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LE SUCRE DE CANNES ET LE SUCRE DE BETTERAVES. « Aujourd'hui il est bien démontre que si la fabri- cation du sucre de betteraves reste libre, comme elle l'a toujours e'té depuis son origine , avant peu d'an- ne'es, elle supplantera entièrement sa rivale, et la con- sommation restera exclusivement alimentée par le su- cre de betteraves. » (Rapport fait par M. Ch. Derosne à la Société d'en- couragement pour l'industrie nationale sur le concours relatif à l'établissement de sucreries de betteraves sur des exploitations rurales. Ce rapport a été approuvé en séance générale, le 24 décembre 1834.) PARIS, IMPRIMERIE DE GRÉGOIRE, RUE DU CROISSANT, 16. 1835,
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Le sucre de cannes et le sucre de betteraves

Mar 18, 2016

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Auteur : Ouvrage patrimonial de la bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation Université des Antilles et de la Guyane. Conseil Général de la Guyane. Bibliothèque Franconie.
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LE SUCRE DE CANNES

ET

LE SUCRE DE B E T T E R A V E S .

« Aujourd'hui il est bien démontre que si la fabri­cation du sucre de betteraves reste l ibre , comme elle l'a toujours e'té depuis son origine , avant peu d'an-ne'es, elle supplantera entièrement sa rivale, et la con­sommation restera exclusivement alimentée par le su­cre de betteraves. » (Rapport fait par M. Ch. Derosne à la Société d'en­

couragement pour l'industrie nationale sur le concours relatif à l'établissement de sucreries de betteraves sur des exploitations rurales. Ce rapport a été approuvé en séance générale, le 24 décembre 1 8 3 4 . )

P A R I S , IMPRIMERIE DE GRÉGOIRE, RUE DU CROISSANT, 16.

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LE SUCRE DE CANNES

E T

LE SUCRE DE BETTERAVES.

Une étrange fatalité semble attachée à la ruine de l'agriculture et de l'industrie dans cette por­tion de l'empire français qui se compose de nos établissemens coloniaux. Discours prononcés à la tribune, ou dans les chaires d'enseignement com­mercial, articles de journaux ou brochures : rien n'est épargné pour leur faire expier par une lente agonie, les cris de joie et d'enthousiasme dont les colons saluèrent, il y a vingt ans, la paix qui les rendit à la France.

Attaquées dans le sein des assemblées légis­latives , harcelées par les clameurs souvent irréfléchies de la presse, néligées et délaissées par le ministère du commerce, que d'aveugles

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exigences métropolitaines préoccupent; immo­bilisées en quelque sorte au budget des recettes par la raideur fiscale du ministère des finances, les colonies n'ont pas même la faculté de la l i­bre défense. Elles demeurent dans une si­tuation anormale, entre une protection men­songère et une concurrence inique : situation d'autant plus funeste, qu'on s'efforce d'en déguiser au pays et l'injustice et le danger.

En présence de tant d'hostilités, qui pouvait croire que les colons eussent encore de nouveaux ennemis a redouter et à combattre? Cependant nous avons à en signaler un de plus, qui, à son début, ne craint pas de se poser comme le plus impitoyable de tous : c'est la nationalité des co­lons qu'il attaque, et réclamant pour lui le droit exclusif de s'abriter sous les couleurs nationales, il s'annonce dans la lutte par un orgueilleux veto mis à tout abaissement de tarif sur les produits co­loniaux; quoiqu'en puissent penser les chambres de commerce, et quelle qu'en puisse être la consé­quence pour les intérêts maritimes de la France. Cet ennemi qu'il faut enfin nommer, c'est le pro­ducteur de sucre de betteraves, lequel prétend pui­ser dans les priviléges dont il a joui depuis l'origine de son industrie le droit absolu d'écraser à jamais une autre industrie qui lui porte ombrage. Car ce n'est point assez pour les cultivateurs de bette­raves et pour les fabricans de sucre indigèned'avoir

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grand i en pu i s sance et e n r i chesse , à l ' ab r i d ' u n e exorb i t an te p r o t e c t i o n ; ce n ' e s t p o i n t assez p o u r eux d 'avoir p u se sous t ra i re si l o n g - t e m p s a u x charges d o n t son t g revées les a u t r e s b r a n c h e s d u travail n a t i o n a l ; u n l ége r m o t i f de c r a in t e p o u r la p e r p é t u i t é de ces pr iv i léges l e u r a fait j e t e r un cr i d ' a l a r m e .

Q u ' e s t - i l d o n c a r r i vé p o u r exc i t e r t a n t de t e r r e u r ? C e r t e s , ce n e p e u t - ê t r e M . H u m a n n qui les effraie ; M . H u m a n n d e m a n d a n t à la c h a m b r e des d é p u t é s , s'il n e sera i t pas t e m p s d ' impose r q u e l q u e p e u le sucre de be t t e r aves , a pa r l é t i m i d e m e n t , e t avec tous les m é n a g e m e n s dus à la p r o p r i é t é foncière et a u x r e d o u t a b l e s é l é m e n s des major i t é s min i s t é r i e l l e s : mais la fa­b r i ca t ion tou t en t i è re s'est é m u e , à p r o p o s d ' u n e d i m i n u t i o n r é c l a m é e s u r les d ro i t s à l ' e n t r é e des sucres c o l o n i a u x . C e p e n d a n t sans ce t t e d i m i n u ­t ion l ' aven i r d e la nav iga t ion française est c o m ­p r o m i s , et l e s cu l t i va t eu r s colons n e p e u v e n t é c h a p p e r à u n e r u i n e c o m p l è t e .

On a sonné le tocs in dans les d é p a r t e m e n s à be t t e raves ; on s'est d o n n é r e n d e z - v o u s a Pa r i s ; et l à , r éun i s e n c o m i t é , les fabr icans é tonnés qu ' on l e u r p a r l â t d ' u n i m p ô t , é tonnés q u e des i m m u n i t é s et des pr iv i léges q u i d a t e n t d ' u n qua r t d e siècle n e l e u r eussen t pas cons t i tué a pe rpé tu i t é u n d ro i t de f ranchise de t a x e s , les fabricans on t d o n n é p o u v o i r e t au to r i t é à trois

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délégués, pour venir, à la face de la nation e n ­tière, se déclarer les défenseurs d 'une préten­tion injuste et anti-nationale.

Un mémoire a paru : MM. Isoard , A. Piot et A. Cougouille en sont les auteurs et l'ont rédigé au nom d'un comité de cultivateurs de bette­raves et de fabricans de sucre indigène.

Cédant à la déplorable influence des rivalités d 'industrie, le comité dont le but semblait devoir être de fournir des argumens contre la création d'un impôt, n'a pas trouvé un meilleur moyen de faire les affaires des fabricans de sucre indigène, qu'en se rendant l'écho de toutes les doctrines, qui ont été vulgarisées contre l'importance po­litique, agricole et commerciale de 10s colonies. C'est à un acte complet d'accusation contre elles que sont consacrés les deux tiers de ce factum de défense : et pourquoi? parce que les colons, dé­pourvus d'appui dans la majorité de la chambre, ont cru devoir adresser quelques réclamations à M . le ministre des finances, qui, en présentant son budget, avait laissé percer, dans les termes du rapport, sa partialité en faveur des sucres indigènes. Cependant si les champions de la betterave eussent voulu ne pas franchir, en com­battant pour leurs priviléges, la limite légitime de la défense, il n'était pas impossible que les co­lons ne devinssent pour eux des auxiliaires, car les colons auraient p u être amenés à se rallier à

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un drapeau sur lequel eût été écrit : Abaissement des tarifs à l'entrée des sucres coloniaux, pour donner à la consommation l'accroissement qui lui manque : pas d'impôt sur le sucre de bette­raves, parce que cet impôt, préjudiciable aux dé-vcloppemens de la consommation,' peut porter atteinte a la liberté de culture; et qu'en droit na­turel, cette liberté est la première à respecter.

Mais le triumvirat du sucre indigène a mieux aimé laisser tomber les plis de sa robe. Il a voulu, lui aussi mêler sa voix à celles qui s émeuvent si aisément quand il s agit de crier haro sur les colo nies: et, pour prouver à la France le peu d intérêt qu'elle a dans la conservai ion de ces établissemens, on a cru pouvoir même outrager l'amour-propre français et la puissance nationale. On a proclamé limpossibil ité de défendre cette partie de l'empire : « Si la guerre maritime éclate ( a-t-on dit, page » 27 ) les colons français auront le LENDEMAIN la » douleur de se voir anglais. »

Quel que fût l'avantage à retirer d'un pareil ar­gument, M. Isoard et les co-signataires du mé­moire n'auraient pas dû sacrifier ainsi, à l'inté­rêt personnel des fabricans de sucre indigène, la connaissance qu'ils ont, sans doute, de l'histoire de leur pays. On sait que les colons n 'on t jamais eu la douleur de se voir anglais le lendemain dune déclaration de guerre, mais seulement après que la maiine française avait perdu quelque grande

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ba ta i l l e , ou q u e , s u c c o m b a n t p a r t i e l l e m e n t sous le n o m b r e , ce t t e m a r i n e d é c l i n a i t p e u à p e u et f i ­nissai t p a r d i spa ra î t r e e n t i è r e m e n t d e la sur face d e l 'Océan .

Les co lon ies se t r o u v e n t , d o n c , à ce t é g a r d , p a r r a p p o r t à l e u r m é t r o p o l e , d a n s u n e s i t ua t i on p a r ­f a i t e m e n t i d e n t i q u e à cel le des p l u s r e d o u t a b l e s fo r te resses d u t e r r i t o i r e c o n t i n e n t a l q u i s u c ­c o m b e n t a u s s i , q u a n d les a r m é e s e x t é r i e u ­r e m e n t c h a r g é e s de les p o r t é g e r , s o n t va incues et d i spe r s ée s .

L e j o u r o ù l ' a m i r a l D u p e r r é , son b u d g e t à la m a i n , v i e n d r a d e m a n d e r à la c h a m b r e u n e s o m m e d e 60 m i l l i o n s , p o u r le se rv ice et l ' e n t r e t i e n d e la m a r i n e m i l i t a i r e , p o u r q u o i , se r a p p e l a n t , c o m m e le c o m i t é , q u e « la F r a n c e sans m a -» r i n e a p u ê t r e u n e g r a n d e na t ion , e t faire la lo i » à d ' a u t r e s , » ( p a g e 31 ) u n d é p u t é n e v i e n ­d r a i t - i l p a s , a r m é d ' u n e l o g i q u e i m p i t o y a b l e , m a i s a u m o i n s auss i c o n c l u a n t e q u e ce l le a p p l i q u é e à la conse rva t i on ou n o n - c o n s e r v a t i o n de s c o l o ­n i e s , d é c l a r e r les d é p e n s e s d u b u d g e t d e la m a ­r i n e i n u t i l e s , e t r e fuse r l e c r é d i t d e m a n d é , c a r , l u i auss i p o u r r a i t d i r e : A q u o i b o n d e s f réga tes et d e s va i sseaux q u e n o u s p o u v o n s avo i r la d o u ­l e u r , le lendemain d'une guerre maritime, de voir devenir anglais?

Q u ' i m p o r t e B o r d e a u x e t ses p l a i n t e s incessan tes s u r le d é p é r i s s e m e n t de sa m a r i n e m a r c h a n d e ?

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P o u r q u o i ces p r i m e s cons idé rab le s a u x a r m e m e n s q u e Je H a v r e des t ine k l a p ê c h e d e la b a l e i n e , a u x a r m e m e n s q u e S t - M a l o , G r a n v i l l e , e t D u n k e r -q u e d e s t i n e n t k T e r r e - N e u v e ou p o u r les cô tes d e l ' I s l ande ! T o u s ces n a v i r e s , t o u t ce l u x e d u c o m ­m e r c e e x t é r i e u r , n o u s n e v o u l o n s p a s n o u s e x p o s e r k la douleur de les voir, L E L E N D E M A I N

d'une guerre maritime, tomber en possession des Anglais, e t a j o u t e r k l e u r s r e s s o u r c e s p o u r a t t a q u e r « l'ancienne France , V impérissable France , la vraie France , celle en un mot qui nous donne le sucre de betterave. » ( P a g e 3 6 ) . p i toyab les a r g u m e n s , q u i fe ra ien t d é c l a r e r t r a î t r e k son p a y s ce lu i des m a n d a t a i r e s d e la F r a n c e q u i v i e n d r a i t les r e p r o d u i r e k la t r i b u n e n a t i o n a l e .

Mais il n e suffit p a s d e s ' i n d i g n e r d e pa re i l l e s d o c t r i n e s , i l faut r e n v e r s e r en m ê m e t e m p s l e u r base i r r a t i o n n e l l e , e n r é p é t a n t q u ' i l f a u d r a t o u j o u r s q u e la d e s t r u c t i o n d e la m a r i n e m i l i t a i r e e t de l a nav iga t i on m a r c h a n d e soi t a c c o m p l i e , a v a n t q u e les co lons aient la douleur de se voir anglais. Si la F r a n c e se d é c i d e d o n c k é c r i r e u n a r r ê t d e m o r t c o n t r e ses c o l o n i e s , si e l l e a d m e t p r é a ­l a b l e m e n t d a n s les c o n s i d é r a n s d e ce t a r r ê t , la c e r t i t u d e d e p e r d r e ses co lon ies l e lende­main d'une déclaration de guerre maritime, q u ' e l l e e n v e l o p p e , p o u r p r o c é d e r l o g i q u e m e n t , sa m a r i n e e t son c o m m e r c e e x t é r i e u r , d a n s l a m ê m e c o n d a m n a t i o n ; ca r e n c o r e u n e fois ( l e

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c o m i t é des c u l t i v a t e u r s d e b e t t e r a v e s est p r i é d'en p r e n d r e n o t e ) , l es c o l o n i e s n e c h a n g e n t d e p a ­v i l lon q u ' a p r è s l e s v a i s s e a u x d e la F r a n c e , e t q u a n d l e s n a v i r e s d u c o m m e r c e f rançais s o n t o u b l o q u é s d a n s l e s p o r t s , ou c a p t u r é s p a r l ' e n n e m i .

D e 1802 à 1 8 0 9 , é p o q u e o u la M a r t i n i q u e e t la G u a d e l o u p e p a s s è r e n t sous l a d o m i n a ­t i o n b r i t a n n i q u e , ces d e u x c o l o n i e s o n t t e n u e n é c h e c d e p u i s s a n t e s e s c a d r e s d e l ' A n g l e t e r r e , e t si l 'on vou l a i t fa i re l e c a l c u l d e s d é p e n s e s q u e ces s t a t i ons c o û t è r e n t à n o s e n n e m i s , il s e ra i t facile d e p r o u v e r q u ' i l n ' y a p o i n t d e p l a c e for te e n E u r o p e q u i a i t o b l i g é d e s a d v e r s a i r e s à u n e d i v e r ­s ion auss i o n é r e u s e .

L e c o m m e r c e a n g l a i s ce r t i f i e ra i t a u b e s o i n l e s r u d e s c o u p s q u i l u i f u r e n t p o r t é s p a r les c o r s a i r e s de la G u a d e l o u p e e t d e l a M a r t i n i q u e ; e t l a t t e n -t i o n d e N a p o l é o n fut s o u v e n t a t t i r é e s u r les b r i l l a n s faits d ' a r m e s d o n t la m e r d e s A n t i l l e s é ta i t a l o r s le t h é â t r e .

H u i t a n n é e s d ' u n e g u e r r e m a r i t i m e a c h a r ­n é e d u r e n t s ' é c o u l e r a v a n t q u e l e p a v i l l o n f r a n ­çais cessâ t d e f lo t te r a u x c o l o n i e s . Q u e l l e c i ­t a d e l l e e u r o p é e n n e a g a r d é auss i l o n g - t e m p s l ' e n n e m i d e v a n t e l l e ? q u i p e u t m ê m e d i r e s i j a m a i s l e s co lons a u r a i e n t e u la d o u l e u r d e se v o i r A n g l a i s , s a n s les a c t e s d u non-intercourse, e t de l ' e m b a r g o a m é r i c a i n , q u i v i n r e n t a f f amer n o s garnisons? N a p o l é o n lui-même le p r o c l a m a i t h a u -

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tement, lorsqu'au milieu des négociations de la célèbre indemnité américaine, il disait au gouver-

nement fédéral: « Vous avez été cause de la » perte des colonies de la France. » Napoléon parlait ainsi parce que, juge compétent, il savait comment, dans les guerres maritimes, les colons ont la douleur de se voir Anglais. Il savait que les habitans de St.-Pierre-Martinique , tourmentés par une effroyable disette , étroitement bloqués par les forces anglaises, avaient oublié leurs souf­frances, pour voter une épée d honneur au capi­taine Mu brick le Cygne. Pourtant ce n'était pas du secours que leur apportait ce capitaine, qui venait de traverser avec tant de courage une for­midable ligne de blocus. Mais sa présence attestait du moins que la France ne désespérait pas du pa­triotisme et du courage de ses en fans perdus. Ce que Napoléon savait encore, c'est que la marine de la France pouvait un jour avoir sa revanche de Trafalgar, et qu'alors même que ses flottes se­raient victorieuses, il leur fallait, contre les seules tempêtes, des relâches assurées dans l'immensité de 1 Océan.

