Top Banner
- 59 - ans l’obscurité et le silence de la nuit, tout à coup, un chant se fait entendre : « Jube, Domine, benedicere. Seigneur, veuillez me bénir… » C’est le lecteur qui entonne les complies. Après la bénédiction donnée par l’officiant : « Noctem quietam… Que le Seigneur tout-puissant nous accorde une nuit tranquille et une fin parfaite », le lecteur invite à la vigilance en reprenant les paroles du chef des apôtres, saint Pierre : « Fratres, sobrii estote et vigilate… Mes frères, soyez sobres et veillez… » Qui n’a pas été saisi, lors d’une retraite ou d’un séjour en abbaye, par la force de ces paroles, rehaussée par la vigueur de la mélodie grégorienne ? Chaque soir, l’Église invite chacun de ses enfants – et pas seulement les moines ! – à rester sur ses gardes, à veiller, à se méfier du diable, qui rôde « comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer ». « Vigilate, Veillez, mes frères… » Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que la vigilance ? Après avoir défini cette attitude si recommandée par la Bible, nous verrons quelle est sa valeur dans notre vie chrétienne. Nous devrons aussi la distinguer soigneusement de sa caricature qui est l’inquiétude excessive, voire l’obsession malsaine. Qu’est-ce que veiller ? « Veiller », au sens propre, c’est renoncer au sommeil de la nuit, se tenir « é-veillé ». On peut le faire pour différentes raisons : pour prolonger son travail ; pour étudier ; pour rechercher la sagesse (cf. Sg 6, 15) ; pour éviter d’être surpris par un ennemi ou des brigands (le rôle des « vigiles » est de « sur-veiller » le camp, la cité, l’entreprise…) ; pour attendre le retour d’un maître, d’un être cher ; pour prier, méditer ( « Heureux l’homme qui médite la loi de Yahvé jour et nuit », Ps 1, 2 ; thème fréquent dans les Psaumes), etc. Il y a aussi des raisons mauvaises, quand certains veillent en vue d’exécuter quelque action perverse : « minuit, c’est l’heure du crime ! » De ce sens propre dérive un sens métaphorique : veiller, c’est être vigilant, c’est-à-dire lutter contre la torpeur et la négligence afin de se garder du danger et de parvenir au but visé. Le conducteur d’une voiture reste vigilant pour ne pas risquer un accident ou une erreur de direction. Par rapport à la conduite générale de la vie, la vigilance porte sur la recherche de la sagesse, qui nous fait voir toutes choses dans leur vérité et leur ordre profond, et qui nous procure la vraie vie. C’est pourquoi dans l’Écriture sainte la Sagesse personnifiée s’adresse ainsi aux hommes : « Et maintenant, mes fils, écoutez-moi : Heureux ceux qui gardent mes voies ! Écoutez l’instruction et devenez sages, ne la méprisez pas. Heureux l’homme qui m’écoute, qui veille jour après jour à mes portes pour en garder les montants ! Car qui me trouve trouve la vie… » (Proverbes 8, 32-35.) La vigilance D Association Notre Dame de Chrétienté
10

La vigilance - Notre-Dame de Chrétienté vigilance_fsvf.pdf · Après la bénédiction donne ... pour prier, méditer ( « Heureux l’homme qui médite la loi de Yahvé jour ...

Sep 12, 2018

Download

Documents

truongthuan
Welcome message from author
This document is posted to help you gain knowledge. Please leave a comment to let me know what you think about it! Share it to your friends and learn new things together.
Transcript
Page 1: La vigilance - Notre-Dame de Chrétienté vigilance_fsvf.pdf · Après la bénédiction donne ... pour prier, méditer ( « Heureux l’homme qui médite la loi de Yahvé jour ...

