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Lactivit enseignante, une architecture complexe de gestes
professionnels
Dominique BUCHETON, Professeur, IUFM de Montpellier, LIRDEF,
France, [email protected] Lisa-Marie BRUNET,
Aurlie LIRIA, tudiantes, IUFM de Montpellier, LIRDEF, France.
Mots cls : activit enseignante - geste professionnel - ergonomie
- didactique de la lecture Rsum
La communication prsente sinscrit dans plusieurs questions de
recherche embotes. La premire vise dcrire lactivit enseignante
relle : sa dimension est ergonomique. Sa finalit est de donner voir
ce que cest que ce mtier, quels gestes professionnels il requiert
pour mettre en activit des lves et leur faire apprendre quelque
chose. La deuxime sinscrit dans le cadre prcis dune recherche
didactique autour des modalits denseignement apprentissage de la
lecture et leurs effets sur la russite des lves. La troisime relve
de recherche sur la didactique de la formation. Nous tudions le rle
des analyses de pratiques pour la formation aux gestes
professionnels. Ce troisime volet de notre travail nest pas
achev.
1. Les questions principales qui sous-tendent la communication O
on verra quon na pas peur des grandes questions ds lors quelles
senracinent dans de tous petits actes observables !
-Gestes de mtier et gestes professionnels (dajustement dans
laction) : est-ce la mme chose ? A quoi faut il former en premier ?
Y-a-t-il des priorits, des obstacles dans le parcours de formation
? Y-a-t-il des gestes fondateurs, nodaux qui conditionnent la mise
en activit des lves au niveau ncessaire pour quils accdent aux
gestes dtude viss. Ces gestes premiers servent-ils de matrice au
dveloppement ultrieur de gestes professionnels spcifiques ?
-Peut-on dissocier les gestes proprement didactiques (si tant
est quils existent ) des gestes quon pourrait dire relevant du
pdagogique et de lducatif. La rpartition dans diffrents modules de
ces diffrentes dimensions est structure dans les cursus de
formation en IUFM. Ce ne sont pas les mmes formateurs qui en
traitent. Cette partition est-elle tenable thoriquement? Efficace ?
Professionnalisante ?
- Le langage ne joue-t-il pas un rle dcisif dans le mtier ?
Quels sont ses spcificits. De quelle conception du langage pour
agir dans la classe a-t-on besoin ? Une simple thtralit (modules :
le corps la voix Montpellier) ou une extrme prcision dans les
conduites dtayage de lactivit des lves ? Peut-on former ses arts de
dire et de faire du matre en dehors des contextes didactiques,
socio-professionnel et institutionnels ? Quelle est la place des
simulations ?
-Quelle est la part de lobservable : la rflexivit en actes de
lenseignant dans sa classe est-elle vraiment objectivable? Quest-ce
qui relve de cadres plus obscurs et peu conscientiss
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dans laction, qui lui prexistent : savoirs sur la discipline
enseigne, conceptions de llve et de son ducabilit, systme de
valeurs dans lequel sest inscrit le rapport au mtier et lexprience.
Do une question thique pour la formation : peut-on, doit-on faire
merger et travailler en formation des lments qui relvent de
lidentit personnelle, prive. Les dimensions, professionnelle et
prive, dans les mtiers de lducation sont-elles dissociables ?
2. Le geste professionnel : un geste langagier mdiateur de la
co-activit matre-lves. Nous dvelopperons peu ici le propos et nous
renvoyons larticle paratre dans Repres N30, ainsi qu notre
communication au colloque AIRDF de Qubec dAot 2004 (CD-ROM
paratre.
Le geste de mtier ( Jorro 2002), renvoie un savoir faire partag
et reconnu par la profession, rattach un genre scolaire bien
identifi par le matre et les lves (ex : le geste de correction de
copie, la lecture magistrale du texte par le matre avant de
commencer ltude dun texte). Il sest construit dans lhistoire de
lcole, il est gnralement la mise en uvre dun genre de lactivit
professionnelle.
