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Judicaëlle Pace
Mémoire de master 2
en management des organisations culturelles
rédigé sous la direction
de Monsieur Xavier Dupuis et Monsieur Stéphane Debenedetti
Année 2012-2013
L’APPEL AUX DONATEURS
INDIVIDUELS AU SEIN DES
INSTITUTIONS MUSEALES :
ENJEUX, MODALITES ET
VIABILITE
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SOMMAIRE
AVANT-PROPOS .................................................................................................................... 4
REMERCIEMENTS ................................................................................................................ 5
INTRODUCTION .................................................................................................................... 6
PARTIE I : L’EMERGENCE DU FINANCEMENT PARTICIPATIF ............................. 8
Chapitre I : Le financement de la culture en France ........................................................ 8
a. Une intervention étatique significative ........................................................................ 8
b. Un nécessaire besoin de faire appel au mécénat face au désengagement progressif
de l’Etat ............................................................................................................................. 10
c. L’appel au don privé : une pratique ancienne et internationale ............................... 11
Chapitre II : L’essor d’Internet : une pratique d’appel au don modifié ....................... 13
a. Une évolution sociétale et l’essor d’Internet au profit d’un renouvellement des
pratiques ........................................................................................................................... 13
b. Le financement participatif : définitions et enjeux .................................................... 15
Chapitre III : La naissance des « investisseurs-loisirs » ou le financement participatif
appliqué à la culture ........................................................................................................... 17
a. Etat des lieux des différentes plateformes de financement participatif du secteur
culturel .............................................................................................................................. 17
b. Modalités et enjeux des plateformes de financement participatif développées dans le
secteur culturel .................................................................................................................. 19
PARTIE II- LE FINANCEMENT PARTICIPATIF APPLIQUE AUX INSTITUTIONS
MUSEALES ............................................................................................................................ 22
Chapitre I : Un modèle différent des plateformes de financement participatif ? ......... 23
a. Retour sur l’acquisition des Trois Grâces de Lucas Cranach par le musée du Louvre
………………………………………………………………………………………23
b. Un modèle si différent des plateformes de financement participatif ? ...................... 25
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Chapitre II : Etude de cas .................................................................................................. 27
a. Choix des projets ....................................................................................................... 28
b. Acteurs impliqués ...................................................................................................... 29
c. Compétences marketing et promotionnelles .............................................................. 30
d. Bilan des différentes campagnes ............................................................................... 31
Chapitre III : Les donateurs : un point central de toute campagne .............................. 33
a. Retour sur les dépenses des ménages et la pratique du don en France .................... 33
b. Profils des donateurs ................................................................................................. 34
c. Motivations des donateurs ......................................................................................... 36
PARTIE III – LE FINANCEMENT PARTICIPATIF PEUT-IL ETRE UN MODELE
ECONOMIQUE VIABLE POUR LES INSTITUTIONS MUSEALES ? ........................ 39
Chapitre I : Le financement participatif : une porte ouverte au désengagement de
l’Etat ? ................................................................................................................................. 40
a. Le financement participatif : un moyen de diversifier ses ressources propres ......... 40
b. Un moyen de réinvestir le public ............................................................................... 42
c. Des témoignages encourageants ............................................................................... 44
Chapitre II : Un mode de financement qui n’est toutefois pas sans faille ..................... 45
a. Une concurrence de plus en plus accrue ................................................................... 46
b. Un modèle de financement particulier ...................................................................... 48
c. Vers une certaine lassitude…. ................................................................................... 49
CONCLUSION ....................................................................................................................... 52
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................. 52
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AVANT-PROPOS
Le choix du sujet de cette recherche s’est effectué suite à ma rencontre avec Monsieur
Christophe Monin, directeur du service mécénat du musée du Louvre, au cours de mon master
2 en médiation culturelle à l’Ecole du Louvre. Son intervention m’a permis de découvrir la
campagne d’appel aux dons de particuliers engagée par le musée du Louvre en 2010 pour
l’acquisition de l’œuvre Les Trois Grâces de Lucas Cranach ; mais également d’entrevoir
certains des enjeux sous-jacents à cette « nouvelle » forme d’appel aux dons.
Intéressée par cette problématique et encouragée par le développement de cette
pratique au sein de diverses institutions, j’ai souhaité poursuivre cette réflexion au cours de
mon master 2 en management des organisations culturelles en partant d’un simple constat :
toute institution culturelle, bénéficiant ou non d’une certaine notoriété publique, a besoin de
soutien financier afin de pouvoir continuer à mener à bien les missions qui lui sont confiées.
Cela m’a donc tout naturellement amené à la naissance du sujet qui jalonne l’ensemble de ce
mémoire, à savoir : « L’appel aux donateurs individuels au sein des institutions muséales :
enjeux, modalités et viabilité ».
Cette recherche ne s’est toutefois pas menée sans difficultés. La principale ne fut autre
qu’un manque de bibliographie manifeste, la problématique attenante à cette étude n’étant que
très récente. C’est pourquoi, il m’a été nécessaire de me tourner vers d’autres ressources en
allant directement à la rencontre de professionnels ayant permis le développement de telles
initiatives. Toutefois, il me semblait intéressant d’obtenir également le point de vue des
donateurs, sans qui ces opérations ne pourraient s’achever. Cette démarche a été rendue
possible grâce au concours du musée du Louvre, qui m’a permis de mener une étude
qualitative sur les motivations des donateurs de leur dernière campagne d’appel aux dons pour
l’acquisition de deux statuettes en ivoire du XIIIe siècle.
Ce mémoire se veut donc essayer d’apporter un regard sur ce nouveau levier de
financement développé par les institutions muséales. Toutefois, il ne s’agit pas de tirer des
conclusions définitives, ma réflexion ne portant que sur quelques mois de travail. Cela ne m’a
en effet pas permis d’obtenir un ensemble de données conséquentes à exploiter ainsi qu’un
recul suffisant. J’espère néanmoins qu’il pourra apporter des premiers éléments de réflexions
qu’il conviendrait d’affiner avec une étude plus poussée.
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REMERCIEMENTS
Je tiens avant tout à adresser toute ma reconnaissance à mes directeurs de mémoire,
Monsieur Dupuis Xavier, Responsable du master 2 management des organisations culturelles
à l’Université Paris Dauphine, et Monsieur Stéphane Debenedetti, Maître de conférences en
sciences de gestion à l’Université Paris Dauphine. D’une grande disponibilité, ils ont su me
guider tout au long de cette recherche, et me faire part de précieux conseils qui m’ont ainsi
permis d’aboutir à ce mémoire.
Je souhaiterais également remercier Monsieur Christophe Monin, Directeur du
développement et du mécénat du musée du Louvre, ainsi que toute son équipe, pour m’avoir
accueillie pendant quelques semaines afin de réaliser une étude qualitative sur les motivations
des donateurs individuels. Je ne saurais que trop remercier particulièrement Madame Eléonore
Valais-de-Sibert, Chef du service du mécénat individuel et Madame Yara Blanc, Chargée de
mécénat, auprès de qui j’ai mené cette démarche.
Tous mes remerciements vont aussi à l’ensemble des personnes que j’ai pu rencontrer
au cours de la rédaction de ce mémoire et qui ont su m’ouvrir des pistes de réflexions ou bien
me fait part de leur expérience : Madame Christine Bresson, Directrice de la communication
du Conseil général du Doubs ; Madame Isabelle Duflos, Chargée de mécénat au musée des
Beaux-Arts de Lyon ; Madame Valérie Morton, Administratrice du musée Courbet ; Madame
Sophie Rieunier, Maître de conférence en marketing à l’IAE de Paris ; Madame Anne
Vancaelemont, Doctorante et Chargée d’enseignement à l’Université Paris Dauphine ; et enfin
Madame Violène Verduron, Chargée de mécénat au musée Unterlinden de Colmar.
Enfin, je tenais à remercier mes proches qui m’ont continuellement soutenue au cours
de cette recherche.
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INTRODUCTION
« Tous mécènes ! », « J’aime l’art & il me le rend bien ! », « Donner pour Ingres »…
« Le Chêne de Flagey, une histoire à partager »… Qui n’a pas entendu ou vu l’une de ces
campagnes de communication lancées par plusieurs institutions muséales pour acquérir ou
restaurer une œuvre d’art ?
Ces différents appels engagés depuis 2010 par le musée du Louvre, le musée des
Beaux-arts de Lyon, le musée Unterlinden à Colmar, ou encore le musée Courbet à Ornans,
semblent être le reflet d’un nouveau modèle s’imposant au sein des institutions muséales dans
le but de répondre au besoin permanent de diversification de leur ressource propre. Cette
nécessité s’entend notamment au regard des missions confiées à tous musées, à savoir,
acquérir, conserver, étudier, exposer et transmettre « le patrimoine matériel et immatériel de
l’humanité et de son environnement à des fins d’études, d’éducation et de délectation »1.
Comment toutefois assurer ces objectifs, dans un contexte de baisse progressive des
subventions publiques ?
Encouragés par une prise en compte des dons de particuliers par la législation
française, ce modèle de financement, autrement appelé financement participatif ou
crowdfunding, s’est progressivement imposé dans le secteur culturel, pour finir par toucher
les institutions muséales. Bien que le mécénat des particuliers ne soit pas une pratique récente,
il n’a toutefois jamais fait l’objet d’un intérêt singulier : seuls quelques grands personnages
aux riches deniers avaient le privilège de se voir accorder le titre de mécène. Ainsi, longtemps
considéré comme une prérogative de l’Etat, ou une pratique réservée aux donateurs les plus
fortunés, le modèle de financement de la culture n’avait que rarement était remis en cause.
Toutefois conscients des possibilités ouvertes par ce nouveau levier, les musées, inspirés par
le développement de plateforme d’appel aux dons2, s’y sont progressivement intéressés.
Ce mémoire entend donc s’attacher à déterminer les enjeux liés au déploiement d’un
tel levier de financement au sein des institutions muséales françaises. Il s’agit plus
particulièrement de répondre à la problématique suivante : ces appels à la générosité du grand
1 Définition du musée par l’ICOM (International Council of Museums)
2 MyMajorCompany, KissKissBankBank, Ulule, Touscoprod…
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public sont-ils basés sur un modèle qui pourra perdurer et ainsi constituer une nouvelle source
de financement de toute institution muséale ou s’essoufflera-t-il avec le temps ? En somme,
est-il possible, comme l’avait souhaité André Malraux de « provoquer en France un véritable
mécénat culturel à l’instar de ce qui existe à l’étranger, notamment aux Etats-Unis ? »
Cette étude sera ainsi l’occasion de se pencher sur ce questionnement. Elle n’a
toutefois pas la prétention d’en offrir une conclusion ferme et définitive, en raison de
l’absence d’études exhaustives spécifiques ainsi que d’un manque manifeste d’ouvrages sur
ce sujet. Il s’agira cependant d’avancer des premiers éléments de réponse, qu’il conviendrait
d’affirmer ou réfuter par des analyses à plus grande échelle.
Afin de comprendre plus amplement les raisons ayant poussées les institutions
muséales à faire appel aux donateurs particuliers, il sera nécessaire dans un premier temps de
s’attacher à comprendre le contexte dans lequel cette recherche de fonds privés s’est inscrite
(Partie I). Une étude approfondie des différentes campagnes menées par quatre structures
muséales françaises3 sera, dans un deuxième temps, l’occasion de déterminer les
caractéristiques de chaque campagne, en portant un regard particulier sur les donateurs4. Les
différents enjeux et les facteurs clés de réussite de l‘ensemble de ces campagnes d’appel aux
dons de particuliers pourront ainsi être dégagés (Partie II). Dans un dernier temps, il
conviendra de tenter de répondre au questionnement jalonnant l’ensemble de cette recherche :
ce modèle de financement au procédé novateur peut-il s’imposer comme le départ d’une
pratique pérenne ? Quelle place peut être envisagée pour la souscription du grand public dans
les ressources des institutions muséales ? (Partie III)
3 Musée du Louvre, Musée des Beaux-arts de Lyon, Musée Unterlinden de Colmar et le Musée Courbet
d’Ornans
4 Une cinquième campagne, lancée par le musée Guimet, ne fait pas l’objet de ce mémoire, en raison de sa mise
en place tardive, n’ayant permis une exploitation approfondie de données.
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PARTIE I : L’EMERGENCE DU FINANCEMENT PARTICIPATIF
L’économie de la culture suscite aujourd’hui un vif débat : diminution des ressources
et nouveaux types de financement sont ainsi les nouveaux leitmotivs du secteur culturel.
Parmi ceux-ci, le recours au financement participatif ne semble pas en être exclu. Mais
quelles sont les raisons ayant poussé à faire appel à un tel levier de financement ?
Pour le savoir, il est nécessaire, dans un premier temps, d’examiner le contexte dans
lequel s’est développée cette nouvelle source de financement. Cela sera l’occasion de cerner
la relation existant entre le secteur culturel et divers intervenants, à savoir l’Etat, les
entreprises ou encore les particuliers (Chapitre I). La naissance du financement participatif est
également due à d’autres facteurs, à savoir l’essor d’un dispositif marketing mobilisant
Internet, et la naissance d’un phénomène sociétal mettant en avant la participation (Chapitre
II). Ces différents éléments de contexte permettront ainsi de définir les points sur lesquels se
sont appuyées différentes plateformes de financement participatif pour se développer et les
enjeux sous-jacents à l’utilisation d’un tel modèle de financement dans le secteur culturel
(Chapitre III).
Chapitre I : Le financement de la culture en France
a. Une intervention étatique significative
Divers moyens de subsistance sont offerts à toute institution culturelle : recette propre,
sponsoring, subvention publique, mécénat, don… Toutefois, en France, la quête récurrente
d’une légitimité pour les fonds publics n’a eu de cesse d’être le crédo de l’économie de la
culture. En effet, outre les dimensions législatives développées en faveur du secteur culturel,
l’Etat intervient également en accordant un volume significatif de crédits. La France se
différencie ainsi nettement d’autres pays à travers une tradition d’intervention publique
manifeste. Alors qu’aux Etats-Unis, les subventions publiques ne représentent que 7% du
financement public5, cela est bien différent en France, et ce en raison d’un contexte propre. En
effet, les subventions publiques relèvent d’une tradition ancienne remontant à la Renaissance.
5 Martel Frédéric, De la culture en Amérique, Gallimard, Paris, 2006
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Le point de départ n’est autre que l’investissement financier dans la culture de François Ier et
ses successeurs, avec au premier chef, Louis XIV. Cet interventionnisme n’a eu de cesse de se
développer par la suite, pour s’implanter durablement dès la création du Ministère des
Affaires Culturelles en 1959, aujourd’hui Ministère de la Culture et de la Communication.
Cette tradition d’interventionnisme public se fonde également sur des textes mettant
en avant la notion d’intérêt général comme une responsabilité publique. Il s’agit notamment
du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le traité de Maastricht, ou encore le
décret donnant les attributions du ministre de la Culture et de la Communication. En définitif,
la primauté étatique de l’Etat en matière de financement de la culture n’a dès lors que
rarement été remise en question. La culture est ainsi entendue depuis toujours comme une
« affaire d’Etat » ou le « disque dur de la politique »6, ce qui a valu à Jacques Rigaud,
Fondateur et ancien Président de l’Association pour le développement du mécénat industriel
et commercial (ADMICAL), de citer : « Si la France a opéré la séparation de l’Eglise et de
l’Etat, aucun français n’a jamais envisagé la séparation de la Culture et de l’Etat »7.
Toutefois, la crise économique et les dépenses considérables du Ministère de la
Culture et de la Communication dans les années 1980 n’ont pas épargné l’Etat, et par
conséquent le secteur culturel. Ce dernier paye aujourd’hui l’addition de belles années
d’intervention publique, un besoin de financement important s’étant créé. Ainsi, le secteur
culturel doit aujourd’hui faire face à un progressif désengagement de l’Etat qui se traduit par
la diminution des crédits accordés jusqu’alors. Pour exemple, bien qu’en 2001, les recettes du
musée du Louvre comprenaient 75% de subventions de la part de l’Etat, ces dernières ne
représentent aujourd’hui plus que 48% du budget du musée8. Le budget triennal 2013-2015
6 Propos tenu par la ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti ; et recueillis par Fabre
Clarisse, Herzberg Nathaniel, Ternisien Xavier, Aurélie Filippetti : « La culture est le disque dur de la
politique », in Le Monde, article paru le 10 septembre 2012,
http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/09/10/aurelie-filippetti-la-culture-est-le-disque-dur-de-la-
politique_1757941_3246.html [réf. du 19.09.2013]
7 Devlin Graham Hoyle, Hoyle Sue, Conseil Franco-Britannique, Le Financement de la Culture en France et en
Grande-Bretagne, L’Harmattan, Paris, 2001, p. 57
8 Guerrin Michel, Herzberg Nathaniel, Henri Loyrette : « On peut être inventif au Louvre sans vendre son
âme », in Le Monde, article paru le 21 mars 2013, http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/03/21/on-peut-
etre-inventif-au-louvre-sans-vendre-son-ame_1852095_3246.html [réf du 19.09.2013]
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du Ministère de la Culture et de la Communication n’est guère rassurant, ce dernier évoquant
des baisses croissantes: 2,43 milliards d’euros en 2013 ; 2,38 milliards d’euros en 2014 ; pour
finir à 2,35 milliards d’euros en 2015.
Empreint de cette forte tradition d’interventionnisme, l’Etat a souhaité, afin de
compenser cette diminution d’allocation de crédits, mettre en œuvre un ensemble de moyens.
L’un des plus significatifs, dans le cadre de cette étude, reste le développement d’un cadre
juridique et fiscal en faveur du mécénat culturel.
b. Un nécessaire besoin de faire appel au mécénat face au désengagement progressif de
l’Etat
Le mécénat est un don, c’est-à-dire « un soutien matériel apporté sans contrepartie
directe de la part du bénéficiaire à une œuvre ou une personne pour l’exercice d’activités
présentant un intérêt général »9. Il implique une intention libérale effectuée de manière
désintéressée et ouvre droit à un avantage fiscal sous la forme d’une réduction d’impôt au
profit du mécène.
L’essor du mécénat culturel en France date de la création du Ministère des Affaires
Culturelles en 1959. Toutefois, il aura fallu attendre la loi du 23 juillet 1987 pour entrevoir la
naissance officielle de cette pratique. Encouragée au plus haut point par Jacques Rigaud qui
entend le mécénat comme une « expression nouvelle de la société civile comme partie
prenante de l’intérêt général »10, les mesures n’ont eu de cesse de se développer. C’est ainsi
qu’est née le 1er
août 2003 la loi Aillagon, loi relative au mécénat, aux associations et aux
fondations. Cette dernière a eu le mérite d’affirmer ce modèle de financement de la culture au
travers de la mise en place d’un cadre juridique et fiscal des plus avantageux, dont les
institutions muséales et les entreprises ont su tirer profit.
Toutefois, tout comme pour l’Etat, l’implication financière des entreprises via le
mécénat ne peut être tenue pour acquise. En effet, bien que les chiffres du mécénat
d’entreprise semblent être plus prometteurs depuis 2012, il ne faut pas oublier la récession des
9 Définition du mécénat, arrêté du 6 janvier 1989 relatif à la terminologie économique et financière
10http://www.zurbains.com/societe/pourquoi-le-mecenat-constitue-un-veritable-enjeu-societal.html [réf. du
19.09.2013]
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crédits alloués au secteur culturel qui s’est installée de 2008 à 2010. Au cours de cette
période, le mécénat d’entreprise a subit une perte importante, qui s’est traduit par un
engagement timide de ces dernières au sein du secteur culturel. Il semble donc, qu’en
situation de crise, les entreprises préfèrent s’impliquer dans des projets plus significatifs, dans
le champ du social et de la solidarité11.
Aujourd’hui, le mécénat d’entreprise en faveur du secteur culturel semble avoir repris
un certain poids, au regard des chiffres fournis par l’enquête effectuée par l’ADMICAL en
2012 : il représente 26% du budget total du mécénat des entreprises en 2011, soit 490 millions
d’euros contre 380 millions d’euros en 2010. Cependant, l’implication des entreprises semble
se concentrer sur des domaines particuliers, à savoir notamment les actions à destination du
public (diffusion 47%, sensibilisation 34%)12. En somme, comment les institutions muséales
peuvent-elles assurer leurs missions originelles d’acquisition et de conservation, si l’Etat et les
entreprises s’y désengagent progressivement ?
c. L’appel au don privé : une pratique ancienne et internationale
Comme vu antérieurement, les chiffres du mécénat d’entreprise, ainsi que ceux de
l’Etat sont fluctuants. Les institutions culturelles, notamment muséales, se sont donc vues
dans la nécessité de réfléchir à d’autres solutions pour assurer les missions qui sont les leurs.
Pour cela, un troisième levier de financement existe : le modèle philanthropique de la
souscription publique. Celui-ci, consistant à faire un apport financier du montant de son choix
pour soutenir une initiative, a toutefois été peu mis en exergue jusqu’à aujourd’hui au sein des
institutions culturelles, en raison d’une tradition fortement ancrée sur un socle étatique,
comme en témoigne Eléonore Valais-de-Sibert, chef du service des donateurs individuels du
musée du Louvre : « le don en numéraire était encore peu développé [au musée du Louvre],
tout simplement parce que le budget du musée, était, pour l’essentiel, financé par l’Etat. La
question ne se posait donc pas en ces termes »13.
11
Tcherniak Olivier, ancien Président de l’Association pour le développement du mécénat industriel et
commercial (ADMICAL), http://forum-avignon.org/sites/default/files/editeur/Focus_sur_Le_crowdfunding.pdf
[réf. du 19.09.2013]
12 Le mécénat d’entreprise en France – 2012, enquête Admical-CSA, 2012
13 Entretien avec Eléonore Valais-de-Sibert, chef du service des donateurs individuels du musée du Louvre, du
20 mars 2013, cf. Annexe 1.b
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Ce modèle a toutefois fait ses preuves dans l’histoire culturelle française. Cette
pratique fut en effet très en vogue sous la Troisième République, et a pris une importance
considérable dans le financement des actions de la Fondation du Patrimoine14, sur le modèle
des systèmes de financements étrangers, en particulier anglais et américains. Pays beaucoup
moins étatisés que la France, le don y représente une part importante du financement du
secteur culturel. Ainsi, aux Etats-Unis, le modèle philanthropique représente 35,5% des
ressources des institutions culturelles15. Dans les pays anglo-saxons, c’est un système de dons
particulier qui fut mis en place, à savoir « le don à l’entrée » des structures culturelles. Ce
modèle de financement a donc longuement fait ses preuves à l’étranger, comme en témoigne
la souscription publique internationale engagée pour le financement de La Liberté éclairant le
monde où pas moins de 100 000 personnes de nationalité française ont contribué ; ou encore
l’acquisition par la National Gallery et la National Gallery of Scotland de deux tableaux
réalisés par Titien, Diane et Actéon, après avoir réuni quelques 100 millions de livres auprès
de donateurs privés, entreprises et individuels16. Cette logique du don de particulier s’est
également développée en France, dans le secteur muséal plus particulièrement, car elle repose
sur un système bien implanté : les sociétés des amis de musées existant depuis les années
1850. Pour exemple, ce n’est pas moins de 4 millions d’euros qui sont récoltés chaque année
par la société des amis du Louvre et reversé à ce dernier pour acquérir des œuvres d’art17.
Ainsi, une certaine forme de transposition de ce modèle de financement a eu lieu en
France, encouragé par la réussite des appels aux dons des associations et des ONG. Au sein
du secteur muséal, domaine privilégié de cette étude, quelques exemples de souscription
publique réussie méritent d’être soulignés. En témoigne notamment une initiative du musée
du Louvre en 1988, où le grand public a été sollicité pour l’acquisition de l’œuvre Le Saint
Thomas à la pique de Georges de La Tour. Il est également intéressant de citer la première
souscription publique lancée pour l’achat du château de Chambord en 1820. Toutefois, ces
exemples ne sont restés qu’anecdotiques jusqu’à très récemment. Dès lors, il convient de
14
Marozeau Maureen, Mécénat populaire, in Journal des arts, n° 384, février 2013
15 Martel Frédéric, De la culture en Amérique, Gallimard, Paris, 2006
16http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5jfimZtva7abv_FCog6OoQSd0_Xg?docId=CNG.be181
aad471d07cff28d313ee2a655e0.701) [réf. du 22.08.2013]
17Fumaroli Sébastien, directeur de la communication de la Société des amis du Louvre,
http://www.dailymotion.com/video/x11cfix_forum-ile-de-france-2030-vitry-sur-seine-tous-mecenes_news [réf
du.19.09.13]
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s’interroger sur les raisons ayant permis le développement de ces appels à la générosité
publique au sein du secteur culturel ?
Chapitre II : L’essor d’Internet : une pratique d’appel au don modifié
a. Une évolution sociétale et l’essor d’Internet au profit d’un renouvellement des
pratiques
« Les temps sont durs mais modernes ». Ce proverbe italien rapporté par Sloterdijk
(1983) résume parfaitement la situation au sein de laquelle s’inscrit la montée en puissance de
l’appel aux dons de particuliers. En effet, avec le temps, la pratique a évolué, et ce grâce à un
renouvellement des outils et des plateformes utilisés. Comme l’explique Christophe Monin,
Directeur du développement et du mécénat du musée du Louvre, « nous avons réutilisé cet
ancien modèle [la souscription publique] avec un dispositif marketing mobilisant Internet et
les réseaux sociaux »18. Grâce à ces nouveaux outils, c’est ainsi la « professionnalisation » de
ces collectes qui s’est développée, et ce dès la seconde moitié du XXe siècle19.
Le développement d’Internet et du web 2.020 a joué un rôle crucial en donnant une
nouvelle dimension aux campagnes d’appels à la générosité publique. Huit ménages sur dix
en France possédant un accès à internet21, il semblait important pour les institutions culturelles
de se mobiliser sur ce réseau, comme en témoigne Isabelle Duflos, Chargée de mécénat au
musée des Beaux-arts de Lyon : « internet, c’est l’avenir ! Je pense que si nous n’avions
procédé que via des formulaires papier, nous n’aurions pas recueilli la somme demandée.
18
Maurot Elodie, Le public, mécène pour l’achat d’œuvres d’art, in La Croix, article paru le 7 mars 2013,
http://www.la-croix.com/Culture/Actualite/Le-public-mecene-pour-l-achat-d-aeuvres-d-art-_NG_-2013-03-07-
918783 [réf. du 19.09.2013]
19 Krebs Anne, La recherche sur les générosités monétaires des particuliers, in Musées et collections publiques
de France, n° 265, 2012
20 Le web 2.0, web social ou encore web participatif, désigne l’ensemble des fonctionnalités communautaires et
collaboratives qui se sont développées sur Internet à partir de l’année 2005. Pour plus d’informations, voir
Couillard Noémie, Présence muséale dans le « Web social » : enjeux, pratiques et effets, Mémoire de recherche,
dir. Jacqueline Eidelman, Ecole du Louvre, Septembre 2010
21 Deroin Valérie, Les ménages et les technologies de l’information et de la communication (TIC) en France et
en Europe en 2012, Ministère de la Culture et de la Communication, mai 2013
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14
Nous avons eu de nombreux visiteurs sur la page mécénat. On a également utilisé un peu
Twitter »22.
Le développement de ce nouveau dispositif de marketing direct par les institutions
culturelles est également à mettre en lien avec les valeurs liées au web 2.0. Ce modèle,
comme l’explique Nina Simon23, consultante pour les musées et rédactrice du blog Museum
2.0, est fondé sur une logique participative et de partage. Ces maitres mots du web 2.0, sont
également ceux des campagnes d’appels aux dons et se trouve aujourd’hui pleinement
intégrés dans la conscience des internautes. En effet, « la culture participative est en train
d’émerger comme une culture qui absorbe et qui répond à l’explosion des nouvelles
technologies médiatiques »24. L’utilisation des nouvelles technologies a donc permis, comme
le signale Henry Jenkins, le développement d’une nouvelle ère au centre de laquelle se situe la
notion essentielle de participation.
L’émergence d’Internet remet ainsi en cause la place habituelle des publics comme
consommateurs passifs, en s’appuyant sur le développement de nouvelles valeurs : valeurs de
proximité, de consommation collaborative, et d’économie du partage. C’est véritablement la
capacité offerte par Internet à se mettre en réseau très rapidement qui permet à tous d’être
mécènes, à hauteur même de 1€. Ces valeurs ont fortement été comprises par les institutions
culturelles, comme en témoigne le message utilisé par le musée du Louvre au sein de ces
différentes campagnes d’appels à la générosité publique : « Tous mécènes ».
D’autres enjeux sont également à mettre en avant. En effet, ces campagnes de
financement participatif via Internet permettent d’élargir le type de public fréquentant les
institutions culturelles. Cela permet de pouvoir toucher les jeunes générations, qui semblent
être encore peu présentes au sein des institutions muséales. C’est également un bon moyen de
mesurer l’adhésion à un projet, en le valorisant et en lui donnant une crédibilité.
22
Entretien avec Isabelle Duflos, Chargée de mécénat au musée des Beaux-arts de Lyon, du 10 avril 2013, cf.
Annexe 1.c
23 Simon Nina, The participatory museum, Museum 2.0, 2010
24 “Participatory culture is emerging as the culture absorbs and responds to the explosion of new media
technologies”, Jenkins Henry, Convergence Culture : Where old and new media collide, New York University
Press, New York, 2006
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En définitif, Internet et la naissance du web 2.0 ont permis aux institutions culturelles
de développer un nouvel outil de marketing direct, permettant de répondre au problème de
fonds propres auquel elles doivent faire face.
b. Le financement participatif : définitions et enjeux
Le web 2.0 a apporté de nouvelles conceptions économiques et de nouveaux moyens
de financement, laissant ainsi ouverte la voie au développement du financement participatif.
C’est en 2005-2006, suite à l’explosion des réseaux sociaux dans le monde, que ce
nouveau modèle a pris une importance considérable. Ce dernier a été envisagé comme une
suite logique à l’acte d’échange de photos ou de contenus mis en avant par les réseaux
sociaux. Comme l’explique Vincent Ricordeau, cofondateur de KissKissBankBank,
« mécaniquement, l’étape d’après ce serait de partager ses projets, et potentiellement
partager de l’argent »25.
Une définition du financement participatif pourrait être donnée par un simple
proverbe, cet outil n’ayant pas à l’heure d’aujourd’hui de définition juridique : « Les petits
ruisseaux font les grandes rivières ». Littéralement, financement par la foule, ce modèle
consiste à proposer à tout individu de donner une somme d’argent du montant de son choix
pour financer une action particulière. Il s’agit de pouvoir tirer parti d’une plateforme et d’être
financé par une multitude d’acteurs. Ce type d’opération marketing repose donc sur un
principe simple : une dimension collective et communautaire26.
Divers modèles de « crowdfunding » existent :
- prêts à titre gratuit ou rémunéré27 (peer to peer lending) : dans le premier cas, les
internautes prêtent une somme d’argent, sans intérêt, à d’autres individus, qui leur
25
http://www.dailymotion.com/video/x11cfix_forum-ile-de-france-2030-vitry-sur-seine-tous-mecenes_news
[réf. du 19.09.2013]
26 « Les sites de financement participatif permettent aujourd’hui à tout un chacun de contribuer à un projet, de
financer une bonne idée, en se basant sur un principe simple : l’aspect collectif », propos tenu par Nicolas
Dehorter, spécialiste du crowdfunding, au cours des Jeudis du mécénat consacré au sujet « Culture et
financement participatif », le 21 mars 2013
27 Exemple de la plateforme Lending Club, plateforme spécialisée dans les prêts entre particuliers créée par
Renaud Laplanche, https://www.lendingclub.com/ [réf. du 19.09.13]
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sera remboursée sans intérêt. Dans le second cas, il s’agit d’octroyer un prêt qui
donnera suite à un remboursement avec intérêt ;
- souscription de titres (crowdinvesting)28 : il s’agit d’une prise de participation au
sein d’une entreprise contre rétribution financière ;
- don ou contribution29 : les individus octroient une somme d’argent. En retour, ils
reçoivent des contreparties qui peuvent être de natures diverses.
L’un de ces modèles semble toutefois être bien plus utilisé par l’ensemble des plateformes de
financement participatif : le modèle du don et contrepartie. Moins contraignant au niveau
juridique, ce système est ainsi employé par 71% de sites de financement participatif de
manière internationale30.
Mais pourquoi tant de succès autour de ces plateformes de financement participatif ?
Le financement participatif permet de toucher un très grand nombre d’individus par le biais de
l’utilisation d’outils de communication quotidien. Il s’agit d’un véritable outil marketing qui a
su allier au mieux la notion de consentement à payer des individus. En effet, ce modèle est
sans contrainte pour les donateurs, et articuler autour de projets fédérateurs. De plus, il permet
de répondre à différents enjeux posés au secteur culturel : c’est une réponse aux difficultés des
institutions à tenir leur budget annuel dans un contexte de forte restriction budgétaire, mais
également de réagir à la faible culture du don en France. Enfin, dans le domaine culturel, ces
appels à la générosité publique permettent à toute institution de véhiculer un message fort : le
financement de la culture n’est plus le seul apanage de l’Etat, des entreprises, ou encore des
grandes fortunes, mais bien de « tous ».
28
Exemple de la plateforme Wiseed qui permet aux internautes d’investir dans les startups de demain à partir de
100€, http://www.wiseed.com/fr [réf. du 19.09.13]
29 Guide du financement participatif (crowdfunding) à destination du grand public, Ministère de l’Economie et
des Finances, publié le 14 mai 2013, http://www.economie.gouv.fr/mise-en-ligne-dun-guide-financement-
participatif-crowdfunding [réf. du 19.09.2013]
30 Mollard Camille, Le financement participatif : quelles perspectives pour la création, mémoire de HEC Paris,
dir. Nicole Ferry-Maccario, Juin 2012
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17
Chapitre III : La naissance des « investisseurs-loisirs » ou le financement participatif
appliqué à la culture
Après avoir défini les raisons ayant favorisé la naissance du financement participatif, il
est important de s’attacher à établir les réponses qui en furent données au sein du secteur
culturel. En somme, il s’agit de déterminer le format sous lequel s’est développé ce nouveau
levier de financement.
a. Etat des lieux des différentes plateformes de financement participatif du secteur
culturel
« Toi, plus moi, plus eux, plus tous ce qui le veulent […] ». Qui n’a pas entendu ce
refrain musical ? Titre d’un album de l’artiste Grégoire, sorti en 2008, grâce aux 70 000 euros
de dons récoltés auprès de 350 internautes sur la plateforme MyMajorCompany31, ces
quelques vers sonnent comme le credo de ce nouveau mode de financement né, en France, au
cours des années 2008-2009. Aujourd’hui, ce ne sont pas moins de 900 sites de ce type qui
sont présents sur la toile internationale. 6 millions d’euros ont ainsi été collectés en France
depuis 2010, pour financer plus de 15 000 projets32. A titre d’exemple, la plateforme
KissKissBankBank33 a ainsi recueilli 7 959 800€ pour 4 208 projets grâce à 161 304
internautes ; pour Touscoprod34, ce ne sont pas moins de 2 400 232€ qui ont été récoltés ;
MyMajorCompany, quant à elle, a levé 14,8 millions d’euros depuis sa création en 2007.
Basé principalement sur l’un des modèles évoqués antérieurement, à savoir celui du
don et contrepartie, le développement de ces sites s’est particulièrement opéré, en France, au
sein de secteurs bien précis que sont le secteur culturel et celui de l’économie numérique. Ces
différentes plateformes semblent toutefois s’intéresser à deux domaines culturels plus
particulièrement : les industries culturelles (musique, édition, jeux vidéos…), ainsi que le
design et les nouvelles technologies. D’autres domaines remportent néanmoins un franc
31
Plateforme de financement participatif dans le domaine musical, http://www.mymajorcompany.com/ [réf. du
19.09.2013]
32 http://www.lafinancepourtous.com/Epargne-et-placement/La-finance-participative [réf. du 19.09.2013]
33 Plateforme de financement participatif généraliste, http://www.kisskissbankbank.com/ [réf. du 19.09.2013]
34 Plateforme de financement participatif dans le domaine du cinéma, http://www.touscoprod.com/ [réf. du
19.09.2013]
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succès depuis quelques mois, comme en témoigne les différentes opérations d’appels aux
dons menées dans le cadre d’un partenariat entre le Centre des Monuments Nationaux et le
site MyMajorCompany, qui ne demandent qu’à être réitérées auprès d’autres structures35.
Basés sur le modèle du work in progress36 ces sites n’adoptent toutefois pas le même
fonctionnement : certaines plateformes sont ainsi des plateformes de coproduction ou de
coédition ; d’autres, des plateformes dites de « mécénat » généralistes.
Le modèle des plateformes de coproduction ou de coédition, tel celui de MyMajorCompany
ou encore Touscoprod, est basé sur un partage des revenus commerciaux des différents projets
lancés entre l’artiste, les internautes et les plateformes. Elles sont également spécialisées sur
un domaine particulier : pour exemple, MyMajorCompany ne concerne que le secteur
musical et Touscoprod ne s’intéresse qu’au cinéma. A l’inverse sur des plateformes de
« mécénat » telles KissKissBankBank ou Ulule, il s’agit de « faire naître un projet dont les
créateurs conservent 100% de la propriété intellectuelle du projet »37. Hébergeant des
propositions culturelles de nature diverses, cette démarche est sensiblement différente. En
effet, « les internautes ne sont pas rémunérés sous forme de parts de coproduction mais avec
des contreparties personnalisées et en nature établies par le créateur lui-même. […] On est
plus, comme sur MyMajorCompany dans une phase de pari ou de miser sur un artiste mais
dans une logique de co-créer »38. Les contreparties accordées varient également en fonction
du montant offert par chaque donateur. Ainsi, par exemple, un groupe de musique peut
proposer une carte postale dédicacée pour les contributions inférieures à 5€, un CD et une
carte postale dédicacés pour celles comprises entre 5 et 20€ ; ou encore le même pack avec un
tee-shirt au-delà… Diverses contreparties peuvent donc être imaginées pour encourager les
donateurs à investir dans le projet, qu’elles soient tangibles ou expérientielles. Celles-ci n’ont
qu’une modeste valeur monétaire mais permettent au porteur de projet d’immerger et
d’impliquer l’internaute dans le projet, en apportant reconnaissance et satisfaction
personnelle.
35
Partenariat avec le musée Guimet autour de l’exposition Angkor, la naissance d’un mythe, ou encore un
partenariat avec le CNAP pour la restauration de l’œuvre Le Cyclop de Jean Tinguely…
36 Work in progress signifie que le financement de l’œuvre s’effectue avant que l’œuvre ne soit terminée
37 Ricordeau Vincent, http://lacantine.ubicast.eu/videos/le-crowdfunding-cree-til-du-lien-social/ [réf. du
19.09.2013]
38 Ibid. n°37
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19
Ces deux logiques bien différentes mettent toutefois le créateur au cœur du processus.
Elles répondent également à des missions identiques, fondant pour l’essentiel tout l’intérêt de
ces plateformes :
- mettre en avant des projets d’artistes ;
- légitimer et faciliter la démarche de collecte de fonds ;
- diffuser et promouvoir les projets.
En définitif, le crowdfunding semble être un modèle parfaitement adapté au monde
culturel, et ce notamment en raison de sa simplicité d’utilisation et de son aspect
communautaire La méthode offre de nouvelles perspectives et semble convaincre jour après
jour un plus grand nombre de porteurs de projets et financeurs.
b. Modalités et enjeux des plateformes de financement participatif développées dans le
secteur culturel
L’ensemble de ces plateformes cherchent donc à mettre en avant un objectif précis et
unique : participer au développement de la créativité. Conscients de la baisse tendancielle des
financements publics générant une concurrence de plus en plus accrue entre chaque acteur
culturel, les créateurs de ces diverses plateformes, ont ainsi imaginé un modèle en réponse à
ces différents enjeux. Ces sites de financement participatif n’ont toutefois pas été pensés
comme une simple source de financement, mais comme de véritables outils marketing à
disposition de chaque acteur culturel pour faire valoir son projet. En effet, pour un artiste, ou
une institution culturelle, la mise en ligne est un test grandeur nature de la viabilité
économique de son projet, et permet également d’appréhender les réactions du public face à
ce dernier. Ces plateformes de financement participatif jouent donc un rôle de média.
Afin d’inciter les différents acteurs à utiliser ces outils, un système assez simple a été
imaginé, système utilisé par l’ensemble des plateformes de financement participatif. La
première étape n’est autre que l’idée. Celle-ci doit être innovante, utile et doit posséder une
dimension communautaire. Chaque institution ou acteur dépose ensuite son projet
gratuitement en fixant le montant à collecter en 90 jours maximum. Si l’objectif est atteint ou
dépassé, l’artiste récolte les dons en reversant une commission39 à la plateforme. Si tel n’est
39
Cette commission varie selon les plateformes de financement participatif. A titre d’exemple,
KissKissBankBank perçoit une commission de 5%. D’autres peuvent percevoir jusqu’à 10%.
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20
pas le cas, les dons des mécènes ne sont pas débités. En effet, tant que l’objectif n’est pas
atteint, toutes les contributions sont mises en attente, et constituent alors des promesses de
dons.
En sus, aucune segmentation n’est effectuée sur la nature des projets reçus, dans la
mesure où ces derniers respectent certains critères : le projet proposé doit être culturel et
innovant ; les créateurs doivent savoir présenter leur projet de façon correcte en l’agrémentant
notamment de vidéos ; des contreparties doivent être accordées ; … « Il n’y a donc pas de
ligne éditoriale officiellement ».
Ces projets permettent ainsi à chaque créateur de mobiliser une communauté qui lui
est proche, tout en séduisant les amis d’amis grâce à l’utilisation des réseaux sociaux. Il existe
par conséquent une relation à l’artiste particulière, à savoir une « relation de soutien, de
distinction, d’amitié et de consommation ». Toutefois, cela ne semble pas permettre la
construction d’une communauté de philanthropes en tant que tel. Comme l’explique Vincent
Ricordeau, il n’y a que « 1% des KissBanker qui participent à plus d’un projet »40. En
somme, ces plateformes permettent de « faciliter des collectes de fonds au sein des
communautés identifiées »41. Ce principe semble également s’appliquer pour l’ensemble des
plateformes.
Avec le développement de ces sites de financement participatif, accroissement en lien
avec les valeurs de la société et l’effet de nouveauté, c’est ainsi un nouveau type
d’ « investisseurs » qui voit le jour : les investisseurs-loisirs. Leur apparition est également à
mettre en lien avec une évolution générale de la société qui assiste à un rapprochement entre
culture et loisirs, ce qui permet de la qualifier de « civilisation de loisirs »42. Le succès du
financement participatif s’explique donc par le fait qu’il correspond à ces nouvelles valeurs
puisqu’il se déroule sur une période relativement courte et se renouvelle souvent.
40
Ricordeau Vincent, http://lacantine.ubicast.eu/videos/le-crowdfunding-cree-til-du-lien-social/ [réf. du
19.09.2013]
41 Ricordeau Vincent, http://www.fypeditions.com/crowdfunding-le-financement-participatif-qui-bouscule-
leconomie/ [réf. du 19.09.13]
42 Etat d’une civilisation dans laquelle la place laissée aux loisirs serait de plus en plus importante et
bouleverserait complètement les habitudes et l’organisation de la vie publique et privée.
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21
Ainsi, malgré sa complexité et son ambivalence, ce modèle s’intègre dans un vrai
besoin des internautes, ces derniers souhaitant prendre le pouvoir en tant que consommateur,
mais également s’intégrer toujours plus amplement au sein du processus créatif : les individus
ne sont plus passifs, la création devenant pleinement collective. En ce sens, les plateformes
participatives donnent tout son sens à l’ouvrage de Howard S. Becker sur la dimension sociale
de l’art : le financement participatif s’affirme comme un monde de l’art à lui tout seul où tous
les acteurs, y compris les consommateurs finaux, ont un impact indéniable sur la création qui
devient alors pleinement collective. Toutefois, jusqu’où peut aller cette immersion des
internautes dans le processus de création ? Est-il possible un jour d’envisager aboutir à un
véritable modèle de marketing de la demande ?
Bien que de nombreux projets culturels aient émergé sur ces plateformes de
financement participatif, peu d’institutions muséales ont souhaité s’associer à ces dernières,
pour créer leur propre modèle de financement participatif. En somme, il convient de
s’interroger sur les raisons ayant poussées les institutions muséales à développer leur propre
plateforme de financement participatif.
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PARTIE II- LE FINANCEMENT PARTICIPATIF APPLIQUE AUX
INSTITUTIONS MUSEALES
Inspirée par le développement de cet ensemble de plateformes de financement
participatif, et encouragé par l’engouement certain développé autour de ces dernières, les
institutions muséales, ont progressivement pensé pouvoir utiliser ce modèle. Le coup de grâce
a été formulé autour de la campagne d’acquisition des Trois Grâces de Lucas Cranach lancée
par le musée du Louvre en 2010.
Une autre tentative de financement participatif sous une forme particulière a également
été tentée fin 2011 par les musées de la Ville de Paris43. Sur le modèle des appels aux dons de
particuliers anglophones, des urnes furent installées dans le hall de ces derniers, afin de
susciter l’envie des visiteurs de participer à l’enrichissement des collections et à l’entretien
des bâtiments. Cette démarche a toutefois occasionné certaines polémiques. Est-il donc
possible de transposer les modèles de financement participatif au sein des institutions
muséales françaises ?
Cette partie sera l’occasion de réfléchir à cette problématique, en s’attachant à étudier
les différentes campagnes d’appels aux dons menées par quatre institutions muséales
françaises, à savoir le musée du Louvre, le musée des Beaux-arts de Lyon, le musée
Unterlinden à Colmar et le musée Courbet à Ornans44. Dans un premier temps, il s’agira de
revenir sur la première campagne d’appel à la générosité publique menée par le musée du
Louvre afin de comparer ce modèle à celui des plateformes de financement participatif
évoqué antérieurement (Chapitre I). Une étude de cas permettra ensuite de dégager les
caractéristiques intrinsèques au modèle utilisé par les structures muséales, en termes de
méthodes et outils utilisés, de conditions de mise en œuvre, ou encore de compétences
spécifiques à posséder…(Chapitre II). Enfin, il s’agira de s’intéresser plus particulièrement
43
Hasquenoph Bernard, Les musées de Paris, de la gratuité au don, in Louvre pour tous, article paru le 13
novembre 2013, http://www.louvrepourtous.fr/Les-musees-de-Paris-de-la-gratuite,706.html [réf. du 19.09.2013]
44 Une cinquième campagne, lancée par le musée Guimet, ne fait pas l’objet de ce mémoire, en raison de sa mise
en place tardive, n’ayant permis une exploitation approfondie de données. De plus, la dernière campagne du
musée du Louvre relative à la restauration de la Victoire de Samothrace, ne sera pas évoquée, cette dernière
ayant débutée en septembre 2013.
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23
aux profils et motivations des donateurs, l’implication de ces derniers constituant un facteur
essentiel pour la réussite de toute campagne (Chapitre III).
Chapitre I : Un modèle différent des plateformes de financement participatif ?
a. Retour sur l’acquisition des Trois Grâces de Lucas Cranach par le musée du Louvre
« Tous mécènes ! Pour acquérir Les Trois Grâces de Lucas Cranach, chef-d’œuvre de
la Renaissance, le musée du Louvre a besoin de vous ». Ce message, lancé en novembre 2010
par le musée du Louvre, a sonné comme le départ significatif d’une nouvelle pratique pour les
institutions muséales : l’appel à la générosité publique. Bien que cette démarche ne fût pas la
première pour le musée du Louvre45, elle a marquée l’ensemble du secteur culturel en raison
de son caractère exceptionnel. Dès lors, pourquoi une telle institution a souhaité recourir à ce
moyen de financement pour l’acquisition d’une œuvre ? A-t-elle réellement besoin de ce
soutien, ou s’agit-il seulement d’un coup de publicité ?
Petit panneau de bois de 24 x 37 cm, d’une « étonnante perfection »46, peint par Lucas
Cranach l’Ancien en 1531, l’œuvre Les Trois Grâces a connu une histoire particulière.
Presque vendue à un propriétaire étranger par la famille Seligmann, elle fut toutefois classée
Trésor national par la Commission consultative des Trésors nationaux47, suite à son refus
d’exportation paru dans le Journal Officiel du 23 juillet 2009. Comme pour tout bien faisant
l’objet d’une interdiction de sortie, l’Etat a disposé d’une période de trente mois pour
immobiliser cette œuvre et ainsi décider de la mise en place d’une mesure de protection ou
d’un achat. Proposée pour un montant de 4 millions d’euros par son propriétaire, le musée du
Louvre, touché par l’importance de cette œuvre, a envisagé son acquisition afin de compléter
un ensemble de tableaux du même artiste déjà en sa possession.
45
Cf. Partie I, Chapitre I. c
46 Propos tenus par Vincent Pomerède, directeur du département des peintures du musée du Louvre,
http://musee-oh.museologie.over-blog.com/article-appel-au-mecenat-individuel-cotisez-pour-le-cranach-du-
louvre-60974003.html [réf. du 19.09.13]
47 Avis n° 2009-05, JORF n°0168 du 23 juillet 2009, page 12337, texte n°118, cf. Annexe 2
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24
Pour cela, le musée a fait appel aux entreprises, en sus de sa contribution personnelle
d’un million d’euros. Ainsi, ce ne sont pas moins de deux millions d’euros qui furent
recueillis grâce au mécénat de grandes entreprises. Un million d’euros manquant pour
l’acquisition de l’œuvre, le musée du Louvre a alors souhaité mettre à profit un « nouveau »
dispositif : le financement participatif. Inspirée des appels à la générosité publique dans
d’autres secteurs de la vie sociale - Restaurants du Cœur, Institut Pasteur…-, l’institution a
lancé un appel aux particuliers sur internet, en créant une plateforme dédiée -
www.troisgraces.fr49- et cela à partir du questionnement suivant : « pourquoi la culture ne le
fait-elle pas ? » L’objectif était de réunir cette somme manquante en deux mois et demi. Cela
n’était pas sans compter la générosité des 7 200 donateurs qui ont permis de réunir ce montant
en moins d’un mois. Ainsi, en cinq semaines seulement, c’est bel et bien 1,5 million d’euros
qui furent recueillis, soit 30% de la somme totale à collecter. Cette initiative a donc démontré,
comme l’explique Christophe Monin, « qu’il y avait une attente, une demande en quelque
sorte, et en tout cas une disposition favorable »50. L’œuvre est aujourd’hui, et ce depuis le 1er
mars 2011, entrée dans les collections nationales et exposée au musée du Louvre.
Le succès de cette opération tient sans doute en partie du choix de l’œuvre à mécéner.
Cette dernière a en effet été perçue par les donateurs comme un tableau essentiel, d’une
qualité et d’une beauté exceptionnelle, comme le démontre ces quelques témoignages :
- « J’ai trouvé cette image exquise, très sensuelle »
- « Par la beauté du tableau. Quand j’ai vu le tableau je n’ai pas hésité »51…
D’autres facteurs semblent également expliquer la réussite de cette campagne. Parmi ceux-ci,
la médiatisation a eu un rôle à ne pas négliger. Cette campagne – organisée autour d’un slogan
véhiculant parfaitement le message du musée du Louvre, « Tous mécènes » - a bénéficié d’un
soutien considérable de la presse. Entre novembre et décembre 2010, ce ne sont pas moins de
100 articles qui furent publiés autour de cette campagne.
49 Cette page internet n’existe toutefois plus. En effet, le musée du Louvre renouvelle ces pages au fur et à
mesure des campagnes. Depuis septembre 2013, c’est donc sur la nouvelle campagne d’appel aux dons que le
musée communique : http://www.louvresamothrace.fr/fr/#/home [réf. du 19.09.2013]
50 Entretien avec Christophe Monin, Directeur du développement et du mécénat du musée du Louvre, du 27
février 2013, cf. Annexe 1.a
51 Témoignages des donateurs, Paroles de mécènes, Musée du Louvre, © Thierry Gontan,
http://www.youtube.com/watch?v=QdYWke1a-70 [réf. du 19.09.2013]
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25
Cette initiative, partie d’une simple hypothèse, a donc eu le mérite de mettre en avant
la conception suivante : une institution, même comme le musée du Louvre, a besoin de
soutien financier. Outre des raisons d’ordre économiques et financières, cette démarche a
également fait ressortir un enjeu fondamental : celui du développement des publics, en
permettant aux visiteurs du musée de devenir acteur de ce dernier52.
Cette campagne a donc permis le développement d’un nouvel intérêt pour le mécénat
de particuliers au sein des institutions muséales. Ainsi, d’autres initiatives ont vu le jour suite
à celle menée par le musée du Louvre. En témoigne les campagnes lancées par le musée des
Beaux-Arts de Lyon, la BNF, ou encore le musée Courbet à Ornans. Cette pratique semble
aujourd’hui prendre peu à peu sa place au sein du paysage du financement culturel.
b. Un modèle si différent des plateformes de financement participatif ?
« On avait aussi envisagé la possibilité de s’associer avec MyMajorCompany pour
lancer une telle campagne, mais les avis étaient partagés, donc on ne l’a pas fait »53. Cette
citation pousse à s’interroger sur les raisons ayant poussées certaines institutions muséales à
développer leur propre plateforme d’appel à la générosité publique, en se passant de
l’intermédiaire d’entreprises spécialisées telles MyMajorCompany. Ce modèle est-il si
différent de celui proposé par les plateformes de financement participatif ?
A première vue, il semble qu’il y ait effectivement certains points communs entre
l’appel lancé par le musée du Louvre et celui des plateformes de financement participatif
mentionné antérieurement. En effet, ces campagnes sont basées sur le même modèle, à savoir
celui du don et de la contrepartie. Ainsi, en retour d’une somme d’argent, chaque donateur
reçoit une contrepartie, proportionnelle au montant de son don. Outre la déduction fiscale
accordée par les structures muséales aux donateurs, ces derniers peuvent se voir offrir un
laissez-passer pour visiter le musée ou encore être conviés à une visite privée pour découvrir
l’œuvre…
52
Entretien avec Eléonore Valais-de-Sibert, chef du service des donateurs individuels du musée du Louvre, du
20 mars 2013, cf. Annexe 1.b
53 Entretien avec Isabelle Duflos, Chargée de mécénat au musée des Beaux-arts de Lyon, du 10 avril 2013, cf.
Annexe 1.c
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26
En sus, diverses modalités relatives à chaque campagne sont identiques :
- une durée d’appel aux dons est toujours bien déterminée s’élevant généralement à
trois ou quatre mois maximum ;
- une certaine somme d’argent à récolter est également mise en avant.
Néanmoins, hormis ces quelques points communs, le modèle développé par les institutions
muséales semble bien différent de celui proposé par KissKissBankBank, ou encore
MyMajorCompany.
Bien que le don en ligne soit l’unique moyen de paiement des sites de financement
participatif, il n’est pas le seul utilisé par les institutions muséales. Les donateurs étant
fortement attachés au formulaire papier, il est encore aujourd’hui difficile pour ces dernières
d’envisager des campagnes entièrement dépendantes de ce mode de paiement, au risque de
perdre des donateurs, comme l’explique Eléonore Valais-de-Sibert : « nous constatons
aujourd’hui, que malgré le développement du don en ligne, il reste quand même une part
importante des donateurs qui préfèrent régler par chèque (50% environ). On est donc obligé
de continuer à avoir des documents papiers. C’est d’autant plus important pour les personnes
âgées ; qui ne se sont pas mis à internet, et qui n’auraient pas accès à l’information sinon »54.
De plus, contrairement aux plateformes de financement participatif de type
Touscoprod.com, qui restituent aux donateurs leur investissement si l’objectif n’est pas
atteint, cela ne semble pas être le cas pour les institutions muséales. Même si le montant
initialement convenu n’est pas atteint, ces dernières conservent les dons. Il s’agit donc d’une
véritable démarche d’appel au mécénat. Peu d’initiatives peuvent toutefois confirmer cette
tendance, la majorité des campagnes ayant atteint leur objectif55.
En matière de financement, une autre différence s’impose. En effet, alors que
l’ensemble des sites de financement participatif est basé sur le modèle du work in progress, à
savoir un financement avant que l’œuvre ne soit achevée, cela n’est pas le cas pour les
campagnes lancées par les institutions muséales étudiées. De plus, la relation à l’artiste n’est
pas identique. Alors que sur MyMajorCompany ou encore KissKissBankBank, les créateurs
54
Ibid. n°52
55 Seul le musée Unterlinden de Colmar n’a pas réussi à mener à bout ces trois campagnes d’appel aux dons
lancées simultanément.
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27
apportent les projets et sont en contact direct avec les donateurs ; les institutions muséales
quant à elles, apportent les projets, et sont en contact direct avec les donateurs. Il y a donc
moins d’intermédiaires.
En sus, la nature des projets proposés est dissemblable. Les sites de financement
participatif préfèrent sensiblement des projets ayant trait à deux domaines culturels : les
industries culturelles ainsi que le design et les nouvelles technologies. De l’autre côté, les
institutions muséales mettent en avant des projets patrimoniaux, d’acquisition ou encore de
restauration. Bien que MyMajorCompany ait développé des partenariats importants avec
diverses structures culturelles patrimoniales dont le Centre des Monuments Nationaux, ou
encore le musée Guimet, il semble que ces initiatives soient encore peu présentes sur la toile.
Enfin, la question des donateurs est également à évoquer. Comme expliqué
antérieurement, il est bien difficile aujourd’hui pour les sites de financement participatif de
constituer une véritable communauté de philanthropes autour des projets. Au sein des
institutions muséales, bien que l’implication des amis des musées reste encore relativement
importante, cela semble quelque peu différent. Ce modèle de financement constitue un
véritable enjeu de développement des publics. Ainsi, au cours de la campagne d’acquisition
de l’œuvre Les Trois Grâces du musée du Louvre, 75% des donateurs n’étaient pas présents
au sein de la base de données du musée. Il s’agit donc d’un véritable outil pour attirer et
fidéliser de nouveaux publics.
Chapitre II : Etude de cas
La première campagne d’appel à la générosité publique lancée par le musée du Louvre
fut un succès. Mais qu’en est-il véritablement ? Les actions menées par d’autres institutions
muséales ont-elles toutes connues la même réussite ? Afin de répondre à cette question et pour
mieux comprendre la stratégie développée par ces structures, des entretiens ont été menés.
Ces derniers ont ainsi permis d’analyser les campagnes d’appel aux dons menées par quatre
institutions muséales :
- le musée du Louvre ;
- le musée des Beaux-arts de Lyon ;
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28
- le musée Unterlinden de Colmar ;
- le musée Courbet d’Ornans.
a. Choix des projets
Alors que pour les plateformes de financement participatif, les artistes et créateurs
apportent eux-mêmes leurs projets, cela est bien différent pour les institutions muséales qui
doivent elles-mêmes les déterminer. Dès lors, sur quels critères se basent-elles ?
Les quatre institutions étudiées sont unanimes pour affirmer que le choix des projets
s’est effectué sur des critères bien précis. Tout est d’abord affaire d’opportunité. Que ce soit
pour l’acquisition d’un groupe de statuettes en ivoire par le musée du Louvre, du Chêne de
Flagey par le musée Courbet, ou encore celle de l’Arétin et l’envoyé de Charles Quint
d’Ingres par le musée des Beaux-arts de Lyon, toutes ces campagnes ont vu le jour en raison
d’une situation particulière : vente de l’œuvre ou bien possibilité de sortie du territoire…Pour
exemple, Christine Bresson et Valérie Morton explique comme suit la décision de lancer une
campagne d’appel à la générosité publique pour l’acquisition du Chêne de Flagey de Courbet:
« Il y avait l’acquisition du Chêne qui s’est présenté, une œuvre unique dans son genre, on a
donc pensé qu’il était nécessaire de l’acquérir »56.
Ensuite, chaque campagne d’appel aux dons de particulier semble répondre à un
véritable besoin du musée. Il faut « que les œuvres choisies soient symboliques »57 des
collections de chaque institution muséale, ou qu’elles présentent un intérêt pour les différents
évènements à venir comme cela fut le cas pour l’acquisition de l’œuvre d’Ingres par le musée
des Beaux-arts de Lyon. Les projets sont également choisis pour répondre aux attentes du
public. Comme l’explique Violène Verduron, « le choix s’est fait avec l’idée toujours en tête
de toucher le plus de public possible, pour ouvrir le musée au grand public »58. L’enjeu de
développement des publics et de démocratisation culturelle est donc sensiblement présent au
sein de ces campagnes. De plus, choisir des œuvres en fonction des goûts du public, bien que
56
Entretien avec Christine Bresson, Directrice de la communication du Conseil général du Doubs, et Valérie
Morton, Administratrice du musée Courbet, du 28 mars 203, cf. Annexe 1.d
57 Entretien avec Violène Verduron, Chargée de mécénat du musée Unterlinden à Colmar, du 5 mars 2013, cf.
Annexe 1.e
58 Ibid. n°57
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29
cela reste difficile, est un gage de réussite. Il faut en effet que « les donateurs puissent avoir
un coup de cœur ou qu’ils se rattachent à quelque chose qui leur parlent »59.
En définitif, comme l’explique Christophe Monin, le choix d’un projet « c’est une
sorte de combinaison entre les besoins du musée, les priorités du musée, les opportunités qui
se présentent, la capacité à mobiliser des sources de financements»60. Tenant compte de ces
critères, ce ne sont que des projets d’acquisition ou de restauration qui ont été proposés par les
institutions muséales jusqu’à aujourd’hui, sujets étant sensiblement plus porteurs que des
projets muséographiques. Différents propos recueillis auprès de donateurs de la campagne
d’acquisition du groupe de statuettes du musée du Louvre en témoignent : « L’acquisition
m’intéresse plus, mais après c’est aussi le coup de cœur : quelle est l’œuvre, son histoire… Si
c’est une restauration d’œuvre qui nous touche, pourquoi pas. Mais c’est vrai que je préfère
l’acquisition, car c’est pour l’acquérir, la faire partager aux autres visiteurs du musée »61
.
b. Acteurs impliqués
Le choix des projets, ainsi que leur réussite est également possible grâce aux différents
acteurs impliqués. En effet, ce n’est pas la mobilisation unique du service mécénat d’une
institution, si celui-ci existe, qui permet à un projet de se concrétiser. Une concertation avec
d’autres individus est nécessaire : département de la conservation pour définir les projets ou
encore fournir la documentation, direction du musée pour valider les projets, service
communication, ou bien les différents interlocuteurs en possession de l’œuvre à acquérir ou à
restaurer…
Toutefois, travailler avec autant d’acteurs n’est pas sans difficulté. Il est en effet bien
difficile de mettre tout le monde d’accord, et cela d’autant plus pour les institutions ayant de
petites équipes à disposition. Pour exemple, l’acquisition du Chêne de Flagey ne s’est pas
déroulée sans complication, comme l’explique Christine Bresson : « Une autre difficulté a
59
Entretien avec Isabelle Duflos, Chargée de mécénat au musée des Beaux-arts de Lyon, du 10 avril 2013, cf.
Annexe 1.c
60 Entretien avec Christophe Monin, Directeur du développement et du mécénat du musée du Louvre, du 27
février 2013, cf. Annexe 1.a
61 Etude menée pour le musée du Louvre auprès de 25 donateurs individuels de la campagne de mécénat pour
l’acquisition des deux statuettes en ivoire, cf. Annexe 5.b
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30
aussi été celle de la personne du vendeur de l’œuvre. En effet, il nous l’avait réservé, mais
avait également engagé des conversations avec d’autres acheteurs. Il nous avait également
mis une échéance à fin octobre, et souhaitait un versement complet de la somme à cette date,
ce qui était impossible pour nous. Toutefois, on a réussi à renégocier avec lui pour les
versements»62.
c. Compétences marketing et promotionnelles
S’entourer de différents interlocuteurs est également d’importance capitale pour
l’ensemble des institutions muséales ne disposant pas d’un service de mécénat dédiée aux
donateurs individuels, comme cela est le cas au musée du Louvre. Or, pour faciliter la réussite
d’une campagne, il est nécessaire de posséder des compétences en marketing et
communication. Sans cela, mener des campagnes d’appel aux dons peut s’avérer être un
véritable défi, comme l’explique Eléonore Valais-de-Sibert : « La première campagne, la
difficulté, c’était la gestion du volume de don auquel on a eu à faire face, auquel on n’était
pas préparé. On n’avait pas anticipé un tel succès, aussi rapide. On a été un peu victime de
notre succès. On a de manière tout à fait artisanale, traité les 7 000 dons qui sont arrivés en
trois semaines. C’était un vrai défi logistique, organisationnel, très pragmatique »63.
Ainsi, chacune des institutions étudiées a su s’entourer, par expérience et observation,
de différents acteurs lui permettant de développer un ensemble d’outils de communication et
de marketing adaptés : campagnes d’affichage, dépliant, espace dédié au musée, site internet
permettant de suivre l’avancée des projets, mise en place d’un système de don en ligne…
L’ensemble de ces moyens de communication a ainsi permis aux donateurs d’entendre le
message de chacune des institutions. Seuls les réseaux sociaux semblent être les absents de
ces divers appels aux dons, l’utilisation de ces derniers nécessitant un investissement
quotidien. Quelques tentatives ont toutefois eu lieu, lancées par le musée Unterlinden de
Colmar ou encore le musée du Louvre, mais sans générer des résultats prometteurs pour le
moment.
62
Entretien avec Christine Bresson, Directrice de la communication du Conseil général du Doubs, et Valérie
Morton, Administratrice du musée Courbet, du 28 mars 203, cf. Annexe 1.d
63 Entretien avec Eléonore Valais-de-Sibert, chef du service des donateurs individuels du musée du Louvre, du
20 mars 2013, cf. Annexe 1.b
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31
Par ailleurs, le maître mot de l’ensemble de ces dispositifs n’a été autre que celui de
l’économie. En effet, il a semblé difficile pour la majorité des institutions de constituer un
budget de communication et de développement considérable en raison de la nature même du
projet, à savoir un appel aux dons. En sus, l’utilisation du canal Internet a permis de diminuer
le temps de travail à consacrer à ces campagnes : « internet c’est un processus intégré »,
« c’est moins coûteux en temps, ou pour dire autrement, c’est complètement externalisé,
automatisé presque », « tout est en ligne, c’est donc bien plus simple »64.
En somme, l’ensemble de ces campagnes a pu voir le jour en raison d’une
professionnalisation croissante favorisée par une évolution du rôle du musée. La
communication étant ce par quoi les donateurs sont touchés en premier, il a donc été jugé
nécessaire de la développer, tout en cherchant toutefois à en minimiser ses coûts. Les
prochaines campagnes devront également miser sur les réseaux sociaux afin de pouvoir
toucher un public différent, et ainsi satisfaire l’enjeu de développement des publics liés au
financement participatif.
d. Bilan des différentes campagnes
Le développement de plateformes de financement par les institutions muséales a su
s’imposer comme un véritable outil de récolte de dons de particuliers. Toutefois, la mise en
place de telles campagnes n’est pas sans obstacles. Dès lors, quelles conclusions tirer de ces
quatre campagnes d’appel aux dons ?
Ces dernières répondent sans aucun doute à une vraie demande, celle de faire valoir la
dimension participative, et permettent à toute institution de faire face à ses besoins. C’est
également un outil de communication moins institutionnel qui offre à chaque structure la
possibilité de mettre en avant ses missions et ses objectifs. Toutefois, ces campagnes sont
extrêmement chronophages. C’est en effet un travail conséquent qui est demandé au service
mécénat, souvent trop petit pour assurer de telles missions. Cela est notamment le cas au
musée Unterlinden qui n’emploie qu’une seule personne pour gérer l’ensemble du mécénat.
Bien que ces campagnes soient relativement courtes dans le temps – entre trois et quatre mois
- elles demandent un temps important de préparation et de suivi : sélection du projet, mise en
64
Entretien avec Christophe Monin, Directeur du développement et du mécénat du musée du Louvre, du 27
février 2013, cf. Annexe 1.a
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32
place des outils marketing et promotionnels, lancement de la campagne, remerciements des
donateurs... C’est donc un « long parcours du combattant ». En sus, il est d’autant plus
difficile pour certaines structures de se positionner favorablement face à d’autres institutions
dont la marque est relativement bien implantée. Il a notamment été délicat pour le musée
Unterlinden de faire valoir ses diverses campagnes face à celles du musée du Louvre et du
musée des Beaux-arts de Lyon, lancées au même moment.
En définitif, il est possible d’identifier certains facteurs permettant à toute institution
d’envisager la réussite de sa campagne d’appel aux dons :
- bien choisir l’œuvre à acquérir ou à restaurer : les donateurs fonctionnant sur coup
de cœur, il est nécessaire de les toucher afin qu’ils s’investissent ;
- bien choisir les outils marketing et promotionnels à déployer ;
- posséder une équipe en interne suffisante et compétente ;
- obtenir un soutien de la presse.
Toutefois, comme le souligne les initiatives évoquées précédemment, ces conditions
ne sont pas faciles à réunir. Chaque institution recourt en effet à des outils et des méthodes
différents. De plus, des problèmes d’effectif ne permettent pas à certaines de gérer dans leur
intégralité de telles campagnes, comme cela fut le cas pour le musée Unterlinden de Colmar.
Malgré les difficultés inhérentes à toute institution, ces dernières semblent toutefois ouvertes à
d’autres appels à la générosité publique :
- « Oui, on va relancer une campagne cette année, mais pour l’instant, le sujet n’est
pas encore déterminé à 100% », explique Eléonore Valais-de-Sibert65
;
- « Oui, mais pas tout de suite et pas tout le temps », informe Isabelle Duflos66
.
65
Entretien avec Eléonore Valais-de-Sibert, chef du service des donateurs individuels du musée du Louvre, du
20 mars 2013, cf. Annexe 1.b
66 Entretien avec Isabelle Duflos, Chargée de mécénat au musée des Beaux-arts de Lyon, du 10 avril 2013, cf.
Annexe 1.c
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33
Chapitre III : Les donateurs : un point central de toute campagne
Le succès d’une campagne d’appel à la générosité publique ne peut s’effectuer sans la
prise en compte d’un levier important : les donateurs. Le don culturel n’étant toutefois pas une
pratique habituelle, comment les institutions culturelles ont-elles pu mener jusqu’au bout leur
projet ?
a. Retour sur les dépenses des ménages et la pratique du don en France
Sur le plan statistique, les dépenses des ménages en France sont quelque peu difficiles
à établir, en raison d’importants problèmes de définition du terme « culture ». Il est toutefois
possible d’obtenir certains chiffres via l’enquête budget des ménages réalisée par l’INSEE en
2006. Selon cette dernière, les ménages investissent environ 70 milliards d’euros dans le
secteur culturel, médias et télécommunications – soit 7% du budget des ménages. Pour la
culture plus précisément, c’est un somme de 46 milliards d’euros qui fut dépensée,
représentant environ 4,6% du budget des ménages. En sus, l’accès quasi généralisé à Internet
a profondément bouleversé les dépenses culturelles des ménages, bien que cela soit
difficilement quantifiable. Les outils numériques développés par les institutions muséales
semblent donc se positionner parfaitement sur cette nouvelle vague.
Toutefois, comment séduire des individus pour qui la pratique du don culturel n’est
pas inhérente ? Une enquête intitulée Les Français et le mécénat culturel et réalisée par
OpinionWay67, renseigne sur ce questionnement. Parue au moment de l’appel à la générosité
publique lancée par le musée du Louvre, elle met en avant le fait suivant : seuls 21% des
français envisagent la possibilité de faire un don culturel. En somme, le mécénat culturel ne
semble pas être associé dans l’imaginaire des français à une action essentielle, à l’inverse des
causes caritatives remportant un plus grand succès. Toutefois, il est intéressant de noter que
les dons culturels et caritatifs ne sont pas incompatibles. Une étude menée auprès des
donateurs individuels de la campagne de mécénat lancée par le musée du Louvre pour
l’acquisition d’un groupe de deux statuettes en ivoire68, semble parfaitement confirmer cela.
67
Etude /EXCEL- Opinion Way, Les français et le mécénat culturel, novembre 2010,
http://www.excel.fr/Front/actualites_104.php [réf. du 19.09.2013], cf. Annexe 3
68 Etude menée pour le musée du Louvre auprès de 25 donateurs individuels de la campagne de mécénat pour
l’acquisition des deux statuettes en ivoire, cf. Annexe 5.b
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34
En effet, cette enquête a démontré une implication déjà forte des donateurs en dehors du
musée mais fortement fidélisable – sur 24 donateurs interrogés, 19 avaient déjà donné au
cours de l’année 2012 à d’autres organismes que le musée du Louvre, dont la grande majorité
reste les organismes caritatifs. Ainsi, le don culturel semble pouvoir se faire une place dans
l’univers de la générosité publique.
b. Profils des donateurs
Peu d’études ont été menées sur le profil des donateurs par les institutions muséales
étudiées. Seul, le musée du Louvre, précurseur du phénomène, semble avoir engagé une telle
démarche. Toutefois, il est possible d’identifier certaines caractéristiques récurrentes pour
l’ensemble des campagnes examinées.
Il semble tout d’abord que les sociétés des amis aient joué un rôle considérable. Pour
exemple, au musée Unterlinden de Colmar, ces dernières semblent avoir représentées environ
70% des donateurs. Les amis du musée ont par ailleurs été les plus généreux69. Au musée des
Beaux-arts de Lyon, ce sont des sommes également importantes qui ont été recueillies grâce à
ces sociétés : ainsi, le Cercle Poussin a participé à hauteur de 100 000 euros, tandis que le
Club du musée Saint-Pierre a contribué pour un montant de 400 000 euros70. Par ailleurs,
certains amis du musée, comme l’explique Isabelle Duflos, ont donnés en sus de leur
cotisation annuelle71. Cela peut notamment s’expliquer, comme évoqué antérieurement en
raison de l’importance historique de ces sociétés. Cependant, ces dernières n’entravent en rien
le don d’autres individus, bien que ces derniers semblent une fois de plus entretenir une
relation étroite avec les institutions muséales. Ainsi, l’étude menée au musée du Louvre
indique que la grande majorité des répondants ont visité le musée au moins une fois au cours
de l’année 2012. Bien que la familiarisation avec le musée soit une caractéristique associée à
une grande majorité de donateurs, cette campagne a également permis d’attirer 50% de
nouveaux donateurs. L’enjeu de développement des publics recherché semble donc être
acquis.
69
Entretien avec Violène Verduron, Chargée de mécénat du musée Unterlinden à Colmar, du 5 mars 2013, cf.
Annexe 1.e
70 Entretien avec Isabelle Duflos, Chargée de mécénat au musée des Beaux-arts de Lyon, du 10 avril 2013, cf.
Annexe 1.c
71 Ibid. n°70
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35
Quant à la répartition géographique de ces derniers, celle-ci est sensiblement différente
entre les musées de région et le musée du Louvre. Alors que le musée Unterlinden de Colmar,
le musée des Beaux-arts de Lyon, ou le musée Courbet à Ornans, ont mobilisé en grande
partie un public de donateurs de proximité72, les appels du musée du Louvre ont séduits un
public présent sur l’ensemble du territoire français.
Le montant des dons, quant à lui, semble être identique pour chacune des campagnes
étudiées. En effet, ces dernières sont caractérisées par de nombreux dons modestes, comme en
témoigne Violène Verduron : « Très souvent, j’ai reçu un mot avec le chèque : Super, merci.
Je vous donne peu mais je suis très contente. Cela est assez marquant »73. Le grand public
s’est donc, comme le disait Henri Loyrette « approprier cette idée de devenir « tous
mécènes » »74.
En sus, il est intéressant de s’attacher à étudier l’âge des donateurs de l’ensemble de
ces campagnes d’appel à la générosité publique. Ces derniers semblent être de tout âge, « de
huit à 96 ans », selon les mots prononcés par Henri Loyrette75. Au musée Unterlinden de
Colmar, cela fut identique : le plus jeune donateur était âgé de 18 ans et la plus vieille de 100
ans. Toutefois, la grande majorité semble être représentée par des personnes plutôt âgées.
Dès lors, un des prochains enjeux, afin de satisfaire l’objectif de développement des
publics de l’ensemble de ces institutions, serait de pouvoir toucher les jeunes donateurs. Une
réflexion sur l’utilisation des réseaux sociaux devrait être envisagée, afin de développer
pleinement ce nouveau média. La fidélisation des anciens donateurs est toutefois un enjeu
primordial. Pour cela, il est nécessaire de bien les comprendre pour mieux répondre à leurs
attentes.
72
« Beaucoup de donateurs sont de Colmar et de la région, mais on a aussi des donateurs de Suisse, Belgique et
du Luxembourg », Entretien avec Violène Verduron, Chargée de mécénat du musée Unterlinden à Colmar, du 5
mars 2013, cf. Annexe 1.e
73 Ibid. n°72
74 Le Louvre a recueilli un million pour acheter « les Trois Grâces » de Cranach, in Libération,
http://www.liberation.fr/culture/2010/12/17/-_701502 [réf. du 19.09.13]
75 Ibid. n°74
Page 36
36
c. Motivations des donateurs
Les motivations des donateurs sont multiples. Toutefois, elles semblent toutes se
concentrer autour d’une caractéristique commune, « l’amour de l’art »76.
L’une des premières motivations des donateurs n’est autre que l’intérêt artistique de
l’œuvre à mécéner. La beauté de l’œuvre est en effet un des facteurs important du don. Il
suffit d’être ému, séduit ou touché par l’œuvre, pour avoir envie de donner, comme en
témoigne un donateur de la campagne d’acquisition du groupe de statuettes en ivoire du
musée du Louvre, en parlant de son acte de don et de sa motivation : « La beauté de l’œuvre
qui est capitale. C’est le plus haut niveau du patrimoine français. On ne peut pas ne pas
entendre cet appel et ne rien faire »77
. De plus, comme évoqué précédemment, une grande
majorité des donateurs sont des amateurs d’art et sont donc sensibles aux différentes œuvres à
mécéner.
La dimension patrimoniale de l’action reste également un facteur de motivation
considérable : « On s’est dit avec mon épouse que ces œuvres devaient rester au musée du
Louvre, donc pourquoi pas contribuer à ce qu’elles restent en France. Vous savez, on entend
souvent des choses « Telle œuvre d’art est à l’étranger ». Là on a la possibilité de participer
avec nos moyens. C’était l’occasion »78
. Certains donnent ainsi pour conserver une œuvre sur
le patrimoine français, ou pour permettre sa transmission aux générations futures.
L’attachement des donateurs au patrimoine est donc bel et bien présent.
Enfin, l’image véhiculée par une institution peut également avoir un impact sur l’acte
de don, comme en témoigne une parole de donateurs : « Le Louvre, pour moi, est une sorte
de sanctuaire. Il contient tout ce que je connais de beau sur la Terre, et donc participer à
l’enrichissement du Louvre me faisait plaisir »79
. Ainsi, certains donateurs vont privilégier
des dons aux grandes institutions, ces derniers leur inspirant plus de confiance. D’autres, à
76
Krebs Anne, La recherche sur les générosités monétaires des particuliers, in Musées et collections publiques
de France, n° 265, 2012
77 Etude menée pour le musée du Louvre auprès de 25 donateurs individuels de la campagne de mécénat pour
l’acquisition des deux statuettes en ivoire, cf. Annexe 5.b
78 Ibid. n°77
79 Ibid. n°77
Page 37
37
l’inverse, vont choisir de soutenir de petites institutions culturelles afin de les aider face aux
géants du milieu80
.
La réduction fiscale semble également être un facteur de motivation au don ayant une
certaine importance, bien qu’elle reste encore peu mise en avant par les donateurs. L’étude
menée au musée du Louvre démontre toutefois cela. En effet, bien que la majorité des
répondants aient indiqué que la période de l’appel du Louvre pour faire un don n’avait que
peu d’importance, il semblerait que sept donateurs aient attendu le mois de janvier pour faire
leur don, alors qu’ils avaient pleinement connaissance de la campagne. En ce sens, il semble
que l’influence de la réduction fiscale ait peut-être eu son rôle à jouer dans le processus
décisionnel de don. De plus, les entretiens réalisés ne reposant que sur du déclaratif, il est
possible que le critère de la réduction fiscale ait eu un impact plus important sur le processus
de décision de don, 17% des dons ayant été effectués au mois de janvier 2013.
Pour finir, qu’en est-il des contreparties ? Bien que ces dernières soient, selon
certaines études, considérées comme un critère important, les différents entretiens menés
auprès de professionnels, ainsi qu’auprès de donateurs, ne permettent pas d’affirmer
clairement cette assertion. Ils semblent, a contrario, que les contreparties n’aient eu aucun
impact sur leur volonté de don. Nombreuses de ces dernières sont en effet en inadéquation
avec le profil des donateurs, comme le démontre l’exemple du musée du Louvre. En effet,
l’invitation à une visite privée ou à une soirée cocktail pour découvrir l’œuvre convient
parfaitement à des donateurs franciliens, mais peu à ceux d’autres régions. De plus, le musée
du Louvre a parfois proposé à ces donateurs, pour un certaine somme d’argent engagée, une
carte de la Société des Amis du Louvre. Or, une grande majorité de donateurs faisant déjà
partie de cette société, il n’est pas possible d’y voir un don effectué pour recevoir une
contrepartie. Il semble donc que le geste du don soit « quelque chose de plus honorifique ».
Les institutions muséales, conscientes de l’ensemble de ces motivations, peuvent dès
lors agir de manière efficace, en choisissant des projets en accord avec les attentes des
donateurs.
80
Le Louvre a recueilli un million pour acheter « les Trois Grâces » de Cranach, in Libération,
http://www.liberation.fr/culture/2010/12/17/-_701502 [réf. du 19.09.13]
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38
En définitif, le don culturel, bien que peu implanté encore aujourd’hui, n’est pas à
négliger. Il ne faut en effet pas sous-estimer l’intérêt des individus pour le financement de
telles initiatives. Bien que l’étude menée au musée du Louvre démontre un engouement
particulier des donateurs à réitérer leur implication sur d’autres projets, il est toutefois difficile
de pouvoir extraire de véritables pronostics de leur témoignage. Dès lors, quel est l’avenir du
financement participatif pour les institutions muséales ?
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39
PARTIE III – LE FINANCEMENT PARTICIPATIF PEUT-IL ETRE UN
MODELE ECONOMIQUE VIABLE POUR LES INSTITUTIONS
MUSEALES ?
« Quand le chemin de fer est apparu, il a porté un coup mortel aux diligences ».
Comme l’évoquaient Baumol et Bowen, la culture ne serait-elle pas un champ de diligence81 ?
Réelle nouveauté dans le domaine du mécénat culturel français, le succès du financement
participatif semble toutefois cacher une réalité moins optimiste. Qu’en est-il donc réellement ?
Quelle place les institutions muséales peuvent-elles accorder à la souscription publique dans
les années à venir ?
Pour le savoir, il sera nécessaire de déterminer les avantages et les limites de ce
modèle de financement. Tout d’abord, il s’agira de revenir sur une assertion bien trop souvent
mise en avant mais qui se révèle être fausse : cette pratique ne doit en effet pas être envisagée
comme une porte de secours face au désengagement de l’Etat. Elle soulève d’autres enjeux
bien plus significatifs (Chapitre I). Toutefois, ce modèle n’est pas sans faille, et la question de
sa pérennité reste nécessaire à évoquer : entre concurrence et lassitude des différents acteurs
impliqués, les musées pourront-ils réitérer ces opérations de mécénat populaire, tout en
obtenant un soutien comparable ? (Chapitre II)
Cette dernière partie se veut ainsi apporter quelques éléments de réponse sur l’avenir
du financement participatif au sein des institutions muséales. Toutefois, cette étude mériterait
d’être approfondie par des analyses à plus grande échelle afin de permettre de tirer des
conclusions véritablement généralisables.
81
Baumol William, Bowen William, Performing Arts: The Economic Dilemma. A Study of Problems Common
to Theater, Opera, Music en Dance, New York, 1966
Page 40
40
Chapitre I : Le financement participatif : une porte ouverte au désengagement de
l’Etat ?
a. Le financement participatif : un moyen de diversifier ses ressources propres
Comme évoqué antérieurement, le modèle du financement participatif développé par
les institutions muséales connait un succès sans précédent et permet à ces dernières de
s’engager dans des projets d’acquisition ou encore de restauration d’envergures. Toutefois, il
convient de rappeler que cette pratique n’est pas une nouveauté : il ne s’agit que d’une
adaptation du phénomène des souscriptions publiques développé depuis de nombreuses
années. Ce modèle a donc toujours été entendu par les structures muséales comme un moyen
de diversification de leur ressource propre. Cela s’en est toutefois trouvé décuplé depuis la
naissance de la crise économique.
Les effets de cette dernière ont en effet été sans précédent pour le secteur culturel.
L’Etat, dont le Ministère de la Culture et de la Communication, n’ayant pas été épargné par
cette situation, ce sont directement les structures muséales qui ont payé le prix de belles
années d’interventionnisme via une baisse des subventions leur étant accordées. Elles se sont
donc vues dans la nécessité de diversifier leur ressource propre. Aujourd’hui, « un musée ne
peut plus vivre uniquement sur les deniers dévolus par l’Etat. S’il souhaite monter des
expositions rares, ouvrir de nouvelles salles et acquérir, il ne peut plus se dispenser d’une
dimension économique »82
.
Toutefois, diversifier ses ressources propres ne signifie pas de délaisser complètement
les subventions octroyées par l’Etat. Il n’est d’ailleurs par souhaitable pour les institutions
muséales d’envisager une telle hypothèse, au risque de s’enfoncer dans une situation
complexe83 qui ne leur permettrait pas de revenir en arrière. Par ailleurs, un tel scénario ne
semble pouvoir s’envisager en France, en raison d’un contexte historique particulier mettant
en avant l’interventionnisme de l’Etat en matière culturelle. Ce dernier n’entend pas annihiler
82
Guillou Catherine, Directrice des publics du musée du Louvre, in « Capitale culturel ou économique ? »,
Regards
83 Soraru Isabelle, Les jeunes mécènes, futurs philanthropes de la culture, 1.12.2011,
http://mecenatculturel.blog.youphil.com/archive/2011/12/01/les-jeunes-mecenes-futurs-philanthropes-de-la-
culture.html [réf. du 19.09.2013]
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41
son action dans le secteur culturel, comme le confirme ces derniers mois. Dix ans après la
naissance de la loi Aillagon – en 2003 – relative au mécénat, aux associations et aux
fondations, le bilan est positif. Le mécénat semble avoir encore de beaux jours devant lui,
avec toutefois un contenu et une conception différente. Le but est en effet pour la Ministre de
la Culture et de la Communication, Aurélie Filipetti, de se rapprocher de l’efficacité des
modèles anglo-saxons de fundraising84
. En somme, le Ministère de la Culture et de la
Communication ne semble pas souhaiter se désengager fortement des affaires culturelles. Il
n’a tout simplement plus les moyens de pratiquer ce qu’il a pu faire par le passé.
Le développement du mécénat n’est alors qu’un levier développé par l’Etat pour
assurer les missions qui lui sont propres85. Ce dernier n’a donc fait que poser « les jalons
nécessaires pour que l’aide lui vienne de l’extérieur pour assurer ses propres tâches »86
. Par
ailleurs, même si l’Etat souhaite se désengager, l’engouement du public français ne l’y
autorisera semble-t-il pas, comme a pu le démontrer l’exemple de l’Hôtel de la Marine. Les
réactions vives, tant provenant du public que du privé, ont abouti à ce que cet établissement
ne soit pas transformé en un hôtel de luxe. En définitif, le financement participatif s’inscrit
« dans un effort général de redressement des finances »87, au même titre que d’autres leviers :
location d’espaces, mécénat d’entreprises…
Ainsi, le mécénat doit être entendu, comme « un « tiers-secteur » du financement, et
plus généralement, de l’initiative culturelle, propre à compenser ou à corriger à la fois les
rigidités et les inerties de l’action publique et la brutalité du marché, mais sans qu’il ait pour
vocation de se substituer aux fonds publics et au marché »88.
84
http://www.localtis.info/cs/ContentServer?pagename=Localtis/LOCActu/ArticleActualite&jid=125026588967
6&cid=1250265883309 [réf. du 19.09.13]
85 Propos tenu par Marc Fumaroli, in Le Louvre a les grâces du mécénat privé, France culture, 11 mars 2011,
http://www.franceculture.fr/2011-03-11-le-louvre-a-les-graces-du-mecenat-prive.html [réf. du 19.09.13]
86 Ibid n° 85
87 Propos tenu par Catherine Sueur, Administratrice général adjointe du musée du Louvre, in Le Louvre a les
grâces du mécénat privé, France culture, 11 mars 2011, http://www.franceculture.fr/2011-03-11-le-louvre-a-les-
graces-du-mecenat-prive.html [réf. du 19.09.2013]
88 http://mecenatculturel.blog.youphil.com/archive/2011/05/25/le-mecenat-culturel-en-question.html [réf. du
19.09.13]
Page 42
42
b. Un moyen de réinvestir le public
« Il est illusoire de penser que les dons de particuliers sont un moyen de résoudre le
problème des budgets d’acquisition, mais c’est un bon moyen pour créer une relation durable
avec le public »89. Malgré un enjeu financier important, l’intérêt des musées à développer un
tel levier est donc également d’une autre nature : c’est en effet un excellent outil de
développement des publics et de fidélisation qu’il convient de mobiliser.
Comme l’explique Eléonore Valais-de-Sibert, « sur les campagnes, finalement, on a
pu constater que les donateurs sont heureux de participer. On n’est pas du tout dans la même
logique que celle des causes sociales, environnementales. Là, on est dans une cause plus
réjouissante […]. C’est vrai que c’est une manière pour le public de se dire qu’il est un peu
acteur du musée du Louvre. C’est une forme d’intégration, une façon de tisser un lien avec le
public »90
. Ainsi, dans une société où les loisirs sont mis en avant, le financement participatif
est entendu comme un outil permettant de rendre le visiteur acteur. C’est un autre moyen pour
le public de s’approprier le musée, en se sentant investis d’une mission. Rendre acteur les
visiteurs, c’est ainsi offrir une autre offre à son public en les associant à la préservation et à
l’enrichissement du patrimoine culturel français. Pour les donateurs, cela est une motivation
particulière, comme en témoigne ces quelques paroles :
- « Je donnerais à un musée car ça donne l’impression d’investir sur le long terme
et la préservation de quelque chose qui pourrait disparaître…une forme d’archive
de notre histoire et de notre culture » ;
- « Ca c’est un sentiment qui est très fort, le fait de se sentir investi dans quelque
chose et de sentir qu’on a fait quelque chose, qu’on a contribué à quelque chose
[…] Le retour sur investissement, ça peut être ça : le sentiment d’appartenance à
une communauté et d’avoir contribué à quelque chose de beau et de bien »91
.
89
Propos tenu par Vincent Yous, direction de la culture du département Nord, Le public, mécène pour l’achat
d’œuvres d’art, in La Croix, article paru le 7 mars 2013, http://www.la-croix.com/Culture/Actualite/Le-public-
mecene-pour-l-achat-d-aeuvres-d-art-_NG_-2013-03-07-918783 [réf. du 19.09.13]
90 Entretien avec Eléonore Valais-de-Sibert, chef du service des donateurs individuels du musée du Louvre, du
20 mars 2013, cf. Annexe 1.b
91 Krebs Anne, Rieunier Sophie, Urien Bertrand, Freins et motivations à la générosité dans le champ culturel,
in Colloque « Redécouvrir la générosité », 24 mai 2012
Page 43
43
Rendre acteur les donateurs n’en reste pas le seul enjeu de développement des publics
encouragé par cette « nouvelle » pratique. En effet, cette dernière est également un excellent
moyen de toucher un public différent et difficile à approcher, à savoir notamment le jeune
public. Même si aucune étude n’a vu le jour aujourd’hui sur cette question, il semble toutefois
se profiler, et ce en raison de l’utilisation des nouvelles technologies et des réseaux sociaux,
que ce phénomène va se développer et permettre une diversification des publics. En témoigne
notamment les différentes campagnes menées sur des plateformes de financement participatif
dans le secteur culturel, à l’instar de celle du Centre des Monuments Nationaux associé à
MyMajorCompany. L’un des objectifs de ce partenariat, outre celui de participer à la
restauration de certaines œuvres monumentales, fut de toucher un nouveau public, plus jeune,
n’ayant pas pour habitude de visiter les sites. Bénéficiant du réseau des 300 000 membres de
MyMajorCompany, le pari fut réussi : environ 50% des donateurs étaient ainsi âgés entre 18
et 35 ans92
. Au sein des institutions muséales ayant choisi de développer leur propre outil, le
même schéma semble se dessiner au regard des échanges entrepris avec divers professionnels,
bien qu’aucune étude ne puisse encore le démontrer clairement.
Enfin, outre le développement des publics, c’est également leur fidélisation qui est
recherchée au travers de l’utilisation du financement participatif. Comme il est possible de la
constater, le musée du Louvre, même après trois campagnes successives a toujours su trouver
son public. Bien que cette institution, reste un cas particulier, il n’en reste pas moins possible
d’imaginer que ce « nouveau » modèle va s’installer durablement. En témoigne notamment la
multiplication des campagnes qui rencontrent un succès croissant au fil des mois.
En somme, comme l’évoquait Jean-Michel Tobelem, « le but premier des
souscriptions doit être la fidélisation et l’animation du lien avec le public »93
. Le mécénat
populaire peut ainsi permettre de créer une relation approfondie avec le public. En définitif,
le financement participatif est un véritable enjeu en termes d’ouverture sociale pour les
92
Propos tenu par Matthieu Juin-Lévite, Chef du département du mécénat du Centre des Monuments Nationaux,
in Jeudis du mécénat consacré au sujet « Culture et financement participatif », le 21 mars 2013
93 Le public, mécène pour l’achat d’œuvres d’art, in La Croix, article paru le 7 mars 2013, http://www.la-
croix.com/Culture/Actualite/Le-public-mecene-pour-l-achat-d-aeuvres-d-art-_NG_-2013-03-07-918783 [réf. du
19.09.13]
Page 44
44
institutions muséales : ne serait-ce donc pas une manière de répondre à l’objectif de
démocratisation culturelle longuement recherchée ? 94.
c. Des témoignages encourageants
Les paragraphes précédents ont permis de mettre en avant la présence toujours
considérable de l’Etat en matière culturelle, et cela même en situation de crise. Ce système
d’économie explosive ne pourra semble-t-il pas se réguler, car il n’y a que des verrous
politiques et non économiques. L’intervention publique régnera donc toujours, bien que cette
dernière soit moins présente, au profit d’une participation plus importante des entreprises et
des particuliers. Reste seulement à savoir si cette dernière démarche pourra être pérenne. Pour
cela, il est possible de s’appuyer sur les témoignages de nombreux donateurs, ainsi que sur les
professionnels des institutions ayant lancé ces campagnes d’un nouveau genre.
Tout d’abord, l’étude précédente des motivations des donateurs a permis de mettre en
avant certains facteurs propices à l’acte de don. Cela a ainsi révéler l’intérêt du public à
participer à l’acquisition ou à la restauration d’œuvres d’art, et le potentiel de développement
de cette pratique offert aux institutions muséales. Afin d’affiner cette étude, il est par ailleurs
possible d’examiner la satisfaction des donateurs, celle-ci renseignant une fois de plus sur
l’avenir de ce modèle de financement. Pour cela, l’étude menée pour le musée du Louvre
auprès de 25 donateurs de la campagne d’acquisition d’un groupe de statuettes en ivoire,
éclaire parfaitement sur cette question. Cette dernière met en effet en avant la satisfaction des
donateurs sur leur relation avec l’institution dans le cadre de la campagne – 24 répondants
satisfaits sur 24 personnes interrogées. Ces derniers ont notamment été satisfaits sur certains
points en particulier, à savoir les informations mises à disposition ou encore le temps écoulé
entre leur don et l’arrivée de leur reçu fiscal. En témoignent ces quelques citations recueillies :
- « L’information, la communication est toujours bien faite. C’est très clair, complet
et il ne faut pas avoir bac+5 en histoire de l’art pour comprendre »
- Je le referais au fur et à mesure. Je suis enchantée, tout était très bien fait. Surtout
quand on reçoit une lettre du Louvre de remerciement, on se sent plus. La Terre ne
nous porte plus ! »95
94
Entretien avec Violène Verduron, Chargée de mécénat du musée Unterlinden à Colmar, du 5 mars 2013, cf.
Annexe 1.e
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45
L’exemple du musée du Louvre met ainsi en avant des témoignages très
encourageants, qui semblent pouvoir se confirmer au sein des autres institutions muséales
étudiées, bien qu’aucune étude n’ait été engagée. De plus, l’examen des commentaires laissés
sur le livre d’or numérique du musée du Louvre, au cours de la campagne relative à
l’acquisition du groupe de statuette en ivoire, conforte l’idée d’un succès sans précédent de ce
phénomène, les donateurs étant très enthousiastes et émus de participer à une telle campagne :
- « Merci de m’offrir une fois encore l’occasion d’être de ceux qui, allant voir et
revoir ce chef d’œuvre, auront le bonheur d’entrevoir, à leur côté,
l’émerveillement d’un enfant, la fascination d’un inconnu, devant tant de
raffinement » ;
- « Vous devriez faire plus souvent appel à la générosité du public. Cela, me semble-
t-il, est un bon moyen de lever des fonds dans une période tendue
économiquement. Continuez donc à nous solliciter »96
.
Les donateurs ne sont toutefois pas les seuls à entrevoir dans ce modèle de
financement un avenir certain. Les institutions elles-mêmes envisagent cette pratique comme
une nécessité, et comme un nouvel enjeu à considérer :
- « De toute façon, les collectivités n’ont plus les moyens de se payer des tableaux à
ce prix-là. On pense que cela est nécessaire, sinon cela compromettrait de telles
acquisitions », expliquent Christine Bresson et Valérie Morton97
;
- « dans l’idée, oui, nous le referons. Cela nous a permis de sensibiliser les lyonnais
à leur patrimoine, donc c’est très positif pour nous », témoigne Isabelle Duflos98
.
95
Etude menée pour le musée du Louvre auprès de 25 donateurs individuels de la campagne de mécénat pour
l’acquisition des deux statuettes en ivoire, cf. Annexe 5.b
96 Commentaires laissés sur le livre d’or numérique du musée du Louvre, Campagne : acquisition d’un groupe de
statuettes en ivoire (2013), cf. Annexe 4
97 Entretien avec Christine Bresson, Directrice de la communication du Conseil général du Doubs, et Valérie
Morton, Administratrice du musée Courbet, du 28 mars 203, cf. Annexe 1.d
98 Entretien avec Isabelle Duflos, Chargée de mécénat au musée des Beaux-arts de Lyon, du 10 avril 2013, cf.
Annexe 1.c
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46
Chapitre II : Un mode de financement qui n’est toutefois pas sans faille
Le modèle du financement participatif connaît depuis 2010, comme évoqué tout au
long de cette étude, un franc succès au sein des institutions culturelles. Véritable outil
marketing et promotionnel, il a permis de récolter d’importantes sommes d’argent pour
l’acquisition ou la restauration d’œuvres d’art. Toutefois, il est nécessaire de se demander si la
multiplication de ces campagnes ne va pas avoir un effet pernicieux ? Les musées ne
comptent-ils pas trop sur ce moyen de financement ?
a. Une concurrence de plus en plus accrue
« Pour l’instant, on n’a pas connu d’échec sur ces opérations. C’est la raison pour
laquelle on continue d’ailleurs. Après, est-ce que cela peut être une démarche pérenne, seul
l’avenir nous le dira. Je dirais que l’avenir est plutôt prometteur, mais on verra… »99
. Bien
que le musée du Louvre ait réussi à mener avec succès trois campagnes d’appel aux dons
successives, cela ne semble pas être le cas de l’ensemble des institutions culturelles.
Evoluants dans un système capitaliste, régi par des logiques de compétition, les plus grandes
institutions captent l’essentiel des ressources100
.
Divers facteurs semblent expliquer cela. Le premier n’est autre que la crise
économique. Cette dernière a en effet poussé les structures muséales à diversifier leur source
de financement. En ce sens, l’appel à la générosité publique a été entendu comme un
important levier à mobiliser. Toutefois, faire appel au don privé auprès d’un public qui n’a
encore qu’une faible culture du don culturel, peut s’avérer difficile. Beaucoup de ces derniers
se questionnent encore, malgré le succès des différentes campagnes menées, sur le réel besoin
financier des institutions culturelles. De plus, la très grande majorité des individus ne savent
pas que ces dernières peuvent recevoir des « petits » dons individuels101
. Le don culturel
semble être, encore aujourd’hui, un « impensé », d’autant plus en situation de crise où les
99
Entretien avec Eléonore Valais-de-Sibert, chef du service des donateurs individuels du musée du Louvre, du
20 mars 2013, cf. Annexe 1.b
100 Vivant Elsa, Du musée-conservateur au musée-entrepreneur, in Theoros, Revue de recherche en tourisme, le
27 mars 2008, http://teoros.revues.org/82 [réf.du 19.09.2013]
101 Krebs Anne, Rieunier Sophie, Urien Bertrand, Freins et motivations à la générosité dans le champ culturel,
in Colloque « Redécouvrir la générosité », 24 mai 2012
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47
secteurs sociaux et caritatifs sont mis en avant. Il est donc encore difficile pour les
établissements muséaux de faire émerger une véritable légitimité à recueillir des dons.
En sus, les projets peuvent parfois manquer de visibilité, comme l’explique Violène
Verduron : « C’est facile pour le Louvre de réunir le grand public sur ce type de campagne.
Pour le musée de Colmar, c’est plus difficile, car il n’est pas forcément connu par tous ».
« Nous avons joué de malchance : il nous a fallu beaucoup de temps pour mettre en place ces
campagnes. Au moment où tout fut prêt, tout est arrivé en même temps : les campagnes du
Louvre, du musée des Beaux-Arts de Lyon. Je suis déçue que tout soit arrivé en même
temps »102
. Bien que demandant aux particuliers des sommes relativement moins importantes
– 7 000€ pour la restauration d’une œuvre de Jean-Jacques Henner ; 4 750€ pour celle d’une
œuvre d’André Lanskoy ; 30 000€ pour l’acquisition d’une Vierge à l’Enfant – que celles
demandées par le musée du Louvre – 800 000€ pour l’acquisition d’un groupe de statuettes en
ivoire –, ou encore le musée des Beaux-Arts de Lyon - 80 000€ pour l’acquisition de l’œuvre
L’Arétin et l’envoyé de Charles Quint – le musée Unterlinden de Colmar n’a pas réussi à
finaliser l’ensemble de ces campagnes lancées simultanément. L’image d’une institution joue
par conséquent un rôle significatif dans le processus de don, et développe ainsi une véritable
concurrence entre les structures.
Afin de se démarquer, il est donc nécessaire pour chaque institution de développer une
véritable stratégie de marque pour espérer pouvoir se faire une place sur le marché très
concurrentiel du mécénat populaire. Toutefois, cela s’avère être une contrainte particulière
pour les structures de petite envergure qui ne disposent généralement que de moyens humains
et financiers limités. Ainsi, le développement croissant du financement participatif au sein des
institutions culturelles met en avant un autre facteur indépendant de la crise économique : afin
de se démarquer au sein de cet environnement plus que concurrentiel, les musées doivent
développer les bons outils de communication, ce qui n’est pas sans coût. Or, toutes les
institutions n’en ont pas les moyens aujourd’hui, comme l’explique une fois de plus Violène
Verduron, chargée de mécénat au musée Unterlinden de Colmar : « On a souhaité que le
102
Entretien avec Violène Verduron, Chargée de mécénat du musée Unterlinden à Colmar, du 5 mars 2013, cf.
Annexe 1.e
Page 48
48
développement de ces outils soit pérenne. Cependant, je n’ai pas de budget pour faire une
vraie campagne l’an prochain »103
.
En définitif, le développement d’un tel modèle de financement ne semble profiter, à
quelques exceptions près, qu’aux grandes institutions muséales.
b. Un modèle de financement particulier
Le modèle du financement participatif est basé sur un modèle prenant en compte la
notion de l’éphémère. L’éphémérité gouverne en effet la production et la consommation des
objets. En somme, le succès du financement participatif s’explique par le fait qu’il correspond
aux nouvelles valeurs développées, puisqu’il se déroule sur des périodes relativement courtes
et se renouvelle souvent. Cela renforce le caractère d’urgence et encourage le public à donner
pour une cause importante. Compte-tenu de ces considérations, le financement participatif ne
doit pas être entendu comme un levier de financement du fonctionnement même d’un musée,
bien que certaines institutions l’envisagent. « L’appel aux dons privés doit rester
exceptionnel, sinon il deviendra contre-productif »104
. La pratique du mécénat populaire est
ainsi un système peu pérenne qu’il convient de réactiver régulièrement. Cette procédure ne
peut donc être envisagée comme une ressource pérenne. Par ailleurs, le mécénat de manière
générale, n’a jamais été entendu comme un mécénat fiscal mais plutôt comme un mécénat de
projet, plus enclin à mobiliser. Cette multiplication des souscriptions publiques risque donc à
terme de poser problème si cette procédure, entendue initialement comme devant être rare,
s’impose comme une pratique quotidienne.
L’avenir du financement participatif est également incertain en raison des
préoccupations des donateurs. D’une part le don culturel est encore peu développé dans les
consciences des potentiels donateurs ; d’autre part, certains types de projets ne semblent pas
remporter l’unanimité auprès de ces derniers. Dès lors, un mauvais choix de campagne
d’appel, peut faire basculer négativement la réussite de cette dernière. En effet, les donateurs
sont plus enclins à mobiliser sur des acquisitions ou des restaurations, que sur d’autres projets
plus flous, tels que des projets muséographiques. En témoigne notamment certains propos
103
Ibid. n°102
104 Propos tenu par Marc Fumaroli, in Le Louvre a les grâces du mécénat privé, France culture, 11 mars 2011,
http://www.franceculture.fr/2011-03-11-le-louvre-a-les-graces-du-mecenat-prive.html [réf. du 19.09.13]
Page 49
49
recueillis auprès des donateurs de la campagne d’acquisition d’un groupe de statuettes en
ivoire par le musée du Louvre :
- « Plutôt pour une acquisition ou une restauration. Le projet muséographique,
j’estime que c’est au Ministère de la Culture et de la Communication de s’en
charger » ;
- « Une rénovation de salles c’est un peu différent : je m’attends plus que cela soit
pris en charge par l’Etat que par des particuliers ».
Face à ce constat, il semble que les institutions risquent d’avoir du mal à sortir du
modèle économique traditionnel. Mêmes si certaines envisagent de voir dans cette nouvelle
pratique, une forme de financement à part entière, ce raisonnement ne semble pas judicieux. Il
est nécessaire pour envisager la pérennité d’un tel modèle de choisir des projets à mécéner
répondant au mieux aux attentes du public. En ce sens, et étant donné le recentrement des
dons autour du social et de la solidarité, il pourrait être pertinent d’investir les donateurs sur
d’autres types de projets que ceux liés à l’acquisition ou à la restauration. Il pourrait s’agir
d’appels aux dons pour financer des initiatives favorisant l’ouverture d’une institution
muséale aux publics éloignés de la culture. Cela pourrait permettre de déployer le panel des
propositions offertes aux donateurs, mais également de satisfaire à l’enjeu de développement
des publics de toute structure muséale, en touchant d’autres profils de donateurs, par la mise
en avant de l’aspect social du projet.
Toutefois, même si la nature des projets se diversifie pour satisfaire au mieux les
attentes du public, il n’en reste pas moins que l’avenir du don culturel restera toujours
incertain. En effet, il semble difficile de pouvoir déterminer l’implication des particuliers au
fil des années…
c. Vers une certaine lassitude….
« S’il y a des appels répétés, notamment un nouveau dans l’année, je ne suis pas
certain que je pourrais [donner] »105
. Ces propos tenus par un donateur de la dernière
campagne d’appel à la générosité publique lancée par le musée du Louvre soulèvent une
question essentielle : la multiplication des campagnes d’appel à la générosité publique ne va-t-
105
Etude menée pour le musée du Louvre auprès de 25 donateurs individuels de la campagne de mécénat pour
l’acquisition des deux statuettes en ivoire, cf. Annexe 5.b
Page 50
50
elle pas laisser s’installer un certain sentiment de lassitude chez les donateurs et l’ensemble
des acteurs impliqués ?
En premier lieu, il est intéressant de s’interroger sur les donateurs, ces derniers étant
largement sollicités par les institutions muséales. Bien que souvent, amateurs et proches du
monde culturel, ils payent toutefois déjà leur droit d’entrée, participent par l’impôt au budget
de la culture, ou encore cotisent en étant membres d’une société d’amis. Dès lors, cette forte
sollicitation ne va-t-elle pas provoquer un essoufflement chez les donateurs ? De nombreux
arguments semblent jouer en défaveur de la pérennité de cette pratique.
Tout d’abord, la forte implication historique de l’Etat en matière culturelle, n’est pas
sans laisser certains individus perplexes sur l’acte de don. Pour beaucoup, le financement de
la culture incombe au gouvernement, comme en témoigne cette citation : « si on sollicite mon
aide, c’est grave, c’est que l’Etat n’a plus les moyens de préserver le patrimoine français »106
.
De plus, le contexte de crise n’est pas pour rassurer sur l’avenir du financement participatif au
sein du secteur culturel. Celui-ci est en effet perçu comme une cause secondaire, comme le
révèlent ces chiffres : seuls 21% des français semblent être prêts à faire un don pour une
structure culturelle. Participer à l’acquisition ou à la restauration d’une œuvre n’est ainsi pas
perçue comme prioritaire107
, la générosité individuelle ayant plutôt « vocation à s’exercer en
priorité en faveur des besoins primaires, la nourriture, la santé, la précarité, les catastrophes
naturelles… »108
. Les freins des donateurs sont également à mettre en lien avec l’image des
institutions culturelles. Ces dernières, comme le musée du Louvre, sont en effet perçues
comme des structures n’ayant besoin d’aucun soutien. Ces appels aux dons peuvent donc
parfois dérouter certaines personnes qui considèrent encore les établissements muséaux
comme des structures riches et prestigieuses. Ce constat est également amplifié chez les
personnes aux revenus modestes qui voient ces démarches d’un mauvais œil. Pourquoi
participer au financement de quelque chose pour lequel ils n’auront pas accès ? Un dernier
frein n’en reste pas moins les grands scandales, tel celui de l’ARC, qui ont minimisés la
106
Krebs Anne, La recherche sur les générosités monétaires des particuliers, in Musées et collections publiques
de France, n° 265, 2012
107 Etude /EXCEL- Opinion Way, Les français et le mécénat culturel, novembre 2010,
http://www.excel.fr/Front/actualites_104.php [réf. du 19.09.2013], cf Annexe 3
108 Krebs Anne, La recherche sur les générosités monétaires des particuliers, in Musées et collections publiques
de France, n° 265, 2012
Page 51
51
confiance des donateurs envers les établissements. En définitif, faire trop appel au public,
pourra être décourageant pour ces derniers qui ne chercheront plus à aider les institutions
muséales.
Les donateurs ne semblent toutefois pas les seuls à voir certains freins dans cette
démarche. L’Etat, éprouve également quelques réticences. En effet, bien que le Ministère de
la Culture et de la Communication cherche à consolider les actions de mécénat populaire
comme l’on confirmé les évènements de ces derniers mois, cela n’est pas le cas des autres
ministères. Ces derniers, et plus particulièrement, le Ministère des Finances ne voit pas le
développement d’une telle pratique de manière très optimiste. Aujourd’hui, c’est plutôt une
certaine exaspération du Ministère des Finances qui s’impose. Ce dernier voit en effet, au fil
des jours, des sommes de plus en plus importantes lui échapper, et ce en raison d’un lourd
dispositif de mécénat mis en place. L’article 200 du Code général des Impôts permet en effet
à tout particulier-mécène de bénéficier d’une réduction d’impôt au taux de 66% des sommes
versées retenues dans la limite de 20% du revenu imposable. Ainsi, ce ne sont pas moins de
1,989 milliards d’euros qui échappent chaque année au Ministère des Finances, suite à la
déduction des dons de particuliers.
Enfin, certaines institutions culturelles elles-mêmes semblent freiner le développement
de cette démarche. Comme l’explique Isabelle Duflos, ce type de campagne pourra être
renouvelés mais dans un temps futur et avec parcimonie au risque de déclencher une usure109
.
En définitif, les menaces pesant sur ce nouveau modèle de financement au sein des
structures muséales sont nombreuses, malgré un succès sans précédent jusqu’alors : lassitude
des donateurs, coûts croissants de la prospection, ou encore exaspération du Ministère des
Finances semblent également être des mots liés à cette pratique110
. L’avenir du financement
participatif reste donc encore incertain…
109 Entretien avec Isabelle Duflos, Chargée de mécénat au musée des Beaux-arts de Lyon, du 10 avril 2013, cf.
Annexe 1.c
110 Marozeau Maureen, Mécénat populaire, in Journal des arts, n° 384, février 2013
Page 52
52
CONCLUSION
En guise de conclusion, il semble intéressant de revenir sur les grandes lignes qui ont
jalonné cette recherche.
Le but de cette dernière était de déterminer les enjeux liés au développement d’un
levier de financement particulier, le financement participatif, tout en essayant de comprendre
son fonctionnement et son avenir. Cette étude a ainsi permis d’aborder un certain nombre de
questions.
Tout d’abord, il ressort que l’époque est à la prise de conscience de la nécessité de ne
plus concevoir le financement de la culture, comme seulement dépendant de l’Etat et des
entreprises. L’enjeu pour les structures muséales est aujourd’hui de faire émerger leur
légitimité à recueillir des dons du grand public, bien que le contexte historique freine quelque
peu cela. Pour satisfaire cet enjeu, les établissements culturels ont donc su développer de
nombreux leviers, dont le financement participatif, qui connaît un franc succès depuis
quelques années. Cette réussite s’explique notamment en raison de l’adéquation de ce modèle
aux nouvelles valeurs prônées par la société en cette ère numérique, mais également parce
qu’il fait appel à un procédé plus ancien, celui de la souscription publique.
Faire appel à ce modèle de financement a ainsi été bénéfique sur de nombreux points.
En premier lieu, sur le plan financier, puisqu’il a permis la réalisation de projets qui n’auraient
pu voir le jour jusqu’alors, faute de sommes d’argents suffisantes. En somme, grâce au
financement participatif, les institutions muséales peuvent satisfaire leur objectif d’acquisition
et de restauration. De plus, un autre enjeu se cache derrière le développement d’un tel outil, à
savoir celui du développement des publics et de la fidélisation. Ce modèle permet en effet de
toucher un public plus large autour de projets fédérateurs.
Toutefois, malgré un engouement certain de la part des institutions culturelles, de
l’Etat ou des donateurs pour ce type de financement, il s’avère que de nombreuses difficultés
subsistent, tenant à la fois du contexte historique français, du comportement des individus en
matière de don culturel, ou des possibilités de chaque structure à gérer de telles campagnes.
En définitif, malgré la volonté de chaque institution muséale d’accroître l’usage de ce levier
Page 53
53
de financement et de développement, il semble que le chemin soit encore long pour faire
émerger de cet outil un véritable engouement philanthropique. En effet, même si les
témoignages sont encourageants, mener de telles campagnes s’avère être un véritable parcours
du combattant. Dès lors, l’avenir du financement participatif ne peut rester à ce jour
qu’incertain. Une chose est sûre cependant : ce modèle ne peut être considéré comme une
source de financement du fonctionnement d’une institution.
Il est possible toutefois d’envisager le déploiement de ce modèle sous une autre forme,
comme en témoigne l’exemple du CAPC de Bordeaux et le lancement, le 3 avril dernier, de
son opération « Ticket Mécène. Comment faire d’un visiteur de musée, un mécène sur un coup
de cœur ? »111
. Intégrant pleinement les caractéristiques du financement participatif, cette
campagne est toutefois basée sur un modèle différent. En effet, le canal Internet n’est pas
mobilisé, au profit d’un don sur place au musée. Ce dernier invite ainsi les visiteurs à devenir
acteurs-bienfaiteurs de la collection lors de leur visite, par une contribution minimum de 3€,
en sus de l’achat de leur billet d’entrée au musée. Bien que le canal utilisé soit le 1.0 et non le
web 2.0, cette campagne investie l’ensemble des outils développés par le financement
participatif. En effet, des contreparties sont accordées à tout donateur : ils reçoivent un
morceau symbolique de l’œuvre qu’ils peuvent choisir, sont informés de l’évolution de
l’opération par mail, et seront invités à la présentation de l’œuvre. Ainsi, la pérennité du
modèle du financement participatif pourrait peut-être s’entendre dans un format quelque peu
différent.
Il n’en reste pas moins toutefois, qu’une seule et unique question demeurera : tout
comme le mécénat d’entreprise, ce modèle va-t-il aller vers un épuisement, l’amenant à sa
perte ?
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