- 59 -

ans l’obscurité et le silence de la nuit, tout à coup, un chant se fait entendre : « Jube,Domine, benedicere. Seigneur, veuillez me bénir… » C’est le lecteur qui entonne lescomplies. Après la bénédiction donnée par l’officiant : « Noctem quietam… Que le

Seigneur tout-puissant nous accorde une nuit tranquille et une fin parfaite », le lecteur invite à lavigilance en reprenant les paroles du chef des apôtres, saint Pierre : « Fratres, sobrii estote etvigilate… Mes frères, soyez sobres et veillez… »

Qui n’a pas été saisi, lors d’une retraite ou d’un séjour en abbaye, par la force de cesparoles, rehaussée par la vigueur de la mélodie grégorienne ? Chaque soir, l’Église invite chacunde ses enfants – et pas seulement les moines ! – à rester sur ses gardes, à veiller, à se méfier dudiable, qui rôde « comme un lion rugissant, cherchant qui dévorer ».

« Vigilate, Veillez, mes frères… » Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’est-ce que lavigilance ? Après avoir défini cette attitude si recommandée par la Bible, nous verrons quelle estsa valeur dans notre vie chrétienne. Nous devrons aussi la distinguer soigneusement de sacaricature qui est l’inquiétude excessive, voire l’obsession malsaine.

QQuu’’eesstt--ccee qquuee vveeiilllleerr ??

« Veiller », au sens propre, c’est renoncer au sommeil de la nuit, se tenir « é-veillé ». Onpeut le faire pour différentes raisons : pour prolonger son travail ; pour étudier ; pour rechercherla sagesse (cf. Sg 6, 15) ; pour éviter d’être surpris par un ennemi ou des brigands (le rôle des« vigiles » est de « sur-veiller » le camp, la cité, l’entreprise…) ; pour attendre le retour d’unmaître, d’un être cher ; pour prier, méditer ( « Heureux l’homme qui médite la loi de Yahvé jouret nuit », Ps 1, 2 ; thème fréquent dans les Psaumes), etc. Il y a aussi des raisons mauvaises,quand certains veillent en vue d’exécuter quelque action perverse : « minuit, c’est l’heure ducrime ! »

De ce sens propre dérive un sens métaphorique : veiller, c’est être vigilant, c’est-à-direlutter contre la torpeur et la négligence afin de se garder du danger et de parvenir au but visé. Leconducteur d’une voiture reste vigilant pour ne pas risquer un accident ou une erreur dedirection. Par rapport à la conduite générale de la vie, la vigilance porte sur la recherche de lasagesse, qui nous fait voir toutes choses dans leur vérité et leur ordre profond, et qui nousprocure la vraie vie. C’est pourquoi dans l’Écriture sainte la Sagesse personnifiée s’adresse ainsiaux hommes :

« Et maintenant, mes fils, écoutez-moi : Heureux ceux qui gardent mes voies ! Écoutezl’instruction et devenez sages, ne la méprisez pas. Heureux l’homme qui m’écoute, qui veillejour après jour à mes portes pour en garder les montants ! Car qui me trouve trouve la vie… »(Proverbes 8, 32-35.)

La vigilance

D

Association Notre Dame de Chrétienté

Page 2: La vigilance - Notre-Dame de Chrétienté vigilance_fsvf.pdf · Après la bénédiction donne ... pour prier, méditer ( « Heureux l’homme qui médite la loi de Yahvé jour ...

- 60 -

La vigilance, en ce sens, est donc une attention active que l’on porte sur quelqu’un ouquelque chose. Elle peut être naturelle ou surnaturelle, suivant son objet et les motifs quil’inspirent.

Regardons maintenant ce que contiennent à ce propos les richesses de la traditioncatholique.

QQuuee nnoouuss eenn ddiitt ll’’AAnncciieenn TTeessttaammeenntt ??

Les veilles :

Les Anciens divisaient la nuit en quatre veilles, de trois heures chacune environ. Lespeuples guerriers savent la nécessité de la vigilance, si l’on ne veut pas être surpris par l’ennemi.La nuit est en effet le temps de tous les dangers. Un oracle mystérieux d’Isaïe nous remet dansl’ambiance de jadis, quand la lumière électrique n’existait pas et où l’obscurité de la nuit étaitredoutable : « Veilleur, où en est la nuit ? Veilleur, où en est la nuit ? » (Is 21, 11 ; cf. aussi Is 21, 6-9, sur le « guetteur » ).

