Top Banner
Éditions Panthéon-Assas ANNUAIRE DE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE 2013
20

Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

Mar 17, 2023

Download

Documents

Welcome message from author
This document is posted to help you gain knowledge. Please leave a comment to let me know what you think about it! Share it to your friends and learn new things together.
Transcript
Page 1: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

<----------------------------- 60 -----------------------------><--------------------------------------------------------------------------------------------- 180 ---------------------------------------------------------------------------------------------><--------------------------------------------------------------------------------------------- 180 --------------------------------------------------------------------------------------------->

Éditions Panthéon-Assas

ANNUAIRE DE DROITDE L’UNION EUROPÉENNE

2013

140 € 2013

AN

NUAIR

E D

E D

ROIT

DE

L’U

NIO

N E

URO

PÉEN

NE

ADUE_2013_Couv.indd 1 02/02/15 12:32

Page 2: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

LE PRÉSIDENT DU PARLEMENT EUROPÉEN : UN LEADER MÉCONNU

PAR

Olivier Costa

Directeur de recherche au CNRS, Centre Émile Durkheim, Science Po Bordeaux

La campagne pour les élections européennes de 2014 a été largement foca-lisée sur l’enjeu de la désignation du Président de la Commission européenne. Se basant sur l’article 17 du traité sur l’Union, les partisans de l’intégration européenne ont cherché à mobiliser les médias, les opinions publiques et les électeurs à l’égard de ce scrutin en le dramatisant. Pour ce faire, ils ont mis au centre du débat la compétition politique entre les candidats des cinq prin-cipaux partis européens, proposant ainsi une lecture « parlementarisée  » du régime politique de l’Union. Cette stratégie a connu un certain succès, au moins auprès des médias, qui ont accordé plus d’attention à la campagne électorale que par le passé et ont davantage insisté sur sa dimension transna-tionale. Si le combat politique pour la conquête de la présidence de la Com-mission a permis de corriger quelque peu le tropisme national des élections européennes, il a eu pour effet pervers d’occulter les autres enjeux de ces élections, notamment quant à la désignation des autres leaders de l’Union  : Président du Conseil européen, du Haut représentant de l’Union et Président du Parlement européen (PE).

La focalisation des débats sur l’identité du Président de la Commission, en amont comme en aval du scrutin, est paradoxale à un double titre. En premier lieu, il était évident que ce choix ne pourrait résulter directement du processus électoral. Il était appelé à s’inscrire dans une négociation plus large sur l’en-semble des leaders des institutions de l’Union, devant tenir compte de critères géographiques, partisans et de genre, et dépendant étroitement de l’attitude des responsables nationaux vis-à-vis de l’intégration européenne. En second lieu, la question de l’identité du futur président du PE était totalement passée sous silence, alors même que son président en exercice, le socialiste Martin Schulz, démontrait par son implication dans la campagne que la fonction était loin d’être anecdotique. Or jamais la présidence du PE n’a été évoquée durant la campagne comme un enjeu significatif des élections ou comme un élément susceptible d’être lié au choix du Président de la Commission.

Si la fonction de Président du PE attire peu l’attention des médias, elle ne suscite pas davantage celle des chercheurs. Très peu de travaux ont été consa-

ADUE_2013_1104p.indd 33 03/02/15 16:03

Page 3: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

ÉTUDES34

crés au sujet. Il existe des douzaines d’articles et d’ouvrages traitant de l’orga-nisation interne du PE, de la composition et de la dynamique de ses groupes politiques, du comportement des députés, de l’implication de l’assemblée dans le processus décisionnel1. En revanche, il n’y a pas de publication relative au Président du PE, son identité, ses modalités d’élection, ses compétences, ses activités, son style de leadership… La seule exception est un article de A. Souloumiac2, écrit quelques mois seulement après la première élection directe du PE, à une époque où il était une assemblée purement consultative. Même les principaux livres consacrés au PE font peu de cas de la question3. Enfin, les nombreux travaux relatifs aux profils et au comportement des députés européens n’ont jamais pris en compte le cas particulier des Présidents ; de fait, on sait très peu de chose des 28 députés qui ont accédé à cette fonction, de la création de l’institution aux élections de 2014.

Ce manque d’intérêt est surprenant, puisque cette fonction est un très bon analyseur potentiel du régime politique de l’Union. Les présidences des assem-blées parlementaires présentent en effet une grande variété du point de vue des statuts, des modes de désignation, des pouvoirs et des comportements attendus. Se pencher sur la présidence du PE permet ainsi de mieux com-prendre la nature et le fonctionnement de l’institution et du système politique auquel elle appartient.

À l’échelle du PE, le mode de désignation de son Président est l’aspect le plus manifeste de la «  cogestion  » de l’assemblée par les deux principaux groupes, et du rôle central que jouent les groupes politiques dans son organi-sation et ses activités. Cela permet donc de s’interroger sur le fonctionnement partisan du PE  : est-il consensuel ou politisé  ? La Présidence est également digne d’intérêt puisque le renforcement de ses prérogatives est l’un des aspects les plus visibles du processus de « rationalisation » qui a affecté le PE depuis le milieu des années 1980 et a abouti au renforcement constant de ses organes de direction4. Plus largement, l’étude des fonctions et du style de la présidence du PE permet de se prononcer sur le mode de fonctionnement de l’institution, sur l’équilibre entre les logiques politique et administrative, entre efficacité et démocratie. C’est aussi une façon d’étudier la situation des députés les plus marginaux – extrémistes de gauche et de droite, eurosceptiques – qui s’af-frontent très régulièrement à la présidence5.

1 costa O. et rozenBerg O., « Parlementarisme » in Belot C., Magnette P. et saurugger S. (dir.), Science politique de l’Union européenne, Paris, Économica, 2008, p. 249-283.

2 soulouMiac A., « La présidence de l’Assemblée européenne », Revue de Droit Public, (5), 1980, p. 1320.3 corBett R., shackleton M. et JacoBs F., The European Parliament, Londres, Catermill, 2011 ; westlake

M., A modern guide to the European Parliament, Londres, New York, Pinter, 1994 ; Judge d. et earnshaw D., The European Parliament, New York, Palgrave Macmillan, 2008 ; costa O. et saint Martin F., Le Parlement européen, Paris, La documentation Française, 2e éd., 2011  ; clinchaMPs N.,  Parlement européen et droit parlementaire : essai sur la naissance du droit parlementaire de l’Union européenne, Paris, LGDJ, 2006.

4 costa O., Le Parlement européen, assemblée délibérante, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2001 ; costa O. et saint Martin F., op. cit.

5 Brack N., «  Euroscepticism at the Supranational Level: The Case of the «  Untidy Right  » in the European Parliament », JCMS, 51(1), 2013, p. 85-104.

ADUE_2013_1104p.indd 34 03/02/15 16:03

Page 4: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

LE PRÉSIDENT DU PARLEMENT EUROPÉEN : UN LEADER MÉCONNU 35

À l’échelle du système politique de l’Union, s’intéresser au Président du PE est un moyen d’analyser la place que l’assemblée y occupe et la nature de ses relations avec les autres institutions. Le PE est-il dans une logique de coopération avec la Commission et le Conseil, ou plutôt d’affrontement et de concurrence ? Existe-t-il un lien partisan entre le PE et la Commission, au-delà de la désignation de son Président  ? Les relations interinstitutionnelles ont en effet beaucoup évolué au fil des nouveaux traités et des choix stratégiques des acteurs, et il existe aujourd’hui des tensions fortes entre une logique de concurrence – consubstantielle à la méthode «  communautaire  » – et d’une logique de coopération – corollaire du processus de « parlementarisation » qui est à l’œuvre et de la généralisation des « trilogues ». Les parlementaires euro-péens aiment à faire entendre leur différence et à se montrer très critiques vis-à-vis de la Commission, du Conseil et du Conseil européen, mais les relations entre les institutions se sont beaucoup pacifiées en matière législative comme dans le domaine budgétaire.

