septembre 2014 Diplôme national de master Domaine - sciences humaines et sociales Mention - sciences de l’information et des bibliothèques Spécialité - cultures de l’écrit et de l’image La Vierge Marie dans l’i mprimerie lyonnaise (1650-1750) Clémence Desrues Sous la direction de Monsieur Philippe Martin Professeur d’histoire moderne – Lyon II
153
Embed
La Vierge Marie dans l'imprimerie lyonnaise (1650-1750) - Enssib
This document is posted to help you gain knowledge. Please leave a comment to let me know what you think about it! Share it to your friends and learn new things together.
Transcript
A v
Mém
oire d
e m
aste
r 2 p
rofe
ssio
nnel /
septe
mbre
2014
Diplôme national de master
Domaine - sciences humaines et sociales
Mention - sciences de l’information et des bibliothèques
Spécialité - cultures de l’écrit et de l’image
La Vierge Marie dans l’imprimerie
lyonnaise (1650-1750)
Clémence Desrues
Sous la direction de Monsieur Philippe Martin
Professeur d’histoire moderne – Lyon II
DESRUES Clémence| M2 CEI professionnel | Mémoire de recherche | septembre 2014 - 3 - Droits d’auteur réservés.
Remerciements
Je tiens en premier lieu à remercier mon directeur de mémoire, le
professeur Philippe Martin, pour son travail inspirant ainsi que sa disponibilité
lors de nos échanges.
Je tiens également à remercier les bibliothécaires du fonds ancien de la
Bibliothèque municipale de la Part-Dieu (Lyon). La richesse de leurs
collections va de pair avec leur accueil et leur implication.
Enfin, je remercie vivement la promotion 2012-2014 de CEI pour son
entraide et sa solidarité, ma famille et amis, sans oublier Louis pour qui la
Vierge Marie n’a plus aucun secret.
DESRUES Clémence| M2 CEI professionnel | Mémoire de recherche | septembre 2014 - 4 - Droits d’auteur réservés.
Résumé :
Mère de Dieu et mère de l’Humanité, la Vierge Marie occupe une place de choix
dans la spiritualité catholique. Son importance en fait un sujet privilégié pour les
auteurs de l’époque moderne, la production lyonnaise des années 1650-1750
n’échappant pas à cette influence. Témoin de papier, le livre se fait alors le reflet
ainsi que le porte-parole d’une piété mariale suivie par les croyants
Descripteurs : Monde du livre – Imprimerie - Vierge Marie – Lyon – Dix-septième
siècle – Dix-huitième siècle.
Abstract :
Mother of Gof and mother of the Humanity, the Virgin Mary remains a theme
addressed in the Catholic Church. Authors of the modern area favour this figure, and
specially in the production from Lyon. Witnesses of paper, books represent this
Marian devotion carefully chosen by believers.
Keywords : Book industry- Printing – Virgin Mary – Lyon – The seventeenth century
– The eighteenth century.
Droits d’auteurs
Droits d’auteur réservés.
Toute reproduction sans accord exprès de l’auteur à des fins autres que
strictement personnelles est prohibée.
DESRUES Clémence| M2 CEI professionnel | Mémoire de recherche | septembre 2014 - 5 - Droits d’auteur réservés.
Jean » dans Répertoire d'imprimeurs libraires (vers 1500 - vers 1810), Paris, Bibliothèque nationale de France, 2004.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 37 - Droits d’auteur réservés.
produire cet ouvrage « avec le défances accoutumées »60
sans cependant
qu’aucune mention de privilège ne soit nommée.
Le système de surveillance et de censure instauré par le pouvoir royal et
partagé avec la faculté de théologie de Paris a ainsi été mis en place dans le but
de favoriser la diffusion d’uniques pensées orthodoxes tout comme de
réglementer le monde du livre. Nous avons pu voir que certaines déviances sont
à recenser parmi les acteurs de notre corpus. Toutefois, le sujet abordé, à savoir
la Vierge Marie dans tout ce qu’elle implique, ne présente pas de danger pour la
religion catholique puisqu’elle en est l’un des fers de lance. Les éventuelles
fraudes à noter s’apparentent donc davantage au monde de l’édition et aux
restrictions qu’il subit.
C. LE CONTROLE D’UNE PRODUCTION
Composer un ouvrage
Une fois le livre envisagé dans sa forme matérielle et législative, il
convient de s’interroger sur les motifs qui conduisent à sa création. En effet, qui
sont les commanditaires de ces ouvrages ? S’agit-il de commandes formelles ou
bien de livrés composés par des auteurs indépendants ?
A la lecture des œuvres contenues dans notre corpus, nous remarquons en
premier lieu que tous n’exposent pas les motifs qui les ont conduits à éditer un
ouvrage sur la Vierge Marie. Un petit nombre se contente de fournir une page
de titre et par la suite de proposer directement le texte brut. Cela peut
s’expliquer par le manque de moyens à l’impression du manuscrit qui
commande de ne fournir que le principal, à savoir le corps du texte illustrant le
propos sur Marie. Nous pouvons également envisager une certaine stratégie
conduisant à ne pas perdre le lecteur : en ne proposant que les offices par
exemple, on s’assure que ce dernier possède uniquement l’essentiel, remplissant
60 Méditations sur les litanies de la Sainte Vierge, ?, 1701, Lyon, chez Antoine Boudet, BM Lyon, p.13.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 38 - Droits d’auteur réservés.
ainsi sa fonction première de support à la dévotion, sans s’embarrasser de textes
rhétoriques.
Prenons ici l’exemple des Instruction pour les associez du Culte perpetuel
de la Sainte Vierge [...]61
paru en 1718. Cet ouvrage se présente selon le schéma
suivant : une page de titre, l’indulgence plénière accordée par le pape Clément
XI à la confrérie dédiée à la Vierge (six pages), une première permission de
l’archevêque de Lyon, François Paul de Neufville offrant la publication des
indulgences ainsi que la possibilité de célébrer les grandes fêtes de la Vierge
(une page), une seconde permission émanant du même prélat concernant la fête
du Sacré Cœur de Marie (une page), puis vient le corps du texte, à savoir les
raisons qui justifient le culte à la Vierge développé par la confrérie ainsi que les
devoirs qui en découlent (cinquante-quatre pages), les permissions et
approbations nécessaires à la parution du texte se situant à la fin du texte.
Aucune mention explicite n’est décrite concernant les motifs qui ont conduit la
confrérie à publier ces « instructions ». Nous pouvons ici y voir l’un des
principaux moteurs de publication concernant la Vierge Marie : l’ancrage de
l’ouvrage dans une stratégie menée par des institutions, des congrégations... La
confrérie a choisi d’éditer les modes de dévotion afin d’encadrer la pratique des
fidèles en mettant à leur disposition un objet physique, symbole de
l’appartenance au mouvement marial, nous y reviendrons. Ecrire et publier un
tel livre répond alors à un souci d’uniformisation des pratiques commandé par la
confrérie elle-même. La présence des deux permissions épiscopales illustre tout
autant la direction empruntée par la confrérie qui se place sous l’égide de son
archevêque afin d’acquérir une aura incontestable62
.
Par ailleurs, l’auteur n’est spécifié ni sur la page de titre ni à un
quelconque moment dans l’ouvrage : la voix personnelle n’est pas ici requise,
seule la parole de l’institution compte. En s’assurant cet anonymat, la confrérie
uniformise et contrôle son propos : tous les frères unis dans la dévotion à Marie
ont à leur disposition par le biais du livre un même message spirituel.
61 Instruction pour les associez du Culte perpetuel de la Sainte Vierge ..., ?, 1718, Lyon, chez Louis Bruyset,
BM Lyon.
62 DESMETTE (Philippe) (collab.), Les confréries religieuses et la norme, XIIème-début XIXème, Bruxelles,
Facultés universitaires de St Louis, 2003, p.104.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 39 - Droits d’auteur réservés.
Si l’exemple donné ci-dessus illustre la commande d’un livre de dévotion
sur Marie correspondant aux pratiques spécifiques du culte perpétuel de la
Sainte Vierge, tous ceux de notre corpus n’empruntent pas cette même voie. Sur
la période 1650-1700, les auteurs sont dans la très grande majorité renseignés et
revendiquent la composition de l’ouvrage : ainsi, seuls neuf sont anonymes sur
cinquante et un.
Qu’ils soient papes ou simples religieux, tous ont une opinion sur Marie
ou ses modes de dévotion qu’ils comptent faire partager. Le fait que ces sources
soient référencées sous le nom d’un auteur spécifique ne doit pas faire oublier
l’influence que peut avoir leur mouvement sur leur spiritualité.
Ainsi, Paul de Barry, père jésuite prolifique puisqu’il a composé vingt-
cinq œuvres63
en grande partie dédiés à la dévotion du père de Dieu, Joseph, a
également rédigé de nombreux livres sur la Vierge, dont quatre sont répertoriés
sur la simple période 1650-1700. L’un d’entre eux, Paulin et Alexis, deux
illustres amants de la mère de Dieu 64
illustre bien la vision qu’a l’auteur de ces
derniers :
Voilà bien tout ce dont i’auois à vous aduiser : puissiez vous en profiter de
si bonne façon que vous en deueniez vn Paulin, ou vn Alexis ; c’est à dire
vn fi-delle, aymable, glorieux, & saint Amant de la Mere de Dieu.65
Le livre consacré à Marie est ici entièrement employé à faire de son lecteur un
dévot consacré à sa sainte patronne. Ce but est partagé par la majorité des
sources de notre corpus : toutes s’attachent à promouvoir la mère de Dieu.
L’originalité de Paul de Barry ne réside pas tant dans son propos, qui s’avère
être tout à fait orthodoxe, que dans sa manière de le présenter au public. En
effet, l’auteur est membre de la Compagnie de Jésus, fondée par Ignace de
Loyola en 1539 sur des principes accrus de pauvreté et de chasteté et dont les
membres sont particulièrement attachés au pape. Les Jésuites, membres actifs de
63 DOMPNIER (Bernard), « Les religieux et Saint Joseph dans la France de la première moitié du XVIIème
siècle » dans DERWICH (Marek) (dir.) Religieux, saints et dévotions. France et Pologne, XIIIème-XVIIIème siècles,
Cahiers du C.H.E.C., Combronde, Presses Université Blaise Pascal, 2003, p.59.
64 Paulin et Alexis, deux illustres amants de la mère de Dieu, Paul de Barry, 1656, Lyon, chez Philippe Borde, L. Arnaud et Claude Rigaud, BM Lyon.
65 Ib. idem, p.14.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 40 - Droits d’auteur réservés.
cette compagnie, promeuvent une spiritualité exigeante, étayée par une
éducation des fidèles sans faille. A Lyon, le rayonnement du collège de la
Trinité, voulu comme un collège d’excellence, est indéniable66
: des élites y sont
formées et son emplacement géographique, situé le long du Rhône et ainsi à
proximité des voies de communication lui permet de s’arroger une place de
choix au sein de la cité rhodanienne67
. Si la Compagnie s’est assurée une telle
place, c’est grâce en majeure partie à une discipline stricte ainsi qu’une volonté
d’élever chaque fidèle au plus haut selon son niveau social. Pour ce faire, les
Jésuites développent un apostolat du fidèle par son semblable en fonction de sa
culture ainsi que de sa position au sein de la société68
. Ici, le père de Barry
propose de s’élever en suivant l’exemple de deux jeunes gens qui ont dédié
leurs vies à la Vierge, à savoir Paulin et Alexis.
Nous pouvons constater que l’œuvre s’adresse à un public averti : par son
ampleur matérielle tout d’abord, cette dernière comptabilisant pour sa seule
première partie de journal quatre-cent trente deux pages. Par ailleurs, la
typographie employée ne laisse guère de repos : le texte est condensé et occupe
la majeure partie de la page. Une marge est prévue afin d’accueillir des
remarques, notes ou bien citations en latin qui permettent d’étayer le propos
développé dans la partie principale. L’approche matérielle de l’ouvrage nous
offre une première vision de la spiritualité jésuite : celui se veut complet,
construit et édifiant pour des personnes ayant déjà une certaine culture.
Lorsque nous nous intéressons à sa construction, nous réalisons qu’aucun
aspect n’est laissé de côté dans la dévotion. La première partie présente la
relation entre Paulin et Alexis et l’auteur ainsi que les particularités de leurs
vies dévouées à Marie :
66 PICOT (Joseph), Les jésuites à Lyon de 1604 à 1762 : le Collège de la très saincte Trinité , Lyon, Aux arts,
1995.
67 CHATELLIER (Louis), L’Europe des dévots, Paris, Flammarion, 1987, p.67.
68 CHATELLIER (Louis), « Les Jésuites et les peuples des villes et des campagnes au XVIIIème siècle : formation ou
échange » dans NANNI (Stefania) (dir.), Devozioni e pietà popolare fra Seicento e Settecento : il ruolo delle congregazioni e
degli ordini religiosi, n°2, Rome, 1994.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 41 - Droits d’auteur réservés.
VI. Ils font de retour chez eux, & ils continuent à témoigner leur sainct
amour envers la saincte Vierge69
.
La seconde partie entreprend de répondre à soixante-trois questions sur la
Vierge, ces dernières étant plus diverses les unes que les autres. On peut en effet
y traiter des personnes ayant pris pour sujet la Vierge dans leurs écrits laudatifs
ou bien du baptême de Marie. La troisième offre une réflexion jour par jour en
fonction du saint célébré ce jour-là : la dévotion est alors élargie au grand
peuple des personnes ayant eu une vie incomparable par leurs actions
spirituelles ou par leur foi. Tous les éléments sont réunis afin de susciter une
réflexion ainsi qu’une piété chez le lecteur : l’exemple de Paulin et Alexis
soumet un modèle pour tous ceux qui choisissent de dédier leur vie à la Vierge.
Les questions apportent un terreau théologique à cette grande entreprise, tandis
que la présentation jour par jour pour chaque mois de l’année de grands saints
accompagnée d’une réflexion se révèle être un support formidable pour une
prière quotidienne. La pédagogie jésuite, exigeante mais surtout hiérarchisée
dans le but d’optimiser les résultats, se retrouve donc au sein de l’ouvrage de
Paul de Barry ici présenté. Composer un livre peut ainsi être l’affaire
d’hommes, toutefois ces derniers restent dépendants de l’enseignement qu’ils
ont reçu de leurs tutelles religieuses. Les sources permettent ainsi d’envisager la
place de Marie dans la production lyonnaise tout comme l’influence des ordres
religieux auxquels appartiennent les auteurs, contrôlant ainsi la création des
livres dédiés à la mère de Dieu.
Si nous désirons nous intéresser de plus près aux motivations des auteurs, il
convient de se pencher sur les avis ou avertissements aux lecteurs. Ces derniers
ne sont pas systématiques, le recensement au sein de notre corpus démontre une
faible proportion de préambules adressés au lecteur, à savoir un peu moins de
20%. Leur volume matériel est également faible puisqu’il oscille entre deux et
quatre pages pour la majorité, avec deux exceptions notables de neuf pages70
.
69 Paulin et Alexis, deux illustres amants de la mère de Dieu, Paul de Barry, 1656, Lyon, chez Philippe
Borde, L. Arnaud et Claude Rigaud, BM Lyon, p.12.
70 Octave de l'Assomption de la Sainte Vierge, avec le panegyrique de saint Joseph son epoux. Prechés par le
reverend pere Chrysostome de Monistrol , Chrysostome de Monistrol, 1733, chez Marcellin Duplain, BM Lyon ainsi que Les epistres spirituelles, de la Mère Jeanne-Françoise Frémiot, baronne de Chantal, fondatrice et premiere
superieure de l'Ordre de la Visitation de Sainte Marie. Seconde edition fidellement recuëillie par les religieuses du
premier monastere d'Annessy, Andre de Saint-Nicolas, 1666, Lyon, chez Daniel Gayet, BM Lyon.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 42 - Droits d’auteur réservés.
Lorsque nous en prenons connaissance, nous sommes frappés d’emblée par la
méthode commune qui consiste en l’exposé des motifs qui ont conduit l’auteur à
publier un tel ouvrage. Ces derniers ressentent le besoin de justifier leurs
œuvres en premier lieu mais pensent également à leurs lecteurs : ceux-ci ont
connaissance de l’avis dès l’ouverture du livre puisqu’il se situe généralement
en première page (seul un cas a été découvert dans lequel l’avertissement se
situe après la préface71
). Ils sont alors mis au courant de tous les bienfaits que
peuvent leur procurer de tels ouvrages :
Vous avez dans celui-ci, outre les Prieres de devoir & devotion ; de petites
Meditations pour tous les jours. La Méthode d’entendre la Messe avec
fruit ; le moyen de paser un quart d’heure devant le S. Sacrement avec
dévotion ; certaines pratiques de pieté pour tous les jours, pour toutes les
se-maines, pour chaque mois, pour chaque année. Ce seul Livre peut tenir
lieu de beaucoup d’autres, sur tout pour les Prieres vocales, & pour tous
les autres Exercices de pieté, qui peu-vent convenir à un veritable Chrét-
tien72
.
Ainsi, dès les premières pages, le pensionnaire du collège jésuite sait que cet
ouvrage lui permettra d’encadrer sa prière et de l’aider sur le chemin qui mène
au royaume des Cieux.
Outre ces divers exposés de motifs, les avertissements aux lecteurs permettent
également de promouvoir l’auteur qui a composé l’ouvrage. Nous retrouvons
cette constante parmi tous les avertissements concernés par notre étude, et ainsi
à titre d’exemple :
Le R. P. Dalier a passé & dans son Ordre, & generalement parmy tous
ceux qui l’ont connu, non seulement pour une personne de haute vertu, &
d’une lumiere & intelligence singuliere dans les voyes de la perfection &
de la vie spirituelle, [...]73
71 Pseautier de la Sainte Vierge, composé par s. Bonaventure , Saint Bonaventure, 1736, Lyon, chez les
Freres Bruyset, BM Lyon.
72 Reglemens pour messieurs les pensionnaires des peres jesuites du college de Lyon. Qui peuvent leur servir
de regle de conduite pour toute leur vie. Par un pere de la Compagnie de Jesus , Jean Croiset, 1711, Lyon, chez André Molin, BM Lyon, p.4.
73 Sermons sur les Mysteres de la Vierge, Odet Dalier, 1684, Lyon, chez Antoine Thomas, BM Lyon, p.5-6.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 43 - Droits d’auteur réservés.
L’éloge cité continue sur deux pages mais témoigne surtout de plusieurs
intentions : tout d’abord, nous pouvons déduire de ces propos une volonté de
promotion éditoriale. En garantissant le sérieux de l’auteur, l’éditeur s ’assure du
succès de son ouvrage. Car nous avons ici affaire à un processus de légitimation
du discours : celui qui l’a tenu connait son sujet et a mainte fois démontré qu’il
était apte à le soutenir. Le lecteur se voit alors rassuré sur le contenu du livre
tout comme le censeur. Derrière cet avertissement, se cache tout autant une
volonté de preuve de l’orthodoxie de ce dernier. Certains d’ailleurs ne déguisent
pas cet exposé de motifs conformes à la foi catholique, l’avertissement n’est
alors pas qualifié d’ « avertissement au lecteur », celui-ci étant destiné à la
globalité des personnes qui le consulteront, pour des raisons personnelles ou
bien professionnelles.
La composition éditoriale est également mise en avant lors de ces
avertissements : la structure du livre et les choix adoptés sont expliqués afin de
permettre à chacun de s’y retrouver. Nous ne pouvons cependant pas écarter une
certaine continuité dans la promotion de l’ouvrage : la Vierge Marie fait l’office
de nombreux livres et les sujets abordés sont souvent identiques : afin de le
vérifier, il suffit de parcourir les titres des œuvres de notre corpus74
, beaucoup
se ressemblent ou évoquent le même thème. Développer l’organisation permet
alors de différencier sa publication et de le faire émerger parmi la masse des
livres édités au cours de cette période.
Enfin, outre la promotion de l’auteur, un argument revient lors de multiples
avertissements : l’ouvrage a été plébiscité par le public qui a écouté les propos
des auteurs lors de prêches par exemple, ou bien ont été inspirés par la vie du
personnage :
Le second motif est, que plusieurs jeunes Religieux, & Ecclesiastiques
(qui ont asseurément plus de Charité que de lumiere,) ayans donné quel-
que approbation à ma methode de prêcher, me demandent tous les jours
quelques-vns de mes Sermons [...]75
74 Disponible en annexe.
75 Le Livre du Verbe mis au jour dans la naissance de Marie, mère de Dieu, expliqué pendan t l'Octave de sa
Nativité, partagé en huit discours, prononcez par le R. P. F. Guillaume Raynaud... en l'église de Notre -Dame de la
Platière de Lyon, l'année 1665, Guillaume Raynaud , 1668, Lyon, chez François Comba, BM Lyon, p.2.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 44 - Droits d’auteur réservés.
Nous retrouvons ici la vertu première exigée chez les religieux de tout ordre, à
savoir l’humilité76
. Ces derniers ne prêchent pas pour leur propre gloire mais
bien pour porter le message du Seigneur à chacun, croyant ou non. Envisager le
passage de ces sermons ou réflexions à l’écrit ne doit donc pas se faire pour la
propre élévation personnelle. Toutefois, il ne faut pas être dupe quant à ces
déclarations rhétoriques : il s’agit également là de faire paraître un certain
empressement pour la parution de l’ouvrage et ainsi garantir à ce dernier une
fortune intéressante sur le marché du livre. Composer un ouvrage obéit à des
logiques bien plus importantes que celles de l’auteur seul : il convient de
prendre en compte les impulsions données par les mouvements spirituels
auxquels adhèrent nos compositeurs tout comme les stratégies éditoriales
présentes afin d’assurer à l’ouvrage une renommée certaine.
S’inscrire dans la ligne de la hiérarchie
Nous l’avons d’ores et déjà évoqué par le biais du système des privilèges, la
censure et la vérification des ouvrages se fait omniprésente à l’ère moderne afin
de contrôler le marché du livre. Cette dernière évolue tout au long de la période
envisagée dans notre corpus mais reste active. Un autre pendant de cet
encadrement de la production des livres lyonnais se retrouve dans les
approbations données par d’éminentes personnalités. En effet, lorsqu’un
manuscrit est renseigné sur le Registre, il est automatiquement communiqué à la
censure qui effectue un travail de contrôle des données contenues dans le livre.
Si ce dernier est approuvé, une approbation est donnée certifiant l’orthodoxie
des propos et permettant ainsi une commercialisation de l’ouvrage. Dans le cas
contraire, un refus est apposé, sans toutefois préciser le nom du censeur afin de
protéger le système77
.
76 Cette vertu se retrouve au sein même de l’Evangile, texte spirituel par excellence pour tous ces auteurs :
« En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu
as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. », Matthieu, 11-25.
77 MARTIN (Henri-Jean), Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle, 1598-1701, vol.2, Genève,
Librairie Droz, 1999, p.764-765.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 45 - Droits d’auteur réservés.
