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Tracés. Revue de Sciences humaines Numéro 15 (2008) Pragmatismes ............................................................................................................................................................................................................................................................................................... Joëlle Zask Le public chez Dewey : une union sociale plurielle ............................................................................................................................................................................................................................................................................................... Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le CLEO, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ............................................................................................................................................................................................................................................................................................... Référence électronique Joëlle Zask, « Le public chez Dewey : une union sociale plurielle », Tracés. Revue de Sciences humaines [en ligne], 15 | 2008, mis en ligne le 01 décembre 2010. URL : http://traces.revues.org/index753.html DOI : en cours d'attribution Éditeur : ENS Éditions http://traces.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne à l'adresse suivante : http://traces.revues.org/index753.html Ce document est le fac-similé de l'édition papier. © ENS Éditions
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Le public chez Dewey : une union sociale plurielle (2008)

Feb 21, 2023

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Tracés. Revue de ScienceshumainesNuméro 15  (2008)Pragmatismes

...............................................................................................................................................................................................................................................................................................

Joëlle Zask

Le public chez Dewey : une unionsociale plurielle...............................................................................................................................................................................................................................................................................................

AvertissementLe contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive del'éditeur.Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sousréserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,l'auteur et la référence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législationen vigueur en France.

Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le CLEO, Centre pour l'éditionélectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

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Référence électroniqueJoëlle Zask, « Le public chez Dewey : une union sociale plurielle »,  Tracés. Revue de Sciences humaines [enligne], 15 | 2008, mis en ligne le 01 décembre 2010. URL : http://traces.revues.org/index753.htmlDOI : en cours d'attribution

Éditeur : ENS Éditionshttp://traces.revues.orghttp://www.revues.org

Document accessible en ligne à l'adresse suivante : http://traces.revues.org/index753.htmlCe document est le fac-similé de l'édition papier.© ENS Éditions

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TRACÉS 15 2008/2 PAGES 169-189

Le public chez Dewey : une union sociale plurielle

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Depuis une vingtaine d’années, l’espoir qu’une démocratie participative pourrait pallier les défauts de la démocratie représentative s’est peu à peu répandu. Philosophes, politistes et sociologues multiplient les perspectives pour indiquer que les citoyens d’un État démocratique ne se bornent pas à voter une fois de temps en temps, mais qu’ils peuvent ou devraient contri-buer à l’élaboration des questions d’intérêt public et aux débats qui s’en suivent. En philosophie, Benjamin Barber et Jürgen Habermas ont revita-lisé l’idée que la participation des citoyens au gouvernement n’est pas seu-lement un droit, mais qu’elle est aussi la condition même de l’existence de ces institutions en tant que protectrices de ce droit.

La contribution précoce de Dewey en faveur d’une démocratie parti-cipative a été remarquée d’abord aux États-Unis, notamment par Robert Westbrook (1991), puis en Allemagne et en France. Un certain scepticisme accueille en 1927 Le public et ses problèmes de Dewey (2003). Comme en témoigne la récente parution des actes du colloque Lippmann (Audier, 2008), l’heure est davantage à une réinterprétation du libéralisme classique qu’à une revitalisation de la tradition républicaine dont, aux États-Unis, le fondateur réputé est Jeff erson. Aujourd’hui, on reconnaît généralement que Dewey a voué à la démocratisation des associations humaines un attache-ment indéfectible. À ce titre, les travaux actuels, qui parfois se réfèrent à ses thèses, en sont la continuation.

Toutefois, il existe plusieurs aspects qui sont restés inaperçus. La démo-cratie participative aujourd’hui est une perspective largement orientée vers la restauration d’un dialogue entre publics et gouvernants. Conseiller, légi-timer, rationaliser la décision politique, telle serait sa fonction essentielle. Comme le remarque Loïc Blondiaux (2004), la plupart des expériences

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de participation sont orchestrées, notamment en France, par les élus, qui cherchent, à travers des procédures de consultation, de concertation, de débats publics, à élargir la base de légitimité de leurs actions et restent atta-chés à l’idée que seul le représentant est apte à défi nir l’intérêt général.

Or la priorité de Dewey est autre : la raison d’être d’un public n’est pas de critiquer ou, à l’inverse, de faciliter les décisions des gouvernants ; elle réside dans le repérage des conditions qui rendent nécessaire une réglemen-tation de celles des activités sociales qui sont productrices d’un public. Cet angle d’analyse permet d’aborder la question de la compétence des citoyens à nouveaux frais : soit un public se constitue à travers l’acquisition par ses membres des compétences requises pour localiser, en toute indépen-dance, leurs intérêts partageables, soit il n’y a pas de public. Les aptitudes à former des jugements politiques ne sont pas des conditions antécédentes, mais dérivent d’activités à la fois sociales et cognitives. La socialisation de la science et le développement d’une science des changements sociaux sont deux facteurs qui, combinés entre eux, mènent à aborder le public non sous l’angle d’un consensus ou d’une unanimité, mais sous celui de la pluralité.

Entre droit de participation et compétence : la citoyenneté tiraillée

Le public et ses problèmes est une réaction aux textes de Lippmann concer-nant le sens qu’il conviendrait de donner à la citoyenneté dans le contexte des démocraties libérales au début du xxe siècle. Le fi l conducteur des textesde Lippmann est une critique de la croyance que le citoyen est un être « omnicompétent », un individu capable de former des jugements politiques informés et rationnels (Lippmann, 1925). Les démocraties libérales repose-raient sur une telle croyance, et leur dysfonctionnement proviendrait de la fausseté de leur prémisse. Selon Dewey, le problème est ainsi mal posé : les démocraties ne se fondent pas sur le postulat de l’omnicompétence, comme le prétend Lippmann, mais sur celui de la « participation » des individus à la réglementation des formes de leur propre existence. Au lieu de considérer la formation des jugements publics comme une condition préalable, il la subordonne à la participation.

Ce débat n’est pas nouveau, pas plus qu’il n’est révolu : il témoigne d’une tension permanente à l’œuvre dans l’histoire des théories de la démocratie, depuis ses premières formulations jusqu’à aujourd’hui. Polarisée entre le droit naturel de chacun à diriger sa vie et l’exercice du jugement public, la

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citoyenneté est une institution dont le caractère problématique s’accroît au fur et à mesure que le monde que les citoyens jugent et dans lequel ils agissent devient de plus en plus complexe.