L’étude de la présidence du PE est d’autant plus cruciale que les Présidents des quatre principales institutions sont les principaux protagonistes des rela-tions interinstitutionnelles et qu’ils disposent d’une réelle capacité à les faire évoluer. Enfin, il faut noter que le PE est aussi très investi dans des rapports avec les représentants des États membres, d’États tiers et d’organisations internationales, et plus spécifiquement avec leurs organes parlementaires, et que cette activité « para-diplomatique » est largement du ressort de son Pré-sident.

Cet article n’a pas la prétention de traiter de toutes ces questions, mais plus modestement de débroussailler le terrain en friche qu’est l’étude de la prési-dence du PE. Pour ce faire, nous nous pencherons dans une première partie sur le processus d’élection du Président, qui conditionne largement son profil et son comportement, et révèle certaines spécificités de l’organisation du PE. En deuxième lieu, nous examinerons les principales fonctions et activités du Président du PE. Pour finir, nous essayerons de déterminer le type de lea-dership qu’il exerce et nous envisagerons la question de sa neutralité politique.

i. un Processus de désignation controversé

Pour l’heure, la Présidence du PE a surtout été étudiée sous l’angle des conditions de sa désignation. Depuis 1979, le règlement indique que le Pré-sident est élu par les députés par un vote secret après chaque élection et à mi-mandat – soit sous les deux ans et demi. La procédure prévoit que si après trois tours de scrutin aucun candidat n’a obtenu la majorité absolue des voix, un quatrième tour oppose les deux candidats arrivés en tête au troisième tour. À l’heure actuelle, les candidats ne peuvent être proposés que par un groupe politique ou 40 députés au moins ; la même règle prévaut pour l’élection des vice-présidents et des questeurs. Ces dispositions visent à limiter le nombre de candidats et à favoriser l’obtention d’un équilibre entre les groupes politiques, dans une logique de « proportionnalité ». L’article 13 § 2 du règlement indique

ADUE_2013_1104p.indd 35 03/02/15 16:03

Page 5: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

ÉTUDES36

ainsi que « lors de l’élection du Président, des vice-présidents et des questeurs, il convient de tenir compte de façon globale d’une représentation équitable des États membres et des tendances politiques ». Il y a là une référence explicite à la « règle d’Hondt » qui impose, pour la quasi-totalité des aspects de l’organi-sation interne du PE, la répartition des ressources entre les groupes politiques à raison de leurs effectifs, qu’il s’agisse des mandats, du temps de parole, des rapports, des responsabilités, des ressources humaines ou encore du budget.

Dans les faits, depuis 1989, les deux principaux groupes politiques (dans le PE actuel, le «  groupe du Parti populaire européen [démocrates-chrétiens]  » [PPE] et le «  groupe de l’alliance progressiste des socialistes et démocrates au PE [S & D])  » ont négocié un « accord technique  » relatif à la gestion de l’assemblée. Il vise, parallèlement à la méthode d’Hondt, à éviter les conflits inutiles entre les deux groupes dans la répartition des ressources politiques et matérielles, et dans la définition de l’agenda de l’assemblée et de sa stra-tégie institutionnelle. Cet accord inclut les vice-présidences, les présidences des commissions parlementaires et des délégations, et même ce qui ne peut a priori pas être partagé  : la présidence du PE. L’objectif était d’éviter les effets néfastes de la compétition politique acharnée à laquelle se livraient les principaux groupes pour la conquête de la présidence. Ceux-ci suscitaient en effet des conflits larvés entre les deux groupes et pouvaient aboutir à des résultats paradoxaux, tels que l’élection en 1979 d’une Présidente du groupe libéral (Simone Veil), au terme de multiples tours de scrutin. Afin de surmonter l’impossibilité de partager un mandat unique, les responsables des deux prin-cipaux groupes se sont entendus sur un système d’alternance : quel que soit le résultat des élections européennes, il prévoit que les deux groupes bénéficient alternativement de la présidence pour deux ans et demi. Concrètement, lors de l’élection du Président – après chaque élection européenne et à mi-mandat – seul un des deux principaux groupes présente un candidat ; celui-ci bénéficie, a priori, du soutien de l’autre.

Cet accord a été critiqué par les membres des autres groupes politiques, par certains élus des groupes signataires et par de nombreux observateurs par référence au respect de la logique démocratique, de la structuration bipo-laire de l’assemblée et de l’impact négatif de cette pratique sur l’image du PE auprès des électeurs. Les membres des petits groupes dénonçaient plus large-ment la « cogestion » du PE qui résultait de cet accord. Selon eux, il remettait en cause la logique de proportionnalité supposée présider à la répartition des ressources entre les groupes politiques et à l’organisation des travaux de l’as-semblée, et aboutissait en définitive à les marginaliser. Il est vrai que, compte tenu du poids des deux grands groupes – qui ont toujours rassemblé au moins 60  % des députés – l’existence d’un accord préalable entre eux privait les autres groupes de toute influence réelle sur les décisions collectives.

Le débat sur la légitimité de cet accord refait surface à chaque nouvelle législature, et créée de vives tensions au sein des deux grands groupes. Les débats furent passionnés en 1994, même si les groupes PPE et PSE décidèrent finalement de le renouveler. En revanche, l’accord fut dénoncé en 1999  : au

ADUE_2013_1104p.indd 36 03/02/15 16:03

Page 6: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

LE PRÉSIDENT DU PARLEMENT EUROPÉEN : UN LEADER MÉCONNU 37

terme des élections le PPE était le plus grand groupe, mais le PSE réclamait la présidence, au nom de la règle d’alternance. Le Président sortant appartenant au PPE (José María Gil-Robles), les leaders socialistes estimaient que la pré-sidence devait leur revenir pour la première moitié de la nouvelle législature. Les responsables du PPE en demandaient autant au vu du résultat des élec-tions. D’une manière plus générale, une partie des membres des deux groupes exigeaient le respect des clivages partisans qui avaient structuré la campagne électorale. Selon eux, il était paradoxal d’appeler des députés du PPE à élire un président socialiste après avoir fait tant d’efforts pour expliquer aux élec-teurs les divergences politiques qui existaient entre eux. Le renouvellement de l’accord était aussi rendu plus difficile par l’alliance entre le PPE et les conser-vateurs britanniques – au sein d’un groupe appelé «  groupe du Parti popu-laire européen et des Démocrates européens » (PPE-DE) – ces derniers étant opposés à toute forme de coopération avec les socialistes. Malgré l’abandon de l’accord technique entre le PPE-DE et le PSE, l’élection du nouveau Président ne fut pas organisée dans le cadre d’une compétition ouverte, mais fit l’objet d’un accord alternatif, appelé « accord constitutif  », négocié par les groupes PPE-DE et ELDR (libéral). Il était similaire s’agissant de la Présidence, mais sa portée était moindre pour ce qui concerne les autres aspects de l’organisa-tion du PE. Nicole Fontaine (PPE-DE) fut ainsi élue Présidente du PE après les élections et fut remplacée à mi-mandat par Pat Cox (ELDR).

