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Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPÉRY (02 - T)
--------------------------------------------------------------------------------J’ai
ainsi vécu seul, sans personne avec qui parler véritablement,
jusqu’à une
panne dans le désert du Sahara, il y a six ans. Quelque chose
s’était cassé
dans mon moteur. Et comme je n’avais avec moi ni mécanicien, ni
passagers,
je me préparai à essayer de réussir, tout seul, une réparation
difficile. C’était
pour moi une question de vie ou de mort. J’avais à peine de
l’eau à boire
pour huit jours.
Le premier soir je me suis donc endormi sur le sable à mille
milles de
toute terre habitée. J’étais bien plus isolé qu’un naufragé sur
un radeau au
milieu de l’Océan. Alors vous imaginez ma surprise, au lever du
jour, quand
une drôle de voix m’a réveillé. Elle disait :
- S’il vous plaît…dessine-moi un mouton !
- Hein !
- Dessine-moi un mouton…
J’ai sauté sur mes pieds comme si j’avais été frappé par la
foudre. J’ai bien
frotté mes yeux. J’ai bien regardé. Et j’ai vu un petit bonhomme
tout à fait
extraordinaire qui me considérait gravement. Voilà le meilleur
portrait que,
plus tard, j’ai réussi à faire de lui.
-
Mais mon dessin, bien sûr, est beaucoup moins ravissant que le
modèle. Ce
n’est pas ma faute. J’avais été découragé dans ma carrière de
peintre par les
grandes personnes, à l’âge de six ans, et je n’avais rien appris
à dessiner,
sauf les boas fermés et les boas ouverts.
Je regardai donc cette apparition avec des yeux tout ronds
d’étonnement.
N’oubliez pas que je me trouvais à mille milles de toute région
habitée. Or
mon petit bonhomme ne me semblait ni égaré, ni mort de fatigue,
ni mort de
faim, ni mort de soif, ni mort de peur. Il n’avait en rien
l’apparence d’un enfant
perdu au milieu du désert, à mille milles de toute région
habitée. Quand je
réussis enfin à parler, je lui dis :
- Mais… qu’est-ce que tu fais là ?
Et il me répéta alors, tout doucement, comme une chose très
sérieuse :
- S’il vous plaît… dessine-moi un mouton…
Quand le mystère est trop impressionnant, on n’ose pas désobéir.
Aussi
absurde que cela me semblât à mille milles de tous endroits
habités et en
danger de mort, je sortis de ma poche une feuille de papier et
un stylographe.
Mais je me rappelai que j’avais surtout étudié la géographie,
l’histoire, le
calcul et la grammaire et je dis au petit bonhomme (avec un peu
de mauvaise
humeur) que je ne savais pas dessiner. Il me répondit :
- ça ne fait rien. Dessine-moi un mouton.
Comme je n’avais jamais dessiné un mouton je refis pour lui,
l’un des deux
seuls dessins dont j’étais capable. Celui du boa fermé…
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (03 - T)
--------------------------------------------------------------------------------…
Et je fus stupéfait d’entendre le petit bonhomme me répondre :- Non
! Non ! Je ne veux pas d’un éléphant dans un boa. Un boa c’est
très
dangereux, et un éléphant c’est très encombrant. Chez moi c’est
tout petit.J’ai besoin d’un mouton. Dessine-moi un mouton.
Alors j’ai dessiné :
Il regarda attentivement, puis :- Non ! Celui-là est déjà très
malade. Fais-en un autre.
Je dessinai :
Mon ami sourit gentiment, avec indulgence :- Tu vois bien… ce
n’est pas un mouton, c’est un bélier. Il a
des cornes…
Je refis donc encore mon dessin :
Mais il fut refusé, comme les précédents :- Celui-là est trop
vieux. Je veux un mouton qui vive
longtemps.
Alors, faute de patience, comme j’avais hâte decommencer le
démontage de mon moteur, je griffonnai cedessin-ci :
-
Et je lançai :- Ça c’est la caisse. Le mouton que tu veux est
dedans.Mais je fus bien surpris de voir s’illuminer le visage de
mon jeune juge :- C’est tout à fait comme ça que je le voulais !
Crois-tu qu’il faille beaucoup
d’herbe à ce mouton ?- Pourquoi ?- Parce que chez moi c’est tout
petit…- Ça suffira sûrement. Je t’ai donné un tout petit mouton.Il
pencha la tête vers le dessin :- Pas si petit que ça… Tiens ! Il
s’est endormi…Et c’est ainsi que je fis la connaissance du petit
prince.
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (04 - T)
----------------------------------------------------------------------------------
Il me fallut longtemps pour comprendre d’où il venait.
Le petit prince, qui me posait beaucoup de questions, ne
semblait jamais
entendre les miennes. Ce sont des mots prononcés par hasard qui,
peu à
peu, m’ont tout révélé.
Ainsi, quand il aperçut pour la première fois mon avion (je ne
dessinerai
pas mon avion, c’est un dessin beaucoup trop compliqué pour moi
) il me
demanda :
- Qu’est-ce que c’est que cette chose-là ?
- Ce n’est pas une chose. Ça vole. C’est un avion. C’est mon
avion.
Et j’étais fier de lui apprendre que je volais. Alors il s’écria
:
- Comment ! tu es tombé du ciel ?
- Oui, fis-je modestement.
- Ah ! ça c’est drôle…
Et le petit prince eut un très joli éclat de rire qui m’irrita
beaucoup. Je désire
que l’on prenne mes malheurs au sérieux. Puis il ajouta :
- Alors, toi aussi tu viens du ciel ! De quelle planète es-tu
?
J’entrevis aussitôt une lueur, dans le mystère de sa présence,
et j’interrogeai
brusquement :
-Tu viens donc d’une autre planète ?
Mais il ne me répondit pas. Il hochait la tête doucement tout en
regardant
mon avion :
C’est vrai que, là-dessus, tu ne peux pas venir de bien loin…Et
il s’enfonça
dans une rêverie qui dura longtemps. Puis, sortant mon mouton de
sa poche,
il se plongea dans la contemplation de son trésor.
-
Vous imaginez combien j’avais pu être intrigué par cette
demi-
confidence sur « les autres planètes ». Je m’efforçai donc d’en
savoir plus
long :
- D’où viens-tu, mon petit bonhomme ? Où est-ce « chez toi » ?
Où veux-tu
emporter mon mouton ?
Il me répondit après un silence méditatif :
- Ce qui est bien, avec la caisse que tu m’as donnée, c’est que,
la nuit, ça lui
servira de maison.
- Bien sûr. Et si tu es gentil, je te donnerai aussi une corde
pour l’attacher
pendant le jour. Et un piquet.
La proposition parut choquer le petit prince :
– L’attacher ? Quelle drôle d’idée !
- Mais si tu ne l’attaches pas, il ira n’importe où, et il se
perdra…
Et mon ami eut un nouvel éclat de rire :
- Mais où veux-tu qu’il aille ?
- N’importe où, droit devant lui…
Alors le petit prince rétorqua gravement :
- ça ne fait rien, c’est tellement petit chez moi !
Et, avec un peu de mélancolie, peut-être, il ajouta :
- Droit devant soi on ne peut pas aller bien loin…
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (05 -
T)--------------------------------------------------------------------------------
Résumé du début... Antoine de Saint-Exupéry, après avoir failli
devenir dessinateur, a finalement décidé de piloter un avion... En
panne au cœur du Désert, il fait une bien étrange rencontre...
Celle du Petit Prince, un jeune garçon, surgit denul part, qui lui
demande de lui dessiner un mouton !... Plus tard, Antoine apprendra
que le Petit Prince vient d’une planète lointaine et que sa planète
était toute petite...
J’avais ainsi appris une seconde chose trèsimportante : C’est
que sa planète d’origine était à peineplus grande qu’une maison
!
ça ne pouvait pas m’étonner beaucoup. Je savais
bien qu’en dehors des grosses planètes comme la Terre, Jupiter,
Mars,Vénus, auxquelles on a donné des noms, il y en a des centaines
d’autres quisont parfois si petites qu’on a beaucoup de mal à les
apercevoir autélescope. Quand un astronome découvre l’une d’elles,
il lui donne pour nomun numéro. Il l’appelle par exemple : «
l’astéroïde 3251 ».
J’ai de sérieuses raisons de croire que laplanète d’où venait le
petit prince est l’astéroïde B612. Cet astéroïde n’a été aperçu
qu’une fois autélescope, en 1909, par un astronome turc. Il
avaitfait alors une très grande démonstration de sadécouverte à un
Congrès International
d’Astronomie. Mais personne ne l’avait cru à cause de son
costume. Lesgrandes personnes sont comme ça.
Heureusement pour la réputation de l’astéroïdeB 612, un
dictateur turc imposa à son peuple, souspeine de mort, de
s’habiller à l’européenne.L’astronome refit sa démonstration en
1920, dans un
-
habit très élégant. Et cette fois-ci tout le monde fut de son
avis.
Si je vous ai raconté ces détails sur l’astéroïde B 612 et si je
vous aiconfié son numéro, c’est à cause des grandes personnes. Les
grandespersonnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d’un
nouvel ami, ellesne vous questionnent jamais sur l’essentiel. Elles
ne vous disent jamais :« Quel est le son de sa voix ? Quels sont
les jeux qu’il préfère ? Est-ce qu’ilcollectionne les papillons ?