Cette tension entre le droit de disposer de soi-même et les qualités intel-lectuelles requises pour se prononcer sur les aff aires publiques est déjà pré-sente dans la littérature politique du xviiie siècle. Par exemple, le projet for-mulé par Jeff erson d’établir une « gradation de l’autorité » à chaque niveau du pays peut être abordé comme une solution pour réduire cette tension. Il importe que chacun prenne part au gouvernement, mais il importe aussi que chacun ne prenne part qu’au gouvernement des aff aires qui lui sont familières. C’est pourquoi la division administrative du pays entre com-mune, comté, préfecture, État national, État fédéral, était pour Jeff erson nécessaire. À chaque gouvernement de l’Union, du plan local au plan natio-nal, correspondrait un type d’aff aire publique, un type de compétence et un type d’association (Jeff erson, 1993). S’il s’agit du tracé d’une route, de la clôture d’un terrain, de l’ouverture d’une école ou du vote d’un impôt, personne n’est mieux placé que les membres de la localité pour en décider. Jeff erson appuie ainsi le self-government sur le fait que les décisions que doivent prendre les citoyens portent principalement sur des aff aires qui sont « placées sous leurs yeux ».

L’avantage majeur du self-government est qu’il autorise la combinaison entre deux formes de contact : un contact avec les problèmes collectifs qui se posent et un contact de chacun avec ses concitoyens. Le premier forge une compétence au jugement politique tandis que le second forge « l’esprit public » dont Tocqueville a fait ensuite la vertu cardinale des pays libres. Dans le premier cas, être aff ecté et concerné suffi t à produire les lumières nécessaires ; dans le second, on apprend dans les assemblées communales ou dans les conseils à délibérer et à décider en commun. La citoyenneté est alors pleinement effi ciente. Elle combine ce qui, depuis, a été largement séparé en politique : la raison scientifi que et la raison pratique. On ne peut être habilité à juger d’un problème qu’à la double condition de s’y impli-quer personnellement et de coordonner ses visées avec celles des autres. « L’usage public de la raison », qui est devenu privée chez Kant, n’aurait pas de sens dans ce contexte. Faire usage de sa raison implique de soumet-tre ses raisons à autrui afi n qu’une discussion peaufi ne les résultats aux-quels on parvient. Mais cette discussion sur les modalités et les règles de la vie commune n’est possible que dans une formation sociale où prédo-minent l’attention, l’écoute, la recherche des meilleurs arguments et le res-pect des tours de parole, et surtout, au-delà des procédures, une recherche

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interpersonnelle du commun. Une association, qu’elle soit politique ou civile, ne fait pas qu’engager les associés à combiner leurs eff orts en vue de tel ou tel but préexistant ; plus fondamentalement, elle les engage à défi nir ensemble l’objet de leur combinaison. La justesse des décisions implique la justice des procédés par le biais desquels elles sont prises ; l’intelligence des propositions est inséparable de la qualité sociale des entreprises qui admi-nistrent le groupe, quelle que soit sa dimension.

Cette combinaison entre l’implication personnelle dans la vie des groupes auxquels on est lié et l’acquisition d’un art de juger en commun est constitutive d’un accord fondé sur la pluralité : pluralité des engagements, pluralité des raisons et arguments, pluralité des procédures. C’est ainsi que « chacun compte pour un ». Le commun, à la défi nition duquel tous ont contribué, se diff érencie nettement du collectif, c’est-à-dire d’une forma-tion sociale fondée sur l’identité des participants.

Jeff erson constitue cependant une exception ; la combinaison que sa pensée assure entre les droits de participation et le souci de la compé-tence – à laquelle l’éducation doit venir en aide – n’est généralement pas présente chez ses contemporains. Bien souvent, les arguments en faveur du gouvernement populaire et ceux qui concernent la compétence ne se connectent que malaisément. D’un côté, on trouve pléthore de textes mettant en cause la compétence publique du citoyen ordinaire : Mon-tesquieu, par exemple, pense que les foules sont ignorantes et versatiles et que le plus habile, non le plus juste, peut facilement s’en emparer. Le « petit peuple », pour Jay ou pour Madison, est incapable de discerner ses intérêts. Ses passions l’em portent sur sa raison, il ne sait où donner la tête et suivra quiconque le fl atte ou lui fait croire qu’il l’aime. Ponctuées d’ar-guments platoniciens, les dia tribes contre les prétentions du « peuple » à gouverner se trouvent chez nombre d’auteurs que nous associons depuis au libéralisme politique.

De l’autre côté se situent ceux qui envisagent la participation des citoyens au gouvernement dans des termes normatifs, souvent imprégnés de religion. Celle-ci est réputée un droit sacré, inaliénable, inhérent à la nature humaine : « Aucun homme, écrit Diderot, n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison. » (1751-1772) Une approche semblable marque le préambule de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui expose « les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme », ou la Déclaration d’in-dépendance rédigée par Jeff erson en 1776 :

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Nous considérons ces vérités comme évidentes ; que tous les hommes sont créés égaux ; qu’ils sont dotés par leur Créateur de certains droits inaliénables […] ; que, pour assurer ces droits, des gouvernements sont institués parmi les hommes et dérivent la légitimité de leurs pouvoirs du consentement des gouvernés.

Ce droit de « disposer librement de soi-même et de ses biens » ressortit d’une juste considération de la nature humaine, ouvrage de Dieu qui ne peut se retourner contre lui-même (par exemple en abandonnant sa dignité ou le soin de sa conservation, voire sa vie) sans mettre en cause le dessein de son créateur.

Ainsi, les arguments des partisans d’une participation sélective et ceux d’un régime résolument populaire ne se situent pas sur le même plan et par conséquent n’entrent pas réellement en dialogue. La dissociation entre les enjeux de la participation et ceux de la compétence mène à poser des formes d’unité sociale distinctes de celles qui aboutissent spécifi quement à un « public ».

Public, peuple, masse : des enjeux différents

La mise en cause de la capacité des gens ordinaires à former des jugements politiques pertinents aboutit à aborder l’ensemble des gouvernés dans les termes d’une masse. En revanche, l’approche consistant à fonder la partici-pation politique sur l’idée d’une liberté native et des droits fondamentaux qui la reconnaissent aboutit à penser la société dans les termes d’un peuple. Masse et peuple recouvrent la notion de « public », suivant un procédé qu’il faut présenter rapidement. Le but de cette présentation est de pointer que masse et peuple sont des formations impliquant sous une forme ou une autre l’identité de leurs membres, tandis que public suppose cet accord reposant sur la pluralité qui a été mentionné plus haut. Sous cet angle, masse et peuple entrent en confl it avec les principes de participation et d’individuation qui forment la base des convictions démocratiques.

