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Le dveloppement durable est-il soutenable ?
Jean-Marie HarribeySminaire de lOFCE 18 juin 2002
Le XXI sicle commence sur fond de crise gnrale mondiale : le
mode de productioncapitaliste sest tendu la terre entire et soumet
peu peu au rgne de la marchandise toutesles activits humaines,
mais, sans doute pour la premire fois de son histoire, il produit
deuxdgradations majeures simultanes. La premire est dordre social
car, malgr unaccroissement considrable des richesses produites, la
pauvret et la misre ne reculent pasdans le monde : il y a toujours
1,3 milliard dtres humains qui ne disposent que delquivalent de
moins dun dollar par jour, autant nont pas accs une eau potable et
auxsoins les plus lmentaires, 850 millions sont analphabtes, 800
millions sont sous-aliments,au moins 100 millions denfants sont
exploits au travail, et, durant les quatre derniresdcennies, les
ingalits entre les 20% les plus pauvres et les 20% les plus riches
sont passesde 1 30 1 80. Ce dsastre social touche mme les pays les
plus riches puisque les Etats-Unis comptent 34,5 millions de
personnes vivant au-dessous du seuil de pauvret et les paysde lOCDE
dnombrent 34 millions de personnes souffrant de la faim, une
trentaine demillions rduites au chmage, et beaucoup plus encore
dont la situation se prcarise. Ladeuxime dgradation majeure
concerne la nature et les cosystmes gravement atteints oumenacs par
lpuisement de certaines ressources non renouvelables et par des
pollutions detoutes sortes. De plus, la plupart des avis
scientifiques convergent pour salarmer du risque derchauffement
climatique li aux missions de gaz effet de serre. Lorigine de cette
crisecologique est sans conteste le mode de dveloppement conomique
men sans autre critrede jugement que la rentabilit maximale du
capital engag, mais dont la lgitimit taitassure par lidologie selon
laquelle la croissance de la production et de la consommationtait
synonyme damlioration du bien-tre dont tous les habitants de la
plantebnficieraient plus ou moins long terme.
Devant lchec du dveloppement conomique, lONU a forg en 1987 un
nouveauconcept cens remdier aux impasses sociales et cologiques :
le dveloppement soutenableou durable (de langlais sustainable
development) dfini comme un dveloppement quirpond aux besoins du
prsent sans compromettre la capacit des gnrations futures derpondre
aux leurs 1. La confrence de Rio de Janeiro adopta en 1992 des
rsolutions pourviter le rchauffement climatique, protger la
biodiversit et arrter la dforestation.
Pour linstant, la mise en uvre de ces rsolutions est peu avance.
Alors que ladynamique de laccumulation du capital provoque de plus
en plus de dgts non matriss surles cosystmes, la pression saccentue
pour que soit confi aux mcanismes du march lesoin de rtablir les
quilibres cologiques compromis et de les protger lavenir.
Unconsensus international sur la mise en place dun march de quota
dmission de gaz effetde serre ngociables (dits permis ou droits de
polluer) se prpare partir du protocole deKyoto. Or, de multiples
obstacles thoriques et politiques se dressent pour empcher que
cettegestion marchande de la plante soit cologiquement efficace et
humainement quitable. Lesplus importants sont sans doute
limpossibilit et labsurdit dattribuer une valeur montaire des
lments naturels qui ne relvent pas de lconomique, et la
contradiction opposant latendance privatiser des biens communs de
lhumanit et le bien-tre de tous les humainsprsents et futurs. En
consquence, trois questions seront examines ici : 1) les fondements
delapproche no-classique de lenvironnement et leurs limites, 2)
lesquisse dune autre gestioncollective, 3) la conception du
dveloppement. 1 . CMED, Rapport Brundtland, Notre avenir tous,
Montral, Fleuve, 1987, p. 51.
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1. Lapproche no-classique de la gestion de lenvironnementLa
conception dominante de la discipline appele lconomie de
lenvironnement est
fonde sur la notion de soutenabilit faible. Les limites de
celle-ci rendent difficile unevritable insertion de lconomie dans
la biosphre.
1.1. La soutenabilit faibleLorsque la croyance en linpuisabilit
des ressources naturelles sest effondre, les
conomistes no-classiques ont tent d'intgrer l'environnement dans
le modle d'quilibregnral walrasien. Cette intgration a t inaugure
par Hotelling [1931] et trouve sonaboutissement dans la rgle de
compensation nonce par Hartwick [1977] garantissantlquit entre les
gnrations actuelles et futures. Cette rgle stipule que des rentes
gales ladiffrence entre le prix et le cot marginal des ressources
doivent tre prleves au fur et mesure de lpuisement des ressources ;
elles doivent ensuite tre rinvesties pour produire ducapital
substitut aux ressources puises ; elles doivent enfin crotre de
priode en priodedun taux gal au taux dactualisation. Il n'y a en
effet aucun avantage reporter d'une priodesur l'autre l'utilisation
de la ressource parce qu'il est indiffrent de placer au taux r
lesbnfices provenant de la vente d'une unit de la ressource ou bien
d'attendre la priodesuivante pour l'exploiter sachant qu'elle
rapportera alors un bnfice augment d'un taux r.2
Il est ainsi postul que le progrs technique sera toujours
capable de modifier lesprocessus productifs dans un sens de moins
en moins polluant. En complment de cettedmarche, l'intgration de
l'environnement au calcul conomique repose sur la prise encompte
des externalits, c'est--dire des cots sociaux au-del des cots privs
couverts parles prix de march. Linternalisation peut tre ralise
selon deux modalits principales.
1.1.1. La taxe pigouvienneLa premire modalit est la tarification
imagine par Pigou [1958] en 1920 :
l'instauration d'un systme de taxes est une application du
principe pollueur-payeur qui obligeles responsables assumer le cot
de la pollution ou de la dpollution ainsi que celui de laressource
naturelle prleve. En faisant lhypothse raliste que la pollution est
fonctioncroissante de la production, le cot marginal dpuration est
une fonction dcroissante de lapollution. Parce que plus on lutte
contre celle-ci et plus on la rduit, plus il devient difficile
etonreux dobtenir des rsultats marginaux quivalents, et parce que
la pollution nous fait nousloigner toujours davantage des seuils
cologiques dautorgulation. Le cot marginaldpuration augmente donc
au fur et mesure quon tend vers une pollution nulle.
Loptimum conomique peut tre de nouveau atteint pour la socit au
point o le cotmarginal dpuration galise le cot marginal social des
dommages qui, lui, est une fonctioncroissante des dommages. Il
subsiste un certain niveau de pollution mais dont la
suppressionoccasionnerait un cot suprieur celui des dommages. La
taxation, en modifiant les prixrelatifs des produits, corrige
l'affectation des ressources de faon retrouver une
situationoptimale. En effet, chaque agent est incit rduire les
atteintes l'environnement tant que lecot marginal des mesures de
prservation qu'il prend est infrieur au montant de la taxe.Alors,
la taxation permet l'galisation des cots marginaux des mesures de
protection pourtous les agents. Les taxes tant rpercutes sur le
prix du produit final vendu auconsommateur, celui-ci est galement
invit rorienter ses choix. Dans cette mesure, lataxation doit
tendre limiter les cots de dpollution puisque la pollution sera
moindre.Inversement, si un agent est l'origine d'effets externes
positifs pour l'environnement (naturelou social d'ailleurs), un
systme de subventions permet de rmunrer les services qu'il rend la
collectivit. (Voir encadr).
2 . Pour une prsentation plus complte, voir Harribey [1997,
chapitre 3 ; ou 1998, chapitre 2].
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Le principe pollueur-payeur peut donc tre mis en application
sous rserve que deshypothses drastiques soient satisfaites. Ainsi,
il faut pouvoir dterminer le niveau depollution optimal et le
montant de la taxe. Cela suppose de connatre les fonctions de cot
desentreprises polluantes et les dispositions marginales payer des
agents conomiques. Le tauxoptimal de la taxation implique de savoir
quel niveau se fixe lgalisation entre le cotsocial marginal de
rduction des pollutions et la valeur du dommage social marginal
[Godard,Henry, 1998].
Les cotaxesLipietz, [1998, p. 9-39] a prsent un rapport pour
dfinir les principes dune fiscalit de
lenvironnement dont il ressort les points suivants.Diffrentes
formes dorganisation des droits sur lenvironnement existent :
interdiction dusage, norme
(interdiction attnue), formes montaires modrant lusage (cotaxe
pour lusage individuel, quotas oupermis pour lusage collectif).
La diffrence entre lcotaxe et le permis de polluer ngociable
tient lattribution initiale. Si les permissont attribus
gratuitement, lattribution se fait en fonction des droits acquis
par lhabitude de polluer, et toutse passe comme si la quasi rente
marshallienne (la quasi rente est le montant maximum que lagent
seraitprt payer pour continuer user de lenvironnement autant que
sil tait gratuit) tait attribue au pollueurinitial. Si les permis
sont vendus aux enchres par lEtat, le prix du permis est gal
lcotaxe actualise.
Lcotaxe est soit une incitation pour respecter la norme ou une
amende pour en sanctionner la violation,soit le prix de la
compensation des dommages causs lenvironnement. Trs souvent,
linstar du prix delimmobilier, lcotaxe prsente ces deux aspects :
prix de laccs la proprit de lenvironnement et prix dela
construction (production) de cet environnement.
La taxe, qui traduit la diffrence entre le cot social total et
le cot priv ne signifie pas quexisteautomatiquement une galit
dquilibre entre les trois lments suivants :
- le prlvement par lcotaxe sur la quasi rente de pollution ;- le
cot social, en supposant quil soit mesurable ;- le cot de la
rparation, en supposant quelle soit possible.
Ces trois lments ne seraient galisables que si lenvironnement
tait reproductible, si le cot socialtait exprimable montairement et
si lEtat tait le mandataire des pollus pour discuter avec les
pollueurs.Dailleurs, lcotaxe est souvent trs suprieure au cot
visible de la pollution, contrairement ce que pensadans un premier
temps Nordhaus [1990].