Pourquoi faut-il donc qu'aujourd'hui il y ait contre les colonies des préjugés tels qu'on puisse hardiment évoquer des souvenirs d'impuissance; et prophétiser la faiblesse de sa patrie, ou ses désastres futurs, pour motiver le mépris que l'on veut faire des intérêts et des droits des habi-

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t a n s d ' u n e p o r t i o n d e l ' e m p i r e f r ança i s ? I l est t e m p s d ' e n finir avec ce passé , car il est a p e u p r è s imposs ib l e q u ' a u c u n e é v e n t u a l i t é d e g u e r r e r a m è n e j a m a i s les m ê m e s c i r c o n s t a n c e s e t les m ê m e s s i tua t ions . Les fabr icans de s u c r e d e b e t ­t e raves , o n t p u seu ls p r o p h é t i s e r de s r é su l t a t s i d e n t i q u e s d a n s u n e l u t t e de l ' aven i r . Seu ls ils o n t p u p r é v o i r d e lo in ces r é s u l t a t s , e t les d é s i r e r p e u t - ê t r e î T e l n ' e s t p o i n t le r ô l e des co lons e t d e l e u r s dé f enseu r s , q u i d o i v e n t se b o r n e r à r e p o u s s e r les m a x i m e s , e t à c o m b a t t r e les chiffres e t les a s se r -t i o n s a u m o y e n d e s q u e l s l e c o m i t é des fabr icans d e s u c r e i n d i g è n e a v o u l u d é m o n t r e r a M. l e m i n i s t r e des f inances q u e le s u c r e co lon ia l do i t c o n t i n u e r à p a y e r d e forts d ro i t s à l ' e n t r é e . Ce t t e d é m o n s ­t r a t i o n n ' a u r a pas e u beso in p r o b a b l e m e n t d e g r a n d s efforts d e l o g i q u e p o u r a r r i v e r à l ' i n t e l l i ­g e n c e d u f isc; m a i s , p o u r l u i p r o u v e r e n m ê m e t e m p s q u e le s u c r e i n d i g è n e do i t ê t r e l iv ré à la c o n s o m m a t i o n i n t é r i e u r e de l a F r a n c e , sans d ro i t s et sans t a x e , i l f aud ra , à n ' e n p a s d o u t e r , d ' a u t r e s a r g u m e n s q u e c e u x de la l o g i q u e o r d i n a i r e .

ORIGINE DU SUCRE DE BETTERAVES.

« Lorsqu'en 1809, on imagina de faire du sucre avec de la betterave, dit le comité de cultivateurs et de fa-

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bricans, le sucre étranger était à peu près exclu de la France -, car nos colonies étaient occupées par l 'enne­mi ; et le peu que les neutres nous en apportaient de l'étranger était soumis à un droit de 33o fr. par quin­tal métrique. D'un autre coté, le gouvernement avait accueilli avec une sorte d'enthousiasme cette découverte qui tendait à nous exempter d'un tribut, comme on le disait alors, payé aux nations ultra marines. Des secours d'argent furent accordés aux premiers exploitans. Tous les échos officiels exaltèrent à l'envi leur dévoûment et leur patriotisme : et, ce qui était plus précieux à une époque où le fisc avait la main prompte, large et dure, et où il était naturel à toute production nouvelle de re­douter ses atteintes , un décret impérial leur garant i t , pour quatre années, l'exemption de toute taxe spéciale, avec promesse de proroger, s'il y avait l ieu, cette exemption pour un semblable espace de temps. » (Page 6).

J a m a i s c o n t r a t n ' ava i t é t é , dans ses s t ipu la t ions , p l u s n e t , p lus exp l ic i t e e t e n m ê m e t e m p s p l u s loyal . S'il est u n e i n d u s t r i e q u i n e pu i sse p o i n t p a r ­l e r d e ses d ro i t s a cqu i s , q u a n d le fisc l u i t e n d u n e m a i n , prompte, large e t dure p o u r tou tes les a u t r e s indus t r i e s et n o n p o u r e l le , c 'est b i e n c e r t a i n e ­m e n t la fabr ica t ion du s u c r e de b e t t e r a v e s . E l l e a été p r é v e n u e e t mi se e n d e m e u r e le j o u r m ê m e de sa c réa t ion ; e l le a é té ave r t i e a u t h e n t i q u e m e n t pa r u n d é c r e t i m p é r i a l q u e p e n d a n t q u a t r e a n n é e s el le serait e x e m p t e de t axe s p é c i a l e , ma i s q u ' a p r è s ce laps d e t e m p s , l e g o u v e r n e m e n t se r é se rva i t de m o -

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difier une protection inouïe dans les fastes de nos douanes, de notre politique et de notre économie intérieure.

La pensée de Napoléon est facile a pénétrer. Ce terme de quatre ans assigné a la vie privilé­giée du sucre indigène donne k comprendre que, pour Napoléon, la vraie France, l'impérissable France n'était pas tout entière où se fait le sucre de betteraves, et que l'horizon s'étendait pour lui au-delk des départemens du Nord et du Pas-de-Calais. Napoléon ne renonçait ni k ses colonies que les chances de la guerre lui arrachaient mo­mentanément, ni a sa marine dont il connaissait la force et la puissance, alors qu'elles étaient mo­mentanément paralysées. Pour lui la France était partout où flottait le pavillon français, et partout où les lois de ses codes étaient obéies. Le senti­ment de nationalité si profond dans cet esprit élevé ne lui permettait pas d'oublier un instant qu'il y avait encore des Français au-delk de l'A­tlantique et que leurs intérêts et leur fortune étaient dignes de la sollicitude et des prévisions de son gouvernement.

Pourquoi, k cette époque, le sucre indigène fit-il peu de progrès, malgré cette protection fabu­leuse? Pourquoi, en 1 8 1 4 , n'y avait-il encore au une fabrique digne de ce nom? c'est que l'in-telligence^qui ne voit pas de France au-delk de la Picardie et de l'Artois ne pouvait pas deviner

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n o n p l u s d u p r e m i e r c o u p l ' a v e n i r d e la b e t t e ­r ave : c 'es t q u ' o n avai t p e u r d ' e n g a g e r des c a p i ­t aux à t â tons : c 'es t e n c o r e u n e fois q u ' i l n ' y avai t pas avec N a p o l é o n d ' a c c o m o d e m e n t poss ib le , p o u r e spé re r le sacrifice d ' u n e i n d u s t r i e à la c u p i d i t é de l ' i n d u s t r i e s i m i l a i r e . Les faits von t se p r e s s e r p o u r v e n i r à l ' a p p u i de ce t te a r g u m e n t a t i o n .

« La restauration arriva et le sucre de cannes avec elle. Pendant deux ans, la F rance fut inondée de sucres étrangers dont une longue surabondance au-dehors avait avili le prix. D'ailleurs la douane ne demandait plus que 4o francs par qu in ta l , e t , à l'aide de l'occu­pation de nos frontières, une bonne partie s'introdui­sait en fraude de ce droit. A partir de 1816, et lorsque nos relations avec nos colonies eurent été régularisées, on fit définitivement succédera la taxe impériale de 33o fr. celle de 44 fr., puis celle de 49 fr. 5ocent . Quel que fûtà cette époque et quel que soit encore aujourd'hui le mé­rite de cette dernière fixation, toujours est-il qu'il en résulta pour le sucre indigène un énorme abaissement de protection. Or, en dépit de cet abaissement, en dé­pit de la défaveur et du ridicule qui succéda pour elle aux panégyriques de l 'empire, cette industrie renaquit bientôt de ces cendres, et ce fut à l 'étonnement général que la commision d'enquête de 1828, obligée de l'ad­mettre parmi les élémens de sa délibération sur les su­cres, constata qu'à cette époque sa production annuelle s'élevait à quatre millions de kilogrammes.» (Page 7).

Si l ' on se r e p o r t e à 1 8 1 6 , il faut se r a p p e l e r ce q u e la pa ix d e 1 8 1 4 ava i t c o û t é d e possess ions c o -

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loniales a la France. Dépouillée de l'Ile-de-France el de Sainte-Lucie, réduite aux quatre colonies de Bourbon, Cayenne, la Martinique et la Gua­deloupe, la France pouvait craindre que leur production normale ne pût suffire à sa consom­mation, car ces colonies, à peine revenues des misères et des calamités d'une longue occupation étrangère, ne livraient alors à la métropole que moitié des récoltes actuelles. Rien donc de plus facile a concevoir que ce miracle d'accroissement opéré a cette époque dans la culture de la bet­terave. Le haut prix du sucre colonial, une pro­tection considérable pour le sucre indigène, les primes scandaleuses accordées à la sortie des raf­finés, en étaient autant de causes que toutes les intelligences peuvent saisir, et contre lesquelles des caricatures ou des plaisanteries sur la bette­rave faite sucre, ne pouvaient avoir que bien peu de puissance.

Des considérations politiques venaient d'ail­leurs se joindre à ces considérations d'intérêt matériel. Le gouvernement avait besoin des ma­jorités parlementaires ; les grands propriétaires terriens étaient en force sur la scène politique; une longue guerre maritime avait fait oublier beaucoup en matière de commerce extérieur et de navigation : de son côté, l'opposition, toujours en quête de thèses propices à l'éloquence de tri­bune, trouvait dans les colonies une mine iné-

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puisab le . P lacé dans ce défilé, et p r é o c c u p é d ' in ­térêts si non p lu s g r a n d s , a u mo ins p l u s d i r e c t s , le g o u v e r n e m e n t fit p e u de rés i s tance à la p r o p a ­gation de doc t r ines é c o n o m i q u e s q u i p r o c l a ­ma ien t l ' inu t i l i t é et les i nconvén iens des posses ­sions co lon ia les . L e c o m m e r c e des p o r t s , q u i pa ra î t se rav i se r u n p e u su r ses in té rê t s m e n a c é s au jour ­d 'hu i , s 'associait a lors k ce t t e hos t i l i t é , e t lu i donnai t de nouve l l e s forces .

T o u t m a r c h a i t d o n c k s o u h a i t p o u r les f ab r i ­cans d e suc re i n d i g è n e . Les q u a t r e a n n é e s d ' i m ­m u n i t é ga ran t i e s p a r Napo léon r e c e v a i e n t u n e p ro longa t ion indéfinie ; les gros capitalistes s 'en­gagea i en t dans les e n t r e p r i s e s nouve l l e s ; de tou tes p a r t s se manifes ta i t u n e d é t e r m i n a t i o n b i e n pr i se de m e t t r e les colons français a u b a n d e la g r a n d e famille e t de les classer dans les par ias d e la p r o d u c ­t ion n a t i o n a l e . C e p e n d a n t , les p r o g r è s de la b e t ­terave éve i l l è ren t , e n 1828, l ' a t t en t ion de M. de S a i n t - C r i c q ; il déc l a r a q u e dans peu les f ab r i ­cans de suc re d e b e t t e r a v e s a u r a i e n t k s u b i r u n décro i s sement d e p r o t e c t i o n p a r l ' a b a i s s e m e n t du tar i f colonia l ou p a r u n i m p ô t spéc ia l . E n 1832 , M. d 'Argou t pa r l a de 5 francs p a r q u i n t a l m é t r i q u e . Nous s o m m e s e n 1835 , et M. H u m a n n n ' o se m ê m e pas p réc i se r u n chiffre ; i l se b o r n e k d i re k la c h a m b r e qu ' e l l e sen t i ra la nécessi té d ' i m p o s e r le sucre de be t t e raves !

Les fabricans savent apprécier k leur juste va-2

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« Chacun sait quels fait? se sont produits sous l 'em­pire de ces actes comminatoires. De 1 8 2 8 à 1832, nos produits ont pissé de qua t r e millions de kilogrammes à d i t millions; de 1832 à la fin de 1834, ils sont montés à 2 3 millions; et, en 1835, autant qu'on peut juger par rétablissement d 'un grand nombre de nouvelles fabri­ques, et par l'extension que les fabriques actuelles ont donnée à leur travail, nous déclarons (parce que c'est la vérité, et quoi qu'on puisse en induire contre notre cause) , nous déclarons qu'ils dépasseront t rès-proba­blement trente millions. » (Page 8).

M a i n t e n a n t v e u t - o n c o n n a î t r e , se lon le c o m i t é , la s eu l e e t la v é r i t a b l e c a u s e d e ces p r o g r è s ? Ce n ' es t p o i n t a u x p r i v i l é g e s législatifs q u ' i l faut en demander l'explication. C'est une découverte de la

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science qui seule a fait la fortune de cette i n ­d u s t r i e . C'est k u n e observat ion a g r o n o m i q u e d u r e spec tab le M. More l de V i n d é q u e la fa­br ica t ion d u suc re i n d i g è n e do i t ses succès et ses bénéf ices . Grâce à l u i , l 'on sait a u j o u r d ' h u i q u e la be t t e r ave est « une plante non épuisante, dont la culture exige trois façons dans l ' année ( binage, sarclage , et butage ); que ses produits ne sont pas une denrée déjà indigène ; qu'ils sont en outre d'un emploi général et d'un débit cer­tain, » t ou tes choses q u e l 'on i g n o r a i t p r o b a b l e ­m e n t et d o n t on n e se dou ta i t m ê m e pas d u t e m p s de Napo léon , a lo rs q u e l'on n attendait de T indus­trie qu'une simple satisfaction d'extraire du sucre de betteraves. M. More l de V i n d é a p l u s fait p o u r le s u c r e i n d i g è n e q u e le b locus c o n t i n e n t a l et les i m m u n i t é s d e Napo léon , d i t le c o m i t é : c 'es t pos ­s i b l e ; ma i s il faut avoue r q u e la p r o t e c t i o n de 5o francs pa r 1 0 0 k i l o g r a m m e s ne g â t e r i e n , et q u ' a u prix d u n e pare i l l e i m m u n i t é il n ' y a pas en F r a n c e d ' indus t r ie qu i n ' e û t p r o s p é r é .

Cet te p rospé r i t é est te l le , q u e les a d e p t e s n ' h é s i ­t e n t poin t k d é c l a r e r q u ' a v a n t peu la fabr icat ion d u suc re de b e t t e r a v e s doi t fourn i r k la c o n s o m m a ­t ion en t i è r e de la F r a n c e ; e t alors q u e l se ra le sor t des suc res c o l o n i a u x ? Ils n 'off r i ront m ê m e plus la ressource d ' u n e p e r c e p t i o n de 32 mi l l i ons , car l e u r p r o d u c t i o n a u r a cessé d e v a n t la r u i n e c o m p l è t e d u producteur. Cependant il faut au sucre de bette-

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t e raves , c o m m e c o n d i t i o n de c e t t e p r o s p é r i t é f u ­t u r e , la p e r p é t u i t é de l ' i m p ô t s u r l e s u c r e co lon ia l , i m p ô t q u i l u i - m ê m e est l a g a r a n t i e p o u r l a p r o d u c -t i on i n d i g è n e d u p r i x é levé q u e l l e o b t i e n t . E l l e a b e s o i n de ce p r i x t o u t e n t i e r , n o n o b s t a n t c l a ­m e u r s et r é c l a m a t i o n s d e la p a r t des c o n s o m m a ­t e u r s . « Ca r ce p r i x n ' a j a m a i s e x c é d é e t n ' e x c é d e r a pas a u j o u r d ' h u i les b o r n e s d u s t r i c t n é c e s s a i r e ; la p l u p a r t d e n o s é t a b l i s s e m e n s n e se s o u t i e n n e n t q u ' à l ' a ide d e n o u v e a u x sacrif ices , q u i s ' e x p l i ­q u e n t p a r les p r o g r è s d u passé e t n o t r e foi d a n s l ' a v e n i r ; e t l ' ex i s t ence de ces é t a b l i s s e m e n s s e r a i t c o m p r o m i s e p a r la m o i n d r e a l t é r a t i o n d a n s n o s c o n d i t i o n s d e c o n c u r r e n c e avec le s u c r e d e c a n n e s . »

Ains i la m o i n d r e baisse q u i se ferai t s u r l e p r i x a c t u e l r e n v e r s e r a i t t ou te l ' é c o n o m i e d e la g r a n d e d é c o u v e r t e a g r o n o m i q u e . L a b e t t e r a v e p é r i r a i t ! Voilà d o n c les c o n s o m m a t e u r s é t e r n e l l e m e n t c o n ­d a m n é s à ce p r i x a c t u e l , q u i n ' e x c è d e p a s le s t r i c t nécessa i re d u m a n u f a c t u r i e r ; l e p a u v r e h o m m e ! et q u a n d i l es t facile d e c i t e r des faits q u i d o n ­n e n t le p l u s éc l a t an t d é m e n t i à la d e s c r i p t i o n d e ces c h i m é r i q u e s sacr i f ices , c o m m e n t se p o u r r a i t -i l q u e les co lons fussent r é d u i t s à d é s e s p é r e r d e l e u r s d r o i t s ?

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DE LA RÉDUCTION DU DROIT COLONIAL.

P o u r q u o i ce t te r é d u c t i o n d o i t - e l l e ê t re refusée aux c o l o n s ? c'est p r i n c i p a l e m e n t , d i t l e c o m i t é , p a r c e qu ' i l y a d a n s l eurs r é c l a m a t i o n s d e s v a r i a ­t ions q u a n t a u chi f fre d u n o u v e a u dro i t k é tab l i r : l o g i q u e a v e c l a q u e l l e o n arr ivera i t a u s s i b i e n a d ire q u e si l e s c o l o n s é t a i e n t u n a n i m e s sur u n chiffre i n v a r i a b l e d e r é d u c t i o n , l e u r d e m a n d e devra i t ê tre i n c o n s t e s t a b l e m e n t a c c u e i l l i e .

« Ils avaient demandé, en 1832 , une réduction de 2 0 fr. ; mais bientôt, et comme la résistance qu'ils r e n ­contrèrent contre toute modification était peu e n ­courageante , leurs protecteurs dans les chambres r é ­duisirent leurs prétentions de moitié -, et la cause qui fut par eux plaidée et perdue n'avait pour objet qu'un abaissement de 1 0 fr. Une des raisons qui moti­vèrent ce rejet avait été la médiocrité même du chiffre de 1 0 fr. » (Page 13.)

