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Dejan Dimitrijevic Le rituel de la slava et l'imaginaire communautaire de l'unité. Les Roumains de Homolje et les Serbes en France In: Revue européenne de migrations internationales. Vol. 16 N°2. Fêtes et rituels dans la migration. pp. 91-117. Citer ce document / Cite this document : Dimitrijevic Dejan. Le rituel de la slava et l'imaginaire communautaire de l'unité. Les Roumains de Homolje et les Serbes en France. In: Revue européenne de migrations internationales. Vol. 16 N°2. Fêtes et rituels dans la migration. pp. 91-117. doi : 10.3406/remi.2000.1729 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remi_0765-0752_2000_num_16_2_1729
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Le rituel de la slava et l'imaginaire communautaire de l'unité. Les Roumains de Homolje et les Serbes en France

Feb 01, 2023

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Page 1: Le rituel de la slava et l'imaginaire communautaire de l'unité. Les Roumains de Homolje et les Serbes en France

Dejan Dimitrijevic

Le rituel de la slava et l'imaginaire communautaire de l'unité. LesRoumains de Homolje et les Serbes en FranceIn: Revue européenne de migrations internationales. Vol. 16 N°2. Fêtes et rituels dans la migration. pp. 91-117.

Citer ce document / Cite this document :

Dimitrijevic Dejan. Le rituel de la slava et l'imaginaire communautaire de l'unité. Les Roumains de Homolje et les Serbes enFrance. In: Revue européenne de migrations internationales. Vol. 16 N°2. Fêtes et rituels dans la migration. pp. 91-117.

doi : 10.3406/remi.2000.1729

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remi_0765-0752_2000_num_16_2_1729

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RésuméLa slava est la fête du saint patron de la plus petite unité sociale, la maison. Ce rituel marque l'unité desvivants et des défunts au sein du groupe concerné et perpétue les relations de solidarité extra-lignagèrepar un système d'échanges réciproques d'invitations à la slava. C'est dans ce sens que les Roumainsde Homolje (Nord-Est de la Serbie), qui se reconnaissent aussi comme Serbes, pratiquent le ritueljusqu'à la vague d'émigration économique qui a débuté dans le milieu des années 1960. À partir de cemoment, la slava a été adaptée à la nouvelle situation : elle contribue également à la cohésion desmembres de la maison qui vivent dans au moins deux pays, et les relations de solidarité, qui étaientexclusivement roumaines car les deux communautés vivaient séparées, se construisent désormaisavec les Serbes.L'examen de la pratique de la slava en France révèle la volonté de maintenir l'unité de la maison malgréla dispersion de ses membres, et l'intégration de ce rituel, au cours des années 1990 marquées par lesguerres yougoslaves, au processus d'assimilation à la nation serbe commencée au dix-neuvièmesiècle.

AbstractThe Ritual of the Slava and the Unity of the Imagined Community. The Romanians from Homolje andthe Serbs in FranceThe slava is the feast of the household's patron saint. This ritual shows the unity of the living and thedead of the group, and through a System of mutual invitations, fosters extra-lineage relationships ofinterdependence. Before economie migration began in the mid-1960s, the Romanians of Homolje(Northeastern Serbia), who also consider themselves Serbs, practiced the ritual in this way. Since then,the slava has been adapted to the new situation and contributes to the cohesion of households whosemembers live in different countries. Furthermore, relationships of interdependence, formerly exclusive toRomanians, because the two communities were living apart, are now extended to include Serbs.The study of the slava as practiced in France shows the participants' détermination to maintainhousehold unity despite geographie dispersion. Moreover, during the Yugoslavian wars in the 1990s,the ritual became linked to the process of assimilation to the Serb nation that began in the nineteenthcentury.

ResumenEl ritual de la slava y las representaciones imaginarias comunitarias de la unidad. Los rumanos deHomolje y los serbios en FranciaLa slava es la fiesta del santo patrón de la unidad social más pequena, la casa. Este ritual marca launidad de los vivos y de los difuntos en el seno del grupo concernido y perpetúa las relaciones desolidaridad extra-linaje a través de un sistema de intercambios recíprocos de invitaciones a la slava.Éste era el sentido que otorgaban al ritual los rumanos de Homolje (Noreste de Serbia), que sereconocen también como serbios, hasta mediados de los anos 1960, fecha que coincide con elcomienzo de la ola de emigración económica. A partir de este momento, la slava ha sido adaptada a lanueva situación. El ritual contribuye actualmente también a la cóhesion de los miembros de la familiaque viven en al menos dos países. En cuanto a las relaciones de solidaridad, en el pasadoexclusivamente rumanas puesto que las dos comunidades vivían separadas, se construyen en losucesivo con los serbios.El examen de la práctica de la slava en Francia révéla la voluntad de mantener la unidad de la casa apesar de la dispersión de sus miembros. Por otro lado, a lo largo de los anos noventa (marcados porlas guerras yugoslavas), el ritual se ha integrado en el proceso de asimilación a la nación serbia quecomenzó en el siglo diecinueve.

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Le rituel de la s lava et l'imaginaire

communautaire de l'unité.

Les Roumains de Homolje et les Serbes

en France

Dejan DIMITRIJEVIC

La slava est la fête du saint protecteur de la plus petite unité sociale, la maison1. Jusque dans les années 1960, elle se déroulait sur trois jours, mais progressivement sa durée a été limitée à deux jours2. Le rituel est composé d'offrandes et de vœux. Les offrandes sont destinées au saint protecteur et aux autres divinités, mais aussi aux défunts et aux vivants de la parentèle. Les vœux concernent la santé, la fertilité, la fécondité et la réussite de la maison et de ses membres. La slava est célébrée par les Serbes, les Monténégrins, les Bulgares, les Macédoniens et les Roumains de Serbie et de Bulgarie. Son origine est pré-chrétienne ~.

* Maître de Conférence en ethnologie, membre du Soliis-Urmis, Université de Nice Sophia- Antipolis

1 En tant que plus petite unité sociale, la maison désigne « a) un groupe de personnes (apparentées ou non, vivants et défunts), b) un habitat, c) une propriété, d) une vie commune (travail, repas, temps libre) et qui e) constitue une seule unité religieuse » (P. H. Stahl, 1986, p. 17 sq., et 1992). Paul H. Stahl utilise le terme « maisnie » disparu du français contemporain (La Curne de Saint-Palaye, 1980 : 232) pour désigner la plus petite unité sociale.

2 La slava décrite en annexe a duré deux jours. Il s'agit de la Saint-Jean, qui est célébrée le 20 janvier.

3 « Le premier archevêque serbe Sava (mort en 1235 à Trnovo) a confié au clergé le problème des coutumes païennes, parmi lesquelles le « krsno ime » (le « nom de baptême » ; autre nom de la slava), pour qu'il les déracine ou pour qu'il les christianise. C'était le cas aussi chez les autres peuples slaves. Dès que les Églises ont commencé à réformer les coutumes populaires, alors des différences sont apparues entre des pratiques qui étaient dans un premier temps communes à tous les peuples Slaves ; chez certains peuples, les coutumes ont été mieux conservées (chez les Serbes et chez les Bulgares), et nettement moins bien chez d'autres » (P. Z. Petrovic, 1963 : 259).

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La Slaua (selon la prononciation roumaine) est doublement fêtée actuellement, d'une part, au village, et, d'autre part, en France, en Allemagne, en Suisse, en Autriche et dans tous les autres pays d'émigration.

Dans cet article, nous nous intéresserons plus particulièrement à la slava telle qu'elle est pratiquée par la population d'expression roumaine de la commune de Petrovac na Mlavi (région de Homolje4) dans le village de Melnica, à Paris et dans la Région parisienne5 depuis la seconde moitié des années 1960, qui a vu l'arrivée d'un nombre important de Yougoslaves. Nous verrons ce que la migration a changé dans la pratique de ce rituel à forte charge identitaire.

Bien que la terminologie serbe n'utilise plus le terme « roumain » pour désigner cette population6, nous l'avons adopté, car c'est ainsi que les gens se désignent eux-mêmes quand ils s'expriment en roumain, qui est leur langue maternelle.

LES MIGRATIONS DE LA POPULATION ROUMAINE DE HOMOLJE

La présence d'une communauté roumaine dans cette région de Serbie est principalement le résultat d'une immigration roumaine qui aurait débuté au XVIIIe siècle selon T. Djordjevic (1906) ; Emil Petrovici (1942 : 41-76) pense qu'elle a commencé un siècle plus tôt. D'après ces auteurs, cette population serait en grande majorité originaire de Transylvanie. Ils basent leurs affirmations sur des critères linguistiques car ils estiment que le roumain pratiqué dans cette région possède des caractères linguistiques propres aux Roumains de Transylvanie. Cette immigration serait la conséquence de la dureté de la vie sous l'occupation austro-hongroise (Stefan Metes, 1977). Nous illustrerons l'historique des migrations des Roumains de Homolje par le village de Melnica (Menita, en roumain). Sa population est, à quelques exceptions près7, exclusivement roumaine.

En 1733, Melnica était un tout petit village. Les documents officiels autrichiens attestent de l'existence de dix maisons. En 1863, le village compte 286 maisons et 1531 habitants. Son essor s'est poursuivi dans la première moitié du XXe

4 Région montagneuse située au Nord-Est de la Serbie, réputée pour être la plus touchée par l'émigration économique.

5 Au Pré Saint-Gervais et à Créteil. 6 C'était pourtant le cas au début du siècle, puisque l'ethnologue serbe, T. Djordjevic (1906),

qui a effectué un voyage à vocation ethnographique dans les régions habitées par les Roumains de Serbie, les appelle « Roumains ».

7 Les alliances matrimoniales sont l'unique raison de la présence des rares Serbes au village. En 1981, il y avait neuf hommes et six femmes.

8 L'augmentation du nombre de maisons était le résultat de la réforme agraire, qui limitait à dix hectares la superficie des terres qu'un groupe pouvait posséder. Pour échapper à la confiscation, certains groupes domestiques se sont scindés en deux ou trois communautés fiscalement distinctes.

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siècle : en 1928, Melnica est un village de 560 maisons et 2 700 habitants. La Seconde Guerre mondiale marque le début du déclin qui sera accéléré durant les années 1960 et 1970 : en 1948, le village compte 592 maisons9 et 2 214 habitants, et 499 maisons et 1 742 habitants en 1981. Toutefois, il demeure un des plus importants villages de la commune de Petrovac.

