1908 avec les recherches cubistes de Picasso et Braque,
ce qui peut expliquer qu’il existe un écart de plus de trente ans entre les
propositions poétiques nouvelles et celles de la peinture. Cette distinction
entre l’évolution de la peinture et de la poésie pourrait expliquer les
123 André Breton, « Caractères de l’évolution moderne et ce qui en participe [1922] », dans Les pas perdus, op. cit., p.154. 124 Cette idée est mise de l’avant dans de nombreux ouvrages généraux d’histoire de l’art, et le fait que Cézanne était un précurseur même du cubisme est mentionnée notamment par Mark Antliff et Patricia Leighten dans l’ouvrage Cubisme et culture, Thames & Hudson, Paris, 2002, 224 p. 125 Idem.
69
raisons pour lesquelles Breton a mis plus de temps à théoriser la peinture
surréaliste, contrairement à la poésie qui, bien qu’elle ne portait pas
encore ce nom en 1922, était en cours de formation dans le groupe de
poètes de Breton, puisqu’il y avait déjà eu les premières explorations de
l’écriture automatique. Bref, il reste que les observations de Breton sur les
arts visuels avant l’écriture du premier Manifeste font état de plusieurs
idées qui formeront la trame de ses écrits futurs, et qu’il a su repérer des
artistes qui feront partie de la peinture surréaliste, ce qui fait de lui un
visionnaire des changements picturaux. Il est doté d’un œil
particulièrement averti quant aux tendances et aux artistes qui resteront
dans l’histoire de l’art.
L’automatisme
Pour comprendre l’évolution du discours sur les arts visuels de
Breton, il faut d’abord mettre en lumière l’apparente contradiction qu’il
existe dans la définition même de l’automatisme. En effet, celui-ci, chez
Breton, semble porter en lui-même deux significations différentes pendant
les années où il écrit sur les arts visuels. Nous concentrerons d’abord
notre attention sur la première signification de l’automatisme établie par
Breton, qui est directement liée à l’écriture automatique et à la poésie. Il
faut donc revenir à la définition du surréalisme tel que présenté dans le
Manifeste pour comprendre l’ambigüité qui existera plus tard pour
expliquer l’automatisme dans les arts visuels. Dans le premier Manifeste
du surréalisme, Breton explique principalement la découverte de l’écriture
automatique, la méthode employée par Soupault et lui-même pour
l’écriture, entre autres, des Champs magnétiques et autres explorations
poétiques126. Il explique comment il voit le développement de cette nouvelle
façon d’écrire dans l’avenir de la poésie moderne. De ces explications
découlent la définition du surréalisme. Il écrit à ce sujet : 126 Nous pouvons penser notamment au texte L’entrée des médiums [1922] dans Les pas perdus.
70
Surréalisme, n. m. Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale127.
Dans cet extrait célèbre, Breton se concentre principalement sur une
définition qui s’applique à l’écriture automatique, la piste qui a été le plus
expérimentée par lui-même et dans son cercle de poètes (Aragon, Éluard,
Desnos). Cette définition prend une place centrale dans la production
d’œuvres littéraires surréalistes des années 1920. Certes, Breton
mentionne que cet automatisme psychique peut être exprimé de « toute
autre manière », toutefois, le point central de sa définition – et du
manifeste – vise d’abord la poésie. Il écrit plus loin dans le Manifeste que
« les moyens surréalistes demanderaient, d’ailleurs, à être étendus128 ».
Breton laisse ensuite sous-entendre qu’il ouvre les possibilités à différentes
explorations surréalistes, et mentionne d’ailleurs les papiers collés
cubistes de Picasso et Braque comme faisant partie des possibilités
surréalistes, en ajoutant « [qu’]il est même permis d’intituler POÈME ce
qu’on obtient par l’assemblage aussi gratuit que possible […] de titres et de
fragments de titres découpés dans les journaux129 ». Breton accorde une
importance aux papiers collés, qui sont pour lui un point de départ
important pour des explorations plastiques et poétiques du surréalisme,
étant donné le hasard qui demeure tout de même présent dans le collage
de différentes éléments – les cubistes assemblaient des découpures de
journaux sur une toile, parfois accompagnées de peinture, de gouache, et
même de cartes à jouer. Breton voit ainsi le collage comme un moyen de
création surréaliste, puisqu’il permet d’incorporer des éléments incongrus
sur une toile. Quelques années plus tard, dans Le surréalisme et la
peinture, il vantera les mérites d’Ernst, dont la production est à ce
127 André Breton, Manifestes du surréalisme, op. cit., p. 36. 128 Ibid., p. 53. 129 Idem.
71
moment-là constituée entre autres de collages. À la suite de ce bref
passage sur les papiers collés dans le Manifeste, Breton conclut : « Je me
hâte d’ajouter que les futures techniques surréalistes ne m’intéressent
pas130 ». Breton, après avoir donné un exemple d’une technique plastique
découlant du hasard, rejette alors les autres moyens surréalistes et
réaffirme, par le fait même, l’importance centrale qu’il accorde à
l’automatisme en poésie avant tout. Cette définition du surréalisme montre
comment Breton envisage l’automatisme en poésie, c’est-à-dire comme un
état d’esprit nécessaire au poète pour créer, une disposition de son esprit
qui atteint un état entre la veille et le rêve. L’automatisme de la poésie
découle de cette disposition, où l’esprit du poète ne se censure pas.