»
Elles vous demandent : « Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de
frères ?Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ? »... Alors
seulement ellescroient le connaître. Si vous dites aux grandes
personnes : « J’ai vu une bellemaison en briques roses, avec des
géraniums aux fenêtres et des colombessur le toit... », elles ne
parviennent pas à s’imaginer cette maison. Il faut leurdire : «
J’ai vu une maison de cent mille francs. »... Alors elles s’écrient
:« Comme c’est joli ! »…
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (07 -
T)-----------------------------------------------------------------------------Chaque
jour j'apprenais quelque chose sur la planète, sur le départ, sur
le
voyage. Ça venait tout doucement, au hasard des réflexions.
C'est ainsi que,
le troisième jour, je connus le drame des baobabs.
Cette fois-ci encore ce fut grâce au mouton, car brusquement le
petit
prince m'interrogea, comme pris d'un doute grave :
- C'est bien vrai, n'est-ce pas, que les moutons mangent les
arbustes ?
- Oui. C'est vrai.
- Ah ! je suis content.
Je ne compris pas pourquoi il était si important que les
moutons
mangeassent les arbustes. Mais le petit prince ajouta :
- Par conséquent ils mangent aussi les baobabs ?
Je fis remarquer au petit prince que les baobabs ne sont pas des
arbustes,
mais des arbres grands comme des églises et que, si même il
emportait avec
lui tout un troupeau d'éléphants, ce troupeau ne viendrait pas à
bout d'un seul
baobab.
L'idée du troupeau d'éléphants fit rire le petit prince :
- Il faudrait les mettre les uns sur les autres...
-
Mais il remarqua avec sagesse :
- Les baobabs, avant de grandir, ça commence par être petit.
- C'est exact ! Mais pourquoi veux-tu que tes moutons mangent
les petits
baobabs ?
Il me répondit: « Ben ! Voyons ! » comme s'il s'agissait là
d'une évidence. Et il me fallut un grand effort d'intelligence pour
comprendre à moi seul ce
problème.
Et en effet, sur la planète du petit prince, il y avait comme
sur toutes lesplanètes, de bonnes herbes et de mauvaises herbes.
Par conséquent de
bonnes graines de bonnes herbes et de mauvaises graines de
mauvaises
herbes. Mais les graines sont invisibles. Elles dorment dans le
secret de la
terre jusqu'à ce qu'il prenne fantaisie à l'une d'elles de se
réveiller... Alors elle
s'étire, et pousse d'abord timidement vers le soleil une
ravissante petite
brindille inoffensive. S'il s'agit d'une brindille de radis ou
de rosier, on peut la
laisser pousser comme elle veut. Mais s'il s'agit d'une mauvaise
plante, il
faut arracher la plante aussitôt, dès qu'on a su la reconnaître.
Or il y avait
des graines terribles sur la planète du petit prince...
C'étaient les graines de
baobabs. Le sol de la planète en était infesté. Or un baobab, si
l'on s'y
prend trop tard, on ne peut jamais plus s'en débarrasser. Il
encombre toute la
planète. Il la perfore de ses racines. Et si la planète est trop
petite, et si les
baobabs sont trop nombreux, ils la font éclater…
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Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (08 -
T)-----------------------------------------------------------------------------
… « C’est une question de discipline, me disait plus tard le
petit prince.Quand on a terminé sa toilette du matin, il faut faire
soigneusement la toilettede la planète. Il faut s’astreindre
régulièrement à arracher les baobabs dèsqu’on les distingue d’avec
les rosiers auxquels ils ressemblent beaucoupquand ils sont très
jeunes. C’est un travail très ennuyeux, mais très facile. »
Et un jour il me conseilla de m’appliquer à réussir un beau
dessin, pourbien faire entrer ça dans la tête des enfants de chez
moi. « S’ils voyagent unjour, me disait-il, ça pourra leur servir.
Il est quelquefois sans inconvénient deremettre à plus tard son
travail. Mais s’il s’agit des baobabs, c’est toujoursune
catastrophe. J’ai connu une planète, habitée par un paresseux. Il
avaitnégligé trois arbustes… »
Et, sur les indications du petit prince, j’ai dessiné cette
planète-là.
Je n’aime guère prendre le ton d’un moraliste. Mais le danger
des baobabsest si peu connu, et les risques courus par celui qui
s’égarerait dans unastéroïde sont si considérables, que, pour une
fois, je fais exception à maréserve. Je dis : « Enfants ! Faites
attention aux baobabs ! »
-
C’est pour avertir mes amis d’un danger qu’ils frôlaient depuis
longtemps,comme moi-même, sans le connaître, que j’ai tant
travaillé ce dessin-là. Laleçon que je donnais en valait la peine.
Vous vous demanderez peut-être :Pourquoi n’y a-t-il pas dans ce
livre, d’autres dessins aussi grandioses que ledessin des baobabs ?
La réponse est bien simple : J’ai essayé mais je n’aipas pu
réussir. Quand j’ai dessiné les baobabs j’ai été animé par le
sentimentde l’urgence.
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (09 -
T)----------------------------------------------------------------------------
Résumé du début... Trois jours ont passé depuis que le
mystérieux Petit Prince a rejointAntoine de Saint-Exupéry dans le
désert.
Le Petit Prince avait quitté sa petite planète pour partir à la
découverte du monde... qu’il découvre avec ses yeux d’enfant...
Ah ! Petit Prince, j’ai compris, peu à peu, ainsi, ta petite
vie
mélancolique. Tu n’avais eu longtemps pour distraction que la
douceur descouchers de soleil. J’ai appris ce détail nouveau, le
quatrième jour au matin,quand tu m’as dit :
- J’aime bien les couchers de soleil. Allons voir un coucher de
soleil...
- Mais il faut attendre...
- Attendre quoi ?
- Attendre que le soleil se couche.
Tu as eu l’air très surpris d’abord, et puis tu as ri de
toi-même. Et tu m’as dit :
- Je me crois toujours chez moi !
En effet. Quand il est midi aux Etats-Unis, le soleil, tout le
monde le sait,se couche sur la France. Il suffirait de pouvoir
aller en France en une minutepour assister au coucher de soleil.
Malheureusement la France est bien tropéloignée. Mais, sur ta
petite planète, il te suffisait de tirer ta chaise dequelques pas.
Et tu regardais le crépuscule chaque fois que tu le désirais...
- Un jour, j’ai vu le soleil se coucher quarante-trois fois
!
Et un peu plus tard tu ajoutais :
- Tu sais... quand on est tellement triste on aime les couchers
de soleil...
- Le jour des quarante-trois fois tu étais donc tellement triste
?
Mais le petit prince ne répondit pas.
…
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (10 - T)
-----------------------------------------------------------------------------Le
cinquième jour, toujours grâce au mouton, ce secret de la vie
du
petit prince me fut révélé. Il me demanda avec brusquerie, sans
préambule,
[...]
- Un mouton, s'il mange les arbustes, il mange aussi les fleurs
?
- Un mouton mange tout ce qu'il rencontre.
- Même les fleurs qui ont des épines ?
- Oui. Même les fleurs qui ont des épines.
- Alors les épines, à quoi servent-elles ?
Je ne le savais pas. [...]
- Les épines, à quoi servent-elles ?
Le petit prince ne renonçait jamais à une question, une fois
qu'il l'avait posée.
[...] Je répondis n'importe quoi:
- Les épines, ça ne sert à rien, c'est de la pure méchanceté de
la part
des fleurs !
- Oh !
Mais après un silence il me lança, avec une sorte de rancune
:
- Je ne te crois pas ! Les fleurs sont faibles. Elles sont
naïves. Elles se
rassurent comme elles peuvent. Elles se croient terribles avec
leurs épines...
Je ne répondis rien. [...] Le petit prince dérangea de nouveau
mes réflexions :
- Et tu crois, toi, que les fleurs...
- Mais non ! Mais non ! Je ne crois rien ! J'ai répondu
n'importe quoi. Je
m'occupe, moi, de choses sérieuses !
Il me regarda stupéfiait.
- De choses sérieuses !
-
Il me voyait, mon marteau à la main, et les doigts noirs de
cambouis, penché
sur un objet qui lui semblait très laid.
- Tu parles comme les grandes personnes !
Ça me fit un peu honte. Mais, impitoyable, il ajouta:
- Tu confonds tout... tu mélanges tout !
Il était vraiment très irrité. Il secouait au vent des cheveux
tout dorés :
- Je connais une planète où il y a un Monsieur cramoisi. Il n'a
jamais
respiré une fleur. Il n'a jamais regardé une étoile. Il n'a
jamais aimé personne.
Il n'a jamais rien fait d'autre que des additions. Et toute la
journée il répète
comme toi: "Je suis un homme sérieux ! Je suis un homme sérieux
!" et ça le
fait gonfler d'orgueil. Mais ce n'est pas un homme, c'est un
champignon !
- Un quoi ?
- Un champignon !
Le petit prince était maintenant tout pâle de colère.
