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ÉCOLE DU LOUVRE
Clara HÉMON
La Salle Blanche (1975) de
Marcel Broodthaers : un souvenir
du Musée d’Art Moderne
Département des Aigles dans un
Décor, L’Angélus de Daumier
Étude de l‟œuvre dans son environnement d‟origine et dans
son contexte d‟exposition actuel.
Mémoire d'étude
(1ère année de 2ème cycle)
présenté sous la direction
de Mme Cécile DAZORD
Mai 2008
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LA SALLE BLANCHE (1975) DE MARCEL BROODTHAERS :
UN SOUVENIR DU MUSÉE D’ART MODERNE DÉPARTEMENT DES AIGLES DANS UN
DÉCOR, L’ANGÉLUS DE DAUMIER
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Sommaire
Avant-propos ..................................................................................................................................... 3
Introduction ...................................................................................................................................... 4
I.La Salle Blanche au cœur d’un environnement et d’un discours .................................................... 8
A. Le contexte de création : Marcel Broodthaers et la mise en œuvre d’un processus artistique
et conceptuel complexe ............................................................................................................... 8
1) Marcel Broodthaers : portrait d’un poète, d’un artiste et esquisse de sa démarche.............. 9
2) Le Musée d’Art Moderne Département des Aigles, un « musée fictif » : création du Musée
(Section XIXe siècle) et « définition » du Musée ......................................................................... 11
3) Les Décors : des rétrospectives ? ........................................................................................... 14
B. La Salle Blanche, une reconstitution-« souvenir » : relations avec les idées et les objets du
Musée d’Art Moderne Département des Aigles et des Décors .................................................. 16
.................................................................................................................................................. 16
1) La Salle Blanche : description et observations. ..................................................................... 16
2) La Salle Blanche et la Section XIXe siècle ............................................................................... 19
3) La Salle Blanche : liens et nature des liens avec d’autres Sections ........................................ 28
.................................................................................................................................................. 28
4) La Salle Blanche : situation et statut dans l’exposition-Décor, L’Angélus de Daumier ;
approche comparative avec les autres salles et avec le catalogue ............................................ 31
II.La Salle Blanche exposée ............................................................................................................. 35
A. Actuelle présentation dans les salles du Musée national d’art moderne ............................. 36
1) Scénographie ......................................................................................................................... 36
2) Volontés de Marcel Broodthaers .......................................................................................... 37
3) Indications techniques pour le montage ............................................................................... 38
4) La « copie de voyage » : origine, rôle et statut .............................................................. 39
B. Les expositions hors les murs ................................................................................................. 40
1) Les expositions monographiques .......................................................................................... 43
a. Marcel Broodthaers, Londres, Tate Gallery. Exemple de la question de la copie de voyage 43
b. Marcel Broodthaers, Minneapolis, Walker Art Center .......................................................... 44
c. Marcel Broodthaers, Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume ........................................... 46
d. Synthèse ................................................................................................................................. 47
2) Les expositions collectives et thématiques ............................................................................ 48
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a. L’Architecte est absent – le maçon, Bruxelles, Fondation pour l’architecture ..................... 48
b. Les années 70 : l’art en cause, Bordeaux, Centre d’art plastique contemporain (CAPC)-
Musée d’art contemporain ........................................................................................................ 49
c. Antagonisms. Case studies, Barcelone, Musée d’art contemporain de Barcelone (MACBA) 51
d. 50 espèces d’espaces, Marseille, Musée d’art contemporain (MAC), galeries
contemporaines des musées de Marseille, Centre de la Vieille Charité. Réflexions autour de la
désignation de l’œuvre et de sa perception. .............................................................................. 53
e. Synthèse et conclusion ........................................................................................................... 56
C. Les mots et l’espace des mots. Étude de la graphie et de la typographie adoptées dans la
Salle Blanche ............................................................................................................................... 57
1) Marcel Broodthaers et la poétique de Mallarmé : L’Exposition littéraire autour de Mallarmé,
la Salle Blanche et son mode d’exposition .................................................................................. 58
2) Magritte et ses « tableaux de mots » : une graphie caractéristique, l’anglaise .................... 62
Conclusion ....................................................................................................................................... 63
Bibliographie ................................................................................................................................... 71
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Avant-propos
Enfin,
Qu’est-ce que la peinture ?
Eh bien c’est la littérature.
Qu’est-ce que La littérature alors ?
Eh bien c’est la peinture.
(…)
Marcel Broodthaers.1
J‟ai abordé, à travers l‟étude de la Salle Blanche, une Œuvre complexe, passionnante et
foisonnante de références, qui n‟a pas fini de me surprendre et de faire naître des
questions. Au-delà de l‟appréhension de la production de Marcel Broodthaers, artiste
cultivé, j‟ai été amenée, grâce à cette réflexion, à faire des lectures enrichissantes pour
l‟esprit et à préciser ma connaissance de certains artistes.
Je tiens d‟abord à remercier Cécile Dazord (conservateur du patrimoine, département
recherche-art contemporain-centre de recherche et de restauration des musées de France)
pour ses conseils et sa présence à chaque étape de notre travail, pour la méthode
d‟observation et d‟analyse, à l‟origine de ce mémoire, qu‟elle a su nous transmettre, mais
encore pour l‟appui théorique et pratique qu‟ont constitué les séminaires.
Je remercie Paul Sztulman (enseignant d‟Histoire de l‟art à la Villa Arson, Nice) de
m‟avoir ouvert des perspectives de lecture et d‟interprétations et de m‟avoir confiée le
texte d‟une de ses conférences, que j‟ai pu exploiter.
Merci à Evelyne Pomey (responsable de la documentation des œuvres, section art
contemporain, au Musée national d‟art moderne) qui m‟a plusieurs fois accueillie et
conseillée dans le cadre de mes recherches sur la Salle Blanche.
Merci à Jean-Hubert Martin (chargé de mission au Ministère de la Culture) d‟avoir
répondu à mes questions concernant la « copie de voyage » de la Salle Blanche.
1 cité dans Marcel Broodthaers, cat. exp. Stockholm, Moderna Museet, Stockholm : 1982, p .13.
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Enfin, je salue Cécile Nédélec (étudiante à l‟École des Hautes Études en Sciences
Sociales) pour sa relecture, ses remarques ont été pertinentes et précieuses.
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Introduction
La Salle Blanche de Marcel Broodthaers (1975. Installation : pièce en bois avec
inscriptions peintes, photographies et ampoule électrique, 390 x 336 x 658 cm, Centre
Pompidou, Musée national d‟art moderne) fait suite, peu de temps avant la disparition de
l‟artiste en 1976, aux manifestations du Musée d’Art Moderne Département des Aigles
(1968-1972), puisqu‟elle est communément désignée comme la reconstitution de sa
première section, la Section XIXe siècle, ouverte en 1968 dans la résidence et l‟atelier de
Broodthaers, rue de la Pépinière, à Bruxelles. Elle s‟inscrit encore dans la série des
expositions-« rétrospectives », les Décors (1974-1975) : la Salle Blanche est en effet créée
pour l‟exposition L’Angélus de Daumier, dernier de ces Décors, qui se tient en 1975 au
Centre national d‟art contemporain à l‟Hôtel Rothschild, Paris.
