Top Banner
N. B. Numérisation réalisée par le LIRE (actuel IHRIM) sous la direction de Philippe Régnier et réservée à l’usage scientifique des membres du laboratoire et des participants au projet ANR SAINT-SIMONISME 18-21. 1 er NUMÉRO.* PRIX : 15 C. Chaque exemplaire. On souscrit, rue du Caire, n. 17, à Pour les renseigne- l’entresol. mens tous les jours de midi à 4 heures. LA FEMME LIBRE. APOSTOLAT DES FEMMES. ____________ APPEL AUX FEMMES. (p 1) 1 22/06/22 04:29
460

LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Aug 31, 2020

Download

Documents

dariahiddleston
Welcome message from author
This document is posted to help you gain knowledge. Please leave a comment to let me know what you think about it! Share it to your friends and learn new things together.
Transcript
Page 1: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

N. B. Numérisation réalisée par le LIRE (actuel IHRIM) sous la direction de Philippe Régnier et réservée à l’usage scientifique des membres du laboratoire et des participants au projet ANR SAINT-SIMONISME 18-21.

1er NUMÉRO.* PRIX : 15 C.—

Chaque exemplaire.On souscrit, rue

du—

Caire, n. 17, à Pour les renseigne-l’entresol. mens tous les jours

de midi à 4 heures.

LA

FEMME LIBRE.

APOSTOLAT DES FEMMES.

____________

APPEL AUX FEMMES.

(p 1)Lorsque tous les peuples s’agitent au nom de Liberté, et que le

prolétaire réclame son affranchissement, nous, femmes, resterons-nous passives devant ce grand mouvement d’émancipation sociale qui s’opère sous nos yeux.

Notre sort est-il tellement heureux, que nous n’ayons rien aussi à réclamer ? La femme, jusqu'à présent, a été exploitée, tyrannisée. Cette tyrannie, cette exploitation, doit cesser. Nous naissons libres comme l’homme, et la moitié du genre humain ne peut être, sans injustice, asservie à l’autre.

1 25/05/23 02:32

Page 2: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Comprenons donc nos droits ; comprenons notre puissance ; nous avons la puissance attractive, pouvoir des charmes, arme irrésistible, sachons l’employer.

* Le second numéro paraîtra le 25 Août.

(p 2)Refusons pour époux tout homme qui n’est pas asesz [sic] généreux

pour consentir à partager son pouvoir ; nous ne voulons plus de cette formule, Femme, soyez soumise à votre mari !

Nous voulons le mariage selon l’égalité... Plutôt le célibat que l’esclavage !

Nous sommes libres et égales à l’homme ; un homme puissant et juste l’a proclamé, et il est compris de beaucoup qui le suivent.

Honneur à ces hommes généreux ! Dans l’avenir, une auréole de gloire les attend. Elevons [sic] la voix, réclamons notre place dans la cité, dans le temple nouveau qui reconnaît à la femme des droits égaux aux droits de l’homme.

L’association universelle commence ; il n’y aura plus parmi les nations que des rapports industriels, scientifiques et moraux ; l’avenir sera pacifique. Plus de guerre, plus d’antipathie nationale, amour pour tous. Le règne de l’harmonie et de la paix s’établit sur la terre, et le moment est arrivé où la femme doit y avoir sa place.

Liberté, égalité,... c’est-à-dire libre et égale chance de développement pour nos facultés : voilà la conquête que nous avons à faire, et nous ne pouvons l’obtenir qu’à condition de nous unir toutes en un seul faisceau ; ne formons plus deux camps : celui des femmes du peuple ; celui des femmes privilégiées ; que notre intérêt nous lie. Pour atteindre ce but, que toute jalousie disparaisse parmi nous. Honneur au mérite, place à la capacité, de quelque côté qu’ils se présentent .

Femmes de la classe privilégiée ; vous, qui êtes jeunes, riches et belles, vous vous croyez heureuses lorsque dans vos salons vous respirez l’encens de la flatterie qui vous est prodigué par tous ceux qui vous entourent ; vous régnez : votre règne est de peu de durée ; il finit avec le bal. Rentrées chez vous, vous redevenez esclaves ; vous retrouvez un maître qui vous fait sentir sa puissance, et vous oubliez tous les plaisirs que vous avez goûtés.

Femmes de toutes les classes, vous avez une action puissante à exercer ; vous êtes appelées à répandre le sentiment (p 3) d’ordre et d’harmonie partout. Faites tourner au profit de la société le charme irrésistible de votre beauté, la douceur de votre parole entraînante, qui doit faire marcher les hommes vers un même but.

Venez inspirer au peuple un saint enthousiasme pour l’œuvre immense qui se prépare.

Venez calmer l’ardeur belliqueuse des jeunes hommes, l’élément de grandeur et de gloire est dans leur cœur. Mais ils ne voient de grandeur et de gloire que le casque en tête et la lance à la main. Nous leur dirons qu’il ne s’agit plus de détruire, mais qu’il s’agit d’édifier.

Les dames romaines décernaient des couronnes aux guerriers ; nous, nous tresserons des fleurs pour ceindre la tête des hommes pacifiques et

2 25/05/23 02:32

Page 3: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

moraux qui feront marcher l’humanité vers un but social et qui enrichiront le globe par la science et l’industrie.

JEANNE-VICTOIRE.

Les Femmes, jusqu'à présent, ont été esclaves soumises, ou esclaves rèvoltées [sic], jamais libres.

Les première pliées à ce naturel de convention qui fait la base de notre éducation, sont esclaves des préjugés sociaux, mais se trouvent protégées par ces mêmes préjugés auxquels elles se soumettent contre tout despotisme individuel.

Les secondes, au contraire, affranchies des entraves de l’opinion générale, ne pouvant invoquer l’égide de cette opinion qu’elles dédaignent, tombent sous la dépendance personnelle des hommes qui, n’étant pas reliés par une morale unitaire, n’ont d’autre sanction à leurs principes et à leurs jugemens isolés que celle du caprice ou du bon plaisir.

Tout en comprenant la nature des femmes qui préfèrent l’abnégation à une satisfaction qui ne serait pas sanctionnée, tout en sachant apprécier l’esprit d’ordre et le noble orgueil qui les rend fidèles au devoir ; nous comprenons aussi la nature de celles qui n’ont pu se soumettre à une loi maintenant privée de cette douce religiosité qui remplit le cœur et rend le devoir plus facile.

(p 4) Leur révolte fut sainte et légitime, du moment où les hommes violèrent la loi qu’eux-seuls avaient formulée, et ne se souvinrent de sa sublime pureté que pour l’exiger de nous, et nous imposer le joug de son austérité à laquelle ils savent se soustraire.

Dès lors il n’y eut plus de religion, les femmes furent forcées d’employer la ruse pour lutter contre l’égoïsme des hommes ; le préjugé succéda à la saine morale dont il n’eut que le masque, et la débauche de la vie privée augmenta la séche [sic] rigidité de la vie extérieure.

Le premier anneau de notre chaîne fut rompu, et notre liberté se continua au milieu de la licence, où durent être entraînées les femmes qui, n’ayant pas conscience de leur insubordination, n’eurent plus aucune règle pour les guider sagement dans le torrent de dissolution qui les emportait et qui fut la plus haute négation d’une morale trop exclusive pour être en harmonie avec les lumières de notre siècle.

S’il a été utile que nous soyons soumises à une loi qui, en nous subalternisant aux hommes, assurait à notre faiblesse des protecteurs contre la force qui alors fut aussi utile pour régir et faire progresser l’humanité ; maintenant qu’il est bien reconnu que le pouvoir brutal tend à disparaître pour être remplacé par le pouvoir moral, il est utile que nous prenions successivement de droit la place que nous occupons de fait. La protection des hommes n’est plus qu’un vain mot, depuis long-temps nos protecteurs ne se servent du pouvoir que leur donne ce titre que pour nous séduire, nous juger et nous condamner ; réduites à nos propres forces, pour résister à leur immoralité nous ne les entraînons dans le vice qu’après y avoir été entraînées par eux...

3 25/05/23 02:32

Page 4: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Gloire aux femmes qui, brisant leur nature et la soumettant aux exigences de la loi chrétienne, ont sacrifié à une noble fierté les battemens d’un cœur qui ne pouvait être compris d’un monde qui se joue de la véritable vertu, et la fait consister dans la froide réserve et la molle uniformité. Elles ont conservé cette dignité, résultat d’une satisfaction de conscience que donne toujours le sentiment de l’accomplissement d’un devoir. Elles ont sur les hommes cet ascendant qui (p 5) commande le respect, et qui, à leur insu, leur fait connaître notre supériorité de mœurs.

Mais aussi gloire aux femmes qui, suivant l’instinct de liberté qui était en elles, ont aplani la route de notre émancipation. Quels que soient les désordres où leur faiblesse a pu les entraîner, se fussent-elles plongées dans la fange, leur nom un jour sera béni ; flétries par l’opinion, on n’a vu en elle que le côté dégradant, à nous il appartient de réhabiliter, à nous il appartient de sonder les profondeurs de ces abîmes de corruption où se trouvent englouties tant d’existences, tant de brillantes espérances... Que tout homme en nous lisant, en nous voyant, s’abstienne de nous juger, s’il ne comprend pas la haute moralité qui nous fait agir, et la foi religieuse qui nous donne la force de vaincre la réserve dont notre éducation nous avait enveloppées, pour venir révéler hautement ces profonds mystères d’un cœur de femme qui, suivant qu’ils sont développés ou réprimés produisent une source féconde des plus sublimes vertus ou un gouffre de vices et de dissimulation...

Dégagées de toute prévention, nous remonterons à la source de cette horrible dépravation qui fait d’une partie de la société un véritable enfer ; là, toutes les ressources de l’esprit, de l’adresse, de la beauté, sont employées à attirer ceux que cette dépravation n’a pas encore atteints, ou qui ne sont encore que sur le bord de l’abîme, horrible repaire où toute la puissance n’est que démoralisatrice et se reproduit sous mille formes différentes ; par la fraude, le vol, l’assassinat, le suicide, la prostitution... Ah ! pitié, pitié, pour les malheureux emportés par le torrent ; et nous, parce que nous avons eu la force d’y résister ou que des circonstances indépendantes de notre volonté nous en ont tenues éloignées, loin de jeter sur la tête des malheureuses victimes un anathème dont elles ne peuvent soulever le poids, notre voix s’élèvera pour elles, nous les protégerons de notre amour et de l’estime que nous sommes en droit d’exiger pour nous, car notre vie a été pure de toute souillure selon la loi chrétienne.

Quelle que soit la vie passée des femmes qui se rangeront (p 6) sous notre bannière, elles ont, comme nous, droit au respect, car notre bannière est religieuse, et plus d’une, soutenue par nous, ferait, en dévoilant ses douleurs, retomber sur ses accusateurs la boue dont ils essaieraient en vain de la couvrir.

Nous, femmes qui arborons cette bannière, nous nous déclarons libres non point d’enfreindre pour notre vie intime l’ancienne loi morale, nous la pratiquerons jusqu’au moment où une loi nouvelle moins exclusive viendra la remplacer ; mais nous nous déclarons libres de toutes les formes extérieures que nous imposent les convenances.

Pratiquant la morale chrétienne aussi rigoureusement que ceux même qui jugent tout par elle, nous serons liées à eux par nos actes, par notre

4 25/05/23 02:32

Page 5: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

amour du devoir et de l’ordre. Mais aussi nous serions liées à ceux qui la renient, par l’appréciation que nous savons faire de leur nature, par notre abandon et le désir qui est en nous de les amener à la loi qui, en les réhabilitant fera cesser les maux et les désordres dont ils sont souvent les auteurs.

Ainsi, placées entre ces deux camps si opposés, dont l’un est tout aussi exclusif dans sa régularité, que l’autre dans son désordre, nous emploierons toute notre puissance conciliatrice pour faire cesser l’antagonisme qui est entr’eux [sic], et leur faire apprécier réciproquement leurs vertus et leur valeur, jusqu’au jour où leurs progrès mutuels leur permettront, non point de former un seul et même camp, mais de siéger ensemble dans le temple nouveau et d’être unis par un même amour, un même désir, l’harmonisation de l’intérêt particulier à l’intérêt social ; alors sera produite la loi nouvelle qui donnera satisfaction et règle à chacun d’eux, alors notre apostolat sera fini, la femme par ses œuvres aura élevé sa nature à la hauteur de l’homme ; elle sera son égale, et leur union amènera le régne [sic] de Dieu sur terre.

JEANNE-DÉSIRÉE.

Cette publication n’est pas une spéculation, c’est une œuvre d’apostolat pour la liberté et l’association des femmes. Ayant senti profondément l’esclavage et la nullité qui pèsent sur notre sexe. Nous élevons la voix pour appeler les femmes (p. 7) à venir avec nous, réclamer la place que nous devons occuper dans le temple, dans l’état [sic], et dans la famille.

Notre but est l'association. Les femmes n’ayant eu jusqu’ici aucune organisation qui leur permît de se livrer à quelque chose de grand, n’ont pu s’occuper que de petites choses individuelles qui les ont laissées dans l’isolement.

En offrant à leur activité une œuvre sociale à accomplir, un but à atteindre, nous avons foi que beaucoup se rallieront à nous, que d’autres nous imiteront en formant plusieurs groupes agissant chacun suivant les idées de celles qui les formeront, jusqu’au moment où ayant accompli l’œuvre qui leur est propre, ils se réuniront pour ne plus former qu’une seule et même association.

Cette publication n’est donc qu’un moyen pour arriver au but que nous nous proposons. C’est pourquoi nous faisons appel à toutes les femmes, quel que soit leur rang, leur religion, leur opinion, pourvu qu’elles sentent les douleurs de la femme et du peuple, qu’elles viennent se joindre à nous, s’associer à notre œuvre, et partager nos travaux.

Nous sommes Saint-Simoniennes, et c’est précisément pour cela que nous n’avons pas cet esprit exclusif qui repousse tout ce qui n’est pas soi. C’est notre nouvelle religion qui nous fait voir en chaque chose, ce qu’il y a de bon, de grand, et qui nous fait chercher et prendre l’élément progressif partout où il se trouve.

En nous occupant d’une œuvre de régénération, nous ne prétendons pas nous imposer une tâche au-dessus de nos forces, nous tiendrons compte de la position où les femmes se trouvent placées par leur

5 25/05/23 02:32

Page 6: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

éducation, nous savons que généralement elle ne peut leur donner que des idées étroites et décousues.

Cependant quelques-unes échappent à la loi commune, d’autres passent avec facilité d’une idée très-profonde, à une idée très-légère. C’est pourquoi nous qui comprenons ce qu’il y a de bon dans ces natures, et qui sentons la nécessité de les satisfaire toutes, nous prendrons la forme irrégulière qui est le signe distinctif du caractère de la femme de notre époque.

(p. 8) Nous parlerons morale, politique, industrie, littérature, modes, non point selon l’opinion et la règle reçues ; mais selon notre cœur. Nous tiendrons moins à la science et à l’élégance du style, qu’à la franchise des pensées. Car ce que nous voulons avant tout, c’est que les femmes se débarrassent de leur état de gêne et de contrainte où les tient la société, et qu’elles osent dire dans toute la sincérité de leur cœur, ce qu’elles pressentent, ce qu’elles veulent pour l’avenir.

MARIE-REINE.

P. S. Nous n’insérerons que les articles de femmes. Nous invitons celles qui voudront écrire dans cette brochure, à s’adresser à Marie-Reine, directrice, rue du Caire, no 17, de midi à 4 Heures, tous les jours excepté le dimanche.

Nous recevrons aussi les lettres particulières relatives aux questions qui seront traitées dans nos publications.

(Affranchir les lettres).

JEANNE-DÉSIRÉE, Fondatrice,

MARIE-REINE, Directrice.

------------------------PARIS. – IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE,no 54.

6 25/05/23 02:32

Page 7: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

LA FEMME LIBRE.

2e NUMERO. 25 AOUT.— —

S’adresser, pour lesrenseignemens et l’a-chat des brochures,de midi à 4 heures,rue du Caire, n. 17,à l’entresol.

On reçoit les sous-criptions des per-sonnes qui

prennentintérêt à notre

œu-vre .

PRIX : 15 cent.

APOSTOLAT

DES FEMMES.

AUX FEMMES CHRÉTIENNES.

Nous avons fait un appel à toutes les femmes pour les exciter à se joindre à nous afin de travailler à notre affranchissement. Mais, aujourd’hui, je vais parler plus spécialement à celles que le mot de liberté effraie, qui, par leur éducation, leur caractère, sont chrétiennes. Il en est parmi elles, qui nous repoussent franchement, d’autres qui acceptent en secret nos idées, et qui, par rapport au monde, n’osent les approuver hautement. Pour les dernières, je les plains sincèrement, car elles sont bien esclaves. Nous mettrons en usage tous les moyens qui sont en notre pouvoir pour les engager à sortir de cet état de gêne qui les force à employer la ruse et le mensonge. C’est donc à vous, femmes chrétiennes, que je m’adresse. Vous refusez la liberté, vous craignez le désordre ; ah ! je conçois vos craintes, je les ai (p 2) partagées. Quand un homme grand et puissant proclamait que les femmes devaient être libres, je refusais la liberté ; mais tout en la refusant, je réfléchis, j’examinais, et je reconnus que ce n’est point la liberté qui amène la licence mais bien plutôt l’esclavage : Lorsqu’on a long-temps subi un joug, on se lasse de le porter, on le secoue, c’est ce qui a lieu en religion, en morale, en politique. Depuis long-temps, le monde s’élève contre la loi chrétienne, et le désordre existe, ce n’est pas nous qui viendrons l’augmenter. Une

7 25/05/23 02:32

Page 8: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

autre idée sur laquelle je veux attirer votre attention, c’est qu’avec les goûts et le caractère qui doivent le plus trouver satisfaction et bonheur dans la société telle qu’elle est organisée, vous n’avez pas été sans y éprouver des chagrins, résultat de la fausse éducation qu’on nous donne. Mais réfléchissez combien celles qui, par leur caractère, diffèrent absolument de vous, ont dû souffrir davantage, surtout si ce caractère s’est trouvé dans une fille du peuple. Oh ! alors, la malheureuse, il a fallu qu’elle dévore ses pleurs et qu’elle les renferme en elle-même. Quelques-unes ont eu cette force, d’autres ne l’ont pas eue, et on leur a jeté anathème ; on n’a pas réfléchi à la position où elle se trouvaient placées. Femmes qui avez de la charité, sans doute vous avez gémi sur le sort de ces femmes jeunes et belles qui sont plongées dans ces abîmes de vices. Mais combien ne devez-vous pas plus souffrir lorsque vous pensez que ces malheureuses ont été perdues par vos époux, vos frères, vos fils ! Qu’elles aussi avaient été pures, qu’elles avaient rêvé les joies d’un amour vertueux et les plaisirs des fêtes ; mais elles étaient pauvres, la misère était là avec cette hideuse figure qui venait détruire tous ces rêves de bonheur ; puis elles voyaient des femmes qui n’étaient pas plus belles qu’elles, et qui cependant jouissaient de tous les plaisirs, étaient parées de tout ce qu’il y avait de plus beau, tandis qu’à peine elles avaient un vêtement et du pain. Au milieu de leur désespoir, des hommes sont venus à elles, ils leur ont parlé d’amour, de bonheur, elles ont cru à leurs paroles, elles se sont vendues croyant se donner, le monde les a repoussées... elles ont été perdues !... Oh ! femmes, c’est au nom de Dieu que je vous invite à con- (p 3) -courir à l’œuvre que nous entreprenons pour sauver à notre sexe la honte et l’humiliation qu’il subit par la prostitution. Quoiqu’elle ne pèse que sur une faible partie de nous, nous ne devons pas moins en ressentir toutes les douleurs, nous devons les sentir plus profondément que celles qui y sont plongées, car elles s’étourdissent sur leur position, tandis que nous pouvons l’envisager entièrement. Eh bien, femmes ! venez, car DIEU est là où s’accomplit une œuvre sociale ; DIEU est là où l’on pense à sauver du précipice ceux qui sont prêts à y tomber. Nous en avons beaucoup sauver, car beaucoup de femmes rêvent la gloire et cherchent par quels moyens elles pourront y arriver. N’en trouvant aucun, elles pourraient faire fausse route et prendre pour de la gloire ce qui ne serait que le plaisir d’un moment. Oh ! qu’elles viennent parmi nous, il y a de la gloire à acquérir. Et vous qui n’aimez que les joies douces de l’intimité, vous trouverez aussi satisfaction pour vos sentimens dans la reconnaissance de toutes celles que vous aurez sauvées des mépris du monde, que vous aurez consolées et dont vous aurez séché les larmes, car elles vous aimeront, et votre nom sera béni par elles. C’est ainsi que parmi nous il y a place pour toutes.

MARIE-REINE. ____________

CROISADE PACIFIQUE.

Femmes ! le temps est venu où, pouvant nous appuyer sur une religion qui sera aussi déclarée DIVINE quand tous la comprendront. Nous devons unir nos voix à celle de ces hommes généreux, qui nous ont consacré leur

8 25/05/23 02:32

Page 9: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

vie entière, et réclamer sous leurs auspices notre affranchissement définitif, dire ce que nous entendons par liberté, comment nous la voulons, et l’usage que nous en saurons faire pour le bonheur de l’humanité ...

Mais avant que d’oser apprendre au monde ce que nous concevons pour l’avenir, quelle foule de préjugés le passé n’a-t-il pas accumulé sur nous, et ces mêmes préjugés étant regardés comme le palladium de la société, les premières femmes qui oseront avancer la main pour les détruire, de-(p 4)-vront avant tout, faire à leur sexe le sacrifice de leur réputation. Les possesseurs de femmes ne sont-ils pas par cela même, tous disposés à continuer les mille calomnies qui ont été débitées sur la société Saint-Simonienne. N’a-t-on pas dit qu’en politique nous voulions établir la loi agraire ; en entendant les femmes parler de liberté, ne dira-t-on pas que nous demandons l’avilissant pêle-mêle. Oh ! non, ce ne serait pas en détruisant ce qu’il y a de plus précieux dans la liberté, et de plus délicat dans l’amour, que nous justifierions la prétention d’être les femmes et les hommes les plus moraux et les plus religieux de notre temps.

Que ces hommes se rassurent donc ; l’esclave seule, ruse, trompe, et proteste par le désordre.

Que de gens ne cessent de nous dire qu’il n’y a pas de pays où les femmes soient plus libres qu’en celui-ci, cela est vrai, la belle et progressive France sera toujours à la tête de l’humanité ; mais nos droits en sont-ils plus reconnus ? et n’est-ce pas à nos caresses souvent trompeuses ; à notre souplesse, enfin à ces mille petites ruses que nous devons la position où nous nous trouvons.

N’entendons-nous pas encore dans le mariage civil le mot de protection. Oh ! si tous les hommes n’estimant pas la force au-dessus de tout, nous respectaient dans nos personnes et dans nos volontés, ce mot de protection ne devrait-il pas être remplacé par le mot égalité, et dans les mariages chrétiens, cette phrase de droit divin : Femmes soyez soumises à vos maris, n’est-elle pas encore plus surannée. Que dans un temps de barbarie et de servitude, les prêtres chrétiens adorateurs d’un Dieu pur esprit, nous aient imposé cette loi, je le conçois, la puissance force étant et justifiant tout, c’était alors nous protéger, que d’établir ce droit de propriété sur nous. Après avoir passé par les religions du paganisme où nous étions généralement considérées comme des instrumens de plaisir, c’était reprendre un peu de dignité que d’être unie à un seul homme par l’indissoluble mariage chrétien, par ce titre d’épouse légitime, de mère de famille.

Mais ce qui était tolérable alors, l’est-il encore aujourd’hui ?... Quel aveuglement de croire que l’humanité doit (p 5) éternellement marcher dans la décision prise dans un siècle obscur et ignorant...

Je prêche donc en ce jour une nouvelle croisade pacifique contre le despotisme, contre l’écrasant joug des préjugés, qui condamne indistinctement, et empêche les faibles de se relever, et surtout contre cette injurieuse croyance qui subalternise et déclare notre sexe inférieur à l’autre.

J’abjure cette belle jeunesse de France, si ardente, si généreuse pour tout ce qui lui paraît grand, de se rapprocher de nos religieux défenseurs,

9 25/05/23 02:32

Page 10: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

de soutenir comme eux la justice de notre cause, et comme eux aussi, de nous entourer de respect : de commander le silence, car notre voix est faible et timide... et cependant nous avons beaucoup à dire ! !

SUZANNE. _________________

AFFRANCHISSEMNT [sic] DES FEMMES.

Il est bien naturel et bien légal ce désir que nous avons de nous rendre libres et de nous débarrasser des entraves qu’apportèrent jusqu’à présent sur notre route les mœurs et les convenances ; et quoi qu’on en dise, il est grand et sublime pour une femme de ne vouloir ni esclavage ni déshonneur, et d’élever la voix contre ce monde qui ne lui offre que l’un ou l’autre. Selon lui une femme doit se renfermer dans le cercle de la vie domestique et dans les fêtes et les plaisirs qu’il lui permet : il lui impose tant de contrainte et tant de gêne que le plus souvent ses plaisirs et ses fêtes ne sont que des corvées ! Et à présent qu’il nous entend parler de liberté, nous, femmes, il s’indigne, parce que, hors l’esclavage, il ne connaît que la prostitution ! Erreur : la liberté que nous voulons repousse l’une autant que l’autre. Nous sentons vivement les peines et les privations de tous genres qui nous attendent si nous courbons la tête sous le joug des préjugés ; mais nous sentons aussi que le bonheur n’est pas où beaucoup le croient. Nous ne nous effrayons pas de l’anathème que plusieurs lanceront contre nous, fortes comme nous sommes de la conviction intime qu’un jour ils avoueront qu’ils s’étaient étrangement trompés en (p 6) croyant voir dans notre amour pour la liberté un penchant vers la licence. Maintenant ils jugent d’après leurs principes, et leurs principes n’ont eu pour conséquences que le mensonge et l’effronterie. Pouvait-il en être autrement, quand pesaient sur nous des obligations que notre nature nous rendait inobservables ; et comment serions-nous fausses quand on ne nous fera plus un crime d’être ce que DIEU nous a faites, des femmes aimantes ? Et, par la même raison, comment l’effronterie trouverait-elle place chez nous, quand on ne nous fera plus un devoir de cette froide réserve, si gênante pour certains caractères ? La liberté donnera l’essor au génie de la femme, à toutes ses facultés intellectuelles ; elle sera belle de franchise et de candeur ; et à mesure qu’elle s’éloignera de ce monde de ruse et de mensonge, elle s’éloignera des vices où il l’a entraînée. Bientôt elle ne connaîtra plus que de douces obligations ; et n’étant plus forcée de marcher dans la voie étroite, elle ne sera plus en danger de tomber dans le gouffre de dissolution. Alors disparaîtront ces abîmes de vices où sont englouties tant de femmes ; mais elles n’y sont tombées que parce que ceux qui se scandalisent de notre liberté les y ont précipitées. Ils n’ont pas craint la licence pour les malheureuses qu’ils ont séduites et à qui ils ont ôté tout retour au bonheur et au respect, et ils la craignent pour celles qui veulent s’affranchir de leur tyrannie et de leur exploitation ; et tel qui nous désapprouve en public nous approuverait en secret si nous usions de notre liberté pour favoriser ses projets de séduction. Quelle confiance accorder à des opinions si contradictoires ? Pour moi, je n’en accorde

10 25/05/23 02:32

Page 11: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

aucune, et je n’ai jamais été la dupe de la bienveillance qu’affectent ceux qui veulent me faire envisager ma liberté comme un opprobre.

Vous, donc qui souffrez de la contrainte que vous impose la société ; vous, qui avez un cœur si aimant et qui voyez ce cœur méconnu, peut-être outragé par des mépris qu’il ne mérita jamais, secouez le joug, répondez à l’appel qui vous a été fait par des hommes qui se sacrifient pour vous affranchir. N’en croyez pas la renommée, connaissez-les avant de les juger. Moi aussi je les ai raillés, car j’avais écouté leurs (p 7) délateurs ; mais la première parole qu’ils m’ont adressée a fait tomber cet échafaudage de calomnies, et maintenant je les bénis et les révère, car ils ont embrassé la cause du faible et de l’opprimé. Et maintenant qu’ils sont accusés d’immoralité, si on adressait à leurs juges les paroles qu’adressa Jésus aux accusateurs de la femme adultère, comme elle ils s’en retourneraient absous. Venez donc dire au monde que ses lois vous font souffrir ; venez accuser le monde de vos désordres si vous en avez eus. Ne vous effrayez pas des combats que nous aurons à livrer et des obstacles que nous aurons à vaincre : gloire et bonheur sont au bout de la carrière.

JOSÉPHINE FÉLICITÉ. ____________

PROCÈS DES ST.-SIMONIENS.

Ce sera décidément le 27, que le PÈRE ENFANTIN et ses apôtres, traverseront la capitale pour se rendre au Tribunal. Cette cause ne peut manquer d’intéresser, elle est celle des femmes et du peuple, elle est celle des hommes généreux de tous les partis, de toutes les religions, elle est enfin la cause de l’humanité. A [sic] l’époque de dissolvation dans laquelle nous nous trouvons, où toutes les croyances en s’affaiblissant perdent de leur exclusivisme, et cherchent, au milieu de l’obscurité qui les entoure, la route qui doit les conduire au but commun qu’elles se proposent, où le patriotisme n’est plus seulement cet amour étroit du pays où l’on est né ; mais bien cet amour vaste de tous les peuples, cette divine communion des hommes éclairés et aimans de toutes les nations qui ne considèrent la leur que comme une portion de la grande patrie ; il est inoui [sic] de voir sur le banc des accusés des hommes dont les paroles, les écrits, le dévouement ont eu puissance d’inspirer à ceux qui les connaissent, l’union, la confiance ; et dont l’universalité des vues [FP. Ces trois derniers mots sont soulignés au crayon à papier.] et l’étendue d’amour fait d’eux, ce point central qui servira un jour d’appui et réunira en lui tous les élémens de progrès qui agitent en ce moment la société.

Nous nous félicitons d’avoir fondé notre apostolat au mo- (p 8) -ment de ce procès, nous en suivrons le cours, et le récit que nous en ferons nous mettra à même de porter aussi notre jugement. C’est surtout lorsqu’il s’agit d’une accusation d’immoralité, que la parole des femmes doit être comptée pour quelquechose. Y a-t-il un seul homme, qui examinant sa conscience, puisse se constituer juge dans une question aussi [FP. : deux

11 25/05/23 02:32

Page 12: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

traits au crayon à papier en face de cette séquence, depuis « C’est surtout. »] délicate ; quel est celui qui osera prononcer affirmativement sur des théories qui honorent l’homme aussi moral qu’audacieux qui a eu le courage de les exposer, et qui se déclarant passif à l’égard des femmes, attend religieusement qu’elles viennent les sanctionner ou les rejeter ? Les hommes au temps où nous vivons, sont-ils, en fait de moralité, tellement supérieurs à nous, qu’ils se croient encore obligés de prendre fait et cause pour nous, et de nous soutenir dans cette voie ? Nous les déchargeons de ce soin, et nous avons assez bonne opinion de notre sexe, pour être persuadées que la liberté ne l’entraînera pas à la licence, et qu’en fait de relations morales, nous sommes plus compétentes que les hommes pour juger.

JEANNE-DÉSIRÉE.

P. S. Nous n’insérons que des articles de femmes, nous invitons celles qui voudront écrire dans cette brochure, à s’adresser à Marie-Reine, directrice, rue du Caire, no 17, de midi à 4 heures, tous les jours excepté le dimanche.

Nous recevons aussi les lettres particulières relatives aux questions qui seront traitées dans nos publications.

(Affranchir les lettres et envois.)

MARIE REINE, Directrice.

------------------------PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, no 54.

12 25/05/23 02:32

Page 13: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

LA FEMME DE L’AVENIR.(p 1)

APOSTOLAT

DES FEMMES.

—————

Avec l’affranchissement de la femme viendra l’affranchissement du travailleur.

La cour d’assises a vu figurer sur ses bancs les apôtres de l’affranchissement des femmes et du peuple ; un tribunal, composé d’hommes seuls, a prononcé sur des théories que les femmes doivent aussi juger.

En mon nom, et au nom de celles qui se joignent à moi, je réclame en ce jour nos droits. Je demande de l’impartialité des hommes la pleine et entière liberté de faire des réu- (p. 2) -nions de femmes, où seront discutées ces théories déclarées immorales. J’en appelle à la franchise de toutes les femmes aimantes, de toutes les mères de famille, pour examiner cette grave question, et si cette doctrine est vraiment immorale, leur cœur, aussi vrai que la science des hommes, la leur fera rejeter.

Je proteste de toutes les forces de mon âme contre l’imputation faite aux apôtres de vouloir le droit du seigneur et la communauté des femmes. Nous repousserions avec horreur de pareilles idées si elles avaient pu leur venir, mais nous pouvons affirmer qu’ils ne les ont pas eues. Nous voulons être libres afin d’acquérir la sincérité et la dignité nécessaires au

13 25/05/23 02:32

Page 14: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

rôle de moralisation que la femme, par sa délicatesse, est appelée à remplir ; et le droit du seigneur était l’asservissement de la jeune fille innocente au très-haut et puissant seigneur, souvent débauché. La communauté des femmes est l'avilissement le plus complet de notre sexe. Elle existe, de fait, par la prostitution, et nous voulons la détruire pour l’avenir. La communauté des femmes est là où une partie d’entre elles sont une propriété servant au bon plaisir des hommes, et sur laquelle l’Etat prélève un impôt, et autorise, moyennant de l’or, ce trafic honteux, qui livre la plus belle au plus offrant. Si la société, ne détruisant pas le plus bel ouvrage de Dieu, la variété qui doit être dans l’humanité comme dans le reste de la nature, ne nous imposait plus ce type, d’après lequel nous sommes toutes élevées en dépit d’un naturel opposé ; mais qu’au contraire, elle donne par une éducation plus large un libre essor au développement de nos facultés morales, intellectuelles et physiques, les désordres dont notre sexe est souvent la cause secrète n’existeraient pas. C’est dans l’intérêt de la société tout entière que nous voulons notre liberté ; c’est pour en poser les bases et les limites, et la faire comprendre aux femmes et aux hommes que nous avons fondé notre Apostolat ; il est composé en grande partie de femmes prolétaires. Le hasard de la naissance nous a fortifiées et préparées pour en pouvoir (p. 3) porter le lourd fardeau. Comme l’apôtre ancien, nous nous dépouillons des vieux préjugés de la civilisation pour revêtir la robe nouvelle ; mais comme lui, nous ne pleurerons pas sur la grande Babylone, car si elle renferme dans son sein de nombreux vices, nous savons que, par nous, ces vices se transformeront en grandes et sublimes vertus. Les temps de l’anathème sont passés : Dieu veut que tous soient élus.

Voilà quelle est notre foi, voilà ce que nous avons mission d’enseigner ; et nous pouvons dire que notre mission est divine, car elle a pour but le bonheur de tous.

JEANNE-DÉSIRÉE.

PROCÈS DES APOTRES.

—————

Il est enfin rendu ce jugement ! oui, à la majorité de plus de sept voix, les accusés sont coupables, a dit d’une voix tremblante le jury ; et il déclarait coupables d’immoralité des hommes qui ont conçu la pensée de sauver la femme des souillures de la prostitution et des souffrances de l’esclavage ! Des hommes qui, pénétrés de douleur en voyant le désordre qui règne dans les relations de l’homme avec la femme, ont entrepris d’apporter dans ces relations : ordre, franchise et liberté pour tous. Ils veulent faire cesser ce conflit qui existe entre les différentes natures ; ils veulent que ceux qui trouvent leur bonheur dans une union durable,

14 25/05/23 02:32

Page 15: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

n’aient pas à craindre de voir cette union souillée par l’adultère, et que ceux qui sont d’une nature vive, puissent changer, mais changer sans déshonorer les familles, sans porter le désordre dans les ménages, la douleur et le remords dans le cœur (p 4) des femmes, changer en ce proposant un but de moralisation sur ceux qu’ils auront puissance de moraliser. Et c’est là ce qu’on appelle immoralité ! Vraiment, en entendant un pareil langage, peut-on croire qu’il y ait bonne foi de la part de ceux qui le tiennent ? Peuvent-ils être tellement ignorans sur les mœurs de notre siècle, qu’ils ne sachent qu’il n’y a que douleur, que déchirement à attendre dans le monde, tel qu’il est organisé ? Ils ne peuvent se dissimuler le grand nombre d’époux qui vivent en mésintelligence ; et quand je dis en mésintelligence, je n’entends pas parler seulement de ceux qui sont en guerre ouverte, mais aussi de ceux qui ne s’aiment pas assez pour trouver du charme même à souffrir ensemble, et qui s’aiment assez peu pour ne pouvoir trouver dans leur amour mutuel les consolations qui leur feraient oublier les peines de la vie. Je dis donc qu’ils ne peuvent se dissimuler le grand nombre de ménages où règne cette mésintelligence, parce qu’on ne s’est pas occupé, en unissant ces époux, de voir si leur nature était en harmonie, ou parce qu’on leur fait un devoir de rester unis, alors même que cette harmonie n’existe plus. Et ces femmes sur lesquelles pèsent un si grand anathème, si, dès leurs jeunes ans, on avait accordé satisfaction à leur nature, tout en les dirigeant vers un but moral, elles emploieraient leur beauté à moraliser à leur tour, et ne seraient pas, comme aujourd’hui, un sujet de chutes pour plusieurs, et un fardeau pour elles-mêmes. Contenues dans de justes limites, sans être asservies à une morale exclusive, elles concourraient plus qu’on ne le pense, au progrès, au bonheur de l’humanité. Au lieu de cela, que sont-elles ? la honte, l’opprobre de leur sexe, et comme le disent ceux qui nous condamnent, un mal nécessaire. Et c’est vous qui nous taxez d’immoralité ! vous, qui désespérez assez des moyens de bonheur que la Providence vous met dans les mains pour penser que la prostitution soit un mal nécessaire ! Et moi, je vous le demande, sont-ils vraiment moraux ceux qui admettent le comble de l’immoralité comme chose nécessaire, et qui re- (p 5) -fusent les moyens qu’on leur offre de moraliser l’immoralité elle-même, qui déclarent cette moralisation impraticable ; que dis-je ! qui la font envisager, non comme un remède, mais comme un poison violent. Qu’ils jettent donc un regard observateur sur le passé, sur le présent, fruit de leurs vastes conceptions en politique, en morale, et sur l’avenir qu’ils se préparent, en suivant la même route. Est-il tellement beau, ce passé, ce présent, cet avenir, qu’ils aient beaucoup à s’en glorifier. Qu’ils considèrent l’impuissance, le vice même du mode de moralisation qu’ils ont employé jusqu'à présent, en en voyant les funestes effets ; et je ne puis trop le dire, ces funestes effets, c’est l’adultère, c’est la prostitution. Que faut-il donc que le mal ait de plus terrible pour qu’ils consentent au remède ? Que leur faut-il de plus que les souillures et les douleurs innombrables de la chair, pour leur faire voir qu’elle ne peut, qu’elle ne doit pas être soumise à l’esprit, mais bien marcher son égale. Qu’attendent-ils donc pour être convaincus que des élémens de progrès, des principes de moralisation, plus puissans que ce qu’ils ont imaginé dans leur morale toute spirituelle, sont renfermés dans

15 25/05/23 02:32

Page 16: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

ces vices sur lesquels ils ne savent que jeter anathème. Ce qu’ils attendent sans doute, c’est que la femme s’unisse à l’homme pour formuler la loi nouvelle. C’est qu’elle quitte l’aiguille et la navette pour endosser la robe de l’apostolat ; c’est qu’elle vienne, elle que l’homme ne pourra repousser, leur dire et ce qu’il y a d’impuissant dans leur morale pour le bonheur du monde, et tout ce qu’il y a à espérer de paix, d’ordre, de bonheur, dans ce qu’elle veut pour l’avenir. Nous en avons la foi : quand la femme aura parlé, on ne condamnera plus, on ne s’effraiera plus, parce qu’il appartient à la femme, de concert avec l’homme, d’apporter au monde paix, ordre et bonheur.

JOSÉPHINE-FÉLICITÉ.

(p 6)LE PROCÈS.

————

Après sept mois d’instruction, les Saint-Simoniens ont comparu devant leurs juges ; mais quelle transformation s’est faite en eux. Il y a sept mois ils n’étaient qu’associés ; aujourd’hui un sentiment religieux les unit. A cette époque ils disaient : nous sommes Saint-Simoniens ; ils l’étaient, il est vrai, mais ils n’étaient que cela : aujourd’hui ils sont apôtres. Apôtres des femmes et du peuple. Ils ont un costume, et chacun peut dire en les voyant : ceux-ci ont du dévoûment [sic], car il en faut pour se livrer ainsi au monde pour s’exposer aux risées de ceux qui ne comprennent pas qu’on puisse avoir une foi religieuse. A [sic] cette époque, ils disaient : nous aimons le peuple, et ils faisaient des discours ; aujourd’hui ils l’ont prouvé en détruisant chez eux la domesticité et en se livrant à des travaux déclarés vils, ils ont montré que vraiment pour eux l’industrie est aussi sainte que la science et qu’ils avaient renoncé aux priviléges [sic] auxquels par leur naissance, leur éducation, ils pouvaient prétendre.

C’est en cette position qu’ils sont comparus devant un jury composé d’hommes propriétaires. Ces hommes qui sont venus pour les juger, qui

16 25/05/23 02:32

Page 17: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

sont-ils ? je les reconnais pour la majorité, hommes de probité, bons pères de famille ; mais peu capables de juger des questions telles que celles mises en causes [sic], et surtout dans le peu de temps qui leur était donné pour les examiner. Ils ont dû les condamner. Comment pouvait-il en être autrement ? ils sont venus pour juger des doctrines qui, au premier abord semblent détruire tous leurs (p 7) droits, comme hommes et comme propriétaires. Je dis au premier abord, car lorsqu’on les examine d’avantage on reconnaît bien vite qu’elles veulent le bonheur de tous, et non celui d’une partie de la société aux dépens d’une autre. Oui ! je vous le demande à vous riches, qui avez un cœur sensible, ne souffrez-vous pas des douleurs du peuple ? Oh ! oui vous en souffrez, car il vous est impossible de vous soustraire au tableau de ces douleurs, elles vous suivent partout dans vos plaisirs, vos fêtes et vous ne pouvez faire un pas sans qu’elles se présentent à vos yeux, et puis ne devez-vous pas craindre que venant à se lasser de sa misère, il ne se révolte et ne vienne porter chez vous la désolation ; il est donc de votre intérêt qu’il s’établisse un ordre de choses dans lequel le prolétaire deviendra votre associé, et où il n’y aura plus de misère. Il y aura du bonheur pour vous et vous pourrez sortir dans les rues, sans rencontrer ces douleurs qui vous font frémir aujourd’hui. Pour la morale on a dit qu’ils détruisaient les droits des hommes ; oui, ils détruisent la suprématie qu’ils exercent sur les femmes, mais je le demande à tout homme de bonne foi, ne serait-il pas plus heureux si au lieu d’avoir à gouverner une femme qui se révolte contre son autorité, non pas peut-être ouvertement, mais par la ruse, le mensonge. Ne serait-il pas plus heureux s’il avait une femme qui étant son égale, partagerait ses droits mais aussi ses travaux, et ne serait pas comme aujourd’hui un meuble de salon ou un ustensile de ménage. Cela existe déjà de fait sinon de droit, car la femme du marchand partage les travaux de son mari, et se mêle de tout ce qui dépend de son commerce. Puisqu’elle partage ses travaux, pourquoi ne partagerait-elle pas ses droits ? Oui, la femme a dû être soumise tant que le pouvoir de l’épée fut celui qui régla la société, mais du jour où il sera remplacé par celui de l’industrie, elle doit et peut devenir l’égale de l’homme, car si elle ne l’égale pas en force physique elle l’égale en amour et en intelligence. Et c’est pour ces doctrines que l’on a condamné des hommes qui ainsi que vous le voyez, loin de vouloir le (p 8) malheur de personne viennent pour assurer le bonheur à tous, en faisant cesser la misère qui est la cause continuelle des émeutes ; en associant le maître à l’ouvrier, en les faisant s’aimer l’un l’autre, en associant l’homme à la femme et en faisant disparaître la violence et la ruse qui sont la base de presque tous les rapports qui les unissent aujourd’hui. Oui on les a condamné [sic] les hommes qui prêchent ces doctrines, et ils subiront leur condamnation, leur foi est assez grande pour tout supporter. Ils savent que l’humanité leur tiendra compte de ce qu’ils font pour elle. Oui le jour où l’humanité jouira du bonheur qu’ils travaillent à lui donner, elle reconnaîtra que ce sont eux qui le lui ont fait conquérir, et elle bénira leur nom comme elle a béni celui des Apôtres du Christ.

MARIE-REINE._____

17 25/05/23 02:32

Page 18: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Cette petite brochure, rédigée et publiée par des femmes, paraît à jours indéterminés ; on n’y insère que des articles de femmes : celles qui voudront écrire sont priées de s’adresser au Bureau de l’Apostolat, tous les jours, de midi à 4 heures, rue du Caire, n. 17, à l’entresol ; on y reçoit les souscriptions des personnes qui prennent intérêt à notre œuvre.

Nous recevons les lettres relatives aux questions traitées dans nos publications.

(Affranchir les lettres et envois).

MARIE-REINE, Directrice.

———————————————————————————PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, n° 54.

18 25/05/23 02:32

Page 19: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La Femme Nouvelle.(p 1)

APOSTOLAT

DES FEMMES.

—————

Avec l’affranchissement de la femme viendra l’affranchissement du travailleur.

Alliance de la Science et de l’Industrie.

Industrie, relève ton front si long-temps humilié ; la Science vient te prendre par la main, et t’invite à marcher son égale : Elle est accompagnée du Génie, qui va t’éclairer de son lumineux flambeau. Conduite par de tels guides, tu vas devenir plus riche et plus puissante. Tu fus jusqu’à présent frappée d’anathème, chargée d’entraves ! Que de courage et de persévérance il t’a fallu pour parvenir au point où tu (p 2) es arrivée ! Unie à la Science, ta route sera facile ; elle applanira [sic] les difficultés que tu ne peux surmonter qu’avec beaucoup de temps et de peine, et tu vas doubler de valeur et d’intelligence. Toi, source féconde de richesses, soutien des empires, on te repoussait, on te dédaignait ! Toi, mère de l’Abondance, tu serais vouée à l’éternelle misère ? Non, l’heure de ton élévation est arrivée ; viens prendre la place que tu dois occuper. Loin de te chasser du temple, aujourd’hui c’est ton temple qui s’élève.

19 25/05/23 02:32

Page 20: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Sur le frontispice je lis ces mots : SCIENCE, RELIGION, INDUSTRIE. Trinité sainte soyez à jamais unie !

JEANNE-VICTOIRE.

DE LA PROSTITUTION.

—————

Le monde en général ne comprend dans ce mot prostitution que ces femmes qui, au nombre de trente-cinq mille, s’en vont chaque soir, à l’ombre d’une permission de la police, offrir à tous les passans leurs charmes dégradés et flétris par des caresses impures que la grossièreté et l’insulte accompagnent ; rebuts de la société et des hommes qui en détournent les yeux avec dégoût après les avoir abreuvées de leur ignominieuse tendresse.

La prostitution est encore ailleurs, car elle habite les somptueux palais, les hôtels élégans aussi bien que la sale masure de la rue détournée. Oui, la prostitution est partout ; elle est chez la jeune fille du peuple qui, trompée par son innocence, s’en va grossir le nombre des victimes dont un adroit séducteur se fait une révoltante auréole pour l’abandonner ensuite en des mains encore plus indignes que les (p 3) siennes. Elle est chez cette fille malheureuse qui, se débattant dans des flots de misère, luttant par un obstiné travail mais dont le prix est insuffisant contre la faim qui la dévore, s’en va se vendre au vautour qui épie le moment de sa détresse pour un morceau de pain qu’elle apporte en pleurant à sa mère, vieille et infirme. Elle est chez cette femme jeune, belle, ambitieuse d’atours et de plaisirs, mais dont une famille sans fortune et sans nom ne peut satisfaire les désirs de grandeur et de gloire.

Elle est chez toi, fille de la classe privilégiée, toi dont l’enfance fut entourée de tant de soins, ta jeunesse de tant d’hommages ; toi, dont le sentiment délicat fut si bien développé par une éducation maternelle, on va te vendre aussi ; ton père te donnera pour époux, non pas celui qui sera le plus digne de toi, mais celui qui, t’apportant la plus grande somme d’argent, pourra richement acheter ta personne et ta dot ; pauvre fille ! tu es donc aussi condamnée à donner tes caresses à un étranger que tu ignores et qui ne te connaît pas, qui ne te comprendra peut-être jamais. Heureuse, dix fois heureuse, si tes yeux et ton cœur ne sont pas portés vers un autre objet auquel il te faudra renoncer. Et toi, noble fille des rois, ton beau front orné du diadême [sic], est-il exempt du sceau de la prostitution qui a marqué celui de tes compagnes ? On t’a donnée, il est vrai, comme la plus belle garantie qui pût cimenter l’union des deux peuples et il est beau de dévouer ainsi sa personne au bonheur des autres, mais dis-moi t’a-t-on bien laissé la gloire du sacrifice, t’a-t-on bien

20 25/05/23 02:32

Page 21: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

laissé la volonté de choisir entre les souverains celui avec lequel tu peux le mieux t’entendre pour instruire et diriger des masses dont tu veux le bien-être ? non, esclave de quelques diplomates, on t’a donnée sans consulter tes goûts ni ta volonté, on t’a prostituée. La prostitution est donc partout ; elle est flagrante au milieu de nous, et cependant ces mêmes hommes qui la pratiquent si ouvertement osent accuser et juger d’autres hommes parce que ceux-ci ont le courage de protester contre leur immoralité, ils prononcent d’un air timoré (p 4) le mot de scandale !... La corruption seule rougit se voyant dépeinte, a dit un historien.

De pareils désordres ne doivent pas durer davantage ; c’est à nous, femmes, de les faire cesser ; c’est à nous de poursuivre de notre justice inquisitoriale tout homme qui, usant du droit d’exploitation que lui donne sur nous la loi du passé et le préjugé actuel, voudrait nous restreindre dans les bornes de la morale chrétienne telle qu’il l’a formulée, morale qu’il ne veut, qu’il ne peut accepter pour lui-même ; c’est à nous à devenir à notre tour leurs accusatrices et leurs juges, nous attachant à leur arracher sans cesse le masque d’hypocrisie dont ils se couvrent, et les amenant enfin à reconnaître nos droits à une égalité bien méritée et nécessaire d’ailleurs à l’ordre social nouveau qui se révèle avec d’autres besoins que celui du passé.

CHRISTINE-SOPHIE.

LE

MONDE NOUVEAU,

PAR M. RAY- DUSUEIL.

_____

C’en est fait, la redoutable comète de 1832 a fracassé notre pauvre monde, le voilà qui roule dans l’espace... Traversons au plus vite le chaos, et voyons de tous ces grands débris qui surnagera ? D’abord, quatre femmes. Bénédictions ! ! Si l’auteur les laisse user de leur libre arbitre, son livre sera bien nommé. Mais avant de passer outre, je vous prie de me dire, monsieur l’auteur, pourquoi vous avez (p 5) choisi tous gens parés de sobriquets pompeux. Sobriquets, le terme est fort, direz-vous ; il faut m’excuser, car avec mon bon sens de prolétaire, je ne puis accorder que ces distinctions sociales deviennent titres qu’autant qu’elles sont méritées personnellement.…. Marquise, comtesse, baronne, etc. Qu’est-ce que cela veut dire, je vous prie ? Dans le monde qui vient de finir, c’était peut-être une fonction rétribuée en raison de son utilité ? nullement. Ou bien, par leur éducation, ces femmes sont-elles exemptes de préjugés, et pourront-elles coopérer plus efficacement à la formation du nouveau monde ?... Enfin, passons les titres, ne nous faisons pas

21 25/05/23 02:32

Page 22: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

accuser de chercher querelle pour des vétilles. D’ailleurs, dans la manière dont l’auteur emploiera ces dames, je trouverai sans doute la justification de cette préférence.

Place, place ; voici le héros : M. de Brémont, sans contredit, jeune homme charmant qui, lors de l’apparition de la comète, rêvait, réformait, organisait ; et comme beaucoup d’autres malheureux penseurs, mécontent de tout ce qu’il voyait, avait plus d’une fois répété :

Arrive donc, implacable comète,Finissons-en , le monde est assez vieux.

Le voilà au comble de ses vœux ; il est seul, la place est nette ; des femmes grâcieuses, spirituelles, l’entourent ; sans doute qu’il a son système en poche, et qu’il va de suite se mettre à reconstruire, à refaire un monde, et l’appuyer sur une base solide. Examinons : Eh, bon Dieu ! M. de Brémont, votre système c’est de n’en point avoir, et d’aller pour ainsi dire au jour le jour. En vérité, dans une œuvre aussi fortement conçue, vos dames auront de l’activité, car ordinairement, je conviens que nous ne sommes pas pour les raisonnemens de longue haleine, mais excellentes pour l’inspiration du moment. Aussi, dans votre conseil, elles vont être en majorité ; la puissance morale aura ses représentantes, (p 6) le règne de l’Amour va s’établir sur cette heureuse terre ; nouvel Eden, bien supérieur au premier, où il n’y avait que l’absence du mal, ici il y aura bonheur complet. On n’oubliera la prière que pour ne se rappeler de l’action de grâce !... Halte-là, mon imagination ! vous avez trop devancé l’auteur ; rétrogradez, je vous prie, et voyez les choses s’établir, non pas comme vous les désirez, mais bien comme on vous les décrit.

O ciel ! quel désappointement ! mais, en vérité, M. de Brémont, c’est à vous perdre de réputation. Vous ressemblez à s’y tromper à tous les maris de ma connaissance. Quoi ! sans avoir un principe, un point d’appui pour asseoir les fondemens de votre nouvelle société, vous vous entêtez dans vos moyens, vous faites du vieux, du replatrage [sic]. On vous avertit : « mais un homme qui se respecte, et qui doit avoir la suprématie en raison de ces quelques pouces et de ce qu’il est le plus fort, et aussi le plus hardi ; et que ce n’est pas parce qu’il est le plus hardi qu’il est fort, mais qu’il a conscience de sa force, et d’autres causes inhérentes à sa nature masculine. » Enfin, c’est une vertu de toutes ces très-fortes raisons données textuellement par la Gazette de France, le 2 de ce mois, que vous continuez quand même. Avouez-le, il y a un instant, ou je crois que si ce n’eût été l’extrême urgence de peupler votre monde, vous auriez dit aux conseilleuses, comme un certain président de cour royale très-connu dans Paris, à des dames qui avaient probablement aussi d’excellentes choses à dire : « Femmes, si vous ne vous taisez, je vous fais jeter à la porte. »

Eh bien ! charmante comtesse, délicieuses marquises de tous les pays, à quoi vous servent vos grâces, vos titres, dans le : je vous fais jeter à la porte, prononcé dans la première capitale du monde civilisé. Toutes les femmes ne sont-elles pas humiliées, écrasées ? Elles n’ont pas plus les unes que les autres de considération d’importance sociale. Ne serions-nous pas en droit de demander aux hommes où sont leurs titres pour

22 25/05/23 02:32

Page 23: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

nous mettre hors la loi ; sommes-nous si (p 7) faible partie de l’espèce humaine qu’il soit inutile de nous faire présenter lorsque nos intérêts sont en cause ? Mais en attendant que nous formions toutes une sainte alliance, et que nous nous donnions la main, revenons à nos dames du nouveau monde : le temps marche, que font-elles ? Elles rusent, elles minent sourdement un édifice où, sans place, sans puissance, on ne les juge encore propres qu’à concourir à la reproduction de leur espèce. Aussi, plus j’avance plus je prévois la fin d’un pénible rêve.

Non, non , monsieur le législateur, ce ne sont pas seulement vos doctrinaires qui ont renversé votre monde, mais cet injurieux dédain pour les femmes, mais l’absence de système, de principe, qui pût à la fois satisfaire tous et chacun.

Oh ! si dans ce grand bouleversement de la nature, M. de Brémont avait jugé à propos de me tendre la main, à moi chétive enfant du peuple, oui, je le sens, pour le remercier de m’admettre à partager la gloire de cette grande œuvre je me serais avancée vers lui hardiment et lui aurais dit : vous vous imposez la sublime tàche [sic] de faire un monde nouveau, croyez-moi, ce ne sera qu’une vaine prétention si de prime abord vous ne déclarez pas la femme votre égale. Vous le devez si vous souhaitez être conseillé, secondé, aimé ! aimé dignement. D’ailleurs, n’est-il pas juste que puisque notre bannière est à la peine elle soit aussi à l’honneur. Et de ce principe découleront naturellement toutes ces conséquences : réglemens [sic] sociaux faits dans l’intérêt des deux sexes, éducation publique donnée aux enfans d’après une seule méthode, par des femmes et par des hommes, les cérémonies, les assemblées présidées également par des femmes et des hommes, enfin association réelle dans les unions et non plus accouplemens. Et comme entre gens d’esprit on s’entend vite, M. de Bremont, frappé aussi de l’impossibilité de rien faire de nouveau sans nous aurait consenti sans aucun doute à partager sa puissance pour avoir en retour le bonheur. Je me serais alors adressée à mes compa- (p 8) -gnes : rejetez dans le vieux monde, leur aurai-je dit, les mesquines jalousies, les vains titres, rapprochons-nous de la nature, ne soyons fiers que de remplir les obligations qu’elle nous impose ; ne sommes-nous pas toutes amantes, épouses et mères, mères ! Ce lien divin qui nous unit sera dans l’avenir, j’en suis convaincue, notre plus beau titre de gloire ; en parlant du genre humain, on cessera de dire les fils des hommes, on dira les enfans de la femme ! !

Oui, dans notre nouveau monde nous nommerons aussi nos enfans.

SUZANNE.

Le 19 septembre.

*

Cette petite brochure, rédigée et publiée par des femmes, paraît à jours indéterminés ; on n’y insère que des articles de femmes : celles qui voudront écrire sont priées de s’adresser au Bureau de l’Apostolat, tous les jours, de midi à 4 heures, rue du Caire, n. 17, à l’entresol ; on y reçoit les souscriptions des personnes qui prennent intérêt à notre œuvre.

23 25/05/23 02:32

Page 24: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Nous recevons les lettres relatives aux questions traitées dans nos publications.

_________

Nos premières brochures n’ont pu partir à la poste à cause du timbre ; dorénavant nos abandonnés des départemens les recevront très-exactement.

( Affranchir les lettres et envois).

MARIE-REINE, Directrice.

—————————————————————————— PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, no 54.

24 25/05/23 02:32

Page 25: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

8 Octobre 1832. N. 5.

LA FEMME NOUVELLE.(p 33)

APOSTOLAT

DES FEMMES.

—————

Liberté pour les femmes, liberté pour lepeuple par une nouvelle organisation du

ménage et de l’industrie.

A MADAME LA DIRECTRICE DU JOURNAL DES FEMMES,

PAR UNE DES RÉDACTRICES DE LA FEMME NOUVELLE,

Brochure de l’Apostolat des Femmes.

MADAME LA DIRECTRICE,

Connaissant l’extrême tolérance qui vous fait admettre dans votre charmant et utile journal, toute nuance d’opinions, je n’ai pas été surprise d’y trouver, dans le numéro du 15 septembre, un article si différent des autres qu’il semble dicté par le génie des siècles féodaux, mais j’ai été

25 25/05/23 02:32

Page 26: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

affligée de voir une dame, qui, par son style élevé, paraît appartenir à la classe privilégiée, venir nous dire au 19e siècle après deux grandes révolutions :

(p 34) « Femmes, gardons notre esclavage tel qu’il est. » Oh ! si madame Laure était sortie comme mes sœurs et moi, des rangs des prolétaires, elle saurait ce que c’est que l’esclavage qui pèse sur la femme ! elle saurait ce que l’ordre social actuel a de douleurs à faire supporter à la mère, l’épouse, à la fille de l’ouvrier ! et en remontant un peu l’échelle sociale, elle saurait aussi ce que c’est que le despotisme de cette classe dont la raison est quasi développée et l’éducation quasi achevée. Je ne puis résister au désir de vous citer un seul exemple, parce qu’il me touche et qu’il est récent. Le mari d’une de mes amies, outré d’entendre parler de liberté, d’émancipation pour la femme, a formellement déclaré à la sienne « qu’il la regarde « comme sa chose, comme sa propriété, et qu’en elle, il punira toutes celles qui « voudront échapper à un joug trop oppressif. » le malheureux !.… sans doute qu’il tient parole, car ma pauvre amie m’a avoué depuis peu, qu’elle ne quitterait la maison de son mari, que pour se jeter dans la Seine ! et pourtant elle est mère !.… Que de suicides qui ont de pareilles causes ! puissent ces lignes, si elles lui parviennent, produire dans son âme un remords salutaire.

Mais dans la haute société, la civilisation est, il est vrai, plus avancée, un mari peut bien par son inconduite, briser le cœur de sa femme, ou la ruiner dans des chances de jeu de bourse, mais au moins les formes y sont gardées, l’ignoble brutalité est chassée à tout jamais de la bonne société ; il est vrai aussi, que pour vous, mesdames, les plaisirs de toutes espèces viennent amortir les chagrins auxquels vous ne pouvez vous soustraire ; pour vous, la critique se fait gracieuse, la science et toutes ses richesses s’empressent de se mettre à la portée de vos jeunes ans et de développer votre intelligence, le charme des beaux arts, enthousiasme votre âme dans le calme du bonheur, et rend vos peines plus légères au jour de l’adversité ; mais les pauvres jeunes filles du peuple sont aussi avides d’instruction, elles aussi, sourient à l’harmonie des beaux arts, elles aussi tressaillent à un amour bien (p 35) exprimé. Hélas ! celles qui ne se consument pas dans de vains désirs, ont pour échapper à cette mort lente et pour briller au bel âge, d’une part le théâtre, ou l’opinion les poursuit encore, si elles n’y portent pas le spectre de la beauté et du talent. Ou bien le dirai-je, la prostitution dans tous ses degrés !.… Femmes privilégiées, femmes de tous les rangs ! ces pauvres malheureuses partagent avec nous, notre plus beau titre, la maternité ! unissons donc toutes, nos efforts pour effacer cette honte qui pèse sur notre sexe entier, en travaillant de concert à transformer l’ordre social existant.

Comme madame Laure, j’ai assisté aux enseignemens des Saint-Simoniens et je ne sache pas qu’ils aient jamais pensé à nous ôter un titre que la nature a rendu indélébile, je suis aussi jalouse que cette dame, du droit des mères, cependant, si Dieu m’eût conservé mes enfans, je n’eusse pas fait difficulté dans l’ordre actuel, d’envoyer ma fille en pension et mon fils au collége [sic]; cette marche eût semblé toute

26 25/05/23 02:32

Page 27: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

naturelle, et je n’eusse point passé pour mauvaise mère, en tenant mes enfans éloignés de moi aussi long-temps. Eh bien ! nous qui élevons la bannière de la femme nouvelle, nous voulons que le dévouement des mères qui les porte dans le seul intérêt de leurs enfans à se priver plusieurs années de suite de leurs [sic] présence, s’agrandisse encore et devienne plus social, car nos enfans appartiennent avant tout, [FP. : cette virgule ne me paraît pas justifiée.] à la grande famille de l’humanité.

Que craindre d’ailleurs d’une religion dont le chef nous proclame libres ! et fait faire silence ; pour entendre notre parole ! Quand viendra le moment de formuler et de donner force de loi aux divers réglemens [sic]nécessités par les nouveaux besoins de la société, tous les sentimens ne seront-ils pas représentés ? La jeune fille ne sera-t-elle pas venue dire qu’elle continue à vouloir pour première parure l’aimable pudeur ! La jeune femme qu’elle ne veut donner son amour et sa main qu’à l’homme qu’elle sentira son égal, non pas égalité de position sociale, mais de qualités morales, de facultés intellectuelles ; car je nie qu’il y ait amour possible sans ces conditions.

( p.36) Et si la jeune fille et la jeune femme peuvent se faire entendre, que sera-ce donc de la mère dont je pressens le rôle si grand dans l’avenir.

Femmes, nous y serons ! Que ces mots vous rassurent, quels que soient les vains discours que débite le monde sur cette religion grande, universelle, et sur les apôtres qui la prêchent en attendant, charmée que je suis, de voir d’autres femmes comprendre leur époque, je vous dirai : courage ! courage ! femmes privilégiées, votre gracieux journal est dans le progrès, vous connaissez le langage du monde, à vous, appartient donc de faire son éducation.

Notre œuvre à nous, plus grande, est aussi plus religieuse ; nous nous dévouons pour les femmes du peuple, dont nous avons si bien senti toutes les douleurs ; je prends l’engagement de consacrer mon existence à l’amélioration de leur sort. J’ai une foi vive qu’un jour, toutes les femmes se sentiront solidaires et que les plus favorisées par la naissance et la fortune, touchées du sort de nos malheureuses clientes, se rapprocheront et s’uniront en nous, aux femmes prolétaires.

Recevez, madame, l’assurance de ma considération distinguée.

SUZANNE.

______________

AMÉLIORATION

DU SORT DES FEMMES ET DU PEUPLE PAR UNE NOUVELLEORGANISATION DU MÉNAGE.

Jeunes filles du peuple sans autre science que celle de notre religion, sans autre ressource pécuniaire que le produit de nos travaux d’aiguilles,

27 25/05/23 02:32

Page 28: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

nous avons commencé une œuvre encore petite et obscure, mais qui prendra un accroissement rapide et soulèvera de hautes questions politiques.

Reléguée dans le foyer domestique, la femme prolétaire (p. 37) sait plus que l’homme à quoi s’en tenir sur le chacun chez soi et la souveraineté du peuple ; les illusions politiques de liberté lui font plus cruellement sentir les serres de la gêne ou de la pauvreté dans l’intérieur de la famille. C’est là que s’est réfugié l’antique esclavage ! C’est là que le mariage est une lourde chaine [sic] et la maternité un surcroît à ses soucis et à ses peines !

C’est en affranchissant la femme qu’on affranchira le travailleur, leurs intérêts sont liés et de leur liberté dépend la sécurité de toutes les classes. Voilà le problême [sic] que n’ont pu résoudre les zélés, amis du peuple ; ils se sont appuyés sur l’accroissement des lumières et des besoins nouveaux des masses pour détruire les priviléges [sic] surannés de la noblesse, et ils ont oublié que notre sexe avait aussi marché avec le progrès et devait avoir sa part de l’émancipation générale. Nous dirons aux hommes politiques : Dieu n’a pas permis que vous renversiez des prérogatives injustes pour que vous vous arrêtiez en route et que vous fassiez servir à votre seul profit les armes qu’il vous a confiées pour le profit de tous. Vous aurez beaucoup de peine et point de succès si vous continuez à subordonner sa volonté à la vôtre ; si vous conservez cette vieille croyance que la femme n’est propre qu’à produire des enfans, soigner la maison de l’homme et faire sa jouissance ; si vous n’associez pas la femme et le peuple, chacun suivant son aptitude, à toutes les branches de l’ordre social ; si vous ne donnez pas essor au génie dans tel sexe, tel rang qu’il se trouve. Vous ne serez pas dans la voie de Dieu qui veut place et bonheur pour tous, et vous échouerez toujours. Vous ne pourrez satisfaire votre amour de la propriété, en jouir tranquillement en accroissant sa valeur, qu’en changeant le système commercial et en associant le ménage et l’industrie, sinon elle vous échappera de tous côtés, par la complication des affaires, la banqueroute, la concurrence, par le peu d’ordre et le peu de capacité des femmes qui ne naissent pas toutes bonnes ménagères, par la chèreté des objets de consommation, qui tient au morcellement des intérêts et au vice de distribu- (p. 38) -tion. Ces questions touchent de bien près les femmes ; elles sont souvent pour elles une cause de tracas qui augmentent le malaise de la société et qui ne cesseront que lorsque solidaires les unes des autres elles voudront se faire un nom et songeront aussi à s’organiser et avoir leurs lois pour les fonctions qui sont plus spécialement de leur ressort.

Notre premier pas en liberté morale sera donc employé à faire comprendre aux femmes, par nos enseignemens et nos écrits, les bienfaits d’une telle association, afin que, dégagées des erreurs et des préventions de la routine, leurs voix s’élèvent en chœur pour réclamer un nouvel ordre de choses et entraînent les pensées et les efforts des gens de bien vers une réforme industrielle et ménagère, condition indispensable de la paix et du bonheur des peuples.

Nos premiers pas en liberté morale seront aussi de glorifier et faire aimer comme nous l’aimons nous-mêmes, l’homme grand entre tous les

28 25/05/23 02:32

Page 29: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

hommes pour l’appel saint de liberté qu’il a fait aux femmes ; sa parole a trouvé de l’écho dans leur cœur. Nous, nous répondons à cet appel en applanissant les voies à CELLE choisie par Dieu, entre toutes les femmes, pour annoncer au monde la loi nouvelle qui doit régler les relations nouvelles de la famille. L’instant n’est pas encore venu pour ELLE ; le monde n’est pas préparé et chaque chose se fera en son temps ; la bouche de l’ÉLUE de Dieu ne restera pas close. Nous avons à nous occuper maintenant de choses immédiates. Toutes nuances d’opinions de religions doivent se confondre pour nous dans une même pensée, celle de notre émancipation. La bannière des femmes est universelle, car, ainsi que l’a dit notre sœur Suzanne, ne sont-elles pas toutes unies par un même lien, la MATERNITÉ. Parmi les hommes qui, en même temps que Saint-Simon, comprirent que le moment de l’émancipation de la femme était venu, il en est un dont les cheveux se sont blanchis dans l’obscurité, et qui pourtant apporte au monde la clef de travaux immenses. Cet homme est M. Fourier. Ses théories d’associations sont les plus com- (p. 39) -plètes qui aient encore paru à ce sujet. En rendant l’industrie attrayante, il emploie les individus tels qu’ils sont avec leurs passions qui, dans l’ordre sociétaire, deviennent un puissant moyen pour l’embellissement du globe et la richesse du genre humain. Des hommes dont le dévouement égale la science, s’occupent en ce moment d’en préparer la réalisation ; nous sommes heureuses d’en compter parmi eux qui ont partagé notre foi. Nous marchons au même but et nous ne sommes pas aussi éloignés qu’ils veulent le croire. L’instruction, la moralisation et le bien-être matériel de la société marchent de front et arriveront, après avoir accompli leurs œuvres distinctes, à une fusion générale. Les femmes hâteront ce moment ; elles ont une force d’entraînement et d’inspiration qui, étant développée et dirigée, produira des résultats immenses et révèlera en elle une puissance et des vertus inconnues jusqu’à nos jours. Nous aurons occasion de parler d’une manière détaillée de M. Fourier. Outre que nous aimons à rendre hommage au vieillard vénérable dont la vie a été dévouée à l’humanité et qui contribuera pour une grande part à la réalisation de notre liberté, nous accomplissons un devoir envers la société en vulgarisant des idées qui la régénèreront et lui amèneront un bonheur dont tant de déceptions lui avaient fait désespérer. La RELIGION de l’avenir ne doit pas, comme celles du passé, repousser ce qui n’est pas né en elle. Ses disciples doivent se conduire comme lorsqu’elle sera établie sur toute la terre, ils doivent chercher les hommes généreux ; et laissant à l’inventeur la gloire individuelle et entière de son œuvre, l’aider de tout leur pouvoir pour en assurer le succès. La RELIGION de l’avenir, belle de son amour universel, doit embrasser et unir en elle tout ce qui est utile au bien du genre humain dont elle est la tendre MÈRE.

JEANNE-DÉSIRÉE.

_______

29 25/05/23 02:32

Page 30: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 40)A MADEMOISELLE JEANNE-DÉSIRÉE, FONDATRICE.

MES CHÈRES ENFANS,

Vous avez besoin d’être soutenues dans votre apostolat, quelque vague qu’il soit encore, je veux dire quelque peu définies qu’en soient les bases aux yeux des femmes qui vous écoutent.

Votre œuvre vous met hors la loi commune ; il faut sentir ce qu’elle a d’intimement utile au fond pour venir à vous, si vous pouviez joindre au fond la forme, je veux dire si vous pouviez être femmes nouvelles et femmes d’ordres, selon le monde, tout à la fois, beaucoup viendraient à votre aide.

Mes chères enfans, je livre à vos réflexions, [FP. : cette virgule ne semble pas être justifiée ici.]ce fait grave que vous avez à transformer en un prodige de perfection qui vous manquent [sic] et qui fait qu’on ne peut venir à vous que théoriquement et non pratiquement.

Mais je veux, moi, vous donner un témoignage de mon désir, de vous voir continuer votre œuvre et c’est pourquoi je vous écris cette lettre, sans pourtant, tant le désordre de vos idées est grand, pouvoir me définir à moi-même, de quelle utilité morale et matérielle je vous puis être.

Voyez dans mes paroles, [FP. : cette virgule ne semble pas être justifiée ici.]un témoignage de mon affection pour votre œuvre, pour vous et soyez assez fortes pour la publier dans votre journal.

Je vous fais passer ci-joint vingt-cinq francs.Votre mère en expérience.

JULIETTE B.….

Nous recevons avec reconnaissance les avis maternels de madame Juliette B... et nous nous proposons de lui répondre dans le prochain numéro.

*

S’adresser au bureau de l’Apostolat tous les jours, de midi à quatre heures, rue du Caire, n. 17, à l’entresol ; et, pour les renseignemens, à madame VOILQUIN, rue Cadet, n. 26 et 28.

Le bureau de l’Apostolat, à partir du 8 octobre 1832, sera transféré au faubourg Saint-Denis, n. II.

( Affranchir les lettres et envois).

MARIE-REINE, Directrice.

——————————————————————————PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, n° 54.

30 25/05/23 02:32

Page 31: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

LA FEMME NOUVELLE.(p 41)

APOSTOLAT

DES FEMMES.

—————

VÉRITÉ. UNION.

Liberté pour les femmes, liberté pour le peuple par une nouvelle organisation du

ménage et de l’industrie.

A nos Lecteurs.

Lorsque nous avons commencé notre apostolat, faibles, isolées, sans autre ressources [sic] que celle de notre aiguille, nous avons dû éprouver bien des difficultés. La plus grande était de nous faire connaître, d’apprendre au monde qui nous sommes, afin d’appeler à nous des femmes qui nous aidassent à parvenir au but que nous nous (p. 42) sommes proposé. Notre capacité, tant petite qu’elle soit, unie à la foi que nous avons aux destinées de l’humanité, a été employée à la réussite de nos idées. Jusqu’ici nous avons marché isolées, sans qu’aucun lien nous réunît. Nous avions bien mis en tête de nos publications : Apostolat des Femmes ; mais ce titre exprimait plutôt un désir qu’une réalité. Aujourd’hui nous pouvons le prendre ; déjà parmi nous nous avons commencé à sentir le lien religieux qui doit unir toutes les personnes travaillant à une même œuvre. Dans une de nos prochaines publications

31 25/05/23 02:32

Page 32: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

paraîtra la première organisation de notre association ; organisation sans doute bien imparfaite, mais qui toujours est un premier pas dans la nouvelle route que les femmes doivent suivre. Oh ! oui, du jour où les femmes seront associées religieusement ; du jour où auront disparu, de parmi elles, toutes ces petites rivalités qui n’ont pour cause que des futilités, de ce jour, dis-je, leur cause sera gagnée. Car vraiment, elles seront devenues les égales de l’homme. C’est avec conviction et espoir que j’écris ces lignes ; conviction, parce que j’ai foi que cette association se formera ; espoir, car je sens que la nôtre, toute imparfaite qu’elle est, sera le germe de cette sainte et belle association qui réunira toutes les femmes. Quand nous avons commencé nos publications, restreintes par nos moyens pécuniaires, peu sûres du nombre de lecteurs que nous pourrions avoir, nous leur avons donné une forme très-légère. Aujourd’hui que notre œuvre se consolide, nous sentons la nécessité d’augmenter notre brochure.

Elles sera donc d’une feuille entière d’impression. Mais ne voulant gêner personne, le prix restera le même. Nous faisons seulement fonds sur la bonne volonté des personnes qui prennent intérêt à notre œuvre et qui sentent la valeur de l’œuvre que nous accomplissons, ou qui, n’y ayant pas foi, ne peuvent s’empêcher d’encourager de (p 43) jeunes femmes qu’elles voient, avec aussi peu de ressources, entreprendre une œuvre qui sera immense dans ses résultats : car elle a pour but de faire connaître aux femmes la puissance qui est en elles, afin qu’elles la fassent servir au bien de l’humanité.

C’est donc à toutes ces personnes que nous nous adressons afin qu’elles nous aident à continuer et même à augmenter nos publications sans en augmenter le prix. Elles sentiront bien que c’est un sacrifice que nous faisons, et que, si personne ne nous aide, il nous sera impossible de le faire long-temps ; et pourtant cet accroissement nous est nécessaire, car nous sommes obligées de traiter en peu de mots des questions qui exigeraient un long développement pour pouvoir être comprises, et qui, faute d’espace, restent inconnues et ne servent pas au but que nous nous proposons.

MARIE REINE.

DEMANDE.

Les hommes font les lois, les femmes font les moeurs, a dit un grand homme ; vérité : incontestable, mais dont on tient peu compte de nos jours où les hommes et les femmes, s’affublant de théories bonnes il y a quelques siècles et vivant en esprit sur ces théories, ne nous présentent plus en pratique que le désordre le plus complet, le cahos [sic] le plus dégoûtant, ne se servant d’une morale, qu’ils ne peuvent plus accepter pour eux, que pour condamner ceux qui ont la franchise du scandale ou la maladresse de la timidité, ou bien pour satisfaire aux questions naïves de

32 25/05/23 02:32

Page 33: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

leurs petits enfans, questions parfois embarrassantes mais auxquelles enfin il faut répondre en se basant sur un prin- (p 44) -cipe quelconque ; car ces petits enfans ne manquent pas d’une certaine petite logique à laquelle il est quelquefois difficile d’échapper, et ne se contenteraient pas toujours d’une réponse faite en l’air.

La société pourra-t-elle rester long-temps dans cet état de choses ? Cela n’est pas présumable. L’anarchie, sous quelque forme qu’elle se présente, ne peut être de longue durée, parce qu’elle n’est pas dans la nature. Les hommes sont sans cesse ramenés par leurs propres besoins à cette harmonie divine qui existe dans tout ce qui est ; ils sont intimement liés les uns aux autres pour accomplir, chacun à des degrés différens et selon leur vocation, une œuvre utile et commune à tous. La société donc doit se reconstituer ; mais elle ne peut le faire qu’à la condition que, laissant de côté toutes ses vieilles lois et ne prenant du passé que ce qui peut servir comme expérience à son développement nouveau, elle formulera une morale et une politique nouvelles, propres à satisfaires [sic] aux besoins de son époque et au progrès incessant que l’humanité est appelée à faire.

A cette œuvre doivent travailler les hommes et les Femmes : car les lois et la morale, qui marchent toujours ensemble et de front, ne pourront être complètes que lorsque celles-ci seront admises à y prendre de droit la part qui les concerne et qu’elles ont prise de fait ; tous y gagneront quand les femmes auront apporté leur face aimable et attrayante à une constitution sociale qui, sans elles, serait encore empreinte de sécheresse et d’aridité.

Je demande donc aux hommes, nos anciens maîtres, de vouloir bien entrer en discussion avec nous sur toutes les questions relatives à la morale et qui, par conséquent, devront nous intéresser. La première et la plus grande de toutes, est la question de l’éducation qui est incomprise de nos jours et sur laquelle nous devons, sans plus (p 45) tarder, porter toute notre attention, œuvre pour laquelle je revendique, pour nous femmes, notre coopération.

En effet, moi, mère de quatre enfans qui sont ma chair et ma vie, ne suis-je pas bien intéressée à connaítre [FP. : l’accent circonflexe ne peut être distingué.] et émettre les principes sur lesquels sera basé leur avenir social et individuel ? ne dois-je pas repousser de toutes mes forces ce qui peut nuire au développement ordonné de leurs facultés ? Comme je suis naturellement portée à rechercher avec sollicitude ce qui peut y contribuer. Je sais que l’instruction des mots est poussée aussi loin que possible pour les jeunes gens qui, au sortir du collége [sic], savent assez bien leur grec et leur latin ; que l’on veut bien permettre aux jeunes filles (sauf que les parens en aient les moyens) de prendre des notions préliminaires sur l’histoire, la géographie, le calcul, etc... Mais est-ce là tout, je vous demande ? N’avons-nous pas à leur apprendre une autre chose tout aussi importante et sur laquelle on les laisse dans la plus complète ignorance ? n’avons-nous pas à leur apprendre ce qu’ils sont, pourquoi ils sont et ce qu’ils se doivent les uns aux autres ? Réfléchissez-y bien et vous verrez ce que nous avons à faire.

33 25/05/23 02:32

Page 34: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

CHRISTINE SOPHIE.

Les femmes seules diront quelleliberté elles veulent.

Les avis, les conseils, les opinions nous arrivent de tous côtés avec une diversité frappante. Chacun se constitue de son propre aveu notre libérateur, et nous veut rendre libres à sa manière. Quoi qu’il en soit, je suis le but que je me suis proposé, sans tergiverser d’un côté ni de l’autre. Qu’on ne me croie sous l’influence d’aucun systême [sic] ; n’importe qui désire notre liberté, je la veux, voilà l’essentiel. Je la voulais avant de connaître les Saint-Simoniens, je (p 46) la voulais avant de connaître M. Fourier. Je la veux malgré ceux qui s’y opposent, et j’y travaille peut-être en dehors de plusieurs qui la veulent. Mais je suis libre. Assez long-temps les hommes nous ont conseillées, dirigées, dominées : à nous maintenant de marcher dans la route du progrès sans tutelle. A nous de travailler à notre liberté par nous-mêmes ; à nous d’y travailler sans le secours de nos maîtres. Qu’on n’aille pas ici m’accuser de contradiction ; ils ne sont pas nos maîtres, ceux que j’écoute en matière de liberté ; ils sont seulement nos devanciers ; car la société, dans les usages, a tout fait pour eux, et rien pour nous. Mais ils ne veulent ni nous commander ni nous conseiller ; ils veulent notre liberté, leur bonheur en dépend, ils sont assez justes pour le reconnaître. Ils ne s’affublent pas du titre de libérateurs, pour retenir dans leurs mains en quelque temps encore le sceptre du despotisme qui leur échappe. Que dis-je, ils le repoussent et ne veulent pas d’un bonheur qui ne serait pas partagé avec entière égalité par les femmes. Ils travaillent comme nous, proportion gardée, vu leurs capacités plus développées que les nôtres, à cette grande œuvre sociale, l’affranchissement des femmes et du peuple ; mais ils ne sont pas nos libérateurs, ils n’ont droit à ce beau titre que de moitié avec nous, et non pas exclusivement pour eux seuls. Et quoique le long esclavage que nous avons subi, apporte des entraves sur notre route, nous marchons au but, et nous y marchons vite. Nous voilà reunies [sic] en petit nombre, il est vrai, mais toutes travaillant corps et âme à la plus belle de toutes les causes que puisse embrasser une femme qui se trouve dans ce monde où il n’y a pour elle qu’esclavage ou mépris, toutes dévouées, quoique selon la différence de nos dispositions de caractères et de sentimens, à un même but. Plus de coteries entre nous, plus de petits intérêts, j’oserai presque dire plus de ruses : l’amour (p 47) de la liberté comme un flambeau divin éclaire de ses mille rayons le fond de notre cœur, et on y voit la place nette pour les grands sentimens que demande une si belle œuvre. O femmes, que notre exemple vous touche, que les obstacles ne vous arrêtent pas : en vain résisteriez vous, bientôt le torrent du progrès vous entraînerait sur ce terrain que vous craignez d’aborder, et vous n’auriez pas la gloire d’y avoir volé. Rangez vous sous la bannière pacifique, mères qui redoutez l’esclavage pour vos filles ; et vous filles qui êtes brisées de douleur dans vos plus douces affections, et qui sentez étouffer en vous l’amour des grandes choses, par le cercle

34 25/05/23 02:32

Page 35: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

étroit des préjugées [sic] qui vous entourent, élevez la voix pour réclamer le libre exercice de tant de belles qualités qui restent obscurcies. [FP. : une sorte de virgule au crayon à papier figure ici sur le signe de ponctuation, qui devrait être un point.] Vous trouverez de l’écho dans tous les cœurs généreux, quand vous ferez retentir à la face du monde ces mots : Affranchissement pour le peuple, Affranchissement pour la femme. Partout vous serez accueillies, car nous sommes dans une ère de progrès qui, insensiblement va grandir, et nous jugeons de son éclat en en voyant l’aurore. Ne comptez pour rien les clameurs qui retentissent à vos oreilles. Les insensés ! ils se raillent de la bonne route qu’ils ne peuvent suivre eux-mêmes. Des idées plus grandes vous détourneront de toutes ces désapprobations, et une fois que vous aurez pris à cœur les idées de liberté, vous aurez en perspective l’avenir qui se prépare pour la postérité, et le mépris voudrait en vain monter jusqu’à vous : vous ne l’apercevrez pas. Vous ne connaîtrez plus les dégoûts inséparables des chaînes que vous portez, et votre cœur ne sera plus affadi par les plaisirs mesquins que vous offrent vos protecteurs. Votre bonheur grandira à mesure que vos chaînes tomberont.

JOSÉPHINE FÉLICITÉ.

(p 48)RÉPONSE

A UN ARTICLE DU JOURNAL LE BON-SENS, PUBLIÉDANS LE NO DU DIMANCHE 14 OCTOBRE.

L’article publié dans le Bon Sens, du dimanche 14 octobre, contient la lettre d’un ouvrier qui engage les rédacteurs de ce journal, [FP. : cette virgule ici ne semble pas être justifiée.] à quitter le terrain stérile sur lequel se tient la politique d’aujourd’hui, pour entrer dans les voies d’améliorations matérielles, et leur signale le système de M. Fourrier [Fourier], comme l’un des moyens de sortir de la crise où nous nous trouvons. Cette lettre a fait battre mon cœur, car moi, fille du peuple, j’ai vu avec bonheur que parmi mes frères, il en est qui sentent ce qu’ils valent, et voient que ce n’est pas par des bouleversemens politiques que leur sort peut s’améliorer. Mais je l’avoue, j’ai été surprise de voir que des hommes tels que les rédacteurs du Bon Sens, aient aussi peu compris les idées de M. Charles Fourrier [Fourier], et lui aient reproché un ton de mysticisme, alors qu’un ouvrier par la seule lecture du journal le Phalanstère, a compris qu’il y a dans le système de ce journal, autre chose que des détails oiseux et ridicules, ainsi que le dit lui-même le Bon Sens. Le reproche de mysticisme est d’autant plus étonnant, qu’il est fait par des hommes qui, plus que M. Fourrier [Fourier] y sont sujets, puisqu’ils repondent [sic] à un homme qui leur demande de l’amélioration matérielle, en lui offrant des droits politiques. Oh je le sens ! pour vous, (p 49) écrivains, la misère du peuple n’est qu’une théorie, et vous croyez que des droits politiques amélioreront son sort ;

35 25/05/23 02:32

Page 36: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

mais ne vous y trompez pas, ce n’est pas là ce que le peuple demande, que Lyon vous serve d’enseignement. Lorsque le peuple s’y est révolté, à-t-il [sic] arboré la couleur d’un parti quel qu’il soit, a-t-il demandé des droits politiques ? Non ; il a demandé du pain ! du travail ! Oui, du pain, du travail, voilà la devise du peuple. Il sent ses souffrances et sait bien que ses droits pour lesquels vous barbouillez tous les jours du papier, ne donneront à ses enfans ni une meilleure éducation, ni à lui un travail assez rétribné [sic] [FP. : un « n » semble figurer ici à la place d’un « u », hésitation cependant.], pour le faire sortir de la misère où il se trouve ; il sait bien que ce que vous demandez pour lui ne détruira pas la concurrence, ce ver rongeur qui vient lui enlever le seul bénéfice sur lequel il pouvait compter. Sans doute la vie n’est pas toute entière dans les jouissances matérielles, il faut au peuple, de même qu’aux riches, des jouissances intellectuelles et morales ; mais ce n’est pas par celles là [sic] qu’il faut commencer. Que dirait-on d’un homme qui voyant un de ses semblables mourant de besoin, lui ferait un beau discours sur la liberté de la presse, au lieu de lui donner les secours nécessaires ? On le trouverait bien ridicule, sans doute, dans sa manière d’aimer les malheureux, voilà pourtant la position des libéraux vis-à-vis du peuple. Les rédacteurs du Bon Sens ont entrepris d’instruire le peuple, tâche grande et généreuse, il est vrai, mais quels doivent être ses résultats ? si ce n’est de lui procurer les moyens de sortir de l’état de misère et d’incertitude où il est aujourd’hui. Or, il est du devoir de tout homme qui a entrepris cette grande tâche, d’examiner tous les systèmes qui tendent au même but, et je crois qu’à ce titre, M. Fourrier [Fourier] a droit à un examen sérieux. Nier l’ensemble à cause des détails ce n’est pas preuve de jugement, c’est tourner la question au lieu de la résoudre. Je ne crois pas, (p. 50) pourtant, que ce système soit tout ce qu’il faut à l’humanité, car en cela je ne partage pas les idées de M. Fourier ni de ceux qui les enseignent, je l’ai déjà dit, je suis Saint-Simonienne, mais c’est précisément pour cela que je voudrais attirer l’attention sur un système dont on s’est occupé si peu jusqu’à présent. Oui, je le dis, et c’est pour moi une conviction, tous les hommes qui aiment et qui veulent le bien de l’humanité, doivent hâter de tous leurs efforts la réalisation que propose M. Fourier, car soit qu’elle réusisse [sic] complétement [sic] ou en partie, il en résultera toujours un bien pour l’humanité. Les efforts qui se font dans ce but, [FP. : la virgule ici ne semble pas être justifiée.] ne sont jamais inutiles, et si le résultat n’est pas immédiat, il finit toujours par trouver son utilité. D’ailleurs cet essai de réalisation aurait toujours l’avantage de réunir des hommes, qui, jusque là [sic] séparés par les opinions politiques, trouveraient en s’attachant à faire réussir une œuvre commune, les moyens de se réconcilier. Oui, la lutte et la haine ne cesseront que lorsqu’on aura bien compris cette vérité : Que ce n’est pas par de vaines discussions sur des théories constitutionnelles, telles que de savoir si le roi a droit de nommer des pairs ou de présider le conseil, que le peuple accroîtra son bien-être et sa moralité. Et qui plus que nous doit engager les hommes à quitter ce terrain stérile ; qui sent plus que nous le vide de toutes ces discussions ? nous qui ne sortons jamais du milieu de nos familles, nous sentons bien mieux que les hommes, ce qu’il

36 25/05/23 02:32

Page 37: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

faut pour remédier aux douleurs qui, chaque jour, viennent y porter la désolation. Quand les hommes comprendront ces idées, toutes les haines et les discordes cesseront, et alors commencera l’association universelle, car ils n’auront plus qu’un même but, le bonheur de tous.

MARIE REINE._________________________________________________________________________

(p 51)A MADAME JULIENNE B***

____

En répondant à votre lettre je suis heureuse, Madame, de l’occasion toute naturelle que vous me donnez d’expliquer en termes généraux le but de notre apostolat.

Tous les hommes avancés qui s’occupent de régénérer la société, ont senti qu’il fallait enfin mettre les droits de la femme plus en rapport avec ses devoirs ; mais les Saint-Simoniens seuls ont compris que, pour régénérer une société vieillie, il fallait en extirper tous les abus et, seuls entre tous, ils nous ont offert une liberté digne de nous, grande ! immense d’avenir ! Le chef de cette religion nous a dit : « O vous, qui « commencez à me comprendre, regardez autour de vous ; voyez, dans le désordre « qui existe que de forces perdues pour le bonheur de tous, quel nombre infini de « femmes ont failli à la mora le [sic] chrétienne, des peuples entiers n’ont jamais pu « se soumettre à l’austérité de cette religion, elle n’est donc pas la loi définitive de « Dieu, car mon Dieu veut bonheur pour tous, association universelle. Femmes, « cherchez donc avec moi les nouveaux rapports qu’il convient d’établir entre vous et « nous. Je vous ai présenté des théories morales, à vous appartient de poser des « limites. Femmes, vous êtes libres ! Pour soutenir vos droits je me suis laissé « condamner, je sacrifierai ma vie et, s’il le faut, celle de mes fils chéris. Femmes, « vous êtes libres ! ! [FP. : pas de guillemets fermants ici.]

C’est sous l’influence de ses grandes pensées, qui ne peuvent être développées que successivement, que nous nous (p 52) sommes réunies et avons formé notre apostolat. A notre tour, nous appelons les femmes de cœur et de dévoûment [sic] qui souffrent de toutes les douleurs qui pèsent sur notre sexe, afin que, réunies, nous puissions au plutôt y apporter un adoucissement. Vous sentez, Madame, que long-temps encore notre œuvre sera toute de préparation, jusqu’au moment où une grande voix s’élèvera du milieu de nous et formulera la pensée de toutes.

37 25/05/23 02:32

Page 38: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

En attendant, ne craignez pas, Madame, de vous approcher, vous êtes digne de travailler à notre œuvre, recevez nos remercîmens [sic] pour la bienveillance que, sans nous connaître, vous nous avez témoignée ; nous nous proposons, pour la justifier, de publier dans le prochain numéro, un fragment sur la règle qui nous unit et qu’il faut observer pour se dire femme nouvelle.

SUSANNE.

_________________________________________________________________________

A MADEMOISELLE ÉLISA DE M***

Je te félicite, ma chère enfant, des progrès que fait chaque jour ta jeune raison ; mais à dix-huit ans il est difficile d’empêcher notre imagination d’être de moitié dans les jugemens que nous portons ; aussi c’est donc pour rectifier quelque peu d’exagération, qui se trouve plus encore dans la forme que dans le fond des idées, que je me hâte de repondre [sic] à ta dernière lettre. « Je frémis, dis-tu, lorsque je vois « une jeune personne s’imposer le despotique lien du mariage et asservir au présent « tout son avenir, à la volonté d’un jour, toutes ses chances de bonheur ; en vérité, il « me semble qu’en passant le seuil de la demeure conjugale, sa première pensée doit « avoir quelque chose du terrible toujours, jamais, que le Dante avait gravé sur les « portes de son Enfer. Qui peut en effet réaliser le plus cette fiction, si ce ne sont les « mauvais ménages, et n’est-ce pas dans une très-faible exception que l’on peut « placer les unions assorties ; ensuite quelle est la femme, qui, la main sur la « conscience, ne trouvant dans le mariage que déception où elle s’était promise « amour et bonheur, peut se dire : Je n’aimerai plus. »

A [sic] cela je ne vais pas te répondre, mon aimable amie, en style de procureur-général [sic], que si de semblables idées étaient admises, la société tomberait en dissolution ; non, non, je sais trop bien que ta pensée n’est pas de refuser à cette société le droit de sanctifier l’amour des individus ; mais dans l’association du mariage, tel qu’il est pratiqué aujourd’hui, tu trouves avec raison que nous donner le titre de moitié d’eux-mêmes, c’est de la part des hommes une insultante dérision. Tu pressens qu’il est nécessaire que ce lien subisse une transformation importante, que le divorce, réclamé par tous les esprits avancés, doit être rétabli dans nos lois en le dégageant des entraves dont nos trop prudens législateurs veulent l’entourer : d’assez nombreux désordres et de

38 25/05/23 02:32

Page 39: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

touchantes douleurs en constatent le besoin. Ainsi, chère enfant, réclame aussi avec nous, de toute la force de ta douce voix, d’abord le divorce, comme remède au malheur ou comme moyen de le prévenir ; ensuite et toujours notre affranchissement définitif, et dis bien à tous ceux que ton doux regard attirera près de toi, que puisque notre liberté est une des nécessités de l’ép oque [sic], autant commencer de suite et de bonne grâce à nous l’accorder. En vérité, je vous le dis, Messieurs les récalcitrans, les temps sont bien loin où, dans un concile, de graves docteurs, bonnet aigu en tête, enveloppés de noir comme leur esprit, (p. 54) discutaient, s’ils pouvaient, en sûreté de conscience, nous accorder une ame [sic]. Ces pauvres hommes ! tout en les laissant deviser, comme nous avons cheminés [sic] depuis ; car ne cessant de reprendre à nos seigneurs et maîtres les pensées que d’abord nous leurs [sic] inspirions, nous les avons forcés non-seulement à reconnaître en nous quelque chose qui sent, qui pense, qui agit d’après une volonté qui nous est propre ; mais, dans ce siècle, que moi, femme, j’appellerai grand par excellence, des hommes du plus haut mérite, Saint-Simon et ses successeurs, ont reconnu que nous étions mûres pour la liberté ; ils ont déclaré et soutenu devant tous que la femme est l’égale de l’homme. Et vraiment, Messieurs, je ne sais comment vous feriez pour nier cette vérité, elle est palpable ; dites quelle pensée brille dans vos regards qu’elle n’ait déjà fait palpiter nos cœurs. Aussi, précédées par de tels hommes, nous ne cesserons plus de crier, oui de crier : Affranchissement pour la femme ! jusqu’à ce que notre voix, s’augmentant de toutes celles qui successivement se joindront à nous, devienne si assourdissante qu’elle contraigne Messieurs nos tuteurs à nous présenter leurs comptes de gestion. Alors, comme nous avons l’ame [sic] bonne, nous en aurons bientôt fini avec le passé. Cependant je leur demanderai (lorsque nous aurons recouvré la parole, c’est entendu) pourquoi ils laissent subsister dans leurs Codes des traditions si anciennes, si vieillies, qu’elles n’ont plus de sens ; par exemple, j’accorderai volontiers une prime d’encouragement à celui d’entre eux qui me démontrerait, d’une manière claire et précise, le pourquoi qui fait que nous devons être soumises à nos maris, je ne m’en doute pas le moins du monde ; la bonne Gazette dernièrement a bien fait tous ses efforts pour nous convaincre que cela devait être ainsi ; je suis sans doute malheureusement organisée ; car je suis restée froide devant de semblables raisons. Ecoute [sic] bien, ces Messieurs sont plus grands (de taille) que nous, ils sont plus gros, ils sont plus forts, ils ont toujours été les maîtres, donc !!.. L’excellente, l’admirable logique !! Elle me rappelle la conclusion de la fable du loup et de l’agneau.

Malgré cela, vous ne m’empêcherez pas de vous dire, vénérable Gazette, avec tout le respect possible, que c’est un peu trivial de mesurer les droits et le mérite du sexe grand, gros et fort, au poids et au volume.

Tu sens bien, chère enfant, que pour t’avoir blâmée sur le ton un peu tragique que tu as pris dans ta lettre, je n’en suis pas moins persuadée que ce sont toutes vérités, et toutes bonnes à dire ; mais de grâce, que le sourire revienne embellir ton frais visage ; crois-moi, pour être présentée d’une manière aimable, la raison n’en est pas moins persuasive. A [sic] moi, dont la mine commence à se refrogner, laisse les airs dignes, les

39 25/05/23 02:32

Page 40: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

tons graves, tu me rendras, j’espère, la justice d’avouer qu’ils me conviennent.

Avant de terminer, je dois cependant changer de ton, aimable amie, pour te remercier de la confiance sans borne que tu as en moi ; tu veux confier à mon amitié, dis-tu, le soin de te guider dans l’acte le plus important de ta vie. Oh ! comme alors je m’adresserai fièrement à celui qui voudrait attacher ton existence à la sienne, avec quelle force de conviction je lui dirai : « Homme, regarde le front de cette jeune fille, le caractère divin de la perfectibilité n’y est-il pas tracé comme sur le tien ? Et si Dieu l’a faite ton égale, à beaucoup de titres, et ta supérieure dans la faculté d’aimer, dis-moi, en la prenant pour compagne, pourquoi voudrais-tu asservir sa volonté à la tienne ; sache aimer en elle une fille de Dieu, et tu pourras apprécier l’amour d’une femme libre ! De semblables unions amèneront le règne de Dieu sur la terre, car tu le sais notre Dieu est le Dieu vivant, l’harmonie, l’amour infini qui anime et remplit l’univers. »

SUZANNE.

*

ANNONCES.

Nous recommandons à l’attention de tous ceux qui goûtent nos principes et notre œuvre, une publication qui paraît en ce moment, sous le nom de l’Ami du prolétaire. Cette production se recommande par les hautes questions de morale, de politique, d’industrie et d’histoire générale qui y sont traitées avec une grande précision du point de vue philosophique saint-simonien. Les deux premières livraisons ont paru. On souscrit chez le fondateur, boulevard St-Martin, no 7. Prix de chaque livraison, par abonnement, 25 cent. ; prises séparément 30 cent. ; Les frais de poste sont à part.

*

40 25/05/23 02:32

Page 41: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

S’adresser au Bureau de l’Apostolat tous les jours, de midi à quatre heures, rue du Faubourg Saint-Denis, n. II ; et, pour les renseignemens, à madame VOILQUIN, rue Cadet, n. 26 et 28.

(Affranchir les lettres et envois).

MARIE-REINE, Directrices.SUZANNE,[FP. : il y a une accolade ici.]

———————————————————————————PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, no 54.

41 25/05/23 02:32

Page 42: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

LA FEMME NOUVELLE.(p 57)

APOSTOLAT

DES FEMMES.

—————

VÉRITÉ. UNION.

Liberté pour les femmes, liberté pour le peuple par une nouvelle organisation du

ménage et de l’industrie.

A Mmes LAURE BERNARD ET FOUQUEAU DE PASSY,

En réponse à leurs articles insérés dans le Journal desFemmes, le 15 et le 29 septembre.

Lorsque le Journal des Femmes a paru, Mesdames, je croyais sincèrement qu’il y serait question de quelque chose de sérieux, de bon, de vrai ; mais, permettez-moi de le dire, j’ai été bien singulièrement trompée : des historiettes, des vers, des recettes de chocolat, des modes, etc. (p. 58) Au milieu de tous ces riens, deux graves questions s’agitent : celle de l’éducation d’abord ; puis celle des femmes, traitée par vous deux, Mesdames, de la manière la plus frivole et la plus légère. Oh ! alors que je me suis sentie révoltée. Vous parlez des femmes, et vous ne savez

42 25/05/23 02:32

Page 43: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

pas ce qu’elles sont, ce qu’elles souffrent ; vous parlez des femmes, et vous ne les jugez et mesurez que d’après votre individualité. Vous, femmes heureuses de la classe privilégiée, vous voulez parler des femmes, et vous ne savez parler que de vous. Vous êtes jeunes encore sans doute, riches, entourées d’êtres qui vous aiment et que vous aimez ; alors vous dites : la condition des femmes est bonne ; elles sont heureuses….. Oui, fort heureuses !.… Vous parlez même d’air victime, coquet et naïf.…. Ah ! gardez, gardez pour vous ces airs coquets et naïfs, ces complimens légers ; gardez ces mots vides et secs qui insultent à l’humanité toute entière. Je suis jeune encore aussi, Mesdames, et, comme vous, de cette classe privilégiée ; mes enfans sont bons, beaux ; …. je suis entourée d’affection, …. et cependant je ne suis pas heureuse, moi, Mesdames, car autour de moi je sens que l’on souffre horriblement. A [sic] cette pensée mon cœur se serre ; et quand vous vous trouvez, vous, si parfaitement heureuses, c’est que vous oubliez qu’autour de vous, au-dessus, au-dessous de vous, souffrent et périssent de toutes les douleurs et misères les plus affreuses, des êtres qui sont des femmes aussi pourtant, du moins qui seraient des femmes, si les douleurs qui les accablent ne les avaient défigurées au point de faire douter que ce sont des femmes, si la société s’était chargée de les nourrir, de leur apprendre à faire le bien, à éviter le mal. Ah ! n’entrons pas dans ces affreux détails ; depuis la mère qui souffre en son corps et en celui de ses enfans, qui lui crient : j’ai faim, jusqu’à cette jeune fille du peuple, perdue à quinze ans par l’homme qui la flatte et (p. 59) la trompe, jusqu’à cette jeune fille de la classe privilégiée qu’on vend à son mari, ou qui l’achète, jusqu’à cette jeune femme froissée et trompée dans toutes ses espérances d’avenir et d’amour ; dites, dites, Mesdames, n’y a-t-il pas là de grandes douleurs, de grands enseignemens ? Y-a-t-il de quoi réjouir la femme qui se trouve heureuse ? Ne sent-elle pas, cette femme, l’ardent désir, le besoin de contribuer au soulagement de tant de souffrances ? de travailler à la grande œuvre sociale ? Ecoutez seulement votre cœur avec attention ; après cet examen, osez dire encore, dans votre profond égoïsme, que les femmes sont heureuses !... Ah ! j’espère mieux de vous.

Combien j’ai été étonnée en lisant les lignes offensantes que vous avez écrites contre les Saints-Simoniens. Vous ne les connaissez pas, à ce qu’il paraît, et vous vous mêlez de les juger : étudiez, étudiez-les, Mesdames, avant de parler d’eux ; ils en valent la peine. Lorsqu’on fait tant que d’avoir la prétention d’écrire au public et de mettre son nom au bas d’un article, il faut au moins avoir assez d’amour-propre pour ne pas mériter qu’on vous dise que vous parlez bien légèrement de ce que vous ne savez pas. Je ne suis pas Saint-Simonienne, Mesdames ; absente de Paris depuis long-temps, je n’ai pas vu les Apôtres de Ménil-Montant ; mais je vous avoue que je rougirais à votre place d’oser attaquer de tels hommes sans les connaître, sans avoir avec soin étudié et apprécié la valeur de leur doctrine. Lisez l’Exposition de la Doctrine Saint-Simonienne, I’Economie [sic] politique de M. Enfantin ; les Prêdications [sic] de MM. Barrault et Retouret surtout. Si, après, vous ne sentez pas tout le sérieux de la vie, si vous n’êtes pas émues et touchées, alors je vous plains, et n’ai rien à ajouter. Je les ai entendus quelquefois à la salle Tait-Bout ; j’ai lu avec

43 25/05/23 02:32

Page 44: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

suite le Globe, et je n’ai pu leur refuser beaucoup de sympathie ; car toujours ils parlent au nom (p. 60) de ceux qui souffrent. Si vous vous étiez donné la peine d’étudier avant de vous faire imprimer, vous auriez appris que, loin de vouloir faire les femmes soldats, ils ne veulent plus de soldats ; car ils nous prédisent que l’avenir sera sans guerre et pacifique. Ah ! j’accepte avec joie cet avenir de paix. Vous auriez pu comprendre aussi qu’il ne serait pas si absurde que des femmes coupables soient jugées par des femmes ; vous sauriez encore qu’ils ne donnent pas seulement un trop court présent, mais qu’ils font pressentir et désirer une vie future. Eh, mon Dieu, Mesdames, que diriez-vous, s’ils vous avaient formulé, pour me servir d’une expression qui leur est habituelle, une vie future toute prête et arrangée merveilleusement, en flattant vos désirs ? Vous vous moqueriez sans doute, car cela paraît vous être facile. Mais Jésus lui-même, que vous a-t-il appris de la vie future ? Rien….. que l’espérance. Etudiez [sic], Mesdames, croyez-moi ; on gagne toujours à apprendre. Alors peut-être comprendrez-vous que nous sommes corps et esprit, tous deux ensemble, et jamais l’un ou l’autre séparément ; que la vie ne nous quitte jamais, car rien ne meurt ; que notre transformation s’opère en mieux toujours, car tout est progrès, mais en mieux plus ou moins, selon nos œuvres. Dans tout cela je ne vois pas de matérialisme.

