1 L’impact économique du développement des marques de distributeurs Fabian Bergés-Sennou, Philippe Bontems et Vincent Réquillart Université de Toulouse (INRA, IDEI) Juin 2003 Adresse postale : Vincent Réquillart INRA-ESR BP 27 31 326 Catanet Tolosan Cedex tel : 05 61 28 53 68 FAX : 05 61 28 53 72 Mail : [email protected]Résumé Cet article constitue une synthèse de la littérature traitant des marques de distributeurs (MDD). Dans une première partie, nous faisons l’état des lieux statistiques sur l’importance des MDD dans les rayons et les pays. Nous tentons également de dégager les facteurs empiriques qui favorisent leur introduction à travers les études économétriques. Dans un second temps, les raisons ayant poussé les distributeurs à l’introduction des MDD sont analysées sur un plan théorique : gain en pouvoir de négociation et discrimination de la demande. Une troisième partie essaye de mieux cerner les conséquences empiriques sur les producteurs et les distributeurs. Par la suite, les lacunes des analyses théoriques pour décrire l’introduction des MDD en économie industrielle sont soulignées. Enfin, une réflexion sur les MDD et leur impact dans le surplus social est amorcée. Mots clés : économie industrielle, relations verticales, marques de distributeurs, agro-alimentaire. JEL : L22, L66 Summary We survey the economic literature on private labels (PL). In the first section we provide some statistics about the development of private labels in different countries for different products. Using the results from econometric studies, we also analyse the empirical factors which favour the development of private labels. In the second section, we analyse, from a theoretical point of view, why the retailers introduce private label: increase in their bargaining power and discrimination of demand. The third section deals with the empirical consequences of private labels development on producers and retailers. The fourth section is devoted to less analysed questions. Finally section five draws some conclusions on the welfare impact of PL development.
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L’impact économique du développement des …idei.fr/sites/default/files/medias/doc/wp/2003/marques...France 16,5 20 11,8 15,4 Pays-Bas 20,9 25,3 11,5 16,6 Royaume-Uni 34 42 25,3
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L’impact économique du développement des marques de distributeurs
Fabian Bergés-Sennou, Philippe Bontems et Vincent Réquillart
Cet article constitue une synthèse de la littérature traitant des marques de distributeurs (MDD). Dans une première partie, nous faisons l’état des lieux statistiques sur l’importance des MDD dans les rayons et les pays. Nous tentons également de dégager les facteurs empiriques qui favorisent leur introduction à travers les études économétriques. Dans un second temps, les raisons ayant poussé les distributeurs à l’introduction des MDD sont analysées sur un plan théorique : gain en pouvoir de négociation et discrimination de la demande. Une troisième partie essaye de mieux cerner les conséquences empiriques sur les producteurs et les distributeurs. Par la suite, les lacunes des analyses théoriques pour décrire l’introduction des MDD en économie industrielle sont soulignées. Enfin, une réflexion sur les MDD et leur impact dans le surplus social est amorcée.
Mots clés : économie industrielle, relations verticales, marques de distributeurs, agro-alimentaire.
JEL : L22, L66
Summary
We survey the economic literature on private labels (PL). In the first section we provide some statistics about the development of private labels in different countries for different products. Using the results from econometric studies, we also analyse the empirical factors which favour the development of private labels. In the second section, we analyse, from a theoretical point of view, why the retailers introduce private label: increase in their bargaining power and discrimination of demand. The third section deals with the empirical consequences of private labels development on producers and retailers. The fourth section is devoted to less analysed questions. Finally section five draws some conclusions on the welfare impact of PL development.
