L’AFRIQUE, TERRE DES MISSIONS AUJOURD’HUI? POUR UNE ÉVANGÉLISATION CONTEXTUELLE 0. Introduction La question de l’évangélisation du continent noir ne date pas seulement de nos jours, car plusieurs protagonistes depuis l’histoire se sont engagés pour transmettre la Parole de Dieu aux différents peuples africains et sortir pour ainsi dire ces derniers de la damnation éternelle. Seulement, chaque équipe de protagonistes s’est engagée à trouver la façon d’imposer cette œuvre d’évangélisation. Pour certains, l’Évangile devait être accompagné de la culture qui l’a accueilli en premier lieu et sa transmission exigeait en même temps la transmission de la soi-disant culture 1 . D’autres ont pensé que l’œuvre d’évangélisation voulait tout simplement dire œuvre de civil isation, en appliquant le fameux binôme historique : « évangéliser et civiliser » 2 . Enfin, un troisième groupe pensait que l’évangélisation devait être accompagnée d’une rencontre culturelle du peuple, lançant ainsi le processus d’inculturation 3 . Toutefois, l’on ne saurait détourner notre attention actuelle sur la façon nouvelle d’évangéliser l’Afrique, tenant compte des enjeux actuels qui sont, comme on peut le voir, des vrais défis auxquels les peuples africains sont confrontés 4 ; car bien qu’elle ne s’identifie pas à la promotion humaine, l’évangélisation va de paire avec la libération de l’homme dans tous les aspects de sa vie, elle suscite donc la promotion humaine 5 . L’autre question concerne la mission dans l’Afrique actuelle. L’on doit donc se demander si le continent africain reste encore à l’époque actuelle une terre des missions, c’est -à-dire un continent qui n’a pas encore suffisamment reçu la première annonce selon la vision de l’ad gentes et qui a encore besoin d’une implantation avec tous les organismes 6 . Ceci justifierait la présence permanente des instituts missionnaires qui continuent à maintenir un rôle central dans la mission en Afrique. L’Évangile est le même parce que Jésus Christ reste le même hier, aujourd’hui et demain. Seulement, la mission en soi ainsi que ses objectifs doivent connaître des changements par rapport au temps, aux milieux et aux peuples. Ceci réclame une nouvelle évangélisation, c’est-à-dire transmettre le même message mais dans des termes adaptés aux circonstances et selon une perception contextuelle 7 . 1 Nous nous référons à la théorie de la plantatio ecclesiae avec comme protagonistes le jésuite belge Pierre Charles et ses disciples. Cfr A.J. MAMBUENE YABU, La méthodologie missionnaire en Afrique. Etude des méthodes missionnaires au Bas-Congo et Orientations, Mediaspaul, Kinshasa 2008, p. 67. 2 Nous pensons à la méthode catholique au Bas-Congo “Evangéliser et Civiliser”. Cfr. A.J. Mambuene Yabu, ibid., pp.37-40 3 Cette position embrasse pratiquement tout l’effort théologique actuel en Afrique avec différents auteurs et diff érentes sensibilités. 4 On peut jeter un coup d’oeil dans l’oeuvre de L. SANTEDI KUNKUPU, Les défis de l’Évangélisation dans l’Afrique contemporaine, Karthala, Paris 2005; J. PARÉ, Défis à la Mission du troisième millénaire, Bibliothèque nationale du Québec, Québec 2002; A. PEELMAN, Les nouveaux défis de l’inculturation, Novalis, Ottawa 2007, etc... 5 A.J. MAMBUENE YABU, ibid., pp. 192-193 6 Nous nous référons à l’objet de la mission ainsi conçu par Pierre Charles comme “l’insertion de l’ Église visible dans ces pays dans lesquels il n’est pas encore existante avec tous les organismes nécessaires : hiérarchie et clergé local, sacrements accessibles dans l’entière région, conditions économiques et matériels pour célébrer les sacrements, etc… (cfr P. CHARLES, Missiologie, Vol. 1, Louvain 1939) 7 La terminologie “Nouvelle évangélisation” est de Jean-Paul II qui en utilise pour la première fois en Pologne et la définit ainsi: “Il ne s’agit pas de refaire quelque chose qui a été mal fait ou qui n’a pas fonctionné. ..la nouvelle évangélisation n’est pas un dédoublement de la première, n’est pas une simple répétition, mais c’est le courage d’oser des sentiers nouveaux, devant les changements des conditions dans lesquels l’Église est appelée à vivre aujourd’hui l’annonce de l’Évangile » ( Cfr SINODO DEI VESCOVI. XIII a Assemblea Generale Ordinaria, La nuova evangelizzazione per la trasmissione della fede cristiana. Lineamenta, Libreria Editrice Vaticana, Città del Vaticano 2011, n° 5
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L’AFRIQUE, TERRE DES MISSIONS AUJOURD’HUI? POUR UNE ÉVANGÉLISATION CONTEXTUELLE
0. Introduction
La question de l’évangélisation du continent noir ne date pas seulement de nos jours, car
plusieurs protagonistes depuis l’histoire se sont engagés pour transmettre la Parole de Dieu aux
différents peuples africains et sortir pour ainsi dire ces derniers de la damnation éternelle.