Par contre, ce passage précis sur les papiers collés et les techniques
surréalistes, bien que Breton semble ne pas s’en préoccuper ni même s’y
intéresser dans le Manifeste, ouvre la porte à la deuxième signification de
l’automatisme, signification qui prendra une plus grande place dans les
écrits sur l’art plus tardifs de Breton. Bien que Breton ne redéfinisse pas
l’automatisme et le surréalisme comme il l’a fait dans le Manifeste, nous
pouvons remarquer dans ces textes sur l’art un changement dans sa
manière d’aborder l’automatisme en peinture à partir de 1935 jusqu’au
début des années 1940. Nous définissons ainsi un autre sens à
l’automatisme, qui laisse entendre que celui-ci est une technique
surréaliste : il ne s’agit plus seulement d’un état d’esprit, une disposition
de création dans lequel l’artiste est plongé, mais son geste même est
automatique. L’œuvre de l’artiste découlera donc alors d’une technique
automatique, et même du hasard (comme la décalcomanie).
Cette ambigüité entre les deux significations de l’automatisme dans
les textes sur l’art de Breton semble provenir de la définition présente dans
130 Ibid., p. 57.
72
le premier Manifeste, comme l’explique Adamowicz : « c’est bien la
définition restrictive du surréalisme en tant qu’ “ automatisme psychique ”
élaborée dans le premier Manifeste qui rendait difficile l’annexion par le
surréalisme d’une forme d’expression médiatisée telle que la peinture
[…]131 ». En établissant une définition fixe du surréalisme, Breton semble,
du moins dans les années 1920, avoir de la difficulté à inclure la peinture
après coup, après la publication du Manifeste. Cette idée est aussi
mentionnée par d’autres chercheurs, notamment José Pierre, qui explique
que l’automatisme posera plus tard certains problèmes dans la définition
d’un mouvement pictural surréaliste :
Il n’est donc pas possible, dans ces années de constitution manifeste du Surréalisme, de considérer l’automatisme comme le dénominateur commun des activités plastiques où le Surréalisme se sent impliqué. C’est d’ailleurs ce qui fait le prix de ces activités plastiques puisqu’elles se trouvent confrontées à des problèmes plus complexes, semble-t-il, que les activités poétiques proprement dites : peut-être en cela annoncent-elles l’extension future des investigations surréalistes. Il faudra en tout cas que Breton élabore la notion de modèle intérieur pour rendre compte de la complexité picturale surréaliste132.
Dans ce passage, l’auteur relève une difficulté majeure que Breton a au
moment de définir la peinture surréaliste, car, puisque l’automatisme
était, à la base, un procédé d’écriture, il devenait plus ardu de l’appliquer à
la peinture, ou du moins au début de sa réflexion sur la peinture. Cette
difficulté à établir les paramètres de création d’un automatisme pictural se
voit en particulier dans Le surréalisme et la peinture, où Breton écrit très
peu sur l’automatisme pictural et s’attarde plutôt à d’autres critères,
comme l’imagination des artistes. Dans le seul passage où il est question
d’automatisme, Breton écrit à propos de Miró :
[…] il n’y a peut-être en Joan Miró qu’un désir, celui de s’abandonner pour peindre, et seulement pour peindre […], à ce pur automatisme auquel je n’ai, pour ma part, jamais cessé de
131 Elza Adamowicz, op. cit., p. 22. 132 José Pierre, André Breton et la peinture, op. cit., p. 82.
73
faire appel, mais dont je crains que Miró par lui-même ait très sommairement vérifié la valeur, la raison profondes. C’est peut-être, il est vrai, par là, qu’il peut passer pour le plus “ surréaliste ” de nous tous. (SP-61)
André Breton mentionne ici une forme d’abandon présente chez Miró, qui
ne réfléchit pas à ce qu’il peint et ne fait qu’exécuter le mouvement. Il
deviendrait par là le plus surréaliste de tous les peintres, car il y a chez lui
un état d’esprit semblable à celui qui était requis par les surréalistes pour
écrire, c’est-à-dire qu’il faut vider son esprit, se plonger dans un état de
quasi sommeil et écrire tout ce qui leur passait par la tête. Ce passage
montre donc que dans Le surréalisme et la peinture, Breton ouvre la porte à
la pratique de l’automatisme en peinture, bien avant que Dali n’écrive sur
sa méthode paranoïaque-critique quelques années plus tard 133 . Cette
ouverture diverge de sa position préalable dans le Manifeste, où il semblait
un peu plus désintéressé des moyens surréalistes autres que la poésie.
Nous pouvons voir que bien que Breton ne spécifie pas dans ses
textes l’existence de ces deux significations de l’automatisme, il existe bel
et bien un changement dans sa manière d’écrire sur l’automatisme entre
1924 et 1941. Cela cause certaines difficultés pour bien définir
l’automatisme et le surréalisme, mais la définition de l’automatisme
semble bel et bien évoluer pendant les vingt ans où Breton écrit sur l’art.
Ce survol de la définition et de l’utilisation de l’automatisme dans le
Manifeste et Le surréalisme et la peinture permettra de comprendre de
quelle manière Breton précise peu à peu sa définition de l’automatisme. Ce
changement lui permet d’incorporer dans ses textes des nouvelles
recherches surréalistes en peinture au cours des années suivantes.