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L’impact économique du développement des marques de distributeurs
L’issue de cette lutte ne semble ni prochaine ni même vraisemblable. Ce qu’il faut retenir, c’est que
marque et publicité ont mis entre les mains de l’industrie un atout maître qui lui a permis de se relever
de son ancienne infériorité vis-à-vis du commerce et de mesurer à armes égales avec lui. Elles lui
auraient même donné la suprématie si la naissance du grand commerce de détail n’était venue se
mettre en travers, en opposant un contrepoids sérieux à la puissance nouvellement conquise du
fabricant. Certains sont sûrs que l’industrie, de plus en plus concentrée, parviendra un jour à régir à
sa guise l’ensemble du commerce grâce à la publicité. C’est là, croyons-nous, méconnaître
singulièrement la puissance et les moyens d’actions du grand commerce de détail. Il ne peut être
question d’une victoire décisive d’une des deux parties. Continuellement se poursuivront attaques et
contre-attaques. Ici c’est la marque du fabricant qui s’imposera au commerce ; là c’est la marque du
commerce qui l’emportera. La suprématie de l’un des deux adversaires ne peut être que partielle et
d’importance variable suivant les branches et les régions. Le tout dépendra surtout de la valeur des
méthodes de vente employées par chacun. (Francis Elvinger, 1928, ‘La marque’ texte tiré de Baroux,
05/01/00 Les échos, Deux siècles de bras de fer entre l’industrie et le commerce).
Introduction
La Loi du 15 mai 2001 relative aux Nouvelles Régulations Economiques (NRE) définit la marque de
distributeur (MDD) dans son article 62 : ‘Est considéré comme produit vendu sous marque de
distributeur le produit dont les caractéristiques ont été définies par l’entreprise ou le groupe
d’entreprises qui en assure la vente au détail et qui est le propriétaire de la marque sous laquelle il est
vendu’. Selon l’entreprise Nielsen, les MDD sont des marques appartenant à une entreprise
commerciale de vente au détail, ou en gros, pour une ligne de produits distribuée exclusivement par
cette dernière ou sous son contrôle. PLMA (Private Label Manufacturers Association) en donne une
définition voisine: les produits MDD comprennent l’ensemble des marchandises vendues sous la
marque d’un distributeur.1 Cette marque peut être le nom du distributeur lui-même ou une appellation
créée exclusivement à l’usage de ce dernier. Dans certains cas, un distributeur peut appartenir à un
groupe grossiste propriétaire de différentes marques qui sont uniquement à la disposition des membres
de ce groupe.
Ces définitions mettent en avant deux points essentiels : d’une part, le contrôle de la marque par le
distributeur alors que ce contrôle est traditionnellement du ressort d’un producteur et d’autre part, la
notion d’exclusivité qui implique que les différents distributeurs ne fourniront pas les mêmes MDD, ce
qui n’est pas le cas lorsque les distributeurs distribuent des marques de producteurs. Ainsi les MDD
sont susceptibles de modifier d’une part les relations entre distributeurs et producteurs puisque le
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distributeur étend son rôle et d’autre part les relations entre distributeurs en introduisant un élément
supplémentaire de différenciation des distributeurs.
Différents angles d’approche sont possibles pour analyser les marques de distributeurs. Un premier
consiste à se focaliser sur les distributeurs sans porter d’attention à l’approvisionnement en amont. Les
travaux concernant l’oligopole, les choix de gamme optimale de produits s’appliquent. Le choix de
gamme pour des entreprises en concurrence résulte de deux effets opposés (Champsaur & Rochet,
1989). D’un coté, la gamme doit être la plus large possible afin de discriminer la demande des
consommateurs. Mais d’un autre coté, les gammes entre firmes concurrentes ne doivent pas coïncider
afin d’affaiblir la concurrence en prix sur des produits qui auraient sinon des caractéristiques proches.
En considérant également une différentiation du produit relative a la marque, Gilbert & Matutes
(1993) montrent alors que deux firmes vont se concurrencer en gamme en offrant un large éventail de
produits aux consommateurs, la différentiation en marques atténuant la concurrence en produits.