P o u r r é p o n d r e c a t é g o r i q u e m e n t k ce t te é t r a n g e a r g u m e n t a t i o n , i l suffira d e d i re q u e l e s o r ­g a n e s l é g a u x d e l ' in térê t c o l o n i a l n 'ont j a m a i s a d m i s q u e c e t t e d i m i n u t i o n de 1 0 francs p û t sa­tisfaire k l e u r s dro i t s , et qu 'à a u c u n e é p o q u e l e u r d e m a n d e de r é d u c t i o n n'a é té a u - d e s s o u s d e 20 fr . Q u a n t a u x p r o p o s i t i o n s subs id ia ires f o r m u l é e s dans l e s c h a m b r e s p o u r u n p l u s fa ible a b a i s s e m e n t dans l e s tar i f s , l e s c o l o n s n e p o u v a i e n t c o n s c i e n c i e u -

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sement, et, quelle qu'en fût l'insuffisance, en re­pousser la demande. En second lieu, s'il y avait un abîme de séparation entre les consommateurs de sucre et ceux qui re peuvent se procurer cette consommation par leur position de fortune, on concevrait qu'une réduction de 10 francs pour­rait être jugée tout a fait illusoire, surtout si elle avait pour but d aller recruter de nouveaux con­sommateurs dans les rangs de gens pour qui cette denrée serait nouvelle; il est même assez inutile pour s'en convaincre de suivre les auteurs du mé­moire dans l'intérieur des boutiques d'épicier, et de calculer avec eux ce que le petit consomma­teur a ou n'a pas de désavantage dans ses achats par quarteron ou par once. De pareils raisonne-mens sont en vérité trop puérils pour mériter une réfutation; car si l'on voulait descendre à cette futile discussion, on pourrait dire aussi que dix francs par quintal métrique diminués sur le droit colonial, auraient sur le sucre raffiné une action en baisse de cinq centimes par livre : qu'ainsi un ménage qui, mensuellement, consacre dix francs a sa dépense de sucre , au lieu d'en acheter dix li­vres et demie au prix de 19 sous, en aurait, au nouveau prix de 18 sous, une provision de onze livres et un cinquième, environ une livre de plus à consommer par maison. Voilà comment, dans une école d'enseignement primaire, on expli­querait aux élèves pourquoi la réduction la plus

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minime sur les taxes doit avoir une influence ascendante sur la consommation.

Cette infaillible influence a été d'ailleurs for­mulée en axiome par l'économie politique : et plût k Dieu qu'il n'y eût rien de plus obscur dans toutes les théories que l'on propage en son nom ! Ce qui n'empêche pas M. le ministre des finances de proclamer hautement que la réduc­tion du droit colonial, sans effet sur la consom­mation , ne fera qu'enrichir le producteur colon. Et des écrivains économistes se sont rencontrés pour dire k M. Humann : « La réduction ne pro-» fiterait pas au consommateur : notre opinion , » tout-k-fait conforme k la vôtre, M. le ministre, » est que, sauf la chétive part que pourraient en » arracher les colons , elle irait tout entière aux » spéculateurs et aux détaillans. » Il est à croire, pour la réputation scientifique des signataires du mémoire, qu'ils ne pensent pas un mot de ce qu'ils disent là à M. le ministre des finances. Et, quelqueflatteuse que soit l'adhésion de M M. les fa­bricans de sucre de betteraves, il est probable aussi quelle ne donnera pas k M. le ministre une con­viction que le député de lAlsacc ne partagerait certainement pas. Mais on peut juger par là de la trempe d'armes avec lesquelles il est encore pos­sible d'attaquer les intérêts coloniaux.

Du reste, il est certain que plus le chiffre de la réduction serait élevé, plus le résultat serait décisif

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dans l ' i n t é rê t de la c o n s o m m a t i o n , i n t é r ê t qu ' i l est p lus facile dans ce t t e ques t ion q u e d a n s b ien d ' a u t r e s , d e conc i l i e r avec les beso ins d u t r é so r p u b l i c .

On di t , e n c o r e p o u r r epous se r l ' aba i s semen t des t a r i f s , q u e la F r a n c e est fidèle à son p a c t e avec ses co lon ie s ; qu ' e l l e n e s 'est engagée à p r o t e c ­t ion q u e c o n t r e la c o n c u r r e n c e é t r a n g è r e , et q u e , p o u r r e n d r e l e u r p l a in t e l é g i t i m e , i l f audra i t q u e les co lons fussent m e n a c é s de r u i n e p a r l ' i n t r o ­d u c t i o n des suc res é t r a n g e r s . Mais où est ce pac t e ? Que l p e u p l e ou q u e l i n d i v i d u sera i t j a m a i s assez s t u p i d e p o u r s igne r u n c o n t r a t q u i s t ipu le ra i t q u e les frui ts de son t rava i l a u r a i e n t à a c q u i t t e r u n e é n o r m e t a x e , p e n d a n t q u e les frui ts s imi la i res d u t rava i l de ses c o n ­c i t oyens , d e ceux q u i v i v e n t sous le m ê m e d r a p e a u , q u i obé issen t a u x m ê m e s l o i s , s e ra i en t e x e m p t s d ' i m p ô t ? Q u e l 'on d i s e , si l 'on v e u t , q u e la m é t r o p o l e a p u i m p o s e r k ses colonies des cond i t i ons c o m m e r c i a l e s t y r a n n i q u e m e n t r es t r i c t ives , e t en r e n d r e l ' app l i ca t ion p o s s i b l e , k l ' a ide de la ga ran t i e q u e le m a r c h é de la F r a n c e offrait k l ' admiss ion des p r o d u c t i o n s colonia les sous u n dro i t l a r g e m e n t p r o t e c t e u r . Mais a u p o i n t o ù les p rog rè s de la fabr ica t ion d u suc re d e b e t ­teraves on t fait d e s c e n d r e ce t t e g a r a n t i e , v i e n n e cen t fois p l u t ô t la c o n c u r r e n c e é t r a n g è r e , m ê m e a u d ro i t différent iel le p l u s m o d é r é q u i ai t été

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p r o p o s é p a r l e s c h a m b r e s d e c o m m e r c e ; les c o ­lons la c r a i g n e n t m o i n s q u ' u n e s c a n d a l e u s e p r o ­t e c t i o n d e 5 o fr. p a r 1oo k i l o g r a m m e s , a c c o r d é e a u s u c r e i n d i g è n e , e t q u i f r a p p e d e m o r t l ' a g r i ­c u l t u r e e t l e c o m m e r c e d e s c o l o n i e s .

0 v o u s ! q u ' o n a h a b i t u é s à n e p a s p r o n o n c e r l e m o t c o l o n , s a n s q u e d e s i d é e s d e m o n o p o l e et d e p r i v i l è g e n e v i e n n e n t à v o t r e e s p r i t , s u i v e z l e s f ab r i cans d e s u c r e i n d i g è n e d a n s l e t a b l e a u q u ' i l s font d e s c o l o n i e s f r a n ç a i s e s e t d e l e u r s i t u a t i o n a g r i c o l e e t f i n a n c i è r e ; e t j u g e z p a r v o u s - m ê m e s d u m é r i t e r é e l d e ces p r é t e n d u s p r i v i l é g e s , q u i g a r a n t i s s e n t a u j o u r d ' h u i l ' e x i s t e n c e e t l a f o r t u n e c o l o n i a l e s . E n v é r i t é , i l y a b i e n p e u d e g é n é r o ­s i t é d e la p a r t d e s f a b r i c a n s d e s u c r e i n d i g è n e , e u x q u i o n t r e t i r é d e la p r o t e c t i o n n a t i o n a l e d e s f r u i t s b e a u c o u p p l u s a v a n t a g e u x , à s ' o p p o s e r à u n s o u l a ­g e m e n t q u e r é c l a m e n t l e u r s f r è r e s e n p r o d u c t i o n .

« U n développement de production n 'es t pas possible à prévoir aux colonies, dit le comité , parce que r ien chez elles ne s'y prê te , n i le sol, n i les b r a s , n i les capi­taux. Elles n 'ont pas de capitaux, ou n e les ob t iennent qu 'à u n taux exorbi tant , parce qu'elles ploient encore sous le poids de leurs anciennes dettes , et qu'elles ne peuvent offrir aux prê teurs des garant ies hypo théca i ­res . Elles n 'on t pas de b ras , parce que la t ra i te ne se fait p l u s , et qu ' i ndépendammen t des éventual i tés que récèle le g rand pr incipe d 'émancipat ion, la r ep roduc ­tion de leur population noire suffit à peine à leurs be-soins actuels. Leur sol est épuisé , parce que , soit leur

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propre faute, soit celle de la législation métropolitaine, elles en ont abusé depuis quinze ans ; parce qu'elles ont déjà attribué à la canne à sucre toutes les terres où se cultivaient le café et le coton; parce qu'elles ont déjà mis en culture tous les nouveaux terrains qui pouvaient l 'être avec profit ; parce que leur production actuelle ne se soutient qu'à l'aide des perfectionnemens récem­ment appliqués aux anciennes exploitations. »

Il y a d a n s les l i g n e s q u i p r é c è d e n t a u t a n t d ' e r ­r e u r s q u e d e mot s , e t ce q u ' i l y a de p i r e e n c o r e , c 'est q u e la m a u v a i s e foi v i e n t a g g r a v e r l ' e r r e u r ; en ef fe t , j a m a i s il n e fut p e r m i s d e s u b s t i t u e r avec p l u s d ' a s s u r a n c e à la r éa l i t é e t a u x fa i t s , les s o u h a i t s de son i n t é r ê t p e r s o n n e l e t l ' oub l i d u r e s p e c t d û à la v é r i t é ; ca r d ' u n e p a r t si le t r ava i l l i b r e p r e n d un j o u r a v e c succès la p l a c e d u t rava i l e s c l a v e , q u i sait d i r e le n o m b r e d e b r a s q u e p o u r r a i t o c c u p e r le sol d e la G u y a n e f rança i se? L u i seul est s u s c e p t i b l e d ' u n d é v e l o p p e m e n t tel q u ' o n p e u t y t r o u v e r , en t e r r a i n s v i e rges , en t e r ­r a i n s d u n e fer t i l i té p r o v e r b i a l e , d e q u o i p l a n t e r des cannes p o u r f o u r n i r k u n e c o n s o m m a t i o n p l u s cons idé rab l e q u e ce l le d e la F r a n c e . Q u a n t a u x c a p i t a u x , ils son t auss i a b o n d a n s aux c o ­lonies q u e le c o m p o r t e la p o p u l a t i o n de ces c o n ­t r é e s , e t ils y a b o n d e r a i e n t , si le pays avai t des gages d ' a v e n i r q u ' i l se ra i t facile de lu i d o n n e r . L e c o m m e r c e n ' o b t e n a i t ses e s c o m p t e s , en 1 8 1 4 , qu'à quinze et dix-huit pour cent l 'an;

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aujourd'hui le papier de banque se fait depuis 7 jusqu'à 10 pour cent; et si la propriété coloniale n'offre pas de garantie aux prêteurs, que l'on s'en prenne aux lois qui sont appliquées aux co­lons : aux lois que promulguent les législateurs métropolitains. Ceux-ci, on peut le dire, ne se sont pas montrés, dans la discussion sur les be­soins et sur la situation des colonies, beaucoup mieux informés que les cultivateurs de betteraves.

Loin que la cessation de la traite des noirs ait mis en péril l'agriculture coloniale, il est au contraire reconnu et avéré que les colonies ont assez de bras pour leur culture, et qu'elles en au­ront bientôt plus qu'il n'en faut, comme déjà quel­ques colonies anglaises en fournissent la preuve; et cela précisément parce que la traite ne se fait plus. La population noire ( 1 ) , assise aujourd'hui sur des bases solides et bien équilibrées, prend un ac­croissement que tous les documens officiels cons­tatent, et que des éventualités d'émancipation ne peuvent empêcher. Le sol n'est pas épuisé ; jamais il ne fut plus fertile et plus productif, grâce aux agronomes du pays qui ont ajouté, comme M. Morel de Vindé, par la découverte de nou­veaux engrais, à la fécondité naturelle de la terre. Il n'est pas exact de dire que la culture de la canne à sucre ait envahi toutes les terres desti­nées par la nature au café et au coton, pas plus

(1) Appendice, n° 3 .

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q u ' i l n e se ra i t exac t d e d i r e q u e les t e r r e s e n v a h i e s e n F r a n c e p a r la p r o d u c t i o n art i f iciel le d u suc re d e b e t t e r a v e s , o n t r e m p l a c é ce l les où i l e û t été auss i u t i l e a u m o i n s a u x i n t é r ê t s r u r a u x d u pays d e p l a n t e r d u f r o m e n t ou d e s g r a i n e s o léag i ­n e u s e s .

La p r o d u c t i o n ac tue l l e des co lons n e se s o u t i e n t , d i t e s - v o u s , q u ' à l ' a ide des p e r f e c t i o n n e m e n s ? Q u i p e u t v o u s a u t o r i s e r à p a r l e r a i n s i , vous q u i , p a r vos a m i s e t i n t é re s sés d a n s l e s c h a m b r e s , avez fait i n t r o d u i r e d a n s la loi f inanc iè re q u i r é g l e ­m e n t e la tar i f ica t ion des s u c r e s , u n a m e n d e m e n t p o u r d é f e n d r e a u x c o l o n s le p e r f e c t i o n n e m e n t d e l e u r p r o d u c t i o n , s o u s p e i n e d ' u n e s u r t a x e de q u i n z e f rancs p a r q u i n t a l . Cet a m e n d e m e n t a t t e i n t u n d o u ­b l e b u t : i l e m p ê c h e de l i v r e r a u c o n s o m m a t e u r u n e q u a l i t é d e s u c r e q u i n ' a u r a i t p a s be so in d e l ' i n ­t e r m é d i a i r e c o û t e u x d u ra f f ineur ; i l r e n d la l u t t e à s o u t e n i r c o n t r e le s u c r e i n d i g è n e p l u s difficile e t p l u s d é s a v a n t a g e u s e a u s u c r e co lon ia l . Mai s le c o n t r i b u a b l e , q u e d o i t - i l d i r e ? q u i le r e p r é s e n t e , q u i a d é f e n d u ses i n t é r ê t s à la c h a m b r e ? L u i q u i , d u p e de sa p r o p r e mys t i f i ca t ion , a la b o n h o m i e e n ­c o r e d e m o n t r e r d u d o i g t le co lon q u ' i l c r o i t p r o ­t é g é et p r i v i l é g i é , l u i q u i va m ê m e j u s q u ' à l ' a p p e ­le r m o n o p o l e u r , a u m o m e n t où la p r o d u c t i o n c o ­lon ia le se voi t f e r m e r t o u s les m a r c h é s !

O n a jou te q u e la m o i n d r e q u o t i t é d e l ' i m ­p ô t , ne se ra i t à a d o p t e r d a n s l ' i n t é r ê t des c o l o ­n i e s , q u e si e l l es p r o d u i s a i e n t e t p o u v a i e n t p r o -

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duire plus de sucre que la France ne leur en achète et ne leur en achètera. Mais à quoi donc servent les chiffres et les calculs du commerce, si l'on est encore à dire que la France absorbe tout ce que produisent ses établissemens? M. le comte d'Argout était donc dans l'erreur lorsque, présentant, en 1 8 3 2 , la loi d'avril 1 8 3 3 , il éta­blissait officiellement que le chiffre de la pro­duction coloniale surpassait d'un quart celui de la consommation ? A quoi bon cette constatation authentique de la baisse progressive du prix moyen, chaque année , et de l'augmentation en même temps des quantités existant en entrepôt ? Au Havre 75 fr. le 31 décembre 1832 ; 71 fr. le 51 décembre 1 8 3 3 , et 6 4 fr. 5o c. le 31 décembre 1 8 3 4 . Dans les entrepôts du royaume, 11 millions de kilogrammes existent en 1 8 3 3 ; il y en a 20 millions au 31 décembre 1834. Cet excédant, il est vrai, ne prouve rien, selon le comité, « parce que la plus grande partie, déjà vendue, ne reste en entrepôt que pour compte des spéculateurs. » Qu'importe cette spéculation aux intérêts colo­niaux qui n'ont à constater que l'excédant de chaque année, sur les besoins de la consomma­tion ? Dans une dépréciation périodique des prix de vente , les habitans des colonies ne peuvent voir autre chose qu'une confirmation de leur opinion, sur le triste sort réservé à leurs den­rées , n'ayant pas pour les écouler une issue a u ­tre que le marché français.

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Que penser d'un a r g u m e n t pris dans les do­l é ances d e la raff iner ie s u r l ' insuff isance d e s a p -p r o v i s i o n n e m e n s ? C o m m e si l ' on p o u v a i t ê t r e d u p e e n c o r e d e ces d o l é a n c e s de ra f f ineurs , q u i n ' a v a i e n t d ' a u t r e b u t q u e d ' o b t e n i r le draw-back, s t i p u l é d a n s la loi d ' av r i l s u r les s u c r e s é t r a n g e r s , de m ê m e q u ' i l faut a u j o u r d ' h u i des d o l é a n c e s de c o m m a n d e a u x f ab r i cans d e s u c r e i n d i g è n e , afin q u e l e u r s p r o d u i t s r e s t e n t s c a n d a l e u s e m e n t p r o ­t é g é s . Les co lons n ' o n t - i l s pa s ra ison d e d i r e q u e , p o u r a t t a q u e r l e u r s i n t é r ê t s tou tes les a r m e s sont b o n n e s . « L ' i n d u s t r i e des f ab r i cans de s u c r e de » b e t t e r a v e s va l iv re r à la c o n s o m m a t i o n , e n 1 8 3 5 , » d i t - o n , u n e q u a n t i t é q u i dépas se r a 5 o m i l l i o n s » de k i l o g r a m m e s . » E n 1 8 3 4 , e l l e n ' a v a i t l i v r é q u e 20 m i l l i o n s . C h a q u e l i g n e d u m é m o i r e p r o u v e a ins i l e s d é v e l o p p e m e n s d e la fabr ica t ion d u s u c r e in-d i g è n e , e t avec les d é v e l o p p e m e n s d e ce t t e p r o s ­p é r i t é g r a n d i t l ' e x i g e n c e d e s f a b r i c a n s !

