Top Banner
ANTHROPOLOGIE ET RECHERCHE BIOMÉDICALE: LE CAS YANOMAMI (VENEZUELA ET BRÉSIL) Bruce Albert Presses de Sciences Po | « Autrepart » 2003/4 n° 28 | pages 125 à 146 ISSN 1278-3986 DOI 10.3917/autr.028.0125 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-autrepart-2003-4-page-125.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po. © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 26/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.229.84) © Presses de Sciences Po | Téléchargé le 26/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.229.84)
23

le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

May 04, 2023

Download

Documents

Khang Minh
Welcome message from author
This document is posted to help you gain knowledge. Please leave a comment to let me know what you think about it! Share it to your friends and learn new things together.
Transcript
Page 1: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

ANTHROPOLOGIE ET RECHERCHE BIOMÉDICALE: LE CAS YANOMAMI(VENEZUELA ET BRÉSIL)

Bruce Albert

Presses de Sciences Po | « Autrepart »

2003/4 n° 28 | pages 125 à 146 ISSN 1278-3986DOI 10.3917/autr.028.0125

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-autrepart-2003-4-page-125.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po.© Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans leslimites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de lalicence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit del'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockagedans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 2: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

Anthropologie et recherche biomédicale :

le cas yanomami (Venezuela et Brésil)

Bruce Albert *

Haffaire Darkness in El Dorado

En septembre 2000, l'éditeur W. W. Norron (New York) a mis en circulation lesépreuves du livre d'un journaliste, P. ïerney, au titre pour le moins sensationna-liste: Daràness in El Dorado: Hoa Scientists and Journalists Dnastated the Anazon.Ladivulgation de ces épreuves auprès d'un certain nombre d'anthropologues améri-cains, puis, peu après, la publication de l'ouvrage, déclenchèrent une polémiquesur internet puis une couverture médiatique qui devinrent rapidement mondiales,fait sans précédent pour un livre traitant des Indiens d'Amazonier.

l-louvrage de P. ïerney s'efforce de documenter les préjudices causés auxYanomami du Venezuela par diverses équipes de recherches (biomédicales, anthropo-logiques) et de reportage qui ont fréquenté leur rerritoire depuis les annéessoixante. Les données et témoignages qu'il présente (et parfois interprète à I'ex-cès) ont, du fait de leur gravité, suscité une vive conrroverse parmi les chercheursaux États-Unis, au Venezuela et au Brésil, norammenr prr-i 1", anthropologues.Depuis près de trois ans, même après avoir quitté la scène médiarique, " I'affaireDarhness in El Dorado > continue d'alimenrer des polémiques aussi virulenres quecirconstanciées sur les conditions éthiques des recherches biomédicales er anthropo-logiques mises en cause 2.

Défiée par I'ampleur de ce débat, I'American Anthropological fusociation(AAA) a décidé, à I'occasion de son congrès des 3 et 4 février 2001, de créer unecommission ad hoc afin de mener sa propre enquête sur les accusations contenuesdans l'ouvrage de P. Tierney: la AAA El Dorado Thsk Force (BDTF). Le rapponfinal de cette commission, publié sur le site de I'AAA en mai 2002, se compose dedeux volumes, respectivement de l2l et 183 pages, précédés d'une courre préface

* Directeur de recherches IRD associé à I'Instituto Socioambiental de Sâo Paulo, Brésil.I Voir Le tllonde, l"'octobre 2000: . Les Indiens Yanomami ont-ils été victimes d'exoérienceseugéniques ?

2 On trouvera des détails sur les différents thèmes, arguments et sources qui alimentent cesdébats sur les deux sites internet suivants: www.tamu.edu/anthropology/Neel.html et surrout:www.anth.uconn.edu/gradstudents/dhume/darkness_in_el_dorado/index.htm.

Autrepaft (28), 2003 :125-146

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 3: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

126 Bruce Albert

[AAA, 2002]. Il s'agit d'un document complexe et hétérogène, qui réunit les poinm

de vue, parfois dissonants, des membres de I'EDTF sur divers âspects des accusa-

tions du livre de P. Tierney. Il contient également de nombreux documents etnotes extérieurs, notamment des témoignages yanomami et des critiques d'unevingtaine d'anthropologues sur une version préliminaire de ce même rapport pla-

cée sur le site de I'AAA en février 2002 avec un mécanisme d'inclusion de com-menmires en ligne 3.

Bien qu'adoptant une position très critique à I'encontre du sensationnalisme er du

manque de rigueur de certains aspects du livre de P. Tierney, le rapport de I'EDTFne lui en reconnaît pas moins un double mérite: d'avoir attiré I'attention d'un vaste

public sur la situation critique des Yanomami et d'avoir amené les anthropologues(américains), par les questions d'éthique qu'il soulève, à s'intenoger sur la manière

dont ils conduisent leurs recherches de tenaina. Ses rédacteurs concluent ainsi:

" Les allégarions de DarÈnæs in El Dorado doivent être prises au sérieux. Darlness in ElDorado a bien servi I'anthropologie en ce qu'il a ouvert un espace de réflexion et d'inven-taire à propos de nos pratiques et de nos relations avec ceux parmi lesquels nous avons le pri-vilège de réaliser nos études ,' [AAA, 2002, | :91.

Darhness in El Dorado a finalement été traduit en 2002 sous le titre Au nom de lacirsilisation. Comment anthropologues et journalistes ont raaagf l'Amazonie [Ïerney,2002s]. À I'occasion de cette traduction, le livre eut de nouveau un large écho dans

la presse6, sans que les acquis du débat international à son propos soient sérieuse-

ment pris en considération. Par ailleurs, il a êté en général accueilli avec une certaine

défiance par le milieu anthropologique français, essentiellement inquiet de ses

répercussions négatives pour la profession et sans véritable intérêt, semble-t-il, pour

les questions éthiques soulevées par I'ouvrage 7. Ce qui est d'autant plus regrettableque I'enquête de P. Tierney ne concerne pas que des chercheurs américains 8.

3 Ce mécanisme d'inclusion et d'archivage de commentaires est toujours accessible sur le site de I'AAA

[juillet 2003]. Plus qu'un documenr homogène, ce rapport final est, comme son titre I'indique, un ensembled'essais dont les abordages sont parfois difficilement conciliables IAAÀ 2002].4 Voir AAA 2002, Preface for El Dorado Tbsi Force Papen et El Dorado Task Force Popen, | :9.5 Les références à I'ouvrage de Tierney (sommaire, pagination) se réfèrent à son édirion française.

6 Par exemple : lz Figaro littéraire, 6 fêvrier 2003:- " Yanomami: des ethnologues onçils failli ? ", h Nouztel

Observatur, n' 1993, 16 janvier 2003: " Le livre-choc de P. Tiemey. Conment on a raoagé I'Amazonie ".7 Le seul écrit qui en ait émané durant " l'afîaire Darènæs in El Dorado > est une lettre publiée dans

l'Antiropolog Naosleuer (organe de I'AAA), rectifiant l'appartenance institutionnelle des chercheurs français

cités par P. Tierney [P et H. Erikson, 2001]. A noter, cependant, un compte rendu de la polémique autourdu livre de P Trerney par M. Brohan [2003].8 Il est assez révélateur que le nom d'un anthropologue frangais mis en cause dans I'ouvrage original

[chap. 8 et 13] ait été remplacé, dans la version française, par un double X. Le rappon de I'AAA 120021 a

confirmé les informations de ces deux chapitres [5.9. Allegations of Inappmprian Sexual Relationships toitlt

Yanomami by Anthropologisa,2: l0l;5.10 llanion of tùe Anazon,2: 1041. Par ailleurs, nous savons que leCommissariat à l'énergie atomique (CEA) a mené des recherches sur le métabolisme thyroidien des Yano-

mami au Venezuela de 1968 à 1970. Les anthropologues panicipant au projet avaienc pour tâche " d'assurer

la permanence de la mission scientifique, de continuer à administrer l'iode-124, d'effectuer des prises de

sang régulières et de mesurer I'activité thyroïdienne durant l'absence des biologistes " [Lizot, 1970: 116l.Des recherches similaires avaient été menées chez les Yanomami de 1958 à 1968 avec de I'iode-131 - autreisorope radioactif- par I'endocrinologiste vénézuélien M. Roche IRoche, 1959; Rivière et alii,1968], proba-

blement en relation avec I'Agence américaine de I'énergie atomique [Tierney, 2002:357-3581. Voir égale-

ment la note 23 ci-dessous.

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 4: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

Anthropologie et recherche biomédicale

Une grande parr des accusations de Darhness in El Dorado contre les méthodesde recherche et le comportement sur le terrain des anthropologues et chercheursbiomédicaux ayant travaillê chez les Yanomami du Venezuela ne sont pas nouvellespour les spécialistes, parmi lesquels elles font objet de commentaires et de débatssporadiques depuis les années soixante-dix [Albert (ed.), 200t :47]. IJenquête deP. Ïerney a synthétisé ces critiques et les a prolongées par une investigation sur leterrain, de nombreuses interviews et une documentation renouvelée. Toutefois,son livre est desservi par un style souvent outrancier et un certain manque derigueur dans I'interprétation de ses sources.

En fait, cet ouvrage n'aurait sans doute jamaisfair I'objet d'une telle attentionmédiatique internationale sâns son chapitre 5 (" Epidémie ") qui laisse entendreque le célèbre généticien américain J. V. Neel et son équipe (incluant I'anrhropo-logue N. A. Chagnon) auraient aggravé (ou même déclenché) une épidémie derougeole chez les Yanomami de l'Orénoque en 1968. Tierney y prétend ainsi queJ. V. Neel aurait ainsi délibérément utilisé un vaccin aux effets secondaires dange-reux (Edmonston B) à des fins expérimentales - pour étudier I'impacr différentield'une . quasi-épidémie n au sein d'une population isolée.

La monstruosité de ce qu'implique une telle allégation - un cas d'expérimen-tation humaine ayanr causé la décimation d'une ethnie minoritaire - a, dans unecertaine mesure, relégué au second plan les autres accusations du livre; accusationsqui, par ailleurs, révèlent une véritable anrhologie de manquemenrs déontolo-giques e. Les interogations éthiques soulevées par Darhness in El Dorado sur lesrecherches biomédicales menées chez les Yanomami dans les années cinquante à

soixante-dix sont ainsi devenues une part essentielle de la controverse autour dulivre 10. Toutefois, les arguments et contre-arguments de cette polémique se sontmultipliés de manière si inextricable, en grande part sur I'inrernet, en dehors etautour de I'enquête de I'EDTR qu'ils ont fini par rendre ses enjeux incompré-hensibles aux non-spécialistes.