La Salle Blanche est une œuvre à part entière, une installation, pour reprendre un terme
communément admis, que l‟on peut apprécier pour ce qu‟elle est matériellement. Elle se
dresse devant nous telle une pièce unique et indépendante, toute constituée de bois clair.
En parcourant les espaces du Musée national d‟art moderne, on la découvre isolée dans
une chambre sombre, aux murs noirs. Le recul nécessaire nous est offert pour observer, à
notre aise, la composition interne de l‟œuvre, à l‟aspect d‟une habitation vierge
d‟occupants : portes, fenêtres, cheminée et radiateurs semblent évoquer une pièce à vivre.
Les mots, qui frappent d‟abord par leur élégante écriture noire et italique, s‟étalent sans
ordre précis sur toute la surface blanche de l‟œuvre, excepté sur le plafond. On est séduit
par l‟allure simple de ce volume cubique couvert de signes linguistiques, formant on ne
sait quel dessin ; une simplicité efficace, vive et contrastée grâce, notamment, au choix
d‟une trame noire croisée avec un fond blanc. L‟association des Lettres à une construction
plastique intrigue. Puis on lit plus attentivement les termes que la Salle Blanche semble
nous déclamer : les liens se tissent rapidement entre eux et s‟esquisse une référence
commune, dirons-nous, à l‟art, au monde de l‟art. Une telle description - et c‟est bien ce
qu‟avant toute chose on s‟est employé à réaliser : décrire pour mieux s‟approprier l‟œuvre
- entraîne des questions. D‟où viennent ces mots, que veulent-ils nous dire précisément et
pourquoi sont-ils associés à cette salle ? D‟ailleurs, que symbolise-t-elle ?
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À lire le cartel du Musée national d‟art moderne, qui, en quelques lignes, ébauche le
contexte de création de la Salle Blanche et proposé, ici, dès le premier paragraphe de
l‟introduction, on comprend que l‟œuvre doit s‟appréhender au regard des manifestations
passées organisées par Marcel Broodthaers. D‟où l‟importance de développer, au début du
premier chapitre, l‟étude du processus du musée fictif Musée d’Art Moderne Département
des Aigles, celle des Décors, expositions réutilisant des œuvres anciennes, mais encore
plus largement celle de la méthode de l‟artiste, au service de propos critiques sur l‟art et la
société. De fait, le contenu discursif de la Salle Blanche se construit en premier lieu sur le
sens et la direction que Broodthaers a voulu donner à la Section XIXe siècle et l‟on
retrouve même l‟organisation spatiale du pavillon de la rue de la Pépinière dans
l‟installation. En second lieu, la Salle Blanche, sa signification, sont faites de références à
d‟autres « départements » de ce Musée et enfin du dessein de l‟exposition L’Angélus de
Daumier, comme de la comparaison avec les autres œuvres-objets qu‟on y dénombrait.
Aussi, on détaille en deuxième partie du premier chapitre, après une observation formelle,
les liens unissant l‟œuvre et le Musée, l‟œuvre et le dernier Décor.
Ainsi, de par sa forme d‟œuvre achevée et imposante, conçue d‟un bout à l‟autre par
l‟artiste et de par le « souvenir » du Musée qu‟elle évoque au sein d‟une exposition-
« rétrospective », pourrait-on voir dans la Salle Blanche un monument dédié au Musée
d’Art Moderne Département des Aigles ? Par « monument », on entend « un ouvrage
d‟architecture ou de sculpture, élevé pour perpétuer le souvenir d‟un homme ou pour
commémorer un évènement important. » (Dictionnaire de la langue française,
Encyclopédie Bordas).
De plus, la Salle Blanche étant créée pour une exposition, en fonction d‟autres travaux et
donc aussi en fonction d‟un discours, il convient de se pencher dans un deuxième chapitre
sur le problème de l‟exposition de la pièce de Broodthaers après sa disparation. La
question porte non seulement sur les choix de scénographie, mais encore sur une
éventuelle autonomisation du sens de l‟œuvre face aux intentions de l‟artiste. On
s‟interroge, d‟abord, sur l‟actuelle présentation de la pièce au Musée national d‟art
moderne abordant ainsi l‟origine, le rôle et le statut de sa « copie de voyage » ; puis sur les
orientations des expositions monographiques, thématiques et collectives. Enfin, l‟étude de
la graphie et surtout de la typographie des mots, inspirée du poème de Mallarmé Un coup
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de Dés jamais n’abolira le Hasard, permet d‟éclairer une certaine mise en scène de la
Salle Blanche.
En effet, la Salle Blanche s‟enrichit de multiples citations de travaux antérieurs de
Broodthaers, qui se plaît à utiliser l‟autoréférentialité, mais elle s‟approprie encore des
travaux, voire des théories, d‟autres artistes ou auteurs. La Salle Blanche a de nombreuses
ramifications, son analyse nous amène donc à l‟étudier au sein de différents corpus
d‟œuvres (œuvres plastiques et / ou littéraires, voire au regard de sa filmographie), liés à
son Musée, à ses Décors et plus largement à ses douze années de production. De ce point
de vue, notre développement ne peut être exhaustif mais tente, chaque fois que cela est
possible, d‟évoquer d‟autres pistes potentielles d‟études comparées.
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I. La Salle Blanche au cœur d‟un
environnement et d‟un discours
A. Le contexte de création : Marcel Broodthaers et la
mise en œuvre d‟un processus artistique et conceptuel
complexe
Dans son texte publié dans le catalogue de l‟exposition Marcel Broodthaers, à la
Galerie nationale du Jeu de Paume, publié en 1991, Johannes Cladders s‟exprime sur le
déroulement de la Section XIXe siècle du Musée d’Art Moderne Département des Aigles ;
il est alors invité à son inauguration par Broodthaers en tant que directeur du Städtisches
Museum de Mönchengladbach. Il indique que le « terme « exposition » ne convient
qu‟imparfaitement » à la série des différentes sections du Musée, car chaque objet n‟y était
pas présenté comme « une œuvre achevée et autonome ». Il parle à leur propos
« d‟environnement (…) dans la mesure où [cette notion] se rapporte à une utilisation de
l‟espace et non à une construction spatiale à vocation plastique ». De plus, ces
« manifestations (…) sur le thème du musée réunissaient [des] objets choisis pour leur
contenu et non pour leur aspect formel. »2
En s‟appuyant sur la lecture de catalogues d‟exposition, en particulier sur celui édité par
la Galerie nationale du Jeu de Paume où se déroule la rétrospective Marcel Broodthaers
en 1992, et en les interrogeant, on peut tenter de définir la démarche de l‟artiste, ses
grandes lignes et les nombreux liens qu‟elle crée entre les objets, en étudiant surtout les
2 Johannes CLADDERS, 1991, cité dans Marcel Broodthaers, Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume, sous la
direction de Catherine DAVID et Véronique DABIN, Paris : édition du Jeu de Paume, 1991, p. 294.
