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DOI : 10.1484/J.RHE.1.103884
HYPOSTASE, PERSONNE ET INDIVIDU SELON SAINT MAXIME LE
CONFESSEUR
Certains thologiens orthodoxes, au cours de ces dernires
d-cennies, ont dvelopp, sur la base du personnalisme et de
lexis-tentialisme modernes, une conception particulire de la
personne et de lindividu et tent ensuite de lui trouver une base et
une justification patristiques, en particulier chez les
Cappadociens (Basile de Csare, Grgoire de Nazianze et Grgoire de
Nysse) et chez Maxime le Confesseur. Il nest pas du ressort du
patrologue de contester la libert qua un philosophe ou un thologien
de d-velopper une nouvelle thorie thologique ou anthropologique ;
il relve en revanche de sa comptence de porter un jugement sur la
question de laccord ou du dsaccord de cette thorie avec les
fondements patristiques dont elle recherche la caution.
Un certain nombre de patrologues se sont prononcs depuis
longtemps sur la question du rapport du personnalisme et de
lexistentialisme (tel quon le trouve en particulier chez C.
Yan-naras, J. Zizioulas et les disciples de ce dernier) avec la
pense des Cappadociens, concluant une discordance entre les deux
conceptions, et au caractre anachronique dune interprtation de la
thologie des Cappadociens laune du personnalisme mo-derne1. Des
patrologues ont, plus rcemment, abouti aux mmes
1 Voir I. Panagopoulos, . - , dans Synax, 13 (1985), p. 63-79 ;
14 (1985), p. 37-47 ; A. de Halleux, Personnalisme ou essentialisme
trinitaire chez les Cappadociens ? Une mau-vaise controverse, dans
Revue thologique de Louvain, 17 (1986), p. 132-155, repris dans
Patrologie et cumnisme, Leuven, 1990, p. 218-241 ; J. G. F. Wilks,
The Trinitarian Ontology of John Zizioulas, dans Vox evangelica, 25
(1995), p. 63-88 ; L. Turcescu, Prosopon and Hypostasis in Basil of
Caesa-reas Against Eunomius and the Epistles, dans Vigiliae
Christianae, 51 (1997), p. 375-395 ; Person versus Individual , and
other Modern Misreadings of Gregory of Nyssa, dans Modern Theology,
18 (2002), p. 527-539 ; Gregory of Nyssa and the Concept of Divine
Persons, Oxford et New York, 2005 ; V. Harrison, Yannaras on Person
and Nature, dans St. Vladimirs Theological Quarterly, 33 (1989), p.
287-288 ; Zizioulas on Communion and Otherness, dans
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j.-c. larchet36
conclusions au sujet du rapport de la mme conception
personna-liste et existentialiste avec la pense de S. Maxime le
Confesseur2. J. Zizioulas avec lappui de lun de ses disciples
ayant, lors dun rcent colloque consacr Maxime le Confesseur, tent
dapporter des rponses aux objections qui lui taient faites3 avec
des arguments qui paraissent marqus par certains a priori et par
une rfrence insuffisante aux textes4, il est opportun de revenir
lensemble des crits de S. Maxime pour dterminer sa posi-tion prcise
concernant la dfinition et les relations des concepts dhypostase
(), de personne () et dindividu ().
Lquivalence des notions de personne et dhypostase
Dans plusieurs passages de ses uvres, S. Maxime affirme de
manire explicite et non ambigu lidentit des notions dhypos-tase et
de personne (gnralement exprime par le mot ), sinon leur quivalence
(marque par les conjonctions , , ou , ou par lusage alternatif et
indiffrenci des deux mots).
Dans des dfinitions gnrales
Il le fait de manire gnrale, dans cette dfinition bien connue
qui figure en Th. Pol., 14, PG 91, 152A : Hypostase et per-sonne :
mme chose ( , ) ; les deux
St. Vladimirs Theological Quarterly, 42 (1998), p. 273-300
(passim) ; N. Lou-dovikos, Person Instead of Grace and Dictated
Otherness : John Zizioulas Fi-nal Theological Position, dans
Heythrop Journal, 48 (2009), p. 3-4 ; J.-C. Lar-chet, Personne et
nature, Paris, 2011, p. 244-275 (passim).
2 Voir M. Trnen, Union and Distinction in the Thought of St
Maximus the Confessor, Oxford, 2007 ; J.-C. Larchet, Personne et
nature [voir n. 1], p. 244-275 (passim).
3 Voir J. Zizioulas, Person and nature in the Theology of St.
Maximus the Confessor, dans Bishop Maxim Vasiljevi (d.), Knowing
the Purpose of Everything through the Resurrection , Proceedings of
the Symposium on St Maximus the Confessor, Belgrade, October,
18-21, 2012, Alhambra et Belgrade, 2013, p. 85-113 ; D. Skliris,
Hypostasis , Person , Individual , Mode : A Comparison between the
Terms that Denote Concrete Being in St Maximus Theology, ibid., p.
444-449.
4 Voir notre recension de Bishop Maxim Vasiljevi (d.), Knowing
the Purpose [voir n. 3], 2013, dans la Revue dHistoire
ecclsiastique, 000, 000, p. 000-000.
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hypostase, personne et individu 37
en effet ont le propre et le particulier, en tant que
circonscrits en elles, sans possder pourtant par nature leur
prdicat dans la plu-ralit. Cette dfinition se trouve galement dans
un passage de Ep., 15, PG 91, 549B que nous citons plus largement
ci-dessous : si [hypothse admise par Maxime] lhypostase et la
personne sont la mme chose ( ) [].
Dans des contextes particuliers varis
Maxime affirme galement lidentit ou lquivalence des deux notions
dans des contextes particuliers qui se rapportent la Tri-nit, au
Christ, aux anges, aux hommes, mais aussi dautres tres de la nature
:
Ep., 12, PG 91, 468D : lhypostase ou en vrit la personne [ , ] .
Ep., 15, PG 91, 549BC : Si lessence et la nature sont la mme chose,
et de mme lhypostase et la personne sont la mme chose ( ), il est
vident que les tres de mme nature et essence les uns que les autres
sont dhypostase autre. Et par les deux, la nature et lhypostase,
nul des tres nest le mme quun autre. Et par l, les tres unis selon
une seule et mme na-ture, autrement dit les tres de mme essence et
nature donc, ne sau-raient jamais tre unis selon la mme hypostase,
cest--dire personne ( ), autrement dit ne peuvent avoir une
personne et une hypostase unique ( ). Et les tresqui sont unis
selon une seule hypostase, cest--dire personne ( ), ne sau-raient
se coapter en une seule essence ou nature, cest--dire ne sau-raient
provenir dune seule essence et nature. Mais les tres unis selon une
seule et mme nature, cest--dire essence, se distinguent les uns des
autres par les hypostases, cest--dire les personnes ( , ), comme il
en va des anges, des hommes ou de toutes les cratures, prises dans
un genre ou une es-pce. Ep., 15, PG 91, 552A : Linengendr,
lengendrement, la proces-sion, ne scindent pas en trois essences ou
natures ingales ou gales lunique nature et puissance de lineffable
divinit. Mais ces choses, en quoi ou quest lunique divinit,
cest--dire lessence ou la na-ture, caractrisent les personnes,
cest--dire les hypostases ( ). Mais les [lments] qui sont unis
selon lunique et mme hypostase, cest--dire personne ( , ),
cest--dire sont dune seule
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j.-c. larchet38
hypostase et accomplissent une seule personne, diffrent par le
logos de lessence ou nature. On peut noter dans ce passage le
caractre rversible de lquivalence : personne-hypostase,
hypostase-personne. Ep., 15, PG 91, 552BC : Tous ceux qui sont unis
selon une seule et mme essence, cest--dire nature, sont toujours de
mme essence les uns que les autres, mais dhypostase autre ; [] ils
sont dhypos-tase autre par le logos de lhtrognit personnelle qui
les distingue par les proprits caractristiques de lhypostase, selon
lequel lun se distingue de lautre et ils ne sassemblent pas par les
proprits caractristiques de lhypostase ( , , ). Mais chacun, par la
cohrence en lui de ses proprits, comporte le logos de son hypostase
propre qui lempche dtre comme ceux qui sont de mme nature et de mme
essence que lui. Ceux qui sont unis selon une seule et mme
hypostase cest--dire personne ( ), cest--dire sont achevs en unit
selon une seule et mme hypostase, sont de mme hypostase mais
dessence autre. Ep., 15, PG 91, 553D : le Verbe de Dieu, parfait
selon lessence et la nature, selon lesquels Il est le mme que le
Pre et lEsprit et consubstantiel eux, et selon la personne et
lhypostase ( ) autre que le Pre et lEsprit, sau-vegardant
inconfondue Sa diffrence personnelle ( ) . Ep., 15, PG 91, 556AB :
En raison dune part de la communaut des parties dont il est
constitu selon lessence, uni Son Pre et Sa Mre selon la nature, [le
Verbe incarn] Sest rvl conserver la diffrence lune avec lautre des
parties dont Il est constitu. En rai-son dautre part de lidenticit
de Ses propres parties selon lhypostase ( ), Se distinguant de ces
extrmes Son Pre et Sa Mre, jentends , Il Se rvlait dans lunicit de
Sa propre hypostase absolument sans dif-frence, unifi au suprme
degr par lidentit personnelle ( ) de Ses parties lune avec lautre .