Lobjectif de cet article est donc, avant tout, de présenter une synthèse cri-tique aussi claire que possible du débat bioéthique aurour de la publicarion deDarlness in ElDorado. Le point de départ de ceme synrhèse sera l'évaluarion duchapitre 5 (" Épidémis ") du livre de P. Ti"tn"y réaiisée, à rna demande, par ungroupe de médecins de I'université de Rio de Janeiro - UF RJ [Lobo et alii,200ll.Les conclusions de cette expertise indépendanre seronr mises en rapporr avec lestextes pertinents du rapporr final de I'EDTR seul forum institutionnel où lesarguments de cette controverse aienr été traités systématiquement, ainsi qu'avecune autre étude fondamentale dans cette affaire, celle de l'anthropologueTerence Turner [2001 rt1.

9 Toutes ces aocusations sont examinées en détail dans le vol. 2,PanY. Cases Studits, du rapport deI'EDTF [AAA' 2002,5.1 à5.10:53-106]: méthodes d'enquête néocoloniales, manipulation de données,truquage de films ethnographiques, compromissions politiques, incitarions à la violence inrercommunau-taire, contamination par des maladies infectieuses et abus sexuels.10 Voir " Tiois quesdons à... Bruce Albert ", k ùIorde, 1.' octobre 2000.1 1 Le rappon des médecins brésiliens, par définition doublement indépendant du milieu anthropologiqueaméricain et de ses clivages, constitue une voie médiane entre les texres du rappon de I'EDTF dus à TiudyTirrner, plutôt favorable à J. V. Neel, er ceux de J. Chernela, également membre de I'EDTR plus (.../...)

127

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 5: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

128 Bruce Albert

lJexpédition de J. V. Neel et l'épidémie de rougeole sur le haut Orénoqueen 1968

Les allégations du chapitre 5 de Darbness in EI Dorado selon lesquelles l'équipede J. V. Neel auraient conduit, avec la complicité de I'anthropologueN. A. Chagnon, une expérimentation vaccinale dévastatrice sur les Yanomami du

haut Orénoque m'ont conduit, dès que j'ai pu obtenir les épreuves du livre(octobre 2000), à faire appel à I'expertise de quatre médecins brésiliens spécialistes

en épidémiologie, santé publique, maladies infectieuses et médecine préventive r2.

Le rapport de ces médecins a été traduit en anglais, soumis à I'BDTF pour contri-buer à son enquête, et rendu public sur un site internet en février 2001. Plusieurs

de ses conclusions mettent en évidence la fragilité des interprétations de

P. Tierney sur l'épidémie de rougeole de 1968. Cette étude établit ainsi que l'épi-démie, venue du Brésil, ne fut en rien causée par la vaccination de l'équipe de

J. V. Neel, que I'usage du vaccin Edmonston B était légitime à l'époque tr, qu'ilétait approprié de I'administrer dans le contexte où il I'a été chez les Yanomami et,qu'enfin, l'équipe américaine ne pouvait pas non plus être accusée d'omission dans

le traitement des victimes de cette épidémie. Le rappon de I'EDTF est parvenu

aux mêmes conclusions, citant un ensemble d'experts prouvant également que les

accusations de P. Terney sur l'épidémie de 1968 sont sans fondements [AAA,200?,5.1 :53).

Par contre, le rapport des médecins de I'université de Rio de Janeiro créditeégalement DarÊness in El Dorado d'avoir ouvert la possibilité de débattre en pro-

fondeur des conditions dans lesquelles sont menées les recherches biomédicalessur les ethnies minoritaires et du mode d'association des anthropologues à ces

recherches lLobo et alii,200l 391. Dans cette perspective, l'étude brésilienne sou-

lève un certain nombre d'interrogations sur le cadre technique et éthique dans

lequel l'équipe de J. V. Neel et N. A. Chagnon a conduit sa campagne de vaccina-

tion et ses recherches biomédicales chez les Yanomami de l'Orénoque. Ces inter-rogations portent essentiellement sur trois points, également discutés dans l'étudede Terence Tirrner [2001] et dans pas moins de quatre textes du râpport deI'EDTF' :

(.../...) critique à son égard (l'étude de Terence Tùrner étant la plus accusatrice). ludy Tirrner (université

du Wisconsin, Milwaukee) estune biological antiropologist,fêrue d'anlutionary biolog. lnet Chernela (uni-

versité intemationale de Floride) et Terence Tirrner (université de Cornell) sont des caltural anthropologists

spécialistes de I'Amazonie brésilienne.12 Deux de ces médecins (Dr. M. S. de Castro Lobo et Dr. K. M. Pinho Rodrigues) ont eu, par ailleurs,

une expérience de travail de terrain chez les Yanomami du Brésil dans les années 199l'1994.

13 Bien qu'un vaccin contre la rougeole provoquant des effets secondaires moins violents (Schwanz) eûtpu, de préférence, être utilisé, s'agissant d'une population isolêe lLobo et alii, Z00l : ?5-26,381. Deux argu-

ments différents ont été invoqués dans le rapport de I'EDTF à I'appui de ce choix: le refus d'une donation

de Merck, le laboraroire fabriquant le vaccin Schwanz [AAA, 2002, 5.1 : 55] et le fait que le vaccin Edmons-ton B confère une immunité plus longue tandis que ses effets secondaires pouvaient être minimisés par

I'injection conjointe de gammaglobulines [AAA' 2002,2.1 : ?5).

14 Vol. 2, PartY. Case Studies, 5.1. The llleasles Epidenic of 1968 (Tndy Tùrner, Jane H. Hill): 53-60(14 fêvner 2002); Vol. 2, Pan V. Cae Sndies, 5.?. Inforned Consmt and thz 1968 Næl Expedition (Tin:dy Tùmer) :

61-66 (8 février 2002); Vol. 3, Pan V. Case 9tadies,5.3. Colleaion of Bodily Sanples and Infonned Consent ÇanetChemela): 67-80 (S février 2002); Vol. 1, Pan ll. Introduaory Staanmt by tle Entire Tasi Force.2.l. Reflections

on Informed Consent, Raeareh, ard the 1968 Neel Expedition: 2l'30 (1"' mai 2002).

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 6: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

Anthropologie et recherche biomédicale

1) Une possible expérimentation conduite par comparaison de résultats d'in-jections âvec et sans gammaglobulines ls lors de la campagne de vaccinationconduite durant l'épidémie de rougeole de 1968, comparaison dont les résultats onrété publié in Neel et alii 11970).

Sur ce point, le texte de Tiudy Tirrner pour I'EDTF IAAA,200Z,5.l : 54-551affirme qu'il n'y a aucune mention d'un protocole d'expérimentation de ce rype dansla correspondance de J. V. Neel, dans ses journaux de tenain ni dans ses dossiers dedemande de financement à I'Agence de l'énergie atomique (AEC) qui a financé sesrecherches chez les Yanomami16. Uétude de Terence Tirrner 12001 :12] conclut éga-lement, après examen des archives de J. V. Neel déposéesàl'Anerican Philosoplticalsociety fStevens, Tùrner, 2001], qu'aucun document ne peur y établir une intentiond'expérimentation. Elle attribue plutôt l'usage ou non des gammaglobulines à I'or-ganisation erratique de la campagne de vaccination de l'équipe de J. V. Neel duranrI'épidémie de 1968, en raison de son statut secondaire face à I'objectif prioritaire deI'expédition qui était la collecte d'échantillons biologiqueslT. Toutefois, le rapport deTerence Turner tend également à démontrer que la vaccination entreprise I'a étéautant au titre d'une recherche génétique sur la production d'anticorps dans unepopulation isolêe (airgin soil) qre pour des raisons humanitaires Iibidem: 22), Le texteconclusif de I'EDTF sur la question [AAA, 2002,2.1:25-261n'admet pas que la cam-pagne de vaccination de J. V. Neel ait fait I'objet d'un protocole de recherche strictosensu, mais il reconnaît, par contre, qu'elle a bien eu une dimension de recherchepour avoir été la source de nombreuses observations scientifiques (incluant la com-paraison des vaccinations avec er sans gammaglobulines). Une partie des membresde I'EDTF est même allée plus loin, en renanr à faire état de sa perplexité devanrI'ambiguité des relations entre les aspects humanitaires et scientifiques de la vacci-nation de 1968 [op. cit.:26]. Par ailleurs, le rapport de I'EDTF [ibiden:Z4] considèreque, d'une façon générale, les recherches de J. V Neel sur les Yanomami, en lesconstituant, à leur insu, en tant que groupe de contrôle dans une étude comparativesur les radiations atomiques, peuvenr être considérées comme une " expérimenta-tion naturelle " éthiquement discutablers.

2) Le deuxième point soulevé par les médecins de I'UFRJ concerne I'insuffi-sance des efforts de préparation et de planification de J. V. Neel et de son équipepour faire face à l'épidémie de rougeole, avant leur départ sur le terrain. En effet,plusieurs lettres de missionnaires et de collègues vénézuéliensre les avaient avertisde sa propagation depuis la frontière Brésil/Venezuela, en direction de l'Orénoque,

15 " Fraction du sérum sanguin contenant la plupart des anticorps, utilisée dans la prévention temporairede cenaines maladies infectieuses " (lz Petit Robert).16 C'est également un des mérites du livre de Tierney que d'avoir attiré I'attention sur le fait que lesYanomami étudiés parJ. V. Neel devaient servir de groupe de contrôle (en relation aux survivanrs des bom-bardements atomiques américains au Japon) dans une recherche plus vaste sur l'effet des radiations sur lematériel génétique des cellules [Tierney, 2002:64, chap. 4: * Indiens atomiques n].17 Ilaétêétabti [AAA,2002,5.1 :57] quecesdosesdegammaglobulinesétaientenquantitéinsuffisanteen relation au nombre de doses de vaccin Edmonston B.18 Selon Ia notion de " natural " experinznt empruntée à Bernard [1979 : 631. Voir égalemenr sur ce pointAlben (ed.) [2001 : 53]. Voir note 16 ci-dessus.19 Voir AAA 2002,5.1: 56, ainsi que les documents référencés COR 5, 22, 38, 39 et 81 in Stevens, Ti.rrner[2001, Pan II].