133 La première exposition solo de Dali à Paris a eu lieu en 1929.
74
La peinture surréaliste en 1941
Dès le milieu des années 1930 et en 1941, Breton va peu à peu
changer le discours qu’il tenait sur l’automatisme et les arts visuels et
accepter l’existence de techniques picturales automatiques. Ce
changement se manifeste clairement dans son texte « Des tendances les
plus récentes de la peinture surréaliste », publié en 1939, où il écrit : « […]
c’est seulement quinze ans après le Manifeste du surréalisme concluant à
la nécessité de sa mise en œuvre passionnée que l’automatisme absolu fait
son apparition sur le plan plastique134 ». Breton fait un constat qu’il n’a
encore jamais fait dans ce texte : alors que pendant les années 1920, il
était réticent à nommer l’automatisme comme une technique faisant partie
des arts visuels et qu’il rejetait même cette possibilité, il n’hésite pas au
début de son texte à nommer l’automatisme comme étant absolu en
peinture et comme une technique réellement utilisée par les artistes.
Dans « Genèse et perspective artistiques du surréalisme », écrit en
1941, Breton fait état des origines et des avancements de la peinture
surréaliste et propose un bilan des arts plastiques surréalistes. Ce texte,
qui reproduit de nombreuses œuvres surréalistes (tout comme dans Le
surréalisme et la peinture), convoque des nouvelles techniques de création
surréalistes ainsi que plusieurs nouveaux peintres qui n’étaient pas
mentionnés dans les textes des années 1920, comme Dali, Magritte et
Matta. Dans ce texte, plus près d’un bilan sur l’art que de la prose
poétique, Breton revient sur certaines idées formulées dans Le surréalisme
et la peinture, comme le conflit des artistes entre le modèle intérieur et
extérieur, où auparavant, au début du XXe siècle, « l’artiste restait
prisonnier de la perception externe et n’envisageait aucun moyen
134 André Breton, « Des tendances les plus récentes de la peinture surréaliste [1939] », dans Le surréalisme et la peinture, op. cit., p. 191.
75
d’évasion135 ». Il situe, encore une fois, le début de l’histoire de la peinture
surréaliste au début du vingtième siècle, avec comme point de départ le
malentendu entre le modèle extérieur et intérieur. Pour illustrer son
propos, Breton utilise une image à laquelle il a déjà eu recours dans Le
surréalisme et la peinture, soit celle d’Alice au pays des merveilles. Alors
qu’il écrivait en 1928 que, grâce à l’œuvre L’homme à la clarinette de
Picasso, « chacun est en mesure d’accompagner une toujours plus belle
Alice au pays des merveilles » (SP-17), il écrit, en 1941 : « L’art d’imitation,
dont l’ambition était de fixer les aspects du monde extérieur, ne pouvait
manquer de succomber à ces attaques. Au bout de ce chemin semé
d’embûches réelles ou non il y a la traversée du miroir par Alice136 ». Breton
établit en 1941 que le défi qui s’imposait pendant les années 1920 a été
relevé, et que le passage au-delà d’un modèle extérieur et de la
reproduction du réel a été fait, et le miroir a maintenant été traversé. Les
artistes créent depuis lors à partir du modèle intérieur appelé par Breton
dans Le surréalisme et la peinture, ils sont donc passés d’un référent
extérieur à un référent intérieur – soit leur imagination – ils sont de l’autre
côté du miroir, dans un autre monde où plusieurs possibilités s’offrent à
eux. Les remises en question du début du XXe siècle ont, selon Breton, eu
raison du modèle extérieur. Breton récapitule l’histoire de l’art depuis le
début du siècle et regrette que les avant-gardes artistiques d’avant guerre,
dont le cubisme, le futurisme, se soient toujours référées à un modèle
extérieur malgré la nouveauté de leurs propositions. Puis est venu dada, et
enfin le surréalisme. Breton aborde alors les techniques surréalistes
utilisées pour créer dans le domaine des arts visuels : « Le surréalisme a
d’emblée trouvé son compte dans les collages de 1920, dans lesquels se
traduit une proposition d’organisation visuelle absolument vierge, mais
correspondant à ce qui a été voulu en poésie par Lautréamont et
135 André Breton, « Genèse et perspective artistiques du surréalisme [1941]», dans Le surréalisme et la peinture, op. cit., p. 75. 136 Ibid., p. 76.
76
Rimbaud137 ». Breton semble maintenir ici, tout comme dans « Caractères
de l’évolution moderne et ce qui en participe », une distinction entre la
poésie et la peinture, dont les découvertes avant-gardistes ne se sont pas
produites au même moment : chez Lautréamont et Rimbaud, en poésie,
ces changements se sont faits d’abord par un abandon des règles de
versification et l’utilisation du vers libre. Ces changements ont eu lieu à la
fin du XIXe siècle, et coïncident avec l’apparition du symbolisme et d’autres
mouvements poétiques avant-gardistes, tandis que la peinture symboliste,
à la même époque, demeure malgré tout figurative. Alors que la poésie
s’affranchit des règles formelles, la peinture devient elle aussi moins
académique, plus expressionniste, mais demeure très liée au modèle
extérieur, au réel. Selon Breton, ce « retard » de la peinture sur la poésie
pourrait s’expliquer par les moyens utilisés et les outils nécessaires à la
création – par exemple, le peintre est soumis au marché de l’art,
contrairement au poète, une distinction que Breton avait déjà faite dans
« Distances ». Cette distinction entre l’avant-garde poétique et picturale
expliquerait non seulement son hésitation à caractériser la peinture
surréaliste comme automatique, mais montrerait aussi les raisons pour
lesquelles le surréalisme a d’abord été un mouvement poétique plutôt que
plastique.