Ep., 15, PG 91, 556D-557A : Par [lhypostase du Verbe], les ex-trmes
je dfinis ainsi Son Pre et Sa Mre Sunissent en Lui sans
[constituer] la moindre diffrence, pour quil ny ait pas
dispa-rition totale de lidentit hypostatique des parties ( ) ; car
la survenue par elle dune diffrence des parties dissoudrait lunion
hypostatique en dualit de personnes ( ), et ne pourrait alors se
montrer sauvegarde lidentit personnelle des par-ties lune avec
lautre ( ), tant alors scinde par la diffrence hypostatique en
une
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hypostase, personne et individu 39
dyade de personnes ( ) . Ep., 15, PG 91, 557C : Par les proprits
distinctives qui le dif-frencient de ceux qui sont de mme essence,
[le Verbe incarn] garde, vis--vis du combin par union, lidentit de
lhypostase conser-ve dans la complte unicit de la personne ( , ) .
Ep., 15, PG 91, 565D : Quant nous, [] cest en toute pit que nous
affirmons en Christ lidentique : en raison de lhypostase une ( ),
nous le confessons par lidenticit de Dieu le Verbe avec la chair,
pour que la glorieuse Triade, par lajout dune personne ( ), ne
devienne une ttrade. Ep., 15, PG 91, 568C : Svre [dAntioche], en
disant, au sujet de lIncarnation divine, que lessence et lhypostase
ou la nature et la personne sont la mme chose ( , ), ne connat pas
lunion sans confu-sion, mme sil feint de le dire, ni la diffrence
sans division, mme sil se targue du contraire. Pyr., PG 91,
289D-292A : Et voici ce quon trouvera, selon vous, concernant la
Divinit bienheureuse qui dpasse toute essence et tout bien : cause
de sa volont unique, elle na aussi quune seule hypos-tase, comme le
dit Sabellius ; cause des trois personnes, elle a aussi trois
volonts, et, cause de cela, trois natures, comme le dit Arius,
puisque, daprs les dfinitions et les canons des Pres, la
distinction des volonts entrane aussi une distinction des natures.
Pyr., PG 91, 336D : vous serez contraints, en suivant vos propres
rgles [selon lesquelles lopration se rapporte la personne ou
lhy-postase et non lessence ou la nature], soit, cause de lunique
opration de la sainte divinit, de parler dune seule personne en
elle, soit cause de ses trois hypostases, de parler aussi de trois
oprations ( , , ) . Pyr., PG 91, 340B : Est-ce dune manire double,
cause de la dua-lit de la nature, que le mme opre, ou bien dune
manire une cause du caractre dunit de lhypostase ( ) ? Eh bien, si
cest dune manire double, celui qui opre tant lui-mme un, cest donc
quau nombre des oprations nest pas li le nombre des personnes. Mais
si cest dune manire une, cause du caractre dunit de la personne (
), le raisonnement sur les mmes donnes prsentera dans ce cas-l les
mmes absurdits. Car si lopration est hypostatique, la multiplicit
des hypostases et la dis-tinction des oprations seront envisages de
pair. Th. Pol., 2, PG 91, 40C : si [Svre] dit lunion se faire des
hypos-tases, cest--dire des personnes ( )
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j.-c. larchet40
Th. Pol., 5, PG 91, 64C les deux natures du Christ-Dieu
concou-rant en une seule hypostase et une seule personne ( ) En Th.
Pol., 3, PG 91, 52C-56D, dans un texte trop long pour tre cit ici,
on peut observer lusage alternatif et indiffrenci de la notion de
personne (prsente douze fois) et de la notion dhypostase (prsente
dix fois). Th. Pol., 13, PG 91, 145B-148A : Pour la Sainte Trinit,
il y a identit dessence et altrit de personnes. Car nous confessons
une es-sence unique et trois hypostases ( ). Et pour lhomme,
identit de personne et altrit dessences ( ), car lhomme est un,
mais dune essence, lme, et dune autre, la chair. Semblablement en
notre Matre le Christ, il y a identit de personne, et altrit
dessences ( , , ) ; car tant une seule personne ou en vrit
hypostase ( , ), dune essence est la divinit, dune autre lhumanit.
Th. Pol., 14, PG 91, 149C : un enhypostasi est aussi ce qui vient
en composition et coexistence avec un autre diffrent dessence pour
constituer une seule personne et faire une seule hypostase ( , ) .
Th. Pol., 14, PG 91, 152A : Lunion est donc hypostatique qui relie
et amne les essences, ou natures donc, diffrentes en une seule
per-sonne et une seule et mme hypostase ( , , ). Th. Pol., 16, PG
91, 192C : [le vouloir gnmique] constitue une pulsion libre nous
faisant tirer des deux cts et une marque distincte dterminant non
pas la nature mais proprement la personne et lhypos-tase ( ) . Th.
Pol., 16, PG 91, 201D-204A : les notions de personne compo-se et
dhypostase compose sont utilises par Maxime de manire quivalente.
Th. Pol., 19, PG 91, 225A : sils sont attachs absolument aux
[vouloirs] hypostatiques cest--dire personnels (, ) en regardant
dun mauvais il les naturels, ils intro-duisent aussi laltrit de la
personne et dcrtent ce qui nest pas naturel et la dchance des
essences . Th. Pol., 23, PG 91, 269CD : Moi je dclare que la chair
vivifiante du Fils de Dieu a, dans le Verbe de Dieu, tout le
surnaturel de sa propre nature, accomplissant les deux natures en
une personne et une seule hypostase ( ) du Verbe de Dieu.
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hypostase, personne et individu 41
On peut ajouter cela deux textes qui ne sont pas de la main de
Maxime mais refltent sa pense :
Dis. Byz., XIV, CCSG 39, p. 107 : Il est donc clair quil ny a
pas dnergie selon lhypostase. [Sinon] nous serons contraints
dattribuer des nergies hypostatiques au Pre et lEsprit de la mme
faon quau Fils, et, daprs vous, la bienheureuse divinit aura quatre
nergies : trois distinctes celles des personnes qui la composent et
une commune aux trois, signifiant la communaut naturelle des trois
hypostases ( , ). Ep. Cal., CCSG 39, p. 166.18-22 : si des proprits
diverses caract-risent naturellement un compos de diverses
substances, parce que la diffrence des natures nest en rien
supprime par lunion, mais quau contraire, tant sauve la proprit de
chaque nature, elle concourt dans une unique personne et une unique
hypostase.
Dans ces diffrents passages et dans de nombreux autres, on peut
observer lidentit des termes, leur quivalence, et leur rver-sibilit
(on pourrait dans tous les cas utiliser lun la place de lautre) ;
le contexte ne laisse apparatre aucune connotation propre lun ou
lautre qui permettrait de distinguer lun de lautre.
Accord avec les Cappadociens
En affirmant lquivalence des notions dhypostase et de per-sonne,
Maxime se fonde explicitement sur les Pres qui lont pr-cd :
Communes donc et universelles, ou gnral, selon les Pres, sont
lessence et la nature : ils affirment en effet que ces choses sont
qui-valentes. Propres et particulires sont lhypostase et la
personne : on trouve chez eux ces expressions voulant dire la mme
chose ( , , , . , ) (Ep. 15, PG 91, 545A).
Deux passages de Grgoire de Nazianze, cits in extenso par
Maxime, affirment trs nettement lquivalence des notions dhy-postase
et de personne :
puisquil faut tenir quil y a un seul Dieu et confesser les trois
hypostases, cest--dire donc trois personnes, et chacune avec sa
propri-t ( ,
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j.-c. larchet42
, , ) (Discours, XX, 6, SC 270, p. 70.25-27 ; cit par Maxime,
Ep., 15, PG 91, 548B). Quand je dis Dieu, soyez frapps par lclair
dune lumire unique et de trois lumires : trois en ce qui concerne
les proprits ou encore les hypostases si lon veut les appeler ainsi
, ou les personnes ( , , , , ), car nous nengageons aucune lutte
entre nous pour des noms, tant que les syllabes diffrentes nous
porteront vers une mme pense (Discours, XXXIX, 11, SC 358, p.
