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LE NOCONSTITUTIONNALISME ET LA CONSTITUTIONNALISATION
DU DROIT
(Le triomphe tardif du droit constitutionnel)
Lus Roberto Barroso1 2
Sommaire:
Introduction
Premire partie
Noconstitutionnalisme et transformations du droit
constitutionnel contemporain
I. Rfrence historique
II. Rfrence philosophique
III. Rfrence thorique
1. La force normative de la Constitution
2. Lexpansion de la juridiction constitutionnelle
3. La nouvelle interprtation constitutionnelle
Deuxime partie
La constitutionnalisation du droit
I. Gnralits
II. Origine et volution du phnomne
III. Passage de la Constitution au centre du systme
juridique
1. La marche de la Constitution vers le droit
infra-constitutionnel
2. Constitutionnalisation du droit et ses mcanismes dopration
dans la
pratique
IV. Quelques aspects de la constitutionnalisation du droit
1. Droit civil
1 Professeur titulaire de droit constitutionnel de la Facult de
Droit de lUniversit de ltat de Rio de Janeiro (UERJ). Matre en
droit (LL.M) Yale Law School, tats-Unis et docteur en droit
constitutionnel (UERJ).2 Cet article a t crit en grande partie
durant mon sjour lUniversit de San Francisco (USFCA). Je remercie
Jack Garvey pour son invitation et pour son soutien qui a contribu
rendre plus facile la vie durant mon sjour.
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2. Droit administratif
V. Constitutionnalisation et judicialisation des relations
sociales
Conclusion
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INTRODUCTION
Laction, a suffit. Nous voulons des promesses.
Anonyme
Cest ce que scandait un graffiti frais peint sur le mur dune
ville situe
au coeur du monde occidental. Linversion spirituelle de la
logique naturelle de cette
phrase permet de comprendre un des stigmates de cette gnration :
la vlocit de
transformation, la profusion dides, la multiplication des
nouveauts. Nous vivons
dans la perplexit et langoisse dune vie toujours plus acclre. Le
temps nest pas
propice la doctrine, mais plutt des messages de consommation
rapide. Cest le
temps des jingles et non des symphonies. Le droit vit une grave
crise existentielle. Il n
est plus en mesure de fournir les deux produits qui ont
construit sa rputation au cours
des sicles. De fait, linjustice circule dans les rues dun pas
ferme3, et linscurit est
une des caractristiques de notre poque4.
Dans la consternation de cette heure, submerg par les vnements,
l
interprte ne bnficie pas dune certaine distanciation critique en
regard du
phnomne quil doit analyser. Bien au contraire, il se doit de
travailler au milieu de la
fume et du brouillard. Peut tre, sagit-il l dune explication
valable lutilisation
rpte des prfixes post et no : post-modernisme, post-positivisme,
nolibralisme et
noconstitutionnalisme. Nous savons quil sagit de ce qui vient
aprs, et qui a la
prtention dtre nouveau. Mais malgr cela, nous ne savons pas
encore bien de quoi il
sagit. Tout est encore incertain. Ce peut tre un progrs. Ce peut
tre un retour sur le
pass. Ce peut tre tout simplement un mouvement circulaire, un de
ces changements
brusques de direction de 360 degrs.
Larticle qui suit tudie dune manire positive et constructive les
causes
et les effets des transformations qui sont survenues dans le
domaine du droit
constitutionnel contemporain. Ce texte cherche offrir un peu de
rconfort et despoir. 3 Bertold Brecht, Elogio da dialectica. In:
Antologia potica, 1977. 4 John Kenneth Galbraith, A era da
incerteza, 1984.
3
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Quelquun pourrait dire quil sagit dun texte dauto-assistance.
Cela ne sert rien :
personne ne rchappe son propre temps.
Une dernire remarque introductive: en dpit des diverses
rfrences faites au Brsil, qui constitue le poste dobservation de
lauteur, ce texte
cherche offrir une vision gnrale du thme, dans une perspective
romano-
germanique.
Premire partie
NOCONSTITUTIONNALISME ET TRANSFORMATION DU DROIT
CONSTITUTIONNEL CONTEMPORAIN
Dans les trois chapitres qui suivent, nous nous sommes efforcs
de
reconstruire de manire objective la trajectoire parcourue par le
droit constitutionnel
durant ces dernires dcennies en Europe et au Brsil, en prenant
en compte trois
rfrences fondamentales: lhistoire, la thorie et la philosophie.
Dans ses rfrences
se retrouvent les ides et les changements de paradigmes qui ont
mobilis la doctrine
et la jurisprudence durant cette priode et qui ont donn lieu une
nouvelle perception
de la Constitution et de son rle dans linterprtation juridique
en gnral.
I. Rfrence historique
La rfrence historique du nouveau droit constitutionnel en
Europe
continentale a t le constitutionnalisme daprs-guerre,
particulirement en
Allemagne et en Italie. Au Brsil, ce fut la Constitution de 1988
et le processus de
dmocratisation quelle a permis de dclencher. Nous ferons donc
maintenant un bref
expos sur chacun de ces processus.
La reconstitutionnalisation de lEurope, immdiatement aprs la
Seconde
Guerre mondiale et tout au long de la deuxime partie du XXe
sicle, a redfini la
place de la Constitution et linfluence du droit constitutionnel
sur les institutions
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contemporaines. Lapproximation des ides de constitutionnalisme
et de dmocratie a
produit une nouvelle forme dorganisation politique qui rpond aux
noms suivants :
tat dmocratique de droit, tat constitutionnel de droit, tat
constitutionnel
dmocratique. Ce serait une perte de temps et dnergie que de
tenter de spculer sur
les subtilits smantiques en la matire.
La principale rfrence dans le dveloppement du nouveau droit
constitutionnel est la Loi fondamentale de Bonn (Constitution
allemande5), de 1949, et
plus particulirement, la cration du Tribunal Fdral, institu en
1951. Ce fut le dbut
dune production fconde de thorie et de jurisprudence responsable
de lascension
scientifique du droit constitutionnel dans les pays de
traditions romano-germanique.
La seconde grande rfrence est la Constitution dItalie, de 1947
et linstallation
subsquente de la Cour Constitutionnelle en 1956. Au cours des
annes 70, la
redmocratisation et la reconstitutionnalisation du Portugal
(1976) et de lEspagne
(1978) ajoutrent de la valeur et du volume au dbat sur le
nouveau droit
constitutionnel.
Dans le cas du Brsil, la renaissance du droit constitutionnel
sest
galement effectue dans une ambiance de reconstitutionnalisation
du pays l
occasion des discussions prliminaires, de la convocation, de
llaboration et de la
promulgation de la Constitution de 1988. Sans se proccuper des
vicissitudes plus ou
moins graves existantes dans son texte, ni de la manire
compulsive avec laquelle elle
a fait lobjet damendements, la Constitution a t capable dassurer
avec succs le
passage de ltat brsilien dun rgime autoritaire, intolrant et
parfois violent un tat
dmocratique de droit. Plus que cela, la Constitution de 1988 a
rendu possible l
existence de la plus longue priode de stabilit institutionnelle
de lhistoire
rpublicaine du pays.
5 La constitution allemande promulgue en 1949 sappelait
initialement la Loi Fondamentale, dnomination qui soulignait son
caractre provisoire conu pour une phase de transition. La
Constitution dfinitive ne devait tre ratifie quune fois que le pays
ait eu rcupr son unit. Le 31 aot 1990 fut sign le Trait
dUnification qui rglementait ladhsion de la Rpublique Dmocratique
dAllemagne (RDA) la Rpublique Fdrale dAllemagne (RFA). Aprs
lunification, une nouvelle constitution ne fut pas promulgue.
Depuis le 3 octobre 1990, la Loi Fondamentale est en vigueur dans
toute lAllemagne.
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II. Rfrence philosophique
La rfrence philosophique du nouveau droit constitutionnel est
le
post-positivisme. Le dbat autour de sa caractrisation se situe
au confluent des deux
grands courants de pense qui offrent au Droit des modles
contraires : le
jusnaturalisme et le positivisme. Opposs, mais parfois
singulirement
complmentaires. Dans le cadre actuel, ces deux modles purs ont t
dpasss ou
peut-tre, sublims par un regroupement diffus et large dides,
connu sous le nom de
post-positivisme6.
Le jusnaturalisme moderne dvelopp partir du XVIe sicle a
rapproch la loi de la raison et sest transform en philosophie
naturelle du Droit.
Fond sur la croyance en des principes de justice universellement
valides, ce fut le
combustible des rvolutions librales et il connut son apoge lors
de lapparition des
constitutions crites et des codifications. Considr comme
mtaphysique et anti-
scientifique, le droit naturel a t cart de lhistoire au profit
du positivisme juridique,
la fin du XIX sicle. la recherche dobjectivit scientifique, le
positivisme a mis
sur un mme pied le Droit et la loi, a cart le Droit de la
philosophie et des
discussions sur la lgitimit et la justice et a domin la pense
juridique durant la
premire partie du XXe sicle. Sa chute est associe de manire
emblmatique la
droute du fascisme en Italie et du nazisme en Allemagne, rgimes
qui promouvaient
la barbarie sous la protection de la lgalit. la fin de la
Seconde Guerre mondiale, l
thique et les valeurs se sont de nouveau rapproches du
Droit.
Le dpassement historique du jusnaturalisme et lchec politique
du
positivisme ont ouvert le chemin un vaste ensemble de rflexions
encore inacheves
6 Les auteurs pionniers sur cette question sont : John Rawls, A
theory of justice, 1980 ; Ronald Dworkin, Takin rights seriously,
1977; Robert Alexy, Teoria de los derechos fundamentales, 1993. V.
Albert Calsamiglia, Postpositivismo, Doxa 21:209, 1998, p. 209:
Dans un certain sens la thorie juridique actuelle peut se dnommer,
Post-positivisme prcisment parce que beaucoup des enseignements du
positivisme ont t accepts et nous sommes tous aujourdhui dune
certaine manire positivistes. (...) Se dnomment post-positivistes
les thories contemporaines qui mettent laccent sur les problmes
dimprcision du droit et des relations entre le droit, la morale et
la politique.