Instaurer une telle censure n’est guère nouveau : le pouvoir royal en a fait son
fer de lance depuis le début du XVIème siècle afin de contrôler les idées
contenues dans les ouvrages. Cependant cette tendance permet tout autant
d’encadrer le nombre de livres édités. La bascule vers un pouvoir censorial plus
répressif se situe au plein cœur de la période de notre corpus. Deux hommes
représentent cette réforme de la censure des ouvrages imprimés entamée par
Colbert dès le XVIIème et amplifiée à l’aube du XVIIIème siècle :
Pontchartrain78
et Bignon79
. Installés au sommet du contrôle de la Librairie, ces
deux représentants royaux ont désiré réformer la production livresque, à Paris
tout d’abord mais également en province. Car Pontchartrain en tête se rend
compte dès 1699, que beaucoup de livres non approuvés sont édités de manière
frauduleuse dans les régions de France éloignées du pouvoir royal80
. Afin
d’établir un recensement général des librairies en province, une enquête est
menée en 1701 sous la responsabilité de l’abbé Bignon dans le but de réformer
les ateliers de production du livre et d’évincer les centres les plus pauvres,
soupçonnés d’enfreindre les règlements81
. Le 2 octobre 1701, des lettres
patentes obligent tout ouvrage désirant être imprimé à posséder une permission
scellée au grand sceau. Par ailleurs, la tenue d’un registre à la direction de la
Librairie continue cette obligation de contrôle82
.
Cette chronologie étant rapidement rappelée, intéressons-nous désormais aux
censeurs qui donnent ces approbations à nos ouvrages. Qui sont-ils ? Quelle est
leur implication dans l’édition des livres concernant la Vierge Marie ? Tout
d’abord, étudier une telle catégorie d’ouvrages revient à s’intéresser au secteur
de la théologie, prisé par les censeurs puisqu’il est témoin et acteur dans le
conflit qui oppose la religion catholique à celle « prétendue réformée ». Les
censeurs examinant les manuscrits sont recrutés parmi les personnes
compétentes du royaume : ils proviennent presque tous de la faculté de la
78 Louis II Phélypeaux de Pontchartrain (1643-1727), ancien contrôleur des Finances de Louis XIV, puis
secrétaire d’Etat à la Marine ainsi que chancelier de France de 1699 à 1714.
79 Jean-Paul Bignon, dit abbé Bignon (1662-1743), prédicateur de Louis XIV ainsi que bibliothécaire du roi.
Il est le neveu de Pontchartrain et a mené avec lui la réforme du monde du livre.
80 BIRN (Raymond), La censure royale des livres dans la France des Lumières , Paris, Odile Jacob, 2007,
p.44.
81 Ib. idem, p.45.
82 MINOIS (Georges), Censure et culture sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1995, PAGE ??
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 46 - Droits d’auteur réservés.
Sorbonne ou bien du collège de Navarre83
. Afin de garantir l’orthodoxie du
jugement, ces derniers ne doivent pas avoir été impliqués dans une quelconque
controverse théologique, cela ayant également l’avantage de procurer des
censeurs royaux conforme à la volonté politique du pouvoir.
Quelques noms reviennent fréquemment au sein de notre corpus, à l’instar de
Morange et de Cohade, tous deux docteurs en théologie à la Sorbonne. Il est
intéressant de constater qu’ici, il s’agit de deux lyonnais puisque Bedien
Morange a été vicaire général du diocèse de Lyon, ainsi que chanoine de Saint -
Nizier84
, paroisse proche du quartier des gens du livre. Paul de Cohade est quant
à lui dominicain et a également vécu à Lyon puisqu’il y a été vicaire de
l’archevêque85
. Nous avons donc ici deux cadors de l’église rhodanienne,
attestés par le pouvoir royal. Leur proximité avec le lieu de production ainsi que
leur connaissance du milieu théologique en font des censeurs reconnus et
compétents.
L’abbé Bignon dans sa quête de contrôle du livre exige de ces censeurs une
lecture attentive ainsi qu’une approbation justifiée : c’est pourquoi ces derniers
doivent énumérer les raisons qui les ont poussés à accepter la publication d’un
livre86
. Lorsque nous analysons les approbations situées au sein de nos
ouvrages, nous nous rendons compte que la diversité, une fois de plus, fait loi :
la plupart consiste en deux-trois lignes de formules classiques telles que :
[...] ie n’ay rien reconnu qui le puisse empescher d’estre imprimé.
La tournure de phrase est neutre et ne témoigne pas d’un empressement
significatif du censeur qui autorise la publication. Car on trouve des censeurs
beaucoup plus élogieux quant aux manuscrits qu’ils ont examiné, allant même
jusqu’à développer les raisons qui les ont poussé à accepter leur parution. Ces
manifestations d’enthousiasme peuvent être concises :
83 BIRN (Raymond), La censure royale des livres dans la France des Lumières , Paris, Odile Jacob, 2007,
p.48.
84 COLLOMBET (François-Zénon), Etudes sur les historiens du Lyonnais, Lyon, Sauvignet et Cie, 1839,
p.103.
85 Fonction parfois mentionnée dans les approba tions délivrées par Cohade, cela n’étant pas renseigné
systématiquement.
86 MARTIN (Henri-Jean), Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle, 1598-1701, vol.2, Genève,
Librairie Droz, 1999, p.765.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 47 - Droits d’auteur réservés.
Nul ouvrage peut-être, plus propre pour nourrir la foi, & la pieté des
Fidéles.87
On reconnait par-là la supériorité de l’ouvrage ainsi que sa qualité théologique
puisqu’il est reconnu comme adéquate pour former la piété des simples fidèles,
connaisseurs ou non du sujet abordé.
Nous constatons également que ces approbations sont le reflet des
mouvements auxquels appartiennent parfois les censeurs et les auteurs. Ainsi, le
Saint pèlerinage de Notre-Dame de Lumières... [...]88
a été rédigé par le père
Michel du Saint Esprit, carme et commissaire général de la province de
Provence. Une des approbations donnée à son ouvrage a été accordée par
Lombard, docteur en théologie de Paris mais également provincial de
Narbonne :
[...] ne doit pas seulement donner ma simple Approbation à l’histoire des
Miracles de N. Dame de Lumieres ; mais ie suis obligé d’en parler en
témoin oculaire, puisque i’ay eu la consolation d’aller visiter en personne
à Goult, la sainte Chapelle [...]
Il continue en évoquant sa rencontre avec l’auteur et l’approbation qui en
découle. Ici, c’est le réseau qui est mis en avant : puisque le censeur est un
témoin physique de la dévotion ainsi que de l’orthodoxie de l’auteur, on ne peut
que garantir la bonne tenue de son contenu. L’esprit de corps régnant chez les
Carmes ne doit pas être occulté : approuver un tel travail issu du sérail ne peut
que bénéficier à l’ordre. Posséder une autorisation afin de pouvoir publier son
œuvre est donc une obligation, inscrite dans la lignée de la maison religieuse
dont est issu l’auteur, témoignant par-là de la spiritualité de l’ordre.
Ordonner la vérification des publications présente un intérêt premier pour les
autorités : cela leur permet en effet d’assurer une censure préventive. En
contrôlant en amont les ouvrages malfaisants, ceux-ci assainissent la production
87 La vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tirée des quatres évangélistes, et celle de la très sainte Vierge
Marie, mère de Dieu, entremêlées de notes historiques et de courtes réflexions morales. Par le R. P. Jean Croiset,
Jean Croiset, 1723, Lyon, chez la veuve d’Antoine Boudet, BM Lyon.
88 Le Saint pèlerinage de Notre-Dame de Lumières... de la Sainte Chapelle de Goult en Provence..., Michel
du Saint Esprit, 1666, Lyon, chez Jean Grégoire, Paris BN.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 48 - Droits d’auteur réservés.
livresque du royaume. Nous constatons que bien souvent, ces derniers cumulent
ces approbations. Quel en est l’intérêt ?
Reprenons l’exemple de Michel du Saint Esprit. Ce dernier expose certes une
approbation importante de la part d’un censeur issu des Carmes. Cependant, il
combine cet éloge à quatre autres approbations de divers censeurs. Par ailleurs,
cela lui permet d’assurer la parfaite approbation du pouvoir censorial mais
également de se placer sous une égide puissante : cumuler les avis ne fait que
renforcer l’impression d’orthodoxie auprès des lecteurs et des éditeurs. Plus le
livre est approuvé, et plus il est digne d’être consulté. Ce cas de figure n’est pas
unique au sein de notre corpus : un grand nombre de sources portant mention
d’une approbation compilent les divers avis de censeurs, cela pouvant aller
jusqu’à sept approbations différentes. Peu n’offrent qu’une seule validation,
toutefois cela suffit à passer la censure royale et à admettre le manuscrit à la
presse.
Cette accumulation de textes législatifs se retrouve dans un grand nombre des
ouvrages de notre corpus lorsque nous nous intéressons au nombre des
permissions accordées. Associées aux privilèges consentis par le pouvoir royal,
l’octroi d’une permission atteste du nombre important de rouages mis en place
afin de contrôler l’imprimerie. Dès 1566 et l’édit de Moulins, l’obligation de
posséder un privilège pour pouvoir imprimer un ouvrage nouveau est
promulguée tout comme la nécessité d’obtenir une permission d’imprimer, les
deux allants de pair. Au sein de notre corpus, ces autorisations de mise sous
presse se délivrent par les autorités royales, à savoir le procureur du roi dans la
grande majorité des cas. Une deuxième permission, contenue en deux courtes
lignes, confirme cette décision émanant du pouvoir central à un niveau plus
local. Il est intéressant de constater que les permissions évoquent presque
toutes les approbations délivrées en amont :
Veu les Approbations des Sieurs Compain & Basset concernant le livre
[...]89
89 Deffence de la virginité perpétuelle de la mère de Dieu, selon l'Ecriture, les conciles & les pères, par
M.E.L.C.E. & P.D.G., Etienne Le Camus, 1680, Lyon, chez Laurent Avein, BM Lyon.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 49 - Droits d’auteur réservés.
Le plan législatif mis en place par le pouvoir royal visant à contrôler la
production du livre dans le royaume doit donc s’envisager sur un plan juridique
ainsi qu’économique. Cependant, le contenu de ces mêmes ouvrages ne saurait
être occulté par une vision trop mercantile. Les propos doivent être conformes à
l’orthodoxie en vigueur et ne pas exacerber les tensions religieuses déjà
existantes et si présentes au cœur d’un thème tel que la Sainte Vierge.
Par ailleurs, si le pouvoir royal délivre à travers ses intermédiaires des
permissions d’imprimer, il n’est pas le seul : la hiérarchie religieuse peut
également donner son autorisation. A titre d’exemple, intéressons -nous à
l’œuvre de Jean Croiset90
: le livre en tant qu’objet matériel exhibe en premier
lieu la permission du Révérend Père Provincial Pierre Rostain, puis
l’approbation de Cohade, vicaire général de Lyon et docteur en théologie. Vient
ensuite le privilège donné dans son entier, conformément à la législation en
vigueur. Cependant, le fait de le présenter dans son intégralité souligne une
volonté forte de respecter à la lettre la loi ainsi que de prouver la bonne tenue de
l’ouvrage. La permission du père provincial rejoint quelque peu cette dernière
volonté : le propos tenu par Jean Croiset se trouve être conforme à la pensée de
la Compagnie de Jésus et il convient de le faire savoir afin d’assurer une bonne
visibilité de l’ouvrage sur le marché du livre. Outre le fait que la permission des
autorités religieuses se trouve parfois être présente au sein des pièces disposées
en marge du texte concernant la Vierge Marie, nous pouvons déduire de la place
accordée à la permission une volonté de se placer sous l’égide de sa hiérarchie.
En effet, il se peut que les différentes permissions et approbations accordées par
les tutelles religieuses des auteurs soient situées au tout début de l’ouvrage et
que les approbations plus académiques de la Faculté de Théologie de Paris ainsi
que les permissions délivrées par le pouvoir royal soient reléguées à la fin91
. La
législation est ainsi respectée puisque les textes permettant l’impression du
manuscrit sont disponibles pour quiconque désire s’y intéresser. Cependant,
90 La vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tirée des quatres évangélistes, et celle de la très sainte Vierge
Marie, mère de Dieu, entremêlées de notes historiques et de courtes ré flexions morales. Par le R. P. Jean Croiset, Jean Croiset, 1723, Lyon, chez la veuve d’Antoine Boudet, BM Lyon.
91 Ce cas se retrouve, par exemple, dans l’ouvrage de Guillaume Raynaud : Le Livre du Verbe mis au jour dans la naissance de Marie, mère de Dieu, expliqué pendant l'Octave de sa Nativité, partagé en huit discours,
prononcez par le R. P. F. Guillaume Raynaud... en l'église de Notre-Dame de la Platière de Lyon, l'année 1665,
Guillaume Raynaud , 1668, Lyon, chez François Comba, BM Lyon.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 50 - Droits d’auteur réservés.
l’accent n’est pas mis sur ces approbations-là. L’œil est davantage porté vers les
premières pages de l’ouvrage, et sur ses approbations émanent de l’ordre de
l’auteur compte tenu du fait qu’un lecteur lambda débute sa lecture par là -
même.
L’étude de ces textes législatifs s’avère donc être indispensable lorsque l’on
désire envisager les sources d’un corpus dans son ensemble : elles révèlent en
effet beaucoup quant aux dispositions des autorités tout comme des auteurs qui
y voient une manière de se placer sous la bienveillance de deux hiérarchies,
l’une politique, l’autre religieuse, lesquelles influent sur leur destinée et leur
pérennité.
Introduire l’ouvrage
Une fois les données formelles acquises, le livre peut être publié dans les
meilleures conditions et ainsi offrir une visibilité plus grande à la Vierge
Marie. Cependant, nous l’avons vu, le nombre des publications étant important,
il convient de démontrer en quoi le livre que l’on écrit ou que l’on publie peut
attiser plus fortement la piété mariale. C’est ici que la préface prend toute son
importance. Tous nos ouvrages n’en comportent pas, il peut s’agir d’une volonté
d’économie puisque le papier revient cher, tout comme l’encre ainsi que la mise
sous presse. Nous ne pouvons toutefois pas écarter non plus une envie de
concentrer le propos sur le texte lui-même destiné à stimuler ou à éduquer la
piété du fidèle qui tient l’ouvrage entre ses mains. Seules les prières ou bien les
méditations sur la Vierge Marie importent et constituent le cœur du livre.
Lorsque nous rencontrons des préfaces, nous constatons qu’elles obéissent
à une logique de présentation tout comme de promotion. L’origine
étymologique du terme préface renseigne en premier lieu sur son utilité : venant
du mot latin praefatio92
, il rend compte de l’action de parler d’abord, en avant-
propos. L’auteur utilise alors cette fenêtre qui lui est offerte pour évoquer
92 Praefatio, onis, f.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 51 - Droits d’auteur réservés.
plusieurs thèmes qui lui tiennent à cœur. Le premier qui revient de manière
récurrent n’est nul autre que les bienfaits de la dévotion à Marie. La très grande
majorité s’accorde à dire que la Vierge est une intermédiaire privilégiée, une
mère tutélaire sans pareil pour l’accomplissement de la vie spirituelle de
chacun :
Mais ce à quoi elle les exhorte le plus, c’est de regler leur confiance en
son pouvoir & sa mediation auprés de son Fils par les lumieres de la Foi
[...]93
Ici, c’est l’intérêt de la piété à Marie qui est mise en avant : elle seule détient
cette position unique de mère de Dieu qui est écoutée de son Fils94
. Tout
chrétien qui désire se rapprocher du Paradis peut trouver une voie honorable et
salutaire dans la dévotion à Marie.
Outre ces présentations relevant du domaine de la théologie, les auteurs des
préfaces ont également à cœur de promouvoir la spécificité de leur moyen de
louange. En effet, un grand nombre de ces ouvrages relèvent de confréries ou
bien de congrégations ayant choisi d’orienter leur piété vers la mère céleste de
tous les hommes. La préface peut ainsi servir à présenter à chaque confrère les
bienfaits de la dévotion tout comme la particularité du mouvement.
Intéressons-nous de plus près à l’avant-propos des Pratique de devotion et des
vertus chrestiennes, suivant les regles des congregations de Nostre Dame..., 95
,
ouvrage à destination des Messieurs de la congrégation de Notre-Dame,
encadrant la piété d’anciens membres du collège des Jésuites de Lyon96
. Court
dans sa forme puisque contenu en quatre pages, le programme développé n’en
est pas moins dense. Les images classiques de Marie en tant mère du Ciel et des
hommes sont exposées en premier lieu afin de servir d’introduction à la piété
des Messieurs. Par la suite, nous pouvons lire à travers les lignes toute les
93 Sermons pour une Octave de l'Assomption de la Très-Sainte Vierge, P. Edme-Bernard Bourée, 1704, Lyon,
chez Léonard Plaignard, BM Lyon.
94 Cette interaction entre Jésus et Marie se retrouve tout au long des textes de la Bible, y compris au mom ent
de la Passion lorsque Jésus se préoccupe du sort de sa mère et la confie au « disciple qu’il aimait », cf Jean 19 25-27.
95 Pratique de devotion et des vertus chrestiennes, suivant les regles des congregations de Nostre
Dame..., Congrégation Notre Dame, 1689, Lyon, chez Jean Baptiste De Ville ruë Merciere à la Science, BM Lyon.
96 Tous membres du collège de la Trinité, ces congrégationnistes sont choisis afin de mener un programme de
piété d’excellence dans le but de former une élite spirituelle. Pour une présentation succincte, cf l’article de
DELATTRE (Pierre) (dir.), Les établissements des Jésuites en France depuis quatre siècles , Tome II, Institut
Supérieur de Théologie, Enghien et Wetteren, 1953.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 52 - Droits d’auteur réservés.
ambitions de la Compagnie de Jésus pour cette congrégation. L’usage du terme
« perfection » témoigne du but que doit atteindre chaque membre : en suivant la
volonté de la Vierge ainsi qu’en se calquant sur les exemples de sa sainte vie,
on peut atteindre le modèle du parfait dévot97
. Par la suite, l’avant-propos
permet à l’auteur d’exposer le but de la congrégation ainsi que les moyens qui
lui sont donnés afin d’y parvenir :
Aussi est-ce pour cela, Messieurs, que la Congregation qui n’a rien plus à
cœur que d’elever des enfans dignes d’une fi glorieuse Mere, & former des
serviteurs à cette grande Princesse par la pratique de toutes les vertus,
vous les presente distri-buées selon les semaines, & les temps de toute
l’année [...]98
Ici, ce sont les missions d’éducation ainsi que de formation qui sont mises en
avant : deux penchants sont développés à savoir, un maternel relevant de
l’apprentissage des gestes de vie chrétienne, ainsi qu’un autre plus autoritaire et
intellectuel puisque la formation passe par une assimilation pratique et
spirituelle des vertus de la Vierge. Pour ce faire, la congrégation met à
disposition de chacun une pratique hebdomadaire pour la mise en application de
cette dévotion. L’avant-propos a ainsi exposé les volontés de la congrégation
quant à la piété mariale ainsi que les moyens proposés au dévot qui lui
permettront d’y parvenir. En présentant ce programme en préambule à la
méthode spirituelle de la congrégation, cette dernière s’assure que tous
saisissent les formats de l’association, originale par le public visé, un public
d’élite, tout comme par la pratique, exigeante et destinée à des gens formés au
préalable intellectuellement.
Enfin, si la préface peut permettre de faire la promotion de la dévotion à
Marie, elle n’en demeure pas moins un vecteur privilégié pour assurer la
promotion de l’ouvrage ainsi que de l’auteur. Nous avons retrouvé au sein de
plusieurs livres le développement des qualités de chacune de ces méditations,
sermons, prières sur la Vierge... Ici, le programme éditorial est pris en compte :
en exposant les motifs de publications tout comme ceux de création, on assure
97 Le terme dévot est ici employé dans sa forme primitive, attestée par sa racine latine : devotus, a, um
signifiant dévoué, zélé et plus tardivement soumis à Dieu.
98 Pratique de devotion et des vertus chrestiennes,..., op.cit.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 53 - Droits d’auteur réservés.
au lecteur de la véracité des propos exposés dans un premier lieu, tout comme
les bienfaits qu’un tel ouvrage peut apporter. Cette filiation est également
nécessaire lorsque l’auteur est anonyme. Cela se trouve dans les Méditations sur
les litanies de la Sainte Vierge 99
, le compositeur étant inconnu, la préface sert
de justification et de légitimation aux propos :
Nous ne sa-vons pas au vray l’Auteur de ces Litanies ; Elles sont pourtant
fort anciennes : & le Pape Clement VIII. en rejettant les autres, qu’on pu-
blioit de son temps, a ordonné, que celles-ci fussent chantées dans
l’Eglife100
.
Deux arguments sont ici invoqués afin de prouver la bonne tenue de ces litanies.
Tout d’abord, l’ancienneté est mise en avant : un grand nombre d’hommes ont
auparavant prié la Vierge avec ces mêmes termes, offrant ainsi une sorte de
garantie quant à leur efficacité. En outre, les mentalités des populations de l’ère
moderne perçoivent cet appel constant à l’ancienneté : l’ancrage dans un temps
linéaire important valide en quelque sorte le mode de dévotion. Par ailleurs, le
recours à la tutelle papale est indéniable et témoigne de la force du t rône de
Saint Pierre. Cet extrait de l’avant-propos se place sous l’égide de Clément
VIII, pape du tout début de l’époque moderne et connu pour son activité de
réforme au sein des ordres religieux, ainsi que dans les relations
internationales101
. Le pape étant le « vicaire de Dieu sur Terre », toutes ses
déclarations sont écoutées religieusement et adoptées. Qui plus est, d’après
l’avant-propos, ces litanies ont été choisies parmi d’autres pour leur excellence
au sein de la communauté que forme l’Eglise. Posséder une telle reconnaissance
ne peut qu’exhorter chaque fidèle à prendre appui sur ces litanies afin de vivre
sa dévotion à la Vierge.
Lorsque nous analysons les données matérielles concernant ces préfaces, nous
sommes marqués par l’importance accordée à la préface. Lorsque cette dernière
est présente, elle est généralement développée et contenue en plusieurs pages.
99 Méditations sur les litanies de la Sainte Vierge , ?, 1701, Lyon, chez Antoine Boudet, BM Lyon.
100 Méditations sur les litanies de la Sainte Vierge , op. cit.
101 GOBRY (Ivan), « Clément VIII » dans Dictionnaire des papes, Paris, Flammarion, 2013.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 54 - Droits d’auteur réservés.
Le graphique ci-dessous présente de manière schématique le volume des
préfaces étudiées, à savoir dix-sept volumes.
Ainsi, le format le plus adopté parmi notre échantillon est majoritairement celui
comprenant entre trois et neuf pages. Cela n’est guère étonnant : il offre la
possibilité d’exposer les motifs souhaités en un nombre de pages raisonnable.