- Il y a des millions d'années que les fleurs fabriquent des
épines. Il y a
des millions d'années que les moutons mangent quand même les
fleurs. Et
ce n'est pas sérieux de chercher à comprendre pourquoi elles se
donnent
tant de mal pour se fabriquer des épines qui ne servent jamais à
rien ? Ce
n'est pas important la guerre des moutons et des fleurs ? Ce
n'est pas plus
sérieux et plus important que les additions d'un gros Monsieur
rouge ? Et si je
connais, moi, une fleur unique au monde, qui n'existe nulle
part, sauf dans
ma planète, et qu'un petit mouton peut anéantir d'un seul coup,
comme ça,
un matin, sans se rendre compte de ce qu'il fait, ce n'est pas
important ça!
Il rougit, puis reprit :
- Si quelqu'un aime une fleur qui n'existe qu'à un exemplaire
dans les
millions et les millions d'étoiles, ça suffit pour qu'il soit
heureux quand il les
-
regarde. Il se dit: "Ma fleur est là quelque part..." Mais si le
mouton mange la
fleur, c'est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles
s'éteignaient !
Et ce n'est pas important ça !
Il ne put rien dire de plus. Il éclata brusquement en sanglots.
[...] Je lui
disais: "La fleur que tu aimes n'est pas en danger... Je lui
dessinerai une
muselière, à ton mouton... Je te dessinerai une armure pour ta
fleur... Je..."
Je ne savais pas trop quoi dire. Je me sentais très maladroit.
Je ne
savais comment l'atteindre, où le rejoindre... C'est tellement
mystérieux, le
pays des larmes.
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (11 -
T)-----------------------------------------------------------------------------
J'appris bien vite à mieux connaître cette fleur. [...] Celle-là
avait germé un jour, d'une graine apportée d'on ne sait où, et le
petit prince avait surveillé de très près cette brindille qui ne
ressemblait pas aux autres brindilles. Ca pouvait être un nouveau
genre de baobab. Mais l'arbuste cessa vite de croître, et commença
de préparer une fleur.
Le petit prince, qui assistait à l'installation d'un bouton
énorme, sentaitbien qu'il en sortirait une apparition miraculeuse,
mais la fleur n'en finissaitpas de se préparer à être belle, à
l'abri de sa chambre verte. Elle choisissaitavec soin ses couleurs.
Elle s'habillait lentement, elle ajustait un à un sespétales. Elle
ne voulait pas sortir toute fripée comme les coquelicots. Elle
nevoulait apparaître que dans le plein rayonnement de sa
beauté.
Eh ! oui. Elle était très coquette ! Sa toilette mystérieuse
avait donc duré des jours et des jours. Et puis voici qu'un matin,
justement à l'heure du lever du soleil, elle s'était montrée.
Et elle, qui avait travaillé avec tant de précision, dit en
bâillant :
- Ah ! Je me réveille à peine… Je vous demande pardon… Je
suisencore toute décoiffée…
Le petit prince, alors, ne put contenir son admiration:
- Que vous êtes belle !
– N'est-ce pas, répondit doucement la fleur. Et je suis née en
même
– temps que le soleil…
-
Le petit prince devina bien qu'elle n'était pas trop modeste,
mais elle était siémouvante
- C'est l'heure, je crois, du petit déjeuner, avait-elle bientôt
ajouté,auriez-vous la bonté de penser à moi…
Et le petit prince, tout confus, ayant été chercher un arrosoir
d'eau fraîche,avait servi la fleur.
… Ainsi l'avait-elle bien vite tourmenté par sa vanité un peu
ombrageuse. Un jour, par exemple, parlant de ses quatre épines,
elle avait ditau petit prince :
- Ils peuvent venir, les tigres, avec leurs griffes !
– Il n'y a pas de tigres sur ma planète, avait objecté le petit
prince,etpuis les tigres ne mangent pas l'herbe.
– - Je ne suis pas une herbe, avait doucement répondu la
fleur.
- Pardonnez-moi...
- Je ne crains rien des tigres, mais j'ai horreur des courants
d'air. Vous n'auriez pas un paravent ? "Horreur des courants
d'air... ce n'est pas de chance, pour une plante, avait remarqué le
petit prince. Cette fleur est bien compliquée..."
- Le soir vous me mettrez sous un globe. Il fait très froid chez
vous. C'est mal installé. Là d'où je viens...
Mais elle s'était interrompue. Elle était venue sous forme de
graine. Ellen'avait rien pu connaître des autres mondes. Humiliée
de s'être laissé surprendre à préparer un mensonge aussi naïf, elle
avait toussé deux ou troisfois, pour mettre le petit prince dans
son tort :
- Ce paravent ?...
- J'allais le chercher mais vous me parliez !
-
Ainsi le petit prince, malgré la bonne volonté de son amour,
avait vite douté d'elle. Il avait pris au sérieux des mots sans
importance, et il est devenu très malheureux.
"J'aurais dû ne pas l'écouter, me confia-t-il un jour, il ne
faut jamais écouter les fleurs. Il faut les regarder et les
respirer. La mienne embaumait ma planète, mais je ne savais pas
m'en réjouir. Cette histoire de griffes, qui m'avait tellement
agacé, eût dû m'attendrir..
Il me confia encore :
"Je n'ai alors rien su comprendre ! J'aurais dû la juger sur les
actes et non surles mots. Elle m'embaumait et m'éclairait. Je
n'aurais jamais dû m'enfuir ! J'aurais dû deviner sa tendresse
derrière ses pauvres ruses. Les fleurs sont si contradictoires !
Mais j'étais trop jeune pour savoir l'aimer."
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (12 -
T)-----------------------------------------------------------------------------
Je crois qu'il profita, pour son évasion, d'une migration
d'oiseaux sauvages.
Au matin du départ il mit sa planète bien en ordre. Il ramona
soigneusement
ses volcans en activité. Il possédait deux volcans en activité.
Et c'était bien
commode pour faire chauffer le petit déjeuner du matin. Il
possédait aussi un
volcan éteint.
Mais, comme il disait, "On ne sait
jamais !" Il ramona donc également
le volcan éteint. S'ils sont bien ramonés,
les volcans brûlent doucement et
régulièrement, sans éruptions.
Les éruptions volcaniques sont comme des feux de cheminée.
Évidemment
sur notre terre nous sommes beaucoup trop petits pour ramoner
nos volcans.
C'est pourquoi ils nous causent tant d'ennuis.
Le petit prince arracha aussi, avec un peu de mélancolie, les
dernières
pousses de baobabs. Il croyait ne plus jamais devoir revenir.
Mais tous ces
travaux familiers lui parurent, ce matin-là, extrêmement doux.
Et, quand il
arrosa une dernière fois la fleur, et se prépara à la mettre à
l'abri sous son
globe, il se découvrit l'envie de pleurer.
- Adieu, dit-il à la fleur.
Mais elle ne lui répondit pas.
– Adieu, répéta-t-il.
La fleur toussa. Mais ce n'était pas à cause de son rhume.
- J'ai été sotte, lui dit-elle enfin. Je te demande pardon.
Tâche d'être heureux.
Il fut surpris par l'absence de reproches. Il restait là tout
déconcentré, le globe
en l'air. Il ne comprenait pas cette douceur calme.
-
- Mais oui, je t'aime, lui dit la fleur. Tu n'en as rien su, par
ma faute. Cela n'a
aucune importance. Mais tu as été aussi sot que moi. Tâche
d'être heureux...
Laisse ce globe tranquille. Je n'en veux plus.
- Mais le vent...
- Je ne suis pas si enrhumée que ça... L'air frais de la nuit me
fera du bien. Je
suis une fleur.
- Mais les bêtes...
- Il faut bien que je supporte deux ou trois chenilles si je
veux connaître les
papillons. Il paraît que c'est tellement beau. Sinon qui me
rendra visite ? Tu
seras loin, toi. Quant aux grosses bêtes, je ne crains rien.
J'ai mes griffes.
Et elle montrait naïvement ses quatre épines. Puis elle ajouta
:
- Ne traîne pas comme ça, c'est agaçant. Tu as décidé de partir.
Va-t'en.
Car elle ne voulait pas qu'il la vît pleurer. C'était une fleur
tellement
orgueilleuse...
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (13 – T)[...] La
première [planète] était habitée par un roi. Le roi siégeait,
habillé de pourpre et d'hermine, sur un trône très simple et
cependant majestueux.- Ah ! Voilà un sujet, s'écria le roi quandil
aperçut le petit prince.Et le petit prince se demanda:- Comment
peut-il me connaître puisqu'il ne m'a encore jamais vu ! Il ne
savait pas que, pour les rois, le monde est très simplifié.
Tous les hommes sont des sujets.
- Approche-toi que je te voie mieux, lui dit le roi qui était
tout fier d'être roi pour quelqu'un.
Le petit prince chercha des yeux où s'asseoir, mais la planète
était touteencombrée par le magnifique manteau d'hermine. Il resta
donc debout, et, comme il était fatigué, il bâilla.
- Il est contraire à l'étiquette de bâiller en présence d'un
roi, lui dit le monarque. Je te l'interdis.
- Je ne peux pas m'en empêcher, répondit le petit prince tout
confus. J'ai fait un long voyage et je n'ai pas dormi...