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ramifications de la Salle Blanche. Une œuvre ne se comprend pas, ne s‟appréhende pas
seule dans la production de l‟artiste. Elle fait partie d‟un « Tout ».
1) Marcel Broodthaers : portrait d’un poète, d’un artiste et
esquisse de sa démarche
En 1964, à 40 ans, Marcel Broodthaers expose pour la première fois, à la galerie Saint-
Laurent à Bruxelles. Poète depuis sa jeunesse, il admire Mallarmé et Magritte ; il n‟a
jamais connue une grande renommée. Proche du groupe surréaliste belge, il publie son
premier recueil en 1957, année au cours de laquelle il tourne également un film sur
l‟artiste et poète allemand Kurt Schwitters ŔHanovre, 1887 - Ambleside, 1948Ŕ (il réalise,
par la suite, de nombreux films), et devient reporter- photographe. Mais il est encore guide
d‟exposition (1958) et écrit des critiques sur le Pop Art américain, auquel ses premiers
travaux sont souvent rattachés, quand Michael Compton souligne que ces critiques
« identifiaient le Pop Art américain à l‟expression du système économique»3.
Ce souci de l‟art lié au mouvement économique, auquel les musées participent, qui
parcourt son œuvre, se retrouve dans le carton d‟invitation de son exposition à la galerie
Saint-Laurent. Le texte, imprimé sur des pages de magazines, proclame :
Moi aussi, je me suis demandé si je ne pouvais pas vendre quelque chose et réussir dans la vie
(…)
L‟idée enfin d‟inventer quelque chose d‟insincère me traversa l‟esprit et je me mis aussitôt au
travail. Au bout de trois mois, je montrai ma production à Ph. Edouard Toussaint le propriétaire
de la Galerie Saint-Laurent. Mais, c‟est de l‟art, dit-il (…) Si je vends quelque chose il prendra
30%, ce sont paraît-il des conditions normales certaines galeries prenant 75%.
Ce que c‟est ? En fait, des objets
3 Michael COMPTON, « Eléments biographiques », Idem, p. 302.
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Marcel Broodthaers (…)
Dans cette exposition, il présente notamment sa première œuvre plastique, exposée
comme une sculpture : à la fin de l‟année 1963, il coule dans du plâtre, avec „un ballon‟,
cinquante exemplaires de son dernier recueil de poèmes Pense-Bête dont le texte est
recouvert de collages de papiers colorés qui, néanmoins, n‟empêchent pas une lecture
partielle. Art et langage, art plastique et poésie sont ici matériellement mis en rapport,
comme ils le sont dans la Salle Blanche. En effet, jamais Marcel Broodthaers n‟abandonne
l‟écriture. Il se plaint d‟ailleurs
Qu‟aucun n‟eut la curiosité du texte, ignorant qu‟il s‟agissait de l‟enterrement d‟une
prose…Aucun ne s‟est ému de l‟interdit. [Car] on ne peut ici lire le livre sans détruire l‟aspect
plastique. Ce geste concret renvoyait l‟interdiction au spectateur, enfin je le croyais.4
Birgit Pelzer5 interprète les enjeux de cette œuvre, enjeux qu‟on retrouve dans les travaux
ultérieurs de l‟artiste. Pour commencer, les « difficultés de lecture » d‟œuvres qui ont
souvent plusieurs niveaux de référence ; ici des livres devenus sculpture et l‟artiste de
s‟étonner que personne ne soit tenté de les lire. Mais surtout, ces livres sont une référence
au « passé », à son passé de poète, à une autre œuvre. Ils sont déjà un souvenir qui
effectue son retour. Ce « thème de la reproduction, de la redite, de l‟écriture, de
l‟autocitation »6 est récurrent dans l‟œuvre de Broodthaers. Il réutilise ses travaux tout au
long de sa carrière. Ceci est manifeste dans son Musée d’Art Moderne Département des
Aigles, surtout dans les Décors, et sera alors développé. La Salle Blanche elle-même est le
souvenir de la Section XIXe siècle du Musée. Par ailleurs, ce que Broodthaers découvre
lorsqu‟il expose Pense-Bête, et qu‟il rappelle à Irmeline Lebeer, c‟est le public :
Aucun ne s‟est ému de l‟interdit. Jusqu‟à ce moment, je vivais pratiquement isolé du point de
vue de la communication, mon public était fictif. Soudain il devint réel, à ce niveau où il est
question d‟espace et de conquête.7
4 Marcel BROODTHAERS, « Dix mille francs de récompense » (entretien avec Irmeline Lebeer), Catalogue-
Catalogus, Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 1974 ; Ibid., Catherine DAVID et Véronique DABIN, pp. 248-251.
5 Birgit PELZER, « Redites et Ratures-les objets de l‟alphabet », Broodthaers, conférences et colloques, Paris :
éditions du Jeu de Paume, 1992, pp. 49-68.
6 Idem, p. 57.
7 M. BROODTHAERS, « Dix mille francs de récompense », Op. Cit. pp. 248-251.
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Public avec lequel Broodthaers va beaucoup jouer et qu‟il intègre à sa démarche artistique,
comme on le verra. Dans cette même exposition, en 1964, Broodthaers présente des
œuvres produites à partir d‟objets de tous les jours (journal, chaise et par la suite, pelle,
table…), souvent couverts d‟accumulations de coquilles d‟œufs, de moules, de charbon. Il
propose ainsi en 1966 (26 mai-26 juin) à la Wide White Space Gallery
d‟Anvers l‟exposition : « Moules Œufs Frites Pots Charbon ».
De 1964 à 1968, il participe à des expositions collectives (Pop Art, Nouveau Réalisme,
etc…, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles, 1965), à plusieurs autres expositions personnelles,
qui s‟accompagnent parfois de performances, entre Bruxelles, Anvers, Gand et Cologne. Il
tourne quelques films dont certains participent de l‟exposition ou même en sont le prétexte
(Le Corbeau et le Renard (d’après La Fontaine), 1967, 16mm, coul., 7‟, projeté sur écran
spécial imprimé).
L‟artiste crée alors des œuvres constituées de matériaux (minéral, végétal, animal) et de
supports multiples, tourne des films, manie la photographie et écrit des récits poétiques.
Ces différents domaines sont articulés au sein d‟expositions qui offrent ainsi un nouveau
langage. Ces objets sont réemployés par la suite, dans un autre contexte (dans les
expositions Décors par exemple), formant alors une nouvelle entité et acquérant un
nouveau sens.