E n a d o p t a n t le chiffre l a r g e de la c o n s o m m a ­t i o n , c e lu i de 100 m i l l i o n s d e k i l o g r a m m e s é tab l i p a r le c o m i t é , b i en q u e l ' a d m i n i s t r a t i o n e l l e -m ê m e le c o n t e s t e p o u r ne p a s avo i r à a v o u e r les c o m p e n s a t i o n s q u e l ' a b a i s s e m e n t des tar i fs offri­r a i t a u t r é s o r , il est c l a i r , a p r è s q u e les f ab r i cans de s u c r e i n d i g è n e a u r o n t p o u r v u à 3 o m i l l i o n s , q u ' i l n ' y a u r a , en 1 8 5 5 , p l ace q u e p o u r 70 m i l l i o n s d e k i l o g r a m m e s d e s u c r e co lon ia l . Mais depuis plusieurs années le minimum des

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i m p o r t a t i o n s n ' a p a s été a u - d e s s o u s d e 75 m i l l i o n s d e k i l o g r a m m e s : a ins i l e s chiffres g r o u ­pés p a r les a d v e r s a i r e s des co lon ies e u x - m ê m e s a u ­t o r i s e n t les co lons a s ' a l a r m e r , d è s à p r é s e n t , s u r l ' e n v a h i s s e m e n t d u m a r c h é i n t é r i e u r p a r u n e i n ­d u s t r i e p r o t é g é e à l e u r s d é p e n s ; e t ce la d a n s le m o ­m e n t m ê m e où la loi d ' av r i l p r o n o n c e l e u r e x p u l ­sion de s raff iner ies , c a r le s u c r e é t r a n g e r y a r r i v e sous d e s c o n d i t i o n s m e i l l e u r e s . R e s t e r a , il v r a i , l ' e n t r e p ô t , d 'où l e u r s d e n r é e s s o r t i r o n t p o u r c o n ­t r i b u e r seu les aux 32 m i l l i o n s que le g é n i e f inan­cier d e la F r a n c e se c r o i t s û r de t r o u v e r l à .

L e s co lons n e p e u v e n t m ê m e p lus t r o u v e r a u fond de la bo î t e u n e e s p é r a n c e fondée s u r les p r o g r è s d e la c o n s o m m a t i o n , c a r le c o m i t é vo i t à ces p r o g r è s des obs tac les i n s u r m o n t a b l e s é n u m é r é s à la p a g e 217 d e son m é m o i r e , et r é s u m é s a i n s i :

« Nous disons que la consommation du sucre a des limites plus étroites, ou du moins plus difficiles à fran­chir, que chez d'autres peuples. Ainsi nous sommes fort peu touchés de l 'énorme quantité de cette denrée qu'absorbe chaque habitant du Royaume-Uni : car, en aucune branche gastronomique, il est douteux que le Fiançais s'élève jamais (cela soit dit sans blâme ni éloge) à la puissance consommatrice de ce peuple. »

Ces l i m i t e s n a t u r e l l e s posées à l ' a c c r o i s s e m e n t de la c o n s o m m a t i o n d u s u c r e en F r a n c e , p l a i d e n t é n e r g i q u e m e n t en faveur d e l ' i n t é r ê t co lon ia l ; e t dans l'argument même du comité , il y a preuve

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du peu de libéralité des fabricans de sucre indi­gène à repousser la supplique des colons. Quant a la comparaison de la puissance consommatrice des Anglais et des Français, on doit croire que les caricatures et les charges de théâtres sont de mauvaises archives à consulter, pour résoudre un problême économique basé sur une juste appré­ciation des développemens dont la puissance consommatrice d 'un peuple est susceptible. Si l'on opposait au chiffre de la consommation de thé et de sucre dans la Grande-Bretagne, celui des hectolitres de blé et de vin, qui sont la base de l'alimentation en France, sans pour­tant en être l'élément exclusif partout où la for­tune et les salaires permettent d'en ajouter d 'au­tres, on verrait de suite ce qu'il y a de puéril et d'oiseux dans l'argumentation du comité. Lors­qu'il s'agira de justifier et d'augmenter même des terreurs simulées de la part du fisc à l'idée d 'une réduction de taxes, les colonies auront le droit de demander que les observations physiologiques soient puisées à des sources sérieuses. Ils persis­teraient autrement à ne pas voir ailleurs que dans l'abaissement des tarifs, les causes de l'immense progrès que la consommation du café, par exem­ple, a faits en Angleterre. De 1808 à 1826, les cafés sortis de l'entrepôt pour la consommation intérieure ont payé au trésor, en moyenne, un droit de 5 millions 600 mille francs : lors de l'abaisse-

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m e n t du tarif, d e s c e n d u en 1829 d e 2 sh i l l ings à 6 p e n c e (de 5 o sous à 12 sous e t d e m i ) , le fisc a p e r ç u d o u z e m i l l i o n s . C e p e n d a n t , le café est u n e b r a n c h e g a s t r o n o m i q u e où la p u i s s a n c e c o n s o m m a t r i c e de la F r a n c e est a u m o i n s éga le à ce l le d e l ' A n g l e t e r r e .

L e c o m i t é , a p r è s avoi r d é m o n t r é , à sa m a n i è r e , q u ' u n e r é d u c t i o n d e d r o i t s sera i t i m p u i s s a n t e p o u r d o n n e r a u x co lons u n e p r o d u c t i o n p l u s forte, e t à la c o n s o m m a t i o n u n d é b o u c h é p l u s l a r g e , a d é c o u v e r t e n c o r e « c o m m e vous l ' avez i n d i q u é v o u s - m ê m e , m o n s i e u r l e m i n i s t r e , » ( p a g e 2 4 ) q u e les co lons en d e m a n d a n t ce t t e r é d u c t i o n , n ' o n t q u e l e dés i r d ' a r r i v e r à d e m e i l ­l e u r s bénéf ices . « I l l u s i o n d ' a u t a n t p l u s g r a n d e » q u e la s p é c u l a t i o n n e l e u r l a i s se ra i t a u c u n e p a r t » d a n s l a p o r t i o n d u d r o i t a u q u e l l e t r é s o r a u -» ra i t r e n o n c é . »

A p a r e i l s a r g u m e n s q u e r é p o n d r e ? Se f a i t -on idée d e la s p é c u l a t i o n h a u s s a n t les p r i x sans q u e le p r o d u c t e u r en p r o f i t e ? Se fa i t -on i d é e d u p r o ­d u c t e u r , p i e d s e t p o i n g s l iés , n e p o u v a n t a r r i v e r d i r e c t e m e n t a u x sou rces de la c o n s o m m a t i o n sans se la isser e n l e v e r p a r la spécu la t ion u n e p a r t d e son p r i x d e v e n t e ? et c 'es t à monsieur le ministre, qui a la cause des contribuables entre ses mains, que l ' on s ' ad res se ! C'est à l u i q u e les fabr icans d e sucre i n d i g è n e osen t s i g n a l e r , en l e u r q u a l i t é de contribuables, « la perturbation que jeterait

3

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» dans les finances une diminution du droit colo-» nial.»

Il est vrai que ces fabricans désintéressés dont les colons à leur tour vont avoir k dissiper les illusions, avaient là une bonne occasion pour dire k monsieur le ministre qu'ils « savent ce qu'ils paient en contributions et par conséquent ce que coûte la qualité de producteur français!...» (Page 2 6 ) .

« Quant aux colons, nous les prions de nous dire s'ils connaissent chez eux les impôts foncier et mobilier, les contributions indirectes , les octrois, et s'ils paient autre chose qu'une capitation fort modérée sur les es­claves et un modique droit d'entrée de 1 pour cent sur leurs consommations principales. Nous leur demande­rons si, en conscience,, toutes les charges que nous sup­portons trouvent un équivalent dans le droit qui est imposé chez nous à leurs produits, et qu'ils ne paient pas? Ou nous nous trompons fort, ou ce n'est pas là de l'égalité. »

Quoi! tous les documens officiels que publie le ministre de la marine, tous ceux que font im­primer et distribuer les délégués des colonies (1 ) n'ont pas encore fait connaître à la France entière que les colons paient des contributions ! La Gua­deloupe 2 , 0 8 1 6 2 1 francs par an; la Martini­que 2 , 1 9 2 , 7 1 7 ; Bourbon 1 , 3 9 5 , 8 6 0 et Cayenne 6 2 2 , 2 0 0 fr.! Que faut-il donc faire, et quel mode

( 1 ) Appendice; n° 3.

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de publicité employer pour que ces budgets arrivent à la connaissance du comité, et lui apprennent, qu'à part quelques différences de désignation et de formelles colons paient chez eux d'énormes impôts assis sur les bases analogues à celles des taxes payées en France : qu'il importe peu comment, et sous quel nom, les charges intérieures d'une population de cent mille libres, hommes, femmes et enfans, arrivent à une somme annuelle de 7 mil­lions de francs, ce qui fait 70 francs par tête, tandis que dans la vraie France où se faitle sucre de bet­teraves, chacun ne contribue que pour 39 fr. à un budget de 12 cent millions qui n'est pas proba­blement un budget normal.

Les colonies seront-elles obligées, en désespoir de cause, d'employer des colporteurs à l'instar des marchands de papier-weynen, et, pour l'ins­truction du comité, de faire imprimer des budgets coloniaux sur les chapeaux cirés de ces affiiches-ambulantes ? Peut-être alors leur ferait-on grâce enfin de cette argumentation contre leur prétendu affranchissement de taxes intérieures.

Il est vrai, encore une fois, que, sur les états de recette, l'impôt des colonies ne s'appelle ni fon­cier, ni mobilier, ni octroi. Qu'importe? Dira-t­on que Paris est sans gendarmes , parce que la gendarmerie s'appelle garde municipale? Dans des pays constitués comme les colonies où les productions du sol n'ont qu'une seule porte de sort ie , ou il est défendu de raffiner le

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sucre que l'on fabrique, et même de l'épurer, il est aisé de comprendre comment un droit unique, un droit fixe supplée à tout. Cette taxe, désignée sous le nom spécial de droit colonial, est d'une perception facile, d'une perception qui n'entraîne aucuns frais, étant sur une simple liquidation en douane, perçue à la sortie des denrées.

A cette taxe viennent se joindre encore l ' im­pôt sur les maisons et sur les nègres de ville, ou de petite culture, la contribution des patentes, les licences de tavernes et de cabarets, et les impôts sur les distilleries et les cbauffourneries. Est-ce là ne pas payer de taxes intérieures ?

Passons à une autre leçon : « Les sucres, dit le comité, se sont vendus, aux colo­

nies , au commencement de mars dernier, à raison de 27 fr, les 59 kilogrammes, ce qui, avec le décompte de la tare, qui est de 17 pour cent, donne au vendeur un prix réel de 28 fr. 89 cent. De leur coté, les sucres indigènes ont été livrés à Paris, il y a peu de jours, pour 45 fr. 25 cent. 5 ce qui, lorsqu'on en retranche 9 fr. 97 c. pour la tare, le transport, la commission et le ducroire, représente sur le lieu de production 35 fr. 28 cent. La différence de 35 fr. 28 cent, à 28 fr. 89 c , est de 6 fr. 39. »

Cette protection d'une industrie française au dé­triment d'une autre, est déjà une injustice; mais le comité savait ce qu'il voulait en calculant comme il l'a fait; car il ne peut pas ignorer ce qu'on n'igno­re pas dans les comptoirs d'un négociant de Saint-

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V a a s t , d u Cro i s i c o u d e B a n d o l . L e s s u c r e s b r u t s o n t é t é v e n d u s 27 fr : so i t . L e s co lons a d m e t t e n t ce chiffre p o u r s u i v r e l e u r s adve r sa i r e s s u r l e u r p r o ­p r e t e r r a i n ; c a r , e n déf in i t ive p o u r e u x , s o u v e n t forcés d ' ê t r e e x p é d i t e u r s , la v a l e u r d e l e u r s r e ­v e n u s n e se p r é c i s e e n chiffre q u ' e n F r a n c e . C 'es t d a n s l e s p r i x d e s e n t r e p ô t s , ou d a n s c e u x d e l a c o n ­s o m m a t i o n m é t r o p o l i t a i n e , q u e le p l a n t e u r t r o u v e d o n c l a g a r a n t i e de s f ru i t s d e son t r a v a i l . O r , ces p r i x , d e p u i s d e u x a n n é e s , d é d u c t i o n fa i te des frais d u c o m m e r c e m a r i t i m e , n ' o n t p a s d é p a s s é 20 f r ancs p a r q u i n t a l . (1 )

A b o r d a n t l e s h y p o t h è s e s e t l e s d o c t r i n e s d u c o m i t é , l es co lons f e r o n t o b s e r v e r q u ' i l y a u ­r a i t e u d ' a b o r d d e l ' i m p a r t i a l i t é à r a i s o n n e r s u r u n p r i x m o y e n e t n o n s u r l e chiffre e x c e p t i o n n e l des p r e m i è r e s e t r a r e s q u a l i t é s . C e p e n d a n t i ls n ' o n t p a s b e s o i n d e c h i c a n e r , p a s p l u s q u ' i l s n e c o n t e s ­t e n t la n é c e s s i t é d u p r i x d e 3 5 f rancs 28 c , p o u r le s u c r e i n d i g è n e , d é d u c t i o n faite d e c o m m i s s i o n , d u c r o i r e , t r a n s p o r t , e t c .

M a i s i l e û t é t é é g a l e m e n t d e b o n n e g u e r r e d ' é ­t a b l i r e x a c t e m e n t le revient du s u c r e c o l o n i a l s u r l e l i eu m ê m e d e sa p r o d u c t i o n , c ' e s t - à - d i r e , s u r l ' h a b i t a t i o n d u p l a n t e u r . L e s c o l o n s d e l a M a r ­t i n i q u e e t d e l a G u a d e l o u p e v o n t s u p p l é e r a u x c o n n a i s s a n c e s d u c o m i t é o u r é p a r e r l e s t o r t s d e sa b o n n e foi . I ls n e p a r l e r o n t p a s d u d r o i t co lon i a l

(1) Appendice n° 1.

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qu'ils sont tenus de déduire du prix de vente pour être versé au trésor : il a été dit que c'était là, dans le pays, l'impôt foncier et mobilier.

Sur la tare, pas de bénéfice pour le planteur; il ne saurait où trouver ce franc et 8 9 centimes par quintal dont le comité fait une addition a son prix de vente. Une barrique vide sortant de ses magasins pèse de 1 0 0 à 120 livres; quand cette même barrique est pleine, son poids brut est de 1 , 0 0 0 a 1 , 2 0 0 livres; ainsi en allouant une tare de 10 pour 100 à l'acheteur, les colons n'a­joutent pas un centime au prix de leur produc­tion. Si, en Europe, les usages du commerce ont voulu que la tare fût de 17 pour 1 0 0 , c'est une différence de sept pour cent, tout entière au pro­fit de l'acheteur européen, mais qui, dans aucun cas ne peut s'ajouter, sur les lieux de la production, aux 27 francs du planteur.

Voici maintenant le compte que le comité devait faire, s'il avait su, ou s'il avait voulu être exact.

Perte de la futaille, abandonnée à l'acheteur, sur le prix de vente, suivant l'usage aux colo­nies 1 fr. 5o c.

Transport par 5o kilog. . . 1 5o Commission et ducroire . . 1 35 Menus frais du commerce ,

roulage, magasinage, etc. . . 2 7 1/2 Ensemble 4 fr. 6 2 c. 1/2

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à déduire de 2 7 francs, qui ne sont pas, on le sait, le prix commun, mais bien le maximun des plus belles nuances.

Sur ce prix exceptionnel de 2 7 francs, il reste donc au planteur 22 fr. 3 7 1/2 cent, sans parler des risques de mer et d'embarquement, et surtout des risques du cabotage qui occasionne des pertes si fréquentes. C'est en définitive une balance de 2 6 fr. environ par quintal métrique en faveur du producteur indigène. Cette balance passe 2 8 fr., comparée aux prix d'entrepôt en France. Ces compensations paraîtront exagérées au comité lui-même, quand il sera bien sûr que des charges publiques sont supportées par les colons, et que « les immunités dont ils jouissent » (page 3 o ) , n'existent réellement que dans l'imagination des fabricans de sucre indigène.

Faut-il actuellement rappeler au comité le sys­tème de douanes qui pèse sur la consommation lo­cale , et qui force le colon a payer , pour lui et pour ses travailleurs, la livre de viande 1 fr., et la livre de pain de 45 à 6 0 cent.? Faut-il parler des vêtemens et des autres besoins de la vie? de ceux de l'exploitation ? tous arrivant surchargés de fret, de commission et de frais de toute es­pèce au profit du commerce français? N'y a-t-il pas injustice flagrante à fermer plus long-temps les yeux sur cette révoltante inégalité des char­ges et des prix de productions similaires ?

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« La question maintenant, dites-vous, est de savoir si nous serons choisis les premiers, pour subir la rude épreuve des principes du libre commerce, nous qui sommes les plus jeunes et par conséquent les plus fai­bles; nous qui accroissons la valeur du sol; nous qui répandons l'aisance et le goût du travail dans les cam­pagnes ; nous qui n'avons encore réalisé aucuns béné­fices ; nous enfin dont le capital mobilier, inapplicable à tout autre emploi, serait anéanti du moment où il nous faudrait cesser nos travaux. »

Ic i les co lons se t r o u v e n t h e u r e u x d e p o u v o i r c a l m e r les t e r r e u r s d u c o m i t é et de s i n t é r ê t s q u ' i l r e p r é s e n t e . Déjà p a r l ' o r g a n e de l e u r s d é f e n ­s e u r s l é g a u x , i ls o n t d é c l a r é ê t r e p r ê t s à s u b i r la p r e m i è r e é p r e u v e des p r i n c i p e s d e l i b e r t é c o m ­m e r c i a l e les p l u s é t e n d u s . I ls r e v e n d i q u e n t h a r ­d i m e n t ce t t e p r i o r i t é q u i effraie t e l l e m e n t le p r o ­d u c t e u r d u s u c r e i n d i g è n e . O n t - i l s t o r t , l o r s q u e fa t igués d e s e r v i r de m a r c h e - p i e d à u n e i n d u s t r i e r i v a l e , ils son t e n c o r e le p o i n t d e m i r e des a t t a ­q u e s i n c e s s a n t e s e t s y s t é m a t i q u e s de c e r t a i n s o r ­g a n e s de la p r e s s e ; l o r s q u e m e n a c é s d e r u i n e e t de d e s t r u c t i o n , i ls son t e n t o u r é s de c a l c u l a t e u r s occupés à é v a l u e r l ' é n o r m i t é de la c h a r g e c o l o ­n ia le p o u r la m é t r o p o l e ?