Considérons d’abord le recouvrement de la notion de public par celle de peuple. Celui-ci se produit quand les conditions relatives à l’union sont réputées spontanées ou immédiates. Ce qui rend possible l’union d’une multitude est une uniformité préalable. La notion de peuple suppose l’unité. Un peuple est concevable à travers une logique soit d’indiff érenciation ori-ginelle, soit de réduction du multiple à l’un. Par exemple, « peuple » chez Hobbes se distingue de « multitude » par le fait qu’il est « un ». En consé-quence du pacte social originel, le peuple forme un « corps » doté d’une volonté uniforme, pouvoir constituant dans l’État.

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L’unité dont il est question ici présente deux fi gures principales : la pre-mière, historique ou géographique, repose sur la référence à un territoire ou à un passé commun, forgeant une même sensibilité. Julien Freund affi rme, avec des accents hégéliens, qu’un peuple est « une communauté raciale et linguistique qui a maintenu sa particularité existentielle et son esprit propre, malgré les bouleversements de l’Histoire » (Goyard-Fabre, 1990, p. 1924). La seconde fi gure repose sur la possession uniforme d’une même faculté (par exemple rationalité, sagesse naturelle, faculté de faire des promesses et de les tenir, autonomie de jugement) dont l’exercice permettrait de transcender les particularismes culturels et les particularités individuelles. Dans le pre-mier cas, un peuple n’a pas besoin de se connaître lui-même ou d’identifi er le processus historique de son apparition pour sentir son unité, sa force ou sa cohésion, au contraire. Comme le remarquait Ernest Renan, un peuple (ou dans ce cas une « nation ») se trouve une mémoire commune en grande partie imaginaire, ne serait-ce qu’en raison du fait que l’unité qu’il s’in-vente suppose « qu’il ait oublié beaucoup de choses » (Renan, 1919). Dans le second cas, c’est en agissant sous la seule infl uence de leur faculté commune que les individus reconnaissent leur unité et la revendiquent.

Si hétérogènes que soient les acceptions du mot « peuple », il reste qu’elless’agrègent en des confi gurations variables. Empiriquement, les peuples sont des formations à la fois matérielles et spirituelles, historiques et politiques : ils sont sous-tendus par des croyances héritées et représentent une force du fait même de leur union, les degrés de leur pouvoir étant indexés sur les degrés de conscience qu’ils ont de cette force. Un bon prince ne froisse pas le peu-ple ; en l’aff rontant violemment, il lui fait sentir sa force. Avant la révolution, l’acception sociologique du peuple prévaut. On se méfi e du peuple, soit parce qu’il est aveugle, comme pour Montesquieu qui affi rme qu’un peuple n’agit que sous l’eff et de la passion, soit parce qu’il est « bas » ou « petit » (en quoi il se confond avec la plèbe). La valorisation du peuple commence au temps de la révolution : le peuple (que de Jaucourt par exemple réduit aux laboureurs et ouvriers [1751-1772]) acquiert une conscience générale du fait qu’il se consacre à la production des biens les plus essentiels. Il est la partie la plus nécessaire et la plus nombreuse de la nation. Le travail de la terre, l’artisanat et l’industrie sont le terreau dont naît la sagesse populaire : aucun gouvernement ne pourrait durer sans le consentement du peuple, mais en même temps le peuple sait que « l’autorité et la protection du prince sont l’unique gage de sa sûreté et de son bien-être ». La quantité qu’il renferme étant propice au développement de l’intérêt général, il sait en outre porter au sommet les meilleurs gouvernants, tandis qu’en monarchie, ce sont sou-

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vent les pires qui y parviennent (Rousseau, 2001). Le labeur développe des vertus qui, sans être directement civiques, prédisposent à l’esprit public. Les gens du peuple sont réputés par de Jaucourt actifs, sobres, justes, honnêtes, fi dèles, obéissants, religieux, innocents. C’est chez eux qu’on trouve le degré d’« amour public » le plus élevé.

Le glissement du peuple ethnique au peuple politique est relativement aisé du fait qu’il se fonde sur une translation de l’identité immédiate à une identité éprouvée comme conscience universelle. Michelet, par exemple, montre dans son Tableau de la France (Michelet, 1861) que le chemin menant à la conscience du citoyen éclairé passe par l’ouverture des villages, des villes puis des provinces les uns aux autres grâce à des alliances, des conquêtes, des contacts et des échanges. L’esprit provincial est réputé étroit, matérialiste, fortement déterminé par les circonstances géographiques locales. Au fur et à mesure, il s’eff ace au profi t d’un esprit qui va en se spiritualisant et en s’universalisant. L’« unifi cation de la France » est progressive : il faut que les populations s’ouvrent les unes aux autres, se connaissent, se comprennent et s’aiment. Alors elles se sentent solidaires :

Ainsi s’est formé l’esprit général, universel, de la contrée. L’esprit local a disparu chaque jour ; l’infl uence du sol, du climat, de la race, a cédé à l’action sociale et politique. La fatalité des lieux a été vaincue, l’homme a échappé à la tyrannie des circonstances matérielles.

Le rapport privilégié à la localité est dicté par des intérêts sociaux et matériels. Au fur et à mesure que l’esprit s’élargit, le social laisse place à la « patrie », et l’intérêt principal devient politique, « le général triomphe du particu-lier ». C’est ainsi qu’on atteint « la haute et abstraite unité de la patrie ». Enfi n, si cette unité se produit, c’est en vertu d’une commune humanité, que Michelet appelle « la force propre qui est en l’homme », laquelle tend vers la « pure et noble généralisation de l’esprit moderne ». De l’idée de la patrie, les hommes, en vertu de leur spiritualité constitutive, parviendront, grâce à des eff orts supplémentaires, « à l’idée de la patrie universelle, de la cité de la Providence ».

Le glissement de public à masse provient d’un mécanisme diff érent. Un peuple est constitué de relations intimes mais qui ne sont pas réfl exives. La sociabilité populaire ne s’accompagne d’aucun discernement particu-lier. La spontanéité de la solidarité se fonde sur un sentiment d’identité. L’union sociale de type populaire n’a donc besoin d’aucune médiation : ni représentants, ni informations, ni médium de connaissances. Une masse est au contraire privée d’interactions. Elle est le degré le plus bas de la socia-bilité, étant formée d’individus qui ne communiquent pas entre eux, qui

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ne se voient rien de commun, ne partagent rien et n’envisagent pas l’avenir ensemble. Une masse est pourtant saturée de médiations en tous genres. Ce sont elles qui assurent la combinaison des sentiments, des volontés, des intérêts. Dans un peuple, ces volontés se coordonnent en un point com-mun qui les transcende ; dans une masse, elles s’agrègent sous l’eff et d’une même infl uence. Là où prévalait un sentiment de contact immédiat, on voit se développer une uniformité de type statistique.

