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Thse pour obtenir le grade de docteur en droit
Discipline : Finances publiques et fiscalit
Cline WRAZEN
FISCALIT ET RCIPROCIT
VERS UNE MUTATION DES RELATIONS ENTRE
LADMINISTRATION FISCALE ET LE CONTRIBUABLE
Soutenue le 25 novembre 2011 14h30
Sous la direction de Monsieur le Professeur Jean-Luc ALBERT
JURY
M. Le Doyen Jean-Luc ALBERT, Professeur lUniversit dAuvergne
M. Martin COLLET, Professeur lUniversit Paris XI Sud,
Rapporteur
Mme Marie-Christine ESCLASSAN, Professeure lUniversit Paris I
Panthon-Sorbonne
M. Marc LEROY, Professeur lUniversit de Reims-Champagne
Ardennes, Rapporteur
M. Le Doyen Olivier NGRIN, Professeur lUniversit Lumire Lyon
2
M. Le Doyen Luc SAJD, Professeur mrite lUniversit Jean Moulin
Lyon 3
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FISCALIT ET RCIPROCIT
VERS UNE MUTATION DES RELATIONS ENTRE
LADMINISTRATION FISCALE ET LE CONTRIBUABLE
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LUniversit Jean Moulin Lyon 3 nentend donner
aucune approbation ni improbation aux opinions mises
dans les thses ; ces opinions devront tre considres
comme propres leurs auteurs.
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AAVVAANNTT--PPRROOPPOOSS
Mes premires penses sont adresses mon directeur, M. le Doyen
Jean-Luc ALBERT. Sa
confiance, sa tnacit, ses encouragements, ses conseils et son
aide perptuels ont t de
prcieux relais, rendant notre coopration toujours plus
fructueuse, et mon chemin
lUniversit toujours plus riche.
Je pense bien videmment au Prsident Daniel RICHER, Magistrat et
ancien Professeur,
source originelle du thme de ce travail, intarissable de
conseils et de soutien.
Je tiens galement remercier M. Jean-Jack EMSALEM, Inspecteur des
impts et Matre de
confrences associ lUniversit Jean Moulin Lyon 3, pour son aide
continuelle, quil
sagisse de ce travail ou bien de mon parcours lUniversit. Il a
notamment permis ma
rencontre avec Alain BELLE, Inspecteur la Mission Communication
de la Direction
Rgionale des Finances Publiques de la rgion Rhne-Alpes et du
Rhne, rencontre riche tant
sur le plan fiscal que culturel. Quil soit ici vivement remerci,
ainsi que plusieurs agents de
lAdministration fiscale qui se reconnatront pour leurs
confidences et anecdotes.
Jexprime toute ma gratitude au Doyen Luc SADJ, Professeur mrite
de lUniversit Jean
Moulin Lyon 3, qui a rvl la dynamique du sujet de cette tude,
grce ses remarques
innovantes et indulgentes, fcondes et rigoureuses.
Je remercie M. le Doyen Olivier NGRIN, Professeur la Facult de
Droit de lUniversit
Lumire Lyon 2, qui ma donn le got du droit fiscal et qui a
enrichi ce travail de sa raison.
Je remercie galement lensemble des intervenants de la Socit
Franaise de Finances
publiques pour les changes raliss, placs sous le signe du
partage et du progrs.
Je remercie enfin toute lquipe du Centre dtudes et de Recherches
en Finances publiques et
Fiscalit (CERFF), tour tour, pour leur disponibilit et leurs
encouragements.
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Mon conjoint et ma fille, pour leur amour et leur confiance,
Mes proches, pour leur soutien et leur patience.
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Les changes entre les humains sont
dirigs par un principe fondamental : la
rciprocit. Lquilibre des relations en
dpend. 1
La rciprocit est donc, quil sagisse de
cooprer ou de lutter, dans lessence
mme des rapports sociaux, donc du
droit. 2
1 Isabelle FILLIOZAT, Fais-toi confiance ou comment tre laise en
toutes circonstances, Marabout, Psy,
2008, p. 71. 2 Paul REUTER, Prface , p. I, in Emmanuel DECAUX,
La rciprocit en droit international, L.G.D.J.,
Bibliothque de droit international, 1980, 371 p.
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TTAABBLLEE DDEESS PPRRIINNCCIIPPAALLEESS
AABBRRVVIIAATTIIOONNSS
AJDA Actualit juridique Droit administratif
aff. Affaire
al. Alina
AMR Avis de mise en recouvrement
art. article
ATD Avis tiers dtenteur
BA Bnfices agricoles
BDCF Bulletin des conclusions fiscales
BF Bulletin fiscal Francis Lefebvre
BGFE Bulletin de gestion fiscale des entreprises Francis
Lefebvre
BIC Bnfices industriels et commerciaux
BNC Bnfices non commerciaux
BOCP Bulletin officiel de la comptabilit publique
BOI Bulletin officiel des impts
Bull. Bulletin
c./ contre
CA Cour dappel
CAA Cour administrative dappel
CAD Comit de labus de droit
Cass. Civ. Chambre civile de la Cour de cassation
Cass. Com. Chambre commerciale de la Cour de cassation
Cass. Crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation
CCRAD Comit consultatif de la rpression des abus de droit
CIF Commission des infractions fiscales
CIJ Cour internationale de justice
Cons. const. Conseil constitutionnel
C. comptes Cour des comptes
C. douanes Code des douanes
CE Conseil dtat
CE Ass. Assemble du Conseil dtat
CE sect. Section du Conseil dtat
CEDH Cour europenne des droits de lHomme
CESDH Convention europenne de sauvegarde des droits de lHomme
et
des liberts fondamentales
CET Contribution conomique territoriale
Cf. Confer, se reporter
CGI Code gnral des impts
chron. chronique
CJCE Cour de justice des Communauts europennes
CJUE Cour de justice de lUnion europenne
CNIL Commission nationale de linformatique et des liberts
coll. collection
comm. commentaire
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Concl. Conclusions
CPO Conseil des prlvements obligatoires
CRDS Contribution pour le remboursement de la dette sociale
CSG Contribution sociale gnralise
CSP Contrle sur pices
D. Recueil Dalloz
DC Dcision du Conseil constitutionnel
DDFiP Direction dpartementale des Finances publiques
DDHC Dclaration des Droits de lHomme et du Citoyen
DEFP Dictionnaire encyclopdique des finances publiques
DF Revue de droit fiscal
DGCP Direction gnrale de la comptabilit publique
DGDDI Direction gnrale des douanes et des droits indirects
DGE Direction des grandes entreprises
DGFiP Direction gnrale des finances publiques
DGI Direction gnrale des impts
DRFiP Direction rgionale des Finances publiques
sous la dir. de sous la direction de
DUDH Dclaration Universelle des Droits de lHomme
d. ditions
ESFP Examen contradictoire de la situation fiscale
personnelle
FONDAFIP Association pour la Fondation Internationale de
Finances
publiques
GAJA Grands arrts de la jurisprudence administrative
GAJFin. Grands arrts de la jurisprudence financire
GAJFis. Grands arrts de la jurisprudence fiscale
Gaz. Pal. Gazette du Palais
GFP Gestion et Finances publiques
HT Hors taxes
Ibidem Au mme endroit
IFA International Fiscal Association
IFU Interlocuteur fiscal unique
IGF Inspection Gnrale des Finances
in dans
instr. instruction
IR Impt sur le revenu
IS Impt sur les socits
ISF Impt de solidarit sur la fortune
J. Cl. Fis. Jurisclasseur Fiscal
JCP G Semaine juridique, dition gnrale
JO Journal officiel de la Rpublique franaise
L.G.D.J Librairie gnrale de droit et de jurisprudence
LPA Les petites affiches
LPF Livre des procdures fiscales
LRAR Lette recommande avec accus de rception
MEDEF Mouvement des entreprises de France
MPR Mmorial des percepteurs et des receveurs (devenu Revue
de
Finances locales)
M Million(s) deuro
Md Milliard(s) deuro
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MOA Comit fiscal de la mission dorganisation administrative
n numro
NB Notes bleues de Bercy, Ministre des Finances
NF Nouvelles fiscales
NIR Numro dinscription au rpertoire national didentification
des
personnes physiques ou numro INSEE
NTIC Nouvelles technologies de linformation et de la
communication
ou TIC, Technologies de linformation et de la communication
OCDE Organisation de coopration et de dveloppement
conomiques
op. cit. opere citato, ouvrage prcit
p. page(s)
PAD Ple des agents en difficult
Pln. Arrt du Conseil dtat toutes chambres runies
PME Petites et moyennes entreprises
PRS Ple de recouvrement spcialis
PUF Presses universitaires de France
QPC Question prioritaire de constitutionnalit
RDP Revue du droit public et de la science politique
Rec. Recueil officiel des dcisions du Conseil dtat (Lebon)
REP Recours pour excs de pouvoir
Rev. Tr. La Revue du Trsor, devenue Gestion et Finances
publiques
RFAP Revue franaise dadministration publique
RFFP Revue franaise de finances publiques
RFL Revue de Finances locales
RGPP Rvision gnrale des politiques publiques
RJEP Revue juridique de lconomie publique
RJF Revue de jurisprudence fiscale
RSF Revue de science financire
RSLF Revue de science et de lgislation financires
S. Recueil Sirey
SIE Service des impts des entreprises
SIP Service des impts des particuliers
SIPE Service des impts des particuliers et des entreprises
s. suivant(e)(s)
St Socit
TA Tribunal administratif
TFPB Taxe foncire sur les proprits bties
TFPNB Taxe foncire sur les proprits non bties
TGI Tribunal de Grande Instance
TH Taxe dhabitation
TP Taxe professionnelle
TPG Trsorier-payeur gnral
TVA Taxe sur la valeur ajoute
UE Union Europenne
URSSAF Union de recouvrement des cotisations de scurit sociale
et des
allocations familiales
Vol. Volume
ZFU Zone franche urbaine
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SSOOMMMMAAIIRREE
PREMIRE PARTIE LA RCIPROCIT SYSTMATIQUE : VERS
UNE UNILATRALIT RDUITE
Titre 1 Labsence prsume de la rciprocit
Chapitre 1 La rciprocit objective inhrente au systme fiscal
Chapitre 2 La rciprocit subjective acquise par le systme
fiscal
Titre 2 La prgnance avre de la rciprocit
Chapitre 1 La rciprocit dialogique fonde sur les acteurs
Chapitre 2 La rciprocit institutionnelle fonde sur les
outils
SECONDE PARTIE LA RCIPROCIT TOPIQUE : VERS UN
QUILIBRE RENOUVEL
Titre 1 La rciprocit-protection dans la procdure dimposition
Chapitre 1 Un commencement de scurit : les instruments
rciprocitaires
Chapitre 2 Laboutissement de la scurit : des dispositifs
contractualistes ?
Titre 2 La rciprocit-proportion dans la procdure
contentieuse
Chapitre 1 Un mode de rsolution du gracieux et du prcontentieux
: la rciprocit
asymtrique
Chapitre 2 Un mode dorganisation du contentieux juridictionnel :
la rciprocit
symtrique
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IINNTTRROODDUUCCTTIIOONN GGNNRRAALLEE
Donnez, ladministration fiscale vous le rendra ! 3. Cette
illustration de la
rciprocit issue du lien existant entre le don et la rduction
dimpt pourrait tre transpose
la relation unissant le contribuable lAdministration fiscale. La
rciproque serait tout autant
valable : donnez (sous-entendus les agents de lAdministration
fiscale), le contribuable vous
le rendra ! . Cest sur ce postulat de dpart que se fonde le
prsent travail, la recherche de
rciprocit dans les relations unissant lAdministration fiscale au
contribuable, dont la
difficult est aisment explicite par une formule de Maurice
COZIAN, savoir, la rciprocit
dans les relations Administration fiscale/contribuable, Vritable
antinomie ou apparente
oxymore 4 ?
Vritable antinomie car le principe de lgalit de limpt ou encore
le pouvoir
discrtionnaire de lAdministration5, affuble de divers
qualificatifs, que ce soit dans la
presse6 ou au sein de nombreux ouvrages juridiques ou non
juridiques - : dictature
7,
inquisition8, Gestapo
9 et autres pamphlets, ne semblent pas faire prsider la
rciprocit au sein
de ces relations.
3 Tel est le titre dun article de Rmi GOUYET paru aux Petites
Affiches, 10 octobre 2001, n 202, p. 4 et s. Il
traite des dons effectus par les contribuables qui ouvrent droit
une rduction dimpt offerte par
lAdministration fiscale conformment la loi fiscale. 4 Expression
emprunte Maurice COZIAN, Propos dsobligeants sur une tarte la crme
: lautonomie et
le ralisme du droit fiscal , DF 1999, n 13, p. 530 et s.
Loxymore est une figure de style qui consiste
placer lun ct de lautre deux mots opposs (antonymes). 5 Pour
plus de dtails sur ce point, cf. la thse de Stphane BUFFA, Le
pouvoir discrtionnaire de
ladministration fiscale, (sous la dir. de) Bernard CASTAGNDE,
Universit Paris 1, 2011, 491 p. 6 Thierry LAMBERT, Le contribuable
face ladministration fiscale , in Psychologie et science
administrative, PUF, CURRAP, 1985, p. 104. Lauteur donne les
rfrences darticles du Figaro-Magazine, du
Point et du Monde. 7 Robert MATTHIEU, chec la dictature fiscale,
Albin Michel, Jean MONTALDO prsente, 1991, 392 p.
8 Edgard ALLIX, Linquisition fiscale , Revue politique et
parlementaire, 1922, p. 30, in Sophie
RAIMBAULT DE FONTAINE (sous la dir. de), Doctrines fiscales, la
redcouverte des grands classiques,
LHarmattan, Finances publiques, 2007, p. 58.
Marc LEROY utilise galement cette expression d inquisition
fiscale dans son ouvrage, La sociologie de
limpt, PUF, Que sais-je ?, 2002, p. 34 : Le juge intervient
aussi pour prciser la porte des textes et viter les
drives ou linquisition fiscale. 9 Andr FIGURAS, La Gestapo
fiscale, d. A. FIGURAS, 1977, 222 p.
-
20
Apparente oxymore car ne lit-on pas dj en 1926, dans une note
interne de
lAdministration fiscale, que Les rapports entre contribuables de
toutes catgories et agents
de lAdministration tous les degrs doivent tre empreints de
confiance rciproque 10
?
Cette volont de rciprocit devait entraner de facto la
constatation, dans un des
domaines fondamentaux de lactivit de la Puissance publique,
savoir lever limpt, de cette
notion attache, en gnral, tantt au droit international, tantt au
droit des obligations. En
effet, la richesse intrinsque de ce concept pourrait permettre
lapplication de celui-ci la
matire fiscale le cas chant.
Toutefois, ses caractres polysmique et polymorphe, intemporel et
universel, ont fait
crire au Professeur Emmanuel DECAUX qu un clair-obscur trompeur
baigne la
rciprocit. Intuitivement chacun croit la connatre, avec cette
force de lvidence qui exclut
toute dfinition. Mais, sagit-il de lanalyser, la rciprocit
devient floue11
, incertaine,
vanescente. Lambigit est accrue par la richesse mme de la notion
qui chappe au
monopole dune discipline. La rciprocit simpose comme un grand
principe social, dautant
moins connu quil semble aller de soi, dautant moins prcis quil
joue partout 12
.
Dlicate circonscrire, il a paru intressant de savoir si elle
pouvait sappliquer en
fiscalit, et plus particulirement travers le prisme des
relations quentretiennent
lAdministration fiscale et le contribuable.
Un constat sest tout naturellement impos : terme juridique, la
rciprocit ne semble
pas a priori tre un caractre inhrent cette matire, encore moins
un qualificatif prsidant
aux relations unissant lAdministration fiscale au contribuable.
Il napparat dans aucun des
ouvrages relatifs la fiscalit, pas mme au sein de ceux traitant
des procdures fiscales. Sil
apparat dans les codes Code gnral des impts, Livre des procdures
fiscales, Code des
douanes ce nest principalement que sous langle du droit
international. Il ne sagirait
finalement pas dun terme courant du vocabulaire fiscal13
.
10
Ministre des finances, Nouvelles taxes ; recommandation au
service , note n 892, 12 avril 1926, cf.
Annexe 1. 11
Le mme constat est fait en sociologie puisque le Professeur Luc
RACINE, de lUniversit de Montral, a pu
crire que : Depuis une dizaine dannes, on a suggr que la notion
de rciprocit tait devenue si floue quil
valait mieux labandonner ou encore quelle tait si partielle et
statique quon devait, pour la conserver,
lintgrer au sein de concepts plus vastes , in Luc RACINE, Les
Formes lmentaires de la rciprocit ,
LHomme, 1986, tome 26, n 99. p. 97. Lauteur nuance toutefois
rapidement son propos puisquune telle vision
lui semble respectivement excessive et prmature . 12
Citation du Professeur Emmanuel DECAUX, La rciprocit en droit
international, L.G.D.J., Bibliothque de
droit international, 1980, 371 p., in Denis ALLAND, Stphane
RIALS (sous la dir. de), Dictionnaire de la
culture juridique, PUF, Lamy, Quadrige, Dicos poche, 2003, p.
1299, terme rciprocit . 13
Le terme rciprocit napparat pas dans lindex labor par Laure
AGRON dans sa thse, Histoire du
vocabulaire fiscal, L.G.D.J, Bibliothque de science financire,
tome 36, 2000, 536 p. Il apparat trs rarement
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21
La rciprocit constitue toutefois lun des quatre points cardinaux
dfinissant les
relations humaines, comme le souligne Philippe CHANIAL14
, ct du pouvoir, de la
violence et de la gnrosit. Le terme relation a donc son
importance puisque lessence des
choses devant nous rester toujours ignore, nous ne pourrons
connatre que les relations de
ces choses 15
.
La relation se dfinit comme le caractre de deux ou plusieurs
choses ou personnes
entre lesquelles existe un rapport, un lien. Elle est ce lien de
dpendance ou dinfluence
rciproque entre des personnes, un lien moral entre des groupes
16
. Il sagit donc de mettre
en vidence le ou les types de relations qui unissent
lAdministration fiscale au contribuable,
relation frquemment envisage comme un face--face. Si la locution
face place
demble les partenaires sur un pied dingalit [puisque] lun doit
obligatoirement se placer,
se situer vis--vis de lautre 17
, elle nempche pas la rciprocit de sexprimer.
Lgalit nest quune facette de celle-ci.
Il est vrai, cependant, que la relation existant entre le
contribuable et lAdministration
fiscale est bien oblige et il est juste de dire que cette
dernire bnficie dune certaine
situation de monopole, fondant une relation socialement
ncessaire laquelle il est
impossible et illusoire de prtendre chapper. 18
Pourtant, elle ne serait pas aussi caricaturale que la
prsentation en est
gnralement faite. 19
Si le fisc dispose dun pouvoir discrtionnaire20
, lingalit pouvant
au sein du Code gnral des impts, du Livre des procdures fiscales
et du Code des douanes, si ce nest pour
traiter de la rciprocit du droit international. 14
Philippe CHANIAL, Gnrosit, rciprocit, pouvoir et violence.
Esquisse dune grammaire des relations
humaines en cl de don, ditions La Dcouverte, La Revue du
M.A.U.S.S, fvrier 2008, n 32, p. 106. 15
Claude BERNARD, Introduction ltude de la mdecine exprimentale,
J. B. BAILLIERE et Fils, Libraires
de lAcadmie impriale de mdecine, 1865, p. 114. La phrase se
poursuit ainsi ; et les phnomnes ne sont
que des rsultats de ces relations. 16
Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau
Petit Robert de Paul ROBERT,
dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise,
version 2012, terme rciprocit . 17
Thierry LAMBERT, Le contribuable face ladministration fiscale ,
in Psychologie et science
administrative, PUF, CURRAP, 1985, p. 102. 18
Jacques CHEVALLIER, Ladministration face au public , in La
communication administration-
administrs, PUF, CURRAP, 1983, p. 15. 19
Thierry LAMBERT, Le contribuable face ladministration fiscale ,
in Psychologie et science
administrative, ibidem. 20
La notion de pouvoir discrtionnaire peut recouvrer plusieurs
acceptions possibles. Nous citerons les trois sens
principaux retenus par Claudine PREZ-DIAZ, Lindulgence, pratique
discrtionnaire et arrangement
administratif , Dviance et socit, 1994, Vol. 18, n 4, p.
397-398. Selon cette auteure, un premier sens
qualifie le pouvoir dapprciation, les normes respecter ne
pouvant ltre automatiquement sans faire appel
au jugement des autorits comptentes. Un deuxime sens fait
rfrence au pouvoir dun organe de prendre
une dcision en dernier ressort, sans recours et dans le contrle
dune autre instance. Enfin, le troisime
caractrise la prise de dcision dun organe qui nest pas li, en la
circonstance, par des normes prexistantes,
ce qui lui permet de crer ses propres normes. Ces trois sens
pourraient trouver sappliquer
lAdministration fiscale.
-
22
exister entre lAdministration fiscale et le contribuable ne
serait pas, ipso facto, un obstacle
la prsence de rciprocit dans leurs relations, car, si la
rciprocit peut tre symtrique, elle
peut aussi tre asymtrique, et par consquent trouver sappliquer
pleinement en fiscalit.
Enfin, une simple prsence ponctuelle de la rciprocit suffirait
emporter ladhsion,
peu importe quelle ne soit pas globale ou systmique, mme si au
final, elle semble
imprgner en filigrane les relations entre lAdministration
fiscale et le contribuable, une
modification de attributs de lun, pouvant entrainer une
modification de ceux de lautre.
Il convient de noter que le terme relation est au pluriel : ce
sont les relations entre
lAdministration fiscale et le contribuable qui seraient en
pleine mutation. Lemploi de ce
pluriel nest pas anodin, et traduit une autre richesse, celle de
la diversit de situations
pouvant exister entre ces deux protagonistes, sinon la diversit
des rapports pouvant exister
entre lAdministration fiscale et des contribuables
diffrencis21
. En effet, il ny a pas un
seul et unique mode de relation ladministration mais des modes
multiples, dont la diversit
sest accrue au fil de lexpansion administrative 22
.
La mutation de ces relations nest toutefois pas un constat
nouveau23
puisque dj en
1985, le Professeur Raphal DRA, crivait que Depuis une quinzaine
dannes la France
vit une vritable mutation de son systme administratif 24
, lorigine de changements
soprant dans ses relations avec les administrs, subissant au gr
des textes juridiques, mais
pas seulement, des transformations modifiant, plus ou moins
brusquement, pour reprendre la
dfinition biologique de la mutation25
, les caractres hrditaires du pass. Que ces
mutations soient spontanes ou provoques, elles semblent
profondes, durables et dominantes
faisant de lunilatralit un gne rcessif. Cest larchitecture mme
de lAdministration
21
Sur ce point, il existerait une intensit des relations tablies
avec lAdministration selon que les
administrs qui ont une position sociale stratgique et des
contacts privilgis ladministration a besoin de leur
concours actif pour russir dans ses entreprises ; elle finit par
nouer avec eux des relations rgulires et
rversibles d'changes. Ce qui ne serait pas le cas des administrs
" de base " qui ne disposent pas de
ressources suffisantes pour forcer laccs de ladministration et
tablir avec elle un vritable " dialogue " ,
Jacques CHEVALLIER, Ladministration face au public , in La
communication administration-administrs,
op. cit., p. 58. 22
Jacques CHEVALLIER, Ladministration face au public , in La
communication administration-
administrs, op.cit., p. 59. 23
Le terme mutation apparat dans de nombreux ouvrages ou articles.
Cf. par exemple B. DU MARAIS,
Rgulation, service public et dmocratie : une dcennie de
mutations , in Rgulation conomique et
dmocratie, (sous la dir. de) M. LOMBARD, Dalloz, Coll. Actes
2006, p. 41 et s ; Pepper D. CULPEPPER,
Peter A. HALL, Bruno PALIER (sous la dir.), La France en
mutation, 1980-2005, Les Presses de Science Po,
Gouvernances, 2006, 475 p. 24
Raphal DRA, Lapproche psychologique des ralits administratives ,
in Psychologie et science
administrative, op. cit., p. 9. Lauteur ajoute qu il apparat
bien quune modification systmatique et radicale
du systme administratif franais soit opre , p. 16. 25
Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau
Petit Robert de Paul ROBERT,
dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise,
op. cit., terme mutation .
-
23
fiscale, son squelette, qui est modifie, subissant une vritable
mutation de lintrieur -
gnique, chromosomique influenant directement ses contacts
extrieurs avec le
contribuable26
.
De fait, il convient de sinterroger sur le type de relation qui
unit lAdministration
fiscale au contribuable (tout en dlaissant, de faon globale,
lhtrognit de cette catgorie
dindividus), sous langle de la rciprocit, trois hypothses tant
envisages.
Soit la rciprocit est insignifiante au sein de ces relations, et
lorigine de leur
mutation est par consquent lie dautres concepts, dautres
volonts.
Soit la rciprocit, sans tre caractrise, est prsente mais
accessoire, et lon tentera
alors de dceler son impact, aussi infime soit-il, au sein de ces
relations.
Soit enfin, la rciprocit est influente au point dentraner une
vritable mutation des
rapports entre lAdministration fiscale et le contribuable, moins
quelle nait toujours exist.
Dans cette hypothse, il sagit de tenter de mettre en exergue les
diffrentes situations dans
lesquelles elle semble apparatre, pour dterminer ensuite si
cette influence, instigatrice de
changement, est bnfique ou non au sein de ces relations.
En effet, il est possible de noter que lAdministration fiscale
volue et avec elle ses
relations avec le public. Ainsi, de nombreuses dispositions en
faveur du rquilibrage des
devoirs et des droits de chacun ont t prises depuis plusieurs
dcennies. Dabsence de
relations un rapport dAdministration-administr, on assiste,
depuis une cinquantaine
dannes, lmergence de relations publiques27
en matire fiscale. Auparavant, rien
nexistait dans ce domaine, hormis le principe des fiscalistes
dantan [tel le contrleur gnral
des finances Jean-Baptiste COLBERT pour ne pas le citer] :
toujours veiller plumer la
volaille sans la faire crier 28
.
26
Jacques CHEVALLIER, Ladministration face au public , in La
communication administration-
administrs, op. cit., p. 38-39 : Limage ancienne dune
administration tutlaire et lointaine, charge de veiller
au maintien des quilibres sociaux n'a pas rsist lextension des
tches administratives () ; la vision
statique et dfensive du pass succde une approche dynamique et
offensive . 27
Le langage courant dfinit les relations publiques, terme issu de
l'anglais public relations, dont la forme
normale serait relations avec le public comme lensemble des
mthodes et des techniques utilises par des
groupements (entreprises, syndicats, partis, tats), et
spcialement par des groupements dintrt, pour informer
le public de leurs ralisations, promouvoir leur image de marque,
susciter de la sympathie leur gard
lextrieur et favoriser les bonnes relations lintrieur. Il
renvoie lide de communication, Josette REY-
DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert
de Paul ROBERT, dictionnaire alphabtique
et analogique de la langue franaise, op. cit., terme relations
.
Thierry LAMBERT confirme cette ide : Ladministration fiscale
dveloppe depuis quelques annes une relle
politique de relations publiques en vue dtablir et de maintenir
de bonnes relations avec les diffrents groupes,
aux intrts particuliers, qui forment son environnement. , Le
contribuable face ladministration fiscale , in
Psychologie et science administrative, op. cit., p. 114. 28
Jean DUBERG, Psychologie sociale de limpt et relations publiques
en matire fiscale , RFFP,
LAdministration fiscale, n 15, 1986, p. 85.
-
24
Par consquent, sil nexiste pas de rciprocit naturelle,
ladaptation de lorganisation
fiscale son environnement pourrait permettre la rciprocit ainsi
introduite de sexprimer,
au fil du temps. En effet, La relation
organisation-environnement est () dans tous les cas
une relation ambivalente, qui se caractrise par un mouvement
contradictoire
dattirance/rpulsion .29
Pour ce faire, elle peut sincarner dans des instruments
rciprocitaires, voire dessence
contractualiste30
, qui influencent, de faon plus ou moins croissante, lactivit
administrative,
et qui npargnent pas le droit fiscal, mais dont lessor est plutt
novateur dans ce domaine.
Ainsi, lassimilation de lAdministration fiscale un ogre dvorant
ou croquant le
contribuable selon les cas31
naurait plus lieu dtre lheure actuelle.
Mais quentend-on par Administration fiscale et contribuable,
tous deux unis par un
lien de crance/dette fiscales (I) ? Et quentend-on par rciprocit
(II) ? Cest ces deux
questions que nous tenterons de rpondre tout dabord, afin de
mesurer lintrt de cette
recherche ensuite.
SECTION 1 UN LIEN VISIBLE ENTRE LADMINISTRATION FISCALE ET
LE
CONTRIBUABLE : LIMPT
Limpt32
va mettre en contact trois facteurs : le fisc, un contribuable,
une richesse.
Tout systme fiscal se dtermine par lamnagement des rapports
entre ces trois
facteurs 33
. Seuls deux facteurs vont intresser cette tude : le fisc et le
contribuable. Laissant
ainsi de ct laspect conomique de limpt34
, il sera davantage question de ses aspects
29
Jacques CHEVALLIER, Ladministration face au public , in La
communication administration-
administrs, op. cit., p. 14. Lauteur ajoute, en illustrant une
forme de rciprocit : : lorganisation est tenue
de souvrir lenvironnement pour extraire linformation et obtenir
lappui dont elle a besoin () mais les flux
en provenance de lenvironnement sont dans le mme temps, endigus
et canaliss de manire tre rendus
compatibles avec la logique organisationnelle. 30
Expression emprunte Marie-Christine ESCLASSAN, Mieux adapter la
contrainte fiscale : lessor des
dispositifs dessence contractualiste en droit fiscal franais ,
Mlanges en lhonneur de Robert HERTZOG,
Rformes des finances publiques et modernisation de
ladministration, Economica, 2010, p. 199 et s. 31
Cette image ferait rfrence une citation de Paul MORAND qui
aurait dit : Logre fisc a lapptit dun lion
envers les uns, mais la sobrit du chameau lgard des autres .
32
Limpt auquel il est fait rfrence est celui qui rpond cette
dfinition classique selon laquelle il est une
prestation individuelle de valeurs pcuniaires requise des
personnes physiques et des personnes morales de
droit priv, voire de droit public, par voie dautorit mais selon
des rgles fixes, titre dfinitif et sans
contrepartie dtermine, en vue de la couverture des charges
publiques. , in Olivier NGRIN, Une lgende
fiscale : la dfinition de limpt de Gaston Jze , RDP, 2008, n 1,
p. 131. 33
Louis TROTABAS, Les finances publiques et les impts de la
France, Armand Colin, 1937, p. 117. 34
Qui permet de mesurer le degr dintervention de ltat au sein de
la socit.
-
25
juridique mais galement sociologique, autre aspect qui claire ()
les relations souvent
difficiles, entre ltat fiscal et le reste de la socit 35
, a priori fond sur un jeu en trois
manches pour reprendre lexpression de TROTABAS36
, au sein duquel les deux facteurs que
sont le fisc et le contribuable seront amens cooprer ou
lutter.
Ainsi nat une premire forme de rciprocit dans leur relation,
leur relation oblige :
le prlvement de limpt par lAdministration fiscale et le paiement
de limpt par le
contribuable. La rciprocit pourra galement sexprimer dans la
faon de remplir leurs
obligations par chacun.
Dun ct, lAdministration fiscale rappelle son devoir de prsence
et
daccompagnement auprs du contribuable afin de lui rendre limpt
plus facile 37
. En
effet, ce dernier ne peut y chapper38
, vivant ainsi le combat de David contre Goliath 39
,
en oubliant qu la fin de lhistoire cest David qui lemporte
De lautre ct, le contribuable civique verse les droits et tarifs
quil doit dans le
respect des lois. Cette mme rciprocit peut se poursuivre au
niveau de ltat et du
contribuable puisque sil ny a pas de contrepartie au paiement de
limpt, cest uniquement
parce que celle-ci nest pas dtermine, et non pas parce quelle
est inexistante, rappelant
ainsi le statut de bnficiaire indirect attach au contribuable.
On se rappelle que limpt peut
tre considr comme tant une sorte d avance 40
garantissant la protection de lordre
social 41
. Avance contre protection : voil bien les deux faces dun
change. Mais quel
prix ? Et que se passe-t-il quand les termes de ce pacte social
ne sont pas respects ? Que se
passe-t-il quand lun des deux contractants estime que le contrat
a t rompu ? Le dbat sur
les rapports entre le pouvoir, la socit et limpt est bien, on le
voit, une constante, que lon
35
Franois CUSIN, Daniel BENAMOUSIG, conomie et sociologie, PUF,
Quadrige Manuels, 2004, p. 330,
citant Marc LEROY. Les auteurs ajoutent que Si la mise en place
dune fiscalit rgulire a permis la
constitution des tats modernes, elle a galement donn lieu de
multiples tensions, suscitant des rvoltes et
parfois mme des rvolutions. 36
Louis TROTABAS, Les finances publiques et les impts de la
France, ibidem. Lauteur fait rfrence aux
trois phases de vie de limpt : lassiette, la liquidation et le
recouvrement. 37
DGFiP, La Charte du contribuable, Ministre du budget, des
comptes publics et de la fonction publique,
Septembre 2005, Mise jour en 2007, p. 11. 38
Ceci a notamment fait dire aux directeurs des services fiscaux
belges MM. TILLIET et VANDERCAPELLEN
en 2002, que les liens qui unissent le contribuable et
ladministration ne sont certes pas purement
volontaires... Mais en tous les cas cette relation peut tre
correctement gre ds lors que lun et lautre ont
pour objectif commun le bien-tre de tous : le contribuable ne
perdra pas de vue son devoir civique et ses
obligations fiscales, ni ladministration sa mission de service
public, savoir ltablissement de l'impt
lgalement d dans le respect des droits du contribuable . 39
Thierry LAMBERT, Le contribuable face ladministration fiscale ,
in Psychologie et science
administrative, op. cit., p. 103. 40
Jol CORNETTE, Voyage au cur de ltat des finances , LHistoire, n
196, fvrier 1996, p. 28. 41
Jol CORNETTE, Voyage au cur de ltat des finances , LHistoire,
ibidem. Lauteur fait rfrence
MIRABEAU, dans LAdresse aux Franais, propos de la contribution
patriotique.
-
26
retrouve aujourdhui, plus que jamais, dactualit. 42
Il ne va toutefois pas sagir de dfinir
cette dernire facette de la rciprocit, ni de dfinir limpt43
, mme si de mauvaises relations
entre lAdministration fiscale et le contribuable sont lies, en
grande partie, sa seule
existence44
et peut-tre aussi la dficience de lducation fiscale 45
, il apparat plus
opportun de dfinir plus prcisment ce que lon entend par
Administration fiscale ( 1) et
contribuable ( 2) au sein de la prsente tude.
1 - Les Administrations fiscales, de la pluralit lunit ?
Lexpression Administrations fiscales est juste titre employe au
pluriel. En
effet, Parler dadministration fiscale en France est presque un
abus de langage. Ce
constat est moins vrai aujourdhui puisquil existe lheure
actuelle, en France, une seule
structure charge de lassiette et du recouvrement des impts,
procdures effectues
auparavant par diffrents services indpendants.
Si lon dcompose cette expression et que lon sintresse aux
dfinitions offertes par
le langage courant, le terme Administration , tel que consacr la
fin du XVIIIme
sicle, se
dfinit comme la fonction consistant assurer lapplication des
lois et la marche des
services publics conformment aux directives gouvernementales .
Elle est ainsi l ensemble
des services et agents chargs de cette fonction. Plus prcisment,
elle est le Service
public [et regroupe l] ensemble des fonctionnaires qui en sont
chargs. 46
On peut cependant distinguer ltat de lAdministration comme le
fait volontiers
ladministr puisque le premier est cette instance mythique, entit
mtaphysique
42
Jol CORNETTE, Voyage au cur de ltat des finances , LHistoire,
ibidem.
Le titre du dernier ouvrage de Marc LEROY est ce titre vocateur
: Limpt, ltat et la socit. La sociologie
fiscale de la dmocratie interventionniste, Economica, 2010, 391
p. 43
Pour plus dlments, et notamment le moment o lon est considr
comme tant contribuable - lors de
lmission de lacte dimposition ou bien lors de la naissance de la
crance fiscale posant ainsi la question de
lidentification du fait gnrateur et de lexigibilit de limpt, cf.
la thse de Cline BAS, Le fait gnrateur de
limpt, LHarmattan, Finances publiques, 2007, 500 p. 44
Les sentiments du citoyen-contribuable se confondent : il est,
dune faon gnrale, contre limpt et contre
les administrations charges de lasseoir et de le percevoir (),
le plus souvent, ce rejet se rsume une attitude
ngative lgard des impts. , Thierry LAMBERT, Le contribuable face
ladministration fiscale , in
Psychologie et science administrative, ibidem. Lauteur confirme
que le rejet de lAdministration fiscale ne
serait que le prolongement du rejet de limpt, p. 106. 45
Lucien MEHL et Pierre BELTRAME, Science et technique fiscales,
PUF, Thmis Droit, 1984, p. 29. Selon
ces auteurs, cette expression se dfinit comme la perception par
lopinion de limpt comme un mal
ncessaire plutt quun ciment dune organisation sociale
dmocratique. 46
Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau
Petit Robert de Paul ROBERT,
dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise,
op. cit., terme administration .
-
27
surplombant le corps social , tandis que la seconde est au sens
strict, entendue comme un
simple appareil, une machine investie de responsabilits de
gestion et dexcution. 47
LAdministration fiscale est le service charg de lassiette, de la
liquidation et du
recouvrement des impts. Elle est aussi lorigine de la norme
fiscale48
. Elle porte le nom
dAdministration, terme induisant un service public ; pourtant,
Jean LAMARQUE crit ce
sujet que, dans lexercice desdites fonctions, elle ne serait une
administration au sens
tymologique du terme : elle nest pas au service du public. ()
Ladministration fiscale est
voue exclusivement ltat-puissance publique et la dfense de
lintrt du Trsor 49
.
Pourtant, elle se prtend tre au service de la collectivit
nationale, cest--dire au service
de chaque citoyen. 50
En ce sens, le Professeur Thierry LAMBERT dfinit
lAdministration
fiscale comme tant une institution administrative qui remplit
une mission de service public
dans lintrt gnral. 51
De cette ambivalence, on comprend le malaise du contribuable,
pour qui la fiscalit
demeure une contrainte parce quelle incarne ltat-spoliateur, qui
puise dans les poches
de ses sujets un argent que ceux-ci ont pniblement gagn et dment
mrit 52
.
Cest notamment ce qui ressort avec le terme Fisc qui dsigne
galement
lensemble des Administrations publiques qui ont en charge limpt.
Au sens tymologique,
le terme fisc, ou fisque, apparu en 1278, est dfini par le
langage courant comme reprsentant
Ltat considr comme titulaire de droits de puissance publique, de
pouvoirs de contrainte
sur le contribuable. 53
Cest galement lensemble des administrations charges de
lassiette, de la liquidation et du recouvrement des impts.
54
Il est issu du latin fiscus, qui signifie littralement panier
pour recevoir largent . Il
fait effectivement rfrence au panier quutilisaient les Romains
pour percevoir leurs impts.
On parle couramment des agents du fisc, de frauder le fisc...
Mais cette dnomination heurte
les sensibilits en raison de ltiquette qui lui est accole,
savoir un pouvoir arbitraire,
47
Jacques CHEVALLIER, Ladministration face au public , in La
communication administration-
administrs, op. cit., p. 33. 48
Que cela soit au moyen de sa doctrine, mais galement avec la
Direction de la lgislation fiscale de la DGFiP. 49
Jean LAMARQUE, Prface , in Corinne BAYLAC, Le formalisme du
droit fiscal, LHarmattan, Finances
publiques, 2002, p. 11. 50
DGFiP, La Charte du contribuable, 2005, mise jour en 2007, p. 3.
51
Thierry LAMBERT, Le contribuable face ladministration fiscale ,
in Psychologie et science
administrative, op. cit., p. 112. 52
Jacques GROSCLAUDE, Philippe MARCHESSOU, Droit fiscal gnral,
Dalloz, 2009, p. 3. 53
Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau
Petit Robert de Paul ROBERT,
dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise,
op. cit., terme fisc . 54
Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau
Petit Robert de Paul ROBERT,
dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise,
ibidem.
-
28
discrtionnaire et confiscatoire. Confiscatoire nenglobe-t-il pas
le mot fisc ? Le recours ce
dernier est par consquent juste, mais son utilisation, banalise
lheure actuelle, est devenue
familire, voire pjorative55
. Il lui sera prfr lexpression Administration fiscale au sein
de
ce travail.
Dun point de vue historique, lAdministration fiscale est issue
des finances publiques
envisages en tant que finances de guerre. Comme la dmontr le
sociologue Rudolf
GOLDSCHEID, il y aurait un lien trs troit entre limpt et la
guerre. En effet, les empires
se sont dots de moyens destins financer des campagnes
militaires, notamment dune
administration capable de centraliser les tributs, forme
primitive de limpt 56
.
Au Moyen ge, cest lorganisation mme de la fiscalit des tats
europens qui
marque lavnement de la bureaucratie moderne de ces pays,
fiscalit qui occupera une place
non ngligeable dans la gense du champ bureaucratique 57
. La hausse de cette fiscalit est
justifie par le fait guerrier ds la Renaissance, que cela soit
pour les campagnes militaires
elles-mmes, le financement dune arme permanente ou encore le
soutien des soldats
retraits. Ainsi, au niveau local, lautonomie gagne par le
souverain ncessite la mise en
place dune Administration permanente.
Gage de cohsion sociale, ltat devient donc un centre de collecte
et de
redistribution des richesses () dans la mesure o seul ltat
fiscal peut sinterposer entre
des classes sociales antagoniques 58
. Selon Franois CUSIN et Daniel BENAMOUSIG, est
ainsi mise en avant la fonction de mdiation de ltat. La guerre
ntant pas le seul fondement
de la fiscalit, lintervention de ltat dans des domaines autres
que militaire lest aussi, selon
Joseph SCHUMPETER, pouvant terme nuire ltat fiscal. Pour autant,
lalourdissement
de cette fiscalit na pas caus sa perte, malgr les quelques
rvoltes fiscales qui ont pu avoir
lieu dans diffrents pays et notamment aux tats-Unis, en
Californie la fin des annes
1970.
Karl POLANYI a ainsi pu mettre en exergue diffrents types de
relations
conomiques respectivement fondes sur lchange, la rciprocit, la
redistribution 59
.
55
Pour illustration, un des derniers romans policiers de
Patrick-Jrme LAMBERT, au nom vocateur, Morofisc,
paru chez Plon, 2008, 270 p., illustre, dans une certaine
mesure, cette ide puisquun des personnages principaux
est un tueur en srie dinspecteurs des impts. 56
Franois CUSIN, Daniel BENAMOUSIG, conomie et sociologie, PUF,
Quadrige Manuels, 2004, p. 331. 57
Franois CUSIN, Daniel BENAMOUSIG, conomie et sociologie, op.
cit., p. 333. Les auteurs citent les
travaux de BOURDIEU. 58
Franois CUSIN, Daniel BENAMOUSIG, conomie et sociologie, op.
cit., p. 331-332. 59
Franois CUSIN, Daniel BENAMOUSIG, conomie et sociologie , op.
cit., p. 333.
-
29
Dautres auteurs, comme Bruno THRET, voient dans la fiscalit un
puissant rvlateur
des relations conomiques, politiques et sociales liant ltat la
socit 60
.
Dun point de vue organique, sous lAncien Rgime, le domaine
fiscal est concd
des receveurs gnraux (titulaires doffices) et des fermiers
gnraux (particuliers organiss
en compagnies). Il nexiste donc pas vritablement de relle
Administration spcifique.
Puis, la priode de 1790 1791 connat la fin de la Ferme gnrale
puisquun grand
nombre dimpts indirects bass sur la consommation disparaissent
avec la Rvolution.
Seules perdurent deux Administrations qui existaient dj : les
Douanes et lEnregistrement.
Les Administrations fiscales et douanire furent ainsi scindes en
quatre institutions
principales centralises, aux comptences bien dlimites et faonnes
au fil du temps, et ce
jusquen 1948, revtant la forme de rgies : la rgie des
Contributions directes et le Cadastre,
la rgie des Contributions indirectes, la rgie de
lEnregistrement, des domaines et du timbre
et la rgie des Douanes.
Il faut attendre la Seconde guerre Mondiale, et notamment la loi
du 6 janvier 1948, qui
marque la premire tape de la centralisation du fonctionnement du
systme administratif
fiscal grce la cration du casier fiscal unique regroupant les
divers documents et
informations intressant la situation fiscale des redevables.
61
Sont ensuite fusionnes,
progressivement, les trois premires directions gnrales en une
seule institution : la Direction
gnrale des impts (DGI)62
, cre par dcret le 16 avril 194863
. Les services dconcentrs
extrieurs ne commencent leur fusion que vingt ans aprs, de 1967
1970. Plus
gnralement, la DGI se positionne par sa mission rgalienne de
leve de limpt et par son
appartenance au puissant ministre des Finances comme une
administration dautorit
charge dappliquer le droit fiscal 64
.
cette mme date65
, la Direction gnrale de la comptabilit, dont lavnement tait
ancien puisquelle tait dj prfigure ds 1814, excute, en tant que
caissier, avec certains
60
Franois CUSIN, Daniel BENAMOUSIG, conomie et sociologie , op.
cit., p. 334. 61
Michel BOUVIER et Marie-Christine ESCLASSAN, Ladministration
fiscale en France, PUF, Que sais-je ?,
1988, p. 4. 62
Elle est cre par le dcret n 48-689 du 16 avril 1948 relatif
lorganisation de lAdministration centrale du
Ministre des finances, JO, du 20 avril 1948 p. 3875. Le service
des domaines lui est rattach le 31 dcembre
1952. 63
Frdric TRISTRAM, Une fiscalit pour la croissance. La direction
gnrale des Impts et la politique fiscale
en France de 1948 la fin des annes 1960, Le Comit pour lhistoire
conomique et financire de la France,
tudes gnrales, 2005, 740 p. 64
Marc LEROY, Pourquoi la sociologie fiscale ne bnficie-t-elle pas
dune reconnaissance institutionnelle en
France ? , LAnne sociologique, PUF, 2003/1, Vol. 53, p. 254.
65
Dcret n 98-977 du 2 novembre 1998 relatif la direction gnrale de
la comptabilit publique, JO n 255, du
3 novembre 1998, p. 16575.
-
30
services des Directions gnrales des impts, des douanes et des
droits indirects, les
ressources et les charges budgtaires de ltat.
Enfin, le Dcret n 2008-310 du 3 avril 2008 a en effet cr au sein
du Ministre du
budget, des comptes publics et de la fonction publique une
Direction gnrale des finances
publiques (DGFiP), par la fusion de la Direction gnrale des
impts et de la Direction
gnrale de la comptabilit publique 66
. Pour Jean ARTHUIS, Prsident de la commission
des finances du Snat au moment de ces dires, cette rforme tait
attendue depuis
longtemps. Elle nest pas () sans retenir lattention, notamment
au regard de ses difficults
et des checs antrieurs. 67
Elle est dcline au plan local en Directions rgionales et
dpartementales des Finances publiques68
. Lordonnance du 27 avril 2010 a tir les
consquences de la fusion de la DGI et de la DGCP, en actualisant
le vocabulaire li la
suppression de certains grades de la fonction publique69
.
Il ne sagit pas ici de mettre en exergue les enjeux ni de
relever les problmatiques que
soulve ce nouveau rapprochement, mais il affiche plusieurs
objectifs en lien direct avec la
prsente tude, puisquil permet la cration dun guichet fiscal
unique pour lensemble des
contribuables sur tout le territoire franais70
. Il propose de lutter contre la fraude fiscale et
damliorer le recouvrement des recettes publiques par le biais de
recoupements raliss entre
les services. Enfin, les collectivits territoriales, qui sont
galement des contribuables, peuvent
bnficier de conseils financiers et fiscaux. Lalina 3 de larticle
2 du dcret prcit dispose
cet effet que la DGFiP veille ltablissement de lassiette et la
mise en uvre du
contrle des impts, droits, cotisations et taxes de toute nature,
ainsi qu leur recouvrement
et celui des autres recettes publiques 71
.
66
Article 1er
du Dcret n 2008-310 du 3 avril 2008 relatif la Direction gnrale
des finances publiques, JO n
0080, du 4 avril 2008, texte n 92.
. La DGFiP est compose de trois grandes directions : la
direction charge du pilotage du rseau et des moyens,
la direction charge de la gestion publique et la direction
charge de la fiscalit. 67
Confrence-dbat organise par la FONDAFIP, la Sorbonne le 19
janvier 2010, sur le thme La Direction
gnrale des finances publiques, une rforme de ltat emblmatique ?
, La lettre dactualit de la FONDAFIP,
n 8, fvrier-mai 2010, p. 2. 68
Cf. par exemple larrt du 11 dcembre 2009 portant cration de
directions rgionales et dpartementales des
finances publiques, MPR n 3, mars 2010, p. 150 et s. 69
Ordonnance n 2010-420 du 27 avril 2010 portant adaptation de
dispositions rsultant de la fusion de la
direction gnrale des impts et de la direction gnrale de la
comptabilit publique, JO n 0101 du 30 avril
2010, p. 7839, texte n 19. Il en est de mme concernant la
suppression du rgime des conservateurs des
hypothques in Ordonnance n 2010-638 du 10 juin 2010 portant
suppression du rgime des conservateurs des
hypothques, JO n 0133, du 11 juin 2010 p. 10757, texte n 23, MPR
n 6, juin 2010, p. 389 et s. 70
Le terme casier est remplac, peut-tre rappelait-il trop
trangement le casier employ en droit pnal ? 71
Les missions de la DGFiP sont toutefois plthoriques puisquelle
concentre en son sein les missions des deux
anciennes directions, Il y a donc les missions de la Direction
charge de la fiscalit : tablir et recouvrer les
impts et contrler les dclarations des contribuables ; et celles
de la Direction charge de la gestion publique
-
31
Mais les Administrations financires et fiscales de ltat, ont
aussi dautres missions.
Llaboration des textes fiscaux, si elle a pu relever dun service
de la lgislation fiscale,
autonome en 1977, a t confie une direction au sein de la DGI en
1998. Lactuelle
Direction de la lgislation fiscale conoit et labore les textes
lgislatifs et rglementaires
relatifs la fiscalit ainsi que les instructions gnrales
interprtatives ncessaires leur
application 72
. Il en est de mme en matire de recouvrement des recettes
publiques, du
cadastre et de la publicit foncire73
. Ainsi, lorsque le contribuable consent limpt, par le
truchement de ses reprsentants, il consent aux textes dabord
rdigs par lAdministration
fiscale ! Comme il est mentionn aux alinas suivants de larticle
2 du dcret du 3 avril 2008,
elle labore, entre autres, un certain nombre de rgles et de
procdures en matire de contrle
et de paiement des dpenses publiques, de gestion financire et
comptable des collectivits
territoriales et de leurs tablissements Tout en veillant leur
mise en uvre.
LAdministration fiscale en lien avec le contribuable est
incontestablement celle qui
agit en aval des procdures fiscales, cest--dire, non pas celle
qui labore les textes, mais
celle qui les appliquent en pratique, quil sagisse des contrles,
de la juridiction gracieuse
et du recours prcontentieux. Participant des Administrations
fiscales au sens large du terme,
lAdministration des douanes sera galement envisage, dans une
moindre mesure, ds lors
que son action, qui participe de lamlioration des relations
entre lAdministration et ses
usagers, sinscrit dans la continuit de celle tudie.
Des Administrations fiscales clates aux Administrations fiscales
unifies, voici une
des rponses aux attentes et aux besoins des contribuables mise
en place par le lgislateur,
allant ainsi dans le sens dune meilleure adhsion de ces derniers
au systme fiscal dans son
ensemble, et lAdministration fiscale plus particulirement. Dans
le mme temps, le
statut des contribuables a t repens, subissant la mme
transformation, passant ainsi du
pluralisme au monisme.
(ex-DGCP) qui relvent du contrle et de lexcution des dpenses
publiques, de la production de linformation
budgtaire et comptable, de lexpertise et du conseil financier,
tout en mettant en place des stratgies visant
amliorer la gestion des deniers publics (capitaux mobiliers,
immobilier appartenant ltat). 72
Article 2, 1 du dcret n 2008-310 du 3 avril 2008 relatif la
Direction gnrale des finances publiques. 73
Article 2 2 du Dcret du 3 avril 2008 prcit.
-
32
2 - Les contribuables, de limpersonnalit lindividualit
Les contribuables sont apparus longtemps comme tant des tres
multiples ne
dpendant pas dune ralit absolue74
, formant tout au plus un ensemble htrogne auprs de
lAdministration fiscale. Ce nest que depuis ces dernires
dcennies quelle recherche une
relation responsable et personnalise entre le citoyen et le
fonctionnaire 75
. En effet, le
terme contribuable recouvre plusieurs aspects dune mme ralit,
savoir une
Personne qui paie des contributions 76
selon le langage courant. Il lui est prfr une
dfinition plus exhaustive, la fois plus large et plus prcise et
qui dfinit le contribuable
comme toute personne, physique ou morale, prive ou publique,
astreinte au paiement de
contributions, impts, droits ou taxes dont le recouvrement est
autoris par la loi.
La dfinition du terme contribution du latin contributio, claire
davantage sur le
sens et lessence du mot contribuable puisquil le prcde
chronologiquement pour
reprendre lhistorique labor par Laure AGRON dans sa thse
relative au vocabulaire
fiscal77
. Ce substantif est apparu pour la premire fois en 1317 et
dsigne la fois la part
payer dun impt, dun prlvement fait par lennemi et la
participation une uvre
commune 78
. Selon cette auteure, contribution serait donc le terme gnrique
englobant
toutes sortes de prlvements79
.
Cest en 1401 que le terme contribuable apparat80
, dabord comme un adjectif
(dpenses ou rcoltes contribuables). Il faut attendre 1581 pour
quil dsigne la personne
74
Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau
Petit Robert de Paul ROBERT,
dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise,
op. cit., terme pluralisme . 75
DGFiP, La Charte du contribuable, Ministre du budget, des
comptes publics et de la fonction publique,
Septembre 2005, Mise jour en 2007, p. 3. 76
Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau
Petit Robert de Paul ROBERT,
dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise, op
.cit., terme contribuable . La dfinition du
langage courant poursuit que le contribuable est la personne qui
paie des impts directs. Pourtant cette dfinition,
sans tre fausse, est toutefois rductrice et incomplte. 77
Laure AGRON, Histoire du vocabulaire fiscal, op. cit., p.
161-166. 78
Laure AGRON, Histoire du vocabulaire fiscal, op. cit., p. 161.
79
De contribution publique en 1789 contribution patriotique en
1792, en passant par contributions
conomiques en 1846, on parle plus gnralement de contribution
fiscale aujourdhui. Laure AGRON ajoute que
corrlativement se dveloppent lemploi de termes comme
contributoire (1411), contributif (1594), la
moderne expression facults contributives (1789) puis capacits
contributives, et enfin contributoirement
(1804). Lusage du terme contribution fut de tout temps rpandu
puisque les principaux impts rels taient
la contribution des patentes, la contribution mobilire, la
contribution foncire Il connat aujourdhui un
souffle nouveau en fiscalit grce la contribution sociale
gnralise (CSG), la contribution pour le
remboursement de la dette sociale (CRDS), la contribution
sociale de solidarit des socits et contribution
additionnelle (C3S) ou bien encore plus rcemment avec la feue
contribution carbone et la contribution
conomique territoriale (CET). 80
Laure AGRON, Histoire du vocabulaire fiscal, ibidem. Il est issu
du verbe contribuer .
-
33
mme assujettie limpt81
. On lui prte volontiers de nombreux synonymes
contemporains,
tels quassujetti ou encore redevable, ou plus historiques tels
que censitaire, corvable ou
taillable au regard des impts dus82
. Le citoyen a galement pu tre contribuant (1930) ou
bien encore contributeur (1996)83
.
Selon Jacques CHEVALLIER, le terme contribuable serait donc un
terme
gnrique dcrivant un ensemble htrogne et clectique, compos de
groupes diffrencis
impermables et hirarchiss, dont les relations avec
lAdministration fiscale sont
ncessairement diffrentes, plus ou moins facilites selon le degr
de proximit dans lequel
elles sont appeles jouer. Si la qualit des relations dpend de la
qualification des individus
selon quils sont des assujettis, auxquels ladministration impose
des obligations sans leur
consentement 84
- plus ou moins - ils peuvent tre galement des usagers et des
relais.
Le vocabulaire est donc dune importance capitale dans ce
domaine, et le lgislateur et
lAdministration lont bien compris. Son volution pourrait trouver
sa source dans la volont
de rciprocit de ces relations.
Ainsi, le terme assujetti , signifiant littralement soumis et
astreint pour une
personne ou fix et maintenu pour un objet85
, renvoie davantage au caractre hirarchique et
autoritaire de la relation qui unit lAdministration fiscale au
contribuable.
Le terme redevable est plus neutre puisquil dsigne le dbiteur
tenu certaines
obligations, le redevable dun impt86
. Mais cest aussi tre loblig de quelquun. On
retrouve cette ide dans la distinction conomique opre entre le
redevable lgal et le
redevable rel, notamment en matire de taxe sur la valeur ajoute.
En effet, le premier est le
81
Lexpression le feu contribuable , datant de lAncien Rgime, tait
une unit dimposition comparable
aux centimes additionnels , Laure AGRON, Histoire du vocabulaire
fiscal, ibidem. 82
Respectivement le cens, la corve et la taille. Si le cens a pu
correspondre la quotit dimposition ncessaire
pour tre lecteur ou ligible jusquen 1848, il nexiste plus
aujourdhui de condition fiscale pour tre lecteur ou
ligible, a contrario dautres conditions. Sur la citoyennet
fiscale, cf. Emmanuel De CROUY CHANEL, La
citoyennet fiscale , Limpt, Archives de philosophie du droit,
tome 46, Dalloz, 2002, p. 39 et s. 83
Laure AGRON, Histoire du vocabulaire fiscal, op. cit., p. 162.
84
Jacques CHEVALLIER, Ladministration face au public , in La
communication administration-
administrs, op.cit., p. 25. En effet, le degr dassujettissement
ou de dpendance impersonnelle est
inversement proportionnel au niveau social, conomique et
culturel. 85
Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau
Petit Robert de Paul ROBERT,
dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise,
op. cit., terme assujetti . Lorsquon
sintresse aux synonymes du terme assujettissant , on comprend
plus aisment limportance du vocabulaire :
asservissant, astreignant, pnible, pesant in mile LITTR,
Dictionnaire de la langue franaise LITTR ,
1863-1877, terme assujettisant . 86
En mme temps, ce terme revt galement une signification positive,
tre redevable de quelque chose
quelquun, bnficier d'un avantage grce lui, tre son oblig
(devoir) , Josette REY-DEBOVE et Alain REY
(sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul ROBERT,
dictionnaire alphabtique et analogique de la
langue franaise, op. cit., terme redevable .
-
34
collecteur de limpt pour le compte des caisses de ltat
(lentreprise venderesse par
exemple) tandis que le second est le consommateur final, qui
supporte effectivement limpt.
A contrario, le terme usager pourrait illustrer la rciprocit.
Mais si lon sintresse
la dfinition de ce terme, on se rend compte quil ne peut
qualifier parfaitement le
contribuable, mme sil demeure au final le plus employ, par
lAdministration fiscale elle-
mme. En effet, il dsigne une personne bnficiant effectivement et
directement de la
prestation offerte par le service public, et utilisant, pour ce
faire, les installations matrielles
dont il est dot. 87
Il nen est gnralement pas ainsi dans le domaine des
Administrations
rgaliennes, qui nont pas proprement parler, dusagers effectifs,
mais plutt des
bnficiaires indirects. 88
Des bnficiaires indirects. Le langage courant ne satisfera
peut-tre pas le
contribuable puisquun bnficiaire correspond une personne qui
bnficie dun avantage,
dun droit, dun privilge. 89
Il est en effet plus frquent dtre bnficiaire dune crance
que dune dette. Lide sous-entendue est quau moyen des impts
verss par le contribuable,
celui-ci retire en contrepartie des bnfices indirects grce
laccomplissement par ltat de
ses fonctions rgaliennes ou non, parfois au frais du
contribuable 90
. Dans le mme temps,
ils peuvent galement bnficier de services ou structures sans
pour autant participer leur
financement. Enfin, puisque Ce sont les services publics, rendus
possibles par limpt, qui
incarnent le mieux les valeurs de la Rpublique , par suite,
Respecter la loi fiscale est lun
des actes civiques essentiels. 91
Ce qualificatif de bnficiaires indirects permet peut-tre la
rciprocit de sexprimer
pleinement en fiscalit puisque cette dernire, sous-tendant le
fait de donner et de recevoir,
sillustre particulirement dans le fait de rendre. Ainsi,
lanthropologue Bronislaw Kasper
MALINOWSKI92
a-t-il tabli que la vie sociale [certes] primitive [est
caractrise par
un] systme de services et de droits rciproques dans lesquels les
groupes jouent le jeu de "
donnant donnant " 93. Luc RACINE fait galement rfrence Jean
PIAGET94 qui a mis en
87
Renan LE MESTRE, Droit du service public, Gualino diteur,
manuels, 2008, p. 424. 88
Renan LE MESTRE, Droit du service public, ibidem. 89
Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau
Petit Robert de Paul ROBERT, dictionnaire
alphabtique et analogique de la langue franaise, op. cit., terme
bnficiaire . 90
Cette expression pjorative signifie : en gaspillant les deniers
publics . Elle illustre lide selon laquelle le
contribuable a limpression de donner plus quil ne reoit, ou bien
que largent ainsi collect nest pas utilis de
faon pertinente et rationnelle. 91
DFGiP, La Charte du contribuable, 2005, mise jour en 2007, p. 3.
92
Bronislaw Kasper MALINOWSKI (1880-1942) tait un anthropologue,
ethnologue et sociologue polonais. 93
Luc RACINE, Les Formes lmentaires de la rciprocit , LHomme, op.
cit., p. 97. 94
Jean William Fritz PIAGET (1896-1980) tait un psychologue,
biologiste, logicien et pistmologue suisse.
-
35
exergue que dans la coopration constitutive de lchange, donner
est lopration
rciproque de recevoir. 95
Pour transposer cette citation la matire fiscale, et plus
particulirement lexpression de bnficiaires indirects , il serait
possible de remplacer le
terme donner par le terme sacrifier 96
, et dajouter la troisime facette anthropologique
de la rciprocit, celle de rendre.
Certaines administrations fiscales trangres ont retenu le terme
client pour
dsigner leurs contribuables, terme qui appartient au march, dans
lequel la concurrence et la
libert de choix sont de rigueur. ce titre, la DGI a obtenu le
premier prix dans la catgorie
Services publics pour ltablissement dune relation client durable
fonde sur la
confiance97
. Le terme client semble donc usit mais peu adapt et davantage
employ par
certains services industriels et commerciaux. Ainsi, par
exemple, les anciens usagers de la
Socit Nationale des Chemins de Fer (SNCF) sont aujourdhui des
clients.
Toutefois, si le terme client semble dlicat retenir pour
qualifier le contribuable,
il pourrait peut-tre arborer une des facettes du client,
lorsquil est cocontractant. En effet, le
recours plus systmatique la contractualisation des relations
entre le secteur public et le
secteur priv pourrait encourager lusage de ce terme dans
certaines hypothses.
Loffre des termes venant proposer une dfinition du contribuable
est grande et a dj
fait lobjet de nombreuses tudes, depuis Louis TROTABAS Pierre
BELTRAME, en
passant par Jean-Claude MARTINEZ98
. Afin de soutenir la thse selon laquelle les relations
entre lAdministration fiscale et le contribuable sont rgies par
la rciprocit, gnratrice dun
quilibre modifi, nous emploierons le terme gnrique de
contribuable, en vitant les
diffrents termes synonymes davantage connots et restreints
certaines hypothses.
ce stade de ltude, une question relative aux relations entre
lAdministration fiscale
et le contribuable mrite dtre pose. En effet, quelle image
lAdministration fiscale renvoie-
t-elle ses contribuables ? Et inversement, quelle image le
contribuable renvoie-t-il son
Administration ? Leur relation ntant pas rductible lapplication
de dispositions
95
Luc RACINE, Les Formes lmentaires de la rciprocit , LHomme,
ibidem. 96
Pour reprendre ltude du Professeur Michel BOUVIER, Anthropologie
et finances publiques : rflexions
sur la notion de sacrifice fiscal, Etude , RFFP, Le contentieux
fiscal, op. cit., p. 188 et s. 97
DGI, Rapport Annuel de Performance, 2007, p 6, en vertu du
Podium de la Relation Client 2007, TNS Sofres
et Bearing Point.
Franois ADAM, Olivier FERRAND et Rmy RIOUX, Finances publiques,
op. cit., p. 601. 98
Jean-Claude MARTINEZ, Le statut de contribuable, la thorie sur
la situation gnrale et impersonnelle de
contribuable : son degr deffectivit, 1976. Lauteur a abouti
ltablissement dun vritable statut du
contribuable, issu du principe de la lgalit de limpt, statut qui
serait double, la fois juridique et moral.
-
36
lgislatives et rglementaires () [tant lAdministration] a une
reprsentation symbolique
spcifique aux yeux du public 99
.
Le vingtime rapport du Conseil des impts - relatif lamlioration
des relations
entre lAdministration fiscale et le contribuable, traitant la
fois des questions de lgislation,
dorganisation et de comportements administratifs - a permis de
rpondre la premire
question100
. Limage qui en est ressortie est assez contraste. En effet, les
contribuables ont
une opinion plutt positive de leurs relations avec
lAdministration fiscale mais gardent des
motifs dinsatisfaction. lpoque, lanalyse du Conseil des impts
avait mis en exergue
certaines faiblesses - complexit des textes applicables,
lourdeur des procdures et de
lorganisation administrative, insuffisance du dialogue avec les
contribuables - qui sont autant
de points sur lesquels des progrs doivent tre raliss.
Sur ces diffrents aspects, les pistes de rflexion proposes par
ledit Conseil ont vis
renforcer la qualit du consentement limpt, un des fondements du
pacte rpublicain
franais, car loin dtre antinomiques, la recherche de lefficacit
administrative et celle de
lamlioration des relations entre les contribuables et le fisc
constituent des objectifs
remarquablement complmentaires 101
, empreints de rciprocit ?
Pour rpondre la seconde question, il peut tre fait rfrence au
statut du
contribuable, tantt groupe rduit ses devoirs, tantt individu dot
de droits. Rappelons que
le terme individu ne relve pas du langage juridique, la
diffrence du terme
personne , cette dernire pouvant tre physique ou morale, de
droit priv ou de droit
public. Pourtant, l individu est un enjeu dans la philosophie du
droit. Et lorsquon voque
les droits individuels, cest souvent pour les affirmer contre
les prtentions de la collectivit
publique. 102
Le contribuable-individu se voit donc reconnatre des garanties,
voire des droits
personnels, grce la doctrine des droits de lHomme, il peut
opposer les prrogatives
fondamentales dont il jouit tout groupe humain103
. Il ne sagit pas de sattarder sur ces thses
philosophiques mais de relever cette prise en compte actuelle
des contribuables en tant
99
Thierry LAMBERT, Le contribuable face ladministration fiscale ,
in Psychologie et science
administrative, op. cit., p. 103. 100
Conseil des impts, Les relations entre les contribuables et
ladministration fiscale, vingtime rapport au
Prsident de la Rpublique, Paris, Les ditions de lImprimerie des
Journaux Officiels, 2002, p. Depuis 2005, le
Conseil des impts est devenu le Conseil des prlvements
obligatoires. 101
Conseil des impts, Les relations entre les contribuables et
ladministration fiscale, XXme
rapport au
Prsident de la Rpublique, op. cit., p. 259. 102
Denis ALLAND, Stphane RIALS (sous la dir. de), Dictionnaire de
la culture juridique, PUF, Lamy,
Quadrige, Dicos poche, 2003, p. 819, terme individu . 103
Denis ALLAND, Stphane RIALS (sous la dir. de), Dictionnaire de
la culture juridique, ibidem.
-
37
quindividus, ou plus juridiquement, en tant que personnes, et de
la reconnaissance de leurs
droits primordiaux104
et de leurs garanties, au moyen doutils toujours plus nombreux
et
sophistiqus. Cette individualisation possible en fonction de
lge, du sexe, de la profession,
du lieu dhabitation, des revenus ou de la situation de famille
desdits contribuables105
- permet
la rciprocit de sexprimer, que les contribuables soient petits
ou gros, quelle que soit
leur activit, ceux qui paient rgulirement leurs impts, aux
petits fraudeurs occasionnels,
aux grands fraudeurs ou aux ennemis dclars du fisc 106
, dans une proportion toutefois
diffrencie selon leur comportement.
Cest pourquoi lon a assist depuis quelques dcennies par exemple
la mise en place
de la mission de qualit de service au sein de lAdministration
fiscale ou encore une
meilleure organisation des contrles fiscaux. Des rformes plus
approfondies sont galement
proposes afin de toujours mieux rpondre aux nouvelles
prrogatives accordes au
contribuable, ressenties comme de vritables besoins par ce
dernier. Aprs tout, BABEUF107
,
ne comptait-t-il pas sur le droit pour mettre en place les
moyens de satisfaire le plus
compltement possible les besoins individuels, seule condition du
bonheur gnral 108
?
Participant de ce bonheur gnral, ou plus modestement, prservant
lintrt gnral,
lAdministration fiscale, lie au contribuable, par un impt aux
formes multiples, pourrait tre
lgitime, grce un lien moins visible, la forme tout aussi
plurielle, mais galement
singulire ds lors quil est appliqu la matire fiscale : la
rciprocit.
SECTION 2 UN LIEN INVISIBLE ENTRE LADMINISTRATION FISCALE ET
LE
CONTRIBUABLE : LA RCIPROCIT
Dlicate apprcier car il est souvent difficile de distinguer ce
qui est rciproque de
ce qui ne lest pas 109
, il sagit dexaminer tout dabord les dfinitions du terme
rciprocit telles que proposes par le langage courant.
Caractre de ce qui est rciproque 110
, cest de ce dernier terme, adjectif et
substantif qui existerait tel quon le connait aujourdhui depuis
1380, que la rciprocit est
104
Denis ALLAND, Stphane RIALS (sous la dir. de), Dictionnaire de
la culture juridique, op.cit., p. 823, citant
Grard CORNU. 105
Jean DUBERG, Les Franais face limpt, Essai de psychologie
fiscale, L.G.D.J, 1990, p. 3. 106
Jean DUBERG, Les Franais face limpt, Essai de psychologie
fiscale, op. cit., p. 4. 107
Franois- Nol BABEUF, connu sous le nom de Gracchus BABEUF
(1760-1797), tait un rvolutionnaire
franais, dont la thorie, le babouvisme, est jug comme tant le
mouvement prcurseur du communisme. 108
Denis ALLAND, Stphane RIALS (sous la dir. de), Dictionnaire de
la culture juridique, op. cit., p. 820. 109
Denis ALLAND, Stphane RIALS (sous la dir. de), Dictionnaire de
la culture juridique, op. cit., p. 1299.
-
38
issue. Reciprocus signifie en latin, et cette dfinition sera trs
utile pour la suite, qui revient
au point de dpart . Du bas latin reciprocitas, et employe au
sens actuel depuis 1729, elle
traduit ltat qui sexerce la fois dun premier terme un second et
du second au
premier 111
. Cette dfinition112
renvoie lide de symtrie, et tout naturellement lillustre
par lexpression : relations rciproques .
Plus spcifiquement, la rciprocit implique, entre deux personnes
ou deux groupes,
un change de sentiments, dobligations, de services semblables,
etc. et renvoie cette fois-ci
lide de mutualit, en lillustrant par les expressions telles que
confiance, tolrance et
amour rciproque, ou encore se faire des concessions rciproques,
renvoyant ici davantage
lide de partage.
Enfin, un contrat, ou une convention peuvent tre rciproques,
autrement dit bilatraux
ou synallagmatiques, linverse dunilatraux.
Prsente dans lensemble des sciences dures comme on les appelle
parfois, la
rciprocit se dfinit frquemment comme un processus bien tabli, en
voici quelques
exemples.
En sciences physiques, elle fait office de thorme pour expliquer
la thorie de
llasticit reposant sur une constante qui relie la dformation la
contrainte subie par un
corps lastique 113
. Elle dmontre son ampleur en matire de sensitomtrie
photographique
puisquelle est une loi, la loi de rciprocit liant le temps de
pose la lumire114
.
Dans le domaine de la thermodynamique des systmes hors quilibre,
il est fait
rfrence aux relations de rciprocit de Lars ONSAGER, chimiste
norvgien des annes
1930, dcouverte qualifie de loi fondamentale115
, qui lui valut le prix Nobel en 1968.
110
Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau
Petit Robert de Paul ROBERT,
dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise,
op. cit., terme rciprocit .
Rciproque serait form de recus et de procus, qui signifient, qui
va en arrire et en avant selon mile
LITTR, Dictionnaire de la langue franaise LITTR , op. cit.,
terme rciproque . 111
Soit dune mme relation, dun mme rapport. 112
Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau
Petit Robert de Paul ROBERT,
dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise,
op. cit., terme rciprocit . 113
Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau
Petit Robert de Paul ROBERT,
dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise,
op. cit., terme rciprocit . 114
La sensitomtrie est ltude, la mesure de la sensibilit des
mulsions photographiques, de la sensibilit
photographique selon Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la
dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul
ROBERT, dictionnaire alphabtique et analogique de la langue
franaise, op. cit., terme rciprocit . On
parle aussi de phnomne de non-rciprocit. 115
Lars ONSAGER a tabli, en 1931, une loi fondamentale qui relie
ces nombres entre eux : les coefficients de
transport obissent (en l'absence de champs magntiques) aux
relations de rciprocit quil a t tabli (L = ij et
L = ji), in Radu BALESCU, Irrversibilit , Encyclopdia
Universalis, article disponible ladresse internet
suivante :
http://www.universalis-edu.com/recherche/sujet/29631/.
http://www.universalis-edu.com/recherche/sujet/29631/
-
39
Enfin, en mathmatiques, quil sagisse dalgbre, danalyse
mathmatique ou de
gomtrie, elle est galement prsente. Par exemple, elle revt aussi
la forme dune loi : loi de
rciprocit quadratique ou biquadratique en matire de thorie des
nombres116
.
Les sciences du langage ont galement recours cette notion pour
dfinir des termes
rciproques, qui ont la mme signification, et qui se peuvent
prendre lun pour lautre 117
.
En grammaire, on dit dun verbe pronominal quil est rciproque, ou
rflchi, quand il
indique une action exerce par plusieurs sujets les uns sur les
autres et dont laction est la
fois accomplie et reue par chacun deux. 118
De mme, en tant que terme de logique, la rciprocit, que lon
retrouve dans
lexpression propositions rciproques , induit que le sujet de
lune peut devenir lattribut
de lautre et inversement . Lexpression adverbiale et
rciproquement traduit lide dune
manire inverse, en retour. 119
Enfin, il existerait mme ladjectif rciproquant , le verbe
rciproquer ou encore
le nom rciprocation .
Le premier est spcifique puisquil est un terme utilis dans le
domaine du chemin de
fer pour qualifier un systme de traction employ sur les plans
inclins automoteurs. Il
provient de ce que les convois agissent rciproquement lun sur
lautre pour monter et
descendre 120
.
Le deuxime, plus ancien, a pu se rencontrer, en France au Nord
notamment - mais
galement ltranger comme en Belgique ou au Burundi. Il signifie
dans ce cas changer,
donner rciproquement, adresser en retour121
, mais galement rendre la pareille 122
. Le
verbe se rciproquer a pu se rencontrer, signifiant tre dans un
rapport rciproque 123
.
116
En mathmatiques toujours, la fonction rciproque dune fonction
[est la] fonction faisant correspondre
toute valeur de cette fonction f la valeur prise par la
variable. En gomtrie, les figures sont rciproques ds
lors que chacune est la transforme de lautre selon une mme loi.
Elle devient en loccurrence synonyme du
terme inverse. Ces dfinitions nous rappellent galement le thorme
de Pythagore et la rciproque du thorme. 117
mile LITTR, Dictionnaire de la langue franaise LITTR , op. cit.,
terme rciprocit . 118
Par exemple : il saime, ils se frappent 119
mile LITTR, Dictionnaire de la langue franaise LITTR , ibidem.
120
mile LITTR, Dictionnaire de la langue franaise LITTR , op. cit.,
terme rciproquant . 121
Et spcialement des vux. 122
mile LITTR, Dictionnaire de la langue franaise LITTR , op. cit.,
terme rciproquer . 123
mile LITTR, Dictionnaire de la langue franaise LITTR ,
ibidem.
-
40
Le dernier traduisait aussi l action par laquelle on reoit la
pareille. 124
En effet,
dun point de vue plus familier, ne dit-on pas aujourdhui que la
rciproque dsigne la
pareille ?
Ces quelques illustrations, loin dtre exhaustives, dmontrent
clairement la richesse
polysmique de la rciprocit dont lessence est chaque fois
conserve, savoir
linteraction, linfluence, lchange, le partage. Chacun de ces
sens permet de mieux
apprhender cette notion qui pourrait prsider aux relations
unissant lAdministration fiscale
au contribuable. Ce qui en ressort est lide selon laquelle il y
aurait effectivement un change
permable entre chacun des lments entre eux et vice-versa. Entre
lAdministration fiscale et
le contribuable, il y aurait donc un change, change de bons
procds125
, donnant cette
relation unique en son genre, une caractristique nouvelle, au
sein de laquelle, la rciprocit,
plus que lgalit, dont elle serait une excroissance, moins que
cela ne soit linverse, puisque
la rciprocit peut sexprimer en dehors de toute galit, son
corollaire dans certaines
circonstances qui lexigent (la fonction rgalienne, le service
public et lintrt gnral),
jetterait les bases dun nouvel quilibre, sans toutefois que cela
soit lquilibre. On ne saurait
toutefois rduire la rciprocit ces premiers constats.
En effet, cet clairage du langage courant, bien quintressant,
nest pas suffisant pour
circonscrire la notion de rciprocit. Il convient de se tourner
vers les dfinitions que
proposent la philosophie et les cultures religieuses.
La premire traite de la rciprocit lorsquelle sintresse ltre, au
moi et lautre.
On la retrouve ainsi en matire daltrit, dengagement, de
dialectique, de dialogue,
dintersubjectivit, de personnalisme ou encore mme de violence.
En matire dengagement
par exemple, la philosophie part dune rflexion sur lexistence et
propose un partage qui
concerne non des choses mais le mouvement de la vie. Aussi
est-elle marque [lexistence]
par la rciprocit. 126
En matire de dialectique, et plus particulirement damiti,
Seule
une relation de rciprocit peut instituer lautre comme mon
semblable et moi-mme comme
124
mile LITTR, Dictionnaire de la langue franaise LITTR , op. cit.,
terme rciprocation . Cest
galement un Ancien terme de physique. Rciprocation du pendule,
mouvements que certains philosophes
croyaient tre communiqus au pendule par le mouvement de la
terre. 125
Pour reprendre les termes employs par le Prsident Daniel RICHER
lors de nos entretiens. 126
Jean LADRIERE, Jacques LECARME, Christiane MOATTI, La
problmatique de lengagement ,
Encyclopdia Universalis, article disponible ladresse internet
suivante : http://www.universalis-
edu.com/encyclopedie/engagement/. Les auteurs font ici rfrence
lengagement interpersonnel, notion qui
nous claire mais qui ne peut servir de base pour dfinir la
rciprocit que nous recherchons. Ils ajoutent : Ce
qui rend possible la rciprocit, cest la dualit, au sein de
lengagement, dun aspect actif et dun aspect passif
dans lunit dun mme acte : cest parce que chacun est passif dans
son opration mme quil peut se laisser
absorber dans lopration de lautre, et cest par l que la
rciprocit stablit. Cet aspect philosophique nest
pas sans rappeler la rciprocit telle quelle est entendue en
droit des obligations.
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/engagement/http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/engagement/
-
41
le semblable de lautre. () Une telle rciprocit suppose () quil
faut tre ami de soi pour
tre ami de lautre , lamiti sous-entendant galement lide de
mutualit et son
corollaire, lgalit, qui mne sur le chemin de la justice 127
.
La rciprocit en philosophie se retrouve ainsi mle des concepts
moraux et
porteurs de valeurs tels que la fidlit, le dvouement, lamiti, la
mutualit, la reconnaissance
de lautre, lestime de soi, etc., refltant ainsi une volont de
partage gologique entre les
tres. Ces quelques penses philosophiques nous permettent de
toucher du doigt la profondeur
de cette notion quest la rciprocit afin den capter lessence pour
mieux en mesurer
limportance au sein de ce travail puisque le systme fiscal,
lorsquil est dclaratif, est par
exemple fond sur des valeurs telles que la bonne foi, lhonntet,
la confiance, la vrit, la
justice En effet, par limpt, les citoyens devraient avoir le
sentiment de contribuer
qui contient en soi un sentiment de spontanit, dactivit et mme
une certaine fiert. 128
Vritable principe de la justice divine129
par excellence, la rciprocit est galement
consacre par les philosophies grecque et romaine o la justice
apparat comme cette
activit ayant pour but de mesurer la part de chacun, et le droit
comme celle ayant pour objet
de rpartir chacun le sien 130
. Elle est aux cts de la justice, quelle soit corrective ou
distributive, rgissant lconomique et le social : lchange fond
sur un retour sur
quivalence tant la base du lien social selon ARISTOTE, ou le
fondement de la morale
universelle selon KANT131
.
Pour les cultures religieuses, la rciprocit est une morale
fondamentale. Elle est
consacre par lensemble des grandes religions et cultures quelles
soient bouddhiste,
chrtienne, confucianiste, hindouiste, juive, musulmane -
signifiant fais aux autres ce que
tu aimerais quils te fassent , ou bien la forme ngative ne fais
pas aux autres ce que tu
ne voudrais pas quils te fassent . Elle est la manifestation
concrte de lempathie, cette
facult de sidentifier quelquun, de ressentir ce quil ressent
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, cette prise en compte de