Les fabr icans d e s u c r e i n d i g è n e c r a i g n e n t la c o n c u r r e n c e de l e u r s p r o p r e s c o n c i t o y e n s , e t c 'est la c o n c u r r e n c e d u m o n d e en t i e r q u e les F r ança i s d ' o u t r e - m e r appe l l en t a u profit des c o n -

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s o m m a t e u r s m é t r o p o l i t a i n s î Q u e l e s f a b r i c a n s c o n t i n u e n t a r é p a n d r e l ' a i s a n c e et l e g o û t d u t r a ­vai l d a n s les c a m p a g n e s d e la vraie France; m a i s , p o u r a t t e i n d r e c e b u t d ' u n e g é n é r e u s e p h i l a n t r o -p i e , i l n ' e s t p a s n é c e s s a i r e d ' e m p l o y e r d e s m o y e n s q u i j e t e r a i e n t l a m i s è r e e t l e d é g o û t d a n s l e s c a m p a g n e s d e l e u r s f r è res e t c o m p a t r i o t e s . S i la vo ix d e s c u l t i v a t e u r s d e b e t t e r a v e s d e v a i t s e u l e ê t r e e n t e n d u e , i l n e r e s t e r a i t p l u s a u x c o l o n s f rança is q u ' u n e s é p a r a t i o n à d e m a n d e r à u n e m é ­t r o p o l e q u i l e u r es t e n c o r e c h è r e , m a i s d o n t le j o u g d e v i e n d r a i t i n t o l é r a b l e .

L a l é g i s l a t u r e m é t r o p o l i t a i n e n e p e u t v o u l o i r c o n s o m m e r la r u i n e d e s c o l o n s . L e u r n a t i o n a l i t é e t l e u r é l o i g n e m e n t m ê m e s o n t d e s t i t r e s suf f i sans d e p r o t e c t i o n , q u a n d m ê m e i l s n ' a u r a i e n t p o i n t à fa i re v a l o i r d ' a u t r e s c o n s i d é r a t i o n s d ' i n t é r ê t m a ­t é r i e l q u i c o m m a n d e n t a l a F r a n c e l a c o n s e r v a ­t i o n d e ses é t a b l i s s e m e n s d ' o u t r e - m e r . C a r l ' a g r i ­c u l t u r e m é t r o p o l i t a i n e e l l e - m ê m e t r o u v e sa p a r t d a n s l e s s e r v i c e s q u e l ' e x i s t e n c e de s c o l o n i e s r e n d à l ' i n d u s t r i e f r a n ç a i s e .

L o r s q u e M . l e m i n i s t r e d u c o m m e r c e p a r l a i t à la t r i b u n e d e l ' e x p o r t a t i o n d e s c é r é a l e s , 3 o fois p l u s fo r t e q u e l e s q u a n t i t é s d e l ' i m p o r t a t i o n ; q u a n d i l c o n s i g n a i t d a n s l e s c o l o n n e s d u Moni­teur c e s i g n e d e l a p r o s p é r i t é d e l ' a g r i c u l t u r e f r a n ç a i s e , i l e û t b i e n fait s a n s d o u t e d e d i r e à la l é g i s l a t u r e et a u p u b l i c q u e l e s c o l o n i e s f r ança i se s

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étaient les pays de destination de ces fructueuses exportations. Quand Bordeaux et son commerce , ennemis quelquefois si ardens de la cause colo­niale , appelaient nos colonies des fardeaux pour la France, les colons, étonnés, répondaient que les exportations de vins de France étaient quatre fois plus considérables pour les colonies françaises que pour l'Angleterre; un tiers plus considérables pour les colonies françaises que pour le vaste con­tinent des Etats-Unis, où il y a tant de souvenirs et de goûts français, et où l'abaissement des droits, par suite du traité des 25 millions, a atteint son périgée !... Qu'on cesse de dire que la France, achetant des sucres ailleurs, y trouverait le placement égal de ses vins et de ses farines de froment. Le commerce français, plus convaincu chaque jour du contraire, le proclame dans des pétitions récentes adressées aux cham­bres pour leur demander l'abaissement des tarifs sur les produits coloniaux.

Le comité parle de la consommation des den­rées de la vraie France, de l ' impér i ssab le France, par les ouvriers de la fabrication de sucre indigène. Mais ces produits arrivent à ces ouvriers en chiffre mesquin et sans mouvement commercial, tandis que 5oo navires portent les mêmes produits aux colonies, en chiffre décuple, occupent 8 à 9 mille marins , et donnent la vie au littoral de la France. A quel titre dépouillez-vous les ouvriers

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des ports, des droits et des fruits de leur travail, au bénéfice des ouvriers de vos fabriques ? Pourquoi la France maritime perdrait-elle une des branches des combinaisons industrielles de son avenir ? « A nous l'avenir, » s'écrie le comité, avec orgueil î Et pourquoi cette conquête de l'ave­nir, réservée aux fabricans de sucre de betteraves? C'est que leur production est jeune, et que la production coloniale date de loin.

« Au siècle où nous vivons, c'est un pauvre droit que le droit d'aînesse. Cette question d'ancienneté , d'ail­leurs, a une. autre face bien autrement sérieuse. La vieillesse amène avec elle l'épuisement, et présage la mort. Quanta la jeunesse, lorsqu'elle a déjà beaucoup produit, que ne peut-on pas attendre de sa maturité ?»

Certes, les colons doivent avoir peine à com­prendre ce droit d'aînesse qu'on ne leur dispute pas, sans doute parce que c'est un pauvre droit; ils n'admettent pas non plus le droit d'ancienneté de leur cultivation sur celle du sol de la France ; droit qui , en effet, doit paraître insaisissable pour bien d'autres intelligences ; car peu importe la nouveauté du fruit arraché à la terre ; pour tout le monde l'âge du terrain qui produit résout mieux la question de fertilité. Comment conce­voir la France argumentant de sa jeunesse contre les colonies ?

« Quatre cents fabriques, dit le comité, occu-» pent et salarient 15o mille personnes ! » Dans le

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n o m b r e son t c o m p r i s les t r a v a i l l e u r s d e s c h a m p s . L e s co lons p o u r r a i e n t p e u t - ê t r e o b j e c t e r q u e les b r a s d e ces t r a v a i l l e u r s n ' é t a i e n t p o i n t inac t i f s a v a n t la f ab r i ca t ion d u s u c r e i n d i g è n e , p u i s q u e ce n o u v e a u p r o d u i t a é t é d e m a n d é a u x t e r r e s les p l u s f r u c t u e u s e m e n t e t l es p l u s b a b i l e m e n t c u l ­t i v é e s . Ma i s c e t t e fin d e n o n - r e c e v o i r , q u e l q u e va lab le q u ' e l l e s o i t , q u a n d i l s ' ag i t d ' u n e a p p r é ­c i a t i o n d e t r a v a i l , n e s e ra p o i n t i n v o q u é e c o n t r e les é t r a n g e s c o n c l u s i o n s des f a b r i c a n s .

L e c o m i t é a d e la s y m p a t h i e p o u r l e s n o i r s . « C e p e n d a n t sa p h i l a n t r o p i e n ' e s t p a s e x c l u s i v e -» m e n t t r o p i c a l e : i l n ' o u b l i e p a s les b l a n c s d e » F r a n c e . » Si d o n c la q u e s t i o n deva i t se d é c i d e r p a r u n r a p p r o c h e m e n t n u m é r i q u e , l e c o m i t é v e u t u n d r o i t p r o t e c t e u r p o u r sa s y m p a t h i e b l a n ­c h e . « Il p r o p o s e r a ( e t l e s c o l o n s n e s 'y o p p o s e -» r o n t p a s s a n s d o u t e ) d e m e t t r e d a n s l a b a l a n c e » un de ces blancs contre trois nègres. » (Page 29).

M a i s le c o m i t é m e t t r a - t - i l a u s s i la c o n s o m m a ­t i on d e s t ro i s n è g r e s , l e u r l o g e m e n t , l e u r h a b i l l e ­m e n t , les frais d e m a l a d i e , e t c . , d a n s u n p l a t e a u d e l a b a l a n c e , e t d a n s l ' a u t r e l e m i s é r a b l e s a l a i r e d e l ' o u v r i e r b l a n c ? Ca r , s y m p a t h i e à p a r t , i l y a p o u r les co lons de s c o n s i d é r a t i o n s m a t é r i e l l e s à faire v a l o i r . L e u r s o u v r i e r s of f rent a u p r o d u c t e u r ou a u m a n u f a c t u r i e r m é t r o p o l i t a i n u n p l a c e m e n t p l u s l a r g e p o u r l e s r é s u l t a t s d u t r a v a i l n a t i o n a l ;

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les charges des colons envers la classe ouvrière sont plus lourdes. Or, de telles considérations ne sont pas sans valeur, lorsqu'il s'agit d'apprécier le mérite de deux industries rivales ou les droits respectifs de leur production , à une diminution de taxe ou de protection.

Au reste, le comité qui a comparé la puissance consommatrice des Anglais et des Français, et la puissance des sympathies qu'il faut avoir pour des blancs ou pour des noirs, compare aussi la puis­sance productrice du commerce des ports et celle des villes de l'intérieur. Les colons ne le suivront pas dans ce bizarre raisonnement (page 54), dont il résulte : que les ports de mer ne sont en France qu'au nombre de 6 , qui profitent du commerce des sucres de cannes ; que leur population réunie ne va pas à 600 mille ames, et que si l'on veut bien, pendant quelques années encore, donner aux fabricans de sucre de betteraves une somme de 5o fr. par 1 0 0 kilogrammes, ils s'engagent à fournir seuls à la consommation, les 80 millions de sucre qu'elle absorbe, et à procurer de leur côté, l'existence à une population de 600 mille ames : d'où il résulte encore que l'importance du travail créé par leur industrie est, suivant, eux à l'importance du travail créé dans les ports de mer par l'importation des sucres de cannes comme 6 est à 1 1 / 2 , raisonnement que les colons peuvent ne pas combattre, et qu'ils feront bien

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m ê m e d ' a b a n d o n n e r a u x Saumaises p r é s e n s e t fu­t u r s d e l ' é c o n o m i e p o l i t i q u e .

I l faut v o i r m a i n t e n a n t s ' i l est faci le a u x c o l o ­n ies d e d é m o n t r e r p l u s c l a i r e m e n t q u ' i l y a de l ' e x a g é r a t i o n d a n s la d e s c r i p t i o n faite p a r l e co-r m i t é des a v a n t a g e s à é c h e o i r à la c u l t u r e d u sol d e la F r a n c e , p a r s u i t e d e sa c o n q u ê t e d ' u n e i n d u s t r i e n o u v e l l e .

U n h e c t a r e , s e m é e n b e t t e r a v e s , p r o d u i t d a n s les b o n n e s t e r r e s 25oo k i l o g r a m m e s ; e t m ê m e d a n s les d é p a r t e m e n s d u N o r d e t d u Pas -de -Ca la i s , ce chiffre d e p r o d u c t i o n p e u t a t t e i n d r e 3 o o o k i l o ­g r a m m e s . L e c o m i t é a é v a l u é a 1 0 0 m i l l i o n s d e k i l o g r a m m e s la c o n s o m m a t i o n d e la F r a n c e : s u r c e t t e b a s e l i b é r a l e , 40 m i l l e h e c t a r e s ' d e t e r r e p r o d u i r a i e n t , à la basse é v a l u a t i o n d e 2 5 o o k i lo ­g r a m m e s , la c o n s o m m a t i o n e n t i è r e d e la F r a n c e . A c c o r d a n t 5 o m i l l e h e c t a r e s , c 'es t s u r ce t t e s u r ­face e x i g u ë d u t e r r i t o i r e d e la F r a n c e q u e s ' a c ­c o m p l i r a i e n t t o u s les p r o d i g e s d ' a g r i c u l t u r e a n ­n o n c é s p a r la b e t t e r a v e !

I l y a a u j o u r d ' h u i t a n t d ' a v a n t a g e s , t a n t de prof i ts p o u r les i n d u s t r i e l s q u i s ' o c c u p e n t de c e t t e e x p l o i t a t i o n , q u e le m ê m e sol r e ço i t t o u s les d e u x a n s la r a c i n e d e la b e t t e r a v e . A c c o r d a n t e n ­c o r e , d a n s l ' i n t é r ê t m ê m e d ' u n e b o n n e r o t a t i o n , q u e la m ê m e t e r r e n e t r a v a i l l â t q u e t o u s les t r o i s a n s , i l y a u r a i t d a n s l'impérissable F r a n c e 15o m i l l e h e c t a r e s d e t e r r e s e u l e m e n t favorisées p a r

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la conquête que le sucre indigène veut faire du marché de la consommation intérieure, au détri­ment des quatre colonies de la France périssable, Or, la vraie France a 22 millions d'hectares de terres arables. Que la culture de la betterave dou­blât ou triplât d'importance, elle n'arriverait pas à couvrir la moitié des terres arables d'un seul département ; et les colonies françaises, en fa­rines de froment seulement, exportent annuelle­ment neuf millions de kilogrammes! C'est dans cette exportation que M. le ministre du com­merce a puisé des argumens en faveur de l'inté­rêt rural de la France , pour appuyer la législa­tion actuelle des céréales ! Si les colons deman­daient aux Etats-Unis , ou même en échange de leurs sucres, aux entrepôts de la Méditerrannée , les céréales qu'ils consomment aujourd'hui; s i , modifiant leurs habitudes, en raison de leurs nou­veaux rapports, les colons restreignaient ou ces­saient leur consommation de vins de France, peut-être alors s'apercevrait-on que la retraite de ces consommateurs causerait à deux branches principales de l'agriculture métropolitaine assez de dommages pour que la fortune publique n'en trouvât pas l'équivalent dans la prospérité de l'in­dustrie eunuque des fabricans de sucre indigène.

On parle fièrement du nombre de bras employés par cette fabrication ; mais 3 o ouvriers, hommes et femmes, suffisent à la fabrication quotidienne

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de 1ooo kilogrammes de sucre de betteraves. Pour les 1 0 0 millions de la consommation, il faudra 5 millions de journées; ce qui donnerait de l'em­ploi à 25 mille ouvriers par jour, pendant 1 2 0 jours, ou pendant l'année à 8 mille et quelques cents personnes employées tous les jours. Que l'on ajoute, si l'on veut, à ce nombre de travailleurs celui des travailleurs de la terre, et qu'on veuille bien dire, si ce développement de travail, tout à fait hypothétique , peut soutenir la comparaison avec le développement qui résulte aujourd'hui du mouvement industriel d'un immense capital maritime, agricole et manufacturier, garantis­sant au pays l'emploi constant de 8 à g mille mate­lots, et des échanges commerciaux, dont la va­leur dépasse annuellement cent millions de francs; en même temps que ce capital pourvoit aux besoins de plus de 3 0 0 mille travailleurs coloniaux. A moins, cependant, que la nature particulière des sympathies du comité, ne voie pas pour les deux-tiers de ces ouvriers noirs la nécessité de vivre.

Après avoir longuement cherché à établir la justice de l'impôt qui écrase la production colo­niale, le comité des fabricans de sucre indigène s'est enfin décidé à aborder la seule question dont il eût dû s'occuper, celle de la création ou du re­

fus par les chambres d'un impôt sur les sucres de betteraves. Il a consacré à cette thèse la seconde partie de son mémoire. Les colons n'auraient

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que d'imprudens amis dans ceux qui toucheraient trop fortement cette nouvelle corde du litige, sur­tout dans l'intérêt exclusif de l'industrie coloniale. C'est aux fabricans de sucre de betteraves a ne pas se laisser aborder par le fisc; k eux d'effrayer M. le ministre des finances sur « le dédale d'incerti-» tudes et de difficultés, sur l'énormité des mé-» comptes , sur le concert de plaintes et de récri-» minations » qui accueilleraient la création d'une taxe imposée au sucre indigène.

P L A N T E U R S E T H A B I T A N S D E S COLONIES F R A N ­

Ç A I S E S ! tout a été dit , tout a été écrit pour la défense de vos intérêts. Pièces officielles insérées au Moniteur par le ministre de la marine, dis­cours éloquens prononcés k la tribune des cham­bres par vos délégués-députés; communications importantes aux journaux, ou brochures publiées par vos délégués-colons, rien ne manque pour que la question coloniale , posée dans des ter­mes nets et précis, soit mise sous les yeux des hommes qui voudront l'examiner avec impartia­lité. Justice vous sera-t-elle faite? qui peut vous la refuser encore, sinon le préjugé ou la vio­lence? Mais la faiblesse appuyée sur le droit a quelquefois ses armes aussi.

C'est k des armes de ce genre que les colons doivent recourir. Qu'ils les mettent aux mains de ces modestes législatures coloniales dont la mé­tropole a permis l'existence. Des assemblées lé-

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gales peuvent réclamer hautement l'émancipation commerciale et la liberté de l'industrie pour les colonies françaises. C'est alors que cesseront toutes les déclamations contre l'utilité de ces colonies, et toutes les accusations de priviléges et de monopole.Car, à moins d'un mépris systéma­tique pour les simples notions de la justice, on sera forcé de convenir que les colons français ont au moins le droit de demander ou une émancipation ou une égalité de charges. On ne peut exiger en effet qu'ils se soumettent en aveugles aux consé­quences désastreuses d'un système qui n'aurait d'autres bases que les caprices de la force ou les calculs de la mauvaise foi.