2) Le Musée d‟Art Moderne Département des Aigles, un
« musée fictif » : création du Musée (Section XIXe siècle) et
« définition » du Musée
La Section XIXe siècle s‟ouvre le 27 septembre 1968, rue de la Pépinière à Bruxelles,
dans la résidence de Broodthaers, et se clôt le 27 septembre 1969. Elle inaugure le Musée
d’Art Moderne Département des Aigles, dont la Salle Blanche est un souvenir et s‟ouvre
dans un contexte politique et artistique à ne pas négliger, puisqu‟il est à l‟origine du
discours de l‟artiste.
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En 1968, Marcel Broodthaers participe à l‟occupation du Palais des Beaux-Arts de
Bruxelles, engagée par les étudiants en art plastique qui veulent empêcher l‟inauguration
d‟une exposition d‟art minimal. L‟artiste a déjà réalisé des performances et des
expositions dans ce lieu. De son propre aveu, l‟invention du Musée d’Art Moderne
Département des Aigles, par la création de sa Section XIXe siècle, « était, par son caractère,
liée aux évènements de 1968, c'est-à-dire un type d‟évènements politiques que tous les
pays connaissaient. » Il précise encore qu‟un changement apparaît effectivement dans la
conscience de la jeunesse qui s‟est répercuté dans le domaine artistique.
Ce changement a fait surgir cette question : qu‟est-ce que l‟art, quel rôle joue l‟artiste dans la
société ? J‟ai poussé la réflexion encore un peu plus loin (…) : quel est en général le rôle de ce
qui représente la vie artistique dans une société Ŕ à savoir un musée ? Il s‟agissait d‟abord de
dresser un bilan de la situation.8
Ainsi, la mise en place de la Section XIXe siècle est d‟abord pensée comme « un lieu de
discussion, d‟échanges d‟idées ». Si le musée connaît ensuite un développement
« autonome », qu‟il « s‟institutionnalise » et devient « le symbole d‟un musée fictif »,
« [il] n‟était d‟abord qu‟un simple décor »9. Ce terme de « décor » est ensuite appliqué à
une série d‟expositions, et aux salles qui la composent, telle la Salle Blanche,
dénomination qu‟on étudiera plus précisément. La Section XIXe siècle semble donc
d’abord le cadre, le « décor », au sein duquel l‟artiste anime une discussion. Lorsque la
Salle Blanche est créée, le processus du Musée a néanmoins été développé et est terminé
depuis trois ans.
Avant de s‟arrêter plus longuement sur l‟étude du contenu de la Section XIXe siècle,
citons rapidement les différentes sections qui composent le Musée de Marcel Broodthaers
et rappelons grossièrement leur contenu (matériel et « conceptuel »). Qu‟est ce que le
Musée d’Art Moderne Département des Aigles ?
8 M. BROODTHAERS, extraits de l‟entretien de Marcel Broodthaers, Jürgen Harten, et Katarina Schmidt,
réalisé en français et en allemand en 1972 et dont l‟original est perdu ; texte publié en allemand dans le dossier de presse
de l‟exposition Section des Figures, Städtische Kunsthalle, Düsseldorf ; reproduit dans Catherine DAVID et Véronique
DABIN, Op. Cit. p. 222.
9 Idem, p. 223.
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Les catalogues des expositions monographiques nous rapportent plus ou moins de
sections. Le catalogue de l‟exposition de la Galerie nationale du Jeu de Paume en rapporte
le plus : douze sections ; les voici : la Section XIXe siècle, la Section Littéraire, la Section
Documentaire, la Section XVIIe siècle, La Section XIX
e siècle (bis), La Section
Folklorique/Cabinet de Curiosités (restée un projet), la Section Cinéma, la Section
Financière Musée d’Art Moderne à vendre 1970-1971 pour cause de faillite, la Section
des Figures, la Section Publicité, la Section d’Art Moderne, le Musée d’Art Moderne
Galerie du XXe siècle. (CF : Annexe B, p. 11, Chronologie du Musée d’Art Moderne
Département des Aigles). On peut souligner le caractère surprenant d‟une section XIXe
siècle (une section comme un « département ») ou d‟une section XVIIe siècle dans un
Musée d‟art moderne. En effet, tout dépend de la manière dont on entend « moderne » et
de quel point de vue on se place. Un découpage historique et universitaire veut que les
« Temps Modernes » débutent à la Renaissance et s‟étendent jusqu‟au XVIIIe siècle, les
XIXe et XX
e siècles recevant alors l‟étiquette de « contemporains ». Le Petit Larousse
(2003) désigne par Histoire moderne la période depuis la prise de Constantinople (1453)
jusqu‟à la Révolution Française (1789). D‟autre part, Le Petit Larousse propose encore
(« ENCYCL. ») :
Chaque époque qualifie de moderne, au sens de „contemporain et novateur‟, ce qui, dans
l‟effort d‟expression qui lui est propre, s‟oppose à la tradition ; il en est ainsi pour la modernité
célébrée par Baudelaire (…).
Et modernité de se définir, dans sa deuxième acception, comme les temps modernes,
période ouverte par la révolution industrielle et s‟opposant à la postmodernité…Cette
définition s‟applique plus particulièrement dans le domaine de l‟Histoire de l‟art, à partir
de la modernité déterminée par Baudelaire dans Le Peintre de la vie moderne (paru en
1863 dans Le Figaro). Ce « débat » est vaste et peut-être stérile dans ce cas précis. La
question essentielle, ici, est la suivante : qu‟est-ce que le moderne, et alors qu‟est-ce que la
modernité pour Broodthaers ?
Mais revenons à notre Musée. Ses manifestations ont lieu dans des galeries ou dans des
musées. Elles sont constituées d‟expositions d‟œuvres variées, choisies et assemblées en
fonction d‟un discours déterminé. Prenons l‟exemple de la Section Cinéma : films de
l‟artiste, projections de diapositives, objets manufacturés, affiches, inscriptions, cartes
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postales, œuvres d‟art empruntées à des musées, photographies, caisses vides…etc. Ce
sont encore des performances (le plan d‟un musée tracé sur le sable d‟une plage pour la
Section Documentaire…), des documents « officiels » (les lettres ouvertes à en-tête
« Département des Aigles » envoyées par Broodthaers de son institution à des
personnalités du monde politique et artistique…) et s‟y tiennent des discours et des
entretiens. Marcel Broodthaers est bien sûr le concepteur et le directeur-conservateur de
toutes les sections du Musée.