Une armée qui veille est proche de la victoire :« Au coucher du soleil, Jonathan ordonna aux siens de veiller et d’avoir les armes sous la

main pour être prêts au combat toute la nuit, et disposa des avant-postes tout autour du camp. Ala nouvelle que Jonathan et les siens étaient prêts au combat, les ennemis eurent peur et, le cœurpénétré d’épouvante, allumèrent des feux dans leur camp et s’esquivèrent. » (1 Mc 12, 27-28.)

La veille du matin est un temps spécial, propice à l’attaque, car les gardes sontspécialement fatigués d’avoir veillé toute la nuit : un certain relâchement, une torpeur s’installe.

« Le lendemain, Saül disposa l’armée en trois corps, qui envahirent le camp à la veille dumatin, et ils battirent les Ammonites jusqu’au plus chaud du jour. Les survivants se dispersèrent,il n’en resta pas deux ensemble. » (1 Samuel 11, 11.)

Ces exemples militaires nous orientent vers le combat spirituel contre les ennemis de notreâme.

Dieu : le Vigilant.

Le premier « Vigilant », dans la Bible, c’est Dieu lui-même : il ne dort jamais, il esttoujours en éveil et il veille sans cesse sur son peuple. La célèbre vision de Jérémie nous lerévèle, en utilisant un jeu de mots en hébreu. Dieu, « le Vigilant » (shôqed en hébreu) estcomparé à l’amandier (sheqed), qui guette le printemps pour fleurir le premier.

« La parole de Yahvé me fut adressée en ces termes : "Que vois-tu, Jérémie ?" Jerépondis : "Je vois une branche de veilleur." Alors Yahvé me dit : "Tu as bien vu, car je veillesur ma parole pour l’accomplir." » (Jr 1, 11-12.)

Dieu s’entoure aussi des étoiles et des astres, qui, en dépendance de lui, veillent sur lemonde : « Sur la parole du Saint ils se tiennent selon son ordre et ne relâchent pas leurfaction. » (Si 43, 10.)

La Providence divine veille sur les hommes pour leur bien, et parfois pour les châtier et lesinciter à la conversion.

« Voici, je vais veiller sur eux pour leur malheur, et non pour leur bonheur… » (Jr 44, 27.)« Yahvé a veillé à la calamité, il l’a fait venir sur nous. Car juste est Yahvé notre Dieu,

dans toutes les œuvres qu’il a faites, mais nous, nous n’avons pas écouté sa voix. » (Dn 9, 14.)

Association Notre Dame de Chrétienté

Page 3: La vigilance - Notre-Dame de Chrétienté vigilance_fsvf.pdf · Après la bénédiction donne ... pour prier, méditer ( « Heureux l’homme qui médite la loi de Yahvé jour ...

- 61 -

« Et de même que j’ai veillé sur eux pour arracher, pour renverser, pour démolir, pourexterminer et pour affliger, de même je veillerai sur eux pour bâtir et pour planter, oracle deYahvé. » (Jr 31, 28.)

Les vigilants du ciel.

Les « vigilants » sont aussi les anges, serviteurs de Yahvé, qui exécutent sans cesse saparole. Le prophète Daniel a la vision d’un mystérieux « Vigilant » :

« Je contemplai les visions de ma tête, sur ma couche. Voici : un Vigilant, un saint descenddu ciel. A pleine voix, il crie : Abattez l’arbre, brisez ses branches (…). C’est la sentence queprononcent les Vigilants, la question tranchée par les saints, afin que sache tout vivant que leTrès-Haut a domaine sur le royaume des hommes : il le donne à qui lui plaît et élève le plus basd’entre les hommes ! » (Dn 4, 10-14.)

L’homme.

L’homme doit aussi veiller, dans une attitude de confiance, d’attention constante vers leSeigneur.