Vous semblez ignorer que tous ces hommes sont distingués par leur science et leurs études ; que tous ont abandonné des carrières élevées et indépendantes ; que presque tous sortent de l’école Polytechnique ; que tous étaient aussi de cette classe privilégiée à laquelle ils veulent apprendre à aimer le peuple qui souffre, les femmes qui souffrent ; ils se sont dévoués au soulagement de tant de douleurs, pour les adoucir d’abord, pour les faire cesser plus tard. Et voilà les hommes qu’une bouche de femme ose injurier !... DES DANSEURS DE CORDE ! ! O Madame !... [FP. : « fin ? » écrit en bas de la page, à droite, au crayon à papier] (p. 61) et quand ce seraient des danseurs de corde, de quel droit le mépris ? l’insulte sied mal à une femme !…. et dans quel moment, dans celui où ils sont condamnés par un jury ignorant et incapable de juger de si hautes et si graves questions. On admire leur politique, et on les injurie comme hommes religieux ! Et que demandent-ils, ces hommes pour lesquels l’histoire est une grande leçon ? Ils disent qu’il faut s’occuper du peuple, avant que le peuple s’occupe lui-même de lui ; ils disent que le libéralisme est aujourd’hui impuissant pour le soulagement des masses ; car à quoi bon qu’elles sachent lire, écrire, si vous ne leur procurez pas de l’aisance matérielle ? Ils disent que le riche oisif doit payer l’impôt pour le pauvre qui travaille : ils disent que les jeunes filles ne doivent plus être vendues et achetées ; ils disent que la femme est l’égale et la compagne de l’homme, et qu’il est temps qu’elle se révèle et qu’elle se relève de cet état de subalternité, de soumission et de dépendance : ils disent que le divorce est aujourd’hui une loi nécessaire et morale : est-ce que vous ne pensez pas comme eux ? Plus nous avancerons, plus cette loi deviendra faible et inutile. Vous jugez par exceptions, Mesdames, vos jugemens ne peuvent qu’être faux et mesquins. Sortez de vos chambres et de vos boudoirs, si brillans en été, si chauds en hiver ; admirez la moralité du peuple, sa résignation : tremblez

44 25/05/23 02:32

Page 45: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

à la pensée que sa force est nerveuse et musculaire, et qu’un jour peut-être il vous la fera sentir, si vous, riche oisive et privilégiée, vous ne faites pas entendre votre voix en faveur de ses filles et de ses femmes. Alors, Mesdames, comprenez la mission de ces hommes ; elle est vraiment grande et religieuse.

M. F.

_________

(p 62)EXTRAIT DU RÈGLEMENT

QUI UNIT LES FEMMES NOUVELLES.

Le but auquel nous désirons toutes d’atteindre, est notre affranchissement sous le triple aspect moral, intellectuel et matériel. Mais cette liberté ainsi conçue vers laquelle nous gravitons depuis si long-temps, nous sommes loin de la posséder encore, la religion saint-simonienne en déclarant la femme libre et l’égale de l’homme, et surtout en ne lui imposant ni conditions ni limites, nous a par cette sublime confiance, dans notre sexe, laissé la tâche non moins grande de prouver aux hommes, nos tuteurs encore) [FP. : il n’y a pas eu auparavant de parenthèse ouvrante], que nous en sommes dignes et que nous pourrons arriver à régénérer complètement notre condition sociale, sans passer par une époque de désordre et d’anarchie. Nous, directrices et fondatrices de la Femme nouvelle, nous invitons celles de nos compagnes qui s’approchent de nous et veulent marcher sous notre bannière, de bien réfléchir aux termes de l’Apostolat que nous fondons. Toutes les femmes sont appelées par nous à en faire partie, il n’y a rien d’exclusif dans notre cœur, nous ne repoussons personne. Qu’importe en effet qu’il y ait parmi nous des femmes dont une seule passion remplit la vie, ou d’autres dont l’imagination riante leur fait un besoin de changement, nous n’avons pas encore à nous occuper de justifier et de donner satisfaction à ces différentes natures. Pour agir unanimement et obtenir d’heureux résultats de nos efforts communs, l’important est de sentir que notre Apostolat n’étant qu’une préparation à la loi morale qui régira l’avenir, l’intérêt de notre cause nous fait un devoir à toutes de rester fidèles à la morale chrétienne, quelque gênante qu’elle paraisse à certain caractère, et qu’il est plus conséquent et plus religieux pour chacune de (p 63) nous de donner à nos actes un but général que d’agir sous la préoccupation d’un sentiment individuel et d’après le désir de pratiquer immédiatement la liberté sans règle ni limite, ce qui ne pourrait être constaté selon nous que comme désordre, car en l’absence de la loi d’avenir qui est-ce qui sanctifierait tout lien nouveau ? Ainsi, comprenons bien que quels que soient nos désirs secrets, de quelque manière que nous rêvions notre vie future, nous devons rester soumises à la loi du monde, jusqu’à ce qu’il y ait à notre tête un couple supérieur en tout, auquel nous reconnaissions le droit de lier et de délier, mais tout en conformant nos actes à la régularité chrétienne, sachons mériter le titre de femme nouvelle, par

45 25/05/23 02:32

Page 46: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

notre dévouement à la cause de notre sexe, par nos pensées d’avenir exprimées avec force et vérité. Notre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens, aux vœux que nous aurons exprimés, par la réunion de sa volonté unie à celle du chef de notre religion. Mais nous le répétons encore, nous ne réprouvons aucune nature et nous supplions toutes les femmes d’adopter une devise commune à toutes, pour former le lien général, celle de notre sœur désirée, union et vérité, pourrait, il me semble, remplir ce but ; ensuite qu’une différence dans la couleur du ruban, puisse indiquer comment chacune de nous comprend sa liberté. Par exemple, nous femmes nouvelles, nous avons adopté comme symbole de dévouement et d’attente, la couleur dalhia [sic], celles qui se pareront de ce signe, resteront soumises comme il est dit plus haut à la règle chrétienne. D’autres femmes pleines de force et de franchise se proposent de justifier une autre couleur, respect et silence également pour ces femmes, si l’amour libre qu’elles conçoivent fait tourner au profit du bonheur social, le charme de leur imagination déli- (p 64) -rante. La femme nouvelle ne se constitue pas juge de ses compagnes, il ne nous appartient pas de louer ni de blâmer, n’en sommes nous [sic] pas toutes à la négation de notre condition présente, soit sous l’aspect moral ou politique ? Vienne le grand concile de femmes, alors seulement pourra être discutée la limite du bien et du mal.

SUZANNE.

________

Non, je ne suis pas chrétienne, Mesdames, vous l’avez entendu mais l’avez vous compris ? à moi de vous dire comment je ne suis pas chrétienne, car j’ambitionne votre approbation, et ne voudrais pas vous voir reculer à mon approche. Disparaissez, idées de désordre, de vice et de mensonge ; disparaissez, prostitution et adultère, de l’esprit du monde, lorsque je prononce ces mots : je ne suis pas chrétienne. Non je n’ai jamais connu le joug de la morale du Christ, jamais ses austères devoirs ne m’ont asservie. Libre de cette croyance de mes plus jeunes ans mes sentimens prenaient essor à mesure que mon âge croissait, et menée aux fonds baptismaux à dix ans, lorsqu’on me revêtait du signe sacré, mon jeune cœur le désavouait, car déjà j’avais dit je ne suis pas chrétienne. Entourée de mes jeunes compagnes, innocente comme elles ; voyant leur émotion sainte à la vue du Dieu qu’elles allaient recevoir j’étais calme, je les admirais c’était tout ce que je pouvais faire et ce beau jour de la première communion, ce jour entouré de tant de prestiges pieux, de tant d’amour pour le Dieu des chrétiens me trouva payenne [sic], même au pied de l’autel, malgré l’appareil de sainteté du prêtre et la majesté du sanctuaire ; mon imagination de douze ans ne fut point éblouie. C’est donc un sentiment fortifié par la con- (p 65) -naissance de la religion chrétienne que j’ai présenté à vos observations en vous disant

46 25/05/23 02:32

Page 47: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

que je n’étais pas de cette religion. Et qu’aurait-elle pu m’offrir de consolant ? à moi si exaltée. Qu’aurait-elle pu m’offrir que je pusse accepter ? à moi si passionnée. Elle est venue dire que la passion est du domaine de Satan. A moi qui veux de l’amour elle est venue dire de ne pas aimer ; à moi qui veux du plaisir, elle est venue commander la souffrance ; à moi qui prise autant la forme que le fonds [sic], la chair que l’esprit elle a exalté l’un et anathématisé l’autre : et ses anathèmes m’ont fait frémir, et le moment d’après je les ai vus se briser contre ce qu’ils voulaient foudroyer comme ils s’étaient brisés contre mes désirs ; et bientôt j’ai vu leur impuissance en face du monde, en face de ceux qui les lancent comme je l’avais vue en face de moi. Et j’ai vu les femmes accepter d’abord cette morale et la rejeter ensuite, et elles ont été loin…. bien loin…. dans l’abîme ! Les malheureuses elles avaient eu un premier pas à faire, elles avaient eu un joug à briser, elles avaient eu toute une religion à nier. Et moi j’ai échappé au désordre à la prostitution [FP. : il devrait y avoir une virgule entre les termes de cette énumération] à l’adultère, car je n’ai pas connu de joug, car jamais l’abnégation n’a été pour moi un devoir, je n’ai rien eu à briser et il ne m’a fallu aucun événement extraordinaire pour m’amener à l’amour sans le mariage. Comme vous je connais le bonheur d’une affection qui remplit toute la vie [FP. : il devrait y avoir une virgule ici…] comme vous la fidélité en amour est l’objet de tous mes vœux, et je n’envisage jamais le passage d’une affection à une autre sans une médiocrité de bonheur. Moi aussi j’aime les devoirs d’épouse et cependant je n’en veux pas porter le nom, car je [FP. : il manque le « ne » de cette négation] suis pas chrétienne, le serment que je ferais serait illusoire pour moi ; il serait fait devant un Dieu auquel je ne crois pas ; fait devant l’officier civil il le serait encore : car je n’ai pas de fortune à régler, ce ne serait qu’un contrat de vente. D’ail- (p 66) -leurs le serment est quelque chose d’absurde pour moi. Je n’aurai donc pas l’estime du monde, je n’aurai pas la gloire de me parer du titre d’épouse mais en revanche j’aurai de l’amour [FP. : il devrait y avoir une virgule ici…] j’aurai du bonheur, j’en aurai sans être méprisable. C’est au nom des sentimens que je professe hautement que j’appelle aujourd’hui les femmes, les femmes qui aiment la joie du bal et les plaisirs des fêtes, les femmes qui trouvent le courage de braver l’opinion et n’ont pas eu la force de résister à qui leur a parlé d’amour. Les femmes qui sentent en elles l’amour des grandes choses [FP. : il devrait y avoir une virgule ici…] qui veulent de l’amour et des plaisirs, mais qui aussi veulent des devoirs et du respect. Je les appelle toutes à la liberté que déjà elles ont et à celle qui nous reste à acquérir pour le présent et surtout pour l’avenir, je les appelle à s’occuper du sort de celle que le joug de fer de la morale chrétienne à [sic] jetée au loin dans les écueils inévitables que leur offre l’ordre social actuel. Et je leur présente comme lien, comme signe de communion d’idées entre nous le ruban ponceau. Car à cette couleur se rattache des idées tout-à-fait en harmonie avec nos caractères.

JOSÉPHINE FÉLICITÉ.

47 25/05/23 02:32

Page 48: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

LA FEMME NOUVELLE.

DIALOGUE ENTRE UNE DE NOS ABONNÉES ET UNE DES

DIRECTRICES DE CETTE PETITE FEUILLE.

Madame la directrice, puisque vous avez l’obligeance de vouloir bien répondre à tous les si et les mais, dont je me rends l’interprète, j’entre de suite en matière et vous prie de me dire ce que c’est que la Femme nouvelle ? sur quels principes elle compte s’appuyer pour justifier son titre ambitieux. » En effet, chère lectrice, votre curiosité est légitime, et votre demande fondée, car en re- (p 67) -lisant quelques articles de nos derniers numéros, je sens que nous devons vous paraître un peu énigmatique, je me hâte donc pour faire cesser vos doutes de vous expliquer ce que nous voulons, et vous verrez facilement qui nous sommes ; nous voulons l’affranchissement des femmes et du peuple, puis améliorer l’existence matérielle de tous. Pour cela représenter sans cesse que tout étant par l’industrie, tout doit-être [sic] pour l’industrie ; nous voulons, éclairer les intelligences, et travailler à donner une nouvelle morale au monde, nous voulons encore que les plus aimant et les plus capables élèvent et guident les faibles, et que chacun soit rétribué selon ses œuvres, que dans cette grande association, que nos communs efforts préparent, tout devienne fonction sociale, et que chaque fonction soit remplie par un couple... « Assez, madame, assez je vous assure, mais c’est du saint-simonisme tout pur que vous m’annoncez ; avouez-le, votre femme nouvelle n’est qu’un masque derrière lequel se cache la véritable saint-simonienne. » Je l’avoue de bien bon cœur d’autant plus que nous n’avons jamais prétendu nous faire connaître pour moins que cela, et ce qui fait difficulté dans votre esprit n’aurait pas de valeur, si vous faisiez attention qu’ayant pris rang parmi les premières femmes qui ont répondu à l’appel de liberté qui nous a été fait, nous devons nous en montrer dignes, et que tout en adoptant et suivant les principes sublimes de notre belle religion, nous pouvons, je dirai plus, nous devons tracer nous-mêmes notre position [FP. : il devrait y avoir une virgule ici…] justifier un nom qui nous soit propre et que nous ne tenions que de nous-même : vous voyez que c’est mieux qu’un masque. »

Oui je comprends cela ; alors permettez-moi de vous faire observer que d’après plusieurs articles de votre Journal, vous paraissiez donner à plein collier (passez moi [sic] l’expression) dans un système peu connu, très-com- (p 68) -pliqué, et seulement industriel ? A [sic] mon tour permettez-moi de vous répondre que dans le sommaire très-succinct de nos principes, j’ai oublié de mettre en tête : Religion du progrès, vous auriez senti, madame, que toute idée nouvelle, tout progrès nouveau devait être

48 25/05/23 02:32

Page 49: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

tributaire d’une religion, qui comprend et embrasse tout dans son sein ; ensuite pour répondre d’une manière plus spéciale à votre question, je vous dirai que parmi nous les fonctions ont été choisies, d’après la tendance de caractère de chacune : par exemple plusieurs de mes sœurs ont compris qu’il devait y avoir quelques vérités utiles à l’humanité dans un système étudié pendant un grand nombre d’années par un homme qui marque entre les savans et d’après cette donnée, nouvelles abeilles travailleuses, elles se sont fait un devoir de nous en faire apprécier l’excellence, ainsi faites comme moi, madame, attendez, car je l’avoue de bonne grâce, pour le moment je serai fort peu en état de juger ce plan de réforme industrielle, je n’y comprends rien du tout. » Votre réponse est pleine de justesse [FP. : il devrait y avoir une virgule ici…] elle me satisfait entièrement, je ne vous conteste plus votre double titre, et vous écouterai parler chacune dans votre langue ; je conçois d’ailleurs que les femmes étant comme vous le dites si bien, les représentantes de la puissance morale, elles doivent être, le lien entre tous, et faire servir, au progrès continu, les divers systèmes des savans ainsi que les découvertes des industriels. Mais vous, madame, dont les articles sentent le saint-simonisme de fort loin, dites-moi par où vous prétendez débuter dans cette nouvelle carrière de liberté qui s’ouvre pour la femme ? quelle est votre pensée première ? ce que vous pressentez pour nous, en morale [FP. : il devrait y avoir une virgule ici…] en religion et en politique ? rien que cela, chère lectrice, je vous admire vraiment, mais c’est tout notre avenir, tout un monde nouveau que vous voulez que je vous décrive en quelques lignes, je ne puis (p 69) que vous répéter une seconde fois ce mot attendez, et si cette conversation familière a pu vous intéresser nous pourrons la continuer dans les numéros suivans sous la forme et le titre que nous avons adoptés ; par cela même la Femme nouvelle se trouvera naturellement développée .

SUZANNE.

PAR MES ŒUVRES ON SAURA MON NOM.

Lorsque, dans la dernière séance des Dames, j’ai dit que je ne voulais pas du nom de Saint-Simonienne, ce n’est point que je nie le bien qu’on fait les Saint-Simoniens, ni que je doute de ce qu’ils feront : je crois qu’ils ont mieux que personne pressenti l’avenir de l’humanité, et qu’ils sont les hommes les plus avancés de notre époque. Si je voulais me ranger sous un nom, ce serait certainement le leur que je prendrais.

Mais je me sens une œuvre différente à accomplir. Pour moi, toutes les questions sociales dépendent de la liberté des femmes : elle les résoudra toutes. C’est donc vers ce but que tendent tous mes efforts ; c’est à la bannière des femmes nouvelles que je rapporterai tout ce que je ferai pour notre émancipation : la cause des femmes est universelle, et n’est point seulement saint-simonienne ; car ailleurs aussi nous puiserons des forces : d’autres hommes, en même temps que Saint-Simon, comprenaient que la liberté des femmes était liée à celle du peuple. Nous en avons déjà cité deux : il en est probablement que nous ignorons encore. D’autres depuis ont propagé ces idées, il s’en trouvera qui nous

49 25/05/23 02:32

Page 50: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

soutiendront, et qui, pour être baptisés d’un autre nom que celui de Saint-Simon, sont cependant unis à nous par une même pensée.

Laissons aux hommes ces distinctions de noms, d’opi- (p 70) -nions, elles leur sont utiles : leur esprit, plus systématique que le nôtre, a besoin, pour agir avec ordre, de rattacher à un nom, à un individu, les progrès qu’il fait ; mais nous, êtres de sentiment, d’inspiration, nous sautons par-dessus les traditions et règles auxquelles les hommes ne dérogent qu’avec peine. Nous ne devons voir dans le genre humain que les enfans d’une même famille, dont nous sommes par notre conformation les mères et les éducatrices naturelles. Tous les hommes sont frères et sœurs unis entre eux par notre maternité : ils enfantent des doctrines, des systèmes, et les baptisent de leur nom ; mais nous, nous enfantons des hommes ; nous devrons leur donner notre nom, et ne tenir le nôtre que de nos mères et de Dieu. C’est la loi qui nous est dictée par la nature, et si nous continuons à prendre des noms d’hommes et de doctrines, nous serons esclaves à notre insu des principes qu’ils ont enfantés et sur lesquels ils exercent une sorte de paternité à laquelle nous devrons être soumises pour être conséquentes avec nous-mêmes : de cette manière, nous aurons des pères ; leur autorité sera plus douce, plus aimante que celle du passé ; mais nous ne serons jamais les égales, les mères des hommes.

Voilà, en termes généraux, les motifs qui m’ont fait agir. Je suis liée à vous ; je conserve la même devise : union, vérité, mais, pour que l’union, la vérité soient durables entre vous et moi, je veux être indépendante de toutes.

Le 4 novembre 1882. JEANNE DÉSIRÉE.

*

VARIÉTÉS.

La femme nouvelle réclamant droit de cité, doit avoir constamment les yeux tournés vers ce but, toute occupée (p 71) du sort déplorable de ses clientes elle ne peut pas, comme tant d’autres brochures, être légère et brillante [FP. : il devrait y avoir une virgule ici…] parler modes, théâtre, litérature, etc. pour seulement distraire quelques élégantes oisives, ce sera donc toujours sous la préoccupation d’une pensée d’avenir utile à notre sexe, que nous rendrons compte des ouvrages qui nous paraîtrons propres à concourir à notre plan ; nous indiquerons pour aujourd’hui à nos lectrices deux brochures fort remarquables, la première est du chevalier James de Laurence ayant pour titre : LES ENFANS DE DIEU, ou la religion de Jésus réconcilié avec la philosophie. Nous recommandons à toutes les femmes de bien méditer sur la grande pensée de l’auteur, qu’elles ne se hâtent point surtout de crier au boulversement [sic], mais d’examiner si au contraire dans ce changement de principe, la famille reposant sur la maternité, ne se trouverait pas le seul moyen de faire cesser la lutte, la jalousie, en un mot l’exploitation de la femme. Nous nous abstenons de donner notre opinion particulière, une semblable

50 25/05/23 02:32

Page 51: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

question ne peut-être [sic] discutée que dans un concile général de femmes.

L’abondance des matières ne nous permettant pas de nous étendre davantage aujourd’hui, dans le prochain numéro nous ajouterons quelques réflexions sur ce sujet en rendant compte d’un roman du même auteur.

L’autre brochure que nous annoncons [sic] est le second numéro de l’Ami du Prolétaire ; elle est écrite avec force et précision, que le fondateur continue de justifier ainsi son titre, il prendra rang parmi les éducateurs du peuple, il est difficile d’établir d’une manière plus nette l’état où se trouve le constitutionalisme considéré comme civilisation bâtarde ou négation du passé, l’auteur prouve en résultat que s’en tenir à ce système, c’est organiser la lutte qui mine le corps social tout entier.

La grande question de la liberté de la femme qui avant (p 72) peu nous l’espérons deviendra question politique n’est pas traitée avec moins de bonheur ; les femmes nouvelles au nom de leur sexe adressent à l’auteur des remercîmens [sic] sincères pour l’expression vraie, énergique et digne de son langage : nous n’en citerons qu’un passage où l’auteur s’adressant aux hommes de tous les partis leur dit : « qu’elle est débile votre liberté ; qu’elle est débile votre autorité, et pourquoi ! C’est que vos « prétentions manquent de l’appui de la moitié du monde, les femmes ! donc celui-là « est brutalement mystique, qui, ne voulant la liberté que pour son espèce, la réfuse « [sic] à la femme et profane ses charmes dans l’ombre ; celui-là est au contraire « positivement moral, qui veut la liberté pour l’homme et la femme, honore « publiquement les charmes de celle-ci, proclame la puissance moralisante de sa « grâce et de sa beauté, et l’appelle à exercer conjointement avec l’homme, un « sacerdoce civil, domestique et politique, etc. » [FP. : la première ligne entière de cette citation n’est pas précédée de guillemets] Femme notre position future est toute entière tracée dans ces lignes. C’est ainsi que nous présentons notre avenir, c’est-là [sic] le terme de nos prétentions, alors seulement pourra être résolu, à l’avantage de tous, le grand problême [sic] de l’autorité et de la liberté.

SUZANNE.

51 25/05/23 02:32

Page 52: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

*

S’adresser au Bureau de l’Apostolat tous les jours, de midi à quatre heures, rue du Faubourg Saint-Denis, n. II ;et, pour les renseignemens, à madame VOILQUIN, rue Cadet, n. 26 et 28.

(Affranchir les lettres et envois).

SUZANNE. Directrices.MARIE REINE.

[FP. : il y a une accolade ici.]

———————————————————————————PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, no 54.

52 25/05/23 02:32

Page 53: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

LA FEMME NOUVELLE.(p. 73)

APOSTOLAT

DES FEMMES.

—————

VÉRITÉ. UNION.

Liberté pour les femmes, liberté pour le peuple par une nouvelle organisation du

ménage et de l’industrie.

BANQUET DES OUVRIERS DE LYON.

La Tribune du 13 novembre contient le récit du banquet qui a eu lieu à Lyon entre les ouvriers, et elle rapporte les toasts qui ont été portés : ces toasts sont la plus grande preuve de la moralité du peuple et des progrès qu’il a faits depuis quelques années ; c’est la preuve certaine que le temps est venu de s’occuper de son bien-être matériel, intellectuel et moral. Et que peut-on voir (p 74) de plus vrai, de plus énergique et pourtant de plus calme que ces paroles de Berger : « Nous n’envions pas « vos fortunes, vos plaisirs, vos lambris dorés, vos lits somptueux, vos riches « équipages, ni vos tables surchargées de mets exquis ; non, mais

53 25/05/23 02:32

Page 54: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

un salaire capable « de nous procurer un lit modeste, un gîte à l’abri des intempéries des saisons, du « pain pour nos vieux pères qui souffrent de besoin après avoir passé leur jeunesse à « remplir vos coffres forts. Nous vous demandons enfin l’oubli de tous nos différens, « et votre amitié en échange de la nôtre. » Et quels sont ceux d’entre vous, hommes privilégiés, qui possédez des sentimens plus noble et plus généreux que ceux exprimés dans ces paroles ? Oh ! là on reconnaît le peuple ; c’est lorsqu’il s’exprime ainsi qu’on peut dire avec vérité que sa voix est celle de Dieu. Gloire au peuple ! il commence à comprendre quelle est sa dignité ; il ne veut pas d’une aisance qu’il ne devrait qu’à la charité : chez lui pas de haine, et s’il s’en trouve parmi lui qui commettent quelques excès, c’est plutôt la faute de la société que celle de leur cœur. Et comment voudrait-on qu’il en fût autrement ? Des hommes qui ont une grande intelligence, qui sentent qu’ils auraient une grande force et une grande puissance, si cette intelligence pouvait être développée, et qui se voient repoussés de tous côtés, qui voient que personne ne s’occupe d’eux, par cela seul qu’ils sont pauvres, tandis qu’ils en voient d’autres, qui souvent n’ont pas tant d’intelligence qu’eux, et pour qui l’on met à contribution tous les moyens d’instruction, afin qu’ils puissent s’élever. Je suis loin de blâmer ces soins donnés à l’instruction du riche ; seulement je voudrais qu’ils s’étendissent à tous, que chacun, quels que soient les parens que le ciel lui ait donnés, puisse embrasser la carrière vers laquelle il se trouvera le plus porté. Je sais bien qu’on va m’objecter qu’il est des individus qui ne cher- (p 75) -chent dans l’instruction qu’un moyen de se soustraire au travail manuel qui leur est imposé. Oui, beaucoup d’hommes cherchent à se soustraire à ce travail rude et pénible, qui, le plus souvent, leur rapporte à peine de quoi vivre eux et leur famille, et qui d’ailleurs ne leur attire aucune considération ; car la société est si mal organisée, que toute la considération est pour celui qui vit dans l’oisiveté, tandis qu’elle n’accorde rien à celui qui travaille. Je sais bien que l’on me dira que le peuple s’abrutit : oui, mais s’est-on occupé de ces hommes ? qui leur a donné du savoir et de la moralité ? Personne : on les abandonne à eux-mêmes, et on se plaint de ce qu’ils ne se sont pas fait leur éducation et leur instruction ! Oui, relevez l’industrie, accordez des honneurs au travail, des plaisirs au peuple, et il ne cherchera plus à se soustraire au travail. Occupez-vous du bien-être et de la moralité du peuple, et vous n’aurez plus à lui reprocher les désordres auxquels il se livre quelquefois : cela est facile, car vous voyez qu’il comprend bien que ce n’est qu’en réclamant ses droits pacifiquement et avec ordre, qu’il pourra les obtenir. Oui, le peuple sent bien que ce n’est plus par des émeutes qu’il peut améliorer son sort : aussi n’est-ce plus sur la place publique qu’il s’assemble ; mais dans des réunions où l’ordre règne, il vient exprimer ses vœux et ses espérances, il s’associe ; car, comme l’a dit l’un d’eux : « la force est là où est l’union. » Nous, filles du peuple, nous nous réjouissons de voir nos frères si bien sentir leurs droits et leurs devoirs. Nous aussi, femmes, nous avons beaucoup à réclamer ; hâtons-nous : les temps sont venus : associons-nous, afin que nous puissions aussi dire nos vœux et nos espérances. Il est temps que nous fassions voir aux hommes qu’aussi bien qu’eux nous pouvons réclamer nos droits, sans pourtant cesser d’être femmes. [FP. : le point n’est

54 25/05/23 02:32

Page 55: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

guère visible] Gloire à toi, peuple ! l’heure de ton émancipation défini- (p 76) -tive a sonné, car tu as été grand et sublime ; gloire à ceux qui, les premiers d’entre les ouvriers, ont formulé d’une manière si précise les sentimens calmes et pacifiques de leurs frères !

MARIE-REINE.

AUX RÉDACTRICES DE LA FEMME NOUVELLE.

Née pour la liberté et la rêvant sans cesse, comme on rêve le bonheur, un destin bizarre voulait me rendre esclave. Je fus dès l’enfance enfermée dans un cloître, et je n’en sortis que pour un nouvel esclavage, plus dur peut-être, celui des pensionnats ; ma vie devait s’y passer. Tout à coup cette liberté idéale que je m’étais créée se présente à mon imagination, non plus comme un rêve ni un fantôme, mais comme une chose naturelle et possible, et qui dès-lors [sic] me devint nécessaire. Pour en venir à mon but, j’eus mille entraves ; mais enfin je secouai le joug que l’on voulait m’imposer ; et malgré tout, je devins libre, ou du moins je crus l’être. Comme un oiseau échappé de sa volière, je courais çà et là, voulant, s’il m’eût été possible, jouir en un seul instant de la vue de l’univers. Toutes mes actions étant autant d’actes de ma liberté, me semblaient une jouissance, et je crus enfin avoir saisi le bonheur. J’étais dans l’enthousiasme du moment. Hélas ! ce moment dura peu ; cette illusion si chère s’évanouit devant les sots préjugés d’un monde peuplé d’esclaves. La mordante critique vint m’assaillir de toutes parts, et, pour garder ce que l’on appelle sa réputation, je me vis recluse entre les murs de ma chambre, isolée, solitaire, sans même qu’il me fût permis de chercher à éloigner mon ennui.

Ce fut alors que cette rêverie, qui jadis m’avait porté secours, vint de nouveau m’offrir ses mélancoliques jouis- (p 77) -sances, et, déroulant à mes yeux le tableau de la société, j’y vis cette liberté si chère prônée, vantée, exaltée partout, et cependant presque inconnue, du moins à en juger par les œuvres : néanmoins l’homme me sembla plus libre en apparence, surtout vis-à-vis de la femme, qu’en sa qualité d’être faible, il semblait vouloir dominer à son gré. Moi, qui jusqu’alors m’étais figuré que la femme, étant comme l’homme un être pensant et raisonnable, devait marcher son égale dans la vie, j’interroge sur cette dissemblance qui me paraît injuste, et j’obtiens pour réponse ce vers de La Fontaine :

« La raison du plus fort est toujours la meilleure. »

Fort bien, leur répondis-je ; j’avais cru que l’intelligence donnait seule des droits à la souveraineté ; mais maintenant je vois que l’homme et l’animal se gouvernent de la même sorte ! Mais, encore une fois, vous êtes toujours injustes : le lion et beaucoup d’autres animaux sont infiniment plus forts que vous ; vous devez donc les regarder comme vos maîtres, et leur vouer respect et obéissance. Nous les avons asservis, quelques-uns effectivement ; mais le plus grand nombre vous résiste, et

55 25/05/23 02:32

Page 56: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

ce n’est pas individuellement que vous pouvez les vaincre : donc ils sont plus forts, donc ils sont vos maîtres.

Mais laissons là les animaux : vous conviendrez au moins d’après votre système, que le plus robuste des hommes vous dictera des lois, et que le sauvage soulevant à lui seul des masses de rochers, ou faisant plier un chêne, est celui qui doit vous gouverner. — Non : l’intelligence doit être réunie à la force. — Alors changez la nature, qui rarement réunit ces deux choses. Si, au contraire, l’intelligence doit seule inspirer la force, la diriger, la faire agir, convenez avec moi que la femme peut, tout comme vous, suivre sa volonté et la faire suivre aux autres, lors- (p 78) -qu’elle est juste et raisonnable : alors cessez votre tyrannie ; ne tâchez pas, dès notre berceau, d’asservir notre raison ; laissez-nous nous livrer au génie des sciences et des arts, si tel est le goût que nous inspire la nature ; n’entourez plus notre existence de chaînes, d’autant plus pesantes, que le plus souvent c’est le cœur qu’elles lient ; ne nous regardez plus comme un jouet propre à votre agrément : en un mot, laissez nous libres !....

Mais quoi ! m’abaisser à vous demander notre liberté, comme une grâce ! Fi donc ! elle est à nous ; la nature nous l’a départie ; à vous la force du corps, à nous celle des agrémens. Vous voulez régner, dites-vous : pauvres dupes ; vous forts, vous puissans, deux beaux yeux vous arrêtent, et, en dépit de vous, une jolie bouche vous dicte des lois !.... Continuez à nous tenir esclaves, et vous verrez tous les jours des Hercule filant aux pieds des Omphale, et des Samson joués par des Dalila. Vous méritez votre sort, et les fautes que nous faisons doivent être imputées à vous seuls. Mais j’apprends aujourd’hui que des hommes vraiment bons, vraiment philantropes [sic], ont senti comme moi la justesse de ces raisons, et les ont fait sentir à la femme, qui, à cause de son état d’asservissement, les sentait sans pouvoir y remédier. Gloire à vous, femmes généreuses, qui les premières avez osé secouer le joug ! Gloire à vous, courageuses Saint-Simoniennes ! votre nom sera redit avec respect aux femmes de l’âge futur, comme les régénératrices de votre sexe et les créatrices de son bonheur ! Je me range avec orgueil sous votre bannière. Faisons voir à ceux qui se croient nos maîtres, que ce n’est pas tout-à-fait [sic] en vain qu’ils arborent partout le drapeau de la liberté ! Combattons, pour sa cause, les préjugés et leur auteurs ; déployons ces forces qui, quoique moindres en apparence, n’en sont pas moins réelles ; enfin brisons nos chaînes ; et, pour notre bonheur comme (p 79) pour celui de l’homme, que celles qui nous lieront désormais ne soient tissues que de fleurs, encore devront-elles nous enlacer ensemble.

ISABELLE.

L’article suivant nous a été envoyé par une damede province qui n’est pas Saint-Simonienne.

Jusques à quand, Catalina, abuseras-tu de notre patience ?[FP. : le « p » de « patience » est en partie effacé]

Vous voulez affranchir les femmes d’un joug honteux vous n’ignorez pas sans doute que l’entreprise est difficile ; les femmes sont humiliées de

56 25/05/23 02:32

Page 57: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

leur servitude, elles en gémissent, mais ne cherchent aucun moyen pour s’y soustraire ; elles laissent au contraire augmenter le pouvoir des hommes et envahir une partie du domaine qui leur fut assigné par la nature ; la femme est l’autre moitié de l’homme, que serait-il sans elle ? Il lui doit le bonheur.

Les hommes s’obstinent à nous tenir éloignées des sciences, prétendant que nous ne sommes pas organisées pour elles. Laissez-nous développer nos facultés intellectuelles ; n’enfermez pas notre génie dans l’étroite prison de l’ignorance, et vous verrez des Sapho,des Dacier, et peut-être encore quelques-unes de nous pourront dépasser ces premières.

Non, les hommes ne nous rendent pas justice, ils se déclarent nos protecteurs, et jusqu’alors quelle protection avons nous reçue d’eux ; mais notre rôle va changer ; nous serons toutes sœurs, désormais nous nous soutiendrons mutuellement ; nous ne devons plus être sous la dépendance des hommes ; aujourd’hui que nous avons conscience de notre valeur réelle, réunissons-nous sous un chef pris parmi nous. Marchons sous l’égide de la vertu ! ! ! Trouvons notre force dans une éducation religieuse et (p 80) profonde. Les sciences ne doivent plus nous être étrangères ; très-peu de femmes ont osé braver le préjugé pour puiser des connaissances que des hommes jaloux et orgueilleux se croient seuls susceptibles de comprendre. Madame Dacier traduisit HOMÈRE [FP. : l’accent est à peine visible], avec une perfection rare. Mademoiselle Germain fut selon NAPOLÉON, le premier mathématicien de son siècle ; Mademoiselle Gervais fut très-bonne chimiste ; Mademoiselle de Staël était non-seulement bonne romancière, mais encore meilleure historienne ; Madame de Genlis excellant dans les ouvrages à l’aiguille, n’en fut pas moins une grande musicienne ; son style romancier est un modèle de sensibilité et de délicatesse. Madame Cottin mérite au mois un éloge aussi flatteur ; mesdames de Sévigné et Deshoulières furent jusqu’alors inimitables.

Il n’appartient qu’à un talent supérieur au mien, de rappeler ici les vertus d’un sexe qui mérite aussi son Panthéon. Mes sœurs la victoire est à nous, si nous voulons suivre les modèles qui nous sont tracés. Ne soyons donc plus les esclaves des hommes ; imposons-leur, au contraire l’obligation de nous mériter : que leurs vertus soient leur dot ; voilà nos conditions de paix, voilà, dis-je, le seul moyen de faire taire la discorde, de consolider le bonheur général et de ramener l’âge d’or.

FRANÇOISE ROSALIE.

VARIÉTÉS.

Madame la Directrice, on parle de votre Femme Nouvelle dans la Revue des deux mondes, et moi, pauvrette, ignorante, aussitôt de me récrier : La Revue des deux mondes ! le beau titre ! qu’est ce [sic] que c’est ? Madame, c’est en effet une brochure fort grave rédigée par des savans. Désireuse, (p 81) comme toute les filles d’Eve [sic], de voir et de

57 25/05/23 02:32

Page 58: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

connaître, je me rends de suite dans le cabinet littéraire le plus voisin, demander l’œuvre de science, persuadée d’y trouver une analyse consciencieuse de nos articles, ou une critique sage et raisonnée de nos principes ; la précieuse brochure en main, je me place dans l’angle le plus éloigné, afin de n’être pas troublée par les jeunes et chauds admirateurs de Prospère, dont la belle défense était reproduite par la Tribune du jour, et là, je me livre avec avidité à ma lecture, mais à quelle mystification cette follette d’imagination m’expose lorsque je lui laisse tenir la lorgnette ! A [sic] la place de ce que j’ai compté trouver, je vois dans cet article, [FP. : problème de virgules] des allusions peu délicates, et quelques pensées de cette force là [sic]. « Les femmes nouvelles ont conquis leur indépendance à la pointe de « l’aiguille ; elles se sont affranchies de la domination de l’homme en lui faisant des « chemises. » Comme c’est élégant ! quelle finesse ! A [sic] toi Figaro dans tes jours de gloire tu aurais revendiqué cette pointe. Ombre grande et chérie dans le passé ; je te la renvoie, ornes-en ta dernière gentillesse sur nous.

Pour vous, Messieurs les savans de la revue, croyez-moi la plaisanterie n’est pas votre arme. Dans vos mains, elle ne fait pas rire, elle blesse et répugne.

SUZANNE.

__________

Que d’espoir dans la jeunesse française ! que de beaux et nobles sentimens se manifestent [FP. : le premier « t » est en partie effacé] partout où elle se trouve, dans les banquets patriotiques, comme tous les toasts nous entraînent vers l’égalité, la paix et le travail ! dans les cours d’assises, que de pensées progressives exprimées par cette foule de jeunes républicains, Laponneraie, Jeanne, Prospère, et tant d’autres, comment vos ames [sic] de feu ne (p 82) parviendraient-elles pas à faire fondre la glace qui entoure le cœur égoïste des puissances du jour ? espérons mieux de l’avenir, et nous femmes, confions-nous dans la bonté de notre cause ; comment d’ailleurs cette jeune génération qui comprend si bien la liberté, l’égalité, pourrait-elle être inconséquente à son principe et nous déshériter des progrès de la civilisation ? espérons ! ces réflexions je les faisais hier soir au théâtre du Panthéon, sous le charme d’une [sic] drame nouveau empreint de tous ces sentimens, cette pièce en quatre actes et en vers, est intitulée 1572 ; l’auteur est, dit-on, un jeune homme de grande espérance nommé Lesguillon.

Je laisse à une autre plume exercée et savante le soin d’en faire l’analyse raisonnée ; pour moi dont chaque pensée doit avant de la pouvoir rendre, passer par mon cœur, je ne puis que parler de mes impressions. Le point d’histoire que l’auteur a choisi précède peu la grande catastrophe de la Saint-Barthélemy ; l’intrigue principale est même pour hâter ce moment, Catherine de Médicis et Charles IX, l’une perfide, ambitieuse, l’autre faible et dominé, restent tous deux dans la vérité historique ; les autres figures groupées autour d’eux rappellent le caractère de cette époque, mais les sentimens exprimés dans ce drame,

58 25/05/23 02:32

Page 59: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

sont bien de notre temps. Aussi a-t-il été accueilli d’une manière bien flatteuse et bien encourageante pour l’auteur ; toutes les allusions sur la politique du jour, ont été applaudies avec fureur. Les scènes d’amour sont charmantes, on se dit, mais tout bas qu’il y a du bonheur à être aimé ainsi ; une foule de très-beaux vers ont rendu le succès complet, ils sont de ceux que l’on retiendra facilement, parce qu’ils expriment toujours une pensée noble et vraie.

Quelqu’un en sortant m’a fait voir le jeune auteur, et cette idée consolante a dominé toutes mes autres sensations. « Que d’espoir dans la jeunesse française ! »

SUZANNE.

(p 83)

A la première lecture, n’est-il pas vrai, Mesdames, que la brochure de monsieur de Laurance, dont je vous parlais dernièrement, ne paraît remplie que de sophismes ; on dirait que l’on en a escamoté la raison. Selon l’auteur voilà dix-huit siècles que l’on interprète mal la religion de Jésus, qui est ( toujours d’après l’auteur) la religion de la maternité, et dont le symbole offert à la vénération des fidèles, est une mère portant un enfant sur les bras. « Et plus loin, écoutez ce qu’il nous dit encore : « Jésus a pu « opérer des miracles mais son système n’en avait pas besoin. La nature doit-elle « devenir inconséquente à ses propres lois pour mériter notre admiration ? Non sans « doute, tout ce qui est, est miraculeux. »

« La conception de Marie fut miraculeuse ; la conception de toutes les femmes est « miraculeuse. »

« La conception de Marie fut un mystère ; la conception de toutes les femmes est « un mystère. »

« La conception de Marie fut immaculée ; la conception de toutes les femmes est « immaculée. Quelle souillure peut s’attacher aux opérations de la nature ? Maintenir « le contraire serait un blasphême [sic]. Jusqu’ici nous avons appelé le mariage saint, « à l’avenir nous appelerons la conception divine. Celle qui est enceinte est remplie du « Saint-Esprit, et alors avec quel respect on traitera une femme dans ce moment, où « elle a le plus besoin1 d’aide et de bienveillance. »

Là, convenez-en, n’est-ce pas bien serpent de nous amener à faire comparaison de ce qui existe, avec l’ordre de choses que Jésus voulait établir. J’en juge par moi, mes chères lectrices, qui suis si débonnaire, qui éprouve un saint respect pour tout ce qui est vieux et décrépit, au point de n’y vouloir toucher, et de laisser à Dieu le soin de le faire disparaître ; eh bien ! ma forte tête en a été ébranlée : je me suis surprise disant : mais au fait pour- (p 84) -quoi pas ? et même disposée à prendre la hache révolutionnaire pour saper d’abord le vieux mariage chrétien, où il faut être fidèle et constante quand même ; ensuite ma bile s’est tournée vers

1 Le « e » et le « s » sont en partie effacés par une tache d’encre noire, de plus, dans la marche, à cette hauteur, il y a comme un mot manuscrit, à l’encre noire, indéchiffrable.

59 25/05/23 02:32

Page 60: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

cette vieille société masculine, où l’on nous laisse toujours derrière le rideau, où nous ne pouvons faire un pas qu’à la suite de ces messieurs, où toutes les places, les divers emplois, tout ce qu’il y a de positions avantageuses se trouve accaparé par ces vampires, ce qui fait que la moitié des femmes, pour satisfaire à la vie matérielle, doivent, ou se donner sans amour, ou se vendre ! se vendre pour du pain ! ! Fi ! fi ! la vilaine société que les hommes nous ont faite là. Allons, femmes, courage, relevons-nous, courage à l’œuvre, essayons de faire quelque chose de mieux que cela....

Vous voyez par cet accès combien j’avais raison de nommer serpent des auteurs qui nous donnent de semblables idées de révolte. Cependant réfléchissez, Mesdames, que nous envoyions sa brochure dans le royaume de la lune, avec tout ce qui nous paraît inutile ici-bas, ou que nous en prêchions les principes, c’est ce que je vous laisse à décider, mais toujours est-il que nous devons une pensée de reconnaissance à l’auteur. Dans son système, nous sommes au moins comptées pour quelque chose, nous avons une matrie2 ; ne riez pas, je vous prie, le terme est juste ; dans le système de famille patriarcal tel que les hommes l’ont adopté, ils ont eux une patrie, et nous nous n’y avons pas de place ! je livre cette pensée à vos méditations, voyez, examinez, et.... unissons-nous !

Oh ! par exemple je vous fais bon marché du roman du même auteur (l’empire des Naïrs, ou le Paradis de l’amour), où la même question est reproduite, non plus sous son aspect religieux, mais sous aspect moral et politique ; je ne vous engage pas même à le lire : je vais vous (p 85) en dire quelques mots, parce que je vous l’ai promis, mais cette tâche remplie, ne me fuyez pas trop, ne me croyez pas perdue. Quel que soit le sujet dont la femme nouvelle vous entretiendra, ne perdez pas de vue que nous sommes appelées à prononcer dans la grande cause de la morale de l’avenir ; que nous devons par conséquent réunir autour de nous toutes les lumières éparses, afin de former comme un foyer qui puisse éclairer les pas de notre mère, de la grande prêtresse de l’avenir. D’ailleurs, vous savez, ou si vous ne savez pas, je vous apprendrai que dans la grande loterie du mariage, il y a huit ans, que j’ai eu le rare, le très-rare bonheur, de tirer un excellent numéro ; aussi, préservée par ce talisman, je puis braver tous les dangers et faire comme les casuistes chrétiens, lire les ouvrages à drôles d’idées, afin d’en faire frémir mes ouailles et préserver leurs consciences de la contagion.

Ces préliminaires terminés, je vous dirai donc que dans ce roman, l’auteur fait le procès à ce pauvre dieu d’Hyménée d’une manière cruelle ; non content de trouver pour le condamner des preuves toutes faites dans la société, je suis persuadé qu’il en invente. Pour avoir plus beau jeu, il nous transporte sur la côte de Malabar ; de là, il met à contribution l’Orient et l’Occident, pour lui fournir des histoires qui se croisent en tous sens et dans lesquelles chacun de ses personnages a l’air d’arriver avec une pierre en poche, pourla [sic] jeter en passant à ce pauvre dien [sic] d’Hymen, enfin tous les torts, toutes les fautes, tous les crimes, sont mis sur son compte. Je vous assure que dans l’empire des

2 Le mot est barré et corrigé dans la marge.

60 25/05/23 02:32

Taz, 03/01/-1,
Page 61: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Naïrs, il joue un fort triste rôle. Je ne puis en conscience aller plus loin et vous faire une analyse plus complète de ce roman ; l’auteur bien sûr exagère le mal. Figurez-vous puisqu’il faut tout vous dire, qu’il fait du mariage chrétien, [FP. : problème de virgules] le bouc émissaire chargé de toutes les peccadilles de la société, et à la fin du quatrième et dernier (p 86) volume, il a l’air d’écrire sur sa bannière : « Pour le bonheur des humains, plus de mariage. » Oh ! j’en ai frémi, et aussitôt j’ai laissé là ce dangereux livre ; faites comme moi, mesdames, et si vous le pouvez n’y pensez plus.

S...._____

Dimanche 18 novembre, le père Enfantin, entouré de toute sa famille de Paris, en costume d’apôtre, est allé à heures [FP. : aucune heure précise n’est indiquée] du matin recevoir son père à son arrivée à Paris. C’était un spectacle touchant de voir cette foule d’hommes dévoués escorter à cette heure la vieillesse et le génie. Quelqu’un me demandait quel était le charme que le Père employait pour faire ainsi condescendre [FP. : la deuxième moitié de ce verbe est légèrement soulignée au crayon à papier] ses désirs ? La réponse m’a paru facile : « Il aime, il est aimé. »

Nous remarquerons avec bonheur, que notre cause s’instruit activement. Plusieurs apôtres saint-simoniens sont partis la semaine dernière pour aller dans les belles provinces du midi, prêcher notre affranchissement, soutenir nos droits, non plus la lance au poing comme les chevaliers du moyen-âge [sic], mais par une parole de persuasion et d’amour, convier à la paix, à l’association, au bonheur, les femmes et le peuple. Gloire à eux !

S....._____

En vérité, messieurs du désintéressé Figaro, je vous prierai de me dire ce que vous entendez par la dignité humaine, et si une demi-douzaine de couturières, comme vous nous appelez, ne sont pas aussi respectables en consolidant leur indépendance par le travail de leur aiguille, que tant d’autres employant, par exemple, une plume facile et exercée au service de telle ou telle coterie. Non, Messieurs, ce n’est pas par crainte ou par honte que nous (p 87) taisons le nom de nos maris ou de nos pères, mais nous voulons répondre nous-mêmes de nos paroles et de nos actes. Les femmes nouvelles placent leur dignité dans une noble franchise, et elles seront toujours prêtes à sauver l’ennui des recherches, quand on voudra prendre sur elles des renseignemens positifs.

S...…_____

Pour vous, MM. du journal l’industriel, c’est sur un autre ton qu’il faut que je vous tance. Quoi ! de Verdun, vous vous avisez méchamment de nous dénoncer à messieurs du parquet, et vous tâchez même par vos

61 25/05/23 02:32

Page 62: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

insinuations de nous faire appliquer le petit article 291, si benin [sic], si progressif, que l’on a par hasard oublié dans la charte, c’est fort mal en vérité de votre part, dites-moi donc s’il vous plaît, si dans le pot-pourri politique qui se passe sous nos yeux et paraît si plaisant ou si triste selon l’humeur de chacun, où tout le monde réclame, pourquoi nous, femmes, seules, nous ne pourrions rien réclamer ? Nous qui sommes tant par le fait et si peu par le droit. Vous messieurs, vous réclamez pour l’industrie, ce que j’approuve fort, (vous voyez que malgré vos torts envers nous je sais reconnaître votre bon côté), d’autres journaux réclament pour les droits politiques du peuple, ceux-ci pour les intérêts de tel parti, ceux-là pour soutenir des droits chimériques et usés, mais tous restent à côté de la question ; aucun ne s’occupe de nous, pour nous la presse n’a point d’entrailles ni de justice, et cependant rien ne se terminera sans nous. En vérité puisqu’il en est ainsi, laissez-nous donc réclamer une bonne fois le libre exercice de notre volonté, puisque la Providence nous en a gratifié d’une tout comme vous ; pour ma part, je vous préviens que la mienne est (p 88) fort tenace et que je ne suis pas prête, Dieu aidant, de cesser de vous harceler. Prenez acte de ce que je vous dis, si bon vous semble ; afin de justifier votre foudroyante accusation, je conviendrai avec vous que nous voulons bien changer quelque chose à votre morale, mais rassurez-vous, nous n’irons pas jusqu’au sens dessus-dessous général que vous craignez. Ainsi accusez-nous du crime de lèze-majesté [sic] maritale, de conspirations diaboliques contre le pouvoir si doux, si débonnaire des maris, toujours est-il qu’en face de la cause des femmes et des peuples, il ne sera plus désormais possible de dire : néant à la requête !

Afin de vous prouver, messieurs, que ce n’est pas un défi que je vous jette, permettez-moi de transposer les mots de votre dernière phrase : ce que Dieu veut, liberté, égalité, bonheur pour tous, la femme nouvelle le veut.

SUZANNE.

*

S’adresser au Bureau de l’Apostolat tous les jours, de midi à quatre heures, rue du Faubourg Saint-Denis, n. II ; et, pour les renseignemens, à madame VOILQUIN, rue Cadet, n. 26 et 28.

(Affranchir les lettres et envois).

SUZANNE. Directrices.MARIE REINE

[FP. : une accolade figure ici]

———————————————————————————

62 25/05/23 02:32

Page 63: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,PASSAGE DU CAIRE, n° 54.

63 25/05/23 02:32

Page 64: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

LA FEMME NOUVELLE.(p. 89)

APOSTOLAT

DES FEMMES.

—————

VÉRITÉ. UNION.

Liberté pour les femmes, liberté pour le peuple par une nouvelle organisation du

ménage et de l’industrie.

AUX FEMMES.

Notre siècle, dit-on, est le siècle des lumières : alors pourquoi serait-on surpris qu’un rayon de ce divin foyer pénétrât l’ame [sic] de la femme, et lui fît voir au grand jour l’esclavage où elle est plongée ? Ce règne, dit-on encore, est celui de la liberté ; du moins un lambeau tricolore orne les temples et les édifices : alors pourquoi ce beau nom de (p 89) liberté ne résonnerait-il pas aussi agréablement à l’oreille de la femme ? pourquoi ne ferait-il pas vibrer aussi fortement tous les nerfs de son cœur ? pourquoi, en un mot, ne serait-elle pas aussi envieuse que l’homme de jouir de ce don précieux de la nature, que chacun aime, que chacun prise,

64 25/05/23 02:32

Page 65: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

et qui néanmoins fait généralement parmi nous l’effet du beau idéal qu’un grand nombre rêvent, et que si peu effectuent.

Femmes, c’est à vous que je m’adresse. Sortez de votre léthargie ; ouvrez les yeux, et voyez enfin l’état avilissant où l’on vous a réduites. La nature vous fit-elle ainsi ? vous créa-t-elle la propriété de l’homme ? vous créa-t-elle pour être son jouet ? vous créa-t-elle pour suivre ses lois, ses volontés et ses fantaisies ? vous créa-t-elle enfin pour être son esclave et celle des préjugés qu’il enfante ?.…. Non : vous fûtes créée pour être son égale, et pour cheminer ensemble aussi doucement que possible sur la route de la vie !.… Honte et confusion pour nous, si les choses ne sont pas ce qu’elles doivent être [FP. : pas de point ici]

Mais l’heure est sonnée ; levons-nous en masse, et faisons voir à l’homme que le sexe faible est fort lorsqu’il est opprimé ; brisons les chaînes dont on nous entoure ; déployons notre pacifique bannière ; et, semblable à celle des anciennes croisades, que chacun y lise : Dieu le veut : peut-être ajoutera-t-on, puisque les femmes le veulent. Eh bien oui, nous le voulons, parce que nous voulons la justice : notre cause est celle de la nature, celle des hommes, sans qu’ils s’en doutent ; car de notre affranchissement dépend notre commun bonheur ! Du courage donc et de l’énergie ; accomplissons cette œuvre par excellence ; le mal n’est pas si grand qu’il n’y ait encore du remède. Franchissons les barrières que l’on nous oppose. Honte à jamais pour celles qui reculeront en voyant les obstacles ! (p 91) N’ayons qu’un seul cri, qu’une seule devise [FP. : pas de point sur le « i »], liberté, liberté !... Réunissons nos faibles voix, et donnons-leur tant de force, qu’elles trouvent un écho chez la veuve du Malabar et dans les harems des sultans !.….

Mais si, à la honte de notre sexe, il pouvait s’en trouver qui aimassent leur servitude, dont le cœur faible et rampant ne pût concevoir le bonheur d’être libre, je leur dirais : Venez vers nous, vers nous qui sommes saint-simoniennes, et qui faisons gloire de l’être ; vers des femmes dont le sang bouillonne au seul nom de la liberté ! venez, approchez-vous, afin que quelques étincelles électriques du feu qui nous embrase émeuvent vos ames [sic] de glace, et fassent agir les ressorts de votre être ! Faibles et timides créatures, peut-être mes paroles vous effraient-elles ? peut-être craignez-vous de sortir des bornes que la nature a mises à notre sexe ? Rassurez-vous ; comme vous, nous voulons rester femmes, mais femmes suivant le vrai sens de ce mot ; c’est-à-dire que nous serons toujours, autant qu’il sera en notre pouvoir, cet être formé de grâce, d’amour et de volupté, cet être né pour charmer et pour plaire, cet être doux, insinuant et persuasif ; enfin nous serons femmes et nous ne serons pas esclaves ! Nous serons femmes, et l’on verra s’éloigner de nous la ruse, l’artifice et la fausseté, compagnes de l’asservissement. Fidèles aux lois de la nature, nous aimerons sans feinte, et nous rirons des préjugés.

ISABELLE,_____

Nous désirons que ce projet d’association, rédigé par de jeunes filles, puisse faire comprendre aux femmes qu’elles ne parviendront à

65 25/05/23 02:32

Page 66: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

s’affranchir moralement que lorsque, se sentant solidaires les unes des autres, elles se soutiendront toutes et se suffiront matériellement.

(p 92) Seule tribune des femmes, la Femme nouvelle se fera toujours un devoir, malgré sa faible voix, de publier toujours les réflexions que l’on nous fera parvenir, dès qu’elles pourront servir à former lien entre toutes.

S.…

« MESDAMES,

« Nous sommes arrivées à une époque où le besoin d’association, d’un lien religienx [sic] qui unisse entre eux les individus, se fait vivement sentir. Hier encore, une séance a eu lieu parmi les hommes saint-simoniens. Dans cette séance, on a proposé les moyens qui pouvaient paraître les meilleurs pour arriver à ce grand but ; savoir, de relier les hommes de telle sorte qu’ils se soutiennent les uns les autres, qu’il y ait entre eux association et religion.

« Aujourd’hui, nous femmes, nous qui nous sommes déclarées libres et capables de prendre part au grand œuvre, c’est-à-dire au progrès et à l’affranchissement, nous devons travailler pour cela ; mais travailler avec courage et sans relâche.

« Si jusqu’ici les femmes ont été entièrement soumises et esclaves, c’est qu’elles n’ont pas été unies ; c’est qu’il n’y a pas eu association, lien religieux entre elles. De petites rivalités, des haines sans sujet, sans raison ; tels ont été jusqu'à ce jour leur principale occupation, les soins de leur vie. Ce défaut d’ensemble et d’harmonie les expose chaque jour aux piéges [sic] et à la brutalité des hommes.

« Mesdames, ces pénibles réflexions me sont suggérées par un fait récent encore, et dernièrement parvenu à ma connaissance.

« Une jeune fille, sage, vivant de la vie chrétienne, bien qu’adoptant nos idées de liberté et d’affranchissement, vient d’être la victime d’un homme. Elle était orpheline, (p 93) et vivait du travail de ses mains, retirée dans un misérable réduit. Un homme demeurait au-dessous d’elle, un homme grand et fort. Elle était jolie, et lui avait inspiré des désirs. Un jour il monta dans sa chambre sous un prétexte quelconque, et là il abusa de sa force.….. Que pouvait faire la pauvre jeune fille ? elle avait seize ans : les tribunaux n’accordent droit de plainte que jusqu'à quinze ans. Les lois ne lui donnent point satisfaction ; maintenant son bourreau refuse de la réhabiliter dans le monde ; il ne veut point l’épouser, et cependant soir et matin il frappe à sa porte pour renouveler ses infâmes tentatives.

« Tel est le fait sur lequel je voulais appeler toute votre attention.«  Eh bien, Mesdames, dans la société actuelle, si le crime a des suites,

si la jeune fille porte des marques de la violence qui lui a été faite, la voilà déshonorée à tout jamais, flétrie pour toujours. Elle aura beau dire et crier au public : Je ne l’ai point voulu, je me suis défendue ! j’étais trop faible !... le public railleur la repoussera, les hommes riront à son passage, les femmes lui crieront : Arrière ! Il serait en effet si ridicule aujourd’hui de croire à la vertu d’une femme ! et elle, innocente et sage,

66 25/05/23 02:32

Page 67: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

subira la honte et l’infamie, parce qu’un homme fut plus fort et plus robuste qu’elle.

Ces faits se reproduisent chaque jour dans la société. Si l’on voulait rechercher et tenir note de tout ce qu’il y a d’immoral dans la conduite des hommes envers les femmes, on verrait qu’il n’est pas un jour, pas une heure, où de semblables [FP. : le « a » est renversé] crimes d’exploitation ne se commettent.

Et en effet, soit violence, soit séduction, il est bien rare de voir les pauvres filles du peuple, lorsqu’elles se (p 94) trouvent isolées sur la terre, ne pas faillir à ce qu’on appelle dans le monde l’honneur et la vertu. Pauvres enfans abandonnés de tous, sans parens, sans amis, qui les consolent au jour de l’orage, dont la voix les ranime, dont la main les soutienne ; elles sont lancées au milieu de cette société qui ne leur offre que des écueils, ou dont la froide indifférence ne daigne pas s’occuper de ces cœurs qui ont tant besoin d’amour, et qui ne trouvent que mépris et froissement.

Alors, sans appui, sans défenseur, et même sans vengeur, comment peuvent-elles se soustraire à la brutalité des hommes ? et puis, lorsque, tristes et pleurantes de leur isolement, elles tournent leurs regards vers ceux qui les entourent, elles aperçoivent des visages glacés d’égoïsme, des cœurs qui ne savent point répondre aux battemens de leurs cœurs, et qui ne comprennent pas ce qu’elles veulent.

Pauvres filles ! si un homme, en ces momens de douleur, s’approche de l’une d’elles ; s’il fait retentir à ses oreilles le mot magique d’amour ; s’il lui promet de l’aimer, elle, confiante et naïve, tout entière au bonheur d’aimer et d’être aimée pour la première fois, s’abandonne, suit son guide qui l’entraîne, et elle tombe.

C’est alors qu’il fait beau voir les hommes rire de sa chute, et rire dédaigneusement ; et les femmes l’injurier et dire anathème sur elle, les femmes du monde qui sont nées heureuses, aimées ; car elles peuvent avoir de l’amour, oui, de l’amour comme elles veulent et tant qu’elles veulent, pour leur dot, pour leur fortune.

Les femmes privilégiées, tout entières à leur bonheur, gonflées de leur propre individualité, ne comprennent pas les cris de détresse de leurs compagnes souffrantes ; (p 95) elles ne savent point leur tendre la main ; et cependant un coup de Bourse, un incendie, une banqueroute, un de ces jeux cruels du hasard et de la fortune, que l’on voit si souvent se répéter, peut de leur soyeux divans les jeter rudement sur le pavé ou dans le grenier de la misère, et leur faire partager la dure condition des pauvres filles du peuples.

Que feront-elles alors, en voyant leurs amis dans l’opulence s’éloigner d’elles et les fuir ? car dans ce monde on attache de la honte même à la misère ; on se croit souvent obligé d’excuser la pauvreté. Que deviendraient-elles, dis-je, alors dans un tel dénuement ? que feraient-elles ? quelles seraient leur conduite, la direction qu’elles choisiraient ? Abandonnées de tous, combien serait affreux leur sort !

Que les femmes et les filles des riches se représentent un instant dans cet état. Un instant qu’elles se figurent misérables et réduites à vivre du travail de leurs mains ; qu’elles y pensent, mais mûrement, mais gravement.

67 25/05/23 02:32

Page 68: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Hé bien alors, pour elles ne serait-il pas heureux, aussi bien que pour les filles du pauvre, qu’il y eût des maisons fondées dans une pensée religieuse et d’amour, des maisons d’association artiste et industrielle, où les jeunes filles, unies entre elles par une commune pensée, trouveraient un asile assuré contre la misère, la faim, la brutalité des hommes, leurs séductions, ou l’appât de l’or, si puissant sur l’être qui sent le froid, et la soif et la faim.

Oui, nous le répétons encore, l’association est le seul moyen d’affranchir à la fois les femmes et les hommes ; les femmes, lorsque leurs moyens d’existence ne dépendront plus de leurs pères ou de leurs maris ; les hommes, qui pourront plus librement se livrer à leur vocation lors- (p 96) -qu’ils seront assurés que leurs filles ou leurs femmes n’auront plus besoin d’eux pour manger.

C’est donc l’association qui est essentielle entre les femmes ; c’est donc l’association qu’il faut réaliser ; et, pour remplir ce but, voici ce que nous avons à vous proposer.

Nous demandons que,« Il se forme, sous le nom de Réunion Saint-simonienne artiste et

industrielle, une association de jeunes filles qui sont dans l’attente, et de dames veuves par la mort ou l’absence de leurs maris, dont les conseils et l’expérience puissent diriger leurs sœurs plus jeunes.

Dans cette maison pourront entrer toutes les jeunes filles, quelle que soit d’ailleurs leur condition dans le monde actuel, pourvu qu’elles soient et qu’elles veuillent vivre dans l’attente, et qu’elles puissent par leur travail, quel qu’il soit, coopérer utilement à l’existence matérielle et au bien-être de la communauté.

Avant de se présenter pour faire partie de l’association, chaque personne devra bien comprendre le besoin de socialisation, d’union et d’amour entre tous les membres de la communauté. Dans notre maison artiste et industrielle, les efforts individuels doivent tendre au bien-être général, et ce besoin de généralité se fait vivement sentir surtout dans les commencemens.

C’est dans l’estime et l’amour de leurs compagnes que celles dont les travaux sont plus lucratifs doivent, surtout dans les commencemens, chercher la satisfaction de leur individualité.

Il y aurait cependant un registre où seraient mentionnés l’apport de chacune et le produit de son travail pour lui en tenir compte au moment où elle quitterait la com-(p 97)-munauté, ce qu’elle ne fera pourtant qu’avec précaution et de manière à ce que sa séparation ne blessât pas trop l’intérêt général.

Ce ne sont pas seulement les produits matériels qui doivent se partager, mais le sentiment religieux, qui anime et dirige tous les membres de la communauté, doit les engager à se faire mutuellement part de tous les trésors de science, d’art et d’industrie, qu’ils peuvent individuellement posséder.

Certaines heures de la journée, surtout le dimanche, seront consacrées à des chants religieux.

Voici, Mesdames, les bases principales de l’association que nous voulons vous proposer ; mais n’allez pas croire que nous venions devant vous sans avoir préalablement fait tous les calculs qui peuvent assurer

68 25/05/23 02:32

Page 69: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

l’existence de notre communauté : tels sont donc les calculs de réalisation que nous avons faits.

Calculs de réalisation.

Pour douze cents francs par an, nous pouvons louer une petite maison isolée, entre cour et jardin, derrière le Luxembourg.

Dans cette maison, il y auraSalon, Parloir ;Atelier, Dortoir ;Réfectoire, Lingerie ; Cuisine, Infirmerie. 1,200 fr.

En supposant que le nombre des membres de la communauté soit de vingt en commençant, et que le minimum du gain de chacun soit de un franc par jour, les diver ses [sic] sommes formeraient un gain de 7,200 fr.

En mettant la nourriture à douze sous par tête, ce qui fait douze francs par jours ; dépense de l’année, 4,380 fr.

(p 98) Il reste maintenant pour l’habillement, le chauffage, l’éclairage, 1,620 fr.

Le chauffage et l’éclairage coûtent, d’après les calculs, 300 fr.Le blanchissage, en comptant :

Par mois.

Par an.

80 chemises 12 144.80 paires de bas 8 96.160 serviettes 8 96.

Toutes les 6 semaines,20 paires de draps 8 72.40 torchons I 12.

____Total par an...............................................................................422.

____

Il reste donc 898 fr. pour l’entretien du linge et des vêtemens ; Pour chaque membre, 44 fr. 40 cent.

Voilà ce que nous avions à vous proposer ; tel est notre plan. Nous espérons que vos observations tendront encore à l’améliorer.

ANGÉLIQUE.

SOPHIE CAROLINE.

69 25/05/23 02:32

Page 70: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

DISCOURS ADRESSÉ LE 2 DÉCEMBRE A LA FAMILLE

DE PARIS, RÉUNIE EN ASSEMBLÉE GÉNÉRALE.

MESSIEURS,

Tous les actes d’une société religieuse, qui se sent comme la nôtre, la mission de régénérer le sort de l’humanité ; tous ces actes, dis-je, doivent être graves ; c’est (p 99) donc avec confiance que je me présente devant vous, afin de déterminer entre vous et nous une organisation au moins provisoire.

Dimanche dernier, dans cette même enceinte, vous avez tous entendu dans le discours d’adieu pronon [sic] par notre bien-aimé prédicateur Barrault, cette phrase si remarquable : « Nous laissons Paris aux femmes. »

Oui, Messieurs, nous acceptons cet héritage ; déjà il y a un commencement d’association d’union entre nous ; des femmes se sont groupées autour de la bannière de la Femme nouvelle. Déjà dans la brochure de ce nom, entière ment [FP. : pas de trait d’union après « entière » dans ce mot coupé] rédigée par des femmes, nous avons pu toutes, chacune à notre manière, exprimer nos sentimens, nos désirs d’avenir, enfin faire acte de volonté libre ; déjà dans des réunions préparatoires nous avons senti que d’abord notre œuvre à nous devait être bien distincte de la vôtre, afin que plus tard, lorsque nous aurons compris notre force et notre valeur, nous puissions, dans toutes les directions de la vie, nous placer à [FP. : espace un peu plus grand que d’habitude après ce « à »] vos côtés comme vos égales. Mais ne croyez pas, Messieurs, que ce soit à une sauvage indépendance que je désire voir arriver mon sexe ; non, non, loin de moi cette pensée anti-religieuse ; la proposition que je viens vous faire, [FP. : problème de virgule] tend au contraire à coordonner, à réunir nos efforts aux vôtres, afin d’arriver plus tôt au résultat que nous désirons tous, qui est d’obtenir d’une manière pacifique l’association universelle, l’affranchissement des femmes et des peuples.

Comme c’est dans l’amour que je porte à mon sexe que j’ai puisé tous les sentimens que j’exprime, je ne crains pas d’être démentie par mes sœurs, en vous demandant, au nom de toutes, que partout où vous serez il y ait pour nous, place, amour, respect. Vous devez sentir, Messieurs, qu’en dédommagement des mépris et des (p 100) calomnies dont le monde extérieur nous abreuve, vous ne sauriez trop parmi vous nous accorder de considération.

C’est donc en femmes qui se sont déjà montrées dignes de la liberté, que nous réclamons de votre justice qu’il n’y ait plus d’assemblée générale de convoquée sans que nous n’y soyons admises. Imitez le père suprême ; envisagez surtout l’avenir du saint-simonisme dans la solution de la question des femmes : il sera beau et grand, Messieurs, que la famille de Paris puisse se donner en exemple au monde, pour adoucir les mœurs ; réveiller, exalter dans l’âme des travailleurs, les sentimens

70 25/05/23 02:32

Page 71: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

chevaleresques du moyen âge [sic]. Rendez, autant que possible, vos prises d’habit solennelles ; que ce soit un jour de fête pour la famille ; que le nouveau frère appelé à notre communion déclare, pour toute profession de foi, qu’il repousse comme arriéré et sauvage toute exploitation sur les individus. Alors que le père ou son délégué lui présente la ceinture ; les frères, la toque ; mais que les femmes seules donnent et posent l’écharpe. Le nouveau frère, se regardant dès-lors [sic] comme le chevalier des femmes et du peuple, sentira la nécessité de se laisser dépouiller momentanément de ses divers symboles, s’il vient à faillir à son œuvre.

Messieurs, pour me résumer en peu de mots, nous demandons que les différens groupes de femmes qui pourront se former sous l’inspiration saint-simonienne soient admis à faire partie de vos assemblées, et puissent délibérer, comme vous, sur toutes les questions générales qui s’y traiteront ; mais aussi plus nous tenterons de rapprochement entre les sexes, plus le besoin d’une justice toute moralisante se fera sentir. D’après cette pensée, nous demandons, afin de pouvoir réprimer les torts de quiconque se rendrait coupable envers les individus ou la gé- (p. 101) -néralité, qu’il soit formé un conseil de famille présidé par des femmes et des hommes.

Que la dénomination de ce tribunal de famille puisse varier selon les causes qu’il sera appelé à juger ; par exemple, il se formera sous le nom de cour de justice, si le délinquant s’est rendu coupable envers le père, ses frères ou le peuple ; mais, dans toutes les causes qui regarderont spécialement notre sexe, ou [sic] un délit aura été commis envers une femme, et surtout pour que tous les actes de la femme soient bien distincts des vôtres et conservent l’empreinte de son caractère, nous voulons que l’assemblée soit aussitôt convoquée sous le nom de cour d’amour.

Il est inutile ici de spécifier le genre des fautes à juger, ou la nature des peines propres à être appliquées ; ce sont, il me semble, des détails ultérieurs qui pourront se règler [sic] lorsque plus tard il y aura contravention, décision prise entre nous, lorsque vous aurez comme moi le sentiment intime que, pour faire avancer l’œuvre, il faut que les femmes prennent une part active à tout ce qui se décidera dans la famille.

Je vous ai présenté, Messieurs, ces pensées de femmes, d’une manière bien informe sans doute ; je laisse à vos réflexions le soin d’examiner ce qu’elles ont d’applicable pour les circonstances actuelles. Je désire cependant que vous sentiez aussi vivement que moi ce que la publicité, ce principe moralisant qui agirait sur tous les individus, aurait d’actif, de vivant pour l’éducation des femmes qui, ayant jusqu’à présent été réléguées [sic] dans l’intérieur de la petite famille, ne sentent pas assez ce qu’il y a d’excellent et d’avenir dans la vie sociale.

Saints-simoniens, pour que notre liberté ne soit pas une (p. 102) vaine révolte, veuillez-la [sic] dans toute la sincérité de votre ame [sic]: mieux vous comprendrez ces paroles, plus la femme agira.

SUZANNE.

71 25/05/23 02:32

Page 72: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

VARIÉTÉS.

Au départ des apôtres saint-simoniens pour Lyon, une jeune femme, émue du dévouement de ces hommes religieux, leur a adressé des adieux touchans ; entre autres pensées remarquables, elle leur a dit : « Nous vous prions d’être nos « interprètes auprès des femmes qui s’approcheront de vous et seront touchées de « vos paroles ; faites-leur part de la sympathie que nous éprouvons et voudrions voir « partagée par toutes, que nous désirons être en relation avec elles ; dites surtout aux « prolétaires que, si elles viennent à Paris nous visiter, nous les recevrons comme des « sœurs ; qu’elles trouveront toujours en nous appui et protection. Portez-leur donc « cette parole d’union, afin qu’étant sentie par quelques femmes aimantes, elles se « rallient à la sainte cause à laquelle nous avons voué notre vie. Que notre foi dans « l’avenir soutienne notre courage à toutes, car cette parole du père doit s’accomplir : « Liberté pour les femmes, liberté pour les peuples ; oui, c’est là la volonté de Dieu. »

ÉMILIE, femme F._____

(p 103)Une jeune fille nous prie d’insérer ce petit discours au peuple. Nous

aurions désiré que toutes les femmes sentissent que le but de cette petite brochure est de servir d’écho à toutes pensées d’avenir échappées d’un cœur de femme, et concourant à obtenir sous quelque forme que ce soit notre affranchissement moral et intellectuel ; cependant pour cette fois nous nous rendons au désir de cette jeune personne, d’autant plus que le sentiment qui l’a inspirée est três-bon [sic], puisqu’elle cherche à réhabiliter le mérite et met le dévouement en honneur.

DISCOURS AU PEUPLE.

Peuple malheureux, fera-t-on toujours en vain les plus immenses sacrifices pour te prouv er [sic] que l’on travaille à ton bonheur ? Ton oreille restera-t-elle toujours fermée à cette vérité qu’on veut te faire connaître ? ton cœur ne sera-t-il point touché de tant de peines et de patieuce [sic] que l’on a pour t’instruire ? Pourquoi refuser de croire à l’éminente vertu des hommes qui veulent éclairer la société ? La vertu dans notre siècle est-elle donc devenue impossible, outragerait-t-on assez l’humanité pour le croire ? rappelons ici le souvenir de la vénérable antiquité ; on ne peut nier que les héros qui l’ont illustrée n’aient donné des exemples d’une vertu surhumaine. Hé bien, la nature n’est point épuisée ; elle sait encore produire aujourd’hui de grands homme [sic], mais comme l’envie et l’imposture cherchèrent à obscurcir la renommée des sages anciens, de même maintenant la mort seule peut faire rendre justice à ceux dont le mérite importune les regards de leurs contemporains. Je rappelle ici le pacte vénitien : les hommes de cette

72 25/05/23 02:32

Page 73: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

nation se révoltèrent quand Bonaparte leur présenta la liberté, parce qu’ils ignoraient le prix d’un tel bienfait. Peuple, c’est dans cette disposition que se trouve (p 104) le prolétaire, à qui particulièrement les apôtres saint-simoniens portent intérêt ; ils demandent pour l’ouvrier du travail, et la tranquillité pour le riche ; et quel est celui qui, ayant un cœur humain, le sera pendant le cours de cet hiver, entouré d’infortunés que l’on voit languir autour de soi ? Peuple, comprends donc la noble mission des apôtres saint-simoniens ; cesse de les injurier, ils sont tes vrais amis, puisqu’ils cherchent à rapprocher de toi les classes élevées qui t’ignorent, te craignent, et sous la préoccupation de ce sentiment hésitent à travailler à ton bonheur.

PAULINE P.

_____

Nota. A dater du 20 décembre, le bureau de l’Apostolat sera transporté chez madame Voilquin, rue Cadet, nos 26 et 28. Les lettres et envois devront être adressés à SUZANNE ou à MARIE REINE.

* S’adresser au Bureau de l’Apostolat tous les jours, de midi à quatre heures, rue du

Faubourg Saint-Denis, n. II ; et, pour les renseignemens, à madame VOILQUIN, rue Cadet, n. 26 et 28.

(Affranchir les lettres et envois).

SUZANNE. Directrices.MARIE REINE

[FP. : une accolade figure ici]

———————————————————————————PARIS. — MPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, n° 54.

73 25/05/23 02:32

Page 74: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

LA FEMME NOUVELLE.(p. 105)

APOSTOLAT

DES FEMMES.

—————

VÉRITÉ. UNION.

Égalité entre tous de droits et de devoirs ;

notre bannière étant à la peine, il est juste

qu’elle soit à l’honneur. (Jeanne d’Arc.)

Depuis l’incarcération du père Enfantin, plusieurs dames de province nous ayant exprimé la crainte de voir la famille Saint-Simonienne sans lien par l’absence du chef, nous croyons, par quelques détails simples et vrais sur l’intérieur de la famille, répondre à leur bienveillante sollicitude.

Oh non ! non ! mes sœurs, le saint-simonisme n’est pas anéanti à Parîs [sic]. Rassurez-vous, et ayez foi en nous : il est (p 106) plus vivant que jamais, puisqu’il commence à s’incarner dans les femmes et le peuple. La phase des docteurs est achevée ; toutes théories sont faites ; vienne la

74 25/05/23 02:32

Page 75: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

phase du sentiment, des femmes, en un mot, et la nouvelle Genèse sera enfantée ; les temps seront accomplis ; l’ère nouvelle datera du jour où la sainte égalité de la femme et de l’homme sera authentiquement reconnue. Jusque là [sic], travaillons avec ardeur à faire descendre dans le cœur des hommes la conviction que de notre affranchissement dépendent aussi leur liberté et notre commun bonheur.

Ainsi donc, jusqu’au jour où des voix d’hommes se feront entendre au milieu de nous, la Femme nouvelle, sans cesser de réclamer, en face du monde extérieur, les droits de son sexe, rendra compte à nos sœurs et frères des départemens du mouvement progressif qui s’accomplira dans la famille de Paris ; car c’est de ce centre qu’est parti le signal de notre liberté, pour aller, bondissant d’écho en écho, retentir au loin par le monde ; ou bien encore, comme un phare bienfaisant, éclairer les consciences des hommes, et faire tressaillir de joie les cœurs de femmes. Ainsi, dans les esquisses que je vous tracerai, tour à tour vous verrez l’influence de la famille-homme de Paris, et l’influence de la Femme nouvelle, réagissant l’une sur l’autre, et s’inspirant mutuellement. Il faut, pour me faire comprendre, que je vous dise quelques mots sur la position respective des femmes et hommes saint-simoniennes [sic]. Généralement, les femmes parmi nous, comme ailleurs, comprennent peu la liberté qui nous est offerte ; elles sont presque toutes encore sous l’influence ou la volonté de l’homme ; elles n’ont point confiance en elles-mêmes. Encore sous le charme des brillantes théories que ces messieurs nous ont faites, elles n’osent faire entendre leur faible et timide voix ; enfin elles ne sentent pas encore que c’est à notre cœur, dégagé de tout sentiment individuel, (p 107) que toutes questions s’adressent ; que lui seul est appelé à les résoudre ; que, dans une religion toute d’amour, le plus aimant devient le plus capable : peut-être aussi ne sont-elles pas bien écoutées.

Pour les Saint-Simoniens, depuis que l’homme de génie qui les a guidés et les a inspirés continuellement en notre faveur, expie par la prison le tort d’avoir voulu rendre à cette société égoïste la vie et le bonheur, en nous plaçant au rang d’égalité qui nous est dû ; depuis, dis-je, nos frères, tout étonnés de la révolution qui s’est faite en eux, d’après l’inspiration du père et du pas immense qu’ils nous ont laissé franchir, nous regardent, nous écoutent, je dirais presque nous redoutent. L’autorité ayant toujours été arbitraire, despotique, à leur tour ils ne comprennent pas encore quelle place nous pourrons occuper sans froisser leurs droits : ils croient voir, de notre part, une tendance à l’usurpation, lorsque nous osons manifester une volonté. En général, les hommes, même un peu dans la famille, sont à l’égard des femmes comme les gouvernemens à l’égard des peuples ; ils nous craignent et ne nous aiment pas encore. Ils parlent de désordres ; mais, grand Dieu ! qu’y gagnerions-nous ? le désordre ! mais c’est l’abrutissement, l’exploitation de notre sexe ! Oh ! qu’ils se rassurent : la liberté que nous entrevoyons sera belle et pure ; les relations des sexes étant fondées sur le sentiment vrai de l’amour, l’exploitation, la fraude seront inutiles ou impossibles. Que les femmes laissent parler leur cœur, oui, je le sens, ce seul et même cri s’en échappera : « Arrière, arrière ! caprice volage, qui forme en te jouant

75 25/05/23 02:32

Page 76: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

mille liaisons éphémères ; tu traînes à ta suite dégoût et satiété ; non, non, tu n’es pas le bonheur. Arrière, imagination folle et vagabonde, qui fais délirer comme l’amour, mais qui n’es ni l’amour, ni le bonheur ! » Femmes, femmes, écoutez vos cœurs et prononcez.

(p 108)Cependant, chères sœurs, malgré la vérité de ce tableau, croyez que

nous sommes loin de nous décourager. La confiance s’établit peu à peu entre nous ; des groupes s’attirent, se forment de tous côtés et se réunissent ensuite en assemblée générale. Là on lit les lettres des frères absents, des vers à la louange des femmes ; on chante des couplets qui rappellent l’amour que l’on doit au père, et le dévouement aux femmes et au peuple. Pour être juste, il faudrait citer bien des faits ; mais rien n’est perdu pour nous ; tout viendra en son temps : dans le cœur de la femme, il y aura une louange pour chaque genre de dévouement. Aujourd’hui je me suis attachée à vous relier au moins mystiquement à la famille de Paris ; plus haut, je vous ai parlé du tribut que nous apportent en assemblée générale nos jeunes auteurs saint-simoniens : sans pouvoir les citer tous, c’est justice cependant que de vous faire partager le plaisir qu’un de nos frères nous a fait en nous offrant ce chant d’appel à la femme.

(Air de la Varsovienne)

I.

Parmi nous, femme douce et chère,Viens pacifier l’univers ;

A [sic] ses enfans viens donner une mêre [sic];Viens : nos bras et nos cœurs te sont toujours ouverts.

Lève ton front trop long-temps abaissé ;Lève ton front, femme pure et timide ;Répudiant l’outrage du passé,Que ton amour nous inspire, nous guide :

Nous avons déchiré le funeste bandeauQui nous cacha long-temps ta divine puissance.

Viens, ton règne commence :Dieu n’a pas pour l’oubli fait un pouvoir si beau.

Parmi nous, etc.

(p 109)2.

Viens, prends un luth à tes mains usurpé :Du travailleur, ton frère d’esclavage,Que le malheur par toi soit extirpé ;Rallume en lui l’amour et le courage.

On vit par son travail, et non par son blason.Dis-lui donc qu’il verra pour sa grande famille

Sa tranchante faucille

76 25/05/23 02:32

Page 77: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Des coteaux jaunissans dépouiller la toison.Parmi nous, etc.

3.

Va, ce n’est pas un culte sans ferveur,Tel qu’à tes traits en vouait l’artifice.Il s’est éteint, le jour de la faveu [sic]:Il va briller, le jour de la justice.

Ne seras-tu toujours qu’une vierge aux doux yeux,Ou sultane adorée, esclave ou vagabonde ?

Non : viens montrer au mondeLa plus belle moitié d’un couple radieux.

Parmi nous, etc.

4.

Retiens les bonds de ton coursier fougueux, Noble soldat, et redresse ta lance :Cessez vos cris, vos transports belliqueux ;Libre, en vos rangs une femme s’avance.

Sa voix en travailleurs changeant vos bataillons, Elle saura bientôt calmer toutes les haines,

Et dans nos vastes plainesLe fer de vos mousquets creusera des sillons.

Parmi nous, etc.

5.

Oh ! ce n’est pas un bonheur idéal :La voilà bien, mon cœur me la révèle.

(p 110)Obéissant à ce sacré signal,La voilà bien, majestueuse et belle.

Canons, ne tonnez plus ; tombez, mortel épieu :La femme va parler, et sa voix virginale

Sera grande et morale :Qui pourrait en douter nîrait [sic] la loi de Dieu.

Parmi nous, etc.

_____

Je dois ajouter qu’ayant toutes senti que ces louanges, loin d’être corruptrices comme les louanges du passé, étaient dignes de nous, et peignaient le fond de notre pensée, nous avons, d’un mouvement spontané, pris la résolution d’offrir au jeune MERCIER une écharpe, sur laquelle, plus tard, nous mettrons : Donnée par les femmes.

77 25/05/23 02:32

Page 78: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

En regard de nos moyens pour glorifier ce qui nous paraît bien, je veux aussi vous faire connaître nos moyens de répression par un seul exemple pris également dans notre sein. Un jeune homme, plein d’avenir, mais d’un caractère jusqu’alors indomptable, auquel on avait laissé prendre l’habit saint-simonien, peut-être un peu trop légèrement, avait compromis ses frères, en prostituant cet habit : le père du jeune homme s’est senti le courage de demander à la famille la dégradation de son fils ; le fils, à son tour, est venu noblement, courageusement, s’accuser de ses torts devant tous, et se dépouiller de ses vêtemens symboliques. Lorsque, plus tard, par une conduite soutenue, il aura reconquis l’estime de la famille, les femmes elles-mêmes demanderont sa réhabilitation. Alors aussi je dirai son nom, qu’il rendra glorieux, parce qu’il ne voudra pas qu’une main de femme l’efface de nouveau. Que le monde juge par ces deux exemples de la force moralisante que nous puisons dans la religion saint-simonienne. Aussi, trouvant dans cette religion tout ce qui (p 111) peut enthousiasmer l’ame [sic], le sentiment, science du cœur, qui doit relier, unir tous les peuples ; l’amour véritable, qui tout à la fois excitera et récompensera les actions sublimes ; et la poésie, fille de la religion et de l’amour, qui fera du globe la terre promise par Dieu ; et, désirant faire partager nos convictions par ceux qui nous aiment, nous avons décidé, en conseil intime, que la haute direction de cette petite brochure serait entièrement sous l’inspiration de la religion nouvelle. Nous insérerons, comme par le passé, les articles des dames qui, sans être saint-simoniennes, comprendront la place qui attend la femme dans la hiérarchie humaine. De plus, les développemens sur l’industrie, les articles qui peindront la misère matérielle qui assiége [sic] notre sexe, seront reçus par nous avec empressement ; mais nous avons senti que d’abord la Femme nouvelle devait être religieuse et morale. Ainsi, avant que d’exalter tel ou tel système industriel, comme parmi nous quelques-unes semblaient le vouloir, nous attendrons que les auteurs aient appelé à leur secours, comme preuve, l’expérience de la pratique.

SUZANNE. 

RÉPONSE

A [sic]QUELQUES QUESTIONS QUI NOUS ONT ÉTÉ FAITES.

On nous reproche de ne pas avoir dit quelle est la liberté que nous voulons ( [FP. : il n’y a pas de parenthèse fermante] on nous dit que nous n’avons pas assez clairement démontré en quoi nous sommes esclaves. C’est à ces deux questions que je vais essayer de répondre. Peut-être ne les développerai-je que sous un de leurs aspects ; mais d’autres que moi pourront les reprendre et développer celui que j’aurai laissé. Oui, la femme est esclave ; (p 112) car dès son enfance on l’asservit aux préjugés qui, par cela seul qu’elle est fille, ne lui permettent

78 25/05/23 02:32

Page 79: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

pas de se livrer aux jeux qui pourraient lui plaire. Dès son enfance, on la fausse dans son éducation ; on lui apprend à baisser les yeux, pour avoir ce qu’on appelle de la timidité. Je suis loin de vouloir que les femmes se dépouillent de la pudeur, de la modestie, qui sont leur plus belle parure ; mais il y a loin de cette réserve à celle qu’on leur donne dans l’enfance ; car l’une est vraie, c’est le résultat de leur manière de penser et d’agir, tandis que l’antre [sic] n’est que le résultat de la contrainte qu’on leur a fait éprouver. Cela est si peu naturel, que vous voyez la plupart des jeunes filles qui ont été ainsi retenues, lorsqu’elles se trouvent libres, avoir beaucoup moins de modestie que celles chez qui c’est le résultat de leur réflexion. Mais une autre chose qui prouve bien que nous sommes subalternisées, c’est que, dans notre éducation, on ne nous donne que des talens d’agrément, point ou peu d’études sérieuses. Notre tête, dit-on, n’est point organisée pour cela ; et cependant il est des femmes qui se sont illustrées dans les sciences ; elles sont en petit nombre, il est vrai ; mais c’est que peu de femmes ont été placées de manière à pouvoir faire les études nécessaires pour y arriver. Ainsi cette carrière se trouve fermée pour nous ; nous sommes donc subalternisées par rapport à la science. Pour ce qui regarde la politique, je n’ai pas besoin de faire de grands raisonnemens pour prouver que nous n’y avons aucune place, et que, sous ce rapport, nous sommes non-seulement subalternisées ; [FP. : point-virgule non justifié ici] mais, ce qui est plus, les esclaves des hommes. Qui fait les lois qui doivent régir la société ? des hommes seuls. Qui les apprend aux femmes ? Personne ; et lorsque l’une d’elles y faillit, qui la juge, qui la condamne ? Des hommes seuls ; elle est obligée, pour se défendre, d’avoir recours à un homme, les usages ne permettant pas (p 113) qu’une femme soit entendue comme avocat. Lorsqu’eut lieu le procès des Saint-Simoniens, le PÈRE avait dit que, comme sa cause était celle des femmes, il en demandait deux pour conseil. On les lui a refusées. Ce fait seul a prouvé notre subalternité ; et l’on vient encore nous demander en quoi nous ne sommes pas libres ! Non, nous ne le sommes pas, puisque nous n’avons que le droit d’être accusées, jamais celui d’être juges ni défenseurs, même dans notre propre cause. Et n’est-ce pas de l’esclavage pour les femmes que ce droit de l’homme, que la femme doit suivre son mari partout où il lui plaira d’aller, quelles que soient d’ailleurs les raisons qu’elle aurait de vouloir rester dans le pays où elle est ? Et, sous le rapport matériel, quels sont ces droits ? Aucun. La femme ne peut posséder ; tout ce qu’elle a appartient à son mari, parce qu’il est le chef de la communauté, et elle ne peut par cette raison disposer des biens qui lui appartiennent, alors que son mari absent ne peut lui en donner l’autorisation. Dans l’industrie, très-peu de carrières nous sont offertes ; tous les travaux qui peuvent être de quelque rapport sont faits par des hommes : on ne nous laisse que la liberté d’accepter des états qui nous rapportent à peine de quoi vivre. Dès qu’on voit qu’une industrie quelconque peut être faite par nous, on s’empresse d’en baisser les prix, par la raison que nous ne devons pas gagner autant que les hommes. C’est vrai, il est essentiel que nos gains soient très-modiques, car c’est une des causes de notre dépendance envers les hommes, puisque nous sommes obligées d’avoir recours à eux pour notre vie

79 25/05/23 02:32

Page 80: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

matérielle ; mais je crois qu’à bien examiner, il leur serait aussi avantageux qu’à nous que, sous ce rapport [sic], nous ne fussions plus sous leur dépendance ; car ils auraient plus de liberté, alors qu’ils ne seraient plus obligés de penser à la subsistance de leurs femmes. Voilà quelques-unes des causes de notre escla- (p 114) -vage et de nos souffrances : il en est d’autres que mes sœurs feront connaître ; j’ai dit celles qui m’ont le plus frappée. Je vais vous expliquer ce que je veux dire lorsque je parle de liberté, d’égalité. Que pour la femme, ainsi que pour l’homme, il y ait égale chance de développement ; que dans notre éducation on développe et nos forces matérielles et nos forces intellectuelles ; que nous puissions embrasser la carrière des sciences, si telle est notre vocation ; qu’on ne nous en exclue pas, sous le rapport de notre légèreté, car nous ne sommes légères que parce qu’on ne nous donne pas la faculté de nous développer, et qu’on ne nous inspire que des idées étroites ou frivoles ; que ce ne soit plus des hommes seuls qui nous jugent ; que nous puissions émettre notre opinion en matière politique comme en matière religieuse ; qu’enfin nous ayons place partout, et aussi bien que les hommes nous saurons remplir toutes les fonctions, alors que, comme eux, nous y aurons été préparées par une éducation forte et sérieuse. Enfin, que l’homme ne regarde plus sa femme comme sa propriété, sa chose, que les lois nous accordent, ainsi qu’à eux, la faculté de disposer de notre bien ; que nous puissions embrasser telle profession qui nous conviendra, sans que nous soyons obligées d’avoir l’autorisation d’un mari. Mais ce que je sens devoir réclamer le plus immédiatement, c’est une réforme complète dans l’éducation des femmes ; car ce n’est que lorsqu’elles auront reçu une éducation beaucoup plus étendue que celle qu’on leur donne aujourd’hui, qu’elles pourront partout se placer à côté des hommes comme leurs égales : ensuite l’égalité dans le mariage ; que la femme, aussi bien que l’homme, puisse posséder. Je sens bien que les femmes ont aussi à réclamer leur liberté morale ; car c’est là que pour elles l’exploitation est rude ; c’est là que sont pour elles les causes de grandes douleurs ; mais je ne pense pas que (p 115) cette liberté morale puisse s’établir maintenant. Il faut cependant que nous la réclamions, que nous l’appelions de toutes nos forces ; mais nous devons bien sentir que toutes les libertés doivent marcher en même temps ; et, pour que nous puissions être libres moralement, il faut que nous le soyons matériellement ; car notre liberté morale ne serait-elle pas dérisoire, si nous étions encore obligées de dépendre des hommes pour notre vie matérielle ?

MARIE REINE.

INVOCATION.

Amour !... Bonheur !.. Liberté... divinités tutélaires de la religion nouvelle, daignez couvrir de votre égide protectrice une jeune fille qui met en vous tout son espoir.

80 25/05/23 02:32

Page 81: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Un voile épais semble vouloir pour toujours dérober l’avenir à nos yeux ; il cache encore à quelques-uns les chaînes que, depuis tant de siècles, les hommes ont fait peser sur nous ; mais l’heure va bientôt sonner, la Liberté, fille du Ciel, attend notre voix pour déchirer le voile et briser nos chaînes : eh bien, qui donc nous retient encore ?

La paix et le bonheur accompagnent ses pas ; les beaux-arts, l’industrie, les plaisirs et l’amour composent sa cour brillante : elle attend, vous dis-je ; resterez-vous immobiles ?

Il ne peut en être ainsi, Dieu nous conduit sans cesse dans la voie du progrès, nous marcherons avec lui ; le chemin est aride d’abord, puis il s’élargit et s’embellit toujours ; le but est couronné de fleurs ; marchons, que notre bannière, sur laquelle on lit : Amour, travail et liberté, fasse le tour du monde !

(p 116)Espérance, divine enchanteresse, bientôt ton baume divin aura dessillé

les yeux de la femme. Esclave, sous un maître rusé ou farouche, elle croit devoir lui cacher ses pleurs, mais l’heure approche où, revendiquant ses droits, elle viendra demander compte à son maître de dix-huit siècles d’esclavage.

ISABELLE.

LES DEUX MÈRES.

Comme les heures données à l’observation ne sont pas toujours des heures perdues, et que d’ailleurs Paris est si beau, si paré au commencement de chaque année par tous ces jolis riens, qui rapportent si peu à l’ingénieux industriel qui les invente, qu’il me prend envie d’essayer aujourd’hui du métier d’oisif, de marcher sans but... Arrêtons-nous devant ce grand magasin ; cet endroit me fournira sans doute quelques remarques utiles. Mais toi, pauvre femme blottie dans cet angle, que viens-tu faire avec tes trois pauvres petits enfans auprès de cette porte ? ce n’est pas la curiosité. Oh non, non ; à ton œil terne, à ta figure pâle, aux lambeaux qui t’entourent, je le vois, c’est le besoin, le cruel besoin d’exister qui te retient là. Voyons si sur toutes ces physionomies de riches qui passent devant moi, je ne pourrais pas saisir un mouvement de sensibilité qui m’indique une ame [sic]. Ils ne sont pas là en représentation ; elle est bien d’eux, cette expression froide et dédaigneuse. O riches, riches ! puisque vos ames [sic] sont trop étroites pour comprendre l’association, faites donc de la philanthropie ; c’est la vertu du présent. Toi, pauvre femme, ne te décourage pas ; voici une jeune élégante qui descend de voiture ; elle est riche aussi, il est vrai ; mais (p 117) un cœur de femme devine tant de choses, que, sans avoir souffert, elle pourra comprendre ta peine. Que sa toilette est brillante ! quel luxe de chevaux, de voiture ! Oh ! quelle servilité dans les soins que lui rendent ses domestiques ! Je crois remarquer que ce n’est pas l’affection qui donne, ni le cœur qui récompense ; mais bien la richesse qui solde la cupidité. Et cet honnête marchand, à combien de révérences ne se croit-il pas obligé ? une femme en équipage descendre dans ses

81 25/05/23 02:32

Page 82: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

magasins ! Certes, en voyant son air affairé, on peut assurer qu’il est loin de vouloir, comme notre poète national, laisse la Fortune à la porte. La Fortune ! seule divinité du jour : il semble, à voir les soins dont on entoure ses favoris, que tout le mérite et le bonheur de la vie se résument en eux, et que, pour obtenir les faveurs de la capricieuse déesse, il faille tout sacrifier, tout, jusqu'à la dignité humaine. Mais pourquoi attendre, pauvre femme ? ne vois-tu pas, au ton à la fois servile et impertinent des valets, que le cœur égoïste et sec de leur maîtresse est prêt à repousser ta plainte ? Quels regards expressifs tu jettes sur cette brillante voiture et sur les guenilles qui te couvrent à peine, et ensuite, les reportant vers le ciel, tu sembles interroger sa justice sur le mystère de cette inégalité ! Cependant espère encore : comme toi cette femme est mère ; elle doit compatir à ta misère. Oh ! oh ! bon marchand, ton air radieux annonce que tes excessives politesses ne sont pas perdues. Que de futilités sont portées de chez toi dans la riche voiture ! Pauvre femme, hâte-toi de présenter ta requête de mère ; la jeune élégante est prête elle-même à monter auprès de ses enfans :bien, glisse-toi au milieu des empressés.….. hélas ! un mouvement d’humeur répond seul à ta touchante prière, et apprend aux domestiques, au marchand lui-même, qu’ils doivent se hâter d’éloigner l’importune solliciteuse.... Et moi, le cœur serré en regar- (p 118) -dant cette voiture rouler et s’enfuir, j’ai besoin, pour respirer plus librement, de penser à l’éternelle justice, à chacun selon ses œuvres. Oui, femme riche, ta vie se perpétuera comme celle de la femme pauvre ! toi, mère, tu as dédaigné de faire cesser des douleurs de mère ! Dieu te réserve, pour te faire accomplir ton progrès et attendrir ton ame [sic], de te faire souffrir, dans tes enfans, les angoisses de la faim, du froid, de toutes les misères que tu n’as pas empêchées. Je vous le rappelle, femmes riches, à chacun selon ses œuvres !

SUZANNE.

VARIÉTÉS._____

REINE, CARDINAL ET PAGE ;

Vaudeville en un Acte, de M. ANCELOT.

Oui, je le répète, la presse sera pour nous encore long-temps silencieuse et glacée ; c’est au théâtre que nous trouverons nos plus puissans auxiliaires ; c’est du théâtre, seul temple où il y ait communion pour le peuple, que l’on répondra dignement à la parole d’émancipation qui a été jetée par le monde en notre faveur. Depuis que les idées [FP. : le « i » est nettement au-dessous de la ligne] de liberté, d’égalité, agitent tous les cœurs, certes, les [FP. : le « l » est légèrement au-dessous de la ligne] auteurs ont senti et reconnu l’immense influence que nous exerçions [sic]. Assez long-temps ils l’ont utilisée dans leur seul intérêt, en nous faisant débiter force tirades sur la liberté et les droits du peuple ; mais des nôtres... point.... Cependant les femmes sont peuples

82 25/05/23 02:32

Page 83: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

aussi ! Quand donc nous fera-t-on parler pour nous-mêmes ? Quand cessera-t-on de nous identifier ainsi avec des sentimens qui ne sont point les nôtres ? Vienne un homme de génie (p 119) qui prête l’oreille aux réclamations de la Femme nouvelle, ou recueille çà et là les tendres plaintes qui, dans toutes les positions, échappent à notre cœur. Celui-là, en vulgarisant nos pensées sur la scène, tracera non-seulement une nouvelle voie au génie, mais pourra se présenter au monde comme un des premiers éducateurs des peuples. Déjà quelques tentatives en ce genre ont réussi. Dans le joli drame de Sophie ou le Mauvais ménage, nous voyons, il est vrai, une femme réclamant des droits politiques. C’est un grand pas ; mais, hélas ! c’est par la lutte qu’elle procède ; oui, sans doute, c’est un tableau fidèle de ce qui existe ; mais nous y sommes représentées telles que les hommes nous ont faites, et non point telles que nous sommes, et moins encore, telles que nous serons.

Le caractère de la reine, dans la pièce de M. Ancelot, est supérieurement tracé ; il exprime mieux aussi ce que j’attends de la femme. Elle est reine, et pourtant elle se plaint : oh ! c’est que le cœur de la femme n’est pas rempli par l’ambition ; elle se plaint, mais c’est comme femme qui sent la pesanteur des chaînes qui l’accablent, c’est sa liberté morale qu’elle réclame, c’est un amour d’égalité que son cœur désire.

Comme l’ame [sic] élevée de cette femme est oppressée lorsque, pour se soustraire à l’astucieuse tyrannie de Richelieu, elle est obligée de descendre à la ruse ! Elle est vraie cette expression qui lui échappe : « Hélas ! comme chaque victoire que nous remportons coûte à notre dignité et à notre franchise ! »

Enfin voilà donc un auteur qui nous comprend : du reste, il s’est montré dans ce joli vaudeville, comme dans ses autres ouvrages, excellent peintre ; il touche aux sentimens intimes du cœur avec une vérité, une délicatesse toutes féminines. L’intrigue repose sur un fait vrai ; le poëme [sic] est écrit avec élégance ; les caractères de (p 120) Louis XIII, de Richelieu, de lord Buckingham, sont exactement historiques, et très-bien en scène par l’effet des contrastes : Louis, avec sa nullité, indigne de l’amour de la belle Anne d’Autriche ; le rusé, l’astucieux Richelieu, faisant naître et profitant des circonstances pour tout enlacer, et le beau et brillant Buckingham, l’amant aimé de la reine : en vérité, il n’est personne qui ne le lni [sic] pardonne. A voir l’accueil fait à la pièce, n’est-ce pas la plus forte protestation contre le mariage chrétien, tel qu’il se pratique dans tous les rangs ?

Quoique je sente l’inutilité de faire une analyse complète, après plus de vingt représentations, cependant je ne dois pas oublier le rôle charmant du jeune page, avec son amour du premier âge, sans espoir ; mais pourtant si dévoué, et qui, semblable aux bons génies d’autrefois, veille sur celle qu’il aime avec tant de sollicitude, que cet amour prépare un heureux dénouement.

SUZANNE.

*

S’adresser au Bureau de l’Apostolat tous les jours, excepté les dimanches et fêtes, chez madame VOILQUIN, rue Cadet, n. 26 et 28.

83 25/05/23 02:32

Page 84: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

( Affranchir les lettres et envois).

SUZANNE. Directrices.

MARIE REINE,[FP. : une accolade figure ici]

———————————————————————————PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, no 54.

84 25/05/23 02:32

Page 85: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

LA FEMME NOUVELLE.(p. 121)

APOSTOLAT

DES FEMMES.

—————

VÉRITÉ. UNION.

Notre bannière étant à la peine, il est juste

qu’elle soit à l’honneur. ( Jeanne d’Arc.)

Égalité entre tous de droits et de devoirs.

_____

LA JUSTICE DES HOMMES.

L’intérêt d’une cause toute populaire m’avait attiré il y a quelques temps, dans une des chambres de la police correctionnelle, ou [sic] cette cause devait être jugée. Peut-être un (p 122) jour vous en parlerais-je, elle ne manque pas d’intérêt, mais pour aujourd’hui, je veux motiver à vos yeux, mes chères lectrices, le désir de démolition qui s’est emparé de moi depuis quelques jours ; en vous donnant les détails d’une autre cause qui

85 25/05/23 02:32

Page 86: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

se plaidait également ce jour-là ; vous sentirez comme moi, je l’espère, combien nous sommes peu protégées par les hommes, même ceux de la légalité.