Le lecteur n’est alors pas décontenancé par la longueur de la préface et peut
envisager de la lire dans son intégralité. La catégorie des préfaces contenues
entre neuf et treize pages est également importante : elle témoigne d’une
volonté de développer le propos et de créer un petit exposé des différents motifs
qui peuvent amplifier la dévotion à Marie. Un cas se détache nettement parmi
les préfaces de notre corpus : celle de l’Octave de l’Assomption de la Sainte
Vierge102
composée par le religieux Nicolas de Dijon. Cette dernière comporte
trente-neuf pages et se révèle être un véritable plaidoyer en faveur de la
dévotion mariale, étayé par diverses citations et références bibliques. On
n’introduit plus seulement le propos, on propose d’ores et déjà une réflexion au
102 Octave de l’Assomption de la Sainte Vierge , Nicolas de Dijon, 1687, Lyon, chez Jean-Baptiste et Nicolas
Deville, BM Lyon.
Volume des préfaces
De 0 à 3 pages
De 3 à 9 pages
De 9 à 13 pages
Plus de 20 pages
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 55 - Droits d’auteur réservés.
lecteur. Car tous les arguments sont mis en avant : l’auteur n’hésite pas à
remonter au « quatriéme fiécle » afin de démontrer toutes les hérésies commises
lorsque les peuples se contentaient d’idées préconçues. Ce dernier expose alors
une généalogie du culte marial au sein de la chrétienté afin de permettre au
lecteur contemporain de se placer dans une lignée juste et conforme aux
préceptes de l’Eglise Catholique. Outre ce besoin de replacer la dévotion,
l’auteur livre dans cette préface une véritable méthode de travail : ses
convictions sont étalées ainsi que les moyens employés lors de la rédaction de
l’ouvrage. Lorsque nous rapportons le volume de la préface, trente-neuf pages
rappelons-le, à celui de l’ensemble, six-cent trente neuf page, nous constatons
que la concision n’est guère le fort de l’auteur. Par ailleurs, la page est
rentabilisée au maximum : une marge importante est laissée afin de permettre
l’insertion de notes marginales destinées à étayer le propos et à permettre au
lecteur de s’y reporter si besoin103
. L’ensemble n’est toutefois guère aéré : le
contenu a été préféré au confort du lecteur qui se retrouve face à un texte dense,
sans repères visuels autre que les séparations entre les sermons marquées par
l’insertion de bandeaux représentant la Vierge Marie rayonnante parm i les anges
ou bien des lettrines permettant au lecteur de trouver le début d’un sermon.
Outre ces détails typographiques, l’ouvrage est exigeant pour qui désire le lire,
et cela se perçoit dès la préface, imposante par sa forme ainsi que son fond.
Ainsi, la préface lorsqu’elle est présente au cœur d’un ouvrage se révèle être
un moyen privilégié pour les auteurs d’exposer les motifs conduisant à une piété
envers Marie indéniable, tout comme un vecteur de promotion éditoriale : on y
développe les raisons qui ont poussé à sa conception tout comme la méthode
employée. L’avant-propos permet alors d’introduire l’ouvrage dans les
meilleures conditions et de le différencier sur le marché du livre. Cependant,
nous constatons une certaine redondance dans les arguments évoqués par nos
différents préfaciers : ces derniers ne font pas toujours preuve d’originalité, soit
parce qu’ils obéissent à une logique institutionnelle, soit parce qu’ils s’inspirent
largement des nombreux autres livres à leur disposition sur Marie.
103 Cf exemple en annexe 3.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 56 - Droits d’auteur réservés.
Pour finir, intéressons-nous au dernier élément présent au sein de certaines
pièces liminaires et qui ont également à cœur d’introduire l’ouvrage, à savoir
l’épître. Celui-ci peut être qualifié de dédicatoire compte tenu du fait qu’il
s’adresse à une personne précise à laquelle on rend hommage en lui présentant
l’ouvrage et en le plaçant sous sa protection. Nous constatons qu’il existe au
sein de notre corpus deux types de personnes choisies : des religieux,
personnalités éminentes ou non, et Marie elle-même.
Reprenons l’exemple de l’Octave de l’Assomption de la Sainte Vierge évoqué
ci-dessus104
. L’épître, tout comme l’ensemble de l’œuvre, est imposant puisqu’il
est composé de trente-huit pages, soit seulement une de moins que la préface
étudiée précédemment. Ce dernier est adressé « A MONSEIGNEUR
L’ILLUSTRISSIME ET REVERENDISSIME ARMAND DE BETHUNE
EUEQUE ET SEIGNEUR DU PUY, COMTE DE VELAY, &c. » Le choix de ce
prélat est très clairement expliqué par Nicolas de Dijon, qui après avoir évoqué
la noblesse de la généalogie de Marie, développe :
Cette réfléxion, MONSEIGNEUR, m’a persua-dé que ces discours que j’ai
prêché à sa gloire, ne dévoient paroître au jour, que sous le nom d’un
Prelat, qui pût conter des princes Souverains dans sa famille, & toucher de
prés par ses Alliances, aux têtes Couronnées.105
S’ensuit un rappel de la glorieuse lignée du prélat qui est affilié à Maximilien de
Béthune, duc de Sully, connu pour sa remarquable gestion en tant que
surintendant des Finances, devenu maréchal de France à la fin de sa vie. Il est
intéressant de constater qu’ici l’auteur se place sous l’égide d’un lointain parent
protestant, Sully étant resté fidèle à sa religion de cœur, à savoir le calvinisme.
Cependant, ce dernier ne manque de rappeler les preuves émanant d’autorités
catholiques de référence quant à sa loyauté à Henri IV, roi de France et de
Navarre. L’auteur évoque également Philippe de Béthune, frère du précédent,
louant tout autant ses mérites et allant jusqu’à recopier dans son intégralité le
bref du pape Urbain VIII qui a fait son éloge, ce dernier ayant eu une influence
catholique considérable sur les élections des papes Léon XI et Paul V, et
104 Cf mémoire p. 52-53.
105 Octave de l’Assomption de la Sainte Vierge , Nicolas de Dijon, 1687, Lyon, chez Jean-Baptiste et Nicolas
Deville, BM Lyon.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 57 - Droits d’auteur réservés.
s’impliquant également dans les affaires de la Curie. Si cette généalogie est
évoquée, c’est pour bien entendu aboutir à toutes les qualités d’Armand de
Béthune, prélat admiré, aimé et protecteur. Car c’est cela dont il s’agit ici :
s’attirer la bienveillance d’un personnage haut placé afin de s’assurer de la
réussite de l’ouvrage. Cette pratique se révèle être cependant très classique : les
auteurs n’ayant guère de revenus, ni d’appuis stables et réguliers, recourent
régulièrement à ces épitres afin d’assurer leur propre protection en premier lieu,
puis celle de l’ouvrage. Il est également intéressant de comparer la sp iritualité
des auteurs avec les personnalités citées en épitres. A titre indicatif, le père Paul
de Barry, jésuite, a choisi de dédicacer son épitre au pape Alexandre, compte
tenu du fait que la Compagnie de Jésus a comme spécificité de ne dépendre que
du pape seul selon les souhaits de son créateur, Ignace de Loyola.
Les épitres qui nous intéressent davantage ici restent indéniablement celles
dédiées à la Vierge Marie. Sujet des ouvrages édités à Lyon au cours de la
période 1650-1750, elle peut également devenir la protectrice et la personne à
qui l’on dédie l’ouvrage. L’invoquer lorsque l’on traite de la spiritualité
chrétienne n’est pas anodin : on fait ici appel à sa fonction de médiatrice auprès
de Dieu et de Jésus son fils. Par sa place de femme, elle parle au cœur de son
Seigneur et devient un allié indispensable pour le simple mortel. Cette fonction
tutélaire se trouve dans l’ouvrage de François Arnoux106
qui dès le titre annone
qu’il a dédié son livre consacré au paradis et aux vertus qu’il faut acquérir afin
d’y accéder à la Vierge Marie. Les termes choisis pour invoquer sa protection
sont plus qu’élogieux : en effet, les premières pages ne sont que succession de
métaphores destinées à promouvoir la sainteté et la grandeur de Marie :
Saincte Vierge pure, Vierge immaculée, la gloire des Patriarches, la
reuelation & illumination des Prophetes, la Sagesse des Anges, la force
des armées, la couronne des Roys, le lustre des Apostre [...]107
Il serait fastidieux ici d’évoquer toutes les figures utilisées pour décrire la
Vierge. Toutefois, nous remarquons que ces dernières ont toujours un
fondement biblique, très souvent référencé en marge de l’épitre. Cela permet de
106 L'eschelle de paradis, très utile à un chacun, pour au partir de ce monde escheller les cieux. Dediée à la
mere de Dieu,..., François Arnoulx, 1670, Lyon, chez Pierre Bailly et Benoist Bailly, BM Lyon.
107 Ib. idem.
Marie au cœur du paysage imprimé lyonnais ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 58 - Droits d’auteur réservés.
dresser un rapide panorama des bienfaits de la Vierge et de permettre au lecteur
de s’y reporter s’il en éprouve le besoin. Outre cette nécessité ressentie
d’introduire son ouvrage en se plaçant sous la protection de la Vierge Marie,
nous pouvons également y voir une forme de prière. L’homme de l’époque
moderne n’est guère avare de métaphores pour qualifier sa dévotion et la rendre
concrète. En évoquant chacune des facettes de la Vierge Marie, ce dernier
s’insère dans une ligne spirituelle et se remémore tous les aspects et avantages
qu’il y a à s’y tenir. Par ailleurs, cette forme de présentation de l’épitre offre
quelques similitudes avec la litanie. Celle-ci se caractérise par la répétition
d’une même formule permettant ainsi au fidèle de s’en imprégner et de la
méditer dans le fond de son cœur108
. Ici, l’invocation change mais conserve un
certain aspect répétitif qui favorise une entrée dans la méditation spirituelle.
Tout au long des sept pages qui constituent l’épitre, les formules périphériques
figurant la Vierge Marie sont évoquées afin de faire entrer le lecteur dans une
démarche d’intériorisation. S’inscrire dans une boucle de paroles spécifiques se
retrouve dans la spiritualité du rosaire, autre grand phare de la piété mariale. On
y médite ses mystères, à savoir joyeux, douloureux, lumineux et glorieux,
chacun s’attachant à une partie spécifique de la vie de Marie. Le dévot du
rosaire se place sous la protection de Jésus en récitant le Pater Noster puis sous
celle de sa mère en priant quinze dizaines de l’Ave Maria109
. L’épitre présenté
ci-dessus reprend cette forme de ronde laudative, emblème de la dévotion à la
Vierge et connue de la majorité des consultants de son ouvrage.
La production mariale est ainsi dirigée et introduite par différents acteurs du
secteur du livre tout comme par les autorités politiques et ecclésiales . Elle obéit
à de nombreuses contraintes normatives mais également spirituelles, soumettant
ces ouvrages de piété à un cadre strict et défini au préalable. Ces considérations
techniques ayant été évoquées, il convient désormais de s’intéresser au contenu
de ces livres soumis à la spiritualité de la Vierge et pour la Vierge.
108 ROBERT (Philippe), L’abécédaire du chant liturgique, Saint Maurice, Editions Saint Augustin, 2001,
p.53.
109 BEITIA (Philippe), Le Rosaire: Une grande prière de la spiritualité catholique, Paris, L’Harmattan, 2011,
p.9.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 59 - Droits d’auteur réservés.
LE LIVRE, INSTRUMENT D’UNE PIETE
MARIALE
A. DES VERTUS PEDAGOGIQUES
Transmettre par écrit
Par leurs essences de religions antiques, le christianisme et plus
particulièrement le catholicisme se sont, dans un premier temps, développés de
façon orale. Les prières se sont transmises au sein des groupes de sociabilité
classiques, tels que la famille ou bien la petite communauté qui se retrouve pour
dire les mêmes paroles transmises par le fils de Dieu. Cet esprit d’assemblée est
cité dans la Bible, à travers la voix même de Jésus :
De même, je vous le dis en vérité, si deux d’entre vous, sur la terre,
unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé
par mon Père qui est aux cieux. Que deux ou trois, en effet, soient réunis
en mon nom, je suis là au milieu d’eux.110
Ce commandement divin est à l’origine de la grande institution représentante de
Dieu sur Terre, à savoir l’Eglise. L’origine étymologique de ce terme confirme
cette approche : en effet, ekklêsia désigne en grec l’assemblée. Tout croyant est
ainsi invité à vivre en communauté afin de partager sa foi, de l’attiser et de
rendre vivant le sacrifice de Jésus qui a donné sa vie pour sauver les hommes.
Cette conception de la prière et de la relation à Dieu a poussé les responsables
ecclésiastiques à désirer encadrer la pratique de ses fidèles. Lorsque l’on
véhicule une parole orale, la prière peut se déformer, subir les transformations
de chacun ou tout simplement être oubliée. Envisager le passage à l’écrit de ces
textes s’est révélé être très tôt une préoccupation des ecclésiastiques qui ont
saisi l’importance de cette mission. En retranscrivant les prières et les
méditations par écrit, on offre la possibilité à tous de s’imprégner des textes
spirituels de façon conforme aux pratiques des autorités l’ayant contrôlé au
110 Matthieu 18 : 19-20.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 60 - Droits d’auteur réservés.
préalable. Par ailleurs, cela permet d’envisager un esprit de groupe encore plus
poussé : réciter la même prière que son voisin aide indéniablement à souder tous
les croyants et à les insérer dans une spiritualité commune adressée à la divinité
de leur choix, à savoir la Vierge Marie pour notre étude. Cette volonté se
retrouve au sein des préfaces et avis aux lecteurs étudiés précédemment :
nombre d’auteurs retranscrivent leurs désirs d’offrir aux fidèles une méthode
nouvelle afin de stimuler leur dévotion. Transcrire par écrit une inclination
envers la Vierge obéit alors à plusieurs motivations : celle tout d’abord de
contrôler la prière puisqu’en tant que support matériel le livre propose une piété
toute tracée. Lorsque le père Joseph de Galliffet traduit en français l’œuvre de
Saint Bonaventure, le Pseautier de la Sainte Vierge111
, il introduit une préface
afin d’expliquer ses motivations. Sa conclusion en est remarquable car elle
illustre cette volonté d’orienter la spiritualité des fidèles :
C’est sur tout entre les mains des jeunes gens, qu’on doit mettre ce
Pseautier ; pour imprimer de bonne heure dans ces cœurs tendre la de-
votion envers Nôtre-Dame, & leur en faire goûter la douceur.112
Cette recommandation est unique dans notre corpus : les jeunes personnes sont
spécifiquement ciblées par le traducteur qui se fait porte-parole de l’intérêt que
l’on peut trouver à louer la Vierge Marie. Le fidèle est d’ordinaire pensé dans sa
globalité, sans distinction aucune. Le fait ici de s’intéresser aux jeunes gens
témoigne d’une envie de catéchisme auprès d’un public réceptif , car leur piété
personnelle n’est généralement pas encore stable et définie.
Le livre peut ainsi se transmettre de mains en mains et favoriser une
circulation des idées mariales auprès d’un public encore peu averti et perverti
par des idées contraires à la foi catholique. Car il s’agit là également d’une autre
motivation du passage à l’écrit : l’unité matérielle peut aisément se transmettre
à un proche, à une connaissance113
et ainsi propager la piété mariale de manière
plus orthodoxe et diffuse compte tenu de l’importance du nombre des livres
consacrés à Marie, l’importance de notre corpus en témoigne.
111 Pseautier de la Sainte Vierge, composé par s. Bonaventure , Saint Bonaventure, 1736, Lyon, chez les
Freres Bruyset, BM Lyon.
112 Ib idem, p.8.
113 MARTIN (Philippe), Une religion des livres (1640-1850), Paris, Éditions du Cerf, 2003, p.10.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 61 - Droits d’auteur réservés.
Si nous nous intéressons de plus près aux ouvrages consultés, nous sommes
frappés par l’équilibre trouvé dans ce développement de pédagogie mariale
entre la liberté de l’individu et son encadrement. L’essence même du livre offre
la possibilité aux autorités de diffuser une pratique commune et conforme aux
instructions de la structure qui l’encadre. Les confréries en sont le parfait
exemple : lorsqu’elles diffusent leurs méthodes de dévotion, elles le font dans
un esprit de corporation certain mais également dans un souci de supervision. Il
suffit d’observer le contenu de ces livres : la prière est écrite in extenso afin que
chacun puisse la lire dans son cœur, permettant une prière personnelle mais
également à haute voix lorsque celle-ci s’intègre dans un office. Le fidèle est
ainsi libre de prendre son livret de confrérie et d’effectuer les devoirs que cette
dernière recommande. Cependant, la supervision morale effectuée sur le fidèle
ne laisse pas une amplitude totale : en lui proposant le texte déjà défini, elle
l’oriente et unifie sa prière à celle de ses confrères114
. L’étude des termes
employés par les auteurs de ces livrets est essentielle afin de comprendre cet
emploi du livre dans un sens éducatif pour le fidèle.
Prenons pour exemple le livret des congrégations mariales jésuites, Prières et
offices des congrégations de la Glorieuse Vierge Marie [...]
115. Edité afin
d’offrir à chaque membre de la congrégation les textes adéquats à chaque
situation, il est présent pour toutes les occasions et ne laisse à aucun moment le
fidèle seul. Outre la prière, une petite phrase d’introduction présente l’instant où
il convient de prononcer les termes prescrits :
Lors que quelqu’un en particulier se recom-mande aux prieres de la
Congregation ; on dit l’Ave Maris Stella : & à la fin fi c’est un malade, on
dit l’Oraison. Om-nipotens sempiterne Deus. Si c’est quelque bienfacteur,
ou quelqu’un qui foit en voyage, il faut dire l’Oraison, Deus qui charitatis
dona, &c.116
A chaque personne qui se recommande à la prière de la communauté, une prière
est associée. Mais plus encore, ce sont les termes « on dit », « il faut dire » qui
114 DESRUES (Clémence), Soumettre sa vie à la Vierge, étude de trois livrets de confrérie , Mémoire d’étude
Master CEI, Lyon, 2013, p.50.
115 Prières et offices des congrégations de la Glorieuse Vierge Marie. Erigées dans les Collèges et Maisons
de la Compagnie d’Iesus, Compagnie de Jésus, 1677, Lyon, chez Les Freres Bailly, BM Lyon.
116 Ib. idem, p.56.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 62 - Droits d’auteur réservés.
sont intéressants ici. Leurs emplois rendent compte d’une conception très
encadrée de la piété des congrégationnistes : la prière, représentant un moment
privilégié entre l’individu et le Seigneur, ne saurait être discordante avec la
situation présentée. Le livre se fait ici le porte-parole des ambitions
pédagogiques des congrégations mariales : ces dernières entendent éduquer
leurs fidèles afin d’en faire des parfaits chrétiens. Cette vision de l’encadrement
du fidèle se retrouve au sein des prévisions de la Compagnie de Jésus : cette
dernière entend « réformer le monde »117
selon l’expression consacrée par Louis
Châtellier. Afin d’y parvenir, il faut qu’elle ait à sa disposition des chrétiens
formés selon ses principes et unis selon une même méthode. Si nous nous
intéressons au cœur du propos des exercices proposés par ces congrégations
mariales, nous réalisons que celui-ci ne diffère guère des méthodes des autres
confréries. Les prières sont proches, voire identiques lorsque l’Ave Maria est
récité ou bien lorsque les litanies sont déroulées. Les règles de vie spirituelles
sont assez similaires aux confréries de type plus classique, la différence résidant
surtout dans l’intention de création et de développement de la congrégation.
Celle-ci a pour but de réformer la vie intérieure de ses fidèles mais également la
vie du monde extérieur par l’exemple irréprochable que donnent les
congrégationnistes118
. Cette ambition se trouve dans la transmission par écrit :
par les formules étudiées, nous l’avons dit, mais également par une approche
toute factuelle. Les deux manuels de congrégations mariales édités dans notre
corpus comptent plus de cent pages (cinq-cents cinquante pages pour les Prières
et offices des congrégations de la Glorieuse Vierge Marie [...]). La concision
n’est ainsi pas le parti pris dans l’encadrement des fidèles, le livre étant là pour
assurer tous les pendants de la vie spirituelle d’un congrégationniste . Cet
exemple des congrégations mariales reste spécifique par son attachement à la
Compagnie de Jésus qui prône une spiritualité somme toute particulière au sein
de ses congrégations.
Tous les ouvrages de notre corpus n’encadrent pas à ce point la piété de tout
lecteur désirant approfondir son amour pour Marie. Classé dans la catégorie des
117 CHATELLIER (Louis), L’Europe des dévots, Paris, Flammarion, 1987, p.11.
118 FROESCHLE-CHOPARD (Marie-Hélène), Dieu pour tous et Dieu pour soi: Histoire des confréries et de
leurs images à l'époque moderne , Paris, l’Harmattan, 2007, p.143.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 63 - Droits d’auteur réservés.
ouvrages de dévotion, l’Elogia Dei et Deiparae Virginis Mariae 119
a été lui
aussi composé par un père jésuite, Pierre Labbé, ancien bibliothécaire du
collège de la Trinité, devenu Recteur par la suite120
. Cependant, si la mouvance
de l’auteur est semblable, le contenu est tout autre : il s’agit en effet de
réflexions sur les grands sujets théologiques ayant trait à Jésus ou bien à la
Vierge Marie, à l’instar de la présentation de Jésus au Temple121
, de
l’Annonciation122
... La division en chapitres permet au lecteur de sélectionner le
passage qui l’intéresse et de s’attarder sur les éléments qui l’émeuvent. La
lecture n’est alors pas organisée et dirigée, laissant toute latitude à celui qui
tient l’objet-livre entre les mains.
Envisager le passage à l’écrit revient également à se poser la question de la
langue. En effet, quel modèle est employé par nos auteurs ? Le latin, langue
théologique et chrétienne par excellence mais qui tend à se limiter à une classe
spécifique ou bien le français, moins noble mais plus accessible pour la grande
majorité des lecteurs ? Lorsque nous interrogeons notre base de données, nous
nous rendons compte que sept ouvrages sont écrits intégralement en latin et tous
se situent au cœur de la période 1650-1700. Cette donnée ne doit pas faire
penser que tous les autres livres sont exclusivement en français : en effet,
beaucoup d’entre eux manient les deux langues. Le choix de l’idiome n’est pas
anodin : en fixant le texte par écrit, on ôte la possibilité d’explication voire de
traduction dans le cas où le lecteur ne manie pas le latin.