Par la suite, dans ce texte, Breton écrit à propos de l’automatisme,
qu’il considère désormais présent dans la peinture :
André Masson tout au début de sa route rencontre l’automatisme. La main du peintre s’aile véritablement avec lui : elle n’est plus celle qui calque les formes des objets mais bien celle qui, éprise de son mouvement propre et de lui seul, décrit les figures involontaires dans lesquelles l’expérience montre que ces formes sont appelées à se réincorporer138.
137 Ibid., p. 91. 138 Ibid., p. 91-92.
77
Tout comme l’esprit du poète guide l’écriture automatique, c’est ici la main
du peintre qui permet à l’artiste de pratiquer l’automatisme. Le tableau
reproduit à côté de cet extrait du texte est Le labyrinthe de Masson (1938),
une œuvre où il est possible de distinguer le pourtour de la figure du
minotaure mais dont l’intérieur demeure un dédale de traits près de
l’abstraction. Cette technique peut aussi rappeler ce que Dali appelait
l’activité paranoïaque-critique (où l’artiste se plongeait dans un état de
demi sommeil). Breton précise que ce peintre « depuis 1936 n’intéresse […]
plus en rien le surréalisme139 », car il considère son œuvre devenue trop
académique et plus assez innovatrice. C’est ce qui fait qu’elle n’a plus de
lien avec le surréalisme, bien qu’au départ certaines de ses explorations
semblaient dignes d’intérêt.
Breton admet donc, au début des années 1940, l’existence de
l’automatisme dans les arts visuels et montre, avec l’exemple de Masson,
comment ce procédé existe en peinture. Breton accorde aussi une grande
importance à l’automatisme dans l’histoire même du surréalisme et son
évolution. Il écrit ceci : « L’automatisme, hérité des médiums, sera demeuré
dans le surréalisme une des deux grandes directions140 ». La deuxième voie
du surréalisme est « la fixation dite “ en trompe l’œil ” […] des images du
rêve141 », que Breton considère comme une voie moins sûre et moins
efficace. Il n’explicite cependant pas cette deuxième voie et ne donne pas
d’exemple concret d’œuvres issues de cette méthode de création. Breton
fait donc de l’automatisme le point central de toute sa réflexion esthétique
sur le surréalisme dans « Genèse et perspective artistiques du
surréalisme » et il en montre l’importance dans le développement des
œuvres surréalistes futures. Il écrit : « La grande circulation physico-
139 Ibid., p. 102. 140 Ibid., p. 94. 141 Ibid., p. 97.
78
mentale dans le surréalisme continue à s’opérer par l’automatisme142 ».
Breton vante ensuite, dans ce texte, les nouveaux talents en peinture, qui
permettront de continuer les explorations surréalistes et de pousser plus
loin l’héritage de Masson. Chez des peintres tels que Matta, Dominguez,
Delvaux et Bellmer, la main du peintre serait guidée par son inconscient,
de la même manière que la main du poète qui se livre à l’automatisme.
L’une des pistes de l’automatisme en peinture se trouverait dans la
technique de la décalcomanie du peintre espagnol Oscar Dominguez.
Breton écrit pour la première fois sur cette technique en 1936 dans un
court texte intitulé « Oscar Dominguez. D’une décalcomanie sans objet
préconçu (Décalcomanie du désir) ». Il y décrit de quelle façon elle se
pratique :
Étendez au moyen d’un large pinceau de la gouache noire, plus ou moins diluée par places, sur une feuille de papier blanc satiné que vous recouvrez aussitôt d’une feuille semblable sur laquelle vous exercez du revers de la main une pression moyenne. Soulevez sans hâte par son bord supérieur cette seconde feuille à la manière dont on procède pour la décalcomanie, quitte à la réappliquer et à la soulever de nouveau jusqu’à séchage à peu près complet. […] Qu’il vous suffise […] d’intituler l’image obtenue en fonction de ce que vous découvrez avec quelque recul pour être sûr de vous être exprimé de la manière la plus personnelle et la plus valable143.
Cette découverte « porte sur la méthode à suivre pour obtenir des champs
d’interprétation idéaux144 ». Elle s’inscrit à la suite des explorations de
Masson et de Dali, et même des collages d’Ernst du début des années
1920. Ici, comme l’œuvre dépend du hasard de la gouache qui s’étend sur
les feuilles de papier, la décalcomanie s’impose comme un mode de
création automatique, et ne dépend plus d’un état de rêve dans lequel le
142 Ibid., p. 109. 143 André Breton, « Oscar Dominguez. D’une décalcomanie sans objet préconçu (Décalcomanie du désir) [1936] », dans Le surréalisme et la peinture, op. cit., p. 171. 144 Ibid., p. 170.
79
poète ou le peintre doit se plonger, comme Breton écrivait lorsqu’il était
question de Masson. L’œuvre, alors le fruit du hasard est, par le fait
même, automatique.
Au cours des années 1930 et jusqu’au début des années 1940,
Breton montre, dans ses différents textes sur l’art, l’évolution des
techniques automatiques en arts visuels, ce qui explique d’ailleurs son
changement d’opinion devant la possibilité d’un automatisme en peinture.