Les médiations entre les individus formant une masse ne lui appar-tiennent pas, elles lui sont au contraire extérieures. Ces médiations sont de toutes sortes, et il est clair que leur nombre n’a cessé de grandir depuis les années où l’on découvre l’art de la propagande. Les techniques de mani-pulation de l’opinion sont tenues pour un art que déjà les sophistes exer-çaient. Toutefois, les masses apparaissent sous l’aspect qu’on leur connaît aujourd’hui depuis le début du vingtième siècle avec la communication de masse : d’un côté, des médias dotés de puissants moyens de diff usion, comme les émissions radiophoniques, les affi ches, les tracts, la presse quo-tidienne, les discours amplifi és autant par l’électricité que par l’architecture des esplanades où ils ont lieu. De l’autre côté, des messages unilatéraux manipulant des symboles suffi samment vagues pour qu’un grand nombre de gens puissent se les approprier¹. Le propre des masses est l’uniformité des réactions individuelles à des excitations extérieures. Cette uniformité ne dépend pas de relations sociales, mais est d’autant plus effi cacement produite qu’elle se passe dans un vacuum social. Par conséquent, ce qui explique le comportement uniforme des masses est l’infl uence uniforme de messages sur des sentiments, des instincts, des réactions (au sens béhavio-riste) qui se rencontrent en tous les individus et sont donc également uni-formes. La réaction individuelle à l’excitation extérieure est indéfi niment reproductible. Alors qu’un peuple est un « corps » composé d’individus agis-sant de concert sous l’eff et d’une volonté ou d’un sentiment constant et identique, une masse est un vaste agrégat dont les membres réagissent de manière uniforme à tel ou tel stimulus. Incapable d’initiative, essentielle-ment manipulable par qui en connaît les ressorts psychologiques, la masse témoigne du degré le plus bas de la conscience politique.

Les distinctions proposées ici entre masse, peuple et public ne sont pas nécessairement conformes à l’usage. Par exemple, au xviiie siècle, on trouve souvent l’expression « la masse du peuple ». En outre ces termes ne désignent

1 Pour une analyse précoce des liens entre masses et propagande moderne, voir Lippmann (1965) ainsi que Habermas (1993).

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pas des réalités sociales, mais diverses manières de les concevoir. Ici, leur distinction vise seulement à faire ressortir les présupposés sur lesquels se fonde la critique des aptitudes des citoyens ordinaires. Alors que l’incom-pétence du peuple provient d’une mise en cause de sa sagesse et de son unité, l’incompétence de la masse est assignée par le biais de sa disposition psychologique à la manipulation. En revanche, estimer que la formation à laquelle les citoyens appartiennent correspond (ou devrait correspondre) à un public est une position qui permet un remaniement de la question de la compétence. Au problème de savoir quelle est la dotation naturelle de l’es-prit humain se substitue celui de réfl échir aux conditions grâce auxquelles cet esprit pourra se former.

Défi nition du public selon J. Dewey

Un public est l’ensemble des gens ayant un plein accès aux données concer-nant les aff aires qui les concernent, formant des jugements communs quant à la conduite à tenir sur la base de ces données et jouissant de la possibi-lité de manifester ouvertement ses jugements. On doit lui reconnaître une autorité en la matière, un droit d’exercer son jugement et une grande liberté dans le choix des moyens nécessaires à le faire entendre : opinion publique, presse, Internet, associations, débats publics et ainsi de suite. L’autorité du public suppose donc une liberté d’enquête, une pleine information, une éducation appropriée pour acquérir la compétence d’évaluer les cor-pus documen taires, voire de les constituer, et des droits politiques garantis. L’ensemble de ces conditions est décliné dans Le public et ses problèmes.

Aborder le problème de la formation d’un public à travers la question des savoirs et des pratiques requis suppose d’abandonner l’idée d’un accord ou d’une unité préalable. L’intérêt de la défi nition de Dewey vient du fait que l’accord n’est pas présupposé dans un public, mais éventuellement pro-duit par lui. Un public est composé de publics au pluriel, et chaque public comprend des individus dont les rôles, les fonctions, le statut ou les places qu’ils occupent sont singuliers. Cette diversité est manifeste lors des pre-miers moments de l’apparition d’un public. Dewey explique qu’un public apparaît involontairement, par accident : il arrive que les activités des uns aff ectent incidemment celles des autres de manière à les neutraliser, à les empêcher, à en ruiner les possibilités de succès. Pour comprendre le public et, plus largement, le besoin de réglementation politique, il faut considérer les activités et leurs « conséquences ». Lorsque ces dernières n’aff ectent que

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les personnes directement engagées dans les activités qui les produisent, on peut considérer ces activités comme « privées ». En revanche, quand les conséquences aff ectent indirectement des personnes étrangères, alors les activités en jeu sont « publiques ». Quand les participants réglementent entre eux les eff ets de leurs activités, ils forment une société privée. Les résultats de leurs activités combinées sont perçus par eux et sont soit reven-diqués, soit amendés, soit si contraires à ce qui était souhaité au départ que les fi ns poursuivies par le groupe sont rejetées.

Mais quand les eff ets sont indirects, ceux qui en pâtissent ne disposent spontanément d’aucun moyen pour les évaluer et agir sur eux. Pour y par-venir, ils doivent également former une société afi n de les réguler, pour les endiguer ou pour éviter qu’ils pervertissent leur existence. Cette société pos-sède une qualité particulière du fait qu’elle n’est fondée sur aucune commu-nauté d’expériences. Étant formée d’individus dont le seul point commun est qu’ils pâtissent tous, quoiqu’à divers titres, des eff ets d’activités menées par d’autres, elle rassemble des individus dont le statut, la classe sociale, la culture ou la nationalité peuvent être profondément hétérogènes. Dans bien des cas, le devenir public des conséquences des activités sociales mène à associer des individus qui ne le sont en aucune façon par ailleurs. La diversité absolue règne : certains peuvent être plus gravement aff ectés que d’autres, et personne ne l’est exactement pareil, du fait de la grande variété des fonctions, des fragilités ou des histoires de chacun. Public s’entend donc mieux au pluriel qu’au singulier.