129

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 7: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

130 Bruce Albert

deux mois avant qu'ils n'y parviennent, le 22 janvier 1968 [Lobo et alii,200l :

29,381. Ce manque d'organisation, qui a sans nul doute eu un impact négatif sur

I'efficacité de la campagne de vaccination et le contrôle de la monalité durant l'épi-démie, semble devoir être amribué, là encore, à la priorité donnée par J. V. Neel à

son programme de recherche et de collecte d'échantillons biologiques plutôt qu'à

la vaccination des Yanomami libiden:421.Cette évaluation des médecins brésiliens se trouve corroborée par l'étude

détaillée de Terence Tirrner sur les archives de J. V. Neel [2001 : 15-16, 2l-291;étude qui montre bien I'impatience de ce dernier face aux contraintes de la cam-

pagne de vaccination et à leurs interférences avec son progrâmme de recherche. Ce

qu'établissent assez clairement des notations telles que celle-ci, émanant de sonjournal de terrain [5 février 1968:79]:

" La vaccination contre la rougeole - geste de conscience et d'altruisme - est plus unecontrariété (a headacie) que quelque chose de souhaité (baryained for) - je mettrai cela dans

les mains des missionnaires ou le placerai vraiment en dernier lieu " fop. cit.: l5l.

Le texte de Tiudy Tïrrner pour I'EDTF [AAA, 2002,5.1: 58-59], qui s'efforce

manifestement de défendre J. V. Neel à tout prix, n'est, sur ce point, guère

convaincant, n'opposant que des exégèses laborieuses aux citations troublantes

relevées par Terence Tïrrner. Le texte conclusif de I'EDTF sur la question est, par

contre, mieux documenté et plus nuancé. Il s'efforce, certes, de relativiser lemanque de préparation de l'équipe de J. V. Neel, notamment en rappelant ses

efforts - réels - pour obtenir des doses de vaccins et les acheminer sur le terrain

IAAA,2002,2.1 :2820].Toutefois, de nouveau, une partie des membres de I'EDTFadmet- sans qu'un accord ait pu être trouvé avec les rédacteurs de l'étude 5.1 -" [...] que le programme de vaccination pourrait avoir été plus efficace s'il n'avaitpas été compliqué par les multiples dimensions du projet de recherche financé par

I'ABC que Neel continuait à mener , libidem:271.3) Le troisième point soulevé par les médecins de I'UFRJ souligne I'absence

d'une véritable procédure d'obtention de consentement éclairé des Yanomami

dans le cadre des recherches de J. V. Neel, en particulier dans le cas des collectes

d'échantillons sanguins, prélevés après que la collaboration des Indiens a été

acquise grâce à la promesse d'une rétribution en objets de troc 21. Le rapportbrésilien condamne cette méthode, qu'il considère comme équivalente à unachat de sang, y voyant un dévoiement inadmissible de la notion de consente-

ment éclairé telle qu'édictée par le Code de Nuremberg (1947) et la déclarationd'Helsinki de l'Association médicale mondiale en 1964 lLobo et alii, ?001 :

30-311.

20 Le reste des initiatives décrites ne correspond guère (cours de premiers soins, plan fait à Caracas en

attente de trânspoft, demande d'assistance aux officiels vénézuéliens sans attendre leur arrivée) à ce que les

médecins de I'UFRJ énumèrent au titre de préparatifs efficaces d'une campagne de vaccination fLobo et

alii,2001 : 291.

2l Yoir Tierney 12002:671, citant I'anthropologue N. A. Chagnon, chargé de ce marchandage: " Pour

m'assurer la coopération complète de villages entiers pour ceûaines de nos études, je devais distribuer des

biens aux hommes, aux femmes et aux enfants. "

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 8: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

Anthropologie et recherche biomédicale

uétude de Terence Turner ï2001:29-301condamne égalemenr avec vigueur ceraspect des recherches de J. V. Neel, sans toutefois appofter de données nouvellesau dossier. Le rexte de Tiudy Tùrner pour I'EDTF [AAA, Z00Z, S.Z:61-66] com-mence par une brève histoire de l'éthique médicale aux États-Unis pour indiquerque les codes en vigueur à l'époque de I'expédition de J. V. Neel (Nuremberg etHelsinki) " étaient souvent difficiles à appliquer >, et que " de nouvelles clarifica-tions et standards > ne seront fixés que dans les années soixante-dix, notamment àtravers le Belmont Repoft U979l Toutefois, si I'on peur considérer que ce rapporïconstitue, effectivement, une institutionnalisation des codes antérieurs dans lecontexte américain, il ne fait que détailler les différents aspects (information, com-préhension, volonté) de I'application d'un principe de consentement éclairé clai-rement définie dans son principe depuis 1947.

ludy Tirrner poursuit son érude en présenfant une brève enquête sur I'appli-cation rudimentaire de ce principe dans les recherches biomédicales de terrain desannées soixante 22. Finalement, devant les témoignages accablants de I'anthropo-Iogue N. A. chagnon et du linguiste E. c. Migliazza, rous deux anciens membresde l'équipe de J. v. Neel en 1968, qui confirmenr le caractère rrompeur des infor-mations fournies aux Yanomami et l'achat de leur collaboration. force lui est d'ad-mettre que " les techniques de consentement éclairé utilisées par I'expédition de1968 ne satisferaient pas les standards contemporains " [AAA, 2002,5.?:65]. Elleconclut cependant en réaffirmant que, malgré leur caractère u minimal ,, les procé-dures employées par J. V. Neel peuvenr être considérées comme .. appropriées etmême avancées > pour l'époque fop. cit., 5.2: 661. Le rapport des médecins deI'UFRJ offre une version plus nuancée du même argumenr. Il admet que lesméthodes de terrain de l'équipe de J. v. Neel étaient en contradicrion avec des prin-cipes bioéthiques clairement définis à l'époque de leur travail avec les Yanomami,mais reconnaît également o qu'elles ne différaienr pas, sous cer aspect, de nom-breuses autres recherches sur des sujets humains conduites et publiées dans desjournaux scientifiques renommés de cetre décennie " [Lobo et alii, Z00l :39].

Il semble, en effet, que la négligence envers le principe de consentementéclairé établi par le code de Nurembergaitété une pratique commune aur Étutr-unis, dans les années cinquante et soixante, spécialement lorsqu'il s'agissait deminorités ethniques ou de personnes vulnérables. De ce point de vue, on admet-tra volontiers que, comparé à certaines des recherches révoltantes décrites par lelivre de Moreno [2000], le " minimalisme n de J. V. Neel en matière de consenre-ment éclairé puisse paraître " avancé > pour l'époque. Toutefois, il n'est pas cer-tain que cela le rende éthique pour auranr.

Le texte final de I'EDTF esr beaucoup plus clair que l'étude de Tiudy Tirrnersur la question [AAA, 2002,5.21, en affirmanr simplemenr: " Les procédures deI'expédirion de Neel n'étaient pas en accord avec les standards officiels de consen-tement éclairé en vigueur à son époque (et, bien sûq avec ceux d'aujourd'hui) "IAAA, 2002, 2,1 : 221. Le rapport de J. Chernela [AAA, 2002, 5.3], analysanr en

22 La simple possibilité de pouvoir refuser de participer à une recherche était, semble-t-il, considéréecomme suffisante pour établir implicitement le consentemenr éclairé des panicipants IAA , 2002,5.1 : 631.

131

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 9: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

t5l Bruce Albert

détail le témoignage des représentants yanomami qu'elle a eu le souci d'interroger,

conclut, avec plus de sévérité encore:

. Les anthropologues conscients et l'fusociation elle-même en sont arrivés à considérer ces

actions (incluanr les méthodes de collectes d'information) comme des actes qui ont pu poruer

préjudice, intentionnellement ou non, aux Yanomami. [.,,] De nombreux Yanomami consi-

àèrenr qu'ils ont éré rrompés, désinformés et manipulés [...] par les chercheurs " fibiden:75].

En fait, loin de constituer un manquement véniel, témoin d'un passé < proto-

bioéthique , qu'il serait anachronique de condamnet le < minimalisme " de

J. V. Neel et de son équipe en matière de consentement éclairé semble avoir été

une pratique bien établie jusque dans les années soixante-dix, non seule ment chez

les Yanomami, mais encore auprès de nombreux autres groupes amérindiens du

Brésil: chez les Kraho, Kayapo-Gorotire, MakushietWapishana en 1974, puis les

Tkuna, Baniwa et Kanamari en 1976 lvoir Salzano, 2000]. Aussi récemment que

1995, I'anthropologue N. A. Chagnon, qui fut la cheville ouvrière du programme

de recherche de J. V. Neel au Venezuela, s'efforçait encore de réaliser des prélève-

ments sânguins chez les Yanomami, cette fois au Brésil, sans aucun souci de

consentement êclairé ni même d'autorisation officielle. Un document de I'admi-nistration indigéniste de ce pays, la Fondation nationale de I'Indien (FUNAI)'relate cet épisode:

" En 1995, Chagnon a obtenu une autorisation d'entrer sur le territoire yanomami pour un

reportâge avec le magazine Veja. Il était accompagné du photographe Antonio Luis Torry.

Lorsqu'ils ont commencé à rravailler, Chagnon a essayé de collecter des échantillons san-

guins auprès des Indiens. Dès que ce fait fut signalé, la FUNAI est intervenue et lui a

ordonné de quirter la région. En 1997, ce même anthropologue a demandé une nouvelle

autorisation. en association avec I'université de Roraima, cette fois pour ses recherches. LaFUNAI la lui a refusée u [Furtado Filho, 2001].

Par ailleurs, N. A. Chagnon a collaboré, en 1992, à des recherches de l'école de

médecine de I'université Johns Hopkins sur le mét bolisme thyroïdien d'un groupe

Yanomami isolé, auquel fut administré de I'iode-131 radioactif [Cooper et alii'1993122. Llétude indique, pour toute procédure de consentement éclairé, < qu'un

consentement verbal a été obtenu à travers un interprète parlant couramment le

langage Yanomamô [...] ", formule, là encore, d'un minimalisme confondant.

Consentement éclairé, troc de sang et ( malentendu productif >

Dans un arricle récent, R. Hames [20011 a donné d'intéressants détails sur les

méthodes de N. A. Chagnon pour < expliquer " aux Yanomami le but des prélève-

ments sanguins de l'équipe de J. V. Neel afin d'obtenir leur consentementu éclairé ,:

23 À noter que I'US Air Force's fuctic Aeromedical Laboratory a vu soumettre ses ûâvaux sur les Inuit et

Indiens de l'Àaska avec de l'iode-131, conduits en 1956-1957 à une investigation bioéthique de l'Advisory

Committee on Human Radiation Experiments crêé par I'administration Clinton en 1994 IACHRE, 1995 :

chap. 121.