Il formule ensuite ses espoirs en de nouveaux peintres qu’il découvre et
dont les œuvres semblent faire preuve d’automatisme et de sujets avant-
gardistes. Breton montre également les mérites de la peinture surréaliste
en établissant son histoire et sa chronologie, pour dessiner l’évolution et
les perspectives futures du mouvement. Même s’il ne distingue pas
clairement un « style » surréaliste – l’une des difficultés que rencontre le
mouvement dans sa réception critique – il présente un ensemble d’œuvres
et de peintres, leurs techniques et inspirations. Ce texte se donne à lire
comme un bilan des avancées de la peinture surréaliste au tournant des
années 1940, au moment où Breton s’exile aux États-Unis pendant la
Deuxième Guerre mondiale et qu’il découvre des peintres faisant partie
d’une nouvelle génération de surréalistes.
Le surréalisme et la peinture : un manifeste de la peinture?
À la suite de ces observations sur les différents textes sur l’art de
Breton, écrits sur une période d’environ quinze ans (1923-1941), il est
possible de remarquer que les principes défendus demeurent,
étonnamment, assez semblables, ce qui montre une certaine constance
dans sa vision d’un art surréaliste. Bien que certains peintres changent de
statut ou qu’ils apparaissent dans le paysage artistique de l’époque, la
majorité de ceux dont il est question demeure les mêmes, et Breton base
son histoire de l’art surréaliste sur les mêmes figures emblématiques,
80
comme Picasso. Un autre aspect qui demeure constant, surtout pendant
les années 1920, est la critique du marché de l’art et des autres critiques.
De plus, les questions soulevées par rapport à l’esthétique et la peinture,
c’est-à-dire les questionnements sur l’automatisme, le modèle intérieur et
l’imagination, sont récurrents dans ses textes. Cette stabilité dans les
idées de Breton montre à quel point sa vision de la peinture surréaliste
reste la même pendant toutes ces années et comment le projet surréaliste
demeure une entreprise, une recherche constante malgré les changements
internes qui ont eu lieu (rejet de certains membres, engagements
politiques du surréalisme). Ces évènements n’affectent pas la vision
d’ensemble de Breton en ce qui concerne les arts visuels. Le principal
changement serait son avis à propos de l’automatisme en peinture, car au
fil des ans, il ouvre la porte de plus en plus à la possibilité de l’application
des procédés automatiques de la poésie à la peinture. Cette nouvelle
position rend possible l’exploration de nouvelles techniques plastiques et
l’inclusion de nouveaux peintres dans le mouvement surréaliste.
Bien que certaines hésitations restent présentes dans les définitions,
les limites de la peinture et de l’automatisme pendant les années 1920, la
plupart des idées mentionnées dans Le surréalisme et la peinture
demeurent cohérentes et constantes dans les autres textes sur l’art de
Breton, – ce qui n’est pas toujours le cas dans tout le surréalisme, il suffit
de penser au Deuxième Manifeste. Ce texte est d’ailleurs le plus complet et
le plus détaillé sur le rôle de la peinture dans le surréalisme. Les
propositions qu’il fait sur la peinture restent les plus audacieuses, malgré
la relative nouveauté de la production picturale surréaliste. Il n’y a donc
pas de raison de croire que la nouveauté de la pratique de la peinture
surréaliste soit un frein à l’affirmation suivante : Le surréalisme et la
peinture serait en quelque sorte le manifeste de la peinture surréaliste, et
par le fait même, un texte central pour l’histoire de la peinture surréaliste.
81
Breton fait, dans ce texte, un bilan de la peinture entre 1925 et 1928 et
aborde plusieurs problèmes qui ont été évoqués, notamment dans Les pas
perdus. C’est dans Le surréalisme et la peinture que Breton fait des
déclarations qui resteront centrales dans la formation de la peinture
surréaliste : il établit entre autres les balises de la peinture surréaliste en
évoquant d’abord le malentendu concernant l’imitation du réel dans
l’histoire de la peinture ; bien qu’il ne soit pas le premier à parler d’un
modèle de création non centré sur la reproduction du réel, il fait de cette
affirmation (le rejet du réel au profit de l’imagination) l’un des grands axes
de la création picturale surréaliste. Breton impose enfin les futurs grands
noms du mouvement surréaliste dans Le surréalisme et la peinture.
Nous avons montré dans le chapitre précédent que Le surréalisme et
la peinture est un texte qui allie à la fois la critique et la prose poétique.
Cette hybridité même du texte conduit alors certains chercheurs à penser
qu’il est possible que Le surréalisme et la peinture soit en quelque sorte un
manifeste de la peinture surréaliste, comme Adélaïde Russo, qui écrit :
« […] Le surréalisme et la peinture relève à la fois du traité esthétique, du
catalogue d’exposition, d’un exercice de définition – un manifeste […]145 ».
Ce passage demeure pertinent pour comprendre que par moments, le texte
se veut plus revendicateur d’une esthétique de la peinture et, de ce fait,
pourrait confirmer notre affirmation que Le surréalisme et la peinture est
un texte majeur sur la peinture surréaliste.
Une proposition semblable concernant la dénomination de ce texte a
déjà été faite par José Pierre, mais il y renonce :
Nous avions constaté précédemment que ce qui empêchait Le surréalisme et la peinture d’être véritablement le Manifeste de la peinture surréaliste, c’était l’incertitude de sa relation avec
145 Adélaïde Russo, « André Breton et les dispositifs du jugement : spéculaire, spéculatif » dans op. cit., p. 169-170.
82
l’automatisme, vraisemblablement parce qu’à l’époque de sa rédaction (1925-1927) l’activité proprement automatique des peintres surréalistes était de trop fraîche date pour autoriser des conclusions (on ne répètera jamais trop que le Manifeste de 1924 s’appuyait sur cinq années de pratique de l’écriture automatique)146.