Les objets, selon le lieu où ils sont présentés et le discours qu‟alors on leur prête,
acquièrent une valeur symbolique et marchande qu‟ils n‟avaient pas jusque là. Le public
est confronté à de vraies-fausses œuvres d‟art dont le sens et la valeur changent selon le
contexte d‟exposition ; une bouteille estampillée « Aigle »-ayant néanmoins le statut
d‟œuvre d‟art de l‟artiste, comme peut l‟avoir un urinoir de Duchamp-, peut être placée
« à côté » d‟une sculpture d‟aigle sumérienne du Musée du Louvre, dans une institution
muséale « réelle » (dans laquelle se tient l‟exposition) mais au sein d‟une exposition
organisée par un musée « fictif », le Musée d’Art Moderne Département des Aigles
(exemple inspiré de la Section des Figures)… Chaque objet a ainsi plusieurs niveaux de
références et souvent, au sein de la manifestation, un élément isolé ne désigne rien, n‟est
rien, mais il prend son sens dans son rapport avec les autres et avec le thème de
l‟exposition. Selon l‟artiste, le spectateur doit prendre conscience « qu‟une image n‟est
pas innocente, qu‟elle peut être manipulée et qu‟elle a une signification qui change de
place ». Ces expositions sont des « exercices d‟images »10
, des exercices de lecture.
L‟exposition est en elle-même une création originale, une réflexion développée par
l‟artiste de façon cohérente au cœur même de toute son Œuvre, dont on vient de dégager
les grandes idées. Or, la Salle Blanche est bien d‟abord créée pour une exposition,
L’Angélus de Daumier, s‟insérant dans la série des Décors montés par l‟artiste entre 1974
et 1975.
10 M. BROODTHAERS, extrait de l‟interview de Marianne Verstraeten, à l‟occasion de l‟exposition Catalogue-
Catalogus, Bruxelles, 1974 ; cité dans C. DAVID et V. DABIN, Op. Cit. p. 242.
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3) Les Décors : des rétrospectives ?
Le premier de la série des sept Décors que nous présente l‟édition du Jeu de Paume
(comme pour les sections, les autres catalogues que j‟ai consultés en présentent moins)
s‟ouvre en septembre 1974 (19-25 septembre) à la Wide White Space Gallery d‟Anvers :
Ne Dites pas que je ne l’ai pas dit-Le Perroquet/Zeg niet dat ik het niet gezagd-De
papegaai (cette exposition est-elle un Décor ? CF : Annexe C, p. 20, Chronologie des
Décors). Suivent, jusqu‟en novembre 1975 et la fermeture du dernier Décor, L’Angélus de
Daumier : Catalogue-Catalogus, Éloge du Sujet, Invitation pour une exposition
bourgeoise, Le Privilège de l’Art, Décor. A Conquest by Marcel Broodthaers. Ces
expositions regroupent des objets issus de productions antérieures et diverses, assemblés
d‟une manière nouvelle (les intentions de l‟artiste sont différentes) et formant ainsi une
nouvelle entité. Pour reprendre l‟interprétation de Birgit Pelzer déjà citée plus haut, ces
expositions
déclarent ouvertement ce mouvement de rétroaction, ce motif de la redite, du recoupement, du
déchiffrage (…) Autant de relectures, de refigurations de travaux antérieurs, elles commentent
la manière dont le contexte peut affecter une œuvre d‟art (…)11.
Néanmoins, il ne s‟agit pas réellement de rétrospectives : les œuvres ne sont pas
présentées de manière chronologique, la carrière de l‟artiste n‟est pas « exhaustivement »
brossée… Le volume I du catalogue de l‟exposition L’Angélus de Daumier, conçu par
Broodthaers avant l‟exposition elle-même, nous éclaire sur ce point et sur ce Décor qui
nous intéresse plus particulièrement. L‟artiste souligne, dans une note précédant la
description du projet de chaque salle, que, si son intention l‟emporte, cette exposition ne sera
pas une rétrospective mais une succession de « décors » qui mènera à la Salle Noire où un
programme de films sera projeté.12
L’Angélus de Daumier se tient du 2 octobre au 10 novembre 1975 au Centre national
d‟art contemporain, à Paris, dans l‟Hôtel Rothschild. Malgré la réutilisation d‟œuvres 11 B. PELZER, Op. Cit. p. 64.
12 M. BROODTHAERS, L’Angélus de Daumier, Paris, Centre national d‟art contemporain, 2 octobre-10
novembre 1975, Paris : Centre national d‟art et de culture Georges Pompidou, Musée national d‟art moderne, 1975,
volume I ; cité dans C. DAVID et V. DABIN, Op. Cit. p. 279.
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passées, la Salle Blanche est créée pour l‟occasion (bien qu‟elle soit la manifestation d‟un
évènement passé, la Section XIXe siècle), comme Tapis de Sable, avec en son centre un
palmier, est créé spécialement pour Catalogue-Catalogus.
B. La Salle Blanche, une reconstitution-« souvenir » :
relations avec les idées et les objets du Musée d’Art
Moderne Département des Aigles et des Décors
La Salle Blanche est située au cœur de la production du Grand Œuvre de l‟artiste en tant
qu‟elle est directement liée au Musée d’Art Moderne Département des Aigles et bien plus
encore, à sa création, ce qu‟on va tenter de souligner ici. Néanmoins, elle clôt, dans le
temps, l‟aventure de ce Musée comme celle des Décors, voire la carrière de l‟artiste.
Marcel Broodthaers disparaît peu de temps après la création de cette œuvre, le 28 janvier
1976 à Cologne. La Salle Blanche, une œuvre- testament ?
1) La Salle Blanche : description et observations.
Le développement suivant est une simple description de la pièce, soulevant des
observations, des pistes de réflexion et des thèmes, liés à la vision critique de l‟artiste et à
son horizon culturel, qui seront détaillés plus précisément par la suite.
Tout d‟abord, voici ce qu‟indique la légende de la Salle Blanche dans la publication,
Collection Art Contemporain, édition du Centre Pompidou, Paris, 2007 (« Marcel
Broodthaers » pp. 80-82) :
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Installation : bois avec inscriptions peintes, photographies, et ampoule électrique. 390 x 336 x
658 cm. Achat 1989. AM 1989-201.
On peut s‟interroger, ici, sur la désignation de la Salle Blanche par le terme d‟installation
(CF : pp. 54-58).
La Salle Blanche est une pièce cubique, montée en bois clair, qui affiche sur ses trois
murs et sur le sol des inscriptions apparemment peintes, en noir, avec une écriture
manuscrite et italique, évoquant celle utilisée par l‟artiste belge René Magritte (Lessines,
1898 - Bruxelles, 1967) dans certains de ses tableaux (CF : pp. 64-65). Les photographies
sont les deux radiateurs gris du fond, de type radiateurs à gaz ; ils sont symétriques. Leur
caractère très illusionniste est frappant. On pourrait y voir de véritables radiateurs.
