Top Banner
DOMITIA revue du Centre de Recherches Historiques sur les sociétés méditerranéennes n o 12 2011 CRHiSM Université de Perpignan Via Domitia
24

L'architecture des expositions universelles

Jan 21, 2023

Download

Documents

Silvia Albizuri
Welcome message from author
This document is posted to help you gain knowledge. Please leave a comment to let me know what you think about it! Share it to your friends and learn new things together.
Transcript
Page 1: L'architecture des expositions universelles

DomiTia

revue du Centre de Recherches Historiques sur les sociétés méditerranéennes

no 12 2011

CRHiSmUniversité de Perpignan Via Domitia

Page 2: L'architecture des expositions universelles

Domitia est la revue du Centre de Recherches Historiques sur les Sociétés méditerranéennes, Ea 2984

Elle est publiée avec le soutien de Département d’Histoire, du Département d’Histoire des arts et archéologie,

des Presses Universitaires de Perpignan, du Conseil Général des P.-o.

& avec la collaboration de l’association archéologique des Pyrénées-orientales.

Les articles (sous forme de fichier attaché Word), et les ouvrages pour recension doivent être adressés à la rédaction.

Comité de Lecture :antiquité, archéologie : martin Galinier, Georges Castellvi, Cécile Jubier, michel Roux ;

moyen âge : marie-Claude marandet, aymat Catafau, marie-Pasquines Subes ; époque moderne : Patrice Poujade, Julien Lugand ;

époque contemporaine : Jean-marcel Goger, Nicolas marty, Esteban Castañer muñoz, andré Balent.

Secrétariat de la revue : aymat Catafau

Direction de la revue : Nicolas marty, directeur du CRHiSm

Correspondance : Revue Domitia

Département d’Histoire Université de Perpignan - Via Domitia 66860 Perpignan CedexTel : 04 68 66 22 67 [email protected]

abonnement : 20 €, deux numéros La revue accepte et souhaite les échanges : prendre contact avec la rédaction.

©PUP 2011 ISSN : 1631-2678 / ISBN 978-2-35412-138-9

Page 3: L'architecture des expositions universelles

Table des matières

L’évolution de l’habitat pyrénéen durant les époques médiévale et moderne

Présentation / Presentación..............................................................................................................................5/13Álvaro Aragón Ruano et Aymat Catafau

La evolución del hábitat y el poblamiento en el País Vasco durante las Edades media y moderna .................. 21Álvaro Aragón Ruano

Propuesta de trabajo cartográfico para el estudio del espacio histórico pirenaico .............................................. 53Mercedes Goñi Ares de Parga y Eloisa RamÍrez Vaquero

Petites, nombreuses, isolées ? Les églises des vallées pyrénéennes. La spécificité du rôle de l’église dans la structuration du peuplement des montagnes, vallées et piémonts pyrénéens ........................................ 73Aymat Catafau

Parroquia, hábitat y comunidad en Guipúzcoa. Una propuesta para el estudio de sus relaciones entre los siglos Xiii y XV ................................................................................................................................... 89Iosu Etxezarraga Ortuondo

L’inscription du « système maison » dans l’espace et son évolution, l’exemple de l’etxe souletine (pays de Soule, Pyrénées atlantiques) ................................................................. 113Pascal Palu

Histoire et histoire de l’art

L’influence de l’élevage dans l’organisation du paysage du village de Culla (XVe-XViie siecles) ................... 123Vicent Royo Pérez

autour d’une représentation du mahométan sur quelques anciens buffets d’orgues catalans (XVe-XViie siècles) ................................................................. 143Louis Ausseil

La représentation de l’immaculée Conception en Roussillon à l’époque moderne ......................................... 153Jean-Luc Antoniazzi

La crucifixion sous le pinceau ........................................................................................................................... 165Lætitia Canal-Cologni

« Séduction, intimidation, corruption » et antisémitisme : l’élection de 1863 dans les Pyrénées-orientales .. 183Helen M Davies

L’architecture des expositions universelles, miroir de la diversité stylistique du XiXe siècle ........................... 195Joan Molet i Petit

Comptes-rendus d’ouvrages .............................................................................................................................. 219

Page 4: L'architecture des expositions universelles

L’évolution de l’habitat pyrénéen durant les époques médiévale et moderneet

Recherches sur le Roussillon, en histoire et histoire de l’art

Le présent numéro de Domitia comprend deux parties distinctes :

- D’une part, on y trouvera réunies six contributions inédites prononcées en novembre 2008 au Congrès du groupe RESoPYR à San Sebastian, et qui restaient à publier. Elles s’inscrivent parfaitement dans les perspec-tives de recherche du CRHiSm, qui, pour être « méditerranéen » n’en oublie pas de regarder toujours au sud, vers les monts et au-delà de la frontière. ainsi du Pays Basque à la Catalogne et sur les deux versants des Pyrénées s’offrent à nous des visions de synthèse ou des études de cas plus détaillées sur les rapports entre le peuplement, la montagne et les activités des communautés montagnardes, depuis la fin de l’antiquité jusqu’à l’aube de l’époque contemporaine.

- Par ailleurs, ce numéro est aussi le reflet des activités des chercheurs membres, rattachés ou associés au CRHiSm. Un jeune chercheur invité de l’Université de Valencia se penche sur les rapports entre élevage, habitat, et structu-ration des territoires dans un finage villageois de la montagne valencienne, des travaux d’histoire de l’art abordent la question de la représentation caricaturale du musulman à l’époque moderne sur les rivages méditerranéens de la Catalogne, et de la Crucifixion, dans une géographie plus ample, où nous retrouvons cependant certaines des œuvres les plus célèbres du Roussillon, le Dévot-Christ de Perpignan ou les tableaux de Vivès. Les architectures des grandes expositions universelles de la deuxième moitié du XiXe siècle offrent un témoignage original sur les évolutions artistiques de leur époque, et l’histoire politique roussillonnaise est mise en perspective dans un cadre national à travers la campagne électorale de Pereire dans les Pyrénées-orientales sous le Second Empire, par une historienne australienne...

En vous souhaitant bonne lecture,

Le secrétariat éditorial de Domitia

Le présent numéro de Domitia a été achevé et mis en forme pendant la maladie de notre collègue Bernard Philippe. Durant ces quelques semaines de combat, nous l’avons souvent rencontré, devant le bureau où se fait la revue, courageux, souriant, optimiste, toujours dévoué à ses tâches d’enseignement et de recherche. Sa mort, le 22 mai 2011, nous a privés d’un ami dont la curiosité, la simplicité, l’attention aux autres et l’intégrité morale, si nécessaires et si rares, nous manqueront, personnellement, et manqueront à notre Université. Nous voudrions dédier ce Domitia à sa mémoire.

Page 5: L'architecture des expositions universelles

Domitia, no 12, 2011, p. 195 - 214

L’ARCHItECtuRE DES ExPOSItIOnS unIVERSELLES, MIROIR DE LA DIVERSIté

StyLIStIquE Du xIxe SIèCLE

Joan MOLET i PETIT

Les expositions universelles sont devenues un élément parfaitement révélateur de la société du XiXe siècle. Ces événements exprimaient physiquement le progrès du siècle en montrant les nouveautés scientifiques, techniques et même sociales

des nations du monde. on pouvait y voir et expérimenter des inventions comme le télé-phone, la machine à coudre, l’automobile, de même que les grandes machines pour l’in-dustrie et pour la guerre. on pouvait y voir aussi tous les produits agricoles et industriels d’occident ainsi que les produits artisanaux en provenance d’orient et des colonies. De plus, les expositions offraient la possibilité d’assister aux congrès et conférences sur la science et les problèmes sociaux, de se former en écoutant des concerts et en visitant des expositions de beaux-arts ou encore de s’amuser en visitant les parcs d’attractions installés dans leurs enceintes. Naturellement, on avait besoin de bâtiments pour abriter toutes ces activités, et puisque chaque année les nouvelles machines étaient plus grandes et qu’il y avait plus de pro-duits à montrer, les pavillons devaient toujours être plus grands et plus spectaculaires pour attirer un plus grand nombre de visiteurs. C’est pour cela qu’on peut qualifier les expositions universelles de vrai moteur de l’architecture et du génie civil de la deuxième moitié du XiXe siècle.Dans cet article nous n’aborderons pas les progrès des techniques de construction favo-risés par les expositions universelles, mais l’influence des principales tendances archi-tecturales du XiXe siècle sur ces bâtiments typiquement industriels1. Les expositions universelles étaient la vitrine des nations exposantes, mais surtout celle du pays orga-nisateur, car l’architecture de l’enceinte démontrait au monde entier le niveau de sa « culture architecturale ». C’est pourquoi la plupart de ces grandes structures d’ingénie-rie furent entourées par des façades d’aspect traditionnel. 1 - Pour un bon résumé de l’évolution des structures métalliques des expositions universelles voir Lemoine, B., « Les expositions universelles » dans L’architecture du fer. France XiXe siècle, Seyssel, éditions Champ Vallon, 1986, p. 219-237.