Seulement, chaque équipe de protagonistes s’est engagée à trouver la façon d’imposer cette œuvre
d’évangélisation. Pour certains, l’Évangile devait être accompagné de la culture qui l’a accueilli en
premier lieu et sa transmission exigeait en même temps la transmission de la soi-disant culture1.
D’autres ont pensé que l’œuvre d’évangélisation voulait tout simplement dire œuvre de civilisation,
en appliquant le fameux binôme historique : « évangéliser et civiliser »2. Enfin, un troisième groupe
pensait que l’évangélisation devait être accompagnée d’une rencontre culturelle du peuple, lançant
ainsi le processus d’inculturation3. Toutefois, l’on ne saurait détourner notre attention actuelle sur la
façon nouvelle d’évangéliser l’Afrique, tenant compte des enjeux actuels qui sont, comme on peut
le voir, des vrais défis auxquels les peuples africains sont confrontés4 ; car bien qu’elle ne
s’identifie pas à la promotion humaine, l’évangélisation va de paire avec la libération de l’homme
dans tous les aspects de sa vie, elle suscite donc la promotion humaine5.
L’autre question concerne la mission dans l’Afrique actuelle. L’on doit donc se demander
si le continent africain reste encore à l’époque actuelle une terre des missions, c’est-à-dire un
continent qui n’a pas encore suffisamment reçu la première annonce selon la vision de l’ad gentes et
qui a encore besoin d’une implantation avec tous les organismes6. Ceci justifierait la présence
permanente des instituts missionnaires qui continuent à maintenir un rôle central dans la mission en
Afrique.
L’Évangile est le même parce que Jésus Christ reste le même hier, aujourd’hui et demain.
Seulement, la mission en soi ainsi que ses objectifs doivent connaître des changements par rapport
au temps, aux milieux et aux peuples. Ceci réclame une nouvelle évangélisation, c’est-à-dire
transmettre le même message mais dans des termes adaptés aux circonstances et selon une
perception contextuelle7.
1 Nous nous référons à la théorie de la plantatio ecclesiae avec comme protagonistes le jésuite belge Pierre Charles et
ses disciples. Cfr A.J. MAMBUENE YABU, La méthodologie missionnaire en Afrique. Etude des méthodes
missionnaires au Bas-Congo et Orientations, Mediaspaul, Kinshasa 2008, p. 67. 2 Nous pensons à la méthode catholique au Bas-Congo “Evangéliser et Civiliser”. Cfr. A.J. Mambuene Yabu, ibid.,
pp.37-40 3 Cette position embrasse pratiquement tout l’effort théologique actuel en Afrique avec différents auteurs et différentes
sensibilités. 4 On peut jeter un coup d’oeil dans l’oeuvre de L. SANTEDI KUNKUPU, Les défis de l’Évangélisation dans l’Afrique
contemporaine, Karthala, Paris 2005; J. PARÉ, Défis à la Mission du troisième millénaire, Bibliothèque nationale du
Québec, Québec 2002; A. PEELMAN, Les nouveaux défis de l’inculturation, Novalis, Ottawa 2007, etc... 5 A.J. MAMBUENE YABU, ibid., pp. 192-193
6 Nous nous référons à l’objet de la mission ainsi conçu par Pierre Charles comme “l’insertion de l’Église visible dans
ces pays dans lesquels il n’est pas encore existante avec tous les organismes nécessaires : hiérarchie et clergé local,
sacrements accessibles dans l’entière région, conditions économiques et matériels pour célébrer les sacrements, etc…
(cfr P. CHARLES, Missiologie, Vol. 1, Louvain 1939) 7 La terminologie “Nouvelle évangélisation” est de Jean-Paul II qui en utilise pour la première fois en Pologne et la
définit ainsi: “Il ne s’agit pas de refaire quelque chose qui a été mal fait ou qui n’a pas fonctionné...la nouvelle
évangélisation n’est pas un dédoublement de la première, n’est pas une simple répétition, mais c’est le courage d’oser