Le recours à cette langue antique se justifie de plusieurs manières. En premier
lieu, cette dernière offre l’indéniable avantage de l’ancienneté : utilisée par les
premiers chrétiens, ciment de l’Eglise depuis des siècles, elle permet à chacun
de se replacer au sein d’une histoire immémoriale123
. Le fidèle est alors introduit
dans cette grande lignée de prières qui subsiste depuis des générations. Si ce
recours à la langue latine permet d’édifier le fidèle, il n’en demeure pas moins
119 Elogia Dei et Deiparae Virginis Mariae, Pierre Labbé, 1667, Lyon, chez Alexandre Fumeux, Paris BN.
120 GUILLOT (Pierre), Les jésuites et la musique: le Collège de la Trinité à Lyon, 1565-1762, Liège,
Mardaga, 1991, p.57.
121 Cf Luc 2 : 22-40.
122 Cf Luc 1 : 26-38.
123 MENARD (Michèle), Une histoire des mentalités religieuses aux XVIIe et XVIIIIe siècles , Paris,
Beauchesne, 1980, p.359.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 64 - Droits d’auteur réservés.
que cela avantage tout autant l’institution qui édite l’ouvrage. En effet,
l’exemple des confréries est dans ce cas précis probant : lorsque ces dernières
cherchent à établir leur légitimité au sein d’un paysage marial chargé, il leur est
indispensable de mettre en avant leur ancienneté. L’édition de textes en latin
leur offre alors la possibilité de renvoyer à une pratique commune à l’Eglise
catholique et par là-même de s’insérer dans cette vaste institution. C’est le
choix qui a été opéré par la confrérie de Fourvière qui en 1682 publie une
Confirmation de l'ancienne confrérie de la très Sainte Vierge [...]124
ayant pour
but de publier ses statuts et sa méthode de piété afin de confirmer comme il est
indiqué dans le titre sa présence sur la scène lyonnaise. Cependant, cet exemple
a été ciblé afin d’illustrer le double emploi du français et du latin au sein d’un
même ensemble. En effet, lorsque nous nous intéressons de plus près au corps
des prières présentées aux fidèles, nous constatons que ces dernières sont
transcrites en latin et en français, la correspondance entre les deux versions
étant respectée125
. L’alternance entre les deux langues permet ainsi au dévot de
suivre le fil de la prière sans se perdre et d’assimiler ce qu’il entend ou ce qu’il
prononce. Car répéter un texte en latin sans en saisir le sens n’est pas chose
exceptionnelle : l’acte devient automatique et sûr compte tenu du fait qu’il a été
légué par les instances religieuses. Or le XVIIème et plus tard le XVIIIème
siècle sont deux siècles de profonde réforme pour l’Eglise catholique.
Malmenée par les convictions protestantes qui font souffler un nouvel air sur
l’Europe, la vieille institution se doit de reconsidérer sa pédagogie. Pour ce
faire, elle se penche plus particulièrement sur le simple fidèle afin que sa
réforme spirituelle soit profondément enracinée au sein de son cœur, et non plus
seulement dans la société qui l’environne126
. La confrérie de Fourvière a saisi
cette importance de donner au fidèle les moyens de sa piété en mettant à
disposition la prière dans la langue érudite traditionnelle de la confrérie et celle
qui serait le plus à même de comprendre et d’assimiler, à savoir le français. Ce
souci réel d’éducation témoigne également du manifeste de la confrérie qui
124 Confirmation de l'ancienne confrérie de la très Sainte Vierge, en l'eglise de Notre -Dame et S. Thomas de
Fourvière de Lyon, Confrérie de la Sainte Vierge, 1682, Lyon, chez Hugues Denouailly, BM Lyon.
125 Cf exemple en annexe 4.
126 FROESCHLE-CHOPARD (Marie-Hélène), Dieu pour tous et Dieu pour soi: Histoire des confréries et de
leurs images à l'époque moderne, Paris, l’Harmattan, 2007, p.11.
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 68 - Droits d’auteur réservés.
volonté de glorification de la personne divine qu’est Jésus. Fils de Dieu, ce
dernier ne saurait être fondu dans la masse et se doit d’être détaché du reste du
corps du texte. Transcrire systématiquement son nom en majuscules offre alors
la possibilité à l’auteur de rendre gloire au sacrifice de Jésus qui a donné sa vie
pour les hommes, faisant de lui un dieu majestueux, vénéré par tout un peuple.
L’écriture est alors utilisée afin de transmettre un message au plus grand
nombre et de fixer une dévotion, mais peut également s’envisager comme une
louange en elle-même. La piété mariale n’est pas en reste puisque bien souvent,
le nom de Marie est lui aussi placé en majuscule. Cependant, cela n’est pas
toujours le cas : la Vierge, bien que mère de Dieu, n’est pas l’égal de son Fils et
le culte qui est lui est rendu ne doit pas occulter la pleine puissance de ce
dernier. La graphie permet alors dans ce cas précis de reconsidérer la hiérarchie
dans la spiritualité catholique, faisant de la transcription par écrit un enjeu à
différentes échelles pour les auteurs tout comme pour les éditeurs135
.
La Vierge en représentation
Le livre, en tant qu’objet matériel offre de multiples possibilités quant à la
transmission des idées : le texte est bien évidemment le moyen le plus utilisé
par nos auteurs puisqu’il permet de développer des arguments et de susciter une
réflexion à travers les mots, moyen de communication reconnu entre les
hommes. Cependant, si nous remontons plus loin encore dans l’histoire de
l’écriture, nous constatons que c’est bien l’iconographie qui a été utilisée en
premier lieu afin d’échanger et de laisser une trace de ce que ces populations
avaient vécu.
"L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible" a écrit Paul Klee, peintre
allemand du début du XXème siècle136
. Cette citation d’un homme sensible à
l’utilisation de l’art comme vecteur de communication privilégié illustre
parfaitement l’un des pendants du recours à l’iconographie au sein d’ouvrages
135 Cette utilisation de la graphie se retrouve dans La vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ, tirée des quatres
évangélistes, et celle de la très sainte Vierge Marie, mère de Dieu, entremêlées de notes historiques et de courtes réflexions morales. Par le R. P. Jean Croiset, Jean Croiset , 1723, chez la veuve d’Antoine Boudet, BM Lyon.
136 Cité dans CHRISTIN (Anne-Marie) (dir.), Histoire de l'écriture, De l'Idéogramme au multimédia, Paris,
Flammarion, 2001.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 69 - Droits d’auteur réservés.
consacrés à la Vierge Marie. Cette dernière possède l’indéniable avantage de
rendre visible une divinité qui peut parfois échapper au commun des mortels
qui, à un moment ou à un autre, ressent le besoin d’entretenir un lien physique
avec la personne à laquelle il soumet sa vie. L’image possède alors ici le rôle
d’entretenir un lien avec le monde divin, présenté dans les Ecritures mais rendu
visible charnellement par l’iconographie137
. Les autorités ecclésiastiques ont
saisi l’importance du recours à l’image très tôt, en plaçant des vitraux au sein
des églises, lieux de culte connus de tous comme la maison de Dieu mais
également comme leur maison, l’église servant souvent de refuge pour les
populations médiévales138
. Giovanni Balbi, dominicain du XIIIème siècle
développe à son époque l’intérêt de la présentation des images au grand public
dans son Catholicon, paru en 1286 :
Sachez que trois raisons ont présidé à l’installation des images dans les
églises. En premier lieu, pour l’instruction des gens simples, car ceux -ci
sont enseignés par elles comme par des livres. En deuxième lieu pour le
mystère de l’Incarnation et l’exemple des saints puissent mieux agir dans
notre mémoire en étant exposés quotidiennement à notre regard. En
troisième pour susciter un sentiment de dévotion, qui est plus efficacement
excité au moyen de choses vues que de choses entendues.139
Présenter à chacun une représentation de la Vierge Marie obéit donc à plusieurs
logiques : en premier lieu, cela instruit le fidèle peu cultivé, n’ayant pas accès
au livre ou bien à la culture délivrée par oral (comme cela peut être le cas à
travers le théâtre religieux ou bien grâce aux sermons, nous y reviendrons). La
permanence de l’image lui permet de la contempler quand bon lui semble, lui
offrant par-là même un catéchisme abordable. Car fixer par écrit possède une
vertu pédagogique indéniable : l’illustration ne s’évapore pas et reste visible par
tous. En second lieu, le dominicain évoque une particularité de son temps :
l’homme assimile mieux une dévotion lorsqu’il la voit et la contemple plutôt
137 Ib. idem, p.11.
138 L’Eglise en tant qu’espace sacré dédié à Dieu possède une certaine immunité à l’époque médiévale offrant
une protection sans pareil pour les populations. Pour plus de détails, cf LAUWERS (Michel) « Le cimetière dans le
Moyen Âge latin. Lieu sacré, saint et religieux » in: Annales. Histoire, Sciences Sociales, 54e année, n°5, 1999. p.
1047-1072.
139 Cité dans HELVETIUS (Anne-Marie), MATZ (Jean-Michel), Eglise et société au Moyen Age, Vème-
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 70 - Droits d’auteur réservés.
qu’en l’appréhendant par un rapport oral. En effet, voir de ses propres yeux
possède un aspect personnel unique : l’homme ingère quelque chose qu’il a
contemplé de lui-même et non parce qu’une tierce personne est intervenue dans
sa relation à Dieu.
La Vierge Marie n’est pas en reste quant à cette présence iconographique. Dès
le Moyen Age fleurissent de nombreux thèmes illustratifs, avec une
prédominance de la Vierge à l’Enfant à partir du XIIème siècle et de l’essor du
culte marial140
, mettant en avant l’aspect maternel de Marie ainsi que la relation
qui l’unit à son Fils : cette dernière possède une place importante dans la
spiritualité chrétienne compte tenu du fait qu’elle a donné la vie au Sauveur de
l’humanité. Nous retrouvons cette représentation de la Vierge, mère de Dieu au
sein de notre corpus : en effet, quatre ouvrages renferment en leur sein une telle
illustration. Compte tenu de leur faible proportion permettant une étude
poussée, ainsi que de l’importance de ce thème religieux, nous avons choisi de
nous y attarder. Deux sources de notre corpus présentent Marie avec son enfant
sur le frontispice141
du livre142
, la troisième la place en regard de l’épitre dédié
au pape Alexandre VII143
tandis que la dernière insère plusieurs illustrations au
cours de son texte, à l’aide de vignettes, la Vierge à l’enfant se situant à la
vingtième page144
. Quel peut être l’intérêt pour ces ouvrages, le livre n’ayant
pas vocation à coûter trop cher compte tenu de la large diffusion souhaitée ?
Tout d’abord, nous constatons que la proportion d’images représentant la
Vierge au sein de notre corpus est extrêmement faible. L’aspiration des auteurs
tout comme des éditeurs quant aux livres qu’ils produisent est donc bien
visible : on cherche à limiter le coût de l’impression afin de pouvoir permettre
une édition plus importante145
. Insérer une image dans le livre implique
140 LE GOFF (Jacques), Un Moyen Age en images, Paris, Hazan, 2007, p.124.
141 Ce terme renvoit à l’illustration placée sur une des pages de titre d’un ouvrage.
142 Le Saint pèlerinage de Notre-Dame de Lumières... de la Sainte Chapelle de Goult en Provence..., Michel
du Saint Esprit, 1666, chez Jean Grégoire, Paris BN tout comme les Reglemens pour messieurs les pensionnaires des peres jesuites du college de Lyon. Qui peuvent leur servir de regle de conduite pour toute leur vie. Par un pere de la
Compagnie de Jesus, Jean Croiset, 1711, Lyon, chez André Molin, BM Lyon. 143 Paulin et Alexis, deux illustres amants de la mère de Dieu, Paul de Barry, 1656, Lyon, chez Philippe
Borde, L. Arnaud et Claude Rigaud, BM Lyon. Cf annexe 6.
144 L’Office de la glorieuse Vierge Marie pour les pénitents pélerins de Notre -Dame de Lorette, establys à
Lyon, avec les offices de la Sepmaine Saincte les commémorations des dimanches, des saincts..., Pénitents pélerins
de N. D. de Lorette , 1659, Lyon, chez Laurens Metton, BM Lyon.
145 MARTIN (Philippe), Une religion des livres (1640-1850), Paris, Éditions du Cerf, 2003, p.128.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 71 - Droits d’auteur réservés.
également de faire appel à un professionnel afin de réaliser l’illustration si cette
dernière est originale ainsi que de maitriser les techniques d’impression.
Intéressons-nous à une représentation de la Vierge à l’Enfant146
au sein de
l’ouvrage sur le pèlerinage de Notre-Dame des Lumières, celle-ci se situe en
frontispice et ainsi est visible par tous dès l’ouverture du livre. On y voit la
Vierge Marie, debout sur un croissant de lune, portant l’Enfant Jésus dans sa
main gauche, tenant un sceptre dans sa main droite et coiffée d’une couronne,
elle-même rehaussée d’une auréole d’étoiles. Les motifs sont donc nombreux et
sont rehaussés de rayons lumineux qui émanent de la personne de Marie. Deux
inscriptions sont inscrites au-dessus et en-dessous de la gravure, à savoir
« mulier amicta sole » et « Notre Dame de lumieres ». Celles-ci ne sont pas
incongrues lorsque l’on met en lien la gravure avec le corps du texte ainsi
qu’avec la Bible. En effet, la citation latine proposée au lecteur est extraite d’un
passage de l’Apocalypse, présentant la gloire céleste d’une Vierge :
Un grand signe parut dans le ciel : une femme enveloppée du soleil, la
lune sous ses pieds, et une couronne de douze étoiles sur sa tête.147
Cette représentation iconographique de Marie est ainsi extraite du texte
catholique de référence et offre une Vierge glorieuse à chacun. Les étoiles, le
soleil et les rayons lumineux présents dans l’image sont quant à eux à mettre en
rapport avec le thème même de l’ouvrage : ce dernier présente l’histoire du
pèlerinage de Notre-Dame des Lumières, les miracles ayant été opérés à Goult
ainsi que les processions qui y ont lieu pendant le mandat de Michel de Saint
Esprit dans cette province. L’origine de ce pèlerinage se tient en 1660, pendant
les guerres de religion, dans les ruines d’un ermitage provençal. De v ives
lumières furent observées sur ces mêmes ruines, attirant un grand nombre de
personnes dont des malades qui furent par la suite guéris. Une chapelle fut
élevée le 1er
juin 1663 à l’appel de l’évêque de Cavaillon afin de respecter la
volonté divine qui y a montré la nécessité de relever l’ermitage. Par la suite, la
146 Cf annexe 7.
147 Apocalypse 12 :1.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 72 - Droits d’auteur réservés.
chapelle fut confiée aux carmes qui l’entretinrent et développèrent ce même
pèlerinage148
.
Insérer au début du livre une représentation iconographique de la Vierge en
majesté, entourée de lumières n’est donc pas incongru ici. L’image sert
d’introduction et de support au propos. Saisir toutes les représentations de
l’Apocalypse peut s’avérer compliqué pour le simple fidèle, d’autant plus qu’il
ne s’agit pas d’un livre particulièrement lu au cours des célébrations religieuses.
En produire une retranscription imagée offre alors la possibilité à tous de saisir
la majesté de la Vierge ainsi que sa position de Reine du Ciel tout en justifiant
le pèlerinage. L’image est ici mise au service du texte, en tant qu’illustration du
propos.
Si représenter la Vierge à travers l’image possède cette fonction première
d’illustration et de support du texte, cette dernière peut également ajouter une
intention supplémentaire par rapport au développement et ainsi se justifier par
elle-même. Les Reglemens pour messieurs les pensionnaires des peres jesuites
du college de Lyon [...] possèdent eux aussi un frontispice149
en regard de la
page de titre. On y aperçoit la Vierge Marie également en majesté, mais
toutefois assise sur un trône formé par les nuages. Deux personnages sont
agenouillés devant la sainte filiation, en compagnie d’attributs emblématiques
de la compagnie, à savoir des livres afin de s’instruire, de l’encre pour pouvoir
écrire et témoigner, ainsi que du parchemin. Nous pouvons également subodorer
la présence d’une tiare pontificale posée à terre, qui aurait sa place ici compte
tenu de l’attachement spécifique de la Compagnie de Jésus au trône de Pierre.
Des anges sont présents formant le grand peuple du ciel, la lumière venant quant
à elle de l’idiogramme IHS150
présent tout en haut de la gravure. Nous pouvons
constater que cette source lumineuse répond à son pendant au sein de
l’iconographie, à savoir Jésus. Ces deux éléments sont légèrement gravés afin
de donner une tonalité claire à l’ensemble. Leur corrélation n’est pas à occulter.
En effet, IHS surmonté d’une croix sur le H est le symbole adopté par Ignace de
148 HAMON (André Jean Marie), Notre-Dame de France ou histoire du culte de la Sainte Vierge en France
depuis l'origine du christianisme jusqu'à nos jours, septième volume, Paris, Plon, 1866, p.26-27.
149 Cf annexe 8.
150 IHS : ce monogramme renvoit aux trois premières lettres du nom grec du Christ.
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 73 - Droits d’auteur réservés.
Loyola et qui devient par la suite l’emblème de toute la Compagnie de Jésus. Il
témoigne de l’attachement particulier de la Compagnie pour Jésus dont elle
porte le nom. La lumière du salut vient donc du fils de Dieu, représenté ici par
l’Enfant ainsi que par le monogramme jésuite, introduisant par là-même les
bienfaits que l’on peut retirer à honorer le nom de Jésus.
Quelle est donc la place de la Vierge Marie au sein de cette représentation
quelque peu christocentrique ? Cette dernière occupe au niveau géographique
une place importante au sein de l’iconographie. Par ailleurs, il s’agit ici de la
position de mère de Dieu qui est mise en avant : en portant l’Enfant sur ses
genoux, elle porte la croyance de tout un peuple de fidèles. Si Marie occupe une
telle position, c’est également par sa fonction d’intermédiaire entre Dieu et les
hommes. Ayant été choisie par l’Archange Gabriel qui l’a visité afin de lui
annoncer la confiance que le Seigneur avait mis en elle, elle possède une aura
incommensurable. Cette position de force est retranscrite ici, nous pouvons voir
la main droite de la Vierge imposée sur le Jésuite présent à ses pieds. Le
message est ici clair : Marie offre une protection à quiconque s’adresse à elle et
notamment les Jésuites dans le cas présent. L’Enfant Jésus semble quant à lui
recevoir le cadeau que lui présente le second personnage, les mains ouvertes et
le regard bienveillant. Les positions théologiques de Marie et de son Fils sont
ainsi définies par l’iconographie présente et apportent un premier éclairage sur
la conception des Jésuites.
Enfin, le dernier livre comportant des illustrations de Vierge à l’Enfant de
notre corpus arbore un penchant pédagogique plus poussé que nos deux
premiers exemples, qui nécessitent une certaine recherche afin d’en saisir tous
les tenants. L’Office de la glorieuse Vierge Marie pour les pénitents pélerins de
Notre-Dame de Lorette [...] a ainsi pris le parti d’exposer une vignette à chaque
début d’office ou bien de procession. Celle-ci est toujours en accord avec le
propos illustré, à l’instar de la représentation de Marie au pied de la Croix pour
les litanies de la Passion151
. La vignette représentant la Vierge à l’Enfant étaye
les prières de la glorieuse Vierge Marie. L’image dans le cas présent supporte le
151 L’Office de la glorieuse Vierge Marie pour les pénitents pélerins de Notre -Dame de Lorette, establys à
Lyon, avec les offices de la Sepmaine Saincte les commémorations des dimanches, des saincts..., Pénitents pélerins
de N. D. de Lorette , 1659, Lyon, chez Laurens Metton, BM Lyon, p.16.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 74 - Droits d’auteur réservés.
texte puisqu’elle est représentée à nouveau avec la lune sous ses pieds et
auréolée d’une lumière vive. Ce thème ayant déjà été évoqué, c’est plus le but
pédagogique qui nous intéresse ici. Intégrer de telles images en début de prière
peut avoir plusieurs desseins. Tout d’abord, cela permet d’insérer un marqueur
visuel dans le texte : la séparation entre les différentes litanies s’effectue
aisément et signale à tous que le propos vient de changer. Par ailleurs, le texte
étant transcrit en latin, la concordance entre l’image et l’écrit est fondamentale.
Le fidèle peut saisir de quoi va parler la litanie et ainsi mieux intégrer sa prière
personnelle à celle de l’ensemble. L’iconographie sert ici de support au contenu
afin que tous, quelque soit leur éducation, puissent participer à la vie de
l’Eglise. Enfin, les images en elles-mêmes constituent un catéchisme pour
quiconque ne regarde qu’elles. Evoquant les grands moments de la vie de la
Vierge à savoir Marie parmi les disciples, l’Annonciation, sa présence au pied
de la Croix et l’Apocalypse la présentant dans toute sa splendeur. L’image peut
alors être considérée comme une unité indépendante exposant tous les passages
principaux de la Bible traitant de Marie
Nous l’avons vu, les ouvrages de notre corpus n’ont pas vocation à recevoir
une iconographie poussée compte tenu des contraintes économiques qui pèsent
sur ce type d’édition. Cependant, quelques rares exemplaires subsistent et
offrent au lecteur une illustration de la Vierge support du propos mais
également parfois catéchétique en elle-même. L’intégrer amène indéniablement
un appui pédagogique certain pour ces sources qui touchent ainsi un public plus
large.
Structurer la pensée
De nombreux ouvrages sont imposants et nécessitent une lecture attentive afin
de permettre leur consultation. Afin d’en facilité l’accessibilité , certains auteurs
n’ont pas hésité à insérer des tables de matières ou bien des tables de renvois
thématiques dans le but d’offrir la possibilité de lire le livre par petit bout et
ainsi de sélectionner les passages. Tous nos ouvrages ne disposent pas d’une
telle accessibilité à l’objet-livre, un petit nombre se contentant de présenter la
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 75 - Droits d’auteur réservés.
pensée de l’auteur brute, sans aucun mode de répartition. Ce choix opéré par les
auteurs et éditeurs peut s’expliquer en grande partie par le souci d’économie qui
les anime : le papier coûte cher et son utilisation doit être systématiquement
justifiée. Cette raison économique rend d’autant plus précieuse la peine prise
par nos sources lorsqu’elles segmentent le texte, témoignant ainsi d’un souci
constant de pédagogie.
Offrir au lecteur une table des matières garantit en effet une meilleure
assimilation du propos et une meilleure adaptation au livre. Celle-ci peut se
trouver indifféremment au début ou à la fin du livre. La placer au
commencement de l’ouvrage facilite sa prise en main : on consulte ce dont va
parler le livre, on sélectionne éventuellement les passages qui intéressent plus
que d’autres... On a ainsi ici une présentation du livre qui permet à quiconque
d’intégrer ce qu’il va lire par cette vision globale qu’est la table des matières.
L’emplacement de fin présente le même intérêt pour celui qui le place là, avec
une légère modification concernant le but. Certes, le propos est toujours
présenté, cependant, la situer à la fin laisse plutôt envisager une première
lecture par le fidèle. La table des matières permet alors de retrouver a-postériori
ce qu’on a consulté afin de revenir dessus pour le lire de nouveau ou bien le
méditer personnellement.