Devant la cour paraissait d’abord une jeune femme touchante de pâleur, de douleur morale, touchante de misère, car elle n’était pas méritée. En face de toutes ces figures d’hommes froidement sévères, cette pauvre petite racontait simplement, mais avec vérité, comment son mari, après lui avoir promis protection et appui devant toute la société (représentée dans la personne de monsieur le maire), avait tout vendu ce qu’ils possédaient, et lui avait laissé pour toute ressource matérielle, [FP. : problème de virgule] les dettes faites en commun, et qu’ensuite il avait été dissiper tout cet argent avec une fille perdue, dégradée. Pauvre petite femme légitime !... Toi qui religieusement a courbé ton front sous le joug de leurs lois, quelle consolation ces hommes apportent-ils à ton cœur brisé, lorsqu’un des leurs à [sic] détruit ton existence par l’abandon, le mépris, la misère ? Tout répond autour de toi, isolement !... ou mépris ! Si ton cœur n’est pas docile à cette sentence... Je me demande quel fond inépuisable d’indulgence est donc en nous, femmes, puisque malgré les trop justes griefs que celle-ci avait pour porter plainte contre son mari, elle paraissait peinée d’être obligé [sic] d’entrer dans tous ces détails ; ce n’était pas contre lui qu’elle plaidait, mais contre la malheureuse fille, qui, non contente d’avoir apporté le désordre dans son union, l’avait un jour brutalement frappée, ne voulant pas endurer de cette pauvre délaissée, [FP. : problème de virgule] quelques reproches trop justes, trop mérités. Il y avait preuves, cer- (p 123) -tificat de médecin ; une autre cour l’avait condamnée à six mois de réclusion, à l’amende ; mais le vice à ce degré est audacieux, cette fille en avait rappelé, la cour lui nomma un défenseur d’office. Oh ! comment vous dirais-je l’indignation qui me saisit, lorsque j’entendis cet avocat produire de l’effet sur la cour et l’auditoire avec de si misérables raisons. — « Vous le « voyez, messieurs, la jalousie de la plaignante l’a excitée à dire des injures, ma « cliante [sic] a riposté un peu vivement. Messieurs, vous renverrez l’affaire hors de « cause, car, vous le voyez, ce ne sont-là que des querelles de femmes. » — (L’accusée ne fut pas graciée entièrement, mais sa peine fut diminuée de moitié.) Si une femme eût siégé à côté du juge, cette question si importante des rapports des sexes, n’eut pas été résolue aussi légèrement des querelles des femmes ! Un avocat s’exprimer ainsi, quelle indécence ! où donc est la morale ? où donc est la protection que l’on doit à la faiblesse et au malheur ; si elles ne se trouvent pas dans le sanctuaire de la justice, société sans lien où il n’y a que froissemens pour nous, soit que nous suivions où que nous nous écartions de tes lois ; comment, dans mon humeur noire et morose, ne pas être tentée de renverser, si faire se peut, le principe d’inégalité qui te régit, et qui blesse l’éternelle justice, puisqu’il opprime, écrase en nous la moitié de l’humanité ; pour vous prouver, mes chères lectrices, que cette sortie n’est point exagérée par les effets, remontons à la cause, c’est-à-dire examinons ensemble le chef-d’œuvre de la civilisation, le Code des lois que les hommes nous imposent.

86 25/05/23 02:32

Page 87: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Qui dit Code des lois, dit réglemens sociaux faits dans l’intérêt de tous, et approuvés, consentis par tous, mais en vérité que sommes-nous donc ? L’humanité n’est pas composée d’hommes seulement. Législateurs de tous les temps, à quelle époque, dites-moi, si nous sommes la (p 124) moitié du tout ; avez-vous admis parmi vous des femmes pour soutenir les droits de leur sexe ? Et si nous n’avons jamais eu de réprésentantes [sic] pour discuter et repousser les lois oppressives que vous formuliez contre nous, dites alors de quel droit vous voulez à tout jamais que nous y restions soumises ? Hommes ! ne vous étonnez donc plus du désordre qui règne dans votre société : c’est une protestation énergiqne [sic] contre ce que vous avez fait seuls.

Moi, faible femme, je me sens aujourd’hui le besoin et la force de protester hautement contre ce qu’il y a d’arbitraire et de vicieux dans votre système social, résumé dans quelques articles de lois que j’attaque comme conséquence forcée d’un mauvais principe. Par exemple, comment entendre de sang-froid, au XIXe siècle, un délégué de votre autorité nous dire grâvement [sic] : « La femme doit obéissance à son mari. » (Art. 213). J’ai déjà demandé dans un autre article le pourquoi, mon gand [sic] est resté à terre, aucun ne l’a relevé. La Revue des Deux mondes, seule à [sic] plaisanté, mais plaisanter n’est pas prouver.(Art.214.) « La femme est obligée (c’est le texte) d’habiter avec le mari, et de le suivre partout où il juge à propos de résider. » L’esprit de ses [sic ? ] lois ne constate-t-il pas notre esclavage, aussi nous ne pouvons être nous-même ; non, l’homme ne nous connaît pas, et, de là aussi, pour rétablir tant soit peu l’équilibre, que de ruses, de mensonges dans toutes les relations ; hélas, quelle société !... Vous avez beau dire qu’il est très-rare que vous invoquiez l’autorité de cet article contre nous ; mais alors pourquoi le laisser à la disposition d’un seul d’entre vous ; en vérité, messieurs, vous n’êtes pas aussi inconséquens pour gérer vos propres affaires ; rappelez vous votre conduite en 1830, il n’est aucun de vous qui n’ait pensé que Louis-Philippe, en montant sur le trône des Français, ne fût trop habile, trop homme de bien, pour abuser comme son prédécesseur de (p 125) l’article 14, et, cependant, le premier acte législatif, fut de rayer ce même article de votre Charte.

Messieurs, à bon entendeur, salut.L’esprit de votre loi est encore plus malveillant pour la mère que pour

l’épouse ; il y a contre l’épouse de l’arbitraire, du despotisme auquel elle échappe par cette lutte sourde de tous les instans ; mais c’est le cœur de la mère que vous blessez, que vous brisez par la défiance et l’injustice qui se fait sentir dans les articles suivans. (Art. 373). « Le père seul exerce l’autorité sur ses enfans durant le mariage. (Art. 374). L’enfant ne peut quitter la maison paternelle sans la volonté de son père ; » mais dans la famille qu’est donc la mère ? tout ; son influence est immense, et ses droits ? nuls. O justice des hommes !... (Art. 389). « Le père est, durant le mariage, administrateur des biens personnels de ses enfans mineurs. » Plus d’une fois en lisant cet article je me suis demandé, mais le père seul a donc la science infuse ? l’infaillibilité s’est donc réfugiée dans la petite forteresse conjugale ? Probablement dans la pensée des législateurs, car si la femme, dans son amour de mère, trouve la force de contrôler les

87 25/05/23 02:32

Page 88: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

actes de son mari, la loi homme est là prête à lui dire, arrière usurpatrice, c’est un droit que vous vous arrogez et que vous ne possédez pas. (Art. 390). « Après la mort de l’un des époux, la tutelle des enfans mineurs appartient au survivant ; » cet article paraissait établir trop d’égalité entre les époux, le suivant sert aussitôt de correctif. (Art. 391). « Pourra néanmoins le père, nommer à la mère survivante et tutrice, un conseil spécial, sans l’avis duquel elle ne pourra faire aucun acte relatif à la tutelle. » Il est généralement reconnu que l’amour maternel est le plus fort, le plus profond de tous les sentimens, alors, pourquoi cette défiance ? c’est faire de l’exception la règle, que de laisser à l’arbitraire d’un moribond, le soin d’appliquer cet article ; d’une autre part, s’il a été (p 126) conçu dans l’intérêt de l’enfant, qui, plus que la mère est en position de veiller à leur bonheur ? qui, plus qu’elle, a la certitude qu’ils sont bien d’elle, bien à elle ? Si c’est pour obvier à l’inconduite présumée de l’un des époux, pourquoi la mère n’a-t-elle pas le même droit de prévoyance ? pourquoi ne pas lui permettre la tranquillité dans la mort, en lui laissant consolider l’avenir de ses enfans ; tout ce que l’on peut préjuger sur la conduite postérieure des femmes dans le veuvage, ne peut-on pas, dans le même cas, l’appliquer aux hommes ? eux qui n’ont pas comme nous le sentiment de la petite famille ; et, d’ailleurs, si un nouvel amour apporte à la femme de nouveaux enfans, ne puisent-ils pas tous à la même source la vie qui leur est commune ; ne les unit-elle pas tous dans sa pensée, dans son cœur de mère, et si, forcée par cette loi d’héritage (qui est impie puisqu’elle est contre nature), de répartir d’une manière inégale les biens entre tous, au moins n’en déshérite-t-elle aucun de ses soins ou de son amour ; il n’en est pas de même pour l’homme, presque toujours les enfans d’un premier lit sont chassés de la maison du père par l’égoïsme maternel de la seconde épouse, et cependant le père seul, en mourant a le droit de nommer un conseil de tutelle. O justice des hommes !...

Jeunes mères, chassez loin de vous d’aussi sombres réflexions ; que d’années de bonheur l’amour de vos enfans vous prépare, si le mariage n’est pour vous qu’une longue déception ; réfugiez-vous dans l’avenir de vos enfans, que votre imagination embellisse leur existence de tout le bonheur dont vous êtes privée, car ils sont bien à vous, jeunes mères, ces enfans ; réjouissez-vous dans votre fille, voyez comme ses grâces se déploient dans son adolescence, comme son front rougit et devient pensif lorsqu’elle sent pour la première fois palpiter son cœur ; ô ! alors, tendres mères, devenez sa confidente, vous sentez si bien ce qu’il (p 127) faut au cœur de la femme, préparez dès long-temps son premier amour, car souvent c’est-là toute la destinée d’une femme ; vous le savez, vous, les arrêts que lancent votre société seront encore long-temps des arrêts irrévocables contre nous ; ainsi, bonne mère, point d’erreur, que le cœur seul de votre enfant soit consulté. (Art. 148). « Pour former mariage le consentement du père suffit. (Art. 150). Si les père et mère sont morts et qu’il y ait dissentiment entre l’aïeul et l’aïeule, il suffit du consentement de l’aïeul. »

O justice des hommes ! en vérité, le temps est proche ou [sic] vous serez déclaré [sic ? ] impie ; bientôt la mère ne sera plus martyrisée

88 25/05/23 02:32

Page 89: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

dans son esprit et dans sa chair. Dieu à [sic] confié à la mère seule la certitude de la famille. Dans le sein de la jeune fille repose le lien vivant qui sans cesse rattache les générations qui se succèdent à celles qui finissent ; mystère qui sans fin s’accomplit dans le sein de Dieu sous le grand nom de l’humanité !...

SUZANNE.

AUX HOMMES.

Vous vous épouvantez de nos idées de liberté, hommes, qui, toute votre vie, vous appliquez à nous faire rompre les liens qui nous enlacent, quand votre intérêt personnel comme frère, époux ou père, n’y est pas lésé. Quand il ne peut en résulter pour vous que du plaisir et une gloire que j’appellerai au moins immorale, vous voulez bien que nous soyons libres, libres de l’obéissance de nos parens, des devoirs de la religion et de l’opinion du monde, mais esclaves de vos goûts ; et encore cette liberté, que (p 128) vous cherchez si bien à nous faire aimer, vous nous l’imputez à crime. Et maintenant, que nous voulons briser l’esclavage du monde et le vôtre surtout, le vôtre, d’autant plus terrible qu’étant incorporé d’une manière très-intime à notre bonheur, il nous faut plus que du courage pour nous y soustraire. Vous criez à l’immoralité ; on a été perdue, dites-vous, on n’a plus de mœurs, de sentiment. Est-ce parce qu’on s’oppose à votre exploitation qu’on est perdue ? Moi je crois, tout au contraire, qu’on est sauvée, alors qu’on a le courage nécessaire pour se raidir contre vos condamnations. Si on est modeste, réservée ; si on s’adonne spécialement aux occupations du ménage ; si l’on préfère une vie tranquille au tourbillon des plaisirs du monde, ce n’est pas qu’en maître qui doit être obéi ; vous nous aurez fait un devoir de vivre de cette manière ; mais c’est qu’apparamment notre humeur s’accorde avec ce genre de vie. Si nous faisons hautement l’aveu d’un amour constant et durable, ce ne sera pas dans la crainte de nous voir repoussées et salies par vous, qui ne manqueriez pas de nous faire un crime d’oser être autre chose que ce que vous voulez que nous soyons. C’est que notre nature nous portera à aimer de cette manière. Et vous n’aimeriez pas mieux ces sentimens nobles et généreux, qui doivent exister d’égal à égal, que les sentimens mercenaires qu’un esclave a pour son maître ? Vous seriez donc bien insensés ou bien aveugles. Quoiqu’il en soit, la parole de Marie, « que votre volonté soit faite, » ne sortira plus de notre bouche pour sourire à votre despotique pouvoir. Nouvelle Marie, la femme que nous attendons est conviée à accomplir l’œuvre de Dieu ; mais de concert avec l’homme, et non en esclave soumise. Elle aussi sauvera le monde et écrasera la tête du serpent ; mais le rédempteur qui doit le sauver avec elle ne lui dira pas d’un air d’autorité : Femme, qu’y a-t-il de commun entre (p 129) vous et moi ? Il l’appelle à ses côtés pour y partager l’autorité, pour apporter sur l’œuvre qu’il a commencée si noblement et qu’il accomplit avec tant de courage, sa face de lumière, de grâce, de modestie et de sagesse, quoiqu’en disent nos critiques. Et si elle révoque les usages du passé

89 25/05/23 02:32

Page 90: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

pour ce qui est de goût, de parure, comme pour ce qui est de sentiment, la pudeur, la modestie et la grâce seront ses guides ; elle n’ira pas nous apporter inconsidérément et sans ordre des usages nouveaux qui repousseraient par leur nouveauté tant soit peu effrontée, comme vous vous plaisez à le croire, messieurs les puristes en morale et en parures. Jusque-là donc, abstenez-vous. Si vous jugez maintenant, vous serez confondus ; car l’avenir s’avance, et vient sur des nuages d’azur, de pourpre et d’or, remplacer votre passé brumeux et gros d’orages.

JOSEPHINE FÉLICITÉ.

«  Mère, épouse et fille, le lien sacré de l’égalité t’unit au père, à l’épouse et au fils. »

(Paroles du Père.)

O vous, acteurs zélés de la scène du monde, qui voudriez renfermer l’univers dans le cercle étroit du théâtre de vos préjugés ; vous, qui jetez à pleines mains le ridicule et le blâme sur les enfans de Saint-Simon, ressemblerez-vous constamment aux idoles des nations ? aurez-vous long-temps encore des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne point entendre ? Juges aveugles et incompétens, qui voyez tout à travers le prisme étroit de vos idées ; dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez-vous du nou- (p 130) -veau ; alors vous serez à notre hauteur ; alors seulement vous pourrez nous juger. Mais, en attendant que vous puissiez nous comprendre, nous dont la religion est toute de paix et d’amour, nous, dont la conscience forte et irréprochable n’a nullement besoin de votre approbation, nous enfin, femmes Saint-Simoniennes, qui ne repoussons personne, mais appelons au contraire, de nos vœux les plus ardens, le bonheur et la vérité sur les malheureux humains. Nous venons vers vous, et nous vous disons, comme autrefois Jésus : « Que celui d’entre vous qui est sans péché nous jette la première pierre. » Avez-vous bien pesé la valeur du mot, quand vous nous taxez d’immorales, parce que, ne voulant plus nous prostituer ni nous vendre, nous venons réhabiliter l’amour, ce nom si profané parmi vous, et qui est pour ainsi dire l’anagramme de la religion future ! mais vous, avec votre vertu austère, du moins en apparence, s’en trouverait-il un grand nombre, même dans nos plus chauds accusateurs, qui voulussent vivre de la vie des apôtres de la foi nouvelle ; de cette vie de ce célibat (expliquons-nous mieux), de continence religieuse, nécessaire maintenant pour l’accord de nos principes ? Répondez.…. Pour nous, femmes nouvelles, sentant toute la dignité de notre apostolat, et marchant l’égale de l’homme, nous prouvons au monde que nous avons autant de force, sinon physique, du moins morale ; et, sans jeter comme vous l’anathème sur nos sœurs dont la nature ardente leur fait un besoin du plaisir, nous saurons vaincre nos passions et taire nos désirs jusqu’au moment, peut-être encore éloigné, où l’amour n’étant plus un crime pour les femmes, nous en jouirons

90 25/05/23 02:32

Page 91: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

hautement, sans rougir, en partageant avec l’homme un égal pouvoir d’action et de parole.

N’allez pas croire, d’après ces mots, que ceux ou celles dont les feux brûlans et l’imagination délirante ne peuvent (p 131) se conformer à notre vie apostolique, soient pour cela moins en honneur parmi nous : loin de notre doctrine une aussi fausse idée ! notre système, d’après un ancien adage reconnu même parmi vous, est que Dieu n’a rien fait que de bien, ou, suivant l’expression saint-simonienne, que toute nature est bonne par elle-même, et dépend seulement de la manière dont on l’envisage ou la dirige. Dites-moi, vous qui plaidez contre nous, pourquoi sommes-nous sur la terre ? est-ce pour y être malheureux ? alors pourquoi chercher le bonheur ? je dirai plus, pourquoi vivre ? Autre question : Et la société est-elle établie pour augmenter la somme de nos maux, ou plutôt doit-elle seule nous en causer ? Dieu, dans sa colère, l’a-t-il créée pour être le tyran perpétuel des individus qui la composent ? Elle veut unir la glace avec le feu, l’indifférence avec l’amour ; elle veut rendre constant et fidèle celui qui est changeant et volage ; froid et réservé celui qui est brûlant et impétueux ; soldat et guerrier l’homme timide et pacifique : en un mot, cette société sublime veut, pour notre commun bien-être, bouleverser ce qu’a fait la nature. Quelle admirable idée !.….. Mais, dans son humeur bénigne, les femmes surtout ont ressenti sa douce influence ; et, suivant toujours son système de controverse, elle leur a enjoint de se regarder comme d’aimables automates, organisés pour le bonheur de l’homme, lorsqu’il lui plaît de les acheter ou de les prendre. La nature, en mère aveugle, nous a pourvues d’une ame [sic] tendre, sensible, exaltée ; et, pour compléter notre tourment, elle y a joint un cœur : malheur à nous si nous y songeons ! il faut l’oublier, ou nous serions flétries, réprouvées, méprisées par la société, à moins qu’une heureuse fortune, on [sic] mieux encore les trésors de Plutus, chose honorée par-dessus tout, nous mettent à même à notre tour d’acheter le bonheur. Remerciant donc cette société de (p 132) sa bonté toute maternelle, et croyant d’après nous qu’elle se trompe, nous suivons le système de la simple nature, et pensons qu’il est beaucoup plus moral de s’unir par l’amour que par l’intérêt, d’aimer franchement et sans détour, que de se cacher et de feindre ; d’être utile à ses semblables dans un état que l’on goûte et que l’on conçoit, que d’embrasser celui pour lequel on n’a nul attrait, parce que la position l’exige ; enfin, disciples d’un Dieu de paix, nous prêchons l’égalité de l’homme et de la femme, l’affranchissement des peuples, l’union et le bonheur pour tous. Voilà l’abrégé de notre doctrine. Enfans de Saint-Simon, l’univers vous comprendra bientôt, et l’âge d’or reviendra sur la terre. Gloire à Dieu.

ISABELLE.

VARIÉTÉS.

91 25/05/23 02:32

Page 92: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

_____

VERS A [SIC] MON FRÈRE,PAR MADEMOISELLE E...

Quel est ton bonheur toi, mon frère,Sans trembler tu vas sur la terre, Tu peux tout connaître, tout voir ; Moi, la solitude m’éclaire,Je reste assise avec ma mère, A [sic] penser, à coudre le soir.

Avec ta force et ta jeunesse Tu peux répondre à qui te blesse, Protéger ta mère et ta sœur. Je dois et souffrir et me plaindre, Je suis faible on ne peut me craindre, Toute seule à la nuit, j’ai peur.

Quittant le berceau de l’enfance, Tu peux rêver l’indépendance, Choisir, être ce que tu veux ; Tu peux élancer ta jeune ame [sic]Comme une volontaire flamme ; Je ne dois former que des vœux.

Toi, jeune papillon frivole, Heureux oiseau qui chante et vole, Tu peux gaîment [sic] fendre les airs ; Moi, j’obéis à la raquette, Je suis le volant que l’on jette, Je quitte et je reprends mes fers.

En cheminant ta longue vie Tu peux à ton choix, ton envie, Prendre le suc à toutes fleurs ; Et moi je suis la tourterelle, Je mourrai pour être fidèle, Un seul fera couler mes pleurs.

Dans une ame [sic] encore vierge et pure, Dans le cœur qui tout bas murmure, Tu peux réveiller des échos. Moi, j’aurai des semblans de flamme, J’aurai l’illusion d’une ame [sic], De l’amour, j’aurais les... lambeaux.

Mais le torrent se précipite, Le jeune homme aussi va trop vîte [sic],

92 25/05/23 02:32

Page 93: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Et tombe lassé du chemin. Ah ! cette liberté coureuse, Mon ami quelle est dangereuse, Je te l’envie et je te plains.

(p 134)LA FEMME SELON MON CŒUR,

PAR EUGÈNE L’HÉRITIER.

La Femme Nouvelle en permettra la lecture à ses sœurs.

Certainement dans tous les romans il y a de l’amour, c’est même l’élément indispensable, partant, dans tous il y a des pères ou des oncles cruels et barbares qui refusent d’unir de tendres amans, ce qui détermine, selon l’humeur des auteurs qui tiennent la vie de leurs personnages sous leur plume, de petites ou de grandes catastrophes. Mais voici qu’avec ce canevas tant soit peu usé, oui, avec la rencontre et l’amour de deux jeunes gens et l’avarice d’un père qui ne paraît un instant à la fin que parce qu’à tout, et surtout à un roman il faut un dénouement, voici, dis-je, qu’en l’an de grâce 1833, un nouvel auteur s’ingère et trouve le moyen de faire un livre véritablement nouveau ; non de cette nouveauté humide de la presse, fi donc, l’esprit à double face ne sera jamais le mien ; d’ailleurs, mes chères lectrices, puisqu’ensemble nous voulons et nous instruire et nous améliorer, je veux toujours dans nos causeries être vraie avec vous, et bien, croyez-moi, ce roman est nouveau de sentiment, nouveau de caractère, voulez-vous en savoir le pourquoi, approchez, je vais vous le dire, car j’ai dérobé le secret de l’auteur, chut ! surtout il a l’air par fois [sic] de n’en pas vouloir convenir, écoutez : pressé par sa conscience d’honnête homme, il a fait cet ouvrage sous l’inspiration d’une grande et noble pensée :

L’affranchissement intellectuel et moral de la femme.Oui, préssé [sic] par sa conscience, je le répète, jugez plutot [sic],

mesdames, n’est-ce pas une ame [sic] en peine (ame [sic] bonne et généreuse) qui plie sous un trop lourd fardeau, et veut (p 135) s’en décharger par une confession publique qui lui a fait faire tous ses aveux. « Oh ! en vérité, nous autres hommes, nous avons bien de « l’orgueil !… Je demanderai seulement si au moral, considéré sous son aspect le plus « large, pris généralement, si, dis-je, la femme le cède à l’homme par quelques « points ; si elle a reçu de la nature moins de facultés intellectuelles, si ces facultés « sont moins intenses, moins complètes, si une femme est moins rapide et pénétrante « dans la pensée, moins forte, moins soutenue et courageuse dans l’exécution. Pour « moi, plus j’y regarde de près, plus je m’assure que les femmes sont nées tout aussi « bien que nous... Au fur et à mesure que la civilisation a marché, la femme a dû « marcher avec elle, et rompre chaque jour un anneau de la chaîne qui la tenait « garottée [sic] ; l’heure aujourd’hui n’est -elle point venue que la femme soit notre « égale tout-à-fait ? pesez cela. » Toutes déclarations très-importantes, mesdames, et dont il nous faut prendre

93 25/05/23 02:32

Page 94: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

acte, car elles ne sont pas d’un réprouvé du monde ; non, elles ne sont pas d’un Saint-Simonien : entre nous je regrette un peu qu’il rejette ce titre à l’admiration future des hommes, j’aurais eu du bonheur à le traiter de frère : un défenseur de cette force dans notre cause n’est certe [sic] pas à dédaigner, il connaît l’amour comme si un cœur de femme lui en avait dévoilé tout le mystère, il connaît les femmes, il a confiance en elles ; faut entendre comme il fait parler sa gentille Marie, elle parle de tout, et point en pédante, je vous assure, et vraiment c’est un type (d’amour exclusif par exemple) que je ne désavouerai pas ; je l’accueillerai volontiers aussi comme une sœur chérie. Si elle venait nous voir comme elle se l’est promis, méchante, lui-dirais-je, avec un esprit si juste, pourquoi te laisser prévenir contre nous sans bien nous connaître, nous juger, c’est mal, quelle si grande différente existe-t-il donc entre nous ? comme en (p 136) toi. Dans notre cœur est tout un monde nouveau, monde grand, beau, poétique, que nous préparons ; religion de frère, lien d’amour qui doit tout enlacer, et pour les relations individuelles, ô je dis aussi, aimer, être aimée, c’est la vie dans toute sa plénitude ; féconde, abondante, une vie nouvelle, la vie véritable ; ainsi, que toi je repousse tout amour qui ne prend sa source que dans l’imagination, je veux que toujours les sens ne soient éveillés que par le cœur, autrement je dirais aussi, fi, fi de l’amour ! et sur l’éducation à donner aux enfans, nous qui désirons voir tomber les barrières qui séparent les nations, crois-tu, bonne Marie, que nos idées soient moins larges, moins sociales que les tiennes, et parce que nous envisageons toutes les créatures de Dieu sous le nom générique de l’humanité, crois-tu que nous ne hiérarchissions pas nos sentimens pour les peuples, et que notre tant si belle France n’occupe pas la première place dans nos cœurs ? nous, mystiques, dis-tu, tu ne le crois Marie, nous qui faisons rentrer dans le sein de Dieu l’élément matériel, que les tout mystiques chrétiens avaient laissé en dehors du Dieu infini, nous qui venons réaliser sur terre pour tous leur paradis qu’ils n’ont entrevu que spirituellement et pour quelques-uns, ô nous sommes religieux et point mystiques. Avec quel bonheur je répète avec toi cette invocation que je retrouve cent fois le jour de mon cœur, oui je me fie à l’avenir, oui je crois que les peuples un jour, bientôt peut-être, seront heureux ; ô mon cœur s’exalte, et mon sein se soulève, et je suis heureuse ! ô ma France, mon beau pays ! ô toute l’humanité, je vous aime ! je vous veux voir heureuse ! elles le seront, ô mon Dieu ! n’est-il pas vrai ?

SUZANNE.

S’adresser au Bureau de l’Apostolat tous les jours, excepté les dimanches et fêtes, chez madame VOILQUIN, rue Cadet, n. 26 et 28.

( Affranchir les lettres et envois).

SUZANNE. Directrices.

94 25/05/23 02:32

Page 95: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

MARIE REINE,[FP. : une accolade figure ici]

———————————————————————————PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, no 54.

95 25/05/23 02:32

Page 96: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

/ns. 7881/223 [FP. : notation manuscrite]

n o 12 [FP. : notation manuscrite écrite en rouge]

LA FEMME NOUVELLE.(p. 137)

APOSTOLAT

DES FEMMES.

—————

VÉRITÉ. UNION.

Notre bannière étant à la peine, il est juste

qu’elle soit à l’honneur. ( Jeanne d’Arc.)

Égalité entre tous de droits et de devoirs.

————

ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DU PÈRE.

96 25/05/23 02:32

Page 97: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

C’est encore sous l’impression des sentimens de joie et de religiosité qui animait hier la famille Saint-Simonienne de Paris, que je vais essayer, chères sœurs, de (p 138) vous rendre compte du motif qui, pour nous, a fait de ce jour une véritable fête de famille. Le vendredi, 8 février, était le jour anniversaire de le naissance du LIBÉRATEUR DES FEMMES, du véritable APÔTRE de l’égalité sociale, puisqu’il la proclame et la veut pour tous.

Pour nous, le travail étant un acte saint, une action agréable à Dieu, et ne voulant point indisposer les maîtres pour une perte de temps en dehors des habitudes reçues, il fut convenu que cette cérémonie n’aurait lieu que le dimanche suivant.

Le 10 février un nombreux groupe de Saints-Simoniens, les chanteurs en tête, partit du quai de l’Archevêché pour se rendre à Sainte-Pélagie, traversant une population nombreuse, toujours avide de sensations nouvelles ; ils furent suivis d’un plus grand nombre de prolétaires ; et firent deux fois le tour de la prison en chantant des couplets faits en l’honneur du Père, etdont [sic] les refrains, nous a-t-on dit, furent répétés par les prisonniers. Sans doute ton cœur paternel a joui de cet hommage, mais aucun signe extérieur n’a pu faire connaître à tes fils que cette démarche te fût connue.

Noble prisonnier ! que tu as dû souffrir de ne pouvoir répondre à cet élan sympathique de tes enfans par un sourire ou une parole d’amour !... mais tu sais attendre... Tu nous a répété souvent que « pour travailler à l’œuvre de DIEU, la patience est la vertu la plus indispensable de l’apôtre. »

Patience donc ; à chaque jour son progrès. Qu’il se forme un ensemble de vœux, une unité de sentimens, forte et puissante ; qu’il se forme une armée de travailleurs pacifiques, un groupe nombreux de femmes sentant leur volonté, leur dignité, capables toutes ensemble de travailler au nouveau temple. Oh ! alors ton retour parmi nous sera véritablement un jour de fête pour ton cœur comme pour (p 139) les nôtres. Pour arriver à cet avenir, ne faut-il pas traverser le présent ? revenons-y, car il est beau aussi d’espoir ce présent ; il est plein d’élémens de succès, il ne s’agit que de les coordonner.

Oui, le peuple commence à nous comprendre. Au retour de Sainte-Pélagie, une foule toujours croissante de ces jeunes garçons pleins d’énergie, dont la joie ou les cris bruyants commençent [sic] toutes les fêtes ou toutes les émeutes, ne cessaient de se presser en flots tumultueux sur notre passage, fesant [sic] à d’assez longs intervalles, marqués pour le repos nécessaire à nos chanteurs, retentir leurs cris d’impatience, Lorsqu’en [sic] passant un ouvrier leur dit... gamins, plutôt que de crier encore !.. encore !.. mettez vous en ligne et chanter avec les Saints-Simoniens, puisque que c’est pour vous et vos parens qu’ils travaillent : allons ensemble : vive les Saints-Simoniens. Et cette foule d’enfans heureuse de se voir comptée pour quelque chose, de s’écrier aussitôt : vive les Saints-Simoniens ! Répétant nos refrains avec enthousiasme, ils se sont formés d’eux-mêmes en colonne, ont traversé Paris, nous suivant jusqu'à la barrière des Amandiers, où devait avoir lieu le banquet de cent cinquante prolétaires de la famille auxquels se sont

97 25/05/23 02:32

Page 98: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

joints comme visiteurs quelques personnes que le spectacle de notre union touche plus vivement.

Arrivés, après avoir déposé le buste de Saint-Simon porté par les membres de la famille et par un ouvrier inconnu qui a sollicité cette faveur, quelques membres de la famille ont fait une petite collecte qui leur a servi à faire boire plus d’une centaine de ces jeunes enfans à la santé du PÈRE, ce qu’ils ont joyeusement accepté, promettant bien que dès qu’ils verraient un Saint-Simonien, ils le salueraient comme un bien bon enfant.

Plusieurs ouvriers touchés par notre urbanité ont sollicité et obtenu d’être admis à cette fête de famille, en se (p 140) conformant à l’ordre et au culte, bien imparfait encore, mais qui cependant n’est pas sans valeur comme moralisation aux yeux de la société.

Dans le cours du banquet, différens toasts ont été portés, le premier au PÈRE, et les cris de vive le père ont retenti dans toutes les parties de la salle ; puis à l’affranchissement des femmes et du peuple, à nos amis (bientôt nos frères) les républicains, dont les principes politiques, si bien exprimés dans la Tribune du 31 janvier, seront les nôtres quand ils seront bien convaincus que tout moyen violent est rétrograde, et que voulant ainsi que nous travailler au bonheur de tous ils ne doivent avoir aucun sentiment haineux dans le cœur. Les temps sont venus où la force morale qui doit régir le monde va se poser sur une bâse [sic] solide.... il est temps, dis-je, que les hommes de cœur et de dévouement se rapprochent ; afin de hâter le moment de régénération qui maintenant est un article de foi pour tous les esprits faits et avancés.

Après le repas, les chants ont commençé [sic]. Je ne puis les citer tous : les uns vous entraînent par la beauté du rythme ; d’autres par des pensées élevées, qu’une certaine rudesse ne dépare pas, comme expression du sentiment d’ame [sic] brisée aux rudes travaux du prolétariat ; car tous nos auteurs sont prolétaires dans l’acception du mot, et leurs chants partent du cœur.

Pourquoi la femme nouvelle, par une modestie mal entendue , ne proclamerait-elle pas les noms exerçant une influence moralisante sur la famille ? Ne doit elle [sic] pas en tenir les archives ? Toute faible et timide que soit son allure, pourquoi ne servirait-elle pas d’écho et de lien entre tous ?....

Si, dans les précédens numéros, je n’ai cité qu’un des chants sur le plus grand nombre de ceux que nous avons accueillis avec joie, c’est qu’un de nos frères Gallé a eu (p 141) l’heureuse idée de faire imprimer avec l’approbation des auteurs, Vinçart, Mercier, Morat et Leroudier, tous les chants qui ont paru jusqu'à ce jour, employant l’excédant [sic] de la recette à revêtir de nouveaux frères de l’habit Saint-Simonien. Cette touchante fraternité n’a pas besoin d’éloges ; l’énonciation du fait seul suffit. La plupart des industriels qui se réunissent à la barrière des Amandiers, sont des industriels qui ne peuvent disposer que d’un franc pour leurs repas de fête. Que les gens du monde rient dédaigneusement en prononçant le mot mesquin, mais que les sages, les penseurs viennent à nous et voient dans ces repas si simples un commencement de haute moralisation pour le peuple. Pourquoi ne citerais-je pas aussi le

98 25/05/23 02:32

Page 99: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

dévouement tout social d’une jeune fille nommée Pauline ? Un dimanche on manquait de musicien : s’enhardissant à parler, elle fait un geste, réclame le silence et laisse échapper ces mots :  « Mes sœurs, mes frères, je sais jouer la contredanse, et m’offre tous les dimanches à vous faire danser ; mais comme le PÈRE et Michel sont pécuniairement fort mal en prison, si les danseurs consentaient à donner une petite rétribution de dix centimes par contredanse, nous pourrions en offrir le montant au PÈRE, au nom de la famille. » On accepta avec reconnaissance : depuis elle a continué à se dévouer au plaisir de tous.

A [sic] chacun selon ses œuvres : je ne puis vous passer sous silence un acte qui a laissé dans les esprits une impression de religiosité plus sentie que comprise. Le repas terminé, Gallé , qui par son activité nous a semblé mériter d’être proposé à ses frères, comme organisateur du culte prolétaire, s’est rappelé avec bonheur le fait si religieux qui s’est passé à Ménilmontant, je veux parler de l’abolition de la domesticité ; il a demandé que la famille communiât dans cette pensée avec les domestiques de la maison.

(p 142) Le bon, le savant Lambert ; l’ami du PÈRE, élève aussi de l’Ecole [sic] Polytechnique, que toute la famille affectionne, pour donner plus de solennité à cet acte, s’est alors approché et remerciant Gallé de l’occasion qu’il lui offrait de renouveler ce qui s’était passé à Ménilmontant, a dit :  « Bourgeois pour le moment, mais fils de domestiques, je suis heureux de boire avec un des domestiques de cette maison à l’abolition de la domesticité. » Gloire à lui !..… et à ceux qui, de même que lui, peuvent se dire avec une noble fierté, « je suis fils de mes œuvres. »

Les chants ont commencé : ceux de notre poète national ont été demandés à l’unanimité, et la chanson des fous sublimes a été accueillie avec transport, comme glorifiant les régénérateurs de l’humanité.

Les journaux par un oubli peut-être volontaire, ne l’ayant pas mentionnée, je vais la reproduire en son entier.

Vieux soldats de plomb que nous sommes,Au cordeau nous alignant tous,Si des rangs sortent quelques hommes,Tous nous crions : A [sic] bas les fous !On les persécute, on les tueSauf, après un lent examen, A leur dresser une statuePour la gloire du genre humain.

Combien de temps une pensée, Vierge obscure, attend son époux !Les sots la traitent d’insensée ;Le sage lui dit : Cachez-vous. Mais, la rencontrant loin du monde, Un fou, qui croit au lendemain,L’épouse ; elle devient fécondePour le bonheur du genre humain.

99 25/05/23 02:32

Page 100: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 143)J’ai vu Saint-Simon le prophète, Riche d’abord, puis endetté,Qui des fondemens jusqu’au faîte,Refesait [sic] la société.Plein de son œuvre commencée,Vieux, pour elle il tendait la main,Sûr qu’il embrassait la penséeQui doit sauver le genre humain.

Fourrier [Fourier] nous dit : Sors de la fange,Peuple en proie aux deceptions [sic] ;Travaille, groupé par phalange,Dans un cercle d’attraction.La terre, après tant de désastres,Forme avec le ciel un hymen,Et la loi qui régit les astresDonne la paix au genre humain.

Enfantin affranchit la femme,L’appelle à partager nos droits.Fi ! dites-vous ; sous l’épigramme,Ces fous rêveurs tombent tous trois.Messieurs, lorsqu’en vain notre sphèreDu bonheur cherche le chemin,Honneur au fou qui ferait faireUn rêve heureux au genre humain !

Qui découvrit un nouveau monde ?Un fou qu’on raillait en tout lieu.Sur la croix que son sang inonde,Un fou qui meurt nous lègue un Dieu.Si demain, oubliant d’éclore,Le jour manquait, eh bien ! demain,Quelque fou trouverait encoreUn flambeau pour le genre humain.

SUZANNE.

(p 144)DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE.

L’instruction publique est une question qui en ce moment occupe tous les hommes avancés, et c’est avec raison, car c’est de sa solution que dépend l’avenir de la société ; c’est elle, qui fera du peuple, au lieu d’hommes grossiers et ignorans, des hommes calmes, connaissant leurs devoirs et leurs droits et accomplissant les uns pour avoir le droit de

100 25/05/23 02:32

Page 101: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

réclamer les autres. Dans une question aussi importante, je crois qu’il est utile que les femmes fassent entendre leur voix. Ainsi que le peuple, nous sommes privées d’instruction, ou nous ne la recevons que restreinte dans les limites les plus étroites qu’on a pu lui donner. Le ministre de l’instruction publique a présenté un projet de loi pour régler l’instruction primaire, titre aussi mesquin que le projet l’est en lui-même. Que signifie ce mot primaire, si ce n’est que l’instruction du peuple doit être resserrée dans les limites les plus étroites ? Qu’il sache lire, écrire, c’est tout ce qu’il lui faut. Quand donc les chefs de la société comprendront-ils que vraiment c’est dans son intérêt, qu’elle devrait donner à tous ses enfans les mêmes chances de développemens ? Que de génies qui sont comprimés et étouffés par la société actuelle, qui, si on leur eût donné la faculté de se développer, eussent pu la servir utilement en lui apportant le tribut de toutes les connaissances qu’elle lui aurait données, en les faisant servir à son progrès ! on dira que je préche [sic] l’égalité : oui, mais pour l’enfance seulement : à cet âge nous sommes tous égaux, on ne croit plus aux droits de la naissance, mais lorsque ces mêmes enfans se seront élevés, alors inégalité ; que chacun soit placé suivant sa moralité, sa science : vouloir alors l’é- (p 145) -galité, serait vouloir l’impossible, ce serait anéantir l’émulation, tuer le génie, car il ne se développe, [FP. : problème de virgule] que lorsqu’il voit qu’il peut se créer une place supérieure à celle qu’il occupe ; mais si vous voulez niveler les hommes, vous les anéantissez. Oui, le temps n’est pas éloigné, où pour tous les enfans il y aura une éducation commune, qui permettra à chacun de se développer dans la carrière à laquelle il sera le plus apte. Je sais qu’un tel projet serait difficile à proposer maintenant ; mais en restant encore dans les termes du projet, il est facile de prouver combien il a peu d’étendue. « Dans chaque commune, il y aura une école où les enfans seront admis moyennant une légère rétribution ; les parens qui ne pourront la payer, devront se faire donner par le maire une attestation de leur misère, après quoi leurs enfans seront admis. » Voilà donc des enfans à qui vous ferez l’aumône de l’instruction ! Quand reconnaîtra-t-on que la société ne fait qu’accomplir un devoir envers ceux de ses membres qui travaillent pour elle ? Lorsqu’elle donne l’éducation à leurs enfans, on se plaint que le peuple est grossier et ignorant, et on ne fait rien pour lui donner de l’instruction. Croit-on qu’il sera doux pour les parens d’être obligés d’aller dire leur misère à des gens qui, quelquefois, les regarderont avec dédain, le plus souvent avec cette pitié qui est plus pénible pour celui qui en est l’objet que le mépris ? On se dit : l’homme qui me méprise est un sot, il n’a que de l’orgueil ; et on ne peut en dire autant de celui qui vous accable de sa pitié. Sans doute bien des mères, des pères feront le sacrifice de leur personnalité pour obtenir à leurs enfans une place sur les bancs de l’école primaire, mais il en est qui reculeront, et vous aurez encore des enfans ignorans. Il n’y a qu’un moyen de remédier à ce mal, c’est d’ouvrir l’école à tous ceux qui ne peuvent payer, sans que les parens soient obligés d’avoir recours à ces formalités toujours pénibles. (p 146) Mais c’est sur-tout en ce qui regarde les femmes, que le projet est resté en arrière ; il n’en est fait aucune mention. On ajoute à la fin, que des écoles de filles pourront être formées, s’il y a lieu. S’IL Y A LIEU ! !

101 25/05/23 02:32

Page 102: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Comment ! est-ce que partout les femmes n’ont pas besoin d’instruction ? Voulez-vous donc les laisser toujours ignorantes ? Vous êtes encore plus généreux [FP. : le premier accent a plus la forme d’un point] pour les fils du peuple que pour ses filles. Mais sentez do c [sic] que si vous lui donnez de l’instruction, il faut aussi que vous en donniez à celle qui doit être la compagne de sa vie. Si vous l’instruisez, c’est pour lui donner de la moralité, et c’est vraiment là le seul moyen ; mais il faut aussi qu’en lui donnant de la moralité politique, vous lui donniez [FP. : le « e » est légèrement effacé] celle qui doit le rendre bon père, bon époux ; et comment voulez-vous que cet homme, qui aura développé ses facultés, puisse se plaire dans son intérieur s’il n’a vis-à-vis de lui qu’une femme ignorante qui ne le comprendra pas. C’est dans l’intérêt de tous qu’il faut que la femme, ainsi que l’homme, reçoive de l’instruction ; mais ce que les hommes n’ont pas fait, c’est aux femmes de le faire. C’est donc à vous, femmes privilégiées par l’instruction et la fortune, que je m’adresse ; il n’en est aucune de vous qui ne sente ou n’ait senti combien la position des femmes est pénible. Pour que cette position change, il faut que toutes les femmes sentent que le temps est venu de travailler elles-mêmes à améliorer leur sort ; mais, pour qu’aucune ne se méprenne sur ce que nous demandons, il est besoin de les instruire toutes. Réunissez-vous donc, formez des cours où vous viendrez instruire celles de vos sœurs qui ont été privées des bienfaits de l’instruction ; déjà des femmes ont commencé à vous donner ce bel exemple dans la société libre pour l’instruction du peuple, société très-avancée et à laquelle nous devons de la reconnaissance, comme ayant une des premières reconnu notre égalité, en admettant des femmes (p 147) dans son sein. Déjà, dis-je, elle a institué des cours de femmes, où d’autres femmes dévouées sont venues répandre sur les autres toute l’instruction qu’elles possèdent. Honneur à ces femmes, qui les premières ont commencé ! Espérons que leur exemple sera suivi, et que d’autres viendront se joindre à elles, et que partout, faisant sentir leur influence, les femmes porteront l’instruction jusque dans les derniers rangs des classes ouvrières. Femmes, sentez-le bien toutes : l’influence que nous devons exercer doit être conciliatrice ; et quel beau moyen de la faire sentir, qu’en allant parmi cette classe, déshéritée de la naissance, répandre le bien-être et la moralité ? Ce n’est pas seulement de l’instruction qu’il faut donner au peuple, il faut aussi faire son éducation ; cette partie appartient plutôt aux femmes qu’aux hommes ; ce sont elles qui, par leurs douces paroles, feront comprendre au peuple tout l’avantage qu’il peut retirer de l’instruction que les hommes lui donnent ; ce sont elles seules qui pourront lui faire comprendre tout ce que la paix, l’ordre ont de supérieur à la guerre, au désordre ; mais elles ne lui feront sentir cela qu’en allant parmi lui, non comme dames de charité, mais comme institutrices. Femmes, comprenez-le bien, notre sort s’est toujours amélioré avec celui du peuple ; il ne nous reste plus, ainsi qu’à lui, qu’un dernier pas à faire, et nous ne le ferons qu’à la condition que nous sentirons qu’il est lié au sien. Méritons notre liberté en travaillant à l’acquérir ; mais n’oublions pas aussi que nous devons travailler pour le peuple ; il est reconnaissant et n’oublie jamais ce qu’on fait pour lui.

102 25/05/23 02:32

Page 103: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

MARIE REINE.

(p 148 )LETTRE A BÉRANGER.

Eh ! quoi Béranger, cesser de peindre, congédier ta muse avant d’avoir accompli ta sublime tâche de moraliste ; tu n’ignores pas cependant que notre sort est lié à celui de ce peuple que tu aimes et inspires si bien.

Ne sais-tu pas que cette sainte égalité que tu réclames avec tant d’ardeur , pour être réellement féconde, doit s’étendre à tous, et que tous ces avantages doivent être partagés par notre sexe.

O poète du peuple ! écoute la voix d’un enfant du peuple ! comprends la sollicitude religieuse qui l’entraîne à te parler en faveur de ses compagnes ; ma naissance fut entachée du péché originel qui pèse toujours et partout sur le malheureux peuple, la misère, et cependant j’avais reçu de la nature, de DIEU, une ame [sic] ardente et passionnée, un désir indomptable de pénétrer dans la profondeur de la science, de vivre de cette vie intellectuelle ; mais hélas !... la nécessité brisa tous ses ressorts indispensables à mon bonheur ; il fallut me plier aux mesquines habitudes d’une vie commune et journalière, végéter, de par la loi de cette société sans providence individuelle. O Béranger ! si tu savais les douleurs de cette vie abâtardie, de de [sic] cette existence jetée hors de la sphère de ses désirs, de sa vocation, ton cœur réclamerait comme nous l’affranchissement intellectuel de la femme ; car, crois le bien, je ne suis pas une exception, je suis loin d’être un type entre toutes, oh, non ! j’ai vu nombre de jeunes filles du peuple souffrir des mêmes douleurs que moi : aussi je voudrais que tu réclamasses pour les enfans des deux sexes une éducation gratuite, forte et sociale, car tous ces enfans seront à leur tour des femmes et des hommes ap- (p 149) -pelés à jouer un rôle important dans la société, quoique très-différens dans leur manifestation : tous doivent donc apprendre de bonne heure à connaître le but de leur existence, à être éclairés sur leur vocation respective, car du mauvais classement des individus naît tout le désordre qui existe dans la société. Alors, seulement alors, notre poète, lorsque ceci sera compris, la prophétie renfermée dans tes vers s’accomplira :

« Partout luira l’Égalité féconde ;« Les vieilles lois errent sur des débris ;« Le monde ancien finit ; d’un nouveau monde« La France est reine, et son louvre est Paris. »

Oh ! notre poète, ne fais pas les choses à demi. Ce n’est pas là tout ce que les femmes attendent de toi ! la liberté intellectuelle seule ne les conduirait pas au bonheur ; il leur faut encore la liberté morale. Déjà dans plusieurs de tes poèmes, et notamment dans tes Deux Sœurs de

103 25/05/23 02:32

Page 104: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

charité, cette pensée de l’excellence des différentes natures, développées moralement, socialement, sans doute a dominé ton génie.

Toi qui si bien as chanté l’Amour, tu sais aussi que pour nous c’est la moitié de notre vie ; mais pour compléter cette vie de sentiment, il nous faut encore l’approbation de ce qui nous entoure : la sanction religieuse que la société accorde à qui reste soumis à ses lois, et telle femme, ayant reçu de Dieu un cœur tendre, passionné, préfère le briser, traîner des jours pâles et décolorés au bonheur incomplet d’éprouver l’amour sans estime ni respect. Pour ces femmes qui ne sont pas les moins fortes, comme pour celles qui ont failli aux lois sévères que les hommes nous imposent, et qu’ils sont loin de s’appliquer à eux-mêmes, ainsi que pour d’autres (p 150) femmes encore, qui par une dissimulation soutenue, usurpent cette considération qui nous est si nécessaire à toutes ; je réclame de toi, pour ces différentes natures, la protection de ton immense popularité. On permet aux femmes, souffrant de ce mal corrosif, l’ennui, mal qui mine et dessèche les sources de la vie, dont elles ignorent elles-mêmes la cause, de se dire vaporeuses ; on leur permet de croire à l’extrême délicatesse de leur nerfs ; mais qu’elles ne s’avisent pas de penser que le siège de leur mal est ailleurs que dans leur organisation physique ! qu’elles s’étiolent, passe ! qu’elles tombent, mais qu’elles sourient ! Les hommes encore, comme les rois, veulent des souffrances silencieuses.

O femmes ! soyez heureuses, de par la loi et la morale des [FP. : le « e » est en partie effacé] hommes, et non à votre manière ; si vous voulez que vos pères, vos maris et même vos frères, dont vous êtes vous la propriété, vous avouent et vous protègent de leur nom.

O Béranger ! demande de ta puissante voix notre affranchissement moral, intellectuel et matériel ! appelle comme nous le règne de la Vérité dans toutes les relations : elle est digne de toi, cette œuvre ; car c’est aussi le règne de l’Amour, de la paix et du travail que nous voulons réaliser ; c’est au bonheur de ce peuple, dont nous sommes les filles, les femmes, les mères, que nous travaillons, lorsque nous réclamons l’égalité sociale entre les deux sexes. Essaie pour nous de nouveaux chants ; ta muse est femme, elle est notre amie, elle ne te sera point rébelle [sic].

SUZANNE.

—————

LA BOHÉMIENNE.

Écoutez-moi, messieurs, mesdames : Je dis le passé, l’avenir,Et viens, pour le bien de vos ames [sic], Aujourd’hui vous en avertir.Approchez, ma jolie brunette,Sans crainte donnez votre main ;`Depuis long-temps l’amour vous guette Mais vous lui fermez le chemin.Vendue selon l’antique usage,

104 25/05/23 02:32

Page 105: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Par des parens bien fous, ma foi, Vous goûtez dans le mariageLes douceurs voulues par la loi : Faites cela, monsieur l’ordonne, Obéissez, le code est là ;Il veut ceci : allons, ma bonne, Donnez vite et même au-delà.Par ce moyen si doux, ma chère, Vous aurez la félicité ;Vous riez, et n’y comptez guère ; Et bien, non : la tranquillité :Tout bas, vous ajoutez, peut-être, Je crois que vous avez raison ;Mais patience.…. Ah ! plus de maître ; Votre sauveur est en prison !A [sic] votre tour, ma douce blonde ;Vos grands yeux bleus sont languissans, Votre teint pâle, et de ce monde Vous fuyez les plaisirs bruyans ;Tel qu’un beau lys de la prairie Dont un ver a rongé le cœur ; Pauvre enfant, vous quittez la vie, Sans en connaître le bonheur ! L’amour eût été votre essence ; Qui mieux que vous saurait aimer ? Chacun a besoin d’indulgence ; On ne pourra vous condamner. Mais non : la société bizarre D’un seul mot saura vous flétrir, Et vous crie d’une voix barbare : « L’honneur l’exige, il faut mourir. » Je frémis. Mais pourquoi vous plaindre ? L’avenir à mes yeux paraît….. Vivez et n’ayez rien à craindre, Du destin voici le secret : Un mortel dont l’ame [sic] est sensible, Des humains veut briser les fers, Et, ce qui semble moins possible, Il veut corriger leurs travers. Embrassant un nouveau système, L’univers charmé se dira :« Le bonheur n’est plus un problême [sic]. » Et le crime enfin cessera.

ISABELLE.

*

105 25/05/23 02:32

Page 106: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

S’adresser au Bureau de l’Apostolat tous les jours, excepté les dimanches et fêtes, chez madame VOILQUIN, rue Cadet, n. 26 et 28.

(Affranchir les lettres et envois).

SUZANNE, Directrices.

MARIE REINE,[FP. : une accolade figure ici]

———————————————————————————PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, no 54.

106 25/05/23 02:32

Page 107: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

/ns. 7881/224 [FP. : notation manuscrite visible qu’en partie]

n o 13 [FP. : notation manuscrite écrite en rouge]

LA FEMME NOUVELLE.(p. 153)

AFFRANCHISSEMENT

DES FEMMES.

—————

VÉRITÉ. UNION.

Notre bannière étant à la peine, il est juste

qu’elle soit à l’honneur. ( Jeanne d’Arc.)

Égalité entre tous de droits et de devoirs.

————

DE L’AFFRANCHISSEMENT DE LA FEMME.

(PREMIER ARTICLE.)

107 25/05/23 02:32

Page 108: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Quand la loi qui a affranchi le monde, quand la loi qui est venue proclamer l’immortalité de l’ame [sic], la beauté pure, la charité, quand la loi chrétienne a été annoncée, (p 154) on y a successivement répondu d’un bout à l’autre de l’Europe à l’autre, et chaque homme a senti un saint frémissement à l’aspect des vérités où sa nature l’appelait.

Quand, plus de mille ans après, on a proclamé de même l’affranchissement de la femme, d’où vient que peu de gens se sont émus ? C’est que le christianisme était sage, qu’il ne dépassait pas d’éternelles lois, qu’il rendait la morale des Hébreux plus indulgente et douce, sans la renverser de fond en comble, et que Jésus-Christ disait :

« Ne croyez pas que je sois venu anéantir la loi ou les prophètes ; je ne suis pas venu les anéantir, mais les accomplir. »

Qu’a fait le saint-simonisme ? Il est venu proclamer l’affranchissement de la femme au milieu d’idées si immorales et si absurdes, que le premier devoir d’une femme qui veut écrire dans ce journal est de protester pour l’affranchissement, séparé de toutes les théories d’essai que le Globe y avait associées.

Les femmes faibles et tranquilles, qui se complaisent dans l’obscurité, ont pu, à l’appel des saint-simoniens, ne pas sortir de leur repos ; mais celles que leur sexe seul retient dans l’oisiveté, qui ont l’esprit, le courage et l’audace, qui voient avec envie, dans la jeunesse, leurs frères se rendre aux écoles publiques ; qui pleurent de ce que l’émulation, les cours, les sciences, les grandes lumières leur sont ravies ; celles qui voudraient les périls, les combats, l’éloquence ; qui suivent d’un œil attristé la longue carrière des hommes, voyant parvenir et briller, sans les suivre, leurs amis et leurs amans ; celles-là ont accueilli le saint-simonisme avec le respect qui a suivi toutes les lois d’affranchissement. Ces femmes n’avaient dès lors qu’à proclamer leur sympathie pour la foi nouvelle, lui donnant tout l’appui qui était en leur pouvoir ; mais cette religion les a intimidées, non, comme on l’a cru, parce (p 155) qu’elle était sortie de la loi chrétienne, mais parce qu’elle était sortie de la loi naturelle même.

Les femmes, qui jusqu’ici ont souffert par la loi morale n’ont jamais voulu la détruire. Elles ont souhaité plus d’indulgence, une loi de divorce réclamée par les lumières ; l’égalité ; mais elles n’ont jamais voulu détruire la loi du mariage, loi chère à la passion encore plus qu’à la moralité, ni l’honneur de l’amour fidèle consacré par toute la terre : femmes faibles, femmes fortes, penseurs, législateurs, poètes, amans, tous ont été d’accord, tous ont travaillé sur les mêmes bases ; car si des traits divers les séparaient, ils étaient encore plus unis par leur commune espèce.

Les saint-simoniens ont appelé loi chrétienne tout ce qui était loi éternelle : ainsi ils ont reporté à Jésus-Christ la fidélité des époux, oubliant l’antiquité chaste des Romains, qui prolongèrent si loin, dans leur corruption, l’estime de la fidélité conjugale, que Tacite, comparant Germanicus après sa mort à Alexandre-le-Grand, donne l’avantage au premier, parce qu’il n’avait eu qu’une femme et des enfans avoués. Tacite était-il chrétien ? Quelques pages plus loin, il parle avec mépris d’un homme mis en croix en Judée pour ses impostures.

108 25/05/23 02:32

Page 109: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Croire que le genre humain s’est trompé depuis la création du monde est une de ces erreurs où jamais aucun législateur n’est tombé. On a marché dans une seule et même voie, en perfectionnant, en déviant quelquefois, mais en suivant des instincts à jamais donnés et transmis.

S’il est vrai qu’on doive regarder la Bible comme un extrait de ce que l’homme avait fait de beau et de sublime dans les climats divers de l’orient, avec le progrès de plusieurs siècles de civilisation et de changemens politiques, dirons-nous que les races modernes ont trouvé des enseignemens plus sûrs ? C’était la loi rude et fière ; elle (p 156) est devenue plus éclairée dans les mains des successeurs ; mais nier l’antiquité, c’est nier notre nature et notre planète : on méprise le passé quand on a ses erreurs à combattre les armes à la main ; mais quand la victoire est obtenue et qu’il faut reconstruire, c’est au passé qu’il faut s’adresser et demander des leçons. Si les masses furent opprimées et les femmes abaissées, il faut s’en prendre à l’ignorance plus qu’à l’injustice, et élargir l’édifice sur les saintes bases où il fut toujours posé. C’est la passion et la loyauté qu’il faut mettre en honneur : que les femmes soient affranchies, c’est-à-dire, [FP. : problème de virgule] franches, sentant leur force et comprenant la morale, au lieu de la recevoir sans examen, comme on reçoit les préjugés.

Pour moi, en écrivant dans ce journal, je voudrais lui voir accueillir les réclamations des femmes, sans se hâter d’établir des doctrines qui recevront beaucoup du temps. Il ne s’agit pas seulement des femmes ; le monde entier est agité : il s’agit de la liberté politique, de la religion, de l’enthousiasme, de la vertu publique. On accuse le gouvernement et les hommes : le mal n’est pas là ; il est dans un développement moral auquel les travaux, les émotions et les idées ne répondent pas encore. Le passé avait la foi ; il croyait en ses saints, en ses rois. Les miracles, les cérémonies religieuses et royales enchantaient les peuples. La raison a détruit les erreurs sans avoir encore remis l’enthousiasme à sa place. En tuant la lettre ! on a fait disparaître pour un moment aussi l’esprit. Il le faut rappeler et ranimer. Que les femmes commencent : quand elles auront le sentiment du beau, de la vraie gloire, de la religion, les hommes le prendront d’elles. Que le monde s’anime d’une vertu nouvelle !

La vertu, l’union, la bonté ont fait en général la base de toutes les religions ; mais ils semble, autant par les progrès que par le caractère de l’homme, que ces qualités doivent (p 157) être présentées à certaines époques sous des formes nouvelles qui les ravivent et les perfectionnent. Il faut mettre la morale plus en rapport avec nos temps, nos lumières, tout en respectant la loi de nos pères. Les révélations ont protégé les femmes : Jésus-Christ fut indulgent pour elles ; Mahomet adoucit leur sort dans l’orient ; mais nulle morale encore n’avait reconnu l’égalité de la femme. Égalité ne veut pas dire parité ; les différences de sexe entraîneront des différences de sort ; mais l’égalité seule donnera à la femme l’existence qui lui convient aujourd’hui. Sortie par le fait de la minorité sans en être sortie par le droit, depuis long-temps elle joue son maître. Elle avait trop d’avantages pour être opprimée victorieusement. Il est temps que l’homme et la femme retrouvent l’un pour l’autre le respect qui suit toujours une domination légitime ou une égalité irrécusable.

GERTRUDE.

109 25/05/23 02:32

Page 110: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

RÉPONSE A [sic] G***.

MADAME,

Voulant prouver notre impartialité et notre tolérance en face de toute opinion, nous avons décidé d’insérer votre ar ticle [sic] avec la plus scrupuleuse attention, après lecture faite. Cependant tout en rendant justice à la force des pensées, surtout à la manière dont elles sont exprimées, nous avons éprouvé le regret que notre religion ne soit pas plus connue de vous ; le jugement que vous en avez porté s’en est ressenti. Etant [sic] intimement convaincues de votre sincérité, nous avons désiré vous expliquer notre pensée, espé- (p 158) -rant être assez heureuses pour que la foi qui est en notre ame [sic] puisse passer dans la vôtre.

Et d’abord attaquant le saint-simonisme, vous dites : qu’il est venu proclamer l’affranchissement de la femme au milieu d’idées immorales et si absurdes, que le premier devoir d’une femme qui veut écrire dans notre journal, est de protester pour l’affranchissement séparé de toutes les théories d’essai, que le Globe y avait associées.

Il faudrait je crois, avant d’aller plus loin, nous entendre sur ce qui pour nous est moral ou immoral…

L’immoralité pour nous existe là, où la société est organisée de telle sorte que la femme la plus pure, la vierge chrétienne si vous le voulez, est obligée de vivre sous une loi perpétuelle de mensonge, devant cacher aux yeux de tous ses plus secrètes pensées, se renfermant dans son for intérieur, où nul mortel n’a le droit de pénétrer, si j’en excepte son confesseur, dont souvent la moralité est plus que problématique. La femme chrétienne doit voiler sa face de grace [sic] et de beauté : vainement DIEU dans sa sagesse infinie fera battre son cœur pour l’homme que son cœur a choisi, elle devra en dérober à tous les pulsations précipitées. Que sera-ce si des convenances dites sociales viennent s’opposer à son amour ? Il lui faudra mentir encore, et cacher à tous les regards la douleur qu’elle en ressentira… Aujourd’hui que le monde est disposé à nous faire si bon marché du mysticisme chrétien, croyez-vous, en lui montrant la macération chrétienne, en lui commandant l’abnégation, être véritablement morale ?… Pensez-vous enfin que Dieu ait voulu faire du monde une vaste Thébaïde, en le livrant à la douleur qui déchire impitoyablement, sans lui montrer le bonheur auquel Dieu nous convie en nous unissant tous par l’amour ? Je ne le pense pas : ce serait nier le progrès non-seulement de dix-huit siècles, mais des six mille ans que la femme ainsi (p 159) que le peuple ont passés dans l’esclavage, et que Jésus a voulu faire disparaître quand il a dit : les hommes sont frères et enfants du même père, DIEU… Que serait-ce donc si nous considérions ensemble la position de la femme dans la société, si

110 25/05/23 02:32

Page 111: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

nous la considérions vendue, marchandée, livrée à un débauché pour obtenir un nom dont la loi ne lui laisse que l’usufruit car elle n’est rien par elle-même, ne pouvant ni tester ni gérer ses propres biens, ni diriger ses enfans qui sont sous la tutèle du père, bien qu’elle seule ait souvent touché aux portes du tombeau pour leur donner le jour ? Que serait-ce donc si arrachant de vos yeux le bandeau chrétien dont vous voulez vous couvrir, je vous montrais une à une toutes ces douleurs. Vous reculeriez épouvantée… Puisque ce spectacle répugne à votre cœur de femme, et que vous ne pourriez le nier, vous, dont la sincérité ne peut être révoquée en doute, croyez-vous qu’une société qui non-seulement tolère, mais encourage de tels actes n’est pas immorale ?.. Et est-il donc si absurde de chercher à la modifier d’abord pour la moraliser ensuite ?

La moralité pour nous est dans l’acte, qui a pour but non-seulement d’élever l’individu social, la femme et l’homme égaux aux yeux de Dieu mais de donner du bonheur au plus grand nombre, sans nuire à personne. Pesez bien la valeur de ce peu de mots, et sans justifier ici les théories morales, vous comprendrez tout ce qui a été avancé par le Globe. Pour nous l’esprit est saint et la chair aussi ; pour nous l’ascétisme chrétien est complètement ridicule, s’il n’est impie, car nous ne pouvons penser que DIEU ait voulu la destruction de son propre ouvrage, pour nous le mensonge, est irréligieux, et c’est parce que nous avons foi en DIEU que nous voulons que la femme ne soit pas contrainte au mensonge, ce qui n’aura plus lieu quand elle sera considérée comme l’égale de l’homme. L’esclave (p 160) ruse, trompe, et cesse de le faire quand le mensonge est inutile. « Dire que les femmes qui jusqu’ici ont souffert par la loi morale n’ont jamais voulu la détruire. c’est [sic] avancer un fait inexact, c’est rayer d’un seul trait de plume, [FP. : problème de virgule] la protestation de toutes ces femmes dont l’histoire nous a légué les noms, c’est oublier qn’il [sic] exista des Frédégonde, des Catherine, des Elisabeth, des Ninons et tant d’autres, dont il serait facile d’établir jusqu’à nos contemporains, [FP. : problème de virgule] une longue série que je crois devoir vous indiquer seulement, et qui n’échapperont ni à votre sagacité, ni à votre mémoire ; mais il faut, dites-vous, rappeler aux femmes qu’elles pourront commencer quand elles auront le sentiment du beau de la vraie-gloire [sic]. Qui le leur donnera ? Sera-ce encore les hommes ?… Non, car vous ajoutez que les hommes le prendront d’elles, donc elles doivent commencer : qu’attendent-elles aujourd’hui ?… Vienne la femme aux émotions douces et poétiques, à la chaleureuse imagination, au cœur de feu, elle trouvera dans les misères du peuple, dans les douleurs de ses compagnes, un véhicule assez puissant, pour guider de sa voix harmonieuse, ses sœurs dans la voie nouvelle. Brillante étoile du matin, messagère des dieux, elles annoncera à tous en les inondant de flots de lumière et de poésies, le règne de la paix et de l’amour. Jetant un regard religieux vers le passé dont elle respectera les traditions, son œil audacieux s’élèvera vers les régions célestes, pour y chercher la vérité qu’elle saura découvrir et donner à tous, harmonisant sans cesse l’esprit et la matière, embrassant l’humanité dans son saint amour, tous auront à recevoir d’elle, elle appellera tous au bonheur et sera morale, car elle aura pour but d’éviter

111 25/05/23 02:32

Page 112: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

à tous la douleur principe du mal qui doit disparaître un jour. C’est ainsi qu’elle écrasera la tête du serpent, personnification du mal, et de son flambeau brillant éclairera le monde, honneur à qui de nous aura su la pressentir ! Nos cœurs la salueront (p 161) avec des transports d’allégresse, et c’est parce que nous espérons qu’un jour bientôt peut-être vous serez l’une des précurseurs de cette mère chérie, que nous avons décidé de faire suivre immédiatement notre pensée sur votre article, dont nous ne pouvons accepter les principaux passages, persuadées que notre amour de sœurs, [FP. : problème de virgule] laissera assez de force et de conviction dans votre ame [sic], pour suivre la route que DIEU nous a tracée.

LES FEMMES NOUVELLES.

AUX FEMMES.

Les femmes veulent de la puissance, de la domination, et depuis la grande dame jusqu’à la fille du plus chétif prolétaire toutes s’agitent, se tourmentent pour en obtenir à tel prix que ce soit : la grande dame établit sa domination sur celles qui la servent, et celles-ci s’en vengent en se livrant aux désirs corrupteurs des fils ou des maris de celles qui au lieu de devenir leurs mères en lumières, en bons exemples, les vouent au mépris, à l’anathème du monde, en même temps qu’elles deviennent elles-mêmes des objets de dégoût et de mépris pour leurs fils ou leurs maris. Femmes ! femmes ! jusqu’à quand méconnaîtrez-vous les dons heureux que Dieu a mis en vous ? jusqu’à quelle époque de votre vie laisserez-vous échapper par votre irréflexion tout ce que vous pouvez de grand, de noble, de généreux, en sens inverse à tout ce que vous avez fait jusqu’à présent ? Vous avez voulu jouir de vos droits sans conscience de vos devoirs, vous avez basé votre règne (p 162) sur l’empire de la jeunesse, de la beauté ; et cet instrument si puissant parmi les hommes est devenu par eux et pour vous l’écueil funeste qui vous opprime, vous fait souffrir et mourir sous le joug orgueilleux que vous avez vous même édifié. Périclès disait : Mon fils qui n’est qu’un enfant commande sa mère, ma femme me commande, et je commande les Athéniens : il est enfin arrivé ce temps que Périclès annonçait au monde en parlant de la puissance de la femme. Mais ce ne doit et ne devra être qu’à la condition que les femmes étant par les liens maternels les premiers éducateurs de leurs fils, elles devront s’occuper de fixer leur jeune intelligence sur des choses justes, grandes, raisonnables, et quand viendra l’âge des passions, c’est encore à leur amour que devra être confié le soin de diriger, d’obtenir des sacrifices, d’inspirer des sentimens généreux, le désir d’acquérir de la gloire par tous les moyens d’émulation qui seront en elles et se rendre dignes de l’affranchissement auquel la loi nouvelle les appelle : ce sont elles qui prouveront que Dieu a donné pouvoir aux

112 25/05/23 02:32

Page 113: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

femmes de devenir non les maîtres mais [FP. : le point sur le « i » n’est guère visible] les égales des hommes en association de force morale, en harmonisation d’intelligence, dans les arts, la science et l’industrie, en inspiration d’amour, de pacification, ; ce sont elles qui, bien pénétrées de la force religieuse de leurs droits, apprendront aux hommes à les comprendre dans la pratique de leurs devoirs, et de là devront naître dans le cœur des hommes ces sentimens de moralisation qui leur apprendront comment ils devront se conduire envers elles, les délivrer du joug oppresseur sous lequel elles gémissent encore, et les rendre un jour les libératrices de l’humanité : mais d’ici là par quelle voie prétendez-vous marcher, femmes, qui jusqu’ici ne vous êtes occupées que de petites individualités ? ah ! Je vous en conjure au nom de vos intérêts les plus chers, (p 163) faites voir, entendre au monde que vous êtes dignes d’être les mères, les épouses, les amantes de ce sexe jusqu’alors si orgueilleux et dont le machiavélique pouvoir a suscité dans vos cœurs des rivalités, des désirs de vous nuire, et enfin tous les maux qui vous accablent, vous femmes privilégiées, malgré les fleurs ou les dorures dont vos chaînes sont ornées ; et vous femmes du peuple, si grandes, si fortes dans votre patience à supporter des douleurs que les femmes du grand monde n’ont pas eu la force, le courage d’adoucir. Relevez votre front jusqu’alors baissé dans la poussière, apprenez-leur que là où gisent les grandes souffrances doivent naître les grandes vertus, apprenez-leur par votre exemple, vos préceptes toujours sages, toujours grands, à abandonner les hochets de la frivolité, à venir s’unir à vous pour relever un sceptre si long-temps inutile entre leurs faibles mains : dites-leur que vous, leurs mères en pratique religieuse de vos devoirs, elles viennent s’unir à vous pour conquérir leurs droits en même temps que les vôtres, et alors plus de soumission asservissante envers les hommes, mais association d’intelligence, inspiration d’amour, de dévouement à la cause sociale ; dites-leur que les graces [sic], la beauté, l’esprit, l’éducation qu’elles ont acquises par la richesse, sont les instrumens régénérateurs qui doivent les conduire dans le progrès de leur liberté, leur indépendance ; apprenez-leur par votre pratique, qu’elles n’obtiendront rien que par l’union, l’affection qu’elles s’inspireront entre elles et dans leurs plus chers intérêts ; et moi, fille, mère, sœur, femme du peuple, je glorifierai Dieu en vous, mes chères sœurs, lorsque toutes ces grandes choses s’ccompliront [sic].

JULIETTE B***.

(p 164)VARIÉTÉS.

———

113 25/05/23 02:32

Page 114: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Que prouve M. Ch. Nodier de plus clair dans son article sur la Femme libre, inséré dans le second no de l’Europe littéraire ? Il prouve seulement qu’il ne veut pas qu’elles le soient quant à présent, sauf à y revenir plus tard. Il n’ose pas, comme la Gazette, soutenir que la femme n’est pas l’égale de l’homme, parce qu’elle est moins grande, parce qu’elle est moins forte, parce qu’elle est……., enfin vous vous rappelez ; ….. toutes raisons de cette force-là ! Oh ! non. M. Ch. Nodier a des titres moins prononcés à la vénération. Je juge à la chaleur de son style (l’article en question mis à part) qu’il doit être jeune encore : aussi s’y prend-il plus galamment pour nous convaincre ; il craint vraiment, l’excellent homme ! que nous ne perdions trop, si l’on était assez fou pour faire droit à nos réclamations. « Eh quoi ! dit-il, pour quelques misérables droits sociaux dont l’institution universelle vous a privées, vous vous exposeriez, Mesdames, à perdre notre protection et notre amour ! Pesez bien la menace ; examinez-en bien les conséquences ; ne vous avisez pas surtout d’échanger votre longue et délicieuse enfance, votre minorité légale, contre ce que l’on appelle la raison, une éducation solide, une position sociale propre à l’aptitude de chacune. Oh ! non, dans cette circonstance, je ne puis faire autrement que de laisser paraître le petit bout de l’oreille. (p 165) En souffrant cela nous y perdrions trop vraiment. D’ailleurs, pour être nos jouets, n’êtes-vous pas charmantes ainsi faites ?…. Après nos disputes politiques, nos tracasseries littéraires, nos inquiétudes commerciales, et même nos fatigues journalières, ne nous faut-il pas à tous un délassement ?…. Et bien ! jolis oiseaux, puisque vous êtes propres à cette fonction, continuez ; nous, nous ne sommes pas encore fatigués de vous la voir remplir ; et puis, sans parler tout-à-fait pour moi, ayez pitié, Mesdames, de ces riches et nobles dandys ; examinez bien les résultats avant que de vous obstiner à réclamer, pour à peu près quinze millions de femmes, une éducation forte, convenable, qui pût leur faire comprendre leur dignité, leur valeur ; avant que d’obtenir pour elles une rétribution plus élevée que soixante-quinze centimes, terme moyen de leur gain journalier : vous concevez, Mesdames les réclamantes, que les femmes et les filles du peuple, n’étant plus pour vivre obligées de se vendre, aimeront en toute vérité qui les aimera ; car, malgré mon honneur, je suis obligé de convenir que l’amour, les passions, ce qui fait la vie, peuvent être mieux dirigés, mais ne peuvent pas disparaître de dessus la terre : alors, pour être aimés, les riches ne pouvant plus acheter de l’amour, seront obligés de faire preuve de cœur et d’ame [sic]. C’est en connaissance de cause que je vous répéterai pitié sur eux ! car, à cette mesure, il en est beaucoup qui seraient forcés de prendre retraite.

« Tout ce que je vous dis n’est certes pas pour faire de l’opposition ; au contraire, je plaide pour l’idéal des femmes. Qu’on leur propose de sacrifier une sotte et grossière réalité, et puis voyez ce que deviendrait le roman, cette fable délicieuse, qui console les ames [sic] tendres et passionnées de l’ignoble vérité de l’histoire. Que les femmes ne s’y trompent pas, leur histoire à elles, c’est le roman. »

(p 166) Si vous entendez par roman l’histoire intime des sensations de l’ame [sic], le sentiment, oui, sans doute, Messieurs, je vous l’accorde, ce

114 25/05/23 02:32

Page 115: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

sera toujours notre histoire ; mais, pour vous inspirer de l’intérêt, faudra-t-il toujours que le drame en soit larmoyant ; qu’il exprime toujours des douleurs atroces (comme on dit) ; que l’adultère, la jalousie le salissent et de fange et de sang ; enfin, que chaque épisode prouve, dans l’avenir comme à présent, l’exploitation qui pèse sur la femme ? car le nœud et l’intérêt de la plupart des romans reposent sur cette exploitation exercée par les maris et les pères. Oh ! moi, je ne le pense pas : dans l’organisation de la société telle que nous la concevons, j’assigne au roman une place belle et grande. Croit-on qu’il n’y a pas de poésie dans le bonheur, et que l’amour, pour être vrai, gracieux, tendre, passionné, délirant même, ne fournirait pas des épisodes aussi intéressans que l’horrible vérité que notre triste siècle force à retracer ? J’avouerais même , au risque de passer pour bien positive, et de perdre un peu de ce gracieux idéal du roman, ces charmantes fictions perdre de leur charme en ne peignant plus l’agonie ; je crois que, de compte fait, le monde gagnerait autant en réalité, et n’aurait pas lieu de se plaindre, si l’imagination, cette brillante magicienne, pouvait ne plus s’entourer de voiles funèbres.

Il faut que nous soyons donc bien puissantes, pour vous causer une telle frayeur : en vérité, j’en suis toute fière. Quoi ! nous ne demandons que l’égalité, et vous craignez de voir la société tomber tout d’une pièce en quenouille. J’imagine en effet qu’une femme qui voterait les lois, qui discuterait le budget, qui administrerait les deniers publics, et qui jugerait les procès, serait tout au plus un homme. Parmi nos profonds politiques du jour, citez-m’en, je vous prie, beaucoup dont la capacité gouvernementale fût mieux constatée que celle des célèbres Roland, de (p 167) Staël, et tant d’autres, auxquelles il n’a manqué que d’être dans un milieu favorable pour se développer et se montrer grandes et sociales. L’aveu qui vous échappe est précieux : vous dites que, grace [sic] à notre charmante organisation, il n’y a point de femme qui n’exerce autour d’elle plus d’influence qu’un pair de France. Mais, toutes en particulier, nous en sommes convaincues. Aussi la très-modeste requête que nous adressons à nos tuteurs est pour les inviter à proclamer hautement notre concours dans tous les actes de la vie, enfin de régulariser et de légaliser ce qui existe.

Le christianisme et la chevalerie, qui les trouvèrent esclaves, les ont faites souveraines. On se contenterait à moins.

— Souveraines !…. dérision ! ou bien, comme dans l’antiquité les fétiches étaient rois.

Du reste, l’auteur de l’article plaisante très-agréablement ; mais la plaisanterie qui tombe à faux est comme la force ; elle échoue devant le droit.

Les prolétaires, dit-il ailleurs, en sont tous en France au même point que les vieilles femmes ; ils n’ont point de sexe : et je m’avise là-dessus que le projet d’émanciper les femmes est prématuré tant soit peu, dans cet excellent pays de sapience et de civilisation progressive, où les hommes ne sont pas encore émancipés. — Avec un homme de bonne foi [FP. : le « f » est en partie caché par une tache] il est possible de s’entendre. Tous ces graves débats se réduisent donc à une question de

115 25/05/23 02:32

Page 116: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

temps et d’opportunité. Eh bien ! affranchissez les prolétaires : est-il dit quelque part qu’ils ne doivent pas un jour avoir un sexe et des droits reconnus ? Et pourquoi ne nous serait-il pas permis de croire que le moment est proche où les femmes et le peuple, se donnant la main, doivent ensemble franchir cette dernière barrière qui les sépare de la sainte égalité ?

Mais, pour cesser de croire à l’urgente nécessité d’une rénovation sociale, il faudrait que l’on vînt à me prouver que l’humanité n’a pas une marche ascendante, et doit s’arrêter à la charte-vérité. Oh ! alors, ne poursuivant plus une chimère, je pourrais, comme M. Ch. Nodier, pour me distraire du présent, sourire de pitié aux efforts infructueux et à la chute de ces quelques femmes libres citées par lui, qui dans tous les temps ont pressenti l’avenir, et devancé leur siècle.

SUZANNE.

—————

Nota. Dans le prochain numéro, nous donnerons les noms des compagnons de la femme, nouvelle et sublime chevalerie que notre dix-neuvième siècle, si froid, si sceptique ne comprendra pas, mais qui, nous l’espérons, aura des résultats immenses.

*S’adresser au Bureau de l’Apostolat tous les jours, excepté les dimanches et fêtes,

chez madame VOILQUIN, rue Cadet, n. 26 et 28.

(Affranchir les lettres et envois.)

SUZANNE, Directrices.

MARIE REINE,[FP. : une accolade figure ici]

———————————————————————————PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, no 54.

116 25/05/23 02:32

Page 117: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

I, 14 [FP. : notation manuscrite écrite en violet]

LA FEMME NOUVELLE.(p. 169)

TRIBUNE

DES FEMMES.

—————

VÉRITÉ. UNION.

Notre bannière étant à la peine, il est justequ’elle soit à l’honneur. (Jeanne d’Arc.

[FP. : la parenthèse n’est pas fermée]Egalité [sic]entre tous de droits et de devoirs.

————

APPEL AUX FEMMES.

Plusieurs dames ayant refusé d’écrire dans ce journal, parce que ce titre d’Apostolat, qu’il portait, était une solidarité qu’elles ne pouvaient accepter ; et ne voulant en (p 170) rien gêner le développement des idées sociales, nous avons décidé qu’à l’avenir cette petite feuille s’intitulerait : Tribune des Femmes.

Une place libre sera accordée à chaque opinion, à chaque pensée de femme. Chez nous, point de censure ; c’est sous cette nouvelle forme que nous faisons un appel aux femmes capables de comprendre leur siècle. En

117 25/05/23 02:32

Page 118: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

vérité, que se passe-t-il donc de si grand, de si élevé, qui puisse nous intimider, et dont nous ne puissions parler ? Serait-ce de cette ténébreuse politique de protocoles et de déceptions, dont nous ne devrions point nous mêler ? Je crois qu’il y a motif pour les femmes de parler sur tout, car tout influe sur leur bonheur. Elles sont liées à tout.

Et sur la morale, les femmes n’ont-elles rien à dire ? Se contenteront-elles toujours de protester secrètement, et pour tranquilliser leur conscience, d’ajouter tout haut : « La morale est divine ; depuis des siècles on s’en contente : c’est l’arche du Seigneur ; gardons-nous d’y porter une main sacrilége [sic]. » Mais vraiment il ne faut pas être une profonde logicienne pour se tenir ce simple raisonnement : DIEU a donné à tous ses enfans une loi générale pour les guider, pour les conduire au progrès. Si elle est complète, si les hommes l’ont bien traduite, bien expliquée, elle doit convenir à tous, tous doivent la suivre également avec amour.

Que les faits seuls répondent. D’où vient donc qu’une protestation violente, énergique, désordonnée, a traversé les siècles, à côté de cette même loi morale trop étroite, trop absolue pour satisfaire à toutes les individualités ? protestation faite, non-seulement par les hommes qui, tous les jours, violent eux-mêmes la loi qu’ils ont faite, mais aussi par une immense quantité de femmes. C’est donc au nom d’un seul DIEU dont nous sommes tous les enfans, que je supplie les femmes de s’occuper de ces (p 171) graves questions. Que les bases de la morale, les relations des sexes fixent principalement notre attention ; ne nous contentons pas, comme les gens superficiels, de constater les effets ; remontons aux causes pour guérir le mal à sa source. Notre esprit est trop éclairé pour songer encore aux catégories ; il ne doit plus y avoir parmi nous de parias.

SUZANNE.

DE L’AFFRANCHISSEMENT DE LA FEMME.

(SECOND ARTICLE.)

Pour répliquer ici à une réponse que les femmes nouvelles ont faite à notre premier article, nous répéterons seulement qu’il ne faut pas confondre le christianisme et la loi de la nature, erreur qui d’ailleurs donne assez le secret de la force chrétienne, car cette force consiste à avoir si bien compris la nature humaine en plusieurs points qu’elle en semble inséparable. On a beaucoup parlé dernièrement contre les désordres de nos temps ;  il semblait que la société fut livrée à l’immoralité. Repoussons ces erreurs. Sans doute il reste à améliorer, sans doute il est encore des victimes innocentes, mais ces peintures

118 25/05/23 02:32

Page 119: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

exagérées, loin d’encourager la hardiesse des vrais réformateurs l’ont glacée, car ils voulaient s’appuyer sur la vérité. Les femmes qui dans leur conduite ou leurs écrits avaient montré le plus de courage, ont été arrêtées par les égaremens des sectes (p 172) naissantes ; et elles en ont mieux compris la beauté des religions qu’on attaquait. C’était une disposition favorable pour rechercher les principes, car ces femmes étaient désormais calmes et impartiales.

Il est sans doute plus profitable pour les personnes qui veulent changer l’ordre actuel de l’attribuer au christianisme qu’à la nature même, car on a vu périr les religions, et la nature est éternelle.

Les religions se sont occupées de deux choses, du ciel et de la terre, du devoir religieux et du devoir social, elles ont appris à l’homme ce qu’il avait à apprendre : à vivre et à mourir. Or, bien que la morale chrétienne, rapportant tout au ciel, commandât une humilité et un détachement des choses de la terre qui ne conviennent plus en tout à nos temps, cependant, elle consacrait le mariage et la famille. En cherchant à affranchir la femme et à améliorer la morale, il faut donc bien distinguer ce qui vient du christianisme et ce qui tient à la nature même, que le christianisme respecta. Si nous contemplons l’homme jeté ici-bas, nous verrons qu’il a des besoins , des qualités, des souffrances, une destinée, et par conséquent une morale indestructible que les religions ont forcément admise dans tout l’univers. Toujours l’homme naîtra de l’union de l’homme et de la femme, toujours son enfance sera débile, toujours la femme qui le nourrit de son lait aura besoin que l’homme l’aide et travaille pour elle. Si la civilisation allège par des moyens factices la condition de l’homme, cette condition s’améliore sans changer. L’enfant s’attachera à sa mère, à ses frères, il aimera sa famille, c’est son devoir, mais c’est son penchant, admirable accord que la nature met toujours entre nos devoirs et nos penchans, et dont la société n’a pas assez suivi l’indication. Le jeune homme grandit ; sa curiosité s’éveille ; il veut apprendre ; c’est le moment aussi où c’est son devoir d’étudier. Il a (p 173) dix-huit ans, il est agité, il veut aimer, ici que lui dit la nature ? La langue des hommes n’a point d’expressions assez charmantes, assez pures, assez fraîches, pour rendre ces premières émotions à leur éveil. Quand le jeune homme aime de toute son âme, il engage son avenir, son éternelle foi, il veut des jours et une vie remplis d’un même objet ; c’est le mariage qu’il rêve en un mot. La femme rêvera bientôt la maternité, la famille ; elle pleurera de tendresse en voyant son faible enfant dans les bras de son jeune époux : ici point de contrainte ; les devoirs vont avec l’exaltation mème [sic]: c’est ainsi qu’a travaillé la nature, travail qui indique un sublime auteur. La morale consiste à consacrer ses instincts sacrés. Elle les a forcés souvent, souvent elle les a méconnus. Le ciel nous donnant les instincts et nous laissant l’honneur de les régler, a mis la sûreté du côté de la nature, laissant la morale sujette aux erreurs comme au perfectionnement des hommes.

Dans l’enfance des sociétés, comme dans les classes grossières, la morale n’a qu’à consacrer les instincts de la jeunesse ; les sentimens de l’homme peu développés permettent à ses premières années de décider pour sa maturité : les anciens législateurs ont ordonné avec justice la sévérité du mariage ; les Romains ne connurent le divorce qu’en perdant

119 25/05/23 02:32

Page 120: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

leur simplicité primitive, et si vous consultez le genre humain à sa source, dans les classes villageoises, vous le trouverez en général, chaste, pieux et calme, au nord comme au midi de l’Europe.

Mais quand les sentimens de l’homme se développent, quand il connaît la délicatesse, le goût, la passion, alors les instincts de sa jeunesse ne sont que l’éveil du développement qui va suivre : il vit désormais, et sa richesse témoigne sa vie. Ici la morale doit s’élever, se compliquer avec lui. Et si du sein de cette société qui s’éveille sortent de [sic] êtres supérieurs, doués doublement, agités par le talen [sic] (p 174) séduits par l’intelligence, qui ont besoin du beau dans leur existence, dont les illusions sont faciles parce que l’imagination est grande, les difficultés seront encore plus nombreuses. Chose singulière ! La nature indiquait la fidélité par le caractère même, par l’exaltation des passions ; les chrétiens ont consacré le principe avec tant de force qu’ils ont flétri les femmes qui y manquaient, proscrivant le divorce. La société romaine, avec un aussi grand respect du principe, avait admis toutes les exceptions : ainsi Pompée divorce d’avec sa femme Mutia, parce qu’elle s’était donnée à César durant sa guerre de Mithridate, et Mutia bientôt trouve un mari d’une maison meilleure que celle de Pompée. César ôte sa fille Julie à Quintus Servilius Cœpio, pour la donner au même Pompée dont il voulait l’alliance. Cicéron après de longues années quitte Térentia, qui est épousée par l’historien Salluste, et qui s’allie encore deux fois après à des familles illustres. Tullia enfin, fille de Térentia et de Cicéron, épouse successivement trois maris. Ces femmes n’en restaient pas moins les premières dames de Rome, les grands hommes ne faisaient pas difficulté de les épouser, et si César renvoie Pompeïa seulement pour un soupçon, c’est que le soupçon tombe sur sa femme, car plus tard il songe à épouser Cléopâtre. Sans doute, les Romains allèrent trop loin, mais ne doutons pas que des lois plus tolérantes ne retinssent les nations du midi. Les hommes passionnés, comme les nations du soleil, gardent peu de mesure, parce qu’on leur a donné des règles trop sévères. On appareille moins facilement les belles perles que les pierres communes ; si les hommes et les peuples passionnés aiment plus, s’enchantent et se désanchantent [sic] plus facilement, leurs affections dignement fixées sont immuables et fortes ; c’est chez les hommes comme Alfiéri, et chez les peuples comme l’Italie, qu’on trouve les plus beaux attachemens.

(p 175) Quand la nature, éveillée par la culture, par le talent, prend l’essor, pourquoi la morale ne le prendrait-elle pas ? Quoi ! la nature m’élève au beau ; la morale me tient à terre. Que la morale me suive et consacre des devoirs plus beaux, des liens plus saints. — Pourquoi choisissiez-vous ? dit-on. — Demandez : — Pourquoi viviez-vous ? — La vie nous presse, les circonstances ne nous secondent pas : nous, femmes surtout, nous, renfermées, assujéties ; nous aimons ce qui nous entoure ; au temps de choisir nous sommes engagées. Et si mes paroles causent de l’épouvante, qu’on se rassure : car, en parlant pour quelques exceptions, nous avons admis le type et le culte d’une fidélité éternelle. Dans l’unité des affections consiste la beauté de la vie : qui peut avoir aimé et l’ignorer ? Qui n’a versé sur le changement du cœur des larmes amères et sans consolation ? Qui n’a trouvé la lumière du jour trop payée à ce

120 25/05/23 02:32

Page 121: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

prix ? Nul législateur ne serait plus saint, ni plus austère que l’amour même : il est la source des délices et des douleurs, il respire la vertu. N’est-ce pas l’amour que Platon nommait une entremise des Dieux avec la jeunesse ? Pourquoi rejeter cette leçon que la nature nous a donnée partout, d’appuyer le devoir sur le penchant ? La vertu doit être facile, si notre morale atteint jusqu’à l’ordre suprême. Efforçons-nous de l’atteindre, sans l’espérer, bien sûres qu’en développant la sensibilité, la délicatesse, la passion, nous travaillons pour le devoir. Les passions, dans leur innocence, sont lentes à naître, lentes à grandir, lentes à changer, et quand elles sont belles et bien dirigées leur nature est immortelle. Notre vieux monde a appelé ces vérités des illusions ; grâce au ciel il y revient aujourd’hui. Que s’il restera à jamais des combats, des chagrins sur la terre, réduisons-en le nombre à sa valeur, sans l’augmenter par nos chimères.

(p 176) Au lieu d’effrayer le genre humain, le réformateur des temps modernes devra le rassurer, comme faisait Jésus-Christ. Il donnait foi en eux-mêmes aux pécheurs ; il ne leur disait pas : Vous êtes perdus ; il leur disait : Croyez. Sa parole habituelle, celle qui sortait à tout moment de ses lèvres bienfaisantes, qu’il adressait au malade, à la femme, au coupable, c’était : — Va, ta foi t’a sauvé. — Oui, la foi seule nous sauve, cette foi dans Dieu, dans nous-mêmes, dans la durée des affections, dans la bonté des hommes, foi d’autant plus sûre qu’on la réalise en la prêchant ; nous ne doutons pas de nous-mêmes dans la solitude, au fond de la conscience ; nous en doutons parmi les hommes qne [sic] l’ennui ou l’oisiveté ont gâtés. Que ces salons futiles et d’une immoralité, osons le dire, si bête, entendent tout-à-coup la voix d’un grand homme : qu’il soit Luther prêchant l’austérité ; qu’il soit Bonaparte appelant au mépris de la mort, à l’honneur des combats : vous verrez ces hommes oubliant leurs légers sacriléges [sic], vivre en saints ou mourir en héros. Pour les relever il ne faut qu’une voix puissante, qu’une âme plus forte que la leur. Sachons-le, et au lieu d’aller poser les règles d’après les déchus, posons-les d’après les maîtres.

D’après ceux qui unirent la hardiesse et la modération, car dès que l’homme éprouve l’émotion de la vertu il devient intolérant ; il n’en veut pas savoir plus ; il a trouvé une vérité ; il ne comprend que son propre cœur. Ce n’est point ainsi que nous voudrions travailler. En adorant l’Évangile comme un livre éternel, nous repousserons le mariage absolu et l’assujétissement de la femme, que ce livre semble consacrer : c’était sans doute ce qu’il fallait dire au temps de Jésus-Christ. Respectant les longs et savans travaux de l’Eglise [sic], nous détesterons la rigueur, nous verserons des larmes de sang sur ces vierges immolées dans les tortures du couvent ; sacrifice (p 177) impie qui se renouvelle encore au-delà des Pyrénées et des Alpes.

Nos émotions religieuses nous porteront vers les philosophes du dix-huitième siècle comme les bienfaiteurs du monde et les serviteurs de Dieu. Nous ne rejetterons pour maître aucun homme qui aura travaillé au bonheur et à la gloire du genre humain. Nous appuyant pour relever la femme et l’homme de tous les travaux du passé, nous confondrons saint Jean et Voltaire, deux précurseurs de la lumière. Nous tiendrons pour nos

121 25/05/23 02:32

Page 122: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

protectrices sainte Thérèse et madame de Staël, car à toutes deux Jésus-Christ eût dit que la foi les avait sauvées ; toutes deux furent calomniées et supérieures, dignes des hommages du monde, et victimes d’un rang inférieur par le sexe, quand leur génie les plaçait au premier.

GERTRUDE.

P 55 [FP. : notation manuscrite écrite au crayon à papier]

EXTRAIT DE LA CORRESPONDANCE.

MESDAMES,

Je dois à une de mes amies la précieuse connaissance de votre journal la Femme nouvelle. J’avoue avec franchise que j’ai éprouvé une joie vive en voyant votre parole indépendante et fière s’élever grave et majestueuse au milieu du silence de toutes les femmes, au milieu de (p 178) l’étonnement général. Depuis assez long-temps j’avais rêvé l’émancipation de la femme ; mais j’avais toujours pensé que sa voix seule aurait assez de puissance, assez de force et de chaleur pour convaincre, entraîner les esprits et faire aimer la foi nouvelle.

L’égalité de l’homme et de la femme, voilà le principe que posèrent naguère des hommes éminemment religieux. A vous, Mesdames, la gloire de la faire triompher ; bien des hommes vous comprennent, bien des femmes vous écoutent, elles vous suivront bientôt, elles voudront aussi s’asseoir au banquet de l’association et de l’égalité ; car l’isolement les étiole et les accable ; car elles comprennent que leur dignité est froissée et avilie. Il faut donc une sainte résurrection, digne de tant d’efforts, digne de tant de vertus et de si hautes qualités…..

Liberté aussi pour la femme comme pour l’homme !Liberté ! que ce mot magique a de charme ! qu’il est doux ! qu’il est

enivrant ! Comme il doit faire battre délicieusement vos cœurs de jeunes femmes, comme il doit exalter votre esprit et exciter votre enthousiasme ! Peuple si beau, si aimant, si sensible, si délicat, laisse tomber tes chaînes, brise les liens qui te meurtrissent et paralysent tes plus nobles facultés ; vois apparaître dans la Femme nouvelle le drapeau de ton émancipation ; regarde aussi vers le ciel, tu verras aussi une étoile rayonnante qui annonce le nouveau Messie apportant d’une main l’égalité, et de l’autre la liberté ; plus de maîtres, plus d’esclaves, plus d’exploitation ; union, amour, liberté, voilà l’avenir qui se montre à l’horison [sic] si beau, si frais, si riant….

Femmes privilégiées, vous ne mourrez plus accablées sous le poids de l’ennui, de la satiété, de la monotonie et de la prison ; de nouvelles émotions vous attendent, de nouvelles amours rendront la vie à vos cœurs blasés, de nouvelles voluptés titilleront vos fibres engourdies ; bien

122 25/05/23 02:32

Page 123: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 179)de jeunes hommes soupirent à l’écart, qui vous tendront la main quand, libres enfin, vous aurez échappé à la geôle des hommes égoïstes et jaloux. Oh ! quelles seront douces et embaumées ces unions libres ! Quelle félicité dans ces sympathies mutuelles.

Et toi, fille du peuple, relève la tête avec fierté, secoue la poudre qui recouvre ton front, sois resplendissante de joie, tu ne sera plus trompée par tes amans, tu ne seras plus vendue à la débauche au teint pâle et cadavéreux ; on ne te verra plus le soir passer comme une ombre le long des murailles impures, offrir ta couchette aux passans. Il y aura des joies enivrantes pour toi, de l’amour pour toi, de vrais amans pour toi, et non des maîtres brutaux, des maris jaloux et despotes ; on ne te jettera plus de la boue au visage, car tu seras belle et l’égale des autres ; tu n’auras plus de remords, car tes plaisirs seront sanctifiés par la religion et l’amour ; tu ne tendras plus la main, car tu seras rétribuée selon ton travail ; tu ne frauderas plus la nature, car tu seras fière d’être mère, et la société, glorieuse de tes enfans, les adoptera. Oh ! oui, jeune fille, espère un avenir meilleur ; désormais tu seras comprise, car celui qui te dira : Je t’aime, n’aura pas intérêt à te trahir ; tu seras libre d’étudier son caractère, ses goûts, son esprit, son cœur et son amour ! Si tes sympathies s’éteignent, si, gracieusement mobile et changeante, tu rencontres dans la vie un cœur qui réponde mieux aux désirs de ton cœur, une âme qui comprenne mieux ton âme, un esprit qui saisisse mieux ton esprit, une organisation qui s’harmonise mieux avec ton organisation, tu iras à sa rencontre, tu presseras sa poitrine contre ton sein et tu l’aimeras d’un amour toujours pur, toujours chaste, car cet amour sera vrai et profondément senti. Il n’y a crime que la servile obéissance que le cœur désapprouve. La mobilité n’est pas un (p 180) vice ; c’est une passion naturelle qui naît de l’âme et qui tient aux plus fortes organisations, comme aux organisations plus faibles, plus débiles.

Je vous demande pardon, Mesdames, si j’ai été entraînée par un mouvement d’exaltation ; j’espère cependant que vous m’en voudrez pas, si, comme toutes les âmes généreuses, j’ai cédé au désir de faire retentir ma faible voix pour l’affranchissement de mon sexe. Déjà trop long-temps le fort a exploité le faible ; c’est l’heure de sonner le tocsin pour l’affranchissement du peuple et de la femme. A [sic] peine âgée de 22 ans, je vous ai dit naïvement toute ma pensée : si j’ai mal compris, si j’ai mal dit, c’est ma faute, je me soumets à votre critique ; si, au contraire, j’ai dit vrai, s’il y a quelque mérite dans ce que je viens d’écrire, c’est à vous, Mesdames, que je le dois, car ce sont vos paroles qui ont fait vibrer mon cœur et qui ont échauffé mon imagination.

Vous ferez de ces lignes l’usage qui vous semblera convenable. Recevez, Mesdames, etc.

L. B.

123 25/05/23 02:32

Page 124: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

PLAIDOYER DE M. DESJARDINS.

Certes, bien des écrits ont été publiés pour la défense des amis du peuple, mais de tous ces plaidoyers le plus éloquent et celui qui a été le mieux compris par le peuple, (p 181) parce qu’il est aussi le plus exact, est celui de M. Desjardins, prononcé à la cour d’assises. Nul mieux que lui n’a su faire ressortir les souffrances plébéiennes, chargé par ses co-sociétaires de défendre la brochure qu’ils avaient publiées sur le choléra ; il a su justifier aux yeux de tous l’immoralité de nos codes qui ne savent que frapper les délits ou les crimes, sans pouvoir les prévenir, parce qu’ils ne sont point fondés sur un sentiment religieux ; c’est-à-dire satisfaisant les besoins de tous.

D’une exactitude désespérante pour ceux dont l’optimisme prend sa source dans une position exceptionnelle pour les oisifs ; enfin (puisqu’il faut les nommer par leur nom ) que sa voix était belle alors, que s’inspirant des souffrances dont son cœur était déchiré, il a montré aux juges une à une les angoisses, les tortures et les privations de la vie du pauvre, quand il s’est écrié : « le peuple meurt ! parce qu’il est nu ! »

« Le peuple meurt, parce qu’il a faim ! « Il passe par les charges et le fléau de la guerre étrangère, qu’il

supporte presque à lui seul ; c’est son coup de lance dans le flanc. (Allusion à J.-C.) Je pourrais pousser plus loin la ressemblance et vous frapper de la comparaison, le prolétaire est véritablement l’homme d’agonies.

Jurés ! est-il besoin, pour vous le prouver, de marcher devant vous dans les sabots crottés, dans les sabots ensanglantés du prolétaire ? dans ces sabots où son pied, desséché par la maladie et la misère, se raidit enfin par la mort ?….. Dites-le moi, je vais le faire. »

Homme de conviction, sa brillante défense a été couronnée du succès ; les prévenus ont été acquittés ; …. mais si M. Desjardins a si bien dépeint les souffrances du peuple, le Saint-Simonisme ne peut-il pas en revendiquer aussi sa part, sans prétendre rien retrancher de la gloire et du dévouement de M. Desjardins pour la classe pauvre ; on peut (p 182) dire qu’il règne dans tout son discours une teinte de Saint-Simonisme telle que les passages les plus brillans pourraient se placer à côté des pages éloquentes des Barrault, Laurent, et autres qui aussi ont travaillé de toute leur force à l’émancipation du prolétaire.

Eux aussi (le monde, j’aime à le croire, commence à le reconnaître), eux aussi ont su toucher les plaies du peuple pour en obtenir la guérison ; ils ont de plus que M. Desjardins soulevé le voile de plomb qui refoule les deux classes les plus intéressantes de l’espèce humaine, le peuple et la femme.

Et pourtant on ne peut révoquer en doute aujourd’hui qu’après les Saints-Simoniens, il est de ces hommes dont le cœur bat largement dans une poitrine de feu, des RÉPUBLICAINS enfin, qui comprennent que l’heure de l’affranchissement des femmes et du peuple va bientôt sonner ; qui les retient encore ? d’où vient qu’ils ne se prononcent pas ouvertement comme les Saints-Simoniens pour l’émancipation de ces deux classes ; d’où vient qu’ils laissent dans leur saint enthousiasme de liberté la femme se débattre seule sous le lien si pesant des préjugés, que l’homme dans

124 25/05/23 02:32

Page 125: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

son fol orgueil a depuis tant de siècles fait peser sur elle, eh quoi ! la liberté est femme, elle préside à toute idée noble et généreuse et ceux qui se déclarent ses défenseurs ; [FP. : problème de ponctuation] croyaient avoir assez fait pour elle en brûlant sur son autel quelques grains d’encens !.. Arrière, ceux qui pensent ainsi, mon cœur de femme ne peut leur donner le doux nom de frère, car je sais quelle est pour une républicaine la valeur de ce mot. C’est parce que nous voulons substituer une loi d’amour forte, puissante, énergique ; même que nous sentons que le temps est venu d’y coopérer activement, non comme la vassale de l’homme, mais comme son égal.

MARIE G.

——————(p 183)

Après 4 mois de détention, le PÈRE ENFANTIN a de nouveau reparu devant des juges, comme prévenu d’avoir réuni plus de vingt personnes dans son jardin de Ménilmontant ; de nouveau il a fait entendre à l’auditoire étonné ce langage si élevée [sic], si religieux, encore une fois il a enseigné les juges. Je n’essaierai point de le traduire, je craindrais de défigurer sa pensée, il semblait par sa grande conception sur Dieu planer sur les destinées du monde. Peut-être n’a t-il pas été mieux compris que lors du premier procès, mais il a été mieux écouté, son caractère religieux s’est fait sentir à tous. Aucun sourire, aucune interruption ne sont venus arrêter le développement de sa pensée.

Comme depuis quatre mois aucun de ses enfans n’avait pu pénétrer jusqu’à lui, tous se sont empressés, et même quelques dissidens, de le précéder à la cour royale pour le voir et l’entendre.

C’est un fait très-remarquable, dans ce siècle glacé de septicisme, que le dévouement et la confiance que cet homme a su inspirer à tous ceux et celles qui se disent ses enfans.

Michel Chevalier également en cause et maître Baud, son avocat, ont tous deux battu en ruine l’article 291 avec talent et bonheur, ils ont prouvé l’impossibilité et l’absurdité de vouloir s’opposer aux associations, que c’était là le progrès, la marche des choses ; que vouloir s’y opposer c’était aller contre la volonté de Dieu même.

Le jury, espèce de loi vivante, s’est élevé deux fois contre la lettre morte de cette loi, en prononçant deux verdicts d’acquittement dans cette journée : le premier en faveur de M. Desjardins, jeune républicain plein de force et d’énergie, le second en faveur du PÈRE ENFANTIN et de Michel Chevalier.

SUZANNE.

————

(p 184)Voici les noms des compagnons de la femme, qui se sont embarqués

avec Barrault le 22 mars, pour porter en Orient une parole d’affranchissement.

Barrault, chef de la mission :

125 25/05/23 02:32

Page 126: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Rigaud, Urbain, Toché, Tourneux, David, Alric, Granal, Decharme, Depray, Carolus, Jour, Cognat. S’il nous parvient d’autres noms, nous les donnerons successivement.

*

Le 15 avril, le bureau de la Tribune des Femmes sera transporté rue de Bussy, no 37.

S’adresser à madame VOILQUIN.

(Affranchir les lettres et envois.)

SUZANNE, Directrices.

ANGÉLIQUE,[FP. : une accolade figure ici]

———————————————————————————PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, no 54.

126 25/05/23 02:32

Page 127: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

/ns. 7881/226 [FP. : notation manuscrite visible qu’en partie]

n o 15 [FP. : notation manuscrite écrite en rouge]

LA FEMME NOUVELLE.(p. 185)

TRIBUNE

DES FEMMES.

—————

VÉRITÉ. UNION.

Notre bannière étant à la peine, il est justequ’elle soit à l’honneur. (Jeanne d’Arc.)

Egalité [sic] entre tous de droits et de devoirs.

_______

CONSIDÉRATIONSSUR LES IDÉES RELIGIEUSE DU SIÈCLE.

(Marche ! Sa voix le dit à la nature entière.)

127 25/05/23 02:32

Page 128: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Pour nous, qui cherchons et trouvons la vie dans la foi en DIEU,Notre espoir et notre confiance dans la nouvelle ère reli- (p 186) -

gieuse que nous annonçons, ne serait pas aussi vive qu’il serait encore très-consolant pour nous de voir combien la tendance du siècle porte chacun à s’occuper du sentiment religieux ; la société tout entière cherche dans cette grande pensée DIEU une nouvelle poésie, sous l’inspiration de laquelle elle puisse de nouveau traverser les siècles.

Mais avant de parvenir à l’association universelle et d’atteindre à l’unité religieuse, quel chaos il faut débrouiller et reclasser ! quelle anarchie les trois siècles de critique qui viennent de s’écouler n’ont-ils pas laissée dans les idées !

Cette diversité de croyances sur les attributs à donner à DIEU se fait mieux sentir partout où les hommes s’assemblent et se font enseignant [sic], par exemple, dans la société progressive de civilisation. On peut y juger (le samedi, jour consacré aux séances religieuses) de la divergence des opinions, et, chez tous les professeurs, de leur faible conviction dans la foi qu’ils enseignent. Ce sera M. Châtel, continuant et popularisant l’œuvre de démolition de Luther, mais ne réédifiant rien, ne prouvant rien, sinon que l’édifice catholique tombe de vétusté ; que cette grande hiérarchie est dissoute pour avoir failli à son divin mandat, qui était de protéger la classe la plus nombreuse et la plus pauvre.

