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92 Auteur : Olivier Roy - Baillargeon Doctorant en aménagement Institut d’urbanisme | Université de Montréal Introduction Afin d’assurer l’articulation du transport et de l’amé- nagement sur son territoire, la Communauté métro- politaine de Montréal (CMM) a choisi en 2011 dans son plan métropolitain d’aménagement et de déve- loppement (PMAD) de miser sur le Transit-Oriented Development (TOD), traduit au Québec par «dévelop- pement urbain axé sur les transports collectifs». Ce chapitre présente une analyse critique de cette approche dans le but de fournir aux décideurs et praticiens français des pistes de réflexion sur cet enjeu d’importance croissante. Pour ce faire, il se penche d’abord sur deux aires TOD de «première génération» 87 qui y ont été réalisées au cours des quinze dernières années afin de souligner les limites de cette approche. Il analyse ensuite les raisons derrière le nouveau recours – cette fois par la CMM – à cet outil d’origine californienne dans le Grand Montréal et sur la démarche d’aménagement dans laquelle il s’inscrit. Il brosse ensuite un portrait de la gouvernance liée à sa mise en œuvre et détaille les outils et méthodes par lesquels il a pris et prendra forme au cours des prochaines années. Il se conclut par une synthèse des considérations exposées en ces pages ouvrant la voie à une mise en garde générale à l’égard du recours à des outils de planification importés sans appropriation locale et adaptation contextuelle préalable… mais également, en contrepartie, à l’égard d’une dilution radicale des concepts dont découlent ces outils résultant d’une appropriation excessive par des acteurs locaux rétifs voire réactionnaires. Avant toute chose, toutefois, voici un glossaire qui saura aider le lecteur français à comprendre les subtilités et particularités du modèle québécois de planification et d’aménagement : L E T R A N S I T - O R I E N T E D D E V E L O P M E N T : U N C O N C E P T , D E S D É C L I N A I S O N S 2 L’approche du Grand Montréal face au TOD: quand «appropriation locale» rime avec «dilution radicale» AMT L’Agence métropolitaine de transport est l’agence gouvernementale responsable de la planification, de la coordination, de l’intégration et de la promotion des services de transport collectif dans le Grand Montréal. Créée en 1996, elle est responsable de l’exploitation des réseaux métropolitains de trains de banlieue et de transport par autobus. Elle planifie également les prolongements du réseau de métro. Elle participe enfin au financement de l’exploitation des services des 14 organismes de transport collectif du Grand Montréal. CMM et PMAD La Communauté métropolitaine de Montréal est un organisme de planification, de coordination et de financement créé en 2001. Elle regroupe les 82 municipalités de la région métropolitaine de Montréal et dispose de compétences en matière d’aménagement, de développements économique et culturel, de logement social et de gestion des matières résiduelles. Elle est responsable de la production et de la mise en œuvre d’un plan métropolitain d’aména- gement et de développement traduisant à l’échelle métropolitaine les orientations des municipalités du Grand Montréal, en conformité avec les orientations du gouvernement du Québec. MAMROT Le ministère québécois des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire est l’interlocuteur des communautés métropolitaines, MRC et municipalités. Il produit les orientations du gouvernement du Québec en matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme à l’échelle nationale. MRC et SAD La Municipalité régionale de comté est une entité administrative créée en 1979 par la toute première loi sur l’amé- nagement et l’urbanisme du gouvernement du Québec. Elle regroupe les municipalités d’un territoire d’apparte- nance donné et joue le rôle d’intermédiaire entre le gouvernement québécois et le milieu municipal. Le territoire du Québec est divisé en 87 MRC ainsi qu’en 14 villes et agglomérations disposant des mêmes compétences en matière d’aménagement, dont notamment la production, et la mise en œuvre d’un schéma d’aménagement et de dévelop- pement traduisant à l’échelle régionale les orientations et critères d’aménagement définis dans le PMAD. 87 Des pôles (sub)urbains avaient bien entendu déjà été constitués autour de points d’accès au réseau métropolitain de transport collectif grand - montréalais au cours des décennies précédentes, mais ils n’avaient jamais été appelés ainsi. L’exemple de la ville de Mont - Royal, une cité - jardin constituée entre 1912 et 1917 autour d’une gare de la Canadian National Railway, est sans doute le plus probant à cet égard. Cette contribution se concentre toutefois plutôt sur les aires explicitement développées et aménagées selon les principes du TOD.
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L’approche du Grand Montréal face au TOD: Quand «appropriation locale» rime avec «dilution radicale»

Mar 11, 2023

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Page 1: L’approche du Grand Montréal face au TOD: Quand «appropriation locale» rime avec «dilution radicale»

92

Auteur : Olivier Roy-BaillargeonDoctorant en aménagementInstitut d’urbanisme | Université de Montréal

Introduction

Afin d’assurer l’articulation du transport et de l’amé-nagement sur son territoire, la Communauté métro-politaine de Montréal (CMM) a choisi en 2011 dansson plan métropolitain d’aménagement et de déve-loppement (PMAD) de miser sur le Transit-OrientedDevelopment (TOD), traduit au Québec par «dévelop-pement urbain axé sur les transports collectifs ».Ce chapitre présente une analyse critique de cetteapproche dans le but de fournir aux décideurs etpraticiens français des pistes de réflexion sur cet enjeud’importance croissante. Pour ce faire, il se penched’abord sur deux aires TOD de «première génération» 87

qui y ont été réalisées au cours des quinze dernièresannées afin de souligner les limites de cette approche.

Il analyse ensuite les raisons derrière le nouveaurecours – cette fois par la CMM – à cet outil d’originecalifornienne dans le Grand Montréal et sur ladémarche d’aménagement dans laquelle il s’inscrit.Il brosse ensuite un portrait de la gouvernance liée àsa mise en œuvre et détaille les outils et méthodespar lesquels il a pris et prendra forme au cours desprochaines années. Il se conclut par une synthèse desconsidérations exposées en ces pages ouvrant la voieà une mise en garde générale à l’égard du recours àdes outils de planification importés sans appropriationlocale et adaptation contextuelle préalable… maiségalement, en contrepartie, à l’égard d’une dilutionradicale des concepts dont découlent ces outilsrésultant d’une appropriation excessive par desacteurs locaux rétifs voire réactionnaires.Avant toute chose, toutefois, voici un glossaire quisaura aider le lecteur français à comprendre lessubtilités et particularités du modèle québécois deplanification et d’aménagement :

L E T R A N S I T - O R I E N T E D D E V E L O P M E N T :U N C O N C E P T , D E S D É C L I N A I S O N S

2 L’approche du Grand Montréal face au TOD :quand « appropriation locale »rime avec « dilution radicale »

AMT

L’Agence métropolitaine de transport est l’agence gouvernementale responsable de la planification, de la coordination,de l’intégration et de la promotion des services de transport collectif dans le Grand Montréal. Créée en 1996, elleest responsable de l’exploitation des réseaux métropolitains de trains de banlieue et de transport par autobus. Elleplanifie également les prolongements du réseau de métro. Elle participe enfin au financement de l’exploitation desservices des 14 organismes de transport collectif du Grand Montréal.

CMM et PMAD

La Communauté métropolitaine de Montréal est un organisme de planification, de coordination et de financementcréé en 2001. Elle regroupe les 82 municipalités de la région métropolitaine de Montréal et dispose de compétencesen matière d’aménagement, de développements économique et culturel, de logement social et de gestion desmatières résiduelles. Elle est responsable de la production et de la mise en œuvre d’un plan métropolitain d’aména-gement et de développement traduisant à l’échelle métropolitaine les orientations des municipalités du GrandMontréal, en conformité avec les orientations du gouvernement du Québec.

MAMROTLe ministère québécois des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire est l’interlocuteur descommunautés métropolitaines, MRC et municipalités. Il produit les orientations du gouvernement du Québec enmatière d’aménagement du territoire et d’urbanisme à l’échelle nationale.

MRC et SAD

La Municipalité régionale de comté est une entité administrative créée en 1979 par la toute première loi sur l’amé-nagement et l’urbanisme du gouvernement du Québec. Elle regroupe les municipalités d’un territoire d’apparte-nance donné et joue le rôle d’intermédiaire entre le gouvernement québécois et le milieu municipal. Le territoire duQuébec est divisé en 87 MRC ainsi qu’en 14 villes et agglomérations disposant des mêmes compétences en matièred’aménagement, dont notamment la production, et la mise en œuvre d’un schéma d’aménagement et de dévelop-pement traduisant à l’échelle régionale les orientations et critères d’aménagement définis dans le PMAD.

87 Des pôles (sub)urbains avaient bien entendudéjà été constituésautour de pointsd’accès au réseaumétropolitain detransport collectifgrand-montréalais aucours des décenniesprécédentes, maisils n’avaient jamaisété appelés ainsi.L’exemple de la villede Mont-Royal,une cité- jardinconstituée entre 1912et 1917 autour d’unegare de la CanadianNational Railway,est sans doute le plusprobant à cet égard.Cette contributionse concentre toutefoisplutôt sur les airesexplicitementdéveloppées etaménagées selonles principes du TOD.

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2.1. Les deux quartiers TODde «première génération»du Grand Montréal

Les résultats obtenus à ce jour dans le GrandMontréal en matière de constitution de pôles de vie

denses, mixtes, conviviaux et axés sur le transportcollectif par l’entremise du TOD sont très mitigés,comme le montre bien le tableau ci -dessous,comparant les exemples des municipalités deMont-Saint-Hilaire, sur la couronne sud, et deSainte-Thérèse, sur la couronne nord.

L E T R A N S I T - O R I E N T E D D E V E L O P M E N T :U N C O N C E P T , D E S D É C L I N A I S O N S

Village de la gareMont-Saint-Hilaire

Quartier de la gareSainte-Thérèse

Population de la municipalité 18 852 hab. 26 308 hab.

Superficie de la municipalité 45,5 km2 9,4 km2

Densité de population 414 hab./km2 2 799 hab./km2

Distance du centre de Montréal 35 km 37 km

Desserte quotidienne en train semaine : 7/jour 88

fin de semaine : 0/joursemaine : 13/jour 89

fin de semaine : 6/jourAnnée de lancement du projet 2001 1998

Nature du projet de quartier TODréhabilitation d’une friche

industrielle de 73 harequalification des terrainsen friche autour de la gare

Investissements totaux (à ce jour)10 M$

promoteur : 6 M$municipalité : 4 M$

plus de 106 M$promoteurs : +100 M$

municipalité : 6 M$

Nombre de logements construits1 000 dans un rayon de750 m autour de la gare

~ 1 500 dans un rayon de500 m autour de la gare

Nombre de places de stationnement1,5 par logement ;

694 adjacentes à la gare1,2 par logement ;

989 adjacentes à la gare

Fréquentation du train à la gare(montants et descendants en pointe matinale)

2003 : 200 700 passages2012 : 489 900 passages

augmentation : 11,60 %/an

2003 : 534 500 passages2012 : 595 700 passages

augmentation : 1,02 %/anPart modale du transport collectifsur le territoire du secteur municipal,de la MRC et de l’ensemble géographique

secteur municipal 90: 8,0%MRC : 6,7%

couronne sud : 4,9%

secteur municipal 91: 6,2%MRC : 6,4%

couronne nord : 4,2%

Comparaison des quartiers de type TOD de Mont-Saint-Hilaireet de Sainte-Thérèse

À Mont-Saint-Hilaire, les 1 000 logements construitsdepuis 2001 sont «répartis dans des maisons enrangée, des condos [immeubles en copropriété] etdes appartements, le long de petites rues étroites. Levillage est totalement isolé du reste de Mont-Saint-Hilaire, dans un champ ». Toutefois y subsistentégalement de nombreux terrains vagues de grandetaille. Parmi ces vastes superficies toujours en attented’être aménagées, on compte notamment un terraindevant accueillir un centre commercial dont laconstruction n’a toujours pas commencé, douze ansplus tard. En attendant, donc, on ne trouve aucuncommerce dans tout le quartier, de même qu’aucuneécole et tout juste une garderie. Illustration 57 - Le village de la gare de Mont-Saint-Hilaire

Source : constitué à partir des données actualisées du projet URBATOD, de l’AMT et de l’Enquête Origine-Destination 2008 92

Vers Montréal, 885 le matin,

1 en après-midi et1 le soir ; vers

Mont-Saint-Hilaire,1 en après-midi

et 6 le soir.

Vers Montréal, 897 le matin, 2 entre

les périodes de pointe,2 en période de pointe

d’après-midi et2 en soirée ; versSainte-Thérèse,

1 le matin, 3 entreles périodes de pointe,6 en période de pointe

d’après-midiet 3 en soirée.

Composé 90des municipalités deMont-Saint-Hilaire,

Otterburn Park etSaint-Jean-Baptiste.

Composé 91de la seule municipalité

de Sainte-Thérèse.

Les données 92de l’Enquête Origine-

Destination 2013n’étant pas encore

disponibles…

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À Sainte-Thérèse, en comparaison, on trouvequelques commerces – toutefois peu diversifiés etrelativement difficiles d’accès à pied ou à vélo – surla rue principale (Turgeon) revitalisée, en plus d’unCLSC (clinique médicale) et d’une garderie au sein duquartier, non loin de la gare. La mixité fonctionnelle yest donc sensiblement plus importante qu’à Mont-Saint-Hilaire, mais elle demeure néanmoins rudi-mentaire. Comme l’illustration ci-dessus le montreassez bien, l’environnement bâti y est égalementlargement façonné par et pour l’automobile, à l’instarde plusieurs milieux suburbains nord-américainstraditionnels. La mixité sociale aussi est relative tantà Mont-Saint-Hilaire qu’à Sainte-Thérèse, car il y aproportionnellement peu d’enfants et une absencetotale de personnes à faible revenu, laissant présagerune très faible proportion de personnes sans emploiou issues de l’immigration. Les pratiques de dépla-cement enregistrées militent aussi en ce sens, car«même près des gares, l’accessibilité automobilereste déterminante. […] Aussi, loin de voir l’émer-gence de centres denses où l’on accède à pied à descommerces, comme le voudrait le modèle du TOD,on assiste avant tout au développement d’espacescommerciaux articulés à une desserte automobile »,entourés de stationnements à l’instar des gares etde la plupart des îlots résidentiels.

2.2. La nouvelle mouture du TODdans le Grand Montréal

Dans son récent (et tout premier) PMAD, la CMMdéfinit le TOD en ces termes :

Le TOD est un développement immobilier de moyenneà haute densité structuré autour d’une station detransport en commun à haute capacité, comme unegare de train, une station de métro, une station de SLR(système léger sur rail) ou un arrêt de bus (axes derabattement ou service rapide par bus). Situé àdistance de marche d’un point d’accès important duréseau de transport collectif, le TOD offre des opportu-nités de logement, d’emploi et de commerce et n’ex-clut pas l’automobile. Le TOD peut être un nouveauprojet ou un redéveloppement (sic) selon une concep-tion facilitant l’usage des transports collectifs et actifs.

Cet outil constitue l’élément clé de la stratégie métro-politaine grand-montréalaise d’articulation dutransport et de l’urbanisme. Son choix fait écho auxorientations du gouvernement du Québec en matièred’aménagement du territoire, qui prescrivent que lePMAD doit indiquer «toute partie de territoire de lacommunauté qui doit faire l’objet d’une planificationintégrée de l’aménagement et du transport».

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Illustration 58 - Le quartier de la gare de Sainte-Thérèse

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L’illustration ci -dessous, précise la localisation deces 155 aires identifiées dans le PMAD et les

seuils minimaux de densité résidentielle qui ysont associés.

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Illustration 59 - Localisation et seuils minimaux de densité résidentielle des 155 aires TOD prévues (source : Communauté métropolitaine de Montréal (2012c : 87))

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Le système institutionnel et les outils de la planification au Québec

Le Québec est une des dix provinces de la fédération canadienne. Les articles 92 et 93 de la Constitution canadienne précisent ladivision des compétences et prérogatives du gouvernement fédéral et de ses constituantes. Les municipalités n’y figurant nulle part,elles sont généralement qualifiées de «créatures des provinces». Elles constituent ainsi davantage des administrations locales baliséespar les pouvoirs provinciaux que de véritables gouvernements, bien qu’elles soient dotées de la capacité de lever des impôts (fonciers).Cette ressource financière limitée constitue d’ailleurs près des trois quarts de leurs revenus récurrents, ce qui explique en partie leursmoyens restreints et leur souci constant pour leur développement immobilier.

Les 1 111 municipalités locales québécoises régies par le Code municipal ou par la loi sur les cités et villes sont regroupées en87 municipalités régionales de comté (MRC) et 14 villes ou agglomérations dotées des mêmes compétences. Tel qu’édicté par laloi sur l’aménagement et l’urbanisme, le palier local a la responsabilité d’adopter et de maintenir à jour des règlements et plansd’urbanisme. Les orientations de ces documents doivent s’inscrire en concordance avec celles du schéma d’aménagement et dedéveloppement (SAD) de leur MRC d’appartenance. De plus, dans les régions métropolitaines de Montréal et de Québec, depuis2010, les SAD de ces MRC doivent également être harmonisés avec les orientations du PMAD de leur communauté métropolitainerespective (la CMM et la CMQ). Le contenu de tous ces documents est quant à lui déterminé par les orientations gouvernementalesmentionnées en introduction du chapitre 2, édictées par le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation duterritoire (MAMROT).

Illustration 60 - La CMM, ses cinq secteurs géographiques, ses onze MRC et ses trois agglomérations (source : Communauté métropolitaine de Montréal (2012c : 21))

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Sur le territoire du Grand Montréal (illustration 60),la planification et l’organisation du transportcollectif métropolitain sont conférées par les loisprovinciales tant à la CMM qu’à l’Agence métropoli-taine de transport (AMT). Cela a d’ailleurs donnésuite, au tournant des années 2000, à d’importantesquerelles institutionnelles quant aux juridictions etprérogatives entre la première, un organisme deplanification dont le conseil est dirigé par les mairesdes municipalités du Grand Montréal, et la seconde,une agence gouvernementale relevant du ministrequébécois des Transports. Or dans les faits, c’estcette dernière qui exerce ces compétences.

Dans ces circonstances, la mise en œuvre du TODdépend dans le Grand Montréal de l’action coor-donnée d’un grand nombre d’intervenants. D’abord,elle relève des 82 municipalités locales ainsi quedes 11 MRC et des 3 agglomérations qui composentson territoire. Elle concerne également la CMM etl’AMT, de même que les 14 AOT régionales assurantla desserte de leur MRC ou agglomération enautobus, et des divers services du MAMROT. Ellenécessite enfin une concertation avec les promoteursimmobiliers, les opérateurs de services (électricité,gaz naturel, téléphonie et câblodistribution), lescommissions scolaires, les citoyens et les représen-tants de la société civile… Elle s’en trouve ainsi, sansgrande surprise, considérablement complexifiée.En revanche, elle offre à tous ces acteurs unebelle occasion de surmonter les problèmes degouvernance de plus en plus nombreux aveclesquels ils doivent composer quotidiennementdepuis quelques décennies.

Élément déclencheur et motivations

Contrairement à la situation en vigueur en matièred’articulation du transport et de l’urbanisme auxÉtats-Unis et en France, le recours au TOD dans lePMAD de la CMM 93 n’a pas été déterminé par unprojet de transport particulier et ne participe pasvraiment d’une volonté de rentabilisation d’une infra-structure de transport. Il s’inscrit plutôt dans uneoptique de concentration du développement rési-dentiel dans le périmètre déjà urbanisé, imposantainsi aux municipalités qui souhaitent poursuivreleur croissance de revitaliser leurs centres et quartiers

anciens plutôt que de continuer à empiéter sur lesmilieux naturels et terres agricoles. Les objectifs précisde la CMM face au TOD font l’objet d’une analysecritique détaillée, à la fin de cette contribution.

L’approche montréalaise du TOD se distingue égale-ment de celle adoptée dans le Canada anglais, auxÉtats-Unis et en Australie par plusieurs autreséléments. D’abord, son recours n’est pas tant justifiépar une volonté de diminution de la congestion, decontrôle de l’accès au stationnement ou de rentabili-sation des infrastructures de transport en communque par la nécessité d’accueillir de nouvellespopulations au cours des vingt prochaines années.Il passe ainsi par une croissance démographiqueen zone «blanche» (dite «d’urbanisation future») 94

davantage que par un renouvellement urbain, pour lemoment, même si « les gares sont rarement ouvertesdans un environnement vierge ».

De plus, il ne vise pas vraiment à attirer de nouveauxinvestisseurs, puisque les terrains visés par lesconstructions sont déjà la propriété de promoteursimmobiliers bien établis dans la région. L’autoritéorganisatrice des transports (AOT), l’AMT, n’est ainsipropriétaire que de quelques terrains outre ceux quiaccueillent ses gares et ses stationnements incitatifs,les promoteurs, et non les municipalités, étantpropriétaires de la grande majorité des lots destinés audéveloppement résidentiel et commercial.

Enfin, à l’instar des aires TOD des États-Unis analyséesdans le chapitre précédent du présent ouvrage, onretrouve dans le PMAD de la CMM une préoccupationpour les mixités sociale et fonctionnelle, maiscontrairement aux cas étudiés au sud de la frontière,elle se révèle dans le Grand Montréal très peu relayéedans la mise en œuvre. En effet, les aires TOD actuel-lement en construction n’offrent que des logementsen copropriété accessibles à la classe moyenne élevée.On note également une absence presque complète delogements sociaux ou abordables dans les projets envente à ce jour. Enfin, l’analyse de ces projets effectuéedans le cadre de cette recherche permet de révélerqu’aucun espace commercial ou institutionnel n’estprévu pour le moment dans les bâtiments qui serontconstruits au cours des prochains mois à proximité dessept points d’accès au réseau de transport collectif

L E T R A N S I T - O R I E N T E D D E V E L O P M E N T :U N C O N C E P T , D E S D É C L I N A I S O N S

Ce document, 93bien que légal et

assorti de certainesobligations,

n’est toutefois pasdirectement opposable

aux tiers. Ainsi,les MRC comprises

sur le territoirede la CMM doivent

réviser leur SADen conformité avec

le PMAD etles orientations

gouvernementalesdont il découle,

ou à tout le moinsadopter un règlement

de concordance entreleur schéma et le plan,

mais leur documentde planification

n’y est pashiérarchiquement

subordonnépour autant.

Certains projets 94récents, dont ceux

de Candiac et deSaint-Basile-le-Grand,visent toutefois la zone

«verte» (agricole)…ce qui est encontradiction

complète avecun autre objectif

du PMAD etdu gouvernement

québécois.

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métropolitain structurant ciblés par la CMM pouraccueillir des projets pilotes de quartiers TOD (traitésplus en détail dans une section ultérieure).

Doctrine et démarche d’aménagement

Le TOD s’inscrit dans le Grand Montréal dans unedoctrine et une démarche d’aménagement du terri-toire très fortement marquées par le développementimmobilier. Avec les projets prétendument «modèles»des promoteurs, la CMM et les municipalitéssemblent concevoir leurs aires TOD comme autantde vitrines de qualité urbaine et, dans une certainemesure, aussi comme des instruments de marketingterritorial servant à vendre la densité (sub)urbaine etle transport collectif aux élus et résidents desbanlieues. Le recours à la phrase-accroche «vivredans un TOD [sic] 95» montre bien que cet outil estvendu dans le Grand Montréal ni plus ni moinscomme un mode de vie en soi.

L’approche du TOD, bien qu’elle émane de l’organismeresponsable de la planification métropolitaine de larégion, la CMM, ne s’applique pour le moment qu’àune multitude de territoires restreints (un rayon de800 m autour des points d’accès au transportcollectif). Bien que toutes les stations et gares deslignes de métro et de train existantes et en cours deparachèvement soient à terme visées par le TOD, lesacteurs n’inscrivent pas leur action dans une logiquede corridor. Chaque quartier TOD prévu constituedonc une pastille indépendante sur le plan.

L’analyse effectuée à ce jour dans le Grand Montréalinvite à formuler l’hypothèse selon laquelle la miseen œuvre du TOD «2.0» y participe ainsi plutôt d’uneapproche de type «projet urbain» : au-delà de sesobjectifs substantiels – que les projets en cours deréalisation ne permettront probablement pasd’atteindre à court terme – ses objectifs procédurauxsemblent en effet être l’intégration et la stabilisationdes systèmes d’acteurs et d’action, la création deconsensus, la reconnaissance mutuelle et la légiti-mation réciproque, la coopération de coalitions crééespour l’occasion et l’articulation des ressources.Néanmoins, la perspective adoptée par la CMM dansson PMAD mise sur une application de l’outil à latotalité du territoire de l’agglomération, partout où

les infrastructures de transport collectif existent 96

ou sont planifiées – et même autour d’équipementsqui ne font pas partie des documents de planificationde l’AMT.

Acteurs, gouvernance et financement

Dans le cadre de la mise en œuvre du TOD dans leGrand Montréal, on retrouve : au premier plan lamunicipalité concernée et les promoteurs immobiliers ;au second plan, la CMM et autour, l’AMT, les ministèresprovinciaux ainsi que la MRC concernée par le projet.Le TOD est donc d’abord et avant tout du ressort dumilieu local, bien que sa gouvernance nécessite lacoopération d’acteurs de tous les niveaux de gouver-nement. À ce jour, puisque cinq des sept projets pilotessont prévus autour de gares existantes où le serviceest déjà offert par l’AMT depuis au moins unedouzaine d’années 97, les questions de financement neportent pas tant sur les infrastructures et services detransport collectif, pourtant cruciaux, que sur lesinfrastructures de voirie ainsi que d’approvision-nement en électricité et en eau, dont les coûtssont assumés par les municipalités locales. Dansle cadre d’une approche de type «partenariatpublic - privé (PPP) 2.0 », importante pour lesinvestisseurs privés (principalement les promoteursimmobiliers), les espaces publics des quartiers sont leplus souvent aménagés par les villes mais financéspar les promoteurs. Quant aux frais d’exploitation duservice de train de banlieue, ils sont assumés parl’AMT 98. Les AOT locales assurent quant à elles leservice de bus local pour assurer le rabattement versles gares et terminus métropolitains.

Outils et méthodes

Des critères de localisation et des seuils minimauxde densité résidentielle applicables aux aires TODont été définis dans le PMAD de la CMM. Un guideillustrant les principes d’aménagement pourréaliser des quartiers de type TOD a par la suite étéproduit par une agence d’urbanisme montréalaisemandatée par la CMM à l’attention des MRC,municipalités et autres intervenants responsables«afin de leur permettre d’intégrer les notionsd’aménagement TOD dans leurs outils de planificationen fonction des réalités locales».

L E T R A N S I T - O R I E N T E D D E V E L O P M E N T :U N C O N C E P T , D E S D É C L I N A I S O N S

95 Sept projets d’un même promoteurimmobilier répartisdans cinq municipalitésnon contiguës de larégion métropolitaineont été annoncésainsi dans divershebdomadaires locauxde la région au coursdes huit derniers mois.

96 Et même à plusieurs kilomètres de toutestation de transportcollectif structurant,comme dans le casd’un projet résidentielen construction à plusde 5 km de la gare deRepentigny, malgrétout vendu commeétant un TOD…

97 Les autres sont prévus autour d’une gareen constructionet près d’une stationde métro en servicedepuis 1984.

98 Ses opérations sont financées par les droitssur l’immatriculationprélevés par laSociété de l’assuranceautomobile du Québec,une taxe sur l’essences’appliquant sur toutle territoire du GrandMontréal, les tarifspayés par les usagersde ses services ainsique les quotes-partsqui lui sont verséespar les municipalitésdu Grand Montréal.

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99L E T R A N S I T - O R I E N T E D D E V E L O P M E N T :U N C O N C E P T , D E S D É C L I N A I S O N S

Le Guide d’aménagement pour les aires de TOD produit pour la CMM

Ce document produit à l’attention des MRC et municipalités locales ainsi qu’aux acteurs privés s’ouvre sur uneinterprétation québécoise des principes de planification du TOD (composantes et critères principaux). Il se poursuitpar la présentation d’une typologie des huit «aires types» du Grand Montréal (de l’hypercentre au quartier suburbain)déterminée en fonction de 5 critères : (1) le type de milieu identifié dans le PMAD auquel ils correspondent ; (2)les fonctions et vocations qu’on y retrouve autour des stations ; (3) les modes de transport associés à ces stations ;(4) les seuils de densité qui y sont proposés dans le PMAD ; et (5) leur morphologie urbaine. Il expose ensuite un cadred’aménagement de base des aires TOD en fonction de 7 critères : (1) la densité ; (2) la mixité des usages ; (3) les siteset l’implantation du bâti ; (4) les réseaux de rues et espaces publics ; (5) l’aménagement et la conception (design) dudomaine public ; (6) la sécurité ; et (7) l’aménagement et la gestion du stationnement. Il se conclut par une illustrationde l’application de ces critères sous forme de balises pour chacune des huit aires types définies.

Illustration 61 - Un exemple des balises proposées par le Guide d’aménagement pour les aires de TOD (source : AECOM (2011)

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Une mission d’exploration a ensuite été effectuéedans la région métropolitaine de Washington-Arlington, à l’issue de laquelle un rapport de synthèsea été publié et un forum de réflexion a été tenu.Une stratégie immobilière a aussi récemment étéadoptée et entraînera la mise sur pied éventuelled’un programme incitatif axé sur la signatured’ententes entre les municipalités, la CMM et lesministères concernés «visant la réalisation de projetsrésidentiels 99 novateurs de démonstration» dans lesaires TOD. L’objectif de ce programme est d’appuyerles villes dans la conception et la réalisation dequartiers démontrant tant une intégration dutransport et de l’aménagement qu’une conceptionaxée sur les mixités fonctionnelle et sociale, letransport actif et une utilisation du sol optimisée.Enfin, la CMM s’est engagée avec ses partenaires àréaliser sept projets pilotes de quartiers TOD au coursdes prochaines années. Choisis pour leur complexitéet la variété de leur typologie, ils serviront de modèlesà valeur ajoutée desquels seront tirés autant d’ensei-gnements que possible. Des ententes ont été concluespour que soit versée à chacune des sept municipalitésvisées par ces projets de démonstration unesubvention de 100 000 $ pour la réalisation d’uneplanification détaillée respectant le critère 1.1.3.du PMAD sur l’aménagement des aires de TOD etcomprenant une vision d’ensemble, un plan directeur,un échéancier de réalisation ainsi qu’une évaluationdes coûts. Cette démarche et les suivantes prennentappui sur une concertation entre la municipalitéconcernée et la CMM ainsi que sur la création, parchacune des villes, d’un «bureau de projet» – prenanten fait la forme d’un comité de partenaires – associantà la municipalité visée l’AMT, les ministères québécoisconcernés et sa MRC d’appartenance de même quetout autre intervenant public ou privé jugé pertinentpar l’autorité locale responsable (grands employeurs,commissions scolaires, etc.).

2.3. Analyse critique

La CMM indique dans son PMAD viser trois objectifspar l’entremise du TOD. D’abord, elle souhaite qu’ilengendre une utilisation accrue du transportcollectif, car elle s’est fixé comme objectif d’enfaire passer la part modale, en période de pointe

matinale, de 25 % à 35 % d’ici à 2031. Ensuite, et encorollaire, elle dit espérer qu’il facilitera la réductionde la consommation d’énergie et de carburants liésaux déplacements individuels. Enfin, elle croit que leTOD pourra entraîner une amélioration de la qualitéde vie urbaine et de la santé publique (par desservices de proximité et des emplois plus accessibles,des émissions de gaz à effet de serre et des impactsde l’empreinte urbaine sur les milieux naturels etagricoles réduits, des investissements publics et desvaleurs foncières optimisés ainsi qu’une meilleureréponse aux besoins en logement).

Des entretiens réalisés avec les responsables de l’amé-nagement à la CMM ont en effet révélé que l’organi-sation aborde le TOD dans une perspective de créationde pôles de vie de qualité bien davantage qu’à des finsde transformation des modes de déplacement enfaveur d’une mobilité durable à l’échelle métropoli-taine. Le report modal de la voiture vers les transportscollectifs et la densification urbaine apparaissent ainsien quelque sorte comme des «avantages collatéraux»d’une stratégie beaucoup plus générale d’incitation àl’adoption d’un mode de vie plus «urbain». Ce quecette expression signifie concrètement n’est pasprécisé, mais il apparaît de manière manifeste que leTOD prend appui dans le Grand Montréal sur unevolonté de rupture avec l’amalgame traditionnel entremode de vie suburbain, dépendance automobile etenvironnement bâti de piètre qualité en découlant.L’insistance marquée sur ce dernier élément esttoutefois d’autant plus surprenante qu’aucun objectifn’a été défini dans le but d’infléchir les deux autres.

Par surcroît, une étude récente de la nature et del’ampleur de la collaboration observées entre lesorganismes métropolitains responsables de laplanification du transport collectif (l’AMT aupremier chef) et de l’aménagement du territoire(la CMM et les MRC) du Grand Montréal dans lafoulée de l’élaboration du PMAD a aussi révélé quel’approche prétendument intégrée du transport etde l’aménagement postulée dans le PMAD mise enfait uniquement sur le TOD. Or le concept, tel queproposé par la CMM, repose quasi exclusivement surl’aménagement local et n’aborde donc que trèspeu les enjeux du transport et de la mobilité. Celaest notamment attribuable au fait que malgré les

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99 Ici encore,la prédominanceimmobilièreet résidentiellede l’approchemontréalaise du TODressort clairement.

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nobles intentions d’arrimage du transport et del’aménagement de la CMM, les responsables de cesdeux domaines ont été associés à l’élaboration duprojet de PMAD dans une perspective sectorielle etn’ont ainsi pas été interpellés conjointement surl’enjeu du TOD et de l’intégration, les premiersparticipant à la définition du réseau métropolitainstructurant et les seconds, à celle des seuils mini-maux de densité et des périmètres d’urbanisation.

Par ailleurs, une analyse des objectifs susmentionnéspermet de dégager trois constats. D’abord, en ce quiconcerne la part modale des déplacements entransport collectif en période de pointe matinale,elle augmente déjà depuis quelques années, grâcenotamment aux efforts des sociétés de transporten faveur d’une augmentation de leur desserte. Eneffet, la fréquentation a augmenté de 6 % entre2008 et 2011, soit exactement ce qu’il faut pouratteindre les cibles du PMAD 100. Ainsi, même s’il nemisait pas sur le TOD, le Grand Montréal serait envoie d’atteindre les objectifs du PMAD en matièred’utilisation des transports collectifs, si la tendancese maintenait, si les acquis des dernières annéesétaient préservés et si les efforts, notamment finan-ciers, des acteurs du domaine se poursuivaientjusqu’en 2031. Qui plus est, les recherches scienti-fiques menées sur le TOD ont mis en lumière lesimportantes limites de sa capacité à générer desaugmentations de fréquentation en transportcollectif dans les métropoles nord-américaines.

Il a ainsi été démontré qu’il n’offre pas la possibilitéde faire diminuer significativement la dépendanceautomobile et le recours à l’«auto solo», contrairementà la diversification des usages, l’augmentation del’offre de transport collectif et la décroissance del’accessibilité des autoroutes. Son influence demeurede plus très limitée sur les comportements de dépla-cement, les caractéristiques socioéconomiques etpréférences des individus constituant des détermi-nants bien plus importants des choix modaux queles caractéristiques de conception des aires TOD,leur densité ou leur mixité. Les effets du TOD sontdonc marginaux sur les modes de déplacement àl’échelle métropolitaine, dans des régions majori-tairement suburbaines et axées sur l’automobile.Le Grand Montréal en est une à plusieurs égards.

Ensuite, en ce qui concerne la consommationd’énergie et de carburants, elle diminue déjà rapi-dement en raison notamment d’innovations desconstructeurs automobiles au cours des dernièresdécennies (véhicules hybrides et électriques, amélio-rations substantielles de l’efficacité énergétique desmoteurs, etc.). Dans cette optique, il est mêmepossible de faire l’hypothèse, certes plutôt contre-intuitive, qu’un léger report modal, en milieu suburbaintrès peu dense, d’une automobile hybride vers unautobus au diesel presque vide puisse en faitproduire l’effet inverse et entraîner à terme unelégère augmentation de la consommation relatived’énergie et de carburant par passager. Les plansstratégiques des organismes de transport principauxdu Grand Montréal font toutefois état de leursouhait de miser sur une électrification progressivede leur flotte au cours des prochaines décennies etle gouvernement québécois actuel a par surcroît faitde cet enjeu une de ses priorités, mais aucune de cesstratégies n’a encore porté ses fruits…

Enfin, l’objectif d’amélioration de la qualité de vie etde la santé publique, le plus abstrait des trois, estsi vague et vaste qu’il semble aller de soi et, parconséquent, être inéluctablement voué à êtreatteint. Il y a en effet lieu de se demander s’il n’est pasinhérent et intrinsèque à toute démarche d’aména-gement, quelle qu’elle soit. Quel pouvoir public,au XXI e siècle, pourrait raisonnablement omettredélibérément de le formuler, voire s’y opposer ? Ils’apparente à bien des égards à la vertu pure etsimple. En somme, c’est là le dernier d’une longuesérie d’objectifs – qui plus est tous très ambitieux enregard des tendances récentes de l’aménagementet du développement grand - montréalais,marqués par une périurbanisation galopante – qui,par surcroît, ne sont ni hiérarchisés ou priorisés niassortis d’indicateurs de mesure et de suivi 101.

Conclusion

En somme, malgré deux réalisations peu concluantesdatant du début des années 2000, le Grand Montréalsemble de nouveau résolu à miser sur le TOD pourdensifier les abords de ses gares et il s’appuie pour cefaire sur une série de mesures assez innovanteslaissant présager un certain renouvellement des

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Constat issu de 100la présentation d’un

responsable de laSociété de transport

de Laval dansle cadre de l’Agora

métropolitaine 2013,événement prévu pour

intégrer la populationet la société civileau suivi de la mise

en œuvre du PMAD.Il concluait à l’égardde la stratégie de la

CMM en faveur duTOD qu’un horizon de

10 ou 20 ans était«trop court pourpouvoir observer

des retombéessignificatives sur

la part modale»du transport collectif

dans le GrandMontréal. En effet,

il a montré que mêmesi tous les nouveaux

ménages qui viendrontvivre dans la région

d’ici à 2031s’installaient dans un

quartier TOD,la fréquentation du

transport collectifn’augmenterait que de

3,3 %. Or l’objectifdu PMAD de la CMM

est que 40 % desnouveaux ménages

s’installent dansun quartier TOD d’ici

à 2031, ce quicorrespond tout

simplement àun maintien de

la tendance déjàobservable au moment

de l’adoption du plan.L’atteinte de cet

objectif en elle-mêmen’aurait donc

aucun effet surla fréquentation

du transport collectif,selon lui.

Une tendance qui 101semble toutefois

caractériserla majorité des

exercices deplanification

stratégique réalisésdans le Grand

Montréal depuisle début des années

2000 et qui n’estpeut-être au finalque plus évidentedans le PMAD…

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configurations d’acteurs. Les deux premiers quartiersconçus dans l’optique du TOD ont été réalisés parl’entremise de partenariats ponctuels et particuliersentre les promoteurs et pouvoirs publics de deuxmunicipalités de la périphérie assez lointaine et sansavoir été inscrits dans une démarche d’aménagementglobale à l’échelle métropolitaine. Ils offrent ainsi aumieux des résultats mitigés, en ce qui concerne tantleur forme urbaine que leurs degrés de mixitésfonctionnelle et sociale et leurs parts modales. Enrevanche, il est permis de croire que certaines 102

des 155 aires TOD prévues dans le PMAD de la CMMd’ici à 2031, dont la mise en œuvre participe d’unestratégie de concertation et de coordination globaleet intégrée à l’échelle métropolitaine, seront pluscouronnées de succès que leurs prédécesseurs.

En effet, alors que les quartiers de type TOD analysésau début de ce chapitre semblent à bien des égardsavoir été construits après que ce concept ait étéimporté de Californie et appliqué sans avoir étépréalablement adapté au contexte suburbain de lapériphérie grand-montréalaise, ceux que la CMMsouhaite planifier et concevoir avec les municipalitéslocales et les MRC de son territoire au cours desvingt prochaines années semblent au contrairerésulter d’une appropriation de cet outil par lesacteurs de la région métropolitaine ouvrant la voie àune meilleure adéquation des interventions publiqueset privées les entourant. La publication d’un guided’aménagement, la réalisation d’une mission d’explo-ration, l’organisation d’une journée de réflexion etl’adoption récente d’une stratégie immobilière tousconsacrés à ce thème en font foi à certains égards.

Il ressort toutefois d’une analyse du discours desélus des villes concernées par les premiers projets

d’aires TOD qu’il semble qu’ils aient remodelé ceconcept pour qu’il réponde à leurs besoins particu-liers de manière si poussée qu’ils en ont transforméjusqu’à l’essence même, soit l’exigence double deproximité d’un point d’accès au réseau de transportcollectif structurant et de mixité fonctionnelle 103.C’est ainsi que certains des premiers projets immo-biliers annoncés dans leurs municipalités depuisl’entrée en vigueur de la stratégie TOD de la CMMconsistent en des îlots de densité moyenneparsemés d’immeubles exclusivement résidentiels,entourés d’espaces de stationnement nombreux etparfois même situés à plusieurs kilomètres des gares.Cet état de fait participe toutefois également ducontexte québécois de l’aménagement et de l’urba-nisme, marqué par un rapport de force des villesface aux promoteurs immobiliers qui n’a rien à voiravec celui des communes européennes et même desmunicipalités états-uniennes, considérablementplus autonomes et volontaristes en matière detransport et d’aménagement – bien que les situationssoient assez contrastées, comme cela a été démontrédans les chapitres précédents.

Il semble ainsi en conclusion que trois élémentsimportants doivent être réunis pour faire du rêve d’ar-ticulation du transport et de l’urbanisme une réalitétangible dans les régions métropolitaines : (1) unevolonté politique forte pour élaborer des stratégiesambitieuses et outiller les acteurs adéquatement ;(2) une maîtrise foncière par les municipalités pourpouvoir édicter des orientations claires et strictes enmatière d’utilisation du sol ; et (3) une maîtrised’œuvre assurant le respect des règles tout au longde la mise en œuvre. Les succès des interventionspubliques futures en dépendent, de même que de laqualité de l’appropriation et de l’adaptation des outils.

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102 Mais fort probablementpas toutes,car une quantiténon négligeabled’aires TOD identifiéesdans le PMADn’a pas d’équipementde transport collectifdu tout…ou est associéeà des équipementsde très faible capacité.

103 Un objectif énoncé dans le PMAD demanière générale sanspour autant être assortide cibles quantifiées.

Les deux chapitres suivants sont consacrés à deux exemples de déclinaisons du concept de TOD Nord américain.On change ici fortement de contexte, de pays, voire de continent mais aussi de problématiques territoriales.Au Mexique on s’interroge sur la méthode à adopter pour faire face à la très forte pression urbaine et prévoirde façon concomitante à ce développement la réalisation des équipements d’infrastructures routières ou detransport public. Le concept de DOTS issu du TOD nord américain s’inscrit dans cette stratégie d’articulation entretransport et aménagement urbain. Sa promotion nous montre toutefois ses spécificités locales. De même, en Chine, l’approche du TOD nord américain nous montre également sa spécificité, compte tenu ducontexte actuel de forte concentration urbaine du fait de l’exode rural. Le TOD chinois peut prendre plusieurs formesqui essayent de répondre à des besoins de déconcentration de l’urbanisation par la création de villes nouvelles.