170-172, cit par Maxime, Ep., 15, PG 91, 548CD5).
Et Maxime de conclure : Telle est la symphonie que nos Pres
inspirs, Grgoire et Basile, nous ont transmise de la claire
concordance des dogmes divins : identit de la nature avec
les-sence, comme correspondant au commun et au gnral ; celle de
lhypostase avec la personne, comme correspondant au propre et au
particulier ( , ) (Ep., 15, PG 91, 548D).
Il faut cependant noter que chez Grgoire de Nazianze et plus
encore chez Basile lusage du mot prospon reste rare (il est
symp-tomatique que Maxime cite le nom de Basile, mais aucun texte
de lui contenant le mot mme) et que ces deux Pres lui prfraient le
mot hypostasis, en raison de liens que le mot prospon avait encore
leur poque avec le modalisme sabellien et des risques de confusion
que son usage pouvait comporter pour certains lecteurs. Cette
rticence ne sattnue chez Grgoire de Nysse que dans ses petits
traits trinitaires, en particulier Aux Grecs, partir des notions
communes ; il considre lui aussi les deux termes comme synonymes
mais utilise plus facilement hypostasis que prospon6.
5 On pourrait ajouter (mais Maxime ne le cite pas) cet autre
passage de Grgoire de Nazianze : Voil comment nous sommes forms,
nous qui reconnaissons lunit par la substance et le caractre
indivisible de ladora-tion, ainsi que la Trinit par les hypostases
ou encore par les personnes ( , ), comme prfrent dire certains
(Discours, XLII, 16, SC 384, p. 84).
6 Pour Grgoire de Nazianze, voir la note de P. Gallay, dans G r
g o i r e d e N a z i a n z e, Discours 38-41, SC 358, Paris, 1990,
p. 171. Pour les trois Cappadociens, voir M. Bonnet, Hupostasis et
prospon chez les Cappado-ciens au IVe sicle, dans B. Meunier (d.),
La Personne et le christianisme ancien, Paris, 2006, p. 179-207. Il
est noter que dans la Lettre 210, saint Basile tolre lusage du mot
prospon condition quil soit associ hypos-tasis, cela afin dviter
toute confusion avec le sabellinanisme qui propose
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hypostase, personne et individu 43
Lquivalence fut admise en quelque sorte officiellement et
uni-versellement au concile de 381 o les Pres appelrent croire en
une seule essence du Pre, du Fils et du Saint-Esprit [] en trois
hypostases parfaites ou trois personnes parfaites7 .
Objections possibles et rponses ces objections
Deux objections pourraient tre opposes laffirmation de
lquivalence des deux notions ou de leur usage indiffrenci par saint
Maxime.
1) Saint Maxime, dans plusieurs passages, utilise les deux
termes en les reliant par et ou par ou : Ep., 12, PG 91, 469D : les
natures concourent pour achever une personne et une seule hypostase
du Fils ( ) ; Ep., 12, PG 91, 492C : les deux [natures] achvent une
personne du Fils et une seule hypostase ( ) ; Ep., 15, PG 91, 549C
: les tres de mme essence et nature [] ne peuvent avoir une
personne et une hypostase unique ( ) ; Ep., 15, PG 91, 552A : les
[lments] qui sont unis selon lunique et mme hypostase, cest--dire
personne, sont dune seule hypostase et accomplissent une seule
personne ( , ), diffrent par le logos de lessence ou nature . Cela
nest-il pas indicatif dune diffrence ?
On doit y voir plutt la marque dune insistance, visant
juste-ment souligner lquivalence. Il sagit la fois dexclure toute
interprtation dans le sens du modalisme sabellien (ce qui tait dj
le sens de lexpression utilise par les Pres du concile de 381, cite
prcdemment) et toute interprtation nestorienne.
2) Jean Zizioulas et son disciple D. Skliris font valoir que
Maxime utilise le mot hypostase pour tous les tres, mais vite
dutiliser le mot personne en rfrence des tres non intel-ligents, et
le rserve aux trois hypostases divines, aux anges et
selon lui une fiction de personnes sans hypostases : Il ne
suffit pas de compter les diffrences de personnes (prospon), il
faut encore confesser que chaque personne (prospon) existe dans une
vritable hypostase (Lettres 210, 5, 37, d. Courtonne, t. II, p.
96). On est loin du caractre ontologique que Zizioulas entend
attribuer de manire absolue et exclusive la personne en prtendant
se fonder sur les Cappadociens et en particulier sur S. Basile.
7 T h o d o r e t D e C y r, Histoire ecclsiastique, V, ix,
13.
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j.-c. larchet44
aux hommes8 ; ils se rfrent pour cela, lutilisation de la
notion, dans un contexte thologique, dans un passage dAmb. Io., 37,
PG 91, 1293D, o Maxime dit : cest selon la personne [quest considre
la parole de lcriture] quand elle appelle celle-ci ange, archange,
sraphins et autres essences intelligibles dans les cieux ou
lorsquon dsigne par son nom Abraham, Isaac ou Jacob, ou tel autre
que lcriture loue ou excre . Ils en concluent que le mot personne a
pour Maxime une connotation que na pas la notion dhypostase : il
dsigne des tres dous dintelligence et de libert.
J. Zizioulas, visant M. Trnen qui a intitul lune des sections de
sa thse sur Maxime Une souris peut-elle tre une personne ? (certes
dune manire un peu provocatrice, mais en dmontrant dans le corps de
cette section que pour les Cappadociens et pour Maxime un animal
est considr comme une hypostase ou une personne9) considre qu une
souris, par exemple, ne peut tre ap-pele une personne10 . Mais ce
qui peut paratre trange du point de vue de lusage actuel ne ltait
pas une poque o le mot prospon avait encore un sens technique, et
il nest pas mthodo-logiquement correct de vouloir juger de lusage
ancien partir de lusage actuel.
8 J. Zizioulas, Person and nature [voir n. 3], p. 88 : On doit
noter que Maxime qui, suivant les Pres cappadociens, identifie en
principe le terme hypostasis avec celui de personne, vite dutiliser
personne en rfrence des entits autres que les tres humains (et,
bien sr, de Dieu). Une souris, par exemple, possde un hypostase
mais ne peut tre appele comme cela a t faussement suggr [rfrence
implicite M. Trnen, Union and Distinction in the Thought of St
Maximus the Confessor, p. 55-59] une personne. Le fait que Maxime
vite dutiliser personne en rfrence des tres non intelligents doit
tre not et tudi. Il semble que cela suggre une nuance dans
lontologie qui lie la personne avec la libert, via lintelligence ;
D. Skliris, Hypostasis [voir n. 3], p. 443 : le terme [personne]
nest jamais utilis pour dnoter des ani-maux ou dautres tres qui ne
sont pas des personnes divines ou humaines ou des anges. Cest plutt
un argumentum ex silentio, mais nous pouvons arguer que le terme
prospon est rapport Dieu et des lments qui constituent son image
dans dautres tres, comme lintellection () et la libert () [lauteur
donne comme rfrence Amb. Io., PG 91, 1293D], tandis que le mot
hypostasis semble avoir un contenu ontologique plus ample.
9 Union [voir n. 2], p. 55-59.10 Person and nature [voir n. 3],
p. 88
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hypostase, personne et individu 45
supposer dailleurs que Maxime ait anticip lusage courant actuel
qui amne parler de personnes propos dtres dous dintelligence et de
capacit dautodtermination (impliquant vo-lont et libert), cela ne
conduirait nullement confirmer la tho-rie personnaliste et
existentialiste, puisque cela signifierait que les personnes sont
telles en vertu de leur nature (lintelligence et la capacit
dautodtermination tant des proprits communes des natures divine,
anglique et humaine).
Mais il faut bien constater que chez Maxime, comme chez ses
prdcesseurs, la notion de personne, si elle ne comporte pas les
connotations spirituelles et axiologiques que le personnalisme
reli-gieux moderne lui attache, ne comporte pas non plus lide,
ga-lement lie au personnalisme moderne, que la personne se
carac-triserait comme un tre dou desprit, dintellect ou de raison,
de conscience, de capacit dautodtermination ou de volont et de
libre arbitre. Pour les Pres et plus encore pour Maxime (qui sest
fait un fervent dfenseur du rattachement de la volont la nature)
ces facults appartiennent la nature, mme sil consi-dre que
lhypostase ou la personne peut en user de diffrentes faons11.