La baisse du nombre de maisons et du nombre d'habitants durant les années soixante et soixante-dix s'explique par l'exode rural. Le développement économique que connaît la Yougoslavie dans les années soixante incite bon nombre de jeunes à s'installer dans les villes alors que la demande dans les secteurs secondaire et tertiaire de l'économie est forte. La scolarisation, devenue obligatoire avec le régime communiste, favorise ce processus et permet même à certains jeunes d'accéder aux études universitaires. Ce mouvement s'accompagne d'une dépréciation de l'image du paysan. Cependant, beaucoup de villageois ne partent pas travailler à la ville pour fuir la campagne, mais pour augmenter le niveau de vie de la maison. Dans le cadre d'une économie domestique pluri-active ancienne, un ou plusieurs membres d'une maison optent pour un travail salarié soit à la ville en Yougoslavie, soit à l'étranger ; avec une forte préférence pour l'étranger car les salaires y sont plus attractifs pour des travailleurs non qualifiés. Les jeunes, mariés ou non, sont les plus nombreux à partir, et le plus grand nombre d'entre eux ne revient pas vivre au village. Cette émigration se poursuit malgré la « fermeture des frontières » des pays occidentaux. Et le mouvement inverse n'existe pas, car aucun jeune né à l'étranger ou parti dès son plus jeune âge n'est revenu vivre au village.

LE RITUEL DE LA SLAVA

La slava débute par un dîner de réveillon (sinisoara). Le rituel commence par des offrandes aux morts et aux vivants, puis on se signe, on boit trois verres d'alcool pour les lumini (« les lumières »)9 et le chef de la maison prononce une formule de vœux : « sa sa màldàreascà, sa nu sa potoleascà » (que cela s'accumule, que cela ne s'éteigne pas)10 avant d'allumer le cierge de la slava. Ce cierge est éteint au moment où les invités partent : on étouffe la flamme contre le plafond au-dessus de la table ou bien on l'éteint en versant un peu de vin de la prescura (le vin qui a été donné en offrande avec la « prescura », le pain rituel d'offrande orné de neuf petites boules de pâte) ; mais jamais on ne souffle sur la flamme ni on ne l'étouffé avec les doigts. L'extinction de la bougie est précédée du même rituel que son allumage (trois signes de croix, trois verres d'alcool et la formule de vœux). C'est le chef de la maison qui exécute ces opérations, mais c'est le « pope » qui en donne l'ordre.

Tous les plats et toutes les boissons sont posés sur une table dans la casa (la première pièce en entrant où se trouvait le foyer)11. Des cierges allumés sont plantés

9 Des cierges qui éclairent ce monde et l'autre. 10 II s'agit des biens de la maison et de la maison elle-même. 11 Dans les maisons actuelles, il n'y a plus de foyer dans cette pièce, cependant, c'est encore la

pièce où l'on prépare la cuisine.

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dans la nourriture. Dans cette pièce, deux femmes font les offrandes et prononcent les vœux pour les vivants. Il s'agit généralement de la femme du chef de maison qui est secondée soit par la mère du chef de maison, soit par sa propre mère. Le rituel des offrandes se fait avec la porte de la casa ouverte sur l'extérieur. Pour que l'offrande parvienne aux morts, chaque élément doit être encensé, signifié verbalement et touché de la main. Et pour que le mort soit identifié, les femmes utilisent autant d'éléments identificateurs qu'elles jugent nécessaires : leur relation de parenté avec lui et / ou son patronyme de lignage sont fréquemment ajoutés au nom de baptême. Les principaux bénéficiaires de l'offrande sont les morts de la lignée de la maison desquels la Slaua a été héritée avec la terre, ceux de la lignée du conjoint (la femme et le mari en gendre12 ont un devoir cultuel envers leurs ascendants, car ils ont reçu par la dot, des terres en héritage), les défunts qui ont légué des biens à la maison, et, selon les individus présents à la Slaua, les morts des lignages de ces trois groupes de défunts.

Avant la période d'émigration vers l'Occident, Roumains et Serbes ne s'invitaient qu'exceptionnellement à leurs slava respectives, et le plus souvent quand ils étaient apparentés par le mariage, ce qui était exceptionnel également13. Aujourd'hui, les relations amicales qui lient Roumains et Serbes se sont le plus souvent nouées à l'étranger. La slava qui sert de support à ce travail est la slava de Saint-Jean, qui est célébrée le 20 janvier. Je l'ai enregistrée en 1990. Elle illustre les nouvelles relations entre Roumains et Serbes.

Le maître de maison a vécu à Paris de 1968 à 1988, date à laquelle il a décidé de prendre sa retraite au village avec son épouse. Mais en 1991, au début de la guerre civile en Yougoslavie, il revient à Paris où il vit toujours. Ljubivoj et Branka, le couple serbe invité le premier jour de la slava, étaient employés comme mécaniciens en confection chez le chef de la maison qui dirigeait un atelier de 1979 à 1987. En 1987, date de la fermeture de l'atelier, le couple, en situation irrégulière, a décidé de rentrer en Yougoslavie, mais Ljubivoj a continué à faire des séjours de travail en France pour des périodes de trois mois14.

Si la slava est commune aux Roumains de Serbie et aux Serbes, il existe de grandes différences dans la célébration du rituel15. Une des grandes particularités de la slava roumaine consiste en l'absence du représentant de l'Église. Cela est caractéristique de la distance que garde la population roumaine de Homolje vis-à-vis de l'Église qui est jugée comme une institution serbe assimilatrice (D. Dimitrijevic, 1994)16. La règle veut que la fonction du « pope » soit assurée par le premier invité

12 Désigne le statut de l'époux dans un mariage patri-uxorilocal, lorsqu'il s'installe chez le père de son épouse.

13 Pour la période 1947-1987, seulement quinze mariages ont été contractés avec des Serbes de la région, neuf hommes et six femmes, ce qui représente respectivement 1,1 % et 0,8 % des mariages.

14 Durée de validité du visa. 15 Voir la retranscription du rituel en annexe. 16 Jusqu'en 1945, l'Église avait la charge du registre des naissances. L'enregistrement des

nouveaux-nés était effectué en même temps que le baptême. Seuls les prénoms serbes étaient

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arrivé, mais en réalité elle est confiée à un homme que l'on veut particulièrement honorer. En l'occurrence, le choix de l'invité serbe, Ljubivoj, marque le début d'une relation privilégiée entre les deux maisons. Cette première donne lieu à quelques innovations : le « pope », qui doit diriger le déroulement du rituel est guidé par le chef de la maison et les différentes phases de la coutume, d'abord dites en roumain, sont immédiatement traduites en serbo-croate.

Pour le deuxième jour de la slava, tous les invités sont Roumains. Les rituels sont exécutés dans le même ordre, mais la liste des morts, à qui l'offrande est faite, est rallongée, et l'expression est plus riche et plus aisée. Il n'y a pas d'autres raisons à la meilleure expression que la bonne disposition des deux femmes qui avaient en charge le rituel ; en revanche, la liste des morts est plus longue, car il a fallu intégrer dans les offrandes les ancêtres des invités du deuxième jour, qui étaient tous des apparentés, alors que les ancêtres des invités qui ne sont pas des apparentés ne sont pas cités ; seuls les membres vivants de la maison de ces derniers sont évoqués dans les vœux. La prescura n'est plus offerte aux divinités — elle l'est seulement le jour de Saint- Jean, le premier jour de la slava. Du fait de la composition ethnique des participants, toute la coutume a été dite en roumain, comme à l'ordinaire ; et le rituel des vœux ne sera pas « explicatif » comme celui de la veille, bien que chaque phase soit annoncée, comme il se doit.

Les personnes invitées le premier jour sont des hôtes de marque. Cette distinction désigne des relations de grande proximité entre le groupe du maître de maison et ceux des convives, mais parmi les invités du premier jour nous trouvons également des relations naissantes. Dans un premier temps, les Serbes sont invités le premier jour, car il s'agit de relations en devenir, mais en fonction de la qualité des rapports établis ils peuvent, par la suite, être invités le deuxième jour.

LA SLAVA ET LES IDENTITÉS

La slava est liée à la terre : ainsi, à côté de la slava principale qui est celle de la lignée, coexistent plusieurs autres slave17 héritées avec des parcelles de terres qui ont une autre origine que la lignée : il y a les terres qui faisaient partie de la dot des femmes, mais aussi, par exemple, celles héritées de vieilles personnes « adoptées »18. Lors des séparations, chaque couple hérite des slave qui correspondent aux terres qui

acceptés. De ce fait, tous les Roumains de Homolje ont officiellement des prénoms serbes, mais pour l'usage interne à la société roumaine, ils sont soit remplacés par leur équivalent roumain, soit « romanisés » phonétiquement. T. Djordjevic (1906 : 54) a déjà constaté cette pratique au début du 20e siècle. La séparation de l'Église et de l'État en 1945 n'a pas eu d'effet sur cette situation, car le stock dans lequel le parrain et les parents choisissent les prénoms est devenu serbe. Ce sont principalement les noms de baptême des ancêtres jusqu'à la troisième génération qui constituent ce stock.

17 Pluriel de slava. 18 Lorsqu'une personne âgée se retrouve seule sans personne pour l'assister, elle est alors

adoptée par un groupe domestique qui, en contrepartie, hérite de ses biens.

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lui sont revenues. La slava principale, celle de la maison, est celle qui correspond à la majeure partie des terres ; les autres sont fêtées, sans ostentation, pour commémorer les donateurs.

Durant la période de la Yougoslavie socialiste, même les communistes ont continué à célébrer la slava.

« Les communistes, quand la slava était célébrée dans leur maison, car il n'y avait jamais plus d' un communiste par maison, ils sortaient dans le village pour montrer qu'ils n'y participaient pas ; comme quoi, ils ne sont pas au courant de ça, alors que tout le monde le savait. Cela a duré quatre ou cinq ans et après ils ont fait leur slava normalement. Tu sais, on peut pas déraciner ça, c' est trop profond. Mais ils n' allaient pas à l'Église et ils empêchaient les autres d'y aller jusqu en 1957-58 » (Informateur : Liubomir).

Malgré la loi sur le statut juridique des corporations religieuses, promulguée le 27 mai 1953, qui établit que la religion est une « affaire privée » de chaque citoyen, les autorités faisaient une distinction entre les cultes domestiques et la religion officielle. Les communistes ont toujours célébré les cultes domestiques, mais n'allaient pas à l'église et ne se signaient pas. Un de mes informateurs, originaire du village mais vivant à Petrovac, a exercé d'importantes fonctions au sein du Parti communiste serbe ; il a été, entre autres, maire de la commune de Petrovac dont fait partie Melnica (Menita) ; il a accepté de témoigner de son rapport avec le culte domestique et la religion officielle.