Dans ce passage, la principale raison du refus de José Pierre de considérer
Le surréalisme et la peinture comme un manifeste est qu’il s’agit d’un texte
trop hâtif au sujet d’une peinture encore précoce, en cours de formation.
Cependant, il ne faut pas oublier que le texte ne s’intitule pas La peinture
surréaliste mais Le surréalisme et la peinture. Il existe par là une intention
chez Breton de créer d’abord des liens entre la production picturale de son
époque et le surréalisme, un mouvement qui a officiellement moins d’un
an d’existence au moment où il commence la rédaction de Le surréalisme
et la peinture. Selon José Pierre, l’écriture automatique demandait
plusieurs explorations en raison de la nouveauté de ce procédé. Cela été
fait entre 1919 et 1924, et a ultimement mené à l’écriture du premier
Manifeste, alors qu’une exploration semblable qui n’a pas été effectuée en
peinture.
Pourtant, il faut noter que la peinture surréaliste, quant à elle, ne
voit pas naître de nouvelles techniques – du moins ce n’est pas le cas
pendant les premières années. Les papiers collés et le collage, par exemple,
sont des techniques utilisées depuis plus de dix ans au moment de
l’écriture de Le surréalisme et la peinture. De plus, la peinture surréaliste
possède une particularité qui la distingue des autres avant-gardes, c’est
qu’elle ne se limite pas à une technique utilisée pour créer des œuvres,
mais, comme le relève Kim Grant, elle est constituée d’une multitude de
styles différents, ce qui a été un problème en soi dans sa réception
critique : « The issue of style will become one of the most complex
146 José Pierre, André Breton et la peinture, op. cit., p. 140.
83
problems within the Surrealist movement as well as in the critical
reception of Surrealist art147 ». La peinture surréaliste n’est pas définie par
un trait de pinceau ou une manière de représenter le monde ou les
émotions, mais elle se base sur un état d’esprit de création, du moins
pendant les années 1920. Cela a pour conséquence deux difficultés : celle,
pour les critiques, de reconnaître des œuvres surréalistes et le surréalisme
lui-même comme un mouvement d’avant-garde valide, et la difficulté, pour
Breton, de définir la peinture surréaliste en dehors des sujets et des
techniques utilisés. Cette difficulté que cause le style surréaliste s’explique
aussi par le fait qu’il est hétérogène et donc plus difficile à cerner. Alors
que d’autres mouvements picturaux avant-gardistes sont facilement
reconnaissables visuellement, par exemple, l’impressionnisme par ses
traits de pinceau et ses sujets ou le cubisme par sa multitude des points
de vue et sa palette de couleurs, le surréalisme ne se définit pas par des
techniques visuelles. Cela a pour conséquence que Breton se base plutôt
sur des critères non picturaux, comme le modèle intérieur et l’imagination
de l’artiste :
L’esthétique de Breton dans les années 1920 est tributaire non seulement du mimétisme du rêve, images oniriques soigneusement détaillées, mais avant tout de la poétique de l’image verbale élaborée dans le premier Manifeste […]. Il rejette ainsi la spécificité d’un mode d’expression pictural en définissant la peinture, tout comme l’écriture, comme choc, collision, rencontre d’éléments disparates148.
Cette affirmation, qui peut sembler contradictoire, reflète tout de même les
difficultés qu’a connues Breton dans sa définition même d’une peinture
surréaliste. Alors que pendant les années 1930, Breton accepte l’existence
de techniques automatiques dans les arts visuels, comme la décalcomanie,
dans les années 1920, l’attention est mise principalement sur l’imagination
des peintres et non sur leurs techniques, ce qui provoque alors un
147 Kim Grant, Surrealism and the visual arts, op. cit., p. 137. 148 Elza Adamowicz, op. cit., p. 43.
84
problème dans la réception des œuvres surréalistes, qui est un mouvement
artistique très hétérogène dans ses réalisations, contrairement à certains
mouvements d’avant-garde du début du XXe siècle.
Ces observations pourraient expliquer entre autres l’hésitation de
José Pierre à considérer Le surréalisme et la peinture comme le manifeste
sur la peinture surréaliste. La difficulté à définir ce qui distingue la
peinture surréaliste des autres écoles et mouvements et à la théoriser
pourrait faire que ce texte ne va pas assez loin, n’est pas assez affirmatif,
contrairement au premier Manifeste, où les avenues possibles de l’écriture
automatique étaient envisagées.
Même si certains chercheurs ne considèrent pas Le surréalisme et la
peinture comme un manifeste de la peinture – après tout, Breton lui non
plus ne le considère pas comme tel – nous pouvons tout de même montrer
comment le texte comporte des caractéristiques et des visées esthétiques
du manifeste. Il faut pour cela retourner en arrière et voir comment les
manifestes d’art se structurent autour d’un même objectif, et plus
précisément comment le Manifeste du surréalisme s’articule afin de dégager
quelques traits du manifeste d’art dans Le surréalisme et la peinture, pour
montrer qu’il s’agit du texte sur la peinture le plus revendicateur de
Breton.