En opposition avec lobjection prsente prcdemment, on peut
constater que Maxime, comme nous venons de le voir, se prononce,
trs explicitement, dans une multitude de textes, en faveur de
lquivalence des deux notions dhypostase et de per-sonne, les
utilise indiffremment et ne laisse en tout cas appa-ratre aucune
diffrence de connotation dans le sens voulu par Zizoulas et son
disciple. La majorit des textes se situent dans un contexte
christologique parce que la rflexion thologique de Maxime prend
place en grande partie dans un tel contexte. Cest par rapport cette
proccupation centrale et pour rsoudre les problmes christologiques
poss par le monophysisme, le mono-nergisme et le monothlisme que
saint Maxime fait appel la triadologie et lanthropologie. Il na pas
lieu de faire appel la cosmologie dans une rflexion sur lhypostase
ou la personne dans ses rapports avec lessence ou la nature.
Le passage dAmb. Io., 37, PG 91, 1293D avanc par les deux
auteurs doit tre lui-mme resitu dans son contexte et nest au-
11 Voir ce sujet les remarques trs justes de M. Trnen, Union
[voir n. 2], p. 52-59.
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j.-c. larchet46
cunement exclusif. Ainsi quelques lignes plus haut, Maxime note
que cest selon le genre [quest considre la parole de lcriture]
quand elle montre les anges ou ce qui est dans le ciel au rang des
essences intelligibles, ou le soleil, la lune, les astres, le feu
et ce quil y a dans lair, la terre, la mer, animaux, plantes ; il
omet de mentionner lhomme, mais cela ne signifie pas pour autant
que celui-ci ne ressortisse pas un genre
On peut noter que quand Maxime dfinit, comme les Cappa-dociens
mais aussi comme Lonce de Byzanze et Lonce de J-rusalem, une
personne ou une hypostase par les idiomes qui la caractrisent en
propre au sein de lessence commune ou la dis-tinguent des autres
tres de mme genre, il nentend pas quil sagisse de proprits se
rapportant spcialement aux personnes divines, aux anges ou aux
personnes humaines, mais adopte une dfinition universelle,
applicable tous les tres. Ainsi en Ep., 15, PG 91, 557D : Une
hypostase, cest ce qui existe en soi de manire distincte, puisque,
dit-on, lhypostase est une essence avec des idiomes la distinguant
en nombre des autres du mme genre ; ou en Th. Pol., 23, PG 91, 261B
: lhypostase dfinit une personne par les idiomes caractristiques (
) .
Mais lobjection de Zizioulas et de Skliris est dfinitivement
contredite par deux passages de Maxime quils ignorent, o il accepte
lusage de la notion de personne, assimile une fois encore la notion
dhypostase, pour dautres tres que les tres divins, angliques et
humains prcdemment voqus.
Ainsi, dans un texte, sur lequel nous reviendrons dans la
sec-tion suivante, qui appartient la dmonstration que le Christ
nest pas un individu, Maxime rejette largument du phnix que lui
opposent ses adversaires, en faisant valoir que ce dernier, en tant
qutre vivant figurant parmi les oiseaux du monde cr, nest pas
singulier comme lest le Christ. Ce qui est intressant pour nous
pour le moment, cest de constater que Maxime nh-site pas rflchir la
comparaison de lhypostase du Christ avec celle du phnix et ne fait
pas dobjection au fait mme que lon utilise le mot prospon
(personne) propos de cet oiseau :
Si la nature du Christ est singulire, et que nous sommes
autoriss dire quen gnral une nature nest jamais circonscrite une
seule personne ( ), surtout sils mettent en balance loiseau phnix
comme suprme et imbattable argument lappui de leur opi-
-
hypostase, personne et individu 47
nion, je crains dencourir le risque de faire rire les gens en
soutenant une fable avec une autre fable. Car si le phnix est un
oiseau, cest un tre vivant ; tre vivant, tout dabord il nest pas
singulier comme vivant ; tre vivant ensuite, il a un corps anim et
sensible. Si le ph-nix est un corps anim et sensible, il est aussi
assujetti naissance et mort. Demandons-leur, ces savants
observateurs des tres, sil se peut que lun quelconque des corps
anims et sensibles existe [qui soit] de nature singulire par
hypostase ( , ) ; corps dont alors la transmission de son genre de
lune lautre est le caractre le plus clair de son tre, et sa
dfi-nition. Ce dont tmoigne la divine criture, donnant force
largu-ment, quand elle fait intervenir Dieu enjoignant No : Entre
dans larche, toi et toute ta maison, car je tai vu juste devant moi
parmi cette gnration. Tu prendras auprs de toi sept couples de tous
les animaux purs, le mle et la femelle ; une paire des animaux non
purs, le mle et la femelle ; sept couples aussi des oiseaux du
ciel, mle et femelle ; afin de conserver leur race en vie sur la
surface de toute la terre. Si le phnix est compt avec eux en tant
qutre ail, il nest pas par hypostase dune nature singulire ( ),
daprs la dclaration [de lcriture] divine, de sorte que nous ne le
disons pas non plus, je lai dit ; nous naimons pas disputer sans
ncessit. Il est vident tous que si le Christ est de nature
sin-gulire, Il nest consubstantiel ni Dieu, Son Pre, ni aux hommes.
Car ce qui est absolument singulier par nature est aussi tranger
quoi que ce soit dautre de nature gnrique. Et si daprs eux, comme
la montr le propos, le Christ par nature est alin tous les tres,
nous les exhorterons, ces no-dogmaticiens, nous rvler qui Il est
par nature et pour quelle raison ils Le rvrent, Lui qui, daprs leur
blasphme, nexiste mme pas, daprs ce quon dduit de leurs argu-ments
(Ep., 13, PG 91, 517D).
Mais un autre passage est encore plus dterminant pour montrer
que les tres autres que Dieu, les anges et les hommes peuvent tre,
selon Maxime, qualifis de personnes autant que dhypostases :
Les tres unis selon une seule et mme nature, cest--dire essence,
se distinguent les uns des autres par les hypostases, cest--dire
les per-sonnes ( , ), comme il en va des anges, des hommes ou de
toutes les cratures, prises dans un genre ou une espce. Lange se
distingue de lange, lhomme de lhomme, le buf du buf par hypostase
mais non par nature ni essence (Ep. 15, PG 91, 549C).
Il y a sur ce point un certain nombre dantcdents patris-tiques.
Ainsi S. Grgoire de Nysse note : Une chose se distingue
-
j.-c. larchet48
dune autre chose soit par lessence, soit par lhypostase, soit
par lessence et lhypostase ; ainsi cest par lessence que lhomme se
distingue du cheval, cest par lhypostase que Pierre se distingue de
Paul, et cest par lessence et lhypostase que telle hypostase de
lhomme se distingue de telle hypostase du cheval12. Grgoire de
Nysse nutilise pas volontiers le mot prospon, mais du fait quil le
considre comme quivalent celui dhypostasis, il pour-rait trs bien
dire la mme chose de la personne.
Cest ce que fera sans hsiter saint Jean Damascne, qui non
seulement suit souvent de trs prs Maxime, mais offre une syn-thse
des acquis patristiques des sicles qui ont prcd : pour lui, non
seulement les notions dhypostase et de personne paraissent tout
fait synonymes, mais sappliquent lune et lautre tous les tres, y
compris aux animaux13. Les saints Pres, affirme-t-il notamment, ont
appel [] personne [] ce qui existe par soi en ayant une consistance
propre, est constitu dessence et dacci-dents, est distinct par le
nombre et dsigne quelquun de dter-min, par exemple Pierre, Paul, ce
cheval14.
Lquivalence des notions dhypostase, de personne et dindividu
Maxime affirme galement de manire explicite lquivalence des
notions d hypostase et d individu ou de leurs drivs.
Parfois lquivalence des deux notions comme cest le cas aussi
pour les notions dhypostase et de personne est prsente par la
conjonction : ainsi en Th. Pol., 18, PG 91, 213A, cit infra.
Parfois aussi Maxime utilise la notion d individu l o lon
pourrait utiliser la notion de personne . Ainsi en :
Ep. 12, PG 91, 484B, o Maxime crit, contre Nestorius : il ne se
peut faire que deux hypostases particulires, spares par leur logos
propre en individus spcifiques, deviennent une mme hypostase ( , ,
) .
12 partir des notions communes, aux Grecs, 16, GNO III-1, p.
29.13 Voir A. Louth, John Damascene : Tradition and Originality in
Byzantine
Theology, Oxford, 2002, p. 50-53, qui souligne le dcalage entre
la conception de J. Zizioulas et celle de S. Jean Damascne.