Eh bien ï ces conséquences sont patentes dans les combinaisons de M. le ministre des finances lui-même. La concurrence du sucre indigène et l'accroissement de cette production doivent né­cessairement faire baisser les prix ; et peu importe à M. Humann que la consommation ait grandi par l'avilissement des prix, et que le planteur ruiné ait fait les frais de cet agrandissement. Certes, aussi long-temps qu'il y aura quelque espoir de succès, les colonies soutiendront la lutte contre cette in­flexibilité du fisc. Mais le fisc peut-il spéculer sur une longanimité qui n'est probable qu'à cause de son principe patriotique difficile à détruire ? Peut-on fonder sur cette longanimité des calculs de longue et de sûre perception sans danger réel

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pour les intérêts fiscaux de la vraie France? un pareil état de choses pourrait-il durer long­temps ?

Quelle que soit la dose de patience des colons français, il semhle que le jour ou l'injustice im­pitoyable de la métropole leur serait irrévoca­blement démontrée, il deviendrait bien difficile qu'ils ne cherchassent pas à employer les remèdes auxquels leur position géographique leur permet d'avoir recours. On les a souvent accusés sans rai­son d'introduire des sucres étrangers en fraude; mais quand leurs propres sucres n'auront plus de placement possible sur le marché métropolitain, envahi par le sucre de betteraves, force leur sera bien d'essayer les marchés des îles ou des contrées sans douane qui les avoisinent et qui leur offri­ront encore quelques chances de salut.

En pareil cas, toute la surveillance doua­nière de la métropole ne pourrait empêcher la moitié au moins des recettes de passer par Saint-Thomas, Saint-Barthélemi et Saint-Eus-tache. Alors le commerce français aura la douleur de voir revenir ses navires sur lest, quelle que soit la colonie a sucre à laquelle ils au­ront été expédiés. Car si les fabricans de sucre indigène ont assez de puissance pour fermer le marché de la France à une production française, combien ne leur sera-t-il pas plus facile d'empê­cher les productions étrangères d'arriver sur ce

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marché? Qu'en résulterait-il? Un dommage pour le bien-être de la population des ports et du littoral de la France. Faible considération. Les fabricans n'ont-ils pas assez bien calculé et prouvé que, dans la balance des intérêts généraux de la France impérissable, un producteur de betteraves est à un armateur comme 6 est à 1 et demi ?

Tel serait donc l'avenir promis à la France maritime et coloniale! Non, la chose n'est pas possible et des lieux mêmes où l'on osait tramer leur destruction, l'on viendra au secours de ces grands intérêts. Déjà l'égoïsme du mémoire accusateur a effrayé de nombreuses industries dans la capitale et dans les ports de mer. Le com­merce maritime, la navigation, les manufactures, l'agriculture elle-même, menacés que sont tous ces intérêts par la réduction ou la suppression de leur aliment le plus puissant, feront entendre leur voix dans les chambres. La marine militaire , blessée dans ses justes susceptibilités, parce qu'on a douté mal à propos de la conservation des pays qu'elle défend, a dû voir avec douleur mettre en question l'utilité de sa propre existence. Le trésor lui-même cédera à tant de cris, quand ses recettes affectées par l'importation décroissante des sucres de cannes lui auront enfin démontré que sa triste économie politique a porté ses fruits.

C'est aux chambres de commerce à seconder cette tardive sympathie qui se déclare sur des

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p o i n t s n o m b r e u x et importons e n f a v e u r d e s co lons f r a n ç a i s . U n e d é l i b é r a t i o n d e la c h a m ­b r e d e c o m m e r c e d e P a r i s v i e n t d ' a p p e l e r l ' a t ­t e n t i o n d e M . l e m i n i s t r e d u c o m m e r c e s u r ce t te g r a v e q u e s t i o n d e l ' a b a i s s e m e n t d e s t a ­rifs d u s u c r e c o l o n i a l . L e s p é t i t i o n s d e B o r d e a u x se s o n t r e n o u v e l é e s à c e su je t d e v a n t l e s c h a m b r e s . S o i x a n t e m a i s o n s d e c o m m e r c e d u H a v r e , v i e n n e n t d ' a d r e s s e r a u s s i u n e p é t i t i o n à la c h a m b r e des d é p u t é s ( 1 ) p a r l ' i n t e r m é d i a i r e d e l ' u n de s r e p r é ­sentants d e c e t t e r i c h e c i t é d o n t les i n t é r ê t s t o u ­c h e n t d e si p r è s à c e u x d e l a c a p i t a l e e t d e t o u t l ' e m p i r e . M . l e m i n i s t r e d e s f inances r e s t e r a - t - i l s o u r d a u x r é c l a m a t i o n s u n a n i m e s d e s c h a m b r e s d e c o m m e r c e d e F r a n c e ?

T H É O D O R E L E C I I E V A L I E R .

( 1 ) Appendice n° 1 .

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A P P E N D I C E .

(N° 1 ) .

LÉGISLATION D E S SUCRES.

Pétition du commerce du Havre, adressée à Messieurs les pré­

sident et membres de la chambre des députés.

MESSIEURS,

L a l o i d ' a v r i l 1 8 8 3 , q u i a c h a n g é l a l é g i s l a t i o n d e s s u c r e s ,

é t a i t i n d i s p e n s a b l e d a n s l ' i n t é r ê t d u t r é s o r p u b l i c , q u i , e n

c o n t i n u a n t à p a y e r e n p r i m e s s u r l e s s u c r e s r a f f i n é s e x p o r ­

t é s e n v i r o n 5 0 f r . p a r q u i n t a l m é t r i q u e d e p l u s q u ' i l n ' a v a i t

r e ç u e n d r o i t s s u r l e s s u c r e s b r u t s i m p o r t é s , n e p o u v a i t p a s

t a r d e r l o n g - t e m p s à a v o i r à r e m b o u r s e r a u t a n t e t b i e n t ô t

a p r è s p l u s q u ' i l n ' a v a i t r e ç u . U n e a u s s i f o r t e p r i m e é t a i t d ' a i l ­

l e u r s u n t r o p g r a n d a p p â t à l a f r a u d e , q u i , c h a q u e a n n é e ,

s ' o r g a n i s a i t p l u s s y s t é m a t i q u e m e n t ; e t , d ' u n a u t r e c ô t é , s i

n o s î l e s à s u c r e , d u m o i n s c e l l e s d e l ' A m é r i q u e , d e p u i s l a s u p ­

p r e s s i o n d e l ' o d i e u x traf ic d e l a t r a i t e , n e p e u v e n t p l u s a u g ­

m e n t e r l e u r p r o d u c t i o n , i l n ' e n e s t p a s d e m ê m e d e s s u c r e ­

r i e s i n d i g è n e s , d o n t l e n o m b r e s ' a c c r o i t c o n t i n u e l l e m e n t ,

e t d o n t l e s p r o d u i t s , s a n s a v o i r p a y é a u c u n s d r o i t s , r e c e ­

v a i e n t c e t t e p r i m e , e t r e ç o i v e n t a u j o u r d ' h u i l e d r a w b a c k ,

s a n s q u ' i l s o i t p o s s i b l e d e l ' e m p ê c h e r . I l e s t , e n e f f e t , i m ­

p o s s i b l e d e d i s t i n g u e r l a p r o v e n a n c e d e la b e t t e r a v e d e c e l l e

d e la c a n n e ; e t d ' a i l l e u r s , e n a d m e t t a n t q u e l ' e x p o r t a t i o n n e

p o r t e q u e s u r l e s p r o d u i t s c o l o n i a u x , l e s q u a n t i t é s q u i e n

s o n t e x p o r t é e s s o n t r e m p l a c é e s d a n s l a c o n s o m m a t i o n p a r

d e s s u c r e s i n d i g è n e s , e t l e r é s u l t a t e s t l e m ê m e p o u r l e t r é ­

s o r . I l e s t f a c i l e d e c a l c u l e r e t d e p r o u v e r q u e , s a n s c e t t e

n o u v e l l e p r o d u c t i o n , l e s s u c r e s c o l o n i a u x n e f e r a i e n t q u ' a -

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limenter la consommation du pays, sans o f f r i r d ' e x c é d a n t

à e x p o r t e r , e t q u e p a r c o n s é q u e n t l e s s a c r i f i c e s é n o r m e s

f a i t s p a r l e t r é s o r a v a n t l a s u b s t i t u t i o n d u s i m p l e d r a w b a c k

à l a p r i m e é t a i e n t d u s a u x s u c r e s i n d i g è n e s , q u i e n o n t p r e s ­

q u e s e u l s p r o f i t é . L e s d e u x e s p è c e s d e p r o d u c t i o n s r é u n i e s

d o n n a i e n t e t d o n n e n t d e p l u s e n p l u s u n e x c é d a n t q u ' i l f a u t

n é c e s s a i r e m e n t d é b o u c h e r à l ' é t r a n g e r . D a n s l e s y s t è m e d u

d r a w b a c k , l e t r é s o r a v u d i m i n u e r s e s p e r t e s ; m a i s e l l e s

t e n d e n t à a u g m e n t e r , p a r c e q u e , l a p r o d u c t i o n d u s u c r e

i n d i g è n e p r e n a n t d ' a n n é e e n a n n é e u n a c c r o i s s e m e n t p l u s

c o n s i d é r a b l e , e t l e m o n o p o l e e x e r c é s u r l a p r o d u c t i o n c o ­

l o n i a l e f o r ç a n t l a t o t a l i t é d e c e t t e p r o d u c t i o n à v e n i r s u r

n o s m a r c h é s e x c l u s i v e m e n t à t o u t e a u t r e , l ' a b o n d a n c e

a m è n e r a b i e n t ô t u n e b a i s s e a s s e z f o r t e p o u r f o r c e r l e s p r o ­

d u c t e u r s c o l o n s d ' a b o r d à p r o d u i r e m o i n s , p u i s à c e s s e r

p r e s q u e e n t i è r e m e n t d e p r o d u i r e , e t à l a i s s e r l e c h a m p l i ­

b r e a u x s u c r e s d e b e t t e r a v e s . A i n s i c e s s u c r e s j o u i r o n t d e

p l u s e n p l u s d ' u n e r e m i s e d e d r o i t s q u ' i l s n ' a u r o n t p a s

p a y é s . C ' e s t l à - d e s s u s q u e n o u s a p p e l o n s l ' a t t e n t i o n d e s

c h a m b r e s e t d e l ' a d m i n i s t r a t i o n , e t q u ' i l n o u s i m p o r t e d ' é ­

v e i l l e r l e u r s o l l i c i t u d e .

L ' e x t r a c t i o n d u s u c r e d e l a b e t t e r a v e p e u t ê t r e sans d o u t e

a p p e l é e u n e b e l l e d é c o u v e r t e ; e l l e e n s e r a i t u n e p r é c i e u s e

p o u r l e p a y s s ' i l n e p o s s é d a i t n i c o l o n i e s à s u c r e , n i c o m ­

m e r c e m a r i t i m e , p a r c e q u e c e t t e c o n q u ê t e d e l ' i n d u s t r i e s e ­

r a i t u n e g r a n d e s o u r c e d e r i c h e s s e s d e p l u s . I l n ' e n e s t p a s

d e m ê m e l o r s q u e c e t t e i n d u s t r i e v i e n t r u i n e r u n e i n d u s ­

t r i e r i v a l e à l a q u e l l e d e s c a p i t a u x c o n s i d é r a b l e s o n t é t é d e ­

p u i s l o n g - t e m p s c o n s a c r é s , l o r s q u ' e l l e v i e n t c a u s e r u n p r é ­

j u d i c e n o t a b l e à d ' a u t r e s n o m b r e u s e s i n d u s t r i e s q u e f a i t

p r o s p é r e r s u r l e l i t t o r a l l a n a v i g a t i o n a u l o n g - c o u r s , l o r s ­

q u ' e l l e v i e n t d é t r u i r e e n p a r t i e c e t t e n a v i g a t i o n , e t s a p e r

j u s q u e d a n s s e s f o n d e m e n s l a p u i s s a n c e m a r i t i m e d u p a y s .

P u i s q u e c ' e s t l a m a r i n e m a r c h a n d e q u i r e c r u t e c e l l e d e l ' é ­

tat, est-il d'une b o n n e p o l i t i q u e , e t c o n v i e n t - i l à u n b o n g o u -

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v e r n e m e n t , q u i d o i t u n e p r o t e c t i o n é g a l e à t o u s l e s i n t é r ê t s ,

d e c o n t i n u e r à a c c o r d e r p l u s l o n g - t e m p s à c e t t e i n d u s t r i e u n e

f a v e u r c o m m e c e l l e d o n t e l l e j o u i t ? N o u s n e l e p e n s o n s p a s ,

e t n o u s a v a n ç o n s h a r d i m e n t q u e d é j à , e t d e p u i s p l u s i e u r s a n -

n é e s , u n e g r a n d e f a u t e a é t é c o m m i s e . L e g o u v e r n e m e n t a u ­

r a i t d û , s i n o n m e t t r e d è s l e p r i n c i p e u n i m p ô t s u r c e t t e p r o ­

d u c t i o n p o u r e n a r r ê t e r l a t r o p g r a n d e e x t e n s i o n , d o n t i l é t a i t

f a c i l e d e p r é v o i r l e s e f f e t s d é s a s t r e u x q u e n o u s s i g n a l o n s ,

a u m o i n s a b a i s s e r l e s d r o i t s d o n t s o n t f r a p p é s l e s s u c r e s c o ­

l o n i a u x . C e s d r o i t s , d e 4 9 f r . 5 0 c . l e s 1 0 0 k i l o g r . , d é c i m e

c o m p r i s , q u i d é j à e x c è d e n t d e b e a u c o u p l a v a l e u r c o m m u n e

d e c e s s u c r e s , c a l c u l é e à l a s o r t i e de la plantation du produc­

teur, o ù e l l e n ' e s t a u j o u r d ' h u i q u e d e 1 5 à 2 0 f r . l e s 5 0 k i ­

l o g r a m m e s , b i e n t ô t , a v e c l ' a b a i s s e m e n t i n é v i t a b l e e t p r o ­

c h a i n d e s p r i x , s e r o n t d o u b l e s d e c e t t e v a l e u r l o c a l e . V o i l à

d e u x p r o d u i t s s i m i l a i r e s e n p r é s e n c e , f r a n ç a i s t o u s d e u x ,

d o n t l ' u n s u p p o r t e u n e t a x e é n o r m e , e t l ' a u t r e e n e s t c o m ­

p l è t e m e n t e x e m p t , e t p r o f i t e d e t o u t e l ' é l é v a t i o n q u ' a j o u ­

t e n t a u x p r i x d e v e n t e l e s d r o i t s d o n t e s t f r a p p é e l a p r o d u c ­

t i o n r i v a l e . I l y a l à u n e i n j u s t i c e t r o p p a t e n t e p o u r q u e

n o u s c h e r c h i o n s à l e d é m o n t r e r . N o u s n e n o u s d i s s i m u l o n s

p a s l a d é f a v e u r q u i s ' a t t a c h e à s i g n a l e r a u fisc u n a l i m e n t

n o u v e a u ; m a i s c ' e s t u n m a l h e u r d e n o t r e p o s i t i o n a u q u e l

n o u s d e v o n s n o u s s o u m e t t r e . I l e x i s t e d e u x g e n r e s d e r e ­

m è d e s à a p p o r t e r a u m a l d o n t n o u s n o u s p l a i g n o n s . L e p r e ­

m i e r , q u e n o u s p r é f é r e r i o n s , s e r a i t d e r e t i r e r t o u t e e s p è c e d e

d r o i t s s u r l e s s u c r e s c o l o n i a u x , s i l e t r é s o r p e u t s e p r i v e r d e

c e t t e b r a n c h e d e r e v e n u s . L e s e c o n d s e r a i t d e r é d u i r e c e s

d r o i t s à 2 0 o u 2 5 f r . , a u p l u s , p a r q u i n t a l m é t r i q u e , e t d ' a s ­

s e o i r u n e t a x e é q u i v a l e n t e s u r l e s u c r e i n d i g è n e , a f i n q u e l e s

d e u x p r o d u i t s s o i e n t p l a c é s s u r l e m ê m e n i v e a u . U n e j u s t i ­

c e r i g o u r e u s e e n v e r s l e s c o l o n s c o m m a n d e l ' u n e o u l ' a u t r e

d e c e s m e s u r e s . S i c ' e s t l a d e r n i è r e q u i e s t a d o p t é e , l e s p r o ­

d u c t e u r s d e s u c r e i n d i g è n e n ' a u r o n t p a s l e d r o i t d e s e p l a i n ­

d r e L e d é c r e t i m p é r i a l d u 1 5 j a n v i e r 1 8 1 2 n e l e u r a s s u r a i t

Page 57: Le sucre de cannes et le sucre de betteraves

— 5 7 —

q u e p e n d a n t q u a t r e a n s l ' e x e m p t i o n d e t o u t e e s p è c e d ' i m ­

p o s i t i o n s , e t l e g o u v e r n e m e n t , à d i f f é r e n t e s é p o q u e s , e t

n o t a m m e n t l o r s d e l ' e n q u ê t e d e 1 8 2 8 , l e s a p r é v e n u s q u ' i l s

d e v a i e n t s ' a t t e n d r e à ê t r e i m p o s é s . U n e f o r t e r é d u c t i o n d e

d r o i t s d o n n e r a i t l i e u à u n e a u g m e n t a t i o n d e l a c o n s o m ­

m a t i o n , q u i p o u r r a i t d e v e n i r é g a l e à la d o u b l e p r o d u c t i o n ,

e t f e r a i t c e s s e r e n t i è r e m e n t l a f r a u d e , q u i s e f a i t t o u j o u r s ,

e t q u i e s t d e d e u x e s p è c e s : l ' u n e p a r i n t r o d u c t i o n p a r l e s

f r o n t i è r e s d e t e r r e , e t l ' a u t r e p a r f a u s s e s d é c l a r a t i o n s d e raf­

finés, q u ' o n n ' e x p o r t e p a s o u q u ' o n n ' e x p o r t e q u ' e n p a r ­

t i e , e t s u r l e s q u e l s o n p e r ç o i t u n d r a w b a c k q u i e s t e n c o r e

assez é l e v é p o u r c o u v r i r l e r i s q u e d e c e s o p é r a t i o n s .