- Alors, lui dit le roi, je t'ordonne de bâiller. Je n'ai vu
personne bâiller depuis des années. Les bâillements sont pour moi
des curiosités. Allons ! bâille encore. C'est un ordre.- ça
m'intimide... je ne peux plus... fit le petit prince tout
rougissant.- Hum ! Hum ! répondit le roi. Alors je... je t'ordonne
tantôt de bâiller et tantôt de...Il bredouillait un peu et
paraissait vexé.
Car le roi tenait essentiellement à ce que son autorité fût
respectée. Il ne tolérait pas la désobéissance. C'était un monarque
absolu. Mais comme il était très bon, il donnait des ordres
raisonnables."Si j'ordonnais, disait-il couramment, si j'ordonnais
à un général de se changer en oiseau de mer, et si le général
n'obéissait pas, ce ne serait pas lafaute du général. Ce serait ma
faute."
-
- Puis-je m'asseoir ? s'enquit timidement le petit prince.- Je
t'ordonne de t'asseoir, lui répondit le roi, qui ramena
majestueusement unpan de son manteau d'hermine.
Mais le petit prince s'étonnait. La planète était minuscule. Sur
quoi le roipouvait-il bien régner?- Sire, lui dit-il... je vous
demande pardon de vous interroger...- Je t'ordonne de m'interroger,
se hâta de dire le roi.- Sire... sur quoi régnez-vous ?- Sur tout,
répondit le roi, avec une grande simplicité.- Sur tout ?
Le roi d'un geste discret désigna sa planète, les autres
planètes et les étoiles.- Sur tout ça ? dit le petit prince.- Sur
tout ça... répondit le roi.Car non seulement c'était un monarque
absolu mais c'était un monarque universel.- Et les étoiles vous
obéissent ?- Bien sûr, lui dit le roi. Elles obéissent aussitôt. Je
ne tolère pas l'indiscipline…
Un tel pouvoir émerveilla le petit prince. S'il l'avait détenu
lui-même, il aurait pu assister, non pas à quarante-quatre, mais à
soixante-douze, ou même à cent, ou même à deux cents couchers de
soleil dans la même journée, sans avoir jamais à tirer sa chaise
!
Et comme il se sentait un peu triste à cause du souvenir de sa
petite planète abandonnée, il s'enhardit à solliciter une grâce du
roi : - Je voudrais voir un coucher de soleil... Faites-moi
plaisir... Ordonnez au soleil de se coucher...
- Si j'ordonnais à un général de voler une fleur à l'autre à la
façon d'un papillon, ou d'écrire une tragédie, ou de se changer en
oiseau de mer, et si legénéral n'exécutait pas l'ordre reçu, qui,
de lui ou de moi, serait dans son tort ?
- Ce serait vous, dit fermement le petit prince.
-
- Exact. Il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner,
reprit le roi. L'autorité repose d'abord sur la raison. Si tu
ordonnes à ton peuple d'aller se jeter à la mer, il fera la
révolution. J'ai le droit d'exiger l'obéissance parce que mes
ordres sont raisonnables.
- Alors mon coucher de soleil ? rappela le petit prince qui
jamais n'oubliait une question une fois qu'il l'avait posée.
- Ton coucher de soleil, tu l'auras. Je l'exigerai. Mais
j'attendrai, dans ma science du gouvernement, que les conditions
soient favorables.- Quand ça sera-t-il ? s'informa le petit
prince.
- Hem ! Hem ! lui répondit le roi, qui consulta d'abord un gros
calendrier, hem ! hem ! ce sera, vers... vers... ce sera ce soir
vers sept heures quarante !Et tu verras comme je suis bien
obéi.
Le petit prince bâilla. Il regrettait son coucher de soleil
manqué…
… Et puis il s'ennuyait déjà un peu :
- Je n'ai plus rien à faire ici, dit-il au roi.Je vais repartir
!- Ne pars pas, répondit le roi qui était si fier d'avoir un sujet.
Ne pars pas, je te fais ministre !- Ministre de quoi ?- De... de la
justice !- Mais il n'y a personne à juger !- On ne sait pas, lui
dit le roi. Je n'ai pas fait encore le tour de mon royaume. Je suis
très vieux, je n'ai pas de place pour un carrosse, et ça me fatigue
de marcher.- Oh ! Mais j'ai déjà vu, dit le petit prince qui se
pencha pour jeter encore un coup d’œil sur l'autre côté de la
planète. Il n'y a personne là-bas non plus...- Tu te jugeras donc
toi-même, lui répondit le roi. C'est le plus difficile. Il est bien
plus difficile de se juger soi-même que de juger autrui. Si tu
réussis à bien te juger, c'est que tu es un véritable sage.- Moi,
dit le petit prince, je puis me juger moi-même n'importe où. Je
n'ai pas besoin d'habiter ici.
-
- Hem ! Hem ! dit le roi, je crois bien que sur ma planète il y
a quelque part unvieux rat. Je l'entends la nuit. Tu pourras juger
ce vieux rat. Tu le condamneras à mort de temps en temps. Ainsi sa
vie dépendra de ta justice. Mais tu le gracieras chaque fois pour
économiser. Il n'y en a qu'un.- Moi, répondit le petit prince, je
n'aime pas condamner à mort, et je crois bien que je m'en vais.-
Non, dit le roi.
Mais le petit prince, ayant achevé ses préparatifs, ne voulut
point peiner
le vieux monarque:- Si votre majesté désirait être obéie
ponctuellement, elle pourrait me donner un ordre raisonnable. Elle
pourrait m'ordonner, par exemple, de partir avant une minute. Il me
semble que les conditions sont favorables... Le roi n'ayant rien
répondu, le petit prince hésita d'abord, puis, avec un soupir, pris
le départ.- Je te fais mon ambassadeur, se hâta alors de crier le
roi.
Il avait un grand air d'autorité.Les grandes personnes sont bien
étranges, se dit le petit prince, en lui-même, durant son
voyage.
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (14 –
T)-----------------------------------------------------------------------------
La seconde planète était habitée par un vaniteux :
- Ah ! Ah ! Voilà la visite d'un admirateur ! s'écria de loin
le
vaniteux dès qu'il aperçut le petit prince.
Car, pour les vaniteux, les autres
hommes sont des admirateurs.
- Bonjour, dit le petit prince. Vous avez
un drôle de chapeau.
- C'est pour saluer, lui répondit le
vaniteux. C'est pour saluer quand on
m'acclame.
Malheureusement il ne passe jamais
personne par ici.
- Ah oui ? dit le petit prince qui ne
comprit pas.
- Frappe tes mains l'une contre l'autre, conseilla donc le
vaniteux.
Le petit prince frappa ses mains l'une contre l'autre. Le
vaniteux salua modestement en soulevant son chapeau.
« ça c'est plus amusant que la visite du roi », se dit en
lui-
même le petit prince. Et il recommença de frapper ses mains
l'une contre l'autre. Le vaniteux recommença de saluer en
soulevant son chapeau.
Après cinq minutes d'exercice le petit prince se fatigua de
la
monotonie du jeu :
- Et, pour que le chapeau tombe, demanda-t-il, que faut-il
-
faire ?
Mais le vaniteux ne l'entendit pas. Les vaniteux n'entendent
jamais que des louanges.
- Est-ce que tu m'admires vraiment beaucoup ? demanda-t-il
au
petit prince.
- Qu'est-ce que signifie admirer ?
- Admirer signifie reconnaître que je suis l'homme le plus
beau,
le mieux habillé, le plus riche et le plus intelligent de la
planète.
- Mais tu es seul sur ta planète !
- Fais-moi ce plaisir. Admire-moi quand-même !
- Je t'admire, dit le petit prince, en haussant un peu les
épaules, mais en quoi cela peut-il bien t'intéresser ?
Et le petit prince s'en fut.
« Les grandes personnes sont décidément bien bizarres »,
se dit-il en lui-même durant son voyage.
La planète suivante était habitée par un buveur. Cette visite
fut très courte,
mais elle plongea le petit prince dans une grande mélancolie
:
Que fais-tu là ? dit-il au buveur,
qu'il trouva installé en silence devant une
collection de bouteilles vides et une collection
de bouteilles pleines.
- Je bois, répondit le buveur, d'un air lugubre.
- Pourquoi bois-tu ? lui demanda le petit prince.
- Pour oublier, répondit le buveur.
- Pour oublier quoi ? s'enquit le petit prince qui déjà le
plaignait.
-
- Pour oublier que j'ai honte, avoua le buveur en baissant la
tête.
- Honte de quoi ? s'informa le petit prince qui désirait le
secourir.
- Honte de boire ! acheva le buveur qui s'enferma définitivement
dans le
silence.
Et le petit prince s'en fut, perplexe.« Les grandes personnes
sont décidément très très bizarres », se disait-il en
lui-même durant le voyage.
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (15 –
T)-----------------------------------------------------------------------------
La quatrième planète était celle du businessman. Cet hommeétait
si occupé qu'il ne leva même pas la tête à l'arrivée dupetit
prince.- Bonjour, lui dit celui-ci. Votre cigarette est éteinte.-
Trois et deux font cinq. Cinq et sept douze. Douze et troisquinze.
Bonjour. Quinze et sept vingt-deux. Vingt-deux et sixvingt-huit.
Pas le temps de la rallumer. Vingt-six et cinq trente etun. Ouf !
Ca fait donc cinq - cent - un - millions – six cent - vingt-deux -
mille - sept - cent - trente - et - un.- Cinq – cents- millions de
quoi ?