Cette société dévolue à réglementer les conséquences indirectes des acti-vités sociales qui aff ectent gravement, durablement et largement des person-nes qui n’y prennent pas part est une société politique. Elle se compose d’un public et d’un gouvernement, le premier se constituant à travers l’identifi -cation des troubles qui lui donnent naissance, c’est-à-dire de ses intérêts, le second étant chargé (dans l’idéal) d’agir en vue des intérêts publics. L’État est la réunion d’un public et du gouvernement qui est son mandataire.

Défi ni comme l’ensemble des personnes aff ectées, un public est d’abord passif. Surmonter cette passivité est la tâche qui lui incombe avant toute autre. La disparité des éléments qui le constituent n’est surmontable qu’à travers une action eff ective et organisée. Cette disparité est d’autant plus importante qu’avec l’industrialisation, la guerre mondiale, un marché de plus en plus international, l’interdépendance des activités tend à devenir planétaire. Les conséquences dont se ressentent les individus jusque dans le détail de leur vie proviennent d’activités dont l’origine est aussi éloignée que confuse. Pour Dewey, l’opinion publique est un jugement du public

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portant sur les aff aires publiques. Par l’entremise de cette opinion, les per-sonnes concernées localisent leurs intérêts communs et en assurent la publi-cité de sorte que les activités qui leur portent préjudice soient réglementées par les institutions mandatées à cet eff et. Or le public passif est si dispersé, si vaste et chaotique, ses membres sont aff ectés par des infl uences si variées qu’il lui devient impossible de « s’identifi er lui-même ».

C’est dans ce contexte de « grande société » que les contributions de John Dewey peuvent être abordées². Sa position est doublement originale : d’une part, loin d’en revenir à l’angélisme des démocrates idéalistes, il assume la diffi culté du public à « se connaître lui-même », c’est-à-dire à former des jugements pertinents sur sa propre condition ainsi que sur les solutions de sa détresse. D’autre part, il confère aux publics des démocraties modernes la fonction principale de défi nir leurs intérêts communs, désolidarisant par là même le public de l’idée d’unanimité sur laquelle il est courant de le fonder. Ce qui permet de faire le lien entre un public en quête de sa propre identité et un public dévolu en priorité à la découverte du commun est l’élargisse-ment à tous les citoyens d’une démarche d’enquête. Pour être politiquement actif, un public doit s’instruire. Et pour que son instruction soit politique-ment opératoire, il faut qu’il dégage des connaissances suivant une méthode qui le rende actif, et non spectateur. Cette méthode est l’expérimentation.

Il est important de remarquer ici que la dissociation opérée par Dewey entre une visée d’unité et le public est la base sur laquelle la question de la compétence au jugement politique est remaniée. Si un public repose sur une unité préalable, alors il faut qu’il puise dans ses constituants prépolitiques les moyens de former des jugements publics. La compétence dépend alors de qualités ou de facultés antécédentes (telles la sagesse naturelle, la rationa-lité, le bon sens). En désignant par public un résultat et non une condition préalable, Dewey parvient à cerner la similitude entre la logique du déve-loppement des compétences et celle de la production d’un accord. L’art de juger et l’art de former une communauté sont solidarisés. Pas de connais-sance sans production d’un commun, et pas de communauté sans le déve-loppement de connaissances partagées. L’enjeu épistémologique de la for-mation du jugement public est inséparable de l’enjeu pratique (social et politique) que représente le fait de parvenir à un accord sur ce qui est com-mun ou ce qui ne l’est pas.

2 Sur la « grande société », voir Wallas (1914) et Dewey (1983).

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Publics modernes et appel aux enquêtes sociales

Cette emphase sur les modalités intellectuelles de la formation des publics modernes peut se décliner en plusieurs temps.

Tout d’abord, comme on l’a vu, un public ne peut parvenir sponta-nément à la connaissance des conditions qui le font naître. Dans le cadre d’une société complexe, ces conditions se dérobent aux perceptions habi-tuelles à partir desquelles s’organisent les expériences quotidiennes. Si par exemple je bute sur un obstacle, je perçois non seulement le trouble qui m’aff ecte, mais aussi, la plupart du temps, je perçois les conditions sur les-quelles agir pour reprendre mon cheminement. Résoudre un problème – Dewey (1939) y insiste aussi bien dans sa Logique que dans les nombreux textes qu’il consacre à l’éducation – signifi e toujours utiliser les conditions réellement existantes comme des moyens pour produire des changements, donc pour transformer la situation. « Connaître est faire » dans la mesure où connaître signifi e produire du connu, le connu étant toujours relatif à nos opérations d’enquête. Or, dans le cas des problèmes publics, cette pro-duction du connu se heurte à de nombreux obstacles. Un public au sens passif ne peut devenir actif que dans la mesure où il parvient à transformer les conditions qui l’aff ectent. Mais repérer quelles sont ces conditions est justement le problème le plus cuisant. C’est à ce niveau qu’une démarche d’enquête est requise. Un public moderne est, ou devrait être, un public d’enquêteurs.

Mais qu’est ce qu’une « enquête » ? Une enquête, explique Dewey, est la méthode dont disposent les hommes pour restaurer le continuum de leurs expériences quand celui-ci est interrompu³. Elle désigne la phase volontaire de l’expérience. Faire une expérience signifi e connecter un cours d’action à quelque chose qui nous aff ecte. Cette connexion peut être irréfl échie ou spontanée, comme quand nous tournons la tête vers la source d’un bruit inhabituel. Une enquête suppose un eff ort supplémentaire. Elle est néces-saire dans les cas où la réaction immédiate à ce qui nous aff ecte n’est pas appropriée, voire dans les cas où il n’y a aucune réaction (la question de l’apathie étant cruciale en politique). De l’habitude à l’enquête, en passant par les expériences ordinaires, il n’y a aucun saut ontologique : l’interaction entre un individu et son environnement assure en même temps la conti-nuité de l’existence, l’adaptation du sujet aux situations qu’il rencontre et

3 Sur ce point et les suivants, je me permets de renvoyer à mon ouvrage (Zask, 2000), notamment les premier et dernier chapitres.