« Moi, f allais chez mon père à Melnica pour la 'Slaua' ; je participais aux rituels de l'évocation des noms des ancêtres (« pomana », en roumain, « dace », en serbo- croate) mais, quand ils se signaient, je sortais de la pièce et je revenais après. Et à V église, je n' y allais jamais ; on ne pouvait pas être communiste et aller à V église » (Informateur : Ianos).

Partout où elle existe, la slava révèle l'importance de la maison comme pièce maîtresse de l'organisation sociale villageoise ; cette unité sociale détermine l'identité de ses membres, en son sein et à l'extérieur, en fonction de la place qu'ils occupent à l'intérieur du groupe domestique et du patrimoine symbolique qu'elle détient. C'est aussi à travers elle que l'unité de la lignée est assurée : les ancêtres et les descendants à venir sont inséparables des vivants, parce qu'ils sont liés par les obligations et les devoirs qu'impose le système successoral. Cette unité sociale apparaît aussi comme une figure centrale de l'ethnologie de la famille et de la parentèle dans les sociétés paysannes et un thème central de l'ethnologie européenne, à cause du lien organique spécifique qu'entretiennent en son sein le régime foncier, le régime matrimonial et le régime successoral (I. Chiva, 1989 : 3-5).

L'identité des Roumains de Homolje

Les Roumains de Homolje ont une double identification : roumaine et serbe. Dans les relations de proximité, c'est la « romanité » qui l'emporte mais dans un cadre plus large, c'est la « serbité » qui prévaut. Toutefois, ils ne confondent pas leur

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« romanite » avec celle des Roumains de Roumanie et du Banat serbe (Vojvodine). En fonction de la langue utilisée, les villageois emploient deux termes pour se désigner. Quand ils parlent en roumain, qui est leur langue maternelle, ils disent parler le « roumain » (rumâneasce) et se déclarent « Roumains » (rumâni) ; mais quand ils s'expriment en serbo-croate, ils disent parler le « vlaski » et être « Vlasi » (« Vlah »19 au singulier). En serbo-croate, le terme « Roumain » est réservé aux Roumains de Roumanie et à ceux du Banat de Vojvodine, qui ont un statut de minorité roumaine et qui, par conséquent, reçoivent un enseignement en roumain à l'école primaire. Quand ils parlent en roumain, ils ont un problème linguistique d'identification. Ils font une différence entre eux et les Roumains « reconnus », mais cette différence n'existe pas dans le vocabulaire ; « nous » et « eux » sont pensés comme deux entités distinctes, regroupées sous un même signifiant « roumain ».

Dans la région d'origine, l'identité roumaine est exprimée et cultivée à l'intérieur de la communauté roumaine ; à l'extérieur de leur communauté, les Roumains revendiquent l'identité serbe, mais dans la région, la réalité de la séparation entre la population roumaine et serbe a besoin d'être exprimée en serbo-croate, et les Roumains sont appelés Vlasi (Vlah, au singulier). Depuis le début du processus d'assimilation des Vlasi, initiée au XIXe siècle avec la mise en place d'un État serbe20, le terme vlah a progressivement évolué en Serbie jusqu'à proposer une origine serbe aux Vlasi : la thèse officielle serbe les présente comme des Serbes qui auraient quitté la Serbie durant l'occupation ottomane pendant une centaine d'années et qui seraient revenus en Serbie en tant que roumanophones. Les Roumains de Homolje sont conscients de leur origine non serbe, mais revendiquent leur appartenance à la nation serbe. Même s'ils ne posent pas le problème en ces termes, les Roumains de Homolje revendiquent cette appartenance sur la base du droit du sol et de l'histoire commune, alors que les Serbes construisent une légitimité par le droit du sang. Les Serbes proposent une identité exclusive, alors que les Roumains de Homolje se sont constitués une identité double, roumaine et serbe, basée sur une distinction nette entre la sphère roumaine interne et la sphère externe, serbe et yougoslave.

19 Terme utilisé en serbo-croate pour désigner les populations de l 'ex- Yougoslavie d'expression roumaine, au Nord-Est, et aroumaine, au Sud-Est. Selon M. Maluckov (1985), le terme « vlah » serait d'origine germanique et signifierait « peuple non germanique ». Il aurait d'abord désigné les Celtes, puis les Romains (« Walh », au singulier et « Walhas », au pluriel) : « Les Germains, même aujourd' hui, appellent les Italiens 'Valchen' ou 'Vâlch'. Les Turcs prononcent 'Iflak' et les Hongrois 'Olak'. Les Slaves ont emprunté ce terme aux Germains ; il leur a servi à désigner tous les peuples romans en général, et les Serbes désignent par ce terme les habitants du Sud-Danube, qui parlent le roumain. Les Grecs et les Byzantins ont à leur tour emprunté ce terme aux Slaves pour désigner les peuples non Grecs ». Le terme est péjoratif car il renvoie à une image de populations arriérées. En Bosnie-Herzégovine et en Croatie, il désigne les Serbes ; les Croates utilisent aussi le terme « tsigane » pour les Serbes.

20 II s'agissait de gommer les différences visibles. L'administration civile a imposé des patronymes serbes et l'Église des noms de baptême serbes. La scolarisation en serbo-croate faisait aussi partie du dispositif d'assimilation, mais la scolarité n'est devenue obligatoire qu'après la Seconde Guerre mondiale.

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Cette double identité a pu se constituer parce que, dans les sociétés paysannes pré-nationales, l'unité sociale collective de référence était le village, ou tout au plus une confédération de villages (P. H. Stahl, 1986). À ce niveau d'organisation sociale, les habitants de Melnica (Menita) étaient roumains et le sont restés. En revanche, l'idée d'une appartenance à une unité sociale aussi large que l 'État-Nation est postérieure à leur migration dans la région de Homolje ; elle s'est formée en Serbie, avec les guerres de libération et la création des États serbe et yougoslave21. Dans la langue roumaine parlée par les Roumains de la région, le mot « État » n'existe pas : c'est le mot serbo- croate, drzava, qui est utilisé. De même, pour désigner la « nation », c'est le terme serbo-croate, nacija, qui est employé. Alors que pour toutes les unités sociales internes au groupe roumain, les termes usités sont roumains : casa pour la maison, policra pour le lignage, sat pour le village et Rumâni, ou tara rumâneasca, pour l'ensemble du groupe roumain de la région. Plusieurs facteurs ont permis l'émergence de l'identité serbe :

- la séparation avec les Roumains de Roumanie ;

- la non-reconnaissance par les Serbes de l'identité roumaine des Roumains de Homolje ;

-l'appartenance à l'orthodoxie, bien que la population tienne l'Église orthodoxe serbe à distance ;

-la fraternisation avec les Serbes dans les faits d'armes : les guerres d'indépendance serbes, les Guerres balkaniques, la Première Guerre Mondiale et la création de la Yougoslavie, la Seconde Guerre Mondiale et, en 1999, la guerre déclenchée par l'OTAN ;

- les échanges économiques avec les Serbes ;

De plus, aucun antagonisme n'est intervenu entre les deux communautés au cours de leur vie commune ; au contraire, les liens se sont affermis au cours de l'histoire, et leur destin apparaît, aux acteurs eux-mêmes, comme inséparable.

Dans le contexte de crise et de guerres civiles que connaît l'espace yougoslave depuis 1990, les Roumains ne se contentent pas d'épouser la cause serbe, mais ils se considèrent comme Serbes. Quand ils parlent des Serbes de Bosnie et de Herzégovine, de Croatie ou du Kosovo, ils disent « les nôtres » ou « nous ». Dans les conflits qui opposent les Serbes à d'autres peuples de l'ancienne Fédération et à l'OTAN, les Roumains de Melnica et de la région sont Serbes et n'expriment aucune revendication communautaire particulière. Rien ne distingue leur attitude de celle des Serbes ; les

21 Guerres de libération de 1804 et de 1815 et autonomie officielle de la Principauté de Serbie en 1830 ; guerre de 1876 et reconnaissance internationale de l'indépendance du Royaume de Serbie en 1878 ; guerres balkaniques de 1912-1913, puis Première Guerre mondiale et la création du Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes en 1918, devenu Royaume de Yougoslavie en 1929.

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différentes options envisagées pour sortir de la crise sont présentes chez eux dans les mêmes proportions que chez les Serbes.

En 1993, je m'étais entretenu, en roumain, avec une personne originaire du village et immigrée en France depuis 1965, des origines roumaines de la population de Melnica (Menita) ; et après un moment de silence, il me demanda en serbe : « Penses- tu que nous pourrons de nouveau vivre ensemble ? » Ne comprenant pas qui englobait ce « nous » et si la cohabitation concernait les Roumains de Roumanie, les Serbes (avec lesquels il n'y a jamais eu de problème, encore moins de rupture) ou les différents peuples de l'ex- Yougoslavie, je lui demandai : « Qui nous ? » À quoi il me répondit : « Eh bien nous les Serbes, pourrons-nous revivre dans un même État que les Croates, les Musulmans, les Macédoniens. Tu vois, moi, même si je vis en France depuis près de trente ans, je ne pourrai pas inviter un Croate à ma table après ce qui s'est passé » (Sveta). À la même époque, une autre personne du village, qui travaille aussi en France depuis très longtemps, fervent opposant de Slobodan Milosevic22 et militant du parti royaliste de Vuk Draskovic23, pensait que « si le monde entier est contre nous (les Serbes), c est que notre politique est mauvaise et que ce que nous faisons est mauvais » (Toma).

Avant l'éclatement de l'ancienne fédération yougoslave, les Vlasi étaient considérés et se présentaient comme Serbes dans le contexte yougoslave, et Yougoslaves à l'étranger. La nationalité (serbe) était l'élément identitaire référentiel et distinctif dans le contexte yougoslave, et la citoyenneté (yougoslave) hors du contexte yougoslave24. Les villageois qui travaillaient en France ne se déclaraient « Serbes » qu'en second lieu. Depuis la disparition de l'ex-Yougoslavie et les différentes guerres civiles, très médiatisées, qui ont suivis, la présentation de soi en tant que « Serbe » a gagné du terrain en grande partie sous la pression extérieure : les « autres » (en premier lieu les Français, mais également les Yougoslaves et les autres immigrés) avaient désormais « besoin » de situer plus précisément l'appartenance nationale des « Yougoslaves ».