Les Présidents du Parlement européen depuis 1979

Législature Dates Nom Groupe Pays

11979-1982 Simone Veil LDR France

1982-1984 Piet Dankert PSE Pays-Bas

21984-1987 Pierre Pflimlin PPE France

1987-1989 Lord Plumb PPE Royaume-Uni

31989-1992 Enrique Barón Crespo PSE Espagne

1992-1994 Egon Klepsch PPE Allemagne

41994-1997 Klaus Hänsch PPE Allemagne

1997-1999 José María Gil-Robles PPE Espagne

51999-2002 Nicole Fontaine PPE-DE France

2002-2004 Pat Cox ELDR Irlande

62004-2007 Josep Borrell Fontelles PSE Espagne

2007-2009 Hans-Gert Pöttering PPE-DE Allemagne

72009-2012 Jerzy Buzek PPE Pologne

2012-2014 Martin Schulz S & D Allemagne

82014-2017 Martin Schulz S & D Allemagne

2017-2019

ADUE_2013_1104p.indd 37 03/02/15 16:03

Page 7: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

ÉTUDES38

En 2004 et en 2009, les groupes chrétiens-démocrates et socialiste ont rené-gocié des accords dits « techniques », incluant en premier lieu la question de la présidence du PE. Sans tenir compte de la victoire relative du PPE en 2004, le socialiste Josep Borrell Fontelles fut élu lors de la session constitutive, et fut remplacé à mi-mandat par le chrétien-démocrate Hans-Gert Pöttering. À l’issue des élections de 2009, l’accord technique porta Jerzy Buzek (PPE) puis Martin Schulz (S & D) à la présidence du PE. Certains observateurs estimèrent que le soutien du groupe socialiste à la candidature de José Manuel Barroso à un deuxième mandat à la tête de la Commission était lié aux ambitions du président du groupe, Martin Schulz, qui entendait exercer la Présidence du PE pendant la seconde partie de la législature. Qu’elle soit vraie ou fausse, cette lecture montre que le choix du Président du PE n’est pas du seul ressort des députés et qu’il s’inscrit de fait dans des négociations plus larges sur l’identité des leaders des institutions européennes – i. e. les présidents de la Commis-sion, du Conseil européen et de la Banque centrale européenne, et le Haut représentant de l’Union. Ainsi, en 2009, la nationalité du nouveau président du PE, le Polonais Jerzy Buzek, fut prise en compte par le Conseil européen pour le choix d’autres responsables. Même si, formellement, les députés euro-péens restent libres du choix de leur Président et s’ils ont vivement protesté contre les ingérences du Conseil européen en la matière, l’identité du Pré-sident du PE a été prise en compte dans la négociation d’un accord global sur le choix des leaders de l’Union. En 2014, on peut considérer que la réélection de Martin Schultz était une contrepartie au soutien des socialistes à la candi-dature de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission.

On ignore si cette approche de l’élection du Président du PE perdurera, étant donné qu’elle ne repose pas sur une règle formelle mais sur un arrange-ment politique, négocié à l’issue de chaque élection. Toutefois, elle n’est pas réellement contestée au sein des deux principaux groupes et bénéficie, pour l’heure, d’un fort soutien de la part de ses leaders. Sa vertu cardinale est de favoriser un fonctionnement consensuel de l’assemblée, qui est utile si l’on considère les multiples contraintes de fonctionnement auxquelles le PE doit faire face, et la nécessité pour l’institution de faire front commun dans ses négociations avec la Commission et le Conseil6. À l’échelle interne, cet arran-gement permet aux deux grands groupes de contrôler les principaux aspects du fonctionnement de l’assemblée et d’imposer potentiellement leurs vues aux autres formations.

Cet accord, et tout particulièrement ses dispositions relatives à la présidence, sont toutefois fortement contestés par les responsables des autres groupes, par certains députés démocrates-chrétiens ou socialistes, et par de nombreux observateurs. Ces contestations sont d’autant plus vives, qu’elles s’articulent avec d’autres enjeux, tels que la désignation du Président de la Commission,

6 costa O. et saint Martin F., op. cit.

ADUE_2013_1104p.indd 38 03/02/15 16:03

Page 8: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

LE PRÉSIDENT DU PARLEMENT EUROPÉEN : UN LEADER MÉCONNU 39

pour laquelle l’approche commune des trois principaux partis européens (PPE, PSE et ALDE) en 2014 a elle aussi fait l’objet de sévères critiques7.

Les opposants à l’accord technique dénoncent tout d’abord sa propension à marginaliser les groupes qui n’y participent pas. En théorie, tous les groupes sont censés être associés à la gestion de l’assemblée, en vertu de la «  règle d’Hondt » et de leur participation à la Conférence des présidents. Toutefois, les routines de coopération qui existent entre les groupes PPE et S & D pour la désignation du Président, des vice-Présidents et des Présidents de commis-sions parlementaires et de délégations, les ont conduits à négocier en amont de la Conférence des présidents sur un nombre croissant de sujets. Cette pra-tique aboutit à marginaliser les autres groupes et les membres non-inscrits, dans la mesure où les démocrates-chrétiens et les socialistes disposent d’une très large majorité s’ils s’allient – le vote étant pondéré en fonction des effec-tifs des groupes.

L’accord technique contribue aussi à brouiller l’image du PE. Dans les États où la bipolarisation de la vie politique est la norme, les citoyens ne com-prennent pas pourquoi les députés de gauche et de droite, après s’être oppo-sés durant la campagne électorale et avoir défendu des visions contrastées de l’Europe et des politiques à mener, soutiennent le même candidat à la Prési-dence du PE. De nombreux députés des grands groupes ont témoigné, depuis la mise en place de l’accord technique, des difficultés qu’ils ont, dans des pays tels que le Royaume-Uni, la France ou la Pologne, à expliquer aux citoyens ce mode de fonctionnement « consensuel ». Si les candidats des grands partis ont l’habitude d’expliquer aux citoyens la nécessité pour le PE de trouver de larges majorités en matière législative et budgétaire, il leur est plus difficile de détailler les raisons qui poussent les députés d’un des deux principaux groupes à voter pour le candidat de l’autre lors du choix du Président de l’assemblée, et ce même lorsqu’ils jouissent d’une majorité relative.

Ces préoccupations ont donné naissance, en novembre  2006, à une cam-pagne dite fair chair (élection juste), destinée à promouvoir un scrutin ouvert, dépourvu de tout arrangement, du nouveau président du PE. L’accord entre le PPE-DE et le PSE fut malgré tout reconduit, mais l’élection du démo-crate-chrétien H.-G. Pöttering à la présidence en janvier 2007 fut beaucoup plus difficile que prévue, une partie des députés socialistes ayant refusé de voter pour lui. Par voie de comparaison, E. Barón Crespo avait été élu en 1989 sans vote formel, en raison du très large consensus que sa candidature avait suscité.

Le système mis en place par les groupes PPE et S & D pour organiser l’élec-tion des différents responsables du PE – dont son président – est révélateur

7 Ces critiques portaient tout particulièrement sur leur décision de proposer, d’un commun accord, le nom du futur Président de la Commission européenne. Cette stratégie visait à éviter d’éventuels conflits entre les groupes dans la revendication de la «  victoire  » aux élections européennes, et à contraindre le choix du Conseil européen en affirmant que seul ce candidat-là bénéficierait de la majorité requise pour son « élection » par le PE. Cette approche des choses évoque l’arrangement pour la présidence du PE, mais dans une conception encore plus inclusive, puisqu’elle associe également le groupe ADLE.