Cette présentation des titres152
offerte aux lecteurs n’est pas anodine, et c’est
pourquoi il convient de s’y intéresser ici. Ceux-ci peuvent en effet s’envisager
sous plusieurs angles : prenons en premier lieu la présence numérique. Sur le
corpus envisagé en profondeur, à savoir par rapport au contenu de l’ouvrage,
nous constatons que seules deux sources153
disposent d’une table des matières
au début mais également à la fin. Si le choix de précision ainsi que répétition a
été effectué par ces deux sources, cela n’est pas anodin. En effet, ces deux
œuvres comportent plus de quatre cents pages et sont composées d’un texte
dense à caractère théologique soutenu. Le propos est dirigé vers des questions
152 Cf exemple en annexe 9.
153 Conferences theologiques et morales par demandes et réponses, sur les commandemens de Dieu et de l'Eglise, et sur les sacremens, avec des résolutions de cas de conscience sur chaque matière. A l'usage des
missionnaires & de ceux qui s'emploient à la conduite des ames. Par le Pere Daniel de aris... Seconde edition,
rev e, augmentée, & corrigée avec beaucoup de soin. Tome second, Daniel de Paris, 1746, Lyon, chez la veuve Delaroche, & fils. Les freres Duplain, Paris Sorbonne tout comme les Sermons du Pere Bourdalouë, de la
Compagnie de Jesus, Pour les Festes des Saints, Et pour des Vestures & Professions Religieuses , Louis Bourdaloue,
1712, Lyon, chez Anisson et Posuel, BM Lyon.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 76 - Droits d’auteur réservés.
de moralité pour le premier, ayant même l’ambition de résoudre des cas de
conscience. On ne saurait s’attaquer à un tel sujet en quelques pages. Par
ailleurs, les sermons du père Bourdaloue ne sont pas également prétexte à une
matière simplifiée. Ce dernier, connu pour avoir été le prédicateur de Louis
XIV, est issu de la mouvance jésuite et a marqué les esprits de son siècle par la
grandeur de son éloquence154
. Lorsqu’il choisit d’évoquer les fêtes des grands
saints que compte l’Eglise catholique, à l’instar de Saint Jean, Saint François -
Xavier..., il développe largement ses idées afin de fournir à chacun une matière
suffisante pour une réflexion approfondie. L’avertissement présent au début de
l’ouvrage sert d’introduction et est immédiatement suivi par une table des
matière qui permet de se reporter à la fête du saint que l’on désire adorer de
manière aisée et ainsi de dépasser la barrière du volume.
Dans un second temps, nous remarquons que cette volonté de structuration de
la pensée des lecteurs relève bien d’un souci pédagogique. Reprenons l’œuvre
du père Bourdaloue, les tables situées au début de l’ensemble précisent les fêtes
par saints, nous l’avons dit. Celles placées à la fin reprennent le même principe
de report de page par rapport au jour dédié à tel ou tel saint. Toutefois, elles
introduisent une nouveauté par rapport aux précédentes dans la mesure où un
abrégé du contenu de ces sermons est proposé. Nous pourrions nous attendre à
un système semblable à nos mots-clés ou à nos renvois d’index qui facilitent
l’accès au livre. Cependant, même l’abrégé est considéré comme un moyen
d’éducation pour le père. Chaque résumé est hiérarchisé en différentes parties
distinctes et bien visibles : l’emploi des majuscules est significatif de cette
volonté de présentation claire155
. La pensée de l’auteur est ainsi classée par
« SUJET », « DIVISION », « I. PARTIE », « II. PARTIE ». Ce mini-plan
permet de suivre le mouvement de la démonstration que présente le père
Bourdaloue. En outre, le rappel des pages pour chaque sous-partie ne laisse
aucun doute quant à l’emplacement des idées. Nous reviendrons sur le double
intérêt d’une telle présentation, cependant cette dernière illustre parfaitement la
volonté des auteurs de structurer leur pensée mais également celles de leurs
154 Pour plus d’informations sur le père Bourdaloue, nous pouvons consulter l’étude récente qui lui a été
consacrée par Sophie Hasquenoph, Louis Bourdaloue, le prédicateur de Louis XIV 1632-1704, Paris, Salvator, 2013.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 77 - Droits d’auteur réservés.
lecteurs qui ne se retrouvent pas perdus face à la masse d’informations qui peut
être donnée dans ces ouvrages. L’absence de tables ne signifie pas que l’auteur
ait une argumentation désorganisée, d’autres marqueurs peuvent être présents à
l’instar de mots de liaison, de lettrines ou bien de sauts de paragraphes qui
remplissent eux aussi une fonction de structuration. Cependant, la présence
d’une table des matières, voire de deux, double les chances d’assimilation et de
prise en main de l’ouvrage, c’est pourquoi ceux qui en ont les moyens et qui
ont un réel désir de mise à disposition du lecteur d’un livre construit l’adoptent.
Si les tables des matières sont des indicateurs précieux de l’organisation du
livre en tant qu’argumentaire, nous ne pouvons ignorer les recours fréquents à la
Bible. En effet, lorsque nous nous intéressons de plus près au contenu des
ouvrages sélectionnés, nous constatons rapidement que la Bible fait office de
livre commun ainsi que de référence suprême pour tous ces auteurs. Si une
vérité théologique est énoncée par ces écrivains et qu’elle est étayée par un
recours au livre saint, source de la foi de tous les chrétiens, cette dernière ne
peut qu’être validée. Le livre tel que nous l’avons envisagé dans notre corpus en
tant qu’instrument de la piété mariale ne peut donc se suffire à lui-même, il lui
faut la Bible afin de conforter sa pensée. Comme certains lecteurs ne peuvent
avoir forcément recours à cette source primaire, les livres de notre corpus y
remédient en citant les passages, en latin ou en français nous l’avons vu, ainsi
qu’en mentionnant les références bibliques. Ce fréquent retour à la Bible
possède également une vertu de structuration de la pensée : tout se reporte à une
même source, écartant ainsi d’éventuelles confusions, et la présentation de son
origine ne peut qu’aider à bâtir une pensée stable et construite sur la parole de
Vie. Les Conferences theologiques et morales par demandes et réponses du
père Daniel de Paris évoquées ci-dessus156
recourent à la Bible comme appui
pour sa démonstration. Afin de ne pas hacher de trop la lecture, les références
sont exploitées en marge du propos principal. La page est ainsi utilisée dans
toutes ses retranchements afin d’offrir une lecture complète à chacun. Par
ailleurs, ce mode de fonctionnement permet de hiérarchiser les éléments : la
Bible est décalée et mise au regard de tous puisque la marge n’est utilisée que
156 Cf mémoire p.73.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 78 - Droits d’auteur réservés.
pour placer les références bibliques. L’effort de référence est assez poussé dans
le cas de l’œuvre de Daniel de Paris, dans un souci d’exhaustivité mais
également d’argument d’autorité157
.
Enfin, nous pouvons nous interroger sur une autre volonté de la part des
acteurs de la conception de tels livres, à savoir le contrôle de la pensée. En
effet, ces sources, dont les tables des matières sont les reflets, désirent -elles
structurer ou bien doubler la pensée des lecteurs ? La présentation des tables des
matières ainsi que des recours à la Bible se justifient par un aspect de praticité
indéniable. Cependant, nous constatons à la lecture des livres sélectionnés, et
plus particulièrement ceux de dévotion, que l’auteur se met souvent à la place
du lecteur. Ainsi, le compositeur intellectuel propose des prières destinées à des
moments précis de la journée ou bien de l’année d’un chrétien. C’est le cas du
Petit breviaire [...] 158
resté anonyme qui offre des litanies ainsi que des
méditations à son lecteur afin de l’aider à assumer une piété conforme aux
préceptes de l’Eglise catholique. Premier élément intéressant :
Le tout tirè de l’Esrcriture sainte, & des Saints Peres.
La justification intervient dès la page de titre dans le but d’avertir chacun de la
source des considérations théologiques qui seront évoquées ainsi que pour
justifier de l’orthodoxie de ces mêmes considérations. Mais l’élément qui nous
intéresse ici se situe plus loin dans le texte, après le bréviaire à proprement
parler, lorsque l’auteur propose des textes tout préparés pour les oraisons
propres159
. Après avoir médité sur plusieurs mystères, l’auteur propose une
réflexion personnelle160
rédigée à la première personne. Proposer une telle
prière offre deux avantages : l’auteur tout d’abord introduit sa prière
individuelle à son Dieu car, bien qu’homme de lettre, il reste avant tout un
croyant qui rédige un ouvrage pour la gloire de la dévotion à laquelle il
157 BURY (Emmanuel) « Livres de spiritualité traduits de l’espagnol » dans CHARON (Annie) (dir.), DIU
(Isabelle) (dir.), La mise en page du livre religieux, XIIIe-XXe siècle: actes de la journée d'étude de l'Institut
d'histoire du livre organisée par l'École nationale des chartes, Paris, 13 décembre 2001 , vol.13, Genève, Droz,
2004, p .63.
158 Petit breviaire des amans de Marie glorieuse Mere de Dieu..., ?, 1683, Lyon, Aux dépens de l’Autheur, BM Lyon.
159 Ib. idem, p.199-200.
160 L’origine latin du terme « oraison », à savoir oratio, onis, f : parler, témoigne de ce dialogue instauré
entre le fidèle et Dieu.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 79 - Droits d’auteur réservés.
adhère161
. Par ailleurs, cela permet de doubler la pensée du dévot qui n’a pas
d’idées ou bien ne sait pas comment formuler ce qu’il a au fond de son cœur. Le
recours à la première personne du singulier permet à chacun de s’approprier la
prière de l’auteur et de l’utiliser dans son dialogue personnel avec Dieu. Cela
offre alors la possibilité de palier de possibles défaillances intellectuelles ou
bien de montrer la voie de ce qui est bon pour la dévotion. L’auteur structure
alors la pensée de son lecteur tout en la doublant lorsque cela devient
nécessaire.
De nombreuses vertus pédagogiques sont à dénombrer lorsque l’on s’intéresse
de plus près aux contenus de certaines sources de notre corpus, que ce soit par
le recours de la langue, de l’image ou bien encore des ressources annexes
éditoriales telles que les tables des matières. Tout cela a un but unique : éduquer
le fidèle en mettant entre ses mains des livres étudiés et préparés pour propager
le plus possible la dévotion. Si cette mission pédagogique est au cœur d’un
grand nombre de nos sources, il n’en demeure pas moins que les livres occupent
également une place de combat, spirituel et politique, qu’il convient désormais
d’étudier.
B. UN LIVRE DE COMBAT
Se confronter au protestantisme
Nous l’avons évoqué lors de notre introduction, publier un livre sur la Vierge
Marie et sa piété ou bien simplement évoquer son nom n’est pas acte innocent.
Les tensions religieuses dues aux reliquats des guerres de religion du XVIème
siècle subsistent et instaurent un climat de reconquête dont la plume se fait ici
l’interprète. Mais pourquoi donc Marie se révèle être un tel enjeu pour tous ces
auteurs ?
Tous les réformateurs n’ont pas contesté son existence et son fondement, loin
de là. Luther voit en la mère de Dieu une humilité qui sied à son besoin de
161 MARTIN (Philippe), Une religion des livres (1640-1850), Paris, Éditions du Cerf, 2003, p.89.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 80 - Droits d’auteur réservés.
purification de l’institution ecclésiale162
. Lorsque celle-ci reçoit la visite de
l’Ange Gabriel lui annonçant qu’elle enfantera le fils de Dieu163
, elle se soumet
à la volonté de son Seigneur. Cette élection divine tout comme cette acceptation
sereine de Marie convient à Luther qui ne se prive pas d’affirmer son amour
pour la Vierge. Cependant, la question de la grâce est ce qui a conduit le moine
allemand à désirer ardemment une réforme de l’Eglise catholique. Pour lui, la
grâce seule vient de Dieu, lui seul peut donner le salut. Marie n’est alors pas
une sauveuse d’hommes comme pourrait laisser penser une piété mariale
poussée à l’extrême, mais fait bien partie du peuple des sauvés164
.
C’est une crainte semblable qui anime Calvin, le réformateur de Genève : ce
dernier ne cautionne pas l’appellation « mère de Dieu » qui pourrait mener des
esprits peu avertis à considérer Marie comme détentrice de la même aura divine
que son Fils. De manière générale, tout ce qui n’est pas approuvé par les
Ecritures est rejeté par Calvin qui ne conçoit pas la piété mariale hors des
textes165
. Nous l’avons constaté lors de la présentation de la répartition
thématique de notre corpus, l’occurrence « mère de Dieu » n’est pas laissée de
côté par nos auteurs catholiques. Ces derniers assument la place que Marie
occupe dans la spiritualité traditionnelle et s’en font même le porte-parole. Par
ailleurs, nous l’avons évoqué plus haut, la présence même d’images représentant
la Vierge au sein des ouvrages n’est pas incongrue : la religion réformée issue
de la pensée calviniste rejette toute forme de représentation imagée166
. Le
catholicisme quant à lui recourt volontiers à ces iconographies, longtemps
considérées comme « la Bible des pauvres »167
. Leur présence atteste donc
d’une mouvance catholique et jette ainsi les bases d’un discours
théologiquement acceptable pour les enfants de la Mère de Dieu.
Lorsque la congrégation des Jésuites implantée à Lyon choisit de se placer
sous la tutelle de la Vierge, cela n’est pas anodin : mère de tous les hommes,
162 LEPLAY (Michel), Le protestantisme et Marie, une belle éclaircie, Genève, Labor et Fides, 2000, p.16.
163 Luc 1 : 24-38.
164 LEPLAY (Michel), Le protestantisme et Marie [...], op. cit., p.17.
165 Ib. idem, p.17-18.
166 Ib. idem, p.18.
167 Les Biblia Pauperum ont fait légion au Moyen Age puisqu’elles permettaient de véhiculer la religion
catholique auprès de tous, et surtout les illettrés.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 81 - Droits d’auteur réservés.
elle défend la religion que les disciples d’Ignace de Loyola prônent, à savoir le
catholicisme168
. S’ils choisissent de fixer par écrit leurs positions doctrinales,
les auteurs de nos sources ne mentionnent explicitement que rarement la
religion réformée. Le combat est latent mais bien compréhensible pour les
esprits alertés de l’époque. Un seul livre169
se positionne clairement dans la
controverse qui les oppose aux protestants, il s’agit de la Deffence de la
virginité perpétuelle de la mère de Dieu [...] publié en 1680 par Etienne le
Camus, évêque de Grenoble et habitué des controverses théologiques170
. Le
sujet même de l’œuvre est risqué : en effet, la virginité de la Vierge Marie est
célébrée par les catholiques comme l’un des éléments essentiels dans la
constitution de leur croyance : la mère de Dieu a été enfantée par l’Esprit Saint
et a su conserver son corps intact et pur afin de glorifier par sa virginité son
Seigneur. Le catéchisme de l’Eglise catholique est la référence suprême pour
toutes les interrogations théologiques des fidèles. Edité en 1992, il n’apparait
que tardivement afin de fixer de manière claire et accessible les grandes idées
catholiques pour tous les croyants. Nous y retrouvons une série d’articles
consacrés à la virginité de la Vierge qui étayent la conception déjà évoquée au
XVIIème siècle par Etienne le Camus :
Marie est vierge parce que sa virginité est le signe de sa foi « que nul
doute n’altère » (LG 63) et de sa donation sans partage à la volonté de
Dieu (cf. 1 Co 7, 34-35).171
Cette pureté de la Vierge est le signe de l’alliance entre Dieu et les hommes qui
lui soumettent leur foi et leur vie. La divergence protestante se situe dans la
perpétuité de cette pureté. Aucun texte d’Evangile ne l’atteste noir sur blanc et
c’est pour cette raison que Calvin ne reconnait pas dans sa réforme la virginité
perpétuelle de Marie172
. Etienne le Camus affirme d’ores et déjà sa position dès
le titre de l’ouvrage afin de ne laisser aucun doute quant à son contenu. Plus
168 PICOT, (Joseph), Les jésuites à Lyon de 1604 à 1762 : le Collège de la très saincte Trinité , Lyon, Aux
arts, 1995, p.173.
169 Deffence de la virginité perpétuelle de la mère de Dieu, selon l'Ecriture, les conciles & les pères, par
M.E.L.C.E. & P.D.G., Etienne Le Camus, 1680, Lyon, chez Laurent Avein, BM Lyon.
170 Pour plus d’informations, cf l’ouvrage qui lui a été consacré par GODEL (Jean), Le cardinal des
montagnes, Etienne le Camus : évêque de Grenoble, 1671-1707, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1974.
171 « Article 506 » dans Catéchisme de l’église catholique, p.358.
172 LEPLAY (Michel), Le protestantisme et Marie, une belle éclaircie, Genève, Labor et Fides, 2000, p.17.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 82 - Droits d’auteur réservés.
encore, l’avertissement au lecteur situé au tout début de l’ouvrage prône les
motivations de l’auteur :
[...] mais encore il attaque l’heresie par la force de sa parole & de ses
écrits ; & il la combat avec tant de succés, qu’il en demeure prefsque
toûjours victorieux : Voilà les armes dont il s’est servy pour arrester le
progrés d’un heretique [...]173
Le vocabulaire employé ne trompe pas quant aux orientations données par
l’auteur sur le propos de son livre. L’objet est là pour aider à établir et rétablir
une vérité qui doit être consentie par tous les catholiques ainsi que les autres
religions, auquel cas, toute contradiction serait jugée comme hérétique. Outre
cette présentation théologique somme toute classique de la part de l’auteur, nous
constatons que le livre, en tant qu’objet-matériel, est également là pour être le
témoin et la trace écrite de certains litiges. En effet, à la fin de la Deffence [...],
nous retrouvons les arguments qui opposent Louis Rivail, membre de la religion
réformée contre le procureur du Roy ainsi que le parlement de Grenoble.
Plusieurs textes législatifs sont mis à la disposition des lecteurs , à commencer
par le plaidoyer en faveur de Louis contre le procureur du Roi en Dauphiné.
Pour son avocat, le point de départ est du aux paroles échangées par Louis
Rivail avec des catholiques autour d’un diner. Ces dernières n’ont pas été jugées
conformes aux croyances catholiques et c’est pour cela qu’une plainte a été
déposée par le procureur contre Louis. Le conflit se résoud de lui -même compte
tenu du fait que le protestant incriminé dans cette affaire se rend compte de son
erreur une fois rentré chez lui, signe un acte le 26 décembre 1678 de bonne foi
et se rend de manière volontaire en prison le 13 janvier 1679174
. Son avocat a
adopté comme ligne de défense la promotion de l’erreur de Rivail et non son
hérésie. Son repenti lui permet donc d’être excusé. Il est intéressant de constater
que plusieurs autorités de référence sont invoquées au cours du débat, à l’instar
de St Jérôme qui avait déjà explicité la permanence de la Virginité de la Vierge
à son époque.
173 Deffence de la virginité perpétuelle de la mère de Dieu, selon l'Ecriture, les conciles & les pères, par
M.E.L.C.E. & P.D.G., Etienne Le Camus, 1680, Lyon, chez Laurent Avein, BM Lyon, p.2.
174 Deffence de la virginité perpétuelle de la mère de Dieu, op. cit., p.73-95.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 83 - Droits d’auteur réservés.
Une deuxième défense a été présentée au parlement de Grenoble, toujours en
faveur de Louis Rivail. Les arguments évoqués sont dans l’ensemble semblables
aux précédents, évoquant tout l’amour qu’ont l’accusé et son avocat pour la
Vierge, à une exception près : l’homme de loi choisit ici d’incriminer un
imprimeur :
[...] Sur quoy il est vray que l’imprimeur a erré en adjoûtant la particule
non avant le mot de nupsisse ; mais cette particule n’est pas une ad-dition
malicieuse pour changer le sens de S. Hierôme, il est inoüy qu’un advocat
puisse estre accusé au sujet de l’addition où de l’omission d’un mot qui
n’est pas essentiel dans la citation d’un livre imprimé [...]175
Tous les propos imprimés étant vérifiés et contrôlés, il convient de ne publier
que des choses orthodoxes acceptables, et ici cela n’a pas été le cas. La ligne de
défense de l’avocat est classique, en accusant l’imprimeur d’une erreur
technique, il peut se départir d’une éventuelle accusation d’hérésie. Le débat se
trouve être beaucoup plus long et la version intégrale est consultable à la fin de
la source citée. Mais cette évocation nous permet de constater la place
qu’occupe le livre dans le combat mené par les institutions politiques et
catholiques contre de telles accusations d’hérésie. L’affaire a été suffisamment
importante pour qu’un ouvrage lui soit consacré afin que la vérité triomphe et
soit marquée durablement dans les esprits. Par ailleurs, les deux recours de
l’avocat de Louis Rivail devant le procureur ainsi que le parlement de Grenoble
témoignent de l’implication de ces instances politiques ainsi que de
l’empressement que ces dernières manifestent afin de traiter ce genre d’affaires.
Le 23 mars 1679, un arrêt de la cour du Dauphiné a été rendu à l’encontre de
Louis. Ce dernier a du professer sa faute et s’en repentir à haute voix afin que
tous puissent l’entendre, la parole lavant le péché. La peine imputée est
pécuniaire tout d’abord puisque ce dernier doit payer 60 livres, dont 1/3 au roi
et 2/3 à la paroisse. Cette dernière part sert à l’achat d’une statue de la Vierge
qui se logera au-dessus de la grande porte et qui devra y demeurer à perpétuité.
Cette punition est également morale puisque l’hérétique est exposé aux yeux de
toute la communauté paroissiale, devant se repentir à la fin de la grande messe
175 Ib. idem, p.104.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 84 - Droits d’auteur réservés.
paroissiale donnée lors de la prochaine fête de Notre-Dame. La Vierge Marie,
sujet du débat et de la discorde est donc magnifiée à travers cette joute, tous les
arguments énoncés par les deux parties l’accordent, tout comme la peine qui se
trouve être adaptée au litige. Marie a été insultée par les propos de Louis Rivail,
il est donc juste qu’elle soit dédommagée à la hauteur de l’offense, une statue
revenant particulièrement chère pour un particulier à cette époque, sans tenir
compte de la gêne personnelle d’être exposé ainsi aux yeux de tous.
Le fait de retranscrire par écrit les débats ainsi que la peine infligée à Louis
sert ici de témoin : tous sont ainsi au courant de ce qu’ils encourent s’il leur
venait à l’idée de contester la virginité perpétuelle de la Vierge. Par ailleurs,
cette mise par écrit rejoint l’idée de pédagogie évoquée plus haut : en
introduisant le débat par une réflexion théologique émanant d’un haut prélat de
l’Eglise romaine, on s’assure d’une leçon spirituelle pour quiconque lit le livre.