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l’exercice d’une infl uence sur ces situations de sorte qu’il puisse rétablir sa conduite. Enquêter est une posture coexistante à la vie, qui suppose une interaction (ou une infl uence réciproque) entre l’enquêteur et la situation problématique. On enquête non pour atteindre des vérités ou des objets prétendument indépendants de nos expériences, mais pour intégrer les objets à ces dernières. Un objet inexpérimentable est soit indiff érent (auquel cas il n’est pas utile de le considérer), soit hostile, douteux ou probléma-tique. Le seul moyen de surmonter les situations qui nous entravent est de les modifi er de sorte qu’elles se prêtent à la poursuite de nos expé riences. Une enquête apparaît donc comme un moment de réorganisation de la conduite en fonction des obstacles (intellectuels ou matériels) auxquels elle se heurte. Ce qu’on peut opposer à l’enquête n’est pas une autre forme de connaissance, mais d’un côté les habitudes – qui sont des conduites ayant été adaptées aux conditions données dans le passé, formes d’enquêtes incor-porées quand ces conditions sont stables et récurrentes –, et de l’autre les impasses, ou les apories – lesquelles proviennent de l’absence de connexion entre les moyens envisagés et les conditions réellement existantes.

Ces remarques permettent de mieux approcher les enjeux des enquêtes publiques. Quel est d’abord leur objet ? La philosophie sociale de Dewey répond à cette question. Chaque expérience met en présence un individu et un environnement particulier. Le principe de continuité de l’expérience (présent aussi chez Peirce) rend compte de la pluralité des conduites et des fi ns poursuivies. Une expérience se « continue » non en étant dupliquée ou réitérée, mais quand elle est de nature à présenter des conditions utilisables pour des expériences ultérieures. D’abord une « fi n en vue », au sens où la complétude d’une expérience tronquée est le but en fonction duquel s’or-ganise la sélection des moyens pour y parvenir, une expérience présente des aspects qui, quand ils sont connus, peuvent être à leur tour convertis en moyens pour d’autres fi ns (Dewey, 1938b). Sauf dans le cas de l’expé-rience esthétique (une expérience pleinement achevée), l’un des critères grâce auquel on peut déterminer le caractère conclusif d’une enquête est que l’objet auquel elle aboutit puisse être une ressource pour entreprendre une enquête ultérieure. Un objet est conclusif dans la mesure où il contribue à « maintenir ouverte la voie de l’enquête » (Peirce). Un objet qui, au contraire, clôt l’en-quête ou se dérobe à toute entreprise d’exploration (tels les objets posés par un dogmatisme ou une croyance religieuse) ne peut qu’être autoritaire. De cette sorte d’objet, on ne discute pas et tout débat est vain à son sujet.

Il est ainsi compréhensible qu’il existe autant de domaines d’ enquêtes que de curiosités ou d’expériences. Les enquêtes en neurobiologie dégénérative,

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par exemple, sont intrinsèquement valables du moment que les expériences qu’elles mobilisent sont de nature à approfondir la connaissance des pro-cessus en jeu. Que les résultats atteints soient aussi utilisables dans d’autres domaines (par exemple dans celui de la médecine ou de la pharmacologie) est optionnel. Chaque domaine d’investigation donne lieu à une série d’en-quêtes et est constitué de sorte que les problèmes rencontrés soient identi-fi ables grâce aux méthodes, aux lois ou aux objets propres à ce domaine.

Il existe cependant chez Dewey une distinction de portée générale entre les domaines d’investigation spéciale (sciences, techniques, arts) et le domaine des eff ets sociaux des découvertes dans les domaines spécialisés⁴. Par exemple, la progression de la compréhension des processus responsables de la dégénérescence neuronale peut infl uer sur nos manières d’aborder la vieillesse et les conditions de vie des personnes âgées. L’impact social équi-vaut aux eff ets indirects des inventions sur les modes de vie, sur les valeurs et les formes de « valuation », sur l’organisation du travail et de la production et ainsi de suite. Les eff ets sociaux et les eff ets spécialisés sont de nature dif-férente. Les premiers sont indirects tandis que les seconds sont directs. Mais ils sont aussi déconnectés. Une bonne société serait organisée de manière à pouvoir intégrer les premiers dans l’expérience sociale, de la même manière que les seconds sont intégrés dans les domaines spécialisés. Or tel n’est pas le cas, bien au contraire : la société moderne est marquée par une disparité considérable entre les eff ets ressentis et les moyens de les objectiver. Alors que les eff ets matériels des productions industrielles, de l’économie de mar-ché ou des inventions techniques envahissent jusqu’au moindre détail de la vie quotidienne des individus, ces derniers poursuivent des fi nalités d’après des valeurs ou des croyances qui ne se connectent d’aucune manière aux conditions concrètes de leur vie, étant d’une autre époque. Le sentiment d’impuissance, d’exclusion et de perte, ainsi que toutes sortes de patho-logies, viennent de là.

On comprend alors l’intérêt de Dewey pour les sciences sociales : en eff et, ses appels réitérés à la « reconstruction » de la philosophie sociale sont enracinés dans le projet de doter les citoyens de méthodes d’enquêtes aussi effi caces que celles qui sont établies dans les sciences physiques. De fait, la « logique de l’enquête », de même que tous les textes que Dewey consacre à la description et à la promotion des méthodes expérimentales, sont desti-nés aux citoyens (et non aux scientifi ques, qui n’en ont aucun besoin). Les objets des enquêtes sociales sont les eff ets sociaux des pratiques et des pro-

4 Voir par exemple Dewey (1929).

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ductions de connaissances dont la logique et les conditions de succès sont indépendantes, du moins relativement. Et l’objet d’une science sociale n’est pas la question de savoir comment, pourquoi, des individus en arrivent à s’associer, s’ils le sont artifi ciellement ou naturellement, si les institutions de base d’une société sont historiques ou universelles. Son objet est d’iden-tifi er la portée sociale des activités dont la fi nalité n’est pas en priorité de promouvoir des formes de sociabilité meilleures. « Social » ne désigne donc pas un type particulier d’activités, mais les eff ets d’activités quelconques sur les manières d’être ensemble. De même, « social » ne s’oppose pas à « indivi-duel », chaque individu ne se développant qu’en bénéfi ciant des ressources de sa société et réciproquement, une société étant constituée des individua-lités qui, en y participant, y réalisent leurs potentialités.

