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Le Bouddha et ses enseignements texte de Geshe Thupten Jinpa La religion et la vie spirituelle du Dalaï-lama sont profondément enracinées dans les premiers enseignements du Bouddha et les transformations qu'y apportèrent vingt-cinq siècles d'histoire. L'entraînement philosophique bouddhiste constitue le fondement de son développement intellectuel et continue à former sa perspective du monde. Dans l'orientation bouddhiste, une association étroite entre études et réflexion sera vue comme le point focal de la vie et nous retrouvons cette influence dans l'attitude générale de Sa Sainteté vis-à- vis des choses. Qu'est donc le bouddhisme ? Il est facile, et même évident, de répondre: le bouddhisme est la religion du Bouddha. Mais ce faisant, il faut éviter le piège consistant à penser qu'il existe une tradition homogène appelée «Bouddhisme», avec un système unique de croyances et de pratiques. Comme toutes les grandes traditions religieuses, au fil du temps le bouddhisme s'est transformé en de multiples lignées - toutes détentrices «des enseignements du Bouddha». Chacune de ces écoles retrace son évolution historique jusqu'aux paroles de Gautama Bouddha, le Bouddha historique qui a vécu environ six cents ans avant l'ère chrétienne. Il est très difficile de dire avec précision lesquels des nombreux écrits des différents canons bouddhistes rapportent les paroles exactes prononcées par le Bouddha. (Le Canon tibétain compte à lui seul plus de cent gros volumes qui lui sont attribués.) On peut cependant distinguer un certain nombre d'idées clefs qui sont au coeur de son message spirituel. La voie vers la libération de la souffrance enseignée par le Bouddha demande une compréhension profonde de la nature même de l'existence. L’existence n'est qu'un cycle perpétuel d'insatisfactions et le moyen de mettre fin à ce cycle passe
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Feb 08, 2016

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Le Bouddha et ses enseignements

texte de Geshe Thupten Jinpa

La religion et la vie spirituelle du Dalaï-lama sont profondément enracinées dans les premiers enseignements du Bouddha et les transformations qu'y apportèrent vingt-cinq siècles d'histoire. L'entraînement philosophique bouddhiste constitue le fondement de son développement intellectuel et continue à former sa perspective du monde. Dans l'orientation bouddhiste, une association étroite entre études et réflexion sera vue comme le point focal de la vie et nous retrouvons cette influence dans l'attitude générale de Sa Sainteté vis-à-vis des choses.

Qu'est donc le bouddhisme ? Il est facile, et même évident, de répondre: le bouddhisme est la religion du Bouddha. Mais ce faisant, il faut éviter le piège consistant à penser qu'il existe une tradition homogène appelée «Bouddhisme», avec un système unique de croyances et de pratiques. Comme toutes les grandes traditions religieuses, au fil du temps le bouddhisme s'est transformé en de multiples lignées - toutes détentrices «des enseignements du Bouddha». Chacune de ces écoles retrace son évolution historique jusqu'aux paroles de Gautama Bouddha, le Bouddha historique qui a vécu environ six cents ans avant l'ère chrétienne.

Il est très difficile de dire avec précision lesquels des nombreux écrits des différents canons bouddhistes rapportent les paroles exactes prononcées par le Bouddha. (Le Canon tibétain compte à lui seul plus de cent gros volumes qui lui sont attribués.) On peut cependant distinguer un certain nombre d'idées clefs qui sont au coeur de son message spirituel. La voie vers la libération de la souffrance enseignée par le Bouddha demande une compréhension profonde de la nature même de l'existence. L’existence n'est qu'un cycle perpétuel d'insatisfactions et le moyen de mettre fin à ce cycle passe par une profonde lucidité quant à sa véritable nature. Tout individu qui entreprend une quête spirituelle doit comprendre le mouvement incessant reliant causes, conditions et effets. Rien ne vient à exister sans cause, et une fois toutes les conditions créées, rien ne peut empêcher la conséquence. Toujours selon le Bouddha, c'est notre attachement profond et habituel au concept d'un «moi» permanent qui est la cause principale de notre cycle individuel de souffrance. De cette saisie naît toute une armée de poisons - les plus importants étant le désir égoïste, l'aversion et l'ignorance - qui jettent les fondations d'une vie aux multiples perturbations psychologiques et émotionnelles. Notre mode d'interaction avec nos semblables consiste à s'attacher à ceux que nous considérons comme proches de ce «moi» et à rejeter ceux que nous percevons comme menaçants pour lui. Sur cette base, nous accomplissons des actes aussi néfastes pour nous que pour autrui. Le chemin vers la libération consiste à développer une claire compréhension de l'absence de tout «soi» qui existerait de façon permanente.

Le Bouddha était donc très différent des autres maîtres religieux de son époque : il enseignait « l'absence de soi » (anatman), voie qui désigne la notion d'une essence (ou

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«soi») individuelle et fixe comme source de toute souffrance. Les arguments philosophiques servant à démontrer l'impossibilité d'une essence fixe ou immuable sont souvent subtils et très détaillés, mais la plupart s'appuient sur le flux constant qui sous-tend toute existence causale. En bref, tout ce qui provient d'une cause est forcément transitoire, une des raisons étant que rien ne peut exister avant d'avoir été produit. Nous, qui provenons aussi de causes, n'avons donc aucune nature permanente. En tant qu'êtres «transitoires», il est impossible que nous soyons pourvus d'un soi ou d'une essence fixe ou immuable, malgré la conviction injustifiée qui nous porte à croire le contraire.

Les Quatre Axiomes et les Quatre Nobles vérités

Les principes énoncés ci-dessus sont contenus dans les Quatre Axiomes, une formule traditionnelle qui, dit-on, condense toute la pensée bouddhiste: 1) tout ce qui est conditionné est transitoire; 2) ce qui est pollué par des états mentaux négatifs produit forcément de la souffrance; 3) tout est dépourvu d'essence ou de soi; et 4) le nirvana est la paix véritable.

Ces mêmes principes sous-tendent les Quatre Nobles Vérités, autre formule traditionnelle qui oriente la pratique bouddhiste: 1) la souffrance existe ; 2) cette souffrance a une origine; 3) il y a une cessation de la souffrance; 4) il existe une voie menant à cette cessation. La première des Quatre Vérités, la souffrance, est liée à la notion d'impermanence. En effet, une grande partie de notre souffrance provient de notre présomption que le monde et la vie doivent fournir un point de référence fixe et immuable, alors que tout dans notre expérience quotidienne démontre la nature inévitable et omniprésente du changement. La deuxième vérité, l'origine de la souffrance, se rapporte aux états mentaux négatifs ou «obscurcis», car ces états nous poussent à accomplir des actes qui produisent de la souffrance. La cessation de la souffrance, la troisième vérité, est déjà le nirvana, un état de paix parfait puisque toute souffrance a été éliminée. Enfin, la Quatrième vérité, qui stipule l'existence d'une voie menant au nirvana, est étroitement liée au principe de l'absence de soi, car toutes les pratiques bouddhistes visent essentiellement la réalisation de ce «non-soi». C'est en effet cette réalisation qui permet d'éliminer les états mentaux négatifs sources de souffrance.

Les six perfections et les quatre moyens

Les Quatre Axiomes et les Quatre Nobles Vérités offrent un aperçu concis de la pensée et de la pratique bouddhistes, mais il nous reste à présenter un élément qui leur est tout à fait crucial: la grande compassion. Si l'amour du prochain et la compassion ont joué un rôle prépondérant dans la pratique bouddhiste depuis les origines de cette religion, c'est dans la tradition du mahayana («Grand véhicule») que la compassion prend toute son envergure. Tous les bouddhistes épousent certes les doctrines citées ci-dessus, mais encore faut-il préciser la finalité réelle de la pratique. Dans quelle mesure le pratiquant cherche-t-il à faire cesser la souffrance d'autrui en même temps que la sienne ? Pour les adeptes du mahayana, dont Sa Sainteté le Dalaï-lama, le but de la pratique n'est pas simplement de mettre un terme à sa propre souffrance et d'obtenir un bonheur personnel, c'est de faire cesser la souffrance de tous les êtres et de leur assurer un bonheur durable. Seul un être totalement éveillé peut espérer atteindre un tel but. Pour cela, l’adepte du mahayana s’efforce d’atteindre le parfait éveil (bodhi) de la bouddhéité. Dans leur forme la plus concise, les pratiques du mahayana se composent de six

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perfections orientées vers le développement de l’individu, et de quatre moyens visant à faire s’épanouir l’esprit d’autrui. La générosité, l’éthique, la patience, l’effort enthousiaste, la concentration et la sagesse sont les six perfections. Les quatre moyens sont: donner ce dont les autres ont un besoin urgent, user de paroles bienveillantes en toutes circonstances, offrir des conseils éthiques à autrui et être un exemple vivant de ces principes. Les six perfections et les quatre moyens forment «l’idéal du bodhisattva», sujet que nous allons maintenant aborder.

L’idéal du bodhisattva

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L’idéal du bodhisattva fut certainement le plus important des concepts religieux à naître du mouvement bouddhiste mahayana. Le bodhisattva, littéralement «celui dont l’aspiration héroïque est d’atteindre l’éveil», est un être altruiste doté d’un courage incroyable. Les bodhisattvas ont la capacité de se libérer de la souffrance, mais ils préfèrent assumer en premier la tâche d’en libérer les autres. La compassion de tels êtres est sans bornes et transcende toute pensée de division. Le bodhisattva est l’ami, le serviteur et le parent spirituel de tous sans distinction. La force de la compassion du bodhisattva est représentée par divers moyens, dont l’art visuel. Dans la culture tibétaine, l’expression la plus largement connue de cette compassion infinie est celle décrite dans la légende de Tchènrézi (le bodhisattva de grande compassion) à Mille Bras. Tchènrézi ressentait pour les être en nombre infini un souci et une compassion si intenses qu’il pensât qu’à moins d’avoir mille bras et mille yeux il ne pourrait jamais accomplir les souhaits de tous. Par la force de son aspiration parfaite, un jour il obtint d'avoir mille bras et mille yeux. Pour les disciples du bouddhisme mahayana cette image est encore de nos jours un symbole religieux puissant. La compassion que ressent le bodhisattva pour les êtres n'est pas une simple expérience émotionnelle, car son sentiment ne se fonde ni sur l'attachement ni sur des considérations égocentriques, comme de penser qu'être bienveillant contribue à notre propre bien-être physique ou spirituel. C'est, au contraire, un sentiment qui surgit spontanément au plus profond de nous quand nous percevons la souffrance d'autrui et reconnaissons à quel point tous les êtres vivants nous ressemblent. En d'autres termes, nous nous sentons reliés aux autres et nous éprouvons à leur égard une grande empathie, tout en restant relativement libre d'attachement. Il n'y a ni attachement, ni détachement. Évidemment, une telle compassion demande à être cultivée de manière délibérée. Et c'est la qu'intervient la vue pénétrante - la compréhension profonde. Celle-ci est le navigateur adroit qui dirige le bateau de la compassion. Selon les écritures du mahayana, c'est par compassion qu'un bodhisattva repousse sa propre atteinte de l'éveil alors que la compréhension profonde lui permet de transcender le monde fluctuant de l'existence. Autrement dit, le bodhisattva suit une route médiane entre la paix solitaire de la non-existence et le flux perpétuel du devenir. La première étape sur la voie du bodhisattva consiste à «développer la motivation héroïque». Le bodhisattva fait le voeu solennel de rechercher l'éveil total dans le but de libérer tous les êtres de la souffrance. Ce voeu doit se fonder

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sur une compassion profonde et sur la conviction inébranlable de l'importance extrême de dédier sa vie au bien d'autrui. La conviction d'un bodhisattva sera telle qu'il ou elle est prêt à passer un nombre infini de vies, s'il le faut, à accomplir les souhaits de tous les êtres sans exception. La strophe suivante, que le Dalaï-lama cite très souvent, contient l'essence de cette aspiration:

Tant que l’espace durera,Tant qu’il restera des êtres,Puissé-je moi aussi demeurerPour enrayer la souffrance de tous.