La premire justification (par incitation) de lcotaxe est
damliorer la qualit de lenvironnement(premier dividende), ce qui se
traduit par laugmentation du surplus collectif. Mais celui-ci est
difficile mesurer car des lments qualitatifs, thiques entrent en
ligne de compte, dautant quil est intergnrationnel.On prlve sur les
quasi rentes pour accrotre le surplus (mais on ne finance pas le
surplus par la taxe). Noussommes parvenus au point o il nest plus
possible de laisser les quasi rentes individuelles amputer le
surpluscollectif. Do la dlicate question des biens communaux :
ceux-ci nauraient-ils pas provoqu les crises desXIV et XVI sicles
?
Quels sont les effets de la fiscalit de lenvironnement sur la
redistribution des revenus ? Comme lasatisfaction marginale diminue
avec le niveau de revenu, les pauvres sont davantage lss par une
perte dequasi rente de pollution si lon institue une cotaxe. Le
rsultat est le mme si lon impose un rglement (lesriches auront deux
voitures en cas de circulation alterne ou en achteront une neuve
chaque fois que lesnormes deviendront plus svres).
Mais largument peut tre retourn : quand on peut polluer sans
limites, les riches le font plus que lespauvres et il vaut mieux
pour la collectivit y mettre un frein. Les pauvres ont donc plus
gagner qu perdreen amliorant lenvironnement, condition que cette
amlioration ne soit pas immdiatement capte par unecouche sociale
(les riches venant sinstaller dans un quartier o lon a amlior
lenvironnement parce quilsseront les seuls pouvoir acheter le sol
dont le prix a mont). Lcotaxe prsente donc lavantage decentraliser
la quasi rente confisque par la collectivit qui peut ensuite la
redistribuer (deuxime dividende).
Les riches polluent davantage car ils ont plus de moyens pour
payer le prix de leur pollution et ils ontaussi plus de moyens pour
payer le prix de la protection de lenvironnement. Linquit vient des
ingalitsde revenus et, lchelle internationale, des ingalits de
dveloppement, et non de la protection delenvironnement. Les
critiques contre cette dernire sexpliquent par la remise en cause
des compromisimplicites autour de la dtrioration de
lenvironnement.
Trs pauvres (car ils ont tout gagner un environnement plus sain)
et trs riches (car ils peuvent toutfaire) ne perdent pas grand
chose la taxation de la pollution. Il nen va pas de mme pour les
couches oupour les pays moyens pour lesquels le prlvement apparatra
comme suprieur la satisfaction marginalersultant de lamlioration de
lenvironnement conscutive la taxe. En effet, si le principe
pollueur-payeur
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avait t appliqu depuis longtemps, les couches moyennes nauraient
pu accder une consommation dont leprix nincluait pas le cot de la
dgradation de lenvironnement (agriculture, automobile). Mais
aujourdhui,les pollutions tant devenues considrables, il semblerait
que le prix de la protection soit en train de devenirlgitime mme
sil ne faut pas chercher un optimum partien : on ne peut gagner sur
tous les tableaux.
1.1.2. Linstauration de droits de propritLa seconde modalit
dinternalisation des effets externes est lmission de droits
polluer propose par Coase [1960]. Elle prsente lavantage de ne
pas exiger le respect desconditions prcdentes. Coase sest oppos
Pigou parce que la taxe aurait un effet pervers endiminuant la
production ralise par le pollueur. Selon lui, il vaudrait donc
mieux rpartir lepaiement des dommages entre pollus et pollueurs car
le mode dattribution des droitsdusage de lenvironnement naffecte
pas lquilibre conomique si lon est en concurrence.Abandonnant lide
pigouvienne dune taxe prleve par lEtat, Coase a propos de remdier
la dfaillance du march et de rtablir un optimum partien en
instituant des droits deproprit transfrables sur les ressources
environnementales.
La proposition de Coase traduit la croyance au progrs technique
susceptible deprocurer des solutions aux externalits ngatives. En
effet, mettre sur le march des permis depolluer, cest--dire des
portions denvironnement un prix non nul, suppose que laproduction
est et sera obtenue partie de facteurs continment substituables
:
- un peu plus denvironnement qui en sortira un peu plus pollu
pour ceux quipourront acheter les permis, et un peu moins
dinvestissements en techniques propres;
- un peu plus dinvestissements en techniques propres et un peu
moins daccs lenvironnement pour ceux qui vendront leurs permis.
Les schmas 1 et 2 rsument et comparent les principes et mthodes.
Le choix entre agirsur le march par les prix (taxe) ou par les
quantits (normes ou permis de polluer) dpend dela comparaison des
pentes respectives du dommage marginal et du cot marginal
dedpollution. Si la pente du dommage marginal est plus faible que
celle du cot marginal dedpollution, la taxe est prfrable. Si elle
est plus forte, laction sur les quantits est prfrable[Weitzmann,
1974].
Le protocole de Kyoto (dcembre 1997) et les confrences de Buenos
Aires (novembre1998), de Bonn (novembre 1999), de La Haye (novembre
2000) et de Marrakech (novembre2001) montrent les difficults
politiques dune internalisation des externalits du march parle
march. Le protocole de Kyoto prvoit que les pays industrialiss
sengagent rduire leursmissions de gaz effet de serre de 5,2% dici
2012. Quel sera lengagement des pays endveloppement ? Les
Etats-Unis veulent que les grands pays du Sud sengagent : Chine,
Inde,Brsil. Sur quelles bases allouer les quotas dmission des gaz
effet de serre ? Sur la basedes missions passes ou par habitant
?
Il y a trois mcanismes de march prvus. Outre le march des droits
polluerproprement dit, il y a la mise en uvre conjointe et le
mcanisme de dveloppement propre :un pays dvelopp peut aider un pays
pauvre financer un projet de dveloppement propre etcela lui vaudra
un supplment de droits polluer alors que le pays bnficiaire de
laide verrason quota diminuer.
Les pays choisiront-ils de racheter des droits ou bien dagir
contre la pollution chezeux ? Comme le march suppose lEtat, il faut
rsoudre ex-ante les questions du statutjuridique des permis, de
leur mode de transmission, de leur dure de validit, des
conditionsde leur renouvellement, des transactions autorises.
Ensuite, il faut dicter des normes,contrler la quantit de titres en
circulation, surveiller le respect des seuils de
pollutioncorrespondant aux permis en circulation, prvoir les
sanctions.
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Schma 1 : La soutenabilit faible
Postulat :le progrs technique permet tra de substituer
aux ressources naturelles puisesdes ressources art ificielles
manufacture s.
Commen t finance r les inv estissements nce ssaires la p roduc
tion d e ce cap ital de subs titution?
1er principe : le prix des ressources na turelles utilises et
menac es d ex tinction doit tr e suprieur leur co t marg inal et
com por ter une rente Hotelling de rare t deva nt tre aussitt r
inves tie pour maintenir le stoc k de ca pital total (naturel et
manufactur) intact.
Mais comment a ssurer c e maintien du stocksachan t qu e, p lus
les re ssou rces na turelles se rarfient,plus il fau t produire du
capital de remplace men t ?
2 principe : Har twick la rente de rare t doit c rotre de
priode
en priode dun taux ga l au taux dac tual isation.
Conclusion : si toutes les rentes sont r inves ties,alors lquit
entre les g nrations est gara ntie.
Comment les conomistes env isagen t-ils lapp lica tion de ces
princ ipes ?
Linternalisa tion des effets externes
1er instrument : 2 instrument : tarif ication mission de droits
pollu er
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Schma 2
Ecotaxe Per mis de polluer
Sanctionn e un usage individu el Sanctionn e un usage indivi
duelou colle ctif
Deux divid endes1. diminution de la pollu tion2. centralisation
de la quasi-rente
qui peut tre redistribu e
Problme de l attribution ini tial e- gratui te : en fonction des
droit s
acquis, donc au pollu eur initial , ou bien par tte dhabita nt-
vente aux enchres : le prix est gal lcotax e actuali se, mais les
permis sont achets par les plus riches
Canal de transmission Canal de transmission On modifi e le prix
et le march On fix e les quantits et l e march ajuste les quan tits
ajuste le prix
Les effets sont identiques en concurrence parfait e
Critre de choix Critre de choix Le cot margi nal de d poll ution
Le dommage ma rgina l crot plus crot plus vi te qu e le dom mage
vit e que le cot marginal de margina l en fonction dpoll utio n en
fonction de la pollutio n de la pollutio n
1.2. Les limites de lconomie de lenvironnementOn peut faire tat
de deux grands types de limites de la dmarche no-classique
prsidant la gestion de lenvironnement : dordre logique et dordre
pistmologique.
1.2.1. Les limites logiquesLes limites logiques ont trait la
dfinition de loptimum et lvaluation montaire
des lments naturels, et elles rendent difficile la constitution
dun march3.
Limpossible dfinition de l'optimumLes mthodes de gestion des
ressources naturelles ont en commun, soit par le biais de la
tarification, soit par celui de ltablissement de droits de
proprit, de transformer les biens
3 . Sur ce dernier point, voir Harribey [1997, p. 115-117 ; ou
1998, p. 56-59].
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naturels en biens marchands, propos desquels les agents
conomiques pourront alorsexprimer des prfrences. La justification
de cette dmarche repose sur le concept d'optimumde Pareto qui
dsigne une situation dans laquelle on ne peut plus amliorer la
position dunindividu sans dtriorer celle dun autre.