Ce dernier est alors utilisé dans une logique de combat pour la « vraie » foi dans
l’esprit de ces écrivains catholiques qui le voient comme un vecteur privilégié
de diffusion de leurs pensées.
Défendre son institution
Nous l’avons évoqué à maintes reprises, le poids de l’écrit n’est guère négligé
par les nombreuses institutions qui composent l’Eglise catholique considérée
dans son vaste ensemble. Il peut s’agir des confréries, des ordres monastiques,
des religieux qui promulguent des sermons emprunts de la spiri tualité de leur
mouvance... Plusieurs raisons peuvent être invoquées quant à cette expansion de
l’écrit placé sous l’égide de la Vierge Marie.
En premier lieu, nous ne pouvons pas écarter la forte influence de la norme.
En effet, c’est elle qui organise, légifère et permet à toutes ces institutions
d’exister mais également d’être pérennes. Afin d’acquérir une reconnaissance
sur la scène catholique lyonnaise, il leur faut dicter des statuts, des
règlements176
... Ce faisant, ils s’inscrivent dans un cadre prédéfini et accepté par
la communauté, à plus forte raison dans ces temps de troubles religieux qu’a
176 DESMETTE (Philippe) (collab.), Les confréries religieuses et la norme, XIIème-début XIXème, Bruxelles,
Facultés universitaires de St Louis, 2003, p.90.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 85 - Droits d’auteur réservés.
suscité l’arrivée des idées réformées. Prenons à titre indicatif les Statuts, et
Reglemens que doivent observer les Confreres de la Royale & devote
Compagnie des Penitens Blancs de Nôtre Dame du Confalon de Lyon [...]177
Dès
les premières pages de l’ouvrage, nous trouvons la présence d’une justification
de la réimpression des statuts de la compagnie des Pénitents Blanc de Notre
Dame du Confalon de Lyon. Cette institution n’est guère nouvelle puisque sa
création remonte à 1264 lorsque Saint Bonaventure, à la demande des notables
de la cité de Rome, édifia les statuts de cette nouvelle confrérie178
. Le pendant
lyonnais de cette association a été fondé au XIIIème siècle et transformé en
confrérie pénitente en 1568179
. Ces deux origines glorieuses puisque Saint
Bonaventure n’en reste pas moins une référence théologique tout comme la
tutelle romaine sont évoquées dès le titre de l’ouvrage, particulièrement long. Se
placer sous l’égide de ces deux sommités catholiques n’est pas anodin : dès le
premier abord avec le livre-objet, on réalise que cette confrérie possède des
arguments de poids afin de faire valoir sa dévotion sur la scène lyonnaise. Tous
ne peuvent avoir accès au livre, soit parce que le prix est trop élevé soit par
choix de ne pas adhérer à cette spiritualité. Toutefois, placer ces références dès
le titre est en quelque sorte une première évangélisation : quiconque peut y
avoir accès sans avoir besoin d’ouvrir le livre. Par ailleurs, cette pratique
permet de défendre son institution dès la page de garde : le lecteur est avisé de
ce qu’il va y trouver et peut continuer sa lecture sereinement. L’épître situé au
tout début de l’ouvrage relaye et surenchérit sur cette justification et cette
protection de l’institution :
Ce-pendant comme il est tres-important de renouveller de tems en tems cet
esprit de penitence, de pieté, & de ferveur qui a formé le caractere de cette
devote Compagnie : Nous avons jugé qu’il étoit à propos de faire une
177 Statuts, et Reglemens que doivent observer les Confreres de la Royale & devote Compagnie des Penitens
Blancs de Nôtre Dame du Confalon de Lyon, Agregée à la grande Archiconfrerie de Nôtre Dame du Confal on de
Rome l'année 1578. sous le Pontificat de N.S. Pere le Pape Gregoire XIII. Et confirmée par sa Bulle du 25. May
1583. Ensemble le [sic] devoirs des Officiers & d'un Abregé Historique de cette Compagnie depuis son institution en cette Ville par Saint Bonaventure l'année 1274, Confrérie des pénitents du Confalon, 1730, Lyon, Aux depens de la
Royale Compagnie des Penitens de Nôtre Dame du Confalon de Lyon , BM Lyon.
178 PAVY (Louis-Antoine-Augustin), Les Grands Cordeliers de Lyon, ou L’église et le couvent de Saint-
Bonaventure, depuis leur fondation jusqu’à nos jours , Lyon, Librairie ecclésiastique de Sauvignet et Cie, 1835,
p.149.
179 LIGNEREUX (Yann), Lyon et le roi : de la bonne ville à l’absolutisme municipal, 1594 -1654, Seyssel,
Editions Champ Vallon, 2003, p.410.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 86 - Droits d’auteur réservés.
nouvelle edition de nos Statuts & Reglements tant à cause que les der-
nieres editions ont manqué, que pour inserer dans celle-cy ce que le
Conseil a trouvé à propos de retrancher ou d’agumenter sous l’authorité &
le bon plaisir de Nos Seigneurs les Archevê-ques Comtes de Lyon, [...]180
S’ensuit une longue énumération de ces mêmes personnages, la confrérie se
positionnant sous leur puissante protection. Nous avons vu auparavant l’intérêt
premier de citer les tutelles pour les institutions, ce passage est ici
particulièrement intéressant pour la manière dont on conçoit le livre. Les
précédentes éditions ont en effet manqué de certains repères nécessaires à la
bonne marche de la confrérie. Il convient ici de se reporter à l’histoire de cette
association : cette dernière a été interrompue durant quatorze ans dans sa
dévotion par l’irruption des guerres de religion. Le culte à la Vierge Marie ne
put reprendre qu’en 1576 grâce aux bonnes grâces d’Henri III181
. La suite de
l’histoire de la confrérie est glorieuse, rassemblant les grands noms de Lyon à
l’instar de François de Neuville de Villeroy, gouverneur de la ville rhodanienne.
En 1730, l’institution prend sur elle de faire publier de nouveau ses statuts. La
chose est notable : en prenant en charge les frais de publication, la confrérie
s’assure de la bonne publication de ses statuts mais également témoigne d’une
aisance financière certaine, lui assurant une certaine supériorité sur le reste des
publications. Les confrères se voient ainsi confirmer les dernières
recommandations pour un culte efficace envers la Vierge Marie. Ces pratiques
ont été instaurées depuis longtemps au sein de l’institution, toutefois le fait de
les fixer par écrit lui permet de se positionner par rapport aux fidèles qui n’ont
plus le choix et doivent y obéir. En outre, la confrérie peut également se situer
face au monde extérieur en mettant à jour ses statuts : le paysage éditorial ayant
pour sujet la Vierge Marie n’est pas forcément dense année par année, mais
relève d’un thème que les lecteurs ont coutume de voir. La mère de Dieu n’est
pas originale en soi tant sa présence dans le monde chrétien est attestée, publier
180 Statuts, et Reglemens que doivent observer les Confreres de la Royale & devote Compagnie des Penitens
Blancs de Nôtre Dame du Confalon de Lyon, Agregée à la grande Archiconfrerie de Nôtre Dame du Confalon de
Rome l'année 1578. sous le Pontificat de N.S. Pere le Pape Gregoire XIII. Et confirmée par sa Bulle du 25. May
1583. Ensemble le [sic] devoirs des Officiers & d'un Abregé Historique de cette Compagnie depuis son institution en
cette Ville par Saint Bonaventure l'année 1274 , Confrérie des pénitents du Confalon, 1730, Lyon, Aux depens de la
Royale Compagnie des Penitens de Nôtre Dame du Confalon de Lyon , BM Lyon, p.2.
181 LIGNEREUX (Yann), Lyon et le roi : de la bonne ville à l’absolutisme municipal, 1594 -1654, Seyssel,
Editions Champ Vallon, 2003, p.410.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 87 - Droits d’auteur réservés.
un ouvrage sous son égide n’est donc pas chose nouvelle. Le livre que l’on
diffuse devient alors un enjeu de promotion pour l’institution tout comme de
valorisation.
Nous l’avons vu lors de la présentation de notre corpus , et cela se vérifie
à la simple lecture des titres de notre liste, la présence des ouvrages de
confréries et de congrégations est forte. Le renouveau de ce type d’association,
destinée aux laïques comme aux religieux, en fonction de l’orientation donnée à
la confrérie, a été étudiée lors de notre premier mémoire d’étude182
. Cette
renaissance ne saurait s’envisager sans le vent de réforme catholique qui souffle
sur l’Europe moderne à la suite du concile de Trente : les confréries sont un
moyen privilégié de christianisation183
de populations parfois éloignées des
devoirs qu’un chrétien doit accomplir pour espérer le salut selon les esprits de
l’époque. En se réunissant avec plusieurs autres personnes, la taille variant
selon la dévotion choisie et l’impulsion de la confrérie, le dévot s’assure d’un
appui constant du groupe lorsque sa piété personnelle vient à flancher. En lui
suggérant des prières, des oraisons, ces livres de confréries remplissent l’office
de support de la dévotion de ces confrères. En cela, ce dernier est un livre
offensif : combat contre la désaffection des grâces rendues aux divinités
catholiques dans un contexte de guerre de religion, contre la pauvreté de la vie
spirituelle de certaines tranches... Car ces confréries opèrent en fonction des
catégories sociales, à l’instar de la congrégation des Grands Artisans Habitants
de Lyon184
ou bien des nombreuses congrégations jésuites qui sélectionnent
leurs membres à partir des anciens élèves de leurs collèges et cela leur permet
d’adapter le discours. Marie-Hélène Froeschlé-Chopard a étudié en 1994 un
échantillon de 738 titres de confréries sur la seconde moitié du XVIIème siècle :
117 ont été dénombrées en l’honneur de la Vierge.185
Marie est omniprésente au
sein de la religion catholique et cela se retrouve dans la répartition des tutelles
182 DESRUES (Clémence), Soumettre sa vie à la Vierge, étude de trois livrets de confrérie , Mémoire d’étude
Master CEI, Lyon, 2013.
183 GUTTON (Anne-Marie), Confréries et dévotion sous l’Ancien régime : Lyonnais, Forez, Beaujolais, Lyon, Editions Lyonnaises d’Art et d’Histoire, 1993, p.9.
184 "Heures à l'usage de la congrégation des grands artisants habitants de Lyon, érig ée sur le tiltre de la Purification de la Sainte Vierge au Collège de la Sainte Trinité de la Compagnie de Jésus... , Congrégation des
Grands Artisans Habitants de Lyon, 1702, Lyon, chez Sébastien Roux, BM Lyon.
185 FROESCHLE-CHOPARD, (Marie-Hélène), « Les dévotions des confréries. Reflet de l’influence des
ordres religieux ? » dans Dimensioni e problemi della ricerca storica, Rivista del dipartimento di studi
storici...dell’Università ,Rome, « La Sapienza » di Roma, 1994, p.104-126.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 88 - Droits d’auteur réservés.
pour les confréries. La mère de Dieu y occupe une place importante, justifiant
sa place présentée par notre corpus.
Afin d’étayer cette conquête spirituelle, reprenons l’exemple des
Jésuites : ces derniers sont caractérisés par une exigence dans l’éducation de
leurs pupilles qui se retrouve au sein du livret de la congrégation de Notre-
Dame destinée aux Messieurs186
. L’ambition de la compagnie est claire :
constituer une élite dévote afin de reconquérir le territoire face aux attaques
protestantes.187
Un tel programme ne saurait s’appuyer sur une méthode
édulcorée. C’est pourquoi le volume mis à la disposition des fidèles est
important (cent soixante six pages) et dense. Les marges sont étroites et ne
laissent aucun répit au dévot lors de la lecture : son esprit est sans cesse stimulé
par les réflexions proposées par l’ouvrage.
D’autre part, ce livret ne comporte aucun statut, ni aucun règlement
propre à l’histoire de la congrégation des Messieurs. Le cœur de son propos est
dirigé uniquement vers l’éducation spirituelle de ses fidèles. Afin de l’aider à
s’y retrouver, l’auteur du livret a divisé les chapitres qui suivent le temps
liturgique en semaines. Cela se remarque d’emblée lorsque nous étudions la
première page. La citation est en majuscule et accompagnée d’un pictogramme
en marge, qui ainsi se détache : « I.S » en guise d’exemple188
. Un autre
marqueur facilite la lecture du fidèle : il se situe au niveau des formules
employées. Ainsi, afin d’illustrer une nouvelle idée, on retrouve fréquemment
les expressions : « le motif doit estre » et plus loin « la pratique doit estre ».
Le congrégationniste attentif lors de la lecture repère d’emblée la séparation
entre l’explication et la mise en pratique qui doit s’ensuivre. Le livret témoigne
bien de cette idée d’exigence, les moyens mis en place afin de faciliter pour la
compréhension du fidèle étant limités à leur simple expression. C’est à lui qu’il
revient d’effectuer le travail intellectuel nécessaire en lisant le texte dans son
ensemble, afin de s’en imprégner. Lorsque nous regardons de plus près le temps
186 Pratique de devotion et des vertus chrestiennes, suivant les regles des congregations de Nostre
Dame..., Congrégation Notre Dame, 1689, Lyon, chez Jean Baptiste De Ville, BM Lyon.
187 FROESCHLE-CHOPARD (Marie-Hélène), Dieu pour tous et Dieu pour soi: Histoire des confréries et de
leurs images à l'époque moderne , Paris, l’Harmattan, 2007, p.142.
188Pratique de devotion et des vertus chrestiennes, op.cit, p.10.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 89 - Droits d’auteur réservés.
employé par les Jésuites, nous sommes interpellés par l’usage quasi-constant du
présent d’obligation :
La pratique doit estre d’aller tous les jours à la crêche, pour apprendre
cette belle leçon ; mais il n’y faut pas entrer, que dans un sentiment de
confusion de se voir dans l’abondance de toutes les commoditez de la vie,
pendant que son Dieu est dans une entiere pauvreté.189
L’exemple n’est pas unique, mais ces quelques lignes mettent aisément en relief
cette idée d’obligation, les verbes « devoir » et « falloir » revenant de façon
quasi récurrente. Le Monsieur n’a donc guère le choix dans sa méthode de
dévotion. En intégrant une notion de contrainte à son propos, la compagnie de
Jésus impose son idéologie ainsi que sa théologie. Ses attitudes de dévotion sont
strictement encadrées, ainsi que ses positions sur la foi. La compagnie des
Jésuites en tant qu’ordre nouveau de l’époque moderne s’est fondée sur des
idées arrêtées, voulues en rupture par rapport aux pratiques anciennes, un
certain laxisme ne saurait être toléré. De plus, l’éducation voulue par la
compagnie a déjà été dispensée au sein des collèges. Il ne s’agit plus ici de faire
connaitre Marie et son fils Jésus aux congrégationnistes mais bien de leur
proposer un système éducatif aux ambitions élevées par rapport au reste des
confréries étudiées. Le développement théologique est éminemment présent au
sein du livret. Nous pouvons ici noter l’absence de formules imposées dans la
dévotion. Certes, des oraisons sont proposées à la fin du livre, l’Ave et le Pater
sont imposés comme devoir spirituel. Toutefois, le développement ne suit
qu’une logique intellectuelle énoncée au cours d’un propos, il ne suffit pas de
prononcer quelques mots couramment usités pour s’assurer de la protection de
la Vierge190
.
L’exemple de la congrégation placée sous l’égide de la compagnie de Jésus
est quelque peu spécifique compte tenu de sa rigueur et l’orientation donnée.
Cependant, il témoigne bien du renouveau de ces congrégations et confréries
ainsi que de l’ambition que ces dernières ont pour leurs fidèles. Tous se
rejoignent sur l’idée d’encadrement et d’élévation du fidèle qui s’assure une vie
189 Ib. idem, p.19.
190 DESRUES (Clémence), Soumettre sa vie à la Vierge, étude de trois livrets de confrérie , Mémoire d’étude
Master CEI, Lyon, 2013, p.24-25.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 90 - Droits d’auteur réservés.
pieuse et donc une bonne mort nécessaire pour l’au-delà, monde recherché par
les catholiques puisque synonyme de vie éternelle en compagnie du Seigneur
ainsi que de la Sainte Vierge191
.
Affirmer un dogme
Issu du grec dokeo qui signifie « je pense », « je crois », le terme dogme tel
qu’il est entendu par les catholiques résume le dernier aspect de l’utilisation du
livre en tant qu’instrument de la piété mariale. Une religion, entendue ici sans
distinction de confession, propose à ses fidèles des rites, des prières, des
moyens de relier le Ciel en fonction des divinités qu’il adore. Dans le but d’unir
ses fidèles et d’éviter ce qu’elle considère comme une hérésie, cette dernière
encadre la croyance en lui fixant des préceptes, des bornes théologiques qui par
essence la définissent. En adhérant à la religion, le fidèle accepte de croire à ces
chemins proposés par les hommes pour suivre la voie qui mène à leur Dieu. Ici
intervient la notion de dogme : pour unir le peuple sensible à la mouvance
catholique, il convient de lui proposer un ensemble de principes unifiés afin
d’orienter vers une même finalité les croyances de tous ces hommes et femmes
qui soumettent leurs vies à la Sainte Trinité et au peuple de Dieu. Cette
construction a nécessité de nombreuses années à l’Eglise catholique, tant les
époques et les mœurs ont divergé. Ces positions théologiques sont définies lors
de conciles réunissant parfois les évêques de toute la chrétienté. En ce qui
concerne notre dogme marial, c’est le concile d’Ephèse de 431 qui fait force de
loi. Ce Vème siècle est secoué par les querelles théologiques autour de plusieurs
dogmes sur lesquels il convient de donner une réponse précise. En ce qui
concerne notre Vierge Marie, il s’agit d’une contestation survenue en la
personne de Nestorius, patriarche de Constantinople et déposé à ce même
concile d’Ephèse pour cause de positions jugées hérétiques. En effet, ce dernier
préfère désigner la Vierge par le terme grec Christokos qui peut se traduire par
qui enfante le Christ. Le terme voulu et choisi par les autorités pour signifier le
lien qui unit Marie à son Fils est celui de Théotokos, à savoir qui enfante
191 Cette peur d’une mort non conforme aux préceptes catholiques se trouve en Europe dès le Moyen Age et
constitue un moteur efficace pour la dévotion. Cf DELUMEAU (Jean), La peur en Occident : une cité assiégée,
XIVe-XVIIe siècle, Paris, Fayard, 1978.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 91 - Droits d’auteur réservés.
Dieu192
. La différence peut paraitre minime mais il s’agit du lien unissant Marie
et Dieu : utiliser le terme de Christ induit une distance plus importante entre
l’homme qu’elle enfante et sa place de Verbe de Dieu193
. Cette appellation
augmente également le prestige de la Vierge et l’intérêt qu’elle représente pour
les humains : en occupant cette place de Théotokos, elle s’assure d’une place de
choix en tant qu’intercesseur des prières des fidèles : de Mère de Dieu, elle
devient Mère de l’Humanité. Tous nos livres contenus dans le corpus
s’accordent à attribuer à Marie cette position de Théotokos, il suffit de les ouvrir
pour retrouver mentionné ce lien indéfectible entre la Vierge et son Fils. En
cela, Marie unifie la masse des fidèles qui soumettent leurs vies à son culte en
leur offrant de penser et de croire un dogme reconnu et établi depuis des siècles.
Si le culte marial est défini et réemployé par tous les livres de notre
corpus, nous constatons également que la piété catholique envisagée plus
généralement est précisée dans certains ouvrages. Ainsi, nous pouvons retrouver
la méthode pour suivre dévotement la messe au sein des Reglemens pour
messieurs les pensionnaires des peres jesuites du college de Lyon. [...]194
. Situé
au tout début du second tome, aucun détail n’est laissé pour compte : nous
retrouvons la « manière d’entendre avec devotion la sainte Messe », « la
manière de servir & de répondre à la Messe. »... Cette dernière catégorie illustre
parfaitement l’usage que les fidèles doivent faire du livre : celui-ci est là pour
affirmer la meilleure façon de vivre dévotement selon les préceptes de la Vierge
Marie, y compris au cœur du sacrifice renouvelé de son Fils qui survient lors de
la consécration des offrandes.
Comme il peut s’en trouver parmi vous qui n’ont jamais apris à répondre à
la Messe ou qui ne le savent qu’imparfaitement, on a jugé à propos de
vous en donner ici toutes les réponses195
.
192 PIETRI (Luce), VAUCHEZ (André), VENARD (Marc) (dir.), Les Eglises d’Orient et d’Occident (432-
610) : Histoire du Christianisme, vol.3, Paris, Fleurus, 1998, p.637.
193 Ib. idem, p.637.
194 Reglemens pour messieurs les pensionnaires des peres jesuites du college de Lyon. Qui peuvent leur
servir de regle de conduite pour toute leur vie. Par un pere de la Compagn ie de Jesus, Jean Croiset, 1711, Lyon, chez André Molin, BM Lyon.
195 Ib. idem, p.30.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 92 - Droits d’auteur réservés.
S’ensuit la description précise des paroles prononcées par le prêtre ainsi que des
réponses qu’il faut savoir donner afin de suivre correctement la messe.
Longtemps obligatoire uniquement lors des grandes fêtes du calendrier
liturgique, la messe prend un nouvel essor grâce aux confréries. Les fidèles sont
appelés à se réunir régulièrement afin d’assister au sacrifice de leur Seigneur et
sont orientés dans la conduite à tenir. Le but recherché est bien de faire du
fidèle un acteur actif de sa dévotion, et non passif. En l’exhortant à se recueillir
avant la messe, à prononcer un chapelet en l’honneur de la Vierge, en l’incitant
à s’agenouiller aux moments propices et par-là même en l’impliquant de
manière physique, le livre affirme le dogme de l’Eglise catholique qui en ce
renouveau moderne remet les sacrements au cœur de la dévotion et invite le
fidèle à faire partie de cette reconquête. Le contexte jésuite est également ici à
prendre en compte : ces derniers ont fait de la communion leur fer de lance pour
atteindre la perfection spirituelle. Celle-ci permet au mortel de se rapprocher au
plus près de Dieu puisqu’il s’unit physiquement à lui en recevant son Corps196
.
Le livre permet aux confréries d’inculquer les dogmes de l’Eglise catholique
en fonction de leurs mouvances à leurs fidèles, cela est indéniable. Il leur offre
également la possibilité de promouvoir leurs propres façons de faire ainsi que
les dates spécifiques à leur dévotion. Prenons pour exemple la présentation de
Notre-Dame de Lorette telle qu’elle a été composée en 1680 par Chérubin de
Sainte Marie Ruppé197
. Le dernier chapitre de la troisième partie est consacré
aux « Pratiques de Devotion pour honorer & invoquer en tout lieu N. Dame de
Lorette ». L’auteur juge à propos d’effectuer un rappel de la spécificité de Notre
Dame de Lorette et des cultes qui lui sont rendus au niveau régional. Nous y
retrouvons notre province de Lyon :
Il y en a de même trois dans le Diocese de Lyon : Une dans la Vil-le
même ; & c’est une Chappelle de Penitens blancs, appellez de N. Dame de
196 DONNELLY (John), Confraternities and Catholic Reform in Italy, France, and Spain , Kirksville, Truman
State Univ Press, 2010, p.78.