Néanmoins, sachant qu‟il s‟agit de reproductions, on remarque distinctement la ligne de
découpage ou de délimitation de la photographie. La pièce est comme scindée en deux
espaces par un retour des murs, formant une sorte d‟encadrement. Dans chacun de ces
espaces, une porte avec des poignées en métal doré est fermée, sur notre gauche. Les
portes semblent exactement symétriques. La cheminée est située au fond, sur notre droite.
Les deux fenêtres dominant les radiateurs ouvrent sur une surface noire. Aux deux coins
de l‟encadrement est disposée une tête de lion (moulée en plâtre ?). Du centre du plafond,
une ampoule pend au bout d‟un fil. De plus, le travail d‟assemblage des divers éléments de
l‟œuvre est laissé clairement visible : il y a des rainures à l‟endroit, sans doute, où les
différentes planches de bois sont jointes, on voit la tête de petits clous, et des lattes de bois
(soutient du sol de la pièce) dépassent à nos pieds. Ainsi, on a une sensation
d‟inachèvement ou d‟espace en travaux : cette salle a un aspect factice. L‟ouverture sur
l‟intérieur de l‟installation est nettement découpée (on ne voit ainsi que le début de
certains mots) et a des extrémités noires. Une corde ou un cordon empêche l‟entrée dans la
pièce.
Les mots qui animent la pièce font partis du « champs lexical » du monde de l‟art.
Certains mots apparaissent plusieurs fois : lumière (2, dont un coupé), copie (3), badaud
(2), collectionneur (2), figure (3), style (3), marine (3), papier (2), portrait (3), composition
(6), valeur (2), brillant (2), perforation (2), amateur (3), éclairage (2), couleur (5), prix (4),
impression (2), galerie (5), perspective (2), abc (6), ombre (2), apprêt (3), pourcentage (5),
pellicule (2), eau (3), œil (2), filou (2), peau (3), chevalet (3), noir (4), nu (4), blanc (2),
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toile (2), cote (2), huile (3), figures (2), privilège (3), images (2, sans doute 3 : „ ima-„,
coupé), dessin (2), clous (2). « Sujet » est cité une fois au pluriel et une fois au singulier,
comme « œil » et « yeux », et « figure ».
Des « catégories » de mots sont discernables. Elles sont liées, à la fois, au vocabulaire de
description, de désignation d‟une œuvre et en particulier d‟un tableau, par exemple pour
décrire sa structure (« format, composition, perspective, figures, figure, images »), ses
couleurs (« couleur, ton, noir, blanc, »), le type de sujet ou de motif (« sujets, sujet, nu,
paysage, marine, portrait, tempête, soleil, nuages, pluie, arbre»), son « style », les effets de
la lumière (« lumière, ombre»), son aspect (« mat, brillant ») et sa technique (« huile,
dessin, papier») ; mais aussi au vocabulaire du marché de l‟art : « collectionneur, amateur,
valeur » (si on estime qu‟il signifie valeur financière et pas valeur qualitative), « prix,
galerie, pourcentage, cote » (s‟il s‟agit de la cote comme valeur financière), « marchand »,
et peut-être « copie » et « objectif » -on pense à l‟objectif financier mais cela pourrait être
tout autre. Elles sont encore liées au vocabulaire plus technique désignant la matérialité de
l‟œuvre : « toile, châssis, apprêt Ŕ dans son acception technique- » (et, déjà cités, « huile,
papier, dessin »). Le terme « pellicule » peut aussi y être inclus, qu‟il s‟agisse de la
pellicule photographique ou cinématographique, Broodthaers ayant réalisé nombre de
photographies et de films. Enfin, elles se rattachent à la catégorie évoquant le matériel du
peintre : « chevalet, pinceau, brosse »,‟ palet- „(mot coupé, on imagine « palette »), et
d‟autres déjà cités. Certains mots font, de plus, référence à l‟accrochage d‟une œuvre
(« perforation, clous, éclairage ») et d‟autres sont plus subjectifs ou critiques
(« impression, valeur Ŕsi on le comprend ici dans le sens de valeur qualitative -, badaud,
filoutage, filou, voleur, privilège »). Ces derniers mots sont très précis. Ils sous-entendent
l‟imposture de l‟art.
Bien sûr, ces catégories sont arbitraires et certains mots peuvent être intégrés dans
plusieurs d‟entre elles, comme on l‟a sous-entendu (valeur, impression -sensation ou
technique-, objectif -financier, du peintre, d‟une institution, de l‟appareil photographique-,
huile, œil, copie, pluie, etc.…), quand d‟autres sont plus difficilement « classables »
(« asticot, bain, eau, œil, peau, abc, acd, vision ») ou lisibles en entier ( „rev-„ ,coupé).
Néanmoins, il est intéressant de souligner que le terme « Musée » n‟apparaît qu‟une fois et
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que seul le mot « cote » (si on estime qu‟il désigne une marque de classement) peut lui
être rattaché.
De plus, on peut noter le caractère très visuel de ces mots distribués dans la pièce,
formant comme un « dessin » ; on pense au poème Un coup de Dés jamais n’abolira le
Hasard (1897) du français Stéphane Mallarmé ŔParis, 1842 - Valvins 1898Ŕ (CF : pp. 60-
64). Ainsi, on peut déjà souligner qu‟art plastique et langage, aspect visuel et lecture, sont
réunis au sein de cette œuvre. Les mots sont aussi des signes visuels, des images. Mais
encore, ce corpus de mots évoque les thèmes chers à l‟artiste (CF : voir infra) : ceux-ci
sont peut-être contenus dans le discours proclamé par l‟artiste lors de l‟inauguration de la
Section XIXe siècle. Au lieu d‟être parcourue par les visiteurs et animée de discours, de
débats, la pièce de Broodthaers se peuplerait de mots.
2) La Salle Blanche et la Section XIXe siècle
Il s‟agit ici d‟essayer de déterminer la nature des liens formels et conceptuels unissant la
Salle Blanche et la Section XIXe siècle et, à partir de là, d‟essayer d‟esquisser la
signification de cette œuvre. Une première observation s‟impose : aucun des catalogues
d‟exposition et des textes critiques consultés n‟établissent de liens précis unissant la Salle
Blanche à la Section XIXe siècle. La Salle Blanche est, en effet, unanimement désignée
comme la reconstitution de la Section XIXe siècle. L‟artiste lui-même reste vague :
SALLE BLANCHE Reconstitution, la plus fidèle possible ( ?), d‟un ensemble fait par l‟artiste
en 1968 qui s‟attaquait, à l‟époque, à la notion de musée et à celle de hiérarchie. L‟essentiel des
idées qui ont servi de bases à cette manifestation et à celles qui furent organisées par la suite
jusqu‟en 1972, sera explicité dans une notice écrite par l‟artiste. C‟est peut-être nécessaire car
aujourd‟hui les trucs ne sont plus les mêmes. Nouveaux trucs, nouvelles combines.13
13 Idem, p. 280.
« Nouveaux trucs, nouvelles combines » est la devise de la bande dessinée des Pieds-Nickelés. On retrouve
une illustration de cette bande dessinée, sous forme de vignette, notamment sur la couverture du catalogue du volume II
de l‟exposition L’Angélus de Daumier. Elle est accompagnée du titre « Les Nouvelles Aventures des Pieds Nickelés »,
ainsi que de la fameuse devise.