Une fois développée cette motivation héroïque, le bodhisattva s'attellera à pratiquer les six perfections et les quatre moyens. Il fera de cet entraînement le but principal de sa vie. Pour de tels individus, la pratique religieuse ne pourra jamais être simplement une des facettes de la vie, elle sera le fondement et l'unique finalité de la vie. Nombreux sont les textes classiques du mahayana qui décrivent la vie du bodhisattva. Parmi eux, le plus important et le plus célèbre est sans aucun doute La Marche vers l'éveil de Shantidéva. Poète indien bouddhiste qui vécut au VIIe siècle, Shantidéva est vénéré comme un saint par tous les bouddhistes du mahayana. Au Tibet son texte est la référence de base pour tous ceux qui étudient et pratiquent l'idéal du bodhisattva. Quiconque a entendu le moindre enseignement du présent Dalaï-lama aura remarqué l'immense influence qu'exerce cet ouvrage sur sa façon de penser et d'agir.

L’importance de la compréhension profonde

texte de Geshe Thupten Jinpa

La compréhension profonde est la clef de la libération. Pour un bouddhiste, une vie religieuse est une vie passée a rechercher l'éveil total. Puisque notre état de «sommeil» s'enracine dans une méconnaissance fondamentale de la nature du soi et de la réalité, il est crucial, pour s'éveiller, de réaliser quelle est cette nature. Mais la connaissance seule ne suffit pas, la compréhension «du mode d'être des choses» doit devenir une partie intégrale de notre vie quotidienne. En d'autres termes, elle doit être profonde au point d’affecter la totalité de notre être. Cette «connaissance intégrée» est appelée sagesse, sagesse qui ne peut naître qu'au sein d'un esprit véritablement en paix. Dans le jargon bouddhiste, nous parlons d'un état qui est «la conjonction de la tranquillité qui demeure (s_amatha) et de la vue pénétrante (vipas_yana)». Ces deux aspects de la voie contemplative bouddhiste sont appelés «méditation analytique» et «méditation contemplative». Dans la deuxième l'esprit se mêle à l'objet de la méditation, dans la première il sonde la nature profonde de l'objet. Un pratiquant authentique doit arriver à réunir ces deux aspects dans un seul et même moment de cognition.

Quelle est la nature exacte de la compréhension profonde «du mode d'être des choses» ? Dans l'Inde ancienne, quatre écoles philosophiques principales se sont développées pour répondre à cette question. L'école vaibhasika nie effectivement l'existence d'un « soi »

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permanent et immuable, mais admet celle d'une réalité qui prendrait la forme d'unités indivisibles appelées dharmas. L'école sautrantika rejette cette vue pour concevoir la réalité en termes d'atomes et d'unités de temps objectifs et indivisibles. Les adeptes de l'école cittamatra réfutent toute vue qui attribue un fondement objectif au monde matériel et soutiennent que seul l'esprit possède une réalité ultime. Le madhyamaka considère tout ce qui précède comme de simples postulats, postulats que cette école rejette car, selon le madhyamaka, soutenir de telles vues reviendrait à réifier une chose qui, en réalité, n'existe pas. Pour cette école, la vacuité est la nature véritable de tous les objets et de tous les événements - en d'autres termes, aucun objet ou événement ne possède une existence ou une identité intrinsèque. La vacuité est la vérité, la réalité ultime et le statut final de toute chose. La compréhension authentique de cette vacuité profonde ouvre la porte vers l'éveil et la libération spirituelle. Le bouddhisme tibétain soutient que la philosophie de l'école madhyamaka est le point culminant de la pensée philosophique bouddhiste et aussi celle qui se rapproche le plus du noble silence du Bouddha. La relation entre l'importance capitale accordée à l'approche rationnelle et la nature fondamentalement silencieuse de son ultime vision spirituelle est l'un des paradoxes majeurs du bouddhisme. Les enseignements du madhyamaka sur la vacuité paraissent les plus aptes à résoudre ce paradoxe. Les principaux maîtres de cette ligne de pensée furent Nagarjuna (qui fonda l'école madhyamaka au IIe siècle), son disciple principal, Aryadéva, Chandrakirti (qui fonda, au VIe siècle, l'école prasangika, une subdivision du madhyamaka) et Shantidéva (auteur de La Marche vers l'éveil).

Le bouddhisme tibétain

texte de Geshe Thupten Jinpa

Le bouddhisme arriva au Tibet au VIIe siècle et devint rapidement la philosophie et la religion dominantes de son peuple. Au cours des siècles sont apparues quatre écoles tibétaines principales les écoles nyingma, kagyud, sakya et guéloug. Les différences entre ces écoles tiennent plus a la chronologie et les lignées de leurs maîtres qu'à des positions doctrinales proprement dites. Ces quatre traditions adhèrent au mahayana ; toutes considèrent la vue du madhyamaka comme le point culminant du discours philosophique bouddhiste. Encore plus important, elles sont unanimes à déclarer le bouddhisme vajrayana comme la voie spirituelle ultime vers l'éveil. Le vajrayana ou «véhicule de diamant» représente le bouddhisme ésotérique. Parmi les traits caractéristiques de cette voie, notons l'importance de la non-dualité en tant que perspective fondamentale, le fait de reconnaître dans les émotions, tel l'attachement, des moyens qu'il est possible d'intégrer au chemin de l'éveil, et le riche symbolisme psychologique qui est l'un des éléments clefs de la méditation contemplative.

Les écoles nyingma, kagyud, sakya et guéloug

L'école nyingma est la plus ancienne parmi les quatre écoles du bouddhisme tibétain. Ses origines remontent aux enseignements des maîtres bouddhistes indiens, Padmasambhava et Shantarakshita, qui se rendirent au Tibet au VIIIe siècle. Les trois autres écoles sont dites «écoles des traductions nouvelles». (Cette distinction entre

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«ancienne» et «nouvelles» se réfère aux deux périodes où le canon bouddhiste fut traduit en langue tibétaine). L'école kagyud fut fondée au XIe siècle par le traducteur Marpa Lotsawa (1012-1097), qui lui-même était disciple du maître indien Naropa (1016-1100). Khon Konchog Gyalpo, disciple du traducteur tibétain Drogmi Lotsawa (992-1072), fonda l'école sakya vers la même époque. L'école guéloug émergea comme une école indépendante à la suite de la réforme radicale du bouddhisme tibétain initiée par Tsongkhapa (1357-1419). Tsongkhapa s'inspira fortement de l'esprit réformateur du mouvement Kadam, introduit au Tibet par le grand missionnaire indien Atisha (982-1054) et son principal disciple tibétain, Dromtompa. Pour cette raison, l'école guéloug est parfois souvent appeléé «la nouvelle école kadam». A partir du XIVe siècle l'école réformée devint la tradition dominante au Tibet, en Mongolie et dans de nombreux pays bouddhistes de l'Asie centrale. Le Dalaï-lama et le Panchen-lama, deux des plus hautes autorités religieuses du Tibet, sont traditionnellement issus de cette école réformée.

L'école guéloug de Tsongkhapa peut être sommairement décrite comme un synthèse authentique. À l'instar des premières écoles du bouddhisme, elle préconise que toute vie spirituelle soit fondée sur une stricte adhésion à la discipline morale. Quant à la pratique sur la voie, cette école adopte une série d'instructions chères aux enseignements kadam, et donc à Tsongkhapa; instructions appelées lo djong - terme tibétain que l’on peut traduire par «entraînements propres à dresser l'esprit» ou «transformation de la pensée». Le propre des enseignements de lo djong est d'offrir au pratiquant des techniques pour transformer même les circonstances les plus défavorables en conditions propices à l'épanouissement de la compassion et de l'altruisme. Quant à l'orientation philosophique, l'école guéloug embrasse pleinement la doctrine du madhyamaka sur la vacuité. Elle reconnaît, de plus, l'analyse critique comme une partie importante et intégrale du chemin vers l'éveil. Malgré son approche plutôt rationnelle, cette tradition trouve dans les enseignements du vajrayana sa vision finale de l'accomplissement de la bouddhéité. Une telle approche demande nécessairement une appréciation authentique de perspectives qui, pour être très différentes, n'en sont pas moins justes et valables dans le cadre et le contexte qui leur sont propres. Ce sont ces multiples strates qui rendent le bouddhisme tibétain aussi profond que complexe.

Le bouddhisme, la chrétienté et les autres traditions religieuses

texte de Geshe Thupten Jinpa

Avant de conclure, j'ajouterai un mot sur les attitudes généralement adoptées par le bouddhisme à l'égard des autres religions. À l'instar de toutes les grandes religions du monde, le bouddhisme perçoit sa voie comme universelle ; cette voie traite en effet des problèmes fondamentaux de l'existence humaine. Dans ce sens, le bouddhisme estime que son message et ses doctrines de base ne se limitent pas à un contexte historique ou culturel particulier. Cela étant, dès les débuts de la tradition mahayana, le bouddhisme a accepté l'existence d'autres voies, mieux adaptées aux différents tempéraments spirituels des individus. C'est donc une tradition qui reconnaît la diversité du choix spirituel au

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niveau le plus fondamental. Un des textes classiques du mahayana dit: «Il existe des inclinations différentes, des intérêts différents et des chemins spirituels différents.» Voilà, je pense, l'origine du terme «supermarché des religions» que le Dalaï-lama emploie si souvent. Pour le bouddhisme, toutes les grandes voies spirituelles sont valables en soi car elles répondent à une demande fondamentale de millions d'individus. Ce n'est pas la revendication de la vérité métaphysique qui permet de juger si un enseignement spirituel est valable ou non. Le critère essentiel est son efficacité à offrir le salut ou la libération spirituelle. La longue histoire du bouddhisme et de la chrétienté témoigne de leur efficacité dans ce domaine. Un dialogue sincère entre ces deux grandes traditions peut ainsi contribuer non seulement à enrichir les enseignements de chacune d'elles mais aussi à accroître l'intérêt que les gens portent à la dimension spirituelle de l'homme. Le célèbre philosophe et historien religieux, Paul Tillich, avait peut-être raison de dire que la rencontre du christianisme et du bouddhisme déclencherait une véritable révolution spirituelle...

