-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
1/121
Eugne REVERTDocteur s LettresProfesseur la Facult des
Lettres
de lUniversit de Bordeaux
1951
La magie antillaise
UndocumentproduitenversionnumriqueparMmeMarcelleBergeron,bnvoleProfesseurelaretraitedelcoleDominiqueRacinedeChicoutimi,Qubec
etcollaboratricebnvole
Courriel:[email protected]
Danslecadredelacollection:"Lesclassiquesdessciencessociales"dirigeetfondeparJeanMarieTremblay,
professeurdesociologieauCgepdeChicoutimiSiteweb:http://classiques.uqac.ca/
UnecollectiondveloppeencollaborationaveclaBibliothquePaulmileBouletdel'UniversitduQubecChicoutimi
Siteweb:
http://classiques.uqac.ca
mailto:[email protected]://%20http/--classiques.uqac.cahttp://%20http/--classiques.uqac.camailto:[email protected]
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
2/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 2
Politique d'utilisationde la bibliothque des Classiques
Toute reproduction et rediffusion de nos fichiers est interdite,
mmeavec la mention de leur provenance, sans lautorisation
formelle,crite, du fondateur des Classiques des sciences sociales,
Jean-Marie Tremblay, sociologue.
Les fichiers des Classiques des sciences sociales ne peuvent
sansautorisation formelle:
- tre hbergs (en fichier ou page web, en totalit ou en partie)
surun serveur autre que celui des Classiques.- servir de base de
travail un autre fichier modifi ensuite par toutautre moyen
(couleur, police, mise en page, extraits, support, etc...),
Les fichiers (.html, .doc, .pdf., .rtf, .jpg, .gif) disponibles
sur le siteLes Classiques des sciences sociales sont la proprit
desClassiques des sciences sociales, un organisme but non
lucratifcompos exclusivement de bnvoles.
Ils sont disponibles pour une utilisation intellectuelle et
personnelleet, en aucun cas, commerciale. Toute utilisation des
finscommerciales des fichiers sur ce site est strictement interdite
et touterediffusion est galement strictement interdite.
L'accs notre travail est libre et gratuit tous les
utilisateurs.C'est notre mission.
Jean-Marie Tremblay, sociologueFondateur et Prsident-directeur
gnral,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
3/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 3
Un document produit en version numrique par Mme Marcelle
Bergeron, bnvole,professeure la retraite de lcole Dominique-Racine
de Chicoutimi, Qubec.courriel : mailto :
[email protected]
EUGNE REVERT
Une dition lectronique ralise partir du texte dEugne Revert,
Lamagie antillaise. Paris : Les ditions Bellenand, 1951, 203
pp.
Polices de caractres utiliss :
Pour le texte : Times New Roman, 12 points.Pour les citations :
Times New Roman 10 points.Pour les notes de bas de page : Times New
Roman, 10 points.
dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft
Word 2004 pourMacintosh.
Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)
dition complte le 4 dcembre 2008 Chicoutimi, Province de Qubec,
Canada.
http://../AppData/Roaming/Microsoft/Word/[email protected]://../AppData/Roaming/Microsoft/Word/[email protected]
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
4/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 4
Eugne REVERT
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
5/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 5
OUVRAGES DU MME AUTEUR
La Martinique. tude gographique. Ouvrage couronn par l'Acadmie
desSciences. Prix Binoux (Nouvelles ditions latines, 1949).
La France d'Amrique. Collection Terres lointaines (Socit
d'ditionsgographiques, maritimes et coloniales, 1949).
EN PRPARATION :
Le Monde carabe.
La dernire ruption de la Montagne Pele, 1929-1932.________
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
6/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 6
TABLE DES MATIRES
Chapitre I.Caractres gnraux du folk-lore martiniquais
Chapitre II.Rites et coutumes
Chapitre III.Remdes et charmes
Chapitre IV.Charmes et contre-charmes
Chapitre VLes sorciers et leur organisation
Chapitre VI.Zombis, Engags et Vaudou
ANNEXESCahier de quimbois
Larsenale (sic) des sorciers
Correspondances
Bibliographie sommaire
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
7/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 7
CHAPITRE PREMIER
Caractres gnrauxdu folk-lore martiniquais
I. SA RICHESSE
Retour la table des matires
Le folk-lore martiniquais est d'une richesse certaine. Il n'a t
l'objetjusqu'ici que d'un nombre restreint d'tudes dsintresses. Le
petit livre de M.Labrousse sur deux vieilles terres franaises,
Guadeloupe et Martinique, est, cet gard, le meilleur que je
connaisse. Pour le reste, on est oblig de s'en tenir des enqutes
personnelles et aux descriptions parses dans les nouvelles etromans
consacrs la colonie. Quelques-unes sont excellentes, d'autres
moinsbonnes. Elles ne donnent et ne peuvent donner que des vues
fragmentaires.
Les transformations de la vie moderne tendent dans une certaine
mesure modifier ce folk-lore, en rduire l'importance, moins
peut-tre qu'ailleurs. Il yaurait urgence nanmoins recueillir, avant
qu'il ne ft trop tard, un certainnombre de traits hrits d'un pass
souvent lointain. Les costumes croles existent encore, mais
reculent constamment devant les modes de Paris . Cen'est qu' la
campagne et aux jours de fte qu'on peut encore rencontrer desaeules
portant la jupe , avec de jolies chemises brodes manches trsamples
en guise de corsage, le collier chou et les boucles d'oreilles
nommes dahlias . De mme le costume local compos de l'ample peignoir
ou grande robe , du foulard et du madras calandr en forme tte
madras ,devient de plus en plus rare.
Le peuple martiniquais adore la danse. La Biguine a conquis
droit decit jusqu'en Europe. Mais il n'y avait plus dj, lors de mon
premier sjour,que les vieilles gens de la campagne pour danser le
Bel (Bel air), qui s'accompagne d'une chanson amoureuse appele du
mme nom. Elle secompose de mouvements simples et lents qu'on excute
en se tenant la robede chaque main 1 .
J'ai assist maintes fois la danse des coupeuses de cannes,
dirige par uncommandeur, et qui s'apparente au Bomb serr ou danse
du ventre. Mais,
1 Labrousse,Deux vieilles terres franaises, p. 9.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
8/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 8
la campagne surtout, d'antiques traditions se perptuent. Damier
et Laghiade la mort sont des danses pugilistiques africaines,
d'aprs M. Zobel 1. Laseconde dgnre l'occasion en combat vritable et
meurtrier. Un coup depied dans le ventre abat le plus redoutable
des lutteurs, les doigts plants dans
les yeux le rendent aveugle. Le vainqueur a le droit de pitiner
son adversaire terre, de lui broyer la cage thoracique au son du
tamtam, dans le dlire descris des supporters, tandis que s'agitent
les torches fbriles 2 . La danse Mayoumb , dans la rgion du
Diamant, apparat plus que lascive et entranesouvent de vritables
scnes de frnsie.
Quant aux conteurs, ils sont lgion. Leurs, rcits se transmettent
partradition orale, l'occasion des veilles funbres, moins qu'ils ne
soient faitspar les das3 la ti manmaille qui les coute avec
dvotion. Plus d'un crivainantillais les a utiliss. Ils n'ont pas
encore t recueillis pour eux-mmes, sansenjolivements littraires. Il
y a place, dans ce domaine, pour plus d'unchercheur.
La prsente tude n'a pas la prtention d'embrasser un champ aussi
vaste.Elle se restreint aux diverses manifestations de la magie
locale ; aux charmes etquimbois4,qu'il est parfois difficile de
distinguer des remdes populaires, auxtabous et pratiques
irrationnelles de la vie courante. Mais on ne peut
dissocierentirement ces pratiques des croyances qu'elles supposent,
ni de ceux qui lesappliquent. C'est en fin de compte un monde
trange de sorciers, d'engags, derevenants, les zombis ou souclians
des Antilles, que nous verronsprogressivement s'voquer devant
nous.
II LIMITES ET DIFFICULTS D'UNE ENQUTE DEFOLKLORE LA
MARTINIQUE
Dans ce domaine mme, le prsent travail ne peut avoir la
prtention d'trecomplet, et il faut insister sur les difficults de
toutes sortes que rencontre laMartinique une tude de ce genre.
Beaucoup dans les classes instruites serefusent rpondre ou
dtournent la conversation, les uns parce qu'ils croienttoujours aux
revenants, aux engags 5, l'efficacit surtout des quimbois etqu'ils
ne veulent pas l'avouer, les autres par une sorte de pudeur, de
patriotismede clocher qui les pousse dissimuler ce dont ils croient
qu'un tranger pourraitse moquer. Il est toujours possible, sans
doute, d'aller consulter tel gurisseurconnu, d'assister une sance
moyennant finances. Cela ne conduit pasloin, et les risques
d'erreurs ou de tromperie volontaire apparaissentconsidrables ; il
serait facile d'en citer des exemples.
1 Zobel,Laghia de la mort, p. I.2 Tardon,Bleu des les, p. 58.3
Bonne denfants.4 On ne connat pas l'origine exacte du terme
quimbois. On dsigne par l, aux Antilles, les
remdes accompagns de conjurations, ces conjurations elles-mmes
et, d'une manire plus
gnrale, tous les actes de magie ou de sorcellerie.5 Engag : qui
a un pacte avec le dmon.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
9/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 9
Un Martiniquais seul, connaissant fond son pays, et dgag
cependant descontingences locales par un long sjour au dehors et
des tudes spcialises,serait capable de peindre la large fresque
dont on est en droit de rver. Puisseun des nombreux jeunes gens
actuellement dans la mtropole comprendre
l'intrt de cette tche et s'y consacrer. Je n'ai d'autre
ambition, pour ma part,que de tracer grands traits une premire et
incomplte esquisse.
J'ajouterai seulement que mon enqute a commenc ds le lendemain
mmede mon arrive Fort-de-France, en 1927. J'tais peine dbarqu quun
ami,de passage la Martinique et que je connaissais de longue date,
tomba maladedans des conditions suspectes, et qui ne permettaient
pas d'exclure l'hypothsed'un quimboisage , qu'on ait voulu se
dbarrasser d'un gneur ou qu'il se soitagi d'un philtre d'une autre
sorte. Quelques mois plus tard, un autre incidentattirait de
nouveau mon attention sur ces problmes. J'avais lou, pour
lesgrandes vacances, une maison dans le sud de l'le, au bourg de
Sainte-Anne.Des racontars, qu'on ne me rapporta que longtemps aprs,
me firent passer pourindsirable aux yeux de quelques braves
pcheurs. Cela se traduisit d'abord pardes bruits sourds, aprs
minuit, autour de ma demeure. Peu aprs, je fus rveillpar des
crissements tranges, analogues ceux d'une serrure qu'on essaie
deforcer. Lever rapide, lumire, exploration, revolver au poing, de
l'escalier pourtomber sur un norme crabe de terre , qui passa par
la fentre plusrapidement qu'on ne l'avait introduit. J'appris
seulement par la suite ce qu'taitun animal voy , c'est--dire expdi
par sorcellerie. Trois ou quatre joursencore et je trouve au matin,
tendu devant mon seuil, le cadavre d'un petitchien, qui appartenait
un vieil instituteur europen, et avec lequel j'avais
encore jou la veille. La pauvre bte tait dans une position
anormale et quidnotait une intervention humaine. Un coup d'il me
prouva que j'tais pides maisons voisines. L'agacement, un vague
dsir aussi d'exprience ou demystification, me firent considrer
gravement l'animal. Je rentrai chercher unecanne avec laquelle je
traai son entour un pentagramme qui pouvait passerpour magique,
tout en rcitant ce dont je pouvais me souvenir de grec, definnois
ou d'arabe, langues que je supposais inconnues des braves gens
quim'observaient. Aprs quoi, j'eus la satisfaction de constater que
lesdits vitaientsoigneusement de passer devant ma porte.
Par la suite, de mauvaises frquentations me conduisirent dans
les milieux
politiques de File. Un des Nestors du mtier, qui m'avait pris en
affection,m'enseigna l'art de me tromper de punch dans certains
cas, c'est--dire dene pas prendre celui qui m'tait ostensiblement
offert lorsque je me trouvais enmilieu hostile. Un vieux prtre me
rpta qu'il n'autorisait jamais personne pntrer dans sa cuisine. Il
arrivait que ses ouailles lui offrissent des platsprpars l'avance.
Il acceptait, remerciait chaleureusement, et ne consommaitpas. Il
avait t tmoin de trop de morts rapides et inexplicables.
On pourrait s'tonner de pareilles affirmations si l'on ne savait
la prudenceextrme, pour ne pas dire plus, avec laquelle la justice
locale poursuit de pareilsfaits. Les magistrats rcemment arrivs ne
connaissent pas le pays. Les autres
peuvent arguer de nombreux cas o les enqutes n'ont abouti rien.
Lasituation a t fort bien dfinie par le P. Delawarde, dans une tude
rcente et
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
10/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 10
indite dont il a bien voulu me communiquer le manuscrit. Des
vieshumaines, y crit-il, sont livres aux sorciers habiles doser les
poisons,poisons rapides ou lents, mais toujours srs. Aprs un sjour
de dix ans dans lepays, au cours duquel nous nous sommes sans cesse
renseigns, nous avons la
persuasion que les victimes des quimboiseurs sont encore en
nombreapprciable. Nous ne sommes pas seul de cet avis. En avril
1937, notreconfrre, le P. de la Brunelire, crivait, dans les
Annales des Pres du Saint-Esprit: ... Les morts par poison sont
assez frquentes. Et il ajoutait : Cescrimes demeurent presque
toujours impunis. Ceux qui pourraient parler setaisent par crainte
des reprsailles. Interrogs, les voisins et mme les parentsdsols de
la victime rpondront aux gendarmes : Pas z'affaires moins, moinpas
save 1. En effet, s'ils parlaient, le dlinquant serait sans doute
arrt, maisplus tard, remis peut-tre en libert, il viendrait exercer
une vengeance certaineet terrible 2. Je puis ajouter que plus d'un
mdecin partage sur ce point l'avisdu P. Delawarde et de Mgr de la
Brunelire.
On admettra dans ces conditions les raisons de convenance, pour
ne pas direplus, qui m'obligent taire le nom de la plupart de mes
informateurs demeurs la Martinique. Je dois beaucoup au P.
Delawarde, qui m'a procur avant toutautre le cahier de quimboiseur
reproduit la fin de ce mmoire, en mautorisant le publier ainsi qu'
utiliser l'tude qu'il lui avait consacre. J'ai fait mespremires
enqutes grce M. Legros, instituteur d'origine europenne,
tablidepuis plus de quarante ans la Martinique lorsque je l'ai
connu, et dcd en1931. Le chanoine Tostivine, longtemps cur doyen du
Lamentin, galementdisparu, m'a fourni des renseignements non moins
prcieux, ainsi que mon
collgue Boutin, ancien directeur de l'Observatoire, mort pendant
la dernireguerre. Que les autres reoivent ici collectivement le
tmoignage de cetteprofonde gratitude que j'ai dj essay de leur
manifester, lors de mon sjouraux Antilles en 1949. La vieille bande
s'tait alors retrouve presque aucomplet. Je me souviens surtout de
certain jour o je m'tais rfugi l'anseMitan, pour que nul ne pt
m'accuser d'avoir tremp dans je ne sais quel noircomplot l'occasion
des lections cantonales. Nous sommes rests longtemps deviser, dans
le soir qui tombait, devant la mer azurenne du couchant, tandisque
les lumires de Fort-de-France commenaient piqueter dans le lointain
lamasse sombre des Pitons. Quelques jours plus tard, nous nous
retrouvions l'habitation qui vit natre Josphine, et l encore le
punch du Sud et tt fait de
dlier les langues. C'est vous, mes vieux camarades, mes
complices des bonscomme des mauvais jours, que je dois la substance
entire de ce petit livre dontje n'ai t que le rassembleur et
l'ordonnateur.
J'ai t conduit n'utiliser en effet que les rcits de ceux dont la
sympathieagissante excluait toute ide de tromperie. Ils
appartiennent pour la plupart,comme il est naturel, la socit de
couleur. De mme, parmi tous les essais,contes et romans consacrs la
Martinique, je n'ai retenu que ceux, fort peunombreux, qui se
distinguaient par leurs qualits folkloriques et dont il m'tait
1
Ce ne sont pas mes affaires, je ne sais pas.2 Delawarde,
manuscrit dactylographi, p. I.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
11/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 11
possible de vrifier les dtails. Les principaux ont t les Contes
et paysages dela Martinique d'A. Thomarel, le Fo-Yal de M. Lucien
Nay Reine, les nouvelleset romans de MM. Zobel, et surtout R.
Tardon. J'ai trouv de prcieuxrenseignements dans les monographies
demandes en 1935 tous les directeurs
d'cole pour le Tricentenaire du rattachement des Antilles la
France, et quisont demeures indites jusqu' maintenant. Je me suis
servi enfin de la presselocale, systmatiquement dpouille. Je
n'ajouterai qu'une chose : en dehors desquelques rfrences cites, je
pourrais mettre sous chacun des dtails que jerapporte une date et
un nom. Je me suis efforc de respecter scrupuleusementles rcits de
mes interlocuteurs, dont je n'ai t amen retrancher, parprudence ou
discrtion, que certaines caractristiques de temps et de lieu.
III. RAPPEL SOMMAIRE DES CONDITIONSHISTORIQUES ET DES GRANDES
TAPES DU
PEUPLEMENTAvant d'entrer nanmoins dans le vif de cette tude et
d'exposer les donnes
recueillies, il apparat ncessaire de rappeler succinctement
l'histoire dupeuplement martiniquais.
Lorsque les Franais ont pris possession de l'le en 1635, ils
l'ont trouveoccupe par un millier de Carabes environ, eux-mmes
conqurants de frachedate, qui avaient extermin leur prdcesseurs
Arawaks, les femmes mises part. Bien que la plupart d'entre eux
eussent t expulss en 1658, ils ont joudans le peuplement de l'le un
plus grand rle qu'on ne l'admet l'ordinaire. Ils
ont t en contact prolong avec les nouveaux occupants, et
plusieurs de leurstechniques se sont maintenues jusqu' nos jours.
Le gros contingent des colonsa t fourni par la Normandie, la
Bretagne et le Sud-Ouest. Il n'est pas inutilede prciser que
l'immense majorit d'entre eux tait de trs modeste origine, et,en
gnral, assez peu instruite. Les esclaves afflurent aprs 1650,
apportantavec eux des habitudes et des croyances que la conversion
obligatoire auchristianisme n'arrivait que rarement extirper.
La libration, en 1848, entrana une crise agricole de quelque
gravit,beaucoup des nouveaux citoyens, on le comprend sans peine,
ne ressentantqu'une sympathie mdiocre pour le travail de la terre.
Il fallut leur trouver dessupplants, ce qui entrana l'immigration
de quelque vingt-cinq mille Hindous,d'un nouveau contingent
d'Africains et de quelques centaines de Chinois etIndochinois. Tous
se sont fondus dans la masse, laquelle ils ont insuffl unepart plus
ou moins grande de leurs traditions propres. La Martinique a ainsi
t,et continue d'tre, un des melting pot les plus actifs qu'on
connaisse lasurface du globe.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
12/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 12
CHAPITRE II
Rites et coutumes
I. INTERDICTIONS, PRSAGES ET OBLIGATIONS DE
LA VIE COURANTERetour la table des matires
Il en rsulte un ensemble complexe. De trs vieilles habitudes se
sontmaintenues intactes, et la vie de chaque jour apparat commande
par un trsgrand nombre de prsages, d'interdictions ou de
prescriptions. La lune, parexemple, rgle toujours les principales
oprations de la vie agricole. On nesmera ou ne plantera qu'en lune
ascendante, un peu avant qu'elle atteigne sonplein. Sinon, la
rcolte serait nulle. On admet de mme que les cyclones nepeuvent se
produire que dans les deux jours qui prcdent ou qui suivent
lespleines lunes de juillet, aot, septembre et octobre. On croit,
comme partout, la valeur bnfique ou malfique du nombre 13.
Il existe, de mme, des tabous absolus de langage. Il est des
mots qu'il fautviter de prononcer, parce qu'ils porteraient
malheur. Dans la rgion de Sainte-Anne, on ne connat que le buf lait
et on considre comme uneincongruit grave le nom de la gnisse
fconde. L'expansion du franais, quefavorise l'cole primaire, a
conduit tendre singulirement la liste desinterdits, par un esprit
allusif de got dplorable, mais pris au srieux parbeaucoup de braves
gens. Voici, titre d'exemple, quelques-uns des termes viter de
manire absolue :
abondamment 1, occup,impinment (sic), patate 2,manifessetement
(sic) ; converger,concurremment, vitalit.
Je n'insiste pas, mais nous aurons l'occasion de retrouver plus
d'unereprise cette obsession quasi permanente des questions
sexuelles, qui est l'undes traits les plus frappants du folk-lore
antillais. Indiquons seulement, aupassage, qu'aussi bien le sens
crole qu'europen du vocable tabou a t
1
Bonda : bas-ventre.2 Patate dsigne vulgairement le sexe de la
femme.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
13/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 13
utilis, grce des dviations verbales susceptibles elles-mmes de
devenir, ens'accentuant, gnratrices de mythes, ou de pratiques fort
peu rationnelles.
Il existe galement des interdictions ou des prescriptions
alimentaires,
passagres ou absolues, que rien, en raison, ne justifie. Aux
alentours de l'anseCouleuvre, les pcheurs considrent comme une
faute grave de ne pas rejeter l'eau, et surtout de faire cuire, un
beau poisson blanc filet d'or qu'ils appellentle bon Dieu Mayen. Il
n'y a que des individus descendus au plus bas degr del'abjection
qui oseraient le faire. Les gombos, qui se consomment un peu
lamanire des asperges, encore que plus gluants, conviennent,
parat-il, au beausexe, mais sont contre-indiqus pour les hommes
dont, en vertu du principe desanalogies, ils passent pour abattre
le courage. Il n'y a pas de doute qu' lacampagne les mles qui en
usent sont tenus en pitre estime par les femmes.
Je n'ai pu dcouvrir la raison exacte pour laquelle, en quelques
endroits del'le on continue manger de la terre. J'aurais tendance y
voir, en plus de cascertains de perversion du got, la survivance de
trs vieilles habitudesafricaines. Le P. Labat parle, en effet, d'un
petit ngre du royaume de Mine quiavait ce vice 1. Dans la rgion du
Diamant, on consomme encore parfois uneargile rouge veine de blanc.
Ailleurs, on m'a parl de cendres. Mais le cas leplus frappant est
celui de ce dpt bruntre recueilli dans le bassin d'une sourceaux
hauteurs de Trinit, et qui apparat comme une friandise gratuite
beaucoup des habitants d'alentour, des femmes et des enfants
surtout. Il n'est,en effet, ni insipide ni mme dsagrable au got,
mais apparat lgrementpoivr, ce qui peu s'expliquer par une
proportion considrable de matires
organiques. L'analyse faite par M. de Montaigne au laboratoire
du Service del'Agriculture a donn les rsultats suivants :
Silice totale 42,70 %Fe 2 0 3 11,60 A 1 2 0 3 29 Ca o 0,72 Mg o
0,79 Perte au feu 14,90 Indoss 0,29
La perte au feu correspond videmment la teneur en matires
organiques.Il faut ajouter que l'usage courant de cette terre
entrane des occlusionsintestinales presque toujours mortelles dans
un dlai maximum de deux ans.
Mais, l'inverse, on ne verra jamais une blanchisseuse croquer
une bananeen repassant du linge : elle attraperait coup sr une
maladie de poitrine. Ellese refusera de mme passer sous le fer
chaud une paire de chaussettes : celadonne l'lphantiasis, ou
maladie du gros pied.
1 Labat, d. Duchartre, I, p. 139.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
14/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 14
Le moindre acte, videmment, prend alors sa signification. Les
couverts,fourchettes ou couteaux mis en croix portent malheur. On
doit se garder dedposer son chapeau ailleurs que sur les
portemanteaux disposs cet effet. Unverre blanc qui se brise, un
parapluie ouvert dans la maison 1 sont galement de
dtestables prsages. Une femme qui, pendant ses poques, marche
sur descosses de pois d'Angole est menace de coliques violentes. Un
commerantqui, dans sa boutique, commettrait la mme imprudence,
pourrait tre assur devoir ses marchandises lui rester pour compte
2.
Mais l'un des pires accidents qui puisse arriver est de faire
une tache d'huile.Si l'on veut avoir quelque chance de conjurer le
mauvais sort, il faut la couvririmmdiatement de sel et laver le
tout avec du vin, en quantit double. Malgrtout, on redoute fort les
consquences de l'accident et j'ai connu une candidateau baccalaurat
qui, pour avoir renvers une bouteille d'huile au cours del'examen,
n'alla mme pas chercher le rsultat, tant elle tait sre d'avance
deson chec. Tel autre de mes amis vit ses voisins se lamenter
bruyamment surles malheurs qui l'attendaient parce qu'un jour, au
dbut de la guerre, il eut lamalchance de briser une jarre pleine du
prcieux liquide qui, cinq ou six litresprs, se rpandit dans la rue.
Les taches d'encre sont galement de mauvaisprsage, encore qu'elles
n'aient point la mme efficacit. Il en est de mme pourune bougie qui
claire mal.
Une femme qui perd son bas, lorsqu'elle en a un, est persuade
que son amilui est infidle. S'asseoir sur la table, manger dans un
canari (vase en terre danslequel on fait cuire les aliments) est
signe qu'on vous oublie 3. Se laver en
commun dans un seul rcipient doit entraner une brouille de
famille. Unedmangeaison la main droite indique qu'il faudra bientt
payer une vieilledette, la main gauche c'est, au contraire,
l'annonce d'une rentre imprvue. Lagrosse mouche qui entre en
bourdonnant prcde de peu une visite. Il en est demme des aliments
tombs de la fourchette. Si, par inadvertance, comme le bonroi de la
chanson, on a mis quelque vtement l'envers, c'est qu'on est
protgpar les puissances invisibles, et l'on a chance de recevoir un
cadeau avant quela journe s'achve.
Les oreilles qui tintent ou picotent signalent mdisances ou
calomnies. Il nefaut entreprendre aucune affaire ou dmarche si, en
cours de route, on a heurt
un caillou du pied gauche. Vous n'y russirez pas, car ou congnin
mauvaispied (vous vous tes cogn le mauvais pied) 4.
Il en est encore ainsi quand l'on aperoit de bon matin une
personneennemie. Les heures qui suivent, sinon la journe entire,
risquent d'en tregtes. Il est excellent au contraire d'tre bien
trenn . Les marchandesambulantes y tiennent par-dessus tout, et M.
Nay Reine rapporte avoir vu l'uned'entre elles, son tray sur la tte
et un coui de tomadoses sous le bras, refuser
1 Nay Reine, Fo-Yal, p. 9.2 Labrousse,Deux vieilles terres
franaises, p. 69.3
Nay Reine, Fo-Yal, p. 10.4 Nay Reine, Fo-Yal, p. 10.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
15/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 15
toutes les acheteuses, ne voulant tre trinin que par un garon
bien chaud, etce durant toute la journe 1 . Il s'agit d'attirer
ainsi des rayons bnfiques et deneutraliser les autres. l'ordinaire
les vendeuses de lgumes et de fruitsconsidrent que pour couler vite
leurs marchandises il leur faut les couvrir de
feuilles de tibaume2,et garder au fond de leur bourse quelques
grains de sel,des gousses d'ail et des feuilles de menthe
glaciale.
Les animaux jouent leur rle en l'affaire. Les chiens et les bufs
qui hurlentou beuglent la mort signifient comme partout un deuil
rapproch. On peut yajouter les papillons de couleur sombre ou noire
appels sophies counans, lechant imprvu du coq, des sauterelles, la
dcouverte de gros zagriens(araignes,) et de nids de fourmis dites
fourmis cinmiti(cimetire) 3.
On croit la valeur des signes corporels : lire dans les lignes
de la mainn'est mme pas regard comme sortilge. On prte galement la
plus grandeattention aux envies , ou grains de beaut, et leur
position sur le corps. Ilfut prdit l'un de mes amis qu'il mourrait
noy, parce qu'il porte un de cessignes sous le pied gauche. En
contrepartie, il existe, naturellement, de trsnombreux moyens pour
conjurer le mauvais sort qui menace. L'un des plusemploys, et qui
remonte aux dbuts mmes de la colonisation, est l'eau bnite.Le P.
Labat raconte que quelque quantit qu'on en fasse le dimanche
lagrand'messe, il est rare qu'on en trouve une goutte quand le
service est fini. Ilsl'emportent dans de petites calebasses et en
boivent quelques gouttes en selevant, et prtendent se garantir par
ce moyen de tous les malfices qu'onpourrait jeter sur eux 4 . Cela
continue se pratiquer, et il est bien des rgions
du dpartement o un cultivateur, avant de retourner son champ,
commence parl'arroser avec un peu de cette eau prise l'glise.
Un autre procd consiste brler du caoutchouc pour chasser les
mauvaisesprits. Il est particulirement efficace le vendredi quinze
heures. Toutefois,pour qu'il donne son plein effet, il est
ncessaire que personne ne paraisse s'enapercevoir, et surtout qu'on
n'y fasse aucune allusion, sans quoi les mauvaisesprits
reviendraient.
II. LES RITES DE PASSAGE , NAISSANCE,COMMUNION, MARIAGE ET
MORT
De tels rites apparaissent surtout nombreux et impratifs aux
changementsimportants de l'existence. Le P. Delawarde rappelle
qu'une femme enceinte, oumme allaitant, ne doit sous aucun prtexte
couper un arbre fruitier, car, parune loi d'analogie facile saisir,
on s'imagine que l'enfant en mourrait. Lemme auteur a vu, aussitt
aprs la naissance, enterrer le placenta au pied d'un
jeune arbre : cela s'accompagne d'une petite crmonie o l'on
formule le
1 Nay Reine, ibid., p. 9. Tray : plateau de charge que l'on
porte sur la tte. Coui : rcipient deforme ronde, parfois une
demi-calebasse.
2 Croton balsamifer L.3
Nay Reine, Fo-Yal, p. 9.4 Labat, d. Duchartre, II, p. 407.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
16/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 16
souhait que l'enfant vive autant que l'arbre et participe sa
prosprit . Celal'enracine dans la vie 1.
La couvade n'est pas inconnue, encore qu'assez rarement usite.
J'en
connais tout le moins un exemple curieux, parce que le fait d'un
hommeinstruit et de profession paramdicale. Quand sa femme fut pour
accoucher deson premier enfant, il lui mit la main sur la bouche
pour l'empcher de crier.Pendant ce temps, lui-mme poussait des hou
hou lamentables et de plus enplus violents, jusqu'au cri final
annonant la dlivrance.
La plupart du temps on cherche faciliter l'opration et, quand
celle-ci estparticulirement difficile, on fait ingurgiter la
patiente des mixturesextraordinaires du genre de la suivante :
Du th la poussir' quat' coins caye (du th fait avec de la
poussireramasse aux quatre coins de la case... tant donn les
habitudes locales, il doits'y rencontrer d'tranges dbris...).
Si cela ne suffit pas, on emploie du th caca male chouval (du th
fait avecdu crottin d'talon). Dans le cas qu'on m'a rapport,
l'effet aurait t immdiat.
Chez les Carabes, aussitt aprs la naissance, les parents taient
soumis un jene spcialement rigoureux pour l'homme, surtout
lorsqu'il s'agissait d'ungaron premier n. Certains s'abstenaient
entirement, les cinq premiers joursaprs l'accouchement de leurs
femmes, de boire et de manger, et les autres
jours jusqu'au dixime ils ne prenaient autre chose que du
ouicou2
. Cela seterminait au bout d'un mois ou deux par un festin avant
lequel les amis du pre lui dcoupaient toute la peau du corps avec
des dents d'agouti comme avec uncouteau jusqu'au sang . La raison
donne de ce jene au P. Breton tait que lesenfants auraient mal au
ventre ou les membres dfectueux comme ceux desanimaux que leurs
pres mangeraient 3 . Il ne semble pas que ces dernirescoutumes
aient laiss beaucoup de traces. Seuls la mre et l'enfant vont
prendreun grand bain au bout de quarante jours, pour se laver de
toutes les souillures.
Souvent, d'ailleurs, il est impossible d'observer de telles
prcautions. Et,plus d'une fois, il est arriv que les rudes
porteuses du Lorrain ou du Morne des
Esses aient t saisies par les premires douleurs de
l'enfantement, leur tray delgumes sur la tte, et en pleine marche.
Elles s'arrtent alors, cherchent aide etconseil dans une case
voisine, moins qu'elles ne soient obliges de tout faireelles-mmes
sur le bord de la route, et la tradition prtend qu'on en a
vu,l'opration termine, placer l'enfant sur le tray et continuer
leur route. L'hritierou l'hritire, en pareil cas, porte toujours le
nom de Chimne, parce que n surle bord du chemin, transposition
laquelle sans aucun doute Corneille nesongeait gure.
1 Delawarde, tude dactylographie, pp. 5-6.2
Sorte de bire base de cassave et de patates fermentes.3 Les
Carabes de la Guadeloupe,relation du P. Breton, d. Rennard, pp.
59-60.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
17/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 17
Le choix du prnom est, en effet, command par des circonstances
que l'onconsidre comme en partie indpendantes de la volont des
parents. Il estd'usage trs gnral d'appeler les enfants d'aprs le
saint ou la fte du jour : lesrsultats peuvent alors ne pas manquer
de pittoresque. dfaut ou ct du
saint, on choisira un homme important pour que la protection du
nom demeure.C'est une des traces les plus durables que laisse la
Martinique le passage d'ungouverneur. Son prnom apparat avec une
frquence remarquable sur les actesd'tat civil pendant son sjour. Et
pour que la protection s'tendt toute lamaisonne, le patronyme a
servi plus d'une fois dsigner le chien veillant surle foyer.
L'enfant est immdiatement dclar et baptis, sauf s'il est n en
dcembre.Dans ce cas, la crmonie est retarde d'un mois parce qu'on
est persuad quel'on gagne ainsi une anne entire de vie. Autrement,
il est indispensable que lepremier sacrement soit administr dans
les trois jours afin de mettre lenouveau-n et toute sa famille
l'abri du dmon. Il est fort difficile deconserver des bonnes dans
une maison o l'on ne se conforme pas ces usages,ou, si elles
consentent parfois rester, c'est pour circonvenir l'enfant confi
leurs soins, jusqu'au jour o elles arrivent l'entraner l'glise.
Toute maladie,toute tare physiologique s'expliquent alors par
l'expression consacre : a,enfant du diable.
La crmonie du baptme ne diffre gure de ce qu'elle est en Europe.
Lenouveau-n, vtu de beaux langes, d'une bguine et de chaussons, est
port l'glise par sa da, ou nourrice, dans les familles aises,
qu'accompagnent le
parrain et la marraine. Tous trois sont habills avec recherche.
Ils s'appellentcompre et commre, et le compre est tenu doffrir un
cadeau sa commreen mme temps qu'un riche prsent son filleul. Le P.
Labat soulignait dj laforte autorit que la tradition locale accorde
au parrain.
La nourriture de l'enfant a une grande importance, au dbut
surtout. Levoile qu'il porte l'occasion sur la tte au moment de la
naissance est mlang ses aliments, pour le prserver de tout danger.
Il sera de mme l'abri dupoison si on lui sert son premier repas de
l'envers carabe 1 . Pour le rendreintelligent, on lui fera absorber
de la mie de pain trempe dans du miel. AuMorne des Esses, on
placera sa tte dans un coui, ou moiti de calebasse
vide, afin de le protger du tonnerre, de tout ce qui peut rendre
fou, et de luipermettre plus tard d'aller l'cole, car c'est
l'instruction qui a fait la force desbks2 . De mme, le corps du
nouveau-n est frott avec des feuilles detamarinier, de goyavier et
de citronnelle macres dans du rhum, ce qui a pourbut de le rendre
fort et vigoureux.
Il existe d'ailleurs des procds, qu'on prtend prouvs, pour
remdier certaines malformations. Si un membre, par exemple, ne se
dveloppe pasnormalement par rapport aux autres, on choisira un ti
veau que l'intress
1
Maranta Arundinacea L., l'arrow root des Antilles anglaises.2
Blancs croles.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
18/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 18
remplacera intervalles rguliers au pis de la vache. Le membre
reprendra sacroissance, rgle cette fois sur celle de l'animal, et
qu'on arrtera au momentvoulu. Sans quoi, le rsultat risquerait
d'tre trop beau.
L'enfant grandit ainsi sous la surveillance attentive de sa mre,
qui leregarde comme son bien presque exclusif. Il arrive mme qu'une
femme soitcapable de dclarer au vritable pre qu'il ne l'est pas,
afin de conserver son filspour elle toute seule et d'chapper aux
sujtions du mariage.
La premire communion semble avoir supplant dfinitivement les
anciensrites de pubert des Sauvages ou des esclaves. On y
observescrupuleusement les prescriptions de 1'glise.
Partout, la maman veille avec soin la conversation jusqu'au
moment ol'enfant s'endort. Aucun mot grossier ne doit tre prononc
pendant la retraite.La nourriture est frugale et choisie, la viande
demeurant exclue. lacampagne, c'est un peu plus compliqu. Un mois
l'avance, l'enfant a parcourules quartiers avoisinants pour rendre
visite aux allis et amis. Ce serait manquergravement aux usages que
d'omettre ces dmarches. Quatre jours avant la datefixe, les
parents, mre, pre, surs, frres, cousines proches ou loignes(les
hommes viendront leur tour, en grande tenue noire, le jour de
lasolennit) descendent au bourg. Celle-ci porte le panier qui
renferme les effetspour l'habillement, celle-l des objets de
literie, une autre le tray, qui contientles ustensiles de cuisine
et les articles de mnage, une autre les provisions, etc.Tout ce
monde s'entasse dans une petite chambre, dans un pied--terre que
la
famille possde au bourg et, durant quatre jours, c'est un
va-et-vient continu degens affairs qui vont de la maison l'glise,
de l'glise l'picerie, del'picerie au march, parlent haut, font du
bruit, se couchent tard le soir et selvent tt le matin . Aprs la
crmonie, le cortge reprend le chemin de lacampagne avec les mmes
fardeaux. Les provisions puises sont remplacespar celles qui ont t
faites en vue de la rception officielle, car... toutes cesftes
s'accompagnent de repas pantagruliques 1 .
La pratique trs gnralise de l'union libre fait que le mariage
lgal nes'entoure pas d'un grand nombre de crmonies. Il n'apparat
mme pastoujours aux jeunes filles de la socit sous son aspect le
plus srieux : telle y a
vu avant tout le moyen d'tre plus libre et de pouvoir s'acheter
l'aprs-midi tousles sorbets qu'elle dsirait. Ce sont donc les
usages imports d'Europe qui, dansl'ensemble, ont prvalu. Le voile
de la marie est jet au dbut du bal parl'intresse, dont les yeux
sont bands, sur les jeunes filles qui l'entourent. Cellequi le
reoit passe son tour pour devoir convoler en justes noces dans
lesdouze mois. De mme que dans la mtropole, on garde les fleurs du
bouquetport cette crmonie jusqu' ce qu'elles tombent en poussire.
Il est enfin detradition trs gnralise que les nouveaux poux partent
avant la fin du bal,accompagns seulement d'une vieille da, pour une
maison de campagne
1
P. Symphor,Monographie de Rivire Pilote,indite, crite l'occasion
du Tricentenaire durattachement des Antilles la France.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
19/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 19
loigne, o ils passent leur lune de miel. De Fort-de-France on se
retirera Sainte-Anne, par exemple. Tous le font dans la classe
aise, qu'il s'agisse desBlancs ou des gens de couleur. Dans le
peuple, chaque fois qu'il est possible,les intresss s'isolent
galement et empruntent une case carte qu'il est rare
de leur voir refuser.
Quand il s'agit, par contre, d'un -veuf ou d'une veuve qui se
remarie, lechalbari, ou charivari, est de rigueur. Pendant la
priode de publication desbancs et jusqu' la clbration du mariage,
les gens du quartier et des quartiersavoisinants s'assemblent le
soir, partir de cinq heures, proximit de lamaisonnette de celui des
futurs conjoints qui convole en secondes noces. Onaccourt des
points les plus loigns ; hommes, femmes et enfants, tout lemonde y
vient, les uns avec des conques de lambis 1, d'autres avec des
dbrisde chaudrons, des morceaux de tle ou de fer blanc sur lesquels
ils frappentavec frnsie. C'est un tapage assourdissant, un vacarme
effroyable, entrecoupde cris, de hues, de propos souvent injurieux
et qui se rpercutent de morne enmorne, jusqu'aux campagnes les plus
recules. Un instant, le bruit cesse : est-cela fin ? Non, peine une
accalmie ; c'est le chef de bande qui dbite le coupletd'usage,
auquel succdera un refrain en chur, comme s'il s'agissait
despassages d'un rituel. Et le tumulte reprend avec plus de
violence encore, et celase prolonge fort avant dans la nuit, avec
des alternatives de silenceimpressionnant et de bruit
retentissant.
Chaque soir amne de nouveaux manifestants. De sorte que, dans
lesderniers jours, c'est une vritable foule qui assige la maison de
la malheureuse
victime, pour la soumettre cette rude et irritante preuve. Le
jour du mariage,cette cohue accompagne le cortge ou le suit aux
abords de la mairie et del'glise, le reconduit la campagne avec
cette musique infernale, et l'on allumedes brasiers le long de la
route pour effrayer les chevaux... 2 On avidemment perdu de vue la
valeur protectrice, l'origine, de tellesmanifestations, pour n'y
plus voir qu'une occasion de moquerie et d'amusement.
Plus caractristiques sont les rites et croyances qui entourent
la mort,d'autant que celle-ci apparat rarement comme naturelle,
mais qu'on a toujourstendance, mme dans certains milieux aiss, la
croire provoque par unsortilge. Et, naturellement, les sorciers ou
quimboiseurs qu'on va consulter
sont toujours de cet avis. Parfois, ils dsignent nommment
l'individuresponsable. Ils dclarent, dans d'autres cas, que ce sera
par exemple, lapremire personne rencontre un matin dtermin, ou
celle qui viendra, unrang qu'ils indiquent, prsenter ses
condolances. Il en rsulte, l'occasion, deshaines inexpiables entre
amis de la veille. Dans tel cas de septicmie port maconnaissance,
il s'agissait d'un collgue jaloux. En gnral, on accuse toujoursdes
personnes du mme sexe.
1
Strombus Gigas. La corne de lambi , perce, sert de trompe la
campagne.2 Symphor,Monographie indite de Rivire Pilote, crite
l'occasion du Tricentenaire.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
20/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 20
La mort survenue, on arrte aussitt les pendules et on voile de
crpe toutesles glaces. S'il s'agit d'un homme, on commence, dans
beaucoup de campagnes,par le redresser un instant dans la position
assise, et lui ingurgiter un demi-litrede rhum avec l'injonction
suivante : Bou, y fout'. Pendant ou t vivant ou t
aim y 1. Un paquet de poivre et quelques feuilles de tabac sont
toujoursemploys pour les femmes. Aprs quoi commence la toilette du
dfunt, qu'onrevt de ses plus beaux atours. S'il s'agit d'une femme,
on lui passe, quand on lepeut, une robe de soie neuve. Il n'est pas
rare, la campagne, que de vieillesmres conservent prcieusement,
sans la mettre jamais, la robe dans laquelleelles veulent tre
exposes , ainsi que le drap neuf qui doit leur servir delinceul.
Souvent mme elles ont dj fait faire leur cercueil, ou tout le
moinsconservent-elles des planches d'acajou, ou de tout autre bois
prcieux etincorruptible, poses l'ordinaire sur les premires poutres
de la charpente etprtes tre assembles. Dans d'autres cas, robe et
cercueil ne sont excutsque lorsque la malade se trouve l'agonie. On
commande en mme temps lesvoitures et couronnes pour l'enterrement.
On compose s'il y a lieu, et sans plusattendre, l'indispensable
oraison funbre. Tant mieux d'ailleurs si le patient oula patiente
en rchappe 2.
Puis le mort est entour de bougies allumes, quatre d'ordinaire,
une chaque coin du lit. Il est arriv parfois, aux environs de
Fort-de-France, qu'onait fix, avec un peu de starine fondue, deux
bougies allumes sur les yeuxmmes du dfunt.
Pendant ce temps des coups de corne , trois par trois 3,
retentissent dans
la campagne. Tous savent alors que quelqu'un vient de mourir, et
bientt lecrieur de nos mornes, d'une voix tonitruante, crie tous
vents : Billetd'enterrement de mussieu Jrmie, Morne Bleu.
L'enterrement se fera au bourgdemain quatre heures 4.
Avec le soir commence la veille , qui se pratique partout la
campagne,mais que la bourgeoisie du chef-lieu n'a pas compltement
dlaisse. Elle sedroule au milieu d'une grande affluence. Les
arrivants vont d'abord voir ledfunt et l'asperger d'eau bnite. Aprs
les condolances la famille on passedans la salle voisine, ou plutt
sous la vrandah, lorsqu'il y en a une. Lorsqu'ils'agit d'une simple
case, des bancs sont disposs au dehors, clairs par la lueur
fumeuse d'un serbi 5. Et c'est alors le plus extraordinaire
diptyque qu'on puisseimaginer : autour du cadavre, des
lamentations, des versets psalmodis d'un tonplaintif. Dehors, au
moins en apparence, la joie la plus bruyante. Des jeux sont la
disposition des visiteurs, surtout dans le Nord, dominos et ds.
Parfois, on
1 Buvez, F.... pendant que vous tiez vivant, vous l'aimiez...2
J'ai d, moi-mme, sur ordre et dans une circonstance que je na suis
pas prs d'oublier,
composer l'loge mortuaire d'un haut personnage alors l'agonie,
mais non encore dcd.C'est un autre, heureusement, qui l'a
prononc.
3 Sorte de trompe forme d'une coquille de lambi (Strombus Gigas)
perce l'arrire, l'endroit de l'enroulement maximum.
4 D'aprs un document communiqu par Mme Constance N'Dambou.5
Serbi : l'origine torche imbibe de rsine, maintenant bouteille
de ptrole o trempe unemche de coton.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
21/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 21
magnifie le disparu par des chants, en le parant de vertus
exceptionnelles etd'exploits lgendaires 1. La plupart du temps, le
jeu est men par un chef defile, un conteur de quartier, au bagout
renomm, et qui narre les aventures deComp Lapin, deMaman Diable, de
Papa ti poisson.
Eh cric , crie-t-il perdre haleine.
Eh cric , lui rpond-on.
Eh crie , rpte-t-il quatre fois de suite.
Eh crac , lui rplique-t-on encore par six fois 2.
Cela devient une occasion de tournois d'esprit, o tour tour les
conteursrenomms entrent en lice et cherchent surpasser leurs
rivaux. Les auditeursponctuent de rires, de bravos, d'exclamations
convenues : Tim, Misticric,
Misticrac, Aboubouba, et de chants nostalgiques, de refrains qui
sont devritables mlopes, de cris gutturaux qui prennent les accents
de vritablescomplaintes 3. La famille fait servir des
rafrachissements : caf, rhum, etc.,et l'on boit, l'on mange, l'on
chante, l'on s'amuse ainsi jusqu' l'aurore, qu'il fautattendre pour
chapper aux forces mauvaises de la nuit.
La valeur protectrice de cette bruyante tradition apparat en
pleine lumiresi on la rapproche de la peur extrme manifeste par
bien des Martiniquais dedemeurer seuls la nuit aprs avoir vu un
mort. Il est des hommes faits,
appartenant aux classes aises et instruites de la socit, qui, en
pareil cas, onttransport leur matelas et leurs couvertures dans la
chambre de leur vieillemre.
Cela s'explique par la crainte, trs gnralise dans le pays, d'une
sorte decontagion de la mort, redoutable surtout pour ceux qui sont
dj malades. Dansle quartier de la Jossaud, on oblige ces derniers
se lever lorsque passe proximit un convoi funbre : sans quoi le
leur suivrait bref dlai. Lesporteurs eux-mmes ne sont pas
compltement l'abri, surtout quand le dfuntest transport de son
morne au bourg dans un simple drap formant hamac etsuspendu aux
extrmits d'une longue perche. Les quipes se relaient
automatiquement chaque ponceau du chemin.
Il n'est pas habituel que les femmes de la famille suivent le
cortge, mais,pendant les neuf jours qui suivent le dcs, elles se
runissent, avec leursparents et un certain nombre de personnes
pieuses, dans la chambre qu'occupaitle dfunt, pour prier autour du
lit funbre, sur lequel une petite lampe huilereste allume huit
jours et huit nuits, et dont la flamme est entretenue avec unepit
absolue 4.
1 Tardon,Bleu des les, p. 22.2 Nay Reine, Fo-Yal, p. 36.3
Symphor,Monographie de Rivire Pilote, crite au moment du
Tricentenaire.4 Symphor,Monographie indite deRivire Pilote, crite
l'occasion du Tricentenaire.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
22/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 22
Il faut y rattacher coup sr les rites de la Toussaint et du jour
des Morts.Ils se marquent par l'illumination gnrale des tombes. la
ville, au cimetire des riches , ce sont des guirlandes d'ampoules
lectriques. Au cimetire des pauvres , ainsi qu' la campagne, ce
sont des centaines ou des
milliers de bougies la lueur clignotante. Les familles sont l,
prs de leursdisparus. On vient leur serrer la main et s'entretenir
un peu avec elles. C'est undfil ininterrompu tandis qu'au dehors se
droule, mais singulirementamplifie, la mme fte bruyante qu'aux
veilles. Cela dure deux soirs, aprsquoi l'on ramasse les couronnes
et croix de perles sorties cette occasion, quele climat aurait tt
fait d'abmer, jusqu' la fois prochaine. Il est explicitementadmis
que les mes des trpasss reoivent, alors, la permission de revenir
voirle dcor terrestre et de passer quelques heures, de minuit
minuit, dansl'intimit des leurs. Aprs quoi elles rentrent dans
l'au-del pour une anneentire, ce qui n'est pas sans analogie avec
les anthestries athniennes.
III. LES FTES PRIODIQUES ET LEURSTRADITIONS ; LES
CHANGEMENTSOCCASIONNELS
Nous venons d'analyser quelques-uns des rites qui accompagnent
lesgrandes occasions de la vie. Il en existe d'analogues chaque
fois qu'intervientun changement, fortuit ou non, de quelque
importance.
Il y a d'abord les coutumes observes au moment de certaines
ftes, lepremier de l'An, en particulier, et Pques. Pour la premire,
les femmes doivent
absolument trenner une robe neuve, et il est dsirable que cette
robe soit poisrouges ou roses. Le vert est galement admis. Le bleu,
au contraire, estsvrement prohib, car on ne verrait que du bleu
pendant toute l'anne, c'est--dire de la misre, et l'on apparatrait
comme une dupe facile. plus forte raisonne faut-il pas de noir.
Celui qui s'habillerait ainsi passerait pour souhaiter lamort d'un
de ses proches parents dans l'anne mme. Sous aucun prtexte nonplus,
et quel que soit l'tat de salet de la maison, on ne doit donner un
coup debalai ce jour-l, sous peine de faire disparatre la chance
jusqu' la prochaineSaint-Sylvestre.
On dsigne sous le nom de Pangole la coutume en vertu de
laquelle, cettepoque, parents et amis se font visite, se dplacent
dun centre un autre pourse prsenter leurs souhaits rciproques. Ce
sont, dans les hauteurs du Sud,depuis neuf heures du matin jusqu'
la tombe de la nuit, de vritablesmigrations de quartier quartier,
des thories incessantes de gens endimanchs,les hommes de blanc
vtus, le chapeau de feutre pos sur le ct, la pochettebien en
vidence, l'illet ou la rose rouge la boutonnire, les femmes
enorgandi brod et en soieries de toutes nuances, s'arrtant de porte
en porte pourchanger les compliments d'usage, jusqu'au lieu du
rendez-vous o elles ferontbombance 1 . la Duchne, c'est mme une
vritable farandole qui se drouleainsi tous les jours jusqu'
l'piphanie.... Le cochon fait toujours les frais de
1 Symphor,Monographie indite de Rivire Pilote, crite loccasion
du Tricentenaire.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
23/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 23
ces ripailles. Chaque maison tue le sien au jour qu'elle a fix
pour sa rception.Le plus pauvre d'entre ces gens se fait un point
d'honneur d'abattre son porc. Etil faut tre dans une extrme misre,
dans une indigence absolue, pour manquer cette tradition, fort en
honneur dans les campagnes de Rivire Pilote. Cela
commence le 2 janvier et cela dure une dizaine de jours, et
parfois le moisentier. La campagne entire est alors pleine de
bruits de voix, de rires, dechants et de danses 1.
Laissons de ct le Carnaval trop de fois dcrit, devenu depuis
longtempsune occasion de s'amuser, et qui se termine le mercredi
des Cendres par lacavalcade des Guiablesses, qui parcourent les
rues de la ville en tranantderrire elles de vieilles bombes ptrole
(gallons de dix-huit litres), et enlanant des poignes de farine la
figure des passants pour annoncer la fin desrjouissances : Vaval m,
Vaval m : Le Carnaval est mort !
La semaine sainte a une importance capitale pour beaucoup de
quimbois etde conjurations. L'une des pratiques les plus rpandues
est celle du Gloria. Lesamedi matin, au premier son des cloches
revenues de Rome , tous, grandset petits, se prcipitent vers la
plus proche fontaine pour se laver le visage grande eau. Si on le
petit, on plonge tte baisse dans un bassin de rivireou dans la mer.
Les appontements du Service ctier ou de la Franaise 2 auchef-lieu
sont noirs de jeune gens qui attendent le signal et qui ne
voudraient,pour rien au monde, manquer la tradition.
Dans les campagnes, aprs s'tre lav la figure, on sort dans le
jardin, o
l'on se met battre les arbres fruitiers pour qu'ils donnent une
belle rcolte dansl'anne. Si le procd ne russit pas, c'est que l'on
ne s'est pas assez dmen.L'anne suivante on secoue l'arbre rtif avec
une nergie redouble, ce qui,parfois, le fait crever.
Les autres ftes ont moins d'importance. Ni la Saint-Jean ni la
Nol n'ontcette allure de crmonies solsticielles dont il reste tant
de traces dans les paysdu Nord. Mais il existe, aux yeux des initis
, des jours fastes et nfastesdont ils gardent le secret. Il est
rare, par exemple, qu'on entreprenne riend'important, si ce n'est
un quimbois faisant appel aux puissances infernales, unvendredi
aprs-midi.
Les rites propitiatoires sont particulirement nombreux en cas
dechangement de rsidence, d'installation dans une nouvelle demeure.
la villeet dans les bourgs, il s'agit presque toujours d'une maison
loue. On ne sedcidera souvent qu'aprs avoir compt les solives du
plafond en rptant pain, vin, mis (misre). On ne fera pas affaire
s'il y a trois, six ou neuf solives,parce que la troisime, la
sixime et la neuvime correspondent au mot mis 3.Les gens des mornes
s'installent le plus souvent dans une case nouvellementconstruite
ou hrite.
1 Symphor, Monographie indite de Rivire Pilote, crite loccasion
du Tricentenaire.2
Socit de gymnastique.3 Labrousse,Deux vieilles terres franaises,
p. 69. Mis = misre.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
24/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 24
M. Labrousse indique qu'on porte alors, dans la demeure qu'on se
prpare habiter, du sel, qu'on dpose la cuisine, du vin, dont on
asperge toutes lespices, enfin du pain rassis, qu'on cache dans un
endroit o il soit l'abri des
rats. Le sel est ncessaire, parce que sans lui rien n'est
mangeable ; le vin estsymbole d'abondance ; le pain rassis doit
toujours assurer de quoi vivre.
D'un bout l'autre de l'le, du Diamant l'anse Couleuvre, on a
l'habitudede suspendre au fatage de la case qu'on va occuper un
sachet dans lequel onmet toujours de la poussire de charbon, des
miettes de pain et des picesblanches, pour que l'abondance rgne
dans la maison. Certains y ajoutent du rizet de la farine de
manioc. Nouvelle crmonie au moment o l'on apporte lesmeubles. Avant
de les mettre en place, on entre dans le logis avec du pain,
ducharbon et de l'argent, qu'on jette par terre et contre les
solives du plafond.Toujours dans la mme intention, on enterre une
poigne de grains mlangssous la table de la salle commune.
cela s'ajoutent les prcautions prises contre les mauvais esprits
ou lesmalveillants : le rcurage pralable s'opre avec des herbes
choisiescrases dans de l'eau de mer et additionnes de gouttes
d'essence. Vingt-quatreheures avant l'installation, on opre un
lynchage, l'extrieur coups de boisd'pineux, et de bois de tamarin
l'intrieur, pour chasser de la demeure tousles esprits malins et la
rendre parfaitement saine et habitable 1 .
l'entre des cases on remarque souvent, en vue d'carter le
malheur et les
mauvais esprits, trois petites croix faites la craie,
accompagnes des noms desrois mages : Gaspard, Melchior et
Balthazar, toujours disposs dans cet ordre.Parfois, on clouera un
Sacr-Cur sur la porte d'entre.
On copiera de mme sur du parchemin vierge toutes les pharmacies
ensont approvisionnes la prire contre les maladies, qu'on cachera
dans lematelas ou le sommier. Toutes les classes de la socit en
usent et il est rare,lorsqu'on achte un lit d'occasion, qu'on n'en
trouve pas une sur un papier plien triangle, ce qui, parat-il,
serait en rapport avec un signe du Zodiaque.
D'autres formules sont enterres sous le seuil et trois pas de la
case pour
arrter toutes intentions malfiques. On demande galement au cur
de venirbnir les diverses pices de l'habitation et le lit conjugal,
s'il s'agit de nouveauxmaris, sans oublier la cuisine, mme quand
cette dernire n'est qu'un appentisen bambous. De mme, pour assurer
la bonne harmonie du mnage quis'installe, on utilise, dans la rgion
du Diamant, des anses d'Arlets et des Trois-lets, de petites
figurines en terre, grossirement modeles, qu'on a mises tremper
dans du miel. Plus gnralement, quand on dsire s'attirer les
bonnesgrces de quelqu'un ou flchir son hostilit, on trempe une
figurine de terrecuite son image dans de l'huile ou du saindoux
fondu.
1
Zobel, Les Jours immobiles, p. 169. Des tmoignages oraux me
permettent d'affirmer quecette pratique est trs gnralise l'intrieur
de l'le.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
25/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 25
CHAPITRE III
Remdes et Charmes
I. PLANTES MDICINALES
Retour la table des matires
L'efficacit attendue de telles pratiques repose sur des donnes
simples demagie sympathique. Elles dominent la vie entire de ceux
qui y croient. Il n'y adonc pas s'tonner si toute la mdecine
populaire en est profondmentimprgne. Le sorcier, le quimboiseur qui
voque les esprits est en mmetemps le gurisseur. Ses prescriptions
apparaissent souvent comme un mlangede conseils raisonnables et de
pratiques qui le sont moins.
Il est incontestable, d'abord, que les plantes mdicinales.
abondent. Il en estque tout le monde connat, dont les proprits ont
t maintes fois prouves.De vieilles femmes crient dans les rues :
Moin ni la politiqu crole1 , et
vendent des choix de fleurs, de feuilles, d'corces, de racines
pour lesquelleselles trouvent de nombreux chalands. Les feuilles
d'allous (alos) ou de raquettes (figuiers de Barbarie) sont
employes comme mollients oucontre les brlures. L'herbe chattes sert
aux femmes en couches 2. Le pimentcoolie ou mexicain se vend contre
les parasites intestinaux 3, ainsi que l'herbe v (vers) 4. La
vronique soulage la toux, que les hibiscus rouges oucoquelicots
gurissent dans les cas les plus rebelles. Le pompon soldat 5 passe
pour souverain contre les fivres et les grippes tenaces. Les
marchandesrecommandent leur caf zb piante (caf aux herbes),
rgnrateur de sang,leur verveine ou queue rate contre
l'inflammation. Le th pays a sonusage dans les maladies d'yeux.
Beaucoup de ces procds populaires sont efficaces. Il apparat
tabli qu'il ya, chez certains quimboiseurs tout au moins, une
connaissance empirique assezpousse de la flore et de la faune
locales. Ils savent panser, par exemple, etgurir les morsures du
trigonocphale, attnuer et faire disparatre lessymptmes extrieurs de
la syphilis et de la gonorrhe, qui exercent leursravages d'un bout
l'autre de l'le.
1 La pothiqu, l'apothicaire, les remdes croles, Cf. Nay Reine,
p. 18.2 Hebeclinium macrophyllum.3 Capsicum ceralocarpum.4
Chenopodium ambrosoides.5 Acacia Farnesiana W.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
26/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 26
Ils savent de mme procurer leurs clients, qui en sont friands,
les moyensde se montrer la hauteur en toutes circonstances. Les
aphrodisiaques abondent la Martinique, dont quelques-uns rputs.
C'est ainsi qu'il existait nagure surla route de la Trace, peu de
distance de Fonds-Saint-Denis, un arbre dont les
fruits taient rservs un grand propritaire du Nord, qui les
envoyait cueillirchaque anne, tant il leur trouvait de
rajeunissantes et mirobolantes vertus. Cetarbre fut coup lors de
l'largissement de la route, mais poussa des rejetonsdans une savane
proche. Un autre fut transplant au Morne Rouge. Ce sont lesgraines
qui sont efficaces, remarquablement efficaces. On raconte, sous la
rose,que de trs hauts personnages en essayrent les vertus au moment
duTricentenaire (1935). Ils se trouvrent plus que satisfaits et
rapportrent, dit-on,quelques provisions dans la Mtropole. Tel maire
de l'intrieur, feu potard au temps de sa jeunesse, comme il aimait
le rappeler, disposait galementd'une liqueur martiale dont quelques
gouttes suffisaient relever lescourages les plus abattus. Il est
vrai que le lendemain les patients faisaientpeine voir. Les
accidents, dans ces conditions, ne sont pas rares. Il est
detradition, dans certains mornes, d'aller rclamer au quimboiseur
du lieu, avantde se marier, un remde pour prendre patine pice ,
c'est--dire pour ne pastomber en panne. Les larves de gupes, le
crevin (couvain), passent dans ce caspour avoir des vertus
particulires : a renvigor (a revigore). Mais il estdj arriv plus
d'une fois que la dose ait t mal calcule ou que le client, pourplus
de sret, l'ait dpasse. Dans les hauteurs du Lorrain, on fabrique
unaphrodisiaque base de plantes du pays et d'holoturies qui a dj
expdi l'hpital, voire en France, plus d'un jeune ou vieux beau.
Il reste d'ailleurs fort difficile de faire le dpart entre les
effets rels de cespotions et ceux qu'on attribue aux conjurations
qui les accompagnent. Si l'on encroyait la tradition locale, ils
seraient dignes du Minotaure, l'expression tantusite aux Antilles
mmes. En voici deux exemples assez caractristiques :
Les Martiniquais sont assez facilement vains de leurs exploits.
Pour se tenir la hauteur de leur rputation ils utilisent, dans
l'Extrme Nord, le Viatiquedu grand coqueur 1 , ainsi compos :
On prend les organes gnitaux de neuf tortues de mer femelles ou
de cinqmles prlevs la priode du cavalage (accouplement). Il est
indispensable
dailleurs que ces tortues, ou carets , n'aient, pas t prises au
filet ni lasenne. Les organes prlevs doivent tre conservs dans du
sirop debatterie 2 jusqu'au neuvime jour du mois de Marie, patronne
des femmesfertiles. On les met alors scher sur une plaque de verre
qu'on rentre labrune, avant la fracheur du soir. On pile ensuite,
dans un mortier, on rduit enpoudre, on ajoute une quantit
quivalente de noix de muscade rpe, deuxparties de noix d'acajou
grilles et galement rpes et autant de gingembre. Letout est vers
dans un verre porto additionn de deux jaunes d'ufs battusavec un
zeste de citron. Les effets en sont, parat-il, extraordinaires,
dangereux
1 Driv de coq.2
Le sirop de batterie est ce qui prcde immdiatement le sucre. Il
est obtenu par vaporationdu vesou ou jus de cannes dans les
chaudires du systme Pre Labat .
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
27/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 27
parfois pour les partenaires qui risqueraient l'ventration ou,
dfaut, dejumeaux parfaitement constitus, mais venant avant
terme.
EMBOUCHURE DE LA RIVIRE LEVASSOR
Pour recommencer le lendemain les mmes travaux, il suffit d'en
laverl'instrument avec un bol de lait de corossol o lon a fait
macrer du balaidoux 1 , et qu'on avale aprs l'ablution. Une bonne
sieste sous un gros papayerdont on mange un fruit mr saupoudr de
cannelle rpe, une friction avec unmorceau d'orange amre et un peu
de miel. Ensuite l'on ingurgite, dans lesmmes conditions que la
veille, la moiti de la prparation base de tortue. Envertu de quoi
l'on serait capable de satisfaire une fois encore aux exigences
dedouze quinze participantes. Le troisime jour, toutes choses gales
parailleurs, il suffit du tiers de la prparation, le quatrime de la
moiti de ce tiers,le cinquime du quart, le sixime on liquide ce qui
reste. Le septime, qui doittre un dimanche, on va la messe, on
communie et on remercie le Seigneur
d'avoir fait de vous un homme. Il est d'ailleurs indiqu de ne
pas dpasser lesdoses normales. Il est parl dans le pays
d'clatements comparables ceux d'unpneu trop usag 2.
1 Corosol Anona muricatal L., balai doux. Scoparia dulcis,
plantes astringentes,stomachiques et bchiques
2 J'ai reproduit intgralement et sans rien en modifier la
formule qui m'a t communique, etqui vient de la rgion du Prcheur.
Mais on prouve des difficults de plus en plus grandes l'appliquer,
les tortues de mer ou carets tant devenues assez rares aux
alentours de laMartinique. Il semble bien que, sur la cte est, on
tende les remplacer par des holoturies,
nombreuses sur les fonds sableux et connues localement sous le
vocable de pine carette ,le reste de la composition demeurant
identique.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
28/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 28
LE PAIN DE SUCRE, ENTRE LE MARIGOT ET SAINTE-MARIE
Il y eut en 1935, au moment du Tricentenaire et des ftes
quil'accompagnrent, un incident qui fit quelque bruit et dont les
dessous ne purenttre lucids sur le moment mme. L'un des plus beaux
taureaux du concours
agricole, une bte magnifique prime hors concours, et dont le
consul d'uneRpublique voisine ngociait, dit-on, l'achat, fut
retrouv tout sanglant dans lasavane o il pturait, et priv de ses
attributs. L'enqute ne donna rien. Je n'aimoi-mme appris les
dessous de l'affaire que rcemment. Peut-tre comportait-elle
quelques vagues relents d'hostilit politique, mais l'essentiel
n'tait pas l.Le testicule du taureau, prpar suivant les rites, a
des vertus trs suprieuresencore au viatique du grand coqueur. On se
le procure aussi gros que possible,on sale, on poivre sec et on le
suspend vingt-sept jours. Malgr l'odeur, il nefaut y toucher ou le
remuer sous aucun prtexte. La veille de Pques, minuit,on dcroche le
testicule peu prs sec, on le bat pour l'attendrir avec unmanche
balai ou un pilon, puis on le met au four, secrtement. Il est
inutile
que le voisinage connaisse l'affaire, car il vous croirait livr
sans rmission auxpuissances des tnbres. On laisse cuire feux doux
jusqu'au deuxime coq,c'est--dire deux heures du matin. Lorsqu'on le
retire, le testicule est aussiplat qu'une cassave de manioc . Mais
pour qu'il ait toute sa vertu, il fautabsolument le faire bnir par
un prtre le jour mme de Pques, symbole dersurrection, ensuite de
quoi on l'enferme jusqu'au jour de l'Ascension, caralors tout
monte, les plantes, les rivires, la lune, la mer, comme
Notre-Seigneur est mont au ciel. Il faut donc refaire bnir le
testicule ce jour-l.Aprs quoi il ne reste plus qu' le manger avec
du fruit pain et du cur depoisson, ce dernier ingrdient
indispensable, car, de tous les tres vivants, lespoissons sont les
seuls qui puissent se reproduire des millions d'exemplaires.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
29/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 29
GRANDRIVIRE RENTRE DE LA PCHE
UN COUP DE SENNE. TROIS RIVIRES
C'est cela, trs exactement, que servirent les attributs du
taureau hors
concours. L'auteur du mfait ne fut jamais retrouv, car il
habitait l'autreextrmit de l'le. Ses voisins remarqurent seulement,
l'poque, qu'il
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
30/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 30
frquentait l'glise de manire assidue et qu'il communiait
frquemment. Levieux cur de la paroisse, que je connaissais bien, se
flicitait de ce magnifiquerenouveau de pit. Puis, un beau matin,
notre homme se prsenta devant leprtre pour lui demander de bnir le
missel qu'il venait d'acheter. Satisfaction
obtenue, il part, radieux, rencontre un ami cher, de qui je
tiens toute l'histoire,et l'entrane chez lui : le missel n'tait
qu'un petit coffret de bois, malgr lacroix qui l'authentifiait.
l'intrieur, noirtre et pestilentiel, le testicule dutaureau prim.
Et comme l'ami lanait un regard interrogateur : C'est
Pquesaujourd'hui, rpartit l'intress, ce sera bientt
l'Ascension.
II. LES POISONS
Il est galement certain que des produits tirs du monde animal ou
vgtalpeuvent servir des vengeances de toute sorte. Il est des
poisons connus et dont
les effets passent pour invitables. Les poils de bambou dans la
soupeentranent, des dlais plus ou moins rapprochs, suivant la
quantit employe,de terribles douleurs intestinales dont
l'aboutissement est une pritonitemortelle. Il arrive qu'au lieu de
poils de bambou 1 on utilise des cheveux ou desrognures d'ongles
hachs fin comme poivre.
Parmi les toxiques les plus redouts, on cite la Martinique le
suc extraitdes racines de manioc, de pomme rose et surtout de
barbadine 2. C'est avec cedernier que se pratiquerait
l'empoisonnement par le punch, dont le P. Labat adonn une
description qui serait toujours valable. Un ngre du sieur
Saint-Aubin, raconte-t-il, tant l'article de la mort, envoya
chercher son matre pour
lui demander pardon et lui avouer qu'il tait coupable de la mort
de plus detrente de ses compagnons. Il lui dit qu'il se servait
pour cela du suc d'uneplante qu'on trouve au bord de la mer aux
Cabesterres des les. Il avaittoujours soin d'avoir un de ses ongles
plus grand que les autres et lorsqu'ilvoulait empoisonner quelqu'un
il allait gratter avec cet ongle l'corce de cetteplante jusqu' ce
qu'il l'et rempli du suc pais qui en sortait. Avec cetteprovision
il retournait la maison et ne manquait pas d'inviter le
malheureux,qu'il voulait tuer, boire un coup d'eau-de-vie. Il
buvait le premier, puis il enversait sa victime de la mme
bouteille, dans le mme coui dont il s'tait servilui-mme, mais qu'il
tenait d'une manire que son ongle trempait dans l'eau-de-vie et y
rpandait le venin dont il tait rempli. Il ne se passait jamais
deux
heures sans que celui qui avait bu ne tombt dans des convulsions
horribles quil'emportaient en peu de moments 3. Un autre procd
consisterait passer surle bord du verre un doigt lgrement tremp
dans le poison. Ce dernierpntrerait dans l'organisme au simple
contact de la muqueuse buccale etproduirait plus ou moins
rapidement son effet. En gnral, la victime enflebeaucoup et devient
difforme.
1 On peut remarquer qu'il s'agit l de procds d'introduction
assez rcente, puisque bambous,comme pommiers roses, n'ont t apports
la Martinique que dans la seconde moiti duXVIIIe sicle.
2
Pomme rose : Eugenia Jambos L. Barbadine : Passiflora
quadrangularis L.3 Labat, dit. Duchartre, II, p. 68.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
31/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 31
Tous ceux qui ont vcu longtemps la Martinique connaissent des
faits dece genre ou prtendus tels. Peu de temps avant mon dpart, un
des maires de lacolonie me racontait comment, un jour, il avait t
victime d'une tentative decet ordre, pour avoir pris le punch chez
un de ses employs. Le liquide peine
aval, il avait ressenti comme une brlure intolrable et n'avait
chapp que parmiracle la mort, aprs une longue et douloureuse
maladie.
Il est parfois des procds encore plus subtils. On rapporte qu'un
bravecultivateur de Sainte-Marie s'enorgueillissait d'un plant de
bananes jaunesmagnifique, mais en vain, car chaque fois qu'un rgime
arrivait maturit ildisparaissait. Notre homme avait quelques
raisons de souponner son plusproche voisin. Il rsolut de se venger
et, cette fin, prpara une dcoctionbouillie et rebouillie de racines
de barbadine et de pommier rose parts gales.Il en arrosa
rgulirement son plant pendant plusieurs mois... Le rgime quipoussa
dans ces conditions fut encore vol. Le lendemain ou le
surlendemain,le voisin mourait.
Dans les rgions du Vauclin, Sainte-Anne et Diamant, les pointes
d'orphiedessches servent la fabrication d'une poudre et d'un venin
liquide qui rendingurissables les blessures faites avec les armes
que l'on y a trempes. On peutgalement rpandre des chiques qui
entrent dans les chairs et pullulent. Lalgende prtend que certain
gendarme, videmment peu soigneux, en eut
jusque sur la langue.
Mais on ne veut pas toujours la mort du patient. Il peut s'agir,
pour une
femme, de se faire pouser ou de ne pas tre abandonne par un
amantgnreux. On fait alors appel aux nombreux aphrodisiaques, tel
le fameux boisBand, ou Banda 1, que comporte la pharmacope
populaire. D'autres prfrentles stupfiants qui endorment, puisent ou
annihilent la volont. Il est facile dese faire citer de nombreux
cas, rels ou supposs, d'hommes victimes de tellesmanuvres et
devenus incapables du moindre acte d'nergie. Tel avouait un
jour, en ma prsence, qu'il n'avait jamais pu retourner dans son
pays d'origineparce qu' chaque fois qu'il se prparait partir il
tombait gravement malade : ilavait fini par renoncer au voyage. Il
arrive aussi que les stupfiants ne soientpas exactement doss et
entranent des accidents graves, paralysies oudgnrescence. Le salut
ne peut venir que d'un contrepoison efficace, difficile
administrer, puisque le danger vient de l'entourage immdiat de
la victime, oud'une fuite prcipite en Europe ou aux tats-Unis, s'il
en est temps encore.Sinon, le malheureux trane plus ou moins
longtemps, jusqu'au moment o ceque les mdecins dnomment affection
nerveuse finit par l'emporter.
Les charmes assurent donc la force, la puissance de ceux qui
savent ,des Forts , des Mentors 2, et leur permettent d'craser
leurs adversaires,de leur infliger les pires maladies ou les plus
cuisantes dfaites. Inversement
1 Richeria Grandis V.2 Le terme est rellement employ dans tout
le sud et l'est de l'le et trahit ainsi curieusement
l'influence de la littrature classique sur les quimbois
martiniquais, ainsi que l'extension deceux-ci dans les milieux les
plus aiss et les plus cultivs.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
32/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 32
chacun de nous est environn de dangers qui rdent autour de lui
et qu'il nepeut dceler et vaincre que s'il sait lire les prsages et
utiliser des contre-charmes appropris. On sort alors du monde des
remdes proprement dits :poisons ou contrepoisons jouent encore leur
rle, mais ct d'eux aussi les
invocations, les envotements, la magie pure.
III. DE QUELQUES PRATIQUES COURANTES
On rencontre d'abord toute une srie de pratiques mdicalement
peucontrlables. Dans la rgion de Rivire Pilote, lorsqu'un enfant
tombe enconvulsions, si l'on n'a pas d'eau chaude ou de manger
cochons sur le feu ,on arrose le petit malade d'urine frache 1. La
gurison se produirait presqueinstantanment. Il en serait de mme
pour les corchures, les blessures lgres,voire les piqres de
serpent, s'il faut en croire cette histoire saugrenue, qu'on
m'a jure authentique, d'un agent de police de troisime classe au
bourg de laRivire, disons des Fleurs.... Il tait prpos la
surveillance du gros bois ou gabarre qui, tous les matins, en
pleine nuit, prenait le canal vers la baie deFort-de-France. Notre
homme tait volontaire : les mauvaises languesprtendaient qu'il
piait le dpart d'un mari. Trois mauvais plaisantss'amusrent un
matin, vers les quatre heures, de contrefaire la voix de celui-ci :
Femme moin l -pa ni vent ce matin (il n'y avait pas de vent ce
matin),drle de temps. Tchouk Tchouk Tchouk, c'tait l'intrus qui
venait de passerpar la fentre en simple chemise et caleon, et tait
tomb dans le marcageconnu sous le nom de roseaux Ma Ajax (les
roseaux de Madame Ajax). Il futen un clin d'il devant son propre
domicile, et les trois honntes fripouilles qui
avaient mont la farce se dlectaient l'entendre : Louise (c'tait
sa femmelgitime), ouvrez-moi la porte, je vous en prie. Prends le
vase urine et versedans tes mains, frotte moin les fesses. tais all
roseaux Ma Ajax, serpentpiqu moin. Et comme des rires incoercibles
fusaient de la rue : Faut pasentendre ce qui se passe dro (dehors).
Moin en danger mort.
L'incontinence, cependant, est bien gnante. Au Diamant,
lorsqu'un enfantcontinue souiller son lit au del de l'ge normal, on
lui attache un groscrapaud dans le cou : l'incontinence cesse
immdiatement.
Dans la mme rgion, pour faire passer les vers , on prend le
premier
rendu par le patient, on le met scher, on le mlange au prochain
repas, etpuis c fini 2. Au Prcheur, on s'imagine que la brise qui
vient de la mer, la rise de terre , parce qu'elle porte vers la
cte, fait avorter les femmesenceintes, qui se retirent dans leurs
cases ds qu'elle commence souffler, moins qu'elles ne dsirent se
dbarrasser de leur fardeau. Au Gros Morne, on sesert cette dernire
fin de fleurs d'ananas trempes dans du sucre, quiconstituent,
parat-il, un trs puissant emmnagogue.
1
Zobel,Les jours immobiles, p. 163.2 Zobel,Les jours immobiles,
p. 163.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
33/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 33
La variole, vrette ou petite vrole, a fait longtemps de
terribles ravages laMartinique, et Lafcadio Hearn a laiss une
description hallucinante desdernires pidmies de Saint-Pierre. Il
tait pourtant facile de l'viter, puisqu'ilsuffit de porter sur soi
trois graines de giromon 1 et trois de mas dans un sachet
avec des graines odorantes. Rivire Pilote, un vieux greur 2 se
plaignaitd'une hernie. Un de ses travailleurs lui conseilla de
porter dans sa poche un zyeu bourrique mle et un zyeu bourrique
femelle 3. La hernie passa,mais, les deux graines ayant t perdues,
elle revint, et notre homme dut nouveau se procurer le zyeu
bourrique mle et le zyeu bourriquefemelle pour recouvrer la
sant.
La lpre, assez frquente la Martinique, a la rputation de
n'trecontagieuse que dans des conditions bien dtermines. On dit
pudiquement deceux qui en sont atteints, mais que leur condition
sociale met l'abri de toutemenace d'internement, qu'ils ont une
diathse . Ils peuvent alors trepleinement rassurs sur la fidlit de
leurs matresses, que nul ne songera leurdisputer. S'il arrive
cependant qu'un homme sain ait eu des rapports avec unelpreuse et
qu'il ait appris dans les vingt-quatre heures la maladie dont
lamalheureuse est atteinte, il existe un moyen hroque, d'aprs les
vieux duNord, pour chapper la contagion : il faut, le soir mme,
obtenir les faveursd'une vierge, le lendemain de deux, la mdication
devant durer une semaineentire, suivant la mme progression, jusqu'
sept par consquent pour ladernire nuit, et vingt-huit au total.
Tout ce qui vient des parties intimes de la femme est regard
comme ayant
des vertus particulires, et on s'en sert l'occasion comme remde.
J'ai vu, surune plage de l'Est, un jeune enfant piqu par un poisson
plat qu'on appelle crapaud de mer et qui est fort venimeux. Sa mre
trempa le doigt dans sonsexe et le passa immdiatement sur la
blessure.
IV. LES PROTGEMENTS
Mais on utilise tout autant, sinon davantage, ce que l'on
appelle dans le paysdes protgements . Il en est que tous
connaissent et pratiquent. Veut-on, parexemple, se dbarrasser d'un
visiteur importun ? Il n'est que d'installer derrirela porte de la
pice o il se tient un balai renvers avec un grain de sel sous
le
manche : le visiteur se lvera aussitt. S'il rsiste, un petit
balai ct du grandaura vite raison de lui. Mais, l'importun loign,
il faut se hter de remettre lesbalais dans leur position normale,
sous peine de violente contrarit.
Auprs de la Duchne s'lve un piton conique d'une cinquantaine
demtres de haut : on l'appelle la Roche Perce, et il a un caractre
magique.Aussi tous ceux qui en russissent la difficile ascension ne
manquent-ils jamaisde rapporter un morceau du sommet, qu'ils
dposent ensuite, comme talisman
1 Cucurbita Popo.2 Le greur dirige les cultures d'une habitation
de soixante cent hectares.3
Fruit du mucune brlant, Mucuna urens D. C. C'est une sorte de
haricot, avec une cannelureentre deux bandelettes brunes.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
34/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 34
protecteur, au seuil de leur porte. Les gosses de l'endroit
considrent audemeurant qu'ils sont srs d'viter la fesse promise
leurs mfaits s'ilsparviennent, de la porte de leur case, lancer un
petit caillou travers celled'en face.
Mais, dans la plupart des cas, les protgements sont des bijoux,
desmdailles accompagnes de chanes du mme mtal, c'est--dire que, si
lachane est d'argent, la mdaille doit tre obligatoirement d'argent,
etc. Pour leshommes, on emploie des bagues chaton.
Le bijou, quel qu'il soit, est achet sur la prescription d'un
sorcier mrite,d'un Mentor , auquel on a confi l'intention pour
laquelle on veut avoir un protgement . Lorsque le bijou a t acquis,
il est remis au Mentor, qui le monte suivant les rgles de son art
et le rend ensuite son client.
Le protgement peut tre galement constitu par un sachet contenant
desmdailles, des amulettes, des herbes sches ou des poudres
diverses. Le toutest envelopp dans une feuille de parchemin vierge,
sur laquelle a t crite uneprire ou tout autre formule frquemment
rdige en latin macaronique. Lesachet est suspendu au cou par une
corde de mahot 1, parce que cette plantepasse pour carter les
maladies : on attachera, par exemple, un chien menac dela rage avec
un collier de ces fibres.
De nombreuses personnes portent sparment des mdailles, un
scapulaireet un sachet contenant une poudre mystrieuse. Les
scapulaires s'achtent dans
le commerce, en dehors du clerg. On y joint, l'ordinaire, des
implorations tel ou tel saint, qui n'est pas toujours en rgle avec
les canons de l'glise, etqu'on se repasse d'usager usager. Il
existe ainsi de vritables chanes deprires , qu'on ne doit pas
interrompre, sous peine des pires calamits. Maisceux qui les
observent chappent tous les dangers. Parfois, les domestiques
enoffrent leurs matres, au moment d'un voyage : Madame, vous la
mettez survous, et vous n'avez plus rien craindre. Il a mme t
rpandu, laMartinique comme la Guadeloupe, un Recueil des
quarante-quatre prires
pour sortir victorieux des luttes de la vie,imprim Pointe--Pitre
en 1939, etcontre lequel le clerg a maintes fois cru devoir mettre
les fidles en garde.
On invoque d'abord la Vierge, mais aussi saint Joseph, parce
qu'il est le plusgrand saint du paradis, saint Antoine de Padoue
qui passe, comme partout, pourfaire retrouver les objets gars, et
combien d'autres encore. La confiance esttelle qu'en certaines
communes de la colonie les demandes se font parfois parcrit. Nagure
encore, au tmoignage formel de M. Legros, il existait danscertaines
glises un tronc spcial pour les lettres adresses au saint de
l'endroit,et les curs lisaient en chaire celles qui pouvaient
l'tre. Beaucoup d'entre ellestaient accompagnes d'une petite somme
d'argent, avec promesse d'une plusimportante pour le pain des
pauvres , au cas o le vu serait exauc, ou le
1
Triumfetta Lappula L. Arbuste des rgions sches dont on tire des
cordes trs tenaces, ainsique de nombreux remdes.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
35/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 35
mariage, car il s'agissait souvent de cela, dment conclu et
clbr. Faut-ilrappeler ici que beaucoup des premiers colons venaient
de Normandie ?
Saint Benot, reprsent debout, lisant son brviaire, protge contre
les
mauvais sorts et les accidents de la route. Saint Christophe
est, comme enEurope, le patron des chauffeurs, mais on l'invoque
spcialement contrel'influence des dmons, les pidmies, les calamits
publiques, les troubles etsditions populaires, ainsi que contre les
flaux et accidents de toute sorte.Saint Blaise protge des maux de
gorge. Le jour de sa fte, aux anses d'Arlets,le prtre donnait la
bndiction avec deux cierges en croix et l'on racontequ'une femme,
pour s'tre moque de cette dvotion, se rveilla le lendemainavec la
gorge dmesurment enfle. Sainte Odile et sainte Lucie doivent
treinvoques pour les maux d'yeux. Sainte Apolline et saint Prgrin
calment lesrages de dents. Saint Georges empche les mille-pattes de
fuir. SaintePhilomne gurit peu prs tout ; saint Michel demeure,
comme sur les bordsde la Manche, le plus populaire des archanges,
ce qui lui vaut d'trespcialement invoqu par les quimboiseurs.
L'obscurit est toute pleine d'embches et de mauvaises
rencontres. Lemieux est beaucoup prs de ne pas se risquer dehors
entre minuit et l'angelusdu matin. Il est tout de mme, quand on est
oblig de sortir, quelques moyensde dfense prouvs. L'un des
meilleurs est de mettre ses vtements l'envers :robe, culotte ou
veston. Une femme surprise par une apparition n'a qu' releverses
jupes au-dessus de la tte. Un procd plus efficace encore est de se
placerune touffe d'herbe sur le crne et de s'avancer ainsi entre
deux terres, dans un
domaine inaccessible aux forces de l'au-del. Par surcrot de
prcautions, ilarrive qu'on place sur la touffe d'herbes une paire
de ciseaux grande ouverte :c'est un moyen assur de couper la
mauvaise chance.
V. BAINS DE CHANCE , BAINS DMARRS ETRITES PURIFICATOIRES
On est prt tout tenter galement pour que celle-ci n'arrive pas
jusqu' lademeure familiale. Si elle y pntre cependant, on la
chassera avec ce que M.Labrousse appelle trois bains de chance 1 .
La description qu'il en fournit estcomplte et prcise. La meilleure
date pour chacun de ces bains est le premiervendredi du mois. Si
l'on est press, on peut choisir le premier et le troisimevendredi,
ou trois vendredis successifs, voire en une seule semaine le lundi
(deprfrence le premier du mois, jour du Saint-Esprit), le mercredi,
jour de saintJoseph et le vendredi, jour du Saint-Sacrement. Le
Saint-Esprit claire ,saint Joseph nourrit et le Saint-Sacrement
attire une bndiction gnrale.Voici, ajoute M. Labrousse, ce qu'on
met gnralement dans ces bains : Unpeu de farine de froment, un peu
de lait, un flacon de lait d'iris, pour se blanchiraux yeux du
patron ainsi qu'aux yeux des gens dont on craint l'opinion ou
quipeuvent vous aider, de l'eau de duchesse (pour jouir d'une
grande
1 Labrousse, Deux vieilles terres franaises, p. 64.
-
7/30/2019 la_magie_antillaise.pdf
36/121
Eugne Revert, La magie antillaise (1951) 36
considration), des feuilles d'une plante appele tabak Jacquot 1
(s'il s'agitd'achalander une boutique, de maintenir ou d'augmenter
la prosprit d'uneentreprise), de feuilles mles ou femelles de trfle
2 (afin d'avoir tout le monde,hommes et femmes pour soi), de
l'essence d'acacia (si c'est d'un multre qu'on a
besoin d'obtenir l'aide ou de conserver la bienveillance) ou
bien de l'essence deverveine blanche ou de verveine rouge, s'il
s'agit d'un blanc ou d'un Ngre 3.
L'eau du bain sert ensuite laver toutes les pices de la maison
pour lesimprgner de chance. Puis on promne dans les chambres,
pendant un ouplusieurs jours, un canari , ou rcipient en terre,
garni de charbons surlesquels on fait brler diverses substances :
pain, mas et encens. C'est unsymbole des trois rois mages, dont
nous avons dj trouv les noms inscrits surla porte de bien des
cases. Ils avaient apport l'Enfant-Jsus de l'or, del'encens et de
la myrrhe. Comme M. Labrousse l'explique fort ingnieusement,l'or ne
brlant pas, on le remplace par une nourriture essentielle qu'il
sert acheter, et quoi de plus essentiel que le pain ? Le mas se
substitue de mme la myrrhe, et pour carter plus srement les mauvais
sorts on ajoute l'encensdu benjoin et du baume du Prou.
Il est bon, lorsque cette purification a t excute, de continuer
veillersoigneusement. Tel matre, que j'ai connu, ne se couchait
jamais sans avoiraccompli toute une srie de rites purificatoires.
En particulier, il jetait du sel larges poignes autour de sa
vrandah. Le lendemain, de bonne heure, ilchaussait des galoches et
arrosait le tout. L'eau sale emportait d'un coup lesquimbois qu'on
avait pu dposer dans la nuit. Il tenait tellement cette
pratique
qu'il n'hsita pas donner cong un de ses collgues, auquel il
avait cd unepartie de sa demeure, et qui se refusait
l'accomplissement rgulier de lacrmonie.
Mais la grande purificatrice demeure la mer. C'est l qu'on va
prendre lebain dmarr , dont le but avou est de dmarrer ou dtacher
la dveinepersistante. Cela se fait un vendredi, le premier du mois,
sauf lorsqu'il y a unvendredi 13, et l'aurore. On choisit
l'ordinaire, d'aprs M. Labrousse, unendroit o la mer est agite,
pour tre sr d'tre bien lav. Avant d'entrer dansl'eau, le patient
forme parfois sur le sable une croix avec des bougies allumes.Au
choc de la premire lame il s'crie : Un tel, ou une telle, dmarr
moin ,
ce qui signifie : dbarrassez-moi de ce qui fait mon malheur en
le prenant votre compte, l'individu ainsi dsign tant, toujours un
ennemi, et l'auteurprsum de la dveine.
1 Pluchea odorata Cass. Arbuste