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 10: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

Anthropologie et recherche biomédicale

" En premier lieu, il est évident que les Yanomami ont donné leur sang en échange d'objetsde troc de façon volontaire [...]. J'ai appelé Napoleon Chagnon er lui ai demandé ce qu'ilavait dit aux Yanomami à propos des buts de la collecte de sang. Il m'a répondu qu'un anavant I'arrivée de Neel e! durant la phase de collecte, il avait dit aux Yanomami de rous lesvillages dans lesquels les prélèvements devaient être effectués que l'équipe de Neel sou-haitait examiner leur sang afin de déterminer s'il présentait des indices de cerraines mala-dies, spécialement de shawara (maladie contagieuse), e! que cette connaissance aiderait à lessoigner plus eflicacement s'ils tombaient malades " [Chagnon, conversarion téléphonique,18 mars 20011.

Thudy Tirrner IAAA, ?002, 5.2: 64-65] a également recueilli sur ce poinr desinformations pertinentes, issues d'un entretien téléphonique de Jane Hill (EDTF)avec le linguiste E. C. Migliazza, spécialiste des langues yanomami (1972) et aurremembre de I'expédition de 1968:

" Migliazza a dêclarê que dans chaque village, il a êté dit aux Yanomami que le projer allaitchercher des maladies qui sont dans le sang [...]. Il a observé que les Yanomami étaient habi-tués aux prélèvements de sang car des agents de santé Ye'kwana [groupe Karib voisin desYanomami au Venezuela et au Brésill visitaient leurs villages régulièrement pour des testssanguins et I'administration de médicaments afin de traiter et de contrôler le paludisme [...].Migliazza pense que les Yanomami ont trouvé les objets de troc offerts par l'expédition extra-ordinairement attirants. Neel avait consulté les missionnaires sur le rype et la quantité de larétribution appropriée et suivait leurs recommandations en offrant, à titre de compensarion,machettes, haches, marmites er âutres objets. ,

Tiudy Tirrner reconnaît, avec une certaine réticence (et un ethnocentrisme pri-maire), que les < compensations " offertes aux donneurs de sang ont pu vicier laprocédure d'obtention de consentement éclairé de J. V. Neel et que les " explica-tions " fournies aux Yanomami impliquaient qu'il recevraient une assistance sani-taire basée sur les résultats des recherches de I'expédirion 2a. Son étude suggèrecependant que les travaux anrérieurs de J. V. Neel, qui ont démonrré la vulnérabi-lité des Yanomami à la rougeole, les trairements médicaux prodigués durant l'épi-démie de 1968 et les vaccins et médicamenrs envoyés enrre 1967 et 1970 auxmissionnaires locaux, auraient pu constituer un équivalent de ce qui avait été( expliqué ,/promis par N. A. Chagnon aux Yanomami pour les convaincre de don-ner leur sang.

Le rapport final de I'EDTF 1AAA,2002, 2.1 : 221discute des points similairesmais conclut, plus justement, que cet argument ne change en rien " le fait que laprocédure de consentement ait été trompeuse ". Le texte de J. Chernela, analy-sant les témoignages yanomami qu'elle a recueillis pour I'EDTf;, est encore pluscatégorique, considérant que les explications fournies aux Yanomami pour qu'ilsacceptent les prélèvements sanguins de l'équipe de J. V. Neel ont été " insuffi-santes et trompeuses " et qu'il y a eu < promesse non tenue de bénéfices sanitaires

?4 Elle rappelle que la . compensation , offene ne devrait pas avoir été considérée par les sujets d'unevaleur telle qu'elle constitue, en soi, u une softe de coercition , [AAÀ 2002, 5.2:661, mais ajoute aussitôt:

" Il est extrêmement difficile d'appliquer ce standard à une situation telle que celle que l'expédition deNeel avait à affronter, travaillant avec des sujets qui vivaient dans la plus grande pauvreté et dans un besoindésespéré d'objets matériels. ,

133

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 11: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

134 Bruce Albert

directs " [AAA, 2002,5.31. Terence Turner emploie, pour sa part, des expressionsplus sévères encore, comme celle de < consentement désinformé , (nisinformed

consent) et de mauvaise foi délibé rée (prruaricatioa) [Turner, 2001 : 29-30).

De ce débat peuvent donc être retenus deux points, qui attestent du dévoie-

ment du principe de consentement éclairé par l'équipe de J. V. Neel:o Les collectes d'échantillons sanguins, telles que décrites par deux membres

de I'expédition de 1968 (N. A. Chagnon et E. C.Migliazza), ont été conduites sous

la forme d'un troc, ce que confirme la lettre d'un autre ex-collaborateur de

J. V. Neel, Kenneth M. Weiss (université de Pennsylvanie), en réponse à un repré-

sentant du Ministère public brésilien (8 avril 2002):

u Ma compréhension des faits est que la participation des Yanomami a été volontaire et queles échantillons sanguins ont été en partie obtenus à ûavers I'accord de les échanger pour des

biens ayanr de la valeur pour les Yanomami... "

et le témoignage direct des Yanomami:

u Il a mis une aiguille dans nocre bras ec le sang s'est écoulé. Il nous a payés avec des mar-chandises @atihipa) - des machettes, des hameçons, des couteaux 2s.

"

Par le terme " échange o, employé par R. Hames et K. M. Weiss ci-dessus, ildoit être entendu que les échantillons de sang yanomami ont été acquis auprès des

membres d'un groupe amérindien alors très isolé, famille par famille, contre une

rétribution directe sous forme de marchandises que leur nouveauté, leur exotismeet leur valeur d'usage rendait < extraordinairement attirantes ". Nous sommes loinici de la notion euphémique de " compensation > par laquelle Tiudy Tïrrner [AAA,2002,5.21tente, dans son texte pour le rapport de I'EDTI d'atténuer la candeurpolitiquement incorrecte de ses témoins.

o Les " explications " fournies pour justifier les prélèvements sanguins, notam-

ment pâr I'anthropologue N. A. Chagnon, ont été délibérément simplistes et trom-peuses. Uévaluation du rapport final de I'EDTF IAAA,2002, ?.1 :22] est limpidesur ce point:

" Ceux qui avaient la charge d'expliquer aux Yanomami la recherche menée par l'équipe de

Neel en 1968 onr indiqué que son but était de chercher dans leur sang des maladies infec-tieuses. Cerre explication était ffompeuse car elle suggérait que la recherche devait apponerdes bénéfices sanitaires directs aux Yanomami. [.,.] Les buts de cette recherche pouvaientamener un bénéfice potentiel pour I'humanité, elle ne devait être d'aucun bénéfice sanitaire

immédiat pour les Yanomami. ,

Par ailleurs, I'absence de bénéfices médicaux directs à attendre de ces prélève-

ments sanguins - pour les Yanomami ou pour quiconque, semble-t-il - paraît être

une évidence pour les chercheurs, comme en témoigne une déclaration récente de

K. M. Weiss 12002):

25 ,{AA, 2002,Pan IV: 35, témoignage de Davi Kopenawa dont le sang a éré prélevé en 1967 à Toototobi(Brésil).

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 12: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

Anthropologie et recherche biomédicale

n Il serait trompeur de suggérer qu'il est probable que des bénéfices sanitaires majeurs ouimmédiats puissent résulter de l'étude de ces échanrillons. ,

Cependant, pour pertinente qu'elle soit, cette critique des procédures d'obten-tion de consentement éclairé de J. V. Neel ne prend pas en compte la vision queles Yanomami ont pu avoir de la collecte de sang à laquelle ils se sont soumis. Onpeut ainsi s'interroger sur le cadre culturel à travers lequel ils ont perçu ces prélè-vements pour s'y être prêtés avec une aussi surprenante bonne volonté; bonnevolonté que la dimension mercantile de I'entreprise ne suffit pas à expliquer.Quelque 3 000 Yanomami isolés ont ainsi donné leur sang sans réticence auxéquipes de J. V. Neel, au Venezuela et au Brésil, entre 1966 et le début des annéessoixante-dix 26.

En fait, les témoignages de N. A. Chagnon et E. C. Migliazza que nous avonscités laissent penser que les " explications , données aux Yanomami ont pu nonseulement les induire à penser que les prélèvements sanguins pouvaient faire par-tie d'une procédure diagnostique, mais, pire encore, les porter à croire qu'ils consti-tuaient en eux-même un acte thérapeutique 27. Tout semblait en effet concourir,dans le contexte où s'est déroulée I'expédition de J. V. Neel en 1968, pour qu'ilsen tirent précisément cette conclusion.

N. A. Chagnon avait commencé à délivrer ses " explications " sur les recherchesde Neel un an avânt I'arrivée de l'équipe de ce dernier sur le rerrain. Cette équipeparvint chez les Yanomami au moment où l'épidémie de rougeole venue du Brésilcommençait à se propager dans la région (janvier-février 1968). Ses membres col-lectèrent des échantillons de sang et administrèrent des vaccins simultanément,tout cela pendant que l'épidémie faisait rage. E. C.Migliazza a expliqué que lesYanomami de I'Orénoque étaient familiers avec les prélèvements de gouttes desang capillaire pour la recherche du paludisme (même si cette technique a peu à

voir avec les prélèvements veineux des recherches de J. V. Neel).En fonction de la perception qu'ont les Yanomami des procédures thérapeutiques

occidentales, il est ainsi probable que les " explications " de N. A. Chagnon aienr puleur fournir un cadre interprétatif confirmant que les prises de sang de l'équipe deJ. V. Neel, associées aux injections vaccinales, puissent faire partie d'une procédurethérapeutique liée à l'épidémie (dont le premier cas fut diagnostiqué le 2 janvier1968, jour même de I'arivée de J. V. Neel sur I'Orénoque, à Ocamo28).