Or, premirement, lexistence dexternalits est une raison
suffisante pour quunoptimum de Pareto ne puisse tre atteint. Si les
victimes d'une pollution se cotisent pourfinancer la dpollution, le
critre de Pareto est satisfait puisque les victimes amliorent
leursituation sans que celle du pollueur soit dgrade, mais cela
prouve que l'quilibreconcurrentiel n'tait pas optimal. Par
ailleurs, dans la situation de laisser-faire o les
pollueurspossdent tous les droits de proprit, chaque victime pollue
peut tre tente dadopter uncomportement de passager clandestin
habituel face un bien collectif en sous-estimantlutilit que revt
pour lui celui-ci, rendant impossible latteinte de loptimum
conditionnepar la connaissance des vraies dispositions marginales
payer. On retrouve icilincompatibilit entre une rationalit
micro-conomique et une rationalit collective.Ltablissement de
droits de proprit peut enfin faire surgir des conflits dintrts
entre lesvictimes confrontes au dilemme du prisonnier.
Deuximement, la rpartition influence loptimum : il existe autant
de situationsoptimales au sens partien que de dotations initiales
diffrentes possibles et le critre dePareto ne permet pas de les
dpartager. Le mode d'allocation initiale des droits de
polluer(cession gratuite, prix forfaitaire ou vente aux enchres)
est donc susceptible de modifierl'optimum parce que les prfrences
ne sont pas indpendantes de la rpartition. Il sensuitque, selon
lavis de Coase lui-mme, lquilibre atteint en situation de
pollueur-payeur seratoujours infrieur celui atteint en situation de
laisser-faire. Il ny a donc pas unicitdquilibre, dtruisant par
l-mme toute prtention loptimum.
Troisimement, linternalisation provoque un effet pervers pour
lenvironnement mis envidence par Pearce [1974]4. La pollution ne
donne lieu une pnalit montaire que lorsquele seuil de capacit
d'auto-puration de l'environnement est franchi. Ainsi, la
comparaison descots/avantages de la pollution/dpollution tendra
situer l'optimum au-del de la capacitd'auto-puration du milieu
environnant et contribuera donc l'aggravation de sa dgradation.Il
en rsulte que le principe pollueur-payeur peut aller l'encontre du
principe de prcautiondont la logique est tout autre. Ce dernier se
prsente sous la forme d'un pari pascalien queSerres [1990, p. 19] a
clairement formalis :
si nous faisons le pari d'tre cologiquement imprudents,et si
l'avenir nous donne raison, nous ne gagnons rien sauf le pari,nous
perdons tout si le pari est perdu;
si nous faisons le pari d'tre prudents,et si nous perdons le
pari, nous ne perdons rien,
si nous gagnons le pari, nous gagnons tout.Entre rien ou perte
et rien ou gain, le choix se porte videmment en faveur de la
prudence, mais le principe pollueur payeur peut venir
lentraver.
Limpossibilit dvaluer montairement les lments naturelsLabsence
de prix pour les lments naturels taraude ce point les conomistes
no-
classiques quils nont eu de cesse que de parvenir chiffrer le
prix de la plante Terre. Cestmaintenant chose presque faite : une
quipe de chercheurs dirige par Costanza [1997] avalu les prix des
services annuels rendus par la nature entre 16 000 et 54 000
milliards de $1994. Pourtant, plusieurs difficults se dressent
devant eux : les bases dun calcul sontinexistantes car les lments
naturels ne sont pas produits et un taux dactualisation est non
4 . Pour une prsentation de la dmonstration, voir Harribey
[1997, p. 110-112 ; ou 1998, p. 51-53].
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pertinent pour prendre en compte lavenir trs long terme, ce qui
rend difficile la dcision ensituation dincertitude.
La plupart des modles d'analyse et de gestion des ressources
naturelles intgrent untaux d'actualisation pour indiquer que des
cots (ou des avantages) de mme montant n'ontpas la mme valeur selon
le moment auquel ils sont engags (ou perus). Le tauxd'actualisation
est le moyen d'exprimer la prfrence du prsent au futur : plus le
taux seralev, plus la dprciation du futur sera forte. Applique la
gestion des lments naturels, lanotion dactualisation attribue
ceux-ci une valeur future infrieure leur valeur actuelle :l'intrt
des gnrations venir qui les utiliseront est donc sacrifi. La
procdured'actualisation introduit le temps dans le calcul
conomique, mais le temps conomique n'aaucune commune mesure avec le
temps biologique et cologique et les processus deconstitution et
d'volution des cosystmes chappent tout horizon humain.
La cration ex nihilo d'un march pour transformer le statut des
lments naturels (denon marchandises en marchandises) ne pourrait
provoquer l'effet attendu, fixer un prix demarch, que si ces
pseudo-marchandises taient auparavant produites. En l'absence
deproduction des lments naturels, cela devient impossible et tout
prix qui leur est attribu nepeut tre que fictif. Alors, si
lvaluation montaire de lenvironnement savre difficile
sinonimpossible, lconomiste no-classique ne peut plus rsoudre le
problme des externalits etdonc de la pollution.5
Limpossibilit de substituer les facteurs les uns aux autresLa
conception de la substituabilit entre facteurs de production est
formalise dans le
modle de Stiglitz [1974] grce des fonctions de production
rendements constants de typeCobb-Douglas : Q = L K E, avec Q la
production, L le facteur travail, K le facteur capital etE le
facteur environnement.
Lutilisation dune telle fonction pour intgrer lenvironnement
auquel pourrait sesubstituer du capital manufactur pose un problme
mthodologique important. Est-on fond retenir lhypothse habituelle
inhrente une Cobb-Douglas selon laquelle les lasticitspartielles de
la production par rapport chacun des facteurs (, , ) sont
invariables au fur et mesure que la substitution sopre ? En effet,
la qualit de lair et de leau diminuant ou laqualit dune autre
ressource naturelle sabaissant proportionnellement sa dgradation
ouparalllement sa disparition, il faudra une plus grande quantit de
ressource pour obtenir lamme production ou bien la mme quantit de
ressource ne permettra dobtenir quuneproduction plus faible. Si lon
avait affaire un facteur de production environnementalhomogne dans
le temps, on pourrait raisonnablement retenir lhypothse habituelle
dunefonction Cobb-Douglas. Mais comme la qualit de lenvironnement
saffaiblit au fur et mesure quon lutilise et ce dautant plus vite
quon abaisse le seuil o la nature sauto-pure,alors lhypothse de la
variation des lasticits est plus vraisemblable puisque le
facteurenvironnemental est htrogne, un peu comme les terres de
fertilit dcroissante de Ricardo.
Finalement, si la pollution et la rarfaction des ressources
naturelles contribuent rendre htrogne le facteur environnemental,
alors llasticit de la production par rapport 5 . De plus, ce march
des droits polluer nest pas encore en place, puisquil ne devrait
entrer en vigueur queen2008, mais dj la spculation bat son plein
puiquun march terme fonctionne pratiquement sur lequel lescours de
ces futurs permis de polluer font dj lobjet dvaluation :
globalement, 50 milliards de $ en 1999. LaCNUCED (Confrence des
Nations Unies pour le Commerce et le Dveloppement) a particip la
cration delAssociation internationale du march international du
march des missions (International Emissions TradingAssociation) qui
runit quelques grandes multinationales du ptrole, de lnergie et de
la finance ainsi que laBourse dAustralie, et dont le but est de
crer un march de droits de polluer mme en dehors du protocole
deTokyo sil ntait pas appliqu, pour terme faire converger marchs de
capitaux et marchsenvironnementaux , The Wall Street Journal
Europe, 17 octobre 2000, et Financial Times, 4 novembre 1999,cits
par A. Sina [2001].
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lui tend vers zro et, dans une fonction de production
multiplicative Cobb-Douglas, le facteurenvironnemental lui-mme tend
vers un. Cela sauverait la dite fonction du naufrage si lonpouvait
encore lutiliser. Surtout, cela accrditerait lide que lconomie
pourrait se passer dela nature mais cela ruinerait tous les efforts
de la thorie no-classique pour reprsentervritablement la
soutenabilit cologique. En refusant de considrer la complmentarit
desfacteurs de production, on ignore que la contrainte accompagnant
la fonction de production maximiser sexprime par une ingalit pour
signifier la limite des ressources (les ressourceslimites sont un
facteur limitant), que, graphiquement, les isoquantes seront
anguleuses, quilsera impossible de driver la fonction et que le
taux marginal de substitution technique entrefacteurs sera
incalculable puisque les productivits marginales des facteurs ne
sont pasdfinies.
1.2.2. Les limites pistmologiquesElles tiennent essentiellement
la mconnaissance de la question de la valeur de la
nature et lignorance de la ncessaire reproduction des systmes
vivants.
Lintrouvable valeur de la natureDans la mesure o les lments
naturels ne sont pas produits, les conomistes de
lenvironnement reconnaissent avoir recours un prix fictif 6
correspondant au cotmarginal des mesures de protection ou de
reconstitution auquel sajoute ventuellement unerente de raret. Ils
dfinissent ensuite une valeur conomique globale de la nature comme
lasomme des valeurs dusage, doption, de quasi-option, de legs,
dexistence et cologique.Cette dmarche recle plusieurs erreurs.7
Premirement, additionner des montants relevant de lconomique et
des lmentsrelevant de lthique ou de lesthtique nest pas possible.
Cette incohrence est uneconsquence directe de la non distinction
entre richesse et valeur, ou encore entre valeurdusage et valeur
dchange, intenable logiquement et pourtant entrine
dfinitivementdepuis Say par la science conomique8. Les marchandises
ont une valeur dusage par lutilitquelles procurent leurs
utilisateurs et elles ont une valeur dchange par leur capacit
entrer en rapport quantifiable entre elles, lequel a pour fondement
la quantit de travailsocialement ncessaire leur production. La
valeur dusage est une condition ncessaire de lavaleur dchange mais
la rciproque nest pas vraie. Il sensuit primo que la valeur
dusagenest pas rductible la valeur dchange, et secundo que la
valeur dchange ne peut tredtermine par la valeur dusage qui nest
pas mesurable. Les deux notions appartiennentdonc deux espaces
conceptuels diffrents. Say ne fut dailleurs pas une erreur logique
prs[1840, tome 1, p. 68] : Les richesses naturelles sont
inpuisables, car, sans cela, nous ne lesobtiendrions pas
gratuitement. A supposer que les ressources soient inpuisables,
ellesseraient alors gratuites, mais rien ne permet de renverser la
proposition pour dduire de lagratuit des ressources leur caractre
inpuisable.