Afi n d’être plus précis, il faut ajouter ici quelques mots sur la distinc-tion entre société et communauté. Dans Le public et ses problèmes, Dewey écrit que le fait d’être associé est universel et en rien mystérieux. La ques-tion pertinente n’est donc pas comment les individus humains en arrivent à s’associer, mais quels sont les caractères distinctifs d’une société humaine par rapport à d’autres qui ne le sont pas. Ces caractères sont ceux d’une « communauté ». Une société n’est véritablement humaine que lorsque ses membres peuvent s’y accomplir, lorsqu’ils disposent des moyens (qui sont toujours sociaux, relatifs à une distribution sociale) leur permettant d’at-teindre leurs fi ns (qui sont également forgées en relation avec leur culture ou en fonction des opportunités dont leur société leur donne l’idée). Une communauté ne se défi nit pas dans les termes d’une fusion organique ou d’une immersion spontanée des individus dans un tout dont ils dériveraient le sens de leur identité, leurs valeurs et leurs buts. Communauté signifi e pour Dewey communication, « give and take », échanges, coopération, transaction. Afi n de communiquer, il faut certes une langue commune, mais aussi une contribution individuelle au commun : d’un côté, chacun développe des « fi ns-en-vue » relatives au fait même de leur association avec d’autres. De l’autre, ces fi ns ne sont pas posées de manière extérieure. Elles ne préexistent pas à l’engagement des personnes concernées, mais naissent du point auquel leurs engagements respectifs se coordonnent. Dans une communauté, le commun est donc le fruit de la contribution individuelle de toutes les personnes concernées, et non la condition préalable de leur coordination. Un accord de type communautaire repose sur la convergence des activités présentes et envisagées des individus, non sur l’obéissance, l’ali-gnement ou l’allégeance à des buts que les intéressés n’auraient pas intégrés dans leurs propres expériences d’être ensemble.

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Or cette conception du commun, qui est toujours à découvrir et jamais antécédent, correspond au principe le plus constitutif de l’idée démocra-tique. Si, dans une démocratie, « chacun compte pour un », c’est en rai-son de l’importance de l’individualité humaine. Participer au gouverne-ment ou aux associations dont on est membre signifi e contribuer à fi xer les conditions de la vie commune. Dewey précise que cette nécessité sociale et anthropologique de la participation peut être convertie en un droit dès lors qu’il est admis que quiconque est aff ecté par les activités des uns doit béné-fi cier du droit d’agir sur ces activités, d’avoir une voix au chapitre.

Reconnaissance de la spécifi cité des faits sociaux, communication et abandon d’une « quête de la certitude » au profi t de la « méthode expérimen-tale », tels sont les ingrédients qui forment la confi guration dans laquelle l’appel à l’enquête sociale prend tout son sens. Dewey, à la fi n de son livre sur le public, rêve que la « grande société » se convertisse en une « grande communauté ».

L’enquête comme « mode de vie démocratique »

C’est dire que la dimension épistémologique d’une enquête est étroitement corrélée à des considérations sociologiques et politiques. Une enquête n’est pas réductible à une « méthode ». La méthode est sélectionnée en fonction du rôle qu’elle joue dans le champ politique de la participation des citoyens comme dans le champ social de la répartition égale des opportunités d’indi-viduation. On peut aborder les aspects logiques, sociologiques et politiques des textes de Dewey comme les phases d’un même processus souhaitable : comment restaurer la participation des individus au choix des conditions de leur propre vie, dans un contexte qui tend à les en exclure de plus en plus ?

Il existe quantité de pistes à suivre pour montrer la convergence entre les approches en jeu⁵. Ici, la plus importante est celle qui présente l’enquête comme une expérience de pluralité. Une enquête sociale est conclusive dans la mesure où elle mène à restaurer une communauté, au sens défi ni plus haut. L’activité publique est repérable à divers niveaux : celui de l’identifi ca-tion des « problèmes publics », celui de la désignation des mandataires pour qu’ils réglementent les activités sociales dans le bon sens, et éventuellement celui de la critique ou du contrôle de ces mandataires s’ils ne jouent pas cor-rectement le rôle pour lequel ils ont été désignés.

5 Sur l’enquête sociale, je me permets de renvoyer à Zask (2004).

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L’enquête est l’activité grâce à laquelle les publics passifs peuvent retrou-ver une capacité d’infl uence sur les conditions de leur existence. L’aboutis-sement désirable d’une enquête est de deux sortes : il y a d’abord celui qui permet au public d’articuler ses intérêts et, sur cette base, de se doter d’une organisation (porte-parole, groupes de pression, syndicats, associations, groupe d’opinion, etc.). Ensuite, une fois l’organisation atteinte, les inté-rêts dégagés sont fi xés par des lois, des règlements, des dispositions institu-tionnelles, ce qui constitue le travail du gouvernement en tant que celui-ci est mandataire du public. La vérifi cation du bien fondé de la mesure prise au bénéfi ce de l’intérêt dégagé par le public dépend cette fois de l’examen du degré d’autonomie et d’initiative reconquises par les membres du public. Ainsi, dans le premier cas, les enquêtes aboutissent à des propositions dont la validité est fonction du degré de cohésion des intérêts publics atteints. Les pratiques scientifi ques à l’œuvre sont alors accompagnées de l’appari-tion d’une association publique. Lors de la seconde phase (la régulation gouvernementale), la vérifi cation de la pertinence des mesures gouver-nementales réside dans le degré auquel les personnes concernées peuvent reprendre individuellement le cours de leurs activités, et ce dans une direc-tion qui n’est plus exclusivement politique mais qui peut être profession-nelle, consommatrice, culturelle, éducative et ainsi de suite. Les activités proprement politiques sont donc les phases d’un processus beaucoup plus global de reconquête de l’individualité, d’une liberté d’initiative comme d’une égalité d’opportunité.

Les publics étant dispersés et chaotiques, il faut donc dans un premier temps qu’ils parviennent à cerner les causes de leur détresse et les intérêts de réglementation qu’ils estimeront les plus aptes à la soulager. C’est ainsi qu’ils émergent. Une opinion du public sur les aff aires publiques n’est pas une opinion « éclairée », mais une opinion informée. Partant, il appartient au public sinon de collecter les données nécessaires à clarifi er sa situation (un travail qui peut être confi é aux spécialistes, notamment ceux des sciences sociales), du moins d’avoir un plein accès aux bases documen taires et de former des jugements sur cette base. C’est la raison pour laquelle la liberté d’enquête et la large diff usion de ses résultats sont pour Dewey fondamen-tales : aucun jugement public pertinent n’est possible si aucune enquête n’a lieu, si les faits sont dissimulés (qu’ils le soient par les entre prises privées ou au nom de la raison d’État) ou encore si les propositions sont avancées sans être accompagnées d’un dispositif de discussion publique.