L'identité roumaine de cette population ne s'exprime qu'à l'intérieur de la communauté roumaine et l'État l'ignore, le plus souvent. L'adhésion de la communauté roumaine à la serbité, et aux États serbe et yougoslave ne s'est pas faite à travers l'Église, mais par l'intermédiaire du pouvoir politique, de l'administration, qui représente l'État laïc. Quand les Roumains ont affaire à l'État, c'est en tant que Serbes : les représentants de l'État voient en eux des Serbes et, quand des Roumains se

22 II était à l'époque président de la Serbie. 23 Srpski pokret obnove - Mouvement serbe pour le renouveau. 24 La Fédération yougoslave était composée de six Républiques (Slovénie, Croatie, Bosnie-

Herzégovine, Serbie, Monténégro et Macédoine), de six nations constitutives (slovène, croate, musulmane, serbe, monténégrine et macédonienne) et d'une multitude de minorités nationales (groupes qui disposent d'un État-Nation en dehors de la Yougoslavie) et de minorités ethniques (groupes qui ne disposent pas d'un État-Nation en dehors de la Yougoslavie). Les membres de tous ces groupes étaient des Yougoslaves, c'est-à-dire des citoyens de l'État yougoslave.

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mettent au service de l'État (parfois à des postes très élevés : préfets, députés, diplomates, officiers de l'armée etc.), c'est en tant que Serbes qu'ils le font. Les Roumains de Homolje ne revendiquent aucune reconnaissance politique de leur identité roumaine, mais œuvrent à son maintien interne, ce qui rend difficile leur relation avec l'Église25. L'Église est un facteur déstabilisant pour la société roumaine locale, car son champ d'action touche à l'identité interne de la communauté roumaine, qui repose sur les rituels26, dont la slava, qui structurent l'identité et l'organisation sociale interne de la société. Ce qui est visible dans le choix des emblèmes de l'identité nationale serbe : ce sont toujours les symboles de l'État qui sont mis en avant pour exprimer cette adhésion. Pendant la noce, c'est le drapeau national yougoslave ou serbe qui est porté en tête de cortège par les Roumains, alors que les Serbes portent la bannière de l'Église. Pour les Serbes, l'Église est indissociable de leur identité serbe, car l'identité nationale s'est forgée sous domination ottomane, alors que l'Église orthodoxe serbe, qui disposait d'un Patriarcat autonome (celui de Pec, supprimé en 1459 puis rétabli en 1537), était le seul représentant du peuple serbe (G. Castellan, 1993).

En tant que culte domestique, la slava est une célébration de l'unité sociale de base, la maison, mais elle est également un puissant emblème de l'identité nationale serbe. C'est l'Église qui en a fait un puissant facteur nationaliste.

LA SLAVA ET L'IDENTITÉ NATIONALE SERBE

La slava est la pratique rituelle la plus répandue parmi les Serbes. Les églises, les monastères, les villages et villes, les associations sportives et culturelles, les corporations, les entreprises, l'armée et les corps d'armée27 peuvent avoir leur slava28. Mais l'Église orthodoxe serbe, qui a donné une forme chrétienne à la slava, en a également fait un élément essentiel de l'identité nationale. « Les Serbes déclarent généralement qu'ils sont Serbes parce qu'ils sont des chrétiens orthodoxes serbes, c'est-à-dire, des chrétiens orthodoxes qui célèbrent la slava » (B. Sterlund, 1993 : 54). Saint-Sava, le fondateur de l'Église orthodoxe serbe autocéphale, est célébré le 27 janvier en tant que saint Patron de la nation ; l'Église présente ce jour comme étant la slava de tous les Serbes. Saint-Sava est sollicité pour son aide contre les ennemis, pour la réussite dans le travail et pour la santé. Mais en plus d'être le saint Patron des Serbes, il est aussi l'ancêtre fondateur de la nation, donc de l'identité nationale.

25 T. Djordjevic (1906, p. 55) notait au début du siècle que les Roumains de Homolje n'allaient à l'église qu'aux dates qui correspondaient à leurs propres croyances superstitieuses.

26 Principalement les rituels domestiques, dont la slava, la naissance, le baptême, le mariage et les funérailles, et la célébration du saint protecteur du village, la zàviecina (zavetina, en serbo-croate).

27 Cette liste n'est pas exhaustive. 28 Ce qui n'était pas le cas durant la période socialiste. 29 Traduction slave du latin Caesar.

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« Sava a obtenu du Tsar29 (byzantin) et du Patriarche (de Constantinople) l'indépendance de l'Eglise serbe et il est devenu le premier Archevêque serbe. Avec son père, Etienne Nemanja, grand zupan de Serbie, il a construit Chilander31, et par la suite d'autres monastères, églises et écoles à travers toute la Serbie. Il est allé deux fois en pèlerinage sur la Terre Sainte, il a réconcilié ses frères qui se disputaient le pouvoir, il a réconcilié les Serbes avec leurs voisins. En fondant l'Eglise serbe, il a fondé l'Etat serbe et la culture serbe32 ».

L'historien Charles Jelavich (1990) montre, dans son ouvrage consacré aux nationalismes yougoslaves, que Saint-Sava est particulièrement distingué dans les manuels scolaires serbes du XIXe siècle.

Le prince Lazare est l'autre grande figure historique serbe sanctifiée par l'Eglise. Transformé en « Tsar » par l'Eglise et la légende, il est célébré le 28 juin, jour de la défaite des armées serbes devant les Ottomans à la bataille de Kosovo Polje en 1389. L'Église considère le Saint Grand Martyre Tsar Lazare comme une des plus importantes slava serbe.

« Lazare a constamment combattu la puissance turque d'alors, mais le 28 juin au Kosovo l'armée serbe a perdu la bataille, et le tsar Murât a décapité le Saint martyre Lazare. Son corps a été transféré et enseveli dans l'église Ravanica, près de Cuprija. Quand a commencé la migration des Serbes, le peuple a emporté avec lui les saints ossements et les a mis en sécurité dans le monastère Ravanica de Fruska Gora (Vojvodine). Pendant la Seconde Guerre mondiale, son corps a été transféré à Belgrade, où il s'est reposé jusqu'en 1988, année où à travers toutes les terres et régions de Serbie, il est de nouveau allé au Kosovo, dans le monastère Gracanica. De là, en 1989, son corps a été transporté dans le monastère de Ravanica, qu'il avait fait construire, où il repose encore aujourd'hui33 ».

Le voyage des ossements du prince Lazare à travers toutes « les terres et régions de Serbie », qui a été le prélude à la grande manifestation du 600e anniversaire de la bataille de Kosovo Polje en 1989 et qui a rassemblé un million de personnes sur les lieux de la bataille, fut un grand moment d'exaltation nationaliste. Ce voyage a explicitement signifié que « les terres et les régions de Serbie » étaient sous la protection du saint ; cette pratique est également présente dans les slave domestiques et villageoises serbes34, où une procession emmenée par le prêtre portant une image du saint, fait le tour des frontières du domaine domestique ou villageois pour les placer sous la protection du saint (N. F. Pavkovic, 1986).

30 Titre que portent les seigneurs serbes au Moyen âge qui sont reconnus par Byzance comme gouverneurs d'une région.

3 1 Le monastère serbe du Mont Athos. 32 Srpske Slave i verski obicaji, Glas Crkve, p. 9. Il s'agit d'une publication de l'Église

orthodoxe serbe. L'ouvrage ne mentionne pas le lieu et la date de l'édition. 33 ibid., p. 22. 34 Cet élément ne fait pas partie de la slava des Roumains de Homolje.

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II n'est pas connu que des maisons célèbrent Saint-Sava et Saint Grand Martyre Tsar Lazare comme saints protecteurs. Ces deux saints ne sont pas des patrons domestiques, mais nationaux. La métaphore de la maison pour désigner la nation est employée par tous les nationalismes, au moins depuis E. Renan (1997) : « On aime la maison qu'on a bâtie et qu'on transmet » (p. 37). Au travers du modèle de la slava, Saint-Sava et Saint-Lazare ont permis à l'Église orthodoxe serbe d'affirmer l'unité du peuple serbe à travers son histoire. Saint-Lazare est célébré le 28 juin, jour de la bataille du Kosovo de 1389, qui est un jour de deuil des victimes serbes. La mémoire des morts, depuis la bataille du Kosovo, tient une place importante dans la conscience nationale serbe ; c'est même devenu la mesure de la grandeur du peuple serbe.

Lors de la célébration du 600e anniversaire de la bataille de Kosovo Polje, le 28 juin 1989, l'archevêque de Sabac-Valjevo, Jovan, met l'accent sur le martyre du peuple serbe.

« Depuis le prince Lazare et le Kosovo, les Serbes constituent en priorité la Serbie céleste, qui jusqu'à présent est certainement devenue le premier État céleste. Si nous prenons seulement les victimes innocentes de la dernière guerre, les millions et les millions d'hommes et de femmes serbes, d'enfants et de faibles, massacrés et martyrisés dans les pires souffrances ou bien jetés dans les fosses et les grottes par les criminels oustachis, alors nous pouvons concevoir combien est grand aujourd'hui le Royaume serbe au ciel35 »

Les défaites et les deuils sont des moments privilégiés du nationalisme : « en fait de souvenirs nationaux, les deuils valent mieux que les triomphes, car ils imposent des devoirs, ils commandent l'effort en commun » (E. Renan, 1997 : 37). La slava permet de véhiculer le mythe de l'ancêtre fondateur et de renforcer la cohésion d'un groupe en exprimant l'unité des morts et des vivants, ce qui en fait un lieu de mémoire privilégié et un instrument identitaire unificateur que l'Église orthodoxe serbe a appliqué à la nation sur le modèle de la maison.

LA SLAVA EN FRANCE

L'adaptation de la slava à la situation migratoire

Les immigrés yougoslaves arrivés en France dans la seconde moitié des années 1960, après l'ouverture des frontières yougoslaves au début de la décennie, étaient généralement des jeunes paysans qui ont laissé leur femme et leur(s) enfant(s) au village. C'était le cas de l'immense majorité des Roumains de Homolje. La question de la slava ne se posait pas véritablement, puisque encore jeunes la plupart avait leur père en âge de diriger les affaires du groupe domestique et donc de « lever la slava » et de couper le pain rituel ; leur mère et leur femme effectuant les offrandes. Leur seule

35 Vreme International, 28-8-95 : 24. Il s'agit d'un hebdomadaire pacifiste serbe.

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contribution à la slava était d'aller dans l'église orthodoxe serbe36 la plus proche et d'allumer un cierge en offrande aux membres défunts et un autre aux membres vivants du groupe. Ce qui est une manière de « réunir » l'ensemble du groupe et de marquer son appartenance à la même unité sociale.