Joan Molet i Petit, Maître de conférences, Département d’Histoire de l’Art, Université de Barcelone.

Page 6: L'architecture des expositions universelles

L’architecture des expositions universelles...196 Domitia 12 - 2011

LES PREMIERS PAVILLOnS

La première exposition universelle a été réalisée en 1851 à Londres, où la « Société pour l’avancement des arts, des manufactures et du Commerce de Grande Bretagne » avait déjà organisé la première exposition industrielle en 1756. À Paris furent organisées de premières expositions industrielles pendant le Directoire : en 1798 François de Neuf-château, ministre de l’intérieur, avait décidé de commémorer le dixième anniversaire de la République par une « Exposition publique des produits de l’industrie française » dont le but était de démontrer aux monarchies européennes, et spécialement à la monarchie anglaise, que la richesse d’un peuple était la conséquence de sa liberté2. il avait d’abord prévu d’organiser des expositions annuelles, mais à cause de l’instabilité politique et des guerres, seules onze expositions eurent lieu entre 1798 et 1849.L’architecture de ces expositions nationales était très simple. Jusqu’en 1827 on avait bâti simplement des arcades ou des galeries en bois, placées chaque fois en différents endroits de la ville de Paris : le Champ de mars, les Champs-élysées, la place de la Concorde ou la cour carrée du Palais du Louvre. À partir de 1834 on construisit de petits pavillons rec-tangulaires, toujours en bois, qui évoquaient l’addition de galeries, quatre ou plus, autour d’une cour centrale. Selon les gravures conservées, ces bâtiments avaient des façades très simples et toujours sous l’influence du néoclassicisme, le style officiel de l’académie3.

L’EStHétIquE Du fER

au moment de l’organisation de l’exposition industrielle de 1849 à Paris, on envisagea d’inviter d’autres nations à exposer leurs produits, c’est-à-dire que l’on pensait déjà à une exposition vraiment universelle. mais, après la révolution de 1848, on craignait que l’arrivée d’étrangers puisse produire de nouveaux troubles. Par ailleurs, les chambres de commerce françaises se sont méfiées de l’arrivée des produits étrangers. Pour cet ensemble de raisons, en 1849 fut organisée une autre exposition industrielle nationale. Néanmoins les anglais ont trouvé cet idée très intéressante car, dans le cadre d’une exposition des produits de toutes les nations, ils pourraient démontrer leur supériorité industrielle : la première exposition vraiment universelle eut enfin lieu à Londres en 18514. Pour cette exposition on avait prévu la construction d’un seul bâtiment accueillant tous les produits industriels du monde, et aussi les machines qui les avaient produits. Le lauréat du concours d’architecture convoqué par les organisateur fut le Français Hector Horeau, mais son projet fut en fin de compte refusé parce qu’il n’était pas possible de récupérer les matériaux employés après l’exposition5. La commission des travaux de l’exposition décida alors d’élaborer un projet de base6 et de lancer un appel d’offres aux entrepreneurs, qui avaient le droit d’introduire des modifications. L’entreprise Fox & Henderson obtint la commande et elle s’associa à Joseph Paxton dont le projet avait été refusé parce qu’il avait été présenté trop tard. ainsi on put enfin construire le « Crystal Palace » de Paxton, très différent du projet de base, mais présenté comme une modification7.

2 - aimone, L., olmo, C., Les expositions universelles, 1851-1900, Paris, Belin, 1993, p. 14.3 - Exposition universelle internationale de 1889 à Paris. Rapport Général, tome premier, Historique des expo-sitions universelles. Préliminaires de l’Exposition universelle de 1889, Paris, imprimerie Nationale, 1891, p. 3-102.4 - Pinot de Villechenon, F., Les expositions universelles, Paris, PUF, 1992, p. 23.5 - Ce projet a été publié dans L’illustration, janvier-février 1851, p. 220.6 - L’« original Desing » a été publié dans l ’illustrated London News, le 22 juin 1850.7 - allwood, J., The Great Exhibitions, London, Studio Vista, 1977, p. 15-18.

Page 7: L'architecture des expositions universelles

Joan Molet i Petit 197Domitia 12 - 2011

Si on compare les trois propositions, on voit que leurs plans étaient assez similaires : un bâtiment très long, composé d’une nef principale au centre et de nefs secondaires parallèles, traversées par un transept ; mais les élévations étaient sensiblement diffé-rentes : le projet de base était plus « architectural » avec des murs en maçonnerie, arti-culés par des arcades et surmontés par un grand dôme, probablement en fer, qui aurait constitué l’accent monumental du bâtiment. au contraire, les projets de Horeau et de Paxton étaient ceux qui restaient les plus fidèles à ce que l’on appelle l’« esthétique du fer ». Le projet de Horeau ressemblait à un mélange de gare terminus et de halle : on y voyait une structure complètement en fer, avec des colonnes en fonte et des toits à deux pentes à plancher métallique et partie centrale en verre ; la façade était très sobre, articulée par des arches sur les murs qui fermaient les nefs, et avec un décor lui aussi très simple, dont il faut souligner les niches pour des sculptures allégoriques adaptées aux écoinçons. au centre, trônaient les armes de la monarchie anglaise, au dessus des grilles ornementées. malgré cet effort décoratif, on avait l’impression d’être devant un bâtiment industriel8.Le bâtiment de Paxton était sans doute le plus moderne, parce que tout était fonction-nel : le Crystal Palace était conçu comme une grande boîte en verre où le fer servait seu-lement à tenir la structure9. En fait, Henry Cole, le commissaire de l’exposition, avait expressément demandé que le bâtiment ne fût pas fastueux pour ne pas voler la vedette aux produits exposés, car ceux-ci devaient être les protagonistes. De plus le constructeur de l’édifice n’était pas un architecte, mais un jardinier spécia-lisé dans la construction des serres, et effectivement le Crystal Palace était une grande serre, pour la conception de laquelle Paxton eut recours à tous ses savoirs préalables, spécialement à tous ceux qu’il avait acquis pendant la construction de la grande serre de Chatsworth House en angleterre, la plus grande serre bâtie à l’époque10. Bien que le Crystal Palace ait été une grande réussite et qu’on ait pensé immédiate-ment à l’imiter, on doit attendre à la quatrième exposition universelle, celle de Pa-ris 1867 pour trouver un bâtiment d’une esthétique purement industrielle comme celle de Londres 1851, car dans les constructions pour Paris 1855 et Londres 1862, on avait combiné la structure métallique avec des façades en maçonnerie, comme on le verra plus loin.L’édifice principal de la deuxième exposition universelle organisée à Paris, celle de 1867, a été nommé officiellement « Palais omnibus »11 mais on l’appelait aussi « le cirque » ou « Le Colisée du travail humain »12 (ill. 1). À nouveau nous sommes devant un bâtiment qui n’a pas été conçu par un architecte mais par un ingénieur, plus précisément par Fréderic Le Play, qui avait été le commissaire de l’exposition de 1855 et était aussi celui de cette exposition. mais Le Play ne se chargea pas de la construction, qui fut confiée à d’autres ingénieurs, Jean-Baptiste Krantz et Gustave Eiffel.Le surnom du pavillon est dû à sa forme, il était presque circulaire : un cercle auquel on avait ajouté deux côtés droits pour l’adapter à la forme rectangulaire du Champ de mars où il était bâti. Cette forme très originale découlait du désir de Le Play de montrer les produits de la manière la plus systématique possible, en donnant aux visiteurs la possi-bilité d’organiser leur parcours soit par nation soit par catégories de produit13.

8 - Hitchcock, H.  R. «  The Crystal Palace : Ferrovitreous Triumph and ensuing reaction  » dans Early Victorian architecture in Britain, vol. i, New York, Da Capo Press, 1972, p. 533. 9 - Downes, Ch. The Building Erected in Hyde Park for the Great Exhibition of the Works of industry of all Nations 1851, London, 1852. on y trouve la description la plus complète du « Crystal Palace ».10 - « The Grand Private Conservatory » dans Hix, J., The Glasshouse, London, Phaidon Press, 1996, p. 74-115.11 - aimone, L., olmo, C., op. cit., p. 111.12 - Détain, C., « L’exposition universelle de 1867 » dans Revue Générale de l ’architecture et les travaux publics, vol. XXiV, 1866, p. 163-172 ; dans cet article sont recueillis les divers surnoms donnés à cet édifice, « cirque » ou « usine aux mille cheminées », mais l’auteur préfère le nommer « Colisée du travail humain ».13 - Commission impériale. Rapport sur l ’exposition universelle de 1867 à Paris, Paris, imprimerie impériale, 1869, p. 5-6.