6
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au sujet du Droit, de sa fonction sociale et de son
interprtation. Le post-positivisme
cherche aller au-del de la lgalit stricte, mais ne mprise pas le
droit positif; il s
efforce dentreprendre une lecture morale du Droit, sans
toutefois recourir des
concepts mtaphysiques. Linterprtation et lapplication de lordre
juridique doivent
tre inspires par une thorie de justice, mais ne peuvent tolrer
de volontarisme ou de
personnalisme, surtout provenant du Judiciaire. Dans lensemble
dides riches et
htrognes qui sabritent sous ce modle encore en construction, se
retrouvent: l
attribution de normativit aux principes et la dfinition de ses
relations avec les
valeurs et les rgles; la rhabilitation de la raison pratique et
de largumentation
juridique; la formation dune nouvelle hermneutique
constitutionnelle et le
dveloppement dune thorie des droits fondamentaux difie sur les
fondements de la
dignit humaine. Ce contexte occasionne une rapproximation entre
le Droit et la
philosophie, quil a t convenu dappeler le tournant kantien
(kantische Wende).
III. Rfrence thorique
Sur le plan thorique, trois grandes transformations ont
boulevers la
connaissance conventionnelle relative lapplication de droit
constitutionnel: a) la
reconnaissance de la force normative de la Constitution ; b)
lexpansion de la
juridiction constitutionnelle ; c) le dveloppement dune nouvelle
dogmatique de l
interprtation constitutionnelle. Ci-dessous suit, lanalyse
succincte de chacune d
elles.
1. La force normative de la Constitution
Un des grands changements de paradigme ayant eu lieu au cours du
XXe
sicle fut, lattribution la norme constitutionnelle du statut de
norme juridique. Elle a
ainsi russi vaincre le modle alors en vigueur en Europe jusqu la
moiti du sicle
prcdent au terme duquel, la Constitution tait vue comme un
document
essentiellement politique, une invitation agir pour les Pouvoirs
Publics. La
concrtisation de ses propositions tait invariablement soumise la
volont du
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lgislateur ou la discrtion de ladministrateur public. Aucun rle
important ntait
reconnu au Judiciaire quant la ralisation du contenu de la
Constitution.
Avec la reconstitutionnalisation qui survnt aprs la Seconde
Guerre
mondiale, la situation commena changer. Tout dabord en
Allemagne7 puis, avec un
peu de retard, en Italie8. Et bien plus tard, au Portugal9 et en
Espagne10. Actuellement,
la prmisse ltude de la Constitution est la reconnaissance de sa
force normative et
du caractre obligatoire et astreignant de ses dispositions. Nous
pouvons dire que les
normes constitutionnelles sont impratives comme nimporte quelle
autre norme
juridique, et son inobservance dclenchera les mcanismes
appropris dexcution afin
den forcer lapplication. ce propos, il y a lieu de noter que les
dveloppements
doctrinaux et jurisprudentiels en la matire nont pas limin les
tensions qui existent
invitablement entre, dun cot, les prtentions de normativit du
lgislateur
constituant, et, de lautre, les circonstances de la ralit
factuelle et les rsistances
ventuelles lies au statu quo.
2. Lexpansion de la juridiction constitutionnelle
Avant 1945, le modle en vigueur dans la majorit des pays
europens
tait celui de la suprmatie du Pouvoir Lgislatif conformment la
doctrine anglaise
de souverainet du Parlement et la conception franaise de la loi
comme expression
de la volont gnrale. Toutefois, partir de la fin des annes 40,
la vague
constitutionnelle a vu apparatre, non seulement de nouvelles
constitutions, mais aussi
un nouveau modle inspir cette fois de lexprience amricaine:
celui de la
suprmatie de la Constitution. Ce modle impliquait la
constitutionnalisation des droits
7 Le travail initial en cette matire est celui de Konrad Hesse,
La fuerza normativa de la Constitucin. In: Escritos de derecho
constitucional, 1983. Le texte est lorigine en allemand, et
correspond son cours inaugural donn de la Chaire de lUniversit de
Fribourg, en 1959.8 V. Ricardo Guastini, La constitucionalizacin
del ordenamiento jurdico. In: Miguel Carbonnel,
Neoconstitucionalismo(s), 2003.9 V. J.J.Gomes Canotilho e Vital
Moreira, Fundamentos da Constituio, 1991, p. 43 et ss.10 Sur la
question, dun point de vue gnral, et sur le cas spcifique espagnol,
voir, respectivement, deux prcieux crits dEduardo Garca de Enterra:
La Constitucin como norma y el Tribunal Constitucional, 1991; et La
constitucin espaola de 1978 como pacto social y como norma jurdica,
2003.
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fondamentaux qui taient protgs face au processus politique
majoritaire: cette
protection tait exerce par le Judiciaire. De nombreux pays de
lEurope ont par la
suite adopt leur propre modle de contrle de la constitutionnalit
des normes,
associ la cration de tribunaux constitutionnels.
Comme nous lavons dj mentionn, cest de cette manire que se
sont
drouls les vnements, initialement en Allemagne (1951) puis en
Italie (1956).
partir de ce moment, le modle des tribunaux constitutionnels
sest propag dans toute
lEurope continentale. La tendance sest poursuivie avec Chypre
(1960) et la Turquie
(1961). Dans le flux des dmocratisations des annes 70, des
tribunaux
constitutionnels ont t institus en Grce (1975), en Espagne
(1978), au Portugal
(1982) et galement en Belgique (1984). Dans les dernires annes
du XXe des
tribunaux constitutionnels ont t cres en Europe de lEst telle
quen Pologne (1986),
en Hongrie (1990), en Russie (1991), en Rpublique Tchque (1992),
en Roumanie
(1992), en Rpublique de Slovaquie (1992) et de Slovnie (1993).
Hormis le
Royaume-Uni, il ne reste en Europe que la Hollande et le
Luxembourg qui conservent
comme modle celui de la suprmatie parlementaire, sans aucune
modalit de judicial
review. Le cas franais sera examin sparment. Au Brsil, ce nest
qu partir de la
Constituition de 1988 que la juridiction constitutionnelle a
rellment pris de lampleur.
3. La nouvelle interprtation constitutionnelle11
Linterprtation constitutionnelle est une modalit
dinterprtation
juridique. Ceci est une consquence naturelle de la force
normative de la Constitution,
cest dire de la reconnaissance du fait que les normes
constitutionnelles sont des
normes qui partagent les attributs des normes juridiques en
gnral. Parce quil en est
ainsi, les lments traditionnels dinterprtation du Droit qui se
dfinissent depuis
longtemps comme tant, linterprtation grammaticale, historique,
systmatique ou
tlologique, sappliquent aussi linterprtation constitutionnelle.
Bien que nous
reviendrons ultrieurement sur la question, il y a lieu de noter
immdiatement que les
11 V. Lus Roberto Barroso (org.), A nova interpretao
constitucional, 2006.
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critres traditionnels de solutions des conflits ventuels entre
les normes sont les
critres hirarchiques (la loi suprieure prvaut sur la loi
infrieure), temporel (la loi
postrieure prvaut sur la loi antrieure) et de spcialit (la loi
spciale prvaut sur la
loi gnrale).
Linterprtation juridique traditionnelle sest dveloppe sur la
base de
deux grandes prmisses: (i) quant au rle de la norme, il incombe
cette dernire d
offrir, dans son expos abstrait, une solution aux problmes
juridiques; (ii) quant au
rle du juge, il incombe ce dernier didentifier dans lordre
juridique, la norme
applicable au problme qui doit tre rsolu et de dcouvrir la
solution que renferme
ladite norme. Ce qui veut dire que la rponse aux problmes est
entirement dans le
systme juridique et linterprte accomplit une fonction technique
de connaissance, d
laboration des jugements factuels. Dans le modle conventionnel,
les normes sont
perues comme des rgles, noncs descriptifs de conduites tre
suivies, applicables
par insertion dans le cadre normatif12.
Avec les avancs du droit constitutionnel, les prmisses
idologiques sur
lesquelles taient riges le systme dinterprtation traditionnel
ntaient plus
totalement satisfaisantes. Ainsi, (i) quant au rle de la norme,
il sest avr que la
solution aux problmes juridiques ne se trouvait pas toujours
dans lexpos abstrait du
texte normatif. Bien souvent, il nest possible darriver une
rponse
constitutionnellement adquate qu la lumire du problme et des
fais pertinents
analyss point par point; (ii) quant au rle du juge, en ralit, il
ne lui revient pas
uniquement de remplir une simple fonction technique de
connaissance du droit visant
dcouvrir la solution contenue dans la norme. Dans les faits,
linterprte participe la
cration du Droit et complte le travail du lgislateur, en faisant
une analyse du sens
pour les clauses dites ouvertes et en ralisant des choix entre
les solutions possibles.
12 Une fois la norme applicable identifie, on procde un
encadrement du fait dans lexpos de la rgle juridique, et prononce
la conclusion. Il sagit donc dun raisonnement de nature
syllogistique, dans lequel la norme est la prmisse la plus grande,
le fait est la prmisse la plus petite et la conclusion est le
jugement.
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Les transformations susmentionnes tant au sujet de la norme,
quau
niveau de linterprte, sont illustres de manire loquente par les
divers concepts
utiliss dans le cadre de la nouvelle interprtation. Il sagit
entre autres des clauses
gnrales, des principes, des collisions entre des normes
constitutionnelles, de la
pondration et de largumentation. Nous ferons ci-dessous un bref
commentaire sur
chacun deux.
Les dnommes clauses gnrales ou concepts juridiques
indtermins
contiennent des termes ou expressions de construction ouverte et
mallable, qui
fournissent linterprte un dbut de signification devant tre
complt par ce dernier,
en prenant en considration les circonstances du cas concret. La
norme abstraite ne
contient pas en elle lintgralit des lments de son application.
Linterprte,
confront des locutions telles quordre public, intrt social ou
bonne foi, devra
procder une analyse objective et subjective de la ralit
factuelle de faon dfinir
la porte et le sens de la norme. Comme la solution ne se
retrouve pas intgralement
dans lnonc de la norme, la fonction de linterprte ne peut se
limiter dcouvrir son
contenu; il devra aller au-del en intgrant le contenu normatif
sa propre valuation13.
La reconnaissance de la normativit des principes et sa
distinction
qualitative en regard des rgles est un des symboles du
post-positivisme (v. supra).
Les principes ne sont pas comme les rgles des commandements
immdiats descriptifs
de conduites spcifiques, mais plutt des normes qui consacrent
des valeurs
dtermines ou indiquent des fins publiques tre raliss par
diffrents moyens. La
dfinition du contenu de clauses telles que la dignit de la
personne humaine, le
caractre raisonnable, la solidarit et lefficacit transfert
galement sur les paules de
linterprte beaucoup de discrtion. Il est clairement perceptible
quil est impossible d
extraire de lexpos abstrait dune norme dont la densit juridique
est moindre, une
solution complte aux questions auxquelles elles sappliquent. Par
consquent ici
13 Les clauses gnrales ne sont pas une nouvelle catgorie dans le
Droit - elles intgrent depuis longtemps dans la technique
lgislative elles ne sont pas non plus propres au droit
constitutionnel elles se retrouvent dans des matires telles que le
droit civil, le droit administratif ou dans dautres domaines. Ces
clauses sont malgr tout un bon exemple de la participation de
linterprte dans le processus de cration du Droit.
11
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aussi, le rle de linterprte simpose afin dobtenir une dfinition
concrte du sens et
de la porte de la clause.
Lexistence de collisions des normes constitutionnelles, tant
celles
exposant des principes que celles traitant des droits
fondamentaux14, est maintenant
perue comme un phnomne naturel parce quinvitable dans le
constitutionnalisme contemporain. Les Constitutions modernes
sont des documents
dialectiques qui consacrent des biens juridiques qui sopposent.
Il existe, par exemple,
des chocs potentiels entre la promotion du dveloppement
conomique et la protection
de lenvironnement, ou entre la libre initiative et la protection
du consommateur. Sur
le plan des droits fondamentaux, la libert de religion dun
individu peut entrer en
conflit avec celle dun autre. Le droit la vie prive et le droit
la libert dexpression
connaissent des tensions continues. De mme, la libert de runion
de certains peut
interfrer avec le droit dun autre daller et venir. Lorsque deux
normes dun mme
niveau hirarchique entrent en collision dune manire abstraite,
il est intuitif de dire
que la solution du problme ne pourra tre trouve dans le texte.
Dans ces cas, l
interprte devra crer le droit applicable au cas concret.
Lexistence de collisions des normes constitutionnelles amne
la
ncessit deffectuer une pondration15. Linsertion dans le cadre
normatif nest
videmment pas la solution au problme, puisquil est impossible
dencadrer le mme
fait dans deux normes antagoniques. De mme, les critres
traditionnels de solution
des conflits normatifs tels que le critre hirarchique,
chronologique ou de spcificit
ne sont daucune utilit lorsque la collision a lieu entre deux
dispositions de la
Constitution originaire. Dans ce scnario, la pondration des
normes, biens ou valeurs
(v. infra) est la technique que doit utiliser linterprte et
travers laquelle, il (i) fera
des concessions rciproques, en prservant au maximum chacun des
intrts en litige,
ou, la limite, (ii) procdera au choix du droit qui devra
prvaloir concrtement pour
14 Il est noter que certains droits fondamentaux se retrouvent
sous la forme de principes (libert, galit) et dautres sous la forme
de rgles (non rtroactivit de la loi pnale, antriorit en matire
fiscale). De plus, il existe des principes qui ne sont pas des
droits fondamentaux (libre initiative).15 V. Ronald Dworkin, Taking
rights seriously, 1997; Robert Alexy: Teoria de los derechos
fundamentales, 1997.
12
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tre celui qui ralise de la manire la plus adquate la volont
constitutionnelle. Le
concept cl en la matire est le principe instrumental du caractre
raisonnable.
Nous arrivons finalement largumentation16, la raison pratique,
au
contrle de la rationalit des dcisions par le biais de la
pondration dans les cas
difficiles, cest dire, ceux qui comportent plus dune solution
possible et raisonnable.
Les dcisions qui impliquent une activit cratrice du juge
potentialisent son devoir de
bien fonder sa dcision puisque son activit nest pas entirement
lgitime par la
logique de la sparation des Pouvoirs. Dans ce cas, le juge se
limite appliquer au cas
concret, la dcision abstraite prise par le lgislateur. Pour
garantir la lgitimit et la
rationalit de son interprtation dans ses situations, linterprte
devra entre autres
considrer: (i) de toujours conduire son interprtation vers un
systme juridique, une
norme constitutionnelle ou lgale qui lui sert de fondement la
lgitimit dune
dcision judiciaire dcoule de son rattachement une dlibration
majoritaire soit du
lgislateur constituant soit du lgislateur ordinaire; (ii)
dutiliser une argumentation
juridique qui soit gnralise aux cas qui seraient comparables,
qui puisse avoir une
prtention duniversalit: les dcisions ne doivent pas suivre
aveuglment les
prcdents judiciaires; (iii) de prendre en considration les
consquences pratiques que
sa dcision produira dans les faits17.
En conclusion, le noconstitutionnalisme ou le nouveau droit
constitutionnel, tel quici entendu et dfini, identifie un vaste
ensemble de
transformations qui ont eu lieu au sein de ltat et du droit
constitutionnel, parmi
lesquelles nous pouvons signaler, (i) comme rfrence historique,
la formation de l
tat constitutionnel de droit dont la consolidation sest opre
tout au long des
dernires dcennies du XXe sicle; (ii) comme rfrence
philosophique, le post-
positivisme et les droits fondamentaux placs au centre du
systme, ainsi que la
16 Sur le thme, voir Chaim Perelman e Lucie Olbrechts-Tyteca,
Tratado da argumentao: A nova retrica, 1996 (1a. dition de
loriginal Trait de largumentation: La nouvelle rhtorique, 1958);
Robert Alexy, Teoria de la argumentacin jurdica, 1989 (1a. dition
de loriginal Theorie der juristischen Argumentation, 1978); Manuel
Atienza, As razes do direito. Teorias da argumentao jurdica,
2002.17 Sur le sujet, v., Ana Paula de Barcellos, Ponderao,
racionalidade e atividade judicial, 2005. V. aussi, Neil
Maccormick, Legal reasoning and legal theory, 1978.
13
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rapproximation du Droit et de lthique; et (iii) comme rfrence
thorique, l
ensemble des changements incluant: la force normative de la
Constitution, l
expansion de la juridiction constitutionnelle et le dveloppement
dun nouveau dogme
dinterprtation constitutionnel. De lensemble de ces phnomnes
rsulta un
processus extensif et profond de constitutionnalisation du
Droit.
Deuxime partie
LA CONSTITUTIONNALISATION DU DROIT
I. Gnralits
Lide de constitutionnalisation qui nous intresse ici est associe
un
effet expansif des normes constitutionnelles, dont le contenu
matriel et axiologique se
rpand, avec force normative, travers tout le systme juridique18.
Les valeurs, les fins
publiques ainsi que les comportements considrs dans les
principes et dans les rgles
de la Constitution en viennent conditionner la validit et le
sens de toutes les normes
du droit infra-constitutionnel. Intuitivement, la Constitution
se rpercute sur laction
des trois Pouvoirs, incluant notamment, dans ses relations avec
les individus. Encore
plus original: elle se rpercute dans les relations entre les
particuliers. Voyons
comment ce processus, joint dautres notions traditionnelles,
interfre avec les
sphres de Pouvoirs ci-dessus mentionnes.
Relativement au Pouvoir Lgislatif, la constitutionnalisation (i)
limite sa
discrtion ou sa libert dans llaboration des lois en gnral et
(ii) lui impose un
certain nombre de devoirs daction en vue de la ralisation des
droits et des
programmes constitutionnels. En ce qui concerne lAdministration
publique, en plus
de, (i) limiter sa discrtion, (ii) elle lui impose des devoirs
de conduite et encore, (iii)
lui fournit un fondement de validit pour la pratique dactes
dapplication directe et 18 Quelques auteurs utilisent les termes
imprgner et imprgnation, qui toutefois en portugais peuvent avoir
une connotation dprciative. V. Louis Favoreu qui a grandement
divulgu le droit constitutionnel en France, dcd en 2004 La
constitutionnalisation du droit. In: Bertrand Mathieu et Michel
Verpeaux, La constitutionnalisation des branches du droit, 1998, p.
191; Et galement, Ricardo Guastini, La constitucionalizacin del
ordenamiento jurdico: El caso italiano. In: Miguel Carbonnel,
Neoconstitucionalismo(s), 2003, p. 49.
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immdiate de la Constitution, indpendamment de lintervention du
lgislateur
ordinaire. Relativement au Pouvoir Judiciaire, elle sert de
paramtre au contrle de
constitutionnalit qui doit tre exerc par ce dernier (par
incident et par action directe),
de mme quelle, (ii) conditionne linterprtation de toutes les
normes du systme.
Finalement, pour les particuliers, elle tablit des limites
lautonomie de la volont
dans des domaines comme la libert contractuelle ou lusage de la
proprit prive, en
les subordonnant des valeurs constitutionnelles et au respect
des droits
fondamentaux.
II. Origine et volution du phnomne
Ltude qui a t entreprise jusquici relate lvolution du droit
constitutionnel en Europe et au Brsil durant ces dernires
dcennies. Ce processus,
qui emprunte le chemin des rfrences historiques, philosophiques
et thoriques ci-
dessus exposes, conduit au moment prsent, dont le trait
distinctif est la
constitutionnalisation du Droit. Le rapprochement entre le
constitutionnalisme et la
dmocratie, la force normative de la Constitution, et la
diffusion de la juridiction
constitutionnelle sont les formalits qui ont d tre accomplies
pour conduire au
modle actuel19. Le lecteur attentif se sera dj rendu compte que
la squence
historique parcourut, de mme que les rfrences doctrinales
signales, ne sont pas
valables pour trois expriences constitutionnelles marquantes
soit, celle du Royaume-
Uni, des tats-Unis et de la France. Le cas franais sera analys
un peu plus loin. Nous
ferons un bref commentaire sur les deux premiers.
Dans le cas du Royaume-Uni, les concepts ne sappliquent pas.
Bien qu
il sagisse de ltat prcurseur du modle libral, avec limitation du
pouvoir absolu et
laffirmation de la rule of law, il lui manque une Constitution
crite et rigide, ce qui est 19 Quelques auteurs cherchent tablir
une liste de conditions pour la constitutionnalisation du Droit.
Cest le cas de Ricardo Guastini, La constitucionalizacin del
ordenamiento jurdico: El caso italiano. In: Miguel Carbonnel,
Neoconstitucionalismo(s), 2003, p. 50 et ss., qui inclut entre
autres, (i) une Constitution rigide; (ii) la garantie
juridictionnelle de la Constitution; (iii) la force obligatoire de
la Constitution; (iv) la surinterprtation de la Constitution (son
interprtation extensive, et la reconnaissance de normes
implicites); (v) lapplication directe des normes constitutionelles;
(vi) linterprtation des lois conforme la Constitution; (vii)
linfluence de la Constitution sur les relations politiques.
15
-
un des prrequis, comme le nom le suggre, de la
constitutionnalisation du droit. On
pourrait certainement argumenter quil existe entre les
britanniques une Constitution
historique et quelle est par ailleurs, plus rigide que la
plupart de Lois Fondamentales
crites ailleurs dans le monde. Ou encore, reconnatre que le
Parlement anglais a
adopt en 1998, le Human Rights Act, incorporant ainsi au droit
interne la
Convention Europenne des Droits de lHomme20. Mais, mme si nous
acceptions ses
arguments, il est impossible den surmonter un autre:
linexistence du contrle de
constitutionnalit et plus proprement parler, dune juridiction
constitutionnelle dans
le systme anglais21. Le modle en vigueur au Royaume-Unis, est
celui de la
suprmatie du Parlement et non de la Constitution.
Dans le cas des tats-Unis, la situation est diamtralement
oppose.
Berceau du constitutionnalisme crit et du contrle de la
constitutionnalit, la
Constitution amricaine la mme depuis 1787 a depuis ses dbuts le
caractre de
document juridique passible dapplication directe et immdiate par
le Judiciaire. De
fait, la normativit trs ample et la judicialisation des
questions constitutionnelles ont
pour base doctrinale The Federalist, de mme que des prcdents
judiciaires tablis
par la Cour Suprme depuis 1803, par le jugement Marbury v.
Madison. Pour ce motif,
linterprtation de tout le droit la lumire de la Constitution est
une caractristique
historique de lexprience amricaine et non une singularit
contemporaine22. Le grand
dbat doctrinal aux tats-Unis est propos de la lgitimit et des
limites daction du
20 La nouvelle loi nest entre en vigueur quen 2000.21 A ce
propos, nous devons mentionner un dveloppement assez surprenant:
lapprobation du Constitutional reform Act, de 2005 qui prvoit la
cration dune Cour Suprme (In:
www.opsi.gov.uk/acts/acts2005/20050004.htm visit le 8 aot 2005).
Nous soulignons la curiosit de cette rforme qui modifie la
Constitution alors quil nexiste pas de Constitution crite. 22 Voir
ce sujet, titre dexemple, la jurisprudence en matire de droit de la
procdure pnale, et la soumission de la common law des tats aux
principes constitutionnels. Dans Mapp v. Ohio, 367 U.S. 643, 1961,
La Cour a considr la perquisition et la saisie illgale puisquexcute
sans mandat, alors quil est exig par le 4e. Amendement. Dans Gideon
v. Wainwright, 372 U.S. 335, 1963, La Cour a compris que le 6e.
Amendement garantissait chaque accus dun procs criminel, le droit
un avocat. Dans Miranda v. Arizona, 384 U.S. 436, 1966, La Cour
impose lautorit policire lorsquelle aborde un suspect quelle lui
communique a) quil a le droit de demeurer silencieux; b) que tout
ce quil dira pourra et sera utilis contre lui; c) quil a le droit
de sentretenir avec un avocat avant de faire sa dposition et que
lavocat a le droit dassister linterrogatoire; d) que dans lhypothse
o il nest pas en mesure de payer un avocat, il pourra lui en tre
commit un doffice. V. Kermit L. Hall, The Oxford guide to United
States Supreme Court decisions, 1999; Paul C. Bartholomew et Joseph
F. Menez, Summaries of leading cases on the Constitution, 1980;
Duane Lockard et Walter F. Murphy, Basic cases in constitutional
law, 1992.
16
-
Judiciaire dans lapplication des valeurs substantives et dans la
reconnaissance des
droits fondamentaux qui ne se retrouvent pas expressment dans la
Constitution (v.
infra).
Il existe un consensus pour situer la rfrence initiale du
processus de
constitutionnalisation du Droit en Allemagne. L, sous le rgime
de la Loi
Fondamentale de 1949, le Tribunal Constitutionnel Fdral a
consacr les
dveloppements doctrinaux dj tablis depuis longtemps, et a dcid
que les droits
fondamentaux, hormis leur dimension subjective de protection des
situations
individuelles, exeraient une autre fonction: celle dinstituer un
ordre objectif de
valeurs23. Le systme juridique doit protger des droits et des
valeurs dtermins, non
seulement pour le bnfice dune ou de plusieurs personnes, mais
dans lintrt
gnral de la socit. De telles normes constitutionnelles
conditionnent linterprtation
de toutes les branches du Droit, public ou priv, et obligent les
Pouvoirs tatiques. Le
premier grand prcdent en la matire a t laffaire Lth24, juge le
15 janvier 195825.
23 Sur la question de la dimension objective des droits
fondamentaux dans la littrature en langue portugaise, v. Jos Carlos
Vieira de Andrade, Os direitos fundamentais na Constituio
portuguesa de 1976, 2001, p. 149, Gilmar Ferreira Mendes, Direitos
fundamentais e controle de constitucionalidade, 1998, p. 214, et
Daniel Sarmento, Direitos fundamentais e relaes privadas, 2004, p.
371.24 Les faits taient les suivants. Erich Lth, prsident du Club
de Presse de Hamburg, incita au boycottage dun film dirig par Veit
Harlan, cinaste, qui avait t li au rgime nazi par le pass. Les
maisons de production et de distribution du film obtinrent, devant
les juridictions ordinaires, une dcision dterminant la cessation
dune telle conduite, parce quen violation avec larticle 826 du Code
Civil (BGB) (Quiconque porte atteinte aux bonnes coutumes et cause
un prjudice autrui est oblig de rparer les dommages causs). Le
Tribunal Constitutionnel Federal a renvers la dcision, au nom du
droit fondamental la libert dexpression, qui doit orienter
linterprtation du Code Civil.25 BverfGE 7, 198. Traduction libre de
la version de la dcision publie dans Jrgen Schwabe, Cincuenta aos
de jurisprudencia del Tribunal Constitucional Federal alemn, 2003,
p. 132-37: les droits fondamentaux sont avant tout des droits de
dfense du citoyen contre ltat; sans prjudice ce qui prcde, dans les
dispositions des droits fondamentaux de la Loi Fondamentale,
sintgre galement un ordre objectif de valeurs, qui titre de dcision
constitutionnelle fondamentale, est valide pour toutes les sphres
de droit. (...) Ce systme de valeurs dont on retrouve le point
central au sein de la communaut sociale, dans le libre dveloppement
de la personne et dans la dignit humaine... offre une direction et
une impulsion au lgislatif, ladministration et au judiciaire, et se
projte aussi dans le droit civil. Aucune disposition du droit civil
ne peut tre en contradiction avec ce systme de valeurs, et elles
doivent toutes tre interprtes en accord avec son esprit. (...)
Lexpression dune opinion, qui appelle au boycotte, ne viole pas
ncessairement les bonnes coutumes, au sens de larticle 826 du Code
Civil. Cette opinion peut se justifier constitutionnellement par la
libert dopinion, pondre par toutes les circonstances du cas.
17
-
partir de ce moment, le Tribunal Constitutionnel allemand a
favoris
une vritable rvolution dides26, particulirement en droit civil,
en se fondant sur la
liste des droits fondamentaux de la Constitution allemande. De
fait, au long des annes
subsquentes, la Cour a invalid des dispositions du Code civil
(BGB), a impos l
interprtation de ses dispositions en accord avec la Constitution
et a dtermin l
laboration de nouvelles lois. Ainsi par exemple, afin de
respecter le principe d
galit entre les hommes et les femmes, des modifications
lgislatives ont t
introduites en matire de rgime matrimonial, de mme que
concernant les droits des
ex-poux aprs le divorce, le pouvoir familial, le nom de famille
et le droit
international priv. De la mme manire, le principe de lgalit
entre les enfants
lgitimes et naturels a provoqu des rformes dans le droit de la
filiation27. Des
dcisions intressantes ont par ailleurs t rendues sur des sujets
tels que lunion
homosexuelle (Homoaffectivit)28, et le droit des contrats29.
En Italie, la Constitution est entre en vigueur le 1er janvier
1948.
Toutefois, le processus de constitutionnalisation du Droit ne
commena que dans les
annes 60 pour se perfectionner dans les annes 70. Il y a lieu de
rappeler que la Cour
Constitutionnelle italienne na t installe quen 1956. Avant cette
date, le contrle de 26 Sabine Corneloup, Table ronde: Le cas de
lAllemagne. In: Michel Verpeaux, Code civil et constitution(s),
2005, p. 85.27 Sabine Corneloup, Table ronde: Le cas de lAllemagne.
In: Michel Verpeaux, code civil et constitution(s), 2005, p. 87-8,
avec lidentification de chacune des lois. La jurisprudence laquelle
nous faisons rfrence dans le texte a t localise partir des rfrences
contenues dans cet article.28 Dans un premier temps, une loi date
du 16 fvrier 2001 a mis fin la discrimination existante en
rglementant les unions homosexuelles, au nom du principe de lgalit.
Dans un second temps, cette loi a fait lobjet dune argumentation en
inconstitutionnalit fonde sur la violation de larticle 6, I de la
Loi Fondamentale, aux termes de laquelle le mariage et la famille
sont mis sous la protection de ltat. Largument dinconstitutionnalit
se fondait sur le fait que la loi lgitimait un autre type
dinstitution du droit de la famille, parallle au mariage
htrosexuel. La Cour na pas accept cet argument et a indiqu que la
nouvelle loi nempchait pas le mariage traditionnel ni ne confrait
lunion homosexuelle aucun privilge en regard des unions
conventionnelles (1 BvF 1/01, du 17 juillet 2002, votes dissidents
des juges Papier et Hass, v. site www.bverfg.de, visit le 4 aot
2005).29 Un contrat de caution fournit par la fille en faveur de
son pre, qui avait pour objet des obligations de garanties bien
suprieure la capacit financire du garant, a t considr nul parce
quimmoral (BverfGE t. 89, p. 214, apud Sabine Corneloup, Table
ronde: Le cas de lAllemagne. In: Michel Verpeaux, Code civil et
constitution(s), 2005, p. 90); un pacte nuptial dans lequel une
femme enceinte a renonc en son nom et en celui de lenfant recevoir
des aliments, a t considr nul tant donn labsence de libert
contractuelle dans les cas de domination dune partie sur lautre (1
BvR 12/92, du 6 fvrier 2001, unanime, v. site www.bverfg.de, visit
le 4 aot 2005); un pacte successoral qui imposait au plus vieux
fils de lempereur Guillaume II le devoir de se marier avec une
femme qui remplissait un certain nombre de conditions a t dclar
nul, car en violation avec le droit la libert de mariage (1 BvR
2248/01, du 22 mars 2004, unanime, v. site www.bverfg.de visit le 4
aot 2005).
18
-
constitutionnalit tait exerc par le biais de la disposition
constitutionnelle transitoire
VII, par la juridiction ordinaire, ce qui ne lui donnait pas
beaucoup de vitalit. Et
mme au contraire, cest cette priode que remonte la distinction
tablie par la Cour
de Cassation entre les normes impratives, caractre obligatoire
et applicable par les
tribunaux, et les normes caractre directif (normes qui
tablissent un programme)
qui sadressent uniquement au lgislateur et qui ne sont pas
applicables directement
par le Judiciaire. Ainsi, durant ses neuf premires annes
dexistence, la Constitution
et les droits fondamentaux quelle abrite neurent aucune
rpercussion sur lapplication
du droit commun30.
Ce nest quaprs linstallation de la Cour Constitutionnelle mais
ds
sa premire dcision que les normes constitutionnelles des droits
fondamentaux ont
commence tre appliqu directement, sans lintermdiaire du
lgislateur. La Cour a
dvelopp un ensemble de techniques pour rendre ses dcisions31,
tant donn la
rsistance profondment ancre des cours ordinaires laquelle elle a
d faire face,
principalement celle de la Cour de Cassation, ce qui a donn lieu
une certaine poque
des dsaccords que lon a dnomms la guerre des courts32. lexemple
de ce qui
se produisit en Allemagne, linfluence de la
constitutionnalisation du Droit et de la
30 Sur le thme, v. Vezio Crisafulli, La Costituzione e le sue
disposizione di principio, 1952; Jos Afonso da Silva,
Aplicabilidade das normas constitucionais, 1968; Ricardo Guastini,
La constitucionalizacin del ordenamiento jurdico: El caso italiano.
In: Miguel Carbonnel, Neoconstitucionalismo(s), 2003; et Therry Di
Manno, Code Civil et Constitution en Italie. In: Michel Verpeaux
(org.), Code Civil et Constitution(s), 2005.31 Hormis les dcisions
dclaratoires en inconstitutionnalit, la Cour utilise diffrentes
techniques, incluant : 1) les dcisions interprtatives, qui
correspondent linterprtation conforme la Constitution, pouvant tre
(a) avec refus de largumentation en inconstitutionnalit, mais avec
laffirmation de linterprtation compatible, ou (b) avec lacceptation
de largumentation en inconstitutionnalit, et la dclaration
dinconstitutionnalit de linterprtation qui tait donne par les
juridictions ordinaires, dans les deux cas, la disposition attaque
demeure en vigueur; 2) les dcisions dnommes manipulatrices ou
normatives, dans lesquelles largumentation en inconstitutionnalit
est accepte et, en sus de la dclaration dinvalidit du dispositif,
la Cour va au-del en prononant une (a) sentence additionnelle, par
laquelle elle tend leffet de la norme des situations qui ntaient
pas prvues dans le cas, lorsquil sagit dune situation pouvant
constituer une violation du principe dgalit; et b) les sentences
substitutives, par lesquelles la Cour dclare non seulement
linconstitutionnalit dune norme donne, mais introduit galement dans
le systme, par le biais dune dclaration de la Cour, une nouvelle
norme. Sur le thme, v. Ricardo Guastini, La constitucionalizacin
del ordenamiento jurdico: El caso italiano. In: Miguel Carbonnel,
Neoconstitucionalismo(s), 2003, p. 63-7.
32 Thierry Di Manno, Table ronde: Le cas de lItalie. In: Michel
Verpeaux, Code civil et constitution(s), 2005, p. 107.
19
-
propre Cour Constitutionnelle sest manifest travers des dcisions
en
inconstitutionnalit, des demandes auprs du lgislateur pour que
ce dernier agisse et
des rinterprtations de normes infra-constitutionnelle dj en
vigueur.
En France, le processus de constitutionnalisation du Droit a
commenc
beaucoup plus tard et est encore en phase daffirmation. Comme
nous savons, la
Constitution de 1958 ne prvoyait pas le contrle de la
constitutionnalit (que ce soit
d'ailleurs dans les modles europen ou amricain) puisquelle a opt
pour une formule
diffrente: celle du contrle a priori, exerc par le Conseil
Constitutionnel dans le cas
de certaines lgislations avant quelles nentrent en vigueur33. la
rigueur, il nexiste
pas techniquement de vritable juridiction constitutionnelle dans
le systme franais.
Nonobstant ce fait, quelques avances significatives et
constantes ont eu lieu depuis,
commencer par la dcision du 16 juillet 197134. Vint par la suite
la Rforme du 29
33 Dans sa conception originale, le Conseil Constitutionnel tait
surtout destin prserver les comptences dun xcutif fort contre les
invasions du Parlement. Ses fonctions principales taient au nombre
de trois: a) le contrle des rglements de chacune des chambres
(Assemble Nationale et Snat), pour empcher quelles ne sinvestissent
de pouvoirs que la Constitution ne leurs attribuaient pas, comme il
sest produit sous la IIIe et la IVe Rpublique; b) remplir le rle de
justice lectorale, pour les lections prsidentielles, parlementaires
et les rfrendums; c) dlimiter le domaine des lois, en sassurant
dune rpartition adquate entre les comptences lgislatives et
rglementaires. Cette dernire fonction sexerait dans trois
situations: celle de larticle 41, relativement linvasion par la loi
parlementaire des comptences propres au gouvernement; celle de
larticle 61, alina 2, qui permettait au premier ministre de
demander le contrle dune loi en regard de son inconstitutionnalit,
aprs son approbation, mais avant sa promulgation; et celui de
larticle 37, alina 2, relativement la possibilit de modifier, par
voie de dcret, des lois qui ont un caractre rglementaire. Suite la
rforme constitutionnelle de 1974, le contrle de constitutionnalit
des lois est devenu lactivit principale du Conseil, rapprochant ses
activits de celle dune cour constitutionnelle. V. Louis Favoreu, La
place du Conseil Constitutionnel dans la Constitution de 1958. In:
www.conseil-constitutionnel.fr, visit le 26 juillet 2005; Franois
Luchaire, Le Conseil Constitutionnel, 3 vs., 1997; John Bell,
French constitutional law, 1992.34 Objectivement, la dcision n
71-44 DC, du 16.07.71 (In: www.conseil-constitutionnel.fr/
decision/1971/7144dc.htm, visit le 26 juillet 2005), a considr que
lexigence dune autorisation pralable, administrative ou judiciaire,
pour la constitution dune association violait la libert
dassociation. Toutefois, limportance de cette dcision se situe au
niveau de la reconnaissance du fait que les droits fondamentaux
prvus dans la Dclaration des Droits de lHomme et du Citoyen, de
1789, et dans le prambule de la Constitution de 1946, se sont
incorpors la Constitution de 1958, par force des rfrences faites
aux documents dans le prambule de la Constitution, et par
consquent, figure comme paramtre pour le contrle de
constitutionnalit des lois. Cette dcision a renforc le prestige du
Conseil Constitutionnel, qui a commenc a jou un rle de protecteur
des droits et liberts fondamentales. De plus, cette dcision a
consacr la valeur positive et constitutionnelle du prambule de la
Constitution et a consolid lide de bloc de constitutionnalit. Cette
expression signifie que la Constitution ne se limite pas aux normes
qui intgrent ou sextraient de son texte, mais inclut dautres textes
normatifs, qui dans le cas taient la Dclaration des Droits de
lHomme et du Citoyen, de 1789, et le Prambule de la Constitution de
1946, ainsi que les principes fondamentaux des lois de la
Rpublique, auxquelles se rfraient ledit prambule. Sur limportance
de cette dcision, v. Lo Hamon, Contrle de constitutionnalit et
protection des droits individuels, Dalloz, 1974, p. 83-90; G.
Haimbowgh, Was it France's Marbury v. Madison?, Ohio State Law
Journal 35:910,
20
-
octobre 1974, largissant la notion de lgitimit des personnes
ayant la qualit pour
saisir le Conseil Constitutionnel35. Petit petit surgit dans le
dbat constitutionnel
franais des sujets tel que limprgnation de lordre juridique par
la Constitution, la
reconnaissance de la force normative aux normes
constitutionnelles et lusage de la
technique dinterprtation conforme la Constitution36. Il y a lieu
de mentionner quun
tel processus de constitutionnalisation du Droit rencontre une
rsistance vigoureuse
dans la doctrine traditionnelle qui voit en lui diverses
menaces, de mme que l
usurpation des pouvoirs du Conseil dtat et de la Cour de
Cassation37.
III. Passage de la Constitution au centre du systme
juridique
1. La marche de la Constitution vers le droit
infra-constitutionnel
Bien que le phnomne de constitutionnalisation du Droit, tel
quici
analys, ne se confonde pas avec la prsence de normes de droit
infra-constitutionnelle
1974; J.E.Beardsley, The Constitutional council and
Constitutional liberties in France, American Journal of Comparative
Law, 1972, p. 431-52. Pour un commentaire dtaill de la dcision, v.
L. Favoreu et L. Philip, Les grandes dcisions du Conseil
Constitutionnel, 2003. Plus spcifiquement, sur le bloc de
constitutionnalit, v. Michel de Villiers, Dictionaire du droit
constitutionnel, 2001; et Olivier Duhamel et Yves Mny, Dictionnaire
constitutionnel, 1992.35 partir de ce moment, le droit de demander
au Conseil Constitutionnel dagir, qui auparavant retombait
seulement sur les paules du Prsident de la Rpublique, du Premier
Ministre, du Prsident de lAssemble Nationale et du Prsident du Snat
sest tendu aussi soixante Dputs ou soixante Snateurs. Le contrle de
constitutionnalit est devenu un important instrument dactions de
lopposition parlementaire. Entre 1959 et 1974, il na t rendu que 9
(neuf) dcisions au sujet de lois ordinaires (par linitiative du
Premier Ministre et du Prsident du Snat) et 20 (vingt) au sujet de
lois organiques (prononc obligatoire). Entre 1974 et 1998, il y a
eu 328 saisines du Conseil Constitutionnel. Les donnes ont t tires
du livre de Louis Favoreu, La place du Conseil Constitutionnel dans
la Constitution de 1958. In: www.conseil-constitutionnel.fr, visit
le 26 juillet 2005.36 V. Louis Favoreu, La constitutionnalisation
du droit. In: Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux, La
constitutionnalisation des branches du droit, 1998, p. 190-2.37
Voir la discussion sur ce sujet dans Guillaume Drago, Bastien
Franois et Nicolas Molfessis (org.), La lgitimit de la
jurisprudence du Conseil Constitutionnel, 1999. Dans le chapitre de
conclusion du livre, qui relate les travaux du colloque de Rennes,
de septembre 1996, Franois Terr, en parlant de ce qui correspondait
aux conclusions du colloque, a formul de vives critiques lascension
de linfluence du Conseil Constitutionnel: Les perptuelles
incantations que suscitent ltat de droit, la soumission de ltat des
juges, sous linfluence conjugue du kelsnisme, de la mauvaise
conscience de lAllemagne Fdrale et de lamricanisme plantaire sont
lassantes. Des contrepoids simposent. Puisque le Conseil
constitutionnel est une juridiction, puisque la rgle du double degr
de juridiction et le droit dappel sont devenus paroles dvangile, il
est naturel et urgent de faciliter le recours au referendum afin de
permettre plus facilement au peuple souverain de mettre, le cas
chant, un terme aux errances du Conseil constitutionnel (p.
409).
21
-
dans la Constitution, il existe une certaine superposition
naturelle entre ces deux
thmes. En effet, dans la mesure o des principes et des rgles
spcifiques dune
discipline accdent la Constitution, son interaction avec les
normes de ce sous-
systme en change la qualit et leurs donnent alors un caractre de
supriorit. Il s
agit, en fait de constitutionnalisation des sources du Droit
dans la matire en question.
Telle circonstance, pas toujours dsirable, interfre avec les
limites du champ daction
du lgislateur ordinaire et avec la lecture constitutionnelle qui
doit tre entreprise par
le Judiciaire du thme qui fut constitutionnalis.
Dans le sens qui nous intresse ici, lide de
constitutionnalisation,
comme dj mentionn, nidentifie pas proprement parl, la venue des
normes infra-
constitutionnelles la Constitution mais plutt le phnomne
inverse: le dplacement
de la Constitution, avec ses principes et ses rgles, vers le
droit infra-constitutionnelle,
afin den conditionner son sens et sa porte.
Dans les tats de dmocratisation plus tardive, comme le Portugal,
l
Espagne et surtout le Brsil, la constitutionnalisation du Droit
est un processus plus
rcent, mais malgr tout trs intense. Nous avons constat au Brsil
le mme
mouvement de dplacement qui a eu lieu initialement en Allemagne
et par la suite en
Italie soit: le dplacement de La Constitution vers le centre du
systme juridique.
partir de 1988, et principalement dans ces cinq ou dix dernires
annes, la Constitution
a commenc jouir, non pas simplement de la suprmatie formelle
dont elle a toujours
joui, mais galement dune suprmatie matrielle, axiologique,
potentialise par l
ouverture du systme juridique et par la normativit de ses
principes. Avec fougue, et
exhibant une force normative sans prcdent, la Constitution est
entre dans le paysage
juridique du pays et dans le discours des oprateurs de
droit.
Le vieux Code Civil fut dplac du centre du systme juridique.
Notons
que le droit civil a occup au Brsil comme ailleurs un rle de
droit gnral, qui a
prcd a beaucoup de champs de spcialisation, et confra lordre
juridique une
certaine unit dogmatique. La propre thorie gnrale du droit tait
tudie dans le
22
-
cadre du droit civil et ce nest que rcemment quelle a acquis une
autonomie
didactique. Nous devons souligner que dans le cas brsilien, le
Code Civil perdait dj
de linfluence dans le cadre du droit priv. En effet, au long des
annes et mesure
que le Code Civil vieillissait, de nombreuses lois ont t dictes
dans des matires
spcifiques telles que les aliments, la filiation, le divorce, la
location dimmeubles, le
consommateur, lenfant et ladolescent, les socits commerciales,
ce qui a fini par
former des micro systmes autonomes. Tout comme il sest produit
en Italie, le Brsil
a vcu une dcodification du droit civil38, phnomne qui ne fut
gure affect par la
promulgation dun nouveau Code Civil en 2002 et son entre en
vigueur en 2003.
Dans cet environnement, la Constitution devient non seulement
un
systme en soi avec son ordre, son unit et son harmonie , mais
galement une
manire de voir et dinterprter toutes les autres branches du
Droit. Ce phnomne
identifi par certains auteurs comme le filtrage constitutionnel,
signifie que tout lordre
juridique doit tre lu et compris dans loptique de la
Constitution, de faon rendre
effectives les valeurs quelle consacre. Comme il a t mentionn
prcdemment, la
constitutionnalisation du droit infra-constitutionnel na pas
pour objet principal l
inclusion dans la Loi fondamentale de normes propres dautres
domaines, mais
plutt, la rinterprtation de ses institutions dans une optique
constitutionnelle39.
la lumire de telles prmisses, toute interprtation juridique est
aussi
de linterprtation constitutionnelle. Nimporte quelle opration de
ralisation dun
droit implique lapplication directe ou indirecte de la Loi
Fondamentale. La
Constitution sapplique :
38 Pour le cas italien, v. Pietro Perlingieri, Perfis do direito
civil, 1997, p. 6: le Code Civil a certainement perdu sa centralit
dantan. Le rle dunification du systme, tant dans ses aspects les
plus traditionnellement civiliste que dans ceux dintrts publicistes
est maintenant accomplie de manire chaque fois plus incisive par le
Texte Constitutionnel. Pour le cas brsilien, voir entre autres :
Maria Celina B. M. Tepedino, A caminho de um direito civil
constitucional, Revista de Direito Civil 65:21; et Gustavo
Tepedino, O Cdigo Civil, os chamados microssistemas e a Constituio:
Premissas para uma reforma legislativa. In: Gustavo Tepedino
(org.), Problemas de direito civil-constitucional, 2001.39 J. J.
Gomes Canotilho et Vital Moreira, Fundamentos da Constituio, 1991,
p. 45: La principale manifestation de la prminence normative de la
Constitution consiste en ce que tout lordre juridique doit tre lu
sa lumire et passer sous son crible. V. aussi, Paulo Ricardo
Schier, Filtragem constitucional, 1999.
23
-
a) Directement, quand la prtention un droit est directement
fonde sur
une norme du texte constitutionnel. Par exemple : la demande en
reconnaissance dune
immunit fiscale (art. 150, VI de la Constitution Fdrale ci-aprs
appele : CF) ou
la demande dannulation dune preuve obtenue de manire illicite
(CF, art. 5 , LVI) ;
b) Indirectement, lorsque la prtention un droit se fonde sur une
norme
infra-constitutionnelle, et ce, pour deux raisons :
(i) avant dappliquer la norme, linterprte devra vrifier si elle
est
compatible avec la Constitution, parce que si elle ne lest pas,
elle ne devrait pas s
appliquer. Cette opration est toujours prsente dans le
raisonnement de loprateur
de Droit, mme si ce dernier ne lexplicite pas ;
(ii) en appliquant la norme, linterprte devra en orienter le
sens et la
porte dans le but datteindre les fins constitutionnelles.
En conclusion, la Constitution figure aujourdhui au centre du
systme
juridique, do elle irradie sa force normative, dote de suprmatie
formelle et
matrielle. Elle sert non seulement comme paramtre de validit
pour lordre infra-
constitutionnel, mais galement comme vecteur dinterprtation de
toutes les normes
du systme.
2. La constitutionnalisation du Droit et ses mcanismes dopration
dans la
pratique
Comme indiqu prcdemment, la constitutionnalisation du Droit
se
rpercute sur les diffrents Pouvoirs tatiques. Elle impose au
lgislateur et l
administrateur des devoirs ngatifs et positifs dactions afin que
ces derniers
observent les limites et promeuvent les fins dictes par la
Constitution. Cependant, la
constitutionnalisation est loeuvre principale de la juridiction
constitutionnelle, qui, au
Brsil peut sexercer de manire diffuse par les juges et les
tribunaux, et de manire
concentre par la Cour Suprme, lorsque le paradigme en cause est
celui de la
Constitution Fdrale. Cette ralisation concrte de la suprmatie
formelle et
24
-
axiologique de la Constitution implique diffrentes techniques et
possibilits
interprtatives qui incluent :
a) la reconnaissance de la rvocation des normes
infra-constitutionnelles
antrieures la Constitution (ou lamendement constitutionnel),
lorsqu
incompatibles avec elle;
b) la dclaration dinconstitutionnalit des normes infra-
constitutionnelles postrieures la Constitution
lorsquincompatibles avec elle;
c) la dclaration dinconstitutionnalit par omission et par
consquent, la
demande faite au lgislateur dagir40;
d) linterprtation conforme la Constitution, qui peut signifier
:
(i) la lecture de la norme constitutionnelle de la manire la
plus
compatible avec le sens et la porte des valeurs et fins
constitutionnelles quelle
comprend;
(ii) la dclaration dinconstitutionnalit partielle sans rduction
de
texte, qui consiste en lexclusion dune interprtation possible de
la norme
habituellement la plus vidente et laffirmation dune
interprtation alternative,
compatible avec la Constitution41 ;
(iii) la dclaration de non-incidence de la norme une
situation
factuelle dtermine.
IV. Quelques aspects de la constitutionnalisation du droit civil
e du droit
administratif
40 Ceci, moins que la Cour Suprme ne prfre formuler une dcision
dintgration de la norme, lexemple de la sentence additionnelle du
droit italien. Cette activit de la Cour nous ramne toujours la
question controverse de lintervention de cette dernire titre de
lgislateur positif (v. infra).41 Linterprtation juridique est
difficilement uniforme, que ce soit parce quun mme nonc, appliqu
des circonstances diffrentes, peut produire des normes diverses, ou
parce quun nonc, mme en thse, peut admettre plusieurs
interprtations, en raison de la multiplicit de ses termes. La
doctrine la plus moderne a signal une distinction entre lnonc
normatif et la norme, fonde sur la prmisse quil ny a pas
dinterprtation in abstracto. Lnonc normatif est le texte,
linformation contenue dans le dispositif constitutionnel ou lgal.
La norme pour sa part est le produit de lapplication de lnonc une
situation dtermine, cest la concrtisation de lnonc. Dun mme nonc,
il est possible dextraire diverses normes. Sur le thme, v. Karl
Larenz, Metodologia da cincia do direito, 1969, p. 270 et ss.;
Friedrich Mller, Mtodos de trabalho do direito constitucional,
Revista da Faculdade de Direito da UFRGS, Edio especial
comemorativa dos 50 anos da Lei Fundamental da Repblica Federal da
Alemanha, 1999, p. 45 et ss.; Riccardo Guastini, Distinguendo.