Les offrandes de la nourriture et des boissons étant une affaire de femmes, elles n'ont commencé à être également effectuées à l'étranger qu'avec l'arrivée des épouses, quelques années plus tard ; les femmes restées au village continuant à donner \apomana au village. La slava étant liée à la maison, le cœur du rituel, que constitue la « levée de la slava » et le partage du pain rituel, doit obligatoirement se faire « là-bas ». Ce n'est que dans le cas où il n'y a plus personne « là-bas », ou seulement des parents trop âgés, que l'intégralité du rituel est accompli dans le nouveau contexte de vie. Cela reste l'exception, mais quand cela se produit c'est, dit-on, uniquement pour des raisons matérielles : le voyage est trop cher pour aller célébrer la slava au village et l'immense majorité des slave sont des fêtes d'hiver, ce qui ne correspond pas au rythme des activités et des congés des économies dans lesquelles ces anciens paysans sont désormais intégrés. La règle voudrait que le rite de la « levée de la slava » et de la « coupe du pain rituel » soit accompli dans la maison, car c'est à cette occasion que sont prononcés les vœux pour la perpétuation de cette unité sociale. Il n'est pas rare que la majorité des membres du groupe ne vive plus dans l'habitat « principal », au moins pendant onze mois sur douze, et ce de manière prolongée. Il n'en reste pas moins que le groupe est uni par trois éléments essentiels :

- des droits partagés sur la propriété ;

-la participation à la vie économique de la maison, puisque l'argent gagné à l'étranger est investi pour le développement de cette unité sociale, qui se traduit par l'acquisition de biens matériels et symboliques ;

- l'unité religieuse, dont la slava est la manifestation principale.

Les offrandes de cierges, du repas et de boissons aux vivants et aux défunts sont accomplies en premier et signifient la présence de tous les membres à un même événement. C'est la raison pour laquelle elles sont effectuées partout où se trouvent les membres du groupe. Selon la croyance généralement répandue dans les Balkans, les vivants et les morts prennent ensemble le repas de la slava et les repas liés aux funérailles (P. H. Stahl, 1987 : 217).

La slava et les échanges entre Serbes et Roumains

La slava a également permis de mettre en évidence la redéfinition de la frontière identitaire entre Serbes et Roumains dans le contexte français. Avant la

36 À défaut d'église serbe, cela peut se faire dans une autre église orthodoxe. 37 Le lignage dans son ensemble célèbre la même slava, le même saint protecteur, mais chaque

maison effectuent des offrandes pour ses propres morts.

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migration vers les pays occidentaux, dans le contexte régional, Serbes et Roumains ne s'invitaient à leur slava respective que dans les rares villages mixtes. Dans les villages ethniquement homogènes, il n'y avait pas d'échanges d'invitation. Cela traduisait la réalité de la séparation entre les deux communautés. L'essentiel des terres se transmettant de père en fils, les invités sont tous extérieurs au lignage38, car toutes les maisons appartenant au même lignage célèbrent individuellement le même saint Patron. Les échanges d'invitations se font donc entre alliés et membres d'un même réseau d'entraide.

En France, les relations entre Serbes et Roumains ont été adaptées aux nouveaux besoins. Bien que les anciennes solidarités villageoises continuent à fonctionner dans le nouveau contexte de vie, elles n'étaient pas suffisantes pour permettre une vie sociale satisfaisante, notamment dans le domaine de la recherche du travail, de logement et, en règle générale, tout ce qui touche à l'échange de services. « Là-bas, nous (Roumains et Serbes) vivions séparés, alors qu'ici nous vivons sous le même toit » (Ljubomir).

Les primo-arrivants se sont d'abord appuyés sur des réseaux villageois anciens, qui se sont intégrés dans de nouveaux réseaux « yougoslaves » plus vastes, constitués de Yougoslaves appartenant aux différents peuples et nations de l'ancienne Fédération. Les échanges d'invitation à la slava sont le reflet de cette nouvelle situation. Cependant, ces échanges ne décrivent pas l'intégralité de ces réseaux, puisqu'ils ne peuvent s'établir durablement qu'avec des Yougoslaves qui pratiquent ce rituel. Les Macédoniens et les Monténégrins peuvent se retrouver dans ces réseaux, mais leur faible importance numérique et la propension de ces réseaux à se développer par affinité régionale et nationale, et dans les milieux professionnels des protagonistes, font que l'essentiel des échanges des invitations à la slava se fait entre Serbes et Roumains. Des Croates et des Slovènes étaient parfois invités, mais il ne pouvait y avoir d'échange puisqu'ils ne pratiquent pas la slava ni aucune fête similaire. En revanche les échanges avec les Musulmans yougoslaves sont possibles, et ils s'établissent parfois entre la slava orthodoxe et le kurban-bayram39 musulman40.

38 Le lignage (policra) est une unité sociale qui regroupe plusieurs maisons unies par la référence à un ancêtre commun. La dot des filles est en partie constituée d'une parcelle de terre, mais en quittant la maison du père elles intègrent le lignage du mari.

39 Fête musulmane qui se déroule deux mois et dix jours après le mois du Ramadan, du 10 au 13 Du-l-higgà (12e mois du calendrier islamique), en même temps que le pèlerinage à la Mecque - pour cette raison, elle est également appelée hadj-bayram. Cette fête donne lieu à un sacrifice d'un mouton ou d'un veau, alors que pour la slava on sacrifie un cochon ou un agneau. Bayram en turc et en perse, Aïd el-Kebir en arabe. Comme la slava, « bayram » signifie à la fois « fête religieuse ; fête en général ; célébration » (A. Skaljic, 1965 : 114).

40 De telles relations n'étaient pas rares parmi les peuples de différentes confessions de l'ex- Yougoslavie ; cela pouvait même concerner la parenté spirituelle. En Herzégovine, Musulmans et Serbes ont développé des relations de parrainage qui ne concernent pas le baptême, puisqu'ils ne sont pas de la même religion, mais la première coupe de cheveux ; celui qui coupe les cheveux est appelé « parrain », et l'enfant est son filleul. Cette relation porte le nom de « parrainage de la coupe de cheveux » (sisano kumstvo ; J. Sarenc, 1985 : 133). Mais une personne d'une religion différente peut devenir le parrain de baptême en cas

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Dans des situations de coexistence interethnique et interconfessionnelle, les rituels peuvent être adaptés à la réalité sociale. Avec l'arrivée des épouses, la slava a largement contribué au développement de la vie sociale par la possibilité d'instaurer des échanges d'invitations.

Guerres civiles et slava en France

Les guerres civiles de Croatie et de Bosnie-Herzégovine ont eu d'importantes conséquences sur les réseaux yougoslaves en France et dans d'autres pays d'immigration. La séparation des communautés en Yougoslavie a eu le même effet à l'étranger. Cela a eu pour résultat de renforcer les appartenances nationales principalement cristallisées autour des clubs, sociétés ou associations culturelles, et d'institutions religieuses. Dans ce processus de séparation des communautés yougoslaves, les Roumains de Homolje se sont tout naturellement placé du côté serbe, puisqu'à l'échelle nationale des appartenances ils se considèrent « Serbes ». L'atténuation de la frontière identitaire entre Roumains et Serbes est notamment perceptible aux niveaux religieux et linguistique : les Roumains se sont rapprochés de l'Église orthodoxe et les parents n'apprennent le plus souvent que le « serbe » à leurs enfants.

Depuis les premiers signes de repli identitaire nationaliste dans la seconde moitié des années 1980, les institutions religieuses ont progressivement retrouvé leur rôle politique d'unificateurs de la nation, aussi bien au pays qu'à l'étranger. L'église serbe de Paris41 a vu sa fréquentation considérablement augmenter à partir de la fin des années 1980. Avec le début de la guerre en Croatie (1991) puis en Bosnie (1992), l'Église est devenue le seul cadre où toutes les tendances politiques et toutes les catégories socioculturelles de l'immigration yougoslave pouvaient se retrouver, ce qui ne manquait pas de provoquer parfois de vives disputes. Les représentants de ce qui restait de la diplomatie yougoslave, principalement des Serbes, n'avaient plus les moyens d'encadrer leurs ressortissants à cause de la désorganisation provoquée par l'éclatement de la Fédération et des sanctions décrétées par le Conseil de sécurité de l'ONU et par la Communauté Européenne à rencontre de la nouvelle Fédération yougoslave (Serbie-Monténégro) en 1992. De plus, la diplomatie yougoslave n'avait pas l'autorité nécessaire pour être l'institution unificatrice de tous les Serbes, qui étaient partagés entre partisans de Slobodan Milosevic et ceux des différents partis d'opposition. La nouvelle place de l'Église au sein de l'immigration serbe a eu pour

de mortalité infantile. Il faut alors mettre le nouveau-né au milieu d'un chemin, et la première personne qui le trouve, même si elle est d'une confession différente, devient son parrain. Cette pratique du changement de parrain, même si elle est aujourd'hui largement désuète, est connue aussi bien des Serbes (S. Milosavljevic, 1913 : 101 ; N. Blagojevic, 1984 : 229), des Bulgares (S. Gencev, 1974 : 271 et 1974 a : 97) que des Roumains de Roumanie (A. Gorovei, 1915 : 78 ; G. Comanici, 1982 : 154) et de Serbie (D. Milojevic-Radovic, 1958 : 252). En revanche, les relations de parrainage entre orthodoxes et catholiques n'étaient pas rares (B. Drobnjakovic, 1960 : 149).

41 Qui se situe rue Simplon dans le 18e arrondissement.

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conséquence de rapprocher les immigrés roumains originaires de Homolje de cette institution. La frontière entre Roumains et Serbes avait déjà perdu de sa pertinence du fait du nouveau contexte de vie, de sorte que l'Église orthodoxe serbe ne pouvait plus être considérée comme un danger pour la cohésion du groupe roumain : en France l'Église n'avait pas ce pouvoir et les Roumains s'étaient déjà largement fondus dans le groupe serbe. L'acceptation de l'Église en tant qu'institution pan-serbe est à interpréter comme une manifestation de solidarité avec les Serbes de l'ex- Yougoslavie et une expression de leur serbité, de leur « volonté de vivre ensemble », qui ne devient véritablement visible que lorsque cette vie commune est en danger.

« Ce vouloir vivre ensemble est silencieux, généralement non remarqué, enfoui ; on ne s'aperçoit de son existence que lorsqu'il se décompose, ou lorsqu'il est menacé : c'est l'expérience de la patrie en danger, celle des grandes dé-faites, qui sont aussi des périodes où le lien politique se dé-fait » (P. Ricœur, 1997 : 153).