Les anthropologues spécialistes de I'Amazonie ont souvent noté la préférencemarquée des Amérindiens de cette région pour les médicaments injectables, qu'ilsconsidèrent comme plus u forts , (en Yanoma mi: aai, " fort, puissant, dangereux > ),

26 Letne de K. M. Weiss (université de Pennsylvanie) au procureur de la République du Brésil,E. W Volkmer de Castilho, 8 avû12002.27 L'association entre prélèvement sanguin et diagnostic et/ou assistance médicale est attestée par lestémoignages de plusieun représentants yanomami qui se sont exprimés sur les recherches de J. V. Neel,voir: www.publicanthropology.org/Journals/Engaging-ldeas/RT (YANO)/Albert3.htm (Appendice I, DaviKopenawa), www.publicanthropology.org/Journals/EngagingJdeas/RT (YANO)/Manins3.htm (Appendice I,Davi Kopenawa) et AAA, 2002, Part lY : 24-54 (Davi Kopenawa, José Serepino, Julio Wichato et Toro Yano-mami).28 Voir Lobo et alii [2001 : 33-34] pour un tableau et une cane récapitulant l'itinéraire de I'expédition de

J. V. Neel en 1968.

tJ)

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 13: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

136 Bruce Albert

car censés s'attaquer plus directement aux traces ou objets pathogènes surnatu-rels laissés dans le corps des malades par divers agents étiologiques humains ounon humains [Coimbra, Santos 1996 :419-420]. Les Yanomami orientaux, avec

lesquels je travaille au Brésil, considèrent (et désignent) le corps comme une< peau ,, (sihi), enveloppe corporelle dont I'image essentielle (utupè), le principevital (noreme), le souffle vital (aixia) et le spectre \pore) constituent l'< intérieur "(uuxi) ou le " milieu " (rniaruo) [Albert, Gomez, 1997 : 83]. C'est dans le cadred'une telle conception culturelle, ou d'une autre de ses versions locales, que les

Yanomami de I'Orénoque ont sans doute interprété - au moins dans un premiertemps 2e - les prises de sang de l'équipe de J. V. Neel: comme une pârt de I'ac-tion thérapeutique promise; ceci d'autant plus qu'elles étaient associées à unecampagne de vaccination. Ainsi que Coimbra et Santos Iop. cb.) I'ont pertinem-ment observé, c'est précisément en raison de tels " malentendus productifs "[Sahlins, l98l :72) que les Amérindiens o sont plus "susceptibles", d'un point devue culturel, de se soumettre aux collectes de sang > et que " les chercheurs [bio-médicauxl reportent rarement de grandes difficultés pour obtenir des échan-tillons sanguins ".

Pour conclure, il est avéré non seulement que la collecte de sang de l'équipe de

J. V. Neel n'a, contrairement aux n explications " de N. A. Chagnon, apporté aucunbénéfice médical direct aux Yanomami30, mais encore qu'elle n'a probablement ététolérée qu'en tant qu'intervention thérapeutique (ou au moins diagnostique),qu'une riche distribution de marchandises exotiques rendait encore plus accep-

table. Nous sommes donc vraiment très loin ici d'une procédure de consentementéclairé, même o minimale ".

Anciens échantillons sanguins et extraction d'ADN: une nouvellefrontière du consentement éclairé

Un autre point important de I'apport du livre de P. Tierney est d'avoir révélélapermanence de 12000 échantillons de sang yanomami (collectés entre 1960

et 1970, au Venezuela et au Brésil) dans un laboratoire de I'université dePennsylvanie [Tierney, 2002:72]. Après enquête du Ministère public brésilien, ils'avère que des échantillons sanguins de 3 000 Yanomami 31 sont, en rêalité, répar-tis aux Émts-Unis entre au moins quatre institutions: les universités dePennsylvanie (University Park), du Michigan (Ann Arbor) et d'Emory (Atlanta),

29 A l'inverse, les violents effets secondaires du vaccin Edmonston B ont ensuite rapidement été interpré-tés comme étant la cause de l'épidémie de rougeole [voir AAÀ, 200?,Part IV:49, témoignage de JulioWichatol.30 Elle a, par conrre, sans doute influé négativement sur I'organisation de la campagne de vaccination de

1968. C'est la thèse, nous I'avons vu, des médecins de I'UFRJ fLobo et alii, 20021, de Terence Tirrner[2001] et d'une panie des membres de I'EDTF [AAA, 2002, 2.11. Voir également S. Lindee, historienne etsociologue des sciences (université de Pennsylvanie), qui a longuement travaillé sur les archives de

J. V. Neel 12001 : ?741 * Je me suis demandée, aussi, si Neel n'aurait pas pu chercher les ressoutces et lepersonnel nécessaire pour rendre possible un programme de vaccination ample et bien coordonné plutôtqu'une initiative bouche-trou désordonnée venue en complément accessoire d'un projet focalisé sur des

choses plus impoftantes comme la collecte de sang et de données. "31 Leprélèvementeffectuépourchaqueindividuayantétédiviséenplusieursfioles(aials).

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 14: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

Anthropologie et recherche biomédicale

ainsi que le National Institute of Healrh-National Cancer Institute (NIH-ICN,Bethesda, Maryland 32).

Par ailleurs, ces anciens échantillons sanguins (arciioalantltropological samples) ontété retraités au cours des années quatre-vingt-dix avec de nouvelles techniques delaboratoire qui ont permis d'extraire et de répliquer indéfiniment de I'ADN yano-mami. Ce matériel génétique a été employé pour effectuer diverses recherches queD. A. Merriwether [19991 désigne par I'intéressante expression de freaer antiro-polog33. Cet épisode est décrit par Hammond [2000] de la façon suivanre:

" Avant le début des années quatre-vingt-dix, la collection [d'échandllons sanguinsl de Neelest venue trouver le repos à la Pennsylvania State Universiry (PSU) qui possède un des plusambitieux programmes de recherche sur la diversité génétique aux Etats-Unis. Les chercheursde la PSU ont alors recherché un moyen de faire revivre ces échantillons. Les anciennesméthodes de séparation du sang étant imparfaites, des globules blancs y ont été conservés.A panir de ces globules blancs, les chercheurs de la PSU ont pu extraire de I'ADN en grandequantité. En udlisant les échantillons de Neel erlapolymerasecùain reaction (PCR) 34, ils ontainsi créé une technique par laquelle la quantité de matériel [génétique] qui peut être renduedisponible esq pour de nombreux buts pratiques, sans limite " [Steiss a alii, 19941.

Point mineur dans le livre de P. Terney, qui ne lui dédie qu'un paragraphe, laquestion du statut actuel de ces échantillons sanguins est devenue un point cen-tral du débat bioéthique autour des recherches de J. V. Neel. L'importance qu'apris ce thème esr essentiellement due au fait qu'il s'agit aujourd'hui d'une préoc-cupation majeure pour les représentants yanomami qui ont pris part à la consulta-tion de I'EDTR comme I'attestent leurs témoignages transcrits dans son rapportIAAA, 2002,lY : 24-54). Par ailleurs, cette questio n a été amplemenr débattue dansplusieurs de mes contributions à la controverse autour de DarÈness in EI Dorado[Albert, 2001 a, b, c; 2002], puis par celle de J. Che rnela [A,AA, 2002,5.3] au rap-port de I'EDTR

Sans revenir sur la manière dont la collaboration des Yanomami a été acquisedans les collectes de sang réalisées par les équipes de J. V. Neel, il est évident queles informations récentes obtenues sur le destin de ces prélèvements sanguinsposent en elles-mêmes de nouvelles questions éthiques:

. La première concerne le choc que représente pour les Yanomami le faitd'être informés du stockage réfrigéré du sang de leurs parenrs 3s - la plupart morrs

32 Lettre du procureur brésilien E. W. Volkmer de Castilho (MinisÈre public fédéral, sixième chambre -communautés indigènes et minorités) à K. M. Weiss (université de Pennsylvanie) et A Meniwether (univer-sité du Michigan),7 mars2002. Réponse de K. M. Weiss au procureur E. W Volmer de Castilho, 8 avril 2002.33 Voir également Buchanan a alii Il993l, $,leiss et alii [1994] et lettre de K. M Weiss au procureur brési-lien. Pour des exemples de ces nouvelles recherches à panir d'ADN yanomami, voir Easron et alii 119961,Merriwethet et alii [20001 et Williams et alii 120021.34 PCR : " copie directe ra vitro d'un brin d'ADN par I'intermédiaire d'une polymérase bactérienne à tem-pérature suffisamment élevée pour produire une réaction répétitive (autrement dit en chaîne). Cela permetI'amplification rapide, et aussi abondante qu'il est souhaité, du fragment moléculaire nucléique qui a servid'amorce " (Enqclopaedia Universalis). De I'ADN nucléaire peut être extrait des leucocytes, de ['ADNmitochondrial (plus sensible aux mutations) des globules rouges (sans noyau).35 Les échantillons sont contenus dans u des fioles d'un centimètre cube et maintenus congelés (-80degrés ou azote liquide) ' [AAA, 2002, 5.3:671.

137

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 15: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

138 Bruce Albert

d'épidémies dans la période qui a suivi le passage des équipes de J. V. Neel - et de

sa conservation, depuis plus de trente ans, par des étrangers, dans un pays lointain.Cet o archivage >, tenu secret, constitue pour eux un affront moral et culturel d'au-tant plus grave que les cérémonies funéraires yanomami imposent la destructionde toute trace physique et sociale des morts et que le sang joue un rôle symboliquefondamental dans leur système rituel [Albert, 1985].

Ces points sont parfaitement établis par les témoignages des Yanomami qui se

sont exprimés sur ce sujet avant et pendant I'enquête de I'EDTR ainsi que par

l'analyse qu'en fait J. Chernela IAAA, 200?,5.3]. On pourrait également citer iciune lettre de Davi Kopenawa, leader yanomami du Brésil, au Ministère public de

ce pays (11 novembre2002):

" Nos anciens [de la région de Toototobi] 36 ont dit qu'ils sont en colère parce que ce sang

des mons est conservé par des gens de loin. Notre coutume est de pleurer les mofts, de brû-ler leurs corps et de détruire tout ce qu'ils ont utilisé ou planté. Rien ne doit subsisteç sinonles gens sont en colère et leur pensée n'est pas tranquille. Ces Américains ne respectent pâs

notre coutume. Pour cela, nous voulons qu'ils nous rendent les fioles de notre sang et toutce qu'ils en ont tiré pour l'étudier. u

o La seconde question éthique ouverte à propos du statut actuel des échan-tillons de sang yanomami concerne leur retraitement pour en extraire et répliquerdu matériel génétique (ADN) destiné à de nouvelles recherches, sans que les inté-ressés en aient été informés ou qu'ils aient pu se prononcer sur I'opportunité de ces

manipulations, qu'ils soient concernés directement (adultes dont le sang a été pré-

levé alors qu'ils étaient enfants, à la fin des années soixante) ou indirectement(parents des adultes décédés dont le sang a été prélevé à la même époque).