14 Dialectica, 44, PTS 7, p. 109.
-
hypostase, personne et individu 49
Ep. 12, PG 91, 513B, o est voque la particularit dindividus dun
mme genre distingus par leurs accidents . On peut comparer ce texte
Dis. Byz., 14, CCSG 39, p. 105 : Les traits hypostatiques tels quun
nez aquilin ou camus, des yeux pers, une calvitie et des choses de
ce genre, sont des accidents individuants dtres diffrents les uns
des autres par le nombre. Il apparat que les accidents rap-ports
aux individus correspondent ce qui est mentionn comme tant les
traits hypostatiques qui les distinguent, ce qui signifie que ce
qui distingue les hypostases est aussi ce qui distingue les
individus et rciproquement. Ep. 13, PG 91, 528AB, o lon peut
remarquer que Maxime dfi-nit une hypostase de la mme manire quun
individu, savoir une essence ou une nature avec des idiomes,
cest--dire des particula-rits : De mme en effet que nous disons,
pour dfinir simplement une hypostase, quune hypostase est une
essence avec des idiomes, ou bien quune essence implique tous les
idiomes pris un un en chaque individu ( , , ), de mme disons-nous,
en la dfinissant spcifiquement et non simplement, quune hypostase
compose est une essence compo-se avec des idiomes, ou bien quune
essence compose implique tous les idiomes pris un un dans chaque
individu ( , ). En 528C, il joint les deux notions en parlant d une
hy-postase individuelle avec les idiomes caractrisant proprement
celle-ci ( ) . Dis. Byz., 22, CCSG 39, p. 123-125 : Maxime souligne
que les ner-gies relvent de la nature et non de lhypostase ou de la
personne, et lon peut constater quil considre comme quivalentes les
notions dhypostase (et donc de personne) et dindividu, lesquelles
sont ici ap-pliques des hommes et des anges : Nul nopre comme
quelquun en tant quhypostase mais comme quelque chose en tant que
nature. Par exemple, Pierre et Paul ont une nergie, mais non en
tant que Pierre et Paul mais en tant quhommes ; car tous deux sont
hommes naturellement, de par le principe commun qui dfinit la
nature et non hypostatiquement de par leur qualit propre. De mme,
Michel et Ga-briel oprent, mais non en tant que Michel ou Gabriel,
mais en tant quanges, car tous deux sont anges. Et ainsi nous
discernons, dans toute nature qui comporte beaucoup [dindividus],
une nergie com-mune mais non individuelle. Parler donc dune nergie
hypostatique implique que la nature elle-mme, qui est une, est
rendue infinie en nombre par les nergies, est diffrente delle-mme
selon la multitude des individus quelle contient .
-
j.-c. larchet50
Th. Pol., 23, PG 91, 264C : Une hypostase compose est une
cer-taine essence compose, embrassant tous les idiomes de chacun
des tres en un individu particulier ( , , ).
Lun des textes o est affirme de la faon la plus nette
lqui-valence des notions dhypostase et dindividu est cette
dfinition de Th. Pol., 18, PG 91, 213A15 : Lunion selon lessence se
dit lorsquil sagit des hypostases, cest--dire des individus ( , ,
).
Il est intressant de noter que cette quivalence vaut aussi pour
les animaux, auxquels la notion dhypostase est explicite-ment
applique en Th. Pol., 21, 248B-249A : Quant aux Pres divins, leur
explication brve et concise ne relve pas dun sujet, cest--dire dune
essence et nature, mais de ce que lon consi-dre dans lessence et,
bien sr, lhypostase. Ils disent donc que la qualit est, dune part,
essentielle, comme le raisonnable dun homme ou le hennissement du
cheval, et, dautre part, hyposta-tique, comme le nez camard ou
aquilin dun homme ou la robe pommele ou alezane du cheval. Ainsi en
va-t-il, pour toutes les autres essences ou hypostases cres, [de la
qualit] considre en commun ou en particulier, en gnral donc ou en
particulier, dans les tres, et par laquelle est reconnue la
diffrence des genres et des individus des uns avec les autres, qui
discrimine la ralit des choses ( , , , , ).
La plupart de ces rfrences indiquent une quivalence des no-tions
dhypostase et dindividu, et ne renvoient quindirectement la notion
de personne (par le biais de lquivalence hypostase-personne) mais
parfois Maxime pose de manire explicite lqui-valence des notions
dindividu et de personne. Ainsi en Th. Pol., 16, PG 91, 201C : qui
nest-il vident quon ne saurait consta-ter sur la mme essence et
nature de diffrence dexistence ou dopration naturelle ? Car aucune
ne diffre delle-mme ; cest de
15 Texte figurant galement dans ldition critique de P. van Deun,
LUnionum definitiones (CPG 7697, 18) attribu Maxime le Confesseur :
tude et dition, dans Revue des tudes byzantines, 58 (2000), p.
145.
-
hypostase, personne et individu 51
toute faon impossible. En revanche, cest toujours et partout le
cas dans un individu et une personne ( ), sils sont composs.
On voit galement bien lquivalence dans ce texte de Th. Pol., 26,
PG 91, 276AB : Une essence, daprs les philosophes est une ralit
fonde en soi et ne la devant rien dautre. Pour les Pres cest une
entit naturelle prdique de nombreuses et diffrentes hypostases. Un
individu, pour les philosophes, est une collection didiomes dont le
concours ne peut se rencontrer en nul autre. Pour les Pres, cest
Pierre et Paul ou tel homme dfini par ses idiomes personnels ( ),
distincts des autres hommes. Une hypostase pour les philosophes est
une essence avec des idiomes. Pour les Pres, cest chaque homme en
particulier, personnellement () spar des autres hommes.
Objections possibles et rponses ces objections
1. On pourrait objecter que si, dans les textes prcdents
lqui-valence apparat frquemment pour les notions d hypostase et d
individu , elle napparat que rarement pour les notions de personne
et d individu . Mais on peut rpondre que lquiva-lence tant pose
entre les notions dhypostase et de personne, il en dcoule celle des
notions de personne et d individu , en vertu du principe logique
que si A=B et A=C, alors B=C.
2. On a avanc largument que la notion dindividu est dune nature
diffrente de celle dhypostase ou de personne : alors que ces deux
dernires notions seraient des catgories ontologiques, la notion
dindividu serait une catgorie logique, prenant place dans un systme
de classification (dorigine aristotlicienne lgrement modifi par les
disciples noplatoniciens dAristote, en particulier Porphyre), ne
prenant son sens que par rapport aux catgories de lessence, de la
nature, et plus particulirement du genre, et dsi-gnant au sein de
celui-ci le plus petit lment (qui reste inscable : cest le sens
propre datomon) rsultant de sa division ; la notion dindividu
serait donc lie celle de nombre, et aussi celle de division, et
donc de sparation16.
16 Cf. J. Zizioulas, Person and nature [voir n. 3], p. 91 :
Atomon reste pour Maxime une catgorie qui appartient au domaine des
essences []. Atomon diffre, en consquence, fondamentalement
dhypostasis et de pros-pon parce quil tombe sous la catgorie de la
nature. Il peut tre utilis
-
j.-c. larchet52
Cela apparat particulirement en Th. Pol., 16, PG 91, 201D-204A o
Maxime montre que le Christ, en tant quhypostase ou personne
compose, ne peut tre considr comme un individu : Jomets de dire que
la personne compose du Christ nest pas dite proprement un individu,
car elle na pas de rapport avec la division faisant descendre du
genre le plus gnral, par les espces subalternes, vers la forme la
plus spcifie, qui circonscrit en cette dernire son propre procs. De
l que, selon le sage Cyrille, pour cette raison, le nom de Christ
na pas valeur de dfinition, car ce nest pas une forme prdique
dentits diffrencies par le nombre, ni certes ne dsigne-t-il
lessence de quelque chose. Il nest pas non plus un individu
rductible une espce ou un genre, ou cernable par eux selon lessence
; mais hypostase com-pose identifiant en soi, au sommet, la
sparation naturelle des extrmes, les amenant en unit par lunion de
ses parties propres.
Il nest cependant pas possible de dduire de ce texte une
diffrence et a fortiori une opposition entre les notions
dhypos-tase ou de personne et la notion dindividu : il est question
de lhypostase compose du Christ qui constitue un cas unique dune
hypostase qui unit deux natures. En tant que Dieu-homme, le Christ
nest pas un membre dune essence ou dune nature, ou encore dun genre
uniques qui comporteraient une multiplicit dindividus.
Maxime le note en Ep., 12, PG 91, 488AB : le nom Christ nest pas
l pour signifier une essence, cest--dire une nature en tant que
genre dune srie de multiples individus diffrents par hy-postase,
comme le dit le bienheureux Cyrille dans les scholies : Ce nom de
Christ na pas valeur de dfinition pas plus quil ne montre lessence
dun certain [type] ; cest celui de lhypos-tase du Verbe comprise
comme assumant une me notique. Lhomme non plus na pas une seule
nature [faite] dune me et dun corps ; cest le nom dun genre spcifi
par rapport aux autres par la diffrence de constitution len sparant
et gale-ment affirm des individus quelle englobe. Il le redit en
Ep., 13, PG 91, 517D o il montre que le Christ, en tant que
Dieu-
comme un quivalent dhypostasis seulement dans la mesure o il
indique la particularit et lindividualit. Sil est identifi avec
hypostase ou personne, il conduit une totale confusion entre nature
et hypostase. Cf. aussi et surtout D. Skliris, Hypostasis [voir n.
3], p. 438-444.
-
hypostase, personne et individu 53
homme, nest pas une nature gnrique : si le Christ tait une
nature gnrique, elle serait prdique par le nombre des diff-rents
[individus], lvidence, et seulement en pense en ceux qui lui
doivent dexister, et elle ne serait pas connue en une certaine
hypostase propre, en Lui-mme, sans les accidents qui sont dans les
individus quelle comporte. Telle est la dfinition et la raison de
toute nature gnrique. Et aussi en Ep., 13, PG 91, 528D-529A : Quils
nous montrent donc que lhypostase compose du Christ dpend dune
nature compose, autorisant ainsi des parties contemporaines, et
quils nous reprochent alors avec raison [notre erreur]. Tant quils
ne le peuvent, ils btissent leurs opinions sur des sables mouvants.
Car celui qui sefforce de ramener le Christ sous ces absurdits,
parce quIl est hypostase compose, ce que nous reconnaissons aussi
avec pit, erre gran-dement hors la route menant la vrit, ou pour
mieux dire, de la vrit elle-mme. Car cest le grand et vnrable
mystre du Christ. Celui-ci na pas, comme un individu, une nature
gn-rique, telle une espce ; ni, certes, nest-Il ce genre Lui-mme ou
lespce pour des individus y ressortissant naturellement. De sorte
quIl nentre dans aucun de ces canons susdits ; de mme quil ny a
pas, semblable et similaire la rencontre [des par-ties] pour les
[tres] composs, une rencontre du Verbe de Dieu avec la chair pour
Le composer.
Autrement dit, Maxime, qui a t jusqu tablir, en Th. Pol. 16, PG
91, 201C, une quivalence entre les notions de personne compose et
dindividu compos, veut moins montrer dans la suite immdiate, en Th.
Pol., 16, PG 91, 201D-204A, que le Christ nest pas un individu, que
le fait quil nest pas un individu dun genre. A fortiori na-t-il
aucunement lintention dtablir une quel-conque opposition entre les
notions de personne ou dhypostase et la notion dindividu.
Maxime est dailleurs loin de considrer que la notion dindi-vidu
est indissociable de celle de genre. On trouve un certain nombre de
textes o il voque les individus en tant que compris sous la nature,
ou en tant que se rapportant une essence, ou bien encore en tant
que compris sous un genre ou une espce ; certains de ces textes
associent la notion dindividu celle de nombre :
Pyr., PG 91, 304D : Si le vouloir se trouve en tous les hommes
et non pas en certains et non dans les autres, et si ce que lon
peroit
-
j.-c. larchet54
comme un lment commun en tous est un caractre de la nature dans
les individus qui sont sous cet lment commun, cest donc par nature
que lhomme est dou de la volont. Pyr., PG 91, 336BC : lunit de
lhomme selon lespce et lunit de lme et du corps selon lessence ne
sont pas identiques. Car luni-t de lhomme selon lespce dsigne la
parfaite similitude qui rgne entre tous les individus compris sous
la nature. Pyr., PG 91, 345BC : Quant lopration vitale [de sa
nature hu-maine], [le Christ] la montre en respirant, parlant,
voyant, enten-dant, touchant, humant les odeurs, mangeant et
buvant, remuant les mains, marchant, et faisant les autres actes
qui, en tous les indivi-dus compris sous la nature, montrent
lidentit de lopration selon la nature. Ep., 13, PG 91, 513B : le
nombre ne caractrise pas la particula-rit dindividus dun mme genre
distingus par leurs accidents . Ep., 15, PG 91, 564BC : Si [le
nombre] tait un accident, soit une qualit, il ferait une
particularit diffrenciante et, impliqu dans le genre, il entrerait
dans la dfinition dun de ses spcimens ; et il indiquerait le genre,
non la quantit ; ou bien, coapt au spci-men, il ferait se discerner
entre eux les individus du genre ; ou bien il ferait la diffrence
proprement dite, dans la collection de tous les idiomes en un
individu, qui le diversifierait, pas seulement lui dun autre mais
en le dsignant spcialement. Si dans les dfinitions des choses
personne ninclut le facteur nombre, cest quil nest ni es-sence ni
qualit. Ep., 15, PG 91, 565D-568A : Jamais la divinit et lhumanit
ne deviennent essentiellement identiques, afin que rien de cr ne
soit, par lunion, consubstantiel et conaturel la divinit. Parce que
nous savons que cest dun esprit insane de les dire consubs-tantiels
par nature. Car le consubstantiel et le conaturel ne peuvent se
dire que des seuls individus qui par leur genre se ramnent une
seule essence. Car il ne se peut quune nature soit de mme genre et
de mme essence quune autre. Le consubstantiel et le conaturel ne
peuvent se dire que des seuls individus qui par leur genre se
ramnent une seule essence.
Les textes les plus prcis ce sujet figurent dans Ep., 13, PG 91,
528B : Les [idiomes] considrs en commun dans les indivi-dus dun mme
genre caractrisent principiellement le gnrique de lessence ou de la
nature dans les individus qui sont sous elle. Le compos est commun
tous les individus qui sont sous un genre compos ; donc le compos
caractrise principiellement une nature compose dans les individus
qui sont sous elle, mais non une hypos-tase ; et dans Th. Pol., PG
91, 264C : Ce que lon considre de
-
hypostase, personne et individu 55
commun dans les individus qui sont sous un mme genre est ce qui
caractrise lessence ou nature, principiellement dans les individus
qui sont sous lui, et gnralement le commun de tous les individus
qui sont sous un genre compos.
Par ailleurs on peut constater que ce nest pas seulement
lindi-vidu que Maxime rfre au genre, mais aussi lhypostase ou la
personne, comme on peut le voir dans ce passage dEp., 15, PG 91,
549C : Ceux qui sont unis sous une seule et mme essence ou nature
se distinguent les uns des autres par les hypostases ou les
personnes, comme il en va des anges, des hommes ou de toutes les
cratures considres dans une espce ou un genre.
Si lon prend en compte lensemble des textes cits prcdem-ment, on
peut faire les remarques suivantes :
a) Maxime voque plusieurs reprises les individus en tant qutant
sous un genre ; mais il les prsente aussi comme tant sous une
essence, et souvent comme tant sous une nature. Il ne fait donc pas
un usage troitement scolastique de la notion, en la situant
exclusivement sous le genre, dans un systme de classifica-tion de
caractre abstrait o elle prendrait un sens exclusivement
numrique.
b) Ce qui est dit alors de lindividu en tant que compris par une
nature ou une essence peut se dire aussi bien de lhypostase ou de
la personne. Et inversement, ce qui se dit de lhypostase ou de la
personne, peut se dire aussi bien de lindividu, lexception du cas
particulier et unique de lhypostase compose du Christ, du fait
prcisment quelle est compose.
Dans la suite du passage cit prcdemment de Ep., 13, PG 91, 528B,
o Maxime rapporte fortement lindividu au genre, on peut noter que
les notions dindividu et dhypostase restent quivalentes et nen
forment quune puisque Maxime parle mme d hypostase individuelle :
toute dfinition ressortit ce qui est commun aux individus achevs
sous celle-ci. Et tous ceux qui en dpendent tirent par nature leur
principe descriptif de ces gn-ralits ; parce quil est bien clair
que ce qui dfinit est ce qui est proprement et principalement. Si
cela est vrai, et ce lest, il est vident que quiconque parle dune
hypostase compose ramene sous une nature, indique ce qui existe
gnralement par le com-mun de lessence en une hypostase individuelle
( ) avec les idiomes caractrisant proprement celle-ci.
-
j.-c. larchet56
De sorte que, qui parle dhypostase compose accomplie par une
nature ne dit rien dautre quune nature, soit une essence, compo-se
avec des idiomes. Si donc, comme on la montr, toute nature compose
nest que rencontre non dlibre, sans choix propre, de ses parties,
elle acquiert ces parties en mme temps, contem-poraines, et
accomplit lentiret que lon considre en les tres chacun un tout en
son genre. Aussi chaque hypostase a-t-elle sa mme constitution
invariable en son genre et espce (Ep., 13, PG 91, 528B-D).
En Th. Pol., 14, PG 91, 152B, on peut constater que la notion
dhypostase est utilise, comme quivalente celle dindividu, alors mme
quil sagit de dsigner un spcimen appartenant un genre : Une
diffrence hypostatique est un logos selon lequel lal-trit de
lassemblage des idiomes, considrs dans le commun de lessence, fait
la quantit des individus en les sparant les uns des autres en
nombre ( , , , , ).
Il en va de mme en Th. Pol., 14, PG 91, 152D-153A, o lon peut
noter en outre que la notion dhypostase est connecte avec celle
dessence, tandis que la notion dindividu est connecte avec celle
dexistence (ce qui subvertit totalement les catgories du
personnalisme-existentialisme moderne) : Le propre de
lenhy-postasi, cest ou bien dtre reconnu avec un autre diffrent en
essence en une hypostase indissoluble, ou bien ce qui se trouve
naturellement dans les individus par existence ( , .).
En Th. Pol., 16, PG 91, 197BC, on voit aussi que la notion
dindividu est utilise dans un contexte o pourraient tre aus-si bien
utilises la notion dhypostase et celle de personne : Je mempresse
de dire quaucun des traits naturels nest rapporter primordialement
lindividu, mais sa nature et son essence.
c) La distinction numrique ne fait pas seulement appel la notion
dindividu, mais peut tre exprime aussi par la notion dhypostase,
comme le montre ce passage de Th. Pol., 14, PG 91, 152D : Le propre
de lhypostase, cest le fait dtre vue en soi et dtre distingue
numriquement des autres de mme genre.
-
hypostase, personne et individu 57
La personne nest pas plus relationnelle que lindividu nest
sparant
Lide que lindividu serait sparant ou divisant alors que la
personne ou lhypostase ne le serait pas (ide chre au personna-lisme
moderne, en grande partie fonde sur une opposition
per-sonne-individu) ne se vrifie pas dans la pense de Maxime.
1. Premirement, Maxime considre lhypostase comme ce qui
distingue des tres de mme nature et particularise en chacun deux le
commun de lessence ou de la nature :
Ep., 15, PG 91, 557D : une hypostase, cest ce qui est en soi
dune manire distincte et constitue, puisque, dit-on, lhypostase est
une essence avec des idiomes, diffrente par le nombre des tres du
mme genre. Th. Pol., 14, PG 91, 152D : Le propre de lhypostase cest
le fait dtre considre en soi et dtre distingue numriquement des
autres du mme genre17. Th. Pol., 23, PG 91, 265D : Une hypostase
est ce qui tablit et circonscrit dune manire particulire, en
quelque chose, le commun et lincirconscrit. Une hypostase est
quelque chose qui a avec luni-versel quelque chose de singulier.
Th. Pol., 26, PG 91, 276B : Selon les Pres, lhypostase, cest chaque
homme en particulier, personnellement spar des autres hommes.
Autrement dit, lhypostase ou la personne est plutt ce qui met
part lun de lautre les tres appartenant une mme nature, ou ce qui
distingue et mme spare un tre dun autre tre de mme essence, et donc
ce qui assure chacun des tres appartenant une mme essence ou nature
une indpendance ou une autonomie par rapport aux autres. Maxime
sinscrit en cela dans une ancienne tradition qui se continuera aprs
lui. Trs tt dans la littrature chrtienne (chez Origne notamment),
lhypos-tasis dsigne une existence individuelle, concrte et
distincte, et va de pair avec la notion de particularit (18).
Thodoret
17 Cf. L o n c e d e B y z a n c e : Lhypostase se dfinit ainsi
: ceux qui sont les mmes par la nature et diffrent pas le nombre
(Contra Nestorianos et Eutychianos I, PG 86-1, 1280). On voit que
le dnombrement nest pas propre lindividualit comme laffirment
Yannaras et Zizioulas la suite de Berdiaev (au sens o ils entendent
la notion dindividualit).
18 Voir B. Meunier (d.), La Personne [voir n. 6], p. 172-173 ;
M. Trnen, Union [voir n. 2], p. 53-55.
-
j.-c. larchet58
de Cyr note que suivant la doctrine des Pres, il y a entre
les-sence et lhypostase la mme diffrence quentre le commun et le
particulier19 . S. Basile de Csare crit de mme que le rapport qui
existe entre lessence et lhypostase est le mme que celui qui existe
entre le commun et le particulier20. S. Grgoire de Nysse semontre
plus prcis en notant que lorsque nous appelons quelquun, nous ne le
nommons pas daprs sa nature, pour viter que le ca-ractre commun de
ce nom nengendre quelque erreur, [] mais [] nous utilisons le terme
qui se rapporte lui en propre je veux dire celui qui signifie le
sujet , et nous le sparons de la multitude21. Lonce de Jrusalem,
qui est lun des auteurs qui ont le plus contribu prciser la notion
dhypostase dans le contexte des controverses christologiques, mais
qui a aussi beaucoup inspi-r Maxime dans son vocabulaire, se montre
trs prcis dans cette conception de lhypostase en soulignant quelle
sapplique aussi bien la personne, et en allant jusqu parler non
seulement de sparation mais dloignement : Lhypostase, outre quelle
est la composition [de plusieurs proprits particulires] et quelle
mani-feste lindividu-sujet ( ) comme spar de tous ceux de mme espce
et dautres espces selon sa marque distinctive particulire, est par
elle-mme un quelque chose, un loignement (22) et une distinction ()
des substances indistinctes pour les nombrer chacune personne par
personne ; ces t pourquoi les Pres nomment cette hypostase
personne23 . On retrouvera plus tard la mme conception chez S. Jean
Damascne, qui note que le nom dhypostase signifie lexistence par
soi et autosubsistante et, selon cette signification, il dsigne
lindividu distinct par le nombre24 .
2. Deuximement, il faut cependant noter que distinction et mme
sparation et loignement entre les tres (dans un sens oppos celui de
lindistinction et de la confusion) ne signifie pas division et
encore moins opposition.
19 Eraniste I, d. Ettlinger, p. 64 ; cf. p. 65.20 Lettres, 214,
4, d. Courtonne, t. II, p. 205.21 Ad Ablabium, GNO III-1, p. 40.22
Contre les Nestoriens, II, 1, PG 86-1, 1529D. On voit que cette
caractristique nest pas propre lindividualit comme laffirme
Zizioulas (au sens o il entend ce dernier terme).
23 Contre les Nestoriens, II, 1, PG 86-1, 1529D.24 Dialectica,
43, PTS 1, p. 108.
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hypostase, personne et individu 59
3. Troisimement, on peut voir que les individus restent unis
entre eux malgr leur proprit distinguante et en un certain sens
sparante, par les logoi du genre ou de la nature auxquels ils
appartiennent (ce qui relve du principe gnral selon lequel il y a
dans la nature une unit dans chaque degr ralise par le degr
suprieur, les logoi gnraux jouant un rle unifiant par rapport aux
logoi particuliers, comme cela est indiqu en Amb. Io., 41, PG 91,
1312CD).
4. Quatrimement ce qui, selon la pense de Maxime, tablit une
vritable division et opposition entre les tres est la gnm, qui
relve dune disposition particulire de lhypostase ou de la personne
humaine (voir entre autres Ep., 2, PG 91, 396C-D, 400CD) ; une
telle division nest pas lie une catgorie logique ou ontologique
comme celle dindividu. Inversement, les hypos-tases ou personnes ne
sont pas de par leur ralit mme ou ontologiquement pour reprendre le
langage de la philosophie personnaliste-existentialiste unifiantes,
mais lunion qui sac-complit entre elles rsulte dune orientation
positive de la mme gnm.
On peut dire que Maxime ne voit entre la personne et lindi-vidu
aucune diffrence dordre ontologique : le fait que lindividu puisse
apparatre dans certains contextes comme une catgorie logique
nexclut pas quil puisse avoir aussi un caractre ontolo-gique.
On peut noter corrlativement quil ny a pour Maxime dans la
notion de personne aucune connotation relationnelle, ni aucune
connotation thique positive particulire, ni aucune connotation
ontologique, contrairement ce que lon trouve dans la conception qua
de la personne le personnalisme-existentialisme moderne.
Ascendance et postrit patristiques
Lquivalence (except dans le cas particulier de lhypostase
compose du Christ) des notions dhypostase, de personne et dindividu
tait dj admise chez les prdcesseurs de Maxime : dabord chez les
Cappadociens25, puis chez les thologiens byzan-tins qui ont continu
prciser ces notions, comme Lonce de By-
25 En ce qui concerne Grgoire de Nysse, voir L. Turcescu, Person
versus Individual , and other Modern Misreadings of Gregory of
Nyssa, dans Modern Theology, 18 (2002), p. 533-534.