Pour marquer cette volonté de vivre avec les Serbes et d'être serbes, les immigrés roumains originaires de Homolje se rendent à l'Eglise pour l'office consacré à leur saint protecteur, donc à leur slava, et le célèbrent avec les autres Serbes, avant d'effectuer le rituel domestique. Avant la guerre, l'Église n'était visitée à cette occasion que pour allumer des cierges pour les vivants et les défunts et n'était qu'un lieu d'échange d'informations parmi d'autres, alors qu'elle est devenue le principal lieu de rassemblement où le groupe serbe dans son ensemble est à chaque fois reconstruit dans un monde qui leur paraît globalement hostile. La slava constitue un temps fort du plébiscite de tous les jours, qui selon E. Renan (1997 : 32) est indispensable à l'existence d'une nation. Mais ce n'est que dans ce contexte particulier, de guerre et d'immigration, que les Roumains de Homolje ont commencé à intégrer cette intention dans leur pratique de la slava. Ainsi, l'histoire de cette communauté roumaine montre que le contexte de migration et de guerre lui a fait franchir un pas supplémentaire vers l'assimilation à la nation serbe en œuvre depuis le XIXe siècle.

CONCLUSION

La slava est une grande communion qui abolit les frontières du temps et de l'espace. Le rituel n'a donc plus « seulement » pour fonction d'abolir momentanément la frontière entre le monde des vivants et celui des morts, mais permet aussi de « réunir » des vivants présents dans plusieurs pays et participe à l'affaiblissement de la frontière identitaire entre les communautés serbe et roumaine.

Ainsi, la slava opère plusieurs types de réunions qui se situent dans des cadres sociaux et à des échelles d'organisation sociale différents : des membres d'une même maison, des défunts et des vivants où qu'ils se trouvent ; du présent et du passé, des morts emblématiques et des vivants au sein de la nation serbe ; des Roumains de Homolje et des Serbes dans le contexte étranger, puis dans les villages d'origine. Dans tous ces contextes, la slava « réalise » l'unité imaginaire d'une communauté ; c'est une manière parmi d'autres (B. Anderson, 1996) d'écrire la biographie et de tracer les frontières d'un groupe.

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Le rituel de la slava met en évidence les changements de frontière entre l'en- groupe et le hors groupe. En l'occurrence, il atténue la frontière entre Roumains et Serbes, et souligne davantage ce qui les distingue des non Serbes. Dans le contexte français, la distinction entre Serbes et Vlasi s'est maintenue dans le langage et dans la perception que les deux populations ont l'une de l'autre, mais la frontière sociale a disparu. Cependant, le rapprochement des Roumains et des Serbes n'est pas circonscrit au contexte migratoire, il se prolonge dans la région d'origine.

Les immigrés auprès desquels j'ai travaillé avaient entre 18 et 30 ans au moment de leur migration vers la France. Ils ont depuis remplacé leur père à la tête de la maison, et les relations amicales et d'entraide construites à l'étranger ont abouti à l'établissement de relations privilégiées entre maisons roumaines et maisons serbes. Cela a eu pour conséquence d'élargir les réseaux d'échange entre les deux communautés. Les changements les plus significatifs pour les deux groupes à long terme se traduisent par des échanges matrimoniaux plus fréquents42, par la création de relations de parenté spirituelle, notamment de parrainage, et par le rapport à la langue serbo-croate.

Les mariages mixtes roumano-serbes ne sont pas encore banalisés, et il existe encore de fortes réticences de la part des parents et des grands-parents, mais le développement des relations avec les Serbes a considérablement augmenté la possibilité de telles unions et semble rendre leur progression inévitable. Les réticences sont fondées sur la crainte pour le devenir de la maison : la peur que l'épouse refuse « d'y vivre », ce qui entraînerait la disparition de cette unité sociale. Les relations de parrainage sont déjà nombreuses, ce qui n'est pas sans conséquence pour les échanges matrimoniaux, puisque ce type de parenté spirituelle détermine les plus nombreuses unions après l'endogamie villageoise. Si une personne ne trouve pas de conjoint dans son village, c'est dans le village du parrain qu'elle le trouve en premier lieu. Du fait de la fréquentation quotidienne et intime des Serbes, l'usage du bilinguisme, serbo-croate et roumain, est devenue la règle dans la sphère domestique.

La slava a un rôle prépondérant dans le développement des relations entre Roumains et Serbes. De nouveaux rapports ont été initiés à l'étranger avec les échanges d'invitations au rituel, et cette nouvelle histoire est désormais inscrite dans la slava.

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42 Je n'ai pas eu la possibilité de vérifier cela dans le registre des mariages de Melnica, mais cela correspond à la perception qu'en ont mes informateurs.

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ANNEXE

Les offrandes du premier jour Saua : Que la 'prescura' (pain rituel de l'offrande), avec ce que j'ai mis dessus et avec

la 'rachia' (eau-de-vie de prune), que ce soit pour le jour d' aujourd'hui, jour de la Saint-Jean, qu'il nous garde, qu'il nous protège, les morts qu'il les réveille, qu'il les allège ; à nous, qu'il nous donne la santé (mot prononcé en serbe et en roumain ; 'zdravlje' et 'sànàtace' ). Amen et beaucoup d' amen.

Piersa : Je remercie. Qu'il nous protège des maladies, sur les chemins, et qu il donne la santé à toi et à Sneja, que tu travailles à V école ; à Anita, à tous, que Saint-Jean nous donne la santé, car c'est le plus grand 'praznic' (fête). Je remercie.

S : Que la prescura soit pour le jour d' aujourd' hui , pour Sainte-Marie la Petite, pour la Grande, pour le jour de Saint-Jean, pour les Sept Jours de la semaine qui tous se tiennent par la main...

P : Pour Jésus-Christ... S : Que tous nous gardent, nous protègent. Beaucoup d' amen, ainsi soit-il. P : Je remercie, ainsi soit-il, je remercie, ainsi soit-il. Qu il y ait à jamais des gens pour

réveiller, je remercie, ainsi soit-il. Puis, après avoir allumé la lumière : S : Que le colac (autre pain rituel ; le « grand colac » qui sera consommé par la suite),

avec ce que j' ai mis dessus, et avec V eau du verre et avec les pommes de terre à la viande soient pour Dieu, pour Saint-Jean à cause du jour d' aujourd' hui, pour Sainte-Marie la Petite, pour la Grande, pour les Sept Jours de la semaine qui tous se tiennent par la main, pour tous les Anges, pour tous Apôtres, pour les quarante-quatre fêtes ('praznic') ; que le colac soit une offrande pour eux tous, qu'ils nous donnent la santé, à Deian, à Snejana, à nous tous, à Liubomir, à Die sa (qui est son nom de baptême à l'église, alors que son nom de baptême, donné par son parrain, utilisé dans la vie quotidienne, est Stefita), à Anita.

Que ce soit encensé avec V odeur de l' encens ; que soient encensés les cierges avec les pains, avec la soupe de la marmite, que soient encensés les choux farcis ('sarma '), avec les pommes de terre à la viande, avec les bouteilles avec les boissons, que l'offrande soit avec le porcelet, que tout ce que j'ai mis soit encensé. Que la table ainsi chargée soit pour grand-mère Erina, grand-père Pîatru, beau-père ('taica') Dusan, que ce soit pour tante Liubita, pour sa fillette, que ce soit pour Dichita, pour Liubinca, pour Tomislau, que ce soit pour la fillette de Liubinca, que ce soit pour les parents de grand-mère Erina, pour les parents de grand-père Pîatru, qu' ils voient qu'à leur praznic il y a quelqu'un pour les réveiller et pour fêter. Que soient donnés en offrande les mets encensés à tous les morts, aux sœurs de grand-mère Erina, aux frères de grand-père Pîatru ; que l' offrande soit pour grand-mère Ancuta, pour grand-père lova, pour papa Velisîcà, pour tante Ierina, pour lela, pour Liubita, pour Zinca, que pour tous ce soit encensé en offrande. Que ce soit pour grand-père leremia, pour grand-mère Ana, pour leurs enfants, pour Desanca, pour son fils, que ce soit pour tante Ievresîia, que ce soit pour le premier mari de grand-mère Ana, que l'offrande soit pour tous les enfants de grand-mère Ana, pour oncle Vladu, que ce soit encensé pour le vieux Voice, pour la vieille Tveta, pour Mila, pour lela, pour ses parents, pour tous que ce soit encensé avec V odeur de V encens, avec les mets et avec les gâteaux et avec le cierge allumé et avec la bouteille de jus de fruit. Que ce soit encensé avec la bouteille de jus de fruit et avec les gâteaux et avec le cierge pour tous ceux à qui je viens de donner à manger.

P : Que Dieu pardonne, que Dieu pardonne.

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S : Que soient pour l'offrande les cierges allumés, les pains, la soupe, que soient le 'rimflaif des assiettes, avec tout ce que j'ai chargé sur la table, avec la soupe, avec les choux farcis, avec le porcelet, avec les bouteilles de bière, avec les bouteilles de jus de fruit, avec V eau du bocal, avec les gâteaux avec le cierge allumé ; que la bouteille de jus de fruit, les bouteilles avec les boissons, la 'rachia chaude, soient en offrande à tous ceux à qui f ai donné l'offrande (les personnes citées plus haut), qu ils aient de la rachia chaude aussi. Que ce soit en offrande à beau-père Dusan, à grand-mère Erina, à grand-père Pîatru, à tante Liubita, à Liubinca. Que ce soit en offrande à Dichita, à Liubinca, à Tomislau, à leur fillette. Que ce soit en offrande aux parents de grand-mère Erina, aux parents de grand-père Pîatru... (enregistrement inaudible)... avec Liubinca, avec beau-père Dusan, qu'ils se réunissent au déjeuner, qu'ils soient contents ; qu'ils soient tous au repas, qu'ils se réunissent. Et tous ceux que f ai peut-être oubliés, qu'ils se réjouissent, qu ils n' aient pas de frontière . Que Dieu pardonne, que Dieu pardonne.

P : Que ce soit pour nous aussi, les vivants ; pour Deian, pour Snejana... S : Que ce soit pour Liubomir, pour Snejana, pour Deian, pour maman, pour Diesa,

pour Anita, pour Dusan, pour Seca, pour sa petite fillette, pour belle-mère. Que Dieu pardonne. Qu ils aient des gâteaux au déjeuner avec le cierge allumé, avec la bouteille de jus de fruit ; que tous ceux à qui f ai donné aient des gâteaux, que Dieu pardonne, et avec la lumière électrique de la pièce et la chaleur du four de la 'casa' , la lumière du soleil et avec la lumière du jour, que Dieu pardonne. Pour Ielita, pour Borianca, pour Bosa, pour Mica (membres de la maison d' un couple d'invités).