197 La maison de la Sainte Vierge... enlevée de Nazareth par les anges et... portée à Lorete. Sa vérité, sa
sainteté et ses graces expliquées... Par le P. Chérubin de Sainte Marie Ruppé, Chérubin de Sainte Marie Ruppé,
1680, Lyon, chez Jean Certe, BM Lyon.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 93 - Droits d’auteur réservés.
Lorete, lesquels ne reçoivent dans leur Confrerie que ceux qui ont
effectivement fait le voyage de Lorete. [...]198
Par la suite, l’auteur explicite les modalités qu’il faut accomplir pour pouvoir se
revendiquer dévot de Notre Dame de Lorette. Nous y retrouvons le pèlerinage
évoqué ci-dessus, la visite à l’oratoire de la Vierge... La démarche pédagogique
se retrouve ici : le fidèle n’est pas laissé seul face à sa mission. Le livre lui
explique comment prier en lui proposant des oraisons, ces dernières étant
rédigées à la première personne du singulier. Cette technique permet tout à
chacun de s’identifier à la prière et de se l’approprier personnellement. L’autre
pendant reste indéniablement le fait que l’on unifie la prière de tous les fidèles :
en utilisant les mêmes mots, on s’assure de faire porter sa voix vers le Ciel et de
créer un esprit de corps sous le patronage de Notre-Dame de Lorette.
La piété mariale étant fortement diverse comme l’illustre notre corpus, il
revient pour ces différentes institutions de promouvoir son rite et de le mettre en
valeur. Si nous reprenons l’ouvrage consacré à la dévotion de Notre-Dame de
Lorette, nous constatons qu’un sous-chapitre est dédié aux « jours qui regardent
par-ticulierement la devotion de N. Dame de Lorete. » Chaque fête est
explicitée d’un point de vue théologique mais également pratique :
Il faut se porter en esprit dans la sainte Maison, offrir à la sainte Vierge la
l’oraison que vous trouverez cy-dessus à la page 392.199
Nous notons ici le souci poussé d’explication et de rentabilisation du livre :
l’affection portée à Notre Dame de Lorette obéit des règles strictes et des
contraintes spécifiques qu’il convient de maitriser et de respecter afin de
pouvoir se déclarer dévot de la Vierge.
198 Ib. idem, p.384-385.
199 La maison de la Sainte Vierge...op. cit., p. 404.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 94 - Droits d’auteur réservés.
C. UNE MULTITUDE D’USAGES
Le livre-objet
Intéressons-nous désormais à l’emploi pratique que peut faire un croyant
lorsqu’il détient entre ses mains un tel ouvrage. Qu’il soit le possesseur ou bien
un simple lecteur occasionnel, le livre lui délivre le message voulu par les
artisans de l’œuvre grâce au texte, mais également au modèle adopté. Le tableau
ci-dessous présente les livres du corpus par format afin d’en dégager les
tendances :
De manière très claire se détachent deux formats usités par les éditeurs, à savoir
l’in-octavo et de l’in-12. Il n’est pas aberrant de retrouver en majorité ces deux
mesures : ces dernières sont en effet les plus courantes et possèdent des atouts
non négligeables. Leurs tailles respectables leur permettent d’offrir une lecture
confortable tout en facilitant la prise en main. On peut ainsi glisser l’ouvrage
dans sa poche et l’avoir en sa possession à chaque moment de la journée. Cela
convient bien à la majorité des livres de dévotion présents dans notre corpus :
les prières correspondent aux grands temps de la journée, tels que le lever, la
messe, les complies... Le but est alors de pouvoir l’avoir sur soi afin de rythmer
Format
In-2°
In-4°
In-8°
In-12°
In-16°
In-18°
In-24°
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 95 - Droits d’auteur réservés.
sa journée par la prière. Enfin, un aspect économique n’est pas à écarter : le
coût est moindre pour ce type de format puisqu’on rentabilise au maximum la
page tout en privilégiant l’accessibilité.
Nous pouvons constater la présence d’autres formats beaucoup moins
courants dans ces milieux de dévotion populaire. Deux in-folio sont à recenser
ainsi que huit in-4. Ces types de livres sont beaucoup plus riches à fabriquer
compte tenu de leur volume, cela va de soi. Les in-4 sont au sein de notre
corpus à réserver pour les édits, mandements du Roi, bulles papales... Un texte
législatif émanant des autorités spirituelles et temporelles ne saurait être bradé
sur des papiers de moindre qualité et de format peu accessible. L’effort
économique est fait compte tenu de l’importance du message délivré et de
l’impact qu’il a sur la vie des institutions qui les reçoivent. Enfin, la présence de
petits formats tels que les in-18 et les in-24 reflète l’usage pratique que l’on
veut pour ces livres. Non seulement il peut s’emporter partout, mais surtout il
peut se glisser près du cœur, là où tout le message arrive et germe afin de
favoriser une relation pure avec la Vierge Marie. Moins lisibles mais plus
économiques, ils sont le pendant extrême de ces livres de piété tels qu’ils sont
envisagés par les différents acteurs du livre.
L’autre aspect du livre-objet se trouve être leur volume. Quelle est la
proportion du nombre de pages au sein de notre corpus ? Les ouvrages édités
sont-ils concis ou bien profitent-ils de l’occasion pour fournir au fidèle un
ouvrage pour la vie qui palie toutes les situations ?
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 96 - Droits d’auteur réservés.
Si nous envisageons le corpus sous un angle économique, le constat peut
surprendre : la majorité des ouvrages se compose de plus de cent pages, avec
une forte proportion de livres de plus de cinq cent pages. En outre, le pic se
situe à neuf cent cinq pages pour deux des ces œuvres. L’économie de papier
n’est donc pas à l’ordre du jour dans la grande majorité de ces publications. Le
choix effectué par les auteurs ainsi que par leurs tutelles est donc bien celui de
l’exhaustivité : on ne publie pas tous les jours les règles de la confrérie ou un
sujet n’est pas tout le temps traité par un membre de l’ordre. Hormis quelques
exceptions notables de grands noms de la spiritualité de l’époque tels que le
père Bourdaloue, habitués des publications théologiques sur la Vierge Marie ou
sur d’autres thèmes, la tendance est plutôt à l’ouvrage unique servant à justifier
une fois pour toutes la dévotion ou le point de vue de l’auteur. Afin d’appuyer
sa théorie, ce dernier n’hésite pas à extrapoler, à recourir à de nombreuses
images et à diluer ses idées. On revient ici au principe de martèlement qui fait
ses preuves et permet à chacun d’ingérer les méthodes de dévotion.
Nous pouvons donc retenir de cette étude du format matériel des livres de
notre corpus un réel souci de praticité. Les images sont rares, nous l’avons vu,
le texte est dense et la page rarement laissée vide. Le livre se veut populaire e t
économique, tout en étant complet afin d’offrir au croyant un ouvrage maniable,
personnalisable et accessible. Nous notons toutefois la présence d’une édition
0 5 10 15 20 25
Moins de 50
De 50 à 100
De 100 à 200
De 200 à 300
De 300 à 400
De 400 à 500
Plus de 500
Volume des ouvrages
Nombre de pages
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 97 - Droits d’auteur réservés.
riche, en rouge et noir, en format in-folio, il s’agit des Dissertationes et
adnotationes de Maria Immaculate concepta, in libros quinque digestae... de
Juan Antonio Velazquez, publiés en 1653 chez Laurent Anisson. Le format,
l’encre, les quatre cent soixante six pages témoignent de la possibilité de
l’imprimeur de faire paraitre une telle publication. Or, Laurent Anisson, nous
l’avons vu, en a les capacités et le fait savoir en sortant de ses presses un tel
ouvrage. Il rend par là même un hommage à la Vierge tout autant qu’à sa
prospérité.
Un pour tous
Afin d’assurer la pérennité des croyances et des religions, la transmission
d’abord orale et par la suite écrite se trouve être indispensable. La pratique
pieuse évolue en premier lieu en fonction de l’écrit. La première rupture se situe
au XIIe siècle. Copier des livres n’a plus seulement pour seule utilité de
conserver les textes, on envisage désormais la lecture par d’autres que les
moines, afin d’entreprendre une réflexion intellectuelle.200
Cette ouverture de
l’écrit se perpétue et s’amplifie grâce à une production stimulée par l’arrivée de
l’imprimerie. Prier et méditer peut désormais se faire de façon individuelle,
puisque le support est disponible et encadre cette dévotion. Publier un livre se
révèle ainsi être d’une importance capitale pour quiconque désire contrôler les
pratiques de ses fidèles. Fixer ses statuts par écrit, les modes de fonctionnement
de sa dévotion permet de les codifier et de les figer. Grâce à ce système, toute
personne peut être au courant des conditions de fonctionnement de la confrérie
ou bien de la spiritualité de l’institution201
. Le livre oscille donc entre deux
penchants : une utilisation personnelle et une autre plus collective. Lorsque ce
dernier propose une oraison, il s’oriente vers une méditation personnelle de la
part du fidèle. En cela, il remplit son rôle de médiateur entre Dieu et le fidèle
puisqu’il facilite leur relation en apportant des idées et des méthodes de
200 CHARTIER (Roger), Culture écrite et société, L’ordre des livres (XIVe-XVIIIe siècle), Paris, Albin
Michel, 1996, p.30-31.
201 DESRUES (Clémence), Soumettre sa vie à la Vierge, étude de trois livrets de confrérie , Mémoire d’étude
Master CEI, Lyon, 2013, p.17.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 98 - Droits d’auteur réservés.
prières202
. A contrario, lorsqu’il suggère les réponses à donner à la messe, on
s’insère dans une collectivité puisque tous déclament la même parole. Les
prières contenues dans les ouvrages illustrent ces deux utilisations de l’œuvre.
Pour ce qui est des autres publications telles que les bulles, nous sommes très
clairement dans une conception collective : la parution se doit d’être publique
afin que tous soient au courant. L’écrit revêt alors une importance pratique : sa
possible reproduction permet de faire passer le même message à la collectivité.
Enfin, les titres classés dans notre catégorie d’aide à la dévotion illustrent
eux aussi cette ambivalence des livres consacrés à la piété mariale. Leur
diffusion se veut collective : on publie pour une confrérie, une institution, un
certain public... Par là-même, on envisage son propos pour un groupe et on
essaye de faire passer son message de façon la plus claire pour le plus grand
nombre de personnes. Mais l’individu est également ciblé : prenons pour preuve
les nombreux emplois de la première personne du singulier lors des prières. On
supplée la prière du fidèle afin de lui offrir tous les moyens pour parvenir à une
adoration parfaite de la Vierge Marie. L’intégration de ces préceptes est
personnelle puisque bien qu’intrusif, le livre ne peut remplacer la relation qui
existe entre Dieu et le fidèle. Libre à lui de s’en inspirer, de choisir de ne dire
qu’une partie du Rosaire... Cependant, en proposant une même prière pour tous
les dévots de la Vierge Marie, on constitue un chant unanime pour la mère de
Dieu qui voit dans ces pratiques un peuple uni. Tous ne laissent pas la même
place à l’individu, proposant l’intégralité des paroles qu’il convient de dire à
chaque instant.
Le livre n’est donc pas utilisé par tous ses compositeurs de la même
façon, tant les buts sont différents. Nous pouvons toutefois nous interroger sur
la réception de ces ouvrages. Publier un livre ne veut pas dire qu’il sera lu et
utilisé par les fidèles de l’époque. Un des premiers indices est sans surprise le
nombre de rééditions du livre, témoignant de la vitalité du propos, nous y
reviendrons ultérieurement. Une autre trace d’une lecture active est la présence
de notes manuscrites en marge ou bien sur les pages de couverture. Les éditions
de notre corpus ne comportent pas dans la grande majorité de marginalia.
202 FROESCHLE-CHOPARD (Marie-Hélène), « La dévotion du Rosaire à travers quelques livres de piété »
dans Histoire, économie et société, n°10-3, 1991, p.306.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 99 - Droits d’auteur réservés.
Lorsque cela se constate, à l’instar des Pratique de devotion et des vertus
chrestiennes, suivant les regles des congregations de Nostre Dame...,203
il s’agit
d’une première approche personnelle : on touche le livre-objet, on en fait son
aide-mémoire. Au sein de cet ouvrage, nous remarquons que toutes les
marginalia ont un rapport avec la Bible et se trouvent être des reformulations du
propos général. Le propriétaire a sans doute ici cherché à se réapproprier les
idées développées dans le cours du texte. Nous retrouvons plus dans notre
corpus des marques d’appartenance. Ainsi, le propriétaire indique son nom sur
les pages de garde afin de bien signifier qu’il lui appartient. Afin de ne prendre
qu’un exemple, évoquons Barthélémy Court, heureux détenteur de la riche
édition de L’Office de la glorieuse Vierge Marie pour les pénitents pélerins de
Notre-Dame de Lorette [...]204
. Nous retrouvons la mention manuscrite « ce
livre appartient à » trois fois dans l’ouvrage, une fois en début, l’inscription
ayant été masquée par l’ajout d’un hymne ainsi que deux fois avant la quatrième
de couverture205
. La date « 1668 » qui y est présente témoigne bien de la
permanence de l’ouvrage. Publié en 1659, il survit et permet à des dévots d’une
autre époque de recevoir le message marial développé par l’auteur, reflétant par
là-même la vitalité de cette dévotion. Son cas n’est pas unique, beaucoup
d’autres mentions ont été relevées, y compris du XIXème siècle.
Un objet de mémoire
Pour finir ce volet consacré au livre en tant qu’instrument d’une piété mariale,
penchons-nous quelques instants sur le dernier atout du livre-objet, à savoir sa
capacité à faire perdurer une tradition de manière fiable. Pendant de longues
années, les connaissances se sont succédées grâce au cercle familial puis
universitaire dès le XIIème siècle. L’arrivée de l’imprimerie permet quan t à elle
de garder des informations plus laborieuses mais tout aussi importantes. Ainsi,
les Statuts, et Reglemens que doivent observer les Confreres de la Royale &
203 Pratique de devotion et des vertus chrestiennes, suivant les regles des congregations de Nostre
Dame..., Congrégation Notre Dame, 1689, Lyon, chez Jean Baptiste De Ville ruë Merciere à la Science, BM Lyon.
204 L’Office de la glorieuse Vierge Marie pour les pénitents pélerins de Notre -Dame de Lorette, establys à
Lyon, avec les offices de la Sepmaine Saincte les commémorations des dimanches, des saincts..., Pénitents pélerins
de N. D. de Lorette , 1659, Lyon, chez Laurens Metton, BM Lyon.
205 Cf annexe 10.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 100 - Droits d’auteur réservés.
devote Compagnie des Penitens Blancs de Nôtre Dame du Confalon de Lyon
[...] 206
sont agrémentés d’un « Catalogue des Recteurs, Vice-Recteurs, de la
Royale Compagnie des Pe-nitens blancs de Nôtre-Dame du Confalon de la Ville
de Lyon, & qui ont été Elûs chaque Année, depuis fon Rétabliffement en cette
Ville, en 1577 »207
. S’ensuit la liste chronologique des différents recteurs et
vice-recteurs, offrant à chacun la possibilité de se rappeler des noms illustres
qui ont été à la tête de la compagnie. L’avantage est double pour cette dernière :
la liste étant composée de quinze pages, on atteste de l’ancienneté de la
compagnie et de sa vitalité. Par ailleurs, certaines personnalités à l’instar de
« Monseigneur François Paul de Neufville de Ville-roy, Archevêque, Comte de
Lyon » sont des atouts incontestables pour l’association qui y voit un moyen
privilégié de promotion. Tout en faisant mémoire de ses morts, la compagnie
utilise l’objet-livre comme un monument funéraire à sa gloire.
Afin de favoriser la piété mariale et d’en permettre son développement, des
indulgences sont accordées à différentes confréries qui en font la demande au
Saint Siège romain. Pour obtenir une telle remise de peine, il faut que le fidèle
accomplisse un acte pieu défini par le pape208
. Les fidèles sont sensibles à ces
grâces venues de loin puisqu’elles assurent à quiconque en obtien t un meilleur
salut dans l’au-delà. Les confréries sont tout autant demandeuses de ces
indulgences : en effet, elles cherchent la protection du Saint Siège dans ces
temps de remise en cause de la foi catholique209
. Outre le fait que cela attire de
nombreux fidèles, le fait de publier son indulgence au début de l’ouvrage de la
confrérie inscrit l’association dans une lignée catholique approuvée par le
vicaire du Christ. C’est pourquoi ces dernières les affichent fièrement soit sur la
page de titre, soit au tout début de l’ouvrage afin que tous sachent l’intérêt qu’il
206 Statuts, et Reglemens que doivent observer les Confreres de la Royale & devote Compagnie des Penitens
Blancs de Nôtre Dame du Confalon de Lyon, Agregée à la grande Archiconfrerie de Nôtre Dame du Confalon de
Rome l'année 1578. sous le Pontificat de N.S. Pere le Pape Gregoire XIII. Et confirmée par sa Bulle du 25. M ay 1583. Ensemble le [sic] devoirs des Officiers & d'un Abregé Historique de cette Compagnie depuis son institution en
cette Ville par Saint Bonaventure l'année 1274 , Confrérie des pénitents du Confalon, 1730, Lyon, Aux depens de la
Royale Compagnie des Penitens de Nôtre Dame du Confalon de Lyon, BM Lyon.
207 Ib. idem, p.153.
208 GUYOTJEANNIN (Olivier), « Indulgences » dans Dictionnaire du Moyen Age, Paris, PUF, 2002, p.713-
714.
209 SIMIZ (Stefano), « Les confréries face à l’indulgence » dans DOMPNIER (Bernard), VISMARA (Paola),
Confréries et dévotions dans la catholicité moderne (mi XV°-début XIX° siècle), Rome, Ecole française de Rome,
2008, p.103.
Le livre, instrument d’une piété mariale ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 101 - Droits d’auteur réservés.
y a à rejoindre cette confrérie en particulier, car elle a été approuvée par la plus
haute autorité spirituelle présente sur Terre.
Enfin, si le livre peut faire l’objet de la mémoire de l’institution qui le publie,
il peut également se faire le porte-parole de l’imprimeur, acteur majeur dans la
production de celui-ci, mais acteur technique. Une seule référence a été trouvée
dans notre corpus, au sein des Méditations sur les litanies de la Sainte
Vierge210
:
Catalogue de livres qui se vendent à Lyon, chez An-toine Boudet ruë
Merciere.
Les titres sont par la suite développés, avec le format de l’ouvrage tel qu’on
peut les trouver chez Antoine Boudet. Ce dernier profite de la diffusion du livre
pour faire sa propre publicité et s’assurer ainsi peut-être d’une nouvelle vente.
La mémoire se fait alors plus commerciale que dans les deux cas évoqués
précédemment, mais avec toujours la même idée de permanence de l’écrit
profitant à celui qui sait l’utiliser et l’exploiter.
210 Méditations sur les litanies de la Sainte Vierge , ?, 1701, Lyon, chez Antoine Boudet, BM Lyon.
1650-1750 : une production en pleine évolution ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 102 - Droits d’auteur réservés.
1650-1750 : UNE PRODUCTION EN PLEINE
EVOLUTION
A. DES OBJECTIFS ADAPTES
De nouveaux publics à conquérir
Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres ;
comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. 211
Premier et principal commandement laissé par Jésus-Christ, l’amour du
prochain est l’un des piliers fondateurs du catholicisme. Le fidèle est invité à
prendre soin des plus faibles et à voir le Seigneur dans les yeux de chaque
personne de son entourage. Lorsque nous consultons les ouvrages de notre
corpus, nous retrouvons cet amour du prochain, cette alternance à la relation
fidèle / Dieu puisqu’on y intègre le peuple des hommes. Les livres de confrérie
insistent naturellement sur ce penchant puisqu’il s’agit d’un aspect fondamental
de ce type d’association. En la rejoignant, on s’inscrit dans un régime de
sociabilité fort, héritage du Moyen Age212
. Les banquets y sont coutumes, les
messes pour le salut des défunts mais également des vivants y sont célébrées...
Si la fraternité est exacerbée au début de l’époque moderne et par la suite du
XVIIème siècle, cela ne se vaut pas pour la période choisie pour notre étude. En
effet, il faut prendre en compte le courant de Contre-réforme qui anime l’Europe
de cette époque : il induit un renouveau de la production des livres religieux et
des confréries, avec également la création des congrégations mariales ... Mais
cette peur de l’hérésie et des idées peu conformes aux préceptes catholiques
conduit les autorités religieuses qui produisent nos livres, tels que les ordres
religieux, les confréries, les représentants de l’Eglise, à privilégier la formation
du chrétien. Le XVIIIème siècle se voit être le siècle du bouleversement dans la
construction des livres de piété213
. En effet, le laïc qui détient en sa possession
211 Jean 13- 34.
212 FROESCHLE-CHOPARD (Marie-Hélène), Dieu pour tous et Dieu pour soi: Histoire des confréries et de
leurs images à l'époque moderne , Paris, l’Harmattan, 2007, p.31.
213 MARTIN (Philippe), Une religion des livres (1640-1850), Paris, Éditions du Cerf, 2003, p.194.
1650-1750 : une production en pleine évolution ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 103 - Droits d’auteur réservés.
un ouvrage sur la piété mariale se voit davantage éduqué compte tenu du fait
que l’on s’intéresse désormais à l’éducation de son âme, davantage qu’à celle de
son cœur. Ce dernier reste toujours présent puisqu’il demeure le siège des
sentiments et le porteur de tout amour. Cependant on s’intéresse davantage à
l’âme, caractéristique de la personne humaine et siège de ses dispositions
intellectuelles et morales. En cela, on s’assure d’une adhésion non plus dictée
par la seule relation d’autorité mais bien d’une volonté pleine et entière
d’accepter le culte marial. Les « exercices chrétiens » contenus dans les Heures
à l'usage de la congrégation des grands artisants habitants de Lyon [...]
214 sont
un témoignage précieux de ce basculement progressif vers une dévotion
raisonnée. L’ouvrage ayant été publié en 1702, la fracture n’est pas nette, le
cœur gardant une place prépondérante. Toutefois, cette introduction du siège de
l’intelligence dans les instructions données aux fidèles est notable :
Venez puissance de mon ame, adorons notre Dieu, abaissons nous de-vant
sa Majesté, pleurons avec un regret inconsolable les offenses que nous
avons commises en sa presence !215
Ce transfert témoigne d’une reconsidération du fidèle : ce dernier devient un
esprit à éduquer selon les principes du Seigneur, et non seulement sur ses
émotions d’être humain.
Le terme de « public » est à prendre dans son sens premier, c’est
pourquoi il convient de s’arrêter un court instant sur les personnes concernées
par ces ouvrages sur la Vierge. Constatons-nous une évolution dans le groupe
social ? Celui-ci se caractérise en premier lieu par son homogénéité : les
ouvrages servent à instruire les fidèles qu’ils soient religieux ou laïcs. Par
ailleurs, lorsque nous avons consulté nos préfaces, nous nous sommes rendu
compte de l’importance de l’emploi des termes « tous », « chacun ».
L’évolution se situe particulièrement à ce niveau: on diversifie le public que
l’on vise en invitant les lecteurs à propager ce qui se dit dans l’ouvrage, en
incitant sa femme à prendre sa place si jamais le fidèle se trouve occupé par
214 Heures à l'usage de la congrégation des grands artisants habitants de Lyon, érigée sur le tiltre de la
Purification de la Sainte Vierge au Collège de la Sainte Trin ité de la Compagnie de Jésus..., Congrégation des
Grands Artisans Habitants de Lyon, 1702, Lyon, chez Sébastien Roux, BM Lyon.
215 Ib. idem, p.400.
1650-1750 : une production en pleine évolution ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 104 - Droits d’auteur réservés.
diverses tâches216
. Il est intéressant de constater que pour une dévotion qui se
dédie à une femme, avec ses qualités et ses particularités, un seul ouvrage de
confrérie ouverte uniquement aux personnes de sexe féminin ait été recensé. Il
s’agit des Reglemens pour les Dames de la Congregation établie à Marseille
sous le titre de la Purification de la Très-Sainte Vierge. Issue du XVIIIème
siècle, elle offre un éclairage singulier sur ce qu’on attend de ces femmes en
créant pour elles une confrérie :
Comme la perfection Chrêtienne est la fin prin-cipale de cette
Congregation, toutes les Dames qui y font ad-mises doivent mener une vie
reguliere, & exemplaire ; s’étu-diant avec soin à acquerir les vrayes &
solides vertus. Le soin de leur Famille, la vigi-lance sur leur Domestique,
l’a-mour de la Priere, le frequent usage des Sacremens, l’applica-tion à
remplir tous les devoirs de leur état, une Modestie édi-fiante, une Charité
universelle, une humble, & perseverante pie-té, doivent faire comme le ca-
ractere de distinction de ces Dames, & ce font là propre-ment les seules
loix indispen-fables quelles ayent.217
Seules règles selon la confrérie, mais quelles règles ! Le programme érigé pour
ces femmes placées sous l’égide de la Sainte Vierge est dans la lignée de celui
typique des années précédentes. Cependant, si on y accorde désormais une telle
importance, c’est bien par l’accès qu’ont les personnes de sexe féminin à cette
dévotion. Par leur qualité de femme, elles sont à même de comprendre et de
reproduire les vertus de la mère de Dieu. Par ailleurs, étant le socle de la cellule
familiale, elles peuvent transmettre ces préceptes à leurs enfants et ainsi diffuse r
plus aisément la dévotion à la Vierge. Tout cela ne saurait être envisageable
sans les nombreux progrès de l’alphabétisation effectués au XVIIIème siècle.218
Les femmes ont ainsi plus accès au livre et au message qu’il détient, faisant
d’elles un nouveau public à conquérir, en tant qu’unité propre et non plus en
tant que membre d’une association ou d’un couple.
216 Abrégé de la dévotion du Saint Rosaire qui renferme l'origine, l'exercice, l'excellence, l'utilité & les
indulgences accordées à cette confrérie, Grenoble, chez André Faure (éd.), 1754, p.16.
217 Reglemens pour les Dames de la Congregation établie à Marseille sous le titre de la Purification de la Très-Sainte Vierge, ?, 1710, Lyon, chez André Molin, BM Lyon, p.21.
218 Pour plus de détails, cf FURET (Françoise), OZOUF (Jacques), Lire et écrire. L’alphabétisation des
français de Calvin à Jules Ferry, Paris, Editions de Minuit, 1977.
1650-1750 : une production en pleine évolution ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 105 - Droits d’auteur réservés.
Parvenir au livre
Outre l’aspect matériel qui peut handicaper un fidèle désireux de s’instruire
sur la dévotion mariale, il ne faut pas occulter une facette pratique de cet accès
au livre : l’alphabétisation. En effet, les personnes ayant eu reçu un
enseignement, dispensé dans la grande majorité par les religieux, détenteurs de
ce savoir et professeurs depuis une antique tradition, peuvent consulter ces
ouvrages et s’en imprégner pour leur vie spirituelle intérieure. Cependant tous
n’ont pas ces capacités. Pour y remédier, ainsi qu’au problème de l’accès
matériel, une solution peut être adoptée : la lecture à voix haute219
. On lit dans
les assemblées religieuses, au sein du chapitre, lors des évènements des
associations telles que les confréries et enfin sur la place publique :
Inconti-nent qu’il y a quelqu’un de venu, un des Lecteur lit la vie des
Saints ; ou quel-qu’autre Livre spirituel ; on est obligé de se rendre attentif
à la lecture pour se dis-poser à honorer Dieu avec tout le Corps de la
Congregation [...]220
Le confrère même analphabète peut avoir accès au livre par la voie orale, il
s’agit même de l’un de ses devoirs : il est bien rappelé ici que l’on doit être
attentif et ne pas subir la lecture, et donc être actif durant son dialogue avec
Dieu.
Nous étudierons ultérieurement la forte émergence de la publication de
sermons au sein de notre corpus pour le XVIIIème siècle. Toutefois, nous
pouvons d’ores et déjà noter que le sermon n’est pas destiné à être rédigé par
écrit de prime abord. Il est prononcé voire déclamé dans certains cas à l’église,
ou dans d’autres lieux publics afin d’édifier la foule de fidèles qui accepte de
l’écouter. L’ouverture de l’accès au livre est notable tout au long de notre
période, allant en se développant, répandant ainsi la dévotion à la Vierge Marie.
219 PALLIER (Denis), « Les réponses catholiques » dans CHARTIER (Roger) et MARTIN (Henri-Jean)
(dir.), Histoire de l’édition française, t.2 : Le livre triomphant 1660 -1830, [Paris], Fayard, 1990, p.573.
220 Heures à l'usage de la congrégation des grands artisants habitants de Lyon, érigée sur le tiltre de la
Purification de la Sainte Vierge au Collège de la Sainte Trinité de la Compagnie de Jésus... , Congrégation des
Grands Artisans Habitants de Lyon, 1702, Lyon, chez Sébastien Roux, BM Lyon, p.42.
1650-1750 : une production en pleine évolution ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 106 - Droits d’auteur réservés.
Enfin, nous pouvons constater que parfois la pensée est conditionnée aux
conditions matérielles. En effet, plusieurs de nos sources portent la trace de ces
restrictions, et tout particulièrement les Panégyriques des principaux saints dont
l'Église célèbre la fête [...] 221
, dans son avis au lecteur :
On trouvera à la fin du vo-lume quatre Conferences Eccle-siastiques, elles
devoient être imprimées dans des retraites pour l’Ordination données au
public il y a quelques années ; mais le Libraire s’étant voulu borner à un
certain nombre de feüilles, n’y insera pas ces discours déjà approuvez par
Mr de Precelles, parce qu’ils les auroient rendu trop gros ; [...]222
L’auteur déplore par la suite le manque de cette partie car elle aurait été utile
pour l’instruction des laïcs. Ici, le propos est élagué afin de satisfaire aux
exigences économiques de parution de l’œuvre. Le libraire dans ce cas précis
n’a pas fait preuve de mesquinerie, le livre comptabilisant six cent quatre vingt
seize pages au total. Toutefois, cette évocation claire de l’intervention du
libraire dans la chaine de construction de l’ouvrage illustre bien les différentes
composantes dans l’accès au savoir : l’auteur le compose, avec la contrainte
technique qui s’ensuit inévitablement.
Le cas des rééditions
En éditant un ouvrage, les acteurs du monde du livre prennent plusieurs
risques : celui de ne pas le vendre, de vendre un nombre d’exemplaires moindre
que celui envisagé afin que l’affaire devienne rentable. Le cas inverse est
également envisageable : l’œuvre peut connaitre un tel succès qu’une fois les
stocks épuisés, on en vient à le rééditer. Plusieurs sources de notre corpus sont
concernées par ces nouvelles impressions, le tableau ci-dessous ayant pour but
de synthétiser le nombre de ces rééditions connues.
221 Panégyriques des principaux saints dont l'Église célèbre la fête, préchez par le P. Edme -Bernard
Bourée,... On y a joint les principaux mistères de N. Seigneur et de la très -sainte Vierge, avec quelques vêtures et
professions de religieuses..., P. Edme-Bernard Bourée, 1702, Lyon, chez Léonard Plaignard, BM Lyon.
222 Ib. idem, p.7.
1650-1750 : une production en pleine évolution ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 107 - Droits d’auteur réservés.
Beaucoup des ouvrages concernés ont été réédités une seule fois, soit à
cause d’un changement dans les possesseurs de privilèges, soit parce que
l’œuvre a été suffisamment appréciée pour justifier un renouvellement. Dans la
plupart des cas, nous retrouvons une seconde édition à une adresse différente de
celle de l’originale. Nous l’avons vu lors de notre première partie, les
interactions entre les gens du livre à Lyon sont monnaie courante et il n’est pas
rare de voir un manuscrit circuler entre différents ateliers.
En ce qui concerne les œuvres éditées plus de quatre fois, nous trouvons
plusieurs justifications. Tout d’abord, l’efficacité du réseau de distribution de
l’imprimeur ou du libraire est à prendre en compte : Laurent Anisson pour ne
citer que lui est connu et respecté. Un ouvrage qui sort de ses presses a donc des
chances de faire mouche et de trouver sa place sur le marché du livre. Par la
suite, la renommée de l’auteur n’est pas à laisser pour compte : le révérend père
Jean Croiset a été très prolifique à son époque, composant des œuvres diverses,
surtout inspirées de sa spiritualité, à savoir l’attachement au cœur de Jésus223
.
Réédité de nombreuses fois, il obtient la confiance de ses éditeurs et permet à
chacun de s’y retrouver. Enfin, le renouvellement le plus important de notre
223 Cf la La devotion au Sacre Coeur de N.-S. Jesus-Christ.
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 108 - Droits d’auteur réservés.
corpus reste sans nul doute le Pseautier de la Sainte Vierge [...]224
. Œuvre de
traduction d’un grand esprit du Moyen Age, à savoir Saint Bonaven ture, le
message qu’elle contient est ancien. Cependant, les esprits de l’époque moderne
ont choisi de le rééditer de nombreuses fois puisqu’il s’agit en 1736 de la
huitième édition. La justification se trouve dans la préface :
Car le saint Docteur y a ramassé tout ce qu’on peut dire de grand & de
tendre de Nôtre Dame.225
Le manuscrit étant très ancien, il est donc dégagé de toutes les contraintes liées
à la relation avec le compositeur (le droit d’auteur n’existe pas encore,
rappelons-le, la première société des auteurs n’ayant été créée qu’en 1777 à
l’initiative de Beaumarchais). C’est donc l’imprimeur qui se fait le porte -parole
de l’œuvre, choisissant les caractères, la mise en page226
.... L’œuvre de
référence est alors agencée selon les critères de l’époque. Mais surtout, c’est
l’intérêt économique qui prime ici : Saint Bonaventure étant reconnu docteur de
l’Eglise, cela frappe les esprits et leur assure une orthodoxie parfaite. Le livre
peut donc être acheté en toute tranquillité. La mention « huitième édition »
présente sur la page de titre invite également à la même confiance : si ce dernier
a connu un tel succès, c’est que son contenu doit être cohérent et élévateur.
Rééditer un ouvrage apporte donc une plus-value économique certaine pour
l’imprimeur mais également pour la dévotion mariale. En occupant les
premières places au sein de la production de piété, on assure à la Vierge une
louange constante.
Pour finir, nous pouvons à la suite d’Emmanuel Bury nous demander quels
sont les « horizons d’attente »227
des gens qui prennent le temps de lire ces
ouvrages. Ainsi la très grande majorité de nos rééditions sont des livres de
224 Pseautier de la Sainte Vierge, composé par s. Bonaventure , Saint Bonaventure, 1736, Lyon, chez les
Freres Bruyset, BM Lyon.
225 Pseautier de la Sainte Vierge, composé par s. Bonaventure, Saint Bonaventure, 1736, Lyon, chez les Freres Bruyset, BM Lyon, p.5.
226 PALLIER (Denis), « Les réponses catholiques » dans CHARTIER (Roger) et MARTIN (Henri-Jean) (dir.), Histoire de l’édition française, t.2 : Le livre triomphant 1660 -1830, [Paris], Fayard, 1990, p.570.
227 BURY (Emmanuel) « Livres de spiritualité traduits de l’espagnol » dans CHARON (Annie) (dir.), DIU
(Isabelle) (dir.), La mise en page du livre religieux, XIIIe-XXe siècle: actes de la journée d'étude de l'Institut
d'histoire du livre organisée par l'École nationale des chartes, Paris, 13 décembre 2001, vol.13, Genève, Droz,
2004, p .79.
1650-1750 : une production en pleine évolution ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 109 - Droits d’auteur réservés.
dévotion ou bien d’aide à la dévotion selon les catégories définies au début de
notre réflexion. Le fidèle est donc sensible aux livres qui aident à prier soit
parce qu’on y trouve les mots qui nous manquent, soit parce qu’ils constituent
une lecture plus ludique qu’un manuel donnant des instructions précises. La
piété mariale y est développée sans contraintes, insistant davantage sur les
bienfaits que l’on retire à vouer sa vie à la Vierge que sur les actions à
accomplir pour s’en estimer digne.
B. MARIE AU CŒUR DES OUVRAGES DE LITURGIE ET
DE DEVOTION
Mère de Dieu, mère de l’Humanité
Parmi tous les ouvrages consultés dans leur intégralité, une constante revient,
quelque soit la période, à savoir la place de Marie dans son ambivalence.
Mortelle, elle devient mère du Seigneur par le court terme de « fiat » qui
signifie « qu’il soit fait selon ta parole », souvent traduit par un « oui » plus
intelligible et direct. Son élection divine annoncée par la venue de l’ange
Gabriel228
la place dans l’histoire directe du sauveur des Hommes. Cependant,
sa qualité de femme lui offre également la possibilité de prendre sous son
manteau protecteur l’ensemble du peuple humain qui se confie à elle et à sa
bienveillance. Cette idée de mère de Dieu et mère des hommes se retrouve dans
la quasi-totalité de nos sources. Car c’est pour cela que l’on se place en grand
partie sous l’égide de la Vierge : pour cette place unique de confidente de Dieu
et des prières mortelles. Nous retrouvons la trace de cette relation particulière
dès le VIIIème siècle en Occident avec notamment la prière de l’Ave Maris
Stella229
:
Monstra te esse matrem / Sumat per te preces
Montre-toi notre mère / Qu’il accueille par toi nos prières
228 Luc 1 : 26-38.
229 DU MANOIR (Hubert), Maria : études sur la Sainte Vierge , vol.5, Paris, Editions Beauchesne, 1958,
p.526.
1650-1750 : une production en pleine évolution ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 110 - Droits d’auteur réservés.
La dévotion mariale n’occulte donc pas le véritable cœur de la religion
chrétienne : la sainte Trinité composée du Père, du Fils et du Saint Esprit,
puisque toutes les prières lui sont rapportées. La congrégation des Messieurs du
collège jésuite de la Trinité située sur les rives du Rhône professe cette idée au
sein de son livre destiné aux congrégationnistes230
:
Je la considereray comme ma bonne patronne & advocate auprés de son
Fils, puisque je l’ay choisie en cette qualité231
.
Le terme de patronne renvoit au fait que les Messieurs ont choisi délibérément
de se placer sous sa protection, cela impliquant des devoirs mais également des
grâces reçues de la part de la mère de Dieu. Elle est également appelée avocate,
ce qui illustre notre dernier point, à savoir le plaidoyer dont Marie fait preuve
auprès de son Fils lorsque ses enfants terrestres l’invoquent.
Nous avons évoqué au cours de notre recherche la Vierge en représentation232
.
Reprenons ici le frontispice présent dans l’œuvre de Jean Croiset233
. De son bras
gauche, la Vierge porte l’Enfant Jésus se penchant vers la Terre, les bras ouverts
pour recueillir les supplications de son peuple. Mais il est surtout intéressant de
noter que le bras gauche de Marie est laissé libre par l’illustrateur. Sa main est
dirigée paume vers la Terre, dans un geste protecteur mais également
bienveillant, d’invitation aux prières. La Vierge se retrouve ici dans son double
rôle : mère de Jésus, elle le soutient et le porte sur ses genoux mais garde un
grand espace pour le reste de ses enfants, à savoir le peuple chrétien.
Pour finir, nous relevons à la lecture de nos sources une exigence certaine
envers les dévots de la Vierge. Qu’ils soient hommes, laïcs ou religieux, tous
doivent se montrer dignes des vertus que la Vierge met en pratique, à
commencer par l’obéissance et la foi dont cette dernière a fait preuve lorsqu’elle
a répondu « Oui » lors de l’Annonciation. Dans le modèle de prière à la Vierge
230 Pratique de devotion et des vertus chrestiennes, suivant les regles des congregations de Nostre
Dame..., Congrégation Notre Dame, 1689, Lyon, chez Jean Baptiste De Ville ruë Merciere à la Science, BM Lyon.
231 Pratique de devotion et des vertus chrestiennes..., op.cit., p.98.
232 Cf mémoire p.66.
233 Reglemens pour messieurs les pensionnaires des peres jesuites du college de Lyon. Qui peuvent leur
servir de regle de conduite pour toute leur vie. Par un pere de la Compagnie de Jesus , Jean Croiset, 1711, Lyon, chez André Molin, BM Lyon.
1650-1750 : une production en pleine évolution ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 111 - Droits d’auteur réservés.
proposé par la congrégation jésuite à ses élèves, nous retrouvons ces qualités
que l’on demande à la divinité, elle seule ayant la capacité de les fournir :
Obtenez-moi une pureté de corps, de cœur, & d’esprit qui ne soit ja-mais
ternie ; une humilité sincere qui ne soit jamais alterée ; une patience dans
les adversitez qui ne puisse jamais être ébranlée ; une soumission à la
volonté de mon Dieu qui ne soit jamais partagée, une perseve-rance dans
la pratique de la vertu qui ne soit jamais affoiblie, enfin cette grace, cette
sainte mort, qui seule peut me pro-curer le bonheur de vous aimer avec
mon Dieu durant toute l’éternité.234
Vaste programme que l’acquisition par la prière de toutes ces vertus ! Marie est
donc un modèle choisi par tous ces dévots qui lui soumettent leurs vies.
Cependant, une telle patronne ne saurait accepter des enfants contraires à ses
principes. C’est pourquoi tous nos livres de dévotion recherchent l’acquisition
de ces vertus et désirent inculquer à leurs lecteurs un avant-goût du Paradis.
Une Vierge mère
Quiconque s’intéresse à la Vierge Marie et à sa destinée en tant que mère
de Dieu ne peut être que déstabilisé de prime abord. Comment une Vierge peut-
elle avoir enfanté le Sauveur de l’Humanité ? La position théologique adoptée
par l’Eglise quant à ce dogme a été évoquée plus haut dans notre réflexion235
. La
condamnation des personnes s’opposant à cette filiation divine survient très tôt
dans l’histoire de notre conception mariale : dès le concile de Latran de 649
sont mis au ban de l’Eglise tous les contradicteurs de cette doctrine.
Si quelqu’un ne confesse pas, selon les saints Pères, en un sens propre et
véritable, Mère de Dieu la sainte, toujours vierge et immaculée Marie,
puisque c’est en un sens propre et véritable Dieu Verbe lui-même,
engendré de Dieu le Père avant tous les siècles, qu’elle a, dans les derniers
temps, conçu du Saint-Esprit sans semence et enfanté sans corruption, sa
234 Ib. idem, p.112-113.
235 Cf mémoire p.78.
1650-1750 : une production en pleine évolution ?
DESRUES Clémence | M2 CEI professionnel| Mémoire de recherche | septembre 2014 - 112 - Droits d’auteur réservés.
virginité, demeurant inaltérable aussi après l’enfantement, qu’il soit
condamné.236
La dénonciation des détracteurs potentiels est ferme et ne laisse place à aucune
contestation, et ce dès 649. Pourquoi donc retrouvons-nous autant d’ouvrages
sur ce qu’ils nomment controverse ? La bulle du pape Alexandre VII publiée en
1662 est l’une de ces prises de position et témoigne de l’investissement de la
plus haute autorité catholique237
. Si cette dernière se voit obligée de reprendre
ce dogme, c’est qu’il est fortement remis en cause par les détracteurs de la
religion catholique. Par ailleurs, Alexandre VII est connu pour avoir été un
fervent défenseur de la religion dont il est le premier serviteur : il a ainsi
combattu contre l’expansion du jansénisme238
mais également du
protestantisme. Or, nous l’avons vu, la Vierge Marie constitue un point
d’achoppement pour ces deux religions. Publier une bulle sur un sujet aussi
brûlant que la virginité de la Vierge Marie n’est guère anodin : se faisant, on
assure un point délicat de l’orthodoxie catholique tout en se positionnant par
rapport à la pensée des réformés.
Si sept de nos sources proclament dès le titre leur implication dans le débat
concernant la virginité de Marie, il n’en demeure pas moins que cette idée se
retrouve au sein de tous nos livres. Tous évoquent cette ambivalence et la
réutilisent afin d’illustrer deux des vertus principales de la Vierge, à savoir son
amour maternel, exemple qui marque la plupart des gens, soit parce qu’ils ont
leur propre mère chez eux, soit parce qu’elle peut justement palier l’absence
d’une telle dévotion, tout comme sa virginité qui en fait une entité intacte, pure
et digne de célébration :
[...] & il la choisit pour en faire la Mere de l’homme-Dieu. Mere
incomparable ! qui ne le devoit être que d’un Dieu ; comme un Dieu ne
pouvoit naître avec bien-séance, que d’une Vierge aussi pure & aussi
236 DS 503 dans MOSCHETTA (Jean-Marc), JESUS, FILS DE JOSEH. Comment comprendre aujourd’hui la
conception virginale de Jésus ?, Paris, Editions l’Harmattan, 2002, p.235.
237 Bulle de N. S. Pere le Pape Alexandre VII : Par laquelle il confirme les Constitutions & Decrets faits en
faveur de l'opinion, qui asseure que l'Ame de la Bien-heureuse Vierge Marie a esté preservée du peché Originel en sa creation, & au moment qu'elle fut mise en son corps, Alexandre VII, 1662, Lyon, chez Jacques Canier, BM Lyon.
238 Mouvance issue de la pensée de Jansénius déclarée hérétique dans la seconde moitié du XVIIème siècle
compte tenu de ses positions sur la grâce. Celle-ci ne serait accordée qu’à de rares élus, par la naissance.