« Mon âme attend le Seigneur plus que les veilleurs l’aurore ; plus que les veilleursl’aurore, qu’Israël attende Yahvé ! » (Ps 130, 6-7.)

« O Dieu, c’est toi mon Dieu, à l’aube je te cherche, mon âme a soif de toi, après toilanguit ma chair, terre sèche, altérée, sans eau. » (Ps 63, 2.)

« Mon âme t’a désiré pendant la nuit, oui, au plus profond de moi, mon esprit techerche… » (Is 26, 9.)

L’épouse du Cantique des Cantiques cherche toute la nuit son bien-aimé ; elle est l’imagede l’âme qui cherche Dieu au milieu des épreuves :

« Sur ma couche, la nuit, j’ai cherché celui que mon cœur aime. Je l’ai cherché, mais nel’ai point trouvé ! Je me lèverai donc, et parcourrai la ville. (…) Les gardes m’ont rencontrée,ceux qui font la ronde dans la ville : "Avez-vous vu celui que mon cœur aime ?" » (Ct 3, 1-3.) Etaussitôt elle le trouve.

Même pendant le sommeil du corps, l’âme reste vigilante : « Je dors mais mon cœur veille.J’entends mon bien-aimé qui frappe... » (Ct 5, 2.)

Il y a aussi malheureusement des « veilleurs infâmes », qui ont en vue leurs actionsmauvaises, comme les voleurs nocturnes ou le diable, « Prince des ténèbres ». Mais quand l’èremessianique aura été définitivement établie, « tous les veilleurs infâmes auront été retranchés »(Is 29, 20).

QQuuee nnoouuss eenn ddiitt llee NNoouuvveeaauu TTeessttaammeenntt ??

C’est à des veilleurs que la naissance du Fils de Dieu dans la crèche est annoncée enpremier : ces humbles bergers qui « gardaient leurs troupeaux durant les veilles de la nuit » (Lc2, 8) sont les premiers à recevoir la Bonne Nouvelle.

La prophétesse Anne, à 84 ans, « ne quittait pas le Temple, servant Dieu nuit et jour dansle jeûne et la prière » (Lc 2, 37).

Le Christ lui-même nous a donné l’exemple des veilles de prière. Il prie la nuitspécialement avant chaque œuvre importante : juste avant de choisir ses douze apôtres, notesaint Luc :

Association Notre Dame de Chrétienté

Page 4: La vigilance - Notre-Dame de Chrétienté vigilance_fsvf.pdf · Après la bénédiction donne ... pour prier, méditer ( « Heureux l’homme qui médite la loi de Yahvé jour ...

- 62 -

« il s’en alla dans la montagne pour prier, et il passait toute la nuit à prier Dieu » (6, 12).Dans les derniers jours avant sa Passion, il enseigne pendant le jour dans le Temple, mais

il se retire la nuit sur le mont des Oliviers (Lc 22, 37). A Gethsémani, il prie et réclame la prière deses disciples :

« Mon âme est triste à en mourir, demeurez ici et veillez avec moi. »Il leur reproche de dormir et dit à Pierre :« Ainsi, vous n’avez pas eu la force de veiller une heure avec moi ! Veillez et priez pour ne

pas entrer en tentation : l’esprit est ardent, mais la chair est faible. » (Mt 26, 38-41.)

Cette recommandation de Notre Seigneur est à l’origine de la dévotion si belle de l’heuresainte (heure d’adoration du Saint-Sacrement, spécialement la nuit). Blaise Pascal rend cemoment poignant dans « Le Mystère de Jésus » :

« Jésus cherche quelque consolation au moins dans sestrois plus chers amis, et ils dorment ; il les prie de soutenirun peu avec lui, et ils le laissent avec une négligenceentière, ayant si peu de compassion qu’elle ne pouvaitseulement les empêcher de dormir un moment. (…) Jésussera en agonie jusqu’à la fin du monde : il ne faut pasdormir pendant ce temps-là. (…) Jésus a prié les hommes,et n’en a pas été exaucé. (…) Jésus, voyant tous ses amisendormis et tous ses ennemis vigilants, se remet tout entierà son Père. (…) Jésus étant dans l’agonie et dans les plusgrandes peines, prions plus longtemps. » (Pensées, fr. 553)