ADUE_2013_1104p.indd 39 03/02/15 16:03

Page 9: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

ÉTUDES40

de la nature profonde de l’institution : une assemblée soumise à une tension entre des logiques de polarisation, de clivage et de fonctionnement partisan, d’une part, et de consensus, de primat de l’expertise et de recherche d’effica-cité institutionnelle, d’autre part.

ii. les Fonctions du Président du ParleMent euroPéen

Le Président du PE exerce un large éventail d’activités et de compétences formelles, qui renvoient à quatre fonctions principales.

A. La fonction de leadershipLe Président préside les sessions plénières (avec l’aide des 14 vice-Prési-

dents, qui peuvent le suppléer), la Conférence des présidents et le Bureau du PE. Il est chargé d’appliquer le règlement intérieur et de superviser les prin-cipales activités du PE et de ses organes. Il doit veiller au respect de l’ordre, appeler les intervenants à prendre la parole, clore les débats, mettre les points de l’ordre du jour au vote, annoncer les résultats et adresser aux commissions parlementaires les communications qui sont de leur ressort.

Depuis l’élargissement de 2004, ses capacités de leadership ont été accrues par une « interprétation » de l’article 20 du règlement du PE ; de telles inter-prétations sont faites par la commission du règlement et des affaires consti-tutionnelles (AFCO), et sont mentionnées en italiques sous l’article concerné. L’article 20, relatif aux « fonctions du Président », est rédigé ainsi : « Le Pré-sident dirige, dans les conditions prévues au présent règlement, l’ensemble des activités du Parlement et de ses organes, et dispose de tous les pouvoirs pour présider aux délibérations du Parlement et pour en assurer le bon déroule-ment ». L’interprétation précise la portée de l’article : « Cette disposition peut s’interpréter comme signifiant que les pouvoirs octroyés par cette disposition comprennent celui de mettre fin à un recours excessif à des motions telles que des rappels au règlement, des motions de procédure, des explications de vote et des demandes de vote séparé, de vote par division ou de vote par appel nominal, dès lors que le Président est convaincu qu’elles ont manifestement pour but et auront pour effet d’entraver gravement et de manière prolongée les procédures de l’Assemblée ou l’exercice des droits d’autres députés ». L’in-terprétation précise que le Président peut, à cette fin, mettre des textes aux voix dans un ordre différent de l’ordre prévu.

Le règlement donne donc au Président d’importants moyens pour présider les sessions plénières et une grande autonomie en la matière. L’objectif était notamment de lui donner la capacité de lutter contre les manœuvres dilatoires et les comportements abusifs d’une minorité de députés fortement euroscep-tiques, qui ne respectaient aucune règle formelle ou informelle, que ce soit en plénière ou dans les organes du PE, et développaient des stratégies d’obstruc-tion systématique8. Dans les faits, le Président (ou le vice-Président qui le rem-

8 Brack N., L’euroscepticisme au sein du parlement européen : Stratégies d’une opposition anti-système au cœur des institutions, Paris, Larcier, 2014.

ADUE_2013_1104p.indd 40 03/02/15 16:03

Page 10: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

LE PRÉSIDENT DU PARLEMENT EUROPÉEN : UN LEADER MÉCONNU 41

place à la tribune) dispose d’une grande marge d’interprétation du règlement et peut prendre de nombreuses initiatives afin de lutter contre les manœuvres dilatoires et favoriser «  l’efficacité  » de la délibération – entendue comme la capacité du PE à adopter les décisions attendues en temps et en heure.

Le Président est toutefois appelé à se montrer neutre dans les débats. Selon le règlement, il ne peut intervenir que pour présenter l’état de la question, y ramener et donner la parole aux intervenants  ; s’il veut participer au débat de manière active, il doit quitter son fauteuil et s’installer dans l’hémicycle comme un élu du rang.

La mission du Président ne se limite pas à organiser les débats en plénière : il joue un rôle important dans le travail parlementaire. Par exemple, il décide avec une grande latitude de la recevabilité des amendements, des questions adressées au Conseil et à la Commission et de la conformité des rapports avec le règlement. Ces tâches sont bien entendu assurées par les membres de son cabinet et par les agents de la DG « Présidence  », mais le Président définit l’approche générale en la matière9.

B. La fonction de représentation politiqueL’article 20.4 du règlement prévoit que « dans les relations internationales,

les cérémonies, les actes administratifs, judiciaires ou financiers, le Parlement est représenté par son Président, qui peut déléguer ces pouvoirs ».

Cette fonction renvoie, en premier lieu, aux relations interinstitutionnelles. Le Président (ou un vice-Président désigné à cette fin) représente le PE dans toutes les rencontres officielles entre les leaders des institutions de l’Union. Depuis la fin des années 1980, le Président fait ainsi un discours en ouver-ture des réunions du Conseil européen et exprime le point de vue du PE sur l’agenda. Longtemps, cette intervention a été une pure formalité, sorte de compensation symbolique pour les députés qui n’avaient aucun moyen d’inte-ragir avec le Conseil européen. Aujourd’hui, le Président appuie son discours sur une résolution du PE, votée à dessein, et exprime de ce fait le point de vue officiel de l’assemblée. L’institutionnalisation du Conseil européen par le traité de Lisbonne a accru la portée de ce discours en donnant une base légale à la présence du Président du PE (article 235 § 2 TFUE) et en faisant de cette institution un rouage-clé du régime politique de l’Union. Le Président est aussi impliqué dans les conférences intergouvernementales en charge de préparer la réforme des traités, par sa participation aux réunions des représentants des États organisées au niveau ministériel.

Le Président du PE est également associé à la nouvelle gouvernance éco-nomique de la zone euro. Le Pacte budgétaire européen prévoit en effet qu’il « peut être invité à être entendu » lors des sommets de la zone euro, selon des modalités qui rappellent sa participation aux réunions du Conseil européen.

9 Les Présidents successifs ont, par exemple, fortement réduit la possibilité pour les députés d’évoquer des problèmes propres à leur circonscription dans leurs questions écrites et orales, afin de privilégier une approche plus supranationale du fonctionnement de l’Union, alors que rien dans les traités ou le règlement de l’assemblée ne le prévoit.

ADUE_2013_1104p.indd 41 03/02/15 16:03

Page 11: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

ÉTUDES42

Enfin, il joue un rôle de représentation vis-à-vis des partis politiques euro-péens (article 208 du règlement).

C. La fonction de représentation dans les relations extérieuresCette fonction, formalisée par le règlement intérieur du PE (article 20.4),

présente de multiples aspects et reflète toute la spécificité du PE. Selon les traités, le PE est impliqué dans la supervision de la politique extérieure de l’Union à travers les activités suivantes : la ratification des accords avec des pays tiers ou des organisations internationales ; la consultation de l’assemblée sur les principaux aspects et les choix fondamentaux de la Politique étrangère et de sécurité commune et de la Politique de sécurité et de défense commune (article 36 TUE) ; la possibilité pour les députés d’auditionner le Haut repré-sentant, d’adresser des questions ou de formuler des recommandations à l’in-tention du Conseil et du Haut représentant, et d’organiser un débat bisannuel sur ces questions.