Le Vajrayana ou la voie des Tantras

Ce texte est extrait du livre « Padmasambhava, La magie de l’Éveil » de Philippe Cornu, publié aux Éditions du Seuil, Collection Points Sagesses. Philippe Cornu étudie le bouddhisme depuis plus de quinze années sous la direction de maîtres tibétains nyingmapas dont Sogyal Rinpoché.

C’est cette dernière voie qui caractérise le plus le bouddhisme tibétain aux yeux du monde. C’est peut-être parce que qu’elle est la plus spectaculaire. La voie de la Transformation des Tantras préconise en effet l’emploi d’une multitude de méthodes méditatives et yogiques qui, mal comprise, ont souvent nourri les fantasmes ou l’indignation de voyageurs occidentaux peu enclins à accepter une spiritualité si riche en symboles et si haute en couleur.

En réalité, le Vajrayâna s’inscrit dans le cadre bouddhique et philosophique du Mahâyâna et nécessite une bonne compréhension de la compassion et de la vacuité, shunyata. Dans le Mahâyâna, les praticants, en plus du voeu de libération individuelle, font celui d’aider autrui sur le chemin de l’Éveil. C’est le voeu de bodhicitta, la Pensée de l’Éveil, que l’on cultive dans toutes les activités dirigées vers le bien d’autrui. Cet idéal de héros de la compassion fait du praticant un boddhisattva, un « Héros de l’Éveil ». Cet engagement fondamental est indispensable pour accéder au Vajrayana.

La bodhicitta absolue ou la double vacuité

D’autre part, il convient de réaliser la bodhicitta absolue, qui consiste en la double vacuité, celle du « soi » et celle des phénomènes extérieurs. « Vacuité » n’est en aucun cas synonyme de de néant. Il s’agit de la réalité absolue de tous les phénomènes : n’existant qu’en dépendance les uns des autres, les phénomènes sont dépourvus d’existence autonome. Ils apparaissent cependant, mais leur apparence n’a qu’une réalité relative. Cette dernière réalité, appelée vérité conventionnelle ou développement est un piège pour l’ignorant qui prend ce qui perçoit par les sens pour l’unique vérité. Une telle croyance le

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plonge dans l’illusion qui engendre à son tour karma et souffrance. En fait, les réalités absolues et relative des phénomènes sont indissociables comme les deux faces d’une pièce de monnaie. La philosophie de la vacuité n’est ni nihiliste, puisqu’elle admet la vérité relative des phénomènes, ni éternaliste puisque, selon elle, rien de réel n’a jamais été crée ni ne sera vraiment détruit. Cette vision débouche en vérité sur une ouverture spirituelle infinie et sur la compassion sans références, prémices indispensables à la compréhension du tantrisme.

Tandis que les voies des sûtras prônent le renoncement aux passions obscurcissantes pour maîtriser l’esprit et parvenir à la libération, les véhicules des tantras préconisent au contraire, pour ceux qui ont la capacité et la maturité nécessaires, l’utilisation de tout le potentiel des passions. Si l’on reconnaît qu’en leur nature profonde les agrégats du « moi », les passions et les émotions sont des qualités de la Nature de Bouddha, il est possible de les purifier ou de les transformer en sagesse par divers « moyens habiles ». C’est la voie qui transforme les poisons en remèdes ou catalyseurs.

Sens de Vajra

Le vajra, ou sceptre-diamant, symbolise le principe de la transformation. Les cinq branches du bas représentent les cinq agrégats grossiers du « moi » ou les cinq émotions négatives, ignorance, colère, orgueil, désir et jalousie. Les cinq branches du haut symbolisent les cinq Bouddhas ou les cinq Sagesses résultant de la transformation des passions. Au milieu, la sphère de la vacuité est la clé de la transmutation.

Le chemin de l’Éveil

Pour atteindre l’au-delà de la souffrance ou nivâna il n’est plus nécessaire de rejeter le samsâra, le « cercle vicieux » de notre existence conditionnée. L’idée est de transmuter les perceptions impures en pures visions. Le samsâra n’est jamais que notre perception karmique impure, elle-même le fruit de nos conditionnements et de notre ignorance. Il y a en fait indivisibilité du samsâra et du nirvâna. Loin d’être de simples tecniques, les moyens habiles sont nés de la pure sagesse des Bouddhas. Très variées, ils comprennent entre autre la visualisation de déité de pratique, ou Yidam, la récitation de mantras, formules qui condensent l’essence des déités en sons, l'exécution de gestes symboliques ou mudrâ, des rituels complexes, l’élaboration de mandalas, l’utilisation d’objets rituels et des danses sacrées. Les déité Yidam ne sont pas des dieux extérieurs mais des archétypes de l’Éveil, des Bouddhas répartis en cinq classes ou familles selon leurs qualités respectives. (Les familles Tathâgata ou Bouddha, Vajra ou Diamant, Ratna ou Joyaux, Padma ou Lotus et Karma ou Action).

L’importance du maître spirituel

L’aspirant au Vajrayâna doit d’abord rencontrer un maître qualifié auquel il offre toute sa confiance et sa dévotion. Celui-ci lui accorde la transmission de pouvoir, ou wang, et les instructions qui lui permettrons de pratiquer un sâdhana, ou « moyen d’accomplissement ». Ce sâdhana consistera principalement à visualiser la déité, ou Yidam, et à réciter son mantra, ce qui est un puissant moyen de transformation des caractéristiques émotionnelles ordinaires en sagesse. Quand le yogi réalise enfin que sa vraie nature n’est pas différente de celle de la déité, il atteint la libération.

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Ce chemin nécessite l’absence de doutes, la pureté de vision et surtout un lien sacré, ou samaya, parfait avec le maître. Incarnation vivante de la transmission des Bouddhas, détenteur de la Sagesse de toute la lignée des maîtres qui l’ont précédé, le maître ou lama, est effectivement très important. Mais cette insistance n’est pas une manie tibétaine, elle reflète l’essence même du Vajrayana. N’est-il pas dit que tous les Bouddhas du passé, du présent et du futur ont atteint et atteindront l’Éveil en prenant appui sur un maître spirituel ?

Le Bouddha était assis sur le sol, serein, digne et humble à la fois, le ciel au-dessus de lui et autour de lui, comme pour nous montrer qu’en méditation nous sommes assis avec une attitude d’esprit ouverte et semblable au ciel, tout en restant présents à nous-mêmes et en étroit contact avec la terre.

L’Éveil du Bouddha

Ce que le Bouddha réalisa lorsqu’il atteignit l’Éveil, c’est que l’ignorance de notre vraie nature est la source de tous les tourments du samsara, et que la source de cette ignorance elle-même est la tendance invétérée de notre esprit à la distraction. Mettre fin à cette distraction, c’est mettre fin au samsara lui-même. La solution, comprit le Bouddha, était donc de ramener l’esprit à sa vraie nature par la pratique de la méditation.

L’entraînement de l’esprit

Tout dépend de notre entrainement et du pouvoir des habitudes... Consacrons notre esprit, dans la méditation, à la tâche de se libérer de l’illusion: avec le temps, la patience, la discipline, et l’entraînement approprié, notre esprit graduellement se dénouera et connaîtra la félicité et la limpidité de sa vraie nature.

Le coeur de la méditation: Les trois nobles principes

Bon au début: la motivation habile (le COEUR), soyez conscient que tous les êtres ont la nature du Bouddha. Bon au milieu: attitude de non-saisie (l’OEIL), inspirée par la nature de l’esprit...libre de toute référence conceptuelle. Bon à la fin: la dédicace qui scelle la pratique (la FORCE VITALE), Puisse tout mérite obtenu par cette pratique contribuer à l’éveil de tous...

La pratique de l’attention

La méditation consiste à ramener l’esprit en lui-même, ce qui est tout d’abord obtenu par la pratique de l’attention, qui accomplit trois choses: Premièrement, les divers aspects fragmentés de nous-mêmes...se déposent, se dissolvent et s’harmonisent... Deuxiémement, la pratique de l’attention désarmorce notre négativité, notre aggressivité et

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la turbulence de nos émotions... Troisièmement, cette pratique dévoile et révèle votre Bon Coeur fondamental, votre bonté fondamentale, la graine de votre nature de Bouddha.

La grande paix naturelle

Toute la pratique de la méditation peut se résumer à ces trois points essentiels:

Ramener l’esprit en lui-même: demeurez paisiblement, dans la nature de l’esprit. Relâcher: Libérez l’esprit de la prison de la saisie...

Se détendre: Soyez spacieux, permettez à l’esprit d’abandonner ses tensions.

« Laissez reposer dans la grande paix naturelleCet esprit épuisé, Battu sans relâche par le karma et les pensées névrotiques, Semblables à la fureur implacable des vagues qui déferlentDans l’océan infini du Samsara ».

-Nyoshul Khenpo Rinpoché

La posture

Si vous créez des conditions favorables dans votre corps et votre environnement, la méditation et la réalisation s’élèveront automatiquement. Votre vue et votre posture comme une montagne.

Trois méthodes de méditations

Observer la respiration. Utiliser un objet.

Réciter un mantra, cela qui protège l’esprit est appelé mantra.

Un équilibre délicat

Dans la méditation, comme dans les tous les arts, un équilibre délicat doit être trouvé entre la détente et la vigilance. Comme l’a dit l’un des plus grands maîtres féminins du Tibet, Ma Chik Lap Dron: « Vigilant, vigilant; cependant détendu, détendu ».

Les pensées et les émotions

De mêmes que l’océan a des vagues et la soleil des rayons, ainsi les pensées et les émotions sont-elles le propre rayonnement de l’esprit. L’océan a des vagues, pourtant il n’est pas particulièrement dérangé par elles. Les vagues sont la nature même de l’océan. D’où ces vagues viennent-elles? De l’océan.

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Quoi qu’il s’élève, demeurez présent, revenez à la respiration. Si l’esprit n’est pas contraint, il y a une félicité spontanée, de même que l’eau si elle n’est pas agitée, est par nature transparente et claire. Quand la pensée précédente est passée et que la pensée suivante ne s’est pas encore élevée, n’y a-t-il pas un intervalle? Prolongez-le, c’est la méditation.

Intégration et inspiration

Ne sortez pas de votre méditation trop rapidement... «Ne vous levez pas d’un bond».

Ne cédez pas à la tendance consistant à solidifier notre perception des choses. Après une pratique de méditation, on devrait devenir un enfant de l’illusion.

«Mangez quand vous mangez, et dormez quans vous dormez».

Devenez aussi ingénieux à susciter l’inspiration en vous-mêmes...que vous l’êtes lorsqu’il s’agit d’être névrotique et compétitif.

Incarnez le transcendant est notre raison d’être en ce monde.

La posture

«Soyez assis avec toute la majesté inaltérable et inébranlable de la montagne. La montagne est complètement naturelle et bien établie sur ses bases, quelle que soit la violence des vents qui l’assaillent ou l’épaisseur des nuages sombres qui tourbillonnent à son sommet. Assis comme une montagne, laissez votre esprit s’élever, prendre son essor et planer dans le ciel.»