Les manifestes d’art apparaissent au début du XXe siècle avec les
avant-gardes artistiques comme le futurisme et prennent de l’importance
pendant les années suivantes, avec d’autres mouvements d’avant-garde
comme dada. Avec l’apparition d’un tel genre, le manifeste permet, entre
autres, de changer les rapports entre les artistes et le public, mais est
aussi l’occasion pour les artistes de mettre de l’avant leur vision de l’art :
« le manifeste répond aussi à l’intention de l’artiste de s’expliquer en
85
expliquant à autrui la signification profonde de son art et la direction,
l’orientation qu’il lui imprime 149 ». Le manifeste demeure malgré tout
difficile à définir, car historiquement, il regroupe plusieurs types de textes,
autant politiques qu’esthétiques. Dans ce sens, le manifeste représente un
défi pour les chercheurs : « Il est vrai que l’analyse des manifestes s’avère
difficile : ils sont d’une part le carrefour des idées en effervescence du
temps, idées philosophiques, idées politiques et idées esthétiques, en
même temps qu’ils sont diffuseurs d’idées nouvelles, spécifiques des
mouvements qu’ils codifient 150 ». Le manifeste demeure un texte
rassemblant les différentes visées et messages que les artistes veulent faire
comprendre au public. De ce fait, bien que nous n’ayons pas une définition
stable du manifeste en tant que tel, nous pouvons malgré tout dégager les
étapes qui font partie du texte, qui sont les suivantes : « rejeter
radicalement le passé, claironner un avenir comme seul acceptable,
exposer / expliquer les rouages du nouveau système151 ». C’est notamment
ce que fait Breton dans le premier Manifeste du surréalisme, qui peut se
diviser en plusieurs parties :
L’œuvre s’organise en quatre mouvements. Une attaque saisissante constate l’inadéquation sans appel de la vie à l’homme […]. Le deuxième mouvement, plus discursif, opère un retour en arrière afin de montrer comment ces vues sur l’homme sont nées chez Breton du problème poétique. […] Le troisième mouvement du Manifeste revient au problème du langage, champ privilégié de l’automatisme, sous l’angle de ses pouvoirs […]. Son quatrième mouvement, plus bref, s’interroge sur “ les applications du surréalisme à l’action ”152.
Dans le Manifeste, Breton franchit bel et bien les étapes nommées plus tôt,
soit rejeter le passé et instaurer un nouveau système, qui est ici le
149 Noëmi Blumenkranz-Onimus, « Quand les artistes manifestent », dans L’année 1913, L. Brion-Guerry [dir.], Paris, Klincksieck, 1971, p. 352. 150 Ibid., p. 354. 151 Jeanne Demers, Line McMurray, L’enjeu du manifeste. Le manifeste en jeu, Longueuil, Le Préambule (coll. L’univers des discours), 1986, p. 80. 152 Marguerite Bonnet, « Manifeste du surréalisme. Notice » dans Œuvres complètes I, André Breton, Paris, Gallimard (La Pléiade), 1988, p. 1338-1340.
86
nouveau mouvement poétique qu’est le surréalisme. Il termine le Manifeste
en montrant comment le surréalisme peut s’appliquer dans l’écriture et
Poisson soluble, qui accompagne le Manifeste à sa première publication,
sert aussi à illustrer l’automatisme. Le nouveau système que veut imposer
Breton, ultimement, est « un projet plus vaste que celui de la remontée aux
sources perdues de la poésie […] c’est d’une redéfinition de l’homme qu’il
s’agit153 ».
Une structure semblable se trouve aussi dans Le surréalisme et la
peinture. Évidemment, au moment de la publication, en 1928, le
surréalisme n’est plus un mouvement aussi nouveau qu’en 1924, ainsi
Breton n’impose pas totalement un nouveau « système », car il s’agit de la
poursuite du projet surréaliste. Mais cela ne l’empêche pas d’instaurer de
nouveaux paramètres pour la peinture surréaliste. Il est possible de
distinguer plusieurs parties ou mouvements dans le texte, tout comme il y
en avait dans le premier Manifeste. D’abord, Breton commence par
expliquer la nécessité des images visuelles154 et sa fascination pour elles.
Cela le mène à expliquer qu’il existe un problème dans le concept de
l’imitation, c’est-à-dire que « l’erreur commise fut de penser que le modèle
ne pouvait être pris que dans le monde extérieur » (SP-14). Breton rejette le
passé et impose alors sa vision de la peinture en affirmant que « l’œuvre
plastique […] se référera donc à un modèle purement intérieur, ou ne sera
pas » (SP-15). Les pages qui suivent sont ensuite consacrées aux peintres
qui sont des exemples du surréalisme en peinture. Il explique alors quelles
œuvres et quelles qualités des peintres valent la peine d’être considérées
comme surréalistes, mettant alors en évidence des exemples de sa vision
de la peinture, du « nouveau système ». Bien que Breton ne revendique pas
153 Marguerite Bonnet, André Breton et la naissance de l’aventure surréaliste, op. cit., p. 337. 154 Breton emploie lui-même ce terme dans Le surréalisme et la peinture. Il écrit : « Le besoin de fixer des images visuelles, ces images préexistant ou non à leur fixation, s’est extériorisé de tout temps et a abouti à la formation d’un véritable langage […] » (SP-12)
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ce texte comme étant un manifeste, cette brève analyse des parties qui
constituent Le surréalisme et la peinture montre comment il suit
néanmoins les objectifs de base des manifestes en établissant ses critères
pour évaluer les œuvres des peintres. Bien qu’il ne prescrive pas une façon
de peindre, autre que de s’en remettre à l’imagination des artistes, il
montre, en choisissant d’écrire sur des peintres en particulier, la forme
que doit prendre la peinture dite surréaliste.