Page 8: L'architecture des expositions universelles

L’architecture des expositions universelles...198 Domitia 12 - 2011

Le bâtiment était composé de sept galeries concentriques et d’un petit jardin au centre, chacune contenait les produits d’un certain type, de telle sorte qu’un visiteur qui circu-lait en suivant les cercles concentriques pouvait comparer les objets fabriqués dans tous les pays, mais si ce visiteur avançait du centre vers l’extérieur il pouvait admirer tous les types d’objets produits dans un même pays.Comme au Crystal Palace l’architecture de cet édifice était très simple mais plus adaptée à sa fonction parce que les galeries n’étaient pas égales, car leur taille dépendait de celle des objets exposés : les plus proches du centre étaient plus étroites et basses et les plus extérieures étaient plus larges et hautes. La plus grande était la « galerie des machines » qui bordait le cercle et était deux fois plus large et haute que les autres. Le « Palais » avait l’air d’une construction industrielle : tout en fer et en verre, peint en gris, sans aucun ornement... sa façade n’était pas belle, car elle n’avait que des éléments pratiques : une grande marquise autour du bâtiment pour abriter les restaurants adossés à la galerie des machines, et de grandes fenêtres en haut pour l’éclairer. Ces fenêtres en plein cintre ont contribué à faire nommer le bâtiment « Colisée ».Bien que le Crystal Palace fût une grande réussite, le « Colisée du Travail » était très critiqué par son aspect. on a dit surtout que l’édifice qui avait le qualificatif officiel de « palais » n’était pas digne de ce nom et qu’il n’était pas digne de l’architecture fran-çaise14. Ce fut une des raisons pour lesquelles les futurs « palais d’exposition » bâtis à Paris jusqu’en 1900 eurent un caractère monumental, bien que bâtis en fer ou en acier.

14 - on peut lire dans un guide de Paris publié en 1867 cette description du bâtiment « Palais ! Est-ce bien le nom qu’il faut donner à cette vaste construction qui enferme dans son enceinte les plus nombreuses créa-tions de l’art et de l’industrie qui aient jamais été rassemblées dans un même lieu ? Non, si ce mot de palais implique nécessairement l’idée de la beauté, de l’élégance ou de la majesté. Elle n’est ni belle, ni élégante, ni même grandiose cette masse faite de fer et briques dont le regard ne saurait embrasser l’ensemble ; elle est lourde, elle est basse, elle est vulgaire. » Kaempfen, « Promenade à l’exposition universelle », dans Paris guide, par les principaux écrivains et artistes de la France, (deuxième partie, La Vie), Paris, Librairie internationale, 1867, p. 2007.

Ill. 1 : F. Le Play, J.B. Krantz et G. Eiffel, « Palais Omnibus » au centre du

Champ-de-Mars, Paris, 1867. ©Cnum – Conservatoire Numérique

des Arts et Métiers.

Page 9: L'architecture des expositions universelles

Joan Molet i Petit 199Domitia 12 - 2011

LE néO-REnAISSAnCE

La première exposition universelle française fut celle de 1855. Napoléon iii voulait conso-lider le prestige du nouveau régime et réclamer la paternité française de ces événements à succès15. La décision fut prise un peu tardivement ; on avait d’abord prévu d’organiser une nouvelle exposition nationale en 1854 mais au printemps de 1853 on décida de la remplacer par une vraie exposition universelle, à célébrer en 1855. En 1852 on avait pris la résolution de bâtir un édifice permanent pour les expositions nationales quinquennales, « Le Palais de l’industrie », et on décida de l’utiliser, quitte à construire d’autres pavillons auxiliaires au cas où le Palais de l’industrie ne serait pas suffisamment spacieux16.Les architectes, Jean marie Victor Viel et antoine Desjardins, présentèrent une construc-tion en fonte et en verre similaire au Crystal Palace, mais sur un rez-de-chaussée en maçon-nerie. En décembre 1852 on choisit l’entrepreneur britannique York and Co pour construire et exploiter le palais, mais on jugea ce projet trop cher et on fit appel à l’architecte F. alexis Cendrier, et à alexis Barrault et Gustave Bridel, qui ont combiné la structure en fonte avec une façade en maçonnerie réalisée en fin de compte par l’architecte Viel17. Cette façade de-vait contribuer à soutenir la grande construction métallique et devait aussi donner l’aspect d’un « palais » à cet édifice situé aux Champs élysées, près de la Place de la Concorde. Les éléments architecturaux inspirés du répertoire de la Renaissance donnaient à l’édi-fice son caractère de noblesse. En fait, pendant la première moitié du XiXe siècle la conception du palais urbain a été plus fortement associée au prototype du palazzo ita-lien, qu’au modèle français du Palais de Versailles. Un des premiers exemples étaient les bâtiments de la Rue de Rivoli, dessinés par Percier et Fontaine en 1806-1807. En Bavière pendant les années 20 et 30 furent construites les maisons et bâtiments publics de la Ludwigstrasse, et en angleterre on bâtit les « gentlemen clubs » dans les années 30 et 40, participant de l’historicisme néo-renaissance18.on peut considérer parmi les modèles les plus proches le Palais des études de l’école des Beaux-arts, de Félix Duban, 1834-39, et la Bibliothèque Sainte-Geneviève, d’Henri Labrouste, 1843-50, sièges des institutions liées à la haute culture française. Les façades de ces bâtiments et celle du Palais de l’industrie avaient en commun les baies en plein cintre qui articulaient leurs façades ; de plus, la bibliothèque, d’une conception plus mo-derne, a aussi une toiture à structure métallique comme celle du Palais de l’industrie. Plus industriel encore que ces édifices-là, est la Gare de l’Est, construite par François-alexandre Duquesney entre 1847 et 1850, qui combine des éléments néo-renaissance à la façade et une toiture à structure en fonte. au milieu de la façade du Palais de l’industrie se détachait un énorme portique suivant le schéma de composition d’un arc de triomphe, couronné par un groupe allégorique en pierre d’élias Robert qui représentait « La France couronnant d’or l’art et l’industrie » accompagné, de part et d’autre, de deux groupes de putti tenant les armes impériales, de Georges Diebolt. Ce même artiste réalisa la frise continue sur le thème « Le progrès de l’Humanité »19.

15 - Le Prince Napoléon affirmait dans son discours adressé à l’Empereur pendant l’inauguration de l’expo-sition que « quelques esprits ont pu s’effrayer d’un pareil concours, et ont naguère cherché à le retarder ; mais vous avez voulu que les premières années de votre règne fussent illustrées par une Exposition du monde entier, suivant en cela les traditions du premier Empereur, car l’idée d’une Exposition est éminemment fran-çaise, elle a progressé avec les temps, et de nationale est devenue universelle », Brise, L., album de l ’exposition universelle, dédié a S.a.i. le Prince Napoléon, Paris, Bureaux de l’abeille impériale, 1856, p. 96-97.16 - Exposition universelle internationale de 1889 à Paris, op. cit., p. 117-123.17 - mathieu, C. « Le palais de l’industrie et ses annexes » dans Bacha, m. (dir.), Les expositions universelles à Paris de 1855 à 1937, Paris, action artistique de la Ville de Paris, 2005, p. 64-67.18 - « Renaissance Historicism » dans Collins,  P., Changing ideals in modern architecture, 1750-1950, London, Faber & Faber, 196519 - Ce groupe sculpté subsiste encore sur une pelouse du Parc de Saint-Cloud. Voir : ageorges, S., Sur les