- Hein ? Tu es toujourslà ? Cinq cent - un - millionsde... je ne
sais plus... J'aitellement de travail ! Jesuis sérieux, moi, je
nem'amuse pas à desbalivernes ! Deux et cinqsept...
– Cinq - cent millions dequoi, répéta le petitprince qui jamais
desa vie n'avait renoncéà une question, une
fois qu'il l'avait posée. [...]- Millions de quoi ?
Le businessman comprit qu'il n'était point d'espoir de paix :-
Millions de ces petites choses que l'on voit quelquefois dansle
ciel.- Des mouches ?- Mais non, des petites choses qui brillent. -
Des abeilles ?- Mais non. Des petites choses dorées qui font
rêvasser lesfainéants. Mais je suis sérieux, moi ! Je n'ai pas le
temps derêvasser.- Ah ! des étoiles ?- C'est bien ça. Des
étoiles.
-
- Et que fais-tu des cinq cent millions d'étoiles ?- Cinq - cent
- un - millions - six – cent- vingt-deux - mille sept - cent
-trente - et - un. Je suis un homme sérieux, moi, je suis précis.-
Et que fais-tu de ces étoiles ?- Ce que j'en fais ?- Oui.- Rien. Je
les possède.- Tu possèdes les étoiles ?- Oui.- Mais j'ai déjà vu un
roi qui...- Les rois ne possèdent pas. Ils "règnent" sur. C'est
trèsdifférent.- Et à quoi cela te sert-il de posséder les étoiles
?- ça me sert à être riche.- Et à quoi cela te sert-il d'être riche
?- A acheter d'autres étoiles, si quelqu'un en trouve.
Celui-là, se dit en lui-même le petit prince, il raisonne unpeu
comme mon ivrogne.
Cependant il posa encore des questions :- Comment peut-on
posséder les étoiles ?- A qui sont-elles ? riposta, grincheux, le
businessman.- Je ne sais pas. A personne.- Alors elles sont à moi,
car j'y ai pensé le premier.- ça suffit ?- Bien sûr. Quand tu
trouves un diamant qui n'est à personne,il est à toi. Quand tu
trouves une île qui n'est à personne, elleest à toi. Quand tu as
une idée le premier, tu la fais breveter: elle est à toi. Et moi je
possède les étoiles, puisque jamaispersonne avant moi n'a songé à
les posséder.- ça c'est vrai, dit le petit prince. Et qu'en fais-tu
?- Je les gère. Je les compte et je les recompte, dit
lebusinessman. C'est difficile. Mais je suis un homme sérieux !Le
petit prince n'était pas satisfait encore.- Moi, si je possède un
foulard, je puis le mettre autour demon cou et l'emporter. Moi, si
je possède une fleur, je puis
-
cueillir ma fleur et l'emporter. Mais tu ne peux pas cueillir
lesétoiles !- Non, mais je puis les placer en banque.- Qu'est-ce
que ça veut dire ?- ça veut dire que j'écris sur un petit papier le
nombre de mesétoiles. Et puis j'enferme à clef ce papier-là dans un
tiroir.- Et c'est tout ?- ça suffit !
C'est amusant, pensa le petit prince. C'est assez poétique.Mais
ce n'est pas très sérieux.
Le petit prince avait sur les choses sérieuses des idéestrès
différentes des idées des grandes personnes.- Moi, dit-il encore,
je possède une fleur que j'arrose tous lesjours. Je possède trois
volcans que je ramone toutes lessemaines. Car je ramone aussi celui
qui est éteint. On ne saitjamais. C'est utile à mes volcans, et
c'est aussi utile à mafleur, que je les possède. Mais tu n'es pas
utile aux étoiles...
Le businessman ouvrit la bouche mais ne trouva rien àrépondre,
et le petit prince s'en fut.« Les grandes personnes sont décidément
tout à fait extraordinaires », se disait-il simplement en lui-même
durant le voyage.
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (16 –
T)-----------------------------------------------------------------------------
La cinquième planète était très curieuse. C'était la plus petite
de toutes.Il y avait là juste assez de place pour loger un
réverbère et un allumeur deréverbères. Le petit prince ne parvenait
pas à s'expliquer à quoi pouvaientservir, quelque part dans le
ciel, sur une planète sans maison, ni population,un réverbère et un
allumeur de réverbères.
Cependant il se dit en lui-même :- Peut-être bien que cet homme
est absurde. Cependant il est moins absurdeque le roi, que le
vaniteux, que le businessman et que le buveur. Au moinsson travail
a-t-il un sens. Quand il allume son réverbère, c'est comme
s'ilfaisait naître une étoile de plus, ou une fleur. Quand il
éteint son réverbère çaendort la fleur ou l'étoile. C'est une
occupation très jolie. C'est véritablementutile puisque c'est
joli.
Lorsqu'il aborda la planète il salua respectueusement l'allumeur
:- Bonjour. Pourquoi viens-tu d'éteindre ton réverbère ?- C'est la
consigne, répondit l'allumeur. Bonjour.- Qu'est ce que la consigne
?- C'est d'éteindre mon réverbère. Bonsoir.
Et il le ralluma.- Mais pourquoi viens-tu de rallumer ?- C'est
la consigne, répondit l'allumeur.- Je ne comprends pas, dit le
petit prince.- Il n'y a rien à comprendre, dit l'allumeur. La
consigne c'est la consigne.Bonjour.
Et il éteignit son réverbère. Puis il s'épongea le front avec un
mouchoir à carreaux rouges.
- Je fais là un travail terrible. C'était raisonnable autrefois.
J'éteignais le matinet j'allumais le soir. J'avais le reste du jour
pour me reposer, et le reste de lanuit pour dormir...- Et, depuis
cette époque, la consigne a changé ?- La consigne n'a pas changé,
dit l'allumeur. C'est bien là le drame ! laplanète d'année en année
a tourné de plus en plus vite, et la consigne n'apas changé !
-
- Alors ? dit le petit prince.- Alors maintenant qu'elle fait un
tour par minute, je n'ai plus une seconde derepos. J'allume et
j'éteins une fois par minute !- ça c'est drôle ! les jours chez toi
durent une minute !- Ce n'est pas drôle du tout, dit l'allumeur. Ca
fait déjà un mois que nous parlons ensemble.- Un mois ?- Oui.
Trente minutes. Trente jours ! Bonsoir.
Et il ralluma son réverbère. Le petit prince le regarda et il
aima cetallumeur qui était si fidèle à saconsigne. Il se souvint
des couchers desoleil que lui-même allait autrefoischercher, en
tirant sa chaise. Il voulutaider son ami :- Tu sais... je connais
un moyen de tereposer quand tu voudras...- Je veux toujours, dit
l'allumeur.
Car on peut être, à la fois, fidèleet paresseux.
Le petit prince poursuivit :- Ta planète est tellement petite
que tu en fais le tour en trois enjambées. Tun'as qu'à marcher
lentement pour rester toujours au soleil. Quand tu voudraste
reposer tu marcheras... et le jour durera aussi longtemps que tu
voudras.- ça ne m'avance pas à grand chose, dit l'allumeur. Ce que
j'aime dans la vie,c'est dormir.- Ce n'est pas de chance, dit le
petit prince. - Ce n'est pas de chance, dit l'allumeur. Bonjour.Et
il éteignit son réverbère.
Celui-là, se dit le petit prince, tandis qu'il poursuivait plus
loin sonvoyage, celui-là serait méprisé par tous les autres, par le
roi, par le vaniteux,par le buveur, par le businessman. Cependant
c'est le seul qui ne meparaisse pas ridicule. C'est, peut-être,
parce qu'il s'occupe d'autre chose quede soi-même.
Il eut un soupir de regret et se dit encore:
-
- Celui-là est le seul dont j'eusse pu faire mon ami. Mais sa
planète estvraiment trop petite. Il n'y a pas de place pour
deux...
Ce que le petit prince n'osait pas s'avouer, c'est qu'il
regrettait cetteplanète bénie à cause, surtout, des mille-
quatre-cent-quarante couchers desoleil par vingt-quatre heures
!
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (17 –
T)-----------------------------------------------------------------------------
La sixième planète était une planète dix fois plus vaste. Elle
étaithabitée par un vieux Monsieur qui écrivait d'énormes livres.-
Tiens ! voilà un explorateur ! s'écria-t-il, quand il aperçut le
petit prince.
Le petit prince s'assit sur la table et souffla un peu. Il avait
déjà tantvoyagé !- D'où viens-tu ? lui dit le vieux Monsieur.- Quel
est ce gros livre ? dit le petit prince. Que faites-vous ici ?- Je
suis géographe, dit le vieux Monsieur.- Qu'est-ce un géographe ?-
C'est un savant qui connaît où se trouvent les mers, les fleuves,
les villes,les montagnes et les déserts.- ça c'est intéressant, dit
le petit prince. ça c'est enfin un véritable métier ! Et iljeta un
coup d’œil autour de lui sur la planète du géographe. Il n'avait
jamaisvu encore une planète aussi majestueuse.- Elle est bien
belle, votre planète. Est-ce qu'il y a des océans ?- Je ne puis pas
le savoir, dit le géographe.- Ah ! (Le petit prince était déçu.) Et
des montagnes ?- Je ne puis pas le savoir, dit le géographe.- Et
des villes et des fleuves et des déserts ?- Je ne puis pas le
savoir non plus, dit le géographe.- Mais vous êtes géographe !