Les députés n’ont toutefois pas attendu que les traités leur reconnaissent un rôle dans ce domaine. Dès les années 1970, ils se sont fortement mobilisés en faveur de la promotion de la démocratie et des droits de l’homme à travers le monde, et même au sein des États membres10. Pour compenser la faiblesse des pouvoirs formels de leur institution, ils ont accordé une grande attention aux relations extérieures de l’Union et au soutien des valeurs de l’Europe dans les pays tiers. Ils ont aussi développé des initiatives visant à la promotion des intégrations régionales sur les autres continents11.

Ces activités extérieures se sont développées après la première élection directe du PE en 1979, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, le changement du mode de désignation des députés européens ne s’est pas accompagné d’une revalorisation des pouvoirs de l’assemblée, alors que leur nombre était plus que doublé (de 198 à 410), qu’ils bénéficiaient désormais de l’onction du suffrage universel direct, et qu’ils étaient plus disponibles, puisqu’ils ne cumulaient plus forcément leur fonction au PE avec un mandat de parlementaire national. Faute de mieux, ils ont donc fortement développé l’action tribunitienne du PE en direction des États tiers, des États membres, des autres institutions communautaires et des médias. En second lieu, alors que la Communauté manquait de leaders identifiables, le Président du PE pouvait revendiquer sa représentativité et sa légitimité électorale. À la différence du Président de la Commission, qui était nommé par les représentants des États sans implication directe des citoyens ou même des députés européens, le Président du PE était issu du suffrage universel direct et élu par ses pairs. Il bénéficiait aussi d’une liberté de parole très grande dans son action internationale et pouvait appuyer son action sur les prises de position de l’assemblée.

10 corBett R. et alii, op. cit.11 costa O., dri C. et stavridis S. (dir.), Parliaments, Regional Integrations and Globalization, Londres,

Palgrave, 2013.

ADUE_2013_1104p.indd 42 03/02/15 16:03

Page 12: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

LE PRÉSIDENT DU PARLEMENT EUROPÉEN : UN LEADER MÉCONNU 43

L’action extérieure du PE est aussi basée sur divers organes, procédures et activités : délégations parlementaires avec des pays tiers ou des organisations régionales, contacts internationaux des commissions parlementaires, résolu-tions commentant la situation dans les pays tiers…

Elle repose enfin sur les démarches du Président du PE qui viennent, elles aussi, compenser la faiblesse des pouvoirs formels de l’assemblée en matière d’action extérieure. Au fil du temps, il a en effet développé de nombreuses acti-vités de nature « diplomatique » vis-à-vis des États membres, d’États tiers et d’autres organisations régionales et internationales. Ce répertoire d’actions est très vaste : il comprend aussi bien des rencontres avec des leaders politiques, des visites à des chambres nationales, la participation à des conférences inter-nationales, des visites officielles… Le Président est particulièrement impliqué dans les relations bilatérales et multilatérales avec les parlements des États membres et d’États tiers. Il négocie les accords avec ces institutions (parallèle-ment aux deux vice-Présidents dont c’est la fonction spécifique) et représente le PE dans un nombre croissant de conférences et organes interparlemen-taires. Il peut aussi inviter, avec l’accord de la Conférence des présidents, les responsables politiques d’États membres, d’États tiers ou d’organisations internationales à venir au PE pour s’adresser aux députés. De telles allocu-tions ont lieu quasiment à chaque session plénière.

La fonction « diplomatique » du Président est spécifique au PE : les prési-dents des chambres législatives ne développent habituellement pas une activité internationale si intense, qui reste le privilège de l’exécutif. Cette spécificité est liée, comme on l’a indiqué, à l’histoire de l’assemblée, qui s’est longtemps focalisée sur ses activités internationales, faute de mieux. Elle découle aussi de l’architecture institutionnelle de l’Union, puisque le PE dispose d’une large autonomie politique et organisationnelle vis-à-vis des autres institutions. Elle reflète enfin la nature intrinsèquement internationale d’une assemblée qui ras-semble les élus de 28 États et développe ses activités entre trois sièges, situés dans trois États membres.

Le degré d’implication du Président du PE dans les activités internatio-nales a toutefois varié dans le temps. Dans les années 1970 et au début des années 1980, il était fort, compte tenu de la faiblesse des pouvoirs formels du PE et du caractère très limité des relations interinstitutionnelles. Le PE était avant tout une institution «  morale  », fortement impliquée dans les proces-sus de transition démocratique et la supervision des atteintes aux droits de l’homme. Cette situation a évolué, à mesure que les pouvoirs du PE se déve-loppaient et que les contacts interinstitutionnels s’intensifiaient. L’assemblée a néanmoins préservé cette activité de « para-diplomatie  ». Le Président du PE sortant et actuel, le socialiste allemand Martin Schulz, a ainsi porté une grande attention à cette fonction de représentation du PE, que ce soit au sein de l’Union ou dans le reste du monde12. Il a notamment essayé de restaurer

12 gianniti L., nicola L. et luPo N., « The external role of the President of European Parliament », à paraître.

ADUE_2013_1104p.indd 43 03/02/15 16:03

Page 13: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

ÉTUDES44

avec les pays arabes le rôle joué par le PE dans la transition démocratique en Europe du Sud, en Amérique Latine et en Europe Centrale et Orientale dans les années 1980 et 1990.

D. Les fonctions législatives et budgétairesLes compétences législatives et budgétaires du PE ont été progressivement

renforcées depuis le milieu des années 1980, jusqu’à en faire l’une des assem-blées les plus puissantes du monde si l’on considère son influence effective sur l’action publique européenne13. Le Président du PE dispose de nombreux pou-voirs à ce titre : il peut présider le Comité de conciliation lorsqu’un texte arrive en troisième lecture ; il signe, conjointement avec le Président du Conseil, les actes législatifs adoptés dans le cadre de la procédure législative ordinaire  ; enfin, il est impliqué dans les négociations interinstitutionnelles sur le budget et doit signer, seul, le budget annuel pour qu’il puisse entrer en vigueur.

iii. quel tyPe de leadershiP Pour le Président du ParleMent euroPéen ?

A. Un Président qui exerce de multiples fonctionsDans son étude comparative des présidents des assemblées parlementaires,

Stanley Bach14 propose une typologie de six activités qu’ils sont susceptibles d’exercer  : la gestion de l’assemblée  ; l’allocation des ressources entre les membres et les groupes ; l’organisation de l’ordre du jour et du calendrier de travail ; la présidence des sessions plénières et l’interprétation du règlement intérieur ; le contrôle des débats ; l’action partisane.

Le Président du PE est clairement impliqué dans toutes ces fonctions, ce qui n’est pas le cas de tous ses homologues. Comme on l’a vu, il dispose de pouvoirs importants pour administrer l’assemblée, ses services et son budget, et décider de son organisation interne, même s’il n’est pas le seul acteur com-pétent pour cela. Il est aussi impliqué dans l’allocation des ressources entre les députés et les groupes, dans le respect de la « règle d’Hondt ». Il joue un rôle prépondérant dans la définition de l’ordre du jour et de l’agenda du PE. Il préside les sessions plénières et a un rôle important dans l’interprétation du règlement intérieur. Il supervise les débats et a une large capacité de jugement et d’initiative en la matière. Finalement, il peut agir de manière partisane, à la condition de quitter la tribune et d’endosser le rôle d’un simple député  ; la liberté dont il jouit dans ses activités de représentation du PE vis-à-vis des autres institutions ou à l’échelle internationale lui permet aussi d’y faire entendre ses valeurs et ses idées.

13 costa O., « Que peut le Parlement européen », Pouvoirs, revue française d’études constitutionnelles et politiques, n° 149, « La gouvernance européenne », 2014, p. 77-89.