Nous appelons gestes professionnels les arts de faire et de dire
qui permettent la conduite spcifique de la classe. Le geste
professionnel est situ. Il ne se confond pas avec le genre mais le
met en uvre, lactualise, lajuste. Le genre est statique, le geste
dynamique.
- Cest un agir essentiellement langagier mais aussi non
langagier. Cette mdiation langagire du matre est htronome (Bucheton
2000). Elle conjugue divers systmes smiotiques qui se modulent et
modrent mutuellement. Le regard, le ton de la voix appuient,
nuancent ou dmentent tel ou tel propos ; la baguette magistrale
dcoupe, anticipe ou accompagne la lecture dun texte au tableau.
- Cette mdiation est disymtrique : la parole du matre encadre
les taches donnes aux lves. Elle taye, accompagne, instrumente le
dveloppement de la pense et du langage de llve (Bruner-Vygotski).
La situation scolaire, la diffrence dautres formes dapprentissage,
se caractrise par cette disymtrie entre la parole du matre et celle
des lves.
- Elle est situe. Ce couplage langage-action et situation est
minemment complexe. Il est un concentr de multiples transactions et
ajustements intra- et intersubjectifs.
- Elle est socialement, culturellement, historiquement
construite dans lexprience scolaire des matres et des lves, dans
celle de la communaut de pratiques enseignantes laquelle les matres
sidentifient (dimension sociolinguistique et sociologique de lagir
dans la classe).
- Elle est dynamique, ouverte et largement imprvisible.
Lajustement de lagir langagier du matre (qui supporte son cours
daction) sur ce qui se passe en classe, partir de ce quil peroit,
entend, comprend des actions, propos, silences, gestes, regards
multiples des lves est permanent. Ce systme daction rtroaction-
rflexion - prise de dcision dans la dynamique du cours, module le
canevas prtabli et laisse de ce fait une grande place un travail
important de gestion des imprvus : vnements cognitifs, affectifs ou
relationnels. Cette part dimprvisibilit de lagir est une dimension
forte de la professionnalit.
-Elle se dveloppe sur le principe dune auto-organisation et
rgulation spcifique. Chaque classe constitue une petite communaut
de pratiques et de paroles (Lave 1988) qui trs vite se construit
ses propres rgles internes de travail et de communication (Durand
1996). De mme, chaque situation (type de tche, thmatique, type de
regroupement, type doutils mobiliss
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etc.) enclenche un systme de rgulation interne temporaire
(Franois 1994) qui auto-engendre sa propre dynamique idologique,
cognitive et langagire.
- Cest un geste de rflexivit en acte qui sajuste sur laction et
la rflexivit langagire de llve, sur les difficults possibles de la
leon, sur les vnements qui surviennent dans son droulement, sur les
instruments ou supports utiliss, comme sur la connaissance de la
classe (savoirs pr-requis, culture, engagement).
- Il est partiellement pr-pens (et sarticule alors aux gestes de
mtier), partiellement invent dans laction. Il sinscrit dans des
proccupations, une intentionnalit plus ou moins conscientises, plus
ou moins mobilises et mobilisable. Lactivit de lenseignant consiste
:
1) mettre en jeu avant la classe une multitude de cadres de
pense et dexprience (Goffman). Certains sont en partie implicites
et non verbaliss : ce sont des savoirs thoriques, des modles
didactiques, des doxa, des habitus, la micro socio-culture de la
classe. Dautres cadres sont explicites : les contenus de savoir,
choisis pour la leon et leurs scnarios, parfois pr-crits dans le
livre du matre ou dans des prparations personnelles.
2) les ajuster en ligne dans le contexte de la classe avec
lactivit des lves dans leur diversit. Ce contexte, dynamique et
volutif de la classe est cre en partie par la co-activit du matre
et des lves, en partie par des lments de contexte, externes la
classe (disposition des lves, instruments didactiques, etc.).
Cet ajustement du geste professionnel du matre permet la mise en
place, la rgulation, lvaluation des gestes spcifiques dtude des
lves, la modification des contrats didactiques pendant la leon.
Cest une rgulation tout la fois collective et individuelle. Les
motions jouent un rle important dans la rgulation de lengagement du
matre comme des lves. Il sinscrit dans des configurations
interactionnelles matre lves plus ou moins euphoriques ou
dysphoriques qui rythment la leon (Veyrunes 2004) et lui donne une
part de sa dynamique.
Une dimension plus spcifique du geste professionnel est son
ancrage dans des configurations dautres gestes qui font avec lui
systme. Lefficacit du geste spcifique serait alors plus lie
diffrents niveaux de configurations densemble. Ce que nous
montrerons plus particulirement dans la communication.
3. Un corpus dtude limit et sa mthodologie O on verra comment
partir dun corpus limit mais avec une mthodologie lourde on arrive
rendre compte dune partie de la complexit de lactivit de
lenseignant. O on verra aussi combien mthodologies, objets de
recherches et rsultats se co-construisent, sauto-limitent. Do la
prudence quant aux rsultats. O on montrera quil serait dangereux de
confondre mthodologie de recherche et mthodologie danalyse de
pratiques pour la formation.
Le corpus : il est la fois trs lourd et limit. Ltude est quasi
clinique. Nous avons observ deux matres utilisant le mme manuel
Ratus de lecture dans deux coles publiques assez diffrentes du
point de vue sociologiques1.
Le recueil de donnes est multiple : des observations filmes de
leons ponctuelles (la dcouverte de la correspondance graphie-phonie
dun son spcifique, tudie dans et partir du texte support du manuel)
, des observations longitudinales de type ethnologique par
1 Ltude sappuie sur le travail de matrise de sciences de
lEducation de Lisa-marie Brunet et Aurlie Liria : Variations sur
une mme partition : tude des gestes professionnels de deux
enseignants de CP travaillant avec la mme mthode de lecture
(2004)
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immersion frquente dans la classe des observateurs
(participation active la classe ou position de simple observation
), des entretiens structurs ou informels avec les enseignants ,
avec les lves, des auto-confrontations sur des leons spcifiquement
tudies.
3.1.Une double mthodologie danalyse et de recueil de donnes Le
point de vue du chercheur et celui de lacteur sont ici
confronts.
Dans les premires analyses le point de vue du chercheur est
dterminant. Les sances filmes sont dcoupes en units didactiques
danalyse pour identifier la dynamique temporelle des tches du matre
et des lves, leurs objectifs et leur dure. A la diffrence du modle
du cours daction de Theureau (1992), le dcoupage nest pas fait
partir du point de vue de lacteur mais partir de celui du chercheur
visionnant la cassette.
Vient ensuite un travail de catgorisation fine pour discriminer
les diffrents gestes de lenseignant. Une longue descente aux enfers
de la description minutieuse, sengage alors pour les chercheurs :
une cinquantaine de gestes pour les deux squences respectivement de
45 et 70 mn sont ainsi catgoriss, classs, mis en relation les uns
avec les autres partir de cadres thoriques prcis.
Ce travail long se fait par confrontation des deux corpus aux
points de vue des chercheurs qui analysent le matriel verbal,
para-verbal et instrumental de la leon.. Ces analyses sappuient sur
plusieurs cadres thoriques :
- sur des cadres didactiques (les travaux sur les premiers
apprentissages du lire crire les travaux de Giasson (1995),
Chauveau (1993, 2002), servent de rfrence principale principaux)
;
- sur les cadres gnraux de lanalyse pragmatique, phnomnologique
et nonciative des discours (interactionnisme socio discursif pour
les questions de relations intersubjectives notion de places, face,
ethos, actes de langage et daction, gestes non verbaux (Jorro)(On
fait rfrence alors aux travaux de lcole de Chicago, Orchionni,
Maingueneau, Vion, Picard, prise en compte de la notion de genre
Bakhtine, mais aussi Bronchard et Clt) ;
- sur des cadres relevant dune linguistique des oprations
nonciatives selon Culioli et Franois qui ont montr chacun leur faon
la manire dont le discours travaille avec ses entours (Franois
1994-2001), dont le langage pingle , articule le langagier et le
non langagier : les oprations cognitives, affectives, la mmoire
etc. (Culioli 1978) ;
- sur des cadres thoriques relevant de la psychologie sociale :
les notions dtayage de Vygotski et Bruner ;
- sur les premiers ou plus rcents travaux dergonomie du travail
du matre (Postic, De Landsheer, Perrenoud, Bressoux etc ).
La confrontation avec le point de vue des acteurs : les matres
et les lves
Il sagit alors de documenter les sances enregistres partir
dauto-confrontations sur les sances (selon la mthode de la clinique
de lactivit de Clt), et avec des entretiens non directifs avec les
matres et quelques lves, en dehors du contexte des sances observes.
Ces auto-confrontations et entretiens nont pas t faits par des
experts mais par des personnes ayant le statut dtudiants ou dattach
dducation ce qui en module la porte et introduit un biais dans le
dispositif de recueil des donnes.
Ces analyses ont t croises avec les analyses externes notamment
pour la discussion des rsultats de lanalyse externe.
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4. Rsultats de la recherche CP. : des gestes de mtier aux gestes
professionnels : une architecture complexe.
Un genre solidement implant pilote la dynamique gnrale de la
leon. Chez les deux enseignants qui ne se sont jamais rencontrs
(ge, cole, exprience professionnelle, sexe, diffrents) on observe
des constantes dans lorganisation et la gestion gnrale de la
leon.
La premire analyse en units didactiques est riche denseignement
notamment pour identifier lextrme faiblesse des variations opres
par rapport au plan daction propos par le livre du matre et par la
mise en page de la leon sur le livre. Les deux matres disent ne pas
se servir du livre du matre. Lun prpare ses leons longuement
(cahier de prparation archi ratur et travaill) lautre dit ne pas
faire de prparation. Les units didactiques identifies sont
fortement communes chez ces deux matres utilisant le mme manuel.
Elles sont au nombre de 12 pour lun et de 14 pour lautre. Chacun
introduit cependant une ou deux lgres variantes inventives dans le
dispositif. La dure des units par contre est trs variable et leur
ordre peut trs lgrement diffrer. Les lves, lors des entretiens,
sont capables de raconter dans le dtail la leon quils miment en en
suivant du doigt, sur un manuel imaginaire ouvert devant eux, le
droulement rituel. Le genre scolaire est donc bien partag. Ces mmes
units didactiques et leur configuration densemble sont reprables
avec dautres manuels de lecture et pourraient donc constituer les
lments du genre: la dcouverte du texte et du son nouveau quil met
en scne avec un manuel .
La conformation ce genre ne gnre aucun malaise chez un des deux
enseignants qui ne le questionne pas. Elle gne, drange lautre qui a
du mal en sortir et le dit.
Une architecture dense de gestes imbriqus et en rseau (Fig 1 et
2)
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La catgorisation, le dcorticage2 de la complexit de lactivit
enseignante observe dans ce contexte spcifique sorganise en une
architecture dense. Nous avons identifi dans nos corpus pas moins
dune soixantaine de catgorisations dont nous avons repr la
dimension sytmique et hirarchique. Ces catgories renvoient des
proccupations conscientes des enseignants pendant le droulement de
la sance, confirmes dans les auto-confrontations. Lanalyse
comparative, en pourcentage, de ces divers niveaux de catgorisation
des gestes rvle des points de convergence forts mais aussi des
diffrences importantes.
Remarque : nous ne pouvons ici dtailler les micro-gestes verbaux
identifis (triangle) ou petits cercles (corporels) de la figure 1.
Nous avons fait un zoom ( figure 2) sur les gestes plus
spcifiquement didactiques du matre.
Lactivit de lenseignant consiste mette en travail un ensemble
complexe de proccupations Un premier niveau de ces macro-catgories
ou macro proccupations a un caractre trs gnrique(fig 1 : rang A et
B). Outre la proccupation centrale dans la leon spcifique
denseigner un contenu spcifique (A), nous en avons identifi dans
les sances tudies quatre autres :
- le tissage : cest la proccupation de lenseignant qui lamne
articuler les diffrentes units de la leon. Cette proccupation
sactualise en deux modalits principales : souligner lentre en
matire, oprer la transition la fin de lunit.
- ltayage : cest le geste que lenseignant fait avec llve pour
accompagner un geste dtude quil ne peut mener seul. Cette
proccupation sactualise en trois sous-catgories : le soutien, la
demande dapprofondissement, le contrle des rponses, lesquelles
prennent la forme dune dizaine de formes dadresse spcifiques que
nous avons identifies (rang D). Le contrle des rponses sapparente
dans notre corpus une forme embryonnaire dinstitutionnalisation du
savoir. Elle est collective et sadresse la classe ou
individualise.
- Le maintien dune certaine atmosphre. Il sagit ici de rendre
compte du climat gnral cognitif et relationnel qui autorise ou non
la prise de parole de llve et son niveau dengagement attendu dans
lactivit. Ce sont des gestes langagiers qui soit par leur dimension
ludique ou coercitive, soit par la nature du feed-back affectif,
soit par les formes diverses de lenrlement (nominatif, regard
insistant etc) dtendent ou crispent les lves, les stimulent ou
non.
-La gestion des dimensions spatio- temporelles : il sagit dune
proccupation vaste et trs pragmatique : le contrle du timing par
des regards frquents ou inexistants la pendule, les dplacements de
lenseignant, le contrle de ceux des lves, lutilisation des
instruments denseignement divers.
Limbrication de ces proccupations communes est constante.
Prenons un exemple : pour faire reprer un son dans la liste des
mots crits au tableau, on observe que les matres optent :
- pour diverses formes dtayage : pistage focalisation : Alors
quelle autre couleur il y a o il y a le son JJJJ ?,
synthse partielle : Alors on en a trouv dj deux : jumelle et
jaune
dveloppement : Allez, y en a dautres, alors quest ce quon peut
dire ?
- diverses manires de marquer son affectivit Viens ici Ismal ,
je tai pas entendu dire un seul mot. Super, a marche ! super forts
les CP ! Mince alors, a vaut le coup
2 Dcorticage : opration par laquelle on dgage une graine de son
enveloppe (Petit Robert). Ce terme renvoie une mtaphore celle du
grain danalyse ncessaire.
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dtre malade (rires). Je vais confisquer la rgle, vous me
fatiguez, toi, tu tavances, viens ici prs du tableau .
- diverses manires de grer le temps (regard inquiet sur la
pendule et le journal de bord), de se dplacer auprs dun lve pour
cacher de la main une partie du mot, divers allers et retours entre
le tableau et les affiches aux murs, baguette en main pour tisser
des relations avec les mots dj lus appris.
Des gestes de mtier fortement communs :
Ltude comparative des macro-proccupations montre des
pourcentages relativement semblables pour les deux matres dans les
5. principales catgories : beaucoup dtayage, trs peu de tissage
entre les units qui se succdent essentiellement par simple
juxtaposition , trs peu dactivit de lecture personnelle (rsolution
de problme)des lves.. Une dcontextualisation forte du travail
phonographique. Le texte est vraiment un prtexte rabcher un son.
Lactivit est phono-centre (figure 2) : travail sur la conscience
phonique (loreille), articulatoire (travail de la bouche) doubl dun
deuxime code (jeu de doigts codant des sons appel par nous la kin
des sons). Elle est trs peu centr sur la conscience morpho
syntaxique ou sur le contexte smantique. Aucune criture nest
propose aux lves. Les lves pour lessentiel sont dans lobserver,
lcouter, le rpter derrire le matre. Les deux matres sur-tayent tout
le travail cognitif des lves, les gestes didactiques du faire
dcoder et dcouvrir le sens par llve tout seul sont quasi
inexistants. La lecture est relaye : le matre souffle le mot, elle
est pointe : le matre suit du doigt sur le texte de llve, elle est
chorale (le matre lit et la phrase rpte dans sa voix) elle est
magistrale : les lves coutent, elle est une fois accompagne dune
criture magistrale au tableau.
Nous en concluons que le genre didactique et scolaire et les
conceptions du lire quil met en uvre, structure une trs grande
cohrence entre les divers micro-gestes identifis (rang D et D). Les
enseignants sont-ils conscients de cette logique conceptuelle quils
actualisent? Se contentent-ils dun faire rptitif , ces gestes de
mtier sont-ils interrogs ? Qui pilote la classe ? Le matre, la
mthode ? O se situe lespace de dcision du matre ? Il est clair
ainsi que dans une la logique observe, lcriture des lves pendant la
leon de lecture ne peut prendre place moins dun coup de force du
matre, dune rupture importante assume. Peut-il laccomplir seul
?
Et pourtant des diffrences de styles, identifiables.
Ltude bien que limite apporte des rsultats quant aux lments de
style ( nous reprenons la dfinition de Clt : le style comme
actualisation dans la pratique singulire dun genre). Autrement dit
o se logent ces arts de faire dajustement et dinventivit en acte de
lenseignant ?
Notre tude rvle que si la dimension didactique et notamment les
conceptions de lapprentissage du lire, dans ses objets et
processus, semblent bien larticulateur principal du genre de
lactivit du matre et de ses gestes de mtier communs, les diffrences
entre nos deux matres se marquent davantage dans leurs conceptions
ducatives, dans le regard port sur les lves, dans latmosphre et les
marqueurs daffectivit qui en rsultent. Ces diffrences modulent du
coup nombre des gestes didactiques mis en uvre et en slectionnent
dautres.
Ainsi chez lun des matres le fait de croire en la capacit
dapprendre des lves ainsi que latmosphre favorable lapprentissage
quil met en scne dans des jeux de langages, rires et plaisanteries
constantes, saccompagnent de gestes dtayage plus individualiss
(lautre matre reste dans un tayage collectif), dveloppe plus des
gestes dapprofondissement
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mtalinguistique et mta-procdural (comment tu fais pour trouver
a) qui rendent visible aux lves la diversit des procdures adopter
pour lire. Cependant on constate que le genre trs fort de la mthode
RATUS empche que ses comptences mises en uvre dans la dimension
pdagogique et culturelle, ne soient transfres dans la dimension
didactique, vcue comme rigide et contraignante. Les tensions vcues
par cet enseignant sont fortes, son malaise est verbalis de
multiples reprises. On pourrait dire de son style quil nest pas
homogne, quil est empch . Il abandonnera le CP en fin danne. On
retrouve ici confirmation des travaux de Dejours (2000) sur la
souffrance au travail comme relevant des gestes empchs.
A loppos, chez le deuxime enseignant, qui a une classe de ZEP,
plus difficile, la vision dfaitiste des lves : De toute faon ils
sont en difficults parce quils ont tout pas dattention, pas de
vocabulaire tous les handicaps ! (autoconfrontation), saccompagne
de formes dtayage essentiellement fondes sur la rptition et la
monstration : Pour les lves en difficults, il faut que je fasse CH
et O =CHO, CH et I =CHI. Tant que a leur est pas rentr . Peu de
place est donc laisse lexpression et la rflexion au profit dun
sur-enrichissement, sur tayage verbal de la part du matre qui parle
constamment. Latmosphre gnrale est trs marque par les injonctions
ngatives (2/3 des feed-back), voire de privation de certaines tches
. Les lves en difficults nont pas droit au cahier dexpression crite
( pour eux cest pas la peine, je leur ai retir le cahier) et
lorsquils crivent, ils font seulement des activits plus faciles de
graphisme ou un travail sur la syllabe .
Chez ce dernier enseignant, il apparat que les gestes mis en
oeuvre dans les trois dimensions
pdagogique, didactique et ducative fonctionnent sur le principe
de la congruence. Nous pensons quils dmultiplient pour certains
lves fragiles les effets ngatifs de certains gestes3. (Hypothse du
cumul, rseau RESEIDA). Chez ce matre, loppos du premier, on ne
relve dans les entretiens et auto-confrontations ni doutes, ni
manifestations dinsatisfactions importantes verbalises. Les
proccupations de changement existent mais portent sur des problmes
tel que lemploi de lcriture scripte ou attache au tableau, lcriture
ou non du texte du livre sur le tableau. La place plus grande de
lcriture pour les lves commence tre pose en fin danne.
On peut avancer que les conceptions de lapprentissage, de la
lecture, les valeurs personnelles de lenseignant entrent en
adquation avec la mthode. Cette adquation freine la rflexivit, le
questionnement sur la pratique. Dans la classe, cette non-rflexivit
sur la pratique et ses prsupposes, pourrait organiser ce cumul des
effets stigmatisants et diffrenciateurs pour certains lves.
Autrement dit et cest ce qui nous apparat peut-tre de plus
importants dans nos rsultats , il semblerait quau final, des
logiques profondes (dernier cercle X de la figure 1) ancres dans la
culture de lenseignant, son exprience, ltat de ses connaissances
sur la matire enseigne, ses valeurs, son engagement dans le pari
dducabilit des lves, structurent en arrire-plan les ajustements
professionnels dans laction en classe . Nous sont-ils accessibles
en formation ? Avons nous le droit de les faire merger ? Avec quels
dispositifs de formation ?
Une rcente prsentation de F. Saugeat (IUFM Aix-marseille) de la
technique de linstruction au sosie en formation (2004) semblerait
pouvoir permettre daccder ce niveau dinvestigation.
3 Ce quune autre tude ponctuelle dans une autre classe de CP,
centre celles-ci sur les effets de certains gestes professionnels
sur les lves en difficults semble confirmer (Mmoire de Mitrise de
Sciences de lEducation de Marie Cabaret 2004)
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Discussion : Nos donnes et analyses sont trs limites et situes
dans le contexte spcifique dune leon en CP partir dun manuel Ratus,
en novembre. Sil y a style et genre cest bien exclusivement pour
dcrire ce moment spcifique.
Nous avons identifi lorganisation trs sytmique et hirarchise des
gestes professionnels. (fig 1). On peut se demander sil ny a pas l
un biais d la mthode de dconstruction -reconstruction progressive
des gestes partir dun grain danalyse trs fin, mthode qui nvacue pas
la subjectivit certes croises des observateurs.
Une autre question est de se demander si cette hirarchisation en
macro et micro-gestes est- heuristique et permet de comprendre les
processus de dveloppement de la comptence professionnelle.
Autrement dit, faut-il enseigner des macro-gestes gnriques,
relativement transversaux, sortes de pr-concepts pragmatiques pour
grer laction ?Des proccupations majeures ? Ou faut-il toujours les
relier aux gestes spcifiquement didactiques avec lesquels ils font
systme ? Dans ce cas le geste micro (les triangles dans notre
figure), pourrait alors tre considr comme le degr le plus accompli
de la professionnalit. A condition 1) quil ne soit pas un geste
aveugle, limit et imit mais quil soit investi des significations
gnriques plus larges contenus dans le geste de rang directement
suprieur. 2) quil sarticule la complexit des autres gestes dont les
finalits sont complmentaires. Ce qui donne aux verbalisations de
lenseignant un sens plus pais .
Par exemple - et nous sortons du corpus tudi jusquici-, le geste
didactique du matre pour faire lire individuellement un enfant
(niveau D fig 1) sans laider Lis ce que tu peux dans le texte, et
discute ensuite avec ton voisin na de sens que sil sait quun
sur-tayage de sa part ce moment l, serait contre-productif. Sil
sait aussi quun tel geste dtude de llve est fortement risque pour
le trs jeune enfant et ncessite donc un feed-back bienveillant et
chaleureux. Sil sait aussi quune taquinerie pour lancer aux lves un
dfi stimulant : Alors l, les petits, je ne suis pas sr que cette
phrase l vous arriviez la lire ! , sera peut- tre le moteur
principal de lactivit de dcouverte des lves.
Cependant, si cette vision architecture des gestes
professionnels rend compte de lpaisseur des gestes langagiers du
matre, de leur polysmie, de leur complexit, elle rend mal compte de
leur dynamique. Certains gestes jouent plus probablement ce rle et
sont dune grande importance ce titre. Ce sont les gestes que nous
appelons de tissage qui structurent progressivement le sens,
balisent le parcours cognitif, lvaluent, le re-finalisent,
modifiant et ponctuant en permanence les changements de contrat
didactique. Ils sont fortement dficitaires chez les jeunes
enseignants mais aussi chez les experts. Leur manque pourrait
expliquer certaines formes de dcrochage.
Nous pensons aujourdhui (travaux en cours) quune bonne partie de
la dynamique du sens, la re-mobilisation des lves dans le cours se
jouerait dans les failles, les imprvus, les vnements inattendus que
le matre est en mesure de percevoir et de traiter. Encore faut-il
quun espace suffisant de paroles soit laiss aux lves pour que ces
imprvus mergent ! Les gestes dajustement dans un tel modle
prendraient alors un relief singulier. Mais il reste construire
dautres genres scolaires de la co-activit matre-lves. Ils sont
encore peu prsents sur le terrain.
Dernire remarque plus gnrale pour la discussion de nos travaux :
nous pensons quil est dommageable pour la formation lanalyse
rflexive sur la pratique de confondre mthodologie de recherche pour
lanalyse des pratiques et dispositif de formation. Nous ne
proposons pour linstant aucune didactisation partir de ce modle
hirarchis des gestes professionnels. Nous cherchons simplement
tester lefficacit des concepts intermdiaires tels que Tissage ,
tayage , atmosphres , gestes didactiques , gestes dtude des
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lves , gestion spatio- temporelle de la classe , en nous
demandant sils sont bien des concepts nodaux pour organiser laction
et la rflexivit sur laction. Nous nen sommes pas plus loin.
Conclusion : aller voir devant et derrire le miroir Ainsi
derrire le miroir de laction, enregistrable, montrable ou
racontable des divergences profondes apparaissent dans les systmes
de valeurs, les conceptions de lducation, les connaissances sur la
discipline enseigne, les conceptions de lenfant et de son
dveloppement, les modles pdagogiques valoriss.
Ces premiers rsultats nous amnent penser quune vision purement
techniciste voire technologique de la professionnalit enseignante
est trs rductrice et dangereuse. Pour autant ils rvlent aussi quune
tude minutieuse des arts de faire et de dire des matres est
indispensable. Comment alors la formation peut-elle prendre en
compte lensemble de ces gestes et attitudes professionnelles ? Une
simple formation ces gestes prcis par compagnonnage permet-elle
laccs aux logiques essentielles qui pilotent laction dans la classe
?Telle est bien linquitude de fond qui sous-tend nos travaux.
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Lactivit enseignante, une architecture complex1. Les questions
principales qui sous-tendent la communication2. Le geste
professionnel: un geste langagier m3. Un corpus dtude limit et sa
mthodologie3.1.Une double mthodologie danalyse et de recuLa
confrontation avec le point de vue des acteurs
4. Rsultats de la recherche CP.: des gestes deUn genre
solidement implant pilote la dynamique
Une architecture dense de gestes imbriqus et enDes gestes de
mtier fortement communs:Et pourtant des diffrences de styles,
identifia
Discussion:Conclusion: aller voir devant et derrire le mi
Bibliographie