-
- C'est exact, dit le géographe, mais je ne suis pas
explorateur. Je manqueabsolument d'explorateurs. Ce n'est pas le
géographe qui va faire le comptedes villes, des fleuves, des
montagnes, des mers et des océans. Lagéographe est trop important
pour flâner. Il ne quitte pas son bureau. Mais ilreçoit les
explorateurs. Il les interroge, et il prend en note leurs
souvenirs.[...]Le géographe soudain s'émut.- Mais toi, tu viens de
loin ! Tu es explorateur ! Tu vas me décrire ta planète !
Et le géographe, ayant ouvert son registre, tailla son crayon.
On noted'abord au crayon les récits des explorateurs. On attend,
pour noter à l'encre,que l'explorateur ait fourni des preuves.-
Alors ? interrogea le géographe. - Oh ! chez moi, dit le petit
prince, ce n'est pas très intéressant, c'est toutpetit. J'ai trois
volcans. Deux volcans en activité, et un volcan éteint. Mais onne
sait jamais.- On ne sait jamais, dit le géographe.- J'ai aussi une
fleur.- Nous ne notons pas les fleurs, dit le géographe.- Pourquoi
ça ! c'est pas joli !- Parce que les fleurs sont éphémères.- Qu'est
ce que signifie: "éphémère" ?- Les géographies, dit le géographe,
sont les livres les plus précieux de tousles livres. Elles ne se
démodent jamais. Il est très rare qu'une montagnechange de place.
Il est très rare qu'un océan se vide de son eau. Nousécrivons des
choses éternelles.- Mais les volcans éteints peuvent se réveiller,
interrompit le petit prince.Qu'est -ce que signifie "éphémère" ?-
Que les volcans soient éteints ou soient éveillés, ça revient au
même pournous autres, dit le géographe. Ce qui compte pour nous,
c'est la montagne.Elle ne change pas.- Mais qu'est-ce que signifie
"éphémère" ? répéta le petit prince qui, de savie, n'avait renoncé
à une question, une fois qu'il l'avait posée.- ça signifie "qui est
menacé de disparition prochaine".- Ma fleur est menacée de
disparition prochaine ?- Bien sûr.
Ma fleur est éphémère, se dit le petit prince, et elle n'a que
quatreépines pour se défendre contre le monde ! Et je l'ai laissée
toute seule chez
-
moi ! Ce fut là son premier mouvement de regret. Mais il reprit
courage:- Que me conseillez-vous d'aller visiter ? demanda-t-il.-
La planète Terre, lui répondit le géographe. Elle a une bonne
réputation...
Et le petit prince s’en fut, songeant à sa fleur.
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (18 –
T)-----------------------------------------------------------------------------
[...] Le petit prince, une fois sur terre, fut bien surpris de
ne voirpersonne. Il avait déjà peur de s'être trompé de planète,
quand un anneaucouleur de lune remua dans le sable.
- Bonne nuit, fit le petit prince à tout hasard.- Bonne nuit,
fit le serpent.- Sur quelle planète suis-je tombé ? demanda le
petit prince.- Sur la Terre, en Afrique, répondit le serpent.- Ah
!... Il n'y a donc personne sur la Terre ?- Ici c'est le désert. Il
n'y a personne dans les déserts. La Terre est grande, ditle
serpent.
Le petit prince s'assit sur une pierre et leva les yeux vers le
ciel :- Je me demande, dit-il, si les étoiles sont éclairées afin
que chacun puisse un jour retrouver la sienne. Regarde ma planète.
Elle est juste au-dessus de nous... Mais comme elle est loin !
– Elle est belle, dit le serpent. Que viens-tu faire ici ?– J'ai
des difficultés avec une fleur, dit le petit prince.
Ah ! fit le serpent.Et ils se turent.
- Où sont les hommes ? reprit enfin le petit prince. On est un
peu seul dans ledésert...
- On est seul aussi chez les hommes, dit le serpent.
Le petit prince le regarda longtemps:
- Tu es une drôle de bête, lui dit-il enfin, mince comme un
doigt...
- Mais je suis plus puissant que le doigt d'un roi, dit le
serpent.
-
Le petit prince eut un sourire:
- Tu n'est pas bien puissant... tu n'as même pas de pattes... tu
ne peux mêmepas voyager...
- Je puis t'emporter plus loin qu'un navire, dit le serpent.
Il s'enroula autour de la cheville du petit prince, comme un
bracelet d'or :
- Celui que je touche, je le rends à la terre dont il est sorti,
dit-il encore. Mais tu es pur et tu viens d'une étoile...
Le petit prince ne répondit rien. - Tu me fais pitié, toi si
faible, sur cette Terre de granit. Je puis t'aider un jour si tu
regrettes trop ta planète. Je puis...- Oh ! J'ai très bien compris,
fit le petit prince, mais pourquoi parles-tu toujours par énigmes
?- Je les résous toutes, dit le serpent.
Et ils se turent.
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (19–
T)-----------------------------------------------------------------------------
Le petit prince traversa le désert et ne rencontra qu'une fleur.
Une fleurà trois pétales, une fleur de rien du tout...
- Bonjour, dit le petit prince.- Bonjour, dit la fleur.- Où sont
les hommes ? demanda poliment le petit prince.La fleur, un jour,
avait vu passer une caravane :- Les hommes ? Il en existe, je
crois, six ou sept. Je les ai aperçus il y a desannées. Mais on ne
sait jamais où les trouver. Le vent les promène. Ilsmanquent de
racines, ça les gêne beaucoup.
- Adieu, fit le petit prince.- Adieu, dit la fleur.
Le petit prince fit l'ascension d'une haute montagne. Les
seulesmontagnes qu'il eût jamais connues étaient les trois volcans
qui lui arrivaientau genou. Et il se servait du volcan éteint comme
d'un tabouret. "D'unemontagne haute comme celle-ci, se dit-il donc,
j'apercevrai d'un coup toute laplanète et tous les hommes..." Mais
il n'aperçut rien que des aiguilles de rocbien aiguisées.
- Bonjour, dit-il à tout hasard.
- Bonjour... Bonjour... Bonjour... répondit l'écho.
- Qui êtes-vous ? dit le petit prince.
- Qui êtes-vous... qui êtes-vous... qui êtes-vous... répondit
l'écho.
- Soyez mes amis, je suis seul, dit-il.
- Je suis seul... je suis seul... je suis seul... répondit
l'écho.
« Quelle drôle de planète ! pensa-t-il alors. Elle est toute
sèche, et toutepointue et toute salée. Et les hommes manquent
d'imagination. Ils répètentce qu'on leur dit... Chez moi j'avais
une fleur : elle parlait toujours lapremière... »
Mais il arriva que le petit prince, ayant longtemps marché à
travers les
-
sables, les rocs et les neiges, découvrit enfin une route. Et
les routes vonttoutes chez les hommes.
- Bonjour, dit-il.C'était un jardin fleuri de roses.
- Bonjour, dirent les roses. Le petit prince les regarda. Elles
ressemblaient toutes à sa fleur.
- Qui êtes-vous ? leur demanda-t-il, stupéfait.- Nous sommes des
roses, dirent les roses.- Ah ! fit le petit prince...
Et il se sentit très malheureux. Sa fleur lui avait raconté
qu'elle étaitseule de son espèce dans l'univers. Et voici qu'il en
était cinq mille, toutessemblables, dans un seul jardin !« Elle
serait bien vexée, se dit-il, si elle voyait ça... elle
tousseraiténormément et ferait semblant de mourir pour échapper au
ridicule. Et jeserais bien obligé de faire semblant de la soigner,
car, sinon, pour m'humiliermoi aussi, elle se laisserait vraiment
mourir... »
Puis il se dit encore: « Je me croyais riche d'une fleur unique,
et je nepossède qu'une rose ordinaire. ça et mes trois volcans qui
m'arrivent augenou, et dont l'un, peut-être, est éteint pour
toujours, ça ne fait pas de moiun bien grand prince... »
Et, couché dans l'herbe, il pleura.
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (20–
T)-----------------------------------------------------------------------------
C'est alors qu'apparut le renard.
- Bonjour, dit le renard.- Bonjour, répondit poliment le petit
prince, qui se tourna mais ne vit rien.- Je suis là, dit la voix,
sous le pommier.- Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien
joli...- Je suis un renard, dit le renard.- Viens jouer avec moi,
lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste...- Je ne
puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé.-
Ah ! Pardon, fit le petit prince.
Mais après réflexion, il ajouta :
- Qu'est-ce que signifie « apprivoiser » ?
- Tu n'es pas d'ici, dit le renard, que cherches-tu ?
- Je cherche les hommes, dit le petit prince. Qu'est-ce que
signifie « apprivoiser » ?
- Les hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent.
C'est bien gênant ! Ils élèvent aussi des poules. C'est leur seul
intérêt. Tu cherches des poules ?
- Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Qu'est-ce que
signifie« apprivoiser » ?