Les sept points de Vairocana

Premier point: gardez la colonne vertébrale droite

La force vitale (air subtil) appelée prana circule dans le canal central. Le prana rend le corps stable et ferme.

Le livre tibétain de la Vie et de la Mort:

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...gardez le dos droit, comme «une flèche» ou une «pile de louis d’or». Ne forcez rien. La partie intérieure de la colonne possède une cambrure naturelle; celle-ci doit être détendue tout en restant droite.

Sentez que votre tête repose sur le cou de façon souple et agréable. Ce sont les épaules et la partie supérieure de votre thorax qui supportent le dynamisme et la grâce de la posture; leur maintien doit exprimer une force dépourvue de raideur.

Kamalashila:

La partie supérieure du corps devrait être droite afin que les énergies subtiles y circulent souplement et que l’esprit soit stable et tranquille.

Le niveau des épaules et le corps vers le haut.

Ne penchez ni à gauche ni à droite.

Deuxième point: Placez les mains dans une posture de méditation

Littéralement demeurer dans la posture d’égalité, les mains au même niveau.

Le livre tibétain de la Vie et de la Mort:

Laissez vos mains reposer confortablement sur vos genoux. C’est ce qu’on appelle la posture de l’«esprit à l’aise».

Troisième point: avec les épaule en arrière

Quatrième point: abaisser légèrement le menton

Cinquième point: ayez un regard détendu

Le mouvement des yeux entraînerait l’agitation de l’esprit. Nous gardons donc les yeux tranquilles, posés dans l’espace au-delà du bout du nez.

Le livre tibétain de la Vie et de la Mort:

Vous devriez gardez les yeux ouverts. Il peut vous sembler utile, au début de la pratique, de les fermer un moment. Une fois établi dans le calme, ouvrez progressivement les yeux. Abaissez-les maintenant et regardez juste devant vous, le long de votre nez, selon un angle de 45 degrés environ. Quand votre esprit est très agité, il vaut mieux regardez vers le bas; quand il est morne et somnolent, dirigez plutôt votre regard vers le haut.

Lorsque votre esprit s’est apaisé et que la clarté du discernement commence à se manifester, élevez votre regard et dirigez-le dans l’espace, droit devant vous.

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Dzogchen: Votre méditation et votre regard devraient être vastes comme l’étendue de l’océan: ouvert, sans limites, embrassant tout.

Laissez la compassion qui émane de votre méditation rayonner doucement par vos yeux, afin que votre regard devienne le regard même de la compassion.

Au lieu de vous couper de la vie, vous demeurez réceptif, en paix avec toute chose. Laissez l’ouïe dans l’ouïe, la vue dans la vue.

Les yeux sont les « portes » de la luminosité ; vous devez les garder ouverts afin de ne pas bloquer les canaux de sagesse.

Kamalashila:

Les yeux devraient être mi-clos, ni grand ouverts à regarder fixement devant soi, ni complètement fermés pour ne pas tout plonger dans l’obscurité, mais complètement détendus, afin de ne pas avoir à y penser.

Vous devriez regarder vers le bas, vers le nez, afin d’être conscient du nez. La description classique est le regard devrait être à quatre travers de doigts au-delà du nez.

Sixième point: les lèvres demeurent également naturellement entrouvertes

Le livre tibétain de la Vie et de la Mort:

Lorsque vous méditez, ayez la bouche entrouverte comme si vous étiez sur le point d’émettre un « Aaaah » profond et relaxant. Il est dit que si l’on garde la bouche légèrement entrouverte en respirant légèrement par celle-ci, les « souffles karmiques » qui créent les pensées discursives ont en principe moins de chance de s’élever et de créer des obstacles dans votre esprit et dans votre méditation.

Kamalashila:

Il devrait y avoir un léger espace entre les lèvres et les dents. La langue contre le palais, sinon la salive s’accumulera.

La respiration devrait être naturelle et sans effort.

Septième point: asseyez-vous avec les jambes dans la posture de vajra.

Le livre tibétain de la Vie et de la Mort:

Il n’est pas nécessaire de prendre la position du lotus, sur laquelle on met davantage l’accent dans les pratiques avancées du yoga. Les jambes croisées

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expriment l’unité de la vie et de la mort, du bien et du mal, des moyens habiles et de la sagesse, des principes masculins et féminin, du samsara et du nirvana: l’humour de la non-dualité.

Il se peut que vous préfériez vous assoir sur une chaise, ... mais assurez-vous de gardez le dos bien droit.

Kamalashila:

Les jambes devraient être complètement croisées dans la posture du vajra (lotus) ou semi-croisées dans la posture du demi lotus. Vous devriez être détendu. Il vaut mieux être assis confortablement que douloureusement.

Les cinq défauts et les huit antidotes selon La distinction entre la voie du milieu et les extrêmes

d’Assanga Lorsqu’on médite, on doit reconnaître quelles expériences viennent de la méditation et quelles fautes doivent être éliminées. Il y a cinq fautes qui doivent être éliminées par huit sortes d’actions ou antidotes. Ces cinq fautes ou défauts empêchent le développement de la méditation. Si l’esprit peut reposer sur un objet, il devient malléable et très stable, et l’on peut en faire ce que l’on veut. Par contre, notre esprit ordinaire est comme chevaucher un cheval sauvage: nous ne pouvons pas demeurer au même endroit, et nous ne pouvons pas aller où nous voulons. Les moyens d’obtenir un esprit malléable est l’élimination des cinq défauts de la méditation.

Premier défaut: La paresse

Elle empêche l’application à la méditation. On ne commence même pas après avoir reçu les instructions:

La léthargie: on ne s’intéresse à rien. L’attachement aux valeurs mondaines négatives: pas de désir pour la pratique du

dharma, pour la méditation.

Le découragement et l’auto-accusation: « Je n’y arrive pas ». Sous-estimation de ses capacités et désaveu de soi-même.

Il y a quatre antidotes à la paresse:

L’aspiration, l’intérêt: Intérêt ou attachement positif (möpa) pour la méditation: on a envie de méditer;

Le zèle: Comme on est intéressé, on a pas besoin de se forcer à pratiquer;

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La foi: Confiance en une chose de grande valeur;

Être bien entraîné, flexible: L’esprit est prêt à tout moment à méditer. L’esprit reste naturellement centré en un seul point, sans effort.

Deuxième défaut: L’oubli des instructions

Un manque d’attention sur la façon de méditer correctement. Ne pas être clair au sujet de:

Ce qu’on fait. Quels défauts doivent être éliminés.

Quels remèdes doivent être appliqués.

L’antidote à l’oubli des instructions est:

L’attention: Un état méditatif ayant les caractéristiques suivantes:

Acuité et clarté de l’esprit. État non conceptuel, naturellement focalisé, sans trop de pensées.

Un sens de confort et de plaisir qui vient de la confiance et de la flexibilité.

Le troisième défaut: la torpeur et l’agitation

La torpeur (état morne), on perd la clarté:

L’esprit est obscursi et morne. Forme grossière: perte de la clarté d’esprit.

Forme subtile: une certaine clarté, mais faible.

L’agitation, la perte de la stabilité:

Forme grossière: on passe son temps à penser à ce qu’on a fait, donc on est incapable de stabiliser l’esprit sur quoi que ce soit.

Forme subtile: une stabilité apparente, mais cependant des pensées subtiles.

Dans Les étapes de la méditation de Kamalashila, ceux-ci sont comptés comme deux fautes différentes, d’où un total de six fautes. Ici, torpeur et agitation sont comptés comme une seule faute, vu leur effet similaire en tant qu’obstacle à la méditation.

L’antidote à la torpeur et à l’agitation est:

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L’éveil et la détente, 2 méthodes:

Le regard et le corps , pour la torpeur: ouvrir grand les yeux, regarder vers le haut, tendre son corps, pour l’agitation: avoir les yeux mi-clos, regarder vers le bas, détendre son corps.

L’environnement extérieur , pour la torpeur: une pièce lumineuse et fraîche, des vêtements légers, pour l’agitation: une pièce sombre et chaude, des vêtements épais.

Le quatrième défaut: le manque d’application

On reconnaît la torpeur ou l’agitation, mais on n’applique pas de remède.

L’antidote au manque d’application est:

L’application du remède approprié, reconnaître la torpeur ou l’agitation, se souvenir des remèdes et les appliquer avec diligence.

Le cinquième défaut: l’excès d’application

On reconnaît la torpeur ou l’agitation, on applique un remède, mais on continue à appliquer le remède lorsque la torpeur et l’agitation sont éliminées et que c’est désormais inutile.

L’antidote à l’excès d’application est:

Le repos dans l’équanimité, on médite sans aucune de ces fautes, on ne devrait rien faire d’autre que de reposer dans cet état méditatif.

Les Quatres causes de Renonciation objets d’une comtemplation profonde

Premièrement, contemplez le caractère précieux de cette vie libre et pleine de dons. Voyez combien elle est difficile à obtenir et aisément perdue. Dès maintenant, je dois maintenant je dois faire quelque chose qui ait un sens.

Joyeuse à posséder une telle naissance humaine,Difficile à trouver, libre et pleine de dons.

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Deuxièmement, le monde entier et ses habitants sont impermanents. La vie des êtres est semblable à une bulle. La mort vient sans prévenir; ce corps deviendra un cadavre. À ce moment là, le Dharma sera ma seule ressource; Je dois m’efforcer de le pratiquer.

Mais la mort est une réalité, elle vient sans prévenir,Ce corps deviendra un cadavre.

Troisièmement, quand viendra la mort, personne ne m’aidera. Parce que je crée du karma, je dois abandonner les mauvaises actions, et me consacrer sans relâche aux actions vertueuses. Avec cette pensées à l’esprit, chaque jour je m’examinerai.

Inéluctables sont les lois du karma,Causes et effets ne peuvent pas êtres évités.

Quatrièmement, maisons, amis, richesses et conforts du samsara ne sont que le tourment constant des trois souffrances, semblable à une dernière fête avant que le bourreau ne nous mène à la mort. Je dois trancher le désir et l’attachement par un effort constant et atteindre l’Éveil.

Le samsara est un océan de souffrance, insupportable,D’une insoutenable intensité.

Reconnaissant tout cela, puisse mon esprit se tourner vers la pratique!

Conseils de méditation pour vivre le bouddhisme

par le Dalaï-lama

Le système de méditation Lamrim, « étapes sur la voie de l’Illumination », a été conçu par le grand saint érudit du XIe siècle, Athisa, et développé par des générations successives de méditants tibétains. Ces textes sont extraits du livre "La Voie de la Félicité", paru aux Éditions Ramsay. Ils constituent des extraits des enseignements dispensées par sa Sainteté le Dalaï-lama dans le temple principal de Dharamsala, en Inde, au printemps 1988. Ces enseignements portaient sur le Lamrim du Panchen-lama Lobsang Chökyi Gyaltsen.