S i l e s m e s u r e s q u e n o u s s o l l i c i t o n s s o n t a d o p t é e s , l e s p r o ­

d u c t e u r s d e l a b e t t e r a v e j o u i r o n t e n c o r e d e l ' é n o r m e a v a n ­

t a g e d e t r o u v e r l e s c o n s o m m a t e u r s à l e u r s p o r t e s ; t a n d i s

q u e l e s s u c r e s c o l o n i a u x , p o u r a r r i v e r a u x l i e u x d o n t l e u r s

r i v a u x s o n t si p r o c h e s , o n t d e s f r a i s t r è s c o n s i d é r a b l e s d e

n a v i g a t i o n à s u p p o r t e r , d e s q u e l s l e s p r e m i e r s s o n t e x e m p t s .

S i c e s f r a i s , q u i s ' é l è v e n t d e 3 0 à 3 5 f r . p a r q u i n t a l m é t r i ­

q u e , f o n t p a y e r d ' a u t a n t p l u s c h e r à n o s c o n s o m m a t e u r s u n

a r t i c l e d e v e n u i n d i s p e n s a b l e , i l s p r o f i t e n t à t o u t e l a p o p u ­

l a t i o n m a r i t i m e . S i n o s f a b r i c a n s d e s u c r e s i n d i g è n e s p o u ­

v a i e n t l i v r e r l e u r s p r o d u i t s s u r l e s m a r c h é s l e s p l u s v o i s i n s

d e l e u r s m a n u f a c t u r e s a u m ê m e p r i x q u e l e s p r o d u c t e u r s

c o l o n i a u x p e u v e n t l i v r e r l e s l e u r s s u r l e s m a r c h é s d e n o s

î l e s , l e s b a s p r i x p r o f i t e r a i e n t à n o s c o n s o m m a t e u r s , c e q u i

s e r a i t e n a p p a r e n c e u n e c o m p e n s a t i o n d e s p e r t e s d e s p o r t s

d e m e r . M a i s , m ê m e d a n s c e t t e h y p o t h è s e , c e t t e i n d u s t r i e

p o r t e r a i t u n c o u p f u n e s t e à n o t r e p u i s s a n c e n a v a l e , r u i n e ­

r a i t n o s é t a b l i s s e m e n s c o l o n i a u x , e t c a u s e r a i t p a r l à u n

p r é j u d i c e g r a v e a u x i n d u s t r i e s q u i f o u r n i s s e n t à l a c o n s o m ­

m a t i o n d e c e s é t a b l i s s e m e n s . N ' e s t - c e p a s d a n s l e b u t d ' a c ­

q u é r i r e t d e c o n s e r v e r c e t t e p u i s s a n c e m a r i t i m e q u e l ' é t a t

fa i t d e p u i s s i l o n g - t e m p s d e s i g r a n d s s a c r i f i c e s e n a c c o r d a n t

d e s p r i m e s t r è s f o r t e s à n o s p ê c h e r i e s ? A q u o i s e r v i r a i e n t

Page 58: Le sucre de cannes et le sucre de betteraves

— 5 8 —

ces sacrifices, faits p o u r former des marins, si, p a r une es­p è c e d ' e n g o u e m e n t p o u r u n e i n d u s t r i e p l u s b r i l l a n t e q u e

r é e l l e m e n t u t i l e , n o u s p e r s é v é r i o n s d a n s u n e v o i e q u i t e n d

à r é d u i r e c o n s i d é r a b l e m e n t n o t r e m a r i n e m a r c h a n d e , e m ­

p l o y é e a u t r a n s p o r t d e s s u c r e s , et p a r c o n s é q u e n t à d i m i n u e r

le n o m b r e d e n o s m a r i n s . O n c a l c u l e q u e l a b e t t e r a v e f o u r ­

n i t c e t t e a n n é e e n v i r o n v i n g t - c i n q m i l l i o n s d e k i l o g r a m m e s

d e s u c r e s , q u i , a c h e t é s d a n s n o s c o l o n i e s o u d a n s l e s a u t r e s

l i e u x d e p r o d u c t i o n , a u r a i e n t d o n n é d e l ' e m p l o i à p l u s d e

c e n t n a v i r e s , e t à u n n o m b r e c o n s i d é r a b l e d e m a r i n s .

L e s c o n s é q u e n c e s d e l a p e r s i s t a n c e d a n s le s y s t è m e a c t u e l

s e r a i e n t d é s a s t r e u s e s , et il f a u t s e h â t e r d e l e s p r é v e n i r a u

m o i n s e n p a r t i e , c a r l e m a l e s t d é j à b i e n g r a n d , e t t e n d à

s ' a u g m e n t e r c h a q u e a n n é e : p a r c e q u e , s o u s l a p r o t e c t i o n

é n o r m e a j o u t é e a u x a u t r e s a v a n t a g e s d o n t n o u s a v o n s f a i t

v o i r q u e la p r o d u c t i o n i n d i g è n e j o u i t , l e s b é n é f i c e s de c e t t e

i n d u s t r i e s o n t a u j o u r d ' h u i t e l s , q u ' i l s p r o v o q u e n t c o n t i ­

n u e l l e m e n t d e n o u v e a u x é t a b l i s s e m e n s . S a n s d o u t e q u e l q u e s

a u t r e s i n d u s t r i e s y t r o u v e n t d e l ' a l i m e n t , q u e l q u e s f o r t u n e s

s ' é l è v e n t , u n c e r t a i n n o m b r e d ' h o m m e s y t r o u v e n t d u t r a ­

v a i l ; m a i s , d ' u n a u t r e c ô t é , q u e d e p e r t e s à o p p o s e r à c e s

b é n é f i c e s et à c e s a v a n t a g e s ! P e r t e s p o u r l e t r é s o r ; p e r t e s

p o u r l a m a r i n e m a r c h a n d e , e t , p a r s u i t e , p o u r l a m a r i n e

m i l i t a i r e -, p e r t e s , e t m ê m e r u i n e c o m p l è t e , p o u r l e s c o l o n s ;

p e r t e s d e s c r é a n c e s d u c o m m e r c e s u r e u x ; p e r t e s e n c o r e

p o u r l e c o m m e r c e d ' u n e b r a n c h e c o n s i d é r a b l e d ' a f f a i r e s ;

p e r t e s d ' u n d é b o u c h é t r è s l u c r a t i f d e s p r o d u i t s d e n o t r e s o l

e t d e n o t r e i n d u s t r i e ; p e r t e s p o u r t o u t e l a p o p u l a t i o n m a ­

r i t i m e . E t c o m b i e n c e s p e r t e s p o u r l e p a y s n e s e r a i e n t - e l l e s

p a s p l u s g r a n d e s , s i , p o u r n e p a s r u i n e r g r a t u i t e m e n t n o s

c o m p a t r i o t e s d ' o u t r e - m e r , i l f a l l a i t , c o m m e i l s n e m a n q u e ­

r a i e n t p a s d e l e d e m a n d e r , e t a v e c j u s t i c e , a c c o r d e r le

c o m m e r c e l i b r e à t o u t e s l e s n a t i o n s a v e c n o s î l e s à s u c r e ;

en l e u r p e r m e t t a n t d e v e n d r e c e t t e d e n r é e à q u i e n a u r a i t

b e s o i n et leur en d o n n e r a i t un plus haut prix , et d ' a c h e t e r

Page 59: Le sucre de cannes et le sucre de betteraves

— 5 9 —

les o b j e t s de leur consommation de qui l e s leur fournirait à m e i l l e u r c o m p t e ? C r o i t - o n q u e , d a n s c e c a s ; l e s p r o d u i t s

de notre s o l e t d e notre i n d u s t r i e p o u r r a i e n t s o u t e n i r l a

c o n c u r r e n c e d e s p r o d u i t s s i m i l a i r e s d e l ' é t r a n g e r ? N o n ,

s a n s d o u t e ; e t n o u s y p e r d r i o n s u n d é b o u c h é t r è s - c o n s i d é ­

r a b l e et q u e r i e n n e r e m p l a c e r a i t , d e s p r o f i t s é n o r m e s q u ' y

t r o u v e n o t r e i n d u s t r i e e t q u e p e u d e p e r s o n n e s s a v e n t a p ­

p r é c i e r . P a r e x e m p l e , d ' a p r è s u n c a l c u l f a i t d e l a d i f f é r e n c e

q u i e x i s t e e n t r e l a v a l e u r d u c o t o n b r u t q u e n o u s a c h e t o n s

d e l ' é t r a n g e r , a u g m e n t é e d e c e l l e d e s m a t i è r e s t i n c t o r i a l e s

q u i e n t r e n t d a n s l a f a b r i c a t i o n d e s é t o f f e s d e c o t o n , e t l a

v a l e u r d e c e s é t o f f e s q u e n o u s d é b o u c h o n s , a n n é e c o m ­

m u n e , d a n s n o s c o l o n i e s , i l y a u n g a i n d e p l u s d e d i x m i l ­

l i o n s p o u r l e p a y s . A v e c l e c o m m e r c e l i b r e , n o s c o l o n i e s

n e p r e n d r a i e n t d e n o u s q u e l a d i x i è m e p a r t i e p e u t - ê t r e de

c e q u ' e l l e s p r e n n e n t a u j o u r d ' h u i . I l e n s e r a i t d e m ê m e d ' u n e

f o u l e d ' a r t i c l e s q u e l e s é t r a n g e r s f a b r i q u e n t à m e i l l e u r

c o m p t e q u e n o u s , a i n s i q u e d e n o s f a r i n e s e t a u t r e s p r o d u i t s

d u s o l , e t d e c e u x d e n o s p ê c h e r i e s , p o u r l e s q u e l l e s l ' é t a t

fa i t de si g r a n d s s a c r i f i c e s .

S i v o u s v o u l e z b i e n c o n s i d é r e r , M e s s i e u r s , c o m b i e n l e s

i n t é r ê t s d e s p o r t s s e t r o u v e n t l i é s à c e u x d e s c o l o n i e s p a r

l e c o m m e r c e c o n s i d é r a b l e q u ' i l s y f o n t , p a r l ' e m p l o i d e n o s

n a v i r e s , à l a p l u p a r t d e s q u e l s o n n e p e u t d o n n e r d ' a u t r e

d e s t i n a t i o n , p a r l e s d é b o u c h é s q u ' e l l e s p r é s e n t e n t l o r s q u ' e l ­

l e s p r o s p è r e n t , e t p a r l e s c a p i t a u x c o n s i d é r a b l e s q u i o n t é t é

a v a n c é s a u x c o l o n s , s o u s l a g a r a n t i e d ' u n e l é g i s l a t i o n p r o ­

t e c t r i c e , c a p i t a u x q u i s e r a i e n t p e r d u s s i c e s c o l o n s é t a i e n t

r u i n é s o u s e u l e m e n t a p p a u v r i s ; s i v o u s v o u l i e z a v o i r é g a r d

à c e t t e p o s i t i o n , v o u s a d m e t t r i e z , M e s s i e u r s , q u e n o u s s o m ­

m e s f o n d é s à p l a i d e r l a c a u s e d e s c o l o n s , e n p l a i d a n t l a n ô t r e .

N o u s n e c o n c e v o n s p o i n t l e s é t r a n g e s p r é v e n t i o n s d o n t i l s

s o n t l ' o b j e t , n i l e s a t t a q u e s a u x - q u e l l e s i l s s o n t l i v r é s . C e s o n t

d e s F r a n ç a i s c o m m e n o u s ; l e u r s f o r t u n e s a p a r t i e n n e n t à l a

F r a n c e , où e l l e s finissent p a r a b o u t i r ; l e u r s r e v e n u s s 'y d é -

Page 60: Le sucre de cannes et le sucre de betteraves

— 60 — p e n s e n t e n g r a n d e p a r t i e ; e t c e p e n d a n t o n n e c e s s e d e d é ­

c l a m e r q u e l e s c o l o n i e s s o n t u n e c h a r g e , e n e x a g é r a n t d ' u n e

m a n i è r e i n c o n v e n a b l e l e s f r a i s d e l e u r c o n s e r v a t i o n . M e n a ­

c é s d a n s l e u r a v e n i r , l e s p r o p r i é t a i r e s y v o i e n t l e u r s b i e n s s e

d é p r é c i e r c h a q u e a n n é e , a u p o i n t q u ' a u j o u r d ' h u i p e r s o n n e

n ' e n v e u t a c h e t e r ; e t s i à t a n t d e c a u s e s d e d e s t r u c t i o n e t d e

r u i n e q u i e x i s t e n t d é j à p o u r e u x v i e n t s e j o i n d r e l ' e x t r ê m e

a b a i s s e m e n t d e l e u r s s u c r e s , c a u s é p a r l a f a v e u r d o n t j o u i s ­

s e n t l e s s u c r e s i n d i g è n e s , a i n s i q u e p a r l e s a u t r e s a v a n t a g e s

q u i a p p a r t i e n n e n t à c e t t e p r o d u c t i o n , e t q u i n e p e u v e n t p a s

l u i ê t r e e n l e v é s , n ' y a - t - i l p a s l i e u d e r é c l a m e r u n e p r o m p t e

i n t e r v e n t i o n l é g i s l a t i v e , q u i r e m é d i e a u m a l , o u q u i , d u

m o i n s , l ' a d o u c i s s e ?

Il s e r a i t t r è s p é n i b l e s a n s d o u t e , s i l e t r é s o r n e p e u t p a s

r e n o n c e r à l a t o t a l i t é d e s d r o i t s s u r l e s s u c r e s c o l o n i a u x ,

d ' a v o i r à e n m e t t r e d ' é q u i v a l e n s s u r l e s s u c r e s i n d i g è n e s .

O n n e m a n q u e r a p a s d e d é c r i e r l a n a t u r e d e c e t i m p ô t e t

d e f a i r e v a l o i r l ' a v a n t a g e p o u r l ' a g r i c u l t u r e r é s u l t a n t d e l a

c u l t u r e d e l a b e t t e r a v e ; m a i s d u m o m e n t o ù c e t i m p ô t d e ­

v i e n t u n e n é c e s s i t é , i l f a u t s a v o i r s 'y s o u m e t t r e , o u r e n o n c e r

a u r e v e n u p r o v e n a n t d e s d r o i t s e x i s t a n s s u r l e s s u c r e s c o l o ­

n i a u x . E t q u a n t à l ' a g r i c u l t u r e , e l l e n ' a q u e f a i r e d e l a c o n ­

v e r s i o n d e l a b e t t e r a v e e n s u c r e . C e t t e r a c i n e , c o m m e d ' a u ­

t r e s , p e u t ê t r e c u l t i v é e a v e c f r u i t e t d o n n é e a u x a n i m a u x

e n n a t u r e . E n A n g l e t e r r e , e n B e l g i q u e , o ù l ' a g r i c u l t u r e e s t

p o r t é e à u n s i h a u t d e g r é d e p r o s p é r i t é , o n n ' a p a s e u b e ­

s o i n , p o u r y p a r v e n i r , d e f a i r e d u s u c r e d e b e t t e r a v e s .

D ' a i l l e u r s , n o u s l e r é p é t o n s , l a j u s t i c e d o i t p a s s e r a v a n t

t o u t , e t e l l e d e m a n d e i m p é r i e u s e m e n t q u e l a b a l a n c e s o i t

t e n u e é g a l e e n t r e l e s s u c r e s c o l o n i a u x e t l e s s u c r e s i n d i g è n e s .

N o u s a t t e n d o n s a v e c c o n f i a n c e q u e j u s t i c e s o i t f a i t e a u x

n o m b r e u x i n t é r ê t s e n s o u f f r a n c e d o n t n o u s s o m m e s i c i l e s

o r g a n e s .

N o u s v o u s p r i o n s d ' a g r é e r , n o s r e s p e c t u e u s e s s a l u t a t i o n s ,

L a r u e e t P a l m e r , V e M i l l o t , T o u s s a i n t e t C e , L a c h e m e r ,

Page 61: Le sucre de cannes et le sucre de betteraves

— 61 —

J . L a h e u r e t H e r m é , F . P e r q u e r e t s e s f i l s , D e l a r o c h e ,

A r m . D e l e s s e r t , V a s s e - M a n c e l , B a l g u e r i e e t C e , H .

D a m b l a t e t Ce , V e H o m b e r g - H o m b e r g f r è r e s , J . L a r -

r e g u y , P . M a s u r i e r fils a î n é , P r i v a t c a p e , H . K o c h

e t Ce , P a u l V i g n e s fils , G u e r i n , F e r a y , S m i t h e t C e ,

H a g u e l o n e t O , A c h . H é b e r t , L . - A . W o u t e r s e t C e ,

W . R e g n a u l t e t L . C h a r r o p i n , B . S a n d o n , L a m o t h e

e t O , A l e x . E y r i e s , P . P . d e I m b e r t f i l s e t Ce, J o s e p h

M a r t i n , T h é o d . R o q u e r , W a n n e r s - L a n g e r s e t C e ,

D . A n c e l e t f i l s , M . F o a c h e e t fils, L . T o u t a i n , S a u v a g e

e t S o u b r y , P . B a u c h e , V a q u e r i e , P . H a u c h e c o r n e ,

F . B a y , W i l l e t C e , E m o n e t , A n t o i n e U d i n e t C e ,

G . G u e n o i s s e , B . C h e v a l l i e r , L e v ê q u e D u r o s t u , B o i s

e t C e , B o u r g e o i s e t R e g n a u l t p a r p r o c . d e J u l e s H o l -

l a r d - G e r d r e t , L a r i e u - P e l t i e r , A . L e m a i s t r e e t D o r e y ,

D e s m o n t s , C h a u m e r s e t B a r b a l e y , F . G i r o d e t fils

C e , Q u e s n e y e t B r e t e l l e , B o u l l e t e t C o l b a c k , A . G a u -

d i n , e t c . , e t c .