Dans son enseignement, Jésus avait fréquemment demandé aux disciples de se tenir prêtspour son retour :

« Soyez sur vos gardes, veillez, car vous ne savez pas quand ce sera le moment. Il en seracomme d’un homme parti en voyage : il a quitté sa maison, donné pouvoir à ses serviteurs, àchacun sa tâche, et au portier il a recommandé de veiller. Veillez donc, car vous ne savez pasquand le maître de la maison va venir, le soir, à minuit, au chant du coq ou le matin, de peurque, venant à l’improviste, il ne vous trouve endormis. Et ce que je vous dis à vous, je le dis àtous : veillez ! » (Mc 13, 33-37. Cf. aussi Lc 12, 35-48 ; 21, 34-36.)

Le grand discours eschatologique rapporté par saint Matthieu (chapitres 24 et 25) insiste surcette attitude :

« Veillez donc, parce que vous ne savez pas quel jour va venir votre Maître. Comprenez-lebien : si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur devait venir, il auraitveillé et n’aurait pas permis qu’on perçât le mur de sa demeure. » (Mt 24, 42-43.)

Association Notre Dame de Chrétienté

Page 5: La vigilance - Notre-Dame de Chrétienté vigilance_fsvf.pdf · Après la bénédiction donne ... pour prier, méditer ( « Heureux l’homme qui médite la loi de Yahvé jour ...

- 63 -

Vierges sages et vierges follesW.Blake , XIXe s.

Cambridge

La parabole des vierges sages et folles a le même sens (Mt 25, 1-13). Les vierges sagesavaient eu soin de prendre une réserve d’huile. Elles peuvent donc dormir en paix. Lesimprudentes, au contraire, n’avaient rien prévu. Aussi quand l’époux arrive, à minuit, elles sontprises au dépourvu. La leçon est claire : nous devons toujours être prêts et avoir avec nousl’huile de la grâce ou de la charité, pour pouvoir être admis, lors du retour de l’époux, dans lasalle de noces. « Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »

Les Apôtres ont bien reçu la leçon du Maître et la transmettent à leur tour. Par exemplesaint Paul, qui avait l’habitude des « veilles fréquentes » (2 Co 11, 27), écrit aux Thessaloniciens :

« Quant aux temps et moments, vous n’avez pas besoin, frères, qu’on vous en écrive. Voussavez vous-mêmes parfaitement que le Jour du Seigneur arrive comme un voleur en pleine nuit.Quand les hommes se diront : Paix et sécurité ! c’est alors que tout d’un coup fondra sur eux laperdition, comme les douleurs sur la femme enceinte, et ils ne pourront y échapper. Mais vous,frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres, de telle sorte que ce Jour vous surprenne comme unvoleur : tous vous êtes des fils de la lumière, des fils du jour. Nous ne sommes pas de la nuit, desténèbres. Alors ne nous endormons pas, comme font les autres, mais restons éveillés et sobres. »(1 Th 5, 1-6 ; cf. aussi Ac 20, 31 ; 1 Co 16, 13 ; Col 4, 2.)

L’Apocalypse avertit ainsi l’Ange de l’Église de Sardes :« Je connais ta conduite ; tu passes pour vivant, mais tu es mort. Réveille-toi (…). Allons !

rappelle-toi comment tu accueillis la parole ; garde-la et repens-toi. Car si tu ne veilles pas, jeviendrai comme un voleur sans que tu saches à quelle heure je te surprendrai. » (Ap 3, 1-3.)

Saint Pierre ne dit pas autre chose dans notre exhortation des Complies :« Soyez sobres, veillez. Car votre adversaire, le Diable, comme un lion rugissant, rôde,

cherchant qui dévorer. Résistez-lui, fermes dans la foi... » (1 Pi 5, 8-9.)

Remarquons que la liturgie traditionnelle utilise fréquemment ces textes bibliquesrecommandant la vigilance, notamment pour les communs des confesseurs, des vierges, etc. Elleinculque ainsi aux prêtres et aux fidèles, avec un grand sens pédagogique, l’attitudefondamentale du chrétien. La grande affaire de notre vie, n’est-ce pas en définitive d’être

Association Notre Dame de Chrétienté

Page 6: La vigilance - Notre-Dame de Chrétienté vigilance_fsvf.pdf · Après la bénédiction donne ... pour prier, méditer ( « Heureux l’homme qui médite la loi de Yahvé jour ...

- 64 -

sauvés ? Et nous devons craindre notre faiblesse qui risque de nous faire manquer ce but :« Ainsi donc, que celui qui se flatte d’être debout prenne garde de tomber. » (1 Co 10, 12.)

LLeess mmoottiiffss ddee llaa vviiggiillaannccee..

Tous ces textes nous aident à comprendre ce qu’est la vigilance surnaturelle et sa placecentrale dans notre vie. Elle est une attention active, avons-nous dit.

Attention à Dieu, qui nous visite à chaque instant par sa grâce, ou par les châtiments qu’ilpermet pour nous punir ou nous avertir. Attention à Dieu, qui reviendra nous juger, qui vientbientôt… Attention à notre salut, qui est le bien le plus important, le bien essentiel que nousdevons rechercher avant toute autre chose. Attention au salut des âmes, car un chrétien qui necherche pas à sauver ses frères n’est qu’un mauvais chrétien, qui ne pourra se sauver lui-même.Et par conséquent attention aussi aux dangers qui menacent notre salut.

Quels sont ces dangers ?

Saint Pierre nous a montré « le diable qui rôde comme un lion rugissant » ; il cherche àentraîner les âmes en enfer et, pour cela, il les tente de multiples façons. Dans son excellent petitlivre, La tactique du diable, C. S. Lewis imagine les conseils d’un diable expérimenté dans l’artde tenter les hommes à un jeune démon novice en la matière.

Il y a aussi le monde et ses séductions, ses fausses idées. Le Catéchisme de l’Églisecatholique nous met en garde contre « des mentalités de « ce monde-ci » ; elles nous pénètrent sinous ne sommes pas vigilants… » (CEC 2727). La vigilance est nécessaire aussi vis à vis desmédias (CEC 2496).

Nous devons être également vigilants par rapport à nos propres faiblesses, aux illusions denotre imagination, à nos fautes, y compris d’ignorance (d’où la nécessité d’un bon examen deconscience fréquent, et d’éclairer notre conscience quand nous avons quelque doute).

« Le combat contre notre moi possessif et dominateur est la vigilance, la sobriété ducœur » (CEC 2730).La vigilance s’appuie sur la foi : « Résistez-lui, fermes dans la foi ». Elle est liée à la sobriété, àl’esprit de pénitence, au don de crainte. Quand s. Paul appelle à « revêtir l’armure de Dieu pourpouvoir résister aux manœuvres du Diable », il exhorte à apporter dans ce combat « unevigilance inlassable » (Ep 6, 11-18). Cette persévérance n’est possible que si nous avons un granddésir de Dieu.

« Que signifie « veiller » ? disait Jean-Paul II. On pourrait s’imaginer que « veiller » signifiesimplement « persévérer dans l’attente » ? Mais il s’agirait dans ce cas d’une manière plutôtpassive et non pas active. Par contre, les paroles de la liturgie font clairement comprendre que« veiller » veut dire plus que tout : « chercher », chercher Dieu, désirer Dieu. (…) Donc,« veiller » signifie, certes, persévérer dans l’attente, mais cette persévérance n’est possible quesi elle est basée sur le principe du « chercher » Dieu : sur la base du principe de l’intime effortde la foi, de l’espérance et de la charité ; basée sur l’inspiration – et sur ce travail particulier del’esprit humain qui permet de se rapprocher de Dieu et de puiser en un certain sens à lasurabondance de son Esprit, dans le Christ crucifié et ressuscité ! »(Homélie 8 nov. 1987, cité in La mort et l’au-delà, Ce que dit le Pape, Le Sarment, 2001, p. 63-64).

Association Notre Dame de Chrétienté

Page 7: La vigilance - Notre-Dame de Chrétienté vigilance_fsvf.pdf · Après la bénédiction donne ... pour prier, méditer ( « Heureux l’homme qui médite la loi de Yahvé jour ...

- 65 -

VViiggiillaannccee eett pprruuddeennccee..

Saint Thomas rattache la vigilance, qu’il assimile à la sollicitude, à la vertu cardinale deprudence (Somme théol., II II, q. 47, a. 9). Cette dernière est cardinale car elle commande toute notrevie morale, nous éclairant sur ce que nous devons faire. Son « acte principal est de commanderen matière d’action ce qui a été d’abord délibéré et jugé ».

Aristote disait qu’ « il faut mettre promptement en œuvre ce qui a été délibéré, maisdélibérer lentement » ; c’est-à-dire prendre le temps de bien juger, de bien voir clair, enrecourant au besoin au conseil ; mais ensuite se hâter d’agir : « Ne remets pas au lendemain ceque tu peux faire le jour même ». La sollicitude, attention soutenue et soucieuse, se rattache doncà la prudence.

« A la prudence, dit saint Augustin, il appartient de monter la garde et de veiller avec leplus grand soin de peur que, par l’effet d’une fausse persuasion se glissant peu à peu en nous,nous ne soyons induits en erreur. »

Trop souvent nous agissons sans assez de réflexion et d’intelligence. Il ne suffit pasd’avoir une intention droite (l’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on), ni de vouloir. Il fautaussi pouvoir et prévoir. Un zèle charitable, mais mal éclairé, manquant de prudence, peut endéfinitive conduire à des actes mauvais. Henri Charlier illustrait ainsi cette vérité : « Uncharretier qui, pour obliger un voisin, veut transporter une matière dont il connaît mal ladensité, puis verse en chemin ou crève son cheval, ne sauve rien du tout, ne passe pas pour unhéros, mais pour un imbécile. » (Culture, école, métier, 1959, p. 38.) C’est vrai que Dieu ne nousdemande pas nécessairement de réussir, mais au moins de tout faire, quant à nous, pour réussir.Il y a des péchés d’imprévoyance, de négligence, d’ignorance, de bêtise… dont nous sommesresponsables. Nous devons être, comme notre Seigneur nous le demande, « prudents comme lesserpents, et purs comme les colombes » (Mt 10, 16). Ce qui suppose une solide formationdoctrinale et pratique (quant aux principes et à l’expérience), à la hauteur de nos responsabilités.

VViiggiillaannccee eett ccoonnffiiaannccee eenn DDiieeuu..

La vigilance ou « sollicitude » comporte bien une certaine crainte, une inquiétude (souci etsollicitude ont la même étymologie : sollicitudo). La prudence nous éclaire sur ce que nousdevons faire. Or nos actions dépendent de beaucoup de choses contingentes et nous ne pouvonsjamais être tout à fait sûrs que tout se passera comme nous l’avons prévu. Quand on monte dansune voiture ou un avion, il n’est pas métaphysiquement certain qu’on en ressortira vivant. « Lacertitude de la prudence ne peut donc jamais être si grande que toute sollicitude en soit ôtée »(saint Thomas, ibid.). Mais, comme le dit Aristote, « la certitude ne doit pas être recherchée de lamême façon en toute chose, mais en chaque matière selon son mode propre ».

Les vertus ne s’opposent pas entre elles. Or la magnanimité est une vertu ; elle ne s’opposedonc pas à la prudence, ni à la vigilance. « Le magnanime est un homme tranquille et en repos,certes : non pas parce qu’il ne se soucie de rien, mais parce qu’il ne se soucie pas exagérémentd’un grand nombre de choses ; il a confiance là où il faut avoir confiance et il n’a pas à ce sujetde soucis superflus… » (ibid.)

L’attitude droite est donc de garder la vigilance quant à tout ce qui dépend de nous, quantaux dangers réels qui nous menacent, mais, en même temps, d’avoir une grande confiance en

Association Notre Dame de Chrétienté

Page 8: La vigilance - Notre-Dame de Chrétienté vigilance_fsvf.pdf · Après la bénédiction donne ... pour prier, méditer ( « Heureux l’homme qui médite la loi de Yahvé jour ...

- 66 -

Dieu qui nous protège, veille sur nous et ne permettra pas que nous nous perdions, si nousfaisons notre devoir. Ainsi nous n’aurons pas de soucis inutiles, superflus, exagérés. Commepour toutes les vertus morales, « in medio stat virtus, la vertu se situe dans un juste milieu ». Lavigilance est un sommet entre deux excès, aussi nocifs l’un que l’autre : un excès d’inquiétude etun excès d’insouciance.

La confiance en Dieu est notre meilleure protection : « Si Yahvé ne bâtit la maison, en vainpeinent les bâtisseurs ; si Yahvé ne garde la ville, en vain la garde veille. Vanité de vous levermatin, de retarder votre coucher, mangeant le pain des douleurs, quand Lui comble son bien-aimé qui dort. » (Ps 127, 1-2).

Notre Seigneur nous recommande aussi de ne pasnous inquiéter, puisque notre Père céleste veille àchaque instant sur les oiseaux du ciel et les lys deschamps : a fortiori sur ses enfants bien-aimés. (Mt 6,25-34.) Et saint Pierre, juste avant de nous dire deveiller, nous dit : « Humiliez-vous donc sous lapuissante main de Dieu, pour qu’il vous élève au bonmoment ; de toute votre inquiétude, déchargez-voussur lui, car il a soin de vous. » (1 Pi 5, 6-7.)

La vigilance et la confiance en Dieu s’épaulentainsi l’une l’autre pour nous conduire sur une routedroite vers notre fin dernière, la Béatitude.

Concluons avec Jean-Paul II :« La contemplation de la vie des hommes qui

ont suivi le Christ nous stimule, pour mener uneexistence chrétienne belle et droite, qui nous rend« dignes du Royaume de Dieu » (2 Th 1, 5). De ce fait,nous sommes appelés à la « vigilance surnaturelle »,selon l’expression du cardinal Perraud, afin que nousnous préparions chaque jour à la vie éternelle. Commele soulignait le cardinal John Henry Newman : « nousdevons non seulement croire, mais veiller ; nonseulement aimer, mais veiller ; non seulement obéir,mais veiller […]. Il est possible que la vigilance soitl’épreuve même où l’on reconnaît le chrétien ». Carveiller, c’est « être détaché de ce qui est présent etvivre dans ce qui est invisible ; vivre avec la penséedu Christ tel qu’il est venu une fois et tel qu’il viendra de nouveau ; désirer son avènement »(Parochial and plain Sermons, IV, 8). » (Jean-Paul II, 2 juin 2000, cité ibid., p. 89.)

FRATERNITE SAINT-VINCENT-FERRIER

Ecole bourguignonne – milieu XVIe s.Notre Dame des Avents

Association Notre Dame de Chrétienté

Page 9: La vigilance - Notre-Dame de Chrétienté vigilance_fsvf.pdf · Après la bénédiction donne ... pour prier, méditer ( « Heureux l’homme qui médite la loi de Yahvé jour ...

- 67 -

Marie , Reine des cieuxMaitre de la légende de Ste Lucie, XVe s.

Washington , National Gallery

Association Notre Dame de Chrétienté

Page 10: La vigilance - Notre-Dame de Chrétienté vigilance_fsvf.pdf · Après la bénédiction donne ... pour prier, méditer ( « Heureux l’homme qui médite la loi de Yahvé jour ...

- 68 -

Allégorie de la Foi du BaptèmeEmail, XII e s ;

Francfort

Association Notre Dame de Chrétienté