14 Bach S., «  The office of speaker in comparative perspective  », The Journal of Legislative Studies, 5:3-4, 1999, p. 209-254.

ADUE_2013_1104p.indd 44 03/02/15 16:03

Page 14: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

LE PRÉSIDENT DU PARLEMENT EUROPÉEN : UN LEADER MÉCONNU 45

La décision des cinq principaux partis européens de proposer des candidats à la présidence de la Commission en 2014 a suscité une situation inédite. Mar-tin Schulz, Président du PE, a en effet été désigné comme candidat du PSE. Son entrée en campagne, dès mars 2014, n’a pas manqué de susciter des pro-testations. Le 16 avril 2014, une majorité de députés européens (365 contre 190 et 82 abstentions) a approuvé l’introduction dans le rapport sur la décharge du budget du PE d’un article demandant au Président de clarifier sa situa-tion, d’expliquer comment il entendait concilier sa campagne et sa fonction de Président, de respecter son obligation de neutralité, et de veiller à ne pas utiliser les moyens de l’assemblée pour mener campagne15. À cette occasion, certains députés ont réclamé la démission du Président et l’ont menacé de le poursuivre devant la Cour de justice. Martin Schulz n’annonça néanmoins sa décision de démissionner de la Présidence que le 27 mai 2014, ce qui l’amena en fait à terminer son mandat présidentiel tout en menant une campagne active et politisée.

En considérant le cas du Président du PE, nous pourrions ajouter deux fonctions à la typologie de Bach. En premier lieu, il exerce une fonction de représentation, que ce soit au sein des autres institutions et organes du système politique de l’Union, ou des États membres, des États tiers et des organisations internationales. Cette fonction ne doit pas être sous-estimée et occupe une place centrale dans l’agenda du Président  : « Un rapide examen des engagements du Président pour n’importe quel mois de l’année révèle un programme harassant de rencontres symboliques et de cérémonies officielles avec des Chefs d’État et des dignitaires en visite au PE16 ».

En second lieu, le Président du PE assure une fonction de communica-tion, visant à la promotion de son institution et à la pédagogie sur l’Union. Cette fonction très spécifique est liée à la relative jeunesse du régime politique européen, à ses évolutions constantes et à certaines de ses caractéristiques. À la différence des chambres nationales, qui sont bien connues des citoyens et perçues comme les institutions centrales de la démocratie représentative, détentrices de la souveraineté, le PE reste une assemblée peu connue, dont les pouvoirs sont notoirement sous-estimés. Sa légitimité souffre en outre de la faible participation des citoyens aux élections européennes. Le Président du PE joue de ce fait un rôle important dans la communication sur le fonc-tionnement, les missions et les activités de cette institution, tant auprès des

15 « Activités politiques du Président. 51. [Le Parlement européen] demande que lui soient fournies des informations détaillées sur les moyens mis en œuvre pour distinguer la fonction du Président en tant que président neutre à l’égard des partis politiques de sa préparation au rôle de tête de liste des Socialistes & démocrates pour les élections européennes, principalement en ce qui concerne les membres de son cabinet, les agents des bureaux extérieurs du Parlement européen et les frais de déplacement; estime que les deux rôles sont mélangés dans de nombreuses activités; exige que soit effectuée une nette séparation chez les titulaires de fonctions, à l’exemple de la Commission, de sorte que le contribuable de l’Union ne finance pas la campagne électorale des candidats têtes de liste aux élections européennes ». Résolution du Parlement européen du 16 avril 2014 contenant les observations qui font partie intégrante de la décision concernant la décharge sur l’exécution du budget général de l’Union européenne pour l’exercice 2012, section I – Parlement européen, COM(2013)0570 – C7-0274/2013 –2013/2196(DEC).

16 Earnshaw et Judge, op. cit., p. 161.

ADUE_2013_1104p.indd 45 03/02/15 16:03

Page 15: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

ÉTUDES46

médias que de la société civile. Une partie de ses activités publiques sont ainsi destinées à faire connaître l’institution, à modifier son image et à mobiliser les citoyens en vue des élections européennes.

B. Un Président puissant ou faible ?Si le Président du PE exerce la totalité des fonctions dévolues à un président

d’assemblée, et s’il assure même des fonctions originales de représentation et de communication, son pouvoir n’est pas sans limites.

Son action est d’abord contrainte par la codification très poussée de tous les aspects du travail parlementaire. Le règlement intérieur détaille avec pré-cision les activités de tous les organes de l’assemblée (plénière, commissions, délégations, bureau, conférence des présidents…) et de toutes les procédures, ce qui limite de fait l’influence du Président. Ensuite, il faut compter avec le rôle très important qui revient aux groupes politiques dans l’organisation du travail parlementaire, en vertu de la règle d’Hondt et des pouvoirs de la Confé-rence des présidents (de groupes). Cet organe joue en effet un rôle-clé dans la définition de l’agenda et de la stratégie politique du PE. Il faut aussi rappeler l’impact de « l’accord technique » entre les groupes PPE et S & D qui limite la capacité du Président à prendre des initiatives. Le groupe dont il n’est pas issu – et qui jouit de la majorité relative pendant la moitié de la législature – rap-pelle toujours au Président les conditions de son élection et la nécessité pour lui d’agir au nom du PE, et non de son seul groupe ou de sa seule personne. Une autre contrainte est le rôle très important que jouent les autres organes hiérarchiques du PE : le Bureau (composé du Président, des vice-Présidents et des questeurs), la Conférence des Présidents de Commissions et la Conférence des Présidents de Délégations. Le Président doit aussi compter avec un Secré-tariat général très étoffé : non seulement il remplit de multiples tâches et jouit d’une certaine autonomie, mais ses principaux membres sont nommés avec l’aval des groupes politiques, ce qui leur confère une autorité significative17. Pour finir, le Président est confronté à la durée restreinte de son mandat, qui est de deux ans et demi seulement. La réélection récente de Martin Schulz constitue une première depuis 1979, qui ne saurait être vue comme une volonté d’allonger la durée du mandat présidentiel18.

D’une certaine manière, l’analyse de l’organisation interne du PE appelle à distinguer la Présidence dans ce qu’elle a d’individuel et de collectif. Il faut, ainsi, distinguer l’action du Président, d’une part, de celle des organes inves-tis dans la gestion du PE, c’est-à-dire les organes de direction et les acteurs qui agissent aux côtés du Président (hauts fonctionnaires) ou en son nom (vice-Présidents) d’autre part19. Bien qu’il soit un acteur puissant, le Président

17 costa O., « Administrer le Parlement européen : les paradoxes d’un secrétariat général incontournable mais faible », Politique européenne, n° 11, 2003, p. 147-161.

18 Cette réélection résulte de la conjonction de plusieurs facteurs sur lesquels nous reviendrons en conclusion.

19 Martin A., Le président des Assemblées parlementaires sous la V° République, Paris, LGDJ, Bib. constitutionnelle et de science politique, vol. 83, 1996, p. 23.

ADUE_2013_1104p.indd 46 03/02/15 16:03

Page 16: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

LE PRÉSIDENT DU PARLEMENT EUROPÉEN : UN LEADER MÉCONNU 47

ne possède en effet qu’un nombre limité de pouvoirs exclusifs : dans la plupart de ses activités, il peut être remplacé par l’un des 14 vice-Présidents. Contrai-rement à ce qui prévaut en Irlande ou au Royaume-Uni, ou aux Pays-Bas pour la chambre basse, le Président n’est pas le seul député habilité à présider les débats en plénière. Par ailleurs, les principales décisions relatives à l’organi-sation interne et à la stratégie du PE sont prises collectivement au sein du Bureau ou de la Conférence des présidents : le Président du PE préside certes ces deux organes, mais ne peut leur imposer ses vues.