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Pour commencer, que contenait la Section XIXe siècle et quels évènements s‟y sont
déroulés ? La source la plus précise consultée est le catalogue de l‟exposition Marcel
Broodthaers à la Galerie nationale du Jeu de Paume (photographies reproduites et textes à
l‟appui) ; voici ce qu‟on y dénombre. Trente caisses d‟emballages vides, ayant servi au
transport d‟œuvres d‟art, de la compagnie Continental Menkes, jonchent le sol du lieu de
résidence de l‟artiste, rue de la Pépinière, au rez-de-chaussée. D‟après Martin Mosebach,
deux fenêtres donnent sur la rue et la Section XIXe siècle se compose de trois pièces
principales14
. Les caisses, de différentes tailles, portent des inscriptions peintes au pochoir,
telles que : « Picture », « Tableau », « Sculpture », « Handle with care », « Keep dry »,
« Brussels », « Painting », « Fragile », « Haut », « Bas », etc.
Sur les murs, une cinquantaine de cartes postales, accrochées par un bout de scotch,
offrent les reproductions d‟œuvres d‟artistes français du XIXe siècle tels Wiertz
15, David,
Ingres, Courbet, Meissonier, Puvis de Chavannes, Wintherhalter, etc. Il serait intéressant,
si cela est possible un jour, de répertorier la liste exhaustive de ces inscriptions, des
œuvres-cartes postales et de leurs artistes. Nous n‟avons pas, à ce jour, connaissance d‟un
tel travail. D‟ailleurs, où sont aujourd‟hui conservées ces cartes postales ? Nous n‟avons
pu les observer que dans les catalogues. Martin Mosebach développe une des
interprétations possibles de la présence de ces cartes postales et nous en dévoile d‟autres.
Ces cartes rappellent :
La pratique des musées consistant à mettre une photographie et une bref note explicative à la
place des peintures subissant une restauration ou parties en prêt. Et il continue : [l]es
reproductions sont-elles déjà devenues dignes du musée, alors que les peintures
sommeillent à l‟ombre de leurs caisses ? En fin de compte, la reproduction était la
14 Martin MOSEBACH, « The Castle, the Eagle, and the Secret of the Pictures », Marcel Broodthaers,
Minneapolis, Walker Art Center, New York: Rizzoli Minneapolis, 1989, p. 172.
Juriste de formation, Martin Mosebach a écrit des critiques d‟art et est l‟auteur de plusieurs articles sur Marcel
Broodthaers. (1989)
15 On peut souligner que Broodthaers rédige un article intitulé «Sauver le Musée Wiertz », paru dans Studio
International en octobre 1974, (vol. 188, n°970) dans lequel il encourage vivement à la sauvegarde de ce musée
bruxellois (qu‟on veut faire disparaître) au charme désuet, historique et plein de souvenirs. Cet article est rapporté dans
L’Architecte est absent-Le Maçon, Bruxelles, Fondation pour l‟Architecture, Bruxelles : Fondation pour l‟Architecture,
1991, p. 92.
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preuve même de l‟existence de l‟œuvre d‟art, preuve que la peinture elle-même ne
pouvait soutenir plus longtemps. 16
Il nous apprend que, dans le lot, deux cartes postales ne reproduisent pas des œuvres du
XIXe siècle. L‟une nous ramène vers un passé plus lointain : c‟est La Vierge et l’enfant
entourés par des anges (Musée royal des Beaux-Arts d‟Anvers ; V. 1452-1455 ; volet
droit du diptyque de Melun) de Jean Fouquet. L‟autre nous transporte vers des temps
contemporains : une œuvre de Magritte montrant une peinture de paysage placée devant
un paysage réel. De quelle œuvre s‟agit-il ? Il ne le précise pas. Il conviendrait de le
découvrir. Mais Broodthaers présente le revers de cette reproduction, revers sur lequel il
inscrit : « Musée des Aigles ». La carte a été, apparemment, retournée plus tard (il n‟y a
pas plus de précision). En y regardant de plus près, ces deux « intrus » sont effectivement
présentés parmi les quelques cartes proposées dans le catalogue de la Galerie nationale du
Jeu de Paume. Et Martin Mosebach de conclure que Broodthaers semble déclarer que tout
l‟art est synchronique, au moment même où il entame la création de son Musée qui, doit-
on le rappeler, propose en partie un découpage apparemment chronologique. Broodthaers
ne sous-entendrait-il pas plutôt que la périodisation en vigueur dans les musées,
l‟exposition des œuvres dans les musées, donne l‟impression que tout l‟art est
synchronique ?
Une échelle est posée contre le mur et des plaques portant un numéro (sur une des
photographies reproduites on voit le numéro « 5 ») sont suspendues à certaines portes. Le
mot « Museum » est inscrit sur la façade de la maison ; on le lit à l‟envers de la rue et à
l‟endroit de l‟intérieur. C‟est du moins ce que nous précise Broodthaers. Avant, il ajoute :
Le „Musée d’Art Moderne Département des Aigles, Section XIXe siècle a été inauguré le 28
septembre 1968. (…) Il est composé d‟un jardin, d‟une tortue, de caisses portant des indications
de galeries, des marques d‟envoi et de destination, d‟une série de cartes postales (…)17
16 M. MOSEBACH, Op. Cit. p. 172. Traduction personnelle ; version originale :
“the practice of museums of putting a photograph and a brief explanatory note in the place of a painting
undergoing restoration or sent away on loan. Had the reproductions already become worthy of the museum, while
painting slumbered in the dark of their crates? Ultimately the reproduction was the very proof of the work of art‟s
existence, proof which the painting itself could no longer supply”.
17 M. BROODTHAERS, cité par Ludo Bekkers « Gesprek met Marcel Broodthaers », Museumjournaal,
Amsterdam, 15 février 1970, extrait de l‟interview originale en français du 13 décembre 1969, non publiée ; reproduit
dans C. DAVID, V. DABIN, Op. Cit. p. 192.
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D‟autres inscriptions sont encore peintes sur le mur du jardin (« Département des
Aigles ») et sur les deux fenêtres (« Musée-Museum », qu‟on appréhende de l‟intérieur).
À l‟occasion de la soirée d‟ouverture, un camion de transport vide de la compagnie
Continental Menkes (« transporteur d‟œuvres d‟art réputé en Belgique » nous dit Johannes
Cladders) stationne à l‟extérieur et est visible par la fenêtre.