Ensuite, quelques docteurs protestans, méthodistes, etc., qui, sans doute pour justifier de titres progressifs qu’ils se donnent, s’en tiennent à l’aumône pour soulager et élever les peuples ; et pour répondre dignement aux besoins du siècle, admettent, comme chose reconnue nécessaire, la subalternité de la femme et la résignation dans le mariage chrétien.

Un cours de judaïsme, tenu par M. Michel Berr, semble le plus en harmonie avec le titre de la société, puisque le professeur fait un pas et veut entraîner ses co-religionnaires jusqu’au christianisme.

Mais des femmes, en est-il question dans cette grave as- (p 187) -semblée ? Point ; ces Messieurs, forts savans sans doute, là comme partout, continuent à se donner mission d’interpréter seuls la parole du Christ. Depuis que notre égalité avec l’homme est proclamée par une nouvelle religion, et que d’une voix faible nous osons en réclamer les conséquences, il est curieux de voir tous les hommes retourner au christianisme, non par conviction que c’est la loi définitive de DIEU , mais par la frayeur qu’ils ont de voir ces idées de liberté germer dans nos cœurs, et d’être forcés, par suite de cette révolution morale, de venir, comme firent autrefois les seigneurs, dans cette mémorable nuit du quatre août, déposer sur l’autel de l’égalité leurs titres de propriété extorqués par la force sur la faiblesse.

C’est sans doute sous la préoccupation de ces pensées, qu’un jeune légitimiste disait dernièrement devant moi : « Nous, hommes de la Gazette, nous croyons à l’infaillibilité du pape, en tant qu’il s’appuie sur les conciles, et que les décisions des conciles sont formulées d’après l’évangile ; nous croyons aussi que la liberté de la femme, que vous réclamez avec tant d’insistance, ne se conciliera avec sa dignité, et ne se trouvera que dans les unions indissolubles. » Aussi en sommes-nous à récuser l’autorité et les décisions de vos papes et de vos conciles ! Ils ont

128 25/05/23 02:32

Page 129: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

toujours interprété l’évangile d’une manière si absolue, que ce niveau, qu’il fallait subir, rappelait au plus grand nombre les tortures du lit de Procuste. Qu’ont-ils prêché aux femmes dotées par DIEU d’une imagination brillante, enthousiaste, d’un caractère léger, changeant ? La résignation, l’abnégation, la patience en vue d’un ciel mystique. Mais, en vérité, un ruisseau dont on interrompt le cours formera plutôt torrent ailleurs que d’obéir à une main inhabile. Ainsi advint, Messieurs, de votre règle, depuis que l’église chrétienne déclara que la chair c’était le péché, prêcha la mortification ; depuis, dis-je, que cette loi fut donnée (p 188) pour règle morale, toujours à côté il y eut protestation énergique, protestation qui s’exprimait par la douleur, par le désordre, par ces mille divorces cachés et frauduleux, l’adultère ! Les catholiques romains, ayant assis leur dogme sur l’absolu, ne peuvent que nous indiquer la combinaison du mariage chrétien comme ce qu’il y a de mieux pour notre bonheur, pour notre dignité ; mais pour un grand nombre d’hommes et de femmes, le mariage sans le divorce n’est qu’une chaîne pesante et insupportable : ….. et l’église a horreur du divorce ; …… ils ne veulent pas faire un pas vers l’avenir, tout marche cependant. Aussi les absolutistes sont-ils dépassés depuis long-temps, non-seulement par la loi légale, qui est cependant elle-même très-circonscrite, mais par cette foule innombrable d’individus prompts à laisser de côté des institutions qui leur semblent oppressives, et croyant suivre la loi de nature en ne gardant ni règle, ni limite ; c’est ce qui produit dans la société cet affligeant spectacle de dissolution morale, qui n’est, après tout, qu’une indication pressante de changer l’ordre actuel, une prière aux gouvernans de transformer des institutions vieillies et incomplètes. Écoutez cette voix prophétique du poète, ne nous crie-t-elle pas :

Marchez ! l’humanité ne vit pas d’une idée !Elle éteint chaque soir celle qui l’a guidée.Elle en allume une autre à l’immortel flambeau.

(LAM.)

Courage ! donc, le temps marche pour les femmes comme pour le peuple, dont la cause est une. Laissons les hommes de la Gazette accomplir lentement leurs progrès ; pour le moment ils sont trop absolus pour tenir compte des nouveaux besoins que chaque période amène.

Ne nous arrêtons pas davantage auprès des manteaux reblanchis des chevaliers du temple ; leur formule de mariage (p 189) est toujours celle-ci : « Jeunes filles, méritez par votre indulgente bonté, par votre douceur, par votre soumission, l’amour et la protection de votre époux, et l’honneur d’être admises au rang des servantes du Seigneur. » Fuyez, femmes, ici vous n’aurez jamais de place ; le dieu Terme s’est posé sur le seuil du temple ; l’Evangile [sic] saint Jean, dans toute la pureté du texte, doit servir de code religieux aux hommes jusqu’à la fin des siècles. Laissons les aveugles nier la lumière, plaignons-les et passons.

Dans cette nomenclature d’hommes se disant religieux, expliquant, commentant l’Evangile [sic] de JÉSUS, n’oublions pas de mentionner les néochrétiens, hommes du mouvement, mais restant cependant

129 25/05/23 02:32

Page 130: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

spiritualistes purs, et croyant, comme tous les hommes dont nous avons précédemment parlé, aux deux principes du bien et du mal ; du reste, leurs principes, leur dogme ne sont pas encore bien formulés. Au moins ces hommes peuvent arriver, car ils marchent. La lettre tue et l’esprit vivifie, disent-ils ; cette maxime des pères de l’église, dans les mains de ces nouveaux réformateurs, coule à fond les textes qui sembleraient le plus s’opposer aux progrès du siècle. Ils disent encore que JÉSUS n’ayant rien dit contre l’égalité de l’homme et de la femme, il n’y a pas de raison pour qu’à notre époque, où l’intelligence s’est développée aussi rapidement dans l’un comme dans l’autre sexe, cette égalité ne soit pas hautement reconnue. Certes, à notre point de vue, se [sic] sont des hommes très-remarquables, et nous reviendrons sur ces nouveaux théologiens.

Il y a encore par le monde un homme qui interprète aussi le christianisme, mais d’une manière plus favorable pour notre sexe : c’est M. Jamme de Laurance, l’auteur d’une brochure intitulée : les Enfans de Dieu ou la Religion de Jésus. L’énorme différence qu’il y a entre lui et la cour de Rome consiste dans la liberté morale qu’il veut nous donner sans règle ni limite, ce qui, avec le mystère qu’il ad- (p 190) -met, et ne devant rendre compte de nos actes qu’à un Dieu tout mystique, nous conduirait droit à un grossier et dégoûtant pêle-mêle ; d’ailleurs ce n’est point là faire de l’association, ce n’est point reconstituer une société qui croule de toute part.

Avec M. de Laurance nous n’avons pas une importance sociale bien déterminée, mais cette liberté complète en amour amènerait cependant de grands résultats. Selon lui, la famille doit reposer sur la maternité ; il dit, pour justifier son système, que la paternité est une croyance, que la maternité seule est une certitude.

Comme l’auteur n’est pas saint-simonien, mais paraît au contraire tant soit peu féodal, n’admettant pas le règne de la capacité ni l’abolition des droits héréditaires de la naissance, il fait, pour être conséquent, descendre les héritages par les mères ; assurément ce système, quoique incomplet, est fort avantageux pour nous ; j’ai foi qu’une partie entrera avec une morale nouvelle et reconnue hautement dans la religion de l’avenir, et que le principe de la maternité deviendra une des lois fondamentales de l’Etat [sic]. La société de l’avenir reposera, non pas sur le mystère, mais sur la confiance ; car le mystère prolongerait encore l’exploitation de notre sexe ; la publicité, la confiance devront former les bases de la nouvelle morale.

En disant ma pensée aussi librement sur une question de cette gravité, je ne suis pas inconséquente aux restrictions que j’ai faites antérieurement ; depuis, un grand nombre de femmes ont compris comme moi ce qu’il y a d’avenir dans ce système (modifié par nous) ; forte de leur adhésion, j’ai pu dire hautement ce que moi-même j’en espérais.

Quoique la plupart des hommes avancés restent à côté de la question, tous sentent cependant que pour asseoir la société sur des bases solides, il faut harmoniser le sentiment et le raisonnement ; mais comment s’y prendre ? Malheureu- (p 191) -sement presque tous cherchent à

130 25/05/23 02:32

Page 131: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

reconstruire le nouveau temple avec les matériaux usés du passé ; ils ne voient pas, les aveugles, que trois siècles de critique et de démolition de toute sorte ont trop bien prouvé que le système du passé est insuffisant pour régir l’avenir.

L’humanité n’est pas le bœuf à courte haleine, Qui creuse à pas égaux son sillon dans la plaine, Et revient ruminer sur un sillon pareil ; C’est l’aigle rajeuni qui change son plumage,Et qui monte affronter, de nuage en nuage,

De plus hauts rayons du soleil.(LAM.)

Mais au milieu de cette anarchie religieuse, de ce besoin d’une foi nouvelle, de cette société si pauvre de conviction, un fou sublime (comme l’appelle notre Béranger), SAINT-SIMON, vint donner au monde ce grand principe comme base de la loi d’avenir :

« La femme et l’homme forment l’individu social. » Une simple formule ! aussi le monde ne s’en émeut point ; le comte de Saint-Simon est galant, dit-il légèrement, et l’on passa outre. Mais comme depuis, au prophète, au philosophe méconnu, succéda des disciples dévoués, une hiérarchie d’hommes capables, se reconnaissant un chef religieux ; et que cet homme, le premier de tous, attachant sa vie au développement de ce germe fécond en résultats, déclara que la plus haute manifestation de DIEU sur terre est la femme et l’homme, que sa volonté réside en eux, que tout doit donc se résoudre par eux ; oh ! alors, une ligue masculine se forme de tous les possesseurs de femmes ; chaque petit despote trembla dans sa petite forteresse ; alors aussi les mots d’immoralité, de communauté sortirent de toutes les bouches intéressées à conserver l’ordre actuel ; les théories d’appel du père furent anathématisées sans examen ; la société le punit de ne nous avoir pas fait notre part de li- (p 192) -berté, d’avoir hautement dit aux hommes : « La femme est votre égale ; vous n’avez pas le droit de la juger ; à elle seule de me dire si j’ai bien sondé les plaies de l’humanité, et si l’indication du remède propre à faire disparaître toutes ses misères est convenable et salutaire. »

C’est pour les femmes, pour leur émancipation, leur bonheur à venir, que le PÈRE ENFANTIN supporte les injures, la pauvreté , la prison ; il appartient aux femmes qui le comprennent de le réhabiliter, de le glorifier. Pour le moment, la meilleure manière pour agir sur ce monde, trop prévenu pour être juste, est de le lui faire connaître, de répéter, de vulgariser ses pensées.

C’est donc autant par ce motif, que pour compléter ces considérations religieuses, en mettant en regard des croyances du passé le dogme saint-simonien ou la nouvelle conception religieuse, consignée entièrement dans les paroles que le PÈRE a prononcées le 8 avril dernier à la cour d’assises, que j’en vais rapporter quelques fragmens.

« J’ai dit : DIEU PÈRE ET MÈRE de tous et de toutes, parce que cette simple parole renferme notre foi religieuse.

Pour vous la faire comprendre, j’en appelle à vous-mêmes ; et je ne parle pas seulement à ceux d’entre vous qui portent en eux une pensée

131 25/05/23 02:32

Page 132: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

religieuse, je m’adresse à ceux mêmes qui seraient plongés dans le scepticisme le plus raisonneur, ou dans l’athéisme le plus aveugle ; je parle à tous.

Je vous le demande donc, lorsque le nom sacré de DIEU est prononcé devant vous, quels attributs rappelle-t-il à vos esprits ? quelles vertus réveille-t-il en vos âmes ? Ne sont-ce pas les attributs de l’homme, les vertus mâles seulement, que toujours et partout votre cœur d’hommes divinisent ?

Or, réfléchissez, je vous prie, car je voudrais ici me faire bien comprendre.

(p 193) A [sic] la différence immense qui existe entre l’homme qui ne voit en son DIEU que les attributs et les vertus de l’homme DIVINISÉS, et celui qui y sent encore, poétiquement élevées à une puissance INFINIE, les grâces et les vertus de la femme.

Oh ! c’est bien par une conception miraculeuse de l’esprit, mais de l’esprit de l’homme, que la FEMME occupe déjà en MARIE une aussi belle place dans la foi chrétienne, dans cette foi qui adore DIEU le PÈRE, DIEU le FILS et DIEU le SAINT-ESPRIT.

Mais ne voyez-vous pas que tout cela est toujours mâle et sombre comme la solitude ; que tout cela est pesant et froid comme le marbre du tombeau ; que tout cela est sévère comme une croix ?

Or, nous disons, nous, DIEU PÈRE et MÈRE, et je vous affirme que celui d’entre vous qui communiera d’espoir et d’amour avec notre DIEU, qui n’est pas seulement bon comme un PÈRE, mais qui est aussi tendre comme une MÈRE ; j’affirme que celui d’entre vous qui communiera avec LUI et avec ELLE, aura revêtu, par cela seul, une vie nouvelle.

Car l’humanité et le monde, TOUT lui apparaîtra sous un aspect nouveau ; car ses sentimens, ses pensées et ses actes ne seront plus les mêmes ; car son amour, son esprit et sa chair même seront transfigurés.

Et voilà pourquoi nous vous paraissons si extraordinaires ; voilà pourquoi la passion qui nous anime, les idées que nous semons par le monde, les actes que vous nous voyez faire, tout jusqu’à notre parole, et notre costume, et nos figures mêmes, tout en nous est marqué pour vous d’un caractère étrange.

C’est que nous ne vivons pas de la même VIE que vous ; c’est que notre DIEU n’est pas le vôtre ; c’est, je vous le répète encore, et je veux que l’étrangeté de ma parole (p 194) grave mieux en vous ma pensée ; c’est que notre DIEU, IL n’est pas seulement bon comme un PÈRE, ELLE est aussi tendre comme une MÈRE ; car Il est et ELLE est le PÈRE et la MÈRE de tous et de toutes.

......................Oui, certes, nous avons un but politique, car nous avons une foi religieuse qui nous dit ce que DIEU veut des sociétés humaines ; nous formons donc une association POLITIQUE et RELIGIEUSE…

Eh quoi ! ne serait-il donc plus permis d’espérer un avenir autre que le présent ; un avenir de paix, d’union, de travail et d’amour, au lieu de ce présent de partis et d’émeutes, de haînes [sic] et de sang ! Mais d’ailleurs, quelle est donc cette foi politique dont la propagation paraît si effrayante ? Messieurs, la voici :

132 25/05/23 02:32

Page 133: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Nous avons foi que DIEU ne fera cesser les haînes [sic] politiques qui vous déchirent tous, la misère et l’ignorance qui irritent les travailleurs et les poussent à l’émeute, l’oisiveté qui ronge les classes riches et éclairées, et leur apporte l’ennui, le dégoût et la peur ; enfin l’athéisme et l’égoïsme, cette double lèpre qui couvre le monde de douleurs sans espoir, et d’immoralité sans remords ; nous avons foi que DIEU ne fera cesser toutes ces choses que par les FEMMES.

Oui, je vous le dis encore, DIEU ne vous enverra la PAIX, l’ordre et la liberté que vous cherchez en vain parmi vous, HOMMES, que par les FEMMES.

Telle est la foi politique qu’au nom de mon DIEU, PÈRE et MÈRE de tous et de toutes, j’ai donnée à des hommes qui, pour cela, m’ont nommé le PÈRE, et qui appellent et attendent la MÈRE. Telle est la croyance qui a donné espoir à ces cœurs généreux, souffrant des maux de la grande patrie, des douleurs de la famille humaine ; qui leur a donné espoir, parce qu’ils ont senti que le bonheur de tous pourrait et devrait s’obtenir pacifiquement et progres- (p 195) -sivement, sans violence et sans ruse, en invoquant le secours de DIEU, dans sa manifestation vivante de douceur, de paix et de beauté, en invoquant les FEMMES. »

Enfans de six mille ans qu’un peu de bruit étonne,Ne vous troublez donc pas d’un mot nouveau qui tonne ;D’un empire ébranlé, d’un siècle qui s’en va :Que vous font les débris qui jonchent la carrière ?Regardez en avant et non point en arrière :

Le courant roule à Jéhova.(LAM.)

SUZANNE.

DEUXIÈME RÉPONSE A [sic] MADAME GERTRUDE.

C’est au nom des FEMMES NOUVELLES que j’entreprends à mon tour une discussion pour répéter avec elles : Affranchissement, femmes, affranchissement !

Le ralliement à notre religion nouvelle est tout-à-fait [sic] dans ce cri : si l’on commence à entendre quelques échos parmi le monde, nous devons les recueillir les premières, et nous approcher des femmes courageuses qui nous tendent la main. Aussi, sera-ce avec le plus grand plaisir que, pour commencer, je m’adresserai à madame Gertrude, en la priant de vouloir bien relire avec moi le second article qu’elle nous a envoyé. J’ai besoin de lui montrer que toutes les objections qu’elle nous a faites jusqu’à présent, elle les a résolues elle-même, à mesure qu’elle réfléchissait sans doute en écrivant.

(p 196) Ainsi, madame Gertrude a soin de noter dès ses premières paroles, qu’il ne faut pas confondre le christianisme et la loi de nature ;

133 25/05/23 02:32

Page 134: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

que c’est là une ERREUR QUI DONNE ASSEZ le secret de la force chrétienne : mais elle s’en va plus loin nous reprocher de ne l’avoir pas partagée, cette erreur, et elle nous dit qu’il est sans doute plus profitable, pour les personnes qui veulent changer l’ordre actuel, de l’attribuer au christianisme qu’à la nature même ; car on a vu périr les religions, et la nature est éternelle.

Beaucoup de religions sont passées, parce qu’en effet la nature était plus forte, et elles n’ont pu exister cependant qu’à la condition d’en représenter une ou plusieurs faces. Quand même nous penserions que notre religion nouvelle dût un jour périr, nous l’embrasserions également avec ardeur, à défaut d’autre encore plus grande, sûres que nous sommes alors de rendre service à l’humanité. Mais, puisque nous voyons notre religion basée sur l’actualité et le progrès, pourrait-elle jamais contrarier la nature ? Oh ! nous avons l’avenir pour nous, car la nature est éternelle.

Madame Gertrude nous a si bien comprises d’ailleurs, qu’elle nous donne le meilleur conseil en ajoutant : En cherchant à affranchir la femme et à améliorer la morale, il faut donc bien distinguer ce qui vient du christianisme et ce qui tient à la nature même, que le christianisme respecta. C’est parce que nous en avons profité, que nous trouverons ici l’occasion de lui répondre relativement à ce partage régulier que nous faisons entre les caractères, sous les noms de mobilité et de constance. Les jeunes gens se prennent à dix-huit ans d’un amour capable d’être satisfait : on en convient de part et d’autre. Les voilà qui s’épousent, et je demande maintenant s’il n’arrive pas tous les jours que l’on voit tels individus se développer plus que tels autres, soit par le corps, soit par l’intelligence. Les voilà qui s’épousent encore une fois : l’amour restera fidèle, si les développemens physiques (p 197) ou moraux sont les mêmes dans les couples ; l’amour s’en ira vite, si ces développemens sont irréguliers. Le mariage absolu peut donc conduire à deux fins, au bonheur ou au malheur, tout en partant d’un même point, c’est-à-dire de l’inclination. Il y a des remèdes pour le corps ; n’y en aura-t-il pas pour l’esprit ! Le christianisme n’en ayant pas donné, ne nous étonnons pas si Mahomet s’est élancé de la Mecque à Constantinople, et que le croissant se soit placé à côté de la croix ; que Luther l’ait ébranlé par son protestantisme ; que Voltaire l’ait tué par son scepticisme ; et que la révolution française ait produit l’anarchie ; et que Saint-Simon soit venu nous appeler à la réforme. Pour nous aussi, la morale consiste à consacrer les instincts humains : mais madame Gertrude ne s’aperçoit pas que ces instincts conduisent aussi bien à la mobilité qu’à la constance, car elle s’écrie : Dans l’unité des affections consiste la beauté de la vie. Je la prie instamment de méditer sur l’expérience, et d’examiner autour d’elle s’il n’y a pas des personnes qui ont été heureuses en amour, non-seulement une fois, mais deux fois ou même trois fois. Je lui recommande en même temps de ne plus nous renvoyer à Platon, car j’ai ouï-dire que le grand philosophe, tombant dans un excès opposé, était le professeur exclusif de la mobilité amoureuse, à tel point qu’il demandait la communauté des femmes pour sa nouvelle république. Du reste, il faut bien rendre justice à notre aimable critique, quand elle devient encore inconséquente avec elle-même, pour nous avouer la nécessité parfois remarquable du divorce ; elle va jusqu’à chercher des preuves dans

134 25/05/23 02:32

Page 135: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

l’ancienne Rome, en faveur d’hommes tels que Cicéron, César, Pompée, qui, certes, savaient bien ce qu’ils faisaient ; et elle les cherche, nonobstant les tristes regards qu’elle jette en passant sur les coutumes primitives des Romains, sur cette simplicité tant vantée par beaucoup, et si peu désirable pour bien d’autres. En tout cas, que l’on ad- (p 198) -mette la mobilité et la constance à la fois, ou que l’on admette seulement la constance, je ne crois pas que le familisme soit moins fort sous un rapport que sous l’autre. Au contraire, par cela même qu’il n’y aura plus de déshonneur pour les sexes d’avouer tous leurs penchans, on ne se tourmentera pas pour un titre douteux de paternité ; partant, les liens du cœur, de l’habitude et de la reconnaissance seront tissus inviolablement. On a parlé beaucoup, en effet, sur les désordres de nos temps : ne soutenant pas qu’ils n’ont point été exagérés, je dirai que quelque peu qu’on en suppose, ce sera beaucoup si l’on parvient à quelque chose de mieux encore. Mais c’est aux véritables réformateurs de parler, à la condition de ne jamais sentir leur hardiesse glacée, parce qu’ils sont les véritables. Comme on le voit, nous serons les premières à nous poser des règles, surtout d’après les maîtres, et non-seulement d’après les déchus. Toute expérience est bonne.

Alors, si nous répétons avec madame Gertrude : Honneur aux philosophes du dix-huitième siècle ! nous lui demanderons à confondre nos émotions religieuses dans l’appel nouveau pour l’affranchissement de la femme ; et si nous placons [FP. : y a-t-il une cédille ou une petite tache noire sous le « c » ?] saint Jean à côté de Condorcet, nous prendrons de concert, pour protectrices, sainte Thérèse et madame de Staël, l’esprit et la chair, la constance et la mobilité.

A. I.

DE L’ESPRIT D’ASSOCIATION.

Pour les personnes qui examinent aujourd’hui l’état de la société, un fait doit leur paraître remarquable, c’est la tendance de tous les esprits à se porter vers l’association : ce (p 199) fait est d’autant plus remarquable que nous sommes dans une époque de dissolution où [FP. : le « u » est en partie effacé] tout s’en va, mais où tout va se reconstruire ; car, comme on l’a dit bien souvent, rien ne meurt , mais tout se transforme ; cela est une preuve que l’ordre de l’avenir devra se reposer sur l’association. En ce moment les hommes de tous les partis s’associent pour faire prévaloir leurs opinions ; nous, femmes, nous avons aussi à répandre nos idées, à faire comprendre que notre ÉGALITÉ avec l’homme, loin de les abaisser, comme quelques-uns paraissent le croire, sera au contraire le gage du bonheur pour tous ; car lorsque partout nous serons admises en égales à côté des hommes, nous apporterons tout ce qu’il y a en nous de puissance, et nous la ferons servir au bien de l’humanité. Mais pour que les hommes en viennent à reconnaître cela, nous avons à nous

135 25/05/23 02:32

Page 136: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

créer puissance morale et politique. Des hommes généreux ont senti que, pour être justes, il fallait que partout les femmes fussent placées comme leurs égales : là-dessus ils se sont mis à prêcher notre égalité avec un zèle et un dévouement qui leur méritent la reconnaissance des femmes. Mais tous les hommes ne sont pas aussi avancés qu’eux ; il en est beaucoup qui nient que jamais nous puissions devenir leurs égales ; nous ne pourrons les faire changer d’idées qu’alors que nous pourrons nous présenter à eux avec des actes accomplis, qu’alors que nous formerons un corps bien uni, ayant toutes le même désir, le même but. Femmes, sentez-le bien, c’est par l’association que nous pourrons parvenir à ce but ; réunissons-nous donc, laissons de côté toutes ces petites rivalités qui trop souvent nous divisent, ne formons qu’un seul corps dont chaque membre agira suivant les idées qui lui sont propres, en rapportant tout à un centre unitaire. Sans doute nous n’en sommes pas encore arrivées au moment si désiré de tous où nous formerons un corps harmonique, agissant sous l’impulsion de chefs à qui nous obéirons avec bonheur, car leur autorité sera toute d’amour. Mais nous pou- (p 200) -vons hâter ce moment en nous unissant ; élevons aussi notre bannière, qu’on voie inscrit dessus : Amour, paix, bonheur, égalité de l’homme et de la femme, car c’est par elle seule que l’amour, la paix et le bonheur règneront sur la terre.

MARIE REINE.

*

Paroles du Père à la Cour d’assises, 8 avril 1833 ; se trouve chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré, n. 8 bis.

Le 15 avril, le bureau de la Tribune des Femmes a été transporté rue de Bussy, no 37.

S’adresser à madame VOILQUIN.

(Affranchir les lettres et envois.)

136 25/05/23 02:32

Page 137: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

SUZANNE, Directrices.

ANGÉLIQUE,[FP. : une accolade figure ici]

———————————————————————————PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, no 54.

137 25/05/23 02:32

Page 138: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

n o 16 [FP. : notation manuscrite écrite en rouge]

LA FEMME NOUVELLE.(p. 201)

TRIBUNE

DES FEMMES.

—————

VÉRITÉ. UNION.

Notre bannière étant à la peine, il est justequ’elle soit à l’honneur. (Jeanne d’Arc.)

Egalité [sic] entre tous de droits et de devoirs.

_______

AUX FEMMES.

Dans un de mes articles, répondant à ceux qui nous accusent de ne savoir ce que nous voulons lorsque nous parlons de liberté, d’égalité, j’ai formulé, quoiqu’en termes très-courts [FP. : problème de virgule] (p 202) ce que, pour moi, j’entendais lorsque je parlais de liberté ; je dis pour moi, car chacune, venant exposer ici ses idées, ne peut accepter la

138 25/05/23 02:32

Page 139: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

responsabilité de celles des autres, et ne peut par conséquent parler que pour elle ; mais je n’ai pas dit par quels moyens je croyais pouvoir l’acquérir. C’est ici surtout pour les femmes que se trouve le plus grand arrêt, car toutes veulent la liberté, mais peu comprennent par quels moyens elles pourront l’obtenir ; et ce n’est qu’en le disant bien que nous répondrons à ceux qui nous accusent de prêcher le désordre, et de venir troubler la société en parlant de changer ses relations morales. D’abord ici se présente un fait que je veux constater, c’est que cette mobilité que vous prétendez bannir existe partout, car elle est flagrante dans vos rues et sur vos places ; et ce n’est pas vouloir l’augmenter que manifester le désir qu’elle s’exerce religieusement, évitant autant que possible les douleurs dont elle est accompagnée aujourd’hui, au lieu de la manière désordonnée dont nous la voyons s’accomplir. Mais auparavant je veux vous présenter quelques considérations sur la position des femmes vis-à-vis de la morale chrétienne. Avant qu’une femme ne nous appelât à la liberté, il s’est trouvé des femmes qui ont senti tout ce que la loi chrétienne avait d’oppressif pour elles. Les unes se sont révoltées ouvertement et, foulant à leurs pieds tous les liens dont on prétendait les enserrer, se sont laissées aller à tout le délire d’un caractère qui, par cela même qu’il avait été comprimé, avait acquis plus de force. Les malheureuses ne réfléchirent pas à tout ce qui pouvait les entraîner sur la route qu’elles suivaient ; elles étaient heureuses, elles se croyaient aimées parce que des hommes venaient tous les jours les flatter de leur encens trompeur ; elles ne pensaient pas que ceux-là qui les avaient le plus flattées, alors qu’ils croyaient pouvoir les faire servir à leur plaisir, seraient ceux-là qui les accableraient le plus de mépris, alors qu’elles auraient passé l’âge de plaire, et la (p 203) plupart vinrent mourir sur la paille ou dans un hôpital, victimes d’une loi qui ne sait que comprimer et nullement diriger. D’autres, sentant aussi tout ce qu’avait d’oppressif la loi sous laquelle elles vivaient, mais sentant aussi tout ce qu’elles pouvaient éprouver de douleur en se mettant en dehors d’elle, s’y soumirent ; et pour celles-là la vie tout entière fut une lutte continuelle et une perpétuelle abnégation, et elles forcèrent ceux-là qui accusaient toutes les femmes à venir reconnaître qu’il en est qui savent comprendre tout ce qu’elles se doivent à elles-mêmes, et savent se faire respecter. Et c’est en présence de toutes ces douleurs qu’on nous accuse d’immoralité, alors que nous parlons de la nécessité de changer cette loi oppressive qui rejette la plupart des membres de la société, qu’elle est appelée à régir, en dehors d’elle, parce qu’elle n’est pas assez forte pour les diriger. Oh ! c’est parce que j’ai bien compris tout ce qu’il doit y avoir de douleur pour ces femmes, que j’élève la voix pour réclamer un changement complet dans notre position. Mais j’ai besoin d’expliquer la différence qui existe entre nous et les femmes qui déjà ont [FP. : saisie du texte scanné : « ont déjà »] protesté. Lorsqu’après les premières, nous élevons la voix pour venir réclamer nos droits, on se figure que nous aussi nous allons venir augmenter le désordre qui déjà est si grand ; mais rassurez-vous, c’est en vue d’une réforme sociale que nous parlons de liberté : aussi ne venons-nous [FP. : saisie du texte scanné : « devons-nous »] pas pratiquer, mais seulement réclamer une nouvelle loi morale. D’ailleurs,

139 25/05/23 02:32

Page 140: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

nous ne pourrions la pratiquer, puisqu’elle n’est pas encore formulée, et qu’elle ne peut l’être puisqu’il ne s’est pas encore élevé de femme assez supérieure pour la faire accepter aux autres. Si nous le faisions, nous mériterions le reproche d’agir dans notre intérêt personnel, car nous nous devons à nous-mêmes de rester dans les limites d’une loi, qui certes pour plusieurs d’entre nous est oppressive, mais que nous devons respecter jusqu’au moment où la loi nouvelle sera formulée ; celles qui en sortiront devront bien comprendre (p 204) qu’elles s’exposent au reproche d’apporter le désordre, puisqu’au lieu d’agir en vue d’une idée sociale, elles ne feront que se satisfaire elles-mêmes, sans servir en rien la cause des femmes et du peuple, puisqu’elles ne feraient que continuer une protestation qui a été faite depuis long-temps. J’écris ces lignes pour ceux qui disent que toutes celles qui ont parlé ou qui parleront de la liberté voudront le désordre : comme je suis loin de le vouloir, je veux dire comment je la comprends. Jusqu’ici je n’ai parlé que de liberté morale ; c’est parce que c’est elle qui, pour aujourd’hui, préoccupe le plus un grand nombre de femmes : pour moi je pense qu’elles sont dans l’erreur ; la meilleure manière pour les femmes d’acquérir la liberté morale, c’est de prêcher pour hâter la réalisation d’un nouvel ordre social dans lequel l’association devra remplacer l’isolement, et où tous les travaux seront organisés de manière à ce que, dans tous ceux que nous pourrons exécuter, il y ait place pour nous ; qu’enfin nous puissions posséder, car tant que nous ne le pourrons, nous serons toujours esclaves des hommes. Celui qui nous donne notre vie matérielle peut toujours exiger qu’en échange nous nous soumettions à ce qu’il désire, et il est bien difficile de parler librement lorsqu’on n’a pas les moyens de vivre indépendante. Ceci nous amène à la réforme complète de la société. Nouveau système d’éducation pour les enfans : c’est une partie de nous-mêmes, et nous devons songer à améliorer leur position aussi bien que la nôtre ; et le nouvel ordre social devra être organisé pour que la mobilité des affections puisse s’exercer sans nuire en rien à leurs intérêts et aux soins qu’ils exigent, c’est-à-dire qu’il y ait providence sociale pour eux. Nouvelle organisation du ménage, reposant sur l’association au lieu du morcellement : aujourd’hui la plus grande partie des femmes est absorbée par les soins du ménage, ce qui est pour elles un esclavage, car cela les empêche de se livrer à toutes les carrières auxquelles elles peuvent être (p 205) aptes ; lorsque l’organisation aura pour base l’association, elle n’emploiera plus qu’une faible partie des femmes, celles seulement que leur goût y portera ; alors les autres pourront se livrer à toutes les directions qui leur conviendront, ce qu’elles ne pourraient faire aujourd’hui sans occasionner de désordre dans leur ménage, car elles ne pourraient plus se livrer à tous les travaux qui reposent exclusivement sur elles. Ensuite, ne l’oublions pas, notre sort est lié à celui du peuple, et notre émancipation ne peut avoir lieu que conjointement à la sienne ; réclamer notre liberté morale, sans nous occuper d’un nouvel ordre social, ne serait-ce pas agir dans notre intérêt seulement, encore mal entendu, car elle ne changerait rien à son sort. Répondre aux femmes qui implorent un remède à leurs souffrances et à celles de leurs enfans, car les femmes souffrent pour leurs enfans souvent plus que pour elles-mêmes, en leur disant : réclamez votre liberté morale ; n’est-ce pas

140 25/05/23 02:32

Page 141: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

ressembler à ceux qui, lorsque le peuple a faim, lui disent : réclamez des droits politiques ; comme si ces droits pouvaient le rassasier et organiser autrement le travail. Certainement je suis loin de croire que l’émancipation matérielle soit tout ce qu’il faille au peuple et aux femmes, je sais qu’il leur faut aussi l’émancipation sociale ; mais, je le répète, l’une ne peut s’établir sans l’autre, car elles sont liées essentiellement et ne peuvent être séparées.

MARIE REINE.

AU GÉNIE L’EMPIRE DU MONDE.

L'intelligence a d'abord disposé de tout : le monde qu'elle a organisé est devenu si fort qu'il s'est soutenu pour ainsi dire tout seul ; les choses organisées ont eu leur force, et (p 206) les intelligences individuelles ont perdu leur première place. Ainsi, les rois étaient des héros, chefs par le génie ; la société a inventé la légitimité pour abréger les travaux. Le vrai chef s'est trouvé étouffé par la foule, obligé à se débattre entre mille entraves pour parvenir. Nul doute que dans les derniers déserts du Nouveau-Monde, là où les Sauvages reculent pour respirer encore l'air primitif et la solitude, le caractère et le courage n'obtiennent mieux leur place qu'à Paris : le plus actif est le maître, et si quelque honneur entoure le fils du dernier chef, c'est par un souvenir pieux, mais pas plus.

La supériorité n'a pas seulement été détrônée, mais modifiée : dans un temps d'ignorance c'est une volonté forte qui la prouvait ; aujourd'hui l'esprit y est pour beaucoup plus. Pourtant la différence n'est pas si grande qu'on croit, et tout homme capable porte dans sa vie, dans ses conseils, le mérite d'un homme d'action, comme un homme d’action a toujours l'intelligence, car comprendre c'est voir ; pour dominer, comprendre, agir, il faut avoir vu ; la volonté peut manquer au penseur, mais non le jugement à l'homme d'action.

La société a donc, pour ainsi dire, échappé aux mains de l'homme ; elle a marché seule, elle a eu ses secrets, ses mouvemens qu'il fallait étudier ; ça est devenu une grande machine avec des lois inévitables.

Mais puisque c'était la domination du talent qui l'avait portée à cette puissance, c'était l'intérêt de la société de préserver le talent dans son sein, de lui rendre par un accord ce qu'il ne pouvait plus atteindre sans difficulté. La société n'a pas tout laissé naître naturellement ; elle a trouvé, inventé, copié : ainsi des évènemens [sic], des traditions, les efforts des hommes, ces mille causes qui se partagent toujours l'influence, avaient donné à l'Angleterre une représentation nationale : qu'a fait la France qui avait détérioré (p 207) la sienne ? Elle a improvisé une représentation nationale, elle a posé les droits, le mode ; tout s'est fait comme si les droits tombaient du ciel.

Or, la supériorité jadis garantissait les siens par la valeur de son bras ; la société qui a hérité d'elle doit lui donner quelque représentation, quelques moyens de se soutenir haut. Ces institutions que l'Angleterre

141 25/05/23 02:32

Page 142: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

nous a données, non-seulement nous ne les avons pas reçues complètes, puisque l'aristocratie ne nous convenait pas et fut supprimée dans notre irritation, mais ces institutions ne pouvaient nous suffire. Il pourrait se faire que des nations, admirant les institutions des nations voisines, les adoptassent pour s'apercevoir ensuite que ces institutions n'étaient pas assez complètes, assez relevées pour elles. La France, contemplant l'industrie de l'Angleterre, sa richesse, ses débats parlementaires, ses lois communales, voulut essayer de tout cela. On ne parla plus que de l’Angleterre, on eut des députés, une vie parlementaire, on s’occupa d’industrie, on fit des lois communales. Qu'arriva-t-il ? que la France ne porta que la moitié de son caractère dans ces choses ; qu'il lui resta des goûts, des impressions, des qualités que les Anglais n'ont pas, dont elle ne sut que faire : sa sociabilité, son amour du théâtre, des lettres, des sciences, son enthousiasme, son esprit de guerre et d'aventure renaquirent bientôt de toute part ; elle comprit que c'était un autre modèle que l'Angleterre qu'il lui fallait, et qu'elle ne pouvait oublier long-temps Louis XIV et Napoléon. Il fallait donc allier la nouvelle liberté à cet ensemble de forces qui compose le caractère français. De même, si l'Italie nous suivait, on la verrait, bientôt attristée, revenir sur elle-même en soupirant, et demander encore à la musique ces impressions vagues et passionnées dont s'animent les populations du Midi. Les seigneurs, dans leur indolence magnifique, le peuple, dans ses rians plaisirs, verraient bientôt que c'est (208) autre chose encore qu'il faut pour développer leur génie. L'Angleterre ayant le mieux su sa route, pratiquée qu'elle était sans doute par la nature de ces qualités qui comportent peu d'illusions, peu d'enchantement, peu d'entraînement, a paru devoir servir de modèle, et sans doute, elle doit en servir sous beaucoup de rapports ; mais les qualités qui ont assuré sa marche la séparent des autres peuples. C'est vers un développement plus animé, plus brillant, plus rempli d'âme et de sympathie que nous fûmes appelés. La France aurait tort de chercher un autre modèle qu'elle-même.

Sa liberté, autant que son bonheur, est intéressée à sa gloire ; car si nous jetons les yeux sur le directoire, par exemple, sur une république sans éclat et sans illustration, nous verrons que ce qui livra la France à l'empereur fut ce réveil de gloire où il appela la France. Elle ne sut pas résister, parce que rien ne la retint.

L'empereur réveilla l'âme par la guerre; on connut le péril, les hasards ; la nation suivit un chef qui la rappelait à elle-même. Mais elle avait encore d'autres besoins qu'il ne satisfit pas. Qu'elle se connaisse donc bien : il lui faut la liberté, l'égalité, la guerre, la science, la philosophie, l'éclat, une destinée digne de sa puissance. Le talent seul, le choix des hommes lui peut donner ces choses ; elle n'acceptera pas plus la grossièreté des masses que la platitude des centres ; si vous lui refusez le culte du génie, elle aura un tyran dans l'avenir qu'elle prendra comme un libérateur.

En appelant l'attention publique sur le sort des peuples, en donnant à tout homme le bien-être où il a droit, en portant secours à l'ouvrier vieux et isolé, en accomplissant les devoirs saints de l'humanité, comme en respectant la prudence des propriétaires et le poids dont ils sont dans

142 25/05/23 02:32

Page 143: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

l'Etat [sic], n'oublions pas que la suprématie est au génie, que (209) lui seul a organisé la société, trouvé les devoirs et ravi les nations.

Du sein de ces masses il faut faire sortir les chefs et les protéger, les affermir ensuite contre le caprice des masses, les inégalités de la fortune. Il faut établir l'autorité du talent comme était établie l'autorité de la royauté et de l'aristocratie. Il ne lui faut ni moins de prestige, ni moins de luxe, ni moins de respect ; car de ce que le peuple est plus éclairé, il n'en aime pas moins la pompe, les fêtes, les délices de la vie. La France, parée tour-à-tour par ses rois, ses révolutionnaires, son empereur, ne peut pas désormais subir le sort terne et glacé des Etats-Unis [sic]. Les peuples gardent la mémoire de leurs jours de triomphe, et appartiennent bientôt à l'homme qui les leur rappelle.

En rendant au talent ce qu'il mérite, on élevera [sic] l'éducation de la jeunesse, formée à l'amour et au respect du beau. Il manque à la jeunesse française une morale publique qui annoblisse [sic] la pauvreté : le peuple est appelé aux affaires, sans principes, sans maximes généreuses ; il pense à l'argent où il a toujours pensé. Il faudrait retremper dans des forges d'or et d'acier ces âmes sans discipline. En obtenant ce qui leur est dû, nos hommes supérieurs deviendront plus simples et plus désintéressés ; émus par leur triomphe, ils déposeront sur l'autel de la patrie les petites passions et les petits calculs. Quoi de plus moral que l'esprit ? il comprend d'abord la vérité ; il n'y a rien à craindre de son empire, surtout s'il ne le dispute pas, s'il peut établir clairement ses découvertes.

D'ailleurs l'élévation des institutions perfectionne le pauvre comme le riche, l'homme capable comme l'homme médiocre. Tous s'améliorent, mais n'oublions pas que la nature donna d'abord l'autorité au talent, et que la société doit la lui rendre avec la protection soutenue qui peut seule la lui faire garder

GERTRUDE.

(p 210)VARIETÉS. [sic]

NATALIE, PAR MADAME DE ***, Publiée par M. de Salvandy.

La mère de Natalie fut mariée fort jeune à un homme qu'elle n'aimait pas, et auquel ses parens la forcèrent de s'unir. La naissance de sa fille l'aida à supporter l'ennui incessant d'une union mal assortie, et la sauva du désespoir

Dans la tourmente révolutionnaire, le baron de Rhedel, son époux, s'exila de la France. Seule avec son nom et sa fortune, madame de Rhedel n'échappa aux proscriptions de cette époque qu'en acceptant la main d'un homme autant influant [sic] qu'estimable. M. d'Anglare, par son active amitié, sut la préserver de tout danger. Elle profita avec joie de la

143 25/05/23 02:32

Page 144: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

promulgation d'une loi moins sévère, moins absolue, le divorce, qui seul pouvait d'une manière morale la soustraire au supplice de se sentir le jour, la nuit, dans tous les instans de sa vie, la propriété d'un l'homme qu'elle n'aimait pas ; elle crut rentrer dans les droits imprescriptibles de la nature, en disposant de sa volonté, d'elle enfin, pour se donner à l'amour.

Cette seconde union fut heureuse jusqu'au moment où le calme, succédant à la tempête politique, rouvrit aux émigrés les portes de notre belle France Ce fut alors que, pour madame d'Anglare, commença une vie de déception et d'angoisses : l'opinion ne lui fut pas favorable. La société, influencée par son premier mari, ses parens même, et qui, d'ailleurs, tendait constamment à reconquérir un passé qui était tout pour elle, rejeta de son sein cette femme dont la conduite justifiait une loi révolutionnaire. Madame d'An- (p 211) -glare ne se trouva plus à la hauteur de sa position ; la faiblesse de son caractère lui fit croire à des remords : elle s'accusa ! elle victime ! Son enfant seul lui fit supporter la vie. C'est dans ces circonstances, et avec ce faible appui, que l'auteur fait entrer en scène la jeune Natalie…. Elle aussi vient de divorcer ; sa mère croyant mourir, pour ne pas laisser son enfant sans guide, lui fit contracter à quinze ans un mariage de convenance ; maintenant elle a dix-huit ans, elle est libre ! Ecoutez [sic] comme sa voie est fraîche et pure pour moduler les rêves brillans de son imagination; car jusqu'à présent elle s'ignore, elle ne sait rien de la vie ; elle n'a point encore aimé ! « Les voilà donc brisés ces nœuds que je détestais ! Elle est rompue cette chaîne pesante qui glaçait ma jeunesse, je suis libre, ma chère Aglaé; la loi compatissante me rend à la société , au bonheur, à moi-même. Quel oiseau échappé de sa cage m'apprendra l'air dont on chante la liberté ! Salut, jour fortuné qui éclaire ma nouvelle existence ; ton soleil est brûlant comme mon cœur, et ton ciel aussi pur que ma joie ! »

Avec le libre exercice de sa volonté, son âme s' éveille, avec sa liberté; pour elle tout va devenir réalité. Elle demande de la vie, de l'amour aux objets inanimés. Son âme jeune sourit à tout, à la parure, aux joies bruyantes du bal, aux charmes d'une société intime. Pauvre Enfant ! avec son cœur aimant et son imagination délirante, elle croit à la possibilité d’un bonheur tranquille et durable ; elle a cru le consolider en disant à sa mère : Place-toi toujours, mère chérie, entre l'amour et moi ; je ne veux jamais le connaître, jamais je ne me remarierai ; et le monde, qui t'a blâmée pour cet acte, me laissera jouir en paix auprès de toi de mon heureuse indépendance. Erreur ! elle ignore, cette jeune Natalie, que la raison d'existence pour la femme est dans notre cœur . Il faut qu'il soit rempli par un sentiment religieux, qui nous exalte au-dessus de l'humanité, ou par la gloire, qui nous (p 212) fait placer notre vie dans les autres, ou bien par l’amour…. Sentiment délicieux, mais qui, s'il n'est tempéré par les deux autres, devient égoïste en rapportant tout à lui, se dévore lui-même, et perd par cela seul la condition de durée. Natalie a dix-huit ans ; elle demande à l'amour le complément de son existence ; ce n'est que lorsque ce sentiment s'est emparé de toutes les facultés de son âme, qu'elle se rappelle que, pour son bonheur, elle doit l'ignorer à jamais. Oh! c'est alors qu'elle sent que la vie n'est pas une fète [sic]

144 25/05/23 02:32

Page 145: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

perpétuelle, et combien notre bonheur dépend du milieu qui nous environne. Elle peut alors juger combien les lois de ce monde sont despotiques et inconséquentes : il établit le divorce, il reconnaît la séparation des époux nécessaire, et flétrit une seconde union. Que fera cependant Natalie de ses dix-huit ans, de sa beauté, de ses talens, de son cœur si passionné ? Tout cela doit-il se détériorer dans l'isolement ? Elle est seule, sa vie n'est point nécessaire à l'existence de personne ; elle souffre ! « Depuis quelques jours, écrit-elle à son amie, un regret amer s'est emparé de mon âme ; j'envie la destinée de toutes les femmes qui ont un mari, des enfans. Comme un anneau isolé au milieu de la chaîne générale, je ne suis liée au sort de personne, et cependant je ne suis pas libre; j'ai cru l'être, mon apparente liberté n'était qu'un piége [sic] trompeur; j'ai cru m'élancer vers le bonheur, mais, au moment de le saisir, je me suis sentie douloureusement enchaînée. »

De la position de ces deux femmes, toutes deux s'étant mises en dehors de la loi commune, l'auteur fait ressortir d'une manière frappante les douleurs qui attendent toute femme qui ne voudra pas courber sa tête sous un joug imposé ; pour celle surtout qui, de même que Natalie et sa mère, n'aurait en vue que de se débarrasser d'un fardeau trop pesant, et n'y joindrait pas une pensée sociale, religieuse, enfin n'aurait pas large conscience de l'acte qu'elle accom- (p 213) -plit ; mais il n'en serait pas ainsi pour celle qui, acceptant une semblable position, aurait pour mobile d'améliorer religieusement le sort de son sexe, en préparant le monde à reconnaître sa liberté morale. Oh ! alors, sans dédaigner la considération, elle se contenterait de la mériter et de l'attendre. Celle qui constamment envisagerait ce but, se plaçant au-dessus des opinions du jour, et les dominant par sa volonté et la force de sa conviction, une telle femme pourrait à son tour tenir le flambeau de vérité qui doit éclairer tout nouveau progrès, le progrès ! livre divin ouvert depuis le com mencement [sic] des siècles, où les humains sont appelés à en comprendre mieux, de jour en jour, les caractères sacrées.

Je ne suivrai pas l'analyse de ce roman dans tous ses développemens. La pensée de toute femme de talent est ce qui m'intéresse le plus ; je la recherche, je l'évoque, je voudrais qu'elle m'apparût toujours grande et progressive.

Est-ce dans ces lignes qu'il faut chercher le résumé de cet ouvrage ? Est-ce encore l'abnégation, la résignation que l'on nous présente comme type des vertus de la femme ?

L'âme de Natalie souffre ; sa mère n'a pas elle-même puissance pour la consoler ; elle donne cette mission à un vénérable prêtre, qui lui adresse ces mots : « Étiez-vous libre, ma fille, pour qu'il vous aimât ? pouvait-il vous prendre par la main, et déclarer à la face de Dieu et des hommes : Je m'unis à cette femme et lui voue un amour éternel ? Loin de là, votre tendresse mutuelle devait être cachée, parce qu'elle était coupable, et si elle eût éclatée [sic], le blâme s'attachait à vous. Ma fille, vous vous débattez en vain contre votre destinée ; elle est pénible, j'en conviens ; il vous faut parcourir votre carrière seule, sans appui, sans consolation, dans l'âge du bonheur: cela ne peut être autrement. Ce mot, il le faut,

145 25/05/23 02:32

Page 146: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

paraît dur ; mais à quoi sert une lutte impuissante pour déranger l'inflexibilité du sort. »

(p 214) Il serait absurde de penser que la volonté qui est sortie des conciles chargés d'expliquer, de commenter le code de Jésus, et qui alors était l'expression du besoin de cette époque, composât encore pour nous , après tant de siècles, l'inflexibilité du sort. En vérité, les premiers chrétiens seraient donc pour nous le destin des païens, un DIEU plus grand que DIEU. Oh, non ! nous ne devons voir son immuabilité que dans sa volonté toute puissante du progrès. S'il n'eût rien fallu changer à l'ordre établi, chaque progrès accompli serait donc un outrage à cette volonté divine. Qui pourrait blasphémer DIEU en soutenant cette pensée impie ? Lorsque l'on veut détruire un abus, une loi oppressive, par cela seul que l'on se trouve dans les conditions du progrès, il n'y a pas de lutte impuissante. Un prêtre chrétien ne pouvait parler autrement ; ainsi le veut l'église ; mais il est impossible que ce soit là la pensée de l'auteur, comme son éditeur, M. de Salvandy, paraît lui-même le croire, lorsqu'il dit dans la préface de ce roman : « Production légère, il traite une des hautes questions sociales de l'époque où nous sommes; mais une opinion austère disparaît sous le charme des détails ; et l'intérêt de l'action, la grâce élégante et pittoresque du style, couvrent les principes de l'auteur sans cacher la moralité qu'elle a voulu attacher à son livre. » Sans doute il est permis à M. de Salvandy de chercher la pensée morale de ce livre dans ces lignes. Mais, comme femme, je préfère croire que l'auteur, femme elle-même, a fortement senti les douleurs qui assiégent [sic] notre sexe, qu’elle a voulu fixer notre attention sur le malheur d'avoir un caractère autre que le type adopté, hors des proportions mesquines que le monde nous a tracées. Pour toute femme comme Natalie, c'est une vie d'amour, de gloire, d'enthousiasme qu'il faut comme complément du bonheur ; ces conditions, la société, telle qu’elle est constituée, n’est pas appelée à les remplir avec son organisation actuelle, le niveau de plomb qu'elle (p 215) passe sur toutes les existences de femmes. Pour toutes ces natures, point de milieu ; c'est le désordre ou la mort. Jusqu'à ce qu'enfin cette société ait pitié d'elle-même; qu'elle ne se suicide plus dans ce qu'elle a de plus gracieux ; que les secondes unions, que l'amour successif enfin vienne comme un soleil bienfaisant ranimer, raviver toutes ces existences étiollées [sic], décolorées ; que ces plaintes touchantes exprimées par Natalie ne soient plus, pour tant de femmes comme pour elle, le chant du cygne : « Ce n'est pas moi qui me suis placée sur une route aride et déserte ; c'est le sort qui m'a condamnée à la suivre, en me donnant un époux que je ne pouvais aimer ; mon voyage eût été également solitaire si je l'eusse fait avec lui ; nous ne parlions pas la même langue ; loin de nous aider, nous nous heurtions, et nous nous rendions malheureux. » Vienne, vienne la religion de l'avenir, belle et vaste comme l'amour infini, recevant dans son sein toutes les individualités, toutes les natures. Oh ! alors, les lois qui auront cette base pour appui ne seront plus répressives, mais préviendront le mal, adouciront les séparations, calmeront les douleurs, empêcheront les haines de naître ou de se propager. Comment cette grande réédification se fera-t-elle ? C'est l'œuvre de Dieu! Que l'homme laisse pénétrer dans

146 25/05/23 02:32

Page 147: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

son cœur le sentiment de l'égalité des sexes, et les résultats ne tarderont pas à se faire sentir à tous. Sans doute le code prendra une toute autre forme, et moi, femme, je ne verrai plus un non-sens ou une dérision dans ce symbole : Thémis tenant les balances de la justice ; les lois seront véritablement l'expression de l'égalité et des besoins de tous. Avant tout, le divorce sera rétabli ; car qui ne comprend maintenant, pour peu que l'on soit avancé dans la science de la vie, qu'il est absurde de contracter mariage sans ce correctif ? Qui peut assurer que quelques années n'opéreront pas une transformation complète dans nos goûts, dans nos désirs, dans nos pensées ? Il est inouï que, (p 216) dans ce siècle de garantie, l'on ne cherche pas à assurer ce qu'il y a de plus noble en nous, l'indépendance de notre volonté. Pourquoi nous garotter [sic] nous-mêmes par des chaînes éternelles, nous créatures finies ? Il n'y a que DIEU qui ait droit et puissance de se poser des lois éternelles.

Dans un prochain article je dirai comment je voudrais que le divorce fût envisagé, comment je le conçois dans l'avenir, pour qu'il soit moral et salutaire.

SUZANNE.

*

147 25/05/23 02:32

Page 148: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Paroles du Père à la Cour d’assises, 8 avril 1833 ; se trouve chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré, n. 8 bis.

Le 15 avril, le bureau de la Tribune des Femmes a été transporté rue de Bussy, no 37.

S’adresser à madame VOILQUIN.

(Affranchir les lettres et envois.)

SUZANNE, Directrices.

ANGÉLIQUE,[FP. : une accolade figure ici]

———————————————————————————PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, no 54.

148 25/05/23 02:32

Page 149: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La Femme Nouvelle.(p. 217)

I,17[FP. : notation manuscrite écrite en violet]

TRIBUNE

DES FEMMES.

—————

VÉRITÉ. UNION.

Notre bannière étant à la peine, il est justequ’elle soit à l’honneur. (Jeanne d’Arc.)

Egalité [sic] entre tous de droits et de devoirs.

_______

MORALE.

(PREMIER ARTICLE.)

Dans le dernier Numéro de la Femme nouvelle (à propos d’un roman, production charmante d’une imagination de femme), j’ai touché légèrement à une question très-grave, (p 218) le divorce. J’ai ajouté, en finissant : « Dans un prochain article je dirai comment je voudrais que le

149 25/05/23 02:32

Page 150: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

divorce fût envisagé, comment je le conçois dans l’avenir, pour qu’il soit moral et salutaire. » Certes, je tiendrai parole ; malgré les difficultés de cette route, je la suivrai, dussé-je passer pour une femme immodeste en osant exprimer une pensée libre sur la morale individuelle ou les rapports des sexes. La cause des femmes, de l’humanité, la cause de DIEU, enfin, ne me verra point faillir. Si, pour me punir de la hardiesse de ma pensée ou de ma parole, la considération due à la pureté de mes actes m’était refusée, je répéterais ce que j’ai déjà dit dans mon dernier Numéro, que, sans dédaigner l’estime du monde, ayant conscience de la mériter, je saurais l’attendre.

Mais, avant de parler du divorce, second terme d’une proposition capitale, puisqu’il n’est que la rupture d’un lien mal formé, il y aurait anomalie dans ma pensée, si d’abord je ne répondais pas à cette première question : Y aura-t-il, dans la société de l’avenir, une sanction sociale donnée à l’amour des individus ? S’il y a affirmation : Quelles seront les formes et la durée du nouveau mariage ?

Depuis plus d’un an, une grande voix, celle du Père Enfantin, a retenti par le monde, conjurant les femmes de résoudre toutes ces importantes questions ; mais sa voix puissante étant elle-même couverte par la clameur générale (clameur qui ordinairement accueille toute vérité nouvelle), les femmes sentirent instinctivement que, loin de lui prêter ou d’en recevoir un appui, leur parole serait repoussée sans aucun résultat pour leur cause. Elles se turent momentanément, et attendirent que la nouvelle religion dont il est reconnu chef suprême par l’élection libre du cœur de ses fils, fût répandue et prêchée au loin, et assez distante de son point de départ pour que cette grande vérité « la femme est l’égale de l’homme ; donc, égalité de droits et de devoirs pour tous deux » pût être envisagée comme chose juste et néces- (p 219) -saire. Mais, depuis, toute terre a reçu le nouvel évangile ; la nouvelle parole de Dieu a été portée jusqu’aux lieux sanctifiés par le fils de Marie ; l’Égypte a retenti du cri d’émancipation pour les femmes. A [sic] leur tour, les femmes peuvent se lever : si leur parole n’est point encore respectée et comprise, elle sera écoutée. Qu’elles se hâtent donc, le monde les attend !

Sans doute, toute femme qui sent l’avenir doit une pensée de gratitude à tous les publicistes, hommes de lettres, romanciers, qui ont tenté par leurs écrits d’améliorer notre sort : respect à tous ces noms d’hommes. La reconnaissance devra nous faire conserver dans nos annales les noms de quelques autres, ceux de Jomme de Laurence, et surtout de Charles Fourier, si puissant par sa riche poésie et son bon vouloir pour notre amélioration matérielle ; honneur à ces deux hommes : ils font, pour affranchir la femme, des efforts qui ressembleraient à un apostolat, si DIEU en était. Mais, tendresse et amour de fille et de sœurs au PÈRE ENFANTIN et à ses fils, nos apôtres. Ce sont là les véritables précurseurs du règne de la femme ; par eux seulement, nos droits sont prêchés par tout l’univers ; par eux et tous ceux qui s’uniront à cette œuvre divine, nous obtiendrons une liberté digne de nous, grande, sociale, religieuse. Alors seulement, la société pourra se rasseoir sur des bases solides et pratiquer le système jugé le plus salutaire au bonheur de tous.

Le PÈRE, en donnant au monde ses théories morales ou plutôt ses pressentimens sur l’avenir, n’a point voulu, comme l’ont fait tous les

150 25/05/23 02:32

Page 151: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

précédens législateurs, encadrer notre volonté dans une volonté d’homme. Oh  non ! par une délicatesse que le cœur de la femme appréciera, et dont je le remercie au nom des femmes qui me comprennent, la liberté qu’il nous offre est comme la confiance qu’il a en nous ; elle est sans limites. « Et maintenant, dit-il après avoir développé sa pensée, si l’on me demande quelle est la limite (p 220) que je pose à l’influence que le prêtre et la prêtresse exerceront sur les fidèles, je réponds : moi, HOMME, moi, SEUL, je n’en pose aucune ; la femme parlera. La liberté pleine et entière, que je lui offre avec toute la franchise de mon cœur d’homme, je veux qu’elle soit libre encore de me la refuser ou de ne l’accepter qu’en partie. » Mais depuis long-temps il avait sondé, de toute la hauteur de son génie, la véritable plaie morale de toute société humaine ; il avait vu la cause de cette grande discordance, principalement dans l’oppression qui pèse partout, plus ou moins, sur la femme ; il l’avait vue dans cet état de mensonge auquel elle est réduite pour rendre sa position tolérable, état négatif où elle n’est jamais elle-même, où le génie peut bien pressentir ce qu’elle sera, mais dont nul ne peut dire maintenant ce qu’elle est. Malgré les répugnances que ses théories morales soulevèrent lors de leur apparition, le PÈRE dut les donner telles qu’elles sont premièrement, pour faciliter l’émission de notre parole, l’expression libre de notre volonté dans le concours de tous les actes de la vie, qui, je le sens, n’aurait jamais pu être franche sans la sublime énergie qu’il a déployée en soutenant sa pensée en face des hommes. Il a dû les donner encore, telles qu’elles sont, pour faire l’éducation des hommes. Quel est celui d’entre tous les plus avancés qui, sans elles, peut dire qu’il aurait conçu notre liberté d’une manière aussi délicate, aussi complète qu’il la conçoit et la veut maintenant ?

Lorsque ma pensée parcourra les mêmes termes que sa pensée, c’est-à-dire lorsqu’à mon tour je sonderai l’avenir, j’examinerai avec ma conscience de femme libre, dégagée de tous liens individuels, de toutes inspirations d’homme, si ses théories d’appel ne sont pas une route vers l’avenir de progrès auquel nous tendons.

A toutes les époques d’anarchie, lorsque les hommes à courtes vues croyaient lire dans les signes des temps la disso- (p 221) -lution de la famille humaine, toujours alors l’existence de DIEU se dévoilait à la pensée de l’homme, plus grande, plus puissante, plus réelle ; toujours, par les hommes les plus avancés, DIEU révélait au monde les nouveaux progrès qu’il voulait voir s’accomplir. Ainsi, sans entrer dans l’examen des religions païennes, examen qui, tout en justifiant cette donnée, m’éloignerait du but d’actualité que ma pensée embrasse, je dirai seulement qu’à toutes ces époques, les fils aînés de DIEU, instinctivement ou avec conscience de l’œuvre à laquelle ils se dévouaient, rassemblant, pour ainsi dire, les manifestations éparses de la volonté divine, la voyant indiquée dans les besoins à satisfaire, dans les douleurs et les misères à faire disparaître, prêchèrent à tous le nouveau pacte d’alliance, indiquèrent la nouvelle route pour s’avancer vers le créateur, vers l’infini. Alors, à ces époques de rénovation, la marche imprimée aux choses ne put s’organiser et devenir possible qu’en vertu et sous l’inspiration d’un sentiment religieux. Les sociétés s’imprégnèrent, dans leurs coutumes, dans leurs lois, dans leurs mœurs, de la pensée divine qui animait les

151 25/05/23 02:32

Page 152: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

révélateurs successifs. Ainsi Socrate pressentit l’unité ; JÉSUS, sauveur des hommes, prêcha leur égalité spirituelle aux yeux de DIEU, et la société catholique s’organisa. De même, à notre époque, où toute foi semble avoir disparu, où toute croyance semble être anéantie, la pensée humaine, pour parvenir à DIEU, n’apercevant plus que quelques sentiers étroits, fait une halte, attendant d’une nouvelle révélation une route plus large pour parvenir à connaître et à accomplir les nouvelles destinées. SAINT-SIMON paraît, annonce l’égalité de l’homme et de la femme. ENFANTIN, qui le suit immédiatement, fait descendre nos droits de plus haut que d’une nécessité politique ; il prêche un DIEU père et mère de tous et de toutes ; et transformant une tribune d’accusé en chaire universelle, de là il s’adresse à tous, et rend ainsi témoignage de sa foi religieuse : (p 222) « Notre DIEU, IL n’est pas seulement bon comme un PÈRE, ELLE est aussi tendre comme une MÈRE ; car IL est et ELLE est le PÈRE et la MÈRE de tous et de toutes. Or, réfléchissez, je vous prie, car je voudrais ici me faire bien comprendre, à la différence immense qui existe entre l’homme qui ne voit en son DIEU que les attributs et les vertus de l’HOMME DIVINISÉS, et celui qui y sent encore, poétiquement élevées à une puissance INFINIE, les grâces et les vertus de la FEMME. Oh ! oui ; c’est bien par une CONCEPTION miraculeuse de l’ESPRIT, mais de l’ESPRIT de l’HOMME, que la FEMME occupe déjà, en MARIE, une aussi belle place dans la foi chrétienne, dans cette foi qui adore DIEU le PÈRE, DIEU le FILS et DIEU le SAINT-ESPRIT.

Ainsi que le PÈRE ENFANTIN, je rends hommage du plus profond de mon âme à la révélation divine que le FILS DE MARIE est venu apporter aux hommes. Sans doute, cette belle et grande religion a préparé le monde, par l’abolition de l’esclavage, à comprendre la nécessité de notre affranchissement complet et définitif. Mais, en présence de la nouvelle conception religieuse, en présence de nos vertus DIVINISÉES, je me sens grandir jusqu’à DIEU ; mon intelligence, mon amour s’élèvent jusqu’à cette divinité BON et BONNE. Rien n’est donc plus en dehors de DIEU ! La femme peut donc attendre un nom, une place dignes d’elle, puisqu’elle peut, comme l’homme, se réclamer de son Dieu pour l’obtenir. Elle n’est plus tirée d’une côte de l’homme, elle ne doit donc plus se confondre dans sa gloire ; elle descend, comme lui, directement de son DIEU, père et mère de tous et de toutes. La femme ! ! quel beau nom elle aura dans l’avenir. Inspirée par son DIEU, elle indiquera elle-même sa place ; elle aura sa vie propre, sa vie de gloire et d’amour, qu’elle unira à une vie de gloire et de grandeur sociale, mais qu’elle ne confondra plus, comme par le passé, dans une autre existence.

(p 223) Appuyée sur un sentiment si religieux, si élevé, pourquoi l’homme, dès à présent, craindrait-il de reconnaître les droits sacrés de la femme, et de lui donner sa liberté ? Il ne peut ni ne doit redouter sa faiblesse, à voir les vertus qui brillent en elle, malgré l’état d’esclavage et de subalternité où elle est retenue depuis tant de siècles. Que ne doit-on pas attendre de sa force morale, de son influence sur une société où elle sera reconnue comme fille de Dieu ; lorsque surtout elle aura pu librement développer les germes du beau, du grand, signes divins de la perfectibilité, que DIEU a placés en elle à un degré aussi éminent que dans l’homme.

152 25/05/23 02:32

Page 153: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Oh ! alors, la femme, cherchant son modèle et son guide dans son Dieu, aura à développer, pour le bonheur de la société, des vertus actives ; elle ne sera plus, comme dans le christianisme, réduite à un rôle passif, idéal de la perfection chrétienne. Et voyez, en effet, dans cette religion : MARIE, personnification élevée de la femme, est, il est vrai, nommée reine des anges, mère de DIEU ; mais on pourrait dire que c’est évidemment une amplification de langage, une politesse des pères de l’église, si, dans une question de cette gravité, il était permis de s’exprimer aussi légèrement ; car les attributs qui rappellent Dieu à leur esprit sont seulement mâles. Marie a de l’influence, mais pas de puissance, mais pas d’action dans le gouvernement des choses célestes ; sa prière est toute puissante sur son divin fils, mais elle prie, elle intercède : par elle-même elle n’agit pas. Le DIEU Père, Fils et Saint-Esprit reste son DIEU ; elle l’adore dans sa gloire comme sa créature ; elle n’est point DIEU ; elle est honorée, mais point adorée. Dans le christianisme, notre place est belle et grande, sans doute ; mais ce n’est point là la sainte égalité réclamée par nous, et qui doit amener le règne de DIEU sur la terre, de DIEU qui, dans son unité, veut être adoré en esprit et en vérité.

Femmes ! avant de pénétrer plus avant dans l’avenir, (p 224) avant de vous parler de théories morales, d’organisation de famille, j’ai voulu vous faire connaître l’opinion libre d’une femme sur l’homme qui s’est nommé à juste titre le nouveau saint Jean, le précurseur de la femme Messie. Cette mission, que DIEU lui a confiée, a tellement lié sa vie au sort de la femme, à son affranchissement moral, intellectuel et matériel, que parler de lui, le faire connaître aux femmes, n’est pas seulement faire œuvre de justice et de reconnaissance, mais c’est rendre facile le développement de notre avenir.

SUZANNE.(La suite au Numéro prochain.)

On nous envoie de province ce petit discours, prononcé dans une

maison d’éducation. Quand le titre de notre journal ne nous ferait pas un devoir de donner publicité à toute œuvre de femme, nos sympathies pour toutes idées progressives nous en feraient une obligation.

DISCOURS

PRONONCÉ PAR LA DIRECTRICE D’UN PENSIONNAT,

A [sic] CASTELNAUDARY.

MESSIEURS,

153 25/05/23 02:32

Page 154: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Je viens vous présenter le résultat des travaux de l’année que nous venons de parcourir. Vous jugerez, par l’examen qui va avoir lieu, du zèle que nous avons déployé pour jus- (p 225) -tifier la confiance dont m’honorent les pères de famille. Persuadée que de la direction seule du sentiment et de la raison, dépend notre sort à venir dans la société, j’ai dirigé tous mes soins vers le département de ces deux facultés. A [sic] l’une nous avons donné pour point d’appui les principes de morale et de religion ; à l’autre, ceux relatifs aux diverses sciences. A [sic] ce mot de sciences, peut-être quelques-uns d’entre vous pourront penser que nous avons ouvert un cours uniquement consacré à l’étude des sciences naturelles. Une prétention aussi exagérée n’a jamais pu entrer dans notre esprit. Notre but a été seulement de faire connaître les généralités des sciences, généralités que je considère comme indispensables aux jeunes personnes destinées à occuper un rang élevé dans la société ; nous avons donc pensé que quelques notions légères de physique et de cosmographie suffiraient pour faire naître, à quelques-unes de nos élèves, un désir prononcé de cultiver un jour avec ardeur une des branches de l’histoire naturelle, en même temps qu’elles contribueraient à élever leur âme vers Dieu, par la contemplation des phénomènes qui se produisent sans cesse autour de nous. Loin de nous, de vouloir confondre les rôles qui forment les caractères distinctifs de chaque sexe. A [sic] l’homme, les brillantes conceptions scientifiques, et l’exécution de ces vastes entreprises industrielles qui, transformant le globe de mille manières, augmentent le nombre de nos jouissances ; à l’homme, les courses aventureuses, et à la femme, dont la complexion est plus délicate, de légers travaux de détail, des idées d’ordre et de paix ; l’administration intérieure du foyer domestique, les soins primitifs de l’enfance. Mais si nous ne prétendons pas que, rivale des Newton, son œil armé d’un télescope détermine l’orbite d’une planète, on cherche dans un laboratoire de chimie à surprendre les secrets de la nature dans la formation et la décomposition des corps ; au moins est-il permis de vouloir, de désirer ce qu’on (p 226) reconnaît généralement en elle, cette puissance d’inspirer les plus grands travaux, de pousser aux actes de dévouement les plus sublimes. S’il ne fallait qu’invoquer le témoignage de l’histoire pour amener à notre opinion ceux qui doutent de la puissance inspiratrice de la femme dans les actes particuliers et généraux, les noms des Véturie, des Aspasie, des Agnès Sorel, Blanche, etc., viendrait à l’instant se placer dans ma bouche pour protester contre de telles inculpations. Mais il ne faut point se dissimuler que cette puissance d’inspiration sera d’autant plus grande et plus régulière, que l’on aura acquis une connaissance plus exacte des choses et des personnes. L’éducation des femmes ne doit donc pas consister uniquement aujourd’hui à manier l’aiguille et le fuseau, mais encore à acquérir des notions relatives au degré de civilisation où nous sommes parvenus. Aussi dans nos enseignemens avons-nous fait en sorte de tenir compte des idées naturelles qui envahissent de toutes parts la société. La première science, celle qui est en quelque sorte la base de l’édifice intellectuel ; celle que l’enfant bégaie sur le sein de sa nourrice, et que plus tard il fait briller à la tribune ou au barreau ; la science grammaticale, en un mot, a dû être l’objet de nos premiers soins, puisque

154 25/05/23 02:32

Page 155: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

c’est elle qui nous fournit le moyen de lier nos idées pour les présenter avec cet ordre et cette clarté qui constituent le bon écrivain. Sans avoir ce caractère de généralité qui caractérise la précédente, la science du calcul est nécessaire à tout le monde, mais indispensable à ceux qui se livrent aux affaires commerciales, ou qui sont placés à la tête d’un établissement quelconque ; nous avons fait en sorte de mettre les principes de cette science à la portée des moindres intelligences. Jeter un coup d’œil sur le passé, pour connaître l’ensemble des faits qui forment la vie d’un peuple ; assister à leurs diverses phases politiques, déterminer la nature de leur gouvernement, puiser dans l’ensemble de tous ces faits des règles de con- (p 227) -duite pour l’avenir, tel est le point de vue sous lequel nous avons considéré l’histoire. Enfin, les sciences naturelles réclamaient une part de notre attention ; leur étude présente tant d’attraits, elle satisfait si complètement le cœur et la raison, qu’il n’est plus permis d’ignorer les propriétés des corps avec lesquels nous sommes sans cesse en relation, etc.

EXTRAIT DE LA CORRESPONDANCE.

MADAME,

L’union des femmes est à mes yeux d’une haute importance, débarrassées de la tutelle de l’homme, elles doivent elles-mêmes travailler à leur affranchissement. Pour être vraiment libre leur parole ne doit point être influencée.

Loin de moi la pensée qu’en faisait son appel à la femme, le père Enfantin ait eu au fond de l’âme le moindre désir de lui faire partager ses idées, non, j’ai la conviction profonde qu’il veut son entier affranchissement ; à mes yeux, il est grand au-dessus de tous les hommes. Mais ce n’est que lorsque les femmes seront associées, lorsqu’elles seront animées d’un même esprit et liées par le besoin commun de sortir de leur abaissement que pourra surgir celle que nous appelons de tous nos vœux, n’est-ce pas nous qui devons reconnaître notre mère ; avant qu’elle soit acceptée par les hommes, serions-nous vraiment libres sans cela ?

D’après cela, vous devez juger, que tout ce qui tendra à (p 228) nous unir sera accueilli par moi avec empressement, et que je sais apprécier les efforts que vous faites pour y parvenir. Votre apostolat, votre journal me paraissent œuvres fort utiles, et qui doivent vous mériter la reconnaissance des femmes.

Ce que nous fesons [sic] ici est peu de chose, l’action est lente sur les hommes, et presque nulle sur les femmes, elles sont esclaves, et se croient au rang que la nature leur a assigné, les hommes redoutent l’effet que nos paroles pourraient faire sur les femmes. Ils ne sentent pas ce que l’amour inspiré par leur égale et éprouvé par leur égale, aurait de préférable, et leur donnerait de plus, de jouissance et de bonheur que celui dont ils honorent celles qu’ils croient crées [sic] pour eux.

155 25/05/23 02:32

Page 156: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

C’est sur Paris que reposent mes espérances, là hommes et femmes sont plus avancés, dans nos petites villes de provinces la vie est si uniforme, si monotone, il existe dans ce moment-ci si peu de liens, soit d’amitié, soit même de famille, que les sentimens s’endorment, l’indifférence s’empare de tous, on ne s’occupe que de riens, on est incapable d’éprouver l’enthousiasme nécessaire pour faire de grandes choses. Ne croyez pas en lisant ce que je vous écris que le découragement s’empare de moi.

156 25/05/23 02:32

Page 157: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Oh ! non, j’ai foi dans l’avenir, je compte beaucoup sur Paris, et je sais l’influence que la capitale exerce sur les provinces. D’un autre côté, je ne renonce pas à employer tous mes moyens à l’accomplissement de notre œuvre, je n’ai qu’un regret c’est d’en avoir si peu de toutes manières.

Recevez, madame,AUGUSTINE.

157 25/05/23 02:32

Page 158: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

AUX DIRECTRICES DE LA TRIBUNE DES FEMMES.

MESDAMES,

Sans être initiée à la vie de femme, sans avoir senti tout ce qu’elle peut renfermer d’ennui et de douleurs, je crois avoir compris le besoin qu’elles ont des idées que vous développez dans votre feuille, relativement à sa liberté.

Assoupie seulement, votre appel m’a réveillée et a détruit l’illusion qui m’aveuglait ; il m’a donné une nouvelle vie, il m’a débarrassé des langes du passé. J’ai interrogé le présent, et j’ai frémi pour l’avenir. Votre œuvre m’a semblé aussi grande que nécessaire ; vous sapez les bases du despotisme, qui, tout puissant qu’il est, doit crouler devant la justice des théories d’avenir que vous présentez.

Sans ces hommes dont le vaste génie a si bien su comprendre notre époque de transitions, quel eût été notre sort, à nous, jeunes filles. Hélas ! le temps nous aurait appris bien cruellement que notre imagination avait rêvé ce qui ne pouvait exister, c’est-à-dire un saint amour fondé sur la tendre amitié et la douce confiance. Non ! non ! l’esprit social d’aujourd’hui ne le renferme pas. Pour moi, trompée dans mon attente, j’aurais reproché à la divinité mon erreur ; ô mon Dieu ! me serais-je écriée, n’est-ce donc pas pour mon bonheur que vous m’avez donné une âme aimante et sensible, ne lui avez-vous pas aussi donné l’espoir (p 230) de compléter sa vie en l’associant à une autre qui sut la comprendre et lui rendre affection pour affection, pourquoi donc, au contraire, la livrer à l’isolement et à la souffrance. Mais il n’en sera pas ainsi, et loin d’accuser l’être suprême, je le remercie de vous avoir fait élever la voix assez haut pour que je l’entendisse ; grâce lui soit rendue ! il m’a privilégiée. Puisse cette préférence devenir rapidement générale, et, loin d’en être jalouse, je l’en glorifierai. Sans votre parole, que ma vie eût été triste et languissante, l’esclavage est pour moi une torture affreuse, il m’aurait assujettie, et comme le roseau, j’aurais courbé la tête, essayant de la relever sans cesse pour la recourber encore, et finir ainsi…..

Quel bien vous me faites, lorsque vous me dites que les femmes ont une volonté et une intelligence égales à celles de l’homme, je sentais en moi toute l’injustice du préjugé qui nous déclare inférieures, et je me disais : comment Dieu, en nous donnant une âme a-t-il pu lui refuser ce qui constate sa force, l’éclaire ; ne doit-elle donc servir d’asile qu’à la sensibilité, source de ses douleurs, et à la résignation. Mais pour nourrir

158 25/05/23 02:32

Page 159: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

cette dernière, ne faut-il pas la volonté du courage, n’est-ce pas une preuve que nous en avons une, qui jusqu’à présent, a été contraire à notre bonheur, se renfermant dans l’abnégation de toute idée d’affranchissement en opposition aux lois rigoureuses injustes même du christianisme.

Maintenant, votre foi, désormais la mienne veut que nous prouvions au monde que la femme est moralement égale à l’homme et le deviendra intellectuellement lorsqu’un système d’éducation moins étroit alors aura rendu raison de la fausseté de cet argument de faiblesse si puissant aujourd’hui : car la femme aussi aura son Dieu pour mère inspiratrice des mouvemens de son âme. La divinité ne doit plus être considérée maintenant comme Dieu exclusivement père de tous, mais bien renfermant les deux natures réunies dans l’Être (p 231) Créateur de tout ce qui est. Accomplissons donc la mission providentielle qui nous est donnée, l’avenir aura pour nous un chant d’action de grâces.

Continuez, mesdames, votre œuvre avec persévérance, et, quoique jeune, j’y travaillerai avec courage, parce que je sens en moi toute la force et la dignité d’un être vivant de la vie d’un Dieu dont l’immensité renferme la nature et l’humanité. Gloire à elle et à lui.

Agréez, etc., CÉLESTINE M…….

______________

Voici les noms des jeunes Saint-Simoniens qui se disposent à partir pour l’Orient, sous le nom de Compagnons de la femme ; ils vont rejoindre la première mission qui déjà a jeté tant d’éclat sous la direction de M. BARAULT : Tamisier, Machereau ; Lamaillandrie, Maréchal, Réboul, Colin, Charpin, Combes.

159 25/05/23 02:32

Page 160: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 232)On nous annonce qu’il va paraître, sous peu de jours, une petite

brochure qui se continuera deux fois par mois, et dont le titre seul est bien capable de piquer la curiosité. Elle s’intitulera le Carnet de Théoginadémophile.

Paroles du Père à la Cour d’assises, 8 avril 1833 ; se trouve chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré, n. 8 bis.

*

Le 15 avril, le bureau de la Tribune des Femmes a été transporté rue de Bussy, no 37.

S’adresser à madame VOILQUIN.

(Affranchir les lettres et envois.)

SUZANNE, Directrices.

ANGÉLIQUE,

160 25/05/23 02:32

Page 161: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

[FP. : une accolade figure ici]

———————————————————————————PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, no 54.

161 25/05/23 02:32

Page 162: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La Femme Nouvelle.(p. 233)

n o 18 [FP. : notation manuscrite écrite en rouge]

TRIBUNE

DES FEMMES.

—————

VÉRITÉ. UNION.

Notre bannière étant à la peine, il est justequ’elle soit à l’honneur. (Jeanne d’Arc.)

Egalité [sic] entre tous de droits et de devoirs.

_______

MORALE.

(DEUXIÈME ARTICLE.)

162 25/05/23 02:32

Page 163: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Dans la société de l'avenir y aura-t-il une sanction sociale donnée à l'amour des individus ?

Les femmes, en m'entendant répondre affirmativement à (p 234) cette question ne m'accuseront pas de penser encore à leur forger de nouvelles chaînes, certes j'ai prouvé combien la liberté m'est chère, combien elle est nécessaire à ma vie.

Je veux pour mon sexe le plus de liberté possible, toute la liberté qui se pourra concilier avec l'influence active moralisante qu'il est appelé à exercer dans la société future ; enfin je veux son complet affranchissement. Mais, dans la vie, il n'y a pas que des droits à acquérir, il y a aussi des devoirs à observer ; donc, pour être progressive, il faut harmoniser sans cesse les deux termes de l'épigraphe que j'ai placée en tête de cette feuille :

« Égalité entre tous de droits et de devoirs. »

Les femmes qui n'envisageront dans cette proposition que la face devoirs, feront de l'abnégation, resteront chrétienne [sic] ; c'est ce qui existe, c'est la morale approuvée, tirée des religions du passé dans lesquelles il n' y avait pas de place pour nos droits ; les femmes au contraire qui ne demanderaient à la société que des droits, ne feraient que de l'indépendance, du républicanisme, et non de la religion ; c'est-là le protestantisme, la partie critique de la morale reçue.

Pour moi qui sent la femme liée à tout comme fille, femme et mère dans la famille, citoyenne dans l'état, élue de Dieu dans le temple, et parcelle de l'infini dans le monde ! Je veux pour elle place partout, une place reconnue, mais réglée, assez large, assez spacieuse pour qu'elle s'y trouve à l'aise, assez belle, assez honorée pour qu'elle s'y complaise.

Que le monde se rassure donc ; avec le sentiment bien compris de nos droits et de nos devoirs, nous nous montrerons grandes et fortes, nous introduirons sans crainte dans la morale du passé le génie de la destruction, et nous saurons d'une main ferme lui tracer une limite. Oui, je le dis hautement, ce n'est pas dans les résultats du vice que je vois la plus grande immoralité, mais bien dans la cause qui le (p 235) produit, dans l'inégalité maintenue entre les sexes, dans l'immobilité principe qui a fait traduire l'esprit de la morale chrétienne et des lois qui en dérivent d'une manière absolue ; donc, la première chose importante a [sic] reconnaître, une fois notre égalité proclamée et ses conséquences admises, c'est la nécessité d'introduire dans tout ce qui est, dans l'industrie, dans la morale, et, par conséquent, dans les lois, l'élément de mobilité qui y manque ; alors on concevra la possibilité de voir se réaliser cette belle prière laissé [sic] par Jésus aux chrétiens: O mon DIEU, que ton règne arrive sur la terre, qu'il y ait ici bas [sic] harmonie comme il y a harmonie dans les mondes célestes. Il faut pour que cela arrive qu'il y ait pour tous les enfans de DIEU place au bonheur , et puisse [sic ? ] qu'il en a doté un grand nombre d'un caractère mobile, changeant, il ne faut pas qu'une société religieuse les déshérite de leurs droits, mais au contraire qu'elle s'organise de manière à pouvoir donner satisfaction légitime à ces différentes natures, sans nuire à l'ensemble ; nos efforts

163 25/05/23 02:32

Page 164: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

doivent donc tendre à trouver les accords qui serviront à composer cette divine harmonie !! Chacune de nous doit donc apporter à la masse d'observation ce que son cœur et son organisation peuvent lui inspirer de pensées d'avenir ; aucune ne doit craindre de dire à tous sa volonté, son espoir ; car de ses diverses manifestations, de toutes ces expressions de sentimens intimes, LA FEMME ÉLUE de DIEU en fera sortir la pensée générale; elle en fera LA LOI, tous croirons [sic], car DIEU aura mis en ELLE, à un degré très-supérieur, une partie de sa beauté et de son amour, et aussi une partie de sa force et de sa puissance, cette femme sera la MÈRE !! Car elle nous donnera entrée dans la vie nouvelle. Notre cœur la désire, notre foi l'espère et l'attend !

Jusqu'à qu'une volonté puissante de femme ait modifié la mienne et m'ait initiée plus profondément dans la connaissance des différentes natures, je continuerai a [sic] croire que la (p 236) réalisation de mes désirs d'avenir suffirait au bonheur de mon sexe ; je vais donc, en sondant ma conscience, achever ma pensé [sic]; si je n'ai point assez dit, la MÈRE me complétera ; puisse un grand nombre de femmes me suivre bientôt dans cette voie nouvelle que je leur trace, et, par de communs efforts, dévoiler hautement ce qu'il y a de sympathie dans nos âmes pour nos mutuelles douleurs, et de force pour les faire cesser.

J'ai dit que je sentais la femme, ainsi que l’homme, tellement liés à tout ce qui est, que je ne concevrais pas l’harmonie, que je croirais retourner à l’état sauvage, si tous les actes importans de la vie ne s’accomplissaient pas sous la protection de DIEU, en face de l’humanité et du monde ; si TOUT ne saluait pas la naissance, comme on salue l’ami au retour d’un lointain voyage ou le réveil d’un objet aimé ; SI TOUT ne souriait pas à l’AMOUR et à sa consécration, comme un cœur joyeux sourit à l’aspect d’un soleil brillant ; si TOUT enfin ne se recueillait par devant [sic] le mystère de la mort, comme lorsque la pensée se plonge dans l’avenir, dans l’INFINI !

Oui, je veux le mariage dans l’avenir plus social que l’église chrétienne, qui consacrait aussi le mariage, mais le maintenait comme état inférieur. La société de l’avenir le regardera comme l’état supérieur, l’état saint dans la vie ; je veux que chaque couple conduit par l’amour au bonheur individuel, travaille alors avec plus d’ardeur à l’harmonie sociale, car pour moi l’amour, tout-à-la fois [sic] stimulant et récompense, ne réside pas seulement dans cet attrait matériel qu’une caresse excite et dissipe presqu’au même instant ; mais, pour qu’il soit normal et saint, il faut qu’il saisisse l’être tout entier, et que cette double force, cette double existence unie l’une à l’autre, mais point identifiée, se nommant alors individu social, soit rappelé par ce titre au sentiment de la grande famille.

(p 237) Sans mariage, avec l’amour libre, système que quelques femmes désirent faire prévaloir et qui n’a pu être conçu, comme j’ai été à même de m’en convaincre, que par des imaginations d’une pureté angélique ou par des imaginations salies, dégradées moralement ; sans mariage, dis-je, je ne conçois pas de société possible non-seulement dans l’état transitoire, mais même dans l’avenir. Pour moi, je l’avoue naïvement, plus rien alors n’est distinct à ma vue ; c’est le chaos, puisque la pensée de DIEU s’en trouve obscurcie. Il faudrait pour établir ce

164 25/05/23 02:32

Page 165: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

système, en suivant même la pensée la plus chaste, la plus sainte, il faudrait que la femme régnât seule, dominât seule, et je suis loin de prétendre pour mon sexe à la suprématie ; je veux l’harmonie, la sainte égalité, l’égalité relative dans tous les degrés de la hiérarchie humaine.

Que les partisantes [sic ? ] de l’indépendance absolue ne se laissent donc point préoccuper par ce qui existe maintenant, par la forme des unions que l’on consacre aujourd’hui ; certes ma volonté n’est pas de les continuer ainsi ; car, dans ma pensée, je compare celles que l’on désigne comme les plus heureuses, à ces longues routes bien droites, bien unies, sans aucun accident pour délasser la vue : et le bonheur en ligne droite m’a toujours semblé chose fatiguante [sic] et monotone ; pour dieu ! un peu d’imprévu dans la vie. Je ne dirai pas : beaucoup varier, mais bien varier : c’est la condition du bonheur et par conséquent du progrès. D’ailleurs, maintenir le mariage tel qu’il se pratique et réclamer pour que l’élément de mobilité prenne rang dans les choses humaines, serait un véritable contre-sens [sic]. Je dis donc, le plus affirmativement qu’il m’est possible, que les unions seront successives, ou, pour rendre mieux ma pensée, PROGRESSIVES autant de fois que le bonheur bien compris des individus rendra ce changement nécessaire.

J’ai besoin toutefois, avant d’aller plus loin, de rassurer (p 238) les femmes timides qui, dans tout, ne voyant d’abord que l’abus se préoccupent d’une crainte vague et rejettent sans examen toute idée d’amélioration. Oh ! sans doute on pourrait craindre l’abus si la société de l’avenir ne formait comme maintenant que des individualités éparses, isolées, sans aucun centre ; lui donner seulement quelques principes généraux et ne pas lui donner de liens pour rattacher, pour unir entre elles toutes ses parties, serait encore faire œuvre dissolvante et non religieuse.

165 25/05/23 02:32

Page 166: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Que ne puis-je, ô ! femmes ! faire passer dans vos cœurs la foi qui m’anime ; toute crainte s’évanouirait de vos esprits comme une vapeur légère aux rayons vivifians du soleil. Si, plus digne interprète de la nouvelle et divine révélation, je pouvais rendre avec vérité dans mon expression cette confiance sur laquelle je m’appuie, cette confiance dans un DIEU père et mère placé en tête de la famille humaine ; DIEU bon et bonne, indulgent pour tous et pour toutes, élisant et donnant à ses enfans pour guides et pour soutiens des couples formés par lui à son image, chargés d’annoncer à tous sa nouvelle parole de grâce et d’amour : « que tous seront successivement appelés et tous successivement élus. » Ces couples élus dans toutes les directions de la vie, ces nouveaux pères et ces nouvelles mères, prêtres gouvernans (dont je parlerai plus tard), seront chargés, d’après le nouveau pacte de la nouvelle alliance, de régler, de diriger et d’élever sans cesse, mais non plus de comprimer comme dans l’éducation du passé ; leurs paroles et leurs actes devront constamment faire comprendre et aimer DIEU dans l’ensemble de son œuvre, dans son unité comme dans sa multiplicité.

SUZANNE.

20 Juillet. (La suite au Numéro prochain.)

166 25/05/23 02:32

Page 167: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 239)MON PASSÉ ET MON PRÉSENT

Il me souviendra toujours, avec la plus vive émotion, de toutes les transformations que mon âme a subies depuis que j’ai traversé le christianisme ancien, à travers les obstacles du catholicisme, pour arriver au Saint-Simonisme et jusqu’à la religion de la mère. O mon Dieu, père et mère de tous et de toutes, combien de remercîmens [sic] à vous faire dans mes prières ! car, en vérité, ils étaient grands les obstacles qu’avait posés devant mon enfance la religion de mes pères, la religion catholique, que j’ai cru si long-temps la même que la religion du Christ. Et comment pouvais-je faire autrement, moi, pauvre enfant, qui n’avais point trouvé dans le sein de ma famille et dans cette société si peu vigilante pour tous ses membres, qui n’avais point trouvé le complément de toute éducation, n’avais point appris l’histoire du monde ni aucune des moindres sciences naturelles ? Mais n’est-ce pas dans ce défaut d’éducation que tombe la plupart des filles du peuple ? n’est-ce pas dans les mêmes idées fausses que tombent toutes les femmes, vieilles et jeunes, depuis si grand nombre d’années ? Les hommes eux-mêmes, qui jusqu'à présent encore sont nos régulateurs et nos maîtres, avaient partagé pendant des siècles nos erreurs, et quand ils s’étaient trouvés désabusés les premiers, ils ne voulaient rien nous découvrir. Au milieu de toutes les ruines qu’ils se mirent à faire en attendant qu’ils eussent reconstruit quelque chose, quelque temple nouveau où nous allassions demander à Dieu le moyen de soutenir dans nos (p 240) cœurs nos espérances instinctives d’un bonheur à venir. Environnée, comme toutes les femmes, de tant de dangers dans la vie, de tant de douleurs sans consolation, de tant de protecteurs cupides sans garantie morale ; ne sachant où déposer les trésors de tendresse et d’attachement qui dormaient inconnus dans mon cœur, je remercie encore la religion de mes pères de m’avoir fourni dans son ciel l’espérance de la fin de mes maux, et d’une récompense si je savais les supporter. Voilà le bien qu’elle m’a fait : pendant long-temps je fus si heureuse d’avoir trouvé cette issue à mes peines, que lorsque j’entendis retentir un jour dans le monde le nom de Saint-Simon, comme celui d’un homme qui voulait refaire la religion, je criai d’abord comme mes compagnes à l’impiété, au bouleversement. Il fallait voir comme je bouchais mes oreilles, tout comme les autres femmes qui ne veulent pas encore nous écouter : mais je ne pus les fermer si bien, à cause des circonstances où je me suis trouvée, qu’un jour il ne m’arrivât pas malgré moi une parole chaleureuse qui m’apprit que ma religion n’était pas profanée ou anéantie, mais qu’au contraire elle était expliquée, étendue et répétée dans les expressions d’un bonheur nouveau. Il ne s’agissait pas de détruire le paradis du christianisme, mais de nous en assurer de plus en plus la valeur et l’occupation ; puis il s’agissait en outre de le faire commencer par nos efforts sur cette terre, suivant la parole du Christ, qui

167 25/05/23 02:32

Page 168: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

veut que la volonté de Dieu soit faite en la terre comme au ciel. Fidèle que j’étais à réciter matin et soir mon pater, ce fut pour moi bien étonnant, car j’y trouvais des choses que je n’y avais jamais comprises. J’écoutai encore d’autres paroles sortant de la bouche des disciples de Saint-Simon, et je me sentis de plus en plus Chrétienne, sans être Catholique, et je devins Saint-Simonienne. Jésus-Christ avait dit d’aimer son prochain comme soi-même : je commençai à aimer autant mon prochain femme que mon (p 241) prochain homme ; je respectai autant la valeur de l’une que celle de l’autre ; j’abandonnai à l’homme sa force physique et son genre d’intelligence, pour élever à côté de lui d’une manière égale la beauté corporelle de la femme et ses facultés particulières spirituelles. Je sentis le besoin que l’une avait de se développer comme l’autre. Je vis dans Dieu la grande image, que le Christ n’avait pas ôtée, de l’homme et de la femme. Ma religion ainsi entendue, le Saint-Simonisme ou le nouveau christianisme me procurait effectivement, et non-seulement par des paroles, le bonheur de tous et de toutes, le bonheur universel. J’y resterai, car la religion la meilleure est la religion véritable.

ANGÉLIQUE.

FEMME AIDE TOI, LE CIEL T’AIDERA !!!

Lorsque la justice, la raison eurent proclamé « les droits de l’homme, » tout ne fut pas terminé là, les hommes s’associèrent pour combattre et anéantir l’ancien droit et l’ancienne justice, qui n’étaient plus qu’une forme vieillie du passé ; ils prirent pour devise « aide-moi, le ciel t’aidera. » Ils avaient RAISON, les novateurs, ils se sentaient forts ; car ils s’appuyaient sur DIEU, sur l’éternelle justice [FP. : le « j » est en partie effacé] ; aussi prouvèrent-ils, par les résultats des révolutions successives, qu’il y a dans le temps des DROITS qui meurent et d’autres DROITS qui naissent ; ou plutôt des formes qui changent, se rajeunissent ; et DIEU, qui de siècle en siècle, d’époque en époque se fait mieux comprendre aux humains.

(p 242) Femmes à l’application, jusques [sic] à quant [sic] le jugement de l’homme aura-t-il force de loi pour vous comprimer ? Jusques [sic] à quand, ô mon DIEU, tes filles feront-elles abnégation de leur moi, et vivront-elles comme une esclave de la vie de leurs maîtres, et non de leur vie propre. Pardonne, ô mon DIEU, pardonne à mon cœur, ardent et désireux de gloire et de liberté pour mon sexe, ces plaintes arrachées par de longs siècles d’abaissemens qui pèsent sur nous, et nous écrasent comme un manteau de plomb : je sais qu’en regard du passé il te reste l’avenir pour répondre ! J’ai foi mon Dieu, et j’attends ; ne dis-tu pas

168 25/05/23 02:32

Page 169: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

d’ailleurs à la femme comme à l’homme : aide-toi le Ciel t’aidera. Mais je le sens, l’homme dominera la femme de sa hautaine protection, tant que, par sa faiblesse, elle-même s’avouera mineure, il la dominera jusqu’à ce qu’elle se sente assez forte, assez grande, assez libre enfin, pour rendre elle-même jugement pour jugement, et prononcer sur tous les faits humains ; jusqu’à ce que relevant la tête, haute et fière, elle dise à son tour comment elle veut que l’homme soit pour lui plaire ; à quelles conditions elle le louera à quelles conditions elle l’aimera. Enfin, lorsque ne laissant plus surtout usurper son plus beau droit par l’homme, elle rendra justice à son sexe, elle se glorifiera dans chacune de ses compagnes de tout ce qui se fera de bon, de progressif, d’avantageux à la généralité.

Femmes, relevez donc vos fronts abattus, approchez-vous de nous avec confiance, de nous qui ne réclamons, pour toute suprématie, que le bonheur de vous faire sentir et partager la foi qui nous anime, cette foi en DIEU, assez vive pour qu’avec joie nous appliquions à notre vie apostolique ce beau vers de Southey :

« Et ceux qui souffrent bravement sauvent l’espèce humaine. »

Dans tous les temps, lorsque les apôtres d’une vérité nouvelle firent appel au dévoûment [sic] humain, les femmes ne manquè- (p 243) –rent jamais de répondre et de se montrer au premier rang ; femmes, venez donc parmi nous, notre DIEU nous promet de nouvelles et brillantes destinées. La liberté, ce droit sacré de disposer de nous-même, nous est rendu ; dans notre nouvelle Genèse nous avons retrouvé nos titres à l’égalité. De par droit divin, nous y sommes reconnues moitié de l’humanité ! Venez ; nous vous convions à préparer avec nous l’association universelle ; plus la tâche semble immense, plus la gloire d’y avoir travaillé les premières sera grande et belle. La liberté, muse chaste et sainte, nous attend au bout de la carrière, disposée, d’après nos œuvres, à nous donner entrée dans la vie éternelle !

Pour se préparer à la vie active, toute femme doit donc étudier les élémens de progrès qui l’entourent, car toutes seront appelées à donner leur voix et à payer le tribut de leur méditation.

Lorsque nous aurons renvoyé au passé des lois, des institutions que depuis long-temps le passé réclame, nous formulerons ainsi en face de la vieille société les droits de la femme : liberté civile et morale, reconnaissance de nos droits à l’éducation et à la fonction de même que l’homme ; enfin, réhabilitation sociale ; voilà ce que nous voulons, ce que nous attendons de notre siècle. Nous avons pour nous l’inappréciable avantage d’avoir RAISON, et toujours ce qui à [sic] été trouvé juste et nécessaire, était la voie de DIEU et par cela même s’est réalisé.

SUZANNE.

VARIÉTÉS.

169 25/05/23 02:32

Page 170: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Le hasard m’ayant procuré la lecture du ci-devant progressif Constitutionnel, j’ai été très-étonnée d’y voir une espèce de compte rendu d’un bal Saint-Simonien où j’assistais. Je crois (p 244) devoir dire hautement que tout ce qu’il renferme est un tissu de calomnie et de mensonge ; à cet effet je ne puis mieux adresser le démenti formel donné par une femme à quelques hommes qu’en employant l’organe d’une feuille dont j’ai appris que notre sexe seul avait la rédaction.

Sans adopter les théories morales et religieuses du Saint-Simonisme, je n’ai pas cru devoir rester muette lorsque la vérité et la justice réclament leurs droits. Deux colonnes et demi, dont le titre était bal Saint-Simonien à la guinguette, renfermaient les détails supposés de cette fête. Avez-vous compris de quel poids ce mot de guinguette, qu’il nous répète avec tant de soin, pesait sur elle ? quelle injure ces consciencieux écrivains ont cru reverser sur ceux qui en étaient les patrons ? Car notre noble bourgeoisie d’argent appelle ainsi le lieu où se rassemble ce qu’elle nomme canaille. Pauvre peuple, as-tu donc mérité ce nom ? toi si riche en courage, dont les mâles vertus écrasent de leurs poids la leur si minime ; toi dont la force puissante et souveraine a toujours su et saurait si bien faire rentrer dans le néant ces pigmés audacieux, parle, agis encore et demande raison du joug que l’on t’impose ; mais ne te laisse plus surtout éblouir par les belles promesses de ces nouveaux protés. Peuple ! peuple ! ô n’oublie donc pas ce que tu dois être, et n’obéis plus à qui tu dois commander.

Et vous, rédactrices de la Tribune des Femmes, vous qui semblez ne pas avoir de préjugés, ne trouverez-vous pas étonnant que moi, femme, j’aie une opinion politique ? pour moi elle est aussi religieuse. DIEU, voilà celui que j’invoque, et le peuple, celui pour qui je prie ; l’un m’anime d’amour pour l’autre. Quelle folie pourra-t-on dire, une femme être politique et surtout républicaine ; c’est une indignité ; cependant, dans ce sentiment républicain, je trouve de quoi satisfaire mon cœur, il l’exalte et l’élève ; sans lui je ne serais rien, et les vertus civiques qu’il renferme lui donnent sans cesse la vie. Mais je reviens au fait, ces messieurs du Constitutionnel sont allés non (p 245) comme moi à ce bal dans l’intention de mieux connaître, pour juger après, ceux qui se disent les libérateurs du peuple et de la femme, mais au contraire pour égayer à leurs dépens tout ce que l’égoïsme et l’ignorance routinière ont rangé sous leur terne bannière. « Tout en cheminant, nous disent-ils, pour charmer les ennuis du long et poudreux pélerinage, nous nous efforcions de deviner le but de cette fête, et, entre mille et mille conjonctures plus bizarres et plus grotesques les unes que les autres, nous ne pouvions le trouver ». Oh ! si ç’eut été celui d’argent il n’aurait pas fallu se mettre à la torture, il leur est trop connu ; le prix modique de 2 f. prouvait évidemment qu’il ne s’agissait pas de spéculation financière ; enfin, miracle, ils le trouvèrent : c’était celui d’appel galant, ingénieux, désespéré à la femme libre qui, jusqu’à présent, n’avait absolument pas voulu se laisser prendre. Quelle naïveté ! moi, je crois qu’une femme telle que messieurs les Saint-Simoniens le désirent ne se trouvera pas aussi facilement que les abonnés au Constitutionnel s’en iront ; mais ils n’y ont pas pensé : une femme pour eux c’est bien peu de chose ? Que vaut-elle, de quoi est-elle

170 25/05/23 02:32

Page 171: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

capable, mais laissons les [sic] douter de notre génie ; il nous fait toujours bien connaître ce qu’ils peuvent valoir.

Empressés qu’ils étaient de nous faire participer à leur joie, ils ont fait de si spirituels et drôles de contes que, vraiment bien niais l’épicier qui n’en aura pas ri. Le mensonge a d’abord fourni son contingent, en voulant nous assurer que celui qui recevait les chapeaux était en costume peu propre à cet effet ; mais ce qui est le plus odieux, c’est de nous dire que M. Enfantin est en prison pour dettes ; moi qui ai suivi le cours du procès, je n’ai pu concevoir l’intérêt qui les poussait à une pareille invention ! Quelle calomnie ! quelle impudence ! au surplus, c’est une habitude. Vous, républicains, croiriez-vous être autorisés de jeter la pierre du déshonneur à un homme, parce que ces [sic] idées ne sont pas identiques aux vôtres ! Oh ! non, l’honneur pour vous est plus (p 246) que la vie, vaut mieux la sacrifier que de la ternir en le lui ôtant. Ces braves gens du Constitutionnel n’ont pu pardonner aux Saints-Simoniens la tenture rouge de la salle ; l’étoffe de calicot a blessé leur susceptibilité ; en vérité, la soie eût mieux valu, elle aurait au moins fait oublier un instant à ces messieurs les panneaux dorés de leurs appartemens, et même de leurs bureaux ; surtout la couleur rouge est trop vive ; le blanc, joint à la couleur d’espérance est plus doux ; à elle se rattache de délicieux souvenirs. Que les temps ont changés [sic] ; oh ! pour cela, c’est une vérité, et une bien grande ; je le dis avec eux, non en m’en réjouissant pour le moment, car ils me font espérer qu’ils changeront bien encore. Si les temps sont changés pour les Saint-Simoniens, ils le sont bien aussi pour ce bon patriarche ; quelques milles d’abonnés de moins depuis trois ans le leur prouvent assez. L’argent, las d’aller se séquestrer rue Monmartre, no 121, a préféré alonger [sic] sa route en montant en avant pour faire connaissance avec les bureaux de la Tribune et du National, où à la vérité, l’on n’en fait pas un si grand cas, mais où il est employé plus utilement. Ce qui est très-singulier, c’est que ces messieurs plaignent les apôtres Saints-Simoniens et disent : « Pauvres gens plus à plaindre qu’à blâmer, car ils n’ont jamais été dangereux ; » quelle sensibilité ! Ils sont à plaindre, ils n’ont jamais été à craindre, je n’en crois rien ; car là où le pouvoir exerce son humeur arbitraire, là il y a quelque chose de bon ; ainsi le Constitutionnel s’est toujours vu exempté, depuis 1830, d’encourir ses tant si [sic] douces réprimandes.

Sans vouloir donner avis aux propogateurs [sic] des idées Saint-Simoniennes, je crois qu’il [sic] feront bien une autre fois de ne pas engager dans leur compagnie la mauvaise foi et l’égoïsme ; d’attendre pour cela que les temps en changeant les dépouillent de leur armes. En finissant, le juridique auteur du feuilleton nous dit que ce bal était « une spéculation mes- (p247) -quine et une plate parodie. » Entendez-vous, une spéculation mesquine ! ces messieurs ne les approuvent jamais ; l’air de leurs bureaux les a trop habitués aux grandes ; quant à la plate parodie, je crois qu’ils se sont trompés ; car il ne serait pas raisonnable de penser que les Saints-Simoniens ont voulu retracer une des brillantes réunions de la rue Monsigny : leur but était autre ; mais ce qui est vrai, c’est que la parodie n’aura jamais été si bien jouée que par le Constitutionnel : les quinze années sont là en présence des trois dernières.

171 25/05/23 02:32

Page 172: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

ARMANTINE M…

La parole que j’écrivis à Barrault au moment de son départ pour accomplir la sublime mision qu’il s’est donnée, cette parole s’est réalisée, elle reste une prophétie : « Partez, lui disais-je, partez accompagné de nos vœux ; les femmes vous tresseront des couronnes. » La voix da [sic] dévoûment [sic] le plus désintéressé vient de nouveau de se faire entendre ; c’est sous ce patronnage que la première feuille de la nouvelle histoire sainte vient de paraître, sous le titre de Foi nouvelle, ou Livre des actes.

Cette histoire est consacrée à relater fidèlement et à faire connaître à tous les actes des apôtres, de la femme et du peuple.

Cette voie que les femme [sic] se sont ouvertes, servira à constater aux yeux du monde la puissance inspiratrice de leur âme pour récompenser ou faire accomplir de grandes choses ; quel est celui qui ne se sentira pas stimuler [sic] profondément par le désir de faire inscrire dans ce livre, par une main de femme, ses titres à la reconnaissance des génération futures.

SUZANNE.

(p 248)

Foi nouvelle ou Livre des actes, publié par les femmes, se trouve chez Johameau [Johanneau], libraire, rue du Coq-St-Honoré, no 8 bis ;Chez madame Cécile Fournel, rue Chanoinesse, no 2.On s’abonne aussi au cabinet de lecture, rue Neuve-du-Luxembourg, no

28.

*

172 25/05/23 02:32

Page 173: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Le 15 avril, le bureau de la Tribune des Femmes a été transporté rue de Bussy, no 37.

S’adresser à madame VOILQUIN.

(Affranchir les lettres et envois.)

SUZANNE, Directrices.

ANGÉLIQUE,[FP. : une accolade figure ici]

———————————————————————————PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, no 54.

173 25/05/23 02:32

Page 174: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La Femme Nouvelle.(p. 249)

I, 19[FP. : notation manuscrite écrite en violet]

TRIBUNE

DES FEMMES.

—————

VÉRITÉ. UNION.

Notre bannière étant à la peine, il est justequ’elle soit à l’honneur. (Jeanne d’Arc.)

Egalité [sic] entre tous de droits et de devoirs.

_______

SUICIDE

DE CLAIRE DÉMAR ET DE PERRET DESESSARTS.

L’âme douloureusement saisie par le lugubre drame qui vient de s’accomplir sous nos yeux, je ne puis, aujourd’hui, que déplorer la perte de ces deux victimes de l’anarchie (p 250) sociale et religieuse du siècle, et dire les réflexions que ce triste événement a fait naître en moi. Mais,

174 25/05/23 02:32

Page 175: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

avant tout, je dois chercher à détruire une calomnie que tous les journaux se sont plu à répéter. Tous ont fait entendre, en citant froidement cet évènement [sic], que des rapports intimes existaient entre Claire et Desessarts. Pour qui a sondé le cœur humain, ce fait reste invraisemblable ; s’ils eussent aimé, si l’amour, ce feu créateur, eût animé leurs âmes, ils auraient eu foi en eux, ils seraient encore parmi nous ; car l’amour, pris dans son expression la plus noble, la plus élevée, la plus étendue : n’est-ce pas une croyance, n’est-ce pas une religion, n’est-ce pas la vie ! Et c’est, au contraire, parce qu’ils n’aimaient plus, parce que les sentiments doux et vivifians ne circulaient plus dans leurs cœurs, qui étaient comme pétrifiés par la lutte et le doute, qu’ils se découragèrent de cette existence froide et décolorée, et employèrent le reste de leur énergie à conclure l’association du tombeau… Ce fut dans la nuit du 3 au 4 août qu’ils exécutèrent cette funeste résolution ; ce double suicide présente un ensemble de dispositions qui annoncent un sang-froid et une force d’énergie extraordinaires. Perret-Désessarts, âgé de 23 ans, avait depuis peu quitté Grenoble, sa ville natale. Déjà poursuivi par une idée fixe de suicide, il vint à Paris vers le commencement de cette année ; ce fut aussi à cette époque qu’il vit, pour la première fois, Claire Démar. Cette femme, jeune encore, d’un extérieur agréable, d’une âme fortement trempée, avait eu le courage d’accepter la pauvreté, et de rejeter au loin une position aisée, mais équivoque et sans considération ; gloire à elle ! Par cet acte, elle avait remonté au rang de la femme, puisque cette détermination fut libre et spontanée. C’est alors qu’elle vit Désessarts. Tous deux aimaient et recherchaient la gloire ; ils se comprirent. L’analogie qui existait entre leurs caractères les rendit amis. Depuis, sous ce titre, ils se (p 251) virent souvent et associèrent leurs efforts de propagation. Des lettres fort intéressantes qu’ils ont écrites, comme dernier adieu (lesquelles seront probablement livrées à la publicité), n’affirment que cette simple liaison. Que le doute ne s’élève donc pas devant l’assertion du cercueil !

Ces malheureuses victimes du scepticisme avaient besoin, pour accepter la vie telle qu’elle est, et pour ne pas l’envisager comme une grande inconséquence sans aucune solution, ils avaient besoin, dis-je, que la poésie, la religion vinssent raviver leurs âmes. Ils regardèrent autour d’eux ; tout, dans ces grands débris de la chrétienté, morale, culte, dogme, tout leur sembla terne, mort. Cette société du dix-neuvième siècle, si froide, si égoïste, ne jeta sur leur enthousiasme que la glace de la raillerie et du dédain.

L’intelligence obscurcie par le doute, ils vinrent alors demander à la nouvelle religion le fil conducteur de la vie, la vérité. Mais, froissés et fatigués de la lutte qu’ils avaient eue à soutenir avec le monde, ils ne virent pas sans effroi les obstacles sans nombre que l’égoïsme, ce mal profond qui ronge au cœur toute la société, allait apporter à leurs efforts. Désespérant de soulager tant de douleurs, ils tombèrent dans le découragement le plus absolu, doutèrent d’eux-mêmes et renièrent leur mission. Ce fut alors qu’ils renouvelèrent le drame du jeune Escousse et de son ami ; ils demandèrent, comme ceux-ci, à la mort, la poésie d’un beau départ ; se donnant la main, ils tombèrent ensemble, trouvant une espèce de volupté horrible dans cette fraternité de la tombe. Le jeune

175 25/05/23 02:32

Page 176: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

homme écrivit à un de ses amis, quelques instans avant sa mort : « Je te souhaite, mon ami, pour mourir avec calme et bonheur, de trouver, comme moi, une amie qui t’accompagne jusqu’au lieu où le doute n’est plus possible. »

Mourir faute de trouver sa place dans la vie !… Quelle (p 252) énergique protestation contre ce qui est. Mourir épuisé par la lutte !… Quel désespoir profond que celui qui se prouve par la mort ! Malheureuse Claire ! Pauvre Desessarts ! puissiez-vous renaître dans des temps plus harmonieux ! Lorsque la belle et grande religion que nous annonçons, et, qui, maintenant, n’est encore qu’un faible point à l’horison [sic], aura grandi assez pour resplendir aux yeux de tous et servir de flambeau à l’humanité toute entière, oh ! alors, le froid poison du septicisme ne glacera plus vos jeunes cœurs dès votre enfance. Vous croirez à Dieu, car vous sentirez l’harmonie ; votre place, que vous n’avez pu trouver maintenant, vous sera réservée ; car alors il y aura une providence sociale et maternelle qui veillera à votre développement individuel.

Journalistes, gens du monde, une femme et une homme qui, dans la force de l’âge, meurent faute de croyances, ne sont pas des individualités si pâles desquelles il soit permis de parler légèrement ; respect, donc, à ces deux cercueils !

Pour nous, qui ne devons pas seulement nous borner à constater ce fatal événement, mais qui devons y voir l’indication d’un grand progrès à accomplir, ce malheur nous rapprochera ; nous sentirons le besoin de nous soutenir mutuellement, de nous unir de plus en plus par le lien d’une religieuse fraternité, et de faire que les femmes, qui, pour adopter plus complètement la foi nouvelle, rompraient avec le monde ancien, ne soient pas conduites, par l’isolement et le peu d’appui qu’elles trouveraient parmi nous, au découragement et à la mort.

Croyez-le bien, il ne suffit pas pour que cela soit, d’appeler les femmes à la liberté, et de les laisser ensuite se débattre seules avec ce monde égoïste, qui n’a pour tout régulateur et unique Dieu que l’argent ; ce monde froid et railleur qui sourit de pitié a tout enthousiasme, car en de- (p 253) -hors du sentiment religieux que la foi nouvelle cherche à établir dans les esprits, à quelle ancre de salut les femmes qui sentent l’avenir pourraient-elles se rattacher ? est-ce à la liberté, si incomprise par tous ceux qui la désirent ? mais encore ce mot magique qui fait vibrer tant de cœurs, nous n’avons droit de le prononcer dans cette société française, la plus avancée de toutes les sociétés, que sous le patronage des hommes et pour leur propre compte ; le plus intelligent des républicains n’en est pas encore à comprendre la femme, et à sentir que la justice, que le droit, que Dieu est également dans notre cause.

Si, reportant nos regards sur nous-mêmes, je me demande : Est-il dans notre belle France une femme capable, par sa position, de prêter un appui à toutes les autres ? quelle est celle qui peut représenter l’unité de nos droits ? La plus élevée en dignité, comme celle placée sur le dernier échelon, que peuvent-elles ? que sont-elles ? légalement parlant rien ; toutes sont abritées derrière un nom, une place, une position sociale qu’elles reçoivent passivement du bon plaisir d’un autre. Hélas ! les Français ont une reine, mais les femmes n’ont point de mère !

176 25/05/23 02:32

Page 177: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La pensée oppressée par des idées d’avenir, idées aussi vastes que le monde, puisqu’elles tendent à l’enserrer, quels sont les moyens de propagations laissés aux femmes pour tenter de développer ou de rapprocher cet avenir ? quelle que soit leur force morale, que peuvent-elles faire seules ? S’user dans des essais impuissans et ensuite…, pensez à la pauvre Claire Démar…

Notre espoir d’émancipation repose donc tout entier sur cette famille d’hommes dispersés presqu’entièrement par toute la terre, prêchant nos droits, notre égalité. Mais c’est surtout lorsque la propagation de ces idées pourra se combiner et se faire par groupe, par famille complète, qu’elles prendront force et activité ; ce n’est point un con- (p 254) -seil que je hasarde, je crois même qu’il serait encore trop tôt pour tenter cet essai : cette pensée, ce désir qui me domine depuis long-temps et que j’exprime naïvement aujourd’hui pourraient aussi avoir agité d’autres cœurs ; il est bon que l’on y réfléchisse….. Mais avant que ce lien puisse se former, nouveaux croyans, songez à quels devoirs votre foi vous engage, vous tous qui vous dites les apôtres, les compagnons de la femme ; par les priviléges [sic] attachés à votre sexe, vous êtes encore en possession de l’immense pouvoir de diriger l’opinion ; que cet appui moral qui en ressort soit prodigué à toutes, et principalement à celles qui ont le courage de descendre dans la lice et de prendre une part active à l’action. Homme fort, dévoué jusqu’au sublime ! dites bien à tous ceux qui vous écoutent et qui nous aiment, que la conception capitale, dont l’accomplissement a été confiée [sic] aux hommes religieux de notre époque, c’est l’élévation de la femme, c’est sa place à lui reconnaître, enfin son complet affranchissement et ses droits à lui assurer par toute la terre.

Oh ! sans doute il est utile et juste que le dévouement des hommes soit mis en lumière, et j’applaudis de grand cœur à toute œuvre qui aurait pour but ce résultat ; mais avant que le monde adore et reconnaisse dans la divinité les attributs d’un DIEU bon et bonne, père et mère de la famille humaine, et ne se reclasse d’après cette pensée divine, il est encore plus juste et encore plus utile, que transitoirement l’action de l’homme soit regardée comme secondaire à celle de la femme. Ainsi concourir avec ardeur à faciliter toute œuvre qui exalterait l’homme seulement, serait prendre, selon moi, le détail pour l’ensemble, mettre en relief l’accessoire, et dans l’ombre le principal. Courage donc ! la plus belle couronne est pour qui atteint le but !

11 août 1833. SUZANNE.

(p 255)

DE L’INFLUENCE DES FEMMES

EN POLITIQUE.

177 25/05/23 02:32

Page 178: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Par instinct de liberté, les femmes ne peuvent se défendre d’une opinion politique que toujours elles propagent en influençant celles des hommes, selon les conditions voulues des partis divisés d’opinions.

Les unes en ont une formulée en arrière des idées nouvelles du siècle ; les autres, beaucoup plus avancées et plus nombreuses, se classent parmi le parti républicain, espérant que ce parti ne peut se dispenser de réaliser au nom de ces principes toutes les pensées d’émancipation sociale ou politique.

Toutes les femmes ainsi posées peuvent donc être utiles aux vues politiques des hommes qui, par un principe d’égoïsme et de mauvaise foi, ne font ouvertement aucun cas des services que les femmes peuvent leur rendre, en liberté ou en despotisme.

Eh bien ! malgré le silence qu’ils s’efforcent de garder, il naît pour eux des circonstances, où ils se trouvent dans la nécessité de donner aux femmes des instructions en forme de leçons par l’intermédiaire des journaux, les caressant ou les blessant par des agaceries ou boutades politiques qui les offensent ou les stimulent, moins dans l’intérêt des peuples qu’ils font valoir, que dans leur ambition de dominer les femmes.

C’est après avoir senti les opinions méconnues de celles, comme moi, qui espèrent en la liberté pour le triomphe de (p 256) leurs pensées, par de semblables remarques faites dans deux journaux de l’une et l’autre opposition, dont l’un ne tenant aucun compte de nos efforts au profit de son parti ; et l’autre (après ces diatribes), cherchant à nous y attirer, que je suis amenée à écrire ces lignes pour les poursuivre plus loin, en m’arrêtant ici pour noter l’article du journal légitimiste qui, à l’occasion de lettres écrites sur l’Angleterre, s’y est occupé de l’influence des femmes françaises et anglaises, non dans la politique, mais dans la civilisation, me paraissant assez remarquable pour en consigner le fragment qui nous concerne, en poursuivant ainsi : 

« Il faut être de bonne foi, la vieille société anglaise a peu d’attraits pour quiconque vient de France ; cette joie, cette tristesse tirées à quatre épingles, ce parfum de barbarie qui est resté dans les mœurs, cette insolence du luxe jointe à l’ignorance des arts, tout cela est peu propre à toucher notre admiration, et à provoquer notre sympathie ; c’est une société à angles aigus : qui s’y frotte s’y pique. Mais d’où vient cette rudesse et cette aspérité de forme ? Oh ! cela vient d’un vide qu’on travaille à établir en France, cela vient de ce que l’influence sociale des femmes n’existe pas en Angleterre ; cette douce autorité de la faiblesse sur la force, qui empreint les mœurs de tant d’élégance, donne à la civilisation des couleurs si brillantes, m’a paru prévaloir dans ce rude pays ; il y a des femmes dans la vie domestique, dans la vie sociale il n’y en a pas ; l’Angleterre vit en garçon, et c’est la plus sotte des existences. M. d’Haussez est tout étonné de voir la bonne compagnie ameuter coq contre coq, boxeur contre boxeur, et s’étourdir avec des jockeys à demi-barbares. Tout cela est dans l’ordre, pourtant. Sans aller précisément, comme les disciples de Saint-Simon, baiser la première bouche jaune qu’on rencontre dans les rues de Constantinople, on peut bien dire que la civilisation entre toujours chez les peuples (p 257) par les

178 25/05/23 02:32

Page 179: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

femmes ; or, comme les Anglais laissent les femmes à la porte de leur société, la civilisation y reste avec elles. Si Dieu prête vie au régime actuel, nous en viendrons là ….. »(1)

Certes, ce sont bien là les hommes, quels que soient les principes et les opinions qu’ils proclament ; ne pouvant se dissimuler notre empire moral sur leurs actions, et notre influence en politique, ils y veulent donner un cours selon leur bon plaisir par des lignes artificieusement reléguées dans ceux de leurs journaux consacrés aux sarcasme, ou dans des articles de variétés amusantes, telles où se trouvait celui-ci ; tactique d’ailleurs qui leur est assez ordinaire, pour ne pas nous faire sentir notre puissance occulte sur eux. Ils veulent bien s’en étourdir de cette manière dans la presse, en nous y faisant tenir comme partout une place nulle ; nous ne devons donc pas nous en étonner, et n’en pas moins continuer nos attaques sérieuses contre eux, et, malgre [sic] leur article détourné, nous éclairer de leur faux jugement en revendiquant nos droits.

Mais avant de passer à d’autres réflexions que m’ont inspirées la lecture de toutes ces prosodies politiques, je dois déclarer que je n’ai pu m’autoriser à blesser nos lectrices en leur mettant sous les yeux un article contre les femmes, d’un autre journal de l’autre opinion ; j’ai donc dû me borner à celui déjà rapporté, et quelqu’avantageux qu’il soit aux femmes, nulle de nous, au cœur libre et généreux, ne pourra se laisser séduire aux insinuations qu’il renferme, ne cherchant par cette comparaison anglaise qu’à corrompre notre influence politique, en nous faisant craindre de perdre celle civilisée, pour raviver les opinions que ce journal soutient. Non, nos idées avancées ne peuvent se targuer du tort de ceux dont nous partageons les principes (p 258) républicains, qui par le silence et les provocations de quelques-uns permettent de nous livrer aux piéges que nous tendent leurs adversaires, si nous ne savions pas, nous, que notre influence ne peut que s’étendre en France, et non se perdre, et ne pas avoir le droit, nous-mêmes de détourner les opinions libérales du peuple vers celles de la Quotidienne ; car il n’est pas plus en sa puissance de nous faire rétrograder, qu’il n’est en la puissance d’un autre organe contraire d’empêcher que nous devenions libres.

Mais au surplus comment les hommes de tous les partis ne se sont-ils pas rendu raison, que malgré la contrainte et la contenance silencieuse qu’ils nous imposent en politique, il n’est pas de révolution sur le globe, où quelques-unes de nous n’aient montré de l’héroïsme, et la plupart du dévouement à la cause libre des peuples, soit par nos actions, soit en y applaudissant, comme ressentant ses misères et son esclavage.

Les bornes d’un article déjà trop long ne me permettant pas d’en faire une longue énumération, je n’en ferai ressortir qu’un exemple frappant, qui est dans celle de la récente révolution polonaise ; si les cris déchirans de cette cause perdue ont fait pousser aux Polonais l’honorable aveu pour les Polonaises, en exprimant le regret que si les hommes avaient montré autant de patriotisme que les femmes, la Pologne ne serait pas morte ! ! ! 31)

(1) Quotidienne du 9 juillet 1833.31) Voir les journaux de l’époque.

179 25/05/23 02:32

Page 180: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Qu’eussent donc été, dans l’intérêt des peuples, si les femmes avaient vu, dans l’avenir des révolutions, leur émancipation promise par les partisans des conquêtes de la liberté ? elles qui, en cette absence d’idée, se sont toujours posées d’une manière aussi dévouée que désintéressée, de la part de celles qui n’ont en vue que le bien général du peuple.

(p 259) Au reste, comme c’est par l’abus de la force que les hommes nous ont dépouillées de nos droits naturels à la liberté et de toute voix aux affaires politiques, en ne comprenant pas en nous la nature humaine qui les rend également impuissans d’empêcher nos facultés intellectuelles de s’y déployer et de s’y faire jour, malgré eux, par notre influence répandue parmi leurs systèmes ou opinions, les produisant souvent et leur faisant un nom devant le peuple ; mais aussi y sommes-nous comme eux amies ou ennemies des libertés, selon l’opinion que nous nous en formons, inepte ou éclairée, d’accord en cela avec chaque parti existant des leurs, et y être dangereuses ou utiles par les dispositions au despotisme ou à la générosité du cœur humain.

Lorsque ces messieurs trouvent bon de nous comprendre, ils se servent de notre influence dans la lutte des peuples contre la tyrannie, ou au jeu des ambitions déçues, en accueillant nos sacrifices que nous rendons et prononçons plus ouvertement ; mais lorsque le calme des combats populaires semble exister, et que ces messieurs n’ont plus qu’à se disputer, par la discussion, l’ouvrage de la liberté, s’il est des femmes haut placées près des gouvernans nommés que par eux, et dont ils n’ont pas trouvé dangereux qu’ils puissent asseoir, à leur côté, par le mariage des étrangères aux pays qu’ils ont chargé les maris de gouverner ; et que, ces mêmes femmes, venant à influencer pour le système politique, faussent l’honneur national et la liberté, oh ! alors, nos cerbères, ne tenant aucun compte de leur propre faute, et ne prenant acte que de ces méfaits de femmes étrangères et de quelques-unes nationales choisies dans la bourgeoisie, qui ne furent corrompues ou séduites, cependant, que par les pères de ces hommes d’aujourd’hui, qui n’arrêtent pas leur plume républicaine qui ne voulait et ne devrait fronder que celles (p 260) qui sont caupables [sic], et de ne pas s’autoriser de renouveler, à toutes en général, sans pitié ou plutôt sans politesse pour les femmes nationales, innocentes de cette mauvaise humeur politique, en les assujétissant, dis-je, à recevoir cette leçon de servitude à laquelle ils veulent les consacrer de nouveau par ce langage anti-républicain, de leur interdire tout espoir de liberté, en ne voulant pas absolument qu’elles s’occupent des intérêts de leur pays ; allant jusqu’à invoquer, à l’appui de cette morale et pour venir à l’aide de cette nouvelle instruction, et au mépris des antécédens républicains et athéistes de celui qui l’a formulée(2), le sang de ses pères en féodalité par des principes controuvés (3) de la loi salique, et Saint-Jean, dans sa fable de la Bête de l’Apocalypse.

Par des leçons d’enfance, les hommes nouveaux ou anciens tenteront de nous corrompre ou de nous séduire. Tâchons de les dévoiler et de leur résister par notre maturité.

2(2) Corsaire du 27 juin 1833.3(3) Voyez l’ouvrage de la Vicomterie (Des Peuples et des Rois), au

chapitre de la loi salique, où il le prouve.

180 25/05/23 02:32

Page 181: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

MARIE G…..

ANNIVERSAIRE DE JUILLET.

Pour la troisième fois depuis 1830 le soleil de juillet s’est levé, il s’est levé beau et pur comme dans ces grands jours ; il s’est levé au milieu du bruit du canon et des fanfares commandés par ceux qui, seuls, ont profité de la victoire ; (p 261) aujourd’hui que tout ce tumulte est fini, que la ville est rentrée dans le calme, nous qui sommes étrangères à toutes les querelles qui divisent la société, jetons un coup-d’œil en arrière, et examinons un peu l’attitude que le peuple a gardé durant ces fêtes annoncées avec tant de bruit.

Lorsqu’il y a trois ans le peuple se leva comme un seul homme, lorsqu’il se leva grand et puissant, et qu’en trois jours il renversa un trône, quel était le sentiment qui le faisait agir ? Oh ! celui de sa dignité blessée, car ces rois lui avaient été imposés alors qu’abattu par des guerres sanglantes il ne pût être assez fort pour empêcher l’étranger de venir lui dicter des lois ; mais lorsqu’il eût réparé ses pertes il ne put soutenir plus long-temps le poids si lourd de l’humiliation, et à la première occasion il sut bien le secouer. Mais lorsqu’il eut satisfait ce besoin il se demanda que ferons nous  [sic] ? c’est alors que ces hommes que l’égoïsme ont tout-à-fait égarés vinrent au devant [sic] de lui, et ils lui dirent : donne-nous ta confiance et nous travaillerons avec ardeur à améliorer ton sort ; le peuple confiant, parce qu’il venait de triompher, et que lui, toujours si franc, croyait à la franchise des autres, la leur donna ; alors ces hommes reprirent vîte [sic] leur égoïsme et bientôt nul d’eux ne songea plus à ses promesses ; le peuple les leur rappela en s’attroupant sur la place publique. Que de sanglantes journées vinrent marquer ces manifestations de la misère du peuple ! et pourtant aucun de ces hommes n’eut le courage de descendre dans la rue afin d’interroger ces hommes, et d’apprendre d’eux quelques-unes de ces douleurs si poignantes, auxquelles il n’est que trop temps d’apporter quelques remèdes ; alors quelques prolétaires énergiques tels que Jeanne, Prosper, vinrent sur les bancs de la cour d’assises dévoiler quelques-unes de ces douleurs ; leur récompense fut le Mont Saint-Michel ; mais qu’ils espèrent, (p 262) l’amour et la reconnaissance de leurs frères les y a suivis, et ce sont eux qui les récompenseront.

C’est en présence de ces faits, ayant si peu travaillé pour le peuple, qu’on annonce avec affectation que l’on va célébrer pompeusement son triomphe et sa fête, oui sa fête ! c’est vraiment la sienne, jamais il ne se montra ni plus grand ni plus beau qu’en ces trois jours. Cette fête a donc

181 25/05/23 02:32

Page 182: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

été célébrée avec éclat, et pourtant le peuple est resté froid ; on craignait encore une émotion populaire, il est resté calme. Oh ! c’est qu’il a bien compris quelle devait être son attitude en ces grands aniversaires [sic], et que, puisqu’ils n’avaient produit aucun résultat, il n’y avait pas pour lui lieu de fêter ; aussi n’a-t-il manifesté d’émotion qu’en approchant des tombes de ses frères. Sans doute plus d’un a envié leur sort, en disant : Heureux ceux qui sont morts ! ils n’ont point eu à souffrir de ces cruels désenchantemens qui nous ont été si pénibles ; ils sont morts au milieu de l’enivrement général, et de leur lit de mort ils ont vu l’aurore d’un jour qui devait être si beau, si l’on ne l’avait obscurci. Voilà quelles étaient leurs plaintes, et nous les comprenons, mais nous ne les ferons pas entendre ; pour nous c’est désespérer, et [FP. : le « t » est renversé] nous ne désespérons pas ; nous avons vu l’aurore d’un jour plus beau qui doit se lever pour le peuple, pour les femmes, pour tous. O peuple ! ne désespère plus, ton triomphe n’a pas été sans résultats ; sans doute, jusqu’à ce jour il n’a pas amélioré ton sort, mais il t’a donné une conscience plus nette de tes besoins, il t’a de beaucoup avancé sur la route du progrès que suit incessamment l’humanité ; oui, peuple, reste toujours calme en présence de ces fêtes soi disant [sic] populaires. Oh ! sans doute, il te faut des fêtes, et DIEU t’en réserve de plus belles et de plus grandes ; mais laisse-là ces fêtes qui ne te représentent que l’image de la guerre, de la destruction ; ce sont les fêtes qui exalteront la paix et le travail, qui les rani- (p 263) -meront ; ce sont les fêtes auxquelles pourront et viendront se mêler les femmes, qui te donneront de l’enthousiasme ; car alors hommes et femmes seront unis dans un meilleur avenir, et tous travailleront au même but, le bonheur de tous. O peuple ! espère donc, unis-toi à nous, hâte de tous tes efforts le jour si grand qui réalisera toutes ses promesses ; annonce, fais sentir et comprendre à tous ces grandes choses, dis-leur qu’elles ne peuvent se réaliser que par l’association universelle, l’égalité de l’homme et de la femme, car c’est elles seules qui feront disparaître le mensonge, la guerre, la concurrence, et qui établiront partout la paix et le bonheur.

MARIE REINE.

Depuis le premier août le PÈRE respire l’air pur de la liberté. Femmes espérez !… que le sombre découragement ne vienne point assombrir votre pensée ; il est là, dominant Paris par sa position, veillant comme un génie bienfaisant sur notre avenir, disposé à saisir toutes les chances favorables, et à les faire tourner à l’avantage de notre sainte cause. Femmes espérez !

————

Pour propager son sentiment individuel sur la liberté des femmes, Claire Démar fit paraître une petite brochure remarquable surtout par l’énergie de son style et de la pensée, sous le titre : d’Appel d’une femme au peuple sur l’affranchissement de la femme. Elle venait d’en terminer une seconde intitulée : Ma loi d’avenir, lorsqu’elle prit la funeste

182 25/05/23 02:32

Page 183: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

résolution de mettre fin à son existence. Si les femmes se déterminent, comme dernier hommage rendu à cette tombe, de livrer à l’impression ce dernier écrit, l’auteur n’étant plus là pour défendre les opinions qu’il renferme, je m’abstiendrai d’en donner mon avis.

(p 248 = p 264)Foi nouvelle ou Livre des actes, publié par les femmes, se trouve chez

Johameau [Johanneau], libraire, rue du Coq-St-Honoré, no 8 bis ; Chez madame Cécile Fournel, rue Chanoinesse, no 2. On s’abonne aussi au cabinet de lecture, rue Neuve-du-Luxembourg, no

28.Amour à Tous, Journal de la religion Saint-Simonienne, publié à Toulon.

On s’abonne rue de Pradel, n. 7, à Toulon (Var) ; et à Paris, chez madame Cécile Fournel.

*

Le bureau de la Tribune des Femmes est transporté rue de Bussy, no 37.

S’adresser à madame VOILQUIN.

(Affranchir les lettres et envois.)

SUZANNE, Directrices.

ANGÉLIQUE,[FP. : une accolade figure ici]

———————————————————————————PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, no 54.

183 25/05/23 02:32

Page 184: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La Femme Nouvelle.(p. 265)

TRIBUNE

DES FEMMES.

—————

VÉRITÉ. UNION.

Notre bannière étant à la peine, il est justequ’elle soit à l’honneur. (Jeanne d’Arc.)

Egalité [sic] entre tous de droits et de devoirs.

_______

AUX SAINT-SIMONIENS DE FRANCE.

Nous avons à annoncer aux familles saint-simoniennes des départemens une œuvre qui s’accomplit en ce moment à Paris. Caroline Béranger, prolétaire au cœur large (p 266) dont l’amitié m’est précieuse, a organisé une vaste souscription pour payer une partie de la dette que PÈRE a laissée ; appelée par Dieu à partager une des premières la foi nouvelle, elle en a suivi le développement avec constance, elle a, comme nous tous, admiré les premiers efforts de propagation et les sacrifices

184 25/05/23 02:32

Page 185: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

sans nombre qu’il a fallu faire pour répandre avec profusion cette nouvelle doctrine sociale ; c’est le cœur rempli d’admiration pour ces hommes généreux, qui n’ont pas craint de se déclasser, de briser leur position pour propager leur foi, d’y sacrifier leur fortune et leur vie toute entière, qu’elle vient à son tour convier les prolétaires de France, de l’aider de leur obole à soutenir l’œuvre qu’elle a conçue. Cette dette est sainte et sacrée pour nous, n’est-ce pas pour donner la vie nouvelle à un plus grand nombre d’êtres souffrans qu’elle a été contractée ? et ne devons-nous pas d’ailleurs nous sentir solidaires avec celui auquel notre cœur a donné le beau nom de PÈRE ? La proposition de cette souscription a été accueillie avec joie par la famille de Paris, elle se propose d’aider Caroline de tout son pouvoir. Nous espérons que la province, toujours si ardente à accueillir les idées et les hommes, ne se montrera pas moins empressée pour favoriser l’œuvre d’une femme, qui n’a pour toute recommandation que l’autorité d’un dévoûment [sic] sans bornes. Nous sommes persuadés, d’après l’esprit religieux et les désirs d’association qui se manifestent dans la province, que pour juger ce projet, elle n’en attendra pas les résultats, mais que l’envisageant comme nous, d’un point de vue élevé, elle y verra encore le désir et la possibilité d’établir une grande communion entre tous les membres épars de la nouvelle famille.

Voici sur quelles bases la souscription est fondée : pour l’instant un seul centre est fixé à Paris, chez madame Caroline Béranger, rue Saint-Sébastien, n° 36. La sous- (p 267) -cription étant volontaire, la plus légère offrande sera reçue avec reconnaissance, les noms des souscripteurs et les sommes versées seront successivement rendus publics dans chaque numéro de la Tribune des Femmes.

Nous désirons et demandons que les différens journaux qui se rédigent dans la famille veuillent bien donner l’appui de la publicité à ce projet, et nous invitons les hommes et les femmes, qui dans chaque ville se concevraient la noble et difficile mission de se faire centre, d’entrer en relation directe avec la directrice de cette œuvre.

N’oublions pas que dans l’ère nouvelle qui commence, la femme étant appelée à prendre une part active dans la vie, doit prouver ses droits à l’égalité sociale qui lui est offerte, par le concours de sa puissante inspiration, ou par des actes qui puissent rapprocher de nous le but tant désiré.

Voici venir les jours d’épreuve, où seules, livrées à nos propres forces, nous devrons témoigner devant tous de la foi qui nous anime, de notre foi en Dieu et en celui que nous avons nommé le PÈRE de la famille nouvelle, le PÈRE, dont la parole religieuse a fait fermenter dans nos cœurs des germes puissans d’avenir. Femmes, c’est à nous, qui pressentons cet avenir, qu’il appartient de ranimer l’espoir de tout ce qui souffre ; dans nos cœurs est déposé le feu sacré du dévoûment [sic], c’est pour nous la source de toute gloire et le mobile de notre courage.

Maintenant donc que le PÈRE s’est momentanément éloigné de sa famille de France, pour aller tenter d’ouvrir à la haute industrie une large voie sociale, pacificatrice, capable de relier les peuples et les faire converger vers un même but, l’association universelle, pendant que ce grand mouvement s’opère resterons-nous impassibles ?

185 25/05/23 02:32

Page 186: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

En attendant qu’un nouveau signal venu d’orient vienne, en justifiant notre foi, apprendre au monde combien tous (p 268) les actes de sa vie s’enchaînent d’une manière forte et logique, et que dans la mission divine qu’il s’est conçue il n’y a point solution de continuité, mais que tour-à-tour [sic] il doit s’inspirer de ces deux grands noms, la femme et le peuple, inscrits au même titre sur notre bannière, mornes et glacées, attendrons-nous ce signal dans un repos stérile ? N’aurons-nous pas à son retour d’autre langage que celui que tint le mauvais serviteur dans l’admirable parabole des talens : « Seigneur, dit-il, j’ai été cacher votre talent dans la terre, le voici, je vous rends ce qui est à vous ; » ou plutôt ne voudrons-nous pas imiter l’activité sainte des deux premiers serviteurs, qui, ayant reçu plusieurs talens les doublèrent par leur travail, «  et celui qui avait reçu cinq talens, dit l’évangile, vint lui en présenter cinq autres en lui disant : Seigneur, vous m’aviez mis cinq talens entre les mains ; en voici, outre ceux-là, cinq autres que j’ai gagnés. Son maître lui répondit : O bon et fidèle serviteur, parce que vous avez été fidèle en peu de chose, je vous établirai sur beaucoup d’autres, entrez dans la joie de votre Seigneur. » Le blâme, la punition, est infligée au serviteur qui seul reste dans une inactivité coupable. Que cette parole divine offerte à nos méditations nous console et nous encourage. O mon Dieu je le sens à l’énergie de mon âme, qui tend sans cesse à se communiquer à d’autres âmes ; les dons que votre bonté nous confie ne doivent pas être cachés dans la terre, c’est-à-dire perdus pour tous dans l’obscurité d’une vie inactive ; ils ne nous sont donnés que pour être employés à votre service, et doubler de valeur en servant à l’amélioration et au bonheur de tous.

En terminant les réflexions inspirées par notre position présente, que l’on me permette d’exprimer un désir qui, s’il était senti, mettrait en regard les unes des autres, des femmes de dévoûment [sic] et d’action, et les disposeraient, (p 269) par cela même, à s’apprécier mutuellement. Aux deux extrémités de la France (Paris et Toulon), deux journaux saint-simoniens paraissent périodiquement, et sont consacrés à relater les actes accomplis par les apôtres de la foi nouvelle. C’est justice ! et nous avons toutes applaudi à cette œuvre. Mais il serait bien, également, que les femmes s’entendissent pour donner tout-à-la-fois [sic], à la Tribune des Femmes, l’importance des faits et des idées. Je les adjure donc de mettre de côté cette timidité et cette fausse modestie, vertus négatives qui, désormais, appartiennent au passé ; et d’oser divulguer au monde les actes accomplis sous l’inspiration d’un sentiment social. O sans doute notre peu de puissance, nos faibles moyens d’action n’auront pas des résultats en rapport avec nos désirs : mais DIEU ne nous demande que l’emploi des facultés qu’il a mises en nous. Si, jugeant nos efforts inutiles ou trop faibles, nous sentions notre courage prêt à faillir, rappelons-nous, pour le ranimer, cette belle pensée de Ballanche : « Que le pas même d’une fourmi pèse sur l’univers. »

SUZANNE.

186 25/05/23 02:32

Page 187: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

CONCERT

DONNÉ A [sic] CASTELNAUDARY, EN FAVEUR DES PAUVRES.

En face des misères du peuple, rendues plus grandes par la rigueur de la saison, les habitans de Castelnaudary ne pouvaient rester impassibles et froids. Un concert a été donné par les amateurs de notre ville. Madame Darnaud n’a pas craint de braver les préjugés qui pèsent encore sur (p 270) notre sexe, pour prêter à cette solennité l’appui de son rare talent. La réunion était des plus brillantes ; tous les partis se sont empressés de concourir à cette œuvre toute philantropique [sic]. La recette, qui s’est élevée à plus de cinq cents francs, a dépassé toutes les espérances. Sans doute, avec une pareille somme, il est possible de soulager momentanément quelques souffrances individuelles ; mais demain de nouveaux besoins se feront sentir ; demain, au moindre dérangement atmosphérique, de nouveaux cris de détresse se feront entendre, et l’ouvrier viendra encore vous demander du travail et du pain. Comment le satisfaire ? triste position de l’homme, dont l’existence est à chaque instant compromise. On ne peut qu’éprouver un profond sentiment de douleur, en pensant que la classe la plus pauvre ne peut quelquefois manger qu’à condition que les riches se livreront au plaisir de la musiqne [sic] ou de la danse : pâle reflet de la charité chrétienne ! La philantropie [sic] libérale qui se manifeste par des bals ou des concerts, tout en prouvant les sympathies de quelques hommes généreux qui sentent profondément les misères du peuple, est impuissante à guérir les plaies énormes de la société. Elles ne présente que de faibles palliatifs, lorsque la nature du mal exige les remèdes les plus héroïques. L’aumône, quelle que soit sa nature, chrétienne ou libérale, blesse aujourd’hui presque autant celui qui la fait que celui qui la reçoit ; elle tend à perpétuer l’oisiveté et les vices qui en découlent. Ce n’est qu’avec la plus vive douleur que l’homme qui sent toute la dignité de son être, et qui a usé une partie de sa vie aux plus pénibles travaux, se détermine à tendre une main suppliante pour recevoir un pain qu’il trempe de ses larmes.

Ah ! ce qu’il faut aujourd’hui à l’homme qui travaille, et qui par cela seul exerce une fonction sociale, c’est du travail qui assure son existence et celle de sa famille ; c’est (p 271) de l’honneur, de la gloire dans le travail, et du repos dans sa vieillesse.

AUX HOMMES.

En vérité je ne sais pourquoi je m’amuse encore à griffonner des lignes, afin de prouver aux hommes notre liberté, ou plutôt les droits que nous y

187 25/05/23 02:32

Page 188: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

avons. Ne voyez-vous pas ces Messieurs rire et s’amuser entr’eux sur notre prétendue émancipation ? Les femmes qui prétendent être libres et nos égales ! ah ! la drôle d’idée ! folie de femme ! Mais si par hasard elles veulent se présenter parmi nous, et émettre leur opinion politique, nous leur débiterons quelques cajoleries, puis nous les renverrons poliment à leur ménage ou à leur toilette ; sans cela, où en serions-nous ?

Oui, Messieurs, vous avez raison ; où en seriez-vous ? nous serions vos égales. Riez à nos dépens, lorsque vous le pouvez encore ; d’ailleurs n’est-ce pas là le lot que vous nous avez fait ? nous devons vous distraire, vous amuser,.. quand même !… Voilà tout ce que nous tenons de votre générosité. Mais, en échange que vous donnons-nous pour un si grand bienfait ? Peu de chose, rien que… la vie ! souvent en la perdant pour vous : ou bien, si elle nous est conservée, faible créature que vous êtes, nous l’employons à vous élever, à faire naître, puis à développer ces forces dont vous êtes si fiers…. Où en seriez-vous, si nous montrant aussi peu généreuses que vous l’êtes, vous (p 272) nous serviez uniquement de jouet ? La nuit, gardant pour nous un sommeil bienfaiteur, vous languiriez faute de nourriture ; et le jour, vos cris perçans blessant nos oreilles délicates, nous fuirions loin de vos berceaux…. Que pourriez-vous alors ? et nous aussi nous aurions la force…. Mais non, grâce à notre âme sensible, à notre cœur généreux ( soit dit sans vous blesser), grâce à nous enfin, vous vivez, vous êtes hommes, vous êtes forts, et naturellement vous opprimez la faiblesse. Cependant la nature, moins avare que vous et vos lois, ne nous a pas tout ôté, et, dépourvues de forces, elle nous a laissé la ressource de la ruse…. Vous le savez, vous l’avez senti plus d’une fois,… c’est une arme assez dangereuse ; elle s’aiguise dans l’ombre et le mystère, se trempe d’un venin empoisonné, et lance des traits d’autant plus sûrs, qu’ils partent de la main inflexible du temps, guidée par la réflexion !… vous pouvez y penser ; … mais non, je vous vois rire : des femmes faire un complot, la drôle de chose ! quelle nouveauté ! honneur au dix-neuvième siècle ; il sera nommé, à juste titre, le siècle des merveilles, si nous voyons celle-là s’accomplir.

Courage, Messieurs, riez bien fort ; cependant votre jouet, votre poupée (à vous autres grands enfans) commence à se lasser, et grimace à force de rire. Magnétisée, pour ainsi dire, par d’antiques usages, somnambule de la société, elle dort tout en parlant et agissant ; … mais, patience, un son plein et grandiose a vibré à ses oreilles : toutes ne l’ont point encore entendu, patience donc ; … mais bientôt ! oui, bientôt, toutes l’entendront. Alors le charme cessera ; alors, Messieurs, la société actuelle croulera toute entière, et de ses décombres sortira, rayonnante et belle, la déesse aux bras nus, ou la divine liberté qui règnera et sur vous et sur elles. ISABELLE.

(p 273)

188 25/05/23 02:32

Page 189: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

EXTRAIT DE LA CORRESPONDANCE.

MADAME,

Le cri magique de liberté a retenti dans mon âme, et ce n’est pas sans peine, il faut l’avouer, que j’en ai ressenti les vibrations, qui sont venues si long-temps se briser contre les antiques et folles croyances de la vieille ville de Bordeaux. Oh ! ma faiblesse naturelle, Madame, ne m’eût pas permis d’invoquer par moi-même les accens de la liberté : l’oppression rend si timide ! Il a fallu qu’une voix mâle et retentissante, écho d’une autre voix plus mâle et plus retentissante (celle du Père), vînt émouvoir mon cœur tremblant, mais disposé aux idées saint-simoniennes. Alors mon existence a surgi de ce cimetière vivant, de ce bazar de demi-femme, car toutes celles qui n’embrassent pas les doctrines que vous publiez ne sont pas une âme entière, c’est-à-dire libres, indépendantes, agissant suivant leur volonté. Bordeaux est la ville par excellence pour le fanatisme, qui n’est autre chose qu’une superstition perfectionnée ; c’est à Bordeaux que la profession sacerdotale a jeté de profondes racines. Connaissant l’esprit de ses ministres, vous devez comprendre les clameurs, les sourdes haines qui s’ourdissent contre la nouvelle religion. Ne croyez pas que je veuille rehausser l’éclat de mon abjuration, en exagérant les difficultés innombrables qui se rencontrent dans notre cité ; car plus les habitans sont rares (p 274) ou peu nombreux, plus les préjugés sont inouïs et multipliés. Vous n’avez pas à déplorer à Paris le malheur que nous ressentons ; Bordeaux, qui occupe une des premières places après la capitale, n’occupe cependant pas la première sous les rapports de la civilisation proprement dite.

Une réputation est salie, un nom dégradé, une famille entière calomniée, si des relations trop directes, mais innocentes, nous rapprochent des hommes ; le plus léger commerce avec eux nous est interdit, toute espèce de communication tranchée. Jugez toute la honte (c’est le mot) que nous avons à combattre pour nous élever au-dessus de ces ridicules et ignobles convenances. J’ai tout osé, je les ai foulées aux pieds, j’ai apprécié à leur juste valeur les bases solides sur lesquelles repose l’édifice saint-simonien, je me suis initiée aux mystères de cette foi toute d’humanité et d’amour, de cette loi si suave qui a compris notre cœur, et qui nous a donné la force de concevoir et d’exécuter ce beau rêve dans lequel nous sommeillions depuis long-temps. Comptez, Madame, sur mon dévoûment [sic] et mon appui illimités pour la sainte cause des femmes. Comptez sur moi pour tout ce qui pourrait être utile. Je ne négligerai jamais l’occasion d’attacher des prosélytes à la nouvelle croyance. Cela sera long sans doute, mais loin de désespérer, j’ai une douce confiance en l’avenir ; et jugeant d’après mon cœur et quelques autres, j’espère que les femmes sont très-près du moment qui doit les métamorphoser à jamais de femmes esclaves en femmes libres.

AMANDA M

189 25/05/23 02:32

Page 190: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 275)A MADAME SUZANNE,

RÉDACTRICE DE LA TRIBUNE DES FEMMES.

MADAME,

Jusqu’à présent mon opinion politique m’avait rattachée aux républicains, mais bien souvent si, rentrant en moi-même, je venais à réfléchir sur notre position sociale, je trouvais alors leur tâche incomplète, quelque grande qu’elle me parût être, car l’émancipation de la femme ne se trouvait jamais comprise dans leurs réclamations ; mon orgueil s’en trouvait froissé, car moi, aussi bien qu’eux, je me sentais faite pour jouir du droit de liberté que Dieu a donné à tous ; moi aussi je trouvais, comme vous, arbitraire et injuste, la soumission indispensable qu’il nous faut avoir pour cette volonté masculine. Mais seule que peut-on opposer à des maîtres encore tout-puissans ? Heureusement qu’outre nos protestations énergiques, notre cause a trouvé, parmi ses oppresseurs même, des soutiens courageux et éclairés, qui nous reconnaissent des droits et une noble et belle mission à accomplir ; qu’enfin notre émancipation morale est juste et nécessaire. Vous voyez, Madame, qu’ils n’ont plus qu’un pas à faire pour être avec vous, et demander ensemble notre liberté entière.

Je m’empresse de vous extraire quelques passages d’un petit article de la TRIBUNE, journal politique et littéraire, du 13 août, au sujet d’un petit journal de femmes, qui (p 276) doit paraître incessamment. Voici comme son auteur s’exprime :

« Nous vivons, dit-il, dans une époque d’amélioration et de progrès ; les femmes ne doivent pas rester en arrière de cette marche progressive. Trop long-temps les vains préjugés, l’ignorance [FP ; : il n’y a pas de point sur le « i »], la futilité et les petites passions furent un obstacle à leur avancement…..

Aujourd’hui le domaine de la pensée n’est plus interdit aux femmes ; elles peuvent, mieux que jamais, régulariser leur conduite par l’étude et la réflexion, épurer leurs sentimens par l’initiation aux idées élevées et généreuses. Les hommes, en s’éclairant eux-mêmes, sont arrivés à ne plus craindre l’émancipation morale de la femme ; ils comprennent que, mieux elles connaîtront leurs prérogatives ou leurs droits, mieux elles rempliront leurs devoirs.

Dans cet état de choses il nous a semblé qu’un ouvrage périodique spécialement consacré aux femmes, était aussi un besoin de l’époque.

Tout nous promet que les jeunes femmes accueilleront avec plaisir un ouvrage consciencieux, qui les aidera à remplir leur noble et belle mission…. »

Nous ne ferons qu’applaudir, ajoute en finissant l’auteur de l’article, à une si noble entreprise qui, selon nous, présente de nombreuses chances

190 25/05/23 02:32

Page 191: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

de succès ; dans un temps où tout marche à l’abandon, sans foi, sans doctrine, on est heureux de trouver un conseil sage et prudent, qui dirige vers le bien la pensée chancelante et douteuse.

Je ne doute pas, Madame, que vous ne sachiez gré à cette sentinelle si avancée de l’émancipation des peuples, de nous compter enfin pour quelque chose : leurs cœurs, comme vous le voyez, est assez vaste pour contenir de l’amour pour tous. Que ceux qui croiraient que l’intérêt les fait agir, fouillent au fond de leur con- (p 277) –science pour y voir si la médisance ou la jalousie ne sont pas plus promptes à juger que la saine raison. C’est un hommage que je crois devoir rendre ici à ces consciencieux écrivains, qui n’ont jamais failli devant la justice, et redouté les persécutions que pour elle ils endurent. Qu’ils reçoivent donc les sincères remercîmens [sic] que ma reconnaissance croit leur être dûs [sic] à tant de titres.

ARMANTINE M…

Un mouvement légal vient de s’opérer en notre faveur ; nous avons à nous en féliciter comme d’un projet accompli. Je reste convaincue qu’il déterminera des résultats sinon immédiats et complets, au moins certains pour le développement de notre avenir.

Une des sociétés savantes de Paris, la société des méthodes d’enseignement, présidée par M. le baron Silvestre, a senti la nécessité de s’occuper directement de l’amélioration du sort des femmes. Le 27 août, cette société a consacrée [sic] une de ses séances à l’examen de cette importante question : « Quels sont les moyens de favoriser et de mettre à profit le grand mouvement intellectuel qui se manifeste chez les femmes ? » Certes, sans attendre du monde savant qu’il prononce de suite ce grand mot, liberté, sans croire qu’il va jeter ainsi dans l’exorde le dernier mot de péroraison, je m’attendais cependant que la question même, posée ainsi, serait discutée d’une manière plus large, et que l’on ne commencerait pas par trouver tout bien, afin d’avoir peu à changer. Enfin ces conférences (p 278) doivent se continuer, espérons…. C’est toujours un pas de fait vers notre affranchissement ; et notre reconnaissance est acquise à tous ceux qui, les premiers, entreront dans cette voie, la seule, désormais, possible aux améliorations sociales ; car en suivant la marche ascendante de toutes les idées qui dans les temps ont accompli leur révolution, on sera à même de comprendre l’époque actuelle et de prévoir que l’égalité des sexes ayant été jugée nécessaire et proclamée hautement, tant que la femme n’aura pas obtenu son état, sa place, aucune puissance n’arrêtera les efforts de sa pensée, les opérations de son esprit et de sa volonté pour parvenir à ce but.

191 25/05/23 02:32

Page 192: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Malgré le peu de publicité que l’on avait donnée à cette séance, on a été à même de juger, à l’empressement d’un grand nombre de femmes à y assister, combien la question qui devait s’y traiter est vivante d’intérêt pour notre sexe, et combien nous semblent pesantes les chaînes qui entravent le développement de notre intelligence.

Plusieurs discours ont été lus ; mais aucun n’a encore répondu directement à la question proposée. Les deux premiers, écrits sous l’inspiration d’un sentiment profond, ont impressionné vivement l’assemblée. L’un était d’une femme qui, ayant vécu, connaissait de la vie ses déceptions et ses douleurs : son discours était senti énergiquement, tracé fortement ; c’était une plainte. Le second, prononcé par une jeune personne à l’âme ardente, poétique, riche d’illusions, était une prière qu’elle adressait à tout ce qu’il y a de généreux dans la société ; elle étouffait,.… elle demandait sa place !… sa place à l’égalité !… sa place enfin ! le but de tous les efforts individuels. En écoutant cette voix tremblante et pure, qui n’a pas été tenté de lui adresser ces mots : «  aimable enfant, attache tes regards sur ce point qui brille à l’horizon, c’est l’avenir : seul, il réalisera tous tes vœux ; il sera beau pour nous, (p 279) si tu veux conserver à ta voix sa fraîcheur et sa suavité, si tu veux que tes chants soient ceux de l’espoir, et non du doute. Détourne-toi du présent ; ne t’apesantis [sic] pas sur ce qui se passe autour de toi ; ce présent dessèche et tue : c’est le règne de l’égoïsme. »

Il est cependant remarquable, et c’est un bonheur pour nous d’avoir à le constater, combien, en dehors du tourbillon saint-simonien, qui lance ses adeptes si avant dans l’avenir, fermentent autour de nous des germes puissans d’affranchissement pour la femme. Déjà craque de tous côtés le vieil édifice moral qui condamnait sa vie au rôle terne et passif d’une ombre, ou d’une automate organisée. Déjà elle ose se mouvoir seule, penser seule, par l’intelligence elle a pris ses degrés dans la littérature :… encore quelques efforts, et ce ne sera plus en vain qu’un cri de liberté aura retenti en sa faveur. Nouvelle Galatée, ce cri sera pour la femme le feu régénérateur qui viendra l’animer et l’initier à une nouvelle existence.

Espérons que bientôt la presse elle-même cessera d’être froide et glacée pour nous, et que, fidèle et constant écho des sentimens les plus avancés de la société, elle réveillera, dans le cœur de tous, les principes de justice et de raison universelle, et demandera pour nous et comme nous, la révision des lois qui nous subalternisent.

La manière un peu vague dont la question proposée a été traitée dans cette première conférence ne l’ayant point résolue, elle sera reprise et discutée de nouveau, en séance publique, le quatrième mardi de septembre.

SUZANNE.

————

(p 280)ANNONCES.

192 25/05/23 02:32

Page 193: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

L’Homme nouveau, ou le Messager du bonheur. On s’abonne chez M. Thonerieux, passage Thiaffait, no 4, à Lyon ;

Et chez madame Durval, libraire, rue des Célestins, no 5.

Foi nouvelle. On s’abonne chez madame Cécile Fournel, rue Chanoinesse, no 2.

Amour à Tous, Journal de la religion saint-simonienne, publié à Toulon. On s’abonne rue de Pradel, n. 7, à Toulon (Var) ; et à Paris, chez madame Cécile Fournel, rue Chanoinesse, no 2 ;

Et chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré, 8 bis.

Adresser lettres et envois, à madame VOILQUIN, rue Bourbon-le-Château, no 2.

On s’abonne aussi à la Tribune des Femmes, chez mademoiselle Isabelle Gobert, rue Saint-Anastase, no 4 ;

Et chez Johanneau, librairie, rue du Coq-Saint-Honoré, no 8 bis ;

*

193 25/05/23 02:32

Page 194: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(Affranchir les lettres et envois.)

SUZANNE, Directrices.

CÉLESTINE,[FP. : une accolade figure ici]

———————————————————————————PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,

PASSAGE DU CAIRE, no 54.

194 25/05/23 02:32

Page 195: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La Femme Nouvelle,(p 2)

TRIBUNE DES FEMMES,Paraît deux fois par mois, par livraison d’une feuille ou plus.

PRIX POUR PARIS. PRIX POUR LES DÉPARTEMENS.

2 fr.

50 c. pour 3 mois, 3 fr.

» pour 3 mois,

5 » pour 6 mois, 6 » pour 6 mois,10 » pour l’année. 12 » pour l’année.

Tome premier de LA TRIBUNE DES FEMMES, 1 vol . in-8o, 4 f. et 5 f. par la poste.

Rue des Juifs, No 21 ; et chez JOHANNEAU, libraire, rue du Coq-St-Honoré.AFFRANCHIR LETTRES ET ENVOIS.

FOI NOUVELLE — LIVRE DES ACTES, publié par les Femmes,PRIX : 1 FR. par mois.

A [sic] PARIS, chez Mme Marie Talon, au Cab. de lecture, rue Neuve-du-Luxembourg, n. 28.

AMOUR A TOUS, Journal de la Religion Saint-Simonienne, publié à Toulon.

A [sic] Toulon, rue de Pradel, n. 5.A [sic] Paris, chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré.

L’HOMME NOUVEAU, ou Messager du Bonheur, publié à Lyon.A [sic] Lyon, passage Thiaffait, n. 4, chez M. Thonerieux ;A [sic] Paris, chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré.

Imp. de PETIT, rue du Caire, 4.

195 25/05/23 02:32

Page 196: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La Femme Nouvelle.(p 3)

————————————————

TRIBUNE

DES FEMMES.

Notre bannière étant à la peine, il est justequ’elle soit à l’honneur.

JEANNE-D’ARC.

Egalité [sic] entre tous de droits et de devoirs.

_________________________Tome Second — 1re Livraison.

_________________________

PARIS,AU BUREAU DE LA TRIBUNE DES FEMMES,

RUE DES JUIFS, N. 21.ET CHEZ JOHANNEAU, LIBRAIRE, RUE DU COQ-SAINT-HONORÉ.

——————————Octobre, 1833. — Deuxième année.

196 25/05/23 02:32

Page 197: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 4)

IMPRIMERIE DE PETIT,Rue du Caire, n. 4.

197 25/05/23 02:32

Page 198: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 5)

TRIBUNE

DES FEMMES.

En vain le cœur vous manque, et votre pied se lasse ;

Dans l’œuvre du Très-Haut le repos n’a pas de place ;

Son esprit n’est pas votre esprit. (LAM :)

En commençant ce deuxième volume de la Tribune des Femmes, que la première pensée de mon cœur soit toute à la reconnaissance, que l’expression de ma gratitude semble douce et bonne à tous ceux et celles dont l’estime et l’affection m’ont donné force et courage pour continuer cette œuvre difficile d’émancipation. Et combien n’en avais-je pas besoin pour continuer à marcher dans cette voie ; moi, pauvre enfant du peuple, qui ne dois qu’à mon cœur seul, à la triste faculté qui est en moi, de souffrir et de sentir peut-être plus vivement qu’un autre, le développement de mon intelligence. Privée encore des moyens matériels de réclamer d’une manière éclatante et digne, l’égalité sainte qui doit s’établir entre les sexes lorsque l’on cessera de substituer la force au droit, j’ai dû, sentant combien ce champ était vaste et cette pensée féconde pour le bonheur de la grande famille humaine, oui, j’ai dû, malgré toutes ces entraves, continuer (p 6) à tracer lentement et péniblement ce léger sillon d’avenir, persuadée d’ailleurs d’être un jour comprise, et que quelques voix plus puissantes, plus retentissantes, viendraient se joindre à la mienne et imprimer à cette œuvre un mouvement plus rapide, qu’il ne fallait pour cela que savoir attendre ; car, à voir la fermentation des esprits, on peut, certes, sans être taxée de folle présomption, prévoir que dans ce siècle un grand progrès doit s’accomplir en notre faveur ; mais pour déterminer ce mouvement, on doit aussi prévoir que notre intervention est nécessaire, et qu’il ne peut marcher que d’après une idée préconçue, et une action quelconque agissant sur cette société.

C’est donc vers les femmes, que DIEU a fait puissance du siècle, que je tourne sans cesse mes regards, désirant trouver dans chacune d’elle un

198 25/05/23 02:32

Page 199: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

auxiliaire dévoué à la sainte cause d’émancipation à laquelle moi-même j’ai consacré ma vie.

Puissance de beauté, puissance d’intelligence, puissance de richesse, femmes supérieures dans tous les genres, Dieu ne vous a octroyé tous ces dons que pour que vous les lui rendiez avec usure, en les employant à la moralisation et au bonheur de tous.

C’est à vous que j’adresse cet appel.Ne sentez-vous pas que depuis trois siècles les révolutions qui se sont

succédées et accomplies en religion, en morale, en politique, ne nous ont entourées que de décombres ; et voyez : Luther d’abord, les Encyclopédistes ensuite, ont-ils fait entendre autre chose qu’une négation constante de la religion chrétienne, l’époque dissolue de la régence et de Louis XV n’est-elle pas une protestation violente contre la morale trop absolue du christianisme, protestation continuée et descendue maintenant jusque dans les derniers rangs de la société. En politique, les deux grandes révolutions qui se sont accomplies de nos jours, ne sont-elles pas une réaction énergique contre les mauvais systèmes qui régissaient le passé, n’est-ce pas cette suite d’idées que LE PÈRE exprimait si poétiquement lorsqu’il disait, en s’adressant à tous, dans le dernier numéro du Globe : « Vous n’avez plus d’autels, les trônes sont ébranlés, les familles se déchirent ! DIEU, les rois et l’amour, ne sont plus. Une religion nouvelle, une politique nouvelle, une morale nouvelle, voilà ce que je vous apporte ; et moi seul je pouvais vous les donner, parce que vous m’avez aimé et parce que je vous aime. »

(p 7) Je sens aussi combien pour nous cette époque sera grande entre toutes, , et que par les femmes la VIE doit recommencer à circuler avec plus d’énergie ; dans le grand corps social, les esprits les plus avancés aperçoivent partout un desir [sic], un germe de réédification universelle.

Pour chacune de nous dans cette rénovation, n’y aura-t-il pas une tâche à remplir ? que chacune suive donc sa voie ; la raison finira toujours par avoir raison. Ce travail lent, presque insensible de la pensée humaine, pour détruire le passé, et, fermentant sans cesse pour élaborer l’avenir, amènera, n’en doutons pas, pour résultats, la vérité et du bonheur pour tous.

Marchez ! l’humanité ne vit pas d’une idée !

Femmes dont l’intelligence est assez vaste pour embrasser la pensée générale, c’est sur ce terrain que je vous supplie de vous placer ? A [sic] vous la gloire de faire cesser cette époque d’anarchie et de doute, vous dont l’âme expansive et tendre a besoin pour vivre de croyance et de foi, à vous de faire croire de nouveau, par vos touchantes manifestations, à DIEU, à l’amour, au bonheur. Osez donc vous sentir libres et comprendre dans votre mission le rôle si beau de préparer la femme à être désormais la digne compagne de l’homme, et non plus son esclave ou sa pupille. A [sic] vous de dire, de répéter sans cesse, qu’à chaque renaissance, l’humanité s’est toujours retrouvée plus haut placée sur l’échelle morale, et d’affirmer qu’à notre époque elle ne veut plus reconnaître de parias dans son sein.

199 25/05/23 02:32

Page 200: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Chaque halte pour Dieu, n’est qu’un point de départ ! !

SUZANNE.

200 25/05/23 02:32

Page 201: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

SOCIÉTÉ DES MÉTHODES D’ENSEIGNEMENT.

Séances des 24 septembre et Ier octobre.

On a dans ces 2e et 3e conférences, appelé de nouveau les lumières de la discussion sur les moyens de favoriser et d’utiliser le grand mouvement intellectuel qui se manifeste chez les femmes. Assurément, sous le rapport de la précision dans les vœux émis, les discours qui ont été lus dans la première de ces conférences laissent quelque chose à désirer, mais une observation que l’assemblée a dû faire comme moi, c’est que tous les besoins des diverses intelligences, toutes les souffrances qui résultent du peu de satisfaction qui leur est accordé, s’y sont tour à tour manifestés, mais d’une manière trop faible et trop timide encore pour commander au monde le silence et obtenir un résultat satisfaisant.

On a écouté avec un véritable intérêt la fille du peuple, réclamant au moins pour son instruction les mêmes avantages que notre société donne au fils du peuple, avantages sans doute insuffisans, mais bien supérieurs encore à ceux dont on a imaginé de doter notre sexe.

Une femme qui, par son génie, semble appelée à des destinées supérieures, a fait entendre des réclamations passionnées pour obtenir que la sphère étroite qui enserre l’intelligence des femmes, et comprime leur vie entière, fût brisée ou au moins assez élargie pour que toute notre nature pût trouver sa place.

Nous avons ensuite entendu une femme qui, satisfaite de la vie de famille, croyant tout le bonheur de l’existence renfermé dans les détails mesquins de cette vie intérieure, ne demandait pour son sexe qu’une légère amélioration de ce qui est, et, appuyée sans doute sur une foi robuste, digne de rappeler les traditions excellentes et morales des siècles obscurs où l’on nous refusait une âme, n’a pas craint d’émettre cette pensée inouïe dans notre siècle de lumières, « que la femme, pour remplir les conditions de son existence, doit en tout (p 9) se conformer aux desirs [sic] de son mari, et n’avoir point d’autres opinions que les siennes…… » Grâce à Dieu, ce langage est devenu rare ; à notre époque la femme commence maintenant à ne plus renier son individualité, elle commence à se sentir une unité dans le grand tout ; maintenant elle veut s’unir à l’homme qu’elle préfère, mais non plus se confondre en lui ; elle ne veut plus se retrancher derrière un nom qui n’est pas sien, et qui forme par cela même un des plus forts anneaux de la chaîne, puisqu’il rend un autre solidaire de ses actes ; mais elle veut répondre par elle-même de sa moralité, de sa valeur réelle ; enfin, créature intelligente et perfectible comme l’homme, elle veut maintenant avoir comme lui au grand banquet de la vie, un nom et une place qui lui soit propre, et dont elle dispose à son gré.

201 25/05/23 02:32

Page 202: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Il est une parole que nous avons remarquée : c’est celle de Mme

Clémence Robert, qui relève notre sexe de l’humiliante opinion qui domine encore la plupart des jugemens du monde, jugemens qui nous déclarent incapables de former d’autres relations avec les hommes que des relations d’amour. Cette idée, à laquelle j’attache une grande valeur morale, je me félicite de la partager avec Mme Clémence Robert, et j’envisage aussi comme un progrès de notre siècle, comme un présage d’élévation pour nous, ces nombreuses affections, ces amitiés qui unissent des femmes et des hommes par des rapports, exempts de jalousie et de rivalité que l’on pourrait nommer de l’amour moins les sens, tant ces relations semblent douces et bonnes à l’âme.

La rapidité de l’expression insaisissable dans une seule lecture, m’empêche de noter un grand nombre de pensées délicates et progressives, lueurs brillantes, mais trop rares, qui permettaient de temps à autre d’entrevoir l’avenir.

Une autre dame, dans un discours très-bien écrit, très-gracieux sous le rapport de la forme, et très-énergique pour le fond des pensées, a tranché ainsi la question : s’adressant aux hommes, elle leur a dit : laissez faire, n’entravez pas la marche de la femme, par le mauvais vouloir de votre esprit tant soit peu despotique, et la difficulté se résoudra d’elle même [sic] par les faits, malgré les mille liens dont vous l’avez garottée [sic] ; voyez, la voilà comme vous arrivée au but, puisqu’elle vous force à constater son progrès et à trouver place pour ce nouvel élément intellectuel ; mais, vous, Messieurs, (p 10) toujours possesseurs, un beau jour vos yeux s’ouvrent, vous découvrez cette nouvelle mine à exploiter, aussitôt de vous consulter sur les moyens de la faire valoir, de l’utiliser, de la mettre à profit enfin…

J’avoue que ce n’est point tout à fait là l’expression, la forme du discours intitulé laissez faire, mais la sympathie que j’ai ressentie pour la noble indépendance de l’auteur, m’a fait assurément comprendre et saisir avec vérité le sens de sa pensée.

Les membres de la société, auxquels nous nous plaisons à reconnaître beaucoup de bienveillance pour notre cause, sentant que ces diverses manifestations ne devaient point rester concentrées entre les seuls individus présens, ont pris la résolution, séance tenante, de livrer à la publicité les discours et les résultats de ces conférences.

Une des rédactrices de notre tribune, nous ayant remis son discours, ainsi que Mlle Picnot (jeune personne professant les langues et l’histoire), nous nous empressons de les faire suivre immédiatement.

Nous accueillerons également, et nous publions dans cette Tribune, tout écrit de femme qui réclamera les droits de notre sexe, ainsi que ceux qui l’éclaireront sur ses devoirs.

SUZANNE.

202 25/05/23 02:32

Page 203: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

( p 11) Du moyen d’utiliser le développement intellectuel qui se manifeste chez les femmes.

Attirée à votre séance du 27 août par l’intérêt que m’inspirait la question qui devait s’y traiter, et ayant invité toutes les personnes qui feraient quelques réflexions à venir les communiquer ici, c’est ce qui me décide à prendre aujourd’hui la parole afin de vous dire les miennes.

Permettez-moi d’abord de vous dire quelques mots sur une question qui s’est élevée dans la discussion et à laquelle on s’est peu arrêté, parce qu’il n’y avait dans l’assemblée que peu de personnes qui eussent pu parler par expérience. C’est lorsque l’une de ces Dames, parlant des souffrances que les femmes ont à endurer lorsqu’elles veulent donner l’essor à leur intelligence, a ajouté : mais si cette femme est pauvre. Parmi vous, Messieurs, plusieurs ont dit que les chances étaient égales pour l’homme et la femme, permettez-moi de vous dire que non ; je puis parler, car tout ce que je vous dirai, je l’ai appris par expérience et non d’après les ouï-dire. Existe-t-il des établissemens publics pour l’éducation des filles ? Pour les hommes il est des colléges [sic] où quelques jeunes hommes privés de fortune sont élevés aux frais de la société ; mais en rentrant dans le cercle que je me suis tracée, visitons les écoles gratuites, formées pour le peuple ; dans celle des filles qu’apprend-on ? lire, écrire, peut-être s’étendra-t-on jusqu’à les faire compter ; mais leur langue, qui jamais songea à l’apprendre aux filles pauvres ? Dans celles des garçons, vous trouverez dessin, géométrie ; ils sont donc déjà mieux partagés sous le rapport de l’instruction : ensuite pour une école de filles combien de garçons ! Mais ne l’avez-vous pas entendu, lorsque le ministre de l’instruction publique présenta le projet de loi pour l’instruction primaire : après avoir énuméré tous les moyens de former des écoles de garçons dans toutes les com- (p 12) -munes de France, n’a-t-il pas ajouté que dans celles où il y aurait lieu, on pourrait en former de filles ; voilà ces chances égales pour l’enfance. Mais ils grandissent tous deux, ils entrent dans le monde ; de tous côtés, pour l’homme, s’ouvrent des cours ; il n’est pas une de ces soirées qu’il ne puisse employer utilement ; mais la femme, elle est privée d’appui, sans secours, au milieu de ce monde toujours si sévère pour elle ; et pourtant, parmi les femmes, il en est qui sont dévorées par le besoin d’apprendre ; c’est pour celles-là que la vie est pleine de douleurs, car sentir en soi la force de penser et se voir étouffée parce qu’on est femme, être obligée de torturer sa pensée pour la passer à la filière des gens qui nous entourent !… A [sic] peine permet-on aux femmes de dire toute leur pensée ; sentent-elles battre leur cœur puissamment aux récits d’une grande action, sentent-elles le desir [sic] d’en accomplir, oh ! vite qu’elles étouffent ces pensées ! une femme ne doit pas sortir du cercle étroit tracé autour d’elle ; et si elle le fait, que de

203 25/05/23 02:32

Page 204: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

douleurs elle a à endurer ; combien ne lui faut-il pas de force pour lutter contre les préjugés, sous le poids desquels on essaie de l’étouffer.

Ah ! Messieurs, il serait presque impossible de vous révéler toute cette vie intime de douleurs ; elle se sent, mais peut à peine se décrire, et d’ailleurs ce n’est qu’une faible partie des douleurs des femmes, que celle qui se rattache à la question que vous traitez ; je ne veux pas soulever le voile qui couvre toutes ces douleurs, je n’en aurai pas la force, mais le temps marche, et bientôt l’heure sonnera où toutes ces douleurs seront dévoilées, afin qu’on puisse y porter remède. En attendant, aidez de toutes vos forces ce développement intellectuel qui se manifeste chez les femmes, ne craignez point qu’en le faisant, la société soit bouleversée ; car alors que quelques femmes se trouveraient plus portées vers les travaux de l’intelligence, à côté d’elles il s’en trouverait de plus portées vers les autres ; et puis, il faut le reconnaître, la femme qui avant tout est religieuse, car plus que l’homme elle se rapproche de tout ce qui tend à l’union, n’ira jamais se livrer à des actes qui amèneraient le désordre dans la société, surtout lorsqu’elle sera éclairée sur ses droits et ses devoirs. Ce qui fait que tant de femmes se livrent avec dégoût aux devoirs qui leur sont imposés, c’est qu’en général ils sont peu en accord avec leurs (p 13) droits, et qu’ils leur sont imposés, sans qu’elles sachent pourquoi ; lorsqu’elles seront éclairées, elles s’y soumettront toutes en temps qu’ils ne tendront pas à les étouffer, et elles n’apporteront pas, ainsi qu’on a paru le craindre, le trouble au milieu de la société, car les femmes préfèrent toujours l’ordre au désordre.

Pour ce qui est des moyens d’utiliser leur intelligence, il en est un qui me paraît bien simple : à quoi les hommes font-ils servir la leur ? ils la répandent sur leurs semblables, en tachant toujours de la faire servir au bien général. C’est là ce à quoi il faut faire servir celle des femmes, et le moyen, c’est de leur créer une place plus large dans l’ordre social. D’ailleurs ceci est dans la force des choses, la société marche, le temps est venu où les femmes devront avoir plus d’influence dans la société, et ce développement intellectuel est une des marques de ce progrès ; un peu plus tôt un peu plus tard, il devra s’opérer ; tous les esprits un peu avancés, le reconnaissent;  vous-mêmes, Messieurs, l’avez senti en agitant cette question, et en appelant les femmes à s’en occuper ; les femmes vous en remercieront, car elles seront reconnaissantes de tous les efforts qui se font pour elles.

Ainsi pour moyen, c’est de leur donner une plus large part dans les travaux qui ont pour but le bonheur général, et de les aider à se créer une place plus large dans l’ordre social, et de travailler à détruire tous les préjugés sous lesquels on cherche à étouffer celles qui veulent donner l’essor à leur intelligence.

MARIE-REINE.

204 25/05/23 02:32

Page 205: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 14)MESSIEURS,

Cette question qui fait le sujet de votre séance : — quels sont les

moyens de favoriser et de mettre à profit le mouvement intellectuel qui se manifeste chez les femmes : — a, je l’avoue, soulevé dans mon cœur des émotions que j’avais cru devoir y ensevelir, a donné à ma pensée le desir [sic] de se faire comprendre, de s’exprimer sur un but particulier à atteindre, lors même que je m’égarerais dans ma route, et à mon faible esprit le courage de braver la raillerie, peut-être la honte. — D’ailleurs, Messieurs, n’est-ce pas entrer dans l’esprit de votre société qui est tout de philantropie [sic], tout de lumière, que de ranimer par l’élocution le sens paralysé d’une bonne intention, que de chercher à tirer une faible lueur d’une étincelle vacillante ; je le crois. Et puis un génie, Shakspeare [sic ? ], a dit : « il est dans la voix des mourans une espèce de charme qui captive l’attention, et une voix qui va s’éteindre est plus écoutée que ceux qui, pleins de jeunesse et de santé, prodiguent à loisir leurs facultés : la vérité sort de la bouche de l’être qui souffre. » — Si j’ai bien compris, Messieurs, le sens de votre question, si j’ai su unir ma pensée à la noblesse de vos intentions, vous vous serez dit : des écrits paraissent, des associations se forment ; voilà des femmes nées, voilà des femmes qui grandissent ; cherchons à donner des développemens à leur état présent pour favoriser leur état à venir. — Vous le pouvez, Messieurs, il faudra peu de temps à votre pénétration pour constater un besoin, et tirer une vérité de l’analyse des effets qui dérivent d’une même cause. — Vous le savez, l’intelligence n’est pas toujours exclusive ; il n’y a que l’arbitraire qui, souvent, la conteste à tels ou tels individus. — s’il y a progrès dans la littérature des femmes, c’est que beaucoup, heureusement placées dans le monde, trouvent dans le bienfait de l’éducation, dans le contact d’esprits élevés, dans les conseils d’êtres supérieurs, les moyens de développer leur esprit, d’épurer leur goût, d’asseoir leur jugement. — En même temps que (p 15) celles-là, échappées de la foule, jouissent de l’espace, observez qu’il en est d’autres qui aspirent au même but, qui invoquent les mêmes guides, mais que des liens retiennent, et que toute protection repousse. Vous permettrez, Messieurs, à une génération nouvelle, qui ne fléchit que par humilité devant les préjugés du monde et les abus de sa routine ; [sic ?] de blâmer noblement et sans crainte d’être entendue, les dangers de leur influence, les effets de leur mécanisme. C’est aux femmes, c’est aux jeunes filles d’élever leur timide voix et de dire ce qu’elles ont souffert, ce qu’elles souffrent dans l’atmosphère épaisse qui étouffe leur intelligence, et de demander ce qu’elles pouvaient espérer de lumière. Il est bien que ce soit une d’elles qui essaie de vous faire comprendre à quelles peines les condamnent la soumission de leur conduite, l’abnégation de leur volonté, quelle pourrait être leur part dans vos intérêts, et puis vous direz si leur sort est digne de

205 25/05/23 02:32

Page 206: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

vous, si leur existence de chaque jour n’est pas le sourire ironique d’une mauvaise action qui triomphe.

En effet, ne semble-t-il pas que les hommes, après je ne sais quel festin, comme possédés de délire, se soient écriés : — à nous le soleil ! à vous femmes, son satellite, qu’il vous éclaire s’il se peut ! — A [sic] nous le monde et ses gloires ! à nous la connaissance de toutes les découvertes ! à vous, la société et ses ébauches ! à vous le fabuleux de l’origine ! — A nous les sucs vivifians qui développent l’esprit et fécondent l’imagination ! à vous, les vapeurs fades et odoriférantes qui amolissent [sic] les facultés et énervent les sens.

Maintenant, hommes du dix-neuvième siècle, direz-vous comme Labruyère : pourquoi s’en prendre aux hommes si les femmes ne sont pas savantes ; par quelles lois, par quels rescrits leur a-t-on défendu d’ouvrir les yeux et de voir ? — Par quelles lois !… mais c’est dérision : quoi, vous, êtres supérieurs ! il vous faut, dès votre jeune âge, pour rendre votre esprit attentif, les soins de maîtres expérimentés et les premiers de leur nation, les études d’un collége [sic], des années d’universités, puis des chaires spéciales dans lesquelles des savans de chaque science vous les font concevoir ; il vous faut, dis-je, avant cet âge de 20 à 22 ans, avoir passé successivement dans toutes les classes d’un lycée, par tous les grades de l’enseignement, pour arriver, seulement alors, à réfléchir, à raisonner ; encore ne resterez-vous pas sans (p 16) guides, et de toutes parts, dans des lieux consacrés, vous trouverez un aliment à votre esprit, une réponse à votre pensée. Et vous voulez que l’être faible, que les femmes auxquelles vous n’avez donné de l’instruction que ce qu’elles avaient en elles de fatigue pour l’esprit, d’inconséquence pour la morale, en pratiquent les règles, en propagent les principes ! — Cela est rare : et en les observant un peu, je comprends leur silence, leur conduite, la vertu et les vices.

Mais ce n’est pas assez que de voir, que de comprendre ; la vue morale aussi bien que la vue physique ne peut fixer le danger sans chercher à le prévenir. C’est pourquoi, Messieurs, vous appuyant sur les bases de la morale et des progrès, et me servant de vos expressions, vous chercherez à favoriser le grand mouvement intellectuel qui se manifeste chez les femmes. — Ouvrez à l’enseignement des classes publiques ; rois de la science, faites-vous en même temps ses sujets ; laissez-là toutes théories spéculatives ; laissez-vous aller à une pratique libérale ! — Bientôt, vous verrez la foule attentive à vos leçons, rejeter son inertie, recouvrer de nouvelles forces, entrevoir une autre vie. L’idée que j’essaie de vous soumettre, n’est pas mienne, elle a de puissantes racines et d’immenses rejetons : consultez l’instruction publique des Etats-Unis [sic]. — Déjà, Messieurs, deux hommes généreux, deux hommes qui vous appartiennent, MM. Lévi et Lourmand viennent d’ouvrir à l’enseignement une voie régénératrice. La pensée d’un cours normal gratuit pour les institutrices les honore, et acquerra bientôt une haute importance. L’habitude des classes, le malheur ou l’expérience faisait que de jeunes filles, que des femmes suivaient comme par routine, entraient comme par hasard dans la carrière de l’instruction ; maintenant que des guides

206 25/05/23 02:32

Page 207: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

dévoués les y précèdent, elles suivront leurs pas pour arriver au but que révèle toute noble profession.

A [sic] cette cause, doivent se rallier ces êtres aux pensées larges, au jugement élevé, aux paroles divines qui attirent, émeuvent, électrisent C’est au plus vîte [sic] que nous nous devons à des destinées meilleures ; les femmes doivent les trouver dans les bienfaits d’une éducation solide, achevée, durable. — C’est à vous, Messieurs, qui avez puisé à la source même de la science, de répandre sur elles, je pourrais dire, le trop plein de la mesure, et leur recon- (p 17) -naissance sera éternelle comme votre protection infinie. — Il est bien pénible, Messieurs, de ne pouvoir exprimer sa pensée telle qu’elle vous bat au cœur. Je voudrais dire, et je ne sais comment exprimer tout ce que j’entrevois de progrès, d’affranchissement, de bonheur et de pures joies dans l’avenir, dans la vie privée, dans la conscience des femmes, s’il vous plaît de semer devant elles tout ce qu’un bon grain doit donner de moisson.

ANGÉLINE PIGNOT, Elève [sic] du cours normal gratuit des

institutrices.

L’impartialité promise à toute pensée de femme me fait un devoir d’insérer la lettre suivante.

MADAME,

C’est un rôle assez désagréable à remplir que celui de critique, et l’on conçoit facilement que ce n’est qu’à mon corps défendant que je le remplis. Mais j’ai été si désagréablement surprise dans les séances de la rue Taranne, que je ne peux m’empêcher de vous en exprimer mon sentiment, à vous, avec qui quelques rapports de pensée me lient.

A [sic] l’énoncé de cette question : — quels sont les moyens de favoriser et de mettre à profit le grand mouvement intellectuel qui se manifeste chez les femmes, — et sachant que toutes étaient appelées à exprimer leurs sentimens, j’ai dû penser qu’ayant tant à se plaindre de l’oppression et du peu d’importance qui leur est accordée, elles s’élèveraient avec chaleur contre leur abaissement ; je m’attendais que celles qui auraient le pouvoir de parler ne diraient pas de vaines paroles et que les femmes assujéties sous le même joug se rallieraient et sauraient discerner au moindre cri d’une souffrance, dont aucune (p 18) n’est exempte, la parole d’émancipation de la parole servile, insignifiante. Hélas ! Madame, quelle erreur était la mienne, et qu’était-ce que ces séances où nous étions appelées à parler ? Oh ! notre pauvre espérance que cette proposition a fait naître, qu’est-elle devenue ?

Quelques accens de l’âme s’y sont fait entendre ; ils n’ont pas même été discernés du parlage, des phrases à effet de presque toutes ces dames ; les véritables souffrances de notre sexe sont restées muettes et dans l’ombre pour laisser le champ libre au bel esprit, à la pédanterie,

207 25/05/23 02:32

Page 208: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

aux fades complimens, à l’erreur, aux paroles désordonnées, à l’égoïsme qui cherchait à spéculer sur l’empressement que nous avions mis à nous rendre à cet appel. Et si, au travers de ce touchant accord d’éloges et de louanges réciproques, au milieu de ce charlatanisme, quelques graves pensées venaient à se montrer, c’était pour être aussitôt noyées dans la foule des inutilités ; car de s’occuper de les recueillir, de les soumettre à l’examen, de les défendre et de les inculquer à ceux qui ne les auraient pas senties, ce n’était pas l’affaire de tous ceux qui prenaient la haute place ; ils n’étaient pas venus là dans ce dessein, mais bien pour s’occuper d’eux-mêmes, pour lire leur discours ou défendre leur personnalité, et moi, de répéter tout bas : ô mon pauvre espoir qu’es-tu devenu !

Assurément, cette question, d’après la manière dont jusqu’ici elle a été discutée, semble être hors de la portée de ceux qui l’ont soulevée comme de ceux qui l’ont traitée. Sans doute, nous n’attendions rien pour sa solution immédiate, mais nous espérions entendre des voix s’ajouter aux innombrables voix pour décrire les souffrances de notre sexe ; au lieu de cela, nous avons vu des femmes qui croyaient que le titre de littérateur leur donnait des droits à la parole, et qui, dans leur hardiesse, à propos de mettre à profit le grand mouvement intellectuel des femmes, se sont élevées contre les vices des éducations de couvent, ont exalté les bienfaits de quelques entreprises en faveur de l’instruction des jeunes personnes. Pour nous, qui avions senti ce que cette question avait de profond, nous pensions que vouloir utiliser socialement ce grand mouvement de progrès, c’était déclarer qu’en dehors de ce qui est il existe une puissance bonne à mettre à profit ; c’était ouvrir la porte aux réclamations, aux besoins des femmes, appeler la révélation de leurs souf- (p 19) -frances intimes, c’était avouer qu’elles ne sont pas à leur place et demander comment on peut arriver à fixer le rôle nouveau de la femme dans l’état social ; enfin, c’était avouer l’incomplet de tous les rôles sociaux, et les soumettre tous de nouveau à l’examen pour chercher à y remédier, s’il y a lieu ; c’était, en un mot, traiter les plus hautes questions d’art, de politique, de morale, de religion. A [sic] ce point de vue, certes, ce n’est point à vous, Madame, que j’ai besoin de faire sentir ce que les séances dernières m’ont apporté de déceptions. Pourtant, je ne veux pas oublier de dire que dans le monde moral si décrépit à notre époque, une femme se propose d’ouvrir un cours de morale ; nous avouons que c’est une douce consolation de voir encore quelques colonnes debout parmi tant de ruines.

Agréez, Madame, etc.

MARIE CAMILLE DE G….

EXTINCTION DE LA DETTE DU PÈRE.

208 25/05/23 02:32

Page 209: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Les APÔTRES, sous la direction du PÈRE, ont sacrifié leur fortune entière à la propagation de LA FOI NOUVELLE à l’affranchissement des femmes et du peuple ; pendant deux ans, ils ont enseigné au monde, par la publication gratuite du Globe, de l’Organisateur et d’un million de brochures, le but que DIEU assigne à l’humanité. Aujourd’hui, qu’ils n’ont plus rien à donner, LE PÈRE s’est éloigné de la France ; il va montrer aux populations endormies et arriérées de l’Égypte la puissance du travail et de la production. Ceux-mêmes qui ne partagent pas sa noble confiance dans l’avenir de gloire et de prospérité pacifique qui s’ouvre devant les générations futures, ne peuvent s’empêcher d’admirer le courage et la persévérance de cet homme vraiment grand. Que ceux-là qui l’admirent, pour ce qu’il a fait, pour ce qu’il veut faire encore, apprennent qu’il faut quelque chose de plus que de l’admiration à celui qui se dévoue pour le salut de tous ; (p 20) il faut qu’il soit aidé, il faut que rien dans sa vie ne soit un sujet de doute, de raillerie et d’incrédulité moqueuse.

LE PÈRE n’a rien, et il doit ; ce qu’il avait, il l’a donné ; ce que ses fils avaient, ils l’ont donné ; et, cependant, il ne faut pas que le monde puisse prononcer les noms du PÈRE et celui de ses FILS, en y ajoutant l’épithète d’insolvable ; car nous, qui l’aimons et qui les aimons, nous voulons que son nom et leurs noms soient respectés par tous. C’est pourquoi nous avons résolu de réunir en un faisceau commun tous les efforts de ceux qui aiment et admirent LE PÈRE et ses FILS, et le nombre en est grand, afin de payer les dettes qu’ils ont contractées en travaillant à l’affranchissement des femmes et du peuple. Nous faisons un appel à tous, afin que tous prélèvent sur leur superflu de quoi payer une dette au nom et pour le salut de tous : quelque légère que soit leur offrande : nous la recevrons avec reconnaissance. Déjà, une souscription a été ouverte et plusieurs personnes ont fait leur versement, en s’engageant à le continuer de mois en mois. Tous ceux qui sont dans l’intention de les imiter devront s’adresser, soit chez Caroline Béranger, rue Saint-Sébastien, n. 36, ou chez Mme Marie Talon, rue Neuve-du-Luxembourg, n. 28.

209 25/05/23 02:32

Page 210: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Aussitôt que nous aurons réuni un nombre suffisant de souscripteurs, nous en publierons les noms, à moins qu’ils ne s’y opposent, et nous prendrons des mesures pour régulariser légalement le versement des souscriptions, soit en les faisant déposer chez un notaire, commis à cet effet, et chargé d’en appliquer le produit, soit de toute autre manière propre à remplir le but que nous nous sommes proposés [sic].

CAROLINE BERANGER.

SUZANNE, Directrices.

CÉLESTINE,[FP. : une accolade figure

ici]

210 25/05/23 02:32

Page 211: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La Femme Nouvelle,(p ?, avant p 21)

TRIBUNE DES FEMMES,Paraît deux fois par mois, par livraison d’une feuille ou plus.

PRIX POUR PARIS. PRIX POUR LES DÉPARTEMENS.

2 fr.

50 c. pour 3 mois. 3 fr.

» pour 3 mois.

5 » pour 6 mois. 6 » pour 6 mois.10 » pour l’année. 12 » pour l’année.

Tome premier de LA TRIBUNE DES FEMMES, 1 vol . in-8o, 4 f. et 5 f. par la poste.

Rue des Juifs, No 21 ; et chez JOHANNEAU, libraire, rue du Coq-St-Honoré.AFFRANCHIR LETTRES ET ENVOIS.

FOI NOUVELLE — LIVRE DES ACTES, publié par les Femmes,PRIX : 1 FR. par mois.

A [sic] PARIS, chez Mme Marie Talon, au Cab. de lecture, rue Neuve-du-Luxembourg, n. 28.

AMOUR A [sic] TOUS, Journal de la Religion Saint-Simonienne, publié à Toulon.

A [sic] Toulon, rue de Pradel, n. 5.A [sic] Paris, chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré.

LIBERTÉ,FEMMES !!! brochure in-8, par Pol Justus, publié à Lyon chez Mme

Durval, libraire, place des Célestins.A [sic] Paris, chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré.

Imp. de PETIT, rue du Caire, 4.

211 25/05/23 02:32

Page 212: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La Femme Nouvelle.(p ?, avant 21)

————————————————

TRIBUNE

DES FEMMES.

Notre bannière étant à la peine, il est justequ’elle soit à l’honneur.

JEANNE-D’ARC.

Egalité [sic] entre tous de droits et de devoirs.

_________________________Tome Second — 2me Livraison.

_________________________

PARIS,AU BUREAU DE LA TRIBUNE DES FEMMES,

RUE DES JUIFS, N. 21.ET CHEZ JOHANNEAU, LIBRAIRE, RUE DU COQ-SAINT-HONORÉ.

——————————Novembre, 1833. — Deuxième année.

212 25/05/23 02:32

Page 213: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(une page blanche)

(p 21)

Et j’ai dit dans mon cœur : que faire de la vie ?

Irai-je encore, suivant ceux qui m’ont devancé,

Comme l’agneau qui passe où sa mère a passé.

(LAMARTINE,)

En vérité, il est un moment dans la vie où l’on est en droit de désespérer de soi-même et de l’humanité, si l’on n’est pas soutenu par une pensée religieuse. Je veux parler de l’instant où la raison a atteint un certain degré d’élévation dans l’esprit de la femme : à ce moment, sa jeune âme, pleine d’enthousiasme et d’ardeur, croit pouvoir jouir du droit de liberté que Dieu, quoiqu’il en soit autrement, a donné à tous. C’est alors que pour elle commence cette vie de déception et d’angoisses, vie de sacrifices ; elle voit distinctement ces rêves charmans de l’adolescence s’évanouirent avec une effrayante rapidité ; de même encore que ces douces illusions, où elle se plaisait à voir un monde indulgent, ou du moins juste. Pauvre ignorante ! les jours, les heures même lui semblaient des années, tant elle désirait l’atteindre, afin d’y pouvoir occuper un rang digne d’elle, et justifier, s’il est nécessaire, aux yeux de tous, son besoin d’amour et de gloire ; oui, oui j’ai dit de gloire, sans craindre le découragement que pourrait produire ce rire moqueur qui effleurera peut-être les lèvres de ceux qui liront ces réflexions ; car, pour moi, c’est un preuve incontestable que vous n’avez jamais senti, et que vou [sic] ne comprenez point tout ce que cette sublime pensée a de pouvoir sur une jeune âme ardente et passionnée, qui sent profondément que par elle l’amour se purifie, s’élève et devient une vertu mobile de toutes nos actions.

Jamais erreur ne peut être reconnue avec autant de vérité que dans cet instant, où la femme, entrant dans le monde, croit y trouver (p 22) la réalité de ses espérances. Son monde, à elle, était si pur qu’il ne pouvait certainement de nos jours n’être qu’une chimère. Oh ! quelle différence il existe dans celui qu’elle aborde, pour elle comme pour toutes celles de nous qui consentons à l’habiter. Il impose rigoureusement une obéissance passive à toutes ses lois, aussi inconséquentes que bizarres. Sous de semblables institutions, il est bien croyable que l’existence d’une femme n’est comptée pour rien, et passe inaperçue comme le vol rapide de l’oiseau. Au résumé, elle doit consacrer sa vie à l’observation la plus minutieuse de ces deux principes, abnégation entière de toute volonté et résignation non moins restreinte, et que ne sai-je [sic] pas encore ; puisque je commence à vivre pour la raison, ô mon Dieu ! que suis-je donc

213 25/05/23 02:32

Page 214: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

destinée à apprendre, si je consens à me confondre dans cette généralité si confuse et si mesquinement organisée. Mais non, il n’en sera pas ainsi, et je n’accepterai point la considération de tout un monde semblable, pour prix de mon abaissement et de ma servilité ; et, répétant ce qu’une de nous a déjà dit, je l’attendrai avec patience, sans pour cela faillir au mandat que la femme a reçu de son Dieu.

Pourquoi donc, moi aussi, suivrais-je cette foule véritablement aveugle, qui va sans y songer, où tout se confond et se perd sous le silencieux et profond mystère de la tombe. Oui, je veux m’arrêter, puisqu’il est encore temps, avant de franchir l’entrée de cette vie que tant de femmes n’ont pu parcourir sans souffrances ou sans réprobations, sans être livrées à l’isolement ou précipitées d’abîme en abîme par un monde injuste et railleur ; et cette voix, qui me crie, ne me l’ordonne-t-elle pas, en quelque sorte : Dieu, bonne et tendre mère, ton enfant te remercie avec toute l’effusion dont sa jeune âme est capable ; elle écoute attentivement la mystérieuse et sainte révélation : « N’entre pas, m’est-il dit, dans ce monde qui croule chaque jour sous tes yeux ; vois les vains préjugés qui l’accablent et l’entraînent vers le néant, pour reparaître ensuite digne de celui qui l’a créé ; attends, si tu en as la force, qu’il renaisse assez vaste et puissant pour donner à tous la place qu’ils doivent occuper ; la tienne y sera : soit prête pour remplir la mission qui te sera confiée ; attends, attends, et prépare-toi à la remplir dignement. » Oui, oui (p 23) je saurai attendre ; car ce temps sera employé au travail préparatoire. Pour jouir, apprends cette liberté qui doit un jour nous advenir. Oh ! liberté, il n’est point de bonheur sans toi, et jamais elles n’en ont joui, les femmes, ou du moins c’est sans la comprendre, et la responsabilité des fautes qu’elles ont pu commettre, en se mettant, dans une position exceptionnelle, vis-à-vis du monde qui se dit religieux, quoique n’ayant pour système que l’oppression, ne doit point retomber sur elles ; elle est pour cette masse qui leur avait imposé un rôle secondaire, sans jamais vouloir comprendre tous [sic] ce qu’il dévore d’intelligence et de courage ; car la femme n’est pas une immobile et froide statue, que l’habile sculpteur embellit et pare suivant son caprice ; bien loin de là, elle vient de Dieu, et sa vie, qui est en elle, pourra désormais s’égarer, mais non s’avilir, quand elle aura compris tout ce qu’elle renferme de noble et d’élevé. A [sic] nous, sans doute, était réservé de connaître notre nature ; car nous avons compris que, sorties de l’enfance, nous pouvons aisément nous passer de guide moral durant toute notre vie, et que, ne ressemblant pas au lierre, nous pouvons grandir sans appui.

Quelques dénominations tendres et flatteuses qu’il soit accordées à la femme, ne craignons pas de paraître exigeantes, en portant nos vues à une élévation supérieure ; ce ne sont, hélas ! que des fleurs que ceux qui les sèment font aussitôt disparaître ; lorsqu’elles s’élèvent assez haut pour ombrager le terrain qu’ils cultivent, ou que l’inconstance abat avec autant de légèreté que de promptitude ; ce n’est plus la sourde influence qu’il faut nous donner pouvoir d’exercer, c’est la juste puissance d’un être non supérieur, mais digne de l’égalité qui nous est due et nous sera accordée.

CÉLESTINE M……

214 25/05/23 02:32

Page 215: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 24)SOCIÉTÉ DES MÉTHODES D’ENSEIGNEMENT.

(L’abondance des matières ne nous permettant que d’insérer le discours suivant, qui a été prononcé dans la séance du 22 octobre, nous remettons au numéro prochain à rendre compte de cette quatrième conférence.)

Je ne viens point, Messieurs, faire ici de littérature ; enfant du peuple, je n’ai pu recevoir l’instruction qui permet à la pensée de s’échapper du cœur, brillante et colorée ; l’expression de la mienne sera simple et vraie comme le sentiment qui m’anime. Le cri de l’âme, pour se faire comprendre, peut se passer facilement des ornemens des sciences apprises.

Grâce vous soit rendue, Messieurs, vous avez éveillé l’attention sur une cause sacrée ; vous êtes, plus que tout autre, en position de continuer cette œuvre ; des préventions injustes et fausses ne vous entourent pas, ne sont pas là prêtes à vous saisir corps à corps, et à paralyser vos intentions bienveillantes pour nous. Vous avez senti que dans l’ordre social existant, et malgré le développement inouï de lumières qui, depuis cinquante ans, ont pénétré dans les masses et les ont éclairées sur leurs droits, le sort de la femme, seul, ne s’était point amélioré, qu’elle était toujours là, comme par le passé, pupille et dépendante, souffrant dans son intelligence, dans son sentiment moral et dans ses besoins physiques, de cet état subalterne et précaire qui pèse sur elle, à son entrée dans la vie, et ne la laisse libre qu’à la mort. Votre mérite, Messieurs, est d’avoir senti que la femme avait beaucoup à réclamer et beaucoup à attendre d’un siècle comme le nôtre. Quittant alors le rôle de tuteurs, de législa- (p 25) -teurs, de maîtres absolus : vous êtes venus vers nous comme de véritables amis, solliciter et faciliter tout à la fois la révélation de nos plus secrètes pensées ; que tout cœur de femmes qui, pressant l’avenir, vous adresse une pensée de reconnaissance pour cet acte ; car prêtant l’appui de la publicité à cette cause sainte, elle deviendra bientôt, j’espère, question sociale ; j’ai la conviction intime qu’avant peu tout ce qu’il y a dans notre belle France, de vivace, de jeune, de moralement fort, tout ce qui doit en un mot, renouveler le siècle, bientôt sentira, comme moi-même je le sens si profondément, que de s’occuper du sort des femmes, que de favoriser et d’encourager leur développement, c’est la seule voie possible pour imprimer au grand mouvement intellectuel et moral, qui se manifeste partout, la marche complète et rapide que la société est en droit d’attendre de tout nouveau progrès.

Messieurs, nous sommes réunis dans cette salle pour la quatrième fois, lisant, dissertant, et ne résolvant rien. D’où vient cela ? C’est, je crois, que l’on a craint de poser la question sur son véritable terrain. Je vous avouerai même en toute vérité, Messieurs, à mesure que le temps marche et que vos discussions se continuent, le découragement et la déception se

215 25/05/23 02:32

Page 216: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

glisse de plus en plus dans mon âme ; déjà plus d’une fois je me suis demandé, voyant la direction que vous imprimiez à ces conférences, si vous aviez mission et puissance pour diriger notre intelligence ? Si vous savez vers quel but devront converger nos diverses aptitudes ? Quelle place sera la nôtre, si les institutions qui nous régissent, les lois qui nous gouvernent, si tout ce qui existe ne subit pas une transformation importante. Votre question, Messieurs, qui selon moi touche à tout, s’adresse-t-elle à la généralité des femmes ? Est-elle faite dans l’intention de vous éclairer de toute lumière, afin d’améliorer le sort de l’ensemble de la totalité ? Ou bien est-elle exceptionnelle et favorable seulement au petit nombre de femmes intelligentes, assez fortes, assez persévérantes pour sortir de la foule malgré les entraves qui se trouvent sous leurs pas ! S’il en était ainsi, je vous dirais Messieurs, créez une association protectrice des lumières, sous votre patronage ; admettez les femmes qui se distingueront par l’in- (p 26) -telligence dans vos sociétés savantes, dans vos académies ; alors, à un certain point de vue un peu étroit sans doute, votre question se trouvera résolue, vous aurez facilité le développement intellectuel des femmes, par la gloire qu’il y aura pour elles de mériter la palme du génie en concourant à vos côtés ; et vous aurez utilisé ce grand mouvement par l’émulation qui devra naître nécessairement des nouveaux rapports qui s’établiront entre les sexes.

Messieurs, en continuant sur ce ton, je croirais en vérité méconnaître l’esprit progressif qui vous animait lorsque vous avez livré à la discussion publique cette importante question. Je craindrais de vous rapetisser dans vos intentions, en répondant par des détails mesquins sur des éducations partielles ; à un problème d’un ordre élevé et d’un intérêt général. Hé quoi ! Pense-t-on que la question soit déjà résolue, pour s’occuper ainsi qu’on l’a fait dans les dernières séances, de détails propres à figurer tout au plus dans un prospectus de pensionnat, continuer ainsi, serait nous attirer de la part des esprits sérieux, le reproche mérité que nous ne savons que glisser sur les surfaces, et non point approfondir les choses ; donnons quelques soins à la forme, mais ne négligeons pas le fond ; croyez-moi, reprenons l’examen de la question proposée, examinons-la sur toutes ses faces. Nous sommes-nous assez pénétrés de son importance ? nous sommes-nous bien élevés à sa hauteur ? avons-nous senti que chercher à fixer par l’éducation ce que le mouvement intellectuel des femmes, peut et doit exercer d’influence sur la nouvelle génération, c’était leur assigner un rôle dans la société, ce qui jusqu’à présent n’a existé que de fait et non de droit, par conséquent n’a pu être ni régularisé ni utilisé, c’était enfin appeler la femme à prendre sa place dans la famille, dans le temple, dans l’état, en d’autres mots, à compter véritablement pour moitié dans la famille humaine ; que l’on ne s’y trompe pas, cette question est multiple, elle comprend toute la femme, elle touche à toute sa vie. Vous ne pouvez, sans danger de désordres, développer une de ses facultés, et laisser les autres dans l’ombre : agir ainsi, serait apporter une lumière funeste, lumière qui ne servirait qu’à découvrir une plaie profonde, sans y appliquer de remède. La femme (p 27) n’a point seulement une intelligence, elle a aussi un cœur et un corps, c’est dire qu’elle a des besoins à satisfaire dans l’ordre moral, physique et intellectuel.

216 25/05/23 02:32

Page 217: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Je le répète, Messieurs, cette question touche à tout ; je ne puis la résoudre qu’en la considérant dans sa plus haute expression, je veux dire en la rattachant à l’émancipation complète de la femme. Ainsi, pour tout homme de bonne foi, chercher les moyens de favoriser et de mettre à profit le grand mouvement progressif qui se manifeste chez notre sexe, c’est reconnaître en principe l’égalité sainte de la femme et de l’homme devant DIEU, et appliquer à la pratique de la vie toutes les conséquences de ce grand principe libéral. Partant de cette base, nous aurons à examiner plus tard tous les élémens sociaux ; il y aura lieu de rechercher en politique, en industrie, ce que l’intelligence des femmes et leur influence pourraient y apporter d’amélioration, ce qu’en morale elles pourraient réformer ou admettre….Tant que nous resterons en arrière de ces questions, les seules vivantes, les seules vraies de cette vérité éternelle, les intentions les plus bienveillantes resteront elles-mêmes sans résultats ; il y aura toujours dans toutes les conditions de la vie des douleurs énormes, tant que l’égalité des sexes ne sera pas un fait social. Que les âmes timides ne se laissent point trop préoccuper, si, de ce point de vue, tout paraît à réformer : il y a toujours, comme moyen transitoire, à faire quelque chose dans le temps ; il y a à préparer l’avenir, il y a à introduire comme lien entre le présent et l’avenir les améliorations jugées les plus urgentes.

Cet avenir, Messieurs, touche de bien près le présent : il faut le connaître, si nous ne voulons pas en être débordé [sic], et pour qu’il ne vienne pas subitement détruire le peu de convictions qui nous soit [sic] restées…. Mais, je m’arrête, car alors, surgissent les grandes questions de notre destinée… chercher à les faire entrer dans le cadre proposé, serait vouloir le briser, et telle n’est point mon intention….

Si la discussion peut se poursuivre, si la question peut être placée sur ce terrain, alors les femmes auront quelque chose à dire, alors, encouragées par vous, elles viendront elles-mêmes vous découvrir (p 28) leurs souffrances secrètes, leurs desirs [sic], leurs espoirs pour l’avenir ; on n’entendra plus des femmes de talens être réduites à demander ce que personne ne pense à leur refuser, qui songe maintenant à rétablir les éducations de couvent… Si quelques familles, éparses çà et là, regrettant le passé, s’attachent à tout ce qui le rappelle, respectons leurs convictions et leur douleur sans espoir. Ce serait le cas d’appliquer ce mot remarquable : laissons faire, ne nous en inquiétons pas, ce n’est pas là que marche notre jeune France.

SUZANNE.

Paris, 8 octobre 1833.

217 25/05/23 02:32

Page 218: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

A [sic] MESDAMES LES RÉDACTRICES DE LA TRIBUNE DES FEMMES.

Oui, Mesdames, c’est une belle dévotion aussi, que celle du progrès ! mais faut-il qu’au dix-neuvième siècle il y ait encore tant d’hommes et de femmes attachés à la routine ? s’obstinant à rester dans les sentiers étroits et fangeux ? enfin à qui la lumière fait peur. Au dix-neuvième siècle ! siècle de tant de gloire, siècle de mouvement perpétuel, tendant à tout agrandir, entraînant dans sa course vers les destinées futures, d’innombrables bienfaits ! quoi ! lorsque les femmes du progrès élèvent la voix, non pour dominer, non pour usurper aucun droit, mais pour tout égaliser, en admettant des différences, des aptitudes on entendra des hommes injurieux, (p 29) parler bien haut, attaquer, déprimer le génie, la grandeur et la dignité de ces mêmes femmes ? et d’autres femmes humbles, se soumettent servilement à ces tristes organes du mensonge et de l’usurpation. Ils refusent ces hommes, que les hommes de bien répudient, ils refusent l’égalité que nous demandons, nous qui avons tant de motifs pour être fières de la tâche que le ciel nous a confiée ; tâche immense, qu’ils s’efforceraient en vain de méconnaitre [sic]. S’il est vrai que la femme ne serait rien sans l’homme, il est encore plus vrai que sans la femme il serait moins que rien. La majorité des femmes est trop bien instruite par ses épreuves et sa conscience, pour ignorer quels droits sont les siens, pour ignorer que l’homme, faible créature aussi, n’a véritablement ni le droit de l’opprimer, ni celui de l’affranchir ; qu’avant tout elle a Dieu pour protecteur. Et que faut-il donc placer entre ces deux êtres, l’homme et la femme ? La vérité, l’union, la paix, toujours la paix ! que demandai-je autre chose que la paix et l’égalité, que la paix et la justice ? Eh ! bien, Mesdames, ce sont ces invocations de bonheur, de félicité, qui courroucent, irritent contre moi les hommes et les femmes rétrogrades ; en vain dans la question qui s’agite, rue Taranne, je leur tiens ce langage ; vous l’entendez vous-mêmes. Ils forment déjà leur cabale, se préparent à nous faire entendre des préceptes rétrogrades, à établir une école rétrograde. Le langage de la philosophie, de cette grande raison humaine, ne les arrêtent pas ; les produits intellectuels qui ont honoré tant de femmes de l’antiquité, qui honorent tant de femmes depuis la renaissance jusqu’à nous, ne les arrêtent pas ; les lois de la civilisation domestiques créées par les femmes, les lois qui se sont rendues universelles, ne les arrêtent pas.

Nous demandons aussi une éducation large et solide, et dans leur ridicule étonnement il [sic] se révoltent ; et nous sommes au dix-neuvième siècle ! O femmes du progrès, oui, poursuivez votre route ; la religion du vrai Dieu ! la vérité, l’équité, l’amour de l’humanité, une abnégation généreuse, tels sont vos guides, et les générations futures vous béniront ; elles rediront aussi : les femmes, toujours les femmes sont nées pour la civilisation, pour apporter au monde la paix et le bonheur !

218 25/05/23 02:32

Page 219: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Et vous, femmes rétrogrades, dirai-je, ne l’ou- (p 30) -bliez pas : plus vous serez petites et d’âme et d’intelligence, plus les hommes seront petits et d’esprit et de cœur.

Dans l’éducation des femmes, outre le moral, qui est la première puissance, et qui exige la première et la plus grande culture, il est nécessaire, urgent de porter notre attention sur leur situation physique : que sont des femmes élevées dans la mollesse, dans une sorte d’anéantissement de leurs forces naturelles ? De quelle génération menacent-elles l’avenir ? Il faut donc aux femmes également une instruction gymnastique ; j’en ai acquis la preuve en visitant de nouveau l’établissement du colonel Amoròs, de cet homme vieilli dans l’expérience et dans l’amour du bien ; tout plein d’ardeur encore, criant aussi : progression ! progression !

Il faut, dès leur tendre jeunesse, déployer dans les femmes toutes les forces physiques dont elles sont capables. La méthode amorosienne est à la fois une source de morale et de santé. Dans cette école normale, civile et militaire, on ne voit pas, comme il existait à Sparte, à Rome, les essais, les déploiemens, qui ne formaient que des lutteurs inutiles et barbares, et que l’on donnait en spectacle à un peuple grossier, qui baissait ou élevait les pouces, pour décider à son gré de la vie ou de la mort du misérable athlète. Les exercices gymnastiques de M. Amoròs se divisent en deux séries principales, dont les combinaisons sont forts nombreuses, c’est-à-dire, en exercices élémentaires et en exercices d’application, ou grands exercices. Aux premiers, qui consistent à disposer les divers mouvemens des extrémités, des membres en général, dans toutes leurs articulations, est adopté le rythme musical ; le chant est imaginé aussi pour favoriser les organes de la respiration.

Arrivés dans la salle de musique, les jeunes élèves des deux sexes commencent par un chant pendant lequel le corps garde une attitude noble et calme ; c’est le chant de la prière, c’est l’hymne religieux. Le chant qui succède est celui du travail ; l’oisiveté étant un vice qui conduit à beaucoup d’autres, les bras font du bas en haut et du haut en bas un mouvement ferme, vigoureux et prompt ; immédiatement après succèdent les chants et les gestes du courage, de la valeur, de l’amour de la patrie, de l’émulation mutuelle, de la bien- ( p31) -faisance et du dévoûment [sic], et ces maximes sont puisées en partie dans nos poëtes [sic] les plus illustres ; et de là, on passe aux grands exercices. C’est alors que l’on est surpris de trouver réunies à la fois tant d’adresse, de force et d’agilité. Si les élèves grands et petits, et des deux sexes, montent, s’élancent sur les grandes machines ; s’ils se livrent à des exercices difficiles, il ne faut pas qu’ils en oublient le but moral ; c’est pour servir l’humanité en danger qu’ils acquièrent et de l’adresse et de la force. Des prix de vertu sont décernés à ceux qui ont eu le bonheur de sauver la vie de quelqu’un. Là, les jeunes personnes gagnent toutes les forces qu’elles auraient perdues au sein d’une vie d’enfance contrainte dans son besoin d’activité : là, ces jeunes et belles amazones, mais nobles, mais dignes, mais unissant la grâce, la candeur, les attraits de leur sexe à ces vaillans exercices, préparent une génération qui recevra le complément de sa magnificence, à l’aide de cette grande raison dont nous venons de parler, de cette philosophie qui seule peut donner à l’âme humaine la puissance

219 25/05/23 02:32

Page 220: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

de s’élancer vers Dieu, que dis-je ? de se confondre avec la pensée éternelle.

La gymnastique amorosienne étant aussi l’un des moyens de progression, j’ai cru devoir vous en parler, mesdames, assurée que je suis que, s’il était en votre pouvoir de les réunir tous, vous viendriez, heureuses, les offrir au monde entier.

Oui, ne tendons toujours qu’au progrès ; laissons à ces hommes et ces femmes, enthousiastes de stagnation ou de rétrogradation morale, civile, politique et religieuse, le soin de nous blâmer ; laissons-nous exorciser par les extatiques et les modernes convulsionnaires ; opposons à ces femmes, qui se glorifient de gouverner les hommes en les trompant, de les assujétir à force de ruses, comme on fait de la brute sauvage ; opposons, dis-je, toujours notre franchise, notre sincérité, cette éloquence, qui tôt ou tard touche et persuade des êtres intelligens ; préservons nos fils, nos frères de ce lâche asservissement, et corrigeons, s’il se peut, les femmes qui se rendent coupables de tant d’indignités.

Recevez, je vous prie, mesdames, les témoignages de ma considération infiniment distinguée,

LOUISE DAURIAT.

220 25/05/23 02:32

Page 221: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 32)

VARIÉTÉS.——————————

MARIE, OU L’IMITATION,

Par Francis Dazur.

Chez Charles Gosselin.

Un fait dominant, dans notre époque, c’est ce besoin profondément senti d’une réorganisation sociale : chacun sent que tout se transforme, arts, science, industrie ; mais, ce qui domine surtout, c’est le besoin d’un nouveau développement religieux. Ce n’est que par le sentiment religieux que peuvent s’accomplir de grandes choses : aussi, voyez combien notre société est froide, terne ; elle est dans l’attente de quelque chose de grand et de beau qui doit se révéler à elle ; comment ? c’est ce que nul ne sait, ni ne peut bien prévoir encore. Ces considérations me viennent à propos du roman que j’ai sous les yeux, car il est lui-même une manifestation de ce que je disais plus haut, que chacun sent que nous marchons à une rénovation sociale.

Dans ce livre, l’auteur a voulu mettre en présence l’ancienne croyance, combattue par les idées nouvelles. Il nous fait voir dans une faible jeune fille, à l’âme ardente et généreuse, toutes les douleurs de l’humanité dans la transition qui s’opère en ce siècle. Pour vous donner du moins quelque idée de son cadre, j’en tracerai une rapide esquisse.

Geneviève, jeune paysanne du Poitou, aux manières élevées autant que simple, semblait un être tellement à part, qu’elle était révérée partout le canton ; jusque là [sic], que jamais homme de sa classe n’avait pensé qu’une jeune fille, au regard si pur, si céleste, put s’abaisser vers la terre pour aimer autre chose que son Dieu. Mais vint dans le pays un de ces jeunes hommes qui se croient tout permis en- (p 33) -vers les filles du peuple ; il vit Geneviève. Sa beauté, son expression raphaélique firent sur lui une impression si profonde, qu’il ne crut pas pouvoir la tromper comme une autre. Comme elle ne demandait qu’à ne pas changer de condition, mais que seulement elle voulait pour son amour la sanction religieuse, il lui fut aisé de la satisfaire et de l’abuser par un mariage clandestin. Trois mois après il la quitta et elle n’en entendit plus parler que pour apprendre sa mort par un bulletin de la grande armée. Elle aurait voulu mourir aussi, mais elle avait une fille. La dame du château lui avait aussi donné la sienne à nourrir, et elle se consacra tout entière à ces deux enfans. Trompée dans son amour, elle eût voulu interdire l’amour à sa fille ; elle lui donna le nom de Marie pour la consacrer en quelque sorte, et tout en elle tendait à ce but. Les deux sœurs de lait s’étaient liées au berceau d’une amitié rare ; lorsque Mme d’Agange

221 25/05/23 02:32

Page 222: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

voulut mettre sa fille en pension à Paris, la séparation s’annonça tellement difficile, qu’on fut obligé d’emmener Marie et sa mère, qui obtint un gîte et de l’ouvrage dans le couvent du sacré cœur [sic] qui avait été choisi. Ce fut là qu’après quelques années encore de douleur, elle quitta cette vie, mais non sans avoir fait verser déjà bien des larmes à sa fille sur le malheur des passions, non sans lui avoir inspiré de prononcer le vœu de réclusion éternelle dans cet asyle protecteur. Sa compagne, Néline, qui n’avait pas la même imagination, prit cependant, mais avec plus de calme, la même résolution de se faire religieuse ; madame d’Agange, avant de donner son consentement, voulut que le monde l’éprouvât pendant une année, et que, du moins, elle ne le quittât point sans le connaître. Néline apparut donc au milieu de tout ce qu’elle ignorait, belle et pure comme une vierge avec sa foi vive et profonde. C’est toujours un spectacle touchant que celui de la foi ; elle met tant d’espoir et de pureté dans le regard. Néline fut entourée d’hommages ; mais elle résista à tout ; et, l’année d’épreuve expirée, elle rentra dans son couvent. Mais, là, elle ne put cacher à son amie un regret, une larme ; elle avoua qu’elle aimait…. qu’elle aurait aimé sans un obstacle insurmontable : « Il était… philosophe ! » Une idée vive, rapide, traversa la tête de Marie, celle de convertir Hyppolite [sic ? ] Delamir. Il faudrait voir tous (p 34) les développemens de cette singulière idée pour croire à sa vraisemblance, et se laisser prendre au charme de cette imagination de pensionnaire. Je craindrais de déflorer, en analysant davantage, cette histoire d’une simplicité si originale et si passionnée ; il faudrait voir toutes les gradations de cette passion, dont l’amitié fut le premier mobile, dont une tombe reçoit les premiers aveux ; et l’entrevue de la chapelle, entrevue peut-être unique, où Marie seule voit celui qu’elle aime déjà, et qui la cherche, qui la sent près de lui, sans pouvoir la découvrir. Il n’était pas sorti de l’amitié, lui ; il ne pouvait se passionner comme une femme sur des lettres, un idéal : les hommes sont tous un peu Saint-Thomas. Il préférait Néline qu’il avait vue ; mais Néline l’ayant laissé sans espoir en prenant le voile, il part et va se battre pour les Grecs, malgré la douleur de Marie. C’est alors qu’elle répand à flots sa passion avec sa vie qui s’épuise. Combattue entre son amour et le remords d’être infidèle à Dieu, aux vœux qu’elle a faits au ciel et à sa mère ; elle se meurt, et tombe dans une sorte d’étrange folie, où ce ne sont pas ses idées qui se perdent ou se dérangent, mais tous les rapports du temps et des choses extérieures, qu’elle confond sans cesse, où elle ne se reconnait plus ; en sorte qu’elle semble habiter une région tout intellectuelle et au-dessus de la nôtre. Pendant toute cette absence d’Hyppolite [sic ? ] Delamir, il n’y a plus d’événemens ; l’histoire du cœur de la jeune fille remplit tout ; son amour, ses remords, ses utopies ; tout l’intérêt roule sur cette question, qui tient en haleine jusqu’à la fin : se verront-ils ? ne se verront-ils pas ? la comprendra-t-il enfin ? Oui, mais dans quel moment ! à quel prix ! c’est ce qu’il faut voir dans l’ouvrage même, qui se distingue par tant d’originalité, d’imprévue, de passion si neuve et si déchirante.

On dit que l’auteur est une femme ; je croirais même une très-jeune fille ; il a les défauts et les qualités de cet âge : le style chaste et brûlant, la passion dans toute son ardeur, son innocence et son illusion ; mais

222 25/05/23 02:32

Page 223: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

aussi, ignorance complète du monde et de la vie ; longueur, diffusion ; l’inexpérience se fait sentir à chaque instant ; il y a cependant des pages tracées d’une main très-ferme, et qui font pressentir l’artiste et le penseur, autant que d’autres révèlent (p 35) les plus naïves inspirations de la nature. L’auteur ainsi que son héroïne ignore le monde, mais elle sait les choses de l’âme ; pourtant comme elle est toute sympathie, il lui faut s’initier à ce monde, aimer, faire un pas dans la vie, sortir de son passé, des enseignemens de son éducation, pour recevoir ceux de son siècle et commencer à douter avec lui ; de là l’initiation et ses douleurs. Quelle angoisse, lorsque venant à discuter sa foi adorée, elle se dit : Dieu n’a pu vouloir cela… Le petit nombre des élus, l’enfer qu’elle croit mériter et qui lui cause d’horribles terreurs, sont surtout ce qui la préoccupe, tant pour le genre humain que pour elle-même. Je ne puis m’empêcher de citer un passage à ce sujet : « Eh ! la nature tout entière se soulève contre l’idée de la réprobation éternelle. Ce n’est pas notre siècle qu’il faut en dépersuader [sic] ; n’est-il pas au moment de répondre à l’ancienne autorité par l’autorité de la conscience universelle, qui se transforme de proche en proche ? Mais, douleur à ceux qui viennent en ces temps de transition ! quelles laborieuses ténèbres ! quelles oxillations [sic] ! quelles anxiétés pour reconnaître sa route ! quels déchiremens ! quelles angoisses avant que la crise soit accomplie, et qu’encore une fois la lumière soit faite dans ce cahos. » Croyez-vous que celui qui a écrit ces lignes n’ait pas senti d’une manière vraie l’époque où nous vivons ? Oh ! Ce sont bien les douleurs, les déchiremens qui attendent tous les êtres, les femmes surtout ; aussi comme dans Marie il a bien résumé toutes ces douleurs ! La pauvre fille, elle aime avec idolâtrie, elle qui avait promis d’être l’épouse du Christ ; elle se crut coupable, car son Dieu ne veut pas d’un amour partagé. Va, Marie, tu peux, tu dois aimer ; Dieu qui veut le bonheur de ses enfans, ne nous a pas donné cette faculté, pour que nous la comprimions, pour qu’elle nous soit une douleur continuelle. Dieu veut que nous aimions, non de l’amour qui se donne au poids de l’or, mais de l’amour reposant sur la sympathie vraie de deux êtres qui se sont choisis.

A côté de Marie si malheureuse, apparaît la calme figure de Néline, qui a mis tout son espoir en Dieu, et qui semble complètement détachée de la terre. Ce caractère est consolant, mais ce n’est pas celui de la femme de notre époque ; il a pu s’en trouver dans (p 36) les siècles de foi ; mais aujourd’hui, toutes, comme Marie, éprouvent en elles ce travail qui s’opère dans l’humanité ; lorsque le corps souffre les membres doivent s’en ressentir. Encore des douleurs, des luttes à soutenir, mais ensuite, l’avenir beau, radieux s’élevera [sic], et tous seront heureux ; aussi je dis avec l’auteur : « La mort ne serait-elle donc pas la sentence irrévocable, qui fixe l’état éternel ? ne serait-elle qu’un degré vers une autre existence, libre encore, capable de bien et de mal et de perfectionnement, en sorte que ceux qui auraient succombé à l’épreuve en cette vie, fussent admis à une seconde initiation ? » Oh ! oui j’accepte pour Marie, ce consolant espoir ; elle revivra ! elle poursuivra sa vie qui ne sera pas toujours comme celle que nous venons de lire, une initiation à la douleur, une lutte entre sa croyance et son amour, mais une hymne de

223 25/05/23 02:32

Page 224: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

reconnaissance et d’amour envers le créateur qui enfin la rendra heureuse, et lui révélera toute vérité.

Il y a dans ce livre des pages touchantes, sur le malheur de ces masses d’hommes qui long-temps furent asservies à des maîtres orgueilleux. L’auteur a compris toutes ces douleurs ; il a appelé de tous ces vœux la régénération qui doit rendre tous les hommes heureux. Il a bien senti aussi la position des femmes ; il faut entendre la sœur d’Hippolyte [sic ? ] lorsqu’elle parle des devoirs des femmes ; comme elle sent bien notre dignité, et en même temps, combien les hommes aux idées libérales en manquent envers nous.

Enfin pour résumer toute ma pensée, c’est un livre de conscience et de cœur qu’on lira avec émotion, et l’on sentira ses larmes couler au récit des douleurs de la jeuue [sic] fille ; mais à côté on trouvera la consolante espérance, et jamais on ne pourra en venir à douter de la bonté de Dieu. Ce livre lance dans l’âme un mélange d’impressions poignantes et douces : il finit par la rasséréner, car à notre époque où l’on croit si peu, où il y a tant de désespoir, on éprouve du bonheur à rencontrer des êtres pleins d’élan, de foi en Dieu et à l’humanité.

MARIE REINE.

SUZANNE, Directrices.CÉLESTINE,[FP. : une accolade figure ici]

224 25/05/23 02:32

Page 225: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 37)EXTINCTION DE LA DETTE DU PÈRE.

Souscription du mois de novembre.

Mmes Caroline Béranger.............. 2 f.Suzanne.............................. 1Célestine............................ 2Caroline Noël..................... 5Victorine............................. 2Veuve Telle......................... 2Sophie Acrain..................... »  50 c.Vincent............................... 1Vainsart.............................. »  50Bazin.................................. 2 Roncin................................ 1 50

MM. Badié.................................. 1Donadieu............................ 1Alexandre........................... 2Cernu-le-Saulnier............... 2Dufflot................................ 1De Dupart........................... 1Froligères........................... 1Une dame anonyme............ 2M. G…de Strasbourg..........10

225 25/05/23 02:32

Page 226: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

II, 3 et 4[FP. : Indication manuscrite, écrite en violet]

(p 37)

Car j’ignorais alors que le ciel à la FemmeEût dit : « Tu grandiras pour aimer et

souffrir ! »Et qu’aimer et souffrir fût même chose à

l’âme,Et fit toujours mourir.

(M. WALDOR,

Dans ce siècle où tout s’éclaire et s’agrandit, se développe et s’étend, s’améliore et se multiplie, plusieurs choses sont restées dans l’oubli, et telles, qui semblent s’être améliorées, ne le sont que par la forme et non par le fait. J’en choisis une au hasard, mais qu [sic] nous touche de plus près, nous autres femmes ; je veux parler des convenances dans l’union des sexes. C’est vraiment une calamité, ce qui nous arrive. — Tenez, apercevez-vous cette jeune fille toute rayonnante de candeur, de jeunesse et de beauté ?... Oh ! ne vous y trompez pas, cette pâleur, qui s’est glissée sur cette physionomie expressive, n’est pas l’effet d’une maladie intérieure ; cela tient à une autre cause, et vous la devinerez peut-être, en voyant auprès d’elle ce jeune homme assidu et galant : ces deux êtres s’aiment, il n’y a pas à en douter ; mais la jeune fille, qui est d’une naissance obscure, (je ne reconnais d’obscur que le vice et le crime, et je ris de pitié des préjugés de ce vieux monde), et qui ne promet pas une dot considérable, a juré de ne pas avouer qu’elle l’adore. Voilà ce que lui dit la raison, ou, si vous voulez, la sagesse. Mais son amour ? Oh ! il parle différemment : son cœur veut aimer, lui ; il n’écoute rien et ne veut rien entendre, c’est un tyran qui veut régner en dépit des fortunes. O tendre fleur ! ta tige sera contrainte de rester courbée, tu seras comme une rose qui languit, ta matinée se sera effacée comme une ombre, et tu n’auras pas vécu un jour ! Le sort t’avait jetée dans les décombres, et là, éphémère, tu ne feras que (p 38) paraître et disparaître. — Combien je déplore un tel état de choses ! Eh quoi ! ne pourrons-nous donc jamais dire ce que nous pensons ? Quand sera-t-il permis de dire, je t’aime, sans craindre le déshonneur ? Et cette tendresse aveugle nous porte quelquefois à recevoir l’amour de notre amant. Quand finira-t-elle de recevoir des noms aussi dégoûtans et faux ? Je l’ignore, mais je gémis. Combien de malheurs arrivent par ce fait, que de rêves évanouis, que d’espérances trompées, que d’avenirs brisés, que de corps au tombeau ! Ah ! je pense qu’on ne doute pas que ceci donne la mort, et une mort bien

226 25/05/23 02:32

Page 227: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

douloureuse. — Que de jeunes filles sont tombées avant le temps, pour avoir connu la tempête des passions, sans avoir trouvé le remède qui aurait pu les rappeler à la vie. Comme l’humble violette, elles se cachent sous la feuillée, et le voyageur ignorant ne fait que respirer leur parfum, sans chercher à les cueillir. Hélas ! périssez, roses, d’amour ; on vous regrette, mais on ne vous sauve pas ; on vous admire, mais on vous laisse faner. Un temps viendra où les fleurs seront cultivées et précieusement savourées : alors ce sera un règne de bonheur et d’amour, les cœurs se seront compris, et il y aura harmonie dans la nature.

AMANDA

Nous recommandons à nos lectrices une petite brochure extrêmement remarquable intitulée : Liberté, femmes! (par Pol Justus ; voir aux annonces.) Ce cri d’un artiste souffrant et s’impressionnant des douleurs de la femme a vivement ému les dames de Lyon. Plusieurs se sont réunies pour en voter l’impression.

==========

(p 39) Pendant qu’à Paris les femmes, encouragées par MM. les sociétaires des méthodes d’enseignement, lisent force discours, présentent sur l’instruction théories sur théories, les femmes de Nancy agissent, entrent la voie de la pratique. Plusieurs dames de cette ville viennent de former une association sous le titre d’Athénée de bienfaisance. Dans le systême [sic] d’éducation, dont elles comptent faire jouir gratuitement cinquante jeunes filles, on remarque des idées élevées, et une conception plus large que tout ce qui a été tenté jusqu’à ce jour. Nous regrettons que le nom adopté par cette société ne soit pas en harmonie avec les idées progressives énoncées par ces dames : ce mot de bienfaisance rappelle trop l’aumône chrétienne, et tend par conséquent à rabaisser celle qui reçoit ; évitons de flétrir la fleur dans son bouton. Malgré ce léger défaut de forme, nous désirons bien vivement que cet exemple soit imité, que partout les femmes se conçoivent des associations semblables. En attendant que le vœu exprimé par Mlle Mazure, dans les séances de la rue Taranne, soit réalisé, qu’il existe une école normale d’institutrices capables de vérifier la science et de la répandre ensuite sur notre sexe, recevons encore de l’homme l’instruction des mots ; mais partout, femmes, élevons-nous à la hauteur de notre époque, rentrons dans nos droits, emparons-nous de l’éducation morale : que le développement de notre cœur, de notre volonté, de toutes nos facultés soit dirigé par nous : c’est le seul moyen d’être réellement ce que DIEU nous a faites. Les hommes alors ne redouterons plus autant le laissez faire des femmes, lorsqu’ils comprendront, en les voyant ainsi agir, qu’elles ne veulent employer la part d’influence active qu’elles réclament, que d’une manière sociale au profit de toutes et de tous.

Une circulaire destinée à fixer d’une manière précise les principes de cette société de femmes, éminemment progressives, nous étant parvenue,

227 25/05/23 02:32

Page 228: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

je suis heureuse d’avoir à consigner dans notre Tribune un acte de cette importance, exécuté en dehors de l’influence masculine. Nous désirons que beaucoup de faits de cette nature viennent se révéler à nous et donner à cette brochure l’intérêt et le caractère d’Archives de la Femme.

SUZANNE.

ATHÉNÉE DE BIENFAISANCE.

Toutes les personnes instruites, qui ont réfléchi sur les différens systêmes [sic] d’éducation suivis généralement en France, les ont trouvés pour la plupart vicieux et incomplets ; mais c’est dans l’éducation des femmes surtout que ces défauts sont le plus remarquables. Il semblerait, à voir l’uniformité des études auxquelles on condamne nos jeunes filles, qu’elles sont toutes taillées sur le même patron, qu’elles ont toutes la même vocation et la même capacité ; il semblerait qu’elles sont organisées de la même manière. Ce sont toujours les mêmes sciences qu’on veut leur faire apprendre, les mêmes talens qu’on cherche à leur donner, sans avoir pesé d’abord l’utilité des études qu’on leur impose, l’agrément qu’elles trouveront plus tard dans l’exercice d’un art pour lequel elles n’ont souvent aucune aptitude. Déjà, dans les premiers pensionnats de Paris, on a cherché à jeter une variété plus grande dans l’éducation des jeunes filles ; on leur enseigne quelques sciences, mais de la manière la plus superficielle et la plus incomplète ; on se contente de leur donner quelques définitions sans règles, sans principes et sans aucune liaison, de manière qu’elles apprennent avec peine des choses qu’elles oublient tout de suite et dont elles ne peuvent tirer aucun parti. Il semble qu’on leur montre la science de loin et qu’on leur dise : voilà ce que les hommes étudient, voilà ce qu’ils approfondissent, mais ce que vous n’êtes pas capables de comprendre, on vous le montre seulement pour vous faire connaître votre infériorité.

Nous ne saurions partager des idées si étroites et si mesquines ; nous nous en indignons. Nous pensons que les femmes sont assez bien organisées pour rivaliser avec les hommes dans la culture des sciences et dans tous les travaux de l’esprit. On les croit, en général, frivoles ; elles le croient elles-mêmes ; mais c’est une erreur : l’éducation seule, et non la nature, leur donne ce défaut. Elles ont, au contraire, des goûts plus sérieux, des habitudes plus sédentaires ; elles se livrent à des ouvrages de patience que l’homme n’oserait entreprendre et qu’il saurait encore moins achever.

(p 41) Si vous joignez à ces dispositions, qui les rendent très propres à la culture des sciences, un coup-d’œil [sic] rapide et juste, un esprit fin, un tact parfait, une imagination des plus actives, vous comprendrez quels pas immenses peut faire le sexe féminin dans une carrière dont, jusqu’ici, il a été presque tout-à-fait exclus [sic]. Il serait possible que les femmes n’étudiassent pas de la même manière que l’homme ; il serait possible qu’elles apportassent dans leurs études un genre particulier dû à

228 25/05/23 02:32

Page 229: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

l’organisation de leur sexe ; mais qu’importe ? Leur manière vaudrait bien, sans doute, celle des hommes : en travaillant la même science autrement qu’eux, elles obtiendraient probablement des résultats nouveaux et inattendus. Il n’y a pas une seule et unique façon de bien faire ; sans peindre justement comme peignait Raphaël, Rubens n’en composait pas moins de sublimes tableaux. Si j’appuyais ce systême [sic] de l’exemple des femmes célèbres, qui non-seulement ont cultivé les lettres, mais encore les sciences les plus abstraites, on me ferait sur-le-champ une objection banale, on me dirait : ces femmes sont de rares exceptions. C’est vrai, mais pourquoi ? Parce que c’est aussi par de rares exceptions qu’on a fait faire aux femmes de passables études.

S’il en était autrement, il y aurait, et sans aucun doute, autant de génies parmi les femmes qu’il y en a parmi les hommes, et par conséquent les progrès de chaque siècle auraient été doublés, et la civilisation serait deux fois plus avancée qu’elle ne l’est aujourd’hui ? La société aurait marché avec une rapidité que nous ne saurions concevoir : c’est qu’indépendamment de leurs travaux particuliers, indépendamment de l’influence que leurs goûts ont sur les hommes et de la tendance qu’elles peuvent imprimer, les femmes sont encore les premières institutrices des deux sexes. L’enfant est doué d’une mémoire qu’il n’aura plus dans un autre âge ; il est curieux et questionneur à l’excès ; si sa mère était instruite, au lieu de remplir son esprit d’une foule d’erreurs et de préjugés, elle graverait d’une manière indélébile dans sa mémoire, si jeune, si fraîche et si puissante, une quantité de connaissances que plus tard il n’aurait plus besoin d’apprendre ; et l’enfant, en commençant ses études, aurait déjà une masse de science recueillie sans peine au milieu des caresses et des embrassemens maternels.

(p 42) Il faut donc organiser, pour les jeunes filles et pour les dames, des cours assez variés, pour que chacune puisse choisir la science qui lui convient. Il faut rendre les cours assez forts pour qu’ils puissent être dans la suite de quelque utilité. Il vient de se former dans notre ville une société pour atteindre ce but, et déjà elle a

229 25/05/23 02:32

Page 230: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

pris ses mesures pour ouvrir, à la rentrée prochaine, des cours de littérature, d’histoire, de physique et d’astronomie, de chimie et d’histoire naturelle comprenant la zoologie, la botanique et la minéralogie.

Les jeunes filles qui fréquenteront ces cours à titre d’élèves seront tenues à une rétribution de 5 fr. par mois. Les dames qui désireront s’associer à cette œuvre utile, ou qui voudraient accompagner leurs filles, seront considérées comme associées ; elles administreront l’établissement, soit par elles-mêmes, soit par le moyen de commissaires qu’elles choisiront parmi elles. Les dames associées donneront une rétribution de 25 francs par an ; elles pourront, si elles le jugent convenable, former entr’elles [sic] une association scientifique, une espèce d’athénée.

Les professeurs donnant leurs cours gratuitement, l’établissement sera probablement en mesure de recueillir des fonds considérables, et ces recettes seront appliquées à l’éducation des jeunes filles pauvres, auxquelles on donnera une instruction en rapport avec leur position sociale. Indépendamment de la lecture, l’écriture et le calcul, on leur apprendra un état ; les dames associées, qui seront seules chargées de la direction de cette partie de l’établissement et de la surveillance, verront s’il est possible de prendre ces jeunes filles en pension entière, ou s’il faut se contenter pour elles de la formation d’une école.

Nancy.…..,etc.

230 25/05/23 02:32

Page 231: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 43)LA DOUBLE MÉPRISE,

PAR MÉRIMÉE.

Nous n’avons guère coutume de nous occuper de littérature dans ce journal, consacré tout entier à l’œuvre à laquelle nous-mêmes avons dévoué notre vie, sans reculer devant les douleurs et les mépris dont nous abreuve le monde que nous voulons sauver ; cependant, souvent un livre et surtout un roman nouveau, en racontant tout simplement ce que son auteur a vu ou senti, vient nous donner une grande révélation ; la littérature romancière est un vaste hôpital ; de tous côtés on entend des cris de douleur ; ici c’est un cri de femme, aigu et profond ; celui-là nous remue jusqu’au fond des entrailles ; plus loin, c’est le satanique éclat de rire d’un homme qui veut nous montrer comment il tue bien sa victime, et dans ce rire, il y a encore de la douleur, car la lutte est pénible même au vainqueur ; et nous voulons arrêter le rieur au passage, non pour le punir, hélas ! la femme ne demande pas de vengeance, elle est la miséricorde de DIEU, mais pour le guérir en même temps que sa victime.

M. Mérimée est dans ce dernier cas, et ce n’est pas seulement le cri de Mme de Chaverny que nous avons entendu dans sa charmante nouvelle, mais celui de Darcy ; mais je dois me rappeler que toutes mes lectrices n’ont pas plus que moi le temps de lire des romans, et comme c’est presque par hazard, et par suite d’une ancienne affection pour CLARA GAZUL que j’ai lu celui-ci, la même chose ne leur est peut-être pas arrivée.

La scène s’ouvre plusieurs années après le mariage de Mme de Chaverny ; elle est belle, bonne, aimante, et son mari s’est complètement installé dans son rôle de mari, négligeant complètement de plaire, n’aimant pas, se livrant à tous les genres de dissipation, et réclamant, quand bon lui semble, ses droits d’époux, qu’il pourrait se faire accorder de par la loi, mais auxquels sa femme se soustrait par la ruse : car, près de cette femme délicate, qui avait rêvé d’a- (p 44) mour et de bon heur [sic], comme toutes les jeunes filles, un mari comme de Chaverny ne peut échapper à la haine que par l’indifférence ; Julie, Mme de Chaverny, est donc à peu près indifférente pour son mari ; ils font ce qu’on appelle je crois, bon ménage, n’ayant rien de commun que la table et le nom.

Mme de Chaverny n’aime pas : entourée de toutes les douceurs de la vie élégante, elle s’ennuie parfois, sans trop savoir pourquoi, sans même le chercher ; il est si naturel de s’ennuyer ; quelquefois aussi elle se prend à regretter sa vie de jeune fille, et alors le souvenir d’un aimable jeune homme, à l’air mélancolique, qui l’aima sans doute, mais n’osa le lui dire parce qu’il n’était pas riche, ce souvenir revient, disons-nous, doux quoique triste, et presque sans regret.

Un bon jeune homme, M. de Châteauneuf aime Mme de Chaverny ; il ne l’aime pas violemment ; et, si même il n’était pas convenu qu’entre une femme et un homme toute affection est de l’amour, Châteauneuf aurait seulement une amitié de frère pour Julie ; il est soigneux de sa

231 25/05/23 02:32

Page 232: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

réputation ; il aime à être près d’elle, et ce ne serait que pour se conformer à l’usage, qu’il lui ferait une déclaration : cette déclaration ne se fait pas, toutefois, et le souvenir de cette femme restera dans le cœur de Châteauneuf comme une apparition angélique ; ce n’est pas à lui qu’appartiendra l’honneur de flétrir cette fleur.

Au milieu d’un cercle, à la campagne, on annonce Darcy, le jeune homme avec lequel a joué Julie, enfant, et dont la pensée lui revenait doucement ; Darcy a fait rapidement son chemin dans la diplomatie : or la gent diplomate, est, on le sait, haineuse et froide ; puis, ce jeune homme a souffert, il retrouve, mariée à un imbécille [sic], la femme que lui, homme de cœur et d’esprit, eût désirée entre toutes ; elle qui eut son premier, son seul amour peut-être : il est ulcéré, il se vengera, quand et comment, il ne sait, ; mais il commence par se faire regretter, et pour cela il étale les trésors de son esprit et de son imagination ; il n’aime plus Julie, mais elle ne l’a pas aimé ; il est piqué au jeu, et Châteauneuf, qui lui semble un amant, le révolte autant que Chaverny.

L’occasion sert Darcy. Mme de Chaverny est partie seule dans sa voi- (p 45) -ture ; elle retourne à Paris dont elle est à six lieues, et sa voiture, mal conduite par un cocher ivre, est versée et brisée dans un fossé, quand Darcy, qui retourne aussi à Paris, vient à passer. Mme de Chaverny monte dans sa voiture, non sans terreur ; elle souffre ; son ancien amour pour Darcy s’est ravivé, elle tremble de se trouver tète à tète [sic] avec lui. Darcy s’aperçoit de son embarras, et ayant vu la flêche qui est au fond de son cœur, il la retourne à plaisir, parlant d’abord de ses rêves d’enfant, tout pleins de Julie, puis M. de Chaverny, jusqu’à ce que la pauvre femme, fondant en larmes, tombe la tète [sic] sur son épaule . Elle est à lui, il le sent ; mais le triomphe doit être complet ; il joue avec elle comme un chat avec le moineau qu’il a saisi, jusqu’à ce qu’enfin fascinée, elle se jette elle-même dans ses bras, alors il la prend de sang froid. Il ne l’avait pas désirée ; c’est une vengeance qu’il exerce.

Maintenant voilà la question de la femme dans toute son horreur : Mme

de Chaverny s’est oubliée, Darcy a calculé, et quand il se serait oublié, qu’importe, il en a le droit ; il en ferait trophée au besoin ; mais la femme, la femme, elle est déshonorée, elle doit mourir, car son sort dépend de cet homme maintenant, et il ne l’aime pas, et elle-même ne l’aime pas. Il y a eu dans l’acte qu’elle a commis, si toutefois on peut appeler acte une faiblesse exploitée par un homme sans délicatesse, évanouissement momentané de la raison et de la volonté, dans lequel une femme est aussi respectable que dans un évanouissement physique, respectable comme tout ce qui est sans défense, comme l’enfance ou la folie ; il y a, disons-nous, dans cet acte un germe de mort pour elle. Livrée à elle-même, elle voit toute l’horreur de sa position : comment revoir Darcy, et comment refuser de le voir ? N’est-elle pas son esclave maintenant ? N’a-t-il pas le droit de révéler sa honte à toutes et à tous. Une fièvre violente s’empare d’elle, elle meurt seule dans une misérable auberge, car elle a voulu partir ; elle n’a pu supporter la pensée de revoir un mari qu’elle a offensé et surtout l’homme avec lequel elle a failli. Tout le monde ignore la cause de sa mort et la tombe se referme encore une fois sur une poignante douleur de femme.

232 25/05/23 02:32

Page 233: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Voilà une terrible histoire que M. Mérimée vous conte en riant, (p 45) mais en riant diaboliquement, sans gaîté, en froid observateur. Oh ! jeune homme, jeune homme, les cris des femmes n’ont-ils pas été jusqu’à ton cœur ? N’as-tu pas senti leurs douleurs ? Ou plutôt, fallait-il que tu prisses cette forme pour constater l’inégalité monstrueuse qui existe entre l’homme et la femme, qui fait que la gloire de l’un est le déshonneur de l’autre ? Oh ! jeune homme, dis-lui, à tout ce beau monde que tu connais si bien, que tu amuses tant et auquel par conséquent tu as le droit de dire la vérité, dis-lui que loin de lui, rejetés par lui, il y a des hommes et des femmes qui veulent la guérison de toutes ces douleurs, qui veulent que Darcy soit bon en le rendant heureux d’abord, qui ne veulent pas qu’une noble créature meure pour s’être oubliée un moment : dis-leur surtout qu’ils ont éteint l’amour sous le raisonnement, que l’amour est le plus beau présent de DIEU, et que nous venons au nom de notre DIEU, PÈRE et MÈRE de l’humanité, le leur rapporter. Aide-nous, aide-nous, jeune homme, et DIEU te récompensera, et ta vie décolorée, si je ne me trompe, refleurira fraîche et belle, et de rians sujets se presseront sous ta plume, car tu es poëte [sic], et le poëte [sic] est prophète et lisant dans l’avenir ; tu nous peindras le bonheur, et, suivant ta Julie dans une autre vie, tu nous la montreras toujours belle, plus belle

233 25/05/23 02:32

Page 234: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

qu’elle ne le fut, car elle ne sera plus fanée par le chagrin, tout nous la montreras répandant à flots la joie, le bonheur et l’amour sur tout ce qui l’entourera, bénie et heureuse, car la bonté et la beauté qui lui furent données par DIEU ne seront plus pour elle des motifs de chute, mais de gloire.

Je terminerai ici cet article qu’on accusera sans doute de n’être encore que la critique, la plainte de ce qui est ; mais l’avenir ne peut être nettement décrit ; surtout il ne peut être raconté puisqu’il n’a pas été. Liberté, égalité de l’homme et de la femme, voilà mon seul vœu ; liberté, mais non licence ; égalité, et non parité ; on ne peut trop insister sur ces distinctions, aujourd’hui que nos ennemis ont élevé la voix de manière à étouffer la nôtre qui, grâce à eux, n’arrive qu’avec peine aux oreilles de nos amis.

PAULINE

234 25/05/23 02:32

Page 235: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 47)VICO.

Bien qu’il conteste aux Egyptiens [sic] la haute antiquité où ils prétendent, « nous ne profiterons pas moins, dit-il, de leurs antiquités. Il nous en reste deux grands débris aussi admirables que leurs pyramides. Je parle de deux vérités historiques dont l’une nous a été conservée par Hérodote : 1o ils divisaient tout le temps antérieurement écoulé en trois âges, âge des Dieux, âge des Héros, âge des Hommes ; 2o pendant ces trois âges, trois langues correspondantes se parlèrent ; langue hiéroglyphique ou sacrée, langue symbolique ou héroïque, langue vulgaire, celle dans laquelle les hommes expriment par des signes convenus les besoins ordinaires de la vie. » Ces deux vérités vont servir de base à Vico pour expliquer l’antiquité païenne : « .… nous ne craignons pas d’y pénétrer, dit-il, comme dans un champ sans maître, qui appartient au premier occupant. »

Et d’abord il se gardera de chercher l’origine des choses dans tel ou tel peuple, mais il la cherchera dans la nature humaine.

Il la cherchera dans le sens commun, qui est un jugement sans réflexion partagé par tout le genre humain. «  Des idées uniformes nées chez des peuples inconnus les uns aux autres, dit-il, doivent avoir un motif commun de vérité. » Grand principe d’après lequel le sens commun du genre humain est le criterium indiqué par la providence aux nations pour déterminer la certitude dans le droit naturel des gens. On arrive à cette certitude en connaissant l’unité, l’essence de ce droit auquel toutes les nations se conforment avec diverses modifications. — Le même axiôme [sic] enferme toutes les idées qu’on s’est formées jusqu’ici du droit naturel des gens ; droit qui, selon l’opinion commune, serait sorti d’une nation pour être trans- (p 48) -mis aux autres. Cette erreur est devenue scandaleuse par la vanité des Egyptiens [sic] et des Grecs, qui, à les en croire, ont répandu la civilisation dans le monde. »

Vico établira de même que le monde social est l’ouvrage des hommes. « Tout homme qui réfléchit, dit-il, ne s’étonnera-t-il pas que les philosophes aient entrepris sérieusement de connaître le monde de la nature que Dieu a fait et dont il s’est réservé la science, et qu’ils aient négligé de méditer sur ce monde social que les hommes peuvent connaître, puisqu’il est leur ouvrage. Cette erreur est venue de l’infirmité de l’intelligence humaine. Plongée et comme ensevelie dans le corps, elle est portée naturellement à percevoir les choses corporelles, et a besoin d’un grand travail, d’un grand effort pour se comprendre elle-même ; ainsi l’œil voit tous les objets extérieurs, et ne peut se voir lui-même que

235 25/05/23 02:32

Page 236: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

dans un miroir. — Puisque le monde social est l’ouvrage des hommes, examinons en quelle chose ils se sont rapportés et se rapportent toujours. C’est de là que nous tirerons les principes qui expliquent comment se forment, comment se maintiennent toutes les sociétés, principes universels et éternels, comme doivent être ceux de toute science. — Observons toutes les nations barbares ou policées, quelque éloignées qu’elles soient de temps ou de lieu : elles sont fidèles à trois coutumes humaines ; toutes ont une religion quelconque, toutes contractent des mariages solennels, toutes ensevelissent leurs morts. Chez les nations les plus sauvages et les plus barbares, nul acte de la vie n’est entouré de cérémonies plus augustes, de solennités plus saintes que ceux qui ont rapport à la religion, aux mariages, aux sépultures. Si les idées uniformes chez des peuples inconnus entre eux doivent avoir un principe commun de vérité, Dieu a sans doute enseigné aux nations que partout la civilisation avait eu cette triple base, et qu’elles devaient à ces trois institutions une fidélité religieuse, de peur que le monde ne redevînt sauvage et ne se couvrît de nouvelles forêts. C’est pourquoi nous avons pris ces trois coutumes éternelles et universelles pour les trois premiers principes de la science nouvelle. »

Les hommes, alors géans échappés au déluge, furent épouvantés du bruit du tonnerre, quand les orages se reformèrent. Selon la (p 49) belle expression de Vico, c’est à la lueur des éclairs qu’ils virent cette grande vérité, que Dieu gouverne le genre humain. La crainte régla leur barbarie ; le gouvernement divin s’établit ; les hommes dépendent de Jupiter, maître du tonnerre ; ce gouverneur théocratique fut cruel : régnant par la terreur, il porta le caractère ignorant et féroce du temps ; mais il prépara la voie à l’homme. Ce fut l’origine de la religion et l’âge des Dieux.

Cet âge s’améliora. Les hommes, ayant perdu la taille de géans par la difficulté de leur vie, cherchèrent à se fixer, et entraînèrent chacun une femme dans des cavernes. Ici naquit le mariage et la famille ; ici naquit la société. Les pères alors gouvernèrent au nom des Dieux par les auspices ; c’est le temps des patriarches. Les hommes qui étaient restés errans se réfugièrent plus tard auprès des pères de famille ; ils devinrent leurs serviteurs ; ils forment le peuple, et bientôt, se révoltant contre leurs maîtres injustes, ceux-ci, ligués ensemble, devinrent des héros et fondèrent l’aristocratie.

C’est ici l’âge héroïque, dont Achille représente le caractère. Il est aussi religieux.

Dans l’âge humain, où la religion conserva son empire, s’établirent la démocratie, puis la royauté. Les Plébéïens [sic], opprimés par l’aristocratie, lui disputent longtemps les droits où leurs progrès leur permettaient d’aspirer ; ils triomphèrent enfin ; mais la Providence voulut que le cens fût la règle des honneurs, et qu’ainsi les industrieux et prévoyans les obtinssent, et non pas les prodigues ou les paresseux. Quand la république dégénère en anarchie, alors il s’élève du milieu des peuples un homme tel qu’Auguste, qui établit la monarchie ; ou bien l’invasion d’un peuple étranger, ou bien sa propre destruction, régénère une nation.

236 25/05/23 02:32

Page 237: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

« De cette manière, dit-il, la science nouvelle trace le cercle éternel d’une histoire idéale, sur lequel tournent dans le temps les histoires de toutes les nations, avec leur naissance, leurs progrès, leur décadence et leur fin. Nous dirons plus : celui qui étudie la science nouvelle se raconte à lui-même cette histoire idéale, en ce sens, que, le monde social étant l’ouvrage de l’homme, et la manière dont il s’est formé devant, par conséquent, se retrouver dans les modifications de l’âme humaine. celui [sic] qui médite cette science s’en crée à (p 50) lui-même le sujet. Quelle histoire plus certaine que celle où la même personne est à la fois l’acteur et l’historien ? Ainsi, la science nouvelle procède précisément comme la géométrie, qui crée et contemple en même temps le monde idéal des grandeurs. Mais la science nouvelle a d’autant plus de réalité, que les lois qui régissent les affaires humaines en ont plus que les points, les lignes, les superficies et les figures. Cela même montre encore que les preuves dont nous avons parlé sont d’une espèce divine, et qu’elles doivent, ô lecteur, te donner un plaisir divin ; car, pour Dieu, connaître et faire, c’est la même chose. »

Après un développement d’idées, dont il est impossible ici de suivre la force et l’originalité, « concluons, dit-il, tout ce qui s’est dit en général pour établir les principes de la science nouvelle. Ces principes sont : la croyance en une providence divine, la modération des passions par l’institution du mariage, et le dogme de l’immortalité de l’âme, consacré par l’usage des sépultures : son criterium est la maxime suivante : ce que l’universalité ou la pluralité du genre humain sent être juste doit servir de règle dans la vie sociale. La sagesse vulgaire de tous les législateurs, la sagesse profonde de tous les plus célèbres philosophes, s’étant accordée pour admettre ces principes et ce criterium, on doit y trouver les bornes de la raison humaine ; et quiconque veut s’en écarter doit prendre garde de s’écarter de l’humanité tout entière. »

Le droit et la jurisprudence suivirent la marche des hommes. Né avec l’idée de Jupiter, le droit, d’abord divin, fut cherché dans les oracles, dans la divination comme, au moyen âge, il le fut dans l’eau, le feu, le duel. Les peines furent atroces. Dans l’âge héroïque, le droit fut celui de la force ; la jurisprudence continua d’être superstitieuse, se tenant à la lettre des choses, imitant la précision et la prudence d’Ulysse. Les peines furent cruelles. Les hommes étant alors naturellement poètes, ces deux premières jurisprudences furent toutes poétiques ; elles s’exprimèrent par fictions et par images. « Ainsi, dit-il, tout l’ancien droit romain fut un poëme [sic] sérieux que les Romains représentaient sur le Forum, et l’ancienne jurisprudence fut une poésie sévère. A [sic] l’âge humain, le droit fut dicté par la raison. On chercha l’esprit de la loi, et il fut reconnu, sous l’em- (p 51) -pire romain, que tout motif particulier d’équité prévaut sur la loi.

« La jurisprudence divine et l’héroique [sic], propres aux âges de barbarie, s’attachent au certain ; la jurisprudence humaine, qui caractérise les âges civilisés, ne se règle que sur le vrai. »

Vico insiste sur la fausseté des interprétations qu’on a données à la poésie et à la mythologie antiques, qui n’étaient que de l’histoire. Les poètes retraçaient l’histoire sans arrière-pensée. Frappés des beautés du

237 25/05/23 02:32

Page 238: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

monde, avec des imaginations neuves, ils écrivirent ce qu’ils voyaient, ce qu’ils entendaient, ils firent des récits pour charmer les hommes. Plus tard, on leur chercha une signification qu’ils n’avaient pas, et l’on reporta aux auteurs de la sagesse vulgaire les découvertes de la sagesse philosophique. » Cette haute estime dont la sagesse poétique a joui jusqu’à nous, dit-il, est l’effet de la vanité des nations, et surtout de celle des savans. De même que Manethon, le grand-prêtre d’Égypte, interpréta l’histoire fabuleuse des Egyptiens [sic] par une haute théologie naturelle, les philosophes grecs donnèrent à la leur une interprétation philosophique. Un de leurs motifs était, sans doute, de déguiser l’infamie de ces fables, mais ils en eurent plusieurs autres encore. Le premier fut leur respect pour la religion : chez les Gentils, toute société fut fondée par les fables sur la religion. Le second motif fut leur juste admiration pour l’ordre social qui en est résulté et qui ne pouvait être que l’ouvrage d’une sagesse surnaturelle. En troisième lieu, ces fables, tant célébrées par leur sagesse, et entourées d’un respect religieux, ouvraient mille routes aux recherches des philosophes, et appelaient leurs méditations sur les plus hautes questions de la philosophie. Quatrièmement, elles leur donnaient la facilité d’exposer les idées philosophiques les plus sublimes, en se servant des expressions des poètes, héritage heureux qu’ils avaient recueilli. Un dernier motif assez puissant à lui seul, c’est la facilité que trouvaient les philosophes à consacrer leurs opinions par l’autorité de la sagesse poétique et par la sanction de la religion. De ces cinq motifs, les deux premiers et le dernier impliquaient une louange de la sagesse divine qui a ordonné le monde civil et un témoignage que lui rendaient les philosophes, même au milieu de leurs erreurs. Les troisième et le quatrième étaient autant d’artifices salutaires que permettait la providence, afin qu’il se for- (p 52) -mât des philosophes capables de la comprendre et de la reconnaître pour ce qu’elle est, un attribut du vrai Dieu. Nous verrons que tout ce que les poètes avaient d’abord senti, relativement à la sagesse vulgaire, les philosophes le comprirent ensuite, relativement à une sagesse plus élevée, de sorte qu’on appellerait avec raison les premiers, le sens, les seconds, l’intelligence du genre humain. On peut dire de l’espèce ce qu’Aristote dit de l’individu : il n’y a rien dans l’intelligence qui n’ait été auparavant dans le sens ; c’est-à-dire que l’esprit humain ne comprend rien que les sens ne lui aient donné auparavant occasion de comprendre. L’intelligence, pour remonter au sens étymologique, inter legere, intelligere, l’intelligence agit, lorsqu’elle tire de ce qu’on a senti quelque chose qui ne tombe point sous les sens. » On peut appliquer ce que dit Vico de la mythologie grecque aux religions de l’Asie. Dans l’Inde, dans la Perse, dans l’Asie mineure, on a tant forcé le sens des mystères, qu’on ne sait plus les retrouver dans leur première simplicité.

GERTRUDE.

(La suite au prochain numéro.)

238 25/05/23 02:32

Page 239: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

SUZANNE, Directrices.CÉLESTINE,[FP. : une accolade figure ici]

ERRATA.

Page 32, au lieu de Marie, ou l’imitation ; lisez Marie, ou l’initiation.

239 25/05/23 02:32

Page 240: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 53)SOCIÉTÉ DES MÉTHODES D’ENSEIGNEMENT.

Conférences des 22 octobre et 26 novembre 1833.

Les séances de la rue Taranne se continuent paisiblement, sans encombre ; nul changement important ; bon nombre d’auditeurs bénévoles accourt chaque mois user quelques heures à ce spectacle d’un nouveau genre, payant leur tribut par des bravos exprimés plus ou moins bruyamment. De mois en mois, le nombre des discours, dans lesquels on reconnait [sic] évidemment l’intention de résoudre la question proposée, s’augmentant de plus en plus, le temps destiné à la discussion improvisée se trouve entièrement absorbé ; ce qui faisait dire à la dernière séance, par une de mes voisines, ennuyée de cette excessive lenteur, « que, si ces messieurs n’allaient que de la sorte, elle estimait, par un calcul approximatif, que les améliorations apportées à notre sort pourraient bien, dans une cinquantaine d’années, recevoir un commencement de réalisation. » Il est vrai : malgré qu’il soit impossible de ne pas reconnaître dans MM. les sociétaires beaucoup de bienveillance pour notre cause, les résultats de quatre mois de conférences se réduisent à ... zéro ... A [sic] moins cependant que l’on n’envisage comme une amélioration sensible à notre sort un volume de discours, faits et gestes des interlocuteurs des susdites séances, précieusement recueillis, et que l’on va incessamment offrir à messire public, bigarrures d’un genre tout-à-fait neuf, digne, par cela même, d’être soumis à la révision de ce souverain juge, pour lequel je professe un respect non moins profond (p 54) que M. le secrétaire de la Société des Méthodes. On dit que dans une assemblée de deux cents personnes, nombre à peu près égal aux individus qui se pressent dans la salle Taranne, sont représentées toutes les nuances passionnées de la grande société. Si cela est vrai, nous devons avoir bon espoir. Comme MM. des Méthodes restent neutres, et s’en sont référés au public pour le prononcé du jugement à rendre dans cette circonstance, il ne peut que nous être avantageux, si j’en juge par le petit cercle ; car il n’y est tenté si chétif effort qui n’y soit applaudi. Que l’on ne pense pas cependant, en lisant ces derniers mots. que [sic] l’opposition manque au triomphe de notre cause ; certes, à la salle Taranne, nous avons des opposans, et de très-énergiques, encore. Je citerai les deux principaux qui se sont fait entendre dans les deux

240 25/05/23 02:32

Page 241: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

dernières séances. Le premier, M. Vivier, s’est exprimé avec beaucoup de chaleur et d’un ton très-élevé ; le premier mot de son discours est : « Femmes, espérez ; espérez en la presse ! » Après ce superbe début, vous croyez qu’il va continuer sur ce ton ? Erreur ! Il nous fait bien encore quelques légères concessions ; mais son bon vouloir s’arrête pour nous à la politique ; il refuse à la femme, mais là, bien positivement, le droit de s’en occuper, pour lui, la politique se personnifie dans Mirabeau, et, comme la femme n’est pas pourvue, comme son héros, d’une superbe tête de lion et d’une voix de stentor, il reste pour lui démontré qu’il n’y a pas en elle aptitude pour s’occuper de politique. Ne parlez pas à M. Vivier de cette politique nouvelle, déjà comprise par les journaux avancés, qui n’est autre chose que les intérêts positifs de la vie agrandis et régularisés : ne lui dites pas que la politique qu’il prise si haut tend incessamment à changer de forme ; que les peuples, commençant à s’aimer et sentant qu’en eux est la force et la vie, bientôt en viendront à comprendre que la guerre est immorale, impie ; que cette force immense, qu’absorbent l’orgueil et l’ambition des gouvernans, doit être employée désormais à soumettre le globe, à le fertiliser, à l’embellir à leur profit. C’est alors que la politique étant basée sur le travail exécuté socialement, sur une vaste échelle, et les relations des peuples s’établissant par des échanges de produits, la femme pourra entrer dans la politique comme dans tout : elle y pénétrera avec son caractère conciliant, enthousiaste, inspira- (p 55) -teur. Alors on y comprendra sa place... En attendant, tout cela n’est point l’affaire de M. Vivier ; il ne vous écoutera pas : Tarare ! Il n’y a point là, pour lui, de tête de lion !...

Notre second antagoniste a fait son apparition dans la séance du 26 novembre. Oh ! je suis loin d’établir un parallèle entre MM. Vivier et Dharot ; celui-ci est étonnant de véhémence, il ne peut être comparé qu’à lui-même ; il nous a fait subir un très-long discours, non-seulement rococo, pompadoue, mais encore anti-social. Il a soulevé dans l’assemblée l’indignation générale. Deux femmes ont protesté contre la manière injurieuse dont il ravalait les femmes qui réclament droits et places. Par la répulsion générale qu’il a excitée, il a prouvé une chose dont il ne parait [sic] pas se douter : c’est que notre liberté est dans les mœurs, et que bientôt, par conséquent, elle sera dans nos lois. Comme cet homme est trop loin de nous pour nous comprendre, nous le renvoyons pour retorquer [sic] ses argumens à la philosophie voltairienne : enfant des siècles obscurs, il doit passer par l’initiation dissolvante du dix-huitième siècle. Il est d’ailleurs des personnes avec qui nous nous faisons un cas de conscience de discuter, que nous laissons volontiers dans leurs opinions erronées ; ce sont celles qui mettent encore en question des principes qui circulent comme axiomes, qui, à notre époque, par exemple, critiquent la vie d’après les devoirs d’une religion désormais sans puissance ; qui, pour nous asservir, s’appuient sur la Bible, nous montrant dans les dogmes chrétiens notre esclavage écrit, traitant tout désir d’émancipation chez la femme de révolte impie envers Dieu et l’homme, son Créateur et son Seigneur...

Si, en face de ces hommes, je daignais faire une profession de foi, je remonterais aussi jusqu’aux premiers chapitres de la Génèse [sic]; ce

241 25/05/23 02:32

Page 242: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

livre sacré en main, je leur dirais : hommes, votre orgueil mâle a tout corrompu, jusqu’au texte divin ; écoutez, et comprenez Dieu dans ces simples paroles : « Au commencement, Dieu nous fit à son image ; il créa l’homme et la FEMME. » Oui, pour moi, Dieu est androgyne ; cette foi repose sur l’éternelle justice et sur la conception élevée des vertus des deux sexes...

Grâce à Dieu, voilà un nom d’homme qui rappelle à mon imagination des pensées gracieuses, et que je veux fixer dans la mémoire (p 56) de nos lectrices. A M. Paillet de Plombière ; qu’une pensée sympathique lui soit conservée dans noscœurs [sic] pour une pièce de vers charmante, faite et récitée à la gloire des femmes. Cet excellent vieillard a peint notre position avec une touche si vraie, qu’il a fortement ému l’assemblée.

La forme restreinte de notre feuille ne me permettant pas d’ajouter d’autres détails pour aujourd’hui, je dirai seulement ce que d’autres personnes ont remarqué comme moi : c’est que tous les discours de femmes, lus à la dernière séance, avaient une teinte de socialisme plus prononcée.

Nous continuerons à décrire la physionomie de ces conférences ; espérons qu’elle perdront bientôt leur caractère vague et indécis, et que MM. les sociétaires, en nous mettant dans le secret de leurs pensées, nous diront ce qu’ils veulent, ce qu’ils comptent faire pour nous ; car il est probable qu’ils n’ont pas provoqué toutes ces discussions pour obtenir des femmes l’avantage de les entendre.

SUZANNE.

(p 57)

Le fait de l’affranchissement des colonies a une valeur tellement universelle, que nos lectrices nous sauront gré de dire ici quelques mots extraits du Galignani’s Messenger du 2 décembre. Déjà l’Angleterre a envoyé à la Jamaïque un médiateur entre les esclaves et les maîtres. Lord Mulgrave, chargé de cette mission et investi de l’autorité nécessaire, s’est d’abord adressé aux propriétaires assemblés : là, par un discours très-fort, il les a engagés à faire suspendre toutes punitions corporelles sur leurs noirs, jusqu’à la promulgation du traité qui doit changer la condition des esclaves en celles d’hommes payant une redevance comme indemnité ; il les a engagés à ne pas attendre davantage pour placer leurs esclaves dans cette position, leur disant que mieux valait n’avoir pas l’air de céder à une loi, mais bien plutôt que la loi ne fût que l’expression de leur volonté.

==========

242 25/05/23 02:32

Page 243: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

A [sic] voir la tendance progressive de la France et de l’Angleterre, on regrette que la non-intervention empêche certains états d’outre-mer de subir le puissant patronage de ces deux grands peuples. Une lettre datée de la Nouvelle Orléans, écrite par un apôtre de la fraternité universelle et dont je veux extraire quelques lignes, suffira, j’espère, pour justifier ce regret. — « Continue, chère sœur, à prêcher, à réclamer l’intervention de la femme dans les affaires humaines : sa douce et religieuse inspiration peut seule sauver cette malheureuse contrée du sort affreux éprouvé par Saint-Domingue. Femmes, que votre influence pacificatrice comprenne l’espace et s’étende à tous.

« Le croirais-tu, chère amie ? Il y a des hommes ici qui regardent comme chose naturelle la plus horrible spéculation ; ils achètent (p 58) des esclaves à l’encan comme on achète des animaux, par paires ; il les accouplent et les font produire.... Leur considération envers eux est en raison du rapport. Lorsque les enfans peuvent se passe [sic] de leur mère, ils sont vendus à leur tour sans aucune considération pour les sentimens les plus naturels.... On me fit remarquer ces jours derniers une pauvre négresse qui avait vu disparaître ainsi douze de ces malheureux petits êtres qui avaient puisé la vie dans son sein. Ce mépris, cette proscription des races noires s’étend même jusque sur les races mélangées. Cette semaine, je fus témoin d’un fait à l’appui. Un homme de couleur voulut placer de l’argent à la banque : on le refusa net ; la raison qui a paru très-plausible ici, c’est que les ancêtres de cet homme étaient nègres. Après de pareils faits, les réflexions deviennent inutiles ; on juge de suite où en est l’éducation morale chez ce peuple de marchands. Les punitions corporelles que l’on administre aux pauvres esclaves sont horribles et bien peu en rapport avec les délits. Ton cœur sensible défaillerait [sic] s’il te fallait passer devant la geole [sic]; les cris de ces malheureux sont déchirans. A [sic] la plus légère insubordination, les maîtres les font retenir dans ce lieu, et là, soit et matin, leur font administrer par des blancs, vrais bourreaux du moyen âge, des coups de fouet au blanc... J’hésite à te faire apprécier la valeur de ce terme, appliquer des coups de fouet au blanc : c’est assaillir le malheureux avec tant de forces, que non seulement le sang jaillit, mais la chair vive devient blanche et noire sous le coup : c’est à faire frémir ! On recommence cet infâme traitement plusieurs fois par jour, pendant un certain espace de temps, selon que l’esclave a été plus ou moins maladroit ou paresseux. C’est à la Nouvelle Orléans, l’entrepôt du commerce de l’Amérique septentrionale, que ces choses se passent, sous l’empire de cette République Américaine, si exaltée dans notre belle France, et qui cependant n’a point eu puissance pour détruire cet horrible abus du droit de l’homme sur l’homme.

243 25/05/23 02:32

Page 244: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 59)

Paris, 3 décembre 1833.

A [sic] MESDAMES LES RÉDACTRICES DE LA TRIBUNE DES FEMMES.

Eh bien ! Mesdames, vous en avez acquis de nouvelles preuves dans la dernière conférence de la rue Taranne ; il est des hommes qui ne justifient que trop les plaintes et l’indignation des femmes. A [sic] l’égard des points les plus importans de cette existence sociale qui leur appartient de droit, c’est au nom d’un dogme fabriqué de main d’homme, d’un dogme imposteur, que l’un de nos détracteurs les plus acharnés, a dit, qu’au commencement l’homme avait ainsi prononcé sur son destin et celui de la femme : « Je suis fait à l’image de Dieu ; je suis le roi de l’univers, et toi, femme, tu es mon esclave ! » L’insensé ! en même temps le méchant ! car il faut être un méchant pour se complaire, pour s’extasier dans une odieuse doctrine, pour passer sa vie à la redire, à tâcher de l’inspirer ; le méchant, dis-je ! en même temps le dévot ! en même temps le mystique au regard des joies mondaines !!... il a cru les adoucir les outrages qu’il a proférés ; il a cru les adoucir par le niais et banal éloge des charmes de cette beauté dévolue aux femmes, semblable, qu’il était alors au tigre qui caresse pour mieux déchirer. Qu’importe aux femmes ces misérables adulations au prix de leurs droits méconnus ? mais vous avez été témoins des moqueries de l’assemblée. Les hommes ont été insensibles au titre de demi-dieux qu’il leur a donné. Et quels applaudissemens fut suivie la protestation de l’une d’entre vous, Mesdames, contre une telle diatribe ? Cependant, Messieurs du bureau se sont crus obligés de réclamer le silence, de l’imposer aux improbations qui ont éclaté de toutes parts ; mais des outrages débités à profusion ne sont pas une opinion exprimée, des outrages ne sont point tolérables : assurément, dire des femmes que leur intelligence est nulle, ne voir en elles que des objets faits pour (p 60) flatter les sens et pour l’accomplissement de la reproduction et sans les sortir de leur misérable condition d’esclaves, était un langage qu’il eût été plus facile et plus raisonnable d’arrêter que cette irritation d’un public qui se respecte assez pour la manifester hautement. Aussi à cette réclamation de ces Messieurs un auditeur a répondu : on peut dire son opinion. Une héroïne de Juillet qui était présente a dit : « Nous venons ici pour chercher des lumières et « non des mystifications. »

Honneur aux hommes qui s’élèvent du sein de la majorité des autres hommes, vivant comme je l’ai déjà dit, sous la loi d’usurpation, d’iniquité contre les femmes, sans s’occuper de cette loi, même en la dédaignant ; honneur, dis-je, à ceux d’entre eux qui s’élèvent pour protester avec nous ; qui comprennent bien que la minorité, armée du glaive, a d’abord

244 25/05/23 02:32

Page 245: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

gouverné les peuples, que les hommes furent et sont encore les premiers esclaves des tyrans, que le mouvement progressif parmi les peuples, parmi les nations, ne s’est opéré toujours que trop lentement au gré de la vertu. Mais enfin nous sommes au dix-neuvième siècle ; il faut leur parler en face, aux hommes de cette époque, visiblement, très-visiblement du progrès. Un mauvais langage ne leur convient pas plus qu’à nous ; leurs bouches et leurs écrits se souillent aussitôt qu’ils cherchent à rabaisser ce que l’Éternel a glorifié, puisqu’il nous a chargées, nous femmes, de la confection du genre humain. Faut-il donc toujours répéter, que, si la femme ne peut être sans l’homme, avant toute chose, sans la femme il serait moins que rien.

245 25/05/23 02:32

Page 246: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Ensuite je dirai que l’ordre de la discussion de cette proposition dont nous avons songé à tirer un grand parti est bien mal observé : après quatre séances en trois mois, le public s’ennuyait qu’on ne passât pas aux moyens : je me suis empressée d’en présenter : on devait s’en occuper dans la séance suivante ; mais au lieu de cela, voici que de nouveau chacun parle sur la question générale, et pour comble de singularité, on avait commencé dans la séance précédente d’agiter le dernier de ces moyens proposés. Ainsi maintenant nulle discussion sur les conférences particulières et publiques, l’accroissement d’instruction, les cours normaux, les journaux, les cours publics pour l’enseignement des arts, des (p 61) sciences et des lettres, les académies, et un second institut à l’instar de celui de France ; nulle discussion sur ces grands moyens à exploiter par les femmes seulement, et les seuls que l’on puisse fournir à ce vœu, de favoriser et de mettre à profit le grand mouvement intellectuel qui se manifeste aujourd’hui parmi les femmes, les seuls propres à offrir à l’Europe le peuple modèle que je demande, et que je demande aux femmes françaises.

« C’est à vous, leur ai-je dit, en terminant mon dernier discours, de présenter à l’Europe, non pas le règne des femmes, mais leur participation légale dans la vie sociale et politique ; non pas le règne des femmes, mais cette concurrence nécessaire entre elles et les hommes pour le bonheur de tous. Aujourd’hui vous n’avez qu’à vouloir, et la récompense de nos travaux sera dans l’avenir ; car les générations suivantes posséderont les fruits de notre persistance et béniront notre mémoire. Puisse ma voix ne pas retentir en vain dans cette enceinte, où j’aperçois déjà que peut se former une première association. Songez-y : cette première association sera la source de toutes les autres. Et nous, femmes du dix-neuvième siècle, nous aurons accompli notre mission sans ruse, sans empiètement, sans usurpation, sans avoir coûté un regret, une larme à l’humanité. »

On peut facilement croire que les femmes dans leurs conférences seraient esclaves, non des demi-dieux de l’orateur en question, mais de l’ordre inséparable de toute discussion importante. Quoiqu’il n’en soit pas ainsi rue Taranne, le public y accourt. Il faut que la question l’intéresse bien vivement, pour que ces séances, qui n’arrivent que de mois en mois, ne ralentissent pas son assisuité.

N’en doutons pas, Mesdames, ce même public les attend impatiemment, nos conférences ; il en a besoin ; il veut faire avec nous d’utiles et de nobles échanges intellectuels qui le feront croître avec nous, qui nous feront croître avec lui. Les femmes du progrès ont des admirateurs, ont de nombreux amis qui reconnaissent déjà tous les biens que la société doit en attendre et qu’elles lui procureront à force de courage et de vertus.

Louise DAURIAT.

246 25/05/23 02:32

Page 247: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 62)Londres, 25 octobre 1833.

EXTRAIT DE LA CORRESPONDANCE.

J’ai attendu long-temps avant de vous écrire, chère amie ; j’avais honte de l’abattement où j’étais, mais, grâce à Dieu, m’en voilà relevée. Les secousses violentes que j’ai eues m’ont formée pour l’avenir. Ma nature avait été tellement faussée et désorganisée, qu’il me fallait une rude expérience ; j’ai senti un craquement horrible en moi, et je suis tombée presque sans vie, sans avoir même la force de la volonté. Dans cet état, repoussée par ceux en qui j’avais mis mon affection dans le vieux monde, éloignée de mes nouveaux amis, je me suis trouvée isolée au milieu de gens incapables de me comprendre, et qui ne savaient à quoi attribuer l’état extraordinaire où j’étais ; mais une puissance invisible m’a soutenue et m’a rendue goutte à goutte à la vie qu’elle avait ôtée de sa vieille demeure ; elle m’a consolée de la perte d’affections qui étaient identiques et nécessaires à mon existence, mais qui dans notre discordance sociale m’avait tiraillée en tous sens, semblables aux vents contraires qui balottent [sic] et font chavirer la frêle nacelle isolée au milieu des eaux. Je suis encore faible, mais c’est une faiblesse qui tend chaque jour à diminuer. Vous ne me reconnaîtriez plus ; je ne suis plus une vivante image du chaos ; mes traits horriblement changés, au dire de tout le monde, depuis mon séjour en Angleterre, n’ont plus l’expression d’une douleur présente, mais portent une profonde empreinte de mes douleurs passées, jointe à l’espérance et à la foi calme et résolue qui m’anime maintenant.

Je vois Mme W.., par son rang, qui est une importance ici, (p 63) et par son esprit, qui est remarquable. Elle reçoit chez elle les hommes les plus distingués sous tous les rapports. Je suis tenue par elle au courant du mouvement social en Angleterre ; elle m’a mise en relation avec ceux qui s’en occupent activement ; je leur parle de Paris, je leur raconte nos œuvres : je vous cite tous par les vôtres. Mon enthousiasme renait [sic] à ce récit, et au milieu d’eux j’oublie les chaînes qui me restent, et je me crois au milieu de vous tous. J’ai lu de vos lettres à Mme W... Elle en fut transportée d’admiration, et veut me mettre en relation avec un ouvrier anglais fort remarquable, afin que je lui parle de vous et du peuple français. Mme W.… a connue [sic] les Saint-Simoniens de l’ancienne doctrine : et M. Fourier : Elle est liée avec les littérateurs les plus remarquables de France, et a écrit en 1828, et même long-temps avant, sur la liberté des femmes. En 1828 un appel aux femmes, fait par elle, fut joint à un ouvrage de Mme Thompson sur la liberté des peuples, et fut

247 25/05/23 02:32

Page 248: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

distribué en Angleterre ; mais il était trop tôt. Elle est Owéniste et écrit dans le journal la Crise. J’ai traduit une de ses lettres sur notre liberté, en réponse à une lettre d’une autre dame sur le même sujet : je vous les enverrai par une prochaine occasion. Oh ! ce n’est pas pour rien que j’ai été jetée en Angleterre, et que j’y ai tant souffert ! La providence place toujours à côté d’un grand mal un grand bien ; mais il faut que je patiente encore six mois, temps nécessaire pour remplir mes engagemens : après quoi, je me remettrai dans le mouvement, car c’est là le pain quotidien de mon âme.

Je voudrais que vous m’écrivissiez quelques détails sur l’état des femmes en France, propres à être communiqués, sur leur [sic] travaux, principalement en ce qui a rapport à la cause des peuples, à leur amélioration, aux associations, que vous citerez par leur nom et leurs œuvres : dites celles qui se sont le plus distinguées, afin de stimuler un peu les Anglaises qui s’endorment dans la métaphysique et le sentiment, sans mettre en action aucune de leurs belles théories ; parlez avec l’énergie et l’âme d’une femme du peuple qui est fière de sa pauvreté, car ici on en rougit, et le peuple et les femmes rampent ventre à terre pour un peu d’or, destiné au manteau du luxe qui cache l’absence des objets de première utilité. Tout ici est fier et aristocrate, et, dans tous les rangs, le plus petit se courbe (p 64) sous le plus grand. Le mélange des deux peuples pourra seul tourner ce faux orgueil vers le progrès, et tous deux ont à gagner à ce contact.

Les associations commencent ici lentement, il est vrai, mais solidement : c’est le seul moyen que le prolétaire ait de lutter contre le monopole de l’argent, qui a fait la puissance de l’Angleterre, et amènerait infailliblement sa ruine, si une autre puissance ne s’élevait pour socialiser cet amas de richesses. L’Angleterre sera alors le trône de l’industrie, la grande manufacture du globe. Ce pays produit des merveilles d’industrie ; dans les petits voyages que j’ai faits dans l’intérieur, j’ai été dans une continuelle admiration de la bonne tenue des routes, des voitures et des chevaux publics, de l’ordre des administrations, de la beauté et de la richesse de ces immenses propriétés, dont les lords semblent les fermiers particuliers, choisis par la providence pour les améliorer et les faire valoir jusqu’au jour de la socialisation. Ces propriétés sont entourées de haies qui semblent les garantir de la destruction, que pourrait causer l’ignorance et la misère des masses. Ces haies sont autant de forteresses sous la garde de lois sévères ; et cette multitude de chemins de fer, qui sillonnent et s’étendent au loin autour de Cheltenham, partent tous du haut d’une montagne presqu’à pic, dont ils prennent les pierres qu’ils distribuent dans le canton. De cette montagne j’ai pu admirer l’aspect sévère de cette nature grandiose à laquelle les civilisés absolutistes ont tous refusé la poésie. Elle ne possède pas, il est vrai, ce zéphir doux et léger de notre France qui balance mollement les arbres et les fleurs, et vous caresse voluptueusement de ses ailes. Mais ici c’est un vent fort qui, s’engouffrant dans d’énormes massifs d’arbres, rend ces immenses bosquets semblables aux antres de Vulcain. J’étais saisie d’une terreur soudaine, lorsqu’assise au pied d’une montagne, sous ces vastes berceaux garnis de tapis d’un vert éclatant et sévère, j’entendais le roulement des

248 25/05/23 02:32

Page 249: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

chariots et le craquement des machines qui les attiraient rapidement du haut de la montagne pour les lancer ensuite dans leur différentes directions, et qui dominait parfois le bruit du vent, et semblait être les gémissemens d’un géant. Là, tous les chagrins qui m’avaient accablée me paraissaient des piqûres d’épingle ; mon âme s’élevait au niveau de cette nature embellie et animée par l’in- (p 65) -dustrie des hommes, et s’imprégnait de sa force. Oh ! l’Angleterre est poétique, non point de cette poésie des pays chauds qui enflamme les sens et fait bouillonner l’imagination, mais d’une poésie profonde qui fortifie à mesure qu’elle exalte, de cette poésie de l’avenir qui, matérielle en même temps qu’elle est spirituelle, ne va pas errant sans but dans l’espace ; mais qui s’élève dans l’espace pour rapporter des objets d’une utilité positive la récolte de son imagination…

Fontana continue ses prédications : il est assisté de M. de Prati, professeur d’italien, ex-Saint-Simonien, et qui sait parfaitement l’Anglais ; il est suivi par beaucoup d’Owenistes, par M. Smith, le rédacteur du journal de M. Owen, homme très-estimable et très-dévoué à la cause des femmes ; c’est un prêtre anglican : de M. Bamme, qui sert d’interprète quand M. de Prati ne peut parler ; c’est un Français qui a acheté des propriétés en Angleterre, et s’y est fixé depuis dix ans ; homme d’esprit et de dévoûment [sic], il est d’une pétulance et d’une activité sans pareilles ; il se dévoue principalement aux femmes, et ne trouvant pas chez M. Owen tout ce qu’il voudrait, il va fonder des associations de femmes, dans ses propriétés. Ne connaissant pas du tout M. Fourier, il a cependant beaucoup de ses idées, et j’ai été électrisée dans une conversation que j’ai eue avec lui par la sympathie de nos opinions. Fontana est encore suivi par un homme, dont je ne puis dire le nom, remarquable par son désintéressement ; j’ai trouvé aussi en lui une grande sympathie d’opinions, mais plutôt dans le sens scientifique de Saint Simon, que dans le sens pratique de M. Fourier ; il est Oweniste, et, ne trouvant pas non plus entière satisfaction dans les idées de M. Owen, il veut, lui, prêcher au peuple l’association par paroisse ; division de Londres comme Paris en arrondissemens ; il veut que dans chaque paroisse il s’établisse des manufactures sociales, qui ne dérangeraient personne en les associant, et qui, par la suite, pourraient établir un système d’échange qui pourrait rivaliser avec la grande industrie particulière. Cette idée est grande et me parait [sic] réalisable, autant que j’en puis juger. Je voudrais pouvoir vous citer d’autres personnes anglaises et étrangères, qui toutes réunissent à ces idées sociales des connaissances très-étendues. Les femmes sont arriérées : cependant en (p 66) voilà une oweniste, Mme Hamilton, qui fait des lectures publiques ; mais je crains qu’elle ne soit comme miss Wrigle, qui, en Amérique et en Angleterre, a prêché M. Owen et contre le mariage, et qui maintenant est, en France, mariée, femme soumise à son mari, et infidèle à sa cause.

Fontana fait beaucoup de bien pour les femmes ; il va beaucoup de monde à ses prédications ; les grands journaux, le Times, le Herald, le Morning en ont parlé, ce qui fait grand bruit.

Le temps est arrivé où l’Angleterre va marcher de front avec la France à la tête des peuples ; je crois qu’un renfort de nos compagnons serait

249 25/05/23 02:32

Page 250: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

très-utile ici vers le mois de janvier, époque à laquelle, en Angleterre, on revient à la ville. Cela ferait un grand effet sur les femmes ; mais il faudrait que ce fussent des hommes plus logiques que Fontana, et qui eussent le ton noble et imposant des premiers apôtres ; car ici la logique et les formes sont de toute nécessité. Il faudrait aussi qu’ils ne se fissent pas nourrir par charité, mais qu’ils se mêlassent aux travaux du peuple. Je sais que l’entrée des grandes manufactures leur sera d’autant plus difficile qu’elle serait d’une grande importance pour eux ; mais c’est pour cette raison qu’ils doivent tâcher d’y pénétrer. Je crois aussi que des chants, organisés comme Rogé l’avait fait, seraient très-bons ; ils choqueraient d’abord le calme anglais, mais ils finiraient par entraîner. L’Anglais aime le plaisir, la musique et la danse, et, si le peuple est taciturne, c’est qu’il sent profondément ses maux, et ne peut, comme le Français, les oublier en chantant ; il plie sous le joug, parce que rien ne lui coûte pour avoir le moyen de cacher sa misère, et qu’il n’est pas encore assez éclairé pour agir plus noblement ; mais, quand il relèvera la tête, il la relèvera fortement et pour toujours. Il faut qu’il sache qu’on s’occupe de lui ; il n’ira pas aux prédications, et il suivra avec transport des chants et des costumes ; mais, je le répète, il faut des hommes imposans et dévoués à tout ; car il y a tout à risquer. Il serait utile que ceux qui viendront ici aient connaissance de la théorie de M. Fourier, non pour la prêcher, ce n’est pas leur mission, mais pour s’appuyer sur elle, et s’en servir comme d’une boussole utile et féconde en résultats positifs….

JENNY DURANT.

250 25/05/23 02:32

Page 251: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 67)

VICO.

(SUITE.)

Les lettres suivirent les langues : quand l’homme n’eut que la langue poétique, il écrivit par images et hyéroglyphes [sic] ; à mesure qu’il resserra les mots et les expressions, il fit les lettres et l’écriture. Il faut voir dans l’ouvrage cette savante discussion sur les langues et tant d’aperçus neufs sur la législation, la poésie, la nature, la religion, la société ; l’examen que l’auteur fait d’Homère, pour établir que ses ouvrages ne sont pas d’un homme, mais sont un recueil de la poésie et de l’histoire du temps ; les rapprochemens qu’il établit entre les évènemens [sic] de l’histoire ancienne et celle du moyen âge, pour faire triompher les principes de la science nouvelle. Vico est poète, héros, législateur et philosophe, appuyé toujours sur des idées éternelles et universelles : c’est Atlas soutenant le monde. Il faut remarquer chez lui deux qualités admirables par leur union : la foi et le doute. Il a acquis la conviction, mais il ne l’a acquise qu’après avoir ébranlé de sa main puissante l’édifice qu’il voulait construire. Une dissertation, où il soutient que la loi des douze tables ne fut point transportée de Grèce à Rome, est un modèle d’examen. Il vérifie les faits avec sagacité, avec des vues neuves et pénétrantes. Cette union de la foi et de l’indépendance d’esprit est un des traits caractéristiques de Vico ; c’est par là qu’il sut s’aider ensemble de la force de sa tête et de la chaleur de son âme.

Lui-même il offre et il admet les exceptions qu’on pourra opposer à sa règle. Son ouvrage n’est pas contre la perfectibilité, comme on l’a prétendu, puisqu’il regarde le monde comme amélioré et changé par la religion chrétienne.

D’ailleurs il ne prescrit pas l’espace de temps dans ce cercle que (p 68) les nations parcourent. Si un peuple met mille ans à faire la marche qu’un autre a faite en cinq cents, s’il dure plus, travaille plus, recueille plus, sans doute les résultats sont différens, encore que la marche générale dut être la même. Au moment où l’un était mort, l’autre au même point du temps prospère ; c’est une chose qu’on ne remarque jamais dans les comparaisons de peuple à peuple. Le médecin qui a fait vivre son malade vingt ans doit-il se confondre avec celui qui a fait vivre le sien dix ans ?

« C’est bien là, dit-il en terminant, la grande cité des nations fondée et gouvernée par Dieu même. On a élevé jusqu’au ciel, comme de sages législateurs, les Lycurgue, les Solon, les Décemvirs, parce qu’on a cru jusqu’ici qu’ils avaient fondé par leurs institutions les trois cités les plus illustres, celles qui brillaient de tout l’éclat des vertus civiles ; et pourtant que sont Athènes, Sparte et Rome pour la durée et pour l’étendue, en

251 25/05/23 02:32

Page 252: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

comparaison de cette république de l’univers, fondée sur des institutions qui tirent de leur corruption même la forme nouvelle qui peut seule en amener la perpétuité ? Ne devons-nous pas y reconnaître le conseil d’une sagesse supérieure à celle de l’homme ? Dion Cassius assimile la loi à un tyran, la coutume à un roi ; mais la sagesse divine n’a pas besoin de la force des lois ; elle aime mieux nous conduire par les coutumes que nous observons librement, puisque les suivre c’est suivre notre nature. Sans doute les hommes ont fait eux-mêmes le monde social ; c’est le principe incontestable de la science nouvelle ; mais ce monde n’en est pas moins sorti d’une intelligence qui, souvent, s’écarte des fins particulières que les hommes s’étaient proposées, qui leur est quelquefois contraire et toujours supérieure. Ces fins bornées sont pour elle des moyens d’atteindre les fins plus nobles, qui assurent le salut de la race humaine sur cette terre. Ainsi, les hommes veulent jouir du plaisir brutal, au risque de perdre les enfans qui naîtront, et il en résulte la sainteté des mariages, première origine des familles. Les pères de famille veulent abuser du pouvoir paternel qu’ils ont étendu sur les cliens, et la cité prend naissance. Les corps souverains des nobles veulent appesantir leur souveraineté sur les plébéiens, et ils subissent la servitude des lois, qui établissent la liberté populaire. Les peuples libres veulent secouer le frein des lois, (p 69)

SUPPLEMENT. [sic]et ils tombent sous la sujétion des monarques. Les monarques veulent

avilir leurs sujets en les livrant aux vices et à la dissolution, par lesquels ils croient assurer leur trône, et ils les disposent à supporter le joug des nations plus courageuses. Les nations tendent, par la corruption, à se diviser, à se détruire elles-mêmes, et de leurs débris, dispersés dans les solitudes, elles renaissent et se renouvellent, semblables au Phénix de la fable. Qui put faire tout cela ? Ce fut sans doute l’esprit, puisque les hommes le firent avec intelligence. Ce ne fut point la fatalité, puisqu’il le firent avec choix. Ce ne fut point le hasard, puisque les même faits, se renouvelant, produisent régulièrement les mêmes résultats. — Ainsi se trouvent réfutés, par le fait, Épicure et ses partisans, Hobbes et Machiavel, qui abandonnent le monde au hasard ; Zenon et Spinosa le sont aussi, eux qui livrent le monde à la fatalité. Au contraire, nous établissons avec les philosophes politiques, dont le Prince est le divin Platon, que c’est la Providence qui règle les choses humaines. Puffendorf méconnaît cette Providence ; Selden la suppose ; Grotius en veut rendre son système indépendant. Mais les jurisconsultes romains l’ont prise pour premier principe du droit naturel. »

On se demandera peut-être si Vico est chrétien, ou s’il en prend seulement l’apparence. A [sic] cette hauteur est-on d’une religion particulière ? On est religieux sans dogme. Les anciens admiraient les fictions d’Homère ; y croyaient-ils ? Plus la forme dont on a revêtu les vérités religieuses est belle, plus elle est respectable ; on peut la respecter sans y croire ; elle a sur tout autre religion à naître l’avantage qu’elle est née, qu’elle est reçue. Il est temps que la religion chrétienne, tour à tour trop rabaissée ou trop élevée, trouve sa place et la garde.

252 25/05/23 02:32

Page 253: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Nous remarquerons que Vico, regardant l’Angleterre comme un gouvernement aristocratique, prévoit le moment où, pour rentrer dans son système, elle deviendra une monarchie pure. Il n’a pas deviné qu’au contraire les monarchies pures, sans devenir des aristocraties, adopteraient le mode de représentation de l’Angleterre. La civilisation ramène les hommes à la hauteur primitive, à l’état le plus libre et le plus près de la nature, leur rendant le pouvoir qu’ils avaient possédé en commun à la naissance des sociétés. Le cens (p 70) place, comme disait Vico, le pouvoir aux mains des laborieux.

On a pu voir dans ce que nous avons cité de Vico une imagination poétique et grande. Ses mémoires et sa correspondance font voir que son âme, son caractère et sa vie ne furent pas moins élevés. Né à Naples, en 1668, d’un pauvre libraire, il étudia le droit et l’enseigna durant neuf ans aux neveux de l’évêque d’Ischia, retiré dans la belle solitude de Valtolla, où, suivant la route que lui traçait son génie, il étudiait la poésie, la philosophie et l’histoire. Admirant Descartes, mais s’élevant contre sa philosophie, qui était alors la seule qu’on étudiât à Naples, il fit plusieurs ouvrages avant la science nouvelle, qui n’obtint point à son apparition le succès qu’elle a eu depuis ; le style difficile à comprendre et la distribution de l’ouvrage jettent de l’obscurité sur un livre déjà obscur par sa profondeur. Père d’une nombreuse famille, frappé de malheurs domestiques, la chaire de rhétorique qu’il avait à l’université de Naples ne lui suffisait pas pour vivre ; il était obligé de donner chez lui des leçons de langue latine. A l’avènement de la maison de Bourbon, il fut nommé historiographe du roi, et il obtint que son fils, homme de mérite, lui succéderait comme professeur ; mais cette amélioration dans le sort infortuné de Vico n’arriva qu’à la fin de sa vie ; il mourut bientôt, âgé de 76 ans.

L’histoire de ses études et des développemens de son esprit est une des plus belles choses qui existent en ce genre ; là Vico a suivi avec détail et avec plaisir l’ordre de ses idées, de ses lectures, de ses doutes, de ses recherches, de la marche par laquelle il parvint au savoir.

Ses études et ses découvertes le remplirent d’enthousiasme ; il sentit sa force, mais il s’enivra moins d’elle que des travaux où elle s’annonça. Supportant ses malheurs avec la même exaltation, la religion et le sentiment de sa supériorité le consolèrent. Que ne pouvons-nous citer ici tant de passages ou de lettres admirables qu’on trouve dans les deux volumes de ses mémoires et de sa correspondance ! Père tendre, il s’occupait du soin de l’éducation de ses enfans, se mêlait à leurs jeux ; sa fille aînée, digne d’un tel père, fut sa favorite ; tout en lui était aimable, honnête et grand.

Vico offre l’exemple d’une vie intérieure comparable à une vie d’action. Dans la retraite, dans la solitude et dans la misère, son esprit et sa vertu lui donnèrent des jouissances égales à celles qu’il eût (p 71) pu recevoir des plus grands faits autour de lui. Les affections remplirent son cœur ; il aima sa patrie comme les anciens savaient l’aimer.

«  Ma chère patrie m’a tout refusé !.., dit-il dans un sonnet ; je la respecte et la révère. Utile et sans récompense, j’ai trouvé déjà dans cette pensée une noble consolation. Une mère sévère ne caresse point son fils, ne le presse point sur son sein, et n’en est pas moins honorée… »

253 25/05/23 02:32

Page 254: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

« Qu’elle soit à jamais louée, dit-il dans une de ses lettres, cette providence, qui, lors même qu’elle semble à nos faibles yeux une justice sévère, n’est qu’amour et que bonté. Depuis que j’ai fait mon grand ouvrage, je sens que j’ai revêtu un nouvel homme. Je n’éprouve plus la tentation de déclamer contre le mauvais goût du siècle, puisqu’en me repoussant de la place que je demandais, (une chaire de droit qu’il n’obtint pas) il m’a donné occasion de composer la science nouvelle. Le dirais-je ? Je me trompe peut-être, mais je voudrais bien ne pas me tromper : la composition de cet ouvrage m’a animé d’un esprit héroïque qui me met au-dessus de la crainte de la mort et des calomnies de mes rivaux. Je me sens assis sur une roche de diamans, quand je songe au jugement de Dieu, qui fait justice au génie par l’estime du sage !.. »

Rappelant les malheurs de sa vie, « Vico bénissait les adversités, dit-il, qui le ramenaient à ses études. Retiré dans sa solitude comme dans un fort inexpugnable, il méditait, il écrivait quelque nouvel ouvrage, et tirait une noble vengeance de ses détracteurs. C’est ainsi qu’il en vint à trouver la science nouvelle…. Depuis ce moment, il crut n’avoir rien à envier à ce Socrate, dont Phèdre disait : Je ne refuse point sa mort, si j’obtiens sa renommée, et je cède à l’envie, si ma cendre est absoute. »

Cujus non fugio mortem, si famam assequar,Et cedo invidiæ, dum modò absolvar cinis. (1)

GERTRUDE.

(1) Nous nous sommes servies pour les citations de la traduction de M. Jules Michelet, (Principes de la philosophie de l’histoire, traduits de la science nouvelle de Vico. 1827), traduction pleine de mérite et qui a l’avantage d’être la première qu’on ait faite en France. Nous y renvoyons nos lecteurs auxquels nous n’avons pu donner qu’une faible idée de l’ouvrage de Vico. Ses Mémoires et sa Correspondance n’ont pas été traduits.

254 25/05/23 02:32

Page 255: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 72)

ÉGYPTE. — Alexandrie, 4 novembre 1833.

Le Père Enfantin s’est rendu d’ici au Caire avec une partie de ses disciples ; il a vécu ici très-retiré, ne quittant que rarement le bâtiment qui l’avait amené de Trieste. Il voulait éviter de se donner en spectacle au peuple qui le suivait partout. Méhémet Ali est aussi allé au Caire pour y passer l’hiver.

(Extrait de la Tribune du dimanche 8 décembre.)

———————————

— On lit dans le Peuple souverain, journal de Marseille : « Alexandrie devient, décidément, le rendez-vous des Saint-Simoniens dans le Levant. On en compte jusqu’à treize dans nos murs en ce moment-ci. Le Père Barrault est de retour de Smyrne ; le Père Enfantin est également attendu. Il vient, dit-on, pour chercher la femme, et faire, du côté de Suez, des études sérieuses sur la jonction projetée depuis si long-temps entre la mer Rouge et la mer Méditerranée. Mercredi dernier, ces messieurs ont exécuté de la musique saint-simonienne à l’okèle [sic ? ] neuve. Cette musique a paru gracieuse et originale à tous les amateurs qui l’ont entendue. M. David est l’Orphée qui a ravi toutes les oreilles par le charme de ses compositions et d’une voix pure et sensible. M. Barrault n’a prononcé que quelques paroles brèves pour expliquer son retour à Alexandrie. »

SUZANNE, Directrices.CÉLESTINE,[FP. : une accolade figure ici]

——————————————————Imprimerie de PETIT, rue du Caire, n. 4.

255 25/05/23 02:32

Page 256: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La Femme Nouvelle,(p ?, avant p 73)

TRIBUNE DES FEMMES,Paraît deux fois par mois, par livraison d’une feuille ou plus.

PRIX POUR PARIS. PRIX POUR LES DÉPARTEMENS.

2 fr.

50 c. pour 3 mois. 3 fr.

» pour 3 mois.

5 » pour 6 mois. 6 » pour 6 mois.10 » pour l’année. 12 » pour l’année.

Tome premier de LA TRIBUNE DES FEMMES, 1 vol . in-8o, 4 f. et 5 f. par la poste.

Rue des Juifs, No 21 ; et chez JOHANNEAU, libraire, rue du Coq-St-Honoré.AFFRANCHIR LETTRES ET ENVOIS.

FOI NOUVELLE — LIVRE DES ACTES, publié par les Femmes,PRIX : 1 FR. par mois.

A [sic] PARIS, chez Mme Marie Talon, au Cab. de lecture, rue Neuve-du-Luxembourg, n. 28.

AMOUR A [sic] TOUS, Journal de la Religion Saint-Simonienne, publié à Toulon.

A [sic] Toulon, rue de Pradel, n. 5.A [sic] Paris, chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré.

LIBERTÉ FEMMES !!! brochure in-8, prix : 50 c., par Pol Justus, publié à Lyon chez Mme Durval, libraire, place des Célestins.A [sic] Paris, au Bureau de la Tribune des Femmes ; Et chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré.

Imp. de PETIT, rue du Caire, 4.

256 25/05/23 02:32

Page 257: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La Femme Nouvelle.(p ?, avant 73)

————————————————

TRIBUNE

DES FEMMES.

Notre bannière étant à la peine, il est justequ’elle soit à l’honneur.

JEANNE-D’ARC.

Egalité [sic] entre tous de droits et de devoirs.

_________________________Tome Second — 5me Livraison.

_________________________

PARIS,AU BUREAU DE LA TRIBUNE DES FEMMES,

RUE DES JUIFS, N. 21.ET CHEZ JOHANNEAU, LIBRAIRE, RUE DU COQ-SAINT-HONORÉ.

——————————Décembre, 1833. — Deuxième année.

257 25/05/23 02:32

Page 258: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 73)

UN MOT SUR BYRON,

PAR UNE FEMME,

On a tant parlé de lord Byron, qu’il paraîtra singulier que je vienne aujourd’hui encore prononcer son nom ; mais toutes les épithètes que les hommes ont accolées à ce nom, me semblent à moi, femme, ne le peindre qu’imparfaitement, et c’est d’un autre point de vue que je veux l’envisager ; poëte [sic] de l’enfer, du doute, du néant, ont-ils dit, et moi je dis poète de l’amour, des désirs, de l’espérance ; à l’âme éternellement jeune, et qui ne se désillusionnait que pour reprendre vîte [sic] ce que le monde appelle une nouvelle illusion ; le monde qui traite de fous ceux qui ont reçu du ciel ce qui manque au vulgaire ; l’éternelle espérance, l’éternel amour, l’éternelle foi ; et qui appelle illusion tout ce qui provient de ces belles vertus, et n’est point alligné [sic] au cordeau de la froide raison.

Nous n’essaierons pas de peindre Byron ; lui seul le pouvait et l’a fait admirablement dans ses poëmes [sic] qui sont chacun, si j’ose m’exprimer ainsi, un reflet ou une vue partielle de son âme ; aussi, après avoir lu et aimé ses poèmes, on sait, on sent l’homme, et j’en appelle à tous ceux qui l’on lu, a-t-on encore besoin de mémoires, de conversations et de tout ce dont on a été inondé après sa mort ? On dit que Childe-Harold, c’est moi. Quest-ce-que [sic] cela me fait : a dit quelque part Byron. Oui, Byron, Childe-Harold, c’est toi ; pélerin voyageur, à la recherche du ciel, qui seul peut te contenter ; mais, Don Juan, c’est encore toi ; Conrad, Lara, Manfred, le Giaour, c’est toi, toujours toi ; c’est ton éternelle tristesse, ton éternelle aspiration vers un monde meilleur que t’offraient tes rêves ou plutôt tes pressentimens de poëte [sic] ; et les fautes, et les crimes même que tu (p 74) as fait commettre à tes héros, qu’étaient-ils si ce n’est une énergique protestation contre l’ordre de choses au milieu duquel ils vivaient ; où tout était arrangé, nivelé, de sorte que les qualités au-dessus de la mesure commune, n’y pouvaient trouver régulièrement place. Qu’on s’étonne donc que le fleuve calme et majestueux qu’on veut détourner et faire entrer dans le lit d’un ruisseau, brise les digues qu’on lui oppose, et ravage les prairies qu’il eût fécondées, si on lui eût laissé paisiblement suivre son cours.

Byron nous semble représenter son siècle, le représenter en grand homme, en poëte [sic], en être en un mot la haute expression ; en raison de la supériorité de son âme, il a senti plus vivement que ses contemporains les maux de l’époque à laquelle il vivait ; mais chez eux se trouvent dispersés et plus faibles tous les sentimens qui le torturaient ;

258 25/05/23 02:32

Page 259: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

aussi a-t-il trouvé de l’écho dans tous les cœurs. Il douta, parce qu’il vint à une époque où la foi était éteinte, et où rien des anciennes croyances ne pouvait satisfaire la raison, restée seule debout au milieu de l’écroulement universel, où rien de l’ancienne société, de l’ancienne civilisation, ne pouvait plus obtenir l’amour des hommes. A [sic] des époques comme celle que nous venons signaler et à laquelle vint Byron, il n’y a plus rien à détruire, ou du moins, il n’y a plus besoin d’une main puissante pour abattre ; tout croûle [sic] soi-même ; aussi le désespoir s’empare-t-il des âmes énergiqnes [sic] et aimantes qui ne savent plus où se prendre.

Du désespoir de Byron naquîrent [sic] les chants sublimes ; mais plus dégoûté encore de la platitude du monde que de son manque de vertu, il idéalisa le crime et fit de gigantesques héros de désordre. Par haîne [sic] de l’hypocrisie, caractère distinctif, ou plutôt masque de la société au milieu de laquelle il était né, il montra l’homme puissant et passionné, rejeté du sein de cette société qui pardonne volontiers tout ce qui ne dérange pas son ordre apparent, mais qui, rejette avec mépris, quoiqu’avec crainte, celui qui dévie de la route tracée ; société incapable de rien sentir de vraiment grand, flétrissant l’enthousiasme et desséchant de son rire moqueur tout sentiment généreux.

En déplorant les vices dont Byron a chargé ses héros, on sent que dans une société bien organisée, les grandes qualités que leur a dé-(p 75)-parties le ciel, auraient fait leur gloire et le bonheur du monde ; car au milieu de leur profond abaissement, on les reconnait pour rois du genre humain, et on maudit la société qui a pu changer en poisons les germes précieux déposés dans leur sein. C’est, on le sent, l’orgueil qui a causé leur chûte [sic] : mais cet orgueil est le sentiment de leur valeur ; la conscience profonde de leur puissance ; on ne s’étonne plus, après avoir pénétré au fond de leur âme, de leur profond mépris pour la mesquinerie et la misère de ce qui les entoure ! Ils s’enorgueillissent même de leurs vices et en font trophée ; tout ce qui les entoure leur va à peine à la cheville, et tout cela se pare de semblans de petites vertus en cachant soigneusement ses petits vices.

Par haîne [sic] de l’hypocrisie, Byron se fit fanfaron de vices : sensible et trompé dans ses affections, il flétrit la tendresse, car s’il la montre sublime, constante, inaltérable, il la montre en même temps coupable, toujours coupable ; il semble, en le lisant, qu’elle ne puisse être qu’à cette condition. Medora, Gulnare et Astarté, la plus belle des trois, peut-être, quoique nous ne voyons que son fantôme, respirent à la fois l’amour le plus tendre et le plus violent : La première semble un ange placé près de Conrad pour le sauver ; autant qu’elle vit, il n’est pas perdu, mais il y a une faute non dite, qui les sépare du monde ; leur amour est réprouvé par lui, et s’ils voulaient y rentrer, il faudrait briser cet amour : Gulnare est poussée par son amour à commettre un crime dont Conrad lui-même a horreur, lorsqu’il voit à son front la tache dénonciatrice, et Astarté, Astarté qui selon la belle expression du poëte [sic] fut tuée par Manfred, non avec la main, mais avec le cœur : Astarté est la sœur de Manfred : leur amour est incestueux !…

259 25/05/23 02:32

Page 260: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Byron qui se complaisait à peindre le mal, de désespoir peut-être de rencontrer le bien qu’il désirait, et dont le type était éternellement au-dedans de lui, qui en nous montrant la femme qu’il rêvait, belle comme une statue grecque, plus belle encore de tendresse et de douleur, l’a souillée de quelque faute : Byron, disons-nous, n’excella pas moins à peindre l’amour de l’homme ; je t’en atteste, ô toi Manfred, mélange d’orgueil et de désespoir, de soif de la science et de rêveuse mélancolie, toi qui es plus qu’un homme et (p 76) sembles avoir une place entre l’ange et le démon ; on est effrayé de ton génie, de ton audace, mais un sentiment s’élève et domine tous les autres, l’amour ; aussi quoique cet amour soit incestueux, c’est lui surtout qui fait espérer : Dieu te pardonnera beaucoup, selon la sublime parole du Christ, parce que tu as beaucoup aimé. Je vous en atteste aussi, ô vous, Conrad et Lara, fidèle à ta Medora même au-delà de la tombe, et n’acceptant que par pitié, par bonté, les soins si dévoués de Gulnare, Kaled.

Mais assez des poëmes [sic] romanesques de Byron ; ils ne sont que des épisodes de sa vie ; il a laissé de véritables mémoires où son cœur est à nu ; et je ne parle pas de ceux qui ont été détruits ou conservés, peu importe par son ami, Thomas Moore, je parle de ses deux grands poëmes [sic], Childe-Harold et don Juan, qui le font mieux connaître que ne le pourrait une biographie détaillée. Histoire en deux parties, où se trouve d’un côté la vie de la pensée, et de l’autre celle de la matière ; je m’occuperai peu de don Juan ; don Juan est ce qu’on nomme vulgairement un mauvais sujet, ce qui presque toujours peut se traduire ainsi ; une nature puissante réprouvée et ne trouvant pas de place dans le monde ; puis ce sont des aventures dont il n’y a guère lieu à chercher le sens, et je ne me sens nullement la volonté de parler à Byron pour m’extasier à la suite sur le mérite du plus amusant et le plus parfait de ses poëmes [sic], au dire de beaucoup de gens, de l’avis desquels, et je leur en demande bien pardon, je ne puis être. C’est de Childe-Harold seul que je m’occuperai donc, et je ne m’en occuperai pas sous le rapport littéraire.

Harold est jeune et connaît déjà la satiété, il a aimé : celle qu’il aimait n’a pu être à lui heureuse, dit le poëte [sic], car bientôt elle se fut flétrie dans l’abandon et la douleur ; mais la flèche empoisonnée est au fond du cœur d’Harold, et c’est pour étouffer le cri du désir non satisfait de son cœur, qu’il s’est plongé dans la débauche ou la satiété vient le trouver, car la débauche n’est pas un asile assuré pour ceux de sa noble race ; aussi va-t-il chercher d’autres cieux. Il quitte sa patrie sans regret, et personne ne l’y regrettera ; car personne n’a aimé le poëte [sic], ne l’a aimé pour lui, pour le sauver ; peu de femmes savent s’oublier et ne songer qu’à celui qu’elles (p 77) aiment, surveillant ses désirs et ses besoins, comme la mère à genoux près du berceau de son fils malade : heureuses pourtant celles qui savent aimer ainsi, car dans l’amour du monde pour celui qu’elles ont fait grand, il y a une belle part pour elles.

Harold a essayé de tout, abusé de tout, et maintenant il rejette avec dégoût ce qu’il crut aimer ; il doute de tout parce qu’il a été trompé dans ses immenses désirs, chacun lui a donné ce qu’il a pu, personne ne lui a donné ce qu’il lui fallait d’amour ; aussi avec quelle amertume ne parle t-

260 25/05/23 02:32

Page 261: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

il pas des sentimens de famille et d’affection ; il quitte sans regret, mère, sœur, amis, patrie ; mais cette insensibilité n’est que l’endurcissement, la cuirasse pour ainsi dire, d’un cœur trop souvent et trop profondément blessé pour être encore accessible à de vulgaires douleurs. Oh ! Harold, tu as dû avoir de cruels désenchantemens ; il a fallu de grandes, d’horribles tortures pour en venir là, pour épuiser les trésors de tendresse renfermés en toi : tu hais comme tu aurais aimé, immensément ; mais ta haîne [sic] poignante, ironique, déchirante, est ce que l’ont faite tes nombreux désenchantemens, elle te tue, Harold.

Le poëte [sic] nous fait traverser l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Grèce, et il y a, dans ses récits, une sorte de gaîté fiévreuse et moqueuse qui fait mal ; partout le vide de son cœur le suit : « et pourtant, plus d’une fois, Harold avait aimé, ou rêvé qu’il aimait, puisque le bonheur est un songe… Et il avait appris que l’amour n’a rien de plus précieux que ses ailes. » Le souvenir d’un amour qui n’est plus revient tristement visiter le sombre pélerin, et, en voyant de nouvelles beautés, il n’ose leur demander de partager encore ses douleurs ; car aimer Harold, c’est sentir les angoisses de son cœur. Et une femme s’était approchée de lui, l’avait aimé et était morte, partie, gone : comme dit le poëte [sic] ne restant plus pour lui qu’un souvenir de bénédiction et de mélancolie. Ah ! Harold, cette femme, que tu n’oses même nommer dans l’espèce de culte que tu lui as voué ; cette femme, c’est le ciel dont tu es banni et dont le souvenir te reste, triste et doux, regret et espoir.