Du point de vue du fonctionnement interne, le PE est ainsi plus proche des chambres françaises, où le Bureau joue un rôle central dans l’organisation du travail parlementaire et où les vice-Présidents peuvent conduire les débats. Il importe donc, lorsque l’on considère le rôle du Président du PE, de prêter attention aux fonctions que remplissent les autres organes hiérarchiques de l’assemblée.

Malgré les limites bien réelles qui s’appliquent aux pouvoirs du Président du PE, celui-ci dispose de ressources qui lui confèrent une large autonomie d’action et une grande autorité politique. En premier lieu, il faut rappeler que la fonction est mentionnée par les traités lorsqu’ils évoquent la compo-sition du PE (article 14 § 2 TUE  : «  2. Le Parlement européen est composé de représentants des citoyens de l’Union. Leur nombre ne dépasse pas sept cent cinquante, plus le président ») et le fonctionnement du Conseil européen (article 235 § 2 TFUE : « Le président du Parlement européen peut être invité à être entendu par le Conseil européen. »). L’article 14 § 4 TUE dispose par ailleurs que le Président est élu par le PE, ce qui lui donne une certaine légiti-mité. D’un point de vue logistique, le Président bénéficie d’un cabinet composé d’une quinzaine d’administrateurs et s’appuie aussi sur les services de la « DG Présidence  »  : il jouit ainsi de nombreux collaborateurs de haut niveau qui l’aident à développer sa vision politique de l’institution et sa stratégie pour elle, et à remplir ses fonctions de communication.

Le Président bénéficie aussi indirectement de la montée en puissance continue du PE, et de la grande autonomie organisationnelle et politique que l’assemblée tire de l’architecture spécifique de l’Union. À la différence des leaders des chambres des régimes parlementaires, qui sont appelés à soute-nir le gouvernement, le Président du PE est en effet libre de développer un discours indépendant sur le fonctionnement de l’Union, sur ses politiques et sur l’action des autres institutions. Aujourd’hui, il est tenu par une sorte de mandat de l’assemblée plénière dans certaines de ses activités de représen-tation (par exemple, lorsqu’il s’exprime devant le Conseil européen), mais il bénéficie d’une large autonomie pour exprimer la position du PE dans d’autres contextes. Il est aussi libre de déterminer la manière dont il entend concilier la prise en compte des positions qui s’expriment au sein du PE (il doit se faire l’écho du point de vue de la majorité, tout en prêtant attention à l’existence de minorités) et l’expression de ses propres conceptions.

Cette liberté de parole est particulièrement remarquable quand le Président agit à l’échelle internationale, où il jouit de la conjonction de plusieurs fac-

ADUE_2013_1104p.indd 47 03/02/15 16:03

Page 17: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

ÉTUDES48

teurs. En premier lieu, il bénéficie de l’importance que les députés européens ont toujours accordée aux relations extérieures, et plus particulièrement à la démocratisation, à la défense des droits de l’homme et à la promotion du régionalisme et du multilatéralisme. Il tire aussi profit des incertitudes qui ont toujours entouré l’identité des leaders de l’Union à l’échelle internatio-nale. Dans les années 1980, la Communauté souffrait d’une absence de repré-sentants  ; aujourd’hui, c’est davantage d’un trop-plein, si l’on considère la concurrence implicite que se livrent le Président de la Commission, celui du Conseil européen, le Haut représentant et le Chef d’État ou de gouvernement du pays qui exerce la présidence tournante du Conseil pour s’exprimer au nom de l’Union. Ces deux situations successives ont permis au Président du PE de s’imposer comme un interlocuteur reconnu dans les États tiers, et de faire valoir sa qualité de seul leader de l’Union directement élu. Enfin, il bénéficie d’un statut privilégié, puisqu’il a le rang de Chef d’État dans le protocole, que ce soit au sein de l’Union ou dans les États tiers et les organisations interna-tionales.

C. Un Président neutre ou partisan ?Comme nous l’avons vu, l’engagement de Martin Schulz dans la campagne

pour la présidence de la Commission au printemps 2014 a suscité de vives réactions au sein du PE. Des députés de tous bords lui ont reproché de ne pas respecter son obligation de neutralité politique. Ils ont toutefois été bien en peine de convoquer un texte à l’appui de leurs récriminations, ni les traités, ni le règlement intérieur du PE ne faisant mention de cette obligation. Alors, qu’en est-il ?

Les typologies des Présidents d’assemblée parlementaires ne prennent pas seulement en considération leurs fonctions ou leur influence, mais également leur neutralité partisane. Certains sont en effet appelés à être neutres et à se prononcer au nom de tous les membres de leur assemblée, tandis que d’autres s’expriment davantage au nom des seuls parlementaires qui les ont élus et sont libres d’afficher des opinions politiques. Ainsi, à la Chambre des Communes, le Speaker est élu de manière consensuelle, par une très large majorité des députés ; il est de ce fait appelé à être neutre et à promouvoir avant tout les intérêts de l’institution20. À l’inverse, à la Chambre des Représentants, le Pré-sident est élu par une simple majorité, au terme d’une compétition électorale réelle, sans recherche d’un consensus et pour une période courte (2 ans) ; il est autorisé par les textes et la pratique à agir de manière partisane et à servir les intérêts de son groupe21.

De ce point de vue, le Président du PE est à mi-chemin entre les cas du Royaume-Uni et des États-Unis, et se rapproche des présidents des chambres françaises : ceux-ci sont appelés à la neutralité et ne votent pas lorsqu’ils pré-sident, mais peuvent céder leur place à un vice-président pour participer aux

20 Bach S., « The office of speaker in comparative perspective », op. cit.21 sinclair B., « Dilemmas and Opportunities of Legislative Leadership in a Non-Parliamentary System:

The US case », The Journal of Legislative Studies, 5:3-4, 1999, p. 283-302.

ADUE_2013_1104p.indd 48 03/02/15 16:03

Page 18: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

LE PRÉSIDENT DU PARLEMENT EUROPÉEN : UN LEADER MÉCONNU 49

débats et aux votes, et conservent leur liberté de parole dès lors qu’ils ne sont pas en train de présider la plénière22. Comme eux, le Président du PE est sup-posé exprimer l’opinion de la majorité tout en prêtant attention aux minorités. Il dispose néanmoins du droit d’exprimer ses propres positions et d’avoir ses priorités pour l’assemblée, non seulement à titre personnel, pour autant qu’il ne préside pas la plénière, mais aussi quand il représente le PE vis-à-vis des États membres, à l’étranger ou dans les relations interinstitutionnelles.

Au fil du temps, les Présidents successifs du PE ont développé des approches contrastées de leur mandat et de la question de la neutralité, selon leur per-sonnalité, leurs orientations partisanes, leur culture, leur conception de leur mandat et leurs expériences politiques préalables. Certains ont ainsi exercé un leadership fort, en essayant d’imposer leurs vues et d’exprimer leurs propres positions, tandis que d’autres ont développé une approche plus consensuelle et ont avant tout défendu les positions exprimées par l’assemblée plénière et les organes de direction. Certains ont donné une priorité à leur action inter-nationale et aux relations avec les responsables des autres institutions, alors que d’autres se sont focalisés sur l’organisation interne de l’assemblée et sur le travail parlementaire ; d’autres encore ont consacré une grande attention à promouvoir l’image du PE dans les médias23.