P : Que nous nous rencontrions tous ici et là-bas. S : Que les morts mangent et qu'ils ne nous attendent pas. Pendant ce temps, le chef de la maison est à table, dans une autre pièce, avec les

invités. Après la cérémonie des offrandes, les deux femmes rejoignent les invités et le rituel des vœux peut commencer.

Ljubomir : Au nom du Père et du Fils, du Saint-Esprit, amen. Buvons un verre pour la Lumière, pour que ça s' entasse pour que ça ne diminue pas jusqu à la fin des temps. Allez, une deuxième fois (le chef de maison se sert toujours en premier). Et une troisième, mais maintenant il faut en rajouter dans les verres, pour la troisième fois il faut en rajouter un peu.

Maintenant asseyez vous, et nous allons recommencer après (...). Maintenant nous devons nous lever de nouveau. Buvons un verre de boisson pour

ï encens. Que le Saint Encens nous soit dans la 'casa' , dans la table, tout autour de la maison, dans tous les quatre coins. Allez, une deuxième fois. Et une troisième, mais on doit en rajouter un peu dans les verres. Eh, l' encens ; laisse le verre Ljubivoj, tu es le 'pope' . Au nom du Père et du Fils, du Saint-Esprit, amen.

Eh, maintenant, nous reprenons et nous rajoutons de nouveau ; pour la 'Slaua' , Buvons un verre pour la 'Slaua' . Que la Sainte 'Slaua' ait qui la célébrer, qui inviter, que la Sainte 'Slaua' nous aide.

Tout le monde en chœur : Que Dieu le veuille. Lj : Allez, une deuxième fois... Attend qu'on en rajoute pour la troisième fois ; allez,

une troisième fois. Et maintenant : Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Maintenant levons la 'Slaua' (deux petits « colasi » - celui de Dieu et celui de

V archange, posés sur un grand - celui de la « Slaua ». Dans les petits un cierge allumé est planté).

Le 'pope' (Ljubivoj) : Moi aussi, Ljuba ?

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Lj : Toi aussi, bien sûr. Tout le monde lève les « colasi » et le chef de la maison dit : « Au nom du Père et du

Fils, du Saint-Esprit » ; puis tous en chœur disent : « Amen ». La séquence est répétée trois fois. À la deuxième levée du pain, une femme serbe demanda :

Branka : Tous, nous devons mettre la main ? Saua (la femme du chef de maison) : Oui. B : Pourquoi vous ne le dites pas ? Je ne sais pas moi. Lj : Maintenant nous le dédions immédiatement au Saint Archange et nous éteignons

(le cierge qui était dessus). Au nom du Père et du Fils, du Saint-Esprit, amen, dit le chef de la maison en éteignant le cierge.

B : Et qu'est-ce que tu fais de celui-là (le 'colac' de Dieu) ? demanda la femme serbe. Lj : Celui-là, le 'pope' V emmène avec lui. Janos : Autrefois, on le mettait en haut (sur un meuble), et si le 'colac' tombait, le

'pope' rentrait immédiatement chez lui ; ça ne doit pas tomber tant que le 'pope' est là, ajouta, en riant, cet invité roumain.

Lj : Maintenant le 'pope' tu coupes le 'colac' (celui de la « Slaua ») et maintenant nous allons lui verser un peu de vin.

Le 'pope' : Je le coupe d' abord.

Lj : Quand tu l'auras coupé ; tu le coupe d' abord.

Le 'pope' coupe le 'colac' en quatre et dans le milieu de chaque part le chef de maison verse un peu de vin, en disant : « Au nom du Père (il verse du vin sur la première part...) et du Fils (...sur la seconde part...), du Saint-Esprit (...sur la troisième part...), amen (...et sur la quatrième), les barriques pleines de vin, jusqu'à la fin des temps ». Les quatre parts sont mises les unes sur les autre suivant un ordre déterminé :

Lj : Celui de la main gauche va sur le dessus, vers le 'pope' , mets-le au-dessus, on fait des étages. L'autre (le 'colac' de Dieu), mets-le un peu sur la table et après tu le mets en haut et quand le 'colac' tombe, le 'pope' part (le cierge de ce « colac » n'est éteint qu'un quart d'heure après celui de l'archange). Et maintenant, nous rajoutons un peu dans les verres. Buvons un verre pour le travail que nous avons fait ; qu'il nous apporte la chance, qu'il y ait des gens qui travaillent, qui viennent, qui préparent, qui accueillent.

J : Beaucoup de succès, chef. Que tu nous sois en vie et en bonne santé et que tu nous réinvites V année prochaine.

Lj : Bien sûr, bien sûr. Maintenant comme on peut, V année prochaine comme... Et une deuxième fois. Maintenant, on en rajoute un peu ; et une troisième fois. Maintenant, on entrecroise nos mains pour le travail que nous avons fait. Que le travail que nous avons fait soit une réussite, qu' ainsi s' entrecroisent les épis de maïs, le maïs, tout, que les champs soient fertiles, que tout aille bien (tous se donnent les mains en se les entrecroisant et les lèvent trois fois). Maintenant nous pouvons nous asseoir, maintenant nous avons fini. Allez, le 'pope' , distribue un peu de 'pràsiesta (communion ; petits morceaux de pain que le « pope » coupe du colac de la « Slaua »). Des petits morceaux, le 'pope' , c'est pour manger tout de suite ; tu en donnes un à chacun.

Le 'pope' : Ah, c'est pour manger tout de suite, dit-il, car il ne connaissait aucun des rituels roumains.

Lj : Maintenant, invités, voulez-vous changer de boisson ?

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Le rituel des vœux prend fin avec la communion de tous les participants, et le repas peut commencer. La fête, commencée en début d'après-midi, se poursuit jusqu'à tard le soir ; des invités supplémentaires arrivent pour le dîner. La fête prend fin avec le départ du « pope », personnage principal de la cérémonie, qui emporte le « colac » de Dieu.

Les offrandes du deuxième jour Saua : Que les mets soient encensés comme je les ai mis ; avec l'odeur de V encens que

soient encensés les pains avec les cierges allumés, avec le fromage sur les pains, avec l'eau, avec les cigarettes, avec les pommes, avec les bouteilles, avec les boissons. Tout ce qui est mis sur la table, que ce soit en offrande, avec les assiettes, avec les boissons, avec la 'rachia' chaude, avec la bouteille de whisky, avec la soupe de la marmite, avec le 'rimflaif , avec les choux farcis, avec V eau du bocal ; que tout soit encensé avec V odeur de V encens. Que ce soit pour Dichita, pour beau-père Dusan, pour grand-mère Erina, pour grand-père Pîatru, pour tante Liubita, pour sa petite fille, pour Rujîta ; que ce soit en offrande à Liubinca, à Tomislau, à la fillette de Liubinca ; que ce soit en offrande à grand-père Ieremia, à grand-mère Ana, à ses fils, à ses filles, à Desanca, à frère Bogoliub Dodolan ; que ce soit en offrande à papa Velisîcà, à grand-mère Ancuta, à grand-père lova, à tante Ierina, à Iela, à Cruna, à Liubita, à Zinca ; que ce soit aux parents de grand-mère Erina Rufuanie (grand-mère de son mari), aux parents de grand-père Pîatru Rufu (grand-père de son mari) ; que ce soit en offrande au vieux duquel les Rufuoni ont hérité les terres , je ne sais pas comment il s'appelle, que ce soit à Milucin Bîzàu d au-delà de la grande eau (qui venait d au-delà de la grande eau ; le Danube) ; que ce soit en offrande au vieux Voice (second mari de sa mère), à la vieille Tveta, à Mila, à Iela, à ses sœurs, à ses parents. Qu'à tous soient en offrande les mets encensés ; comme c'est mis que tous les mets soient encensés avec l'odeur de l'encens, tout ce qui est mis : la 'rachia' chaude, la bouteille de whisky, car Dichita aimait en boire ; que ce soit aussi pour Dànilà Bechiariu et à sa mère et à son père, et aux frères de papa Velisîcà, aux parents de grand-mère Ancuta, aux parents de grand-père lova, que ce soit en offrande à tous ; à tante Ievràsîia, à Dàrinca femme de Pàutu, aux enfants de grand-mère Ana. Dis en toi aussi car je ne les connais pas tous ceux-là...

Piersa : À sœur Sîda, à Cata, à... (d'autres noms sont prononcés, mais l'enregistrement est inaudible).

S : Qu'à tous ce soit encensé avec l'odeur de Y encens ; que tous se réunissent et qu'ils soient réunis et qu'ils soient contents. Que beau-père Dusan voit que c' est leur 'Praznic' , et avec grand-mère Erina, et avec grand-père Pîatru, qu'ils voient qu'il y a quelqu'un pour les réveiller et le « Praznic » fêter. Que ce soit pour tous, et ceux de la famille que f ai peut-être oubliés qu'ils se réjouissent, et ceux de la famille que je ne connaîtrai pas, qu'ils n'aient pas de frontière mais qu'ils se réunissent tous et qu'ils déjeunent. Que Dieu pardonne.

Que ce soit aussi encensé à moi, à Liubomir, à Deian, à Snejana, à maman, à Diesa, à Anita, à Stànisa ; que ce soit à Dusan, à Senca, à leur fillette, à belle-mère ; que ce soit en offrande avec V odeur de V encens tout ce qui est là comme je V ai mis.

Que ce soit en offrande comme f ai mis, avec les pains, avec les cierges allumés, avec la soupe chaude de la marmite, avec les choux farcis de la casserole, avec le 'rimfaif (un plat), avec la bouteille de jus de fruit, avec la 'rachia' chaude, avec les gâteaux, avec les cierges allumés, avec les boissons sur la table : l'eau gazeuse, car papa Velisîcà l'appréciait, avec les

43 Ancêtre fondateur de son lignage d'origine ; nous remarquerons que les ancêtres non fondateurs ne sont pas évoqués au-delà de la génération des parents des grands-parents (tous les autres, comme nous le verrons en fin de rituel, sont dans la catégorie « tous ceux que j'aurais oubliés ») et que seuls les noms des grands-parents sont mémorisés.