Au milieu des scènes qu’il parcourt, le poëte [sic] est mal à l’aise, blessé par le frottement des hommes, seul au milieu de la foule, ce qui est le véritable isolement, comme il le dit lui-même ; mais le calme rentre dans son âme, au milieu de la solitude, tête à tête (p 78) pour ainsi dire avec la nature. En présence des montagnes, des torrens et des forêts, le lourd matérialisme qui l’oppresse ne se fait plus sentir à son âme ; il est près de son Dieu, la main des hommes n’élève plus une barrière entr’eux [sic], là, Byron est, nous osons le dire, hautement religieux ; il ne maudit plus, il aime, il adore. Bientôt, approchant de nouveau des villes, le désespoir le reprend, et le démon l’emporte encore sur l’ange ; philosophe sceptique et railleur, son rire ressemble au vent du désert qui flétrit et desséche [sic] ce qu’il touche ; mais il n’est pas heureux de ce rire ; jamais Byron ne fut installé complètement dans le doute, ou plutôt dans l’athéisme ; il y avait chez lui une impossibilité de croire, accompagnée du besoin de foi qui le tourmentait. Son horrible malheur fut le désaccord profond, la lutte de son cœur et de son intelligence, de ce qu’on est convenu d’appeler la raison ; jamais ni l’un, ni l’autre ne fut vaincu ou complètement vainqueur ; le combat ne se termina qu’à la mort du poëte [sic].

Je ne crois pas m’être trompée en assurant, au commencement de cet article, que Byron est éminemment le poëte [sic] de son époque ; tous, en s’examinant, sentiront qu’ils ont éprouvé les douleurs du oëte [sic]; chacun a trouvé son cœur peu d’accord avec sa raison. Pourquoi ?… Parce que le dix-huitième siècle, armé de sa froide philosophie, a détruit impitoyablement toutes les anciennes croyances sans y rien substituer. Il avait fait table rase ; on ne voyait même presque plus de ruines, mais la

261 25/05/23 02:32

Page 262: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

société était devenue un immense désert de sable, nu, désolé, et dans lequel il fallait mourir faute d’une goutte d’eau ; or, Dieu ne veut pas que l’humanité vive au désert, et sa bonté aura bientôt édifié la nouvelle cité, plus magnifique que l’ancienne ; car, s’il n’efface que pour écrire, comme le dit DE MAISTRE, il écrit toujours une page plus belle, et non-seulement il ne se répète pas, mais encore il ne retrograde [sic] jamais.

Le temps est proche où les Byron, les Rousseau, les Pascal et toutes les grandes victimes et les grands désireurs de l’humanité recevront leur récompense, et où, reprenant leur véritable place, ils deviendront chefs de la Société, qui, un peu plus tôt, les eût rejetés de son sein, comme perturbateurs de l’ordre établi.

PAULINE.

(p 79)DE LA PEINE DE MORT.

Au milieu des débris sans nombre qu’a amassés autour de nous le criticisme du dix-huitième siècle, qui a détruit et avec tant de raison l’œuvre de la féodalité, ne se sent-on pas l’esprit attristé en songeant que, parmi ses débris, il est resté debout quelques-unes des colonnes qui soutenaient cet édifice, et que, parmi celle-là [sic], nous devons compter la peine de mort. La peine de mort qui donne à des hommes le droit sacrilége [sic] et impie de porter la main sur un autre homme pour lui ôter la vie. Croyez-vous que cela soit selon la volonté de DIEU. Oh ! non, car tous sont ses enfans, il les aime tous d’un égal amour ; ce n’est pas lui qui fait des hommes criminels, ce sont vos lois, votre fausse organisation.

Avant d’aller plus loin, je veux vous soumettre quelques considérations sur les diffèrens [sic] progrès qu’a faits la justice. Dans l’origine, lorsque les hommes vivaient seuls, isolés, chacun était vengeur de son injure, chacun était accusateur, juge, bourreau. Lorsque les hommes commencèrent à punir, l’on sentit combien ce procédé était injuste. Alors, à la justice individuelle, succéda la justice sociale, et la société tout entière se chargea de juger celui de ses membres qui avait été offensé. D’abord les supplices furent horribles, et plus la société avança, plus elle fit disparaître ces traces de la barbarie, une seule est encore restée, la peine de mort, et c’est contre elle que ma faible voix s’élève aujourd’hui. Les réflexions que je vais vous soumettre me sont suggérées par un fait arrivé à Haïti. Un mulâtre, condamné à mort, a, pour se sauver, mutilé le cadavre d’un de ses compagnons d’infortune, qui avait été étouffé dans la lutte qui s’était établie entre eux, et une malheureuse femme qui lui avait donné l’hospitalité. Quel être au cœur sensible ne fré- (p 80) -mira pas en

262 25/05/23 02:32

Page 263: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

lisant les tortures, les angoisses par lesquelles ce malheureux a passé mille fois avant de goûter seulement quelques minutes l’air pur de la liberté ; voilà les résultats de votre horrible peine de mort : pour un crime commis, vous en avez fait faire deux autres ; on frémit d’horreur en lisant ces détails, et pourtant on ne peut s’empêcher de plaindre le malheureux, car ce qui le faisait agir, c’était l’instinct de sa conservation ; il avait été criminel, c’est vrai, mais savez-vous bien quels étaient les sentimens qui l’avaient fait agir ; sans doute je ne vous dirai pas, laissez impuni l’être qui a commis un crime, mais ne soyez pas plus barbare que lui ; lorsqu’il l’a fait, sa raison était peut-être égarée, la vôtre ne l’est pas, lorsque vous venez de sang-froid mettre la hache homicide aux mains d’un homme vengeur de la société, et voyez combien vous êtes peu conséquens avec vous-même ; il faut, dites-vous, des bourreaux, et vous les méprisez ; nul de vous ne voudrait faire société avec lui, on honore le juge, on méprise le bourreau. Je vois une raison à cela, c’est que le bourreau n’est qu’un assassin autorisé, payé ; vous êtes plus barbares que les sauvages, car, lorsque le bourreau était victime ou celui qui le touchait de près, il avait une raison pour punir le coupable ; mais le bourreau qui n’est pas l’offensé, qui vient la tuer froidement sa victime, sans qu’il ait nul [sic] raison que celle de venger un autre, est, je le répète, plus barbare, eh bien ! honorez-le comme un homme utile, ou sachez vous en passer.

Ce serait peut-être ici le lieu d’examiner quels sont, la plupart du temps, les sentimens qui agitent l’homme qui commet un crime. Les crimes peuvent se diviser en deux classes générales. Ceux que la vengeance guide, et ceux où l’intérêt est le mobile qui fait agir. Pour les premiers, la société doit prendre des garanties, elle doit les traiter comme des hommes malades, et faire tout pour ramener dans leur âme la paix et la sécurité dont une trop grande exaltation des passions haîneuses [sic] les a privées. Avant de passer à la seconde, je dois constater un fait qui, pour moi, est douloureux, mais qui vient à l’appui de ce que je disais plus haut, que ce sont les mauvaises institutions qui font les hommes criminels. Parmi tous ces hommes qui viennent s’asseoir sur les bancs de la cour d’assises, combien compterez-vous d’hommes du peuple pour un privilégié ? Et ici je (p 81) ne veux point accuser le peuple, mais les institutions qui nous régissent. Qu’accordent nos lois à ceux qui souffrent ? l’un roule dans un équipage ; l’autre, à sa porte, meurt de faim. Et qu’elle est la raison de cette inégalité ? Qu’à [sic] fait l’un plus que l’autre ? Ils sont nés tous les deux, l’un pour être riche, l’autre pour mourir de faim. Le pauvre est né avec une âme ardente qu’il a besoin d’exalter, de répandre sur ce qui l’entoure ; mais, non, il n’est pas né pour cela ! Et vous voulez qu’au milieu de tout cela, la haîne [sic] ne germe pas en son cœur ; vous ne voulez pas que lui, entouré de tout le cortège hideux de la misère, n’envie pas le sort de son voisin riche, opulent ? Et croyez-vous que les riches soient exempts de ces sentimens ? Oh ! non ; mais seulement ils ne dépouillent pas violemment leur victime, ils savent employer la ruse et tâchent de mettre le bon droit de leur côté : que de familles ruinées par ces hommes qui viennent, eux, juger et condamner des hommes souvent moins coupables qu’eux. Et d’ailleurs, pour constater la vérité de ce que je viens de dire, je puis m’appuyer des

263 25/05/23 02:32

Page 264: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

paroles d’un homme qui, certes, ne passera pas pour être le défenseur du peuple, M. Dupin a dit ; « Les vices des riches font vivre les pauvres ». Or, qu’entendait-il par ces vices des riches, le faste, la prodigalité qui, selon lui, font vivre les pauvres ; mais lorsque cet homme prodigue sera ruiné, il deviendra aussi et peut-être plus envieux que le pauvre du bien de son voisin. Voilà pour les causes matérielles.

Pour les causes morales qu’agitent [sic] l’homme en lui même, je vous demanderai encore que faites-vous pour le peuple ? rien. A [sic] peine lui donnez-vous connaissance de ses droits, de ses devoirs. Ses droits, je me trompe, il n’en a aucun [FP. : le « c » est à l’envers]. Ce sont les propriétaires qui font les lois, ce sont eux qui les appliquent. Mais du moins donnez-lui connaissance de ses devoirs, afin qu’il sache ce que cette société qui ne fait rien pour son bien-être, est en droit d’exiger de lui. Mais voyons d’abord ce que sont les lois qui nous régissent. Quelques hommes oisifs, opulens sont choisis par d’autres hommes un peu moins riches qu’eux, pour venir en assemblée discuter les lois qui devront régir la société. La masse du peuple que ces lois intéressent plus qu’eux, y reste étrangère et est obligée d’attendre qu’après avoir fait toutes leurs affaires, ces messieurs veulent (p 82) bien un peu s’occuper des siennes. Nul d’eux ne sait quels sont les besoins, les souffrances de ce peuple ; aussi leurs lois sont-elles toujours imparfaites. Enfin la loi est faite, il faut l’appliquer, ici nous devons reconnaître le progrès, car à côté d’une loi écrite d’un texte invariable, est venu s’asseoir le jury, sorte de loi vivante, qui à côté de cette loi sans entraille, qui condamne sans interroger, sans comprendre la position où un homme a pu se trouver placé, fait intervenir un cœur d’homme, qui examine et souvent absout celui que la loi eût condamné. Mais encore ce jury, l’une des plus belles institutions de nos temps modernes, est-il restreint aux propriétaires seulement, sans que jamais un homme du peuple ait le droit d’intervenir dans le jugement d’un de ses frères. Et que diriez-vous juges et jurés, si un jour, sur le banc des accusés, un homme à la voix haute et intelligible, se levait et venait vous dire : Juges, jurés assemblés pour me juger, je me lève ici pour me défendre, et en même temps je veux prendre en main la cause de tous mes frères opprimés comme moi. J’ai commis un crime, je le sais, j’ai interverti l’ordre de la société, et vous hommes propriétaires assis ici pour me juger, vous allez me condamner ; mais avant, je veux dérouler à vos yeux le tableau des misères qui accablent le peuple ; et ensuite vous demander ce que la société, au nom de laquelle vous me jugez, a fait pour moi et pour tous mes frères. Savez-vous ce que c’est que l’homme du peuple ? Dès son plus jeune âge, la misère l’a entouré, il entend chaque jour son père maudire la vie, qui pour lui n’est qu’un long temps de douleur et d’ennui ; ou autour de lui il entend des plaintes ; souvent ces mots viennent frapper son oreille : celui-là est riche, il peut vivre, s’amuser. Dans son jeune cœur germe la haîne [sic] pour le riche, il grandit, lui qui souvent se sent au cœur de grandes pensées, il est obligé de s’astreindre à un travail rude, pénible, quelque fois [sic] au-dessus de ses forces. Que d’enfans morts avant d’avoir pu atteindre leur développement, et tués par ce travail trop rude auquel ils avaient été astreints, parce que les parens n’avaient pas eu de quoi les nourrir. Mais

264 25/05/23 02:32

Page 265: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

dans cette enfance souvent si pénible, l’enfant voit-il jamais la main de la société étendu [sic] sur lui pour le protéger, oh ! non, elle n’intervient qu’à vingt ans, et pourquoi ? Pour lui imposer des devoirs, il doit (p 83) défendre, servir cette société qui ne fait rien pour lui : en vain se révoltera-t-il ! La prison, le bagne, lui apprendront vîte [sic] qu’il n’a rien a réclamer, qu’il doit obéir. Voilà la seule fois dans la vie de l’homme où la société intervient. Et puis moi qui ai manqué aux lois de cette société, lois que vous ne m’avez pas apprises, vous venez me juger, me condamner. Mais savez-vous par quelles tortures j’ai passé pour arriver ici ? Pourriez-vous compter mes douleurs, vous qui ne les avez pas souffertes. Eh ! bien, je le répète, vous allez me condamner, je le sais, aussi vais-je vous dire ma pensée toute entière. Eh bien ! Je ne vous reconnais pas le droit de me juger ; car vous ne pouvez pas comprendre tous les sentimens qui s’agitent en moi, vous n’êtes pas peuple, et vous ne savez pas les souffrances du peuple. Condamnez-moi, mais que ma condamnation vous serve, descendez un peu parmi le peuple, sondez ses plaies, interrogez ses souffrances, puis portez-y remède ; alors moins de crime [sic] à punir, et la haîne [sic] ne sera plus inculquée dès en naissant au cœur de l’enfant, et alors l’harmonie régnera sur la terre. Je n’en dirai pas plus, vous êtes hommes, méditez ces paroles et sachez les comprendre ! Eh ! bien, si un accusé tenait ce langage aux jurés : je ne crois pas qu’aucun d’eux osat [sic] lui appliquer la peine de mort ; ils sentiraient que cet homme était né pour remplir une large place dans la société, que ce n’est que parce qu’il a été comprimé, étouffé, qu’il est devenu criminel ; aussi est-ce là ce qui me fait dire avec conviction que dans l’avenir il n’y aura plus de criminel. Et s’il arrivait que par hazard [sic] un crime fut commis, ce n’est pas sur un échafaud, ni dans les bagnes qu’on conduirait le coupable, mais la société, étendant sur lui sa main protectrice, chercherait et employerait tous les moyens propres à le moraliser, en même temps qu’elle chercherait ce qui aurait pu occasionner le crime, et en quoi celui qui l’a commis avait-il été gêné, opprimé, et ce serait pour elle un sujet à voir si c’est qu’il y a quelque chose de mauvais dans son organisation. Car je vous le demande, que produit la peine de mort ? Améliore-t-elle la société ? Non, car jamais ce supplice n’a empêché les crimes de se commettre : puisqu’elle n’améliore rien, elle est inutile, mauvaise, il faut la détruire. Mais comment punir les criminels, me dira-t-on ? Je vous répéterai : amé- (p 84) -liorez votre ordre social et vous n’en aurez plus. En attendant, veillez sur l’individu criminel, et loin de le laisser livré à lui-même, cherchez par tous les moyens possibles à améliorer son état moral.

Législateurs, profonds penseurs, je vous vois sourire ; mais je suis une faible femme, je n’ai que mon cœur pour guide ; je ne puis employer de belles phrases pour vous dire ce que je sens. Car moi aussi je suis du peuple, et c’est pour cela que je parle de ses souffrances : j’en ai tant vu souffrir autour de moi, qui n’en ai pas été exempte, que je crois pouvoir parler aujourd’hui.

265 25/05/23 02:32

Page 266: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

C’est une faible voix de femme, qui s’élève pour vous demander, hommes, l’abolition de la peine de mort. Mais non, peut-être n’est-ce pas en votre pouvoir ! car déjà vous l’avez tenté, et vos efforts sont venus se briser contre elle. Peut-être est-ce un des signes par lesquels DIEU veut manifester la puissance de la femme ? Oui, la peine de mort devra rester debout tant que la haîne [sic], la violence règneront [sic] sur la terre ; mais du jour où elles seront remplacées par la paix et l’amour, elle devra tomber, et devant la parole toute conciliante de la femme, viendront s’éteindre toutes ces haînes [sic] qui font de tous les hommes des ennemis, et alors le RÈGNE de DIEU S’ÉTABLIRA sur la TERRE.

MARIE REINE.

LIBERTÊ [sic] DE LA FEMME.

Non, jamais la marche du progrès, en dépit de tous les genres d’obstacles que lui oppose le pouvoir, n’a été plus rapide que depuis notre dernière révolution. Les idées justes rentrent dans la circulation presqu’aussitôt qu’elles sont émises ; toutes les classes éprouvent le besoin d’une large réforme sociale, et l’ignorance, mère des préjugés, abandonne, successivement ce grand pays, qu’elle a si longtemps recouvert de son ombre ?… Espérons que, dans quelques (p 85) années, ce sol antique sera tout défriché ; car les bonnes institutions en auront extirpé les vices en faisant taire le besoin ; tous prenant part au commun bonheur, personne n’aura plus à envier le bonheur d’un autre, et désormais la politique, inséparable de la morale, n’aura point d’autre but que celui d’améliorer l’espèce humaine par un système raisonnable d’éducation.

La femme, devenue mère, exercera à son tour une espèce de sacerdoce ; et c’est à son bon cœur et à son intelligence cultivée, que la patrie confiera les premières années d’une existence, pour en réclamer plus tard tous les instans. — La nature imposa une noble tâche à cet être que, jusqu’à présent, l’homme fut libre de transformer à son gré en compagne, servante, ou victime ; Ah ! disons tristement : qu’une fausse organisation régit encore notre siècle avancé, et, par suite d’une vieille coutume, ce sexe faible reste enfermé dans un cercle étroit, sans oser renverser la borne que l’absurdité a posé [sic] devant lui ! Que la malignité se garde bien d’interpréter ma pensée avant de la comprendre ; loin de moi, l’idée hardie de l’émancipation ; je veux réprimer la licence, en opposant la vertu. La mission de la femme n’est pas assurément de suivre ou de dépasser l’homme dans le pénible chemin de la vie ; son âme renferme tant de sensibilité, que l’ambition, l’orgueil, ne peuvent y tenir place ; or, le froid égoïsme n’est-il point la contradiction de la bonté ? Que ferait-elle donc seule, sans appui, privée de l’être de son choix ? Que son

266 25/05/23 02:32

Page 267: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

existence lui péserait [sic]. Chaque jour elle la verrait s’échapper, parce que le fondement principal, qui est l’amour, serait anéanti à tout jamais !… Hélas ! il faudrait qu’elle dît un éternel adieu à ses illusions de bonheur, enfin à ses beaux rêves rians et purs qui sont toute sa vie ! ! ! — De grâce, assignez-nous seulement notre rang, nos fonctions dans le cercle de la civilisation, et gardez-vous de redouter le pédantisme ; ce sont les sottes adulations qui le font naître, mais les bienfaits d’une véritable instruction prémunissent toujours contre la flatterie ; alors la modestie, le plus bel appanage [sic] de la femme, ne sera point fanée par la science, qui ne sera que l’une de ses beautés ; une fois que son intelligence sera dirigée par le cœur, à elle seule le devoir d’instituteur comme tendre mère, d’amie comme épouse, et de citoyenne comme individu ; on le verra tour (p 86) à tour, avec le même plaisir, s’occuper du soin de son ménage, car l’ordre, l’arrangement, doivent passer avant tout. — Puis les talens, les connaissances, la politique même, peuvent faire partie de ses attributions ; remarquez que, par politique, je n’entends pas parler de cette haute diplomatie qui dessèche le cœur, et l’entraîne dans une erreur continuelle ; il faut que la femme connaisse les besoins, l’intérêt de tous. Ah ! qu’elle ne croie pas sortir du rôle qu’elle est destinée à remplir, en cherchant, par l’exemple de sa conduite, à ramener au bien des esprits égarés. Quel homme ne se glorifierait d’appartenir à la compagne qui élèverait son fils dans de tels sentimens ?… Au lieu de confier un enfant à des gens mercenaires, qui faussent son jugement, retardent ses progrès, ce serait en présence de la maternité que le jeune innocent commencerait sa carrière, les leçons touchantes, dégagées d’intérêt, font une impression qu’aucune corruption n’a le pouvoir de détruire, surtout lorsque c’est une âme neuve qui les reçoit…..

Il apparaît bientôt ce jour où je jeune homme, né pour la société, doit entrer dans son sein ; hé ! que lui importe les amorces d’un monde brillant, trompeur ? Il le connaît d’avance, et n’en craint pas les dangers ; remplissant ses devoirs de bon citoyen, la patrie peut avec orgueil le mettre au nombre de ses ardens défenseurs. Que la tempête populaire éclate ! alors cet homme, jadis si paisible, trouve dans son courage des forces surnaturelles ; il s’agit de la cause du peuple ! Malheur à l’insensé qui la renie !… Les Rois oublient les services qu’on leur rend, parce qu’ils les paient avec de l’or ; le peuple, qui n’a pas d’or à donner, garde en son âme le souvenir du bien qu’on lui fait. Ah ! qu’il est beau de mériter sa gratitude ! En vain la tyrannie réserve une balle pour le cœur de l’homme libre ; la mort ne peut alarmer celui qui a rempli son existence ; calme, il descend au tombeau, fier des larmes, des regrets de ceux qui le connurent… Oh ! bénédiction ! mille fois bénédiction sur l’heureuse femme dont le sein renferme un tel fils !.. La nation reconnaissante se souviendra que le dernier adieu du citoyen expirant fut : Mére [sic] et patrie ! ! !

ADÊLE [sic] MIGUET, Républicaine.

267 25/05/23 02:32

Page 268: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 87)RÊVE ET RÉALITÉ.

Dans le simple réduit qu’habite l’innocence,Sommeillait doucement une jeune beauté ;

Heureux instant où l’indigenceOublie du moins sa pauvreté.Des songes la troupe légèreErraient autour de son chevet,

Et d’une aile magique, ils changeaient en duvetLa paille où gissait [sic] la misêre [sic].

Le plus trompeur d’eux tous vient se fixer près d’elle :Et déjà vous voyez ses traits s’épanouir ;

Dors long-temps, pauvre jouvencelle,Le réveil te fait tant souffrir !Maintenant ta bouche mi-closeSourit au rêve du bonheur

Qu’un Dieu perfide à ton regard expose.Le voilà ce tableau touchant et séducteurD’un hymen assorti, d’un amant, d’une amante,Brûlans, d’un même feu, l’un pour l’autre formés,Et buvant à longs traits dans la coupe enivrante,Des plaisirs sans remords, des chastes voluptés.

Et toi, qui ne vois pas le charmeTu bénis ton heureux destin ;Déjà ta main sèche une larme,Qui brillait encor sur ton sein.Du bonheur la riante image,Te semble la réalité :Pauvre enfant, soutiens ton courage !

La faim t’éveille, hélas ! voilà la vérité ;(p 88)

Seule, éperdue sur cette terre,Tu ne naquis que pour gémir ;Et la vertu, d’un œil sévère,Voit tes maux sans les adoucir.Tendre fleur que bat la tempête,Lorsqu’un souffle peut te briser,Cache toi [sic]; mais non, sur ta têteLa foudre ne peut éclater ;Sous l’égide de la sagesse,Le ciel sera toujours serein,Voile tes yeux, dérobe ta jeunesseAux regards du vieux libertin.

268 25/05/23 02:32

Page 269: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Mais il t’a vu… pauvre petite !Tu succombas sous l’aîle [sic] du vautour !

269 25/05/23 02:32

Page 270: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La vertu pleure et prend la fuite…Il a de l’or, et vient t’acheter de l’amour.

Tu frémis, cet or t’épouvante,En vain il fascine tes yeux,Loin de toi… mais ta faim augmente !La mort sourit d’un rire affreux…De qui seras-tu la victime ?

D’elle ou de lui ? parle, tu peux choisir ?Le pied sur l’un et l’autre abîmeTous deux s’ouvrent pour t’engloutir………………………………………………

Vous demandez la destinéeQue lui fit un monde inhumain ?Eh bien, tremblez ! l’infortunée,Se vendit ! ! ! pour avoir du pain !

SABELLE.

SUZANNE, Directrices.CÉLESTINE,[FP. : une accolade figure ici]

——————————————————Imprimerie de PETIT, rue du Caire, n. 4.

270 25/05/23 02:32

Page 271: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

EXTINCTION DE LA DETTE DU PÈRE.

Souscription du mois de décembre.

fr. cent.MM. Dutlos................................. 1

Saulnier.............................. 2Un anonyme....................... 2Hauke d’Angers.................. 5

Mmes Suzanne.............................. 1Caroline Béranger.............. 2Caroline Noël..................... 2Ronsen................................ 1 50Badier................................. 1Veuve Telle......................... 2F. Dazur.............................. 5

271 25/05/23 02:32

Page 272: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La Femme Nouvelle,(p ?, avant p 89)

TRIBUNE DES FEMMES,Paraît deux fois par mois, par livraison d’une feuille ou plus.

PRIX POUR PARIS. PRIX POUR LES DÉPARTEMENS.

2 fr.

50 c. pour 3 mois. 3 fr.

» pour 3 mois.

5 » pour 6 mois. 6 » pour 6 mois.10 » pour l’année. 12 » pour l’année.

Tome premier de LA TRIBUNE DES FEMMES, 1 vol . in-8o, 4 f. et 5 f. par la poste.

Rue des Juifs, No 21 ; et chez JOHANNEAU, libraire, rue du Coq-St-Honoré.AFFRANCHIR LETTRES ET ENVOIS.

FOI NOUVELLE — LIVRE DES ACTES, publié par les Femmes,PRIX : 1 FR. par mois.

A [sic] PARIS, chez Mme Marie Talon, au Cab. de lecture, rue Neuve-du-Luxembourg, n. 28.

AMOUR A [sic] TOUS, Journal de la Religion Saint-Simonienne, publié à Toulon.

A [sic] Toulon, rue de Pradel, n. 5.A [sic] Paris, chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré.

LIBERTÉ FEMMES !!! brochure in-8, prix : 50 c., par Pol Justus, publié à Lyon chez Mme Durval, libraire, place des Célestins.

A [sic] Paris, au Bureau de la Tribune des Femmes ; Et chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré.

Imp. de PETIT, rue du Caire, 4.

272 25/05/23 02:32

Page 273: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La Femme Nouvelle.(p ?, avant 89)

————————————————

TRIBUNE

DES FEMMES.

Notre bannière étant à la peine, il est justequ’elle soit à l’honneur.

JEANNE-D’ARC.

Egalité [sic] entre tous de droits et de devoirs.

_________________________Tome Second — 6me Livraison.

_________________________

PARIS,AU BUREAU DE LA TRIBUNE DES FEMMES,

RUE DES JUIFS, N. 21.ET CHEZ JOHANNEAU, LIBRAIRE, RUE DU COQ-SAINT-HONORÉ.

——————————Janvier, 1834. — Deuxième année.

273 25/05/23 02:32

Page 274: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 89)SOCIÉTÉ DES METHODES [sic] D’ENSEIGNEMENS.

La question donnée à résoudre aux femmes s’use évidemment ; elle touche à sa fin. Après un si grand nombre de séances consacrées à cet examen, les redites doivent peu surprendre. Cependant malgré le faible résultat qu’elles ont produit, grâce aux encouragemens tout bienveillans de MM. les sociétaires, les femmes s’enhardissent, leur éducation sociale se fait : on en a remarqué plusieurs prenant la parole avec assez d’assurance et réclamant des droits. En résumé la physionomie de cette séance doit marquer comme celle où notre cause a trouvé le plus de partisans ; les vœux des hommes qui y ont été exprimés ont sympathisé avec notre désir d’émancipation.

A [sic] la demande d’un grand nombre d’auditeurs, nous avons livré à l’impression les deux discours qui suivent et qui ont été lus à cette séance.

SUZANNE.

274 25/05/23 02:32

Page 275: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 90)Il est des vérités utiles qu’il ne suffit pas de publier

une fois, mais qu’il faut publier toujours.

PORTALIS.

Dans un premier discours, essayant de répondre à l’appel fait aux femmes, mais non de résoudre une question importante, qui du point de vue synthétique dont je l’avais envisagée, restait pour moi insoluble, surtout dans les limites restreintes où elle était posée ; préoccupée comme je le suis d’idées générales, les réflexions que je vous ai présentées ont dû toutes partir de ce point de vue ; frappée aussi, comme vous, Messieurs, du grand développement intellectuel qui se manifeste chez la femme de notre époque, j’ai cherché seulement à fixer l’attention de mon sexe sur le rôle grandiose, brillant, élevé, qui nous attend dans l’avenir, lorsque, librement et pour le bonheur de tous, nous pourrons utiliser les facultés que DIEU nous a départies.

Messieurs, plus que jamais je suis convaincue de la nécessité, de l’urgence qu’il y a de s’occuper du sort des femmes ; mais aussi je sens toute la gravité de cette question. Tenter de changer la position de la femme sous un seul aspect de sa vie, c’est préparer un changement radical dans nos mœurs, dans nos lois et dans le sentiment religieux qui a dominé le passé. Et cependant nous y marchons vers cette grande révolution, car tous, femmes et peuple, gravitent vers la liberté ! Nul effort humain ne suffirait plus pour entraver le char du progrès : DIEU lui-même le conduit.

Oh ! ce n’est pas pour rien qu’une foule d’hommes de génie ont apparu à notre époque, se sont donnés mission de nous réhabiliter dans nos droits, et nous ont conviées à faire acte de prise de posses-(p 91)-sion : c’est que les temps sont accomplis et que le verbe humain doit désormais réunir les deux sexes.

Ce n’est pas aux hommes seuls de notre époque qu’est due notre reconnaissance. Dès 1697, de Foë, (auteur de Robinson Crusoé), dans un chapitre exclusivement consacré aux femmes, disait : « Nous leur reprochons la faiblesse, la vanité, la coquetterie ; nous voulons qu’elles aient une âme, et nous les traitons comme si elles n’en avaient pas ; leur éducation est déplorable. N’a-t-on pas vu ces êtres, que nous condamnons à une ignorance ridicule, réussir dans toutes les carrières où l’homme s’arroge la supériorité ? N’ont-elles pas été poëtes [sic], artistes, géomètres même ? Pourquoi retrécir leur pensée en exaltant leur imagination, et les habituer à la futilité et à la dissimulation ? Quel

275 25/05/23 02:32

Page 276: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

avantage en retirons-nous ? Si nos compagnes étaient plus noblement, plus dignement élevées, si le sentiment de la patrie, l’amour du beau, le culte des lettres leur étaient donnés dès l’enfance, n’y gagnerions-nous pas ? » Alors ces lignes remarquables passèrent inaperçues. Les femmes ne pouvaient encore réclamer leur place, ni joindre leur voix à la sienne : la violence était encore nécessaire, Messieurs ; notre révolution française n’était pas faite !

Mais cet auteur, sublime par son amour de la vérité, par sa pensée élevée qui le fit planer pour ainsi dire au-dessus de tous les partis de son temps, cet auteur ne mourut pas tout entier ; ses cendres se ranimèrent : écoutez ce qu’un siècle plus tard, Condorcet, ce profond publiciste, exprimait à son tour sur ce même sujet : «  Parmi les progrès de l’esprit humain les plus importans pour le bonheur général, nous devons compter l’entière destruction des préjugés qui ont établi entre les deux sexes une inégalité de droits funeste à celui même qu’elle favorise. On chercherait en vain des motifs de la justifier par les différences de leur organisation physique, par celles qu’on voudrait trouver dans la force de leur intelligence, dans leur sensibilité morale. Cette inégalité n’a eu d’autre origine que l’abus de la force, et c’est vainement qu’on a essayé depuis de l’excuser par des sophismes.

Nous montrerons combien la destruction des usages autorisés par ce préjugé, des lois qu’il a dictées, peut contribuer à aug-(p 92)-menter le bonheur des familles, à rendre commune les vertus domestiques, premier fondement de toutes les autres, à favoriser les progrès de l’instruction, et surtout à la rendre vraiment générale, soit parce qu’on l’étendrait aux deux sexes avec plus d’égalité, soit parce qu’elle ne peut devenir générale, même pour les hommes, sans le concours des mères de famille… (p 292).

Si l’on cherche à comparer l’énergie morale des femmes à celle des hommes, en ayant égard aux effets nécessaires de l’inégalité avec laquelle les deux sexes ont été traités par les lois, par les institutions, par les mœurs, par les préjugés, et qu’ensuite on arrête ses regards sur les nombreux exemples qu’elles ont donnés de mépris de la mort ou de la douleur, de constance dans les résolutions et dans les sentimens, d’intrépidité, de courage, d’esprit ou de grandeur, on verra que l’on est bien éloigné d’avoir la preuve de cette infériorité prétendue. »

Enfin, Messieurs, tout ce que notre France a produit d’hommes remarquables dans ce siècle, tous ont senti qu’aucun système ne pouvait plus apparaître sur la terre sans que nous n’y entrassions pour moitié. Saint-Simon et cette foule d’hommes de génie, ses continuateurs, ainsi que Charles Fourier, un des premiers savans de notre époque, dans leurs immenses conceptions sociales, nous ont offert cette place à l’égalité, comme l’unique moyen de régénérer l’espèce humaine.

Pourquoi cette parole divine de Liberté est-elle venue nous saisir telles que nous sommes ? C’est que le monde n’a plus seulement besoin de la science mâle ; c’est que l’on ne réclame de nous que du sentiment nécessaire à cette époque d’analyse, pour vivifier cette sécheresse de raisonnement qui depuis trois siècles mine et tue la société, et n’a produit en résultat que l’égoïsme et le doute. Et vraiment, est-ce quand l’homme nous aura donné sa science, son intelligence ; est-ce quand il nous aura

276 25/05/23 02:32

Page 277: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

transformées, et en quelque sorte faites hommes, qu’il nous permettra d’être libres ? Mais cette inconséquence continuerait le règne de la force, et la puissance morale se trouverait encore subalternisée. Voyez, Messieurs, la preuve de ce que j’avance dans l’existence des femmes arrivées à la puissance. Pourquoi n’ont-elles pas songé au sort déplorable de (p 93) leur sexe ? C’est que leur éducation avait été faite par des hommes, elles avaient l’esprit imprégné de leurs maximes. La plupart cependant ont régné d’une manière assez remarquable pour réléver leur puissance intellectuelle, et faire pressentir ce que la femme, élevée et dirigée d’après sa propre nature, fera de grand, lorsque se sentant libre, elle agira d’après la spontanéité de son âme ardente et généreuse.

Je sais, Messieurs, que ce n’est point à des législateurs ayant pouvoir de transformer les lois que je m’adresse ; je sais aussi qu’immédiatement vous ne pouvez réformer ce grand abus de la force physique qui pèse sur notre sexe ; mais pour utiliser votre bienveillance à notre égard, favorisez tous les projets qui vous ont été développés : plusieurs méritent votre attention ; je les appuie, et m’y rattache autant que ma faible coopération pourra sembler nécessaire à ces dames.

Je termine ces réflexions générales en désirant vivement que tous ceux qui m’ont prêté leur attention soient préoccupés comme je le suis, que cette cause sacré de la femme deviendra à un moment donné la pensée du siècle, et sentent comme moi qu’en face de cette cause, toute de justice et de progrès, les générations vivantes doivent prononcer sur les erreurs du passé.

24 Décembre 1833.SUZANNE.

Mesdames, Messieurs,

Nous voici arrivés à la sixième conférence sur la même question, et sa solution est-elle plus avancée que le premier jour ? Je ne le crois pas. Au contraire, la question a été tournée ; au lieu de chercher les moyens d’utiliser l’intelligence des femmes, on a cherché ceux de la développer. Ceci constate un fait : c’est que la question (p 94) a été mal posée ; mais ici, avant de vous dire ma pensée toute entière, j’ai besoin de vous exprimer ma reconnaissance pour la bonne volonté que vous avez eue de nous être utiles. Je vous en remercie pour moi, et je sens que toutes les femmes qui auront le sentiment de leur valeur vous en remercieront. Vous avez touché là une question pleine de vie, et qui intéresse toute la société ; c’est ce que prouve la foule qui se porte à vos séances, et dont rien ne peut lasser la patience, pas même les discours qui voudraient nous ramener au premier âge du monde. Mais je l’ai dit : la question a été mal posée, et je vais dire pourquoi. Cette question : quels sont les moyens de développer le grand mouvement intellectuel qui se manifeste chez les

277 25/05/23 02:32

Page 278: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

femmes ? a presque l’air de l’annonce de la découverte d’un nouveau produit, qu’on se demande à quoi on pourra l’utiliser. Oh ! Messieurs, je ne pense pas que telle ait été votre pensée ; mais on pourrait la traduire ainsi. Je ne crois pas que vous ayez voulu dénier l’intelligence aux femmes ; les faits parlent trop haut pour qu’on puisse le faire. Vous avez constaté un grand mouvement intellectuel chez elles, et vous avez demandé à quoi on pourrait l’utiliser. Il eût peut-être auparavant fallu rechercher ce qui l’occasionnait. Et pour cela, il n’est besoin que de jeter un coup d’œil sur les dernières quarante années de notre histoire, et là, on trouvera la cause de ce mouvement, qui est aussi sensible chez le peuple que chez les femmes. Car ce n’est pas pour le vain plaisir de nous raconter des histoires, que les femmes écrivent ; c’est presque toujours pour porter la main sur une des plaies de notre ordre social ; c’est pour nous révéler quelques-unes de ces douleurs intimes qui déchirent l’âme. En effet, lisez tous les livres de femmes, publiés aujourd’hui ; n’y trouverez-vous pas presque toujours le cri d’une âme brisée, qui vient demander à la société compte des douleurs qu’elle lui a fait souffrir. Oh ! les femmes ne demandent pas qu’on utilise leur intelligence, elles demandent qu’on n’oppose pas d’entraves à leur développement, qu’on ne gêne pas chez elles les élans du cœur et de la pensée, qu’on ne les étouffe pas sous le poids des préjugés. Déliez leurs entraves, et vous verrez qu’elles sauront bientôt à quoi faire servir leur intelligence ; leur cœur leur sera un meilleur guide que tous les raisonnemens qu’on pourra faire. Je me surprends quelque- (p 95) -fois à sourire en pensant à cette question ; mais que diriez-vous, hommes, si nous, femmes, nous nous réunissions et faisions à votre égard la même question que vous faites pour nous ? et, en vérité, je ne sais pas de quel droit on pourrait y trouver à redire. N’avons-nous pas un cœur, une intelligence ? Ne sommes-nous pas aussi aptes à sentir, à comprendre, à juger ? Et ne me faites pas observer que le même fait n’est pas à constater chez les hommes ; je vous répondrai que, pour le faire, il faudrait n’être pas, comme moi, fille du peuple et vivre parmi lui ; car là, ce besoin de développer l’intelligence est plus fort chez les hommes que chez les femmes. Par une raison facile à comprendre, depuis quarante ans on s’est beaucoup occupé de l’éducation des hommes du peuple, et on n’a presque rien fait pour celle des femmes ; il y aurait donc aussi à voir à quoi on pourrait utiliser ce mouvement, et chacun a senti qu’il ne pourrait s’utiliser, se régulariser, qu’alors qu’on aurait apporté un remède à notre ordre social. Les femmes sont dans la même position que le peuple : comme lui, elles souffrent et sont opprimées ; comme lui, elles demandent qu’on reconnaisse leurs droits ; pas plus que lui, elles ne veulent s’affranchir de leurs devoirs ; elles savent que plus on a de droits, plus on a de devoirs à remplir ; mais elles ne veulent plus de devoirs sans droits. Ce n’est pas, ainsi qu’on l’a proposé, en ouvrant des cours de législation, qu’on apportera un remède à leur sort ; ce n’est pas en ornant leur esprit de telle ou telle science, qu’on leur rendra pleine justice. Certes, ceci est de droit : mais à quoi nous servira d’être plus savantes, si les hommes nous dénient le droit d’être leurs égales, s’ils veulent toujours nous traiter en mineures ? Je sais qu’ici je ne résous, pas plus que les autres, la question ; mais c’est qu’elle n’est pas résolvable. Elle est immense, elle touche à tous les

278 25/05/23 02:32

Page 279: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

intérêts, à toutes les existences de femmes. Ce qu’il faut, c’est appeler la plus grande publicité sur ces conférences, afin que chaque femme vienne y révéler ses souffrances et apporter une pierre au nouvel édifice qui va s'élever. Le temps est venu, où, toutes les douleurs de femmes étant connues, on cherchera à y apporter remède ; mais ce n’est pas en cherchant les moyens d’utiliser leur intelligence, qu’on y parviendra. Toutes les personnes qui assistent à ces conférences l’ont bien senti. Aussi (p 96) est-ce peu là-dessus qu’ont roulé les discours ; les hommes surtout ont bien compris qu’ici s’agitait toute une question sociale ; aussi avons-nous eu nos adversaires. Je ne sais si, comme femme, nous devons répondre à celui qui a dit, qu’au lieu de l’égalité c’était la domination que nous voulions ; la protestation faite ici a été assez éclatante pour que je n’aie pas besoin de la renouveler ; cependant je ne puis m’empêcher de dire que je plains les hommes qui savent si peu apprécier les femmes, et qui ne veulent voir en elles qu’une machine créée par Dieu, pour leur rendre la vie douce et agréable. En vérité ce serait rendre Dieu bien injuste que de lui prêter de telles pensées. Oh ! non, si telle eût été sa volonté, il eût fait de nous une machine inerte. Mais, du moment où il nous a donné un cœur, une intelligence, c’est qu’il a voulu nous faire égales à l’homme. Il y a bien du despotisme dans cette pensée : la femme doit avoir juste de science ce qu’il en faut pour plaire à son mari. Vous ne voudriez pas d’une femme ignorante ; vous la voulez instruite assez pour vous comprendre, jamais assez pour vous égaler. Vous nous objectez la force physique, et vous ne comptez pour rien la force morale, que tant de femmes ont prouvé qu’elles possédaient au plus haut degré. Voyez-vous, Dieu nous a départi, à chacun, des facultés différentes, il est vrai, mais égales dans leur différence, concourant au même but, le bien général. Ceci est senti aujourd’hui. Combien d’hommes ont reconnu nos droits, combien de femmes les ont réclamés !.. C’est à elles que je m’adresse : femmes, qui, par votre position, votre éducation, avez pu, les premières, comprendre et exprimer ces idées, ne restez pas plus long-temps inactives ; faites un appel à toutes les femmes, et, quelle que soit leur position sociale, elles vous répondront, que ce mouvement, qu’on a constaté, ne soit plus un mouvement isolé, mais un mouvement général. Et vous, hommes, qui avez senti la justice de notre cause, aidez-nous de vos efforts, nous avons besoin de vos secours ; notre cause est générale, car elle intéresse toute la société. Nous savons qu’elle est juste, et nul obstacle ne nous empêchera de la poursuivre ; nous savons que la justice et le droit sont pour nous.

MARIE REINE.

279 25/05/23 02:32

Page 280: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 97)VARIÉTÉS,

———————————

ANGÈLE,

DRAME EN CINQ ACTES, PAR M. ALEXANDRE DUMAS.

Le drame d’Angèle fera révolution dans notre littérature : c’est notre époque prise sur le fait : chaque type, représenté par le poëte [sic], est une vérité palpitante, qui résume toute une série de positions : c’est encore du présent, mais ce présent, en mettant la plaie morale à nu, permettra aux auteurs, comprenant leur siècle comme M. Dumas, d’améliorer ou plutôt de transformer les mœurs par l’éducation, si puissante sur le peuple, des représentations dramatiques.

Dans ce drame, le préjugé aussi absurde que cruel, que le monde fait peser sur la femme, et qui rend la jeunesse, l’inexpérience, responsable des torts d’un sexe qui se prétend le régulateur de la société, cette grande inconséquence dont la femme est seule victime, est représentée d’une manière vraie et touchante. M. Dumas n’est pas seulement poëte [sic]; on sent encore en lui le philosophe ; il ne s’arrête pas comme tant d’autres de ses collègues à saisir un fait vivant, et à le montrer au public embelli de talent et de poésie, il remonte à la cause, et dit : là est le mal !

C’est dans la vie exceptionnelle, ou plutôt dans les hautes régions sociales que se passe l’action.

La maladie du siècle, le hideux égoïsme, qui se joue froidement (p 98) de tout ce qui est sacré, a atteint le cœur du baron Dalvimare, courtisan de tous les règnes, dont l’intérêt personnel est la seule loi et le seul mobile. Il vient d’être frappé cruellement dans son ambition par la révolution de juillet. Pour lui c’est toute une position à se refaire, ce sont de nouveaux ressorts à faire jouer : aussi la belle marquise de Rieux qui, naguère croyant à l’amour, n’avait pas craint de braver toutes considérations pour suivre aux eaux Dalvimare, maintenant n’ayant plus d’influence, ne pouvant plus dans les circonstances présentes lui être ûtile [sic], perd auprès de lui toute sa valeur. Dalvimare se voit forcé, conformément à ses projets, de briser avec elle. Comme dernière marque d’estime, il veut bien penser haut devant la marquise de Rieux, et lui expose froidement, cruellement le mystère de sa vie passée : lui aussi a

280 25/05/23 02:32

Page 281: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

cru un tems aux promesses du monde ; sa vie commença comme celle de tous les jeunes gens de son rang, c’est-à-dire par une éducation de collége [sic], quelques jouissances de luxe, et l’attente d’un brillant avenir ; mais à vingt ans, à peine était-il entré dans le monde, que tous ces avantages lui furent enlevés : son père mourut ; il perdit la presque totalité de sa fortune par un procès. Courageux et fort, il formula le projet de la relever, projet insensé, car il ne savait rien du monde auquel il allait avoir affaire. Son éducation universitaire, si peu en rapport avec la société réelle, ne lui avait rien appris de ce qui sert à la vie sociale ; il se brisa sans succès contre le monde, et au bout de quatre ans de lutte, il avait épuisé toutes ses ressources. Il fut un moment las, dégoûté, désespéré ; il y eut pour lui un instant de crise horrible dans sa vie, un changement moral ; des idées de mort se combattirent quelque temps dans sa pensée ; enfin il vécut, il s’en tint au suicide moral ; il cessa d’être le jeune homme candide et loyal, il accepta la vie telle qu’elle lui avait apparu, c’est-à-dire une guerre à mort entre les individus où les plus adroits, les plus forts peuvent survivre. Il se sentait jeune, plein d’agrémens ; les femmes devaient se trouver sur sa route ; il fonda tous ses moyens de succès sur leur amour, sur leur dévoûment [sic] à ce qu’elles aiment. Cette puissance de fascination que d’autres exerçent [sic] sur elles pour leur plaisir, il s’en servit à la fois pour son plaisir et sa fortune ; par elles il obtint des places, des honneurs, des biens ; déjà par cette (p 99) voie il avait élevé l’édifice de sa fortune, lorsque la révolution des trois jours, abattant le faîte de la société, vint de nouveau renverser sa position. Cette fois le désespoir ne vint pas s’emparer de lui comme à l’époque de ses jeunes ans ; il se conforma au nouveau langage, et, sans perdre de temps, il se remit à l’œuvre…

Là commence le drame d’Angèle.

La belle et naïve Angéle [sic], jeune fille de seize ans, est le nouvel instrument que Dalvimare prétend employer pour remonter au rang que déjà il avait conquis. Angèle est fille d’un général de l’Empire, tombé à Waterloo, et de la comtesse de Gaston. Cette veuve, jeune encore, que les circonstances politiques viennent de mettre en crédit, est prête à se rendre auprès du ministre en faveur. Cette position si désirable ne peut manquer d’être très-avantageuse à l’heureux gendre qu’elle choisira, aussi le but de Dalvimare est-il de séduire complètement la jeune Angèle, afin de mettre sa famille dans l’impossibilité de la lui refuser pour épouse. Tous ses plans réussissent. La faible surveillance d’une vieille tante ne put empêcher cette jeune enfant d’être la proie du séducteur. Un moment fascinée, elle croit aimer, elle n’est qu’éblouie, subjuguée, elle succombe !… Pour un moment d’erreur, voilà une destinée de femme jetée au vent de l’adversité. Qu’elle reste unie à cet homme seulement aux yeux de DIEU, ou qu’elle devienne Sienne par la sanction des lois, n’est-ce pas une monstrueuse union de consacrée ? Elle, si pure, si franche, d’une imagination si virginale, unie à cet égoïste, vicié au cœur, à cet être vampirique qui ne se nourrit que de la substance des faibles et de [sic] pures !

281 25/05/23 02:32

Page 282: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

A [sic] côté de ces divers personnages, le poète en a placé un autre non moins important. D’abord peu lié au drame, Henri Muller semble placé là, pour faire saillir la physionomie de Dalvimare par le contraste de leurs caractères. Oh ! celui-ci croit à l’amour ; il y croit, comme dans l’ordre physique de la nature il croit au soleil, à sa lumière, à sa chaleur bienfaisante ; il sent bien que la vie de la femme ne doit pas être un jeu pour l’homme, que c’est chose sacrée que relation avec elle, que l’immoralité actuelle consiste tout entière à faire de la vie d’un être faible un objet de plaisir, et à (p 100) le briser ensuite lorsqu’il devient utile. Il éprouve pour Angèle l’amour passionné d’un amant et la sollicitude d’un ami ; il n’ose pas faire connaître cet amour, car lui n’aurait qu’une vie triste et douloureuse à faire partager ; Hélas ! autant son âme est forte, autant dans ce corps faible et débile les sources de la vie semblent prêtes à s’épuiser. Il concentre sa peine, mais il se réserve le droit de veiller sur cette jeune existence qui lui est si chère ; son rôle est tout de dévoûment ; c’est l’ange gardien d’Angèle ; il la suit à Paris, lorsque cette jeune infortunée, désespérée d’attendre en vain son amant, prête à donner le jour à un autre infortuné, descend chez sa mère la comtesse, la veille du jour où celle-ci doit épouser le baron Dalvimare. Enfin, après une complication d’évènemens [sic] aussi intéressans que fortement liés entre eux, Dalvimare se trouve entre trois femmes qu’il a également trahies ; il veut échapper par la fuite à la honte de sa position, sans égard aux prières de Mme de Gaston, qui le supplie à genoux de rendre à sa fille l’honneur qu’il lui a ravi ; il est prêt à fuir lâchement de la maison : Henri Muller a entendu donner l’ordre du départ, il arrête Dalvimare, lui propose le combat à mort ; il sortent !…

Certes le dénoûment de ce drame est plein d’intérêt, mais j’aurais désiré que ce fût par une autre bouche que celle du noble Henri que ces paroles se fissent entendre : « Angèle, il y avait sous le ciel un homme devant lequel vous auriez toujours eu à rougir, je l’ai tué. » Ce peu de mots ne constate-t-il pas d’une manière évidente l’atroce préjugé qui nous écrase. Quoi, un ange d’innocence, ignorant le bien et le mal, est souillé par le souffle du démon, et c’est cette frêle créature qui doit rougir ! Mais pourquoi la honte ? Qu’est-ce que la vertu ? Autant battre des mains lorsqu’un faible oiseau tombe fasciné sous l’œil du reptile ; quand donc la femme se sentira-t-elle assez forte pour relever dignement la tête en face de semblables jugemens, et se rire de tous ces dégradans préjugés ?

Le principal mérite de cette pièce est dans la fidèle représentation de la société actuelle et dans les réflexions qu’elle fait naître. A [sic] voir le sort que le monde réserve aux imaginations vives, aux âmes tendres, quelle est la femme qui ne tremble pas de livrer tout son avenir à cette impulsion si forte de la nature, à ce besoin d’aimer ?

(p 101) Le retour à la considération est-il possible dans la société pour celle qui cède à son cœur ? et pourtant, si éprouver l’amour est un tort qui doive influer sur la destinée d’une femme, pourquoi supporte-t-elle seule le blâme ? Que l’anathème, s’il est juste, atteigne l’homme également, car dans toute union intime, n’y a-t-il pas toujours deux coupables ou deux innocens ? Et cependant l’homme, après plusieurs unions, où les sens seuls interviennent, où l’amour ne joue qu’un rôle très

282 25/05/23 02:32

Page 283: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

secondaire, rentre dans la société, prend un rang, un état, et nouveau soutien des hypocrites bonnes mœurs, conformant son langage au langage adopté, est le premier à traiter comme parias les faibles créatures qui lui ont procuré le plus de bonheur ! Oh ! honte… Quelle inconséquence dans les hommes de s’en tenir comme formule et comme base des jugemens, des actes de la vie, à la morale chrétienne, et de la violer constamment ; Elle ne répond donc pas à tous les besoins ? Elle ne satisfait donc pas à toutes les conditions voulues pour le bonheur individuel ? C’est donc une grande erreur qui s’est propagée jusqu’à nos jours ?.. Que les hommes de bonne foi se recueillent pour interroger leur cœur, et qu’ils soutiennent sans rougir que cette loi morale, qu’ils nous ont imposée, répond au sentiment de la justice éternelle !…

Dans la pièce de M. Dumas, le caractère de Dalvimare [sic], quoique un peu forcé, n’est-il pas le résumé des hommes de notre époque, c’est-à-dire égoïste, donnant pour but à leurs actions je ne sais quel faux intérêt personnel, idole auquel ils sacrifient la poésie, l’amour, le dévoûment [sic], tout ce qui constitue la vie morale, et fait de l’homme une créature divine. Aussi notre poésie, notre littérature, n’est-elle qu’un long cri de détresse, jeté vers DIEU, pour qu’il dévoile sa face, et nous redonne courage à vivre.

Le caractère d’Henri Muller n’est pas exceptionnel, ce n’est non plus le caractère du mourant de notre époque, mais bien celui des hommes , jeunes d’avenir, qui travaillent activement, pour le bonheur des hommes et pour celui des femmes, à changer les rapports des sexes, à les baser sur la justice, sur l’égalité, sur l’amour, et surtout sur la liberté d’un saint divorce. L’âme de la femme, foyer d’amour, ne cherche-t-elle pas toujours à s’attacher à une autre âme, à échanger la chaleureuse émotion dont elle est remplie. Dans cette (p 102) précipitation de donner et de recevoir le bonheur, la jeune fille se trompe, souvent prend le besoin d’aimer pour l’amour même, et se précipite en aveugle dans un mariage indissoluble, sentant quelque fois le lendemain la pesanteur des chaînes dont elle s’est garottée [sic] pour la vie…. Si plus tard, mieux éclairée, son cœur vient à faire un autre choix… Hélas ! pauvre femme, ne raisonnez pas, ne sentez que dans des circonstances données, car vous n’avez que la cruelle alternative, ou de vous révolter contre la loi, alors courbez votre front sous le mépris, ou de vous soumettre à la loi, alors résignez-vous au malheur de vivre d’une vie toute végétative, car, dans l’état d’esclavage où la femme est réduite, le lien qui enlace sa destinée, c’est toujours la douleur. Quelle est celle qui n’a pas répété mille fois avec le poète italien ? « Loi des humains, inhumain ouvrage !.. Si pécher est si doux, et ne pas pécher si nécessaire, trop imparfaite est la nature qui se soulève contre la loi, ou trop dure est la loi qui offense la nature ! »

SUZANNE.

283 25/05/23 02:32

Page 284: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 103)Qui de nous n’a pu voir, par un beau ciel d’orageCes nuages géans s’entrechoquer entr’eux [sic], Puis, succombant enfin en leur lutte sauvage,Se briser, s’éclaicir, et disparaître aux yeux.Alors, descend du ciel la féconde rosée ;L’air devient calme et frais, la terre est embaumée ;Le Zéphir onduleux fait balancer la fleur ;L’oiseau sort de son nid, oubliant sa frayeur,Recommence à chanter, à bénir la nature,Et partout du bonheur la douce voix murmure.

Tel, je vois s’engager la lutte universelleDu présent qui vieillit et de l’ère nouvelle ;Tel un peuple lassé d’un orgueilleux blasonAux géans du pouvoir en demande raison,Mais, fatigué du choc et craignant pour sa vie, Le peuple appelle à lui ces géans du génie,Ces hommes au front large, au regard assuré,Dont la voix est sonore et le ton inspiré,Qui, sachant tout penser en leur âme profonde,Semblent naître ici bas [sic] pour éclairer le monde.

Géans contre géans, le combat est douteux ; Mais le génie l’emporte, et le monde est heureux :Le grossier préjugé, à la gothique allure,S’enfuit en nous cachant sa comique figure.Le travailleur, content et fier de son labeur,Ne craint plus la disette et nargue le malheur :(p 104)Enfin le peuple est libre ! oui, le peuple et la femme !L’un se peut-il sans l’autre ; un corps vit-il sans âme ?Le Dieu, qui, de deux êtres a fait le genre humain,Ne fit pas l’un esclave et l’autre souverain !

Si tes fers sont brisés, ne crains plus ta faiblesse,Femme ; ton cœur est fort, et malgré sa rudesse,La volonté de fer a plié près de toiQuand tu étais sujette, et que l’homme était roi.Maintenant qu’au pouvoir lui-même te convie, Montes y rarement : le bonheur de la vieEst plutôt dans l’amour que dans la vanité !

284 25/05/23 02:32

Page 285: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Et quoi de préférable à la maternité ?Est-il rien au-dessus de ton titre de mère ?Tu donnes l’existence, on te doit la lumière !

Enfant, ton front est pur et ton visage est beau ;Ta mère avec bonheur contemple ton berceau,Qu’elle aurait fui naguère ! et toi, pauvre victime,De ta naissance obscure on t’aurait fait un crime !Car tu dois à l’amour la lumière des cieux :Chétif et languissant avec des malheureux,L’opprobre et la misère auraient rongé ta vie !Mais ta mère, aujourd’hui, lavant l’ignominieDe son front et du tien, te montre avec fierté ;L’amour et la nature ont enfin liberté !

ISABELLE.

SUZANNE, Directrices.CÉLESTINE,[FP. : une accolade figure ici]

——————————————————Imprimerie de PETIT, rue du Caire, n. 4.

285 25/05/23 02:32

Page 286: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La Femme Nouvelle,(p ?, avant p 105)

TRIBUNE DES FEMMES,Paraît deux fois par mois, par livraison d’une feuille ou plus.

PRIX POUR PARIS. PRIX POUR LES DÉPARTEMENS.

2 fr.

50 c. pour 3 mois. 3 fr.

» pour 3 mois.

5 » pour 6 mois. 6 » pour 6 mois.10 » pour l’année. 12 » pour l’année.

Tome premier de LA TRIBUNE DES FEMMES, 1 vol . in-8o, 4 f. et 5 f. par la poste.

Rue des Juifs, No 21 ; et chez JOHANNEAU, libraire, rue du Coq-St-Honoré.AFFRANCHIR LETTRES ET ENVOIS.

FOI NOUVELLE — LIVRE DES ACTES, publié par les Femmes,PRIX : 1 FR. par mois.

A [sic] PARIS, chez Mme Marie Talon, au Cab. de lecture, rue Neuve-du-Luxembourg, n. 28.

AMOUR A [sic] TOUS, Journal de la Religion Saint-Simonienne, publié à Toulon.

A [sic] Toulon, rue de Pradel, n. 5.A [sic] Paris, chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré.

LIBERTÉ FEMMES !!! brochure in-8, prix : 50 c., par Pol Justus, publié à Lyon chez Mme Durval, libraire, place des Célestins.

A [sic] Paris, au Bureau de la Tribune des Femmes ; Et chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré.

Imp. de PETIT, rue du Caire, 4.

286 25/05/23 02:32

Page 287: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

ms. 7861/235[FP. : indication manuscrite]

La Femme Nouvelle.(p ?, avant 105)

————————————————

TRIBUNE

DES FEMMES.

Notre bannière étant à la peine, il est justequ’elle soit à l’honneur.

JEANNE-D’ARC.

Egalité [sic] entre tous de droits et de devoirs.

_________________________Tome Second — 7me Livraison.

_________________________

PARIS,AU BUREAU DE LA TRIBUNE DES FEMMES,

RUE DES JUIFS, N. 21.ET CHEZ JOHANNEAU, LIBRAIRE, RUE DU COQ-SAINT-HONORÉ.

——————————Février, 1834. — Deuxième année.

287 25/05/23 02:32

Page 288: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 105)TRIBUNE

DES FEMMES.

SOCIÉTÉ DES METHODES [sic] D’ENSEIGNEMENT.

Dans la séance du 28 janvier, séance qui est venue mettre fin à cette longue discussion commencée le 27 août dernier, M. le président a clos ces conférences en avouant que la question restait insoluble. Mais pourquoi l’avoir ainsi posée ? Ou bien, pourquoi n’avoir pas permis qu’elle fût envisagée d’une manière plus large, et qu’elle se vivifiât par la discussion ? Pourquoi, lorsqu’il s’agit du sort des femmes, le grand cri jeté par Lélia : IMPUISSANCE, se fait-il aussitôt entendre ? C’est que l’homme ou ne comprend pas ou ne veut pas avouer que les bases sur lesquelles s’appuie la Société reposent sur un principe faux qui tend à la faire crouler, si l’on n’y porte une main vigoureuse ; c’est aussi que, dans cette cause, l’homme est juge et partie, et que sa conscience n’a pas encore éveillé dans son cœur le désir sincère d’améliorer notre sort.

Enfin, après six mois, ce faible bruit, qui avait stimulé quelque peu les esprits, vient de s’éteindre. Oui, Lélia, l’impuissance du siècle, si bien décrite par toi, cette plaie morale, cause de désespoir pour les âmes ardentes, est venue comprimer les efforts de quelques femmes courageuses, qui avaient (p 106) senti que, pour arriver aux détails, il fallait partir du grand principe de l’égalité des sexes. Elles ont vainement essayé de réclamer leurs droits et la liberté. Rappelées à la question, et renfermées dans cet étroit espace, elles ont résolu de se taire et de chercher ailleurs d’autres auxiliaires, pour faire triompher leur sainte cause….

Femmes, devons-nous donc désespérer de nous-mêmes comme la poétique Lélia, parce que le présent est sombre, chargé de nuages, qui nous empêchent, en France, de distinguer notre place et de réaliser nos pensées d’avenir. Oh ! non ; pour vous, qui sentez dans votre cœur un désir ardent et religieux d’affranchir notre sexe, pour vous, DIEU n’a point limité l’espace : écoutez, écoutez : toutes les voix mâles d’avenir ne s’accordent-elles pas toutes pour nous indiquer la route à suivre ? L’Orient, l’Orient, disent les courageux apôtres de l’affranchissement du travailleur et des femmes ; l’Orient, l’Orient crie aussi notre poëte [sic] législateur à la tribune de France ; le fatalisme, cette fois, parle comme la

288 25/05/23 02:32

Page 289: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

raison (a dit à la tribune le poëte des Harmonies) ; « tout a le sentiment de ce qui doit surgir. » Oui, femmes ; unies aux hommes, celles qui entreprendront, par un sentiment humanitaire, de régénérer ces peuples par le travail, par les arts, par la douceur de nos mœurs, celles-là seront grandes, et mériteront, par leur dévoûment, la reconnaissance du monde et la réhabilitation complète de la FEMME !

SUZANNE.

(p 107)UN MOT DE RÉPONSE

AU NOUVEL ARTICLE DES DÉBATS SUR ALEXANDRE DUMAS.

Par F. DAZUR.

Il semblerait qu’une note de M. Dumas, dans Gaule et France, ait trahi son côté faible à quelqu’un qui avait bien envie de le trouver. « Cette théorie, qu’elle soit exacte ou fausse, etc., dit-il en note, nous appartient entièrement. » Bon ! dit l’investigateur, qui se rappelle à propos la fable de Guillot, c’est par là que nous l’attaquerons ! Et il se met à éplucher tous les ouvrages de M. Al. Dumas, pour trouver qu’ils ne lui appartiennent point. Que résulte-t-il cependant de ces recherches ? D’abord, le triomphe de la méthode Jacotot : il semble, d’après la critique des Débats, que M. Al. Dumas n’ait réussi que pour avoir suivi la nouvelle marche tracée par ce professeur. Pourquoi donc, cependant, y en a-t-il si peu qui arrivent à ces résultats du génie au moyen de cette facile mosaïque ? Les couleurs et les pièces sont entre les mains de tout le monde ; les sources sont ouvertes à tous ; pourquoi tous n’ont-ils pas le même bonheur de succès ? Pourquoi, sans pouvoir souvent signaler les emprunts d’un auteur, avons-nous si vîte [sic] reconnu le froid copiste, le pâle imitateur, l’écrivain sans originalité ? C’est qu’il n’y a que le génie qui puisse tirer parti du génie comme de la nature ; et l’on aura beau accumuler contre M. AL. Dumas les citations, (fussent-elles exactes !) on ne parviendra pas à le réduire à zéro, à faire accroire, comme on le voudrait, qu’il n’a pas de style, et donc, qu’il n’existe pas, puisque le style, c’est l’homme. Il ne restera pas moins lui-même (p 108) que Racine, que l’on veut bien excuser de s’être approprié des textes étrangers ; et pour ne citer entre autres qu’un génie encore plus absolu et plus spontané, Bossuet est rempli de Tertullien et des Pères de l’Eglise [sic].

Prenez donc, trouvez ou inventez, ce qui revient au même, la création n’est pas de l’homme, combinez, assimilez-vous tout ce que vous voudrez, pourvu que vous marquiez vos transformations d’une empreinte qui soit

289 25/05/23 02:32

Page 290: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

aussi bien vôtre, aussi unique, que celle des Bossuet, des Racine, des Al. Dumas. Mais quelle mauvaise volonté, pour ne pas dire mauvaise foi, de lui reprocher d’avoir pris des scènes dans Anquetil, dans l’histoire ! Et peut-être, et sans doute, et probablement, en beaucoup d’autres sources moins connues. « Est-ce que je sais, moi, ajoute le ministériel journaliste, dans quels livres vous êtes allé fouiller ? Est-ce que je sais s’il n’y a pas dans vos drames du turc, du chinois, du malabare [sic ?] ou du samoyède ! »

Cependant un critique si bien informé veut qu’on le croie sur parole ; dans l’impossibilité de tout citer, il faut que ce soit affaire de confiance entre le public et lui ! Nous ne vérifierons pas tout, certainement ; mais voici une erreur qui nous saute trop hardiment aux yeux, pour ne pas la redresser : le critique des Débats a tellement à cœur d’infirmer l’autorité du nom de M. Dumas, qu’il ne distingue plus le vrai du faux dans l’aveuglément [sic] de son zèle ; l’auteur de Gaule et France pourrait devenir si dangereux en politique, qu’il faut commencer par lui ôter tout crédit comme poëte [sic] ! Or, il vient nous dire que Christine est pillée d’Hernani ; Christine, qui a été faite, nous ne disons pas seulement jouée, mais faite avant Hernani ! Il est aisé de confondre les dates ; mais nous ne pouvons nous y méprendre, nous qui avons entendu la première lecture de Christine, alors que personne n’avait encore l’idée d’Hernani. M. Victor Hugo assistait à cette lecture ; nous l’avons vu tirer à part son jeune émule, et, le tenant à deux mains par son habit, lui pro- (p 109) -diguer les louanges et les observations les plus animées ; il ne paraissait nullement lui reprocher de l’avoir pillé. Piller ! quand cette pièce accuse au contraire le trop de sève, l’imagination exubérante de la jeunesse ! Les cinq actes ordinaires n’avaient pas suffi au nouveau poëte [sic] ; il n’en avait pu mettre moins de sept, afin de nous montrer la Suède, la France et l’Italie ; jamais tableau plus brillant, plus riche, plus abondamment varié n’avait passé devant nos yeux avec un charme plus magique. Il a été obligé d’en retrancher à la scène, d’émonder son œuvre comme un jeune arbre, celui qu’on vient si désespérément taxer de stérilité. Mais à la lecture, il n’y avait rien de trop ; elle parut très-courte, tant le poëte [sic] l’enlevait avec chaleur et rapidité.

Une autre fois, nous lui avons entendu dire de plus douces poésies, des élégies, des rêves, avec une délicieuse lenteur, qui nous permettait de les retenir en partie. Nous nous rappelons, entre autres, quelques fragmens qui reviennent à notre sujet, car le critique des Débats pourrait dire, à cause du titre, que c’est encore un plagiat ; le titre, en effet, est celui de l’une des plus touchantes et des plus célèbres méditations de Lamartine ; nous citerons ce que nous nous rappelons de la pièce inédite de M. Alexandre Dumas ; malgré les lacunes, on pourra juger s’il y eut plagiat, ou si ce fut une grande et heureuse hardiesse, et qui n’appartenait qu’à un grand poëte [sic], de chanter aussi après Lamartine.

LE LAC.

Sur les rives du lac l’ombre était descendue.

290 25/05/23 02:32

Page 291: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Comme un miroir d’argent, sa limpide étendue,Des astres de la nuit réfléchissait le cours.……………………………………………..

Je voguais avec elle,Avec elle tous mes amours.

(p 110)……………………………………………..Il était donc rempli ce rêve de mon âme !Et j’étais, à la fin, compris par une femme !Elle avait accepté l’amour et ses douleurs :Cet amour dévorant que le ciel nous envie,

Qui fait toute une vieDe félicité ou de pleurs.

Il est de ces momens, où l’âme plus légèreSemble par son bonheur à ce monde étrangère,Où l’on croirait que Dieu nous sourit pour toujours,Si le cœur ne sentait, par un instinct étrange,

Que pour eux, en échange,Le malheur aura bien des jours.

Eh bien ! que l’avenir, ainsi qu’il est, demeure !Il ne saurait trop cher faire payer une heure,Quand cette heure, pour nous, eut de si doux attraitsQue toujours elle fut l’espoir de la pensée,

Et qu’une fois passée,On doit ne l’oublier jamais !

Elle disait : Ami, puisque Dieu nous rassemble,……………… nous passerons ensemble,Voyageurs égarés au terrestre séjour ;L’amour a du tombeau sondé le grand mystère…

……………………………………………………………………………….

291 25/05/23 02:32

Page 292: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 111)Nous recevons d’Angleterre plusieurs lettres de femmes, publiées à

Londres dans le journal la Crise. Nous nous empressons de faire partager à nos lectrices le plaisir que nous avons ressenti de trouver chez les Anglaises un sentiment si avancé sur la liberté de la femme. L’une d’elles, Concordia, s’adresse à M. Robert Owen, comme en France, nous pourrions à peu près nous adresser à M. Charles Fourier, qui est ici ce que M. Owen est en Angleterre, un homme de bonne foi qui désire de tout son cœur, de toutes les facultés de son génie, améliorer l’humaine espèce ; nous pourrions aussi lui dire : vous ne connaissez, ni ne comprenez la femme. Comment votre cœur d’homme pourrait-il être un juste appréciateur de nos sentimens, puisque l’état de subalternité, où votre sexe nous retient, n’a jamais favorisé notre libre développement, et cependant vous osez appeler le monde à pratiquer un nouveau système social !

Législateurs, et vous tous, arrangeurs de systèmes, vous aurez beau désormais nous bâtir de gracieux boudoirs. Si fatalement nous devons les occuper sans y rien changer, bientôt nous nous y sentirons tristes et maussades ; si d’abord nous ne pouvons en ordonner les dispositions, les décors, tout ce qui tient au goût, au sentiment, nous renonçons à vous reconnaître pour arbitre de notre bonheur, et vous refusons le droit de toucher en rien à notre destinée.

Emancipation [sic] complète de la femme est la raison essentielle pour commencer à travailler à la réalisation d’un nouveau monde.

SUZANNE.

A [sic] M. ROBERT OWEN.

(Extrait de la Crise.)

Cher monsieur,

En regardant sur vos journaux, j’aperçois que vous avez l’intention de publier un code de lois pour l’humaine espèce, femme aussi bien qu’homme. Quand même, ce dont il est impossible de douter, la plus grande bienveillance de sentimens vous ferait agir, et la plus grande expérience, acquise par un individu, vous guiderait, permettez-moi de vous faire remarquer que, semblable à tous ceux qui vous ont précédé dans cette entreprise, vous commencez votre tâche seulement avec une connaissance partielle de la nature de ceux pour lesquels vous travaillez.

292 25/05/23 02:32

Page 293: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Vous pouvez faire des lois pour les hommes, et les faire sages, parce que vous les comprenez ; mais, lorsque vous voulez entreprendre de faire des lois pour les femmes, je le répète, vous agissez avec les mêmes désavantages qui ont accompagné les efforts des précédens législateurs ; vous pouvez vous imaginer que vous possédez des notions plus certaines, d’après lesquelles vous procéderez, à cause que le caractère des femmes a depuis été plus examiné, mieux entendu et en conséquence mieux apprécié ; et certainement, en possédant cette connaissance, il est probable que vous échapperez à quantité d’erreurs dans lesquelles l’ignorance a, jusqu’à présent, fait tomber les autres ; mais vous êtes, malgré cela, inhabile pour juger beaucoup de choses qu’il est important à un législateur de savoir, toutes choses que la femme, d’un esprit fin et cultivé, peut seule expliquer, peut-être seule compren- (p 113) -dre. Non, je crois que vous ne réussirez pas à faire des réglemens convenables pour des êtres, dont les sentimens et les habitudes sont aussi peu connus de chacun d’eux. — Jamais il ne pourra exister un code de lois faites en harmonie avec la nature et la vérité, tant qu’il ne sera pas permis à la femme d’avoir voix pour les ordonnances qui la concernent tant ; enfin qu’il ne lui sera pas permis d’être législatrice pour elle : il est vrai qu’il est des principes universels de sentiment et d’action, auxquels les hommes et les femmes se conforment également ; mais il est aussi des principes et des sentimens individuels particuliers à chaque sexe. Il est utile, naturel et nécessaire que le plus petit de ces derniers soit autant considéré que les précédens. La nature des hommes occasionne un genre d’habitudes et d’émotions différant de celles occasionnées par la nature des femmes : c’est pourquoi ils ne peuvent entièrement s’entendre l’un l’autre ; et, quoique cela n’empêche ni ne heurte le libre échange d’affections et de sympathies entre les deux sexes, cela rend néanmoins impossible que l’un puisse faire des lois sages pour l’autre.

Vous pouvez me dire que la société, devenant plus rationnelle, et la femme participant librement à tous les avantages de l’homme, il sera possible de faire une plus juste appréciation de son caractère : elle acquerra plus de force d’esprit, une plus grande puissance de raisonnement ; et son influence s’étendant avec son savoir, elle apportera en retour à l’homme une portion de sa constance persévérance dans tous les actes de bonté et de sympathie ; elle lui enseignera cet oubli de soi-même qui entoure le caractère de la femme, avec un éclat et une beauté sentis par les plus insensibles et à laquelle les plus orgueilleux rendent hommage. — Vous direz que la joie et le bonheur d’un gouvernement social sont fondés sur un mutuel entendement d’initiations, et mettant chaque sexe dans la nécessité de comprendre l’autre. — Je suis d’accord sur ce point ; — mais (p 114) je suis toujours dans l’opinion qu’il restera dans le naturel de chacun beaucoup de choses inintelligibles à l’autre, ce qui nécessite que les lois soient faites par et pour ceux qu’elles doivent gouverner. — Je sais aussi que chaque chose vraie et bonne résulte d’un système rationnel et conséquent ; je sais aussi que la meilleure manière de s’entendre l’un l’autre résulte de la sincérité et de la franchise qui sera pratiquée. — Il faut alors que le contraste avec notre présente ignorance, même des choses qui nous plaisent le plus, apparaisse complètement. — Je sais que la plus haute imagination du poëte [sic], le

293 25/05/23 02:32

Page 294: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

plus superbe drame du visionné sera petit et sombre, comparé avec la riche bénédiction réservée à ceux qui seront capables de suivre courageusement la vérité en quelque lieu qu’elle puisse les conduire ; mais je sais aussi que les immuables lois de la nature ne peuvent pas être renversées, et elle, dans sa sagesse infinie, a imprimé, sur les hommes et sur les femmes, une différence intellectuelle que nos arrangemens sociaux ne pourront jamais effacer.

La nature a doué la femme des plus sublimes qualités qui font d’elle l’être aimé et aimant. — Il faut conserver en elles les distinctives particularités que l’homme ne pourra jamais comprendre — dans tous ces changemens de circonstances et de devoirs qui doucement, mais de sa propre volonté, modifient son caractère lorsqu’elle est vraie à sa nature. — None, but herself, can be her parallel. — (Personne, si ce n’est elle, ne peut être son parallèle). — Et quand mème [sic] vous enrôlerez à votre service toute la bonté et la générosité dont un homme est capable, — toute la sympathie passionnée dont, dans plus d’une occasion, il s’est montré animé ; — quand même vous désireriez être l’oracle de la seule vérité, — que vous auriez la plus grande déférence et soumission aux lois de la nature, — Vous serez toujours inapte à rendre la justice. — Une chose est nécessaire, et pour cela, la femme seule est apte ! — (p 115) Qui peut, autre quelle-même [sic], dire quels sont les sentimens purs et saints de sa nature ? — Qui peut, autre qu’elle, dire quelle est l’inépuisable source d’affection qu’elle est trop souvent obligée de renfermer au fond de son cœur ? — Quelle autre peut dire ces raffinemens qui font partie de son organisation ? — Enfin, qui peut promulguer son propre bonheur et dire comment sa sensibilité qui la rend si prompte à soulager les souffrances peut-être préservée d’altération ? — Pas un ! Non, il n’est pas un homme, quelque doué qu’il soit de nobles et régulières affections, qui puisse sentir assez la vivacité d’une femme ; — il n’est pas un homme dont l’éloqnence [sic], quelque brillante et puissante qu’elle soit, puisse exprimer la souffrance que la femme endure dans l’amour qui fait battre son sein ! — Comment alors peut-il faire des lois pour elle ?—

A fearful gift upon thy heart is laid— Woman ! — a power to suffer and to love :— Therefore thou so cast pity.

Et dans ces lignes est établie une parole qui parle lentement et tristement en faveur de mon argument. — A fearful gift, — (Un terrible don !) — Et pourquoi le pouvoir de l’amour un terrible don pour les femmes ? — Oui, il est en vérité un terrible don pour les femmes ; et il en est ainsi parce qu’il a toujours été oublié lorsque le travail de la législation a été fait ; — il en est ainsi pour la femme, parce que ses sentimens, sa nature n’ont jamais été compris ni examinés, — et il en sera de même, sur une échelle plus grande seulement, sous les lois que vous méditez, tant que vous prendrez vos sentimens pour arbitres ; — et je prononce cette prophétie d’après une soigneuse observation de ces minutieuses, mais très-importantes, insurmontables et naturelles différences des deux sexes, dont peu ou point de personnes nieront l’existence. — Je ne puis être considérée comme Cassandre, et être

294 25/05/23 02:32

Page 295: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

délaissée, — mais souvenez-vous que le résultat a prouvé la vérité de ses prédictions. (p 116) . — Non ! personne ne se réjouirait plus sincèrement que moi de voir l’aurore de ce beau jour qui éclairera les femmes d’un rayon de liberté et de bonheur ! non ! personne ne jouit avec une plus profonde délectation de ces innovations qui sauveront toute la famille humaine, et lui donneront cette justice de laquelle toute une irrésistible portion a toujours été privée. — Mais envers et contre tous, je le répète, vous serez dans le chemin des erreurs tant que vous agirez d’après une partielle connaissance. Vous me ferez observer probablement qu’en admettant la supériorité du système que vous prêchez, j’ai aussi admis votre grande supériorité comme législateur. — Je l’ai fait. — Mais si je ne me trompe, vous aviez le projet moins grand de faire un plus pur et meilleur système, mais non celui de le promulguer et de le soutenir comme le meilleur. C’est pourquoi je propose aux femmes de suivre pour elles l’avis si souvent donné aux différentes classes, de prendre leurs propres intérêts entre leurs mains. — Les femmes, ainsi, agiraient réellement et agiraient promptement sur leur sort, — et comme un pas préliminaire, chacune s’efforcerait d’acquérir la connaissance d’elle-même, apprendrait et enseignerait l’habitude d’analyser ses propres pensées et de voir où elles peuvent aboutir, d’examiner jusqu’où elles sont propres à les guider, et de faire du passé une leçon pour le présent ; enfin, elles pourraient d’abord tracer leurs pas au travers du sentier de nature et de vérité, duquel les faux arrangemens sociaux les ont grandement détournées, et alors, cédant à ces fiers conducteurs, elles poursuivraient le sentier dans lequel ils ne s’égareront pas.

J’ai peur que ma lettre n’ait passé les limites, mais je suis sûre que je n’implorerai pas en vain votre indulgence. Le sujet est intéressant pour vous qui, semblable à la jeunesse, regardez naturellement au-delà du court espace de notre vie et entreprenez d’éclairer notre existence par la contemplation des généra- (p 117) -tions à venir. — Les réglemens du moment présent marquent les destinées des momens futurs, et quand même je serais ignorante ou faible dans mon entreprise à prévenlr [sic] des erreurs, le motif vous engagera à respecter l’action.

CONCORDIA.

Londres, 1833

P. S. Encore un mot. Si j’ai dit quelque chose qui puisse sonner rudement aux oreilles des hommes, croyez que je désavoue tout rigoureux sentiment et toute intention de les offenser. — Malgré tout, leurs caractères peuvent être respectables ; ils sont tels que les circonstances les ont faits : sont-ils bons ! — Je m’en réjouis ! — Sont-ils méchans ! — Je voudrais les réformer !

UN MOT SUR LE DUEL.

295 25/05/23 02:32

Page 296: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Est-il un cœur, vraiment susceptible de générosité, qui aujourd’hui ne se soulève en pensant qu’au milieu de notre belle France, foyer ardent de la régénération des peuples, existe encore l’usage odieux du Duel, qui vient de nouveau d’enlever à la mère patrie un de ses enfans prédestinés.

Honte au mauvais génie qui emploie ce stigmate de barbarie pour satisfaire ses vues ambitieuses, et n’a pas craint de priver la société d’un homme qui l’honorait à tant de titres ! Honte à lui ; il a versé le sang pur sur l’autel de la liberté !

A nous, malheur, regrets ; car nous avons perdu un de ceux qui travaillaient avec persévérance à assurer, pour l’avenir, (p 118) l’indépendance et la splendeur de notre pays. A toi, Dulong, honneur et reconnaissance, trop chèrement achetées, il est vrai : mieux eût valu, pour nous, te voir encore être utile à ta patrie ; mais il fallait une victime, et la fatalité t’a choisi pour être celle du despotisme et de la servilité. Mais, va ! dors en paix ; ton noble dévoûment [sic] fera planer sur ta tombe nos bénédictions, et ton nom, joint à ceux que nous regrettons toujours, aura sa place dans le souvenir du grand peuple ! Puisse cette belle récompense adoucir la douleur du vertueux citoyen qui te fut cher.

Mais pourquoi donc, hommes du siècle, ne pas employer d’autres moyens pour soutenir, sans effusion de sang, l’honneur de la pensée outragée d’un individu ; pourquoi persévérer plus long-temps encore dans cette coutume que nous léguèrent les siècles passés, siècles de l’ignorance, de la brutalité et de l’absolutisme ; pourquoi de nos jours mettre à la disposition du hasard toute une existence d’homme, et la livrer à des chances où certes la bonne cause ne triomphe pas toujours ? Une vie violemment tranchée suffit-elle pour prouver l’évidence, la justesse d’une conviction profonde ? Non, certainement ; l’homme qui meurt dans la lutte n’est pas le seul sur terre qui partage sa croyance ; ceux qu’il laisse ne descendent point avec lui dans le pays des ombres, et ce qui vous a fait devenir assassin de votre semblable existe pourtant encore après lui, aussi vivace, mais plus redoutable, car il est animé par la soif de la vengeance. Songez donc que du moment où vous avez senti le besoin d’être utile, vous ne vous appartenez plus comme citoyen ; votre vie est à la patrie, et elle n’exige jamais de ses enfans un pareil sacrifice dont d’ailleurs il est impossible de prévoir les suites ; votre vie lui est plus chère ; réservez-la pour le grand jour où tous la requerront…

ARMANTINE M.

296 25/05/23 02:32

Page 297: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 119)MES SOEURS ET MES FRÈRES,

Quand le PÈRE est parti pour accomplir la mission que DIEU lui a donnée, plusieurs éprouvèrent le besoin d’établir entre tous une communauté d’efforts qui pût devenir un lien entre le PÈRE et nous. Je proposai, dans ce but, une souscription, dont le produit devait être employé à liquider ce qui restait de la dette contractée pour la propagation de nos idées. Ce moyen nous sembla être le seul alors de rattacher à une œuvre, à une pensée commune, tous ceux qui partageaient notre foi, et qui se trouvaient dispersés dans les divers départemens de la France.

Peu après, le PÈRE fit connaître sa pensée et ses projets d’avenir. — De grands préparatifs devaient se faire ; une armée de TRAVAILLEURS devait marcher vers la terre d’Egypte [sic], et déposer sur son sol les germes féconds du bonheur et de la pacification du monde. Il fallait que cette milice nouvelle s’entourât à son départ d’un corps éclatant et nombreux, destiné à accroître sans cesse sa force et son courage par la sublime excitation des arts. ROGÉ, MASSOL, furent chargés par le PÈRE de rassembler les élémens de cette phalange d’artistes. ROGÉ à Ménilmontant, metteur en œuvre infatigable des religieuses compositions de DAVID, et qui avait accompli plus tard, dans le midi et l’Est de la France, ces importantes et périlleuses missions, qui suscitèrent tant de haines aveugles, mais aussi de si nombreux témoignages d’amour, ROGÉ, à qui toutes ces œuvres donnent le droit de prétendre à des œuvres nouvelles, se consacre plus spécialement à l’organisation et à l’instruction d’un vaste corps de musique instrumentale et vocale. De retour à (p 120) Paris, après une longue absence, l’œuvre marche déjà. Mais, l’argent est nécessaire ; car il faut indemniser quelques professeurs de la perte de leur temps, et il faut payer la location d’un grand nombre d’instrumens. ROGÉ vient d’assumer sur lui la responsabilité de toutes ces choses. Notre aide ne lui manquera pas, nous le soutiendrons dans ses nobles efforts. C’est dans ce but, mes sœurs et mes frères, que je vous propose de transformer la souscription de la dette du PÈRE, en souscription pour l’œuvre d’art. Il s’agit aujourd’hui d’une œuvre vivante et pleine d’avenir. Hâtons- nous : les événemens se succèdent avec rapidité, le temps presse. Que de grandes choses s’exécutent, et lorsque par nous aura été formé le centre de l’industrie et du commerce du monde, nous trouverons alors les moyens d’obtenir facilement quittance des dettes que le PÉRE [sic] et ses FILS ont contractées, et dont ils sont responsables envers l’humanité tout entière !

CAROLINE BÉRANGER.

Cette parole de Caroline, pour prévenir du nouvel emploi assigné à la souscription fondée par elle, et qui se continue à Paris, ne s’adresse pas

297 25/05/23 02:32

Page 298: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

seulement aux personnes qui ont répondu à son premier appel, mais encore à toutes celles qui sentent combien il est essentiel, pour parvenir à de beaux résultats, que l’art vienne poétiser l’industrie, afin de la rendre féconde et attrayante, et l’élever au rang de puissance civilisatrice.

Tous ceux et celles qui ont connu notre bon ROGÉ, savent aussi combien il est capable par son zèle et son talent de préparer la partie poétique de la mission d’Orient.

Les souscriptions seront reçues comme par le passé, chez Caroline et au bureau de la Tribune des femmes.

SUZANNE.

SUZANNE, Directrices.CÉLESTINE,[FP. : une accolade figure ici]

——————————————————Imprimerie de PETIT, rue du Caire, n. 4.

298 25/05/23 02:32

Page 299: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

ms. 7861/236[FP. : indication manuscrite]

La Femme Nouvelle,(p ?, avant p 121)

TRIBUNE DES FEMMES,Paraît deux fois par mois, par livraison d’une feuille ou plus.

PRIX POUR PARIS. PRIX POUR LES DÉPARTEMENS.

2 fr.

50 c. pour 3 mois. 3 fr.

» pour 3 mois.

5 » pour 6 mois. 6 » pour 6 mois.10 » pour l’année. 12 » pour l’année.

Tome premier de LA TRIBUNE DES FEMMES, 1 vol . in-8o, 4 f. et 5 f. par la poste.

Rue des Juifs, No 21 ; et chez JOHANNEAU, libraire, rue du Coq-St-Honoré.AFFRANCHIR LETTRES ET ENVOIS.

FOI NOUVELLE — LIVRE DES ACTES, publié par les Femmes,PRIX : 1 FR. par mois.

A [sic] PARIS, chez Mme Marie Talon, au Cab. de lecture, rue Neuve-du-Luxembourg, n. 28.

AMOUR A [sic] TOUS, Journal de la Religion Saint-Simonienne, publié à Toulon.

A [sic] Toulon, rue de Pradel, n. 5.A [sic] Paris, chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré.

LIBERTÉ FEMMES !!! brochure in-8, prix : 50 c., par Pol Justus, publié à Lyon chez Mme Durval, libraire, place des Célestins.

A [sic] Paris, au Bureau de la Tribune des Femmes ; Et chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré.

Imp. de PETIT, rue du Caire, 4.

299 25/05/23 02:32

Page 300: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

ms. 7861/236[FP. : indication manuscrite]

La Femme Nouvelle.(p ?, avant 121)

TRIBUNE

DES FEMMES.

Notre bannière étant à la peine, il est justequ’elle soit à l’honneur.

JEANNE-D’ARC.

Egalité [sic] entre tous de droits et de devoirs.

Tome Second — 8me Livraison.

PARIS,AU BUREAU DE LA TRIBUNE DES FEMMES,

RUE DES JUIFS, N. 21.ET CHEZ JOHANNEAU, LIBRAIRE, RUE DU COQ-SAINT-HONORÉ.

Février, 1834. — Deuxième année.

300 25/05/23 02:32

Page 301: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 121)AHASVÉRUS

PAR EDGARD QUINET.

C’est un bien beau livre qu’Ahasvérus, un livre d’une haute portée philosophique et religieuse, d’une belle et grande poésie, admirable pour le fond, admirable pour la forme ; et pourtant, hâtons-nous de le dire, ce livre sera peu lu, et sera rejeté avec dédain par beaucoup de ces hommes qui s’appellent hommes supérieurs, positifs, penseurs. Eh ! qu’ils le laissent ; ce n’est pas pour eux qu’il a été fait ce chant sublime suspendu entre un monde qui s’écroule et un monde qui recommence. Car DIEU a horreur du néant, et là, où quelque chose se détruit, soyez sûr que quelque chose s’élève. Châteaubriand dit que « où le temps fait une ruine, une fleur ou un arbre germe pour l’orner et la cacher. » Toute la vie, tout le monde est là ; rien ne meurt, tout se transforme. Ta vie est éternelle, ô mon DIEU et tu la déploie [sic] aussi bien dans la croissance d’une fleur que dans la création d’un monde : l’une et l’autre sont de toi, l’une et l’autre font partie de toi.

Le livre de M. Quinet est peut-être de tous les ouvrages nouveaux celui où se montre le plus clairement la croyance panthéistique, qui de jour en jour devient celle des hommes qui marchent à la tête de l’humanité. On y trouve l’expression de l’amour de la forme aussi bien que de celle de l’esprit ; tout y est (p 122) compris, et par son style même, il embrasse les différens âges du monde et le drame pourrait aussi bien s’appeler DIEU, ou la vie du monde qu’Ahasvérus. Car Ahasvérus le juif-errant n’est qu’un épisode. Craignant de faire cet article trop long, nous ne nous occuperons guère que d’Ahasvérus, passant légèrement sur tout ce qui n’est pas lui.

Le drame a la forme des mystères du moyen-âge, et comme eux il est divisé en journées, précédé d’un prologue, suivi d’un épilogue et entrecoupé d’intermèdes. J’ai entendu critiquer cette disposition : peut-être avait-on raison ; mais quant à moi, je déclare que je n’ai pu sentir Ahasvérus sous une autre forme et que je n’aime pas à faire une critique purement négative. La vieille légende du juif errant, qui appartient communément au moyen âge devait avoir la forme moyen âge ; puis l’espèce de confusion qui règne dans ce genre d’ouvrage est très-propre à donner idée du gâchis dans lequel se trouve le monde aujourd’hui.

La première journée a pour titre LA CRÉATION. Rien n’égale la richesse et la beauté des chants de tous les êtres nouvellement crées [sic]. Tout chante, tout parle, l’arbre, la pierre, l’astre, puis les Titans, puis les femmes, les hommes et les enfans. Peu à peu les voix isolées se rassemblent, et des chœurs se forment ; puis viennent les villes, les grandes villes, Thèbes, Babylone, Jérusalem, Jérusalem, qui annonce à ses sœurs que ses prophètes l’ont appelée pour voir dans Bethléem un

301 25/05/23 02:32

Page 302: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Dieu caché dans une crèche. Ce Dieu, c’est le CHRIST, un tout petit enfant, dont la main doit remuer le monde.

A [sic] la seconde journée nous assistons à la passion du CHRIST. Toute la nature est en deuil ; le palmier se fane au désert et le désert pleure son beau palmier d’amour. Jérusalem seule contient des êtres qui ne pleurent pas sur la victime qui s’immole au salut de tous, et parmi ceux qui outragent le CHRIST, celui qui est vraiment le fils de DIEU, se trouve Ahasvérus, qui, regar- (p 123) –dant de chez lui le douloureux spectacle, refuse au CHRIST un peu d’eau pour sa soif, un peu d’aide pour sa fatigue, une place pour s’asseoir. C’en est trop, Ahasvérus est maudit ; il marchera sans relâche, et partout où il passera on l’appellera le Juif errant ; il portera le fardeau que le CHRIST va déposer sur la croix, et ne trouvera plus un moment de repos.

Ahasvérus part, poursuivi par la main de DIEU, il part pour sa course éternelle ; mais qu’est-ce qu’Ahasvérus ? N’est-ce pas le prolétaire ? le prolétaire, le juif qui cruxifia le Christ qui venait pour le racheter mais non immédiatement, car c’était surtout l’esclave que Jésus venait sauver ? Puis, il venait sauver l’esprit du joug de la matière, et le prolétaire est plus chair qu’esprit, et la femme aussi est plus chair qu’esprit ; et il faut pour les racheter tous deux un nouveau messie, qui ne soit plus un messie mâle et tout spirituel.

Le CHRIST naissant à Bethléem, c’est un monde nouveau qui commence, c’est un DIEU nouveau, et désormais JEHOVAH [sic] son père est couché dans la tombe. Peu à peu le monde idolâtre, le monde payen [sic] et une partie du monde juif se convertissent au CHRIST, et le vieil Occident reçoit la foi nouvelle dont il doit être le dépositaire. A [sic] la voix des papes, Attila et son armée de barbares s’arrêtent : l’enfant de la crêche [sic] de Bethléem, le crucifix du Golgotha règne sur le monde.

Dans une petite ville d’Allemagne vivent deux femmes, l’une vieille, c’est Mob ; l’autre d’une jeunesse éternelle, c’est Rachel. Mob, c’est la mort, la mort du moyen-âge, méchante et railleuse, la mort qui a une si grande place dans le monde du CHRIST. Rachel, qui chante doucement des cantiques qu’elle ne se souvient pas d’avoir appris, et dont toujours elle oublie quelques mots ; Rachel est un ange qui, au moment de la passion de JÉSUS, lorsque tous les habitans du ciel pleuraient en fixant ce douloureux spectacle, jeta seule les yeux sur Ahasvérus maudit, dont elle pressentait la longue dou-(p 124) –leur, l’aima pour cette douleur, et fut, pour cette faute, envoyée en exil sur la terre où elle dut demeurer près de la mort.

Rachel est divinement triste ; elle regrette sa patrie, elle regrette son amour, tout cela vaguement ; c’est un rêve effacé, c’est une de ces belles ruines couvertes de fleurs, dont parle Châteaubriand, tristes, mais non désolées, souvenirs d’un beau passé qu’on ne saurait préciser, qui font verser de douces larmes et vous inspirent une voluptueuse mélancolie.

Ahasvérus vient à passer, et le cœur de Rachel a bondi dans sa poitrine ; la fleur s’est penchée à son approche, l’oiseau s’est envolé ; Rachel seule, la femme, n’a pas craint la contagion de son malheur, la malédiction de DIEU : elle aime, elle suivra celui qu’elle aime, elle le suivra sans s’inquiéter ni de la bise qui souffle, ni du soleil qui brûle ; que

302 25/05/23 02:32

Page 303: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

lui importe, à elle, femme, la bise et le soleil, sa vie, DIEU ? La nature pour elle, c’est Ahasvérus ; la chaleur qu’elle cherche, c’est celle de sa poitrine ; le rayon de son soleil, c’est son regard ; tout, c’est lui.

Ils marchent, ils marchent ; Ahasvérus, poussé par la main vengeresse de DIEU, marche sans pouvoir s’arrêter ; Rachel le suit sans fatigue ; elle aime, et passe des siècles à cette course, sans se plaindre, heureuse de son dévoûment [sic], et consolée même de la perte de sa céleste patrie.

Le monde chrétien va finir : tout est mort, et tout commence à renaître. Trois êtres restent seuls sur la terre : Ahasvérus, qui ne peut mourir, Rachel, dont l’amour et la céleste origine soutiennent la vie, et Mob, la mort, qui les a rejoints, et dont la faux s’est usée à frapper. Les Chrétiens ressuscitent et demandent à JÉSUS la récompense des maux qu’ils ont soufferts ; mais JÉSUS est mort aussi désormais ; car il était l’esprit du monde qui finit, et JÉSUS leur répond : « Que puis-je pour vous, moi, qui suis couché dans la tombe près de Jéhovah, mon père ? » Magnifique idée ! qui montre les Dieux successifs des (p 125) révélations successives, mourant l’un après l’autre et n’ayant plus même le pouvoir de récompenser leurs adorateurs.

Tout ressuscite, et des chœurs de villes, d’étoiles, d’enfans, de femmes, etc., disent leur œuvre devant l’Éternité, l’Éternité, seul Dieu qui reste debout quand tout est fini. Le chœur des femmes trouve seul grâce devant lui, parce qu’à travers les siècles elles seules ont conservé son amour ; et pour les récompenser, l’ÉTERNITÉ leur donne un anneau formé de tout l’or des étoiles. Ceci est beau, bien beau, et moi, femme, je remercie, au nom de toutes, M. Edgard Quinet, de nous avoir si bien comprises. Déjà JÉSUS avait déclaré « qu’il serait beaucoup pardonné à Magdeleine, parce qu’elle avait beaucoup aimé. » L’amour, la charité, comme la nomme Saint-Paul est la première de toutes les vertus, et c’est surtout celle des femmes.

Mais, lorsque tout est fini, lorsqu’il n’y a plus que des morts ou des ressuscités, quels sont ces trois êtres qui n’ont pas passé par la mort et gravissent péniblement devant le trône de l’ÉTERNITÉ ? Ce sont Ahasvérus, Rachel et Mob. Il y a sur Ahasvérus un concert de malédictions au moment où sa course semble toucher à sa fin ; chaque ville lui défend de poser sur elle son pied maudit et chaque être répond : ce ne sera pas moi, lorsque l’ETERNEL demande qui le suivra. Mais alors la douce voix de Rachel se fait entendre : ce sera elle ; elle n’est pas fatiguée de sa course ; son courage ne faillira pas plus que son amour. Et, lorsque tous deux arrivent devant DIEU, le DIEU qui n’est ni JEHOVAH [sic], ni JÉSUS, tous deux trouvent grâce devant lui, rachetés par l’amour de Rachel ; et c’est par eux que recommencera le monde nouveau, qui doit succéder au monde qui s’éteint.

Tout est fini, crie une grande voix, et le néant se réjouit ; son règne recommence ; mais l’Eternité, DIEU, reste, et d’un mot lui ravit sa joie : rien ne meurt ; le néant est un mot vide (p 126) de sens ; DIEU est éternel, mais non immuable ; car IL EST TOUT CE QUI EST, et se renouvelle sans cesse.

Ici se termine le grand drame d’Ahasvérus : c’est l’histoire de la vie de l’humanité, avec un grand être qui la domine et la fait, DIEU, la

303 25/05/23 02:32

Page 304: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

PROVIDENCE, l’ÉTERNITÉ, comme l’appelle M. Quinet. Et le seul reproche que nous fassions à M. Quinet est de n’avoir pas formulé nettement son DIEU ; peut-être, n’est-ce pas sa faute ; peut-être, dans les formules toutes faites n’a-t-il trouvé rien qui le satisfît, et il n’est pas donné à tout le monde de faire un Credo. Nous nous trouvons fort embarrassée [sic] pour désigner l’école religieuse, philosophique et même littéraire, à laquelle appartient M. Quinet. Il n’est pas Chrétien, quoiqu’il apprécie merveilleusement et aime le Christianisme, comme on aime le passé, comme il aime le Mosaïsme, et lorsqu’il nous montre Jésus, couché dans la tombe près de Jéhovah, son père, sa tendresse est égale à tous deux. Il n’appartient pas non plus au Saint-Simonisme. Son panthéisme est plutôt celui du monde extérieur que la divinisation de tout ce qui est. M. Quinet nous semble avoir une religion et une philosophie à lui, espèce d’éclectisme formé du panthéisme de Spinosa, du spiritualisme allemand, et des idées saint-simoniennes qui y dominent par-dessus tout.

Un reproche, et il est grave, que je me permettrai de faire à M. Quinet, c’est de n’avoir pas nettement indiqué sa foi au progrès, je ne dirai plus de l’humanité, mais du monde. Il semble en être resté au cercle de Vico, que l’humanité recommence sans cesse, selon ce philosophe, qui ne s’aperçoit pas qu’il compare l’homme à l’écureuil tournant sans cesse dans sa cage et n’étant pas plus avancé après une année de travail qu’au premier jour. Or, comme l’a dit M. Michelet, Vico aurait eu raison, s’il eût ajouté que le cercle va toujours s’agrandissant. Les religions, les civilisations suivent une marche à peu près semblable ; mais celle qui suit est toujours en progrès (p 127) sur ceile [sic] qui l’a précédée, et c’est tomber dans une étrange erreur que de reconnaître l’excellence de chacune d’elles, sans tenir compte de la plus grande valeur absolue et même relative de celles qui viennent les dernières. M. Quinet, si par hasard cet article lui tombe entre les mains, me pardonnera cette remarque qu’il m’était impossible de ne pas faire, puisque sur ce point son livre a froissé la plus chère de mes croyances, celle de la perfectibilité ; il a bien montré la marche, la vie ; il a oublié le progrès ; pour moi, c’est presque oublier DIEU. Du reste, ce livre me paraît [sic] une des plus belles choses publiées depuis plusieurs années où tant de belles choses ont été publiées ; mais je le dis encore, il ne sera lu que d’un petit nombre d’élus ; il vient trop tôt pour obtenir un succès d’argent ; pour moi il est œuvre apostolique et ne doit pas périr ; les idées qu’il contient et qui sont de nature à n’être comprises que par les fous, d’après le monde et Béranger, étonneront lorsque dans des années, peut-être des siècles, on retrouvera ce livre qui, nous osons le dire, surnagera dans le naufrage de tout ce qui se fait aujourd’hui. Ahasvérus n’est pas un roman ou un drame aux petites idées, c’est une magnifique épopée dans laquelle trouvent place les génies de deux mondes, et la prophétie d’un troisième que DIEU porte en ses flancs, et pour la conception duquel, tous tant que nous sommes, souffrons tant aujourd’hui. Plus heureuse que le poète, car ma foi est plus vive, plus instante, si j’ose m’exprimer ainsi, ce qu’il ne semble pressentir que de loin, vaguement, à la manière des Sybilles, moi je le vois, et peut-être ai-je expliqué son livre plus avec mes idées qu’avec les siennes. Il me

304 25/05/23 02:32

Page 305: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

pardonnera, et pour me répondre victorieusement, continuera son œuvre, en formulant sa pensée d’avenir d’une manière plus nette et plus précise. M. Quinet est un grand poète ; à ce titre il doit être doué de l’esprit prophétique ; j’espère donc de lui, non seulement comme littérature, mais encore comme révélation.

PAULINE.

305 25/05/23 02:32

Page 306: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 128)LIBERTÉ.

LIBERTÉ !! . est un mot qui agite maintenant toute l’espèce humaine ; mais je vois avec une sombre douleur que l’homme seul veut y avoir droit. Il veut comprimer chez les femmes tout levain d’indépendance ; il veut de ses bras de maître, de tyran, de despote, étouffer en elles tout germe de liberté ; il veut écraser du bruyant éclat de ses risées et de ses injures toute voix douce et caressante qui invoquerait en tremblant ce grand mot : Liberté ! !

Femmes ! il faut vous lever et protester hautement que vous voulez être affranchies de toute loi mâle, de tout jugement qui ne serait que mâle, et de l’abrutissante exploitation qu’ils exerçent [sic] sur nous. Il faut enfin les laver du vice d’orgueil et de brutalité dont ils se sont si long-temps souillés. Les hommes doivent-ils donc se débattre seuls avec tout ce qui semble s’opposer aux justes vœux de leur amour, de leur intelligence, de leur force ?… Et nous, femmes, moitié de leur existence, n’avons-nous pas notre amour, notre intelligence, notre force ? N’avons nous [sic] pas aussi des vœux à former, des besoins à exprimer, des douleurs à repousser, de liberté à obtenir ?…. N’avons-nous pas honte et dégoût de ces hommes égoïstes, dont l’esprit étroit et le cœur glacé osent dire avec une grossière vanité : la femme ! elle a bien assez de liberté ! la femme ! elle n’est que trop libre.

Que trop libre, malheureuse mère, quand ton ardent amour (p 129) n’est pas assez fort pour obtenir qu’on laisse à tes caresses le fruit de tes entrailles dont les cris de souffrance impatienteraient ton époux !… Et, ensuite, es-tu libre d’élever la voix ? Te tient-on compte de tes pleurs, lorsqu’une barbare légalité mâle vend ta fille, et arrache de tes bras ton fils pour l’envoyer sur l’autel de la patrie où toujours fume le sang humain ? Et toi, jeune fille, à l’aurore de ta vie, fraîche et riante, tu nous apparaissais telle qu’un ange gracieux qu’un baiser fit éclore. Que de sourires et de caresses maternelles ont dilaté ton cœur, épanoui tes charmes ! Combien de rêves enivrans ont bercé ton sommeil et rafraîchi tes veilles ! Tu croyais au bonheur alors ! La vie, disais-tu, c’est être heureux……… Illusion !…. Un prisme séduisant offrait à ta bouillante imagination la nature entière parée des brillantes couleurs du bonheur. L’amitié, l’amour, les arts, les sciences, la gloire, les plaisirs et les fêtes étaient ton avenir, ton espoir !…. Ah ! crains le désenchantement, jeune fille, crains l’illusion, car l’illusion, vois-tu, c’est la fleur du bonhenr [sic] que l’aquilon flétrit, c’est une vierge à l’autel que la mort découronne, c’est le frêle berceau d’un enfant qui n’est plus !…………… Mais quelle sombre pâleur couvre déjà ton jeune visage ? Comme ton œil est terne et tes lèvres décolorées ; les délicieuses modelures de tes formes

306 25/05/23 02:32

Page 307: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

s’affaissent ; tu confies à l’ombre des nuits, à la muette solitude, les larmes brûlantes qui sillonnent tes joues !… Tout te devient importun, soins et caresses, le monde et ses joies, les plaisirs avec leur cortège entraînant de danses, de parures et de volupté, leur parfum de musique et de poésie………

Tu aimais, tu savourais tout cela, jeune fille, et maintenant toute cette société t’accable, te fatigue, et tu cherches en vain à éviter son regard scrutateur, indiscret………………

D’où viennent donc ces angoisses secrètes qui torturent ton jeune et noble cœur ? Pourquoi une horrible anxiété se lit- (p 130) elle dans ton doux regard ? Tu frissonnes et tu cherches à contenir les nombreuses pulsations qui soulèvent ton sein… Tous tes nerfs tressaillent… Hélas ! la convulsive douleur t’accable donc déjà ! Elle n’a pas respecté ton âme si jeune, si aimante et si bonne ; tes lèvres avides de bonheur se sont abreuvées à une coupe sculptée avec art, mais qui ne contenait que fiel et absynthe [sic] ; sans expérience, tu as goûté un fruit que tu voyais beau, que tu croyais délicieux, et il n’a laissé dans ta bouche que cendre amère… Tous tes rêves d’amour étaient si beaux d’espoir, tu croyais au bonheur, ton erreur fut rapide ; enfant, tu n’avais prévu ni peines, ni sanglots ; novice nautonnier [sic], tu ne voyais pas qu’un orage était prêt à fondre sur ta barque, à peine sur les flots… Pauvre enfant ! à l’aurore d’un beau jour le bonheur t’apparut et disparut à son couchant. Je suis libre, me disais-tu un jour ; je trouve que les femmes jouissent d’un [sic] honnête liberté………….. Eh bien ! aujourd’hui, qu’est devenue ta liberté ? Tu me comprends maintenant ! N’est-ce pas une autorité mâle qui vient de bouleverser ta destinée, de briser ton avenir, d’anéantir tous tes rêves de bonheur et d’espoir ?…..

En vain une voix de femme, de mère, s’est mêlée à la tienne pour faire entendre ses plaintifs accens, pour réclamer ses droits….. En vain la dignité de femme s’est abaissée jusqu’à supplier à genoux une autorité mâle ; elle fut repoussée avec brutalité ; un homme, un père, avait décidé le malheur de sa fille. Alors tu fus vendue au poids de l’or, et on a évalué tes charmes au taux des denrées commerciales.

Maintenant, jeune femme, quelle est ta liberté ? Pas une de tes actions dont tu ne doives rendre compte ; pas une sensation qu’il te soit permis de manifester, pas une affection dont tu puisses disposer ; tout ton être, ta vie, doit se rapporter à un seul et même objet, à l’être auquel tu fus vendue ; autrement, tu serais un objet de courroux et de châtiment ; c’est un bien (p 131) que tu déroberais à l’acquéreur, qui n’en est jaloux qu’à ce titre. On te couvrirait de boue pour ne pas avoir frémi de souiller les cheveux blancs de celui qui n’a pas craint, en te vendant, d’attirer sur ta tête une telle responsabilité. Chaque mère éloignerait de toi sa fille ; le frère sa sœur, son épouse ; car, vois-tu, cette société corrompue, dégradée, a soin de cacher ses haillons sous un brillant manteau, et malheur à l’être qui ne le tient pas assez fermé pour en laisser apercevoir quelques lambeaux… Et alors, pour toi, désharmonie partout dans l’univers ; toi seule à l’anathème que l’on t’a lancé… Pas une main amie, peut-être, ne s’offrirait pour t’arracher de la boue, du torrent qui t’entraîne, et où une volonté d’homme t’a précipitée. Tu le vois, jeune

307 25/05/23 02:32

Page 308: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

femme, tel serait ton sort, tel est celui d’une infinité de tes compagnes. Mais ne te laisses [sic] pas abattre, que ton courage se relève. Faible roseau, n’incline plus avec découragement ta jolie tête sur ta poitrine. Le temps est proche ; il viendra où, semblable au chêne, tu te relèveras fièrement. L’orage gronde, les ténèbres sont épaisses ; mais jette un regard dans le lointain, tu apercevras un point lumineux qui deviendra un centre de lumière ; car ces douleurs poignantes, irascibles de tous les momens, de tous les instans ont été senties par des cœurs d’hommes. Deux femmes aussi, dont la vie était pure et douce, n’ont pu voir sans frémir les plaies et les liens honteux de leur sexe. Nobles, tendres, elles ont montré à la face de l’univers combien un cœur de femme renfermait de courage, d’énergie et de dévoûment [sic].

Affrontant les périls d’une mer orageuse, les sables brûlans du désert, elles se sont élancées vers un monde inconnu pour elles, vers des régions lointaines, cherchant et demandant partout la Mère qui doit relever son sexe de l’anathême [sic] et faire cesser l’odieuse exploitation que le sexe mâle exerce sur le sien.

Vous le sentez, femmes, cet exemple est grand et noble ; (p 132) qu’il ne soit donc pas perdu. N’auriez-vous pas honte de les laisser affronter seules les périls et les dangers, la souffrance et les privations ?……………….

Nos sœurs d’Orient nous appellent ; elles tendent vers nous leurs bras supplians, leurs membres délicats, meurtris, écrasés sous le poids de leur chaîne…… Les laisserons-nous se débattre en vain ? Leurs cris de douleur et d’impuissance, comme un son sans écho, ne retentira-t-il pas jusqu’au fond de nos cœurs ?……………

Oh ! femmes !… en écrivant ceci, j’ai la main sur le mien, et je sens, d’après ses battemens, que le vôtre aussi battra de courage et d’un dévoûment [sic] qui ne sera pas infructueux. Et Dieu nous bénira pour arracher son œuvre de la fange où il se flétrit. Femmes ! le printemps est proche, que les plus courageuses et les plus fortes d’entre nous se préparent à une mission tant en Orient qu’en Occident. Qu’elles ne s’effraient pas à l’idée de quitter leur pays, leur patrie, leurs affections. La patrie est où se trouve le bonheur, et le bonheur elles le trouveront dans leur dévoûment [sic] à l’humanité. Et ne m’écrierai-je pas aussi, liberté pour la fleur jeune et tendre que souille d’une bave empoisonnée, que flétrit d’un souffle impur, fétide, la hideuse vieillesse !………

Quel alliage brutal, immoral, monstrueux, de la beauté, de la jeunesse, de l’amabilité, avec la décrépitude et le radotage ! Quel supplice plus affreux, quelle douleur plus poignante que d’avoir horreur d’un être que l’on ne peut pas fuir, que de recevoir des caresses qui font frissonner d’horreur et de dégoût, que d’être obligée de porter le jour, la nuit, sans cesse, le poids d’égards qui fatiguent, de prévenances qui impatientent, que de craindre voir, ou retrouver dans ses enfans, les traits ou les défauts de leur père, de ne pouvoir prononcer leur nom sans qu’il vous rappelle un être que l’on abhorre… que l’on méprise !…………..

( p 133) Liberté pour toi, femme, qui ne peux pas te borner au cercle étroit de ton ménage, qui, t’ennuyant d’une aiguille et du fuseau, éprouves le besoin de développer ta vaste intelligence. Tu es abreuvée

308 25/05/23 02:32

Page 309: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

d’amertume et d’ironie, perce [sic] que ton noble cœur veut jouir de l’hommage que le sexe mâle veut se réserver ; il craint que ton génie trop vaste et trop sublime n’éclipse le sien.

Mais le temps viendra où le génie ne sera plus resserré, torturé, et on le reconnaîtra de quelque forme qu’il se revête.

LIBERTÉ POUR TOUTES est le cri, le vœu qui part du fond du cœur de toutes les femmes. Que leur bouche le revèle [sic] donc hautement, et leur affranchissement sera proche.

Trop long-temps elles furent méconnues, trop long-temps elles ont courbé la tête sous une autorité mâle, despotique : qu’elles la relèvent maintenant avec fierté et dignité, car la puissance et la volonté du bien sont en elles……………….

Qu’elles ne craignent plus de laisser pénétrer dans les plus profonds replis de leur âme, car c’est une source inépuisable de tendresse, de bonté, d’énergie et de délicatesse……….

Que vous importent les risées, les injures, l’ironie ? Elles ne seront lancées que par des êtres vils et corrompus, dont le cœur est incapable de comprendre ce qui est beau et grand. Attirons à nous la fille du peuple pour lui faire connaître sa dignité de femme ; recevons surtout avec bonté et indulgence celle que l’homme a vouée à l’infamie et qu’il couvre d’opprobre et d’injure. Ne souffrons plus, que pour un morceau de pain la mère vende sa jeune et belle fille.

Que la malheureuse domestique aussi, qui, pour ne pas mourir de faim, qui, pour ne pas grelotter nue aux jours d’hiver, attache sa vie à des toits où elle ne possède rien, prodigue ses veilles, sa santé, sa force, sa jeunesse pour des maîtres, qui, lorsque la vieillesse l’accablera, la renverront sans pain, sans asile, que la malheureuse domestique, dis-je, soit traitée avec (p 134) égards et bonté, et lorsque viendront pour elle les infirmités de l’âge, qu’elle trouve un asile pour abriter sa tête, un bras pour soutenir sa marche défaillante, et des alimens pour rani sa mer [sic] force épuisée.

Femmes, votre liberté est dans vos mains ; la Mère ne peut tarder ; prononcez donc avec courage et espoir : LIBERTÉ !

Adèle de SAINT-AMAND, née Doublet.

A [sic] MONSIEUR L’EDITEUR [sic] DU MAN.

Londres, 16 décembre 1833.

Monsieur,

J’ai vu dans plusieurs journaux des articles sur les Saints-Simoniens [sic], qui prouvent, sinon une injuste prévention, du moins une ignorance impardonnable de la part de leurs auteurs ; je ne prétends pas faire

309 25/05/23 02:32

Page 310: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

l’apologie des Saints-Simoniens [sic] ni d’aucune autre secte. Je désire très-vivement la liberté morale, intellectuelle et industrielle de mon sexe, et n’ai pas grande foi, à cet égard, dans la sincérité de ceux qui la prêchent : nous savons ce que valent les mots sonores derrière lesquels se retranchent les petites ambitions personnelles, et la liberté des femmes n’est pas plus une réalité pour la plupart des doctrinaires nouveaux que, sauf exception, l’amour de Dieu pour les prêtres, les chartes pour les libéraux, l’égalité pour les républicains, le bonheur du peuple pour tous les partis ; mais je suis toujours affligée de voir dénaturer la vérité. J’ai lu attentivement les ouvrages saints-simoniens [sic], et n’ai point aperçu qu’ils (p 135) veulent la communauté des femmes et des biens ; j’y ai trouvé une appréciation juste des défauts de nos institutions et le désir que les biens soient, non pas communs, mais sociaux ; je m’étonne que les Anglais qui forment tant de compagnies d’actionnaires et réalisent par là une masse de capitaux, qui, pris sur une seule fortune individuelle, l’absorberaient entièrement, se méprennent si étrangement sur une question qu’ils devraient comprendre mieux que personne. L’ouvrier qui apporterait son travail à la société et serait rétribué en raison du produit général et de la part pour laquelle il y aurait contribué par le travail, le talent et le petit capital de ses économies, ne dépouillerait pas pour cela le grand capitaliste, mais serait au contraire intéressé à augmenter la valeur des capitaux.

Quant à la question des femmes, ils veulent qu’elles soient égales à l’homme, et non semblables à lui, ni communes, et qu’elles jouissent des mêmes priviléges [sic]. Déchargées par les associations des menus soins du ménage, qui ne seraient alors que dans les mains de quelques-unes, elles emploieraient ce temps à des travaux productifs dans toutes les branches desquels elles auraient accès et rétribution indépendante, et ne seraient plus comme à présent asservies par la nécessité de se marier pour se faire un nom, une position sociale, et de sacrifier souvent leurs plus douces inclinations à l’époux que la famille achète avec la dot ; ou, si elles sont pauvres, de se rendre communes aux hommes qui ont de l’or. Si les hommes n’étaient pas aveuglés par la cupidité et un faux orgueil despotique, ils se trouveraient humiliés de ce honteux trafic et rougiraient de n’inspirer souvent qu’un amour basé sur l’intérêt. Les moyens proposés par les Saint-Simoniens peuvent être erronés, mais le but n’en est pas moins grand et noble : quels que soient d’ailleurs les motifs personnels qui les fassent agir, ils marchent dans une route nouvelle et toujours plus vraie que celle suivie par la société.

(p 136) C’est du moins dans leur intérêt cependant que dans celui des critiques eux-mêmes que je vous adresse ces observations. On met généralement sur le compte de la légèreté les calomnies et les fausses interprétations dont les Français se rendent souvent coupables ; mais pour les Anglais, qui se piquent avec raison d’un jugement sain et réfléchi, il n’y aurait point d’excuse.

Je compte, Monsieur, sur votre amour de la vérité pour vouloir bien insérer cette lettre dans un de vos prochains numéros. Une jeune française.

310 25/05/23 02:32

Page 311: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(Extrait du Man, journal populaire anglais.)

AU MILIEU D’UN BAL, DEVANT UN PORTRAIT (1).

Qu’il est beau, qu’il est doux d’adorer le génie !De contempler son front sublime et créateur !De lui voir enfanter à l’immortelle vie….Les généreux pensers qui font battre son cœur !

Une femme timide, et qui n’a que son âmePour aimer, pour prier, pour adoucir les maux, Regarde, et se consume à la céleste flamme

Qui jaillit des yeux du héros.F. DAZUR

3 Le 6 février jour anniversaire de la naissance du Père Enfantin, un grand nombre de femmes prolétaires, pour témoigner de leur reconnaissance envers le libérateur des femmes, s’unirent pour donner une fête dans la grande galerie de Ménilmontant. C’est à cette occasion, et devant le portrait du Père, que ces vers furent composés.

SUZANNE, Directrices.CÉLESTINE,[FP. : une accolade figure ici]

Imprimerie de PETIT, rue du Caire, n. 4.

311 25/05/23 02:32

Page 312: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 137)LA POLYANTHE [sic ? ].

C’était par une nébuleuse matinée du mois de mars 1833 : pensivement appuyée sur un guéridon, où mon chocolat fumait depuis près d’un quart-d’heure [sic], sans que je songeasse à le prendre, je parcourais une fois encore le dernier volume des œuvres de Béranger ; Béranger ! l’ange de tous les êtres pauvres et souffrans ; Béranger ! que les bénédictions du peuple accompagnent aujourd’hui à son modeste ermitage de Passy, comme elles l’ont suivi autrefois sous les voûtes obscures et malsaines de la Force ; Béranger ! qui fait pleurer et méditer avec des chansons joyeuses, tant il y a de larmes cachées par ses sourires, de profonde sensibilité et grandes leçons de sagesse sous ce voile naïf d’une insouciante philosophie.

Et je commençais à frissonner de tous mes membres ; car, absorbée par les réflexions que cette lecture amenait en moi, j’avais négligé de jeter une bûche sur le foyer où bientôt il ne resta plus qu’un amas de braise éteinte.

Tout-à-coup, un rayon de soleil, le premier qui eût percé les nuages depuis deux ou trois mois, illumina ma chambre d’un jour clair et vivifiant. Je regardai le ciel ; il était devenu bleu ; je m’approchai de l’air, que je trouvai tiède, et puis je vis s’agiter sur sa tige, éclore, et dérouler au vent ses pétales frémis- (p 138) –santes, une petite giroflée sauvage, venue d’elle-même dans une fente de la muraille.

Alors je me sentis renaître, comme la fleur, à cette atmosphère rajeunie, et voulant profiter de cette belle journée pour faire une promenade de mon goût, je gagnai le Jardin des plantes. J’aime le jardin des plantes, avec ses solitaires allées de tilleul, ses sentiers sinueux où l’on s’égare, la forme pyramidale de ses cèdres, et ses chaumières rustiques toujours couvertes de mousse.

J’étais donc venue m’asseoir sur un banc de bois, au milieu d’une enceinte treillagée, toute remplie de fleurs qu’on avait sorties des serres, par ce beau rayon de soleil.

L’isolement ramène au recueillement de la pensée, à la vie intime, que les bruits incessans et les mille frivolités du monde rendent impossibles.

Le parfum aromatique des plantes, qui semblent pleurer dans leur calice, les premiers chants des gélinottes sur les amandiers en fleurs, et toutes ces ravissantes harmonies qui accompagnent le réveil de la nature grandissent dans l’âme l’idée de Dieu qui a créé tant de merveilles pour servir et consoler l’homme à ses heures de besoin ou de souffrance…

312 25/05/23 02:32

Page 313: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Il y a des momens de rêverie où l’on aime à s’incliner vers les mélancolies du passé, peut-être pour y ressaisir quelques illusions perdues, quelques espérances enfuies avec le jeune âge. Et puis les préoccupations chagrines ont une inexplicable et irrésistible fécondité, je ne sais quel vague reflet de souvenir qui fait pleurer, et qu’on recherche pourtant.

Je m’abandonnais au charme de ces impressions tristes lorsque j’entendis un bruit de pas sur le sable. En effet deux personnes vinrent s’asseoir à quelque distance de moi, et, comme il régnait un profond silence, voici ce que je pus recueillir de leur conversation.

« Allons, plus de lamentations, Adda ; ces larmes dont vous (p 139) êtes si prodigue ne me rendront pas le bonheur que ma faiblesse m’a fait perdre. Cette folle passion dont vous me fatiguez depuis si long-temps, un jour vous la jeterez [sic] à un autre, qui viendra vous dire de fades paroles d’amour, avec du miel sur les lèvres, et de l’hypocrisie au fond du cœur. Une fille qui cède à son amant, aussi facilement que vous vous êtes donnée à moi, ne comprendra jamais toute la rigidité des devoirs d’épouse. Voyez-vous, madame, rien ne m’empêchera de croire que vous aviez tramé ce complot d’avance pour me forcer à vous épouser. Mais, à présent que j’ai sacrifié un bel avenir à la tâche que ma confiance m’imposait, je veux ma liberté, mon indépendance, le jour, la nuit, en tous lieux : à toute heure, ne m’irritez donc plus de vos reproches, et surtout ne me parlez plus de mon honneur, vous qui n’avez pas su garder le vôtre. »

Un froid subit fit trembler tout mon corps, et lorsque poussée par un vif intérêt je me tournais vers cette malheureuse victime d’un homme injuste et brutal, je la vis qui s’éloignait en cachant sa tête dans ses deux mains.

Je repassai alors dans mon esprit toutes les tortures de la femme, misérable prisonnière dans l’enceinte absurde des préjugés, pauvre être auquel Dieu a donné tant de tourmens à souffrir et si peu de force pour se défendre.

Je songeai à la jeune fille dont l’âme encore toute chaude de piété, de poésie, d’amour, a soif d’une vie d’émotions douces et comprises, mystérieuse harmonie dont elle devine déjà le charme, ineffable virginité du cœur qu’elle brûle de répandre sur un cœur pure [sic] et tendre comme le sien. Je la voyais, je la suivais dans sa triste route, se heurtant à mille déceptions amères, ne trouvant qu’une épine, là où elle avait rêvé une fleur, refoulée dans toutes ses espérances, parce qu’on a joué sa destinée contre l’aride satisfaction de quelques vanités ambitieuses, parce qu’on ne lui a donné que des richesses et des titres, quand elle voulai [sic] (p 140) un sein palpitant pour appuyer sa jeune tête, une âme amie pour épancher ses joies et ses douleurs.

Je pensais aussi à cette vierge timide, qui dans la foule a rencontré un regard de feu, un sourire béni, un ange rêvé, dont le souvenir lui apparaît [sic] à chaque heure, le jour dans ses prières, la nuit dans ses insomnies. Pauvre victime marchandée et vendue au plus offrant, malgré l’amour qui lui brûle le cœur ! jetée pleine de candeur, d’innocence, au bras d’un cadavre flétri, vivant de larmes solitaires et incisives comme la goutte d’eau qui creuse le rocher ; forcée de choisir entre deux alternatives

313 25/05/23 02:32

Page 314: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

également horribles : cacher sa haine par des sourires, flatter le serpent pour éviter sa morsure, être hypocrite et adultère, ou mourir, jour à jour, au milieu des convulsions du cœur.

Je voyais la femme au teint hâve, apportant un enfant fiévreux dans le bouge d’une maison de pitié, repoussée, avilie par celui même qui, plein de larmes et de prières, est venu lui demander un peu d’amour ; mère infortunée, craignant les tortures de la faim pour ce pauvre petit ange sans force, et plus tard les mépris hautains pour cet homme sans nom, sans famille, sans espoir.

Et puis, passait dans mon esprit épouvanté la femme qui se donne, sans condition, sans hypocrisie, sans fausse honte, à l’amant de son choix ; créature sublime, amassant sur sa tête la dévorante réprobation du monde pour répandre dans le cœur de celui qu’elle aime des trésors de félicité sans mélange de bonheur, sans désir ; trop religieuse pour craindre le blâme de Dieu, trop noble pour mettre un prix à son dévoûment [sic], trop forte de son amour pour plier devant les méprisantes craintes, les défiances injustes, les dédains et les outrages sanglans d’une société devenue abjecte par les immoralités de sa morale.

Je voyais les mépris, la misère, la honte, l’injustice, pla- (p 141) –nant comme autant de vautours avides sur la vie des femmes, fermant leur cœur à la pitié, leur esprit à la franchise, leur conscience à la vérité, semant l’hypocrisie, la haine, la faiblesse, l’envie et tous les vices, là, où la nature primitive avait répandu le germe de mille qualités précieuses. J’envisageais partout la tyrannie retenant la femme dans une absorbante captivité, l’abus le plus révoltant de la puissance. Je voyais l’amitié devenue un mensonge, la fausseté son abri, l’amour un caprice, l’adultère un jeu, la prostitution une ressource, et l’honneur et la vertu deux mots vides de sens, deux lambeaux sales et troués, servant de voile à la dépravation humaine.

Dans cette douloureuse récapitulation de mœurs, qui me laissait le pouvoir de réagir sur moi-même, j’en vins naturellement à passer en revue, degré par degré, déception par déception, toutes les périodes de ma vie passée.

A [sic] cet âge où la jeune fille hésite entre l’enfance et la jeunesse, j’avais senti en moi un irrésistible besoin d’émotions chaudes et caressantes, la poésie suave d’un cœur tout candide, et de grandes et religieuses pensées qui me faisaient rêver un autre monde.

Mais devant ces trésors, dont l’âme est si riche à son enfance, vinrent alternativement poser les déviations et les scandales de la raison humaine. Au milieu de cette vie aride, je trouvais des désenchantemens à chaque pas. Méconnue dans mes franchises, trompée dan smes [sic] affections, brisée dans mes espérances, je me trouvai un jour seule, sans ami pour m’aimer, sans conseil pour m’indiquer ma route, sans consolation dans ma douleur. Alors, mon cœur, long-temps avide d’émotions puissantes, se replia en lui faute d’idole. Mon imagination, privée d’aliment dans ses belles rêveries, retomba épuisée, dans une réalité étroite et stérile, et ma foi primitive, cette dévotion ardente qui m’avait long-temps servi de prisme, s’éteignit, manquant du culte qu’il eût fallu pour la grandir. (p 142) Ainsi, à l’âge où la réflexion

314 25/05/23 02:32

Page 315: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

communique au caractère une énergie nouvelle, imprime aux idées une couleur définitive, j’avais vu s’écrouler le bel édifice de mes illusions, et la grande épidémie sociale nous miner sourdement sans apparence de guérison. Suivant l’humanité dans toutes ses désolations, je perdis la conviction d’une souveraine puissance, et j’arrivai peu à peu à ce scepticisme accablant qui renie les hautes destinées de l’avenir.

Ne croyant plus rien à force d’avoir cru trop facilement à tout, privée des secours de la prière, je n’eus plus qu’à m’entourer d’objets capables de me satisfaire, moi, avant les autres, comme le limaçon renfermé dans sa coquille. Trouvant que le monde pouvait avoir raison d’être sec, égoïste et méprisable, je devins comme lui, sèche, égoïste, et par cela même méprisable ; je sentis bien au fond de mon cœur la douleur poignante de cette personnalité effrayante ; je suivis d’abord avec un horrible dégoût cette route où s’entre-déchiraient tant d’atomes dégoûtans ; et puis je finis par m’acclimater à cette atmosphère infecte ; je parvins à trouver des aisances au fond de ma vie égoïste, et j’arrivai à croire comme Mirabeau, que l’âme n’est qu’une création de notre imagination prestigieuse, que l’homme est un être purement physique, qui, dans toutes ses variations et ses progrès, n’agit jamais que selon les lois propres à la matière dont la nature l’a composé.

Cependant ce chaos de réflexions affligeantes n’avait pas détruit en moi quelques-unes des sensations extatiques que la contemplation de la nature réveille d’ordinaire chez les êtres impressionables.

Il était midi ; le soleil dardait sur la terre des rayons chauds et pénétrans comme en été ; les feuilles des arbres pointillaient à travers leurs bourgeons rosacés, impatientes de s’épanouir à cette brise fécondante.

Mes regards vinrent à se fixer sur une belle fleur blanche, (p 143) une polyanthe [sic ? ] ou tubéreuse d’Orient dont les épis étoilés versaient en se balançant dans l’air un parfum suave et aromatique.

Je regardais attentivement les oscillations de cette plante qui semblait sourire au soleil, comme une coquette à son miroir. Alors, mes pensées, remontant degré à degré toutes les phases de la vie de la polyanthe [sic ? ] arriva tout naturellement au lieu de sa naissance, l’Orient ; l’Orient, ce monde merveilleux, cette sphère fantastique, où l’admiration indécise ne sait devant quel souvenir se recueillir, devant quel chef-d’œuvre de la nature, de l’art ou du génie l’âme s’élève et le genou se ploie avec le plus de vénération, l’Orient, avec les fabuleuses histoires de sa vie, l’azur inaltérable de son ciel, et son parfum de chevalerie. La lumière soudaine des siècles passés rayonna dans mon cerveau exalté ; l’antiquité posa devant moi, avec ses rians mensonges, poétisant, comme par enchantement, la nature de mes pensées. Je ne sais quoi d’indéfinissable m’agita de mille impressions nouvelles : une puissance inconnue jusqu’alors remua toutes les fibres de mon être : il me sembla sortir du chaos où le monde dormait encore : une voix du ciel m’appelait à de grandes choses, un sublime instinct, un pressentiment inouï me criaient : Coopère au [sic] grand [sic] œuvre de la régénération, et tu vivras d’une vie meilleure, et tu dépouilleras tes langues d’égoïsme, et tu seras heureuse, heureuse par l’harmonie et la félicité des mondes. Je me jetai à

315 25/05/23 02:32

Page 316: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

genoux dans une sainte extase, et je remerciai avec une ferveur ardente ces apôtres d’une religion sublime, qui m’envoyaient, par le message de la nature, quelques-unes de leurs hautes inspirations.

Dans la dévotion de mon cœur, j’adorais ces hommes de dévoûment [sic] qui savent braver les mers, les dangers, les fatigues et les outrages, pour prêcher la parole divine, pour répandre les bienfaits de l’harmonie sur les générations futures.

Ces hommes, que si long-temps j’avais regardés comme des (p 144) fous absorbés par un délire fictif, grands faiseurs de paradoxes, cherchant des mystères pour servir de pâture à leur dévorante imagination, fuyant le monde passible pour courir après des chimères, trompés sur leur propre énergie et retombant misérables et honteux dans la vie réelle, après l’audacieux élan de leur vol.

Eh bien ! par une inconcevable révolution de tout mon être, ces hommes, qui m’avaient semblé souverainement répulsifs et dangereux, m’apparurent comme des saints illuminés d’une auréole de souffrance, de gloire, et de vérité ; comme des martyrs, osant attaquer de front cette civilisation gangrenée, qui hurle l’anathème contre ceux qui veulent guérir sa lèpre honteuse ; comme des prophètes, consacrant chaque jour de leur existence à l’œuvre d’une régénération sublime, tendant une main amie et secourable à l’humanité entière, femmes ou hommes, puissans ou faibles, riches ou pauvres, bons ou méchans ; ouvrant leur cœur à l’indulgence, à la charité ; courbant leur corps sous le poids des misères et de la réprobation, sans se plaindre ni murmurer ; résumant les maux de l’humanité et y apportant remède par une pensée sublime, DIEU MÈRE ! révélation du ciel, pleine de poésie, de majesté, de puissance.

Cependant toutes ces idées tournoyaient encore autour de moi comme un chaos, sans que je pusse définir positivement à quelle sorte d’espérance je me rattachais, quelle planche de salut je voyais dans mon naufrage. Je n’aurais pu trouver de causes réelles à cette religion, qui s’infiltrait dans mon âme, à ce besoin subit d’une existence de bonheur universel.

Mon cœur était gonflé de désirs bouillans et impétueux ; ma tête brûlait du feu de l’enthousiasme ; je croyais être dans une sphère voisine du ciel, où tout est avant-goût des félicités suprêmes.

Je voyais l’humanité sortir rayonnante de l’abîme de l’er- (p 145) -reur, un monde plein de sève et de vie remplacer le vieux monde agonisant, une religion pleine d’empire sur les débris foulés du christianisme ; je voyais le ravissant spectacle de l’harmonie des hommes et de la nature, une association sublime, où tout est fraternité, confiance, prière, amour ; où il y a des larmes pour toutes les souffrances, des sourires pour toutes les joies, des asiles pour tous les malheureux, des mères pour tous les enfans, des enfans pour tous les vieillards. Je voyais la vie à travers le prisme de l’espérance, de l’enthousiasme, de l’exaltation ; je voyais DIEU PÈRE plein de force et de puissance pour nous protéger et nous défendre, DIEU MÈRE pleine d’une ineffable bonté pour nous consoler et nous bénir.

Jusqu’alors j’avais vécu d’égoïsme et de larmes secrètes, cherchant inutilement un but à ma vie, une espérance à mes heures de tristesse.

Ce but, je l’ai trouvé, et avec lui sont revenues mes illusions, mes croyances, ma poésie et toutes les belles idéalités de ma première

316 25/05/23 02:32

Page 317: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

jeunesse. A [sic] présent j’aime la société comme un pauvre enfant qui souffre et qu’on espère guérir ; je vénère les apôtres de Saint Simon [sic] comme les interprètes d’une volonté irréfragable, et j’adore DIEU PÈRE et DIEU MÈRE comme une source inépuisable de puissance et de bonté.

Salut donc, ma douce Polyanthe [sic ? ] ; à toi je dois la conversion de mon âme, ma vie d’espoir, ma religion consolante et tous mes beaux rêves d’avenir.

CAROLINE VALCHÈRE.

317 25/05/23 02:32

Page 318: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 146)DES EVÉNEMENS [sic] DE LYON,

ET DE LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉFORME INDUSTRIELLE.

Pendant plusieurs jours, les journaux ont été remplis de détails sur les mouvemens qui ont eu lieu à Lyon parmi les ouvriers ; il n’en est pas, quelle que soit leur opinion, qui n’en aient parlé, les appréciant chacun suivant la leur. En présence de toutes ces opinions, nous ne pouvons ni ne devons rester muettes ; c’est plus qu’une question politique qui s’agite à Lyon, c’est une question sociale, et nous ne pouvons reculer devant elle, car de sa solution dépend celle de notre avenir.

Mon intention n’est pas de rapporter ces faits, ils sont assez connus, mais seulement de dire quelques-unes des pensées qu’ils ont fait naître en moi, et les conséquences qu’on peut en déduire. C’est un fait grave que ces mouvemens qui se manifestent si souvent chez les ouvriers ; et en effet, ce qui s’est passé à Lyon n’est que le même fait qui, il y a quelques jours, conduisait de nos frères sur les bancs de la police correctionnelle, où on leur faisait expier par une condamnation le tort de s’être coalisés : le tort, c’est le pouvoir, ce sont les ri- (p 147) –ches qui le disent, mais ce n’est pas moi, moi qui connais les souffrances du peuple et qui voudrais les voir cesser : non, car j’approuve ces coalitions, quoique je ne pense pas que par elles mêmes [sic] elles améliorent le sort de l’ouvrier, mais parce qu’elles sont une manifestation de sa puissance calme et pacifique. A [sic] cela qu’a-t-on répondu ? A [sic] Paris, par des condamnations qui ont étonné par leur rigueur ceux même qui les avaient provoquées ; à Lyon, on a demandé qu’il fût donné au peuple une rigoureuse leçon. Oh ! je le demande : comment celui qui a tracé ces mots n’a-t-il pas senti tout son être s’émouvoir, rien qu’à la pensée du sang versé par un frère, un ami, peut-être. Oh ! il n’a donc pas de famille, pas d’amis, celui-là qui vient demander qu’on aille verser le sang d’une population désarmée, que la misère seule a forcée de quitter son travail ; il n’a donc pas pensé que ces soldats par qui il voulait le faire verser étaient ouvriers hier, qu’ils le seront demain peut-être, et qu’alors eux aussi viendront demander une amélioration à leur sort si pénible ! je ne jeterai [sic] point le mépris sur ceux qui ont si peu compris le peuple, mais j’aurai pour eux de la pitié ; car ils doivent bien souffrir : leur vie n’est qu’un long cauchemar ; à

318 25/05/23 02:32

Page 319: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

chaque instant ils croient voir sur leur tête la main vengeresse du peuple qui vient leur demander compte de ses douleurs. Ils ne comprennent ni sa grandeur, ni sa dignité ; ils ne veulent voir en lui que des êtres dépravés, qui ne rêvent que la vengeance. Non, tel n’est point le peuple ; ce n’est pas ainsi qu’il s’est jamais montré ; non, nul plus que lui ne sent le besoin d’ordre, nul plus que lui ne recule à la pensée des bouleversemens ; il sait trop bien que c’est toujours lui qui les paie. Ce n’est pas pour rien qu’il s’est levé, c’est que ses souffrances sont devenues insupportables, et qu’il n’est que trop temps d’y remédier ; le pouvoir devrait le comprendre, et au lieu d’exciter, d’animer les maîtres contre les ou- (p 148) –vriers, il devrait tâcher de les rapprocher, de les unir. Le peuple est fort, on le sait ; lui aussi a conscience de sa force ; il n’en veut pas abuser ; mais que le pouvoir n’abuse pas de la sienne, qu’il songe qu’il est des douleurs poignantes, et qu’il ne faut point aigrir des hommes qui n’ont rien à perdre. Qu’est la vie pour eux ? Toujours la douleur, la misère, et cependant ils ne demandent pour aujourd’hui qu’une légère concession et la certitude qu’on s’occupera de leur avenir. L’association des mutuellistes a prouvé par sa conduite qu’elle a conscience de sa force, et qu’elle veut faire respecter sa dignité ; car le peuple ne veut plus être avili ; mais elle la fera respecter avec calme : sa conduite passée nous est un garant pour l’avenir, et d’ailleurs peut-on voir des sentimens plus calmes et plus pacifiques que ceux exprimés par ces paroles de l’Echo [sic] de la Famille, alors qu’elle parle de la lutte qui pourrait avoir lieu entre les maîtres et les ouvriers : «  Mais ce combat doit être pacifique : elle recuse [sic] l’épée et le canon ; à vous donc, à vous seuls d’appeler la guerre civile : nous la repoussons, nous, comme le plus épouvantable fléau, et pourtant vous le savez, le peuple sait toujours ou mourir ou vaincre ; mais vaincre au sein de son pays ne saurait être qu’une déplorable victoire. » Ces lignes sont bien l’expression des sentimens du peuple ; oui, ce sont eux qui l’ont toujours animé ; qu’ils soient un enseignement pour ceux qui le dirigent. Quoi ! les paroles de conciliation viennent de ceux qui souffrent, et ce sont ceux qui sont oppresseurs qui demandent la vengeance ! Oh ! peuple, reste toujours grand et magnanime, et ton triomphe est certain.

MARIE REINE.

(La suite au prochain numéro.)

319 25/05/23 02:32

Page 320: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 149)A Mme SUZANNE,

DIRECTRICE DE LA TRIBUNE DES FEMMES.

Madame,

Je me vois obligée de réclamer contre une note que vous avez jointe à quelques vers que j’avais mis dans votre dernier numéro, et qui dénature ma pensée. En mettant mon nom auprès de celui du Père Enfantin, vous m’avez représentée à ses pieds, et cela est tout-à-fait [sic] contraire à ma religion et à mon caractère. Mon caractère s’exprimait précisément par le vague de cette poésie où vous avez voulu mettre un nom (et pour vous le plus grand de tous), où vous avez voulu une forme décidée. Moi j’avais dit seulement : au milieu d’un bal, devant un portrait. C’est bien moi, c’est ma vie : au milieu du monde et de ses réalités, mais l’âme ailleurs ; l’âme dans son monde à elle, sa création de rêves et de nuages. Ainsi, au milieu d’un bal, au milieu de tout ce qui se voit, se touche et s’entend, quand les regards et la musique enivrent, que, la main dans la main, la danse vous emporte, que des mots, des brandons d’amour tombent dans votre sein, et n’attendent que votre souffle pour incendier, moi, j’étais frappée d’un portrait, d’une image qui planait, au-dessus de tous, et ma pensée s’envolait vers elle ; cette image, vous le savez, n’est pas même terminée, elle n’est point en saillie ; les contours n’en sont point arrêtés ; la tête s’élève comme d’une nuée ; peut-être était-ce un charme de plus, en laissant toute carrière à l’imagination.

Certes, je n’oublierai jamais cette impression ; il est bien vrai (p 150) que jamais visage d’homme n’avait rayonné à mes yeux avec si vif reflet de la divinité, et j’aurais voulu lui dire : Qui êtes-vous, et d’où vous vient cet empire sur moi ?

Cependant le murmure d’en bas me parvenait ; j’entendais des mots, de ces mots dont on a rêvé ; et lorsque je pouvais les saisir, distraite, je les laissais tomber. Depuis, ils sont rentrés dans le domaine de l’imagination, ils sont idéalisés par le souvenir, et, comme il m’arrive toujours, ils ont plus de prestige que dans le moment de la réalité. Qui n’a dans sa mémoire de ces voix, de ces figures qui n’ont passé qu’une fois devant vous, et vous ont laissé un regret, presque un remords de les avoir méconnues, de ne point leur avoir ouvert le seuil de votre âme, pour vous entretenir avec elles et vous donner le temps de reconnaître si ce n’était point là ce que Dieu avait créé pour vous ? — Quel était donc ce jour là [sic], dans cette foule, celui qui s’attachait à mes pas, qui attendait, pour ne danser qu’avec moi, qui me reconnaissait, disait-il, sans m’avoir jamais vue, et demandait où me voir, encore et toujours et murmurait : entièrement à vous ? Ce mot m’est resté, et j’ai paru ne pas l’entendre ;

320 25/05/23 02:32

Page 321: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

cette naïve figure me revient à présent, et il a pu se croire entièrement dédaigné. C’est que j’étais devant le portrait, l’idéal ; je rêvais du génie ; je résumais en un seul les dons divers épars entre tous.

Mais ne me le nommez pas, ne matérialisez pas avec un nom ma pensée qui s’en va bien au-delà de tout ce qui est créé. Un nom m’en rappellera un autre, et puis un autre, et dans cette confusion, l’on ne sait plus qu’aimer. L’amour absolu ne peut exister qu’en Dieu et pour Dieu ; or, votre Père n’est pas Dieu pour moi, il n’est pas le Christ ; c’est pourtant ce que vous donniez à entendre, et ce que je repousse absolument.

Si donc vous dites d’Enfantin ou tel de ses fils, moi je dirai Ballanche, ou Lamartine, ou l’auteur d’Ahasvérus. — Oh ! celui-là qui vient le dernier, comme il grandit ! mais que sa voix (p 151) puissante est lamentable ! Ne dirait-on pas l’ancien prophète des ruines de Jérusalem ? Mais après avoir dit toutes les plaintes du monde, et les nôtres surtout, celles des femmes, ne nous apportera-t-il point d’espérance ? L’amour ne doit-il sauver le monde qu’une fois, et lui-même doit-il périr ? Ne sera-t-il jamais réalisé tel que l’âme l’a conçu ? Sera-ce en vain qu’elle aura gémi avec le poète : «  un délire éternel me flagelle le cœur ; je veux voir ce qu’aucun œil ne voit ; je veux toucher ce qu’aucune main ne touche ; jusqu’au mourir je veux aimer ce qui n’a point de nom…. Douleur ! douleur ! douleur ! voilà le mot que je sais le mieux, et amour celui qui me plait [sic] le plus, et infini, celui qui me fait tant soupirer. »

Ce n’est pas là, Madame, une Saint-Simonienne, qui peut toucher tout ce qu’elle désire, puisqu’elle se contente de cette terre, et croit qu’à force de la remuer on en fait autre chose que de la terre. Ce qui a pu causer votre méprise à mon égard, et vous faire penser que je me laisserais donner cette apparence, c’est que vous savez que je vous aime toutes et vous apprécie, ayant l’avantage de vous connaître autrement que par des ouï-dire et des théories assez contraires entre elles depuis le premier jour du Saint-Simonisme, et qui vont se modifiant et s’éclairant avec l’expérience. Mais laissant les théories, ce que je connais dans la pratique du monde Saint-Simonien me paraît [sic] bien supérieur à ce que vous nommez déjà le vieux monde, le monde actuel dont le Saint-Simonisme fait si parfaitement la critique.

Oui, je me plais à laisser ce monde si rempli de scepticisme, de sécheresse ou de vains dehors, d’inconséquences, d’infamies publiques et cachées, pour venir m’épanouir parmi vous, où l’on trouve la franchise et la cordialité, où se concentre ce qui semble exilé de partout ailleurs, la foi, l’espérance et la charité. Vous offrez en vérité un spectacle nouveau et consolant, et qui excite une sympathique attente. Cependant le tra- (p 152) -vail se fait partout ; mais il est plus sensible, plus impatient, chez vous où l’on croit toujours toucher le but, où l’on espère réaliser, de ses jours, plus de progrès et de merveilles que le monde n’en a accompli dans ses six mille ans. Ce que j’appelle vos erreurs tombera, comme déjà vous en avez reconnu plus d’une ; mais vous avez reçu une grande part de vérités à répandre, et vous avez donné une grande impulsion ; en vous dissolvant, en vous mêlant au monde, vous l’influencer : vous ne pouvez l’attirer à vous ; le monde reçoit des idées, des élémens de progrès ; il

321 25/05/23 02:32

Page 322: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

n’improvise pas une religion. Je crois à la perpétuité du christianisme ; je crois qu’il contient en lui-même tous les développemens que nous devons éprouver ; je crois que le christ [sic], dont la foi remonte au berceau de l’humanité, présidera encore à ses dernières, ses immortelles destinées.

Voilà, Madame, puisque votre zèle, si large et si généreux, a ouvert une tribune aux femmes, voilà en abrégé la profession de foi d’une femme qui croit représenter quelque chose à notre époque de transition, où il y a si peu d’unité, et tant d’élémens divers qui se choquent dans le cahos [sic], avant de parvenir à s’harmoniser ; une femme qui peut être un lien, un degré entre vous et d’autres ; car elle répond à toutes les douleurs, toutes les voix du passé, mais elle vibre aussi à toutes les sympathies de l’avenir, et comprend pour la femme de nos jours le plus grand des dévoûmens [sic], la consommation de tous ses sacrifices, une mission sociale.

14 mars 1834. F. DAZUR.

SUZANNE, Directrices.CÉLESTINE,[FP. : une accolade figure ici]

Imprimerie de PETIT, rue du Caire, n. 4.

322 25/05/23 02:32

Page 323: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

La Femme Nouvelle,(p ?, avant p 153)

TRIBUNE DES FEMMES,Paraît deux fois par mois, par livraison d’une feuille ou plus.

PRIX POUR PARIS. PRIX POUR LES DÉPARTEMENS.

2 fr.

50 c. pour 3 mois. 3 fr.

» pour 3 mois.

5 » pour 6 mois. 6 » pour 6 mois.10 » pour l’année. 12 » pour l’année.

Tome premier de LA TRIBUNE DES FEMMES, 1 vol . in-8o, 4 f. et 5 f. par la poste.

Rue des Juifs, No 21 ; et chez JOHANNEAU, libraire, rue du Coq-St-Honoré.AFFRANCHIR LETTRES ET ENVOIS.

FOI NOUVELLE — LIVRE DES ACTES, publié par les Femmes,PRIX : 1 FR. par mois.

A [sic] PARIS, chez Mme Marie Talon, au Cab. De lecture, rue Neuve-du-Luxembourg, n. 28.

AMOUR A [sic] TOUS, Journal de la Religion Saint-Simonienne, publié à Toulon.

A [sic] Toulon, rue de Pradel, n. 5.A [sic] Paris, chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré.

LIBERTÉ FEMMES ! ! ! brochure in-8, prix : 50 c., par Pol Justus, publié à Lyon chez Mme Durval, libraire, place des Célestins.

A [sic] Paris, au Bureau de la Tribune des Femmes ; Et chez Johanneau, libraire, rue du Coq-Saint-Honoré.

Imp. de PETIT, rue du Caire, 4.

323 25/05/23 02:32

Page 324: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

ms. 7861/237[FP. : indication manuscrite]

La Femme Nouvelle.(p ?, avant 153)

————————————————

TRIBUNE

DES FEMMES.

Notre bannière étant à la peine, il est justequ’elle soit à l’honneur.

JEANNE-D’ARC.

Egalité [sic] entre tous de droits et de devoirs.

_________________________Tome Second — 10me Livraison.

_________________________

PARIS,AU BUREAU DE LA TRIBUNE DES FEMMES,

RUE DES JUIFS, N. 21.ET CHEZ JOHANNEAU, LIBRAIRE, RUE DU COQ-SAINT-HONORÉ.

——————————Avril, 1834. — Deuxième année.

324 25/05/23 02:32

Page 325: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 153)UNE VOIX DE FEMME.

Londres, 10 janvier 1834.

Les femmes nouvelles auront d’ici à quelque temps de grandes choses à faire, choses toutes différentes de celles qu’ont accompli [sic] les hommes.

Ils ont appelé la Mère l’Epouse [sic].Elles révèleront [sic] cette Mère, cette Epouse [sic].Aujourd’hui une seule parole de femme se fait entendre ; mais elle ne

sera pas long-temps isolée.La Mère, l’Epouse [sic] n’est point une seule femme : ce sont toutes les

femmes.C’est le sexe féminin, Mère, Amante, Epouse [sic], Amie du sexe

masculin.Gardons-nous bien de nous laisser prendre au piége [sic] où se sont

pris les hommes, et qu’ils nous tendent à leur tour. NON ! — Ils ne trouveront pas l’idéal qu’ils cherchent, tant que leur vue étroite ne s’étendra pas et ne le verra pas dans toutes les femmes. — OUI ! — Ils souffriront ces sublimes aveugles, tant qu’ils chercheront cet idéal seulement dans les femmes brillantes, dans les climats brûlans, qui flattent leur orgueil et enflamment leurs sens.

Ces femmes, ces climats, sont la poésie du passé et le tombeau de leur apostolat.

La poésie, la femme d’avenir, est encore couverte d’un voile sombre. — Elle n’est pas encore attrayante, ELLE qui porte (p 154) en son sein tous les germes d’attraction ! — Car ELLE est encore enveloppée des sales haillons de la misère et de la prostitution. Son visage est pâle, ses yeux sont creux, ses mains sont décharnées ; elle se farde le soir et spécule sur la sensualité des maîtres du monde ; elle tient son enfant dans ses bras, et ses traits se contractent pour rassembler les élémens du sourire qu’elle répand sur lui ! d’une main elle le soutient, de l’autre elle invoque son pain quotidien.

La poésie et les brillantes théories ne peuvent la toucher ; — elle a faim ; — elle est avilie ! — Les paroles d’espoir et de consolation des femmes dévouées à ceux qui se disent ses libérateurs, sont pour elle une amère ironie et une aumône qui la déchire et l’abaisse. — Elles n’ont donc pas des entrailles de mère, ces femmes ? Elles n’ont donc pas un cœur de sœur ? puisqu’elles abandonnent leurs enfans et leurs sœurs, malheureuses, pour suivre un époux et un idéal !

Ah ! les femmes ont la vertu et la poèsie [sic] du passé. — Vertu de sacrifices ! — Poésie du clinquant ! — Une seule voix de femme le dit

325 25/05/23 02:32

Page 326: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

aujourd’hui ; mais le temps est proche où la MÈRE, avec ses mille voix, répondra à celui qui s’est dit PÈRE.

— HOMME, quels sont tes enfans ? de quel droit te dis-tu père des miens ?

— Qu’as-tu fait pour les enfans que la femme te donne depuis des siècles ?

— Tu les as sacrifiés aux seuls enfans dont tu aies le droit de te nommer père, à tes systèmes, à tes idéals !

— Ton orgueil les a déchirés par la guerre !— Ton plaisir égoïste les a avilis par la prostitution ! Et maintenant, HOMME, que toutes tes erreurs ont créé des douleurs

innombrables autour de toi et en toi, tu appelles la femme pour les guérir. — Tu comprends que la femme est l’épouse et non l’esclave de l’homme. — Tu la cherches, cette emme [sic] LIBRE ; mais ton orgueil et ton égoïsme la cherchent dans (p 155) une épouse individuelle, que tu nommes mère de tes enfans, et tu abandonnes les filles civilisées de l’Occident, parce que ta civilisation les a défigurées.

Ah ! c’est bien là l’HOMME PÈRE !Pars, HOMME ! — et avec toi le principe de la paternité ! Vas, suis ton

idéal !.. L’Orient est le tombeau de ton règne, FEMME ! Tu naîtras en Occident, et l’Orient, sera ton trône ! Mais, avant d’avoir un trône, il te faut un pain indépendant, songes-y. —

— Dégage-toi des préjugés des fausses lois des hommes ; apprends à tes fils à voir leur MÈRE dans toutes les femmes ; car toutes lui donneront la vie, le bonheur, la loi d’amour.

— Dis à l’HOMME : — Tu as trop mal employé ton autorité, — tu ne seras plus seul chef.

— Tu as été le maître et non le père des enfans que je t’ai donnés. — Je ne te nommerai plus PÈRE.

— Mes enfans n’auront d’autre PÈRE que DIEU.— Tu as partagé la terre entre quelques individus, et au lieu de vous

unir, pour répandre sur tous les dons que vous aviez entre vos mains, vous vous êtes mis à la tâche, au défi — à qui aurait un plus grand nombre d’esclaves ! — et alors tu as établi des barrières de nations pour les parquer. — Et tu as divinisé la FEMME et la fécondité, — parce qu’elle te créait des sujets ! — Tu as sorti de la prison du foyer ton esclave épouse ; — tu l’as amenée sur la place publique enchaînée avec des fleurs, parée de bijoux, entourée d’hommages, et tu lui as dit : — Sois l’amante spirituelle des guerriers ; emploie les dons que tu as reçus du ciel pour exciter l’ardeur chevaleresque. — J’en ai besoin, afin de détruire les esclaves de mes rivaux, ou faire triompher mes principes.

— Oh ! HOMME orgueilleux et égoïste ! tu as mis sur les yeux de ton épouse un épais bandeau d’ignorance, afin d’en faire l’instrument du supplice de ses enfans, et que la vue de ta bar- (p 156) -barie n’affaiblisse pas son amour pour toi et les plaisirs qu’il te procure ! — Et lorsque ton pouvoir, le pouvoir de la force, s’est affaibli, — toute ton autorité s’est portée dans l’intérieur du foyer. — Alors tu as dit à la femme : — ton univers est la famille. — Je n’ai plus besoin de ton inspiration pour les guerriers ; — la guerre est à son déclin, et d’ailleurs le perfectionnement de mes machines de destruction te remplacera.

326 25/05/23 02:32

Page 327: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

— FEMME, SOIS MODESTE ! — Emploie tous tes dons, toute ton activité à me procurer le plus de douceurs possibles dans ma vie domestique.

FEMME, SOIS ÉCONOME ! — Lorsque la politique a creusé ma tête, — lorsque la débauche ou mon travail de dix heures a fatigué mon corps, ah ! FEMME, j’ai besoin de me reposer dans tes bras, ou de puiser la vie et la fraîcheur dans les grâces naïves de tes petits enfans.

FEMME, SOIS-MOI DÉVOUÉE ! — Que le sourire soit toujours sur tes lèvres ; car tu es sympathique ! et d’ailleurs les lois que j’ai faites te défendent les fatigues de la débauche ! — FEMME du peuple, tu travailles souvent seize heures et plus par jour ; — Mais tu es courageuse ! — et d’ailleurs ton travail n’est pas rude.- Tu souffres pour moi et tes enfans. — Mais tu es patiente ! — et d’ailleurs tu n’es pas tourmentée par de grandes idées ! — Ta science se borne à savoir élever tes petits enfans. — Oh ! FEMME ! rends-les paisibles et obéissans ; car leur activité bruyante me trouble et leur mutinerie m’irrite. — Si je suis riche, donne-moi ton fils, ta tendresse ne saurait dompter son naturel ; j’ai pour lui de sévères règles dans des pensions nommées colléges [sic], et là je le rendrai homme et lui enseignerai ma science. Pour ta fille, élève-la dans les principes que je t’ai donnés ; éteins son ardeur, comprime son amour, que le froid raisonnement domine ses sentimens ; enfin j’ai eu une Epouse [sic] individuelle ! — MOI, pour satisfaire et épuiser l’ardeur de ma première jeunesse, j’ai les jolies filles du peuple ; — je les paie (p 157) pour qu’elles m’inventent des plaisirs, sans danger d’augmenter la population ! — Car vraiment je suis effrayée de tous ces esclaves affamés ! — Les hospices, les prisons, les bagnes ne sont plus suffisans, — et les canons n’en consomment plus depuis que la guerre s’est civilisée ! — Oh ! FEMME, ta fécondité est un fléau. — FEMME, sois prudente !

FEMME, FEMME ! ne rougiras-tu jamais du rôle que tu joues ? Seras-tu toujours dupe de la fausse science de l’HOMME ? — Ne le vois-tu pas maintenant forcé, par les circonstances, de t’appeler à l’égalité, revêtir toujours le manteau d’orgueil et d’égoïsme, et le chercher dans une épouse individuelle.

Oh ! HOMME ! la voix de l’Epouse [sic] individuelle sera faible ; — ses baisers seront froids ! — sa gloire sera ta gloire, — et, enchaînés tous deux l’un à l’autre, vous serez inutiles à la société, — ou despotes sous une nouvelle forme.

Femmes ! rendons grâces à Dieu, seul PÈRE de l’Epoux [sic] et de l’Epouse [sic] COLLECTIVE. Rendons-lui grâces de ce qu’il s’est servi de la cause de notre esclavage, l’orgueil des hommes, pour nous appeler à ta liberté.

Notre liberté a été formulée, par plusieurs hommes, et dans plusieurs ouvrages nous trouverons la science d’avenir que nous devrons mettre en pratique, DIEU renouvelant pour la seconde fois le mystère de la création, a formé l’épouse d’une côte de l’époux ; et à son réveil il sera encore ébloui de sa beauté ! DIEU donnera à ce couple collectif la science du bien et du mal, que notre MÈRE Eve [sic] avait dérobé avant le temps, et le règne du mal sera détruit ; car la FEMME aura écrasé la tête du serpent. L’orgueil individuel.

327 25/05/23 02:32

Page 328: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Une MÈRE nouvelle,

UNITA.

328 25/05/23 02:32

Page 329: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 158)BEAUX-ARTS.

SALON DE 1834.

L’artiste doit émouvoir. Cette puissance, il ne la possède véritablement que lorsqu’il est nourri par une pensée générale, une pensée religieuse, douce nourrice qui lui verse généreusement dans l’âme cet enthousiasme qui fait du poète un prophète avec lequel Orphée donnait du sentiment à la pierre, avec laquelle les peintres du Vatican arrachaient les convictions à ceux qui regardaient leurs tableaux. L’histoire des beaux arts [sic] peut se diviser en époques de pensée et époques de forme. Sous l’influence d’une pensée religieuse, la forme est comme les sentimens d’une âme ardente, naïve et sublime, désordonnée et naturelle, simple et biblique ; voyez le langage patriarcal d’Homère, et la franche allure des poésie du moyen-âge. Mais lorsque cette source de miel est tarie, que l’incrédulité vient s’asseoir sur l’autel, et glacer sur les lèvres du prêtre ses paroles brûlantes, alors à la préoccupation de la pensée succède la préoccupation de la forme qui devient sévère, régulière, classique. Lorsque Aristophane fait descendre les dieux de l’Olympe sur le théâtre, qu’il les couvre d’oripeaux et les jette aux risées de la populace, alors viennent les rhéteurs. Lorsque le seixième siècle, ce siècle de disputes entre les moines, les rois, le pape et l’avenir trouble le silence mystique du cloitre [sic] et de l’église, lorsque la divine colombe, s’effarouchant dans son nid d’ogives, prend son vol et remonte au ciel dans les bras de son père, alors les arts sortent du temple, froids comme un corps que la vie a déserté ; on proclame la renaissance, c’est-à-dire le triomphe de la forme sur la pensée. Ainsi les arts vivent de la même vie que l’humanité ; ils rayonnent d’enthousiasme quand elle est religieuse, ils manquent d’inspiration quand elle est incrédule.

De même que l’humanité se fatigue de marcher sur un sentier aride que ne fleurit aucun sentiment de bonheur, de (p 159) n’avoir aucune pensée sur laquelle elle puisse reposer son âme brisée, de même les arts, lorsque l’époque classique a fait ses évolutions, qu’elle a eu son siècle d’Auguste ou son siècle de Louis XIV, qu’elle a dit son dernier mot dans un Virgile ou un Racine, que le mérite ne consiste plus que dans des imitations et des pastiches, alors les arts s’efforcent de revenir à une forme d’originalité et de vie, on brise les règles de la rhétorique, on fait de la liberté, de l’art, du romantisme. Bientôt viennent des hommes intermédiaires, des éclectiques dans les arts comme dans la politique, comme dans la philosophie ; et des hommes marchant à une forme d’avenir. Cette époque est la nôtre ; en littérature, M. Casimir Delavigne est en face de M. Victor Hugo ; en peinture M. P. Delaroche est en face de M. Ingres. Espérons qu’en sculpture, la question ne tardera pas à se dessiner mieux.

329 25/05/23 02:32

Page 330: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Une pensée nouvelle n’anime pas encore ces novateurs ; ce n’est qu’un travail de forme, mais c’est une préparation nécessaire pour comprendre la parole de Dieu qui va parler par la bouche de son élu.

Ces premières idées vont nous servir à comprendre l’exposition et le mouvement des esprits. Pourquoi la foule, artistes et amateurs, tourbillonnent-ils autour de deux tableaux, celui de M. Delaroche et celui de M. Ingres ? c’est que tout le problème actuel de l’art se trouve renfermé dans le talent mixte de M. P. Delaroche, et le génie original de M. Ingres.

Le sujet du tableau de M. P. Delaroche est Jeanne Gray au moment où le bourreau va lui trancher la tête par ordre de la reine Marie. Pauvre jeune fille ! Tu vas mourir pour avoir fait un rêve, tu as voulu te parer des ornemens royaux, tu as voulu voir tes beaux yeux rayonner sous une couronne de diamans, mais Marie t’a faite [sic] descendre du trône au fond de la tour de Londres, au lieu d’une couronne brillante, elle t’a donné un bandeau qui te ferme les yeux, au lieu de coussins dorés pour reposer ta tête, elle te donne un billot. Oh ! tu as bien souffert, tu as long-temps versé des larmes sur un passé fleuri, maintenant on voit qu’il te tarde d’être dépouillée d’une vie qui te pèse ! Ta pensée heurte l’avenir…. Tu fais bien Jeanne, car l’immortalité est au bout de la hache du bourreau ! En face de Jeanne est le bourreau, c’est une noble tête ; sous les plis de son front il cache de la douleur. Il semble se dire à lui même : pourquoi a-t-elle quitté son berceau parfumé de fleurs et de caresses ? Pourquoi dix-sept ans sont-ils venus l’un après l’autre lui apporter tant de grâces ? Pourquoi l’ont-ils pa- (p 160) -rée de tant de beauté ? pour qu’elle vint épouser ma hache ! A côté de Jeanne est le gardien de la tour, dont la tête manque d’expression, derrière, les deux suivantes de la princesse s’évanouissent. La couleur de ce tableau est d’une vérité frappante, le dessin est régulier, les poses naturelles, mais on voit avec peine que l’artiste était trop préoccupé des détails, le tapis est soigneusement tendu, les plis de la robe de Jeanne tombent régulièrement, rien ne manque pas un clou. M. Delaroche prend une position donnée, s’en pénètre bien et l’exprime avec exactitude, mais il manque d’originalité. Ce n’est qu’un homme de grand talent.

Que ceux qui ne conçoivent pas encore l’unité dans la variété, s’approchent du tableau de M. Ingres. Saint-Symphorien a souffert dans les cachots la soif, la faim et toutes les tortures. Sa chair a bien pu saigner, elle a pu s’ébranler et tomber en lambeaux sous les coups du licteur, mais son âme est restée inébranlable ! Il marche au supplice comme un romain vainqueur marcherait au triomphe ; il triomphe lui aussi, car tous les tourmens sont venus se briser contre sa foi. Au milieu de son enthousiasme de martyr, un sentiment douloureux lui tombe dans le cœur… Sa mère ! Il l’abandonne sur la terre ! Il lui jette un dernier regard, mais un regard où l’on voit son cœur suivre la lumière de ses yeux. Elle ! Oh qu’elle est grande ! Elle voit celui qu’elle a porté dans ses entrailles, celui pour lequel elle s’est fondue en soins et en caresses, marcher à la mort. Eh ! bien ! Cette mère ne faiblit pas, car Dieu s’est révélé à elle, car elle a senti que la tombe n’est pas une fosse de boue, mais un bain où l’âme se dégage de ce qu’elle a d’impur pour planer plus radieuse et plus belle dans les champs d’une nouvelle existence ! La mère

330 25/05/23 02:32

Page 331: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

et le fils semblent deux âmes prêtes à prendre ensemble leur vol pour l’éternité. Oh ! Merci M. Ingres, d’avoir fait cette tête de mère, c’est une belle réponse donnée à ceux qui pensent encore que la femme n’a reçu un cœur que pour des sentimens de faiblesse. Si Dieu les a douées de plus de sensibilité que les hommes, il ne leur a pas donné moins de dévoûment [sic] et de grandeur. Derrière Saint-Symphorien est le proconsul, dont la figure, impassible et froide comme le texte de la loi, contraste singulièrement avec l’exaltation du martyr. Autour de l’action principale, M. Ingres en a groupé d’autres qui la développent et la complètent. Nous regrettons qu’au milieu de cette foule qui se presse, l’artiste n’ait pas semé quelques têtes qui pressentent le christianisme ; avec cette expression qu’il sait donner aux (p 161) figures religieuses, elles auraient produit un bel effet. Des défauts de couleur, de l’exagération dans le dessin, une oreille de femme mal placée, des jambes et des bras dénaturés sont de trop petites taches pour qu’on puisse s’y arrêter, ayant tant de belles choses à admirer. M. Ingres est un homme de génie.

D’après les distinctions que nous avons faites d’artistes éclectiques et d’artistes originaux, nous placerons après M. P. Delaroche, M. Delacroix et M. Vernet ; après M. Ingres, MM. Granet, Decamps et Scheffer aîné.

M. Delacroix a donné plusieurs tableaux ; les deux plus remarquables sont : la bataille de Nancy, où fut tué le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, et les femmes d’Alger dans leur appartement.

L’ensemble de la bataille de Nancy ne produit pas un bel effet, quelques détails méritent d’attirer l’attention, le désordre est trop régulier, il y a trop de clarté dans les rangs. Sur le premier plan du tableau, l’on voit un combat singulier ; Charles, dont le cheval s’est embourbé dans un étang, et fait de pénibles efforts pour en sortir, est attaqué dans ce moment par un chevalier lorrain qui le blesse d’un coup de lance ; le duc, désarçonné, est vigoureusement peint, la fureur semble découler de ses cheveux hérissés et de ses grands yeux rouges de sang.

Les femmes d’Alger sont nonchalamment assises sur des tapis, au milieu de nuages de parfums. L’artiste a bien exprimé leur ennui du désœuvrement et des voluptés ; les pauvres filles sont insouciantes, elles ne savent ni agir, ni penser ; elles s’abandonnent à un far niente qui les fatigue.

M. H. Vernet a peint l’entrée du duc d’Orléans au Palais-Royal ; au milieu du tableau, trois héros de juillet lisent une proclamation, leurs physionomies sont pleines de caractère. Si l’on ne connaisait les bonnes opinions de M. Vernet, on pourrait croire qu’il a voulu carricaturer [sic] son principal héros.

Un second tableau du même auteur représente une scène d’Arabes dans leur camp, écoutant une histoire. Les figures des personnages expriment bien cette avidité effrénée des Arabes pour les histoires ; toute leur existence semble suspendue aux lèvres de celui qui raconte. Une jeune fille qui avait fait un pas pour s’éloigner, s’arrête enchaînée par la curiosité. Ce tableau est plein de talent.

M. Granet a fait un beau tableau de la mort du Poussin, de cet homme de Dieu, plein de modestie et de conscience, qui rougissait quand on le comparait aux grands artistes qu’il ad- (p 162) -mirait, qui refusait

331 25/05/23 02:32

Page 332: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

toujours une portion de la somme qu’on voulait lui donner d’une de ses œuvres. Dans tout ce tableau respire un poésie naïve ; couleur et personnages, tout y est d’un naturel et d’une facilité remarquables. M. Demidoff en a donné 12,000 francs sans marchander.

M. Decamps a peint la bataille que Marius gagna sur les Cimbres en Provence. On voit un déploiement de forces prodigieux, des milliers d’hommes vous apparaissent comme des nuages de moucherons dans certains jours d'été. Cependant quelques actions distinctes facilitent la compréhension du tableau. — Un corps de garde sur la route de Smyrne à Magnésie est remarquable par le ton naturel qui y règne, et la couleur si originale de M. Decamps.

C’est une ballade de Schiller qui a fourni à M. Scheffer le sujet de son tableau, l’Herhovol, comte de Wirtemberg, dit le Larmoyeur.

« Et tandis que nous, dans le camp, célébrons notre victoire, que fait notre vieux comte ? Seul dans sa tente, devant le corps mort de son fils, il pleure. »

BALLADE.

Le cadavre du fils est peint avec une vérité qui fait impression ; la tête du vieillard est belle de douleur.

Il y a une multitude d’autres tableaux qui méritent d’attirer au Musée la foule des amateurs. En nommant MM. Schnetz, Guérin, Heim, Fleury, etc., etc., on n’a pas de peine à persuader.

La peinture de genre est en générale bien faite.MM. Isabery et Gusin ont donné d’excellentes marines.MM. E. Bertin, Watelet, Regnier, soutiennent leur réputation dans le

paysage. Le nombre des portraits est prodigieux. On remarque celui d’un apôtre

Saint-Simonien qui lance vers le ciel un regard d’inspiré.En sortant du Musée, il vous vient une pensée triste. Des batailles, des

naufrages, des échafauds, des paysages, des portraits, des milliers de tableaux, et si peu de pensées d’avenir ! Des efforts inouïs de dessin et de couleur, une dépense prodigieuse de talent pour ne peindre que des scènes usées et stériles.

Les peintres représentent la femme de toutes les façons, ils en font une fleur dont ils parent tous les bouquetiers dans les boudoirs ; ils l’enivrent de parfums, et de galans propos ; dans les fêtes vous la prendriez pour une prêtresse avec les riches (p 163) vêtemens dont ils la parent ; dans les intérieurs de maison ils la couchent voluptueusement sur un divan, le front couronné de rêves ; ici comme une plante caressée du soleil ; ils la font s’épanouir sous l’haleine de son amant, là, sans [sic] ménager sa pudeur, ils dévastent son beau corps pour la traîner au bourreau. Hélas ! Messieurs, grâce de parfums et de parures, d’étreintes passionnées et d’échafauds ; mais donnez à la femme une place digne d’elle ! On a reproduit Ève cueillant le fruit défendu ; que l’auteur s’approche du tableau d’un de nos amis, Jules Laure, que nous remercions de s’être fait l’artiste des pensées d’une grande femme. Il verra Lélia agenouillée près du cadavre de Sténio ; tout un monde de douleurs pèse sur ce front de

332 25/05/23 02:32

Page 333: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

jeune femme ; de cruelles déceptions ont appâli [sic ? ] cette belle tête ! Peut-être pensera-t-il que depuis assez long-temps les filles d’Ève se déchirent les entrailles et le cœur pour les fils d’Adam ; que depuis assez long-temps elles arrosent de pleurs les chemin de la terre, pour qu’enfin un nouvel Eden découvre pour elles son horizon de bonheur ! Artistes ! si vous aimez la femme, si quelquefois sa beauté a versé dans vos âmes une poésie douce, si elle a donné à votre pinceau assez de délicatesse et d’inspiration pour fixer sur la toile vos rêves et vos joies, montrez-la grandissant en liberté ! D’abord écrasée sous des boucliers, marchant comme le prolétaire étouffée sous le poids de ses chaînes, son corps, ses pensées, ses désirs, toute son existence, brisés dans la main de son tyran ; puis, commençant à regarder son maître en face, et transformant progressivement son esclavage en une tutelle qu’elle veut rompre aussi ! Car Dieu, bonne, a soufflé dans son âme l’amour de la liberté ; elle veut être libre, la femme ! mais libre pour adoucir les maux de l’humanité, comme la sainte colombe qui descendit du ciel ; libre ! pour arracher la guerre du cœur de l’homme et le conduire dans les voies de Dieu, dans des voies de paix et de bonheur ; libre ! pour épouser comme le savant l’univers, avec son intelligence, et l’attirer dans un même réseau d’amour ; libre ! pour servir de lien entre les peuples comme entre les individus. Elle veut un piédestal dans le temple, pour jeter au monde les paroles religieuses qui grandissent les cœurs et montrent à la pensée le sentier de l’avenir !

Le prolétaire n’est entré dans les tableaux du salon, que les armes à la main, souillé de sang et de boue, jetant la rage de sa bouche et la cruauté de ses yeux. Artistes ! si vous avez frappé dans la main du fils du peuple, si vous avez senti tout ce qu’il y a de force et de grandeur sous sa grossièreté et son (p 164) ignorance ! montrez à nu ses plaies saignantes pour que ceux qui possèdent dans leurs mains les moyens d’adoucir ces souffrances s’attendrissent ! Si vous aimez le drame, peignez ces scènes affreuses qui se jouent tous les jours sous vos yeux, peignez un malheureux père malade sur un grabat dévoré par l’agonie et la misère, ses nombreux enfans qui lui demandent du pain avec des cris et des pleurs, sa fille dont le travail ne peut suffire aux besoins de son père et de ses frères…… puis…. plus loin…. le riche lui montrant l’or nécessaire pour soulager son père et sauver ses jours… mais à une condition infâme !! Faites ainsi pleurer, gémir, crier, désespérer votre toile qu’on y voie tout ce monde d’angoisses, de tortures, de déchiremens que la civilisation voile d’un sourire menteur ? qu’on y entende les cris terribles de la faim, et les sanglots de la prostitution ! Que vos tableaux soient un miroir qui réfléchisse toutes les douleurs du pauvre, et les concentre en un foyer qui fonde le fer, qui emboite [sic] le cœur du riche et l’enserre si étroitement que tout battement soit étouffé. A Anvers on voile un christ [sic] de Rubens, parce que sa vue produit une secousse électrique qui fait mal, qu’ainsi devant vos œuvres, les privilégiés s’effraient d’être heureux, quand des milliers d’autres agonisent de misère !

Si vous êtes enthousiastes, faites place, élargissez vos toiles pour que l’humanité puisse y jouer son drame gigantesque ; marcher dans les airs, dans les eaux, dans les entrailles de la terre ; faire sur les mers des

333 25/05/23 02:32

Page 334: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

glissades de mille lieues ; charger sur ses épaules les montagnes et les forêts pour en faire des pyramides ou des temples ; prendre le monde dans ses mains, le briser, le piller, le concasser, le transformer ; toujours pour obéir à la loi du progrès, cette voie puissante de Dieu qui l’appelle éternellement et lui fait traverser de nouveaux mondes d’idées, de besoins, d’inventions et la fait marcher ! marcher où ? …. vers le temple des vraies joies que nous n’apercevons encore que dans un horizon idéal, mais dont un jour nous verrons les colonnes se dresser et les éternelles tours traverser les airs.

Artistes ! vous pouvez vous créer une grande mission !

MARIE CAMILLE DE G.

334 25/05/23 02:32

Page 335: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 165)DES EVÉNEMENS [sic] DE LYON

ET DE LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉFORME INDUSTRIELLE. (Suite.)

J’ai dit les pensées qui m’ont agitée en lisant les événemens de Lyon ; mais ce n’est point assez, car je suis restée sur ce terrain si vague où nous a placé [sic] le mysticisme politique qui nous régit, et ces faits tendent à nous en faire sortir ; d’ailleurs j’ai touché à la question des coalitions, et j’ai dit que pour moi je ne pensais pas qu’elles pussent, par elles-mêmes, avancer la solution du grand problême [sic] qui nous occupe. Je dois donc expliquer ma pensée, dire ce que je désire, ce que je pressens pour l’avenir des travailleurs et des femmes. Car c’est lorsque les problêmes [sic] de l’organisation du travail et de la répartition des bénéfices seront résolus, que vraiment la liberté du peuple et de la femme sera conquise.

Un fait réssort [sic] résultant de ces événemens, c’est la maladie qui mine notre corps social, maladie qui tend à le mener au tombeau, si on ne se hâte d’y porter remède ; mais quels remèdes ? sera-ce des paroles, des théories, une réforme politique. Il nous faut plus que ça : il est une réforme plus pressante, une réforme qui seule mène à toutes, c’est la réforme industrielle. Oui, l’organisation du travail est fausse, car elle repose sur le morcellement, elle sépare les intérêts les uns des autres ; chacun étant obligé, pour son bonheur, de désirer le malheur (p 166) de son voisin ; elle divise le maître et l’ouvrier, en leur créant des intérêts différens ; elle n’a donc de puissance que pour jeter la haine dans la société ; elle ne peut nous conduire qu’au désordre, à l’anarchie ; ils existent et nous en sentons les terribles effets. Il n’est donc que temps de remédier à tous ces maux que seule elle a engendrés. Et comment le faire ? En substituant l’association au morcellement ? en unissant les intérêts des maîtres et des ouvriers ? en les unissant et non en les confondant ? en faisant que chacun ait son intérêt particulier, mais en même temps se sente lié à l’intérêt général ? que chacun soit rétribué en rapport de son travail, talent et capital ? enfin en rendant le travail attrayant ? en variant les travaux ? et par suite en augmentant le produit général ? Voilà ce qui constituera les bases d’une réforme industrielle, qui seule peut nous conduire à une réforme sociale. Ces idées auraient besoin de larges développemens ; les bornes d’un article sont trop restreintes ; mais elles ont été développées d’une manière si large par M. Fourrier [Fourier], au système de qui elles appartiennent toutes, que je

335 25/05/23 02:32

Page 336: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

puis me dispenser de le faire aujourd’hui ; mais j’y reviendrai, car tout notre avenir industriel est là, nous devons le reconnaître.

On a beaucoup parlé des améliorations apportées au sort du peuple : les uns ont vu tout son bonheur dans une réforme politique, qui selon eux nous conduira à une réforme sociale. Leurs intentions, je n’en doute pas, sont bonnes ; mais le peuple souffre ; il faut des remèdes plus actifs. Hier, à Lyon, il se soulevait ; il y a quelques mois, c’était dans nos murs ; demain peut-être ces mêmes faits se reproduiront. Il faut donc plus qu’un avenir éloigné ; il faut une théorie que de suite on puisse réaliser. M. Fourrier [Fourier] l’a ; c’est donc la sienne que nous devons prêcher, et dont nous devons hâter la réalisation. Il est beau de dire : la moralité du peuple est grande ; par elle, par l’instruction qu’on lui donnera, par la force des choses, il doit être un jour heureux. Mais il faut aussi dire comment il le sera, (p 167) le moyen de réaliser cet avenir ; il ne s’agit pas de dire c’est l’association, il faut dire comment on la sent, comment on veut la réaliser.

En présence d’une association conçue sur des bases aussi larges que celles tracées plus haut, la question des coalitions n’est plus qu’une question du présent, qui n’a d’autre valeur que celle de réunir les ouvriers, de leur faire sentir qu’ils seraient plus heureux s’ils étaient associés, de manifester la puissance qui est en eux , et en même temps d’attirer l’attention par les douleurs sans nombre qui accablent les travailleurs, mais n’avancent pas autrement l’avenir qui doit sauver la société.

J’ai dit que la question des femmes était liée essentiellement à celle des travailleuses et je vais essayer de le prouver. On a beaucoup parlé au peuple de sa liberté politique, aux femmes de leur liberté morale et intellectuelle, cela est beau, c’était une justice qu’on nous rendait, mais on ne nous a pas donné les moyens de l’acquérir. A [sic] nous de les chercher. Je reconnais la vérité de ces paroles, mais pour cela nous devons aider les découvertes des travaux faits par les hommes. Un système d’association a été trouvé, conçu, qui, conciliant tous les intérêts matériels du peuple et de la femme, leur donne par ce même fait leurs droits politiques et moraux ; c’est donc un devoir de conscience de le reconnaître et de le proclamer. Qu’après, nous cherchions ce qui couvient [sic] mieux à notre nation dans tous les sentimens intimes qui remplissent la vie, et que là notre voix se fasse entendre forte et puissante, mais pour pouvoir pratiquer ces nouvelles théories, pour pouvoir laisser notre cœur se livrer à tous ses sentimens, il nous faut la liberté matérielle, de même qu’il la faut au peuple, et cette réforme ne peut se faire pour lui qu’autant qu’elle aura lieu pour nous, c’est pourquoi j’ai pu dire avec vérité que son avenir était le nôtre et que votre bonheur dépendait du sien.

Voilà un des points de vue sous lequel la liberté du peuple et (p 168) des femmes doit être envisagée. Tous les intérêts sont liés dans la société, car tous sont intéressés à son bonheur général , puis de lui doit dépendre le bonheur individuel. Nous avons donc à faire comprendre à chacun que le bonheur général tient à ce que tous individuellement soient

336 25/05/23 02:32

Page 337: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

heureux, et que la réforme sociale que nous appelons de tous nos vœux, loin de nuire à personne viendra au contraire consolider tous les intérêts.

Oh, oui, espérons, l’avenir sera grand et beau, nous en avons la foi, le temps de la douleur et de l’abnégation va bientôt finir ; le règne du bonheur et du plaisir va lui succéder. Mais pour cela il faut travailler à hâter cet avenir, et tout en gémissant sur les douleurs que les événemens de Lyon ont dû causer, je m’en rejouis [sic] comme de la protestation la plus éclatante qui ait encore été faite contre votre fausse organisation ; le peuple en se levant dans le seul but de demander une amélioration à son sort, mais se relevant avec calme et dignité, a fait penser qu’il était temps d’apporter un changement à son sort. Espérons qu’un jour ayant compris toutes ces idées d’avenir, il viendra lui-même en demander l’explication. Voilà mes vœux , mon espoir qui, je n’en doute pas, seront bientôt une réalité.

MARIE REINE.

SUZANNE, Directrice.

——————————————————Imprimerie de PETIT, rue du Caire, n. 4.

337 25/05/23 02:32

Page 338: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

(p 169)UN DIVORCE.

Rêvant une perfection qui n’est pas sur la terre, nous croyons que Dieu nous fera connaître un jour l’homme qui méritera tout notre amour ; qui, lui-même, nous aimera éternellement. — Ce rêve est celui que les pauvres mortels font du moment où leurs yeux s’animent, où leur cœur palpite au charme inexplicable d’une douce rêverie d’amour ; on veut n’aimer qu’une fois, on s’isole de la nature entière pour revêtir l’objet aimé de la forme que notre imagination a créée ; puis un jour vient où l’illusion cesse… Ce moment est épouvantable pour qui ne sait pas trouver dans une grande pensée un noble sujet de compensation.

Gardons-nous donc bien des erreurs de notre imagination, de notre cœur ou de nos sens, si nous ne sentons pas en nous-même la force de nous élever au-dessus du préjugé absurde qui veut qu’une première passion ou un premier lien fasse la destinée de la femme, ou plutôt, comme cette prévoyance toute divine n’appartient qu’à DIEU, craignons de partager l’effroi menteur du monde pour le divorce.

Tant que le mariage existera, la loi du divorce en sera le complément nécessaire, — mais non pas telle qu’elle vient d’être votée à la chambre législative ; résumé du 18me siècle, elle ne (p 170) peut encore avoir qu’une valeur négative, — la philosophie voltairienne s’étant donnée pour mission de détruire la hiérarchie catholique, et avec elle l’absolutisme du dogme chrétien, l’obstacle le plus grand à la liberté et au développement individuel, l’esprit des lois qui découleront de ce principe tout critique, tout désorganisateur, ne sera et ne peut être, pour le monde entaché de septicisme, qu’un levier révolutionnaire. — Voyez du reste la justification de cette pensée dans cette loi du divorce qui bientôt va être remise en vigueur. Quel est son esprit ? est-elle morale ? tient-elle compte des antipathies — des répugnances, — de la fatigue de vivre toujours de la même vie ? Rend-elle les individus au bonheur — leur indique-t-elle une autre voie lorsqu’ils se sont trompés de route pour y arriver ? pas le moins du monde. — Quand donc intervient-elle ? Quand le mensonge, la fraude, la discorde, tous ces fléaux de l’intimité se sont introduits dans le ménage, et en ont banni l’harmonie. — C’est alors que le divorce, sec, froid, insensible comme l’est un texte écrit, invariable pour toutes les positions ; vient, non pas désassocier deux individus qui ne se comprennent plus, mais briser violemment deux existences, et les rejeter au loin l’une de l’autre.

Et moi aussi dans l’époque transitoire, je comprends et veux le divorce, je le demande et le réclame comme une justice et comme le corollaire

338 25/05/23 02:32

Page 339: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

essentiel pour arriver à notre liberté morale — mais non plus je ne veux pas qu’il soit comme par le passé, escorté d’injustice, de haine, de violence et de fraude. — Déjà dans un numéro de la Tribune des Femmes,(1) je m’exprimais ainsi en touchant légèrement à cette importante question : « Qui ne comprend maintenant, pour peu que l’on soit avancé dans la science de la vie, qu’il est absurde de contracter mariage sans ce correctif ? Qui peut assurer que (p 171) quelques années n’opéreront pas une transformation complète dans nos goûts, dans nos désirs, dans nos pensées ? Il est inouï que, dans ce siècle de garantie, l’on ne cherche pas à assurer ce qu’il y a de plus noble en nous, l’indépendance de notre volonté. Pourquoi nous garotter [sic] ainsi nous-mêmes par des chaînes éternelles, nous créatures finies ? Il y a que DIEU qui ait droit et puissance de se poser des lois éternelles. » — J’annonçais que j’allais faire suivre ces paroles d’un article qui devait compléter toute ma pensée sur cet important sujet. — J’avais alors l’intention, que je vais réaliser aujourd’hui, de faire de la morale vivante, c’est-à-dire de raconter un fait, un acte accompli sous l’inspiration d’un sentiment très-élevé, très-social, d’après le désir bien vif d’affranchir par mon exemple les femmes de la nécessité du mensonge, de l’adultère moral, de la prostitution légale dans le mariage. — C’était comme introduction à la déclaration publique de mon divorce, et pour mieux faire saisir dans quel esprit ce grand acte avait été résolu et accompli, que je plaçais ces mots dans l’article déjà cité : « Vienne la religion de l’avenir, belle et vaste comme l’amour infini, recevant dans son sein toutes les individualités, toutes les natures. Oh ! alors, les lois qui auront cette base pour appui, ne seront plus répressives, mais préviendront le mal, adouciront les séparations, calmeront les douleurs, empêcheront les haines de naître ou de se propager, etc., etc. » — Si à l’époque de ma séparation avec Voilquin (il y a environ 15 mois), je n’accomplis pas cette résolution, ce ne fut point par aucun retour de pitié sur moi-même ; non certes, je ne reculais pas devant les conséquences de ma volonté, j’étais disposée à tout braver, car en moi, dans ma conscience, était l’affirmation que ce que j’avais fait été grand ! Mais je dus m’arrêter devant la certitude de n’être pas alors comprise par les femmes. — Mon but était d’être utile à mon sexe, par mon exemple, de l’ins- (p 172) -truire et non de le démoraliser. — J’attendis…. Quelques femmes seules me comprirent et m’aimèrent pour mon courage, pour mon dévoûment [sic] à la cause que j’ai embrassée. — Merci chères compagnes, le bien que vous m’avez fait est une dette sacrée pour mon cœur ; je m’en acquitterai en le rendant à d’autres.

Aujourd’hui le monde est revenu à moi, les femmes sont prêtes à me comprendre. — Je puis apprendre à tous la route nouvelle que la première j’ai osé parcourir. — Me plaçant au-dessus des étroites et mesquines coutumes que les hommes seuls ont transformées en loi, élevant ma pensée à une conception universelle — la liberté de la femme ! — j’ai rejeté comme anti-humaine une loi qui m’opprimait. — Un nom d’homme semblait à mon esprit indépendant un joug trop lourd à porter, je l’ai déposé… Mais ici je m’arrête, je dois me hâter, par des

(1) Premier volume, page 215.

339 25/05/23 02:32

Page 340: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

explications plus détaillées, de faire connaître et apprécier l’homme auquel je fus unie pendant huit ans. — Son caractère bon, loyal, son enthousiasme si vrai pour tout ce qui est grand et généreux ; sa conduite vis-à-vis de moi pendant ces huit longues années, — tout me fait un devoir de ne point laisser obscurcir, par un doute injurieux, son nom, son caractère, et son honneur.

Ce fut le 26 avril 1825 que j’épousai Voilquin. Cette union fut contractée librement, mais sans amour de mon côté. — Hélas ! sait-on le pourquoi de l’amour ou de l’indifférence ? — Non. C’est un des impénétrables mystères de la vie.

— En vérité, malgré mon horreur pour le mensonge, pour tout ce qui est manque de foi, je ne crois pas être en droit d’attribuer la conduite toute chrétienne que j’ai tenue pendant les huit années que dura notre union, à ce que le monde appelle vertu. — Mon mérite était tout négatif, il se trouvait dans mon indifférence, ou plutôt dans mon mépris pour tous les hommes. — Au matin de ma vie, un d’entr’eux [sic] m’avait trompée si bas- (p 173) -sement…. Se jouant de ce qu’il y a de plus sacré dans l’âme d’une jeune fille tendre, exaltée…. pour se faire croire, jurant par ma mère et mon DIEU ! mes deux croyances chéries…. Dès cet instant, les rêves si brillans de mon imagination, les joyeuses illusions que j’attendais et réclamais de la vie, la confiance si expansive que je me sentais dans l’âme pour tous ceux qui m’approchaient, tout fut anéanti. — Alors je vécu [sic – un « s » manuscrit semble être rajouté] d’une vie d’angoisse, de doute et de défiance. — Dès lors aussi je n’attendis plus rien de la vie.. et cependant je ne me détruisis pas — je croyais à l’immortalité de l’âme !!

Deux ans après cette époque, trop passionnée pour ne point souffrir cruellement du vide de mon âme, je résolus d’être mère. — Ces petits anges, pensais-je, s’échappent du sein de DIEU, depuis si peu de temps… ils sont si purs ! qu’il ne faut sans doute que les entourer de beaucoup d’amour pour les préserver du souffle contagieux des hommes et des vices de la société ; — mais il leur fallait avec mon amour, un nom, une existence. Ce fut cette pensée qui me détermina à sacrifier mon indépendance, à me marier. — Voilquin m’aimait, il avait une franchise de caractère très-estimable à mes yeux. — Je l’épousais, me promettant de le rendre heureux, de payer son dévoûment par des soins constans et assidus. — Voilquin a rendu hautement témoignage que j’avais tenu cette parole, — moi seule j’ai vécu d’abnégation et de sacrifice pendant ces huit années — et sans voir hélas mon espoir se réaliser…

Aujourd’hui je ne veux que raconter un acte qui se rattache d’une manière toute spéciale à l’œuvre d’affranchissement qui fait désormais partie intégrante de ma vie. — Trop de détails antérieurs à cette époque deviendraient donc inutiles, je n’aurais pas même, quant à présent, touché à mon passé, s’il n’eut point été nécessaire pour faire mieux comprendre ma pensée sur le divorce, de mettre en regard des idées nouvelles (p 174) qui ont réveillé mon âme de sa longue léthargie, les dispositions morales où tous deux nous nous trouvions alors.

En 1831 nous connûmes le Saint-Simonisme ; les principes politiques de cette doctrine vinrent ranimer notre espoir et nos illusions sur l’avenir

340 25/05/23 02:32

Page 341: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

du peuple, que les suites de la révolution de Juillet nous avaient sitôt fait perdre. — Plus tard, persuadés que là était l’avenir, nous résolûmes de nous consacrer entièrement à la propagation de cette nouvelle science sociale. — Aussitôt que la spécialité de Voilquin put trouver place dans l’intérieur de cette famille, il quitta sa clientelle [sic] d’architecte, et nous vînmes corps et âme faire partie de ce nouveau monde.

Peu après fut donné par le PÈRE à la famille St-Simonienne et au monde, les théories sur la liberté de la femme. — Voilquin homme de foi et d’enthousiasme, fût [sic] un des premiers qui en sentit la haute moralité et qui les adopta complètement. — Il ne croyait pas alors être un des premiers appelé à justifier sa foi par la pratique.

Entre la théorie d’un principe et sa traduction pratique, il y a même pour les hommes les plus forts un abîme à combler. — Il s’agissait donc, pour la tranquillité de ma conscience et de mon cœur autant que dans l’intérêt de la religion que j’avais embrassée, d’empêcher que Voilquin n’y tomba, ne se démoralisa. — Aussi dès l’instant où je pris la résolution de n’être plus pour lui qu’une sœur, puisque des rapports plus intimes demandaient de ma part une dissimulation constante ; je dus m’appliquer par une préparation longue et soutenue, à lui éviter plus tard au moment de cette déclaration un choc trop douloureux. — J’avais promis devant l’autel des chrétiens de rendre heureux celui que je nomme encore avec plaisir mon bon Eugène, il fallait donc pour accomplir ce vœu ne point faire les choses à demi. — Voilquin n’a que 34 ans, il aime passionément [sic] les femmes, il n’aurait donc point supporté l’abandon de (p 175) celle qu’il s’était plu à nommer souvent la compagne chérie de ses vieux jours, si préalablement son imagination ne lui eût présenté un autre type, si son cœur ne se fut épris d’une autre femme.

Dans l’hiver de 1832, je tenais chez moi des petites réunions. Une jeune personne, nommée Julie Parsy, y vint. — Elle aima Voilquin la première, avec toute l’ardeur d’une nature profondément sensible, je m’en aperçus, je ne provoquai pas ce sentiment, mais je le laissais naître, persuadée, si je le voyais partagé, d’avoir en moi la force de le sanctifier, en cédant à Julie, auprès de celui qu’elle aimait, ma fonction d’ange gardien (comme plus tard je le lui écrivis), ainsi que tous les droits dont la société m’avait investi.

Ce que j’avais prévu arriva : Voilquin se sentit touché malgré lui d’un amour si vrai, amour qu’il n’avait pu parvenir à exciter en moi… C’est à ce moment que je crus devoir faire cesser la situation difficile et même pénible qui nous comprimait tous trois. — A [sic] la fin de janvier 1833, je déclarais à Voilquin que même le mariage me semblait une prostitution, si l’amour n’unissait pas les deux associés, que n’éprouvant pour lui qu’une tendre amitié, je voulais restreindre nos relations intimes, et les borner à l’état de fraternité absolu. — Il me comprit et céda à ce désir. — Cependant je dois l’avouer, ce moment eût [sic] quelque chose de douloureux et de solennel tout à la fois pour tous deux.

Lorsque sans restriction aucune, nous nous eûmes rendu mutuellement notre parole, nous convînmes de faire part de ce divorce à l’homme que nous aimons si tendrement, à celui que nous nommons le PÈRE, nous lui écrivîmes tous deux à sa prison, et nous lui déclarâmes l’acte que nous

341 25/05/23 02:32

Page 342: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

venions d’accomplir d’une manière si religieuse. — Ne nous étant pas communiqués [sic] nos lettres, afin de nous sentir plus libres, j’ignore ce que contient celle de Voilquin.

(p 176) Pour moi, entre’autres [sic] phrases, je disais : «  Je suis libre !! j’ai déposé mes droits sur l’autel de l’humanité ! j’ai affranchi un homme d’un amour qui n’était pas partagé, Voilquin s’est montré grand ; oui, je le dis avec orgueil, j’ai mis un homme au monde, je l’ai donné à tous, etc., etc. »

Depuis, Julie Parsy et Voilquin, que je regarde comme bien unis et s’appartenant légitimement, sont partis pour l’Amérique, ils sont depuis dix mois à la Nouvelle Orléans, où j’espère qu’ils parviendront à se refaire une position sociale.

Malgré la difficulté de ma situation matérielle après leur départ, on doit cependant entrevoir que les idées nouvelles ne sont pas venues bouleverser ma destinée ; mais bien me rendre à une existence supérieure, en ranimant chez moi la vie que j’y croyais éteinte.

Quelques lettres que Voilquin écrivit avant son départ achèveront d’expliquer ce que ce simple récit laisserait d’incomplet et feront mieux comprendre quels sentimens ont dominé ma pensée dans l’exécution de cet acte : — Conquérir ma liberté sans exploitation pour mon associé, — lui éviter le plus de douleur possible — et coopérer de tous mes moyens à recomposer son bonheur intime.

A [sic] Ernest Javary, le 26 avril 1833.

«  Dans peu de jours, je vais quitter la France — la France qui me fut et qui m’est encore si chère ; mais je te le dis avec un noble orgueil je sens aussi qu’une mission divine m’appelle sous le ciel brûlant de l’Amérique ; c’est dans le pays qui salue encore avec enthousiasme le nom de Wasington et de Lafayette que je vais essayer de faire retentir celui du père et de St. Simon ; avec la transformation nouvelle, c’est-à-dire en pratiquant ce que les pères m’ont enseigné. Je crois inutile de t’entretenir des motifs qui m’ont en partie décidé à cet acte, d’autant plus qu’ils sont connus de la plupart des femmes et (p 177) des hommes les plus morales [sic ? ]de la famille de Paris ; ils savent que notre bonne sœur Suzanne — aux dépens de son existence, avenir sous le point de vue matériel, a contribué de tout son pouvoir à me faire trouver un bonheur qu’il n’était pas en son pouvoir de m’accorder ; car hélas, il y a du don Juan dans notre passé à tous les deux, c’est un voile funèbre que le temps a mis entre nous pour nous faire mieux comprendre la sublimité de la parole du père.

Tu me comprends, toi, mon bon Javary ; toi, dont le cœur s’identifie à toutes les souffrances, à tout ce qui est noble et généreux ; tu sais ma conduite, c’est toi qui l’expliquera [sic, un « s » manuscrit semble avoir été rajouté] aux incrédules, aux faibles qui sont malheureusement dans une majorité assez imposante ; tu leur diras, à ces hommes qui ont la prétention de juger ce qui n’est pas donné à leur intelligence de

342 25/05/23 02:32

Page 343: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

comprendre, qu’ils se rassurent, que je pars avec l’assentiment du PÈRE, du vertueux Lambert, du bon Fournel, et des hommes les plus consciencieux de la doctrine, que mon départ n’est pas une fuite, que je pars avec l’assentiment de ma bonne Suzanne : qu’ils n’oublient pas que la femme que j’aime est St.-Simonienne, qu’elle comprend la dignité de femme, et ses devoirs de fille et d’épouse, que son cœur aussi pur que sa pensée, n’a jamais eu à rougir d’aucun acte contraire à la morale chrétienne, et qu’aujourd’hui l’acte de liberté qu’elle accomplit, est la plus haute, la plus morale protestation contre les lois faites par les hommes à leur profit ; enfin, qu’elle part avec l’assentiment de sa mère qui nous suit ; de Suzanne qui fut ma femme de par la loi et qui reste notre sœur : et que connaissant, je le répète, nos devoirs, nous ne les transgresserons jamais… etc etc.

VOILQUIN. »

Paris, 26 avril 1833.

« MA BONNE SUZANNE,

« Dans peu un espace immense sera entre nous ; au moment (p 178) de nous séparer pour bien des années ; mon cœur éprouve le besoin de s’épancher encore dans le tien. Sans rappeler un passé douloureux pour tous deux, je désire que tu sois bien persuadée que je n’oublierai pas les efforts que tu as faits pour me donner un bonheur que Dieu et ta santé compromise par moi, (je n’oublierai jamais cette nuit d’orage qui faillit te coûter la vie plus tard) ne t’avaient pas permis de m’accorder : laisse-moi t’exprimer toute ma reconnaissance pour la haute moralité dont tu m’as donné tant de preuves, confiance, sensibilité, résignation, courage, hors l’amour, tu m’as tout donné, et par un effort surhumain, tu as travaillé à me faire trouver cet amour que mon imagination délirante avait tant rêvé, en donnant le baiser de paix à la jeune fille, dont le cœur vierge n’a pas craint de braver les outrages d’un monde austère, en paroles seulement, en avouant un amour qui nous rend heureux tous deux. Ce bonheur, Suzanne, nous n’oublierons pas que nous te le devons, si DIEU comble nos espérances, nous travaillerons à améliorer ta position sociale, tu n’en rougiras pas, car tu nous as dit que nous étions de bons amis, un frère et une sœur pour toi, qu’un jour tu embrasserais avec la même amitié nos enfans qui te donneront aussi l’amour, dont ton pauvre cœur a tant besoin.

Nous partons pour pratiquer l’œuvre que, femme de théorie, tu as conçue ; nous partons et nous confions ton avenir à la moralité de ceux que nous avons appelé [sic] et que nous appellons [sic] encore nos pères, à l’amitié de nos frères, à celle des femmes qui reconnaîtront un jour ce que tu as voulu faire pour elles.

Courage donc, que notre bonheur, ton ouvrage, te fasse entrevoir aussi le jour où tes vœux seront comblés en unissant ton cœur énigmatique pour moi, à un autre cœur plus fait pour te comprendre, c’est le vœu le plus cher de celui qui fût [sic] ton époux, et qui se glorifie aujourd’hui d’être le premier de tes frères, et ton plus sincère ami.

VOILQUIN.

343 25/05/23 02:32

Page 344: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

Depuis cette séparation, je suis restée seule en face le monde. — Ma liberté reconquise m’a permis de travailler plus efficacement à celle de mon sexe. — Rassurée sur l’avenir de mes amis d’Amérique, que je sais être heureux de leur amour — je propage ici, autant que je le puis, cette maxime que je désire voir adopter par les femmes comme base des relations des sexes. — Toute relation intime qui n’a point l’amour pour base, est une profanation de la chair.

Aux femmes grandes et sublimes de dire et de prouver jusqu’où devra aller l’amour social.

SUZANNE.

(p 180)La Tribune des femmes va cesser de paraître sous ma direction. La loi

anti-religieuse contre les associations, que nos aveugles gouvernans viennent de promulguer, bientôt chassera de notre belle France beaucoup de cœurs généreux et enthousiastes, il est temps de songer à la vie-pratique [sic ? ], car bientôt l’Orient reclamera [sic] notre active et puissante participation. D’autres femmes continueront cette œuvre de théorie, femmes fortes et dévouées aussi, mais attachées par leurs liens et leurs affections à notre France chérie.

Pour nous, qui sentons dans nos âmes un désir ardent de coopérer par tous les moyens à cette œuvre gigantesque de régénération, prélude de l’association universelle ; pour nous, marquées par DIEU pour cette œuvre, nous devons hâter nos préparatifs, car l’heure du départ bientôt sonnera pour quelques-unes, heure sublime impatiemment attendue. Déjà deux de nos sœurs nous ont précédées ; femmes courageuses, DIEU est juste ; vos noms, dans l’avenir, seront répétés avec amour : Cécile Fournel, modèle d’amour conjugal, on se rappellera votre passé, tout de dévoûment [sic] ; et toi, jeune et belle Clorinde, toi qui, par dévoûment [sic] à ton sexe, t’es sentie dans l’âme la force de quitter l’homme qui est, tout à la fois pour toi, ton ami, ton amant, ton époux, notre bon Roger, pour aller au loin préparer des voies nouvelles pour les femmes, ton nom rappellera désormais l’héroisme nouveau, la femme prête à sacrifier ses sentimens les plus intimes, les plus chers à une pensée religieuse et sociale.

(p 181) Oui, Barault avait raison lorsque, par la pensée, il arrêta, pour ainsi dire, le siècle, créa l’ère nouvelle, en féminisant l’année 1833, en la nommant année de la MÈRE. C’est dans cette année que le sentiment sur la femme s’incarnât [sic],profondément dans le cœur d’une foule d’hommes qui avaient adopté la théorie de l’égalité des sexes, sans avoir bien conscience des résultats de ce principe. Gloire à Barault ! en

344 25/05/23 02:32

Page 345: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

fécondant la pensée du PÈRE, par le grand élan qu’il a imprimé aux esprits : par sa nouvelle chevalerie, par son voyage d’Orient, son audacieux appel à la MÈRE sur la terre d’esclavage, là où la femme est le plus opprimée. Il a permis aux femmes de pénétrer par des actes dans la pratique de la vie nouvelle. Oui, cette année restera l’année de la MÈRE de la FEMME. Cette idée, encore mystique, sera de plus en plus comprise, et réhabilitera, aux yeux de l’avenir tout acte et toute œuvre faits dans le présent.

C’est vers le commencement de cette année que l’acte, qui tient une si grande place dans ma vie, mon divorce, put seulement alors se réaliser.

Peu après4 eut lieu aussi l’union de deux jeunes gens : Angélique et Javary, tous deux libres d’accepter les lois du monde, s’y refusèrent, inspirés par la vie nouvelle, et se confièrent mutuellement à leur honneur.

Plus tard s’effectua le départ de Jeanne Désirée pour l’Angleterre, jeune fille du peuple, qui n’eut pas la première la pensée de créer un journal de femme, mais qui eut la première le courage de l’exécuter. C’est elle qui fonda notre petite feuille sous le titre d’Apostolat des femmes, sans aucun moyen matériel pour commencer cette œuvre, conjointement avec Marie Reine et moi, qui ne me réunis à ces deux jeunes personnes que vers le second numéro.

Sa pensée, toute artistique, ne permettant pas à Désirée de rester attachée à une œuvre de longue haleine, elle se retira peu après, nous demandant de lui conserver son titre de fondatrice du Journal. C’est elle aussi qui eut l’énergique audace de présenter à Louis-Philippe une pétition fortement conçue, en faveur du peuple… Maintenant elle est en Angleterre où elle sert, de tous ses moyens, la cause des femmes, la cause du progrès.

Marie-Reine, long-temps ma codirectrice, ne cessa de l’être que pour satisfaire plus spécialement sa vive sympathie pour le peuple dans cette année 1833, elle se fit recevoir membre de l’association pour l’instructiou [sic] populaire ; depuis, ses journées sont consacrées au travail, et ses soirées employées à faire l’éducation des femmes et des filles du peuple.

Dans cette année, les femmes, à Paris, à Lyon, impressionnées de la vie nouvelle, se manifestèrent de toutes les manières. A [sic] Lyon, des femmes prolétaires vendirent même leurs métiers pour se dévouer plus complètement à la propagation de leur foi, et quelques-unes parcourent encore le midi afin de faire partager leur espoir à d’autres femmes.

Plus tard, tous ces noms, tous ces faits, et d’autres aussi qui ne peuvent trouver place maintenant dans ce recueil, parce qu’ils appartiennent encore à celles qui les ont accomplis, seront consignés dans la nouvelle histoire.

A [sic] toi un souvenir, pauvre Claire Démar ! qui viens agoniser et mourir au milieu de nous ; — repoussée de ce monde qui n’avait pu comprendre l’exigence de tes sympathies passionnées. Pauvre âme ! viendra bientôt pour toi le temps de la justice, je te réhabiliterai en faisant connaître tes dernières pensées, — toi qui a [sic] pratiqué la vie jusqu’à satiété sans cependant t’avilir, puisque par ta seule force tu t’es

4 « Peu après » est souligné, et une note manuscrite sur trois lignes, guère lisible, figure dans la marge de droite.

345 25/05/23 02:32

Page 346: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

élevée à la conception d’une pensée sociale ; toi qui as connu les douleurs morales, qui les as senties si profondément jusqu’au mourir !! pauvre Claire ! pour te rendre le repos, dans peu je ferai connaître à (p 183) tous en publiant ton dernier écrit(*), le remède que tu as cru propre à appliquer à tant de maux.

Dans un temps de révolution morale, comme au temps d’une révolution politique : « Il faut oser. » Cette maxime est vraie. — Donc je l’affirme hautement pour toute femme qui a conscience de sa force, et le courage de son opinion, elle doit agir et entraîner par l’exemple ; de la multiplicité de ces faits, nous remonterons à l’unité de principe. — DIEU est UN et MULTIPLE à la fois, également grand, également saint sous ces deux faces éternelles.

Avant qu’une femme sublime ne vienne résumer son sexe et recevoir comme élan de nos cœurs le beau nom de MÈRE, agissons toutes d’après notre conscience, mais point de réprobations, point d’anathème pour celles qui auront la hardiesse de justifier leur théorie d’avenir par leur pratique journalière. — Femmes timides, ne vous laissez donc point effrayer par les clameurs du monde. — Celui que vous nommez avec amour le PÈRE, pour vous affranchir d’une loi morale, décrépite, a-t-il hésité à donner au monde sa parole d’avenir. — Mieux vaut se tromper de route et revenir sur ses pas, que de rester accroupi sur le bord du chemin, glaçant sa vie par l’inaction ; pour moi je ne demande plus aux femmes qu’elles viennent sur un sujet aussi délicat élever discussion contre discussion, et rester inactive devant la pensée idéale de la MERE [sic].

L’avenir est devant nous.Chacune de nous n’a-t-elle pas son cœur pour comprendre cet avenir ?

Et puisque le soleil de notre Dieu, qui est tout amour, éclaire toutes les routes, — marchons ! — Seulement ; ô femmes ! ayez la conscience de votre force, et trouvez au fond de votre cœur cette pensée comme mobile de vos (p 184) actes : L’influence de la femme pour être religieuse, sublime, doit concourir à l’harmonisation sociale et à la pacification progressive du globe. Que cette boussole nous guide et nous aide à parcourir des routes nouvelles ; grandissons assez pour mériter la reconnaissance du monde entier — que le siècle , avant de déposer son nom dans l’urne du temps, voie s’élever en notre honneur le Panthéon des femmes— et ces mots gravés en lettres d’or, au milieu du fronton :

A [sic] LA FEMME, L’HUMANITÉ RECONNAISSANTE !

SUZANNE.

(*) Voir aux annonces.

346 25/05/23 02:32

Page 347: LA€¦ · Web viewNotre Apostolat ainsi continué, ayons foi qu’une femme vraiment grande, aussi bonne que sage, viendra nous résumer toutes et donner force de loi aux sentimens,

SUZANNE, Directrice.

——————————————————Imprimerie de PETIT, rue du Caire, n. 4.

347 25/05/23 02:32