Ces faits mettent en évidence un second manquement des chercheurs biomé-dicaux au principe de consentement éclairé, dans la mesure où les Yanomami ontété, de nouveau, constitués en objets de recherches dont ils ignorent tout, dans la

continuité des procédures éthiquement fautives mises en æuvre au moment de lacollecte des échantillons sanguins. Aucune information ne leur a été fournie sur ladestination des prélèvements effectués par l'équipe de J. V. Neel. Aucune procé-

dure de demande de consentement éclairé n'a été mise en place à propos de leurretraitement, ni pour autoriser de nouvelles recherches sur I'ADN qui en a étéextrait puis répliqué. Les chercheurs concernés ont assuré, sans se poser de ques-

tions, que:

. le consenrement donné initialement continuerait à être valide car le rype de travail réalisé

ne fair qu'appliquer une nouvelle technologie à des questions similaires en nature et objec-tifs avec ce qui avait déjà été fait " flettre de K. M. Weiss du 8avril2002 au procureur bré-silien E. W. Volmer de Castilhol.

Cependant, comme le souligne le rapport de J. Chernela pour I'EDTR < on nepeut pas prétendre que les Yanomami ont donné leur consentement en 1968 aux

36 La famille de Davi Kopenawa et lui-même (qui avait alors 11 ans) ont donné du sang à une équipe de

J. V. Neel à Toototobi, état d'Amazonas, Brésil, en 1967.

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 16: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

Anthropologie et recherche biomédicale

usages que l'on fera de leurADN en2002 n [AAA, ?002,5.3:71], ce d'autant moinsqu'ils n'ont jamais été informés de la conservation des échantillons (acquis à I'ori-gine contre des objets de troc et de fausses promesses médicales). Malgré le can-dide (?) manque de préoccupation des chercheurs impliqués, il est évident que ces

procédures de récupération d'ADN à partir d'échantillons biologiques anciensainsi que les techniques de réplication auxquels ce matériel génétique est soumis,ouvre nt de nouveaux horizons bioéthiques en matière de consentement éclairé:

" Les questions éthiques ouvertes par cette nouvelle technique sont immenses. [...] Est-ilmoral pour des généticiens de réaliser de nouvelles expériences non prévues au moment dela collection des échantillons ? Devraient-ils revenir chercher la permission du donneur ou deson peuple? Si le donneur est décédé ou absent, devraient-ils obtenir la permission de ses

parents? [...] Les détenteurs des échantillons de Neel, la PSU, n'ont pas estimé qu'uneconsultation des peuples indigènes du Brésil soit nécessaire ' [Hammond, 2000].

Par ailleurs, la possibilité de réplication infinie du matériel génétique original,sa dissémination sans contrôle entre les laboratoires et son usage dans de multiplesexpériences scientifiques sans consentement éclairé des intéressés, déjà dénoncéspar plusieurs ethnies minoritaires INno Scientist,2000; Rogel, 20021, ouvrent desperspectives passablement inquiétantes 37.

Les études de génétique des populations sur les groupes amérindiens deI'Amazonie (qui sont parmi les peuples les plus étudiés du monde dans ce domaine)se basaient initialemenr sur la corrélation des fréquences de certains marqueurs san-guins et débouchaient sur des résultats intéressant surtout la recherche fondamen-tale. I-lavancée technique des recherches sur le génome humain permet aujourd'huiaux chercheurs de travailler directement sur I'ADN, ouvrant la possibilité d'un usage

commercial du matériel génétique traité fCoimbra, Santos, 1996:.420). Même si cen'est pas (encore) le cas, une préoccupation de cet ordre est loin d'être hors de pro-pos en relation à I'ADN yanomami, si I'on considère le nombre des échancillons desang collectés par J. V. Neel et les techniques d'extraction et de réplication qui leursont appliquées dans les institutions de recherche américaines où ils sont conservés.

De fait, la mise en circulation d'ADN des populations amérindiennes d'Amazoniesemble être une pratique courante entre les laboratoires internationaux, y comprissous des formes commerciales, même si aucune lignée cellulaire venant de cette par-tie du monde n'a encore été brevetée (cela a été le cas, dans les années quatre-vingt-dix, pour plusieurs peuples autochtones d'autres régions) [Harry 1995; Friedlander(ed.), 1996; RAFI, 1996; Cunningham,l99Sl.

La circulation de ce matériel génétique n'est soumise à aucune procédure deconsentement éclairé des intéressés (ou de leurs représentants), ni, apparemment,à aucun autre type de contrôle bioéthique. Leur passage, transnational, du circuitdes laboratoires universitaires à celui des institutions gouvernementales (cas des

échantillons de sang yanomami de I'NIH-ICN, aux Etats-Unis) et à ceux des

entreprises pharmaceutiques semble ainsi pouvoir se produire sans obstacles.

37 Les recherches récentes connues, citées ci-dessus dans la note 33, ponent suffout sur des questions devariation génétique au sein de Ia population yanomami [voir AAA, ?002, 5.3:72-74).

139

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 17: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

140 Bruce Albert

Comme le remarquait, déjà en 1996, avec de très nombreux exemples, un com-muniqué de I'ONG RAFI:

" La collecte, la détention et l'échange d'échantillons de tissus humains - spécialement d'unpays à I'autre - sont menés selon une approche ad loc inacceptable. Le trafic transnationalde ces échantillons, en paniculier ceux émanant des peuples autochtones, semble croltrerapidement. o

Un cas amazonien récent de nomadisme international de I'ADN des peuplesautochtones concerne les Indiens Karitiana et Surui de l'état de Rondônia au

Brésil. Une équipe de I'université de Yale, qui a conduit des recherches auprès deces deux groupes (sans autorisation des autorités brésiliennes), a, arr début des

années quatre-vingt-dix, déposé < pour chacune de ces populations cinq lignagescellulaires d'individus non apparentés au Human Genetic Cell Repository duNational Institute of General Medical Sciences NIGMS) situé au Coriell Institutefor Medical Research (Camdem, New Jersey) [où elles sont] disponibles aupublic " [Kidd a alii,l99l: 778]. En avril 1996,le Coriell Cell Repositories (CCR)menair ces échantillons d'ADN des Indiens Karitiana et Surui en vente sur I'in-ternet [Santos, Coimbra, 1996 :7; Ramos, 2000].

On peut imaginer aisément la répercussion négative d'un tel épisode dans lapresse et I'opinion publique brésilienne. Uadministration indigéniste de ce pays,la Fondation nationale de I'Indien (FUNAI), suspendit toutes les autorisations derecherches biomédicales en territoire indien, les Karitiana et Surui déposèrent uneplainte auprès du Ministère public et le Parlement finit par ouvrir une commissiond'enquête [Santos, ?002 : 82-83]. Toutefois, des lignées cellulaires d'individusKaritiana et Surui sont aujourd'hui (juillet 2003) toujours en vente pour 75 dollarssur le site internet du CCR (les échantillons d'ADN pour 50 dollars38). Comme lefait observer Santos 12002 :98-99, n. 3l:

" Même si I'on considère que ces fonds peuvent être destinés à la conservation des lignagescellulaires et des échantillons d'ADN >, cette commercialisation . est choquan[e, ceci d'autantplus que la situation sociale et économique de ces deux groupes amérindiens est si précaire. o

On pourrait également donner I'exemple, toujours au Brésil, des ïkuna del'état d'Amazonas étudiés, comme les Yanomami, par les équipes de J. V. NeelfNeel et alii,1980; Salzano, 20001; cas que décrit E. Hammond [20001:

. Parmi les collections de I'expédition Alpha Helix de 1976 se trouvent des échantillons desIndiens ïkuna (Ticuna), un peuple autochtone de I'ouest amazonien brésilien (et deColombie). Au contraire de la plupart des échantillons de cette expédition, des lignées cel-lulaires de globules blancs ont été établies pour ceux des ïkuna par les chercheurs, parmilesquels I'ancien directeur de la Human Genome Organization (HUGO), Sir Walter Bodmer,de I'université d'Oxford, et Julia Bodmer, de I'Imperial Cancer Research Fund (ICRF), tousdeux du Royaume-Uni. Bien que collectées il y a plus de 25 ans, les cellules tikuna circulenttoujours entre les chercheurs, parcourant le monde comme peu de Tikuna, s'il en est aucun,l'ont jamais fait, Au cours de leurs aventures, les cellules tikuna ont traversé I'Europe et les

38 Voir Coriell Cell Repositories (Human Variation Collection) http://locus.umdnj.edu/nigms/cells/humdiv.html.

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 18: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

Anthropologie et recherche biomédicale

Émts-Unis et sont même revenues en Amérique du Sud chez des chercheurs argentins. Ellesont été utilisées pour des publications dans des revues telles que Gmetics,l'American Joumalof Pltysical Anthropolog, l'American Joumal of Hunan Genetics, et bien d'autres. Elles ont étéégalement incorporées dans un outil majeur de la recherche en immunologie, le HLADiversiry Cell Panel. Histoire ancienne i Pas vraiment, car comme beaucoup de collection deplantes ar situ, la valeur des lignées cellulaires semble s'apprécier avec le temps. Aussirécemment ql'en 1997,Ies chercheurs du laboratoire pharmaceutique Hoffman-La Roche,de la division Roche Molecular Systems - parmi lesquels le légendaire Henry Erlich, un desinventeurs de la polymerase chain reaction (PCR) - travaillaient sur ces cellules [...]. LesTikuna ne sont probablement guère informés de leur imponante contribution à la science,ni de la valeur commerciale de leurs lignées cellulaires. Ils n'en savent peut-être même rien.S'ils étaient informés tout de cela, I'approuveraient-ils? Le travail effectué sur leur matérielgénétique est-il compatible avec leur culture et leurs expectatives I Aucun moyen de lesavoir sans que les nombreux chercheurs qui utilisent les cellules des Tikuna se donnent lapeine d'aller leur demander. "

Il serait encore possible de citer, au Brésil, le cas des Kayapo, à partir des échan-tillons sanguins desquels sont réalisées des études sur le rétrovirus HTLV-II pardes chercheurs de nombreuses institutions, aux Éta6-Unis (université de Yale,Center for Disease Control d'Atlanta. Institut national du cancer). au Brésil (uni-versité du Parâ, Institut d'hématologie A. de Siqueira Cavalcanti de Rio de Janeiro)et au Japon (université de Kagoshima) 3e.