Lconomie politique est une science de la production et des
conditions sociales decelles-ci. Elle nest pas une science de la
non production, et le regretter, linstar despourfendeurs la fois de
lconomie politique classique et de sa critique marxienne, ou
largirle domaine de lconomie et ses catgories aux phnomnes de non
production (la nature,la famille, lducation, la dlinquance, etc.)
tout en lui niant tout caractre social et historique,comme le font
les adeptes de la thorie no-classique, ne reprsente pas une avance
mais unrecul trivial. Loin de dpasser lapproche classique des prix,
les conomistes no-classiqueseffectuent un retour en arrire. Les
physiocrates avaient clarifi la distinction entre la richesse 6 .
Point [1990, p. 185 ; 1991, p. 43].7 . Voir Harribey [1997, 1999,
2002-c].8 . Voir Lantz [1977] et Harribey [1997, 1999, 2002-c].
-
10
entendue comme un stock, comme patrimoine, et la richesse
entendue comme fluxpriodique, comme revenu. Smith avait fait un pas
de plus en distinguant la richesse donne(ressources naturelles) et
la richesse produite qui peut tre accumule. Trs logiquement,Ricardo
avait limit le champ dapplication de la thorie de la valeur aux
marchandisesproduites et affirm que les ressources naturelles
navaient pas de valeur puisquellesntaient pas le fruit dun travail.
Ce qui ne signifie pas quelles ne soient pas de la richesse.Pas
plus quelles ne puissent pas avoir de prix. Mais en aucun cas ce
prix ne mesurerait leur valeur intrinsque . Il ne ferait que
traduire une rente de situation, tel un monopole. Enliant ce prix
au rgime de proprit rgnant sur les ressources naturelles, on est
renvoy auxrapports sociaux.
L o les no-classiques, frachement convertis aux proccupations
environnementales,feignent de voir une lgret conceptuelle ou un
mpris de la nature, il ny avait chez lesclassiques que parfaite
cohrence intellectuelle9. Le tort des classiques, sauf de Stuart
Millsans doute, et celui, au moins partiellement, de Marx, furent
de croire que la capacit detransformation de la nature par le
travail tait sans limites. La thse du dveloppement illimitdes
forces productives est au fond une thse profondment hgelienne qui
fait le pari idalisteque lhomme peut saffranchir, par son travail,
de toute contrainte matrielle. Le tort des no-classiques est de
croire quil est possible de traiter de la mme manire la catgorie
prix duneressource-stock et la catgorie prix dune marchandise-flux.
La plupart de leurs confusionssont dj contenues dans luvre de Say
quand celui-ci considre que la nature produit unevaleur dusage et
aussi une valeur dchange [1972, p. 67] quil identifie la premire
parcequil a absolument besoin de cette identification pour avancer
son concept de servicesproducteurs et justifier indiffremment la
rmunration du travailleur, du capitaliste ou durentier. Lincapacit
distinguer valeur dusage et valeur dchange chez Say quivaut
lincapacit distinguer richesse et valeur chez Bentham quand
celui-ci crit : Les termes derichesse et de valeur sexpliquent lun
par lautre. 10
Limpossibilit dvaluer montairement les lments naturels non
produits, autrementquen calculant le cot de production de leur
exploitation conomique ou le cot deproduction de la rparation des
dommages qui leur sont causs, sexplique en vrit parce quela nature
na pas de valeur conomique intrinsque, contrairement ce que
prtendent lesconomistes no-classiques qui feignent de soffusquer
que lconomie politique aittraditionnellement dlaiss la valeur de la
nature. Plus un lment naturel possde uneutilit pour lhomme, soit
directement, soit pour son activit conomique, plus sa valeurdusage
sera considre comme grande . Sil conditionne la vie, cette valeur
dusagepourra tre dite infiniment grande . Mais, associer cette
valeur dusage infinie unevaleur dchange qui le serait aussi naurait
pas de sens : une valeur conomique ou un prixinfinis pour des biens
ou services disponibles sont des non-sens. Pas plus que nen aurait
son sujet la notion dutilit marginale dcroissante : en effet, si
chaque bouffe dair estindispensable au maintien en vie, elle ne
reprsente pas moins dutilit que la prcdente. Detelles erreurs
peuvent tre commises parce que la vieille distinction
aristotlicienne entrevaleur dusage et valeur dchange est rejete par
les conomistes no-classiques. En posantarbitrairement comme une
identit valeur dusage et valeur dchange, alors
lconomisteno-classique se persuade lui-mme que le maximum de
satisfaction procure par lusage debiens et services passe et ne
peut passer que par la maximisation de la valeur dchange, cest-
9 . Rappelons que Marx a rpt plusieurs fois : Le travail nest
donc pas lunique source des valeurs dusagequil produit, de la
richesse matrielle. Il en est le pre, et la terre la mre, comme dit
William Petty. [Marx,1965, p. 571]. Le travail nest pas la source
de toute richesse. La nature est tout autant la source des
valeursdusage (et cest bien en cela que consiste la richesse
matrielle !) que le travail, qui nest lui-mme que lamanifestation
dune force matrielle, de la force de travail humaine. [Marx, 1965,
p. 1413].10 . Cit par Ricardo [1962, p. 284].
-
11
-dire par la marchandisation du monde. Mais la lumire du soleil
possde une valeur dusageindispensable pour faire pousser du bl et,
pourtant, le prix du bl ne contient pas la valeur dchange de la
lumire solaire qui na aucun sens. Ainsi, Aristote, les conomistes
classiquesSmith et Ricardo, ainsi que Marx, avaient bien pressenti
que toute richesse ntait pas valeur.A linverse, le propre dune
externalit ngative est de ne constituer en aucune manire
unerichesse, ni individuelle ni collective, et nanmoins davoir
parfois une valeur dchange : ledchet radio-actif pendant des
millnaires peut faire lobjet dun change marchand tout ennayant
aucune utilit sociale autre que celle de faire de largent .
Deuximement, les lments naturels nont pas de valeur dchange
intrinsque11 quisajouterait leur valeur rsultant de la production
ralise lors de leur mise en exploitation.En outre, le cot de
reconstitution des lments naturels ne peut jamais tre
calculexhaustivement sils sont puisables. S'il s'agit de ressources
naturelles reproductibles, ellessont utilisables la suite d'une
production humaine et la loi de la valeur-travail retrouve
unterrain dapplication. S'il s'agit de ressources naturelles non
renouvelables ou seulementpartiellement reproductibles, leur
prservation ou la rparation des dommages qui leur ont tcauss tant
le rsultat de l'activit humaine, la loi de la valeur-travail
conserve sa validit,mais seulement pour mesurer ces cots-l qui
sajoutent aux cots dextraction, detransformation, bref les cots de
la production humaine, et non pour mesurer les cots
delauto-production naturelle des lments naturels.
Troisimement, la thorie fondant le prix sur l'utilit marginale
est une fiction que seulel'existence d'une production pralable
l'change permet de dissimuler : les prix relatifsrefltant les cots
de production, niveaux autour desquels agissent les fluctuations de
l'offre etde la demande, on peut, a posteriori, aprs l'change,
dduire des rapports des prix ceux desutilits marginales.
Traditionnellement, la thorie no-classique postule qu'il existe
uneconomie d'change sans production. Personne nest dupe pour les
marchandises que, de toutefaon, le travail humain produit avant
quelles soient changes, et propos desquelleslgalit entre les taux
marginaux de substitution et les rapports des prix est un rsultat
duprocessus dchange : le march valide le travail social dpens en
fonction de la productivitet des conditions sociales de production
et de mise en valeur du capital. La thorie no-classique peut donc
sans grand risque prendre lapparence pour lessence du phnomne
etlaisser croire que la valeur rsulte du seul march. Mais les
apparences s'effondrent pour leslments naturels qui ne sont pas le
produit du travail humain. La cration ex nihilo d'unmarch pour
transformer le statut des lments naturels de non marchandises en
marchandisesne pourrait provoquer l'effet attendu, fixer un prix de
march, que si ces pseudo-marchandisestaient auparavant produites.
En l'absence de production des lments naturels, cela
devientimpossible et tout prix qui leur est attribu ne peut tre que
fictif au sens plein du terme.
Quatrimement, lanalyse en termes de surplus du consommateur et
du producteur pourmesurer le surplus collectif repose sur une
conception cardinale de lutilit qui tait pourtantcense tre
abandonne12. De plus, dun ct, elle suppose connus les
consentementsmarginaux payer des agents conomiques censs mesurer
leur surplus et donc la valeur deslments naturels, et, de lautre,
elle prtend faire du processus dchange une mthode de
11 . Cette pseudo notion de valeur conomique intrinsque de la
nature est avance par quasiment tous lesconomistes no-classiques de
lenvironnement rejoints par les tenants de la Deep ecology et
reprise ou colportesans aucune distance par les manuels [Bonnieux,
Desaigues, 1998, p. 5 ; Beaumais, Chiroleu-Assouline, 2001,
p.51].12 . On peut lire Desaigues, Point [1990, p. 286-287 ; 1993,
p. 9] pour constater que la notion dutilit quilsretiennent est
cardinale.
-
12
dtermination des taux marginaux de substitution des biens privs
aux biens publicspermettant de dduire justement ces consentements
marginaux payer.13
La ncessit de la reproduction des systmes vivants est nieLe
dveloppement conomique porte atteinte la rgulation assurant le
maintien de la
vie sur la plante. La soumission de la nature lactivit humaine
est le pendant de lasoumission des hommes logique de la rentabilit
du capital.