L’esprit de grande capacité

La méthode de cause à effet en sept points

La méthode d’égalité et d’échange avec les autres

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L’esprit de grande capacité

Conseils de méditation pour vivre le bouddhisme

par Sa Sainteté le Dalaï-lama

D'un certain point de vue, rechercher la libération personnelle sans se soucier de libérer les autres est égoïste et injuste, car tous les êtres sensibles ont le droit naturel et le désir d'échapper à la souffrance. Il importe donc de s'engager dans la pratique des étapes de la voie commune aux pratiquants de capacité supérieure, en commençant par susciter en soi la bodhicitta. L'aspiration altruiste d'atteindre l'illumination pour le bien de tous les êtres sensibles est ce qui distingue le mahâyâniste. La bodhicitta est donc l'unique porte ouvrant sur la voie du Mahayâna. Si la faculté de l'esprit d'éveil dégénère, on cesse d'être un bodhisattva. Une fois que l'on possède la bodhicitta, toutes les actions vertueuses aussi modestes soient elles sous tendues par cet altruisme et qui lui sont complémentaires deviennent des moyens d'atteindre l'omniscience.

L'omniscience est la capacité de percevoir directement tous les phénomènes, simultanément, qu'ils soient de nature fondamentale ou conventionnelle. C'est un état dans lequel tous les potentiels de sagesse sont pleinement développés et tous les obstacles à la connaissance abolis. On ne peut y parvenir qu'en purifiant son esprit de tous ses défauts, et en complétant la sagesse par la méthode: bodhicitta, compassion, etc.

Sans bodhicitta, même une grande sagesse, comme celle des shrâvakas et des pratyeka-buddhas, pourtant capables de réaliser la vacuité, ne suffit pas pour atteindre l'état d'omniscience. Il est dit que la réalisation directe de la vacuité par les bodhisattvas du premier niveau, qui correspond à la troisième des cinq voies, la voie de la vue, peut surpasser la réalisation des arhats eux mêmes.

Lorsque vous susciterez en vous la bodhicitta par la méditation, vous donnerez un grand élan à votre pratique en visualisant votre maître racine sous l'aspect d'Avalokiteshvara, le bodhisattva de la compassion, et comme inséparable de lui. Vous en recevrez une puissante inspiration qui vous permettra de dominer toutes les pensées d'attachement au moi. Ainsi, comme préliminaire à votre méditation sur la bodhicitta, visualisez votre maître-racine sous la forme d'Avalokiteshvara et demandez lui avec ferveur de pouvoir éliminer toutes les attitudes égocentriques de votre esprit.

Pour cultiver une bodhicitta authentique, vous devez vous appuyer sur les méthodes correctes et les instructions qui les sous tendent. On distingue deux principaux ensembles de préceptes: la méthode de cause à effet en sept points, et la méthode d’égalité et d’échange avec les autres. Toutes deux sont d'une grande efficacité, mais la

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seconde est la plus profonde et la plus puissante. D'une certaine manière, cette dernière est destinée aux êtres de très grande capacité. Le choix de l'une ou de l'autre de ces méthodes sera donc fonction des dispositions d'esprit des différents pratiquants ; certains pourront trouver l'une plus efficace que l'autre. La tradition veut qu'elles soient associées et pratiquées ensemble.

La méthode de cause à effet en sept points

Conseils de méditation pour vivre le bouddhisme

par Sa Sainteté le Dalaï-lama

Étape préliminaire : cultiver l'équanimité

La base de la méthode de cause à effet en sept points consiste à cultiver l'esprit d’équanimité. Sans cette base, vous serez incapable d'une vision altruiste impartiale car, sans elle, vous tendrez à favoriser vos parents et amis. Afin d'établir une solide assise d’équanimité, prenez conscience que vous ne devez ressentir ni préjugés, ni haine, ni désir envers qui que ce soit, ennemi, ami ou parfait étranger.

Pour cela, ainsi que le recommande le Guide pratique des étapes sur la Voie de l’Illumination: la Voie de la félicité menant à l’Omniscience de Panchen-lama Chökyi Gyaltsen, commencez par visualiser une personne neutre et totalement inconnue. Lorsque vous la distinguerez clairement, vous vous apercevrez que vous ne ressentez aucune émotion, ni désir, ni haine que vous êtes indifférent. Puis représentez-vous un ennemi ; vous sentirez alors un mouvement spontané de haine ou de ressentiment. Ensuite, évoquez un ami ou un parent qui vous est très proche. Dans ce cas, votre réaction naturelle sera l'affection et l'attachement.

Devant votre ennemi, vous vous sentirez distant, habité d'un sentiment de haine et de répulsion. Considérez pourtant des ennemis comme les Chinois, qui ont ordonné la destruction du dharma et, sans pitié, ont nui à leurs semblables; qui dirigent un pays avec des méthodes totalitaires, en faisant fi de qualités humaines fondamentales comme la confiance et la foi. Réfléchissez aux arguments que vous avez pour justifier une réaction aussi négative envers eux. Même s'il est vrai qu'ils ont infligé beaucoup de mal et de destruction dans cette vie, en a t il toujours été ainsi ? Vous vous apercevrez que ce n'est pas le cas : dans le passé, ils ont sans doute agi pour votre bien et celui d'autrui. Mais actuellement, ils n'ont aucune foi dans le dharma et nuisent a beaucoup de gens. Ils n'ont presque aucun contrôle sur eux mêmes. Cependant, ces défauts sont causés par l'ignorance, la haine, etc. ; ce n'est pas là leur nature fondamentale.

N'oubliez pas que votre propre esprit n'est pas exempt d'illusions. Elles sont peut être sans commune mesure, mais n'en sont pas moins des illusions. Vous en conclurez que les réactions

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émotionnelles envers ceux que vous avez étiquetés comme ennemis sont dénuées de fondement.

Examinez ensuite votre attitude envers vos parents et amis. Vous penserez peut être qu'ils ont été très bons pour vous, qu'ils vous ont souvent fait beaucoup de bien, et ainsi de suite. Peut être même aurez vous le sentiment que vous seriez prêt à donner votre vie pour ceux qui vous sont très proches. Pourtant, s'ils ont été bienveillants envers vous dans cette vie, ils ont pu être vos ennemis dans des vies passées, voire causer votre mort. Ils ont peut être semé autour d'eux le malheur et la destruction. Il n'y a donc pas de raison de leur être attaché aussi absolument ou définitivement en tant qu'amis et parents.

Finalement, en ce qui vous concerne, il n'y a pas grande différence entre ennemis et amis. Les uns comme les autres vous ont fait tantôt du bien, tantôt du mal. Il n'y a donc aucune raison d'être partial envers quiconque.

Dès lors, développez l'esprit d’équanimité envers tous les êtres vivants. Celui ci ne naîtra pas d'une ou deux méditations, mais nécessitera une pratique répétée pendant des mois ou des années.

Premier point: reconnaître notre mère dans tout être sensible

La première étape de la méthode de cause à effet en sept points consiste à reconnaître que tout être sensible a pu être votre mère. Dans cette ronde d'existences sans commencement, pendant de nombreuses vies, vous avez en effet dépendu d'une mère. Il n'est pas un seul être vivant dont vous puissiez dire à coup sûr qu'il n'a pas été votre mère dans le passé. Regardez donc comme tels tous les êtres sensibles. Etant donné qu'ils sont en nombre infini, vous vous demanderez peut être comment on peut affirmer cela. Mais ne perdez pas de vue que, s'ils sont innombrables, vos vies aussi l'ont été. Vous pourrez aussi objecter que, s'ils ont vraiment été vos mères, cela s'est produit dans le passé et non dans cette vie. Mais la mère que vous aviez hier, ne l'est elle pas encore aujourd'hui?

Si vous êtes capable de concevoir que votre vie est sans commencement, vous comprendrez que vous avez du emprunter plus d'une forme vivante issue d'une mère - oeuf ou matrice. Ainsi, il n'y a pas un seul être sensible qui n'ait pu être votre mère dans le passé. Cette prise de conscience est ardue. Vous pouvez commencer par l'approche inverse, en excluant ceux qui ne l'ont pas été ce que vous supposez peut être ; et cependant, qui pouvez vous écarter avec une complète assurance?

Ensuite, demandez vous si vous avez plus à perdre qu'a gagner dans cette reconnaissance. Puisque vous cherchez a développer en vous la bodhicitta, l'aspiration altruiste, vous admettrez que sans une telle vision des autres, vos efforts seront sans succès. Sans cette reconnaissance, vous risquez donc d'échouer dans votre quête. Étant donné que, dans ce cycle d'existences, vos vies sont sans commencement, tous les êtres sensibles vous ont donc servi de mère.

Reconnaître que les autres vous ont été très chers ne les réduit pas a ce rôle. Ainsi que Maitreya le recommande dans son Abhisamayalankara, vous pouvez aussi les voir comme votre meilleur ami ou un parent très proche. Par exemple, si vous avez une meilleure relation avec votre père qu'avec votre mère, vous pouvez vous les représenter dans le passé comme votre père, ou comme l'enfant que vous chérissez profondément et pour qui vous éprouvez la

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plus grande tendresse. Ce qui importe, c'est de développer un état d'esprit dans lequel vous percevrez tous les êtres vivants comme vos plus intimes objets d'affection et de sollicitude. C'est ainsi que vous reconnaîtrez votre mère en tout être vivant.

Le texte soulève l'objection que si les êtres sensibles vous ont tous servi de mère à un moment ou à un autre, vous devriez vous en souvenir. Il est répondu que cet oubli ne constitue pas une preuve car, même dans cette vie, certains enfants cessent de reconnaître leur mère après quelque temps. Aussi, de même que vous êtes un objet d'amour et d'affection pour votre mère dans cette vie, tous les êtres sensibles devraient l'être pareillement pour vous.

Second point : se remémorer la bonté de tous les êtres

La méditation suivante consiste à se rappeler la bienveillance de tous les êtres. Pour cela, représentez-vous la personne dont vous vous sentez le plus proche que ce soit votre mère ou votre père à un âge avancé. Visualisez la clairement à un moment où elle dépendra de l'assistance des autres. Vous méditerez ainsi avec plus de puissance et d’efficacité.

Ensuite, dites vous que votre mère, par exemple, ne l'a pas été seulement dans cette vie, mais aussi dans vos existences passées. Dans celle ci, notamment, sa bonté a été infinie au moment de votre naissance; auparavant, pendant la grossesse, elle a subi toutes sortes d'épreuves ; et plus tôt encore, elle a renoncé à son propre bonheur et à ses plaisirs pour le bonheur et le plaisir de son enfant. Lorsque vous êtes né, elle s'est réjouie comme si elle avait trouvé un trésor et, selon ses capacités, elle vous a protégé, lavé, accompagné jusqu'à vos premiers pas.

Vous constatez la même bienveillance chez des animaux comme les oiseaux, les chiens, les chats. Observez-les : bien que leur affection ne soit pas aussi durable que celle des humains, les mères prodiguent a leurs petits des trésors d'amour et de tendresse. D'un certain point de vue, leur attitude maternelle est nettement plus désintéressée que celle des humains qui, eux, sont quelque peu motivés par l'espoir d'être plus tard payés de retour.