Les nouvelles interrogations éthiques soulevées par ces recherches vont au-delà de la notion de consentement éclairé applicable dans le contexte des prélève-ments sanguins destinés aux travaux de génétique des populations des annéessoixante et soixante-dix. Cependant, les chercheurs concernés, qui ne semblentguère s'en soucier, paraissent, là encore, en décalage par rapport aux normes bio-éthiques internationales en vigueur au moment de leurs recherches {, tout autantque l'ont été leurs prédécesseurs, comme J. V. Neel, dans les décennies anté-rieures. La biologie moléculaire la plus avancée semble ainsi, dans sa conceptiondes peuples autochtones, s'aligner sur une vision ethnocentrique et paternalistedemeurée, elle aussi, congelée depuis les années soixantear.

Les manquements éthiques de J. V. Neel dans ses méthodes de collecte desang et ceux de ses successeurs dans leurs travaux sur I'ADN yanomami procè-dent d'un même présupposé: la difficulté d'explication de leurs recherches auxpeuples autochtones autoriserait la mise entre parenthèses (ou la réductiona minima) du droit de ces peuples au principe de consentement éclairé. Cette idéeest extrêmement inquiétante. Elle sous-entend que la présence ou I'absence d'unterrain commun de communication linguistique et/ou culturel (associé à un statutminoritaire) peuvent êre légitimement invoquées pour garantir ou nier le droitd'une personne ou d'un peuple à ce principe fondamental de la bioéthique. Celareviendrait à prétendre rendre acceptable, pour certains humains, la logique dont

39 Chercher " Kayapo , sur [e site www.ncbi.nlm.nih.gov/PubMed/40 Un document récent du Comité international de bioéthique (CIB) de l'lInesco [200] traitant de géno-mique souligne que (point 18): . La nécessité de respecter'le principe du consentement libre et éclairé a

été à maintes reprises soulignée, ainsi que le besoin d'accorder une protection et un droit de panicipationaux populations ayant des caractéristiques génétiques paniculières et aux populations autochtones. "41 Voir Santos [20021 à propos de ce décalage dans la conception du Human Cnone Diversity Pmject (HGDP).

141

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 19: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

142 Eruce Albert

se soutient I'expérimentation animale, celle-ci excluant les animaux de la com-munauté morale sous prétexte de leur incapacité à exprimer leurs intérêts propres

- la philosophie classique restreignant l'" égalité de justice " aux êtres morauxdotés d'expression [voir Fontenay, 2000].

Le débat anthropologique qui s'est développé autour du livre de P. Tierney a

permis de mettre en évidence des questions éthiques de portée générale pour larecherche biomédicale auprès des peuples autochtones. Toutefois, les réponsesaux interrogations qu'il a contribué à soulever ne relèvent pas, en dernière ins-tance, des compétences d'une commission d'enquête anthropologique, tellecelle de I'AAA. Ce qu'admet volontiers le rapport final de I'EDTF en recon-naissant le bien-fondé de la position de Lobo a alii ï20011et de Albert 12001 a;2001 c] recommandant de soumettre le dossier des recherches biomédicales pas-sées et en cours chez les Yanomami à un comité de bioéthique international indé-pendant 1441.,2002,2.1 :30; voir également Tirrner, 2001 : 661. Reste à espérerque cette recommandation ne demeurera pas lettre morte et que I'AAA s'effor-cera effectivement de susciter la formation d'un tel comité chargé de I'analyseapprofondie du cas yanomami.

UBDTF a admis officiellement que des dommages ont été causés auxYanomami par I'expédition de J. V. Neela2. Elle a fait largement écho aux revendi-cations de leurs représentants, tant au Venezuela qu'au Brésil, qui souhaitent queles échantillons sanguins de leur peuple et le matériel génétique qui en est issusoient rapatriés et détruits [AAA, 2002, 2.1 : 29]. Elle a conseillé aux chercheursbiomédicaux de suspendre leurs travaux utilisant le matériel biologique collectédurant les expéditions de J. V. Neel et s'est proposée d'organiser une rencontreentre chercheurs (de la biological ant/tropological community) et représentants yano-mami afin de parvenir " à de nouveaux accords ,', . selon les procédures contem-poraines de consentement éclairé " libidem:30).

De leur côté, les représentants yanomami du Brésil, dont Davi Kopenawa, ontopté pour une traduction juridique de I'affaire, en la soumettant au Ministère publicfédéral de ce pays, démarche que I'EDTI malgré ses déclarations en faveurs des

droits yanomami, considère eomme un obstacle au processus de médiation danslequel elle souhaiterait tenir un rôle de premier plana3. En avril 2002,|e Ministèrepublic brésilien a contâcté deux chercheurs américains afin de confirmer leur déten-tion d'échantillons sanguins yanomami et la nature des recherches entreprises à par-tir de ce matériel4. En mars 2003, un procureur fédêral a sollicité à la division des

4? " La commission d'enquête prend au sérieux Ie fait qu'il y a eu souffrance psychologique et sociale à

long terme pour les Yanomami en conséquence de I'expédition de Neel en 1968 " IAAA, 2002,2.1.4,

" Beginning 1o Mnd the Danage ": 791.43 " Malheureusement, ces procédures légales peuvent faire obstacle au processus d'échange d'informa-tion que la EDTF a tenté de mettre en place et que cenains membres de la communauté des biologicalanthropologisa souhaitent initier " (loc. cit.).44 Letre du procureur E. W. Volkmer de Castilho (Ministère public fédéral brésilien) à K. M. Weiss (uni-versité de Pennsylvanie) et à A Merriwether (université du Michigan), 7 mars ?002.

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 20: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

Anthropologie et recherche biomédicale

Droits de I'homme du ministère des Relations extérieures de réaliser une enquêteofficielle et de commettre un avocat, aia l'ambassade du Brésil aux États-Unis, afind'obtenir des institutions américaines le rapatriement du matériel biologique indû-ment collecté et une indemnisation des Yanomami pour le prejudice moral subias.

Quelle que soit I'issue de ces deux approches (négociée ou juridique) dans larésolution du cas exemplaire des échantillons de sang yanomami, restera aux cher-cheurs biomédicaux à mettre leurs pratiques en adéquation avec les codes bio-éthiques contemporains et à élaborer, avec les peuples autochtones, des formes deu recherche participative " qui évitent un rejet croissant de leurs travaux [Albert,2001 c: 88-92; Glanz et alii, 1998). Ce n'est pas, en effet, la sophistication descadres bioéthiques qui entravent l'activité scientifique. C'est, au contraire, leurabsence d'application qui constitue un obstacle croissant à I'acceptation desrecherches biomédicales sur le terrain [Greely, 1998 :6251.

Aux anthropologues il reviendra, enfin, de s'interroger sur le mode de collabo-ration que la discipline s'est vue allouée au sein des programmes de recherche bio-médicale décrits dans cet article. On aimerait croire que son inféodation à une tellelogique scientiste, objecrivant les ethnies minoritaires à titre d'objets d'expé-riences ou de gisements génétiques, ne soit plus concevable aujourd'hui. Elleserait en contradiction absolue tant avec les normes éthiques professionnelles envigueur6 qu'avec les nouvelles exigences du travail ethnographique face à l'émer-gence politique des peuples autochtones [Albert, 1997].

BtsLtocRApHtg

AAA (AllsnlceN ANlunopolocrcAr, fusocltrtoN) [200?1, El Dorado Tash Force Papers (Vol. I,Vol. II) Subnitted to the Exccutive Board as a Final Repoft, Ma1 18, 2002. Voir le site:hctp://www.aaanet.org/edtf/i ndex.htm.

ACHRE ll995l, Advisory Committee on Human Radiation Experinents - Final Report. Voir le site:http://www.tis.eh. doe. gov/ohre/roadmap/achre/repon.html.

ALnsnt B. [985], Temps du sang, Tbrnps des cendres. Représentation de la maladie, espace politique et

slstème rituel ciez les Yanomami du Sud-Est (Amazonie brésilienne), thèse de doctoraq universitéde Paris-X Nanterre.

At-eenr B. ï19971, " "Ethnographic Situation" and Ethnic Movements. Notes on Post-mali-nowskian Fieldwork ",Critique of Antltropolog, 17 (1):53-65.

AI-nnR.r B. (ed.), I200ll, Researclt and Etùics: Tlte Yanomami Case (Brazilian Contributions to the

Darkness in El Dorado Contrm:ercy), Documentos Yanomami n" 2. Brasilia, Comissâo Pr6-Yanomami. Voir : www.proyanomami.org,br/framel/noticia.asplid= 1382.

At-srnr B. [2001 a], " Reflections on Darkness in El Dorado: Questions on Bioethics and HealthCare Among the Yanomami o, in B. Albert (ed.): 43-56.

AI-nnR'r B. [2001 b], " Biomedical Research, Ethnic Labels, and Anthropological Responsibiliry:Furrher Commenrs u. in B. Alberr Gd.\:57-7?.

45 Lettre du procureur E. W. Volkmer de Castilho à A. C. do Nascimento Pedro (chef de la division desDroits de l'homme, ministère des Relations extérieures brésilien), 5 mars 2003.46 Voir pour I'AAA: wwrp.aaanet.org/committees/ethics/ethics.htm ; pour I'Association brésilienne d'an-thropologie (ABA): ç.çrr.abant.org.br/co_nteudo.php?exibir=7. Voir le Joarnal de l'Association française des

anthropologues (AFA), n" 50-51/1993 : " Ethique professionnelle et expérience de terrain , (www.afa.msh-paris.frljournaux/50-5 l.html).

143

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 21: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

1M Bruce Albert

ALsent B. [200] cl, " Human Rights and Research Ethics Among Indigenous People: FinalCommenrs ", in B. Albert (ed.):73-114.

ALse nr B. 120021, " Yanomami Rights to Informed Consent: Inverting the Perspective ,, articlesur le site de I'AAA (19 avril 2002): http:lhryww.aaanet.org/edtf/edtfpr_comments_resuksl.cfm llname=Alberr & firstrow = 3.

Arnpn.r B., GoNasz G. G. U9971, Saûde Yanomami. Um manual ano-lingiifstico. Belém, MuseuEmilio Goeldi, coll. Eduardo Galvâo.