Nous pouvons voir que Le surréalisme et la peinture, même s’il ne
porte pas le titre de manifeste et qu’il n’est pas revendiqué comme tel,
demeure un texte qui comporte certaines caractéristiques de ce genre
littéraire. Il est possible d’affirmer que c’est le texte majeur pour le
développement de l’esthétique surréaliste de Breton et pour comprendre
l’évolution et la pensée de Breton par rapport au développement des
moyens surréalistes.
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Conclusion
Dans Le surréalisme et la peinture, nous avons voulu montrer
comment Breton redéfinit le mouvement surréaliste à la lumière des arts
visuels et comment ce texte lui permet de donner une définition de la
peinture surréaliste. Cette étude de Le surréalisme et la peinture de Breton
nous permet donc de le considérer comme le texte central dans le
développement de l’esthétique du surréalisme en peinture pendant la
décennie 1920. Nous avons aussi voulu redonner à ce texte, trop souvent
mis de côté, la place et l’importance dans l’histoire du surréalisme qui lui
reviennent.
En premier lieu, nous avons effectué un survol de l’histoire de la
critique d’art pour mieux saisir dans quel contexte Breton a écrit sur l’art.
Pour cela, nous avons fait ressortir quelques caractéristiques des textes
sur l’art d’écrivains comme Baudelaire, et certains contemporains de
Breton, comme Apollinaire, Raynal, Aragon et Soupault. Cela nous permet
de placer Breton dans une lignée d’écrivains qui abordent comme sujet les
arts visuels. Nous avons également montré que Breton se distancie des
critiques d’art de son époque, qui échappent selon lui à leur rôle, et qu’il
critique le marché de l’art, dominé par la cupidité. Cette distance lui
permet de s’approprier la critique d’art à sa manière.
Ensuite, nous avons aussi montré que Le surréalisme et la peinture
est un texte qui allie plusieurs types de discours, que ce soit la critique,
l’anecdote et la prose poétique. Le modèle intérieur est aussi une notion
centrale qui permet à Breton de classer et juger les œuvres ; il s’agit d’un
terme aussi utilisé par d’autres artistes avant lui, comme le peintre
Kandinsky. Nous pouvons voir que Breton, quand il écrit sur des tableaux,
met l’accent sur l’œuvre pour ensuite glisser lentement vers la prose
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poétique, vers ce que l’œuvre picturale évoque pour lui. Un tel glissement
fait écho à son recueil Poisson soluble, où dans les petits poèmes en prose,
le récit bascule souvent vers une image poétique surréaliste. Le texte
devient alors indépendant de l’œuvre regardée, ce qui n’est pas sans
rappeler The Critic as Artist d’Oscar Wilde, qui affirmait que la critique d’art
était une œuvre soi, indépendante du tableau regardé au départ.
Pour terminer, nous avons aussi relevé dans les textes de 1923 et de
1941 des caractéristiques – la critique du marché de l’art et le choix des
peintres auxquels il porte de l’attention – qui se retrouvent aussi dans Le
surréalisme et la peinture, ce qui prouve à quel point Breton demeure
constant dans ses idées sur la peinture. Le principal changement pendant
ces vingt années est bien entendu la définition de l’automatisme, qui est
au départ un procédé uniquement poétique et devient ensuite utilisé pour
décrire une technique picturale. Le peintre, tout comme le poète, se laisse
guider par sa main pour créer. Nous avons soulevé une dernière question
importante, c’est-à-dire s’il est possible de considérer Le surréalisme et la
peinture comme un manifeste de la peinture. Il est difficile de catégoriser ce
texte dans un genre littéraire en particulier, étant donné qu’il fait alterner
les différents types de discours, mais nous pouvons toutefois dire qu’il
comporte des caractéristiques du manifeste, par ses propositions nouvelles
pour la peinture.
En plus des deux Manifestes du surréalisme que Breton a écrits, ses
textes sur la peinture jouent un rôle important dans la définition et
l’expansion du mouvement surréaliste au niveau international pendant les
décennies qui suivront. De nombreuses expositions sur l’art surréaliste
auront lieu en France et partout dans le monde dès les années 1930. En
écrivant sur l’art, Breton a réussi à imposer les noms de plusieurs artistes
à l’histoire. L’influence qu’a eue Breton sur les arts visuels surréalistes a
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continué de se développer au cours des années suivantes, et il a écrit sur
les arts visuels pendant toute sa vie, même lorsqu’il s’est exilé à New York
au début des années 1940. C’est à cette époque qu’il a découvert, entre
autres, de nombreux artistes tributaires d’une nouvelle génération de
peintres inspirés et héritiers du surréalisme, comme Gorky, Rivera et
Riopelle. Le surréalisme est devenu avec les années le projet global que
Breton désirait. Ce projet avait pour but de lier l’art et la vie, la réalité et la
surréalité, que ce soit au moyen de la poésie, de la peinture et du cinéma.
Déjà Breton écrivait à la fin de Le surréalisme et la peinture : « Nous
sommes très loin, quoi qu’on en dise, très haut et nullement disposés à
revenir sur nos pas, à redescendre. » (SP-72)
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