– C'est une chose trop oubliée, dit le renard. ça signifie «
Créer desliens... »
-
– Créer des liens ?- Bien sûr, dit le renard. Tu n'es encore
pour moi qu'un petit garçon toutsemblable à cent mille petits
garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'aspas besoin de moi
non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable àcent mille
renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un
del'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi
unique aumonde...
- Je commence à comprendre, dit le petit prince. Il y a une
fleur... je croisqu'elle m'a apprivoisé...- C'est possible, dit le
renard. On voit sur la Terre toutes sortes de choses...
– Oh ! ce n'est pas sur la Terre, dit le petit prince.Le renard
parut très intrigué :- Sur une autre planète ?- Oui.- Il y a des
chasseurs sur cette planète-là ?- Non.- ça, c'est intéressant! Et
des poules ?- Non.
– Rien n'est parfait, soupira le renard.
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (21–
T)--------------------------------------------------------------------------
Mais le renard revint à son idée :
- Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me
chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se
ressemblent. Je m'ennuie donc un peu. Mais si tu m'apprivoises, ma
vie sera comme ensoleillée. Je connaîtrai un bruit de pas qui sera
différent de tous les autres. Les autres pas me font rentrer sous
terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et
puis regarde ! Tu vois, là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas
de pain. Le blé pour moi est inutile. Les champs de blé ne me
rappellent rien. Et ça, c'est triste !
Mais tu as des cheveux couleur d'or. Alors ce sera merveilleux
quand tum'auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir
de toi. Et j'aimeraile bruit du vent dans le blé...
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince :
- S'il te plaît... apprivoise-moi ! dit-il.- Je veux bien,
répondit le petit prince, mais je n'ai pas beaucoup de temps.J'ai
des amis à découvrir et beaucoup de choses à connaître.
- On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le
renard. Leshommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils
achètent des choses toutesfaites chez les marchands. Mais comme il
n'existe point de marchandsd'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si
tu veux un ami,
apprivoise-moi !
- Que faut-il faire ? dit le petit prince.- Il faut être très
patient, répondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loinde
moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et
tu nediras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque
jour, tupourras t'asseoir un peu plus près...
Le lendemain revint le petit prince. - Il eût mieux valu revenir
à la
même heure, dit le renard. Si tu viens, parexemple, à quatre
heures de l'après-midi, dèstrois heures je commencerai d'être
heureux.
-
Plus l'heure avancera, plus je me sentirai heureux. À quatre
heures, déjà, jem'agiterai et m'inquiéterai ; je découvrirai le
prix du bonheur ! Mais si tu viensn'importe quand, je ne saurai
jamais à quelle heure m'habiller le cœur... il fautdes rites.
- Qu'est-ce qu'un rite ? dit le petit prince.– C'est quelque
chose trop oublié, dit le renard. C'est ce qui fait qu'un jour
est différent des autres jours, une heure, des autres heures. Il
y a unrite, par exemple, chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi
avec lesfilles du village. Alors le jeudi est jour merveilleux ! Je
vais me promenerjusqu'à la vigne. Si les chasseurs dansaient
n'importe quand, les joursse ressembleraient tous, et je n'aurais
point de vacances.
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (22–
T)-----------------------------------------------------------------------------
Ainsi le petit prince apprivoisa le renard. Et quand l'heure du
départ futproche :
- Ah ! dit le renard... je pleurerai.- C'est ta faute, dit le
petit prince, je ne te souhaitais point de mal, mais tu asvoulu que
je t'apprivoise...- Bien sûr, dit le renard.- Mais tu vas pleurer !
dit le petit prince.- Bien sûr, dit le renard.- Alors tu n'y gagnes
rien !- J'y gagne, dit le renard, à cause de la couleur du blé.
Puis il ajouta :- Va revoir les roses. Tu comprendras que la
tienne est unique au monde. Tureviendras me dire adieu, et je te
ferai cadeau d'un secret.
Le petit prince s'en fut revoir les roses.- Vous n'êtes pas du
tout semblables à ma rose, vous n'êtes rien encore, leurdit-il.
Personne ne vous a apprivoisé et vous n'avez apprivoisé
personne.Vous êtes comme était mon renard. Ce n'était qu'un renard
semblable à centmille autres. Mais j'en ai fait mon ami, et il est
maintenant unique au monde.
Et les roses étaient gênées.- Vous êtes belles mais vous êtes
vides, leur dit-il encore. On ne peut pasmourir pour vous. Bien
sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire croiraitqu'elle vous
ressemble. Mais à elle seule elle est plus importante que
voustoutes, puisque c'est elle que j'ai arrosée. Puisque c'est elle
que j'ai abritéepar le paravent. Puisque c'est elle dont j'ai tué
les chenilles (sauf les deux outrois pour les papillons). Puisque
c'est elle que j'ai écoutée se plaindre, ou sevanter, ou même
quelquefois se taire. Puisque c'est ma rose.
Et il revint vers le renard :- Adieu, dit-il...
- Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple :
on ne voit bienqu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les
yeux.
- L'essentiel est invisible pour les yeux, répéta le petit
prince, afin de se
-
souvenir.
- C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose
si importante.
- C'est le temps que j'ai perdu pour ma rose... fit le petit
prince, afin de sesouvenir.
- Les hommes ont oublié cettevérité, dit le renard. Mais tu ne
doispas l'oublier. Tu deviensresponsable pour toujours de ce quetu
as apprivoisé. Tu es responsablede ta rose...
- Je suis responsable de ma rose...répéta le petit prince, afin
de sesouvenir.
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (23–
T)-----------------------------------------------------------------------------
[...] Nous en étions au huitième jour de ma panne dans le
désert, et j'avaisécouté l'histoire [...] en buvant la dernière
goutte de ma provision d'eau :
- Ah ! dis-je au petit prince, ils sont bien jolis, tes
souvenirs, mais je n'ai pas encore réparé mon avion, je n'ai plus
rien à boire, et je serais heureux, moi aussi, si je pouvais
marcher tout doucement vers une fontaine !- Mon ami le renard, me
dit-il...- Mon petit bonhomme, il ne s'agit plus du renard !-
Pourquoi ?- Parce qu'on va mourir de soif...
Il ne comprit pas mon raisonnement, il me répondit :- C'est bien
d'avoir eu un ami, même si l'on va mourir. Moi, je suis biencontent
d'avoir eu un ami renard...
Il ne mesure pas le danger, me dis-je. Il n'a jamais ni faim ni
soif. Unpeu de soleil lui suffit... Mais il me regarda et répondit
à ma pensée :- J'ai soif aussi... cherchons un puits...
J'eus un geste de lassitude : il est absurde de chercher un
puits, auhasard, dans l'immensité du désert. Cependant nous nous
mîmes en marche.
Quand nous eûmes marché, des heures, en silence, la nuit tomba,
etles étoiles commencèrent de s'éclairer. Je les apercevais comme
dans unrêve, ayant un peu de fièvre, à cause de ma soif. Les mots
du petit princedansaient dans ma mémoire :- Tu as donc soif aussi ?
lui demandai-je.
Mais il ne répondit pas à ma question. Il me dit simplement :-
L'eau peut aussi être bonne pour le cœur...
Je ne compris pas sa réponse mais je me tus... Je savais bien
qu'il nefallait pas l'interroger. Il était fatigué. Il s'assit. Je
m'assis auprès de lui. Et,après un silence, il dit encore :- Les
étoiles sont belles, à cause d'une fleur que l'on ne voit
pas...
Je répondis "bien sûr" et je regardai, sans parler, les plis du
sable sousla lune.- Le désert est beau, ajouta-t-il...
Et c'était vrai. J'ai toujours aimé le désert. On s'assoit sur
une dune desable. On ne voit rien. On n'entend rien. Et cependant
quelque chose
-
rayonne en silence... - Ce qui embellit le désert, dit le petit
prince, c'est qu'il cache un puits quelquepart...
Je fus surpris de comprendre soudain ce mystérieux rayonnement
dusable. Lorsque j'étais petit garçon j'habitais une maison
ancienne, et lalégende racontait qu'un trésor y était enfoui. Bien
sûr, jamais personne n'a sule découvrir, ni peut-être même ne l'a
cherché. Mais il enchantait toute cettemaison. Ma maison cachait un
secret au fond de son cœur...- Oui, dis-je au petit prince, qu'il
s'agisse de la maison, des étoiles ou dudésert, ce qui fait leur
beauté est invisible !
– Je suis content, dit-il, que tu sois d'accord avec mon
renard.
Comme le petit prince s'endormait, je le pris dans mes bras, et
meremis en route. J'étais ému. Il me semblait porter un trésor
fragile. Il mesemblait même qu'il n'y eût rien de plus fragile sur
la Terre. Je regardais, à lalumière de la lune, ce front pâle, ces
yeux clos, ces mèches de cheveux quitremblaient au vent, et je me
disais : ce que je vois là n'est qu'une écorce. Leplus important
est invisible...
Comme ses lèvres entr'ouvertes ébauchaient un demi-sourire je me
disencore : "Ce qui m'émeut si fort de ce petit prince endormi,
c'est sa fidélitépour une fleur, c'est l'image d'une rose qui
rayonne en lui comme la flammed'une lampe, même quand il dort..."
Et je le devinai plus fragile encore. Il fautbien protéger les
lampes : un coup de vent peut les éteindre...