Ds le dbut du Capital, Marx avait distingu le procs de travail
en gnral, qui est unecaractristique anthropologique, dont le but
est de produire des valeurs dusage propres satisfaire des besoins
humains, et le procs de travail particulier au mode de
productioncapitaliste, ne reprsentant quune phase de lhistoire
humaine, dont le but est de produire dela plus-value permettant de
valoriser le capital. Dans le second cas, la production de
valeursdusage cesse dtre une finalit pour ntre plus quun moyen de
la valeur dont lamarchandise est le support. Ds lors, il devient
possible que les vrais besoins sociaux nesoient pas satisfaits
tandis que des nuisances sociales et cologiques soient engendres
par unmode de production dont la recherche du profit est le moteur.
Le principe de la critiquecologiste est donc dj, au moins
implicitement contenu dans cette distinction tablie parMarx.14
Cependant, Marx a consacr lessentiel de son uvre analyser la
contradiction, sesyeux fondamentale, issue de lexploitation de la
force de travail : la difficult pour le capitalde faire produire et
ensuite de raliser la plus-value. Et Marx aurait en partie dlaiss,
bienqutant conscient de celles-ci, les consquences cologiques du
dveloppement ducapitalisme. Pour lexpliquer, Benton avance
lhypothse quil aurait sous-estim les conditions naturelles non
manipulables [1992, p. 66] du procs de travail et surestim lerle et
les capacits techniques de lhomme. Marx naurait donc pu se dtacher
de laperspective promthenne dont le XIXe sicle est empreint et se
serait rendu coupable decomplaisance ou, au moins, de manque de
vigilance envers le mythe du progrs. Cest bien laconception du
progrs humain qui se trouve mise en question travers la notion
desoutenabilit.
2. Quelle rgulation collective ?Les thoriciens no-classiques sen
remettent au march pour procder une meilleure
allocation des ressources par linstauration dcotaxes ou la mise
en vente de droits depolluer. Ce faisant, ils sont amens tendre un
peu plus le champ dune comptabilitmarchande qui a prcisment fait la
preuve de son incapacit prendre en compte lesphnomnes biologiques,
le temps et lincertitude. Au contraire, la dmarche de
lasoutenabilit forte simpose si lon reconnat la vanit de vouloir
objectiver dans des prix leschoses de la nature et la ncessit de
sengager sur une voie diffrente pour tablir descomptabilits-matires
des ressources naturelles, des comptabilits des dpenses nergtiques,
condition quelles ne soient converties ni en quivalent-travail ni
en monnaie, et laborerdes fonctions dobjectifs sociaux hors de tout
critre de maximisation du profit.
2.1. La soutenabilit forteLapproche de la soutenabilit forte
rcuse lhypothse de substituabilit entre capital
artificiel et capital naturel. Il sensuit que la soutenabilit
exige le maintien dans le temps du
13 . Cette critique rejoint celle bien connue contestant que des
agents puissent prendre des dcisions en fonctionde prix extrieurs
alors que ce sont leurs dcisions qui sont censes dterminer ces
prix. Voir notamment Salama[1975], Dupuy [1991] et Guerrien
[1999].14 . Pour un approfondissement, voir Harribey [2001-a].
-
13
capital produit et, sparment, celui du capital naturel
renouvelable et non renouvelable(schma 3).
Une redfinition du stock total de capital K est alors donne par
Pearce et Warford[1993, p. 52-53] :
K = Km + Kh + Kn + Kn*,o Km est le capital produit, Kh est le
capital humain, Kn est le capital naturel auquel on
peut substituer du capital produit, Kn* est le capital naturel
auquel on ne peut pas, oudifficilement, substituer du capital
produit. Le capital artificiel est produit grce lutilisationde
ressources naturelles, que lon puisse compenser lpuisement de
celles-ci ou non. Pourdes raisons logiques, la dmarche de la
soutenabilit faible fonde sur lhypothse desubstituabilit tait
oblige de faire abstraction de cette exigence : substituabilit
etcomplmentarit des types de capital peuvent difficilement
cohabiter dans la mme quation.Seule, la dmarche de la soutenabilit
forte retient lhypothse de la ncessairecomplmentarit du capital
produit et du capital naturel. Mais elle aboutit la conclusion
deslimites de lextension possible du capital produit. En effet, on
ne peut pas produire du capitalartificiel sans prlever des
ressources naturelles dont les rserves diminuent en permanencesil
sagit de ressources non renouvelables et dont les rserves diminuent
lorsque le taux deprlvement est suprieur au taux de rgnration sil
sagit de ressources renouvelables.Cest la raison pour laquelle
certains parlent de capital naturel critique pour signifier
quelutilisation des ressources doit sarrter en de des seuils
limites. Ainsi, Victor, Hanna etKubursi [1995] considrent que six
contraintes essentielles la vie existent : leau, lair, lesminerais,
lespace, lnergie et le potentiel nergtique. Si lun de ces lments
fait dfaut,aucun autre ne peut le remplacer.
-
14
Schma 3 : La soutenabilit forte
Refus de considrer le progrs technique suffisant pourremplacer
ternellement les re ssources n aturelles puises
Maintien du stock de re ssources n aturellesavec prlvements
capacits naturelles de renouvellement
Phnomnes physiques et biologiques phnomnes conomiqu es
Impossible de les rduire une valuation mon taire
Temps phy sique et biologique temps conomique
Principe de prcaution en cas dincertitude
Principe de prvention : viter la pollution pluttque ddommager
montairement
Insertion de lconomie d ans la biosphre2.2 La
bioconomieElle est ne de l'approche systmique et des apports de
la thermodynamique. Dun ct,
l'approche systmique part de lide que le monde complexe ne peut
tre peru uniquement travers une grille de lecture analytique et
quil faut privilgier les interactions entre leslments en intgrant
la dure et lirrversibilit. De lautre ct, les physiciens ont mis
envidence deux principes essentiels de la thermodynamique : le
premier, appel principe deconservation de l'nergie, indique que la
quantit d'nergie dans l'univers reste constante ; lesecond, appel
principe de dgradation ou entropie, tablit que la quantit d'nergie,
bien queconstante, se transforme de plus en plus en chaleur
irrcuprable, non rutilisable. Georgescu-Roegen fut lun des premiers
tirer les consquences pour lconomie du fait que lentropiedun systme
clos augmente continuellement (et irrvocablement) vers un maximum ;
cest--dire que lnergie utilisable est continuellement transforme en
nergie inutilisable jusqu cequelle disparaisse compltement [1995,
p. 81-82]. Il a montr que les activits
-
15
conomiques sinsraient dans un univers physique soumis la loi de
lentropie. Selon lui, ledveloppement conomique est fond sur
lutilisation inconsidre du stock terrestrednergie accumul au cours
du temps.15
L'application des principes systmiques thermo-dynamiques l'tude
des relations entrela biosphre et l'conomie a ouvert des
perspectives radicalement nouvelles. En premier lieu,cette approche
a bris la vision de l'univers en termes de rptitivit, d'immuabilit,
dedterminisme et de rversibilit. Elle inaugure une vision en termes
d'volution etd'irrversibilit ; ainsi rompt-elle avec llimination du
temps. Au lieu de se cantonner auxseules lois ternelles, la science
physique travaille aujourdhui de plus en plus sur lhistoire
delunivers et de la matire. Parce que l'activit conomique, par
essence, provoque des rejets,bouscule les rythmes naturels, rduit
la diversit biologique, elle ne peut qu'acclrer leprocessus
d'entropie, au terme duquel toute diffrence gnratrice de mouvement
et de vieaura disparu.
En second lieu, lapproche de linsertion de lconomie dans la
biosphre s'est elle-mme mise en question : comment la vie peut-elle
tre comprise si l'univers marche vers samort cause de l'entropie
qui le guide ? La recherche scientifique moderne suggre que
leprocessus d'entropie n'est pas ncessairement synonyme de
destruction mais qu'il peutsignifier mouvement de
destruction-cration-complexification. La Terre n'tant pas unsystme
clos mais ouvert, puisqu'elle reoit et renvoie l'nergie solaire,
des phnomnes destructuration peuvent se raliser, loignant ainsi les
systmes vivants de l'entropie. Passet[1996] souligne que les
systmes conomiques sont confronts deux mouvementscontradictoires :
le phnomne dentropie et celui oppos de nguentropie,
cest--diredaccroissement du potentiel nergtique. Au total, un
processus de destruction cratrice reste possible condition que de
ne pas franchir les limites de renouvellement naturel.
Il apparat que la reproduction des systmes vivants possde une
rationalit trangre celle du profit et qui fonde une nouvelle thique
dont les valeurs ne sont pas rductibles lconomie et qui peuvent
sexprimer par deux principes :
- les cosystmes ont une existence qui ne peut tre mesure en
termes marchandset dont le respect est un principe de vie et non un
principe de rentabilit conomique ;
- la reproduction des systmes vivants inclut le respect de la
vie des treshumains, dans ses formes matrielles et culturelles.
Lapplication de ces deux principes suppose une organisation
sociale qui conomise lesressources naturelles en cessant de faire
de laugmentation de la consommation par ttelobjectif ultime, et qui
conomise leffort auquel se livre lhomme dans son travail.
La dfinition dun optimum social passe alors par :- la
minimisation de la consommation des ressources naturelles,
cest--dire la
diminution du contenu en ressources naturelles de la production,
de telle sorte que le taux deprlvement des ressources renouvelables
soit infrieur ou gal leur taux de renouvellementet que la variation
des ressources renouvelables substituables aux non renouvelables
soitinfrieure ou gale la variation des ressources non renouvelables
divise par le coefficienttechnique de ressources non renouvelables
utilises pour la production du capitalmanufacturier ;
- la prise en compte du cot de rparation des nuisances qui nont
pu treprvenues et vites, et du cot de la prvention de nuisances
ventuelles ; ces cots,rductibles du travail, sont donc parties
intgrantes du cot de production global social,cest--dire de la
valeur conomique ; le prix de leau tend slever rgulirement et
cettehausse traduit laugmentation des cots pour lacheminer et
lpurer mais elle ne saurait 15 . Certains thoriciens, notamment les
frres Odum E.P. [1971] et Odum H.T. [1971], crurent possible
dedduire du principe dentropie llaboration dune thorie de la valeur
nergtique. Cette voie sest rvle treune impasse.