M. Schulz, le Président du PE qui a été élu pour la première fois en jan-vier 2012 en vertu de « l’accord technique » entre les groupes PPE et S & D, a donné une grande importance à sa fonction de représentation extérieure et aux contacts et négociations avec les leaders des autres institutions. Il a aussi développé une approche plutôt partisane de son mandat – bien avant de se lancer dans la course à la présidence de la Commission – et ne s’est pas privé de critiquer les acteurs des autres institutions de l’Union ou les responsables des États membres d’un point de vue « socialiste ». Cette attitude n’a pas man-qué de susciter des réactions de la part des députés n’appartenant pas à son groupe.

conclusion : un Président dont les Fonctions et l’attitude reFlètent les sPéciFicités du Pe

Le Président du PE, de par les spécificités de son mode de désignation et de ses activités, reflète trois caractéristiques fondamentales du système politique de l’Union.

La première est le multiculturalisme. L’organisation et les fonctions de la présidence sont à la croisée de plusieurs traditions constitutionnelles, et s’ap-parentent tour à tour aux à celles des chambres britanniques, allemandes, italiennes et françaises.

La deuxième spécificité de la présidence du PE est le pragmatisme et le syncrétisme : le système politique de l’Union n’est pas seulement inspiré des

22 Martin A., Le président des Assemblées parlementaires sous la V° République, op. cit. 23 corBett R. et alii, op. cit., p. 131.

ADUE_2013_1104p.indd 49 03/02/15 16:03

Page 19: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

ÉTUDES50

expériences nationales, mais incorpore aussi des éléments ad hoc ou emprun-tés à d’autres organisations internationales, à des États extérieurs à l’Union (notamment les États-Unis) ou même au monde de l’entreprise. Le Président du PE exerce ainsi des fonctions spécifiques, telle que la promotion des intérêts et de l’image de l’assemblée. En outre, en raison de l’équilibre des pouvoirs original qui caractérise l’Union, le Président du PE est comparable à certains égards aux speakers du Congrès américain  ; il jouit d’une grande autonomie politique vis-à-vis de la Commission, du Conseil et du Conseil européen, et peut, dans une certaine mesure, promouvoir les intérêts de son groupe.

La dernière spécificité du PE que révèle son Président est la tension entre politisation et consensus, qui est au cœur des ambivalences de la fonction présidentielle, qu’il s’agisse de son mode de désignation (partisan ou consen-suel ?), de sa nature (individuelle ou collective ?) ou de son comportement (neu-tralité ou rôle partisan) ? La politisation découle de l’élection du Président et s’incarne dans la liberté de parole et d’action dont il jouit. Le consensus reste une stratégie centrale dans la promotion et la défense des intérêts du PE et sous-tend l’action de son Président à plusieurs niveaux. À l’échelle interne, son élection est liée à l’accord technique PPE/S & D ; une fois élu, il doit favo-riser la concorde entre ces deux groupes et la recherche de larges majorités en matière législative et budgétaire, et combattre les stratégies d’obstruction des députés les plus radicaux. À l’échelle du système politique de l’Union, le Président doit chercher à maximiser l’influence du PE. Enfin, à l’échelle internationale, il doit veiller à imposer le PE comme un acteur légitime, une institution « morale » engagée dans la promotion des droits de l’homme, de la démocratie, du régionalisme et du multilatéralisme, et donc souligner la cohé-rence de son action à cet égard.

La nature de la présidence du PE pourrait toutefois évoluer de manière notable en conséquence des négociations sur la nomination des leaders de l’Union qui ont suivi les élections européennes de mai 2014. Comme on pouvait s’y attendre, l’hypothèse de l’élection de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission s’est accompagnée de marchandages sur les autres postes à pour-voir, en ce inclus la Présidence du PE.

Angela Merkel s’est ainsi ouvertement prononcée, dès le 20 juin 2014, pour la reconduction de Martin Schulz à la tête du PE au nom d’un accord entre la CDU/CSU et le SPD. Cette initiative, préalable à la session constitutive du PE nouvellement élu, constituait une remise en cause spectaculaire de l’indépen-dance des députés européens, qui étaient priés par la Chancelière allemande de se ranger au principe d’un arrangement global. Une telle option accrédite l’idée selon laquelle la présidence du PE n’est pas régie par un accord partisan à vocation interne, mais par un accord à la fois partisan et intergouvernemen-tal sur l’ensemble des postes à pourvoir dans l’Union. Sigmar Gabriel, leader du SPD, ministre de l’Économie et vice-chancelier du gouvernement allemand, a pour sa part clairement mentionné l’idée d’un « paquet », estimant que les deux élections avaient vocation à être liées. De son point de vue, l’implication renforcée de l’assemblée européenne dans le choix du Président de la Com-

ADUE_2013_1104p.indd 50 03/02/15 16:03

Page 20: Le Président du Parlement européen : un leader méconnu

LE PRÉSIDENT DU PARLEMENT EUROPÉEN : UN LEADER MÉCONNU 51

mission devait avoir pour prix celle des États membres dans le choix de son propre Président.

La plupart des députés européens n’ont guère apprécié ces ingérences, mais les négociations entre les trois principales formations politiques représentées au PE (démocrates-chrétiens, socialistes et libéraux) ont, elles aussi, rapide-ment lié les deux élections dans une logique de réciprocité  : les socialistes acceptaient de soutenir Jean-Claude Juncker à la Présidence de la Commission à la condition que les démocrates-chrétiens et les libéraux soutiennent celle de Martin Schulz à la tête du PE. Le 1er juillet 2014 Martin Schulz fut ainsi réélu dès le premier tour de scrutin et avec une large majorité (409 voix sur 612 exprimées). Le 15 juillet, Jean-Claude Juncker fut à son tour « élu » (selon le terme consacré par le traité de Lisbonne) à la tête de la Commission, par 422 voix sur 729 votants.

À cette occasion, un nouveau vocable fit son apparition dans le jargon du PE : celui de « bloc », désignant l’alliance tripartite du PPE, des socialistes et des libéraux. Après sa réélection, Martin Schulz avait ainsi déclaré : « le bloc a voté pour moi et votera aussi pour Juncker24 ». On voit poindre une nouvelle logique.  La désignation du Président du PE ne correspond plus seulement à la recherche d’une entente entre les groupes PPE et S & D ; celle-ci reste d’actualité, de même que l’idée d’une alternance des deux groupes à la tête de l’assemblée à mi-mandat, mais elle se double désormais de la recherche d’un équilibre partisan plus global, à l’échelle du régime politique l’Union. Ainsi, alors que «  l’accord technique  » aurait voulu que, dans une logique d’alter-nance, le PPE obtienne la Présidence du PE, ce groupe a accepté de passer son tour afin de ménager le soutien des députés socialistes à Jean-Claude Juncker.

Ce changement inattendu, qui découle de la mise en pratique inventive des dispositions du traité de Lisbonne par les principaux partis européens, aura certainement des conséquences importantes sur les fonctions et le rôle du Président du PE. Il laisse aussi entrevoir des évolutions rapides en termes de « politisation » du fonctionnement de l’Union européenne.

24 Interview, Le Soir, Bruxelles, 11 juillet 2014.

ADUE_2013_1104p.indd 51 03/02/15 16:03