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j.-c. larchet60
zance et Lonce de Jrusalem. S. Grgoire de Nysse par exemple crit
: Si quelquun disait quon dit de Pierre, Paul et Barnab quils sont
trois essences partielles (il est vident que cela veut dire
particulires) en effet, il nest pas inexact de le dire , quil sache
que quand nous disons essence partielle, cest--dire particulire,
nous ne voulons signifier rien dautre que individu, cest--dire
personne. Car, mme si nous disons trois essences partielles,
cest--dire particulires, nous naffirmons rien dautre que trois
personnes. Et le nom Dieu ne correspond pas aux personnes, comme il
a t montr ; donc pas non plus lessence partielle, cest--dire
particulire. En effet, essence particulire, employ pour les
individus, est identique personne26. Ce pas-sage est intressant non
seulement parce quil pose trs claire-ment lquivalence des notions
dindividu et de personne, mais applique la notion dindividus aux
trois personnes divines, contre-disant laffirmation de Zizioulas
selon laquelle un tel usage serait inexistant chez les Pres. Un
autre passage de la mme uvre raffirme lquivalence des notions
dhypostase et dindividu (et, au passage, de personne) en prenant
pour exemple des personnes humaines, mais en affirmant par la suite
que le raisonnement (et le vocabulaire quil implique) est
transposable ce qui concerne les personnes divines27. On peut noter
en complment que Gr-goire de Nysse appliquait la notion dhypostase
galement aux animaux : Une chose se distingue dune autre chose soit
par les-sence, soit par lhypostase, soit par lessence et par
lhypostase ; ainsi cest par lessence que lhomme se distingue du
cheval, cest par lhypostase que Pierre se distingue de Paul, et
cest par les-sence et par lhypostase que telle hypostase de lhomme
se dis-tingue de telle hypostase du cheval28.
On retrouve lquivalence, encore plus strictement affirme chez
Jean Damascne, qui est le continuateur de Maxime mais qui propose
aussi dans son uvre une synthse des acquis patris-tiques des poques
prcdentes :
Les saints Pres ont appel substance, nature et forme ce qui est
communment attribu une pluralit dindividus, cest--dire lespce
spcialissime, par exemple, lange, lhomme, le cheval, le chien et
ainsi de suite. Certes, la substance tient son nom du verbe
26 partir des notions communes, aux Grecs, 6, GNO III-1, p.
23.27 partir des notions communes, aux Grecs, 18, GNO III-1, p.
30-33.28 partir des notions communes, aux Grecs, 16, GNO III-1, p.
29.
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hypostase, personne et individu 61
tre, et la nature tient son nom du verbe tre par nature, mais le
verbe tre et le verbe tre par nature sont identiques. Dail-leurs,
la forme et lespce signifient la mme chose par nature. Le plus
particulier, ils lont appel individu, personne et hypostase, par
exemple, Pierre, Paul29. Le nom dhypostase [] signifie ce qui est
et subsiste individuelle-ment par soi, et, daprs cette
signification, il signifie lindividu num-riquement distinct, par
exemple, Pierre, Paul, tel cheval30. Personne () est ce qui, par
ses propres activits et pro-prits, nous fournit une manifestation
claire et distincte par rap-port aux autres tres de mme nature que
lui. Par exemple, lorsque Gabriel parla la Sainte Mre de Dieu, bien
quil ft lun des anges, il fut seul parler en ce lieu, spar des
anges de mme substance par sa prsence en ce lieu et par son
discours. Et lorsque Paul parlait,debout sur les degrs, bien quil
ft lun des hommes, il se distin-guait des autres hommes par ses
proprits et ses activits. Il faut savoir que les saints Pres ont
appel hypostase (), personne () et individu () la mme chose, savoir
ce qui est et subsiste individuellement par soi, constitu de
substance et dacci-dents, distinct par le nombre et dsignant
quelquun de dtermin, par exemple, Pierre, Paul, ce cheval-ci. On
lappelle hypostase () partir du verbe subsister (31).
Conclusion : la souplesse du vocabulaire maximien
En conclusion, on peut constater que chez Maxime (comme chez ses
prdcesseurs dont il dpend et chez ses successeurs qui se
reconnaissent comme ses continuateurs), les notions dhypos-tase, de
personne et dindividu sont pratiquement quivalentes et que chacune
dentre elles est utilise avec une certaine souplesse. Elles
semblent, dans certains contextes, avoir des connotations
particulires, mais elles les perdent dans dautres contextes, et
semblent globalement interchangeables32.
La notion dhypostase reste, chez Maxime comme chez ses
pr-dcesseurs, beaucoup plus utilise que celle de personne ou
dindi-
29 Dialectica, 31, PTS 7, p. 94.30 Dialectica, 43, PTS 7, p.
108.31 Dialectica, 44, PTS 7, p. 109.32 Nous renvoyons aux tudes
particulires mentionnes dans la note
1, et ce qui reste la meilleure tude densemble (incluant Maxime)
: B. Meunier (d.), La Personne et le christianisme ancien, Paris,
2006, qui analyse la signification des notions dhypostase, de
personne et de nature chez les Pres des origines S. Jean
Damascne.
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j.-c. larchet62
vidu, et cest pourquoi son sens parat plus large que celui de
ces deux dernires notions. Elle sert le plus souvent dsigner un tre
existant concret qui, au sein dune mme nature, se distingue dun
autre existant concret par des proprits particulires quil
synthtise. Lhypostase parat donc avoir un rle la fois de
dis-tinction (voire de sparation, ce qui ne signifie pas de
division) et de synthse, lun ou lautre de ces aspects pouvant tre
valo-ris selon le contexte. L hypostase compose du Christ constitue
un cas particulier. En dehors de ce cas particulier, les notions de
personne et dindividu peuvent avoir les mmes connotations que celle
dhypostase.
Les trois notions ne peuvent en tout cas se distinguer selon les
catgories troitement scolastiques et les connotations particu-lires
que leur prte, de manire anachronique, le personnalisme
existentialiste moderne.
Jean-Claude Larchet14, rue des AlouettesF-57350
SpicherenFrance
Summary. Upholders of modern personalism cannot, without
anachronism, find in Maximus a foundation for their conceptions,
lending the person an axiological sense in relation to the
hyposta-sis, or which opposes the person and the individual by
providing the person a relational connotation and the individual a
separat-ing and egoistical connotation linked to current
conceptions of individualism. Indeed, an analysis of the texts of
Maximus cor-pus shows that, for the Confessoras for the
predecessors upon whom he depends (the Cappadocians, Leontius of
Jerusalem) and among successors who see themselves as his
continuators (John of Damascus), the concepts of hypostasis, person
and in-dividual are practically equivalent and that each of them is
used with a certain flexibility. In certain contexts, they seem to
have particular connotations, but lose them in other contexts, and
fi-nally appear as being generally interchangeable.
Rsum Les tenants du personnalisme moderne ne peuvent, sans
anachronisme, trouver en Maxime un fondement leurs conceptions qui
donnent la personne un sens axiologique par
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hypostase, personne et individu 63
rapport lhypostase, ou qui opposent la personne et lindividu en
donnant celle-l une connotation relationnelle et celui-ci une
connotation sparante et goste lie la notion actuelle
din-dividualisme.
Une analyse des textes du corpus maximien montre en effet que,
pour le Confesseur comme pour ses prdcesseurs dont il dpend (les
Cappadociens, Lonce de Jrusalem...) et chez ses successeurs qui se
reconnaissent comme ses continuateurs (Jean Damascne) , les notions
dhypostase, de personne et dindi-vidu sont pratiquement quivalentes
et que chacune dentre elles est utilise avec une certaine
souplesse. Elles semblent, dans cer-tains contextes, avoir des
connotations particulires, mais elles les perdent dans dautres
contextes, et apparaissent, au final, comme tant globalement
interchangeables.
Zusammenfassung. Die Verteidiger des modernen Persona-lismus
knnen ohne Anachronismus in Maximus keine Grundlage fr ihre
Auffassungen finden, die der Person einen axiologischen Sinn in
Bezug auf die Hypostase geben. Ebenso wenig fr die Ansichten, die
der Person und dem Individuum entgegengesetzt sind, indem sie dem
einen eine relationale Konnotation, dem an-deren eine der aktuellen
Auffassung des Individualismus verbun-dene trennende und
egoistische Konnotation geben.
Eine Analyse der Texte des maximilianischen Korpus erweist in
der Tat, dass fr Maximus Confessor wie fr seine Vor-gnger, von
denen er abhngt (die Kappadokier, Leontius von Byzans,...) und
seine Nachfolger, die sich als seine Fortsetzer be-schauen (
Johannes von Damaskus) die Konzepte der Hypos-tase, der Person und
des Individuums grundstzlich gleichwertig sind, und dass jedes von
ihnen mit einer gewissen Flexibilitt ve-rwendet wird. In bestimmten
Kontexten scheinen sie eigene Kon-notationen zu haben, verlieren
diese aber in anderen Kontexten und scheinen letztendlich im Ganzen
austauschbar zu sein.