-
16
reprsenter la valeur inestimable de la ressource de vie quelle
constitue car celle-ci estdun autre registre que celui de lconomie
; il sensuit quaucune justification conomique dela privatisation de
leau, rclame par quelques multinationales avec le soutien de la
Banquemondiale lors de la Confrence de La Haye au dbut 2000, ne
saurait tre invoque.
2.3. La place des instruments conomiquesTant que le capitalisme
continue dtre le systme conomique universel, on ne peut
cependant exclure lutilisation dinstruments conomiques pour
limiter la pollution, ladouble condition quils soient matriss par
la puissance publique et non laisss larbitrageou larbitraire du
march, et quil soient associs des mesures de prvention visant
viterou diminuer la pollution et la dgradation et non pas seulement
rparer ces dernires ou,pire, les compenser montairement.
Les libraux se dfendent de vouloir instaurer des droits de
proprit prive sur lair enmettant en place un march des permis
dmission de gaz effet de serre parce que, disent-ils,les permis
nont quune dure de validit limite, parce quils ne sont pas
transmissibles horsvente sur le march et parce que ce qui devient
marchand nest pas le bien environnementallui-mme mais le droit de
lutiliser. Or, prcisment, le droit dusage rattach aux permisquivaut
un droit de proprit temporaire sur lenvironnement. De plus,
soulignons leparadoxe suivant. Les permis dmission reprsentent
certes une restriction de lautorisationde polluer par rapport une
situation o aucune rglementation nintervient et olappropriation
individuelle de lenvironnement est totale. Mais la collectivisation
du droitdusage de lenvironnement introduite par les permis dmission
est assortie dune restrictionde ce droit ceux qui peuvent en payer
le prix. Ce nest ni plus ni moins que le principe de
laprivatisation. Enfin, remarquons la contradiction du raisonnement
libral rcusant le reprochede crer des droits de proprit prive sur
les lments naturels aprs avoir expliqu que siceux-ci navaient pas
de prix, ctait prcisment cause de labsence de droits de
proprit.
-
NON : le droit de polluer est illimit= appropriation prive a
narchique de la nature
en fonction des rapports de forces socia ux et
internationaux
Schma 4 Rgl ementation = appropriation collective
Faut-il des normes ?
Permis de poll uer ngoc iables OUI : le droit de poll uer est
limit = appropriation mi-collective,
mi-individuelle
Ecotaxes = poll ueur-payeur,appropriation individuelle
-
18
Deux rgles doivent tre observes pour une ventuelle utilisation
des instrumentsconomiques de gestion cologique. La premire est
dcarter toute dcision en fonction de la maximisation de lutilit car
cette notion est absurde : elle associe un principe de calcul un
concept purement qualitatif, lutilit. Angel [1998, p. 19] crit
justement : Notionpertinente dans une perspective benthamienne, la
notion de maximisation perd tout sens dslors quon cherche ltendre
lutilit ordinale. En effet, si lutilit est dessence qualitative,les
dcisions ne sauraient tre in fine fondes sur un calcul : le
jugement quantitatif ne peut ytre que second et le jugement
qualitatif premier.
La seconde rgle est de dissocier marchandisation et
montarisation. Lamarchandisation implique la montarisation mais
linverse nest pas vrai. Il sensuit que seulela marchandisation est
rejeter catgoriquement car elle ne peut que signifier
appropriationprive. En revanche, il peut exister une place pour
lutilisation dinstruments montaires degestion. Mais, en ce qui
concerne la nature, la mise en place de taxes (jugement
quantitatif)doit tre subordonne ladoption de normes collectives ou
des transformationsstructurelles (jugement qualitatif), par exemple
sur le type dinfrastructures de transports. Il neservirait rien
dimposer une taxe sur le transport par camion si dans le mme temps
leferroutage ntait pas organis et dvelopp.
Les prix des lments naturels ne sont donc pas des prix
conomiques (en aucun cas,une cotaxe ne reprsente une valeur de la
nature) mais des prix politiques. Un march desdroits de polluer est
donc un non-sens parce que, mme si des changes de permis voient
lejour, il ne sagira pas dun vrai march, ne pouvant exister sans
autorit publiqueinternationale rgulationniste et coercitive. Il
sera simplement un instrument de rpartition auplus offrant des
droits dusage de lenvironnement. La rpartition de ces droits doit
doncsorganiser non sur des bases conomiques mais sur des bases
politiques dont la premireserait un droit dusage gal pour tous les
humains.
Le fondement de cette dernire affirmation est le constat dune
incompltude radicaledu march. Que ce soit parce que la libre
circulation des capitaux sur les marchs financiersporte en elle la
crise financire, ou que ce soit parce que les externalits sont par
dfinitioninassimilables par le march, le rapport marchand est
incapable de grer de maniresatisfaisante lensemble des questions
sociales, cologiques, et mme conomiques, dunesocit. Sil fallait
rsumer cette impossibilit, cette inaptitude irrmdiable du march
accoucher dune socit, on pourrait se rfrer la fois Marx et Polanyi,
le premier pour sacritique de la marchandise et de la violence avec
laquelle se conduit le processus demarchandisation, et le second
pour sa critique de la fiction consistant croire que lon
pouvaitconsidrer le travail, la terre et la monnaie comme des
marchandises.16
3. Quel sens au progrs et au dveloppement ?Tous les messianismes
issus de la pense occidentale, le messianisme judo-chrtien, le
messianisme marxiste, le messianisme techno-scientiste, ce
dernier spanouissant la foisdans le positivisme et le libralisme,
se sont renforcs mutuellement pour riger en finalits ledveloppement
et le progrs que lon peut atteindre grce la rationalit.
Lidologie conomique a assn lide que la rationalit consistait
faire reculer lararet par la croissance de la production alors quen
fait le soi-disant recul de la raretnaboutit qu accrotre celle-ci
sur le plan des ressources naturelles et assujettir la viehumaine
un renvoi linfini de la satisfaction des besoins. Autrement dit, la
raret ne tendpas vers zro, comme elle devrait le faire si rellement
elle reculait, mais elle tend verslinfini par la conjonction de
deux phnomnes : les ressources naturelles menacent de tendre
16 . Marx [1965] ; Polanyi, [1983, chapitre 6].
-
19
vers zro, et la barrire des besoins essentiels est indfiniment
repousse. De plus, la raretnest pas le plus souvent un fait
objectif indpendant de laction humaine. Cest un fait
socialconstruit : lappropriation prive cre la raret.17 La question
de la soutenabilit dudveloppement ne peut donc tre spare de
lvolution des rapports sociaux marqueaujourdhui par la
financiarisation de la socit.
3.1. La financiarisation du capitalisme, obstacle la
soutenabilitLa question examine ici est celle des rapports entre
dveloppement conomique et
rpartition. On voudrait montrer que la modification de la
rpartition de la valeur ajoute dansun sens favorable au capital
empche de mettre en uvre une stratgie de soutenabilit, tantsociale
qucologique.
Appelons : y le taux de variation du produit global Y, p le taux
de variation de la productivit de lunit de travail (par exemple de
la
productivit horaire), q le taux de variation de la productivit
par tte, t le taux de variation de la dure individuelle moyenne du
travail, n le taux de variation du nombre demplois, w le taux de
variation des salaires et assimils (prestations) W, i le taux de
variation des investissements I, le taux de variation de la rente
financire ,w* la part des salaires et assimils dans le produit
global, i* la part des investissements (ou profits rinvestis),
supposs tous soutenables
socialement et cologiquement, dans le produit global, * =
1-w*-i* la part de la rente financire dans le produit global,
On peut crire :salaires = w*Y,investissements = i*Y,rente
financire = *Y= (1-w*-i*)Y,la rpartition du taux de croissance
conomique18 y = ww*+ii*+*.
Dfinissons le rgime daccumulation financire comme celui qui tend
faire crotre letaux de croissance de la rente financire. Si cette
progression est plus rapide que celle y duproduit global, cela
implique ncessairement une modification de la rpartition
prjudiciable la soutenabilit.
En effet, le taux de croissance de la rente financire peut
sexprimer en fonction desautres variables : =yww*ii** .
Pour un taux de croissance conomique donn, le taux de croissance
de la rentefinancire est dautant plus lev que les taux de
croissance des salaires et des investissementspondrs par les parts
de ceux-ci dans le produit global sont faibles. Il est noter que le
tauxde croissance de la rente financire est inversement
proportionnel la part dj acquise dansle produit global.
17 . Voir la 8e section du Livre I du Capital de Marx [1965, p.
1167 et suiv.] ; et Polanyi [1983]. Voir aussiVentelou [2001] et
mon commentaire Harribey [2002-a]18 . Y = W + V + , do Y
Y =WY +
IY +
Y =
WY
WW +
IY
II +
Y
=
WW
WY +
II
IY +
Y
,
do y = ww*+vv*+*.
-
20
Rappelons pour mmoire les relations entre les variables de
production [en notant(1+y) = (1+p)(1+t)(1+n)] et les variables de
rpartition :
=(1+p)(1+t)(1+n)ww*ii*1*,
ou bien , en variables continues :=p+t+nww*ii**
.Pour un taux de croissance de la productivit et une part de la
rente financire dans le
produit global donns, le taux de croissance de la rente
financire est dautant plus lev quele temps de travail augmente, que
lemploi augmente et que la croissance des salaires et
desinvestissements pondrs par leur part respective est faible.
La maximisation de la rente financire est donc incompatible avec
une perspective desoutenabilit qui exigerait que toute la
population bnficie de la croissance de la production(soutenabilit
sociale) et que des investissements croissants soient consacrs
amliorer lesprocds techniques pour conomiser la nature
(soutenabilit cologique).