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jus de fruit, avec le vin, avec la bière, avec l'eau de la carafe ; qu'à tous cela soit en offrande, à tous ceux que j'ai encensés. Que ce soit à Dichita, à beau-père Dusan, à grand-mère Erina, à grand-père Pîatru, à tante Liubita, à sa fillette, à Liubinca, à sa fillette, à Tomislau. Que ce soit à grand-père Ieremia, à grand-mère Ana, à leurs enfants, à Bogoliub Dodolan, aux enfants de grand-mère Ana, à oncle Vlada, à tante Ievràsîia, à Dàrinca femme de Pàutu ; que ce soit au vieux Voice, à sa vieille, à son frère, à sa mère, à son père ; que ce soit aux parents de grand- mère Erina, aux parents de grand-père Pîatru ; que ce soit au vieux duquel les Rufuoni ont hérité la terre ; que ce soit au vieux Milucin Bîzàu d' au-delà de la grande eau ; que ce soit aux frères de papa, aux sœurs de papa, à tous, à tante Ierina, à Cruna, à Liubita, à Zinca ; que ce soit en offrande aussi à Dànilà Bechiariu, et à sa mère et à son père ; et ceux que f aurais oubliés qu' ils se réjouissent, qu ils n aient pas de limite mais qu' ils soient tous réunis. Que ce soit aussi à... A qui j'ai pas dit encore ? À Ivan fils de Ciedafils de Pîatru Milovan, qu'il se joigne à Dichita, car c'est son frère de sang ; que ce soit à Sîma, le frère de belle-mère, que ce soit à oncle Sîma ; que ce soit aux soeurs de belle-mère, la jeune qui est morte, Ruja... comment elle s' appelle ... Ruja femme de Rocsa. Que ce soit à tous, que tous se réunissent et que toute la famille se rassemble et qu'ils soient contents et qu'ils déjeunent. Que Dieu pardonne.

Que ce soit à moi, à Liubomir, à Deian, à Snejana, à maman, à Diesa, à Anita, à Stànisa, à Dusan, à Senca, à la petite fillette ; que ce soit à belle-mère, à Sîcu. Que Dieu pardonne, que ce soit pour tous. Que les morts mangent et qu' ils ne nous attendent pas ; qu ils boivent du whisky, que tous s'invitent et qu'ils boivent, Dichita appréciait le whisky ; qu'ils s' invitent avec beau-père Dusan, et avec grand-père Pîatru, et tous : Liubinca, Tomislau, qu ils boivent tous, tous ceux à qui f ai donné les offrandes ; et l'eau de la table, qu'ils aient de V eau au déjeuner, et tout ce qui est mis sur la table, avec les pommes. Que Dieu pardonne ; le paquet de cigarette, le fromage de sur les pains, les cierges allumés, la lumière électrique, la chaleur du four. Que Dieu pardonne ; qu'ils viennent et qu'ils déjeunent et qu'ils se réchauffent. La 'rachia' chaude sur la table, qu'elle soit à tous, que Dieu pardonne ; et la lumière de jour, qu elle soit en offrande, que Dieu pardonne.

P : Goûte. S : Que Dieu pardonne, que ce soit libre ; que Dichita boive du whisky, qu elle en offre

à tous car elle l'appréciait. P : Que Dieu pardonne, que ce soit libéré. Que Dieu pardonne. La cérémonie, comme la veille, se poursuit par le rituel des vœux dans une autre pièce.

Le 'pope' de la journée est Sîcu, le second mari de la mère du chef de la maison44. Sîcu (le 'pope') : En premier, tu allumes le cierge pour les lumières (les « lumini »),

dit-il au chef de la maison. Pour les lumières, nous allons boire un verre de boisson... Et tu allumes le cierge. Allez, pour les lumières. Allez, une deuxième fois ; une deuxième fois pour les lumières ; et une troisième. Maintenant, tu allumes les lumières.

Ljubomir : Au nom du Père et du fils, du Saint-Esprit, amen, dit le chef de la maison en allumant le cierge.

S : Maintenant, nous buvons un verre de boisson pour V encens. Et un deuxième. Et un troisième pour ï encens, que Dieu le veuille ; pour le jour d'aujourd' hui, le jour d' hier. Encense, dit-il au chef de la maison.

Lj : Au nom du Père et du Fils, du Saint-Esprit, amen. Au nom du Père et du Fils, du Saint-Esprit, amen. Au nom du Père et du Fils, du Saint-Esprit, amen, dit le chef le chef de la

44 Son père a été tué pendant la Seconde Guerre mondiale.

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maison en encensant trois fois le 'colac' de la 'Slaua' ; puis le 'pope' fait de même. Maintenant, il faut en rajouter un peu dans les verres, et dans le mien en premier.

Vojka : Ben oui, le chef en premier, dit sa mère. Lj : Buvons pour la 'Slaua' . Allez, une deuxième fois. Et une troisième. Au nom du Père

et du Fils, du Saint-Esprit, amen. Levons la 'Slaua' , que la 'Slaua' nous aide. S : Que Dieu le veuille, amen ; que Dieu le veuille. Levons-la jusqu'à la poutre, qu'elle

nous aide. Lj : Au nom du Père et du Fils, du Saint-Esprit, amen, et tout le monde reprend en

chœur en levant la 'Slaua' trois fois. Bien, maintenant que ce 'colac' soit à l'Archange et celui-là à Dieu.

Puis, le 'pope' éteint le cierge du 'colac' de l'Archange et coupe le 'colac' de la 'Slaua'. V : A l'endroit il le coupe, à V endroit que ça pousse (les récoltes), parle ! dit-elle à son

mari, le 'pope' , car c'est ce qu'il aurait dû dire en coupant le colac. S : Que Dieu le veuille, que Dieu le veuille. Un peu de vin. Lj : Au nom du Père... et du Fils... du Saint-Esprit... amen, les barriques pleines de

vin ! dit le chef de maison en versant un peu de vin sur les quatre parts du 'colac' . S : Que Dieu le veuille. Lj : Oh, la la ! Que la récolte de blé sera bonne, dit le chef de maison, car il avait versé

trop de vin. S : Que Dieu le veuille ; si on le sème. Lj : Buvons un verre de boisson pour le travail que nous avons fait ; pour qu'il y ait qui

préparer, qui travailler, qui venir. S : Que Dieu le veuille, que Dieu le veuille. Lj : Allez, une deuxième fois. Et un troisième. S : Et une troisième fois, que Dieu le veuille. Et maintenant, que les épis de maïs

s' entrecroisent.

Lj : Allez, que le travail réussisse. Ils entrecroisent leurs mains et les lèvent trois fois en répétant en chœur : Que Dieu le

veuille, que Dieu le veuille. Lj : Maintenant le 'pope' tu connais ton devoir, je ne dois pas te V apprendre à toi. V : Un peu de 'presiesta (communion). Lj : Buvons un verre pour les lumières. Que ça s' accumule que ça ne réduise pas

jusqu'à la fin des temps ; et V année prochaine aussi (qu'on recommence). S : Que Dieu le veuille. Lj : Un deuxième. Et un troisième, le troisième doit être bu entièrement. S : Allez, notre Sainte-Trinité. Toma N : Sainte-Trinité, mère accouchée de Dieu. (Les deux dernières phrases sont

dites en serbo-croate). Après ce rituel, le repas peut commencer. Le cierge de la slava reste allumé toute la

journée, et il est éteint le soir au départ du « pope ».

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RESUME - ABSTRACT - RESUMEN 1 1 6

Le rituel de la s lava et l'imaginaire communautaire de l'unité. Les Roumains de Homolje et les Serbes en France

Dejan DIMITRIJEVIC

La slava est la fête du saint patron de la plus petite unité sociale, la maison. Ce rituel marque l'unité des vivants et des défunts au sein du groupe concerné et perpétue les relations de solidarité extra-lignagère par un système d'échanges réciproques d'invitations à la slava. C'est dans ce sens que les Roumains de Homolje (Nord-Est de la Serbie), qui se reconnaissent aussi comme Serbes, pratiquent le rituel jusqu'à la vague d'émigration économique qui a débuté dans le milieu des années 1960. À partir de ce moment, la slava a été adaptée à la nouvelle situation : elle contribue également à la cohésion des membres de la maison qui vivent dans au moins deux pays, et les relations de solidarité, qui étaient exclusivement roumaines car les deux communautés vivaient séparées, se construisent désormais avec les Serbes.

L'examen de la pratique de la slava en France révèle la volonté de maintenir l'unité de la maison malgré la dispersion de ses membres, et l'intégration de ce rituel, au cours des années 1990 marquées par les guerres yougoslaves, au processus d'assimilation à la nation serbe commencée au dix-neuvième siècle.

The Ritual of the Slava and the Unity of the Imagined Community. The Romanians from Homolje and the Serbs in France

Dejan DIMITRIJEVIC

The slava is the feast of the household's patron saint. This ritual shows the unity of the living and the dead of the group, and through a system of mutual invitations, fosters extra- lineage relationships of interdependence. Before economic migration began in the mid-1960s, the Romanians of Homolje (Northeastern Serbia), who also consider themselves Serbs, practiced the ritual in this way. Since then, the slava has been adapted to the new situation and contributes to the cohesion of households whose members live in different countries. Furthermore, relationships of interdependence, formerly exclusive to Romanians, because the two communities were living apart, are now extended to include Serbs.

The study of the slava as practiced in France shows the participants' determination to maintain household unity despite geographic dispersion. Moreover, during the Yugoslavian wars in the 1990s, the ritual became linked to the process of assimilation to the Serb nation that began in the nineteenth century.

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El ritual de la slava y las representaciones imaginarias comunitarias de la unidad. Los rumanos de Homolje y los serbios en Francia

Dejan DIMITRIJEVIC

La slava es la fiesta del santo patron de la unidad social mas pequena, la casa. Este ritual marca la unidad de los vivos y de los difuntos en el seno del grupo concernido y perpétua las relaciones de solidaridad extra-linaje a través de un sistema de intercambios recfprocos de invitaciones a la slava. Este era el sentido que otorgaban al ritual los rumanos de Homolje (Noreste de Serbia), que se reconocen también como serbios, hasta mediados de los anos 1960, fecha que coincide con el comienzo de la ola de emigraciôn econômica. A partir de este momento, la slava ha sido adaptada a la nueva situacion. El ritual contribuye actualmente también a la cohesion de los miembros de la familia que viven en al menos dos paises. En cuanto a las relaciones de solidaridad, en el pasado exclusivamente rumanas puesto que las dos comunidades vivïan separadas, se construyen en lo sucesivo con los serbios.

El examen de la prâctica de la slava en Francia révéla la voluntad de mantener la unidad de la casa a pesar de la dispersion de sus miembros. Por otro lado, a lo largo de los anos noventa (marcados por las guerras yugoslavas), el ritual se ha integrado en el proceso de asimilaciôn a la naciôn serbia que comenzô en el siglo diecinueve.

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