Page 62: Le sucre de cannes et le sucre de betteraves

— 6 2 —

(N° 2). E X T R A I T D U J O U R N A L D U H A V R E D U 2 3 M A R S .

Comparaison du prix de revient du sucre exotique et du sucre indigène.

SUCRE COLONIAL.

Achat à la Martinique de 100 barriques sucre brut, expédie'es au Havre, au fret de 12 d niers (5 cent.) et 10 p. % par demi-kilogr. , le déchet calculé à 5 p. %.

100 barriques de sucre brut : Pesant environ. . . kil . 60,000 T a r e , 10 p. %. . . 6,000

Net . kil. 54,000, à 20 fr. les 50 k i l o g r a m m e s . . . FRAIS. — Tonneliers pour rebattage fr. 700

Pesage, transports et menus frais 150 Droit de sortie, 1 p. % 216

fr. 21,600

1,066

fr. 22,666 A ajouter : Fret sur kil . 57,000 (le déchet étant calculé à 5 p . %,

soit 3,000 kil Tare 15 p. %. 8,550 net, 48450 ki l . , à 100 fr. et 10 p. 100

les 100 kil 5,329 50 Dr. de douane sur 48,550k. à 49 50 les 100k. f. 23,982 75

Escompte de 4 mois, 1 1/3 p. 103 319 75 23,663

Pour tous frais, 2 fr. par barrique Courtage de vente , 1/4 p . %. . . • Commission de vente et garantie. 3 p. %

Escompte, 2 p. % 1,100 Réfaction calculée à 5 f. p . barr. 500

200 138 15

1,657 60

1,600 32,588

Poids brut, kil . 57,000 55,254 Tare , 17 p. %, 9,600, net 47,310, à 116 fr. 80 les 100 ki l . . . . . . . . 55,257 Nous avons choisi de préférence, pour notre point de comparaison, le sucre brut de

Martinique, comme étant celui qui est le mieux fabriqué, qui est grevé de moins de frais dans La colonie, et qui fait le moins de déchet, et qui, par conséquent, rentre au meille marché en France. Nous admettons également l 'hypothèse d'une vente immédiate à l'ar r i v é e , sans frais de mise en magas in , de coulage et de retard; supposons enfin la vente directe de l'importeur au raffineur, sans intermédiaire, afin qu'on ne puisse attaquer qu la modération de nos calculs.

Le chiffre de 116 fr. 80 c. les 100 kil., ou 58 fr. 40 les 50 ki l . , se compose de :

27 fr. 76 c. 23 fr. 96 prix du sucre colonial , augmente du déchet de 5 %, et de

différence de tare en France. 4 80 commission, cour tage escompte et réfactions.

5 64 pour fret.

27 fr. 76

23 40 valeur en entrepôt 25 » droit de douane

Si du prix de on retranche les frais qui ne peuvent varier, quel que soit le prix, tels que rabattage et pesage aux colonies , frais et réfactions au Havre, ensemble

1,550 fr. soit.

373 10 X 2 et qu'on divise par 20 la différence.

1 n 26 I

48 fr. 40 valeur à l'acquitté.

Page 63: Le sucre de cannes et le sucre de betteraves

— 6 3 —

Le produit 1 fr. 30 c. 6 nous donnera le chiffre d'augmentation ou de diminution de I sur le prix d'achat à la colonie, d'où nous aurons ce ca lcul , que le sucre colonial , jdéchet étant de 5 p. % et le fret moyen de 12 deniers ,

Au prix d'achat de . . . . 20 fr. 21 fr. 22 fr. 23 fr. 24 fr. 25 fr. 30 fr. Revient en Fr. enentr. les 50kil . 33 40 34 70 36 1 27 31 38 62 39 92 46 25 La différ. de 1 p. % de déchet

en produit une de . . . . . . . 26 27 1/2 29 30 31 1/2 33 39 La différence de 1 denier sur le fret, en produit une de 46 c. sur le prix de revient.

Prix moyen du sucre Guadeloupe et Martinique, nuance bonne quatrième, de 1815 à 1334,

1815 97 f. 1816 93 f. 1817 91 f. 1818 92 f.

1819 76 f. 1823 85 f. (a) 1827 82 f. 1831 6G f. 1820 77 f. 1824 76 f. 1828 75 f. (c) 1832 70f. 1821 68 f. 1825 82 f. 1829 73 f. 1833 68 f . ( d ) 1822 66 f. 1826 77 f. (b) 1830 72 f. 1854 66 f. (e)

Tableau des importations du sucre brut en France, de 1826 à 1834.

1828 1829 1830 1831

1832 1833 1834

moyenne

Martinique

et

Guadeloupe.

barr . 135,500 142,700 123,600 143,900 121,500 112,000 128,300

907,5 00

129,643

B o u r b o n .

sacs. 221,280 234,472 381,347 341,337 303,332 3 1 9 , 5 1 5 312,850

2,116,133

302,305

Poids ne t

e n

k i l o g r a m m e s .

kilog 81,026,800 85,418,320 84,480,820 92,430,220 79,069,920 75,170,900 82,021,000

580,716,980

82,959,880

P r i x m o y e n

au

Havre .

fr . 75 73 72 66 70 68 66

OBSERVATIONS.

Nous estimons le poids net réel des barriques à 500 k i l . , et celui des sacs à 60 kil . chaque, sans avoir égard aux tares de conven tion du commerce. — Nous pre-nous pour prix moyen celui du Havre, place de commerce qui oc-cupo le premier rang par la somme de ses importations, la régularité de ses affaires et de ses prix , et la facilité de ses débouchés .

. On voit que depuis 1828 le cours des sucres bruts en France a eu une tendance cont i -NUELLE À la baisse. Le malaise général du commerce, de la fin de 1830 à l'année 1831, avait provoqué une diminution considérable dans le prix, qui s'est relevé en en 1832, pour sui-vre de nouveau une marche descendante de 1833 à 1834. La cause principale de la baisse pour ces deux dernières années, est attribuée à la modification qu'a subie la prime à l'ex-

portation du sucre raffiné en 1833 ; mais comme il est à peu près évident aujourd'hui que cette prime qui, dans les années 1828 à 1832, a fait sortir dutrésor, des sommes considéra-bles, n'avait d'autre résultat que d'alimenter et enrichir la fraude ; on ne peut méconnaî-re que le sucre indigène qui , en 1830, n'entrait que pour l / 9 e à l / 1 0 e dans la consomma-tion générale de la France, et en 1834 déjà pour 1 /5 e , n'ait puissamment contribué à la aisse du sucre colonial. J

SUCRE INDIGENE. avait industrie, qui, sous l 'empire, était dans l'enfance et q u i , même sous la restaura-on,avait éprouvé des échecs qui faisaient douter de son avenir , est arrivée aujourd'hui un dégré de prospérité tel qu'on ne peut plus nier son influence future sur l 'importation

la consommation du sucre en France.

Page 64: Le sucre de cannes et le sucre de betteraves

— 6 4 —

Il résultait des rapports faits à la commission d'enquête qu'en 1830 la France posséde environ 250 sucreries de betteraves produisant 10,000,000 kil. de sucre brut qui reven d e 3 5 à 4 0 c .

V o i c i s u r q u e l l e s b a s e s é t a i t a lor s é t a b l i c e c a l c u l : L e c o û t d e s r a c i n e s é t a i t d e 8 f. l e s 5 0 0 k i l . , s o i t p o u r 1 0 0 0 kil | | L e s fra i s d e f a b r i c a t i o n 20

Le r e n d e m e n t e'tant d e 5 p . 1 0 0 . — Le c o û t d e 5 0 k i l . é t a i t d e . . . . . . 36 A q u o i o n a j o u t a i t p o u r b o n i f i c a t i o n : s u r l a t a r e 5 p . 1 0 0 , e s c o m p t e 5 p . 1 0 0 ;

sur 4 0 f r 4

S o i t l e p r i x a u q u e l p o u r r a i t v e n d r e s a n s p e r t e l e f a b r i c a n t 40 C e chi f fre n e c o m p r e n a i t p a s l ' e n t r e t i e n e t l a d é t é r i o r a t i o n d u m a t é r i e l , l'intérêt .

c a p i t a l c i r c u l a n t , f ra i s q u i é t a i e n t c o u v e r t s p a r l e p r o d u i t d e la p u l p e , d e la mélasse d u n o i r d ' e n g r a i s .

Le r a p p o r t d ' u n h e c t a r e é t a i t e s t i m é , t e r m e m o y e n , d e 2 0 à 2 5 , 0 0 0 k i l . d e racine; A u j o u r d ' h u i l e s r a c i n e s se v e n d e n t , d a n s l e d é p a r t e m e n t d u N o r d , 7 fr . l e s 500 kilog Le r e n d e m e n t v a r i e d e 6 à 7 %, e t l e p r o d u i t d e 1 h e c t a r e d e 3 0 à 4 0 , 0 0 0 kil. E n e x a m i n a n t l e s i m m e n s e s p r o g r è s q u ' a fa i t s l a c u l t u r e d e p u i s c i n q a n s , on ne pe

d o u t e r q u e la f a b r i c a t i o n se so i t é g a l e m e n t a m é l i o r é e p a r u n e d i m i n u t i o n de frais ; e n a d m e t t a n t q u ' u n r e n d e m e n t p l u s for t o b t e n u a n é c e s s i t é u n a c c r o i s s e m e n t de dépen. e t c o n s e r v a n t a l or s p a r c o m p e n s a t i o n l e s b a s e s é t a b l i e s e n 1 8 3 0 , n o u s t r o u v o n s que k i l . d e r a c i n e s , à 7 fr . l e s 5 0 0 k i l . . . fr. 14

L e s f r a i s d e f a b r i c a t i o n d e 20 E t l a d i f f é r e n c e d e t a r e e t d ' e s c o m p t e d e 4

D o n n e n t p o u r l e c o û t d e 6 0 à 7 0 k i l . d e s u c r e b r u t . fr. 38

C ' e s t - à - d i r e q u ' a u r e n d e m e n t d e 6 %, 5 0 k i l . c o û t e n t 38 f. X 5 0

6 0 31 f.67

d e 7 %, 5 0 k i l c o û t e n t 38 f. X 5 0

7 0 27 f. 14

O n n ' e s t p a s e n c o r e b i e n f i xé s u r l e s c i r c o n s t a n c e s a g r i c o l e s d e t e r r a i n , d'engrai et c u l t u r e q u i p e u v e n t i n f l u e r s u r l a r i c h e s s e s a c c h a r i n e d e s b e t t e r a v e s ; m a i s on peut c r a i n t e a v a n c e r q u e c e t t e i n d u s t r i e e s t e n c o r e l o i n d u d e g r é d e p e r f e c t i o n auquel elle a t t e i n d r e . A i n s i , o n p e u t e s p é r e r q u e , l o r s q u e l a c u l t u r e s e sera é t e n d u e e t perfectionn c e s d e u x c a u s e s r é u n i e s p o u r r o n t fa i re b a i s s e r l e p r i x d e s r a c i n e s à 5 fr . , et que le d e m e n t , p a r l ' a p p l i c a t i o n d e s d é c o u v e r t e s d e l a c h i m i e e t d e l a m é c a n i q u e , pourra s'el à 8 %, chi f fre b i e n i n f é r i e u r e n c o r e à l ' a n a l y s e c h i m i q u e ; d a n s c e c a s , conservant j o u r s l e s m ê m e s b a s e s p o u r l e s fra i s d e f a b r i c a t i o n , n o u s a u r o n s :

10 f . + 2 8 f. + 4 f. X 5 0

8 0 21 f. 2 5 , p r i x d e 6 0 ki l . de sucre

N o u s é t a b l i s s o n s i c i l e p r i x d e r e v i e n t a u f a b r i c a n t q u i , p o u r é v i t e r l e s chances de t u r e , a c h è t e l e s r a c i n e s ; d ' a p r è s l e s b é n é f i c e s c o n s i d é r a b l e s d u c u l t i v a t e u r , il n'est d o u t e u x q u ' u n e e x p l o i t a t i o n , q u i r é u n i t c u l t u r e e t f a b r i q u e , p u i s s e p r o d u i r e le sucre à u n p r i x m o i n s é l e v é .

Q u e l q u e s p e r s o n n e s , e f f r a y é e s d e l ' e x t e n s i o n q u e p r e n d c e t t e i n d u s t r i e , se sont dem s i , p a r s u i t e , i l n e p o u r r a i t p a s e n r é s u l t e r u n d é f i c i t d a n s l e s r é c o l t e s de Q u e l l e s s e r a s s u r e n t ! La q u a n t i t é d e s u c r e i n d i g è n e l i v r é à l a c o n s o m m a t i o n cette e s t é v a l u é e à 2 0 , 0 0 0 , 0 0 0 k i l o g r a m m e s q u i , a u r e n d e m e n t d e 6 %, s e r a i e n t l e p r o d u i t d e . . 3 3 3 , 3 3 3 , 3 3 3 k i l . de racines.

Page 65: Le sucre de cannes et le sucre de betteraves

— 65 — récoltés sur 11,111 h e c t . , en e s t i m a n t le rapport à 30,000 k, o u sur 8 , 3 3 4 » » 4 0 , 0 0 0

terme m o y e n . 9,722 h e c t .

Hors, la superf ic ie t o t a l e «Je la F r a n c e est d e 5 2 , 9 4 1 , 3 0 0 » SUR lesquels o n c o m p t e e n terres arab les 2 2 , 8 1 8 , 0 0 0 »

La c o n s o m m a t i o n a c t u e l l e de la F r a n c e n e néces s i t era i t u n e c u l t u r e de betteraves q u e d e 4 8 , 0 1 0 » c'est-à-dire m o i n s d e la 1000° part i e d u so l .

Les h o u b l o n n i è r e s s e u l e s o c c u p e n t 60,000 » et les v ignes . 1 , 9 7 7 , 0 0 8 »

La France p o s s è d e e n c o r e en terra ins v a g u e s e t m a r a i s p l u s d e . . 4 , 0 0 0 , 0 0 0 » qui pourraient, ê tre r e n d u s à l ' a g r i c u l t u r e .

Les droits d e d o u a n e s u r le s u c r e b r u t c o l o n i a l é t a n t d e 49 f. 68 pour le s u c r e d e s Ant i l l e s e t d e la G u y a n n e , 42 35 — d e B o u r b o n , q u i e n t r e p o u r u n q u a r t d a n s l ' i m p o r t a t i o n g é n é r a l e ,

la moyenne d u dro i t es t d e 49 f. 5 0 X 3 + 42 f. 3 5

4 45 f. 21 c . 1 /4 p a r 100 k i l o g .

Ainsi, 2 0 , 0 0 0 , 0 0 0 k i l o g r . de s u c r e i n d i g è n e , v e r s é s dans la c o n s o m m a t i o n d e 1834 - 1 8 3 5 , ont privé le trésor d ' u n p r o d u i t d e 9 , 0 4 2 , 5 0 0 1.

(a) Guerre d'Espagne. (b) Nouvelle lég is lat ion sur les primes , (c) Apparition du sucre de betteraves. (d) Modification sur l 'exportat ion du sucre raffiné, accroissement de product ion de la bet terave .

Page 66: Le sucre de cannes et le sucre de betteraves

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(N° 3).

OBSERVATIONS.

( A ) L a p o p u l a t i o n d e s c o l o n i e s , tant l i b r e q u ' e s c l a v e , e s t p r o b a b l e m e n t p l u s considérable que cet e n c o n n a î t r e l e ch i f f re e x a c t q u ' a p r è s la r é c e p t i o n d e s é t a t s o f f i c i e l s d r e s s é s d a n s l e s colonies par ordre

(B) D e p u i s 1833, l e s b u d g e t s l o c a u x s e s o n t e n c o r e a c c r u s . L e s d e r n i è r e s d é p ê c h e s parvenues s ' é l è v e p o u r 1835 à 2 ,192 ,717 f., e t c e l u i d e la G u a d e l o u p e à 2 ,081 ,621 f. 2 5 .

( c ) E l l e es t d ' u n m i l l i o n d e f r a n c s d û p a r la c o m p a g n i e a n g l a i s e d e l ' I n d e . ( D ) L a n a v i g a t i o n d e la F r a n c e a v e c s e s c o l o n i e s o c c u p e l e c i n q u i è m e d e s h o m m e s d'équipage

g a l i o n a v e c l ' é t r a n g e r , e t l e r a p p o r t e n t r e l e t o n n a g e d e c e s d e u x n a v i g a t i o n s e s t c o m m e 49 est à a v e c s e s c o i o n i e 9 a b s o r b e p l u s d e s d e u x - c i n q u i è m e s d u t o n n a g e e m p l o y é p a r la nav igat ion avec l'e c o l o n i e s e n 1833 s e c o m p o s e d e 725 b â t i m e n s e n t r e s e t s o r t i s , m o n t é s par 9 ,935 h o m m e s et représenta

Page 67: Le sucre de cannes et le sucre de betteraves

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qui est indiquée dans ce tableau : mais l'on ne pourra dugouvernement.

lles font connaître que le budget de la Martinique

ployés par la France, dans son mouvement de navi-ou en d'autres termes la navigation de la France sur le mouvement mutuel entre la France et ses

,595 tonneaux.

( l) On doit ajouter à cette somme de 42768361 » celle de 946598 10 valeur des exportions de St-Pierre-et-Miquelon aux Antilles.

Total des exportations 43714959 10

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