Il y a des oiseaux, par exemple, qui nourrissent leurs petits en tuant des insectes. Certains se dévouent entièrement à leur nichée ; ils le font tout seuls, sans s'appuyer comme nous sur une communauté. La manière dont ils élèvent leurs petits est vraiment très touchante. Lorsque leurs jeunes sont menaces d'un danger, chat ou vautour, ils vont même, s'il le faut, jusqu'à sacrifier leur vie. Leur attitude est certes fondée sur l'attachement, et cependant témoigne d'une grande bonté ; ce n'est donc pas seulement le dévouement des mères humaines qui est illimité. Celui ci ne porte pas non plus uniquement sur une vie, mais sur de nombreuses existences. Cette forme de réflexion aura un effet très puissant sur votre esprit.

Après avoir réfléchi à la bonté des mères, notamment dans cette vie, représentez vous d'autres êtres que vous trouvez lointains et répugnants, même des animaux, et prenez les pour objets de visualisation. Dites vous que, bien qu'ils soient nuisibles et se comportent en adversaires a présent, dans des existences passées, ils n'ont pas manqué de vous protéger et de sauver votre vie un nombre incalculable de fois. Leur bienveillance est donc illimitée. C'est ainsi qu'il faut entraîner votre esprit.

Troisième point: payer la bonté de retour

La méditation sur la bonté de tous les êtres doit être suivie par une réflexion sur le moyen de leur rendre cette bonté. La pensée de payer de retour le dévouement des mères viendra

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naturellement lorsque vous en aurez retrouvé le souvenir; elle doit venir du plus profond de votre coeur. Ne pas le faire serait injuste et ingrat de votre part. Travaillez donc, selon vos capacités, pour le bien des autres ; C'est le meilleur moyen de les payer de retour.

Quatrième point : l'amour bonté

Lorsque vous aurez développé l'équanimité et la reconnaissance de votre mère en tous les êtres, ceux ci deviendront pour vous des objets d'affection et de tendresse. Plus ce sentiment sera fort, plus sera puissante votre aspiration à les libérer de la souffrance et à les voir heureux. L'image de votre mère en eux est à la base de toutes les méditations qui vont suivre. Après avoir posé la fondation qui convient, retrouvé le souvenir de leur bonté et émis le souhait sincère de les payer de retour, vous atteindrez un état dans lequel tous les êtres vivants vous seront chers car vous vous sentirez très proche d'eux. À présent, réfléchissez au fait que tous ces êtres sensibles, bien qu'ils désirent naturellement le bien-être et souhaitent éviter la souffrance, subissent d'inimaginables tourments. Pensez que, tout comme vous, ils veulent être heureux, mais que ce bonheur leur fait défaut. C'est ainsi que vous cultiverez l'amour bonté.

Cinquième point: la grande compassion

Lorsque vous méditerez sur la compassion, réfléchissez à la manière dont les êtres sensibles subissent l'expérience de la souffrance. Pour décupler votre force de compassion, commencez par visualiser un être en proie à de graves tourments, par exemple, comme le recommande le texte, un animal de boucherie destiné a l'abattage. Imaginez l'état mental de cet être dans une telle situation, puis suscitez en vous le souhait fervent qu'il soit délivré de cette souffrance.

Vous pouvez aussi visualiser d'autres êtres. Les exemples ne manquent pas, quand on voyage en train en Inde de malheureux de toutes sortes, animaux et humains. Imaginez ces créatures qui, malgré une soif de bonheur égale à la vôtre, subissent un malheur patent. De même, les hommes emploient des animaux comme bêtes de somme. Villes et villages sont peuples de bovins que la société indienne interdit de tuer, mais dont personne ne se soucie plus lorsqu'ils sont devenus vieux et inutiles. En Inde, on voit aussi des mendiants aveugles, sourds, muets, infirmes et des miséreux. Au lieu de les aider avec compassion, les gens les évitent ou les chassent, quelquefois même avec des coups. C'est là un spectacle courant dans n'importe quelle gare indienne.

Visualisez ainsi n'importe quelle situation que vous jugez insupportable. Cela vous donnera une grande puissance de compassion qui atteindra plus facilement une dimension universelle.

Puis pensez aux êtres sensibles d'autres catégories : ils ne subissent peut être pas des souffrances manifestes actuellement, mais l'accumulation de leurs actes négatifs produira immanquablement des conséquences indésirables dans l'avenir leur assure de semblables expériences.

Souhaiter le bonheur de tous les êtres sensibles qui en sont privés est ce qu'on nomme amour universel, et le voeu qu'ils soient libérés de la souffrance est appelé compassion. Ces deux méditations peuvent être effectuées ensemble jusqu'à ce que, sous leur effet, un changement se produise dans votre esprit.

Sixième point : l'attitude extraordinaire

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Votre entraînement à l'amour et à la compassion ne doit pas en rester au stade de l'imagination ou du souhait ; il faut faire naître en vous une intention sincère de vous consacrer activement à soulager les êtres sensibles de leurs souffrances et à les rendre heureux. C'est le devoir d'un pratiquant que de se mettre à l'oeuvre dans ce domaine. Plus fort vous cultiverez la compassion, plus vous vous y sentirez tenu. En effet, à cause de leur ignorance, les êtres sensibles ne connaissent pas les méthodes qui leur permettraient d'atteindre leur but. C'est la responsabilité de ceux qui possèdent cette connaissance que de réaliser leur intention d'oeuvrer pour leur bien.

Cet état d'esprit est appelé attitude extraordinaire, ou attitude d'exception. En effet, la force de compassion qui pousse à prendre cette responsabilité ne se trouve pas chez les pratiquants de moindre capacité. Selon le témoignage des traditions orales, cette attitude extraordinaire s'accompagne d'un engagement semblable à la signature d'un contrat.

Lorsque vous aurez suscité en vous l'attitude extraordinaire, demandez vous si, en plus de votre courage et de votre détermination, vous avez réellement la capacité d'apporter un bonheur authentique aux autres êtres sensibles. C'est seulement lorsque vous leur aurez montré la juste voie de l'omniscience et qu'ils auront éliminé l'ignorance qui est en eux qu'un bonheur durable sera a leur portée. Bien que vous puissiez travailler au bien des autres en leur apportant un bien être temporaire, la réalisation des buts ultimes n'est possible que s'ils prennent sur eux de dissiper leur ignorance. Il en va de même pour vous : si vous désirez atteindre la libération, cette responsabilité vous incombe.

Comme je viens de le dire, vous devez aussi montrer la bonne voie aux êtres humains, ce que vous ne pouvez faire sans posséder vous même la connaissance. Il existe différents moyens de l'obtenir; l'un d'entre eux consiste à développer une compréhension intellectuelle, mais la compréhension la plus profonde est fondée sur l’expérience.

L'enseignement que vous allez donner aux autres ne doit pas vous être obscur. Vous devez aussi posséder la sagesse parfaite qui vous permette de juger de sa pertinence et de son opportunité en fonction des dispositions et des aptitudes mentales de chacun. Certaines notions très profondes ne peuvent être livrées à n'importe qui ; elles pourraient se révéler plus nocives que bénéfiques.

Afin d'évaluer les facultés d'autrui, il vous faudra maîtriser toutes les formes subtiles d'obstruction à la connaissance. Le Bouddha en a lui même donné un exemple de son vivant : un propriétaire voulait se faire moine, mais des disciples de haut niveau, tel Sariputra, ne lui reconnaissaient pas un potentiel de vertu suffisant pour mériter l'ordination. Seul le Bouddha, par la force de son omniscience, distingua ce potentiel en lui. Par conséquent, tant que vous même ne serez pas complètement illuminé, il restera en vous une obstruction intérieure à la connaissance qui rendra incomplète votre tâche d'assistance aux autres.

Vous vous direz peut être, puisque la réalisation des souhaits et du bien être des autres êtres sensibles dépend de leur propre initiative: « Qu'aurais je besoin de travailler à atteindre l'illumination ? Apres tout, de nombreux bouddhas sont là pour les aider, à condition qu'ils fassent le premier pas. »

Cependant, pour bénéficier de l'assistance d'un guide spirituel ou d'un enseignant, il faut avoir des liens karmiques avec lui. Ainsi, certains maîtres ne peuvent être efficaces qu'envers certains de leurs disciples. Pour bien comprendre cela, lisez des sûtras comme La Perfection

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de la sagesse en huit mille lignes, dans lequel les bouddhas et bodhisattvas, ayant perçu qu'un pratiquant avait ailleurs un lien karmique plus fort, lui conseillent de chercher son propre maître. Ainsi certains, capables de voir un bouddha de leurs propres yeux, en tireront peut être moins de profit que d'une relation avec vous, sous tendue par un lien karmique plus profond. Puisque ce cycle d'existences n'a pas de commencement, il en va de même des liens karmiques; néanmoins, je fais allusion ici à de puissants liens karmiques, formés dans des vies récentes.

Même si votre réalisation de l'état d'omniscience ne bénéficie pas à tous les êtres vivants, elle procurera sans aucun doute de nombreux avantages pratiques à certains d'entre eux. Il est donc très important que vous vous efforciez d'atteindre l'illumination totale. Certains êtres humains auront grand besoin de votre aide sur la voie spirituelle et il est essentiel que vous preniez la responsabilité de travailler au bien d'autrui. Cette pensée développera en vous la certitude que, faute d'atteindre l'omniscience, vous ne serez pas à même d'accomplir le but que vous vous êtes fixé et de faire véritablement le bien d'autrui.

Septième point : la bodhicitta

Sur la base de l'amour et de la compassion, vous susciterez au plus profond de votre coeur l'aspiration d'atteindre l'état de complète illumination pour le bien de tous les êtres sensibles. Cultiver cet esprit revient a réaliser la bodhicitta.

Après la méditation sur la production de la bodhicitta, engagez vous dans la pratique consistant à la cultiver comme résultat du chemin. Visualisez votre maître spirituel au dessus de votre tête et imaginez qu'il exprime le contentement, louant votre effort et déclarant qu'il prendra soin de vous. Imaginez que, satisfait, il se dissolve a travers votre ouverture coronale et descende jusqu'à votre coeur. Vous vous dissolvez alors dans la vacuité, d'où vous réapparaissez sous l'aspect du Bouddha Shâkyamuni. Vous vous voyez comme inséparable de lui et vous vous en réjouissez. Représentez vous toutes les vertus accumulées par la pratique de la bodhicitta jaillissant de votre coeur sous forme de rayons de lumière; elles inondent tous les êtres humains, contribuent activement à leur bien, apaisent leurs souffrances, leur procurant la libération et une renaissance favorable et les menant finalement à l'omniscience.

Pendant les périodes de pause entre les séances, il est recommandé de lire des textes relatifs a la pratique de la bodhicitta.

Ainsi s’achève le processus de développement de la bodhicitta selon la méthode de cause a effet en sept points.