Néanmoins, avec cette vision, on élude les enjeux liés à l’approvisionnement et au partage du surplus
au sein d’une structure verticale. Une vaste littérature concerne l’analyse des relations verticales et
plus précisément l’impact des accords entre producteurs et distributeurs. Celle-ci assimile
généralement la marque au producteur amont et d’autre part elle considère le couple formé par un
producteur et son (ses) distributeur(s). Les problèmes traités relèvent alors d’une part de la
coordination au sein d’une structure verticale et d’autre part de la concurrence entre ces structures
verticales (voir notamment, Rey 1994). Les problèmes de coordination dans une structure verticale
concernent notamment la fixation des prix, le niveau optimal de services à offrir, le partage des
risques. De façon générale, les restrictions verticales permettent une meilleure coordination au sein des
structures verticales. Elles peuvent être bénéfiques pour le consommateur mais cela n’est pas
systématique et dépend notamment du niveau de concurrence en aval. Ainsi, si la concurrence est forte
la meilleure coordination bénéficiera également au consommateur. Le deuxième volet de la littérature
concerne l’impact des accords verticaux sur la concurrence entre structures verticales. Comme dans le
cas précédent, l’effet des restrictions verticales est ambigu lorsque la concurrence entre structures est
faible. En effet, ces restrictions peuvent alors avoir un impact fortement négatif pour les
consommateurs qui n’est pas totalement compensé par l’effet positif sur les structures verticales elles-
mêmes.
Comme cela est souligné par Comanor et Rey (1996), la littérature s’est surtout intéressé au cas d’un
producteur et d’un grand nombre de distributeurs. Elle a beaucoup moins exploré le cas de grands
distributeurs qui souhaitent exploiter leur position pour empêcher l’entrée de nouveaux distributeurs.
Par ailleurs, comme le souligne Rey (1994), une limite forte à l’utilisation de la littérature sur les
restrictions verticales pour l’analyse économique des MDD est qu’elle assimile généralement la
marque au producteur amont.
La première section de cet article fait l’état des lieux statistiques sur l’importance des MDD dans les
rayons et les pays. Elle tente également de dégager les facteurs empiriques qui favorisent leur
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introduction à travers les études économétriques. Dans un second temps, les raisons ayant poussé les
distributeurs à l’introduction des MDD sont analysées sur un plan théorique : gain en pouvoir de
négociation et discrimination de la demande. Une troisième section essaye de mieux cerner les
conséquences empiriques sur les producteurs et les distributeurs. Par la suite, les lacunes des analyses
théoriques pour décrire l’introduction des MDD en économie industrielle sont soulignées. Enfin, une
réflexion sur les MDD et leur impact dans le surplus social est amorcée. La dernière section conclue.
1. Importance du développement des MDD et facteurs empiriques qui favorisent l’introduction ou le développement des MDD
1.1 Quelques faits et chiffres
En Europe, l’importance du développement des MDD est variable selon les pays (Tableau 1). On
notera que dans tous les pays, les parts de marché en volume sont supérieurs aux parts de marché en
valeur signifiant que ces produits sont vendus en moyenne à un prix inférieur à la moyenne du prix de
vente de l’ensemble des produits. La comparaison entre pays européens n’est pas aisée car la
définition exacte peut varier d’un pays à l’autre (d’un institut à un autre, également, cf. les différences
d’estimation en France entre Nielsen et Secodip). En particulier, il est important de savoir si les
produits dits premiers prix2 sont inclus ou non dans les MDD.
Tableau 1 : Taux de pénétration des MDD dans quelques pays européens (%)
De façon générale, plus le secteur de la distribution est concentrée plus les MDD ont une place
importante (graphe 1).
Au sein d’un pays, l’importance des MDD est très variable selon les catégories de produits et au sein
des catégories selon les produits. De très nombreux facteurs peuvent jouer pour expliquer une plus ou
moins grande pénétration des MDD. Certains arguments renvoient à l’offre (structure de l’offre,
capacité d’entrer sur le marché, politique d’innovation,….) et d’autres aux caractéristiques de la
demande. Par exemple, les biens pour lesquels les attributs confiance semblent importants (produits de
beauté, alimentation infantile) enregistrent des taux de pénétration des MDD faibles (Tableaux 2 et 3).
Tableau 2 : Taux de pénétration des MDD dans quelques pays européens (D’après étude Nielsen,
1998).
Pays Alimentation (13 catégories) Boissons (7 catégories)
Valeur Volume Valeur Volume
Allemagne * 12,2 18,5 5,8 8,2
Belgique 23,9 34,5 25 35,3
Espagne 17,6 24,1 10,5 15,7
Finlande 8 9,7 2 2,1
France 16,5 20 11,8 15,4
Pays-Bas 20,9 25,3 11,5 16,6
Royaume-Uni 34 42 25,3 34,2
Suisse 50,7 59,6 36,7 45,9
* Chiffres sans Aldi qui ne vend pratiquement que des produits sous MDD. En incluant Aldi, le taux de pénétration des MDD serait de 10 points supplémentaires. Source AC Nielsen (1998) International Private Label Retailing – Indicators and Trends . Cités dans KPMG study : Customer Loyalty & Private Label Products
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Web sites:
Linéaires, www.linéaires.com
PLMA, www.plmainternational.com
1 PLMA, voir www.plmainternational.com 2 Les produits premiers prix sont généralement définis comme des produits dont le prix est inférieur à 80% du
prix moyen des produits. 3 Ainsi selon Raju et al. (1995) les facteurs favorisant l’introduction d’une MDD et ceux favorisant son
développement ne sont pas identiques. 4 Les résultats restent valables si le distributeur supporte un coût de distribution. 5 Cette affirmation doit maintenant être nuancée avec l’apparition de MDD ‘haut de gamme’ tels que Reflets de
France, Saveurs étrangères. La majorité des MDD se situe néanmoins à des niveaux de qualité perçus inférieur
ou égal à celui des MN.
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6 Si la MDD a un avantage en coût sur la MN, pour des valeurs élevées de la qualité de la MDD, seule la MDD
est sur le marché et la MN n’est plus référencée (Voir Allain et Flochel, 2001). 7 Ne sont pas compris les coûts fixes liés à la production des biens (non modélisés). 8 Dans le cadre de ce modèle, la qualité de la marque nationale est exogène et n’est pas choisie stratégiquement. 9 Dans tous les cas, le distributeur est en situation de monopole. 10 Dans le cadre des prix linéaires, un seul outil (le niveau de qualité de la MDD) est disponible pour à la fois
réduire le problème de double marginalisation et discriminer les consommateurs par la qualité. Au contraire,
dans le cadre d’une tarification binôme, les parties disposent maintenant d’un second instrument, le niveau de
franchise. 11 On peut invoquer le caractère incomplet des contrats en général pour justifier cette impossibilité du producteur
de s’engager sur un contrat vis-à-vis du distributeur. 12 Il y a trois producteurs en présence : le producteur de la MN leader, le producteur de la seconde MN et le
producteur de la MDD. 13 Putsis (1997) étudie les relations entre MN et MDD pour 135 catégories de produits alimentaires sur les
années 1991 et 1992. Son étude repose sur une analyse entre catégories de produits dans 59 zones
géographiques. De même Cotterill, Putsis et Dhar (2000) utilisent des données pour 125 catégories de biens dans
54 zones géographiques. 14 Selon Cotterill, Putsis et Dhar (2000) ces résultats contre-intuitifs peuvent également provenir d’un traitement
économétrique inapproprié qui n’intègre pas la simultanéité de la demande et des interactions compétitives entre
les acteurs du marché. Travaillant sur des données du même type, et traitant le problème de simultanéité, ces
auteurs trouvent une relation positive entre la part de marché des MDD et l’écart de prix entre MN et MDD. 15 En pratique, pour les principales MN de chaque marché, le prix de la MN est régressé sur différentes variables
explicatives dont la part de marché des MDD. 16 Pratiquement, ils estiment une équation d’évolution du prix des MN (modèle AR(1)) dans lequel ils
introduisent une variable indicative de la présence ou non de MDD. Le coefficient de cette variable leur indique
l’effet prix de l’introduction (existence) d’une MDD. 17 Voir Le Borgne C. (1996) : La marque de distributeur : l'étude des relations fournisseur-distributeur, Mémoire
de DESS en Droit des Affaires, Université de Bourgogne, 53 pages; 18 Vilas-Boas (2002), dans un travail sur les interactions stratégiques producteurs-distributeurs (appliqué au
marché des yaourts) rejette l’hypothèse de prix linéaires.