des sentiers nouveaux, devant les changements des conditions dans lesquels l’Église est appelée à vivre aujourd’hui
l’annonce de l’Évangile » ( Cfr SINODO DEI VESCOVI. XIIIa Assemblea Generale Ordinaria, La nuova
evangelizzazione per la trasmissione della fede cristiana. Lineamenta, Libreria Editrice Vaticana, Città del Vaticano
2011, n° 5
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I. Mission et Évangélisation
I. 1. Du concept de la mission
« Mission » vient du verbe latin « mittere », c’est-à-dire envoyer : dans le sens direct,
l’acte d’envoyer une personne ou un groupe pour accomplir une fonction préétablie ; dans le sens
dérivé, il peut signifier soit la personne physique ou morale envoyée, soit l’objet de l’envoi, soit le
lieu où on est envoyé, soit le caractère ou le résultat de l’envoi. Le latin classique mittere
correspond au grec pémpein, désignant l’envoi en insistant sur la fonction à remplir, se distinguant
du grec apostéllein qui, tout en signifiant envoyer, met l’accent sur l’ordre de changement de lieu,
donc sur l’autorité de celui qui décide ou autorise le départ, qui donne l’ordre pour le voyage, plutôt
que sur la destination ou la fonction éventuelle à accomplir comme motif de changement de lieu.
Ainsi, dans le sens profane partant de l’étymologie et du sens classique avec le correspondant latin,
le terme Mission est de large application et se réfère à l’objet, à la destination de n’importe quel
envoi de personne physique ou morale pour réaliser une fonction préétablie, fonction qui revêt d’un
caractère important (exemple mission militaire, mission diplomatique)8.
Le langage chrétien au contraire utilise le terme Mission spécialement dans la théologie à
propos des missions divines du Fils et de l’Esprit, et aussi de la mission de l’Église en tant que
envoyée de façon solennelle par le Christ pour poursuivre son œuvre du salut rédempteur du monde.
En ce sens, l’Église est en tout missionnaire parce que chargée par Christ dans l’accomplissement
d’un tel mandat9. On parlera donc de «mission au singulier » et « des missions au pluriel ». La
« Mission au singulier » fait penser à la Missio Dei (mission de Dieu), c’est-à-dire l’intervention de
Dieu en faveur de toute l’humanité de tous les temps et du monde entier (AG 2) ; c’est l’auto
révélation de Dieu comme celui qui aime le monde ; c’est l’implication de Dieu dans le monde et
avec le monde, à laquelle l’Église a le privilège de pouvoir participer – comme sacrement et
instrument qui porte à la réalisation du plan du salut de Dieu entre tous les hommes. La Missio Dei
annonce la Bonne Nouvelle que Dieu est un Dieu -pour- les - hommes10
. Par contre, les « Missions
au pluriel » font penser aux entreprises spécifiques à travers lesquelles les hérauts de l’Évangile ont
été envoyés par l’Église dans le monde prêcher (évangéliser) et implanter l’Église au milieu des
peuples ou groupes qui ne connaissent pas encore Jésus-Christ (AG 6) ; ce sont les missions
ecclésiales. C’est donc une référence à des formes particulières de participation à la Missio Dei, se
rapportant aux temps, aux lieux et aux nécessités spécifiques11
.
Dans le langage technique actuel, le terme Missions est d’usage ecclésiastique pour
désigner un travail précis de ministère et il a l’avantage de se donner à des dérivés intéressants :
missionnaire (adjectif), missionnaires (substantif), missions (stations ou régions). Toutefois, dans le
passé, l’on a évité toute ambiguïté distinguant les « missions extérieures » des « missions
paroissiales » pendant que Vatican II n’a repris que le terme de missions et activités
missionnaires12
.
I. 2. Du concept de l’évangélisation
Évangélisation est un terme récent né à l’intérieur de la littérature missionnaire protestante
parce que dans les temps anciens, tant à la période apostolique qu’à l’époque médiévale, pour
indiquer le devoir apostolique de l’Église on utilisait des termes comme: “enseigner les nations”,
“prêcher la Parole”, “annoncer l’Évangile”, “proclamer la Bonne Nouvelle”, “propager la Foi”,
8 André SEUMOIS, Corso di teologia sistematica. Teologia missionaria(12), EDB, Bologna 1993, p. 20.
9 Idem.
10 F.-A. OBORJI, Teologia della missione, p. 8.
11 Ibid., pp 8-9.
12 André SEUMOIS, ibid.,p. 22.
3
“procurer le salut”, etc...13
. Quant à son utilisation pour la première fois, d’aucuns pensent à A. Duff
qui avait lié profondément l’annonce de l’Évangile au devoir éducatif. Ce dernier au cours de son
voyage en 1854 en Amérique du Nord, soulignant l’urgence de la question missionnaire,
prononcera un discours dans lequel il soutiendra que « le point fondamental du commandement
divin pour l’évangélisation du monde est un enseignement fidèle et une annonce de l’authentique
Évangile du salut »14
. A partir de cette conférence, est né le terme évangélisation et sera utilisé dans
le langage de l’Église protestante dans le cadre missionnaire.
Le résultat de l’usage de la terminologie ainsi née était l’urgence du salut des païens,
l’urgence de l’annonce de l’Évangile à tous ; ainsi, l’évangélisation avait comme objectif : faire
connaître Jésus Christ dans le monde entier. A la conversion suivait donc le baptême et
l’organisation des Église indigènes autosuffisantes. « La valeur de ces premiers pas, dit Colzani,
consiste dans l’affirmation de la centralité du Christ et de son Évangile, mais on ne peut pas ne pas
cueillir aussitôt leurs limites : cette évangélisation manque de sens eschatologique, concentrée
comme elle est sur une histoire concrète qui, malheureusement analyse sans trop de réalisme une
donnée qui ne prend pas en compte la valeur des cultures et des religions indigènes »15
.
Pour Colzani donc, cette façon de voir favorise l’apport d’une civilisation occidentale et
ne peut réussir à dialoguer avec le nationalisme qui s’est présenté comme le vrai interlocuteur de
l’Occident, après la première guerre mondiale16
. Pour résoudre cette difficulté, A. Mc Leish passera
du terme évangélisation au terme « Évangélisme » en démontrant que l’évangélisation n’est ni
civilisation ni christianisation, et ne doit en aucun cas être lié tant au monde occidental qu’à
l’institution ecclésiale, mais elle consiste fondamentalement dans l’annonce de l’Évangile,
confirmée par le témoignage de vie de l’annonciateur. Cet intérêt au témoignage de l’évangélisateur
met l’attention sur les diverses configurations de leadership ecclésial et aide à redécouvrir la
multiplicité des ministères ecclésiaux dans les premières communautés chrétiennes, surtout le
ministère des évangélistes ; et on récupère ainsi la dimension charismatique de l’Église17
.
Quant au monde catholique, Colzani présente P.A. Liégé comme le premier à affronter ce
thème dans son article du 1956 publié dans la revue Catholicisme IV, Paris 1956, coll. 756-764,
intitulé Évangélisation. Le même Liégé parlera de l’évangélisation comme un thème récent qui
serait venu du monde protestant, et un thème dont la préoccupation naîtrait de la reconnaissance de
la diminution de la Foi dans la société d’ancienne chrétienté18
. Tandis que plus tard, D. Grasso en
1961, dans son article publié dans la revue « Gregorianum » proposera de réserver ce terme
évangélisation à la prédication missionnaire, c’est-à-dire à la première annonce du Christ à ceux qui
ne le connaissent pas encore, et qui dans les Écritures serait en fait le Kérygme. C’est en réalité,
conclut Colzani, le Concile Vatican II à imposer définitivement le terme évangélisation19
.
Ainsi, le terme évangélisation revêt plusieurs connotations, selon l’accent que l’un ou
l’autre auteur lui donne. Toutefois, l’on n’oubliera pas que Mission et Évangélisation sont liées
entre elles dans les objectifs à atteindre, de même que dans l’objet de leurs procédures, à savoir
« Annoncer Jésus-Christ et son Évangile aux peuples ».
III. La mission à ses origines et certains problèmes de contexte
III. 1. Les débuts de la Mission
13
G. COLZANI, “Evangelizzazione”, in G. CALABRES – P. GOYRET – O.F. PIAZZA (edd), Dizionario di
Ecclesiologia, Città Nuova, Roma 2010, p. 659. 14
A. DUFF, Proceedings of the Union Missionary Convention Held in New York. May 4th and 5th 1854, New York
1854, cité par G. COLZANI, ibid., p. 660. 15
G. COLZANI, ibid., p. 660. 16
Idem. 17
Cfr Ibid., p. 660. Il commente A. McLeish, Jesus Christ and the World Evangelization. Missionary Princiles :
Christ’s or ours, London 1934). 18
P.A. LIEGE, art.cit, cité par G.COLZANI, ibid., p. 661. 19
G. COLZANI, Ibid.
4
Les trois premiers siècles d’histoire ont été marqués par la présence des martyres et des
saints ; ces derniers rappelaient à l’Église que son rôle n’est pas de s’enfermer dans les richesses et
le pouvoir. Plus tard, au Moyen-âge, à travers la Mission dont les protagonistes furent les Moines,
l’Église a construit la civilisation de l’Europe moderne, apportant au peuple européen l’Amour du
Christ et l’attention à l’humanité. Avec la découverte de l’Afrique Noire et celle de l’Amérique,
vers 1500, l’activité missionnaire connut une grande diffusion dans l’Église catholique même si l’on
doit souligner la tragique histoire du colonialisme avec lequel l’Europe s’est imposée sur les autres
peuples. En 1622, la fondation de la congrégation de Propagande Fide a servi à la libération de
l’activité missionnaire de la tutelle politique. Il s’est formé la conviction de la mission en soi avec
sa forme juridico institutionnelle. Le monde était vu comme divisé en deux : d’une part le monde de
la chrétienté établie (le grand Corpus Christianorum) et d’autre part le territoire missionnaire (le
monde non chrétien)20
.
Avant le Concile, la pratique missionnaire était destinée pour les pays outre-mer et elle se
limitait à l’élévation matérielle des infidèles moyennant des institutions sociales, médicales,
scolaires sur des modèles européens. Mais avec la sortie du livre de deux prêtres français assistants
de la JOC (H. Daniel et Y. Odin), sous la sollicitation du Cardinal Emmanuel Suhard (Archevêque
de Paris), en 1943, la conception de la mission changeait de vision. Ce corpuscule sous le titre
« France, pays de mission ?» démontrait une faible pratique religieuse dans les quartiers de Paris et
affirmait par le fait même que la mission était également présente en Europe. L’avantage de cette
révolution était de libérer la mission des entraves coloniales pour l’introduire dans les réflexions
théologiques tenant compte des autres défis modernes21
. Cette révolution inspira trois théologiens
français : Henri de Lubac qui dans son livre traçait le chemin d’une théologie des religions,
soutenant que la destination naturelle de l’homme est la félicité22
; Yves Congar qui soutenait que
dans sa mission, l’Église doit toujours tenir compte du Règne qu’elle doit réaliser23
; Placide
Tempels qui traçait le chemin vers le grand défi de l’inculturation, soulignant la relation entre
l’Évangile et les éléments de la culture locale bantu24
. A côté de ces théologiens, l’on notera les
interventions des papes dans quatre encycliques missionnaires jusqu’au concile Vat. II25
, durant le
Concile avec le décret Ad Gentes, et après le Concile avec l’exhortation apostolique post synodale
Evangelii Nuntiandi de PAUL VI et l’encyclique Redemptoris Missio de JEAN-PAUL II26
.
Aujourd’hui plus que jamais, la mission dans sa pratique doit continuer à affronter les
grands défis du monde contemporain comme l’inculturation, le dialogue interreligieux, la libération
de la femme, l’esclavage, la promotion humaine, la globalisation, etc. Aujourd’hui, la mission doit
être conçue à partir de sa dimension théologique, partant de la relation de Dieu avec le monde. A ce
point, la mission part de la vocation théologique de chaque chrétien et personne n’y échappe27
.
Bon nombre de phénomènes religieux surgis surtout en Afrique, ont influencé la mission.
Tous ces phénomènes n’ont pas eu seulement un effet négatif mais aussi positif sur le
développement de l’activité missionnaire. L’abondance des missions religieuses et la floraison des
mouvements prophétiques depuis le 18è siècle, en Afrique en général et au Congo en particulier
sont la preuve tangible d’un sentiment religieux qui a enveloppé la mission ancienne. On notera que
l’objectif principal pour la plupart des mouvements prophétiques surgis au Congo par exemple était
la libération du peuple africain de l’emprise politique - religieuse étrangère, soit de revenir aux
valeurs africaines de foi vécue dans la liberté authentique. Malgré la forte pénétration du
Christianisme en Afrique au 15è-18è siècles et au 19è-20è siècles, on remarque également une
20
Cfr G. BUONO, Missiologia. Teologia e prassi, Paoline, Milano 2000, pp. 17-18. 21
Cfr Ibid., p. 18. 22
Cfr H. de LUBAC, Cattolicismo, Jaca Book, Milano 1979. 23
Cfr Y.M. CONGAR, Jalons pour une Théologie du laïcat, Cerf, Paris 1953. 24
Cfr P. TEMPELS, La philosophie bantoue, Présence africaine, Paris 1965. 25
BENOÎT XV, Maximum Illud, ; PIE XI, Rerum Ecclesiae,; PIE XII, Summi Pontificatus, et Evangelii praecones,;
JEAN XXIII, Princeps pastorum. 26
Cfr PAUl VI, Evangelii Nuntiandi ; JEAN-PAUL II, Redemptoris Missio. 27
Cfr J.A. BARREDA, Missionologia. Studio introduttivo, Edizioni San Paolo, Milano 2003, p. 11.
5
naissance et une croissance des Églises indépendantes. Les raisons de cette naissance sont entre
autres le fait que l’Afrique en cette période était dotée des infrastructures modernes facilitant
grandement l’œuvre de l’évangélisation, malgré la domination du Noir par le Blanc. Ce
comportement de la part des colonisateurs provoqua une réaction de la part du peuple africain qui,
non seulement voulait se débarrasser politiquement du colonisateur, mais aussi religieusement,
c’est-à-dire développait le sentiment d’une incarnation plus profonde de la foi chrétienne dans la
personnalité africaine28
.
III. 2. Certains problèmes dans le contexte de la Mission
Selon Karl Mǖller, le plus grand problème à noter est celui de l’herméneutique. Ce dernier
se pose à trois dimensions, à savoir le rapport entre les Écritures et la mission, le rapport entre la
situation (géographie) et la mission, et enfin le rapport entre le témoin et le témoignage29
:
En ce qui concerne le rapport entre les Écritures et la mission, Karl Mǖller, citant Gerhard
Rosenkranz, trouve que la norme du jugement reste seulement « l’exégèse du témoignage biblique »
avec sa tension dialectique entre la connaissance scientifique et la connaissance de la clarté de Dieu
sur le visage de Jésus-Christ30
. Ainsi, on pense en un premier moment, selon la position bibliste,
que les affirmations scripturaires sont à mettre sur le même plan tant ceux de l’Ancien que ceux du
Nouveau Testament ; on partira donc du prophète Jonas à travers le rôle d’Israël comme « lumière
des païens » jusqu’à la mission des Apôtres31
. En un deuxième moment, on pense que la mission
chrétienne trouve son fondement seulement dans l’agir même de Dieu dans le Kérygme ; la mission
est donc seulement l’annonce du Kérygme et précisément l’annonce dans la forme paulinienne de la
justification du pêché qui constitue le nœud de l’Écriture. Ici, pour fonder la pratique missionnaire
on ne demande ni le renvoi à passages bibliques déterminés ni la référence à une évolution
salvifique - apocalyptique, ni même une particulière structure de la mission capable de s’occuper
continuellement de sa fondation spécifique. On pense donc que la mission doit être fondée partant
des deux positions précédentes mises ensemble : celle historique (celle de l’exégèse du témoignage
biblique) et celle actuelle (celle du kérygme paulinien), c'est-à-dire l’appel à l’histoire et la réponse
de la Foi. Ainsi, le témoignage de l’Écriture résulte l’élément constitutif de la mission autant pour la
manière que pour le contenu. On n’ira plus à chercher des simples passages bibliques pour fonder la
mission parce que ce sont les écrits du Nouveau testament qui constituent désormais le témoignage
missionnaire. L’écriture non seulement informe ou enseigne sur les possibles conceptions de la
mission, mais elle montre la proclamation missionnaire en application comme un événement qui
peut être séparé de l’Évangile. Aussi pour le contenu, la mission chrétienne trouve son fondement
dans l’annonce salvifique du Christ comme Sauveur des pécheurs du moment que cette annonce
implique l’appel de tous les hommes de tous les temps et de tous les continents, à prendre part à ce
salut ; non pas dans le sens que toutes ces possibles organisations de la mission seraient légitimées,
mais dans le sens que la mission chrétienne de tous les temps trouve son règlement critique dans le
témoignage de Foi de l’Écriture32
.
Quant au rapport entre la situation et la mission, l’accent est mis sur le contexte, sur
l’annonce et sur la théologie contextuelle. L’Évangile doit être annoncé tenant compte de la
situation historique, dans l’espace et dans le temps. Le monde et l’histoire deviennent donc
éléments constitutifs de l’annonce en tant que ouverture au futur eschatologique. L’annonce
chrétienne est ouverte sur le monde et sur l’histoire dans toute sa grandeur et variété, et ne peut être
emprisonné dans des normes et des valeurs d’un contexte déterminé33
. Dans la communication
28
Cfr J. BAUR, Storia del cristianesimo in Africa, EMI, Bologna 1997, pp. 9-11. 29
Cfr. K. MǕLLER, Teologia della missione. Una introduzione, EMI, Bologna 1991, pp. 32-40. 30
Cfr G. ROSENKRANZ, “Missionswisseschaft, Erbe und Auftrag”, in EMZ 25, 1968, p. 190, cité par K. MULLER,
ibid., p. 33. 31
Cfr Idem. 32
Cfr Idem., pp. 35-36. 33
Cfr K. MǕLLER, op. cit. pp, 36-37.
6
missionnaire qui est plus qu’une remise d’une annonce, il y a une double responsabilité
herméneutique : en un premier moment, expliquer autant l’identité de l’objet missionnaire que les
modalités caractéristiques du monde qui doivent tous les deux entrer en jeu avec la nouvelle
réponse que l’on attend de la nouvelle situation de communication. Tandis qu’en un deuxième
moment, la mission doit continuellement tenir sous contrôle critique son rayon d’action afin de
s’assurer qu’il est suffisamment ample pour rejoindre les diverses réalités culturelles, sociales ou
religieuses qu’elle a en face et pouvoir ainsi stimuler une réponse authentiquement nouvelle34
.
Dans le rapport entre le témoin et le témoignage, il s’agit de la parole objective du témoin.
Pour que cette parole arrive à destination, il faut l’intervention du témoin qui doit répondre de son
témoignage avec tout ce qu’il est et il a, y compris le contexte de la tradition d’où il vient. Le
problème de la crédibilité du témoin est un problème structurel de n’importe quelle annonce de
l’Évangile, un problème qui freine toute la chrétienté occidentale dans ses contacts avec les
hommes du Tiers Monde. Les exemples sont nombreux : demande d’un « monitorage » de la
mission occidentale de la part des Églises africaines aux années 70, problème de la solidarité avec
les pauvres et les marginalisés comme critère de la crédibilité du témoin35
.
Toutefois, à côté du problème herméneutique soulevé par Karl MǕLLER, il y a
également, à notre avis, le problème de la méthodologie et des stratégies missionnaires pour
l’annonce de la Bonne Nouvelle. Ce problème se présente sous une forme théologique, pratique et
pastorale. Toutefois, il recourt aux sciences parallèles qui étudient l’homme et son comportement
(psychologie, anthropologie, philosophie…), sans oublier la communication36
. On n’oubliera pas
également toutes les situations économiques, culturelles, politiques, légales qui règlent la vie de
l’homme à qui la Parole de Dieu est annoncée.
IV. La mission dans l’Ad Gentes, dans Evangelii Nuntiandi et dans la Redemptoris Missio
IV. 1. Ad Gentes
Les circonstances et le contexte de l’après guerre, avec toutes les transformations dans le
monde et dans l’Église, avec la récupération des cultures indigènes, obligeaient à repenser la
mission de l’Église et les missions à travers le monde37
. La mission devait être réorganisée sans plus
la lier à l’hégémonie occidentale mais en tenant compte des circonstances des peuples à qui
l’Évangile devait être annoncé. Ainsi donc, tout en tenant à l’unité et l’unicité de la mission, Ad
gentes souligne sa diversité d’opération selon les changements des lieux, des hommes et des
circonstances38
.
Dans l’histoire de la formation du décret39
, on note plusieurs interventions des Pères qui
peuvent se résumer dans un souci unique : proposer une nouvelle théologie missionnaire non plus
basée sur la distinction entre terres de mission et terres chrétiennes mais basée sur un sens universel
de la mission40
. Ainsi, l’idée de l’universalité de la mission vient prendre la place de l’idée de la
34
Cfr Ibid, pp, 37-38. 35
Cfr Ibid., pp. 38-40. 36
Cfr A.J MAMBUENE YABU, op. cit. 37
Cfr Y. CONGAR, “La Mission dans la théologie de l’Église”, in Repenser la Mission, Desclée de Brouwer, Bruges
1965, pp. 53-78 ; A. LAURENTIN – M.J. LE GUILLOU, « La mission comme thème ecclésiologique », in Concilium
2 (1966), pp. 75-116 et autres. 38
Cfr Ad Gentes n° 6 39
L’on peut voir l’histoire de la formation du décret Ad Gentes dans les suivants écrits : J. SCHÜTTE (éd.), Il destino
delle missioni. Il successo o il fallimento delle missioni dipende dal loro radicale ripensamento, Herder-Morcelliana,
Roma-Brescia 1969; G. COLZANI, “Storia e contenuti del Decreto “Ad Gentes””, in Convegno per il 40è Anniversario
del decreto “Ad Gentes”, Conférence à L’Università Urbaniana à Rome, s.d., Manuscrit.; “Disceptatio. 1-Schema
Propositionum de Activitate Missionari Ecclesiae”, in Acta synodalia Sacrosanti concilii oecumenici vaticani II, Vol.
III: periodus Termia, Pars VI: Congragationes Generales CXII-CXVIII, Typis Polyglottis Vaticanis, Città del Vaticano
1975, etc. 40
Cfr S. PAVENTI, “Iter dello schema ‘De activitate missionali Ecclesiae’”, in J. SCHUTTE (éd.), Il destino delle
missioni, p. 74.
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conversion individuelle, c’est-à-dire tous sont appelés à être héritiers et participants à la promesse
en Jésus-Christ, à travers l’Évangile ; c’est pourquoi, le service apostolique de l’Église doit
continuer jusqu’à la fin du monde, jusqu’à la réalisation du dessein divin41
. Considérant donc
l’histoire humaine, on peut réunir tous les peuples au Christ, dans son Corps Mystique et entre
eux42
.
En effet, le décret conciliaire “de Missionibus” devenu après “Schema decreti de activitate
Missionali Ecclesiae”, approuvé le 7 décembre 1965 avec 2394 voix en faveur sur 5 seulement
contraires43
, avec le nom actuel de Ad Gentes, entraîne avec soi une longue histoire de son
élaboration présentée par Monseigneur Saverio Paventi qui était alors le secrétaire44
. On notera en
passant que le premier plan “de Missionibus”, qui devint “Schema Propositionum de Activitate
Missionali ecclesiae”, fut refusé par les Pères parce que ses propositiones mettaient l’accent sur
l’aspect pratique et juridique de la mission au lieu de faire une vraie théologie de la mission45
;
travail abattu dans le débat du 6 au 9 Novembre 1964 jusqu’à arriver au schéma final “Schema
decreti de Activitate Missionali ecclesiae”. Après tous ces interventions, on a conclu par les
modalités de “fonder la mission sur la volonté salvifique de Dieu et sur la seigneurie universelle du
Ressuscité, c’est-à-dire le Règne de Dieu et le salut du Christ (partant du préjugé selon lequel
qu’ils) sont déjà présents dans le monde, de façon cachée, avant le travail missionnaire. On a donc
donné une grande importance aux cultures des peuples dans un vraie et propre rencontre entre
l’Église et les cultures46
.
Au delà de ces interventions, des théologiens en la personne de Josef Ratzinger et Yves
Congar ont cherché à traiter de la mission en rapport avec la constitution “De Ecclesia”, c’est-à-dire
Lumen Gentium47
et ont démontré que la mission est l’essence de l’Église, sa croissance vitale non
seulement dans le sens numérique mais aussi dans le sens de la dilatation du Corps Mystique du
Christ48
. Cette vision renvoie à considérer la mission pour tout le peuple de Dieu et non pas
seulement pour les missionnaires, c’est-à-dire que la mission prend une vision universelle et ne
s’arrête pas à un principe particulier. Dans son intervention, J. Ratzinger concrétise le désir d’un
traité théologique de la mission, capable de répondre aux nouveaux problèmes de notre époque,
renvoyant tous les problèmes de la mission à la constitution dogmatique Lumen Gentium (n. 13 et
17)49
. Pour ce théologien donc, l’approche à l’Ad Gentes doit se référer aux numéros 13 et 17 de la
Lumen Gentium, parce que ces numéros lient d’une part la Catholicité à la Révélation personnelle
de Dieu dans l’envoie de son Fils, héritier de toutes les choses et de l’Esprit Saint, principe de
communion et d’unité50
, d’autre part ils lient la Création à l’Eschatologie à travers l’action
rédemptrice et réconciliatrice du Christ. Voilà pourquoi l’être de l’humanité sous l’autorité
41
Cfr Intervention du Cardinal BEA in Acta synodalia Sacrosanti concilii oecumenici Vaticani II, Vol III, cit., 367 42