La méthode d’égalité et d’échange avec les autres

Conseils de méditation pour vivre le bouddhisme

par Sa Sainteté le Dalaï-lama

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Les instructions suivantes concernent la production de la bodhicitta selon la méthode d'égalité et d'échange avec les autres. Cette méditation comprend cinq parties:

1) l'égalité avec les autres ;2) la réflexion sur les inconvénients d'une attitude égocentrique selon divers points de vue;3) la réflexion sur les avantages d'une pensée tournée vers le bien d'autrui selon divers points de vue;4) l'échange avec les autres ;5) le don et la prise en charge.

La mise a égalité avec les autres

Cette pratique consiste à réfléchir au fait que l'on est égal à autrui devant le désir naturel et spontané de jouir du bonheur et d'éviter la souffrance. Pour susciter cette sorte d'équanimité, la méthode de méditation en neuf points de feu Kyabje Trijang Rinpoché est extrêmement puissante et efficace.

Méditation sur l'équanimité La méditation en neuf points forme l'esprit à l'équanimité dans une perspective fondée sur la nature dualiste, conventionnelle et fondamentale, des phénomènes. Le premier point est divisé en deux sections ou perspectives : le point de vue des autres et le sien propre.

La série de visualisations Portant sur l'équanimité du point de vue des autres est divisée en trois thèmes de réflexion :

a) Tous les êtres sensibles sont égaux en ce qu'ils souhaitent naturellement éviter la souffrance, il n'y a donc aucune raison d'avoir une attitude partiale ou discriminatoire envers eux.

b) Tous les êtres sensibles désirent le bonheur, il n'y a donc aucune raison, en travaillant pour leur bien, d'établir des distinctions entre eux. Si vous rencontrez dix mendiants également misérables qui vous demandent désespérément à manger, vous n'allez pas marquer de préférence.

c) Tous les êtres sensibles sont égaux en ce sens qu'ils ne connaissent pas de vrai bonheur, en dépit de leur désir inné de l'obtenir. De même, tous sont semblables par leur souffrance et leur désir de l'éviter. Si dix patients souffrent de la même maladie grave, le médecin ne fera pas de différence dans leur traitement. Il n'y a pas de justification morale à manifester des préférences en aidant les autres a se soulager de leurs misères.

À l'aide de ces trois pratiques, vous entraînerez votre esprit à l'attitude suivante : « Je n'établirai jamais de distinctions entre les êtres et m'efforcerai toujours de les aider équitablement à surmonter la souffrance et a atteindre le bonheur. »

Les trois méditations suivantes sont destinées à renforcer la pensée qu'une différenciation entre les êtres sensibles n'est justifiable ni de votre point de vue, ni de celui des autres. Cette pratique est divisée en trois points:

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a) Si la réflexion sur l'égalité des autres démontre de façon assez convaincante la futilité d'une attitude discriminatoire, votre situation personnelle peut vous paraître quelque peu différente. Après tout, certains sont vos amis et vous aident, tandis que d'autres vous font du mal. Pour contrecarrer ce raisonnement fallacieux qui cautionne la partialité envers les autres, dites vous que tous les êtres sensibles sont également bons envers vous puisqu'ils ont tous, à un moment ou à un autre, été des amis très chers ou de proches parents. Il n'y a donc aucune raison de préjuger favorablement ou défavorablement de quiconque.

b) Peut être avez vous à l'idée que, même s'ils ont été vos amis dans le passé, ils ont également été vos ennemis. Or, la bonté des êtres sensibles envers vous ne se limite pas aux périodes où ils sont vos amis ou vos parents ; même en tant qu'ennemis, leur bonté est illimitée car ils vous donnent l'occasion de cultiver les nobles idéaux de la patience et de la tolérance, essentiels pour promouvoir la compassion universelle et la bodhicitta. Pour un bodhisattva, l'entraînement à la patience est indispensable. Un tel raisonnement vous persuadera qu'il n'y a aucune raison de négliger le bien être d'un seul être sensible.

c) Comme Shantideva l'écrit dans le Bodhisattvacaryavatara, il est absurde qu'un être soumis à la souffrance et à l'impermanence établisse des discriminations égoïstes entre d'autres êtres tourmentés par le même destin. Pourquoi dix condamnés à mort se disputeraient ils entre eux quand leurs jours sont également comptés?

Les trois méditations suivantes constituent un travail sur l’équanimité fondé sur la nature absolue des choses et des événements. (Cet « absolu » ne fait pas référence à la vérité absolue en terme de vacuité; il signifie que la perspective adoptée dans ces visualisations est plus profonde, et donc relativement absolue par rapport à celle des méditations précédentes.)

a) Demandez vous s'il existe de véritables ennemis au sens propre du terme. Les bouddhas pleinement illuminés devraient alors les percevoir comme tels, mais ce n'est absolument pas le cas. Pour un bouddha, tous les êtres sensibles sont également précieux. Or, une réflexion approfondie vous fera découvrir que ce sont en fait les illusions des ennemis et non les ennemis eux mêmes qui sont coupables de tout le mal. Âryadeva dit dans son Chatu shataka Shastra :

Pour les bouddhas, l'illusion est l'ennemiEt non les êtres puérils qui en sont le siège.

Par conséquent, rien ne justifie que vous éprouviez de la rancune envers ceux qui vous font du mal et que vous négligiez leur bien être.

b) En deuxième lieu, demandez vous si ces prétendus ennemis le sont pour toujours ou s'ils peuvent changer. En concluant qu'ils ne sont pas permanents, vous surmonterez votre désintérêt pour leur bonheur.

c) La dernière méditation est une réflexion sur la nature relative des concepts d'ennemi et d'ami, et aborde la nature absolue des phénomènes. Ces notions sont en effet relatives et n'existent qu'au niveau conventionnel. Elles sont mutuellement dépendantes, de même que les concepts de long et de court. Une même personne peut être à la fois l'ennemi de l'un et l'ami très cher de l'autre. C'est votre perception erronée des amis, parents et ennemis comme existant de manière intrinsèque qui fait naître en vous des émotions conflictuelles envers eux.

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En comprenant qu'amis et ennemis n'existent pas intrinsèquement, vous dominerez vos préjugés envers tous les êtres.

Ces techniques sont très efficaces pour transformer l'esprit. Ces méthodes de visualisation vous amèneront à cultiver l'équanimité. En résumé, méditez sur cette stance du yoga du maître de Lama Chöpa, qui illustre ce thème:

Comme personne ne désire la moindre souffranceEt n'a jamais assez de bonheur,Il n'y a pas de différence entre moi et les autresAlors, accordez moi de me réjouir du bonheur d'autrui.

Les meilleures méthodes d'entraînement de l'esprit par l'égalité et l'échange avec les autres se trouvent dans le Bodhisattvacaryavatara. Ce texte notamment le chapitre VI sur la patience domine de loin tous les écrits traitant des pratiques de transformation de la pensée.

Lorsque vous verrez de la bonté dans vos ennemis, vous aurez surmonté un grand obstacle a votre contribution au bien d'autrui. Ce qui constitue d'ordinaire une pierre d'achoppement dans tout cheminement spirituel la notion d'ennemi , vous sera favorable et donnera même une impulsion a votre pratique. Les critères de jugement jouent en effet un rôle considérable. La méthode d'entraînement a l'esprit d’égalité est expliqué au chapitre VIII du Bodhisattvacaryavatara, consacre a la concentration, et doit être pratiquée séparément.

La réflexion sur les inconvénients de l'attitude égocentrique

L'étape suivante porte sur la réflexion selon différentes perspectives sur les inconvénients et les défauts de l'attitude égocentrique. Comme le dit Geshe Chekawa dans son Lojong dhon dun ma (Sept Points sur la transformation de la pensée) : « Bannissez l'unique objet de tout blâme. » C'est l'attitude égocentrique qui est à la source de toutes les misères ; quels que soient nos malheurs, c'est donc la seule a blâmer. Notre suffisance naturelle nous fait habituellement accuser les autres de nos ennuis ou de nos peines. Mais nous avons beau rejeter la responsabilité sur les autres, le fait est que nos déboires sont dus au corps que nous avons revêtu et qui est le produit contaminé d'actions et d'illusions négatives. Ce corps nous est échu a cause de notre attachement au moi. C'est donc l'amour de soi même et l'attachement obstine a l'égo qui sont à l'origine de toutes ces souffrances indésirables.

Cette attitude égocentrique étant fortement ancrée dans notre esprit, nous n'avons jamais pu l'en déloger, ni même la perturber, fût elle comme un gravier dans une chaussure.

Si nous nous obstinons dans notre mode de pensée actuel, nous resterons sous l'influence et la domination de ces deux défauts. N'oublions pas qu'ils ont toujours cause notre perte dans le passé et qu'ils continueront à le faire si nous restons sous leur influence.

En fait, tous les problèmes, souffrances et angoisses dus a nos vaines quêtes, à la séparation d'avec l'être aimé, aux maladies, à la souffrance du désir, a l'insatisfaction, aux conflits, proviennent de l'attachement sous-jacent au moi et de l'attitude égocentrique par laquelle on cherche à se protéger. Plus une personne est égoïste, plus elle subit de souffrances et d'angoisses.

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Cependant, nous ne le reconnaissons jamais. Nous préférons blâmer les autres et les circonstances : « C'est sa faute, s'il avait agi autrement, cela ne serait pas arrivé. »

Même a l'échelle du globe, les causes réelles de deux guerres mondiales et de la violence dont l'histoire humaine est saturée, en dernière analyse, sont bien l'attitude égocentrique et l'attachement au moi. Il en est de même de tous les troubles et conflits de l'époque actuelle.

Il n'est pas jusqu'aux problèmes familiaux et sociaux qui ne soient dus a l’égoïsme. Par exemple, lors d'un différend entre deux personnes, chacun sera persuadé d'avoir raison ; si aucun des deux ne veut reconnaître son erreur, un échange de coups peut même s'ensuivre. Or, qu'une des deux parties accepte d'admettre ses torts et la dispute cessera à l'instant même, tel un pneu qui se dégonfle. Ainsi, c'est l’égoïsme qui nous fait croire que nous avons bien agi, mais que les autres n'en ont pas fait autant. Une stance du Lama Chôpa résume cela en ces termes:

L'égocentrisme, cette maladie chronique,Est la cause de souffrances non désiréesPuisse cette prise de conscience m'inspirer Le blâme, le rejet et la destructionDe ce démon qu'est l'amour de soi même.

La réflexion sur les avantages d'une pensée tournée vers le bien d'autrui

A présent que vous avez pris conscience des énormes inconvénients liés au souci égoïste de votre seul bien-être, réfléchissez à la bonté de tous les êtres sensibles qui ont été vos mères, comme nous l'avons vu plus haut. En effet, la bienveillance des autres êtres à notre égard, dans cette ronde des existences, est infinie. C'est particulièrement vrai lorsque nous nous engageons sur la voie de la spiritualité et dénouons peu a peu les chaînes qui nous lient à cette existence cyclique. Prenons l'exemple de notre vie présente et de notre subsistance au sein de la communauté humaine. À notre époque, le développement économique est considèré comme l'une des conditions essentielles du bonheur et, dit on, il ne peut être atteint qu'avec la collaboration des autres. Deux nations iront jusqu'à fermer les yeux sur d'éventuelles dissensions politiques si elles peuvent réaliser ensemble un profit économique quelconque.