Enfin, de 1968 à 1969, divers évènements et performances ont eu lieu au Musée d’Art
Moderne Département des Aigles, Section XIXe siècle. Un discours inaugural est prononcé
par Marcel Broodthaers et un autre, en allemand, par le Dr Johannes Cladders, directeur
du Städtisches Museum de Mönchengladbach. Puis se tient une « discussion sur les
rapports de l‟artiste et de la société (le rapport entre la violence institutionnalisée et la
violence poétique, le destin de l‟art-Grandville, Ingres) »18
. Encore une fois, il aurait
certainement été instructif d‟avoir accès à la retranscription de ces discours et de cette
discussion, s‟il en existe une. Qu‟abordaient-ils exactement ? Quels étaient les termes
employés ? Néanmoins, la première partie d‟un film tourné par l‟artiste (non visionné) et
intitulé Musée d’Art Moderne Département des Aigles, Section XIXe siècle, rapporte cette
discussion ; cette première partie est ainsi intitulée La Discussion. La seconde partie, Un
voyage à Waterloo (Napoléon 1769-1969), rapporte le voyage que Broodthaers effectue
de Bruxelles à Waterloo pour le bicentenaire de l‟anniversaire de Napoléon : il charge une
caisse vide dans un camion de transport Continental Menkes (Bruxelles) et la transporte
jusqu‟à Waterloo seulement pour la décharger. Ce film est cité dans le catalogue de la
rétrospective de la Galerie nationale du Jeu de Paume (p. 197). Où est-il conservé ? Enfin,
Bartomeu Marí dans L’Architecte est absent- Le Maçon19
note la référence d‟un film sur la
Section XIXe et sur le Département des Aigles, réalisé en 1974 par Jef Cornelis pour la
BRT. Nous ne savons pas encore où trouver ce film. « 60 „Personnalités du monde civil et
militaires‟ représentant différentes options politiques »20
participent à cette discussion.
Johannes Cladders mentionne la présence de critiques d‟art et de gens de musée, et cite six
18 Documents, Musée d’Art Moderne Départements des Aigles, Section XIXe siècle, reproduit dans C. DAVID,
V. DABIN, Op. Cit. p. 193 ; informations tirées d‟une lettre ouverte de Broodthaers : « Paris, le 29 novembre 1968 », et
rapportée dans le même ouvrage à la page 198.
19 M. BROODTHAERS : L’Architecte est absent-Le Maçon, Bruxelles, Fondation pour l‟Architecture,
Bruxelles : Fondation pour l‟Architecture, 1991, p. 29. ; on nous y renvoie à une édition sur Jef Cornelis.
20 Documents, Musée d’Art Moderne Département des Aigles, Section XIXe siècle, C. DAVID, V. DABIN, Op.
Cit. p. 193.
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personnes (Isi Fiszman, le collectionneur Herman Daled, le poète Castillejo) parmi
lesquelles trois artistes : Panamarenko, Daniel Buren et Carl André.
Marcel Broodthaers organise encore à son domicile : un concert de musique (le concerto
pour deux violons de Bach, le concerto pour deux violons de Vivaldi et les Caprices de
Paganini interprété par André et Yaga Siwy), dont une reproduction, à la page 197 de
l‟édition du Jeu de Paume, nous montre un violoniste jouant face à des caisses
d‟emballage sur lesquelles il a déposé ses partitions ; une projection de « diapositives de
reproductions de cartes postales de tableaux du XIXe siècle, dont les peintures d‟Ingres,
Mlle Rivière, de 1805 et Louis-François Bertin de 1832, ainsi que des diapositives de
caricatures dont celles de Jean Gérard dit Grandville (dessinateur et graveur français du
XIXe siècle). »
21 Grandville est d‟ailleurs cité par Charles Baudelaire dans son texte
Quelques caricaturistes français (paru la première fois dans la revue Le Présent, le 1er
octobre 1857), quand Ingres apparaît, bien sûr, à plusieurs reprises, dans les diverses
critiques de Baudelaire.
Parallèlement, durant son année d‟existence, le Musée d’Art Moderne Département des
Aigles, Section XIXe siècle émet plusieurs lettres ouvertes, et cela même dès avril 1968,
envoyées à des personnalités du monde politique et artistique (environ 500 à 1000
personnes). Ce sont des lettres individuelles (« Mon cher Kasper », Bruxelles, 9 mai 1969
; « Mon cher Jacques », Bruxelles, le 21 juillet 69) ou adressées « À mes amis ».
Broodthaers écrit des lettres à entête « Département des Aigles » (ou « Cabinet des
ministres de la culture » pour la lettre prévenant de l‟ouverture du « Département des
Aigles du Musée d‟Art Moderne », Ostende, 7 septembre 1968), à partir de différents
endroits : Bruxelles, Ostende, Kassel, Düsseldorf, Anvers, Paris. À partir d‟octobre 1969
certaines portent l‟entête « Section Littéraire ».
Ainsi, au regard des descriptions de la Salle Blanche et de la Section XIXe siècle, quels
parallèles peut-on établir entre elles ? En s‟appuyant sur les observations et les
interprétations des conservateurs, critiques et commissaires d‟expositions, esquissant ainsi
le début d‟une fortune critique de l‟œuvre, qui apparaît en filigrane tout au long de ce
travail, essayons d‟établir des analogies entre ces deux « œuvres ».
21 Idem, p. 197.
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Une photographie reproduite à la page 193 du catalogue de la rétrospective Broodthaers
organisée par la Galerie nationale du Jeu de Paume (CF : Annexe B, p. 12, Espaces de la
Section XIXe siècle), nous montre l‟artiste lors de son discours inaugural, dans l‟une des
pièces du 30, rue de la Pépinière. On retrouve, dans cette pièce, l‟organisation spatiale de
la Salle Blanche. En effet, on reconnaît à l‟arrière plan, les deux fenêtres rectangulaires, et
la cheminée sur la droite. C‟est ce que rapporte Johannes Cladders, écrivant sur la Section
XIXe : d‟un point de vue formel, la Salle Blanche « reconstitue certaines parties du rez-de-
chaussée » et donne ainsi « une idée de l‟organisation spatiale ». Il rappelle l‟existence du
plan et de l‟élévation de l‟appartement de Broodthaers sur lesquels l‟installation de la
Section XIXe a été « minutieusement rapportée »
22 : ils indiquent l‟emplacement des
caisses et des cartes postales et sont reproduits dans Musée-Museum (CF : Annexe B, p.
14, Musée-Museum, 1972), édité, en français et en allemand, par l‟artiste pour le
Museumverein de Mönchengladbach (une association privée qui soutient le musée de la
ville et édite des « cadeaux », tels que celui-ci, pour ses membres). À côté des deux plans,
sensiblement les mêmes et imprimés sur deux feuilles différentes, sont apposées les cartes
postales d‟œuvres d‟Ingres ; une des deux feuilles présente également une œuvre de
Courbet. Le texte accompagