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INSTITUT DE LINGUISTIQUE FRANAISE - CNRS UMR 7320 - NICE
LE FRANAIS EN AFRIQUE
Revue du Rseau des Observatoires du Franais Contemporain
en Afrique
Actes du colloque
Convergences, divergences et la question de la norme
en Afrique francophone
dits par Peter Blumenthal et Stefan Pfnder
N 27 2012
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INTRODUCTION
Peter Blumenthal Universit de Cologne
& Stefan Pfnder Universit de Fribourg-en-Brisgau
Ce numro rassemble les actes dun colloque qui sest tenu
lUniversit de Cologne (Allemagne) du 2 au 4 fvrier 2011. Cette
rencontre a t organise par les cosignataires de la prsente
introduction et soutenue financirement par la Deut-sche
Forschungsgemeinschaft. Lide du colloque sur le thme Convergences,
di-vergences et la question de la norme en Afrique francophone a vu
le jour au cours de discussions entre les organisateurs et Ambroise
Quefflec, matre penser de nombreux chercheurs qui se passionnent
aujourdhui pour le franais en Afrique. Ce chercheur nous a manqu
Cologne, mais nous esprons dautant plus vivement que les
circonstances lui permettront bientt de reprendre toutes ses
activits scientifiques.
Les trois notions-cls de la thmatique, convergences ,
divergences et norme , renvoient deux autres concepts (nullement
synonymes, nous le ver-rons plus bas), savoir ceux de variation et
de varit , sous-jacents len-semble de nos discussions et souvent
explicitement mis en relief. Car ce qui con-verge ou diverge, en
sopposant la norme ou en sen rapprochant, voire en prten-dant au
statut de norme dusage (rgionale ? africaine ?), ne semble tre rien
dautre, du moins premire vue, que les varits, donnes immdiates
faisant lobjet des observations du chercheur en la matire. Dans cet
esprit, la substance de nos dbats aurait pu sassimiler une formule
sinspirant de la sagesse de lEcclsiaste : Varietas varietatum et
omnia varietas. Si cette conception selon laquelle tout nest que
varit na pas prvalu dans notre colloque, cest la fois pour des
raisons de terminologie (que veut dire exactement varit en
linguistique ?) et danalyse empirique des faits de langage. Nous y
reviendrons. En revanche, les varits au sens courant et banal du
mot, qui correspond alors aux diversits ou aux varia-tions au sein
dune communaut linguistique, ont dcidment focalis lattention des
congressistes. Ce phnomne a t prsent sous diffrents angles, de la
notion gnrale de varit et de son principe causal quest la
variation, jusqu lanalyse prcise du comportement particulier de tel
mot dans certaines circonstances, en passant par les degrs de
gnralit intermdiaires que peuvent reprsenter les normes dusage de
lun des pays africains.
Cest la contribution de Wolfgang Raible qui offre le point de
vue le plus gnral, celui de Sirius, en mettant en perspective les
conditions anthropologiques du langage. Comme lauteur le souligne,
la variation y rgne en matre et favorise historiquement le
changement linguistique. Or, la notion de variation implique
logiquement celle d invariant , tel le sens quil sagit de
transmettre malgr toutes sortes de variations ; par ailleurs,
leffet potentiellement gnant de ces dernires se trouve endigu par
la redondance. Dans ces conditions, la norme apparat comme un
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Peter Blumenthal & Stefan Pfnder
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certain type dinvariant qui tend pousser les performances des
locuteurs vers la convergence.
Si la contribution de Batrice Akissi Boutin & Franoise Gadet
traite une thmatique moins globale que la prcdente, sa perspective
est nanmoins large. Les deux auteures sinterrogent sur lintrt et
sur les limites de la notion de varit en sappuyant sur des exemples
concrets fournis par le monde francophone. Certes, les phnomnes
observs en franais parl dAfrique trouvent souvent des parallles
dans dautres rgions de la francophonie, voire en France mme, et ce,
non seule-ment lorsquils sont sous-tendus par des processus
cognitifs communs . Mais cela nempche pas lapparition demplois
typiquement africains, comme la flexion avec tre du verbe quitter
au Burkina-Faso et en Cte dIvoire.
Claude Frey, qui na pas pu assister au colloque de Cologne, ne
contredirait probablement pas cette vision des varits. Dans un
travail bien document, il d-montre la quasi-ubiquit francophone
(lexpression nest pas de lui) de tournures et de structures
morphosyntaxiques passant en principe pour typiquement africaines.
Sa conclusion parat dune sagesse exemplaire : lchelle de la
francophonie, lexistence dune norme unitaire (acadmique) est
indispensable pour assurer lintercomprhension, mais la pluralit des
normes dusage maintient le franais comme une langue vivante en
ladaptant diffrentes situations socioculturelles.
Le point de vue comparatif est galement celui de Peter
Blumenthal, qui sintresse au voisinage lexical plus au moins
strotyp de quelques noms daffect dans la presse africaine, dune
part, et dans des journaux hexagonaux, de lautre. Cette analyse
statistique montre pour certains des mots dcrits de notables
diff-rences distributionnelles, associatives et connotatives entre
les deux sphres gogra-phiques contrastes, divergences qui
sexpliquent largement par les conditions so-cioculturelles
sous-jacentes.
Sascha Diwersy se penche galement sur des noms daffect, tout en
utili-sant des outils informatiques plus sophistiqus encore, pour
reprer certains indices de la constitution de diverses normes
dusage en Afrique. Sil savrait effective-ment raliste de tabler sur
une lente volution vers une francophonie africaine poly-centrique,
il serait dautant plus intressant de dtecter, au moyen des mmes
m-thodes et types de corpus, des tendances analogues dans dautres
rgions de la fran-cophonie.
Stefan Pfnder & Marie Skrovec tudient non pas une varit au
sens cou-rant du terme, mais un type de texte bien particulier :
des entretiens tlviss ou ra-diodiffuss avec des experts sngalais et
franais. Face la tche communicative qui consiste rendre accessible
un large public des thmes souvent complexes, ces experts adoptent
pratiquement les mmes stratgies discursives et rhtoriques, quelle
que soit leur provenance gographique. Les deux auteurs expliquent
cette prdomi-nance trs nette des convergences par la perptuation de
modles stylistiques tradi-tionnels et surtout par leffet durable de
lidal classique de la clart au-del des frontires de lHexagone.
Dautres contributions se limitent la discussion de la situation
linguistique dun pays, vue globalement ou sous langle de phnomnes
particuliers. En ce qui concerne lavenir du franais en Rpublique
Dmocratique du Congo, Andr Nyembwe Ntita & Samuel Matabishi
rassurent dune part le lecteur en soulignant
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Introduction
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son statut de langue officielle, de langue denseignement et de
langue des relations internationales , mais indiquent aussi que
limage du franais comme instrument de promotion sociale et de
domination est en train de seffriter surtout auprs des jeunes . Le
Cameroun est lun des pays africains o la discussion autour de la
constitution dune norme nationale parat la plus vive. Lun des
enjeux du dbat est, selon Edmond Biloa, la stabilisation dune norme
endogne tendant assurer le primat de la varit msolectale sur les
varits concurrentes . La notion de norme endogne implique videmment
lacceptation dun cart par rapport la rfrence au franais central.
Lauteur fournit de nombreux exemples morphosyntaxiques dune telle
camerounisation en cours de la langue de Molire, constructions dont
il met en relief, loccasion, les affinits avec des phnomnes
typiques du franais populaire de France dcrits par Henri Frei ds
1929.
Dans un ordre dides semblable, Louis-Martin Essono tudie
quelques particularits morphosyntaxiques lies lemploi de la
prposition dans la presse camerounaise. La part des fautes de
ngligence, mais aussi le pourcentage de d-viances dues une trop
htive assimilation du franais de la part de journalistes mal forms
lui paraissent importants. Il appelle de ses vux lavnement dune
norme camerounaise, antidote linscurit linguistique ambiante,
rsultant dune synthse intelligente de besoins dexpression
spcifiquement africains et de structures appar-tenant au franais
central.
Cest encore cette mme proccupation concernant lcartlement de la
presse camerounaise entre la norme prescriptive hexagonale et les
normes dusage locales quessaie de rpondre Emmanuel Ngu Um. Il
considre que lide dune norme endogne, donc camerounaise, fait son
chemin, tout en demeurant une simple abstraction, en labsence
dtudes base empirique fiables qualitativement et surtout
quantitativement . Voil lesquisse dune belle tche pour les
linguistes pris de lexploitation de grandes banques de donnes.
Comment se pose le problme de la norme (dusage) endogne au
Burkina Faso ? Ce nest pas le moindre intrt de la contribution de
Martina Drescher de fournir des lments pour une apprciation
diachronique de la question. Il semble qu la fin des annes 1970,
lexistence dune telle norme ntait pas encore percep-tible aux yeux
dobservateurs linguistes avertis. Daprs lauteure, cette situation a
chang entre-temps. Drescher se base sur lobservation de divers
types de combinai-sons avec le verbe support faire, surtout dans
des locutions. Si les mmes syntagmes se retrouvent souvent dans
dautres rgions de la francophonie, leur usage sociolin-guistique
semble si caractristique dun certain franais du Burkina Faso que
lon peut y voir un symptme de la formation dun franais
particulier.
Deux contributions portent chacune sur un seul petit mot mais
combien intrigant et aux usages riches denseignements ! douard
Ngamountsika analyse la fonction de l en tant quactualisateur
supplmentaire du substantif, fonction quil croit plus frquente en
franais parl de la Rpublique du Congo (Brazzaville) quailleurs. Le
contrle de cette hypothse ncessiterait, lauteur en convient, la
dis-ponibilit de corpus oraux comparables originaires dautres
rgions de lAfrique francophone. Se penchant sur les multiples types
demplois du marqueur discursif bon dans diffrentes rgions du Mali,
Ingse Skattum formule lhypothse quune
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Peter Blumenthal & Stefan Pfnder
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valeur particulirement frquente du mot dans la rgion de Bamako
doit son statut une interfrence avec le bambara. Dune manire
gnrale, Skattum considre que les diffrences demplois lintrieur du
Mali, mais galement celles vis--vis de la francophonie du Nord,
sont essentiellement dordre frquentiel.
Seul contributeur reprsentant le Maghreb, Salah Mejri brosse un
panorama remarquablement vaste des particularits du franais en
Tunisie, sintresse aux in-terfrences avec larabe, voque entre
autres la prononciation ainsi que la morpho-syntaxe et sarrte plus
longuement sur des questions lexicales comme les emprunts
autochtones et la formation des mots. Parmi les desiderata de
recherches ultrieures, il compte ltude du figement et le recours
aux gros corpus lectroniques permettant lapprofondissement des
tudes lexicales et combinatoires.
quelles conclusions peut-on aboutir en faisant le bilan des
discussions
intenses du colloque et des apports des contributions prsentes
ci-dessus ? Com-ment caractriser en peu de mots les situations si
diverses des franais en Afrique telles quelles se sont dgages de
nos rflexions communes ? Les organisateurs du colloque avouent leur
dsarroi face la pertinence de certaines notions trs en vogue dans
les dbats actuels sur les problmes de la variation linguistique, o
il est sou-vent question de normes polycentriques , de normes
plurielles ou de normes dusage concepts sans aucun doute
indispensables qui tente de rendre compte des mondes anglophone ou
hispanophone. Mais ces termes, que nous navons pour-tant pas exclus
nous-mmes de notre norme individuelle , ne risquent-ils pas
dinstaller de fausses certitudes propos de lAfrique ? En
linguistique, la notion de norme , quelle que soit sa qualification
ultrieure, prsuppose un usage stabilis lintrieur dun groupe ainsi
que des critres dordre diasystmatique (exemple : le franais oral
soutenu des gens instruits de Ouagadougou). Or, la documentation
em-pirique dont nous disposons pour lAfrique francophone ne nous
permet souvent pas de circonscrire ltendue (diatopique,
diastratique, diaphasique) des phnomnes linguistiques tudis. Pire,
notre connaissance de leurs frquences relles dans les varits que
lon voudrait comparer reste quelquefois bien vague plusieurs
contri-buteurs en conviennent avec une grande honntet. Ceci peut
jeter une ombre sur lidentit mme de la varit en question et de la
norme dusage qui y correspond. Ne serait-ce que pour cette raison,
Boutin & Gadet font bien de mettre sur la sellette le concept
de varit. Et cest juste titre que Frey se livre une critique des
concepts-pivots de notre colloque, en faisant remarquer que
lopposition conver-gence divergence est quelquefois moins
dichotomique que ne le laisse paratre la thorie et se situe en
pratique, du moins dans certains cas, dans une relation de
continuit qui peut rendre difficile la dlimitation dune norme
dusage endogne . Cest pourtant la tentative lgitime, et souvent
couronne de succs, de saisir quelques aspects dune telle norme qui
stimulait la majorit des contributeurs, dont lambition ntait pas de
reflter la prolifration des lectes sur un continuum. Or, nous avons
pu constater que cette entreprise se heurte deux difficults de
taille : dabord linsuffisance des corpus, laquelle rend pour le
moment alatoires des com-paraisons quantitatives entre candidats au
statut de variante, ensuite le caractre pro-blmatique des notions
de base comme varit , norme , usage , etc.
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Introduction
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En rsum, si les variations en tant que processus (= modulations
autour dinvariants) ou tats (= rsultats des changements) sont
omniprsentes dans le lan-gage, la somme de leurs effets ne dbouche
pas forcment sur lmergence de va-rits (= usages constitus et
reconnus) clairement identifiables. En effet, le rapport entre
variations et varits ne se rduit pas au schma trop simple de la
transforma-tion de quantit (celle des diffrentes variations) en
qualit. La qualit, celle de va-rit, dpend en outre, dune part, du
degr de cohrence systmatique des varia-tions, illustr dans le
prsent volume par plusieurs contributions, dautre part, du
sentiment identitaire de la communaut linguistique. Ce dernier thme
na t trait quen filigrane dans notre recueil et mriterait de faire
lobjet dun autre colloque sur le franais en Afrique. Le problme de
lidentit du groupe linguistique prend en effet dans certains tats
de lAfrique francophone un relief tout fait particulier en raison
de la multitude des langues (environ 250 pour le Cameroun), de
ltendue de lhybridation et la forte interaction entre la
scripturalit de la langue officielle et loralit de celle de la vie
quotidienne. cet gard, une tendance se dessine, qui na pas chapp
plusieurs contributeurs du volume : le franais vernaculaire,
long-temps circonscrit loral, fait son apparition dans la
scripturalit, en particulier dans la presse locale et sur les
forums du Web. Les observations faites dans les grands corpus
constitus Cologne (presse) et Fribourg (forums web) pourront
justement servir de point de dpart des enqutes ultrieures visant
apprhender le sentiment identitaire de la communaut
linguistique.
Comme nous la montr le droulement du colloque, lenthousiasme des
chercheurs est la hauteur des dfis particuliers que lance ltude du
franais en Afrique. Lune des perspectives les plus prometteuses qui
soffrent dans ce domaine aux linguistes est lexploitation de grands
corpus informatiss, susceptible de faire avancer des solutions
nombre de problmes factuels et mthodologiques discuts dans ce
volume1.
Nous offrons ce recueil en hommage Ambroise Quefflec.
1 Nous tenons exprimer notre gratitude Djamila Hadjadji, Sandra
Lhafi et Marie Skrovec, qui ont prpar le manuscrit avec comptence
et efficacit.
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LA VARIATION LANGAGIRE UNE NOTION PRCISER
Wolfgang Raible Universit de Fribourg-en-Brisgau
Si les organisateurs ont jug bon de faire participer le prsent
auteur leur colloque, cest en raison dun article sur la variation
langagire que celui-ci a publi, il y a quelques annes, dans une
revue mexicaine sous le titre de El espacio y el juego de la
variacin en el lenguaje. Once tesis (cf. Raible 2002 : 11-20).
1. Quelques faits de base
Je voudrais dabord rappeler quelques faits de base. Le premier
en est que la communication langagire se fait entre deux systmes
psychophysiques. Cela veut dire quil ne sagit pas de deux machines
et que, par consquent, la communication na rien de mcanique : les
deux systmes disposent dun haut degr de libert. Les consquences qui
en dcoulent sont aussi simples que fondamentales :
- il doit dabord exister des rgles qui garantissent le
fonctionnement dun code langagier partag par les partenaires ;
- en mme temps, il doit exister une marge de scurit qui tient
compte du caractre toujours individuel, idiosyncrasique, imparfait,
et de la divergence plus ou moins grande dont tmoignent nos
productions langagires. Dans ce contexte, on parle de la redondance
du systme.
Pour montrer les bienfaits dun systme redondance, on na qu
regarder un systme qui nen possde pas, par exemple celui des
chiffres arabes : le moindre changement dans la nature ou lordre de
ses lments faussera le rsultat. Comme, au contraire, le systme
langagier jouit dune considrable marge de scurit, on peut se
permettre une prononciation peu soigne, une syntaxe incomplte, une
s-mantique approximative (les hedges comme truc pour un objet
quelconque), une phontique dialectale, un accent tranger, etc. On
peut mme se permettre de chu-choter ce qui coupe bien des frquences
audibles : autant dire que la variation et la variabilit sont les
compagnons naturels du langage humain et cela tous les ni-veaux de
ralisation : phonique, morphologique, micro-syntaxique,
macro-syn-taxique, smantique.
On doit sattendre, de surcrot, des variations selon les
paramtres bien connus depuis Leiv Flydal et Eugenio Coseriu (
architecture dune langue ) : va-riation selon le lieu (dite
diatopique ), le temps et lge des sujets parlants (dite
diachronique ), selon le milieu social des sujets parlants (dite
diastratique ), le genre communicatif et la situation de
communication (dite diaphasique ), ainsi que selon le mode de
communication choisi (oral, crit)1 combiner en partie avec
1 Cf. Coseriu (1955). Les dimensions diatopique et diastratique
sont du linguiste norvgien Leiv Flydal (cit par Coseriu). Coseriu a
ajout la dimension diaphasique.
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Wolfgang Raible
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les paramtres prcdents : cest quil y a une diffrence considrable
entre la com-munication orale et la communication crite. Les
exigences tablies sont beaucoup moins strictes pour loral, tant
donn quil y a un feed-back par la prsence du par-tenaire. Ce qui
nous permet un degr de libert encore plus lev. Enfin, il y a
varia-tion selon le niveau de la hirarchie langagire.
2. La menace dune impasse communicative
Si lon considre que la variation selon le niveau de la hirarchie
langagire peut tre combine avec la variation selon larchitecture
(Coseriu, Flydal, etc.) et avec la variation selon le mode de
transmission (crit / oral), la consquence qui en dcoule semble tre
trs claire : dans toutes les langues, la variation rgne en matre
absolu. Qui dit langue, dit variation.
Un autre truisme du mme ordre serait que les langues changent
parce que nous les utilisons (Coseriu, Ldtke 1980). Ce qui nous mne
en mme temps un corollaire : les grammaires quon qualifie de
normatives sont autant dartefacts. Elles nous suggrent un caractre
fig, une invariabilit l o, en vrit, nous dispo-sons dune trs grande
marge de libert.
Avec tout cela, il y a un facteur supplmentaire qui facilite la
communica-tion malgr la marge de variation invitable : nous
communiquons pour trans-mettre et pour capter du sens ; tous nos
efforts de comprhension nont que ce seul but, quelle que soit la
qualit du message transmis. Cest pourquoi, tous les ni-veaux, nous
anticipons ce qui pourrait tre et ce qui va tre dit. Cela va si
loin que, le cas chant, lauditeur peut terminer une phrase, un
nonc, de celui qui est en train de parler.
Au fond, il y a lieu de stonner du fait que nous sommes capables
de cap-ter si vite un message qui est transmis une vitesse
relativement grande (nombre dunits dinformation par seconde ce qui
vaut galement pour les messages transmis par un langage par
gestes). Ceci est possible parce que, grce nos attentes, nous
savons dj approximativement ce qui va tre dit. Il sagit, un niveau
sup-rieur, de ce quon a pris coutume de nommer, au niveau des
simples units sman-tiques, le priming. Dans ce contexte, les genres
communicatifs jouent un rle trs important :
Communicative genres are considered to be those communicative
phenomena that have become socially rooted. [] Their basic social
function consists of alleviating the burden of subordinate
(communicative) action problems. [] [Due to the fixed patterns they
constitute] genres are an orientation framework for the production
and reception of communicative actions (Knoblauch & Luckmann
2004 : 303).
Jusquici on a vu que la redondance communicative va de pair avec
la va-riation langagire. Pour la variation, il faut encore faire
une diffrence entre le ct grammatical, donc le code, et le ct
smantique, donc le contenu transmettre. Au niveau du contenu, on
pourrait penser que la polysmie quasiment obligatoire des signes
langagiers poserait problme. Cest que les signes dune langue
quelconque ne sont pas des noms propres, mais des signes pour des
classes de rfrents. Autre-ment, leur nombre devrait tre sans
limite, un constat connu depuis Aristote. Cepen-dant, la polysmie
ne pose pas vraiment problme : normalement, elle passe inaper-
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La variation langagire une notion prciser
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ue grce une monosmisation automatique, effet du priming
occasionn par le contexte et nos attentes.
Un problme plus srieux rside dans le fait que, pour un mme
contenu, il existe bien souvent plusieurs dsignations. titre
dexemple : je peux commencer un message en parlant dun lphant, le
reprendre par lanimal, par lui ou il, puis par le pachyderme, le
mammifre, le colosse, le quadrupde, le rve de livoiriste, la fiert
de lAfrique, ce qui prsuppose tant une connaissance de la hirarchie
lexicale quun savoir encyclopdique. Cette variation lexicale dans
la reprise dun mme rfrent peut devenir un problme srieux pour le
dcodage surtout en tra-duction automatique. Quand il y a plusieurs
dsignations pour le mme concept, cest souvent aussi la variation
diatopique qui entre en jeu, par exemple dans les d-signations dans
le domaine de la nourriture (boulangerie, ptisserie, nom de
pois-sons, bref, tout ce qui saute aux yeux quand on feuillte un
atlas linguistique quel-conque). Ce genre de variation prsuppose un
tertium au niveau conceptuel (ap-proche onomasiologique).
Un tertium de caractre diffrent est prsuppos par le genre de
variation qualifi de polymorphie : je suis, tu es, il est, nous
sommes, vous tes, ils sont ; jtais, tu tais, etc. ; je serai, tu
seras, etc. ; je fus, tu fus, etc. Ici, la polymorphie est un
hritage du latin et le tertium prsupposer est grammatical : il
sagit l de la no-tion de conjugaison et de paradigmes verbaux ,
donc un phnomne dtect surtout par le linguiste professionnel.
La variation dite polymorphique constitue une irrgularit ; elle
est une entrave srieuse au principe du jeu de construction que
devrait permettre le code langagier. Or, trs souvent, ce genre de
variation est un effet de la frquence des lments en question. Dans
les langues europennes, la polymorphie est dans la plu-part des cas
due la loi du moindre effort : est rduit ou abrg ce qui est utilis
sou-vent (cf. pour les langues germaniques Nbling 2000, Martinet
1964, Ldtke 1980).
Pendant les trois dernires dcennies, les linguistes ont beaucoup
parl de grammaticalisation. Dans notre contexte, il est vident que
la variation peut tre la base de changements langagiers. Le
romaniste connat bien les changements inter-venus pendant la
transition du latin lancien franais. L, le changement dans la
prononciation des phonmes a eu des consquences trs voyantes. Comme
cest le cas pour la transition de lancien franais au franais
moderne, ce genre de change-ment prend des sicles entiers. Il nest
donc gure visible pour les contemporains. Si on cherche des cas de
transition vraiment rapide, les langues croles base lexicale
anglaise, franaise, portugaise ou arabe sont peut-tre les meilleurs
exemples. La ncessit absolue de communication mutuelle (ici : entre
matres et esclaves) lie labsence dinstitutions de formation est
propice ce quon appelle un processus de crolisation.
Normalement, ces processus appartiennent la catgorie de ceux de
moyenne ou de longue dure. Je voudrais illustrer cela en utilisant
le cas de la for-mation dune diathse nouvelle : on sait que les
diathses verbales se dfinissent, dans les langues indo-europennes,
par la projection de rles smantiques sur les rles syntaxiques,
spcialement sur le rle syntaxique du sujet. Si nous avons affaire
un verbe trivalent (ce sont les verbes de dire et de don), ct du
rle smantique de lagent et de celui qui subit laction, un troisime
actant entre en jeu, celui au pro-
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Wolfgang Raible
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fit ou au dtriment duquel se fait laction (en anglais, on
lappelle experiencer, donc lexprient ou bien lexprienceur).
Or, il y a des langues qui possdent une diathse de lexprient
dont le franais. Lnonc M. Untel sest vu dcerner le prix Goncourt en
est un exemple. Un mmoire de matrise, soutenu lUniversit de
Fribourg-en-Brisgau lhiver 2003 / 2004 par un tudiant brsilien, a
montr que ce processus de gram-maticalisation commence au XIVe
sicle et ne peut tre considr comme pleinement tabli quau XXe sicle
(cf. Meinberg Ferreira de Morais 2004).2
Les exemples trouvs par Meinberg laide de la base de donnes
balise Frantext parlent en faveur, comme point de dpart, dune
construction comme Ma-rie voit Jean frapper Pierre, donc le schma
de lAcI [accusativus cum infinitivo] latin utilis pour les
compltives aprs les verbes de perception et de communication
(notamment voir, entendre, affirmer, dire, cf. Raible 1992). Voici
quelques exemples o cest encore lobjet direct qui est promu la
position du sujet :
Quant Berinus se vit ainsi saisir, si mua couleur et fremy et
tressua dangoisse et leur dist: Beau seigneur, que ay je fourfait,
qui si villainement me tenez ? (1350)
Et ainssy quil se vist cheoir, il fist ung cry sy hault et sy
ample que la reviere et les rouches en firent grant bruit.
(1465)
Et quant Guy se vist ainssy estre detenuz, a haulte voix
commence a crier : O Jhe-sus, vray Dieu, qui mas fait et fourm !
Ont vois je mal infortun que je suis ? (1465)
Vers la fin du XVe et au dbut du XVIe sicle, on rencontre les
premiers cas de promotion de lobjet indirect. Le verbe reoit la
forme dun infinitif.
[] et, jaoit que [= bien que] devant ses yeulx se vist fendre le
ventre et tirer ses boyaulx, touteffois quant le bourel lui demanda
sil vouloit boire, respondit : Non, tu mas ost o je le devoye
mectre. (1494)
Mais Ypolite indigne de se voir preferer son ennemie par un
homme qui lavoit autresfois esleve au dessus de toutes les choses
mortelles, [...] ne luy respondit autre chose sinon, ha traistre !
(1624)
Au fur et mesure que le temps progresse, on observe trois
phnomnes. Premirement, la nuance de perception optique comporte par
le verbe voir va en diminuant. Deuximement, il y a une transition,
entre autres, vers des personnes ju-ridiques, donc des sujets
abstraits avec lesquels on nassocie pas forcment une ca-pacit de
voir. Enfin, dans certains cas, la perception directe est mme
exclue par le fait que le sujet, dans ce cas-l humain, est
aveugle.
2 Die Konstruktion se voir + Infinitiv als Instrument zur
Passivbildung im Franzsischen. Mmoire de matrise,
Fribourg-en-Brisgau. Entre-temps lauteur a dcroch une matrise
encore plus prestigieuse la Harvard Kennedy School (Master of
Public Administration and International Development).
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La variation langagire une notion prciser
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Deux exemples rcents :
Une personne aveugle qui utilisait un chien daveugle, sest vu
refuser [agent ex-prim :] par Air France le droit de garder son
chien en cabine lors dun voyage Strasbourg en octobre 2002. Aprs de
longues discussions, elle y a t autorise. (Rapport sur la situation
des droits fondamentaux dans lUnion europenne, 2002)
Laveugle, hsitant traverser la rue, sest vu soudain prendre par
la main. (Exemple tir de Claude Hagge, The Language Builder)
Le verbe voir, employ lorigine clairement dans son sens de
perception optique, est devenu un outil grammatical qui, dans cette
fonction, a perdu son sens de verbe lexical. Lusage de cette
diathse est cependant hautement scriptural et se trouve en gnral
dans des textes administratifs et juridiques, ou dans des textes de
journaux qui refltent les dcisions administratives. En tmoignent
aussi les verbes avec lesquels se voir est employ : attribuer,
confier, refuser, imposer, offrir, inter-dire, retirer, reprocher,
enlever, dcerner, etc.
3. Sortir de limpasse ? Une issue se profile
On a pu faire, dans ce qui prcde, une srie de constats. Dans
toutes les langues, plus prcisment, dans toutes les situations de
communication langagire, la variation rgne en matre absolu. La
variation, renforce par des phnomnes de frquence, peut crer des
irrgularits, par exemple dans les paradigmes grammati-caux. Ces
phnomnes de variation peuvent mme tre la base de changements dans
le systme langagier changements cependant qui appartiennent
normalement aux processus de moyenne ou de longue dure (dans le
sens que Fernand Braudel a donn ces termes cf. Braudel 1958).
De tout cela on pourrait conclure que la variation, surtout sous
ses formes diatopique, diastratique et diaphasique, peut engendrer
un chaos communicatif avec des consquences nfastes, rendant en fin
de compte la communication impossible. Si ceci nest pas le cas,
cest grce un phnomne dj voqu deux fois en parlant des paradigmes
verbaux et des dsignations que peut avoir un mme concept ph-nomnes
lis avec la notion d invariant . Cest que, gnralement parlant,
toute variation prsuppose avec une ncessit absolue un invariant, le
tertium compa-rationis devant lequel quelque chose peut tre peru
comme variable.
Au niveau des moyens smantiques, linvariant est le concept
auquel cor-respond une srie dexpressions langagires diffrentes.
Au niveau de la polymorphie, linvariant ou tertium tait un
invariant grammatical (systme verbal avec ses possibilits de
conjugaisons, etc.).
Au niveau du changement phonologique, linvariant est un systme
doppositions tel quil a t concrtis un niveau universel par Roman
Jakobson et Morris Halle (1971 : 464-504).3
3 Il faut complter cette contribution par The revised version of
the list of inherent fea-tures , publie par les mmes auteurs dans
le mme volume (pp. 738-742). Les langues particulires nutilisent
jamais plus quune partie des oppositions possibles.
-
Wolfgang Raible
16
Au niveau de la grammaticalisation dune diathse, linvariant est
une es-pce de programme cognitif qui permet la projection de rles
pragmatico-sman-tiques sur les rles actantiels syntaxiques mis par
un verbe (ici trivalent).
Bref, les invariants sont les programmes cognitifs, les
concepts, les fon-ctions ou les tches (et leur support catgorique)
raliser par les variables que sont les lments dune langue
historique. Sil sagit de tches remplir par un grand nombre ou mme
par toutes les langues, un tel invariant peut tre utilis pour une
classification par exemple dordre typologique (comment lier des
phrases les unes avec les autres ? (cf. Raible 2001) ; comment
former des groupes nominaux ? ; etc.4).
4. Un rsum consolateur qui mne dune impasse un champ libre
Or, nous savons que, premire vue, la variation semble rgner,
dans la communication langagire, en matre absolu. Elle est
tributaire du haut degr de li-bert dont jouissent les systmes
psychophysiques humains. Cependant les dgts que peut provoquer
cette variation incontournable sont limits par son compagnon, le
filet de secours communicatif indispensable quest la
redondance.
Ce filet de secours prend des formes diffrentes. Il y en a qui
jouent sur le plan du contenu transmettre. En effet, nous
communiquons pour transmettre et pour capter du sens ; nous rptons
que tous nos efforts de comprhension nont que ce seul but, quelle
que soit la qualit du message transmis. Un autre facteur
primor-dial est li au prcdent : nous savons en principe ce qui nous
attend, et ce, grce des genres communicatifs connus des
partenaires. Nous connaissons la forme dun bulletin mtorologique et
nous savons, entre autres, que les formes du prsent de lindicatif
utilises l nont aucune valeur de vrit. Nous savons comment
fon-ctionnent une excuse, le rcit dun voyage ou dune aventure
amoureuse, etc.
Ct forme, la redondance du message langagier facilite normment
la comprhension : elle laisse entrevoir linvariant (par exemple un
moule syntaxique complet) bien que lnonc ne soit pas entirement
ralis.
Le grand secret de la communication russie malgr ltat imparfait
du message langagier consiste donc dans le fait que toute variable
prsuppose un inva-riant tel le sens quon anticipe, telle la
fonction ou la tche raliser par les va-riables que sont les lments
dune langue historique et la chane parle produite partir de cette
base.
Le programme de la confrence stipulait quon labore une rflexion
autour de trois notions-cls : divergence , convergence et question
de la norme . La rponse de la prsente contribution est que ce sont
les invariants qui assurent la convergence, que la variation est
plutt lorigine de la divergence et de la possibi-lit de changement.
Le rle de la norme est celui dun moule, dune forme idale hautement
artificielle, bien sr respecter, bref la norme nous fournit des
inva-riants qui sont en gnral dun ordre formel.
4 Voir, pour concrtiser ce point pour les langues croles base
lexicale franaise, Raible (2003 : 143-161).
-
La variation langagire une notion prciser
17
Comme souvent, ce jeu entre divergence et convergence peut tre
exprim par une des belles images cres par Hraclite dphse :
Ils ne comprennent pas comment ce qui lutte avec soi-mme peut
saccorder. Lharmonie du monde est par tensions opposes, comme pour
la lyre et pour larc. (Fragm. 22B 51 Diels)5
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5 Pour ceux qui apprcient loriginal avec son texte en dialecte
ionien: : [Ou xynisin hks diaphermenon eut homologei : palntropos
harmon hksper txou ka lrs].
-
Wolfgang Raible
18
kationswissenschaft, vol 20.1., Berlin & New York, de
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http://latina.phil2.uni-frei-burg.de/raible/Publikationen/Files/Bioprogramme.pdf
>
-
COMMENT CE QUE MONTRENT LES FRANAIS DAFRIQUE SINSCRIT / NE
SINSCRIT PAS DANS LES DYNAMIQUES DES
FRANAIS DANS UNE PERSPECTIVE PANFRANCOPHONE
Batrice Akissi Boutin Universit de Toulouse-le Mirail et ILA
dAbidjan
& Franoise Gadet Universit de Paris Ouest Nanterre la Dfense
et MoDyCo
Parmi les diverses faons de sintresser au franais en Afrique,
nous adopterons ici une perspective qui peut paratre un peu
priphrique : il sagit dtablir sa place parmi les diffrents franais,
compte tenu de lapport spcifique de chaque franais pour un
linguiste cherchant une image gnrale de la langue fran-aise .
Lhorizon de nos interrogations concerne la part, dans le
changement, du structural, du socio-historique, et des effets du
contact, dbats sur lesquels des syn-thses ont t donnes par Sankoff
(2002) ou Thomason (2008). On sinterrogera ainsi sur lintrt et sur
les limites de la notion de varit (en un sens linguis-tique).
La variabilit est certes reconnue dans la tradition de
linguistique franaise, mais elle dpasse rarement la mtaphore et
lhypothse dune sorte de degr zro des langues : germes dvolution ?
Potentialit de tendances structurelles ? Quelle place accorder ds
lors aux facteurs sociolinguistiques ? Constituent-ils seulement
des ferments ayant pour effet de favoriser ou de bloquer ce qui se
joue au plan structurel ? Des phnomnes qui existent dans tous les
franais, mais passent inaper-us, sont souvent rendus plus visibles
dans les franais hors de France pour des rai-sons diverses.
Gadet (2010) a prsent, la suite de son exprience dans la
Grammaire de rfrence du franais, une liste de lieux de variation,
et cest dans cette perspective que nous nous interrogerons ici,
tout en tant conscientes du risque que comporte une conception des
langues avec des lments inhrents et dautres, incidents.
Il est habituel dopposer les franais dEurope (berceau de la
langue) aux franais exports, surtout en Amrique (premire vague de
migration de langue) et en Afrique (deuxime priode de migration).
Le franais offre ainsi une palette exceptionnelle parmi les langues
du monde (vs langlais, seul comparable quant la grande diversit
selon les points de vue la fois gographiques et cologiques le
franais tant loin derrire). On se demandera ainsi ce quil y a
apprendre, pour un linguiste, de chaque franais, et finalement de
tous.
Nous voulons examiner ici les restructurations des franais
vernaculaires, et les conditions susceptibles de les favoriser, en
discutant des facteurs de conver-gences et de divergences, la
notion de norme endogne , la perception daccents ou didentit
sociolinguistique. Nous nous arrterons quelques formes :
subjonctif, que, relatives, discours rapports, auxiliaires, en
privilgiant les interfaces, entre syntaxe et discours dune part, et
entre syntaxe et phonologie de lautre.
-
Batrice Akissi Boutin & Franoise Gadet
20
1. Peut-on parler de franais dAfrique ?
1.1. Des notions rvaluer : natif et vernaculaire
Selon la doxa, la diffrence entre franais europens et amricains
dune part, africains de lautre, serait le trait natif , rare en
Afrique. Il faut donc com-mencer par relativiser cette notion de
locuteur natif , qui nest pas le facteur es-sentiel dopposition.
Ainsi un Louisianais sera dit natif , mme sil nutilise que rarement
le franais dans sa vie courante, alors quun Camerounais est regard
comme non natif mme sil conduit peu prs toute sa vie en
franais1.
Notre intrt premier est ainsi dirig sur les vernaculaires, quil
est habituel de dfinir travers les traits en usage surtout loral,
dans la proximit communica-tive (changes ordinaires, entre
proches), compte tenu dune certaine dilution de la pression
normative et dun degr bas de surveillance (auto- ou htro-). Tous
ces critres savrent problmatiques et mal dfinis (Renaud 1998), car
ils se concr-tisent diffremment selon les lieux. Appliquer la
dnomination de vernaculaire aux franais dAfrique, cest accepter un
nouveau sens ce terme, puisque le franais peut tre le vernaculaire
de locuteurs qui ne lont pas comme langue premire. Pour autant, en
parlant de franais vernaculaires en Afrique, on nen aura pas cern
toutes les caractristiques.
Est-il justifi de dire quil existe un (ou des) franais dAfrique
? Peut-on dire autre chose que franais en Afrique , ou franais Nom
de lieu (et va-riante adjectivale ou nominale) ? Est-ce seulement
dun point de vue europo-centr que lon peut dire franais dAfrique ,
ou bien des locuteurs se reconnaissent-ils dans cette dnomination ?
Lors des premires journes scientifiques du rseau th-matique tude du
franais en francophonie de lUREF Nice en 1991, Manessy et
Tabi-Manga insistaient dj sur les problmes (notamment idologiques
Tabi-Manga 1993 : 43) de lexpression franais dAfrique , lie la
question de la norme endogne que nous commenterons plus bas. Vingt
ans aprs, les mmes questions perdurent, dans un paysage o lon
peroit sans doute mieux trois raisons qui devraient inciter la
prudence : 1) la disparit selon les pays (par exemple selon le type
de colonisation) ; 2) les conditions cologiques dexercice de la
langue, dif-frentes pour chaque pays, voire pour diffrentes aires
dun mme pays ; 3) la dispa-rit de matrise selon les locuteurs.
1.2. Donnes factuelles sur le franais en Afrique
Le franais en Afrique pse dun poids certain sur la francophonie
mon-diale : 46,3 % des francophones sont des Africains un peu plus
nombreux que les Europens (44 %) daprs les donnes officielles du 12
octobre 20102. Ces don-nes sont sans doute contestables, mais a
minima, elles confirment limportance de lAfrique pour la
francophonie. Les critres retenus pour tablir les donnes chif-fres
de francophonie sont dits minimalistes par le Rapport de synthse de
2010,
1 La notion problmatique de locuteur natif a t explore sur le
plan thorique par louvrage de Coulmas (1981a), et dtaille dans son
introduction (Coulmas 1981b). 2 < www.diplomatie.gouv.fr
>.
-
Les franais dAfrique dans une perspective panfrancophone
21
pour des contextes sociolinguistiques varis. En effet, les
pourcentages ont t cal-culs soit sur la base des donnes disponibles
par les recensements nationaux offi-ciels, soit par des enqutes
directes, soit daprs les donnes scolaires pour lAfrique et les pays
o le franais est langue trangre3.
Paralllement ces pourcentages, lOIF a publi des donnes qui sont
le r-sultat denqutes, qui approchent le rle du franais, sa
perception, ou encore la comptence des locuteurs dans certaines
zones. Ainsi, deux mtropoles africaines sont prsentes comme suit
par rapport la connaissance du franais.
Pas du tout Difficults Assez bien Trs bien Abidjan 1 % 32 % 52 %
15 % Kinshasa 8 % 28 % 43 % 21 %
Les deux pays se distinguent aussi par le taux de scolarisation
des enfants de plus de 10 ans : 48 % valus pour la Cte dIvoire, 78
% pour la Rpublique Dmocratique du Congo (RDC). Les pourcentages de
francophones dans ces pays sont estims 45,7 % pour la RDC et 90 %
pour la Cte dIvoire, mais les donnes de scolarisation ont prim,
accordant pour la Cte dIvoire entre 16 et 35 % de francophones et
pour la RDC de 36 60 %. Les chiffres semblent minimiss pour la Cte
dIvoire, mais maximiss pour la RDC. Il est vrai que le rle
vhiculaire du franais, dcisif en Cte dIvoire, est supplant en RDC
par les vhiculaires comme le lingala et le kis-wahili depuis les
annes 80 (cf. Nyembwe ce volume).
Il nen reste pas moins se demander ce quest un francophone, et o
passe la frontire. Si les notions de langues premire vs seconde ont
t abandon-nes par le dernier Rapport de lOIF, celles de locuteurs
rels vs occasion-nels ou de franais dusage courant vs partiel ont t
diversement appli-ques, et ne disent pas grand-chose sur la
comptence relle en franais, compte tenu de la varit des
situations.
Le flou de lexpression franais dAfrique incite ainsi revenir sur
la question de la norme (des normes endognes vs une norme exogne,
une norme afri-caine ou panafricaine vs des normes nationales),
aprs un rapide rappel du pass.
1.3. Petit rappel historique
Si lhistoire des franais dAfrique est en partie partage, quelle
est lincidence des diffrences ? Les franais ont des histoires
diverses en Afrique, des divergences apparaissent ds le dbut,
paralllement des convergences mises en relief par des tudes comme
Manessy & Wald (1984), Manessy (1994).
Des vhiculaires franais ont t prsents sur les ctes du Golfe de
Guine depuis plusieurs sicles, aprs la construction dun premier
tablissement franais Ouidah en 16714. Toutefois, le franais nest
enseign quau dbut du XXe sicle
3 Ont t comptabiliss les francophones des pays de lOIF, plus
lAlgrie, les tats-Unis, Isral et le Val dAoste. Ceci explique que
lenseignement du et en franais soit pris en compte pour certains
pays de lOIF, notamment ceux o le franais est langue trangre
(Roumanie, Laos, etc.). Les critres appliqus lAfrique sont ceux de
ces pays. 4 Le comptoir de traite de Saint-Louis a t cr en 1638,
celui de Gore en 1677, Dakar est fond en 1857.
-
Batrice Akissi Boutin & Franoise Gadet
22
avec le commencement de la scolarisation publique dans les
colonies de lAOF et de lAEF (voir Calvet 2010), pendant que, au
travail et dans larme, ce sont des vhi-culaires coloniaux qui sont
diffuss. Les colonies sont ingalement scolarises et les coles de
brousse nenseignent pas le mme franais que les coles urbaines. Et
il y a aussi des divergences de traitements des langues africaines
selon les rgimes colo-niaux (Quefflec 1992, Calvet 2010 pour
lenseignement). Ainsi, la politique fran-aise dexclusion des
langues africaines diffre de la politique belge. Par la suite, les
politiques linguistiques des tats indpendants se sont encore
diversifies. Nyembwe (2004) analyse en trois temps la politique
linguistique de la RDC aprs lindpendance : rattrapage (dcennie 60),
remise en question (dcennie 70) et conciliation ou partenariat
(jusqu aujourdhui)5. Mais dans la ralit sociolinguis-tique, la
complmentarit franais / langues nationales est trs dsquilibre,
comme le disent de faon consensuelle peu prs tous les travaux sur
le franais en Afrique.
Ces divergences historiques et politiques ont eu des incidences
sur le fran-ais dans les pays africains francophones. Les tensions
sur le franais sont pourtant partout les mmes, avec des colorations
diffrentes selon les situations : pression du standard et idologie
de la langue pure dune part, vernacularisation et hybridation
dautre part6.
2. La norme et les normes
La question de la norme est trs vive en Afrique, lie celle de la
dnomi-nation du franais. Si, de faon spontane, les Ivoiriens
voquent un franais ivoi-rien et les Sngalais un francngalais (par
exemple), ces pratiques sont loin dtre entrines par une norme
officielle. Pour toute activit socialement prestigieuse, cest la
norme internationale de franais, tendant vers le standard, qui est
actualise. Aucun pays africain francophone, mme la Cte dIvoire,
plus indpendante envers le franais de France, nest prt assumer une
norme nationale de franais distante de la norme exogne. Les travaux
actuels de normalisation portent plutt sur les langues africaines,
mais ils naboutissent jamais ce que ces langues soient utilises
dans des fonctions minentes (crit, discours officiel, discours
dexpertise). Le fran-ais a t conserv aprs les indpendances, avec
largument du moindre cot parce que les outils didactiques,
administratifs, juridiques taient dj disponibles. Il nous semble
difficile quil fasse dj lobjet dun travail de normalisation.
Pourtant, des normes endognes sont plus ou moins avres selon les
pays et les espaces de communication, de loral informel aux crits
littraires, en passant par le discours de presse et le discours
politique, parfois jusquaux niveaux les plus levs.
5 La Francophonie institutionnelle met en avant, au moins dans
les textes, le partenariat avec les langues locales. 6 Les franais
africains sont en gnral limits un statut officiel, aux usages
formels et aux zones urbaines sauf au Sngal, toutefois particulier
par le rle du wolof au Cameroun, au Congo, en Cte dIvoire et au
Gabon, o leur vernacularisation donne au contraire souvent lieu des
formes hybridifies (bien attestes en Cte dIvoire et au
Cameroun).
-
Les franais dAfrique dans une perspective panfrancophone
23
2.1. Norme endogne vs exogne
La notion de norme endogne , introduite par Manessy & Wald
(1984), sest rvle depuis trs productive dans les travaux sur le
franais, en Afrique et ailleurs (Manessy 1994 et 1995, Prignitz
1994, Wharton et al. 2008), et a t reprise dans des approches
didactiques (voir tats gnraux de lenseignement du franais en
Afrique subsaharienne francophone de 2003). La notion fait rfrence
une dy-namique interne des langues, qui favorise la variation et
lgitimise les formes or-dinaires . La question de la norme se
trouve ds lors rafrachie et pose, non plus partir dune langue
artificiellement coupe de son milieu cologique, mais par-tir de ce
qui se parle, un vernaculaire marqu par le plurilinguisme (Wharton
et al. 2008, 4e de couverture).
Cependant, la notion d endognit mrite que lon prcise ce
quapporterait le qualificatif la notion de norme . Elle ne peut tre
que relative, dans la mesure o il est difficile quun changement
dans les normes se dveloppe de faon entirement endogne, pour une
langue initialement exogne dont ladoption est motive par des intrts
socio-conomiques transnationaux. En outre, dans un contexte de
globalisation, toutes sortes de franais circulent travers la
chanson, le cinma, Internet ou les mdias. Quant aux formes, dun
point de vue syntaxique ou phonologique, la notion d endognit est
encore plus difficile tenir devant la frquence des phnomnes de
convergence, dans les franais dAfrique, dEurope et dAmrique.
Alors, quelle est la ralit dune norme de franais pour lAfrique ?
Une norme africaine de franais est actuellement une illusion, pour
diffrents motifs socioculturels et linguistiques. Il ny a ni
ensemble culturel de lespace occup par la langue franaise, ni
reprsentation unitaire dune Afrique francophone . Par ail-leurs, la
conscience aigu de la norme qui accompagne souvent le franais se
mle, lissue de la colonisation, des relations ambigus avec cette
langue : des senti-ments dalination, de dpossession identitaire et
culturelle coexistent avec la per-ception dun dfi relever par la
matrise du franais standard7.
En consquence, pour chaque pays, si le concept de norme endogne
est plus ou moins admis pour les franais ordinaires, il est loin de
rencontrer une vo-lont de lgitimation officielle. Les tats gnraux
de lenseignement du franais en Afrique subsaharienne francophone de
2003 Libreville ont affirm la ncessit de lgitimer des normes
endognes, mais aucune suite na jamais t donne8.
Lide de norme africaine ou panafricaine de franais est
inconce-vable dans ce contexte.
7 Dans le contexte, en certains aspects comparable du Maghreb,
Kateb Yacine parle de butin de guerre pour le franais en Algrie et
non de legs , mtaphore plus conventionnelle et surtout plus
franco-centre. 8 Au contraire, les rformes universitaires (LMD)
conduisent souvent laugmentation des cours de langue franaise dans
les universits et coles normales, et donc la diffusion du
standard.
-
Batrice Akissi Boutin & Franoise Gadet
24
2.2. Convergences et divergences des franais dAfrique
Des convergences et des divergences apparaissent sur plusieurs
plans dans les travaux sur les franais en Afrique, selon quils
sattachent plutt aux formes ou aux normes. Du point de vue des
formes, depuis les travaux de Wald et Manessy, il existe des tudes
globales sous lappellation franais dAfrique , mais la tendance
actuelle est plus des travaux limits gographiquement (capitales,
rgions, pays). Ces tudes descriptives prennent deux orientations,
selon quelles insistent sur les convergences ou les divergences.
Les phnomnes sociolinguistiques voqus pour expliquer des
convergences de formes sont la basilectalisation en gnral lie des
locuteurs de niveau dtudes modeste, de position socio-conomique peu
avanta-geuse et dune faible matrise du franais (Italia &
Quefflec 2010), un fort contact avec les langues africaines, ou aux
effets dune culture doralit9. Les travaux qui pinglent plutt des
divergences sintressent aux interfrences avec les langues
africaines (parmi dautres, Skattum 2010), ou des processus de
vhicularisation vs vernacularisation (Manessy 1994, 1995)10.
Pour comparer entre eux les franais en Afrique, il convient de
dfinir des termes de comparaison. Les frontires politiques et
administratives sont-elles dj pertinentes alors quelles ont t
imposes depuis peu ? Les cartes ethnolinguis-tiques le sont-elles
davantage, alors que la migration et une grande mixit ethnique ont
caractris la plupart des rgions africaines avant, et plus encore
aprs, la coloni-sation ?
Du point de vue des normes, les dynamiques linguistiques des
mtropoles peuvent diffrer selon quune langue domine (franais
Abidjan, wolof Dakar) ou que plusieurs langues se rpartissent
lespace, comme Ouagadougou ou Kin-shasa. Les pratiques du franais
convergent davantage dans le premier cas, tendant soit vers
lautonomie, soit vers le standard, et sont plus divergentes dans le
second11.
Dun point de vue formel, nous sommes ici dans le cadre des
rapports entre langues ou varits, qui obligent sinterroger sur le
mme et lautre , question fondamentale de la mthodologie
linguistique. Si lon nattribue pas les divergences au contact, il
reste les contraintes, lextension et la frquence des phnomnes, que
nous illustrerons avec a anim. Soient les exemples suivants, qui
montrent des proximits entre faits provenant daires diffrentes
:
(1) les femmes, a travaille mal. (Paris, Bauche 1920 : non
spcifique)
(2) a trouve quelque chose pour pas aller en docteur parce que a
avait pas dargent pour a. (Louisiane, Stbler 1995 : spcifique)
(3) ton dernier passager que tu trouves, tu viens avec a.
(Abidjan, Knutsen 2007 : spcifique)
9 Une quatrime hypothse sur les causes de convergence, celle de
la smantaxe (Manes-sy 1995) semble avoir t abandonne. 10 Des
travaux comme Prignitz (1994) montrent combien les noncs peuvent
tre proches, au Tchad, au Cameroun, au Niger, au Burkina Faso ou en
Cte dIvoire. 11 Voir la notion d aire communicative dans Gadet,
Ludwig & Pfnder (2009). Ces aires ne doivent pas tre considres
comme des espaces clos juxtaposs, mais comme des en-sembles pouvant
interfrer.
-
Les franais dAfrique dans une perspective panfrancophone
25
(4) a veut voler de ses propres ailes, mais a peut mme pas
gagner sa vie. (Pa-ris : spcifique)
Mais avant daller plus loin sur la syntaxe, nous voquerons
rapidement la percep-tion des accents, puisquil apparat que cest l
que se manifestent le mieux des sp-cificits.
2.3. Les accents africains
Les capitales ouest-africaines sont des espaces o slaborent des
connais-sances linguistiques et mtalinguistiques par lexprience de
laltrit. Une tude sur la perception des accents ouest-africains
(Boula & Boutin 2012)12 tente dvaluer la perception comme
comptence apprhender la ralit linguistique et corollaire-ment, de
confirmer / infirmer lexistence dindicateurs permettant de
reconnaitre des appartenances sociolinguistiques,
ethnolinguistiques ou nationales.
La pertinence des rponses atteste une relle comptence catgoriser
un signal, indpendamment de toute rfrence culturelle, spatiale ou
socioprofession-nelle, en labsence dautres marques lexicales ou
syntaxiques. Plusieurs indices ont t tests instrumentalement : les
ralisations de /R/, les patrons prosodiques des polysyllabes
(diffrence dans la frquence fondamentale entre premire et dernire
syllabe), les dures, sans que les rsultats permettent pour linstant
une modlisa-tion. Il ressort de ltude que les patrons et routines
perceptives sont plus efficaces que le traitement automatique des
donnes acoustiques13. La justesse des rsultats perceptifs sur
lidentit ethnolinguistique et nationale des locuteurs montre que
les accents diffrencient dune part quatre capitales, dautre part
quelques ethnies de la rgion ouest-africaine. Ce test permet aussi
de soulever des questions, que les pro-nonciations de R peuvent
illustrer. Ltude de R chez des locuteurs sngalais, maliens,
burkinab et ivoiriens montre des patrons diffrents pour chaque
groupe. Les pourcentages par appartenance na-tionale de /R/
apicaux, dorsaux ou vocaliss / lids se rpartissent comme suit :
% R Burkina Faso Cte dIvoire Mali Sngal [r] apical 71 39 91 59
[R] dorsal 5 10 0 23 [w] vocalis ou lid 24 51 9 18
Pour tous les pays sauf la Cte dIvoire, le R le plus frquent est
[r], et des R peuvent tre lids en finale. Les Sngalais (wolof) ont
fait entendre plus de R dor-saux, les Maliens (snoufo et bambara)
nont produit aucun R dorsal et peu dli-sions, les Burkinab (mossi
et bambara) et les Ivoiriens (akan, snoufo et bambara) ont eu des R
dorsaux et lids, mais les R lids sont majoritaires en Cte
dIvoire.
12 Les juges de la premire phase de lenqute, majoritairement
ivoiriens, devaient valuer le degr daccent, le niveau dtudes, et
identifier lappartenance ethnique et nationale de 20 locuteurs de 4
pays, 5 ethnies, 5 niveaux dtudes, de 24 62 ans. Voir <
http://www.audiosurf.org/test_perceptif_africa >. 13 On peut
sinterroger sur la pertinence dune dmarche qui tente de comprendre
le fonction-nement de la perception, en se basant sur des mesures
acoustiques instrumentales ou en les prfrant aux tudes perceptives
et la linguistique populaire.
-
Batrice Akissi Boutin & Franoise Gadet
26
Il est possible que le R constitue un indice pour les juges , et
ils lont signal en fin de test quand on leur a demand quels indices
les avaient guids. La justesse dont ils font preuve pour localiser
les locuteurs contraste toutefois avec la pauvret des commentaires
: Mali et Burkina ils roulent les r / Cte dIvoire : ils ne
prononcent pas les r / les R sont plus marqus chez les mors.
Si le linguiste peut ainsi dgager un systme, comment les juges
ont-ils acquis des patrons sociolinguistiques efficaces, compte
tenu des ressources percep-tives / cognitives, souvent peu
conscientes ? Et quand plusieurs patrons phonolo-giques sont
possibles par communaut, comment seront-ils perus ?
Il semble quil faille conclure ce point en signalant le primat
du sociocultu-rel sur le structurel dans lvaluation de varits de
langue.
3. La syntaxe, facteur de diffrenciation entre les franais ?
Si des diffrences phontiques sont exploites en perception pour
identifier des franais dAfrique de lOuest, les donnes syntaxiques
quant elles semblent davantage partages travers les espaces
francophones, et moins aptes dresser des profils
communautaires.
3.1. Des lieux de variation
Pour la syntaxe, nous allons nous arrter des faits bien
identifis comme des lieux de variation du franais (Chaudenson et
al. 1993, Gadet 2010). Pour cer-tains domaines comme la jonction de
phrases ou la morphosyntaxe verbale, la syn-taxe ne saurait tre
tudie sans tenir compte des interfaces, et avec le discours
(puisque des effets de sens sont possibles sans imputation la
syntaxe), et avec le phonique, o les oppositions entre deux
morphmes se rduisent parfois des diff-rences acoustiques
minimes14.
Il faut dabord soulever la question des corpus pour les
descriptions, en particulier les corpus oraux : il en existe
beaucoup, mais peu sont facilement dispo-nibles (par exemple sur
Internet). Dautre part, ils diffrent quant leurs conditions de
recueil, quant leur volume, et quant aux modalits de
transcriptions. Leur nombre est pour lAfrique bien moins lev que
pour les franais dAmrique, qui ont aussi t recueillis plus tt ;
mais les recueils africains sont intervenus trs vite (Hattiger
1981).
Nous nous demanderons maintenant quelles hypothses peuvent tre
tires des faits oraux documents. Quelques questions apparaissent
comme des pralables :
- Peut-on caractriser les tendances actuelles du franais ?
- Comment dfinir la notion de tendance , autrement que par une
liste ?
- Quels sont les effets de ce quil est souhaitable de ne
comparer que du comparable (des faits relevant de productions
analogues), et surtout pas des confrontations du standard ? (Pour
une critique des points de vue fonds sur le standard, voir par
exemple Ploog 2002, Gadet 2011).
14 On touche aussi les limites dune syntaxe de loral qui ne
sappuie pas sur la prosodie.
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Les franais dAfrique dans une perspective panfrancophone
27
Nous allons donc repartir de quelques lieux de variation
identifis, et nous demander lesquels dentre eux constituent des
candidats pour des spcificits panfranco-phones. Dans un deuxime
temps, nous devrons nous demander ce quon manque lorsquon se
contente de reprendre les questions identifies dans la ralisation
dune grammaire (Gadet 2010).
3.2. Des questions privilgies
Les zones syntaxiques identifies concernent les prpositions, les
pronoms, le systme des temps verbaux, la ngation, les constructions
verbales, que (qui con-cerne plusieurs faits diffrents), l, les
relatives, les interrogatives, lordre des mots ; et la liste nest
pas close. Cest a priori une liste chaotique : pour quelle fasse
sens, il faut prendre de la hauteur par rapport aux questions de
grammaire15.
Prenons dabord lexemple du subjonctif et de son instabilit ,
pour le-quel des tendances ont t tablies, aussi bien par des
historiens de la langue que par des sociolinguistes / grammairiens
(disparition, mais pas totale). Ds 1949, Brunot & Bruneau (
519) crivaient que le subjonctif franais nest plus quun mode
dfectif . Neumann-Holzschuh (2009), sur le franais acadien, observe
quil se maintient surtout aprs vouloir, aprs les conjonctions comme
bien que, et aprs il faut :
(5) si tas une laiterie faut pas tu te mets en amour avec une
vache. (Louisiane, Stbler 1995)
(6) un garde du corps cest pour pas quelquefois que vous partez
en arrire. (St-Pierre-et-Miquelon, Chauveau 1998)
(7) vous pouvez avancer au micro pour quon pouve entendre a que
cest que vous avez dire. (Nouvelle-cosse, corpus Petras 2008)
(8) jai pas connu a avant que jtais grande et marie. (Louisiane,
Stbler 1995)
(9) je voudrais pas quelle ferait un fricot au lapin.
(Nouveau-Brunswick, Wies-math 2006)
Maintenant, quen est-il en Afrique ? Les mmes tendances
sont-elles luvre ?
(10) donc faut que on va garder a. (Cte dIvoire, Boutin
2008)
(11) on voulait dj prendre les mots avant que la voiture a
dmarr. (Cameroun, Simo-Souop 2009)
(12) cest pour cela que on a remarqu que mme les demandes de
bourse internationale, les tudiants malgr quils ont des diplmes,
mais ils ont des difficults pour acqurir ces bourses. (Sngal, Gueye
2008)
15 Lors du colloque de Cologne, Katja Ploog a soulign que ces
zones du franais sensibles la variation semblaient concerner la
linarit, plus immdiatement contraignante en mode spontan. Cest
ainsi que sont particulirement concerns la zone antverbale, avec
les cli-tiques, fragiles du point de vue morpho-phonologique, et
des lments de connexion (prposi-tions et conjonctions), qui
permettent lincrmentation dunits discursives plus complexes. Il
sagit de deux niveaux dlaboration linaires bien diffrents, qui
nexpliquent certaine-ment pas tout, mais qui permettent dinscrire
une rflexion dans une dynamique duniversaux de loralit (voir
conclusion).
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Batrice Akissi Boutin & Franoise Gadet
28
(13) on lui a dit de venir prendre, euh, commencer tre, euh,
dtacher des bal-lots l, que un certain moment donn, on va faire des
affaires pour quil commence avoir un bureau, et ainsi de suite
jusqu ce quon va lemployer officiellement. (Burkina Faso, Prignitz
2004)
Certains de ces exemples sont fragiles, mais il semble quand mme
bien quil y ait au moins partiellement convergence entre les
diffrents franais, malgr quelques diffrences de notations selon les
auteurs (voir Knutsen (2007 : 218), qui pour le franais dAbidjan
parle de variabilit aigu ). On peut observer une tendance similaire
avec que, dans un emploi dit de subor-donnant universel , ou comme
seul subordonnant en relative, o il est suivi ou non dun pronom
rsomptif. En tant que lien discursif vague, que est affect de
mouve-ments contraires dextension et domission (voir Wiesmath 2006)
:
(14) on avait juste eu llectricit que moi javais 16 ans.
(Louisiane, Stbler 1995)
(15) jai pas pu y aller aujourdhui que javais la voiture.
(Paris)
(16) moi jai des petites surs qui vont lcole que je prends la
charge. (Cte dIvoire, Knutsen 2007)
(17) il y avait la fesse de la maison un arbre que jai grimp en
haut. (Cameroun, Ongun Essono 2002)
Ces observations invitent revenir sur la dfinition de la
relative et sur celle dautres catgories grammaticales dailleurs,
qui seront branles par les phno-mnes non-standard. Les liens vagues
sont renvoys au discours, ou forcs vers des catgorisations
dtermines. Pourtant, ces phnomnes, un peu vite considrs comme
inclassables , invitent revenir sur les interfaces de la syntaxe,
ce que nous allons faire maintenant avec lexemple du discours
rapport.
3.3. Le discours rapport
Lintgration par un locuteur du discours dautrui dans son propre
discours dtourne ce discours en linsrant dans un nouveau contexte,
pour un nouvel objec-tif. Ces nouvelles conditions pragmatiques
demandent que soient respects la fois le bornage des voix et
lunicit de lacte dnonciation, alors mme quil est le pro-duit de
plusieurs voix. Dun point de vue syntactico-discursif, les discours
rapports sont traditionnellement classs par catgories selon le degr
dautonomie / intgra-tion. Cependant, de nombreuses tudes, sur des
discours littraires, sur des discours crits et oraux divers (Rosier
2009), sur les franais dAfrique (Ploog 2004, Queff-lec 2006,
Simo-Souop 2009, Boutin 2011), ou sur les franais dAmrique
(Vin-cent & Dubois 1997) montrent que nombre de discours
rapports sont hybrides, ma-nifestant des proprits complexes.
Dans des usages sans trop de pression de la norme crite du
franais, que et de subissent une rinterprtation syntaxique et
logique, et des particules nonciatives (non, ah, mais, bon, etc.)
peuvent jouer le rle de balise du discours rapport en mme temps
quelles orientent vers linterprtation. En particulier, quand que
est omis pour un discours rapport indirect, ou trs dcal par rapport
au verbe dans un
-
Les franais dAfrique dans une perspective panfrancophone
29
discours direct ou indirect, et quil ny a pas dautres marques de
dpendance16, son rle grammatical est affaibli au profit dun rle
discursif. Que a alors un rle dorganisation du discours, proche de
celui de particules nonciatives comme non, bon, ben, comme on le
voit dans les noncs :
(18) vers la fin il me dit que non mon papier il na pas pu
prendre que cest trop compliqu que lui il pensait que ctait un
autre travail et moi je lui ai d- donn un travail que son ami ne
peut pas faire que cest trop pour son ami. (Cte dIvoire, Boutin
2011)
(19) le gars il dit non que non que le que lonc- que Monsieur
euh Kabor quil est sorti. (Burkina Faso, Prignitz 2004)
(20) la Franaise elle disait que non elle ne peut pas recevoir
que son mari lui a ca-ch lheure laquelle son pre devrait venir.
(Tchad, Prignitz 1994)
(21) je demandais souvent aux enfants si ctait bon cest quelle
cole qui tait habille comme a. (Burkina Faso, Prignitz 2004)
(22) donc on a dit bon cest mieux de rester avec la foule. (Cte
dIvoire, Boutin 2011)
(23) je dis hein je go seulement me coucher. (Cameroun,
Simo-Souop 2009)
(24) cest pour a je te dis ben il faut de lentranement. (Paris,
Gadet)
Si que garde son rle de subordonnant syntaxique dans la majorit
des cas, il joue donc aussi parfois un rle discursif de marqueur de
dbut de discours (voix du lo-cuteur ou voix rapporte), se
rapprochant des particules nonciatives. On manque dtudes pour
affirmer la similitude avec les autres franais17, mais aussi avec
dautres langues18. On peut cependant risquer une hypothse : le
discours rapport, pratique sociale dont les enjeux transcendent les
langues et les cultures, donne lieu aux mmes types de phnomnes, et
on peut observer des convergences de formes pour des processus
cognitifs communs.
3.4. Imbrications entre faits syntaxiques et phoniques
On prendra ici lexemple des auxiliaires et de la tendance,
atteste aussi bien en Europe quen Amrique, au remplacement de tre
par avoir. Les faits napparaissent pas aussi frappants Abidjan ou
Ouagadougou, et incitent la pru-dence. Des facteurs lexicaux et
phonologiques entrent en jeu dans ce domaine mor-phosyntaxique.
Certains verbes, comme quitter, sont souvent flchis avec tre,
constituant des exceptions lexicales :
16 Les subordonnants sont considrs comme la premire marque de
dpendance, impliquant les suivantes : la phrase qui suit perd son
autonomie nonciative, les temps et modes verbaux sont modifis, les
personnes des pronoms et les flexions verbales subissent un
transfert, les reprages spatiaux et temporels sont ceux de la
narration. 17 Ainsi, Rosier (2009 : 78-80) parle de discordanciel
pour tous les mots, expressions ou constructions [interjections,
connecteurs, modalisateurs, ruptures modales] qui permettent de
produire un dcrochage nonciatif . 18 Leonaviien (2007) compare les
particules nonciatives comme balises de discours rapports dans la
presse franaise et lituanienne.
-
Batrice Akissi Boutin & Franoise Gadet
30
(25) et les Ouagalais qui sont quitts avec des gens de
[toponyme] l ici. (Burkina-Faso, Prignitz 2004)
(26) je suis quitte l-bas a vaut dix ans je suis pas encore
arrive donc on sest pas encore vu. (Cte dIvoire, Boutin 2008)
La frquence de ce phnomne nest pas ngligeable dans PFC : quatre
occurrences de quitter avec avoir, pour trois avec tre.
Par ailleurs, une forme syncrtique E19 est atteste
sporadiquement (trois fois en cinq heures de parole transcrites
pour ce mme corpus) pour ce verbe ou dautres qui sont
habituellement construits avec avoir (Prignitz & Boutin
2010).
(27) donc cest par rapport a quon vous E, on vous E vus dans les
problmes. (Burkina-Faso, Prignitz 2004)
(28) on peut pas toujours rester, toujours comme on le dit, avec
les colonisateurs. Cest tel pays qui nous E colonis, il faut rester
avec lui, non. (Cte dIvoire, Boutin 2004)
(29) maintenant, elle dit : Bon, va les appeler . Maintenant, je
suis partie les appeler, ils s/ ils sont venus. Vous E quitts o ?
Et puis ils ont dit : Non, maman, maman, cest que . Cest que quoi ?
(Cte dIvoire, Boutin 2004)
Dans ce dernier cas, on peut parler dimbrication du phonique et
du morphosyn-taxique. Cette forme syncrtique est le rsultat dune
perte dopposition phonolo-gique [a ~ ] pour certains (a, as, es,
est, ait, etc.) et dune rosion / attrition pour dautres (tes,
avez), affaiblissements phoniques qui vont souvent de pair avec le
processus de grammaticalisation (Kriegel 2003). Pour autant, ces
faits ne sont pas suffisants pour en dduire quil y a changement
dans le systme. La prudence, ici aussi, demande de rechercher si
dans un mme discours, les autres lments du pa-radigme de est (ou de
a) sont prsents. Mais il est possible quune ranalyse de E soit en
cours, comme simple marqueur de temps verbal.
On conclura donc pour les lieux de variation en syntaxe en se
demandant si ce que lon peut apprendre se limite 1) une numration
de phnomnes syn-taxiques documents (i. e., accumuler des exemples),
2) des tentatives pour les loca-liser dans une grammaire.
Conclusion gnrale
Nous sommes conduites revenir sur la ncessit pour un linguiste
de re-garder la francophonie comme un tout, non seulement pour des
raisons sociolin-guistiques mais aussi pour des raisons
linguistiques : les franais dAfrique nous ap-prennent autant, voire
davantage par le regard quils nous conduisent porter sur le franais
que par leur forme mme, qui nest pas automatiquement divergente par
rapport aux autres franais.
Les franais non-hexagonaux permettent ainsi, par effets de
loupe, de mieux saisir des phnomnes gnraux susceptibles de
concerner tous les franais,
19 Nous optons pour une transcription E pour des valeurs
phontiques de voyelles mi-ouvertes proches de [], avec lide que ces
valeurs ne constituent pas des particularits distinctives de
plusieurs morphmes.
-
Les franais dAfrique dans une perspective panfrancophone
31
ou un grand nombre dentre eux. Ce qui nous conduit nous
intresser aux ten-dances affectant les franais, au-del dune
numration de faits syntaxiques. Il nous semble intressant de
chercher tirer des gnralisations sur les vernaculaires, avec une
hypothse forte de points communs entre vernaculaires (voir Miller
& Weinert 1998 quant la proximit des versions parles des
langues, qui se res-semblent davantage que leurs versions
standard). Lhypothse vaut-elle entre verna-culaires dune mme langue
? Peut-on ltendre aux vernaculaires de toutes les langues ? Des
similitudes de conditions dusage ou de types de discours (proximit,
oralit, usage ordinaire, enjeux quotidiens) correspondent
effectivement des ten-dances semblables entre formes. Jusqu quel
point ? Ces questions, bien illustres partir des franais dAfrique,
concernent la confrontation entre formalisme et fon-ctionnalisme,
en particulier sur le dcoupage mme des niveaux de description et
leur intrication.
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QUATRE VARIATIONS SUR LA NORME ET DES USAGES (PRESQUE) SANS
FRONTIRES
Claude Frey Universit de Paris 3
en dtachement la Coopration pour le Franais Ambassade de France
Nairobi (Kenya)
Introduction
Les questions de convergences et de divergences par rapport la
norme sont des questions centrales dans la description du franais
en Afrique francophone. La littrature ce sujet est abondante,
particulirement ds la rflexion sur lapproche diffrentielle qui mne
la ralisation de lIFA en 1983, susceptible de dterminer une
frontire entre les particularits lexicales du franais en Afrique et
les usages hexagonaux. Lide mme de frontires ouvre la voie vers une
rflexion sur la rfrence et sur la norme du franais en Afrique. Nous
pouvons mentionner, parmi les volutions des vingt dernires annes,
lapparition de deux notions nou-velles : celle de franais de
rfrence , qui remet en cause la seule rfrence nor-mative en prenant
en charge la rfrence dusage (cf. Poirier 1995) ; et celle de normes
plurielles qui, dans de nombreuses publications sur ce sujet,
depuis 2001 surtout, remet en cause lide dune norme unique,
universelle et immuable.
Les normes plurielles intgrent : - la norme acadmique, rpute
singulire, universelle, idale, stable bien
que subissant une lente volution diachronique. Une telle norme
nexiste en Afrique quen rfrence la norme acadmique de France, aucun
tat africain nayant tabli sa propre norme officielle1 ;
- les normes dusages, plurielles, variables en fonction des
situations diato-piques, diastratiques, diaphasiques et
diachroniques. Elles concernent aussi bien le franais en France que
le franais en Afrique, des rgularits discursives pouvant tre
particulires lun ou lautre pays, ou communes plusieurs.
Les divergences par rapport ces normes constituent la base de
lapproche diffrentielle qui a servi dcrire le franais dAfrique, les
convergences ntant prises en compte que pour constituer un corpus
dexclusion. Mais lopposition con-vergence divergence est
quelquefois moins dichotomique que ne le laisse paratre la thorie
et se situe en pratique, du moins dans certains cas, dans une
relation de continuit qui peut rendre difficile la dlimitation dune
norme dusage endogne.
La rflexion qui suit sappuie sur un corpus recueilli pendant
plusieurs an-nes, ainsi que sur les descriptions diffrentielles
publies ce jour, pour mettre en vidence des formes convergentes du
franais dans diffrents pays francophones, dont la France. Nous
traiterons quatre cas, parmi ceux qui apparaissent divergents
1 Contrairement au Qubec, qui rige sa propre norme.
-
Claude Frey
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par rapport la norme acadmique, mais qui montrent dans la
pratique des usages convergents :
1- un cas orthographique, lagglutination : en train de vs
entrain de ; 2- un cas lexical : urgemment et la drivation
adverbiale en -ment ; 3- un cas smantique, les usages particuliers
du verbe faire ; 4- un cas morphosyntaxique, la pronominalisation :
mon cur se battait.
La premire partie du texte qui suit illustrera ces quatre cas
partir de corpus ou de documents publis qui, tous confondus,
rassemblent des occurrences de 1975 (grce lIFA) 2011, et devraient
montrer que lcart par rapport la norme acadmique :
- nest pas a-normal dun point de vue linguistique2 ; - sinscrit
dans une logique de construction morphologique et smantique ; -
nest pas limit au franais dAfrique.
La seconde partie sera une rflexion partir du corpus sur la
norme et les usages, dun point de vue linguistique et
sociolinguistique. Bien que trs l