Studi di teoria e metateoria del diritto, 1996, p. 82-3; e Humberto
vila, Teoria dos princpios, 2003, p. 13.
25
-
1. Droit civil42
Les relations entre le droit constitutionnel et le droit civil
ont travers ces
deux derniers sicles trois phases distinctes qui vont de
lindiffrence la coexistence
intense. La rfrence initiale de cette trajectoire est la
Rvolution Franaise, qui donna
chacun son objet de travail: au droit constitutionnel, une
Constitution crite dicte
en 1791; au droit civil, le Code Civil napolonien qui date de
1804. Malgr la
contemporanit des deux documents, le droit constitutionnel et le
droit civil ne s
intgrrent pas lun lautre, ni ne communiqurent ensemble. Voyons
chacune des
tapes de ce processus dapproximation lent et progressif:
Premire phase: Mondes spars
Au dbut du constitutionnalisme moderne, la Constitution tait vue
en
Europe comme une Loi Fondamentale politique, qui servait de
rfrence dans les
relations entre ltat et le citoyen, alors que le Code Civil tait
le document juridique
qui rgissait les relations entre les individus, souvent appele
la Constitution de droit
priv . Dans cette tape historique, le rle de la Constitution
tait limit, fonctionnant
comme une invitation lintervention faite aux Pouvoirs Publics,
et sa concrtisation
dpendait en rgle gnral de lintervention du lgislateur. Destitue
de sa propre force
normative, la Constitution ne jouissait pas dapplication directe
et immdiate. Alors
que le droit civil tait lhritier de la tradition millnaire du
droit romain. Le Code
napolonien ralisait adquatement lidal bourgeois de protection de
la proprit et de
la libert de contracter, donnant une scurit juridique aux
protagonistes du nouveau
rgime libral: le contractant et le propritaire. Ce modle initial
dabsence totale de
communication ft peu peu dpass.
42 Pietro Perlingieri, Perfis de direito civil, 1997; Maria
Celina Bodin de Moraes: A caminho de um direito civil
constitucional, Revista de Direito Civil 65:23, 1993; Gustavo
Tepedino: Temas de direito civil, 2004; Luiz Edson Fachin:
Repensando fundamentos do direito civil brasileiro contemporneo
(coord.), 1998; Judith Martins Costa (org.), A reconstruo do
direito privado, 2002; Michel Verpeaux (org.), Code civil et
Constitution (s), 2005.
26
-
Deuxime phase : La publicisation du droit priv
Le Code napolonien et les modles quil a inspirs incluant le
modle
brsilien se fondent sur la libert individuelle, sur lgalit
formelle entre les
personnes et sur la garantie absolue du droit de proprit. Au
cours du XXe sicle,
avec lavnement de ltat social et la perception des illgalits
matrielles entre les
individus, le droit civil commence dpasser le modle de
lindividualisme exacerb,
mettant un terme au rgne souverain de lautonomie de la volont.
Au nom de la
solidarit sociale et de la fonction sociale dinstitutions telles
que la proprit et le
contrat, ltat commence intervenir dans les relations entre les
individus, par le biais
de lintroduction de normes dordre public. De telles normes se
destinent
principalement protger la partie faible de la relation
juridique, telle que le
consommateur, le locataire, lemploy. Cest la phase du dirigisme
contractuel, qui
consolide la publicisation du droit priv.
Troisime phase : Constitutionnalisation du droit civil
Hier les Codes; aujourdhui les Constitutions. La revanche de la
Grce
sur Rome43. La phase actuelle est marque par le passage de la
Constitution au centre
du systme juridique, do elle joue un rle de filtre axiologique,
travers duquel doit
tre lu le droit civil. Il existe des rgles spcifiques dans la
Constitution brsilienne,
qui imposent la fin de la suprmatie du mari dans le mariage, la
pleine galit des
enfants, la fonction sociale de la proprit. Ainsi que des
principes qui se diffusent
dans tout lordre, tel que lgalit, la solidarit sociale, le
caractre raisonnable. Nous
ne parcourrons pas les multiples situations dimpact des valeurs
constitutionnelles sur
le droit civil en particulier, et sur le droit priv en gnral. Il
existe toutefois deux
43 La premire partie de la phrase (Hier les Codes; aujourdhui
les Constitutions) a t prononc par Paulo Bonavides, lorsquil a reu
la mdaille Teixeira de Freitas, lInstitut des Avocats Brsiliens
(IAB), en 1998. Le reste a t dit par Eros Roberto Grau, lors de la
remise de la mme mdaille en 2003, lors dun discours publi par lIAB:
Hier les Codes; aujourdhui les Constitutions. La revanche de la
Grce sur Rome, tout comme lvolution qui sest produite sur un autre
plan, dans le domaine du droit de proprit, qui se justifiait
auparavant, par lorigine, et qui est maintenant lgitim par les
fins: la proprit qui ne remplit pas une fonction sociale ne mrite
pas de protection juridique .
27
-
dveloppements qui mritent dtre signals, tant donn la dimension
des
transformations quils apportrent.
Le premier de ces dveloppements se rfre au principe de la dignit
de
la personne humaine dans la nouvelle dogmatique juridique. La
fin de la Seconde
Guerre mondiale, a donn lieu au commencement de la
reconstruction des droits de l
homme44, qui se sont rependus partir du principe de la dignit de
la personne
humaine45, rfrence qui a commenc faire partie des documents
internationaux et
des Constitutions dmocratiques46, et figure dans la Loi
Fondamentale brsilienne de
1988 comme lun des fondements de la Rpublique (art.1 , III). La
dignit humaine
impose des limites et des actions positives ltat, afin de
rpondre aux ncessits
vitales lmentaires47, qui sexpriment en diffrentes dimensions.
Dans le thme ici
spcifiquement tudi, le principe promeut une
dpatrimonialisation48 et une
repersonnalisation du droit civil et met lemphase sur les
valeurs existentielles et de l
esprit, ainsi que sur la reconnaissance et le dveloppement des
droits de la
personnalit, tant dans sa dimension physique que psychique.
44 Il sagit du titre du clbre travail de Celso Lafer, A
reconstruo dos direitos humanos, 1988. Sur le thme, v. aussi Antnio
Augusto Canado Trindade, A proteo internacional dos direitos
humanos: Fundamentos jurdicos e instrumentos bsicos, 1991.45 Le
contenu juridique de la dignit humaine est reli la ralisation des
droits fondamentaux ou humains, dans ses trois dimensions:
individuels, politiques et sociales. Sur le thme, Jos Carlos Vieira
de Andrade, Os direitos fundamentais na Constituio Portuguesa,
1998, p. 102: [Le] principe de la dignit de la personne humaine est
la base de tous les droits constitutionnellement consacrs, que ce
soit ceux des droits et liberts traditionnels, ceux des droits de
participation politique, ou ceux des travailleurs ou encore, les
droits des prestations sociales.46 Comme, p. ex., dans la
Dclaration Universelle des Droits de lHomme, de 1948, dans la
Constitution italienne de 1947, dans la Constitution allemande de
1949, dans la Constitution portugaise de 1976 et dans la
Constitution espagnole de 1978. 47 Sur le thme, v. Ana Paula de
Barcellos, A eficcia jurdica dos princpios constitucionais: O
princpio da dignidade da pessoa humana, 2002, p. 305: Le contenu
fondamental, lessentiel du principe de la dignit de la personne
humaine, se compose du minimum existentiel, qui consiste en un
ensemble de prestations matrielles minimales, sans lesquelles on
peut affirmer que lindividu se trouve dans une situation dindignit.
(...) Une proposition en vue de concrtiser le minimum existentiel,
tant donn lordre constitutionnel brsilien, devrait inclure les
droits lducation fondamentale, la sant lmentaire, lassistance en
cas de ncessit et laccs la justice.
48 Le terme a t emprunt Perlingieri, Perfis do direito civil,
1997, p. 33. Apparemment, le premier lavoir utilis fut Carmine
Donisi, Verso la depatrimonializzazione del diritto privato. In:
Rassegna di diritto civile 80, 1980 (selon la recherche effectue
dans Daniel Sarmento, Direitos fundamentais e relaes privadas,
2004, p. 115).
28
-
Le second dveloppement doctrinal qui mrite notre attention est
celui de
lapplicabilit des droits fondamentaux aux relations prives. Le
dbat remonte l
affaire Lth (v. supra), qui russit surmonter la dualit du
clivage public prive et a
admis lapplication de la Constitution dans les relations prives,
initialement rgies par
le Code Civil. Le sujet est complexe et ne sera pas approfondi
ici. Les multiples
situations susceptibles de se produire dans le monde rel ne
comportent pas de
solutions uniques49. Nonobstant ce fait, et hormis la
jurisprudence nord-amricaine (et
encore de manire attnue), il existe un consensus raisonnable sur
le fait que les
normes constitutionnelles sappliquent dans certaines mesures,
aux relations entre
individus. La divergence sur ce sujet rside prcisment, sur la
dtermination du mode
et de lintensit de cette incidence. La doctrine et la
jurisprudence se divisent en deux
courants principaux :
a) celle de lefficacit indirecte des droits fondamentaux
applicables par
le biais de laction du lgislateur infra-constitutionnel et de
l
interprtation des clauses ouvertes;
b) celle de lefficacit directe et immdiate des droits
fondamentaux
applicable par le biais du critre de pondration entre dun ct,
les
principes constitutionnels de la libre initiative et de
lautonomie de la
volont, et de lautre, le droit fondamental en jeux.
Le point de vue de lapplicabilit directe et immdiate correspond
de
manire plus adquate la ralit brsilienne et cest le courant qui a
prvalu en
doctrine. Dans la pondration qui doit tre employe, comme dans la
pondration en
gnral, les lments du cas concret devront tre pris en
considration. Pour la
49 Voici titre dexemples quelques situations: a) est-ce quun
club de football peut interdire lentre de son stade des
journalistes dun certain vhicule de communication, qui ont fait des
critiques lquipe (libert de travail et de presse) ?; b) est-ce
quune cole juive peut interdire son entre des enfants non juifs
(discrimination en raison de la religion) ?; c) est-ce quun
employeur peut prvoir dans le contrat de travail de son employe la
dmission de cette dernire pour cause juste en cas de grossesse
(protection de la femme et de la procration) ?; d) est-ce quun
locateur peut refuser de signer un contrat de location parce que le
prtendant locataire est musulman (de nouveau, libert de religion)
?; e) est-ce quun journaliste peut tre mis la porte pour avoir mis
une opinion contraire celle du propritaire du journal (libert
dopinion) ?.
29
-
pondration spcifique entre lautonomie de la volont versus un
autre droit
fondamental en cause, limportance des facteurs suivants doit tre
soulign: a) lgalit
ou le dsquilibre matriel entre les parties (p. ex., la situation
est diffrente si une
multinationale renonce contractuellement un droit ou sil sagit
dun simple ouvrier
qui y renonce); b) linjustice manifeste ou labsence du caractre
raisonnable dun
critre (p. ex., lcole qui nadmet pas les enfants de parents
divorcs); c) la prfrence
pour les valeurs existentielles au dtriment des valeurs
patrimoniales; d) le risque pour
la dignit de la personne humaine (p. ex., personne ne peut
sassujettir des sanctions
corporelles).
2. Droit administratif50
Le droit constitutionnel et le droit administratif ont une
origine et des
buts communs: lavnement du libralisme et la ncessit de limiter
le pouvoir de l
tat. Nonobstant ce fait, ils ont parcouru tous les deux des
trajectoires trs diffrentes,
sous linfluence du modle franais. En effet, le droit
constitutionnel a pass le XIXe
et la premire moiti du XXe sicle associ aux concepts propres la
politique,
destitu de force normative et dapplicabilit directe et immdiate
(v.supra). Le droit
administratif sest pour sa part dvelopp comme branche juridique
autonome, et a
englob la discipline de lAdministration Publique. Lexistence
dune juridiction
administrative dissocie de laction judiciaire et le prestige du
Conseil dtat franais,
ont donn au droit administratif une position privilgie dans le
droit public, l
associant la continuit et la stabilit des institutions51. Ce
nest quaprs la
Deuxime Guerre mondiale, avec le mouvement de
constitutionnalisation que cette
situation de prdominance va se modifier.
50 Sur les transformations du droit administratif dans le cadre
actuel, v. Diogo de Figueiredo Moreira Neto, Mutaes do direito
administrativo, 2000; Odete Medauar, Direito administrativo
moderno, 1998. Et aussi: Jacqueline Morand-Deviller, Poder Pblico,
servio pblico: crise e conciliao, Revista de Direito do Estado
4:387, 2006.51 ce propos, voir le clbre article de Georges Vedel,
Discontinuit du droit constitutionnel et continuit du droit
administratif. In: Mlanges Waline, 1974. Sur le thme, voir aussi
Louis Favoreu, La constitutionnalisation du droit. In: Bertrand
Mathieu et Michel Verpeaux, La constitutionnalisation des branches
du droit, 1998, p. 182.
30
-
Llment le plus dcisif pour la constitutionnalisation du
droit
administratif fut lincidence dans ce domaine des principes
constitutionnels non
seulement des principes spcifiques, mais surtout de ceux
caractre gnral, qui se
diffusent dans tout le systme juridique. galement ici, partir du
rle central de la
dignit humaine et de la prservation des droits fondamentaux, la
qualit des relations
entre lAdministration et ladministr sest modifie et les modles
traditionnels ont
t dpasss ou reformuls. Nous pouvons mentionner notamment :
a) la redfinition de lide de suprmatie de lintrt public sur
lintrt priv
En ce qui concerne ce sujet, il doit tre fait en premier lieu la
distinction
ncessaire entre intrt public (i) primaire ceci est, lintrt de la
socit, synthtise
dans des valeurs comme la justice, la scurit et le bien-tre
social et (ii) secondaire,
qui est lintrt de la personne juridique de droit public (lUnion,
les tats et les
municipalits), et qui sidentifie avec lintrt du fisc,
c'est--dire du trsor public52. L
intrt public secondaire ne bnficiera jamais dune suprmatie a
priori et abstraite
face lintrt dun individu. Si leurs intrts rentrent en collision,
linterprte devra
procder la pondration de ces intrts en regard des lments
normatifs et factuels
pertinents au cas concret.
b) lassujettissement de ladministrateur la Constitution et non
pas seulement
la loi ordinaire
Lide restrictive dassujettissement positif de ladministrateur la
loi,
selon la lecture conventionnelle du principe de la lgalit, au
terme duquel laction de l
administrateur est dirige par ce que le lgislateur dtermine ou
autorise, est dpasse.
Ladministrateur peut et doit agir en ayant pour fondement direct
la Constitution et ce,
indpendamment dans bien des cas, dune quelconque manifestation
du lgislateur
ordinaire. Le principe de la lgalit se transforme ainsi, en
principe de la
52 Cette classification dorigine italienne est peu rpandue dans
la doctrine et la jurisprudence brsilienne. V. Renato Alessi,
Sistema Istituzionale del diritto administrativo italiano, 1960, p.
197, apud Celso Antnio Bandeira de Mello, Curso de direito
administrativo, 2003, p. 57.
31
-
constitutionnalit ou peut-tre, plus proprement parl, en principe
de la juridicit,
comprenant sa subordination dabord la Constitution puis la
loi.
c) la possibilit de contrle judiciaire au mrite de lacte
administratif
La connaissance conventionnelle en matire de contrle
juridictionnel d
un acte administratif limitait les juges et les tribunaux ne
prendre connaissance que
des aspects lis la lgalit de lacte (comptence, forme et finalit)
et non pas de son
mrite (motif et objet), incluant ici, la convenance et
lopportunit de sa pratique. La
situation a chang. Non seulement les principes constitutionnels
gnraux dj
mentionns, mais galement les principes spcifiques tels que la
moralit, lefficacit
et surtout le caractre raisonnable et la proportionnalit
permettent un contrle de la
discrtion administrative (en observant naturellement la
contention et la jurisprudence
afin de ne pas substituer la discrtion de ladministrateur par
celle du juge).
Un dernier commentaire simpose. Il existe certains auteurs qui
se
rfrent au changement de certains modles traditionnels du droit
administratif comme
caractrisant une privatisation du droit public, qui passerait le
soumettre par
exemple, des institutions du droit des obligations. Ce serait en
quelque sorte lenvers
de la publicisation du droit priv. Cest en ralit lapplication de
certains principes
constitutionnels qui ont emmen certaines institutions de droit
public dans le droit
priv et symtriquement et qui amnent des instituts de droit priv
dans le droit public.
Le phnomne en question nest par consquent ni de publicisation de
lun, ni de
privatisation de lautre, mais de constitutionnalisation des
deux. De ce phnomne
rsulte une dilution de la dualit rigoureuse entre le droit
public et le droit priv et la
production de zones de confluence, faisant en sorte que la
distinction devient plus
quantitative que qualitative.
V. Constitutionnalisation et judicialisation des relations
sociales
La constitutionnalisation, dans la ligne de pense dveloppe dans
ce
texte, exprime la diffusion des valeurs constitutionnelles
travers le systme juridique.
32
-
Cette dissmination de la Loi Fondamentale travers tout lordre
seffectue travers
la juridiction constitutionnelle, qui comprend lapplication
directe de la Constitution
des questions dtermines; la dclaration dinconstitutionnalit de
normes
incompatibles avec la Constitution; et linterprtation conforme
la Constitution, pour
lattribution dun sens aux normes juridiques en gnral. Nous
devons souligner que
dans le cas brsilien, la juridiction constitutionnelle est
exerce amplement: du juge
tatique la Cour Suprme, tous interprtent la Constitution et
peuvent donc refuser l
application dune loi ou dun autre acte normatif quils
considrent
inconstitutionnel53.
Au Brsil et dans les autres pays de redmocratisation plus
rcente, lon
assiste ces dernires annes, une plus grande conscientisation de
la citoyennet, qui a
eu pour consquence laugmentation du nombre de demandes en
justice.
Simultanment, nous avons assist lascension institutionnelle du
Pouvoir Judiciaire,
qui cessa dtre un dpartement technico-spcialis et commena dtenir
un pouvoir
politique effectif. En raison de la conjonction de ces facteurs
la
constitutionnalisation, laugmentation des demandes en justice et
lascension
institutionnelle du Judiciaire , lon constate dans ces pays une
nette judicialisation
des questions politiques et sociales, qui ont commenc trouver au
sein des tribunaux
une instance de dcision finale.
Sur ce point se pose une question qui a rcemment rveill lintrt
de la
doctrine au Brsil et dans dautres pays de tradition
romano-germanique, relative la
lgitimit dmocratique de la fonction judiciaire, ses possibilits
et ses limites54. Dans
53 La Constitution bresilienne de 1988 maintient un systme
clectique, hybride ou mixte, utilisant le contrle par voie
dincident et diffus (systme amricain), qui sutilise depuis le dbut
de la Rpublique, et le contrle par voie principale et concentr,
implant par lAmendement Constitutionnel n 16/65 (systme continental
europen). V. Lus Roberto Barroso, O controle de constitucionalidade
no direito brasileiro, 2004.54 En droit compar, le sujet est discut
depuis longtemps, v., titre dexemple: Hamilton, Madison e Jay, The
federalist papers, 1981 (la publication originale fut faite entre
1787 et 1788), spcialement The Federalist n 78; John Marshall,
opinion dans laffaire Marbury v. Madison [5 U.S. (1 Cranch)], 1803;
Hans Kelsen, Quin debe ser el defensor de la Constitucin, 1931;
Carl Schmitt, La defensa de la constitucin, 1931; John Hart Ely,
Democracy and distrust, 1980; Alexander Bickel, The least dangerous
branch, 1986; Ronald Dworkin, A matter of principle, 1985; John
Rawls, A theory of justice, 1999; Jrgen Habermas, Direito e
democracia: Entre facticidade e validade, 1989; Bruce Ackerman, We
the people: Foundations, 1993; Carlos Santiago Nino, La Constitucin
de la democracia
33
-
un sens large, la juridiction constitutionnelle implique
linterprtation et lapplication
de la Constitution, ayant comme une de ses principales
expressions, le contrle de la
constitutionnalit des lois et des actes normatifs. Il se pose
alors la question de la
lgitimit du rle exerc par les cours suprmes et par les tribunaux
constitutionnels,
normalement dnomm de contre-majoritaire55: les organes et les
agents non lus ont
le pouvoir dcarter ou de rendre conforme des lois labores par
des reprsentants
choisis par le peuple.
Au long de ces deux derniers sicles, la doctrine a impos deux
grandes
lignes de justification de ce rle des cours suprmes/tribunaux
constitutionnels. La
premire, plus traditionnelle, prend ses racines dans la
souve