BBweno H. R. [1979], Researci Maùods in Cultural Antltropolog, Newbury Park, CA, Sage Publi-cations.

BRogaN M. [20031, " Des maladies, des biens, des guerres... et l'éthique en question: note surI'affaire Tierney ", Bulletin de llnstitutfrançais d'études andines, à paraître.

BucHereN A. V., Sunnnv S. T,, Werss K. M., MccenvEy S. T,, Neel J. V., SroNerrNc M.[1993], . Extraction of DNA from Frozen Red Blood Cells ,, Human Biolog, 65 (4):647-654.

CCPY-MSF (MÉosctNs sANS FRoNTIÈRES-PAvs Bas) [1998], Expediciûn a la regiûn del drea yno-nami oenezolana en cardcter emergencial. Inforrue final. Octubre 1997-lllaio 1998, ms.

CottllsRe Jr. C., SeNros R. V. U9961, " Etica e pesquisa biomédica em sociedades indîgenas noBrasil ", Cadernos de Saûde Publica, 12 (3):417422.

Coopen D. S., Cevellos J. L., HoustoN R., CHncNoN N. 4., LnonrusoN P. W. [1993], " TheThyroid Status of the Yanomamô Indians of Southern Venezuela: 1992 Update ",Joumal ofClinical Endocrinolog and Ttetabolisrn,TT (3): 878-880.

CuNNtNcHau H. [1998], " Colonial Encounters in Postcolonial Contexts: PatentingIndigenous DNA and the Human Genome Diversiry Project ", Critique of Anthropolog,18:205-233.

EesloN R. D., MennrwETHER D. A., Cnews D. E., FBnnBll R. E. [1996], .. mtDNA Variationin the Yanomami: Evidence for Additional New Wodd Founding Lineages ", AmericanJournal of Hunan Genaics,59 (1): Zl3-225.

EnrrsoN P., EntrsoN H. [2001], " A French View of Tierney ", Antltropolog Naos,42 (2):3.FoNtpNay E. DE [2000], n Pourquoi les animaux n'auraient-ils pas droit à un droit des ani

maux? ", k Dlbat,109: 138-155.Fruror-nNopR J. (ed.) j9961, " Genes, People, and Properry: Furor Erupts over Genetic

Research on Indigenous Peoples ", Cuhural Suwir:al Quarterb, Z0 (2).

Funtapo Fu-Ho C. [?001], tlleno n'0l9lCGAEl2001 à la Coordination générale des êtudes etrecherclus ( " Le cas Napoleon Clagnon "/, Brasflia, FUNAI (dépanement de la communicationsociale).

GI-eNz L. H., ANNas G. J., GnoorN M. 4., Mennvpn W. K. [19981, ,. Research in DevelopingCountries: Tâking "Benefit" Seriously ", Hastings Center Reporl, 28 (6): 3842

Gnrply H. T [1998], n Genomic Research and Human Subjects ", Science,282 (5389):265(23110).

HaltvoNo E. [20001, " Phase II for Human Genome Research: Human Genetic DiversiryEnters the Commercial Mainstream ", article sur le site: www.etcgroup.org (chercher:u Phase II ").

Hnvps R. [2001], ,. Informed Consent and Telling it Like it is ", Roundtable Forun on PatricàTïemey! Dariness in El Dorado, Round Two, anicle sur le site: www.publicanthropology.org/

Journals/Engagingldeas/RT (YANO)/Hames2.htm.Henny D. [1995], ., Patenting of Life and its Implications for Indigenous People ,,, IPR-Info,

january 7.

KIno J. R., Bucr E, L., WEtss K. M., Bar-nzs I., Ktoo K. K. [1991], . Studies of Three AmerindianPopulations Using Nuclear DNA Polymorphisms ", Human Biolory,63 (6):775-794.

LINnpp S. [20011, Review in " Perspectives on Tierney's DarÈness in El Dorado ", CurrentAnthropolog Forum on Anthropolog in Public, Cunmt Anthropolog,42 (2):272-274.

Ltzot J.[19701, " Compte rendu de mission chez les Indiens Yanomami ", L'Homne,2: 116-121.Loao M., RoDRIcUES K., CnnvnlHo D., MenrrNs F: [2001], " Report of the Medical Team of the

Federal University of Rio de Janeiro on Accusations Contained in Patrick ïerney's Darfrness

in El Dorado ", in Albert (ed.): 1542. Voir le site: wvw.proyanomami.org.br/frameUnoticia.asp?id=1382.

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 22: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

Anthropologie et recherche biomédicale

Mtctttzze. E. C. |9721, Yanomana Granmar and Intelligibility, thèse de doctorat, IndianaUniversiry, Bloomington.

MpRnrwpïrsR D. A. [19991, . Freezer Anthropology: New Uses for Old Blood ", Philos. Trans.

R. Soc. Lond. B. Biol. 5ci.29,354 (1379): 121-129.MBnRrwEruEn D. 4., KEvp B. M., Cnsws D. E., Nepl J. V. [2000], " Gene Flow and Genetic

Variation in the Yanomama as Revealed by Mitochondrial DNA ", in C. Renfrew (ed.),

Anerica Paç, America Present: Genæ and Languages in tlu Americas and Bqond (Papers in thePrehisrory of Languages), Cambridge, McDonald Institute for Archaeological Research: 89-

124.MonENo J. D. [2000], Undue Risi: Secret State Experiments on Humans, New York, W. H. Freeman.

Nrrr- J. V., CpNrsnwAL W. R., CHncNoN N. A. U9701, " Notes on the Effects of Measles and

Measles Vaccine in a Virginsoil Population ,, American Joumal of Epidemiolog,9l (4): 418-

429.NErr, J. V., GensHowttz H., MoHRENwEISER H. W., Avos 8., Kosrvu D. D., S,qznNo E M.,

MEsrRrNpR M. A;, LnwnBNCE D., SIMôEsA. L., SvousE P. E., Ot wnnW. J., Setnl-runN R. S.,

Nrrl J. V. JR. [1980], . Genetic Studies on the Tcuna, an Enigmatic Tiibe of CentralAmazonas ", Annals of Human Genetics, tA (Pr. l):37-54.

Npw SclsNrlsr [2000], " They Need your DNA. But People who Give a Blood Sample Have a

Right to Know what it is Used for ", Editorial, september 30.

R,{FI [rHe Runel AovaNcEMENl FouNDATloN INTERNATToNAL) [1996], " New Questions AboutManagement and Exchange of Human Tssue at NlHflndigenous Person's Cells Patented ",communiqué, 30 mars 1996. Voir le site: www.etcgroup.org/anicle.asp?newsid=202.

Revos A. R. [2000], " The Commodification of the Indian ,,, Serie Antropologia, 281,Departamento de Antropologia, Universidade de Brasilia.

RrvtÈno R., Couen D., Col-oNotr,tos M., DESENNE J., RocHE M. [19681, o Iodine DeficiencyWithour Goirer in Isolated Yanomama Indians: Preliminary Note o, in Pan American HealthOrganization (ed.), Bionedical ûiallenges Presented by the American Indians, PAHO ScientificPublication 165, Washington, Pan American Health Organization: 120-1?3.

Rocnn M. [19591, .. Elevated Thyroidal Ir3r Uptake in the Absence of Goiter in IsolatedVenezuelan Indians ", Journal of Clinical Endocrinolog and Metabolisn, 19: 1440-1445.

RocEL J.-P. 120021, . Banques d'ADN: le cas des Nuu-chah-nulsfi ", IJObservatoire de la géné-

riq.ue, Zoom 8. Voir le site: http://www.ircm.qc.calbioethique/obsgenetique/archives/archives.html.

SnHlrNs M. U9811, Hisnrical l,laaplrorc and Mythical Realities. Structure in tie Eail1 History of tlte

Sandoiclt Islands Kingdom, Ann Arbor, The University of Michigan Press.

SelznNo R M. [2000], n James V. Neel and Latin America, or How Scientific CollaborationShould be Conducted ", Genetic And Molecular Bio/09,23 (3):557-561.

SeNros R. V., CottrsRA C. Jr. [1996.1, " Sangue, bioética e populaçôes indigenas ", Parabôlicas,

20. Sâo Paulo. Instituto Socioambiental.SeNros R. V. [2002], " Indigenous Peoples, Post-colonial Contexts, and Genetic/Genomic

Research in the Late 20th Century: a View from Amazonia (1960-2000) ", Critique olAn tù ropo log, (22) | : 81 -104.

Srovnns J., TunNen T S. [2001], Index Manriak from tie J. V. Neel Paperc in tie Arcltiues of tieAmerican Phi los opiica I S ociety, ml

TrenNpy P. 120021, Au nom de Ia Cioilisation. Conment antiropologues et joumalistes ont raoagé

l'Amazonie, Paris, Grasset (ve rsion originale: 120001, Daràness in El Dorado : How Scientists andJournalists Danstaud the Anazon, New York, Nonon).

TurNBn T, S. [20011, TheYanomami and the Et/tics of Anthropological Praxice, Occasional Paper

Series, Vol. 6, Latin American Studies Program, Cornell Universiry.UNssco [2001], Réunion du groupe de uavail du Comité international de bioéthique (CIB) sur

le suivi du Colloque international sur Ethique, Propriétê innllectuelle et Gênonique, Paris, 13-14juin 2001 (rapport).

USY (Unrnr Seripe YeNovAMI) [2003], Resumo das atividades de assistência à satde yanomami,

2000-2003, ms.Wuss K. M. 120021, u Srarement " (6 avril), conférence Tragedl in the Amazon: Yanomami Voice,

Academic Controaeny, and Researclt Etlrics, april5-7, université de Cornell.

145

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)

Page 23: le cas yanomami (Venezuela et Bresil) - Cairn

146 Bruce Albert

Wrrss K. M., BucsnNeN A. V., D,cxrrr- C., SroNerrNc M. [19941, " Oprimizing Utilization ofDNA from Rare or Archival Anrhropological Samples ,, Human Biolog,66 (5):796-804.

WIllruts S. R., CuecNoN N. A., SptsLN4Al,t R. S. [20021, . Nuclear and Mitochondrial GeneticVariation in the Yanomamô: a Test Case for Ancient DNA Srudies of PrehistoricPopulations ", American Joumal of Pfusical Anthropolog,117 (3): 246-259.

© P

ress

es d

e S

cien

ces

Po

| Tél

écha

rgé

le 2

6/08

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.229

.84)

© P

resses de Sciences P

o | Téléchargé le 26/08/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.229.84)