Page 10: L'architecture des expositions universelles

L’architecture des expositions universelles...200 Domitia 12 - 2011

La « Weltausstellung » de 1873 à Vienne a été la première et unique exposition univer-selle du XiXe siècle en territoire germanique. À cette époque l’Empire autrichien affai-bli par des intrigues du royaume de Prusse était devenu l’Empire « austro-hongrois ». Dans ce contexte il fallait montrer la capacité industrielle de l’autriche et souligner le rôle de Vienne comme capitale du monde germanique, face à la puissante Berlin. En plus, depuis 1859, on avait commencé à réaliser le grandiose projet de la « Ringstrasse » et on souhaitait le montrer au monde, comme Napoléon iii avait montré le nouveau Paris d’Haussmann pendant l’exposition de 1867.À Vienne fut construit aussi un « industriepalast » qui avait des caractéristiques com-munes avec celui de Paris. au départ, il s’agissait d’un bâtiment composé d’une toiture à structure métallique et d’une façade en maçonnerie, dessinées respectivement par un ingénieur, John Scott Russell, et un architecte, Carl von Hasenauer. Le « Palast » avait un air néo-renaissance comme le palais parisien surtout dans la partie centrale, appelée « Die Rotunde », dont la façade prenait la forme d’un arc de triomphe surmonté lui aussi par un groupe allégorique représentant Pallas athénée, une couronne à la main, flanquée de deux putti, au-dessus des allégories de la Justice et de l’Histoire20.Carl von Hasenauer était un des architectes qui avait participé à la construction des grands bâtiments privés et publics de la « Ringstrasse » : les musées d’Histoire natu-relle et d’Histoire de l’art ou le Théâtre impérial. mais l’« industriepalast » avait déjà été conçu en 1845 par deux autres architectes officiels, Eduard van der Nüll et august Siccard von Siccardsburg, qui avaient participé aux débats sur le projet d’aménagement urbain de la « Ringstrasse » et avaient construit l’opéra imperial21. ils moururent tous deux en 1868 et en fin de compte Hasenauer fut chargé de construire ce bâtiment. Le langage architectural préféré d’Hasenauer, Nüll et Siccardsburg était celui de la Renais-sance, représenté par un portique brunelleschien, alors que le motif principal, celui de l’arc de triomphe fut emprunté au grand architecte allemand Gottfried Semper. En fait Hasenauer avait été l’assistant de Semper dans la construction des musées de la Rings-trasse et du nouveau palais impérial viennois, tous ces bâtiments étant couronnés par ce même motif22.À la différence du palais parisien, l’esprit académique est évident aussi à l’intérieur du bâtiment viennois : dans la « Rotunde » Hasenauer a employé de faux pilastres et de fausses arcades pour masquer la structure métallique et créer un cadre totalement clas-sique ; dans les nefs qui s’étendaient des deux côtés de la Rotunde, les piliers et les poutres en fonte ont été cachés par des panneaux en bois décorés par des motifs clas-siques et des murs en brique ont été couverts par de fausses fresques23. Nous pouvons donc affirmer que l’« industriepalast » apportait à l’exposition la grandeur et la noblesse des nouveaux bâtiments de la Ringstrasse, donnant ainsi à cet événement nettement industriel le caractère impérial de la ville24. Le seul élément qui n’était pas classique dans l’« industriepalast » était le grand dôme qui couvrait la « Rotunde ». Cette partie du palais servait à montrer la modernité et l’aspect spectaculaire du bâtiment. Comme les architectes viennois étaient fortement traces des Expositions Universelles, 1855, Paris 1937, Paris, Parigramme, 2006, p. 23.20 - Pour la description complète du programme iconographique : Stamper, J. W., « The industry Palace of the 1873 World’s Fair : Karl von Hasenauer, John Scott Russell and the New Technology in Nineteenth-Century Vienna » dans architectural History, vol. 47, 2004, p. 227-250.21 - Hoffmann, H.  C., « Die architekten Edward van der Nüll und august von Siccardsburg » dans Hoffmann, H. C., Krause, W., Kitlitschka, W., Das Wiener opernhaus, (Die Wiener Ringstrasse, Bild einer Epoche, Viii), Wiesbaden, Franz Steiner Verlag GmBH, 1972, p. 1-207.22 - Sur les rapports entre Semper et Hasenauer à Vienne : Holz, C., « Semper und Wien 1869 bis 1879 » dans Nerdinger, W., oechslin, W., Gottfried Semper 1803-1879. architektur und Wissenschaft, münchen, Prestel Verlag, Zürich, gta Verlag, 2003, p. 430-439.23 - Pascal, J. L., « Exposition Universelle de Vienne, Le palais du Prater » dans Revue Générale de l ’archi-tecture et des travaux publics, vol. XXXi, 1874, p. 99-110 et 194-202, planches 25-32.24 - La présence d’un « Pavillon impérial » et des divers pavillons privés des familles aristocratiques met en évidence le caractère « impérial » de l’exposition viennoise.

Page 11: L'architecture des expositions universelles

Joan Molet i Petit 201Domitia 12 - 2011

engagés dans une architecture traditionnelle, on demanda à un ingénieur anglais, John Scott Russell de le construire. En fait, Russel avait proposé un dôme similaire pour l’exposition de Londres de 1851, qui n’avait pas été accepté. malheureusement le public viennois n’aima pas non plus le dôme de Russel parce qu’il n’avait pas la silhouette tra-ditionnelle des dômes de la Renaissance ou du Baroque.Le dernier exemple que nous présentons dans la catégorie « néo-renaissance » est le « memorial Hall » de la « Centennial Exhibition » de Philadelphie de 1876 pour célé-brer le centenaire de l’indépendance des états-Unis (ill. 2). C’était la première expo-sition universelle organisée en amérique et elle avait un air assez différent de celles de l’Europe : non seulement la dénomination était différente (aux états-Unis on n’utilisa pas l’adjectif « universelle ») mais en plus l’exposition de Philadelphie fut la première où l’on bâtit une vraie enceinte composée de plusieurs grands pavillons entourés d’un parc doté de ses propres moyens de transport. À partir de cette exposition, il n’y eut plus un grand pavillon central, mais un ensemble de grands bâtiments.Le « memorial Hall » a été construit par Hermann Josef Schwarzmann, un ingénieur allemand émigré aux états-Unis, qui en 1873 fut chargé de planifier la disposition des bâtiments de l’exposition sur le côté ouest du Fairmount Park, à l’aménagement duquel il avait lui-même travaillé depuis 1868, lorsqu’il était arrivé en amérique25. Ce « Hall » fut le pavillon des beaux-arts pendant l’exposition, puis il a abrité le musée municipal des Beaux-arts et des arts Décoratifs et est devenu le monument commémoratif du Centenaire de l’indépendance. Ce bâtiment avait une apparence totalement différente des autres pavillons car sa structure métallique avait été cachée par des murs en pierre, décorés d’éléments Renaissance : arcs en plein cintre, pilastres, balustrades... Seule la coupole, couverte en verre pour éclairer la salle centrale, montrait sa structure d’acier. L’intérieur était tout aussi monumental et les motifs traditionnels étaient disposés en-core plus richement, à la manière du baroque26.

25 - Sur le rôle de J. H. Schwarzmann à l’exposition de Philadelphie : maas, J., The Glorious Enterprise : The Centennial Exhibition of 1876 and H. J. Schwarzmann, architect-in-Chief, Watkins Glen, N. Y. american Life Foundation, 1973. maas affirme que Schwarzmann avait étudié à l’académie militaire royale de munich et que, comme le « memorial Hall » et les autres pavillons qu’il a bâtis dans l’exposition étaient ses premières constructions, on l’a envoyé à Vienne à étudier les bâtiments de l’exposition de 1873. 26 - ingram, J. S., The Centennial Exposition, described and illustrated, being a concise and Graphics description of this grand enterprise commemorative of the First Centennary of american independence, Philadelphia, Hubbard Bros, 1876, p. 114-115.

Ill. 2 : H. J. Schwarzmann, « Memorial Hall », Centennial Exhibition, Philadelphie, 1876. ©Print and Picture Collection, Parkway Central Library, Philadelphia, PA.

Page 12: L'architecture des expositions universelles

L’architecture des expositions universelles...202 Domitia 12 - 2011

L’éCLECtISME

La réussite de l’exposition de 1851 a encouragé les anglais à célébrer une deuxième exposition à Londres onze ans seulement après la première. Comme on prévoyait de faire d’autres expositions les années suivantes, on décida de construire un bâtiment permanent pour les héberger, l’« Exhibition Building », et on demanda au capitaine Francis Fowke, ingénieur militaire nommé en 1856 « Superintendent of Buildings for albertopolis », de le construire27 (ill. 3).

Nous y retrouvons la combinaison de toitures et d’une structure intérieure en fer et d’une façade en maçonnerie. Tous les corps de bâtiment parallèles aux rues ont été bâtis en brique apparente. Comme l’impression générale de cet édifice était très pauvre, il fut envisagé de recouvrir ses murs avec des panneaux en céramique qui auraient repré-senté les principales catégories de produits exposés, à partir d’esquisses d’artistes anglais renommés comme Leighton, Holman Hunt, millais, Rossetti... mais ces décors ne furent jamais réalisés et les murs sont restés nus28. Le répertoire des formes architectu-rales était très limité : l’entrée principale avait l’air d’un arc de triomphe à trois baies, mais très simplifié ; les entrées secondaires n’étaient que des arches dans de simples pavillons ; et les portails des corps de bâtiments latéraux rappelaient ceux des églises, traités de manière très simple ; entre les portes, les façades étaient également sobres, avec seulement des baies vitrées en plein cintre.Cette partie inférieure, en brique rouge, était surmontée de deux dômes en fer et en verre d’aspect très léger, situés au centre des façades latérales. Conçus par J. W. Grover29 comme les éléments à caractère monumental du bâtiment, ils étaient plus grands que ceux du Vatican et de la cathédrale de Saint-Paul de Londres. même si ces coupoles avaient un profil traditionnel, elles furent très critiquées et tout le monde les appelait « les bols à soupe »30 car on les trouvait trop grandes pour un bâtiment assez bas, et avec un aspect trop industriel. 27 - « albertopolis » est le nom donné à la zone de South Kensington, Londres, où devaient s’élever les institutions culturelles promues par le Prince albert. Voir Curl, J. S., « The Rundbogenstil, Terracotta, and the legacy of South Kensington » dans Victorian architecture, diversity and invention, Reading, Spire Books Ltd, 2007 p. 244-263.28 - allwood, J., op. cit., p. 38.29 - Curl, op. cit., p. 244.30 - Ce bâtiment a été qualifié de « The vilest parody of architecture that it has ever been our misfortune to look up on », voir : The builder, vol. XLViii, 23 mai 1885, p. 720-721.

Ill. 3 : Fowke, « Exhibition Building » Londres, 1862.

©Cnum – Conservatoire Numérique des Arts et Métiers.