Même des personnes totalement anti religieuses admettent que le bien être des masses est plus important que celui de l'individu. Si la communauté est florissante, l'individu en tirera profit; à l'inverse, que la communauté fasse faillite et, tôt ou tard, ses membres, même prospères, en subiront le contrecoup. Aussi, lorsque nous travaillons au bien du plus grand nombre, la réalisation de nos buts personnels en découle indirectement, tandis que si nos propres projets seuls nous importent, ils sont voués à l’échec. Ce n'est pas une question de religion, mais un simple fait de vie.

D'autre part, celui qui ne vit que pour lui même, sans souci du bien être des autres, aura peu d'amis et sera l'objet de peu d'attention. Au moment de sa mort, peu regretteront son départ. Certains êtres faux et malfaisants, mais puissants et fortunés, ont de prétendus amis intéressés qui médisent d'eux par derrière et, à leur mort, se réjouiront de leur disparition.

À l'inverse, beaucoup portent le deuil d'une personne bonne, généreuse et soucieuse du bien d'autrui. L'altruisme, de même que celui qui le pratique, est un motif d’amitié et un objet de vénération et de respect.

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Je le fais souvent remarquer, un peu en guise de plaisanterie: tant qu'à être réellement égoïste, mieux vaut pratiquer un « égoïsme avisé » et travailler pour les autres. On recevra aide et assistance en retour, notamment dans les situations où l'on en a le plus besoin, tandis qu'un égoïste, dans l'adversité, se retrouvera seul. C'est la nature de l'être humain que de dépendre de la coopération et de l'assistance des autres, notamment aux heures sombres ; dans les épreuves, seuls les vrais amis vous entoureront. Une vie tournée vers les autres vous fera gagner des amitiés sincères tandis que l'égocentrisme ne vous vaudra jamais de vrais amis.

L'essence de la pratique du Mahayâna consiste a nous enseigner les véritables moyens de réussir non seulement dans cette vie, mais aussi dans le futur. Cet enseignement, de nature très pratique, convient à tous croyants et non-croyants. Si nous pouvons tirer de cette vie des bénéfices concrets en pratiquant la vertu, nous serons également capables d'accomplir les souhaits de nos vies futures.

Comme le dit le grand bodhisattva Shantideva dans son Bodhisattvacaryavatara, point n'est besoin de vanter longuement les avantages de la pensée altruiste opposés aux défauts de l'attitude inverse. Il suffit de nous comparer avec les bouddhas, qui ont choisi l'amour d'autrui, pour mesurer les inconvénients et les avantages des deux états d'esprit.

L'assertion selon laquelle le Bouddha est très précieux et exceptionnel ne fait pas exclusivement allusion a ses nobles marques majeures et mineures ; en fait, elle se réfère plutôt à la plénitude de sa compassion. Puisque cette vertu est une source véritable de bienfaits et de bonheur, celui qui l'a totalement développée en soi est digne d'admiration et de respect.

Le Bodhisattvacaryavatara stipule:

Si je n'échange pas mon bonheurContre la souffrance d'autrui,Je n'atteindrai pas l'état de bouddhaEt n'aurai même pas de joie dans l'existence cyclique.

Dans la même veine, Lama Chôpa déclare:

Me chérir moi même est la porte ouverte a tous les échecs,Chérir mes mères la base de tous les succès.Inspirez moi pour que le coeur de ma pratiqueSoit l'échange de moi même contre les autres.

La motivation originelle de Karl Marx fondateur de la philosophie qui est a la base du système chinois était dans une large mesure positive : il s'agissait de travailler au bien des masses. L'erreur fut que sa mise en pratique reposait sur le ressentiment et la confrontation sur fond de lutte des classes. Les révolutionnaires ne mirent pas l'accent sur la pratique de l'altruisme. Comme leur approche était fondée sur le conflit et attisait la haine entre les classes, ils finirent par fabriquer beaucoup de pauvres au lieu de réaliser leur projet initial. C'est un très bon exemple de la manière dont la haine engendre la souffrance.

Les écritures bouddhistes insistent sur la lutte contre les attitudes égoïstes et sur la promotion du souci d'autrui ; c'est la vraie source de bonheur et les pays socialistes devraient y puiser pour atteindre leur but. La réflexion sur les inconvénients de l'égocentrisme et les avantages

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de la pensée altruiste est la véritable essence des enseignements sur la transformation de la pensée. Fort de cette conviction, on entreprendra ensuite la pratique de l'échange de soi même avec les autres.

L’échange de soi même avec les autres

S'échanger avec les autres consiste à inverser son attitude d'amour de soi et d'indifférence à autrui. Il faut donc devenir indifférent à soi même et relâcher son attachement au moi pour donner la priorité au bien être des autres êtres sensibles. C'est là le sens de cet échange.

Pour cela, il faut bien connaître les engagements et préceptes des pratiques de l'entraînement mental. Grâce a eux, on sera capable de transformer toute circonstance adverse en condition favorable sur la voie. Dans notre époque de dégénérescence, où problèmes et obstacles sont légion, la pratique de l'entraînement mental est très efficace. Sans elle, même un très sérieux méditant sera à la merci de maintes épreuves.

Le don et la prise en charge

La pratique de l'échange de soi même avec les autres doit être suivie par celle où on donne et on prend. Cette réflexion s'amorce ainsi : les êtres sensibles ont beau désirer le bonheur, il leur fait défaut, et ils ont beau fuir la souffrance, ils la subissent. Dites vous bien que c'est l'ignorance qui les incite a travailler a la réalisation égoïste de leurs projets.

Vous devrez alors développer l'attitude extraordinaire en formant le souhait que toutes leurs souffrances mûrissent en vous. Cette méditation, qui consiste a prendre et a donner, est puissamment exprimée comme suit dans le Lama Chôpa:

Aussi, Ô maîtres vénérables et compatissants,Inspirez moi pour que tous les obscurcissements et souffrances karmiques des êtres sensibles, mes mères,Mûrissent en moi maintenant.Puissé je, en retour, donner aux autres mon bonheur et mes mérites Afin que tous les êtres jouissent de la félicité.

Le grand maître Nâgârjuna dit de même dans son Ratnavali (Précieuse Guirlande):

Puissent leurs fruits négatifs mûrir en moi Et mes fruits positifs en eux.

Poussé par un puissant sentiment de compassion pour les autres êtres sensibles, visualisez vous prenant sur vous toutes leurs souffrances ; puis, mû par un grand sentiment d'amour, représentez vous leur offrant, du plus profond de votre coeur, toutes vos accumulations vertueuses, bonheur, richesses, possessions, et jusqu'à votre corps.

Formez le voeu que tous les êtres sensibles bénéficient des conséquences désirables de vos accumulations de vertu: que ceux qui souhaitent une renaissance favorable l'obtiennent, que ceux qui désirent des possessions matérielles les acquièrent. Imaginez que vos mérites se transforment en l'objet de leur désir.

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La pratique du don peut même être adressée à votre maître spirituel: vous pouvez lui offrir vos accumulations vertueuses afin qu'il vive longtemps et puisse travailler davantage au bien des autres. En revanche, la pratique inverse ne peut s'appliquer qu'à ceux qui n'ont pas atteint la forme d'illumination la plus élevée. Quant aux bodhisattvas des plus hauts niveaux, imaginez que vous prenez sur vous les obstacles à la connaissance qu'ils ont encore en eux.

Dans la pratique de prise en charge, ainsi que l'expliquent a la fois le Bodhisattvacaryavatara et le texte sur la transformation de la pensée, commencez par imaginer que vous vous chargez dès maintenant de vos propres souffrances futures. Vous appliquerez peu à peu le processus aux souffrances des autres.

Chekawa écrit dans son Lojong dhon dun ma (Sept Points sur l'entraînement mental) :

Pratiquez en association Les actes de donner et de prendre.Commencez la prise en charge par vous même,Et placez les deux à cheval sur le souffle.

Si vous pouvez en effet superposer ces pratiques au mouvement de la respiration c'est à dire prendre en inspirant et donner en expirant , votre pratique sera puissante et débouchera sur le ferme engagement de vous impliquer dans les actes du bodhisattva. Si vous en êtes capable, grâce à la forte détermination et à l'engagement que vous inspire la bodhicitta, vous atténuerez les effets des nombreux actes négatifs commis dans vos vies passées et accumulerez de grandes réserves de mérites.

Voilà comment vous devrez entraîner votre esprit à cultiver la bodhicitta à travers la méthode de l'égalité et de l'échange. Lorsque vous serez parvenu à une pratique aussi exhaustive, que tous les êtres sensibles aient été ou non votre mère ne fera pas une grosse différence. Leur tendance naturelle à désirer le bonheur et éviter la souffrance vous sera un motif suffisant. D'ailleurs, la bonté des êtres n'est pas limitée au domaine maternel ; elle se manifeste aussi quand ils étaient vos ennemis et vous incitaient à pratiquer la patience. Qui plus est, leur bienveillance n'est pas réservée aux circonstances ordinaires, mais vous accompagne également sur la voie spirituelle jusque dans l'état qui en résultera. C'est seulement garce à l'existence d'autrui que les bouddhas peuvent effectuer un travail bénéfique et s'engager dans leurs nobles activités.

Puisque vous êtes égal aux autres par votre désir inné du bonheur, qui est un droit naturel, la seule différence est quantitative. Votre bien être ne concerne que vous seul ; celui des autres implique une infinité d'êtres. Naturellement, leur bonheur est beaucoup plus important que le vôtre. À moyens de susciter la bodhicitta la méthode de cause a effet en sept points et celle de l’égalité et de l'échange peuvent aussi être d'une grande efficacité en association. Cette pratique combinée, qui sera entreprise une fois instaurée une base mentale d’équanimité, s'effectuera dans cet ordre: 1) reconnaître que tous les êtres ont été notre mère ; 2) se remémorer leur bonté ; 3) avoir un souvenir extraordinaire de leur bonté ; 4) avoir la pensée de la payer de retour; 5) développer l'amour bonté ; 6) se mettre sur un plan d’égalité avec les autres ; 7) réfléchir aux inconvénients de l'attitude égocentrique ; 8) réfléchir aux avantages d'une pensée tournée vers le bien d'autrui ; 9) accomplir l'échange ; 10) prendre en se concentrant sur l'aspiration à la compassion ; 11) donner, en se concentrant sur l'aspiration à l'amour; 12) développer l'attitude extraordinaire ; et, le point culminant, 13) réaliser la bodhicitta, l'intention altruiste d'atteindre l'illumination pour le bien de tous.

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Grâce aux instructions du Bodhisattvacaryavatara, vous serez en mesure de progresser graduellement jusqu'à vous rapprocher des autres êtres sensibles et vous éloigner de l'attitude égocentrique et de ses préoccupations égoïstes ; vous accroîtrez ainsi le pouvoir et l'ampleur de l'altruisme en vous. C'est ainsi que vous devez procéder dans la pratique d'acquisition de la bodhicitta.