On peut faire alors trois remarques. Primo, le propos de Keynes
[1936, p. 369] il y aplus de soixante ans sur la ncessaire
euthanasie des rentiers avait quelque chose devisionnaire. Secundo,
laugmentation de la rente financire revt la figure de la valeur
pourlactionnaire ou economic value added qui, dans lanalyse
financire, est gale ladiffrence entre, dun ct, les recettes et, de
lautre, les cots incluant une rmunrationmoyenne du capital19. Si
cette augmentation a pour origine le fait que les profits croissent
plusrapidement que la productivit du travail, elle correspond ce
que Marx [1965, chapitre XII]appelait la plus-value relative. Si
elle provient dun meilleur positionnement face aux
capitauxconcurrents, elle correspond ce que Marx [1965, chapitre
XII] appelait la plus-value extra.Face ses concurrents, le but de
chaque capitaliste est de produire de la plus-value extra.
Lagnralisation dun tel comportement micro-conomique aboutit une
hausse gnrale de laproductivit et donc de la plus-value relative.
Tertio, un tel rgime daccumulationfinancire peut nanmoins faire
cohabiter laugmentation relative de la plus-value etllvation
absolue du salaire rel moyen. Augmentation du taux dexploitation de
la force detravail et croissance conomique ne sont donc pas
incompatibles. Ainsi peut sexpliquerlaccroissement simultan des
ingalits et du niveau de vie moyen que la plupart desstatistiques
mondiales enregistrent20.
3.2. Le dveloppement, solution ou problme ?La phase de
prparation de la confrence de Johannesburg (qui doit avoir lieu fin
aot
2002) sest acheve par la rencontre de Monterrey au Mexique du 18
au 22 mars 2002. Un consensus de Monterrey a t ngoci et prsent
comme marquant le dbut dun nouveaupartenariat entre pays riches et
pays pauvres afin de rsoudre le problme du financement
dudveloppement.
Le document adopt raffirme tous les dogmes libraux qui ont
conduit au dsastre denombre de pays au cours des vingt dernires
annes : il faut une bonne gouvernance , sous-entendu laustrit
budgtaire et salariale ; et il faut sinscrire dans le
libre-changegnralis, sous-entendu la concurrence entre le pot de
fer et le pot de terre. Le silence est faitsur prs de trois
dcennies de plans dajustement structurel mettant genoux les pays
soumisaux diktats du Fonds montaire international et de la Banque
mondiale, sur lamoncellementde la dette cause de taux dintrt
exorbitants et sur les crises sociales majeures dues
cetassujettissement dont lArgentine est le dernier exemple en
date.
19 . Voir Harribey [2001-b et 2001-c].20 . Voir PNUD [2001].
-
21
3.2.1. En finir avec le dveloppement ?Le type de dveloppement
qui prvaut dans le monde est celui qui est n en occident21,
impuls par la recherche du profit en vue daccumuler du capital,
et qui se solde aujourdhuipar une dgradation majeure des cosystmes,
par une aggravation considrable desingalits, par lexclusion dune
majorit dtres humains de la possibilit de satisfaire leursbesoins
les plus lmentaires comme lalimentation, lducation et la sant, et
parlanantissement des modes de vie traditionnels. En imposant ce
dveloppement la planteentire, le capitalisme produit une
dculturation de masse : la concentration des richesses unple fait
miroiter labondance inaccessible des milliards dtres situs lautre
ple et dontles racines culturelles dans lesquelles ils puisaient le
sens de leur existence et leur dignit sontpeu peu dtruites. (Voir
encadr Croissance et dveloppement).
Croissance et dveloppementLes thoriciens du dveloppement
conomique ont presque unanimement, la suite de
Franois Perroux, toujours affirm que la croissance tait une
condition ncessaire mais nonsuffisante du dveloppement humain. Leur
raisonnement souffre dune faiblesse logique grave :on ne peut pas
simultanment prtendre que la croissance et le dveloppement se
diffrencientpar les aspects qualitatifs que le second comporte la
croissance ntant donc pas une conditionsuffisante du dveloppement
et dire qu partir dun certain seuil de croissance, celle-ciengendre
des transformations structurelles et ensuite, par effet de
diffusion, des retombesbnfiques tous les tres humains : la
croissance, condition ncessaire, se transformant avec letemps en
condition suffisante du dveloppement, la distinction entre les deux
notions devientalors sans objet.
De deux choses lune. Ou bien le dveloppement et le progrs humain
rsultent, si lonsait attendre suffisamment, de la croissance, et
alors la distinction entre croissance etdveloppement est sans objet
puisque la croissance est une condition suffisante dudveloppement.
Dans ce cas, la croissance du PNB par tte, ou de tout autre
indicateur qui enest issu, est vritablement le seul indicateur
pertinent de lamlioration du bien-tre et nousdevons humblement
remiser les critiques son encontre. Ou bien le dveloppement et
leprogrs humain ne rsultent pas automatiquement de la croissance,
et alors lassociationcroissance-dveloppement-progrs humain doit tre
sur le plan thorique rompue. Lorsque lapoursuite de la croissance
conomique est perue comme une condition perptuelle dudveloppement
durable, laboutissement logique du raisonnement est alors la
substitution de lanotion de croissance durable celle de
dveloppement durable, substitution aujourdhuifrquente chez les
responsables politiques et les chefs dentreprises faisant de la
communication . Cette ambigut donne lieu des confusions cocasses
telle que latraduction de sustainable growth par croissance
soutenue [Point, 1990, p. 182].
Pour navoir pas su ni voulu tablir de ligne de dmarcation claire
entre, dune part, undveloppement durable qui serait un prolongement
du dveloppement capitaliste existantdepuis la rvolution
industrielle, simplement mtin de quelques activits de
dpollutiondautant plus prospres quelles prolifreraient lombre de
celles de pollution, et, dautre part,un dveloppement humain dissoci
de la croissance ds lors que les besoins essentiels
seraientsatisfaits, les promoteurs internationaux du dveloppement
soutenable ont laiss sinstaller uneambigut dont le risque est de
voir ce concept se rduire un nouvel habillage idologique dece
dveloppement gaspillant les ressources naturelles et bafouant la
dignit humaine.
Faut-il en dduire qu il faut en finir, une fois pour toutes,
avec le dveloppement 22,comme lexprime Latouche [2001], parce quil
ne peut tre autre que ce quil a t ? Faut-ilcondamner le
dveloppement au motif que sa perptuation est rendue ncessaire
pourrsoudre les problmes quil a fait natre ? La question ne peut
tre tranche aussi facilement
21 . Voir Rist [1996].22 . Latouche [2001].
-
22
pour plusieurs raisons. La premire tient au fait que, vu ltendue
des besoins primordiauxinsatisfaits pour une bonne moiti de
lhumanit, les pays pauvres doivent pouvoir connatreun temps de
croissance de leur production. A ce niveau-l, il est faux dopposer
quantitproduite et qualit car, pour faire disparatre
lanalphabtisme, il faut btir des coles, pouramliorer la sant, il
faut construire des hpitaux et acheminer leau potable, et pour
retrouverune large autonomie alimentaire, les productions agricoles
vivrires rpondant aux besoinslocaux doivent tre promues.
La deuxime raison pour laquelle la notion de dveloppement ne
peut tre prestementvacue est que laspiration un mieux-tre matriel
est devenue globale dans le monde. Et ilserait mal venu pour des
occidentaux clairs den contester la lgitimit au prtexte que
cetteaspiration ne serait que la rsultante de lintriorisation par
les peuples domins des valeursdes dominants, contribuant reproduire
les mcanismes de la domination. Certes, limitationdu dveloppement
occidental par les tous les peuples du monde, dune part, condamne
cespeuples courir perptuellement aprs leurs modles puisque le mode
de vie gaspilleur desriches nest pas gnralisable, et, dautre part,
voue la plante elle-mme une dtriorationinexorable. Mais au nom de
quoi peut-on laisser 20% des habitants de la Terre continuer
desaccaparer 80% des ressources naturelles ? Il est donc urgent de
poser le problme autrement.
Deux piges smantiques doivent tre djous comme autant dcueils. Le
premierserait de se satisfaire du concept, devenu un lieu commun,
de dveloppement durable ousoutenable. Sil sagit de faire durer
encore le dveloppement qui dure dj depuis deuxsicles et qui dgrade
les hommes et la nature, autant dire quil sagit dun
oxymore23mystificateur car, soit il nest possible que pour une
minorit de plus en plus restreinte, soit ilnest possible pour
personne ds quon veut ltendre tous. Dans le premier cas, il
estexplosif socialement ; dans le second, il lest cologiquement.
Dans les deux cas, il estmortifre car le capitalisme ne peut
dvelopper sa dynamique dappropriation des richessesnaturelles et
des richesses produites quen rarfiant les ressources limites et en
renforantlexploitation de la force de travail.
Le second cueil serait de se tromper sur la nature du
dveloppement. Ledveloppement dont on voit les dgts aujourdhui et
dont on peroit les dangers sil devaitperdurer nest pas simplement
le productivisme engendr par le tourbillon technique etlivresse
scientifique ou scientiste. Ce nest pas non plus le rsultat dun
conomisme quiserait commun tous les systmes de pense, ncessitant de
renvoyer dos dos le libralismeet la critique de celui-ci. Le
dveloppement connu jusquici est historiquement li laccumulation
capitaliste au profit dune classe minoritaire. De mme, son envers,
le sous-dveloppement, nest pas sans liens avec les vises
imprialistes du capital, notamment danssa phase daccumulation
financire actuelle. Dissocier la critique du dveloppement de
celledu capitalisme dont il est le support reviendrait ddouaner
celui-ci de lexploitationconjointe de lhomme et de la nature. Or,
sans la premire, le systme naurait pu tirer parti dela seconde ;
sans la seconde, la premire naurait eu aucune base matrielle. Il en
rsulte que sortir du dveloppement sans parler de sortir du
capitalisme est un slogan non seulementerron mais mystificateur son
tour. Et donc, la notion d aprs-dveloppement na aucuneporte si
celui-ci nest pas simultanment un aprs-capitalisme. Sparer les
deuxdpassements est aussi illusoire que de vouloir sortir de
lconomie 24 dont certains disentquelle ne pourrait tre diffrente de
ce quelle est, ou que de construire une conomieplurielle 25 mariant
capitalisme et solidarit.
23 . Cette ide est dfendue avec raison depuis longtemps par
Latouche qui la reprend dans [2002] ; le mmetexte figure dans
Partant [2002].24 . Caill [1995].25 . Voir ma critique dans
Harribey [2002-b]
-
23
Ce qui prcde nest pas une simple querelle thorique. Cela a une
importance pratiqueprimordiale. Si lon met en question le
capitalisme et le dveloppement qui lui estconsubstantiel, on procde
une analyse de classes et on fait donc une distinction
radicaleentre les besoins des exploits, des naufrags 26, des gueux
27, bref des pauvres, et ceuxdes exploiteurs, des dominants, des
gaspilleurs, bref des riches sur cette plante. Aussi, leprojet
dabandon du dveloppement sans toucher sa matrice historique
capitaliste est-ilbancal28, et celui dabandon du dveloppement sans
discernement, mettant tout le monde surle mme plan, logeant la mme
enseigne ceux qui doivent choisir entre mourir de soif ouboire leau
du marigot et ceux dont le dilemme se rsume acheter des actions
Microsoft ouVivendi, est-il peu raliste et peu crdible.
Pas plus que je ne crois labandon immdiat et sans nuances du
dveloppement, je nepense pas que lcologie, en plus dtre une
science, puisse tre un paradigme politiqueautonome29, et cela pour
deux raisons. Une raison logique dabord que souligne bien
Husson[2002]. Si la dgradation dorigine anthropique de la biosphre
a dj fait dpasser les seuilsdirrversibilit, il ny a plus rien faire
et lcologie nest daucun secours. Si, au contraire,les seuils
dirrversibilit nont pas t atteints, il est encore temps dagir et,
pour maintenirlhumanit distance de ces seuils [Husson, 2002, p.
81], des politiques conomiquespeuvent prendre en charge cet
objectif, condition de linsrer dans celui de la transformationdes
rapports sociaux voque ci-aprs. Une raison dialectique ensuite. La
tentative ducapitalisme dachever la rvolution bourgeoise du droit
de proprit en largissant celui-ci toute la sphre reste jusqu prsent
non marchande et toute la sphre du vivant constituelimpens de
lcologie politique actuelle. Lutilisation de la nature par lhomme
se faittoujours dans le cadre de rapports sociaux particuliers.
Lvolution des rapports de lhommeavec la biosphre nest sans doute
possible quen liaison avec la transformation des rapportssociaux.
On se situe bien ici dans une dialectique des conditions matrielles
de vie et desrapports sociaux au sein desquels ces conditions sont
produites, reproduites ou mises enuvre.
3.2.2. Une conomie conomeCompte tenu de ce qui prcde, je
soutiens lide dun dveloppement diffrenci dans
son objet, dans lespace et dans le temps :- dans son objet : il
y a des productions qui mritent dtre dveloppes dans le monde,
principalement celles qui visent satisfaire des besoins vitaux,
notamment en matiredducation, dhygine et de sant, dnergies
renouvelables et de transports conomes ;dautres productions doivent
en revanche tre limites et ensuite rduites, lagricultureintensive
dlirante, lautomobile et lensemble du systme automobile en tant
lesmeilleurs exemples ; la rorientation de la production concerne
les pays pauvres et les paysriches ;
- dans lespace : les pays pauvres doivent pouvoir bnficier dune
croissancedynamique pour rpondre aux besoins dune population qui
connatra encore pendantquelques dcennies une expansion importante ;
les pays riches doivent, eux, enclencher unedclration de leur
croissance conomique globale en recherchant des modes de
rpartitiondes richesses beaucoup plus quitables et une utilisation
des gains de productivit pour rduire
26 . Latouche [1991].27 . Cordonnier [2000].28 . Lhypothse
sous-jacente mon argumentation est que si le capitalisme a
ncessairement besoin dudveloppement, linverse nest pas vrai.29 Voir
Harribey [2001-a].
-
24
le temps de travail ds lors que les besoins ne pas confondre
avec les dsirs sontsatisfaits30 ;
- dans le temps : la dclration immdiate de la croissance pour
les pays riches,simultanment roriente, doit tre conue comme une
phase de transition donnant auxpopulations le temps et lenvie de
reconstruire leur imaginaire, faonn par deux sicles demythe de
labondance et intrioris au point den faire un maillon essentiel de
la chane deleur servitude involontaire 31 ; ce nest quaprs cette
phase de transition que lon pourraenvisager dorganiser la
dcroissance 32, seule mme de garantir une soutenabilit
longterme.
En termes socio-conomiques, ce dveloppement diffrenci pour tre
au bout ducompte radicalement diffrent suppose une rappropriation
et une rpartition collectives desgains de productivit que le savoir
et la technique humaine permettent et leur
utilisationessentiellement des fins damlioration de la qualit de la
vie. (Voir encadr surProductivisme et productivit). Jai soutenu la
thse selon laquelle la rduction du temps detravail pouvait
constituer une voie prometteuse pour utiliser les gains de
productivit dans laperspective dune conomie conome33 soutenable
socialement et cologiquement.
Cette rappropriation en rejoint une autre quun vritable progrs
humain impliquegalement : celle des biens communs de lhumanit
constitus de leau, de lair, de toutes lesressources naturelles et
des connaissances. Autrement dit, ces deux aspects peuvent trersums
par la rappropriation collective des richesses produites, des
richesses naturelles nonproduites et des capacits et potentialits
de lesprit humain. La prservation et lextensiondun espace non
marchand dans la socit prennent ici tout leur sens.
Productivisme et productivitUne confusion est entretenue au
sujet du productivisme. Il est trs souvent dfini (notamment
par nombre dcologistes) comme la production sans autre finalit
quelle mme. De mme, lerejet du dveloppement est justifi par
certains thoriciens par le fait que sa perptuation estrendue
ncessaire pour rsoudre les problmes quil a fait natre. Or le
productivisme nest pasla production incessante de valeurs dusage
mais de valeurs marchandes susceptibles devaloriser le capital. La
preuve en est que les propritaires de celui-ci cessent dinvestir
quand lesperspectives de profit samenuisent. Il sensuit que le
renoncement au productivisme nest pasun renoncement au progrs ni
mme la croissance de certaines productions indispensables.
De mme, la recherche de lamlioration de la productivit ne doit
pas tre confondue avecle productivisme. Cette recherche peut tre
considre comme lapplication de la rgle dumoindre effort et tre
encourage sous rserve que trois conditions soient respectes :
- sans intensification du travail ;- sans dtrioration de lemploi
;- sans ponction ou dgradation irremplaables supplmentaires sur ou
de lenvironnement.
Le concept de soutenabilit est n sous le double signe du recul
de la pauvret et de laprservation des cosystmes pour garantir la
justice lgard des gnrations actuelles etfutures. Il devient crdible
et oprationnel si trois principes sont respects : responsabilit34
lgard des systmes vivants, solidarit lgard de tous les tres humains
et conomie desressources naturelles et du travail humain35. Tel
nest pas le cas du rgime daccumulation
30 . Voir Harribey [1997 ; 2002-b].31 . Accardo [2001].32 .
Georgescu-Roegen [1995].33 . Harribey [1997].34 . Voir Jonas
[1990].35 . Harribey [1997].
-
25
financire qui prvaut dans le monde aujourdhui et qui rend la
soutenabilit impossible parcequil tend accrotre constamment le
niveau dexigence de rentabilit servie aux dtenteursdu capital. Il
ne peut en rsulter quun affaiblissement de la position des
travailleurs(insoutenabilit sociale) et une difficult croissante
investir dans des processus deproduction non destructeurs
(insoutenabilit cologique).
Le projet de dclration immdiate de la croissance pour les pays
hyper dveloppspour, terme, envisager la dcroissance nest ralisable
que si les ingalits ont trsfortement dcru en leur sein, permettant
alors la diminution des ingalits entre les classespauvres des pays
pauvres et le reste du monde36. Cest dire combien les moyens
definancement pour les pays pauvres et surtout lannulation de leur
dette sont indispensablesmais quils sont loin de rsoudre la
question principale et, pire, pourraient la dissimuler. Carun autre
progrs humain, quon hsite bien sr appeler dveloppement tellement
ceconcept est connot, est li lmergence et de lpanouissement dautres
rapports sociaux.
La transformation des rapports sociaux est insparable de la
transformation des rapportsdes hommes avec le monde du vivant 37
car la rappropriation par chacun de son temps devie grce aux gains
de productivit rpartis avec justice est un objectif qui rejoint
celui de nepas se faire dpossder du bien commun de lhumanit et
celui den faire un usageraisonnable, cest--dire conome. Le
capitalisme est en passe de raliser son rve le plusdment :
transformer totalement les rapports de proprit sur la plante, de
telle sorte que lamoindre activit humaine prsente et venir, la
moindre ressource matrielle ou intellectuelle,deviennent des
marchandises, cest--dire des occasions de profit. Avec videmment
lavolont de rendre la chose irrversible. Tel est le sens des
projets dAccord multilatral surlinvestissement) ou dAccord gnral du
commerce des services qui sont autant de tentativesde verrouillage
de lavenir conomique de lhumanit, loin des engagements en faveur
dunmode de vie soutenable socialement et cologiquement. Le
capitalisme tait dment, mais,parce quil na plus de projet humain
pour lhumanit, il est devenu snile38. Et, sans sursautdmocratique,
sa snilit risquerait dtre durable, la place du dveloppement du mme
nomque lon nous promet.
36 . Voir Harribey [1997].37 . Passet [1996].38 . Voir Harribey
[2002-b].
-
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