Page 13: L'architecture des expositions universelles

Joan Molet i Petit 203Domitia 12 - 2011

malgré les dômes et les arcs, cet édifice ne peut être classé ni dans le néo-Renaissance ni dans le néo-médiéval. L’auteur n’était pas un architecte formé à l’académie des Beaux-arts mais un ingénieur militaire qui avait appris à construire des bâtiments solides et économiques, sans formation quant à l’histoire et à la signification des styles d’architec-ture. C’est pourquoi on doit inclure l’« Exhibition Building » dans la grande catégorie de l’éclecticisme, un éclectisme que nous pourrions appeler industriel. La plupart des grands pavillons officiels de l’exposition de Philadelphie du « memorial Hall » pourraient être classés d’emblée dans cet « éclectisme industriel », quoique, rap-pelons-le, pour la « Centennial Exhibition » on ait aménagé un grand parc dans lequel les bâtiments devaient s’intégrer à un ensemble qu’on peut qualifier de « pittoresque »31 : tous les pavillons principaux étaient différents et quelques-uns étaient vraiment éton-nants, et même bizarres, participant d’une sorte d’« éclectisme pittoresque ».Les plus grandes constructions philadelphiennes, le « main Exhibition Building » et le « machinery building », étaient rangées autour de la grande place, à côté de la gare (ill.  4 et  5). Le Bâtiment principal avait à l’intérieur l’aspect d’une grande halle aux longues nefs en charpente métallique sur des colonnes en fonte, couvertes par des toi-tures à deux pentes en planches. À l’extérieur on avait masqué cette structure à l’aide de quelques éléments historiques : des arcs en plein cintre ainsi que des nervures qui rappelaient le gothique « perpendiculaire » anglais avec les tourelles placées aux coins des façades et aux angles du transept. Ces éléments rappelaient aussi quelques bâti-ments néo-gothiques comme le Parlement de Londres32. Le Bâtiment des machines, d’une grande simplicité, était construit entièrement en bois, avec seulement des tirants en fer pour renforcer les nefs parallèles à diverses hauteurs ; cette simplicité structurelle était visible à l’extérieur, car les façades, elles aussi en bois, avaient pour seul décor des jalousies à la partie supérieure de certaines fenêtres et des tonnelles qui couronnaient l’édifice. L’aspect général était effectivement celle d’une grande gloriette, d’un bâtiment ouvert sur un jardin.

31 - Le voyageur allemand Rohlfs écrivait dans la Gazette d’augsbourg que l’événement de Philadelphie avait lieu « non dans une exposition, mais au milieu d’une grande forêt dans laquelle ont été pratiquées des éclaircies », Démy, a., Essai historique sur les expositions universelles de Paris, Paris, Librairie adolphe Picard et fils, éditeurs, 1907, p. 206.32 - Giberti, B., Designing the Centennial. History of the 1876 international Exhibition in Philadelphia, Lexington, The University Press of Kentucky, 2002, p. 83-87.

Ill. 4 : H. Pettit et J. M. Wilson, « Main Exhibition Building » Centennial Exhibition, Philadelphie, 1876. ©Print and Picture Collection, Parkway Central Library, Philadelphia, PA.

Ill. 5 : H. Pettit et J. M. Wilson, « Machinery Building » Centennial Exhibition, Philadelphie, 1876. ©Print and Picture Collection, Parkway Central Library, Philadelphia, PA.

Page 14: L'architecture des expositions universelles

L’architecture des expositions universelles...204 Domitia 12 - 2011

L’« agricultural Hall » ou l’« Horticultural Hall » étaient plus petits, mais tout aussi pittoresques (ill. 6 et 7). Le premier, construit complètement en bois, constituait une « fantaisie gothique » : les nefs prenaient la forme de grands arcs brisés, une forme que l’on trouvait aussi à l’extérieur où il y avait des fenêtres en arc brisé, des nervures, des tourelles, même une coupole. Le pavillon d’horticulture, pour sa part, était une vraie « fantaisie orientale » : tout en étant une simple serre, construite en fer et en verre, ce pavillon offrait un riche mélange de détails exotiques appliqués à une construction assez étonnante aux verres peints de couleurs vives. L’« Horticultural Hall », qui devait rester après l’exposition en tant que serre du parc, fut détruit par un coup de vent quelques mois après la clôture. Les bâtiments représentatifs des états de l’Union formaient eux aussi un ensemble pittoresque de petites maisons représentant l’architecture « autoch-tone » de chacun, dans une petite et très agréable cité-jardin33.

il fallut attendre les trois derrières expositions parisiennes (1878, 1889, 1900) pour trou-ver une architecture éclectique qui dépassait le pittoresque tout en cherchant à devenir une vraie alternative aux historicismes d’origine classique. Disons plutôt qu’on voulut bâtir des édifices pratiques et efficaces comme les pavillons, mais élégants et monu-mentaux comme les palais et, dans ce cadre, l’éclecticisme, un langage architectural très riche, très décoratif, devint la meilleure option. Par sa liberté, l’éclectisme pouvait s’adapter sans problèmes à toute sorte de bâtiment et à tous les genres de matériaux34.La première exposition universelle organisée en  1878 sous la Troisième République devait montrer aux puissances européennes la reprise de la France après la défaite de Sedan et les effets positifs du régime républicain35. on se souvenait encore de l’échec

33 - on peut voir beucoup de photographies de l’exposition de Philadelphie dans le livre de Gross, L. P., Snyder, T. R., Philadelphia’s 1876 Centennial Exhibition, images of america, Charleston, arcadia Publishing, 2005.34 - il suffit de consulter épron, J. P., Comprendre l ’éclectisme, Paris, Norma éditions, 1997.35 - Le sénateur commissaire général, J.-B. Krantz, présentait de ces mots l’exposition : « En annonçant au monde la nouvelle Exposition internationale, la France affirme sa confiance dans les institutions qu’elle s’est données ; elle déclare sa volonté de persévérer dans les idées de modération et de sagesse qui ont inspiré sa politique depuis cinq ans ; elle proclame qu’elle veut la paix, qui a, seule, pouvoir de rendre l’activité humaine vraiment féconde en lui assurant la sécurité. Nous avons la confiance que son appel trouvera partout un accueil sympathique, et que l’année 1878 enregistrera une page glorieuse pour la civilisation et pour notre pays dans les annales des fêtes du travail ». Rapport administratif sur l ’exposition universelle de 1878 à Paris,

Ill. 6 : J. H. Windrim, « Agricultural Hall » Centennial Exhibition,

Philadelphie, 1876. ©Print and Picture Collection,

Parkway Central Library, Philadelphia, PA.

Page 15: L'architecture des expositions universelles

Joan Molet i Petit 205Domitia 12 - 2011

du « Palais omnibus », méprisé pour son plan circulaire qui déconcertait les visiteurs au lieu de les orienter, et par son aspect trop industriel contraire au concept de palais. il fut décidé que le nouveau bâtiment du Champ de mars serait un vrai palais36 et qu’il prendrait la forme d’une « table pythagorique » afin de corriger les défauts signalés, tout en gardant les avantages du schéma classificateur de 1867. ainsi, le bâtiment n’était pas circulaire mais rectangulaire, de manière à ce que les produits similaires fussent dispo-sés sur la longueur et que les nations se partagent l’espace en largeur (ill. 8). Cette forme rectangulaire permit de tirer profit de tout l’espace du Champ de mars et rendit plus simple la vente des éléments du bâtiment après l’exposition37.

tome premier, Paris, imprimerie Nationale, 1881, p. 1-6.36 - Krantz, écrivait aussi « il fallait donner à nos édifices toute l’élégance qu’ils comportaient et pour cela étudier avec soin leur aspect, leur forme et leur couleur, les ornements qui pouvaient le mieux en faire ressortir les dispositions ou en dissimuler les faiblesses, leur trouver enfin un vêtement approprié a leur caractère et a leur destination », ibidem, p. 53.37 - Démy, a., Essai historique sur les expositions universelles de Paris, Paris, Librairie adolphe Picard et fils, éditeurs, 1907, p. 229-230.

Ill. 7 : H. J. Schwarzmann « Horticultural Hall », Centennial Exhibition, Philadelphie, 1876. ©Print and Picture Collection, Parkway Central Library, Philadelphia, PA.

Ill. 8 : L. Hardy, « Palais du Champ-de-Mars », Paris 1878. ©Cnum – Conservatoire Numérique des Arts et Métiers.

Page 16: L'architecture des expositions universelles

L’architecture des expositions universelles...206 Domitia 12 - 2011

Le « Palais » fut conçu par l’architecte Léopold Hardy, sous la direction du commis-saire de l’exposition, l’ingénieur Jean-Baptiste Krantz, et avec la collaboration des ingé-nieurs Henry de Dion et Gustave Eiffel ; il s’agissait d’une structure en fonte et en verre, composée d’une cour centrale allongée où se trouvaient les pavillons des Beaux-arts et de dix autres galeries parallèles à celle-ci, cinq à droite et cinq à gauche. Du côté de l’école militaire et de la Seine les galeries étaient bordées par deux corps de logis transversaux qui les cachaient ; celui du côté du fleuve, nommé « Galerie d’iéna », constituait la façade principale où furent concentrés les efforts pour donner au bâti-ment l’air d’un « palais »38. Cette façade, composée de simples parois vitrées de carreaux colorés, alternées avec l’ossature métallique ornée de faïence émaillée, était flanquée par des dômes monumentaux qui ponctuaient les angles du quadrilatère et avait un dôme central couronnant l’entrée de l’exposition. on réunit sur cette face du bâtiment la plupart des ornements : en haut se trouvait l’emblème de la République accompagné par les blasons des nations participantes, le long du frontispice, surmontant les piliers métalliques. au-dessus de la grande arche qui signalait la porte principale se trouvait une terrasse d’observation accessible par des escaliers en colimaçon qui contribuaient à enrichir l’ensemble. À l’intérieur, un plafond à caissons en forme de fausse voûte en berceau cachait la toiture en fonte. L’intention était de transformer une structure indus-trielle en un « palais » en ajoutant des éléments décoratifs à une structure fonctionnelle à laquelle ils s’adaptaient. Cette façon d’agir ne pouvait être possible qu’avec la liberté et la souplesse de l’éclecticisme. Lors de l’exposition de Paris de  1878 un autre « palais » se distingua entre tous : le Palais du Trocadéro. ici, un architecte, Gabriel Davioud, et un ingénieur, Jules Bour-dais, ont collaboré à un bâtiment combinant le métal et la maçonnerie (ill. 9). N’ayant pas été conçu pour rester après l’exposition, seul le toit était en fonte, les murs et la structure étaient en maçonnerie. Le plan du bâtiment reflétait sa double fonction : la partie centrale était une grande salle de concerts et de conférences, la plus grande du monde à cette époque puisqu’elle pouvait accueillir jusqu’à 4 800 personnes39. Les deux ailes à droite et à gauche abritaient des expositions d’objets d’art et, après l’exposition, elles devinrent des musées.

38 - Pour une description détaillée du « Palais », voir le Rapport administratif sur l’exposition universelle de 1878 à Paris, op. cit., p. 50-53.39 - Jarrassé, D., « Le Palais du Trocadéro », dans Bacha, m., op. cit., p. 99-103.

Ill. 9 : G. Davidoud et J. Bourdais « Palais du Trocadéro » 1878.,

élévation façade principale et côté jardin. ©Cnum – Conservatoire Numérique

des Arts et Métiers.

Page 17: L'architecture des expositions universelles

Joan Molet i Petit 207Domitia 12 - 2011

Fruit des idées architecturales les plus avancées de son temps, la forme du bâtiment a surgi de la fonction. À cette époque « éclecticisme » et « modernité » n’étaient pas des concepts opposés, et la plupart des édifices éclectiques ont été bâtis selon cette norme. C’est ainsi que la silhouette ronde de la salle déterminait le profil rond du bâtiment. Les espaces d’accueil et d’accès à la salle, aux galeries latérales et à l’enceinte de l’exposition se distinguaient à l’extérieur par leur forme quadrangulaire, et on pouvait aussi identi-fier les galeries puisqu’elles étaient longues et étroites.La façade côté jardin n’était pas la façade principale, même si elle était la plus specta-culaire et la plus reproduite. Cette façade s’accordait avec le plan circulaire du bâtiment et présentait des arcs en plein cintre comme motif principal. il faut aussi souligner les piliers de la partie basse et les contreforts de la partie haute qui introduisaient une com-position verticale à associer visuellement avec les deux tours. évidemment on pourrait énumérer tous les petits détails d’époques et de styles divers qui ornaient le bâtiment40, mais une telle description ne ferait que confirmer à quel point ce palais ne fait référence à aucune époque ou style précis, et à quel point il était révélateur du goût de la seconde moitié du XiXe siècle.L’avant-dernière exposition parisienne du XiXe siècle avait une grande dimension sym-bolique car elle marquait la célébration du centenaire de la Révolution. L’objectif était de montrer combien la France avait changé depuis un siècle. C’est pourquoi on bâtit des édifices très spectaculaires comme la Tour Eiffel et la galerie des machines, de vrais emblèmes du progrès de l’ingénierie41.Bien que l’enceinte ait été agrandie pour cette exposition, en y ajoutant l’Esplanade des invalides, on demeura fidèle à l’idée de bâtir un grand pavillon principal au Champ de mars, qui, en forme de lettre « U », n’était que la somme de quatre bâtiments : la galerie des machines à l’arrière, cachée par le « Palais des industries diverses » au milieu, et les Palais des arts Libéraux et des Beaux-arts sur les côtés, l’un face à l’autre, encadrant la partie centrale du « Palais des industries diverses » (ill. 10).

40 - C. a. oppermann distinguait des éléments indiens, persans, égyptiennes, mauresques entre d’autres. Voir : Nouvelles annales de la Construction, année 24, Paris, 1878, p. 3.41 - on ne se réfèrera pas à ces bâtiments puisque ils n’ont rien à voir avec les styles architecturaux du XiXe siècle, notre sujet principal ; par ailleurs il y a une abondante bibliographie sur la Tour Eiffel et la Galerie des machines de l’Exposition de 1889. Consulter Lemoine, B. op. cit. on y trouve une liste complète de la bibliographie sur ces sujets.

Ill. 10 : J. A. Bouvard, J. C. Formigé, V. Contamin, le dôme du « Palais des Industries Diverses » Paris 1889. ©Cnum – Conservatoire Numérique des Arts et Métiers.

Page 18: L'architecture des expositions universelles

L’architecture des expositions universelles...208 Domitia 12 - 2011

Ces trois palais, construits par les architectes Joseph-antoine Bouvard et Jean-Ca-mille Formigé sous la tutelle de l’ingénieur Victor Contamin, participaient de la plus grande ambition monumentale de l’ensemble. Comme à l’exposition parisienne de 1878, les trois palais avaient des structures en fonte et de grandes baies vitrées, mais ici elles étaient combinées avec des murs en brique et avec une décoration très riche, qui masquait la nature métallique des bâtiments, pour se rapprocher davantage du langage stylistique palatial. Dans cette tentative, le Palais des industries diverses, de J.-a. Bouvard constituait l’apogée, et sa partie centrale illustrait bien cette richesse ornementale : la grande ouverture formée par la porte et la verrière était limitée par un grand chambranle paré d’une succession d’ornements et de cartouches exécutés en staff, portant les emblèmes de l’industrie, du commerce et de l’agriculture, avec les médaillons des sciences, du commerce et des arts et industrie. Des guirlandes et les écussons des principales villes de France ornaient le tympan de ce chambranle. À la base des pylônes se détachaient deux groupes symbolisant le Commerce et l’industrie et en haut des motifs sculptés représentant l’orient et l’occident. Sur le fronton, on voyait à la base la Science et le Progrès et au sommet La Paix et la Force encadrant l’emblème de la République Française. Le dôme se raccordait aux angles du porche par quatre grandes consoles en fer ornées de zinc estampé que surmontaient des griffons. au-dessus des verrières, une couronne d’ornements en zinc avec guirlandes et têtes de lion reliait les arêtiers de la coupole et accompagnait le couronnement supérieur. Sur ce couronnement se dressait une statue gigantesque en zinc d’Eugène Delaplanche (9 mètres de hauteur, ailes de 10 mètres) intitulée « La France distribuant des couronnes et des lauriers ».L’intérieur était plus luxueux que l’extérieur : on pouvait y voir une riche ornementa-tion sculpturale en staff avec des têtes représentant l’Europe, l’afrique, l’amérique et l’asie au-dessus de frontons cintrés portant les figures symboliques des quatre agents de force, l’air, l’eau, la vapeur et l’électricité. on remarquait aussi les quatre motifs formés de pilastres encadrant des boucliers aux armes de la République, et divers enroulements, consoles et guirlandes (ill. 11).

Ill. 11 : Ornementation intérieure du dôme du

« Palais des Industries Diverses ». ©Cnum – Conservatoire Numérique

des Arts et Métiers.

Page 19: L'architecture des expositions universelles

Joan Molet i Petit 209Domitia 12 - 2011

outre ces éléments de sculpture, l’ornementation intérieure du dôme comportait des peintures décoratives sur toile. Le motif principal était la grande frise de 8 mètres de hauteur, aux panneaux de figures peintes sur fond d’or brettelé représentant les peuples du monde entier invités à l’Exposition universelle de 1889. au centre et re-gardant le porche d’entrée, la France appuyée sur la Paix, le Progrès, le Travail et la Science conviait les Nations ; à ses pieds, des génies préparaient les couronnes et l’Histoire écrivait sur un papyrus les noms des lauréats. De part et d’autre du panneau central, les peuples du Nord, du midi, de l’Est et de l’ouest arrivaient procession-nellement, revêtus de leurs costumes nationaux, apportant leurs produits, conduisant leurs animaux : le défilé comptait 150 figures de 4 mètres de hauteur moyenne. Sur la partie inférieure, une inscription en lettres d’or courant sur un fond de marbre décrivait l’ordre géographique de cette marche solennelle ; au-dessus de cette scène se déroulaient un ciel d’or et les attributs et emblèmes de l’Europe, l’asie, l’amérique et l’afrique42.Dans les Palais des arts Libéraux et des Beaux-arts, de J.-C. Formigé, s’observait la même tendance à cacher la structure métallique par la richesse décorative. En fait, les deux pavillons étaient très similaires, et les principales différences entre eux étaient les motifs décoratifs qui faisaient allusion aux différentes activités représentées. En guise d’exemple, il faut souligner l’entrée d’honneur du Palais des arts Libéraux, avec trois arcades en plein cintre, épaulées à droite et à gauche par des Pylônes et cou-ronnées d’un attique ; tout ce motif central était traité en maçonnerie de brique. Les encadrements des arcades, les pieds-droits et les archivoltes furent ornées de terres cuites. L’attique présentait des niches et des frises en terre cuite à fond d’or et d’émail où étaient placées des figures allégoriques : la Photographie, l’Enseignement et l’im-primerie. au-dessus se profilait la coupole émaillée de tons blanc, bleu, jaune et or ; sa composition décorative était exécutée avec les tuiles mêmes de la couverture, dont les dispositions rectilignes traçaient comme les points d’une vaste tapisserie. De part et d’autre de cette entrée d’honneur et jusqu’aux pavillons des extrémités se dévelop-paient les travées courantes de la façade. Chaque travée était limitée par des piliers en fer, remplis en terre cuite de couleur naturelle, et reliés à leur partie supérieure par des arcs en fer ; ces piliers portaient des écussons émaillés à reflet métallique sur l’entablement, formant une sorte de chapiteau. on remarquait surtout la grande frise en terre cuite à fond d’or, aux cartouches reproduisant les noms des principaux artistes français et de gracieuses figures d’enfants43.Ces exemples montrent à quel point le traitement décoratif des bâtiments de l’exposi-tion de 1889 avait été développé par rapport à celle de 1878. Dans celle-ci, l’ornement avait été appliqué avec certaine prudence et 1889 ne fut qu’une étape intermédiaire car les décors respectaient la composition générale déterminée par la structure métal-lique. Finalement, dans l’architecture de l’Exposition de Paris de 1900, la structure fut littéralement masquée par les ornements.L’exposition de 1900 ne commémorait aucun fait historique, sinon l’attrait de ce chiffre rond, à la manière de ce que nous avons vécu en 2000. Compte tenu de ses dimen-sions, du nombre de visiteurs, du nombre de pays participants, du nombre de produits exposés et de l’aspect audacieux et spectaculaire de son architecture, on peut affirmer aussi que l’exposition universelle de Paris 1900 a été « la plus grande des expositions universelles de tous les temps »44 et qu’elle a été le sommet de ces événements de l’âge industriel. De plus, cette exposition coïncida dans le temps avec les iie Jeux olym-piques de l’époque moderne, eux aussi organisés à Paris à la même période.

42 - Ces paragraphes descriptifs sont un résumé de la description plus détaillée qu’on peut lire dans le Rapport Général de l’Exposition de 1889. Voir : Piccard, a., Exposition Universelle internationale de 1889 à Paris, tome deuxième. op. cit., p. 102-105.43 - ibidem, p. 110-111.44 - Gaillard, m., Paris. Les expositions universelles de 1855 à 1937, Paris, Les Presses Franciliennes, 2003, p. 75.

Page 20: L'architecture des expositions universelles

L’architecture des expositions universelles...210 Domitia 12 - 2011

En ce qui concerne son architecture, on peut parler d’un vrai « délire de l’éclectisme », car les grands pavillons officiels du Champ de mars et de l’Esplanade des invalides ti-raient parti jusqu’aux dernières conséquences de la versatilité et de la capacité ornemen-tale de cette orientation du goût architectural45. L’Esplanade des invalides accueillait le « Palais des manufactures Nationales » des architectes Toudoire et Pradelle et les Palais antérieur, médian et postérieur de la Décoration et du mobilier des Habitations et des industries diverses, bâtis respectivement par les architectes Esquié, Larche, Nachon, et Tropey-Bailly. Ces palais attenants étaient aménagés en formant une rue de 25 mètres de large partant de la façade principale de l’Hôtel des invalides et débouchant sur une place devant la Seine et le pont alexandre iii (ill. 12). Cette place et cette rue, qui divi-saient en deux ce secteur de l’exposition, servaient à encadrer le dôme des invalides, qui devenait le point central de tout cet ensemble architectural. La présence de ce monu-ment du temps de Louis XiV marquait le caractère des constructions de cette zone. même si on avait remplacé le fer par l’acier pour la structure, les pavillons n’avaient en aucun cas une image moderne, mais au contraire celle de l’exubérance baroque, par l’utilisation abusive du staff. Ceci étant, on ne saurait pas non plus définir cette archi-tecture comme néo-baroque.

Par exemple, les tourelles, nommées campaniles, couronnant les façades, étaient considé-rées comme un élément principal de la composition, car elles marquaient des accents ver-ticaux dans cet ensemble excessivement horizontal, tout en établissant un rapport visuel avec la lanterne du dôme, dont elles empruntaient la forme. D’autres motifs remarquables étaient les volutes, vases, cornes d’abondance, colonnes, torches, grotesques, guirlandes, cartouches... qui remplissaient toute la surface des murs, par horror vacui46.au Champ de mars étaient situés d’autres grands pavillons de caractère éclectique, mais d’une inspiration différente car leur aspect n’était pas aussi historique que celui des bâtiments proches des invalides. Par exemple le « Palais de l’Enseignement » de l’architecte Louis Sortais (ill. 13) et le « Palais des mines et de la métallurgie » de

45 - Lemoine, B., « Paris 1900. Le bilan d’un siècle », dans Paris et ses expositions universelles, architectures 1855-1937 (catalogue d’exposition), Paris, éditions du Patrimoine, 2008, p. 45.46 - on peut lire une description complète des palais de l’Esplanade des invalides dans le rapport officiel de l’exposition, Picard, a., Exposition Universelle internationale de 1900 à Paris. Rapport Général administratif et technique, tome deuxième, Paris, imprimerie Nationale, 1903, p. 131-135, 153-155, 168-170, 181-184.

Ill. 12 : L’Esplanade des Invalides à Paris pendant

l’Exposition Universelle de 1900. ©Cnum – Conservatoire Numérique

des Arts et Métiers.

Page 21: L'architecture des expositions universelles

Joan Molet i Petit 211Domitia 12 - 2011

Louis Varcollier montraient des motifs traditionnels, comme des volutes, des mé-daillons, des lanternes, mais transformés, surdimensionnés et surtout avec une légèreté qui rappelait les motifs rococo par leur inspiration organique. Comme d’habitude, de grands groupes sculptés et les allégories des produits exposés dans chaque pavillon couronnaient les façades. il y avait aussi dans cette masse d’ornementation de grandes frises sculptées ou peintes47.La Tour Eiffel, qui avait été construite onze ans avant, fut à nouveau le bâtiment prin-cipal de l’ensemble. Pour cette raison on ne bâtit pas une construction « d’honneur », comme par exemple les dômes des expositions de 1889 et 1878. on construisit le « Châ-teau d’Eau », une attraction visuelle avec des jeux d’eau et lumière, au point central du Champ de mars, centre symbolique de l’exposition, et en conséquence l’endroit le plus approprié pour placer les allégories sculptées de la République ou de la France couron-nant le commerce et l’industrie48. La seule représentation comparable à celles-ci était « La Parisienne », sculpture allégo-rique de la Ville de Paris de 6 m de hauteur, qui couronnait la « Porte de la Concorde », l’entrée principale de l’exposition. il s’agissait de l’image d’une femme habillée de ma-nière élégante qui n’avait pas d’autre signification que celle d’accueillir et souhaiter la bienvenue aux visiteurs. Dans le grand arc qui soutenait « La Parisienne » se trouvaient des allégories de l’électricité, la vraie vedette de l’exposition, déployant sa puissance au « Château d’Eau » et même ici, à la « Porte de la Concorde » construite de nombreuses pièces en verre polychrome éclairées le soir par la lumière électrique. Les messages poli-tiques étaient alors remplacés par des prodiges techniques.

47 - il faut souligner la frise consacrée à l’histoire des moyens de transport, réalisée par le sculpteur andré allar pour la façade du Palais du Génie Civil, qui avait presque 200 m de longueur sur 2,75 de hauteur. Voir Picard, a., op. cit., p. 328-329.48 - Pour l’exposition de 1889, on avait placé à cet endroit, devant le dôme du Palais des industries diverses, la Fontaine du Progrès, œuvre de Jules Coutan par laquelle on voulait fêter le centenaire de la Révolution. Voir ory, P., « Le Centenaire de la Révolution », dans Bacha, m., op. cit., p. 104-107.

Ill. 13 : L. Sortais « Palais de l’Enseignement » Paris 1900. ©Cnum – Conservatoire Numérique des Arts et Métiers.

Page 22: L'architecture des expositions universelles

L’architecture des expositions universelles...212 Domitia 12 - 2011

L’éPILOGuE : BEAux-ARtS Et ARt nOuVEAu

Dans cette énorme exposition il y eut cependant place pour d’autres tendances du goût architectural, plus novatrices que l’éclectisme, comme l’art Nouveau ou plus conserva-trices, comme le style Beaux-arts. mais pour aborder l’architecture « Beaux-arts » dans le cadre des expositions universelles il faut analyser d’abord l’exposition de Chicago de 1893, « The Worlds Columbian Exposition ». La deuxième exposition universelle organisée aux états-Unis offrait certaines ressem-blances avec la première : toutes les deux se déroulèrent dans de grands parcs éloignés du centre urbain, où l’on bâtit de grandes enceintes avec plusieurs grands pavillons au lieu d’un grand édifice principal comme c’était l’habitude des expositions européennes avant 1900. Néanmoins, la plus grande différence entre les expositions de Philadelphie et de Chicago était d’ordre conceptuel : Philadelphie adopta le modèle du jardin pitto-resque, Chicago celui du forum romain, construit en acier et en staff.

En effet, le noyau de cette exposition était la « White City », un ensemble de grands pavillons d’aspect néoclassique autour d’un grand bassin central (ill. 14). Cette sorte de grand décor hollywoodien était surprenant dans une ville comme Chicago, qui était en tête de l’architecture moderne avec les architectes Louis Henry Sullivan, l’inventeur du gratte-ciel, et son élève, le jeune Frank Lloyd Wright. mais la direction architec-turale de l’exposition était revenue à Daniel Burnham, qui choisit des architectes de New York pour construire les pavillons les plus importants de l’exposition. il voulait ainsi associer la ville de New York qui avait été écartée au profit de Chicago comme ville organisatrice de l’événement. Les architectes de Chicago furent chargés de la construction d’autres édifices moins importants49. Charles mcKim, le plus influent architecte de New York, avait étudié à l’école des Beaux-arts de Paris et depuis son retour en 1870 il avait donné à connaître le classicisme monumental le long de la côte est des états-Unis. Fidèle à son idéal architectural, son cabinet et les autres architectes

49 - Walton, W., « art and architecture. architecture », dans World’s Columbian Exposition mDCCCXCiii, Philadelphia, George Barry, 1893, p. 13-19.

Ill. 14 : Vue générale du « Court of Honour » ou

« White City » à la World’s Columbian Exhibition, Chicago 1893.

©Fine Arts Department, Boston College

Page 23: L'architecture des expositions universelles

Joan Molet i Petit 213Domitia 12 - 2011

de l’Est avaient crée un ensemble majestueux de style « impérial romain » d’une grande unité de composition, dont les bâtiments ne rendaient pas explicite leur fonction ou leur contenu. Bien au contraire ces architectures étaient conçues comme un grand exercice académique, avec une profusion de colonnes, de frontons, des pilastres, des corniches, des coupoles, des arcs de triomphe. Cette décoration si riche nous paraît aujourd’hui incongrue. Par exemple l’« agriculture building » est couronné par la représentation de Diane Chasseresse, accompagnée de groupes sculptés composés d’équidés et de bovins, ou le « machinery Building » couronné par des Victoires ailées (ill. 15)... En réalité, le programme iconographique n’est pensé ni en fonction de l’industrie ni du commerce, ni de l’électricité, ni de la vapeur. Seule la grande « Columbian Fountain » était inspirée de la thématique de l’exposition : la découverte de l’amérique par Christophe Colomb50.Cet échantillon de la Rome impériale, qui n’avait rien à voir ni avec Chicago ni avec Colomb, a été très critiqué par des architectes de l’« école de Chicago », comme Sulli-van ou le jeune Wright, mais il fut si apprécié par le public américain que l’on décida de le conserver après la clôture de l’exposition. malheureusement un incendie survenu en juin 1894 a brûlé ce rêve en staff.

L’influence de l’architecture « Beaux-arts » se manifeste dans l’exposition de 1900 à Pa-ris car les deux bâtiments que l’on avait décidé de sauvegarder après l’exposition étaient justement ceux qu’on avait construits en style Beaux-arts : le Petit et le Grand Palais des Champs-élysées (ill. 16), destinés respectivement au musée des Beaux-arts de la Ville de Paris, et au siège des grands événements citadins, comme le Salon de l’académie des Beaux-arts. avant d’édifier ces palais, on avait démoli l’ancien Palais de l’industrie de l’Exposition de 1855, qui s’interposait au tracé de la nouvelle avenue prévue pour relier les Champs-élysées aux invalides. Les deux nouveaux palais ponctuaient l’entrée à ce nouvel axe monumental51. C’est pourquoi on préféra faire appel à un style classique, plus approprié à l’idée de noblesse des musées et à l’élégance de cet endroit, alors que les expérimentations et l’abondance éclectique furent réservées aux bâtiments provisoires. Cette même archi-tecture classique se retrouve dans les expositions universelles du début du XXe siècle, Saint-Louis (1904), San Francisco (1915), ou encore Barcelone (1929)52.

50 - Pour une description plus minutieuse des bâtiments consulter : Bolotin, N. Laing, C., The World’s Columbian Exposition. The Chicago World’s Fair of 1893, Chicago, University of illinois Press, 2002. p. 29-71.51 - Les Grand et Petit Palais des Champs-élysées sont décrits en détail dans le rapport officiel de l’expo-sition. Voir : Piccard, a., op. cit., p. 15-127.52 - mattie, E., World’s Fairs, New York City, Princeton architectural Press, 1998.

Ill. 15 : Peabody & Sterns « Machinery Building » à la World’s Columbian Exhibition, Chicago 1893. ©Fine Arts Department, Boston College.

Ill. 16 : H. Deglane, A. Louvet et A. Thomas « Grand Palais des Champs Elysées » entrée principale, Paris 1900. Photo de l’auteur.

Page 24: L'architecture des expositions universelles

L’architecture des expositions universelles...214 Domitia 12 - 2011

En raison du prestige de l’architecture « Beaux-arts », l’art Nouveau comme l’éclec-ticisme ou le néo-Renaissance ne furent jamais le style officiel des Expositions Uni-verselles. En 1888, l’art Nouveau apparut pour la première fois dans une exposition universelle à Barcelone : le café-restaurant de Lluís Domènech i montaner incarnait la première version de l’art Nouveau catalan53. Puis, en 1897 à Bruxelles, apparut le thème décoratif du « coup de fouet » à l’intérieur du Palais des Colonies, conçu par P. Hankar, H. Van de Velde, G. Sérrurier-Bovy et G. Hobé54. Enfin, l’art Nouveau apparut au grand jour dans l’exposition de 1900 à Paris avec un grand nombre de petits pavillons privés style art Nouveau à côté des grands pavillons éclectiques. Parmi ces pavillons art Nouveau signalons le pavillon du magasin L’art Nouveau, le pavillon de l’Histoire de la Céramique, le pavillon des Biscuits Lefèvre-Utile, les sections autrichienne et allemande du Palais du mobilier, ou encore le Restaurant du Pavillon Bleu au pied de la Tour Eiffel55. Pourtant l’art Nouveau ne fut jamais utilisé pour la construction des grands palais des expositions universelles. Les états préféraient être représentés soit par le caractère solennel de l’art ancien, qui depuis le XViiie siècle avait transmis les valeurs de progrès, de stabilité, de solidité et de culture, soit par l’architecture moderne, mettant alors l’accent sur l’avancée matérielle, technique ou industrielle, comme ré-ponse aux grands problèmes du début du XXe siècle56. Dans le contexte d’une Europe en concurrence qui s’orientait vers la première guerre mondiale, il n’y avait pas de place pour la légèreté de l’art Nouveau.

53 - Sur l’architecture de l’Exposition Universelle de Barcelona en 1888, consulter : Hereu Payet, P. (dir.) arquitectura i ciutat a l ’exposició universal de Barcelona 1888, Barcelona, ajuntament de Barcelona/UPC, 1988 ; Exposició Universal de Barcelona. Llibre del Centenari, Barcelona, ajuntament de Barcelona/L’avenç, 1988.54 - Ce motif décoratif art Nouveau d’inspiration organique en « coup de fouet », inventé par les Belges fut repris par Guimard pour ses fameuses entrées du métropolitain. aubry, F., « L’exposition de Tervueren en 1897  : scénographie art nouveau et arts primitifs », dans Paris-Bruxelles, Bruxelles-Paris, Paris, Réunion des musées Nationaux, 1997.55 - Sur ce sujet : molet i Petit, J., « L’arquitecture art Nouveau i les exposicions universals », dans Coup de Fouet, numéro 13, 2009, p. 22-29.56 - C’est seulement à l’exposition des arts Décoratifs de Turin de 1902 que l’on pourra trouver des pavillons officiels de style « Liberty ».