Un jugement public relevant de l’opinion publique, de même que celui qui mène à l’adoption d’une mesure, n’est pas « fi nal ». Il équivaut à une

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hypothèse que seul l’examen de l’état des relations sociales obtenu permet de vérifi er. Il est donc capital, en matière de politique publique, de penser et d’agir en toute indépendance à l’égard de conceptions non expérimentales du changement social. De telles conceptions – c’est ce que Dewey reproche par exemple à Marx ou à Trotsky – se fondent sur l’idée que le développe-ment de l’histoire étant orienté dans un sens « déterminé », il n’existe qu’une seule sorte de moyen pour atteindre les fi ns du développement historique de l’humanité. Les partisans du libéralisme économique tombent dans le même travers. Les solutions sont considérées comme étant inhérentes à la logique d’un processus autonome, indépendant des choix, des orienta-tions, des volontés, des individus. Il découle de ces croyances ce que Dewey appelle un « absolutisme », entendant par là la croyance que ceux qui font les lois doivent, pour exceller dans leur tâche, faire coïncider leur volonté et leur entendement avec l’ordre sous-jacent et intangible de processus histo-riques pensés comme « inévitables ». Qu’un tel ordre existe est précisément ce que combat le pragmatisme. Substituer l’expérimentalisme à l’absolu-tisme est la priorité fondamentale de la philosophie de Dewey⁶.

À cet égard, la parenté entre l’appel à l’enquête et l’appel à la démocratie est saillante. Alors que « l’absolutisme » émet des vérités indiscutables par l’entremise de personnes prétendument autorisées, l’expérimentalisme émet des hypothèses dont la vérifi cation passe par l’épreuve existentielle des per-sonnes concernées : un public devient sujet dans la mesure où il se constitue lui-même comme objet. Une enquête sociale est ce par quoi des individus d’abord dispersés parviennent à former un public et à obtenir une existence politique. C’est en objectivant ses conditions de passivité que le public peut reconquérir les moyens de son activité. Le cadre général à l’intérieur duquel l’action publique peut se développer n’en est pas pour autant celui d’une « démocratie directe ». La fonction essentielle du public est d’identifi er ses besoins de réglementation politique. En tant qu’il participe à la réglemen-tation elle-même, il laisse place à l’institution de la citoyenneté et peut dési-gner à ce titre des représentants. Mais il ne peut abandonner sa fonction principale sans qu’en même temps les membres qui le constituent abandon-nent toute chance de restaurer le continuum de leurs expériences. Parmi tous les droits, celui d’enquêter est le plus inaliénable.

Il reste à envisager sous cet angle la possibilité d’une communauté démocratique. On a vu que cette communauté s’oppose point par point aux fi gures d’accord reposant sur l’identité ou sur l’unanimité. Dans une

6 Sur la critique de l’absolutisme, voir par exemple Dewey (1938a).

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communauté, chaque individu développe, du moins en théorie, une opi-nion et une position personnelles⁷. L’engagement politique des membres d’une société civile étant de restaurer leur capacité d’agir librement (capa-cité que les eff ets de l’interdépendance entament), alors une communauté n’a d’autre fonction que de favoriser, quand elle est menacée, l’individua-tion de chacun. De même, John Stuart Mill avait vu dans le gouvernement démocratique le meilleur garant de l’individualité de tous et la meilleure raison de le préférer à tout autre régime. Tocqueville, en mettant l’accent sur « l’art de s’associer avec les autres », y avait discerné des avantages similai-res. L’intérêt de Dewey est d’élargir les vertus individuantes de l’être ensem-ble démocratique à la pratique des enquêtes sociales. Le développement d’un esprit public qui serait lié au souci de l’intérêt d’autrui comme chez Tocqueville, ou à celui de l’excellence ou de la réputation comme chez Mill, y est moins fondamental que le développement d’un esprit d’enquête. Et ce pour au moins deux raisons : d’abord, l’enquête est logiquement le pôle de convergence entre des points de vue diff érents. Comme en témoigne également l’interactionnisme développé par les sociologues de l’école de Chicago, une enquête ne peut aboutir qu’à la condition qu’une situation de contact s’établisse entre l’enquêteur et l’enquêté⁸. D’un côté, l’enquêté doit pouvoir reconnaître dans le discours de l’enquêteur un compte rendu crédible, utile ou éclairant à l’égard de sa propre situation. De l’autre, l’en-quêteur, à moins d’être indiff érent au risque d’imposition de problématique ou de distorsion relative à ses cadres habituels d’analyses, vérifi e la justesse de son point de vue en le confrontant aux éléments de la situation qu’il étudie, ce qui inclut le point de vue de l’enquêté. Une enquête se présente donc grossièrement comme une rencontre et une stratifi cation non entre des acteurs diff érents (du moins pas nécessairement, le public étant à la fois enquêteur et enquêté), mais entre, d’un côté, un projet d’objectivation de type scientifi que et, de l’autre, un vouloir exister diff éremment en portant les représentations qu’on se fait de notre monde au niveau d’un discours théorique.

En outre, la réussite d’une enquête ne dépend pas de la production d’une coïncidence parfaite entre les points de vue en jeu, au contraire. Un argu-ment imposé à l’autre en vertu d’un statut socialement valorisé (tel celui de l’expert), au nom duquel on réclamerait l’allégeance des ignorants, ou à

7 Sur l’idée qu’en un public il devrait y avoir autant d’opinions que d’individus, voir C. Wright Mills (1956).

8 Cet aspect est abordé dans Zask (2004).

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l’ inverse un enquêteur qui « vire indigène », c’est-à-dire qui sacrifi e son exi-gence scientifi que au profi t d’une conversion au discours de l’autre, sont deux positions contraires à l’esprit de l’enquête (Olivier de Sardan, 1995). Ainsi, une enquête, loin de reposer sur l’identité des points de vue, a pour but de faire émerger un accord entre des perspectives, des visées, des existen-ces diff érentes. Le milieu de l’enquête est la pluralité. Enfi n, comme la fi na-lité des enquêtes est que les participants puissent recouvrir des possibilités individuelles d’initiatives et d’expériences, alors une enquête « qui marche » est de nature à approfondir les opportunités d’individuation de chacun.

La justifi cation de l’enquête comme expérience et celle de la démocratie comme communauté d’expériences ne font qu’une. De même qu’il n’y a pas d’enquête sans la participation active de l’enquêteur aux conditions et au cadre de ses observations, il n’y a pas de démocratie sans la participation active des membres des publics à la fi xation de leurs conditions personnelles d’existence. Que les moyens en jeu soient épistémologiques ou politiques ne crée pas une disparité entre le plan de la science et celui du vivre ensem-ble. La démocratie est nécessairement expérimentale dans la mesure où la participation est le seul moyen dont chacun dispose de développer son exis-tence. Et l’enquête est nécessairement démocratique du fait qu’elle impose l’établissement d’un échange, d’un dialogue ou encore d’une coopération entre des individualités diff érentes.

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