Et, marchant ainsi, je découvris le puits au lever du jour.
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (24–
T)-----------------------------------------------------------------------------
[...] Le puits que nous avions atteint ne ressemblait pas aux
autres puitssahariens. Les puits sahariens sont de simples trous
creusés dans le sable.Celui-là ressemblait à un puits de village.
Mais il n'y avait là aucun village, etje croyais rêver.
- C'est étrange, dis-je au petit prince, tout est prêt : la
poulie, le seau et lacorde...
Il rit, toucha la corde, fit jouer la poulie. Et la poulie gémit
comme unevieille girouette quand le vent a longtemps dormi.
- Tu entends, dit le petit prince, nous réveillons ce puits et
il chante...
Je ne voulais pas qu'il fît un effort :
- Laisse-moi faire, lui dis-je, c'est trop lourd pour toi.
Lentement je hissai le seau jusqu'à la margelle. Je l'y
installai biend'aplomb. Dans mes oreilles durait le chant de la
poulie et, dans l'eau quitremblait encore, je voyais trembler le
soleil.
- J'ai soif de cette eau-là, dit le petit prince, donne-moi à
boire... [...]Je soulevai le seau jusqu'à ses lèvres. Il but, les
yeux fermés. C'était
doux comme une fête. [...]J'avais bu. Je respirais bien. Le
sable, au lever du jour, est couleur de
miel. J'étais heureux aussi de cette couleur de miel. Pourquoi
fallait-il quej'eusse de la peine...- Il faut que tu tiennes ta
promesse, me dit doucement le petit prince, qui, denouveau, s'était
assis auprès de moi.- Quelle promesse ?- Tu sais... une muselière
pour mon mouton... je suis responsable de cettefleur !Je sortis de
ma poche mes ébauches de dessin. Le petit prince les aperçut etdit
en riant :- Tes baobabs, ils ressemblent un peu à des choux...- Oh
!Moi qui étais si fier des baobabs !
-
– Ton renard... ses oreilles... elles ressemblent un peu à des
cornes... etelles sont trop longues !Et il rit encore.
- Tu es injuste, petit bonhomme, je ne savais rien dessiner que
les boasfermés et les boas ouverts.- Oh ! ça ira, dit-il, les
enfants savent.
Je crayonnai donc une muselière. Et j'eus le cœur serré en la
luidonnant :- Tu as des projets que j'ignore...
Mais il ne me répondit pas. Il me dit :- Tu sais, ma chute sur
la Terre... c'en sera demain l'anniversaire...
Puis après un silence il dit encore :- J'étais tombé tout près
d'ici...
Et il rougit. Et de nouveau, sans comprendre pourquoi,
j'éprouvai unchagrin bizarre. Cependant une question me vint :-
Alors ce n'est pas par hasard que, le matin où je t'ai connu, il y
a huit jours,tu te promenais comme ça, tout seul, à mille milles de
toutes régions habitées! Tu retournais vers le point de ta chute
?
Le petit prince rougit de nouveau. Il ne répondait jamais aux
questions,mais, quand on rougit, ça signifie "oui", n'est-ce pas ?-
Ah ! lui dis-je, j'ai peur...
Mais il me répondit :
-
- Tu dois maintenant travailler. Tu dois repartir vers ta
machine. Je t'attendsici. Reviens demain soir...
Mais je n'étais pas rassuré. Je me souvenais du renard. On
risque depleurer un peu si l'on s'est laissé apprivoiser...
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (25–
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Il y avait, à côté du puits, une ruine de vieux mur de pierre.
Lorsque je revinsde mon travail, le lendemain soir, j'aperçus de
loin mon petit prince assis là-haut, les jambes pendantes. Et je
l'entendis qui parlait :
- Tu ne t'en souviens donc pas ? disait-il. Ce n'est pas tout à
fait ici !
Une autre voix lui répondit sans doute, puisqu'il répliqua :
- Si ! Si ! c'est bien le jour, mais ce n'est pas ici
l'endroit...
Je poursuivis ma marche vers le mur. Je ne voyais ni entendais
toujourspersonne. Pourtant le petit prince répliqua de nouveau
:
-... Bien sûr. Tu verras où commence ma trace dans le sable. Tu
n'as qu'à m'yattendre. J'y serai cette nuit...
J'étais à vingt mètres du mur et je ne voyais toujours rien.
Le petit prince dit encore, après un silence :
- Tu as du bon venin ? Tu es sûr de ne pas me faire souffrir
longtemps ?Je fis halte, le cœur serré, mais je ne comprenais
toujours pas.
- Maintenant va-t'en, dit-il... je veux redescendre !Alors
j'abaissai moi-même les yeux vers le pied du mur, et je fis un
bond ! Il était là, dressé vers le petit prince, un de ces
serpents jaunes quivous exécutent en trente secondes. Tout en
fouillant ma poche pour en tirermon revolver, je pris le pas de
course, mais, au bruit que je fis, le serpent selaissa doucement
couler dans le sable, comme un jet d'eau qui meurt, et,sans trop se
presser, se faufila entre les pierres avec un léger bruit de
métal.
Je parvins au mur juste à temps pour y recevoir dans les bras
mon petitbonhomme de prince, pâle comme la neige.- Quelle est cette
histoire-là ! Tu parles maintenant avec les serpents !
J'avais défait son éternel cache-nez d'or. Je lui avais mouillé
les tempes et l'avais fait boire. Et maintenant je n'osais plus
rien lui demander.
-
Il me regarda gravement et m'entoura le cou de ses bras.
Je sentais battre son cœur comme celui d'un oiseau qui meurt,
quandon l'a tiré à la carabine. Il me dit :- Je suis content que tu
aies trouvé ce qui manquait à ta machine. Tu vaspouvoir rentrer
chez toi...- Comment sais-tu ?
Je venais justement lui annoncer que, contre toute espérance,
j'avaisréussi mon travail !
Il ne répondit rien à ma question, mais il ajouta :- Moi aussi,
aujourd'hui, je rentre chez moi...
Puis, mélancolique :– C'est bien plus loin... c'est bien plus
difficile...
-
Le petit Prince – Antoine de SAINT-EXUPERY (26–
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[...] Cette nuit-là je ne le vis pas se mettre en route. Il
s'était évadé sansbruit. Quand je réussis à le joindre, il marchait
décidé, d'un pas rapide. Il medit seulement :
- Ah ! tu es là...Et il me prit par la main. Mais il se
tourmenta encore :- Tu as eu tort. Tu auras de la peine. J'aurai
l'air d'être mort et ce ne sera pasvrai...Moi je me taisais.- Tu
comprends. C'est trop loin. Je ne peux pas emporter ce corps-là.
C'esttrop lourd.Moi je me taisais.- Mais ce sera comme une vieille
écorce abandonnée. Ce n'est pas triste lesvieilles écorces...Moi je
me taisais.Il se découragea un peu. Mais il fit encore un effort :-
Ce sera gentil, tu sais. Moi aussi je regarderai les étoiles.
Toutes les étoilesseront des puits avec une poulie rouillée. Toutes
les étoiles me verseront àboire...
Moi je me taisais.- Ce sera tellement amusant ! Tu auras cinq
cents millions de grelots, j'auraicinq cent millions de
fontaines...Et il se tut aussi, parce qu'il pleurait...- C'est là.
Laisse moi faire un pas tout seul.Et il s’assit parce qu’il avait
peur. Il dit encore:- Tu sais... ma fleur... j'en suis responsable
! Et elle est tellement faible ! Etelle est tellement naïve. Elle a
quatre épines de rien du tout pour la protégercontre le
monde...
Moi je m'assis parce que je ne pouvais plus me tenir debout. Il
dit :- Voilà... C'est tout...Il hésita encore un peu, puis se
releva. Il fit un pas. Moi je ne pouvais pasbouger. Il n'y eut rien
qu'un éclair jaune près de sa cheville. Il demeura uninstant
immobile. Il ne cria pas. Il tomba doucement comme tombe un
arbre.
-
ça ne fit même pas de bruit, à cause du sable.
Et maintenant, bien sûr, ça fait six ans déjà... Je n'ai jamais
encore racontécette histoire. Les camarades qui m'ont revu ont été
bien contents de merevoir vivant. J'étais triste mais je leur
disais : C'est la fatigue...
Maintenant je me suis un peu consolé. C'est à dire... pas tout à
fait. Mais jesais bien qu'il est revenu à sa planète, car, au lever
du jour, je n'ai pasretrouvé son corps. Ce n'était pas un corps
tellement lourd... Et j'aime la nuitécouter les étoiles. C'est
comme cinq cent millions de grelots...
ça c'est pour moi, le plus beau et le plus triste paysage du
monde. [...]
C'est ici que le petit prince a apparu sur terre, puis
disparu.
Regardez attentivement ce paysage afin d’être sûrs de
lereconnaître, si vous voyagez un jour en Afrique, dans le
désert.Et, s’il vous arrive de passer par là, je vous en supplie,
nevous pressez pas, attendez un peu juste sous l’étoile ! Si
alorsun enfant vient à vous, s’il rit, s’il a des cheveux d’or,
s’il ne répond pasquand on l’interroge, vous devinerez bien qui il
est. Alors soyez gentils ! Neme laissez pas tellement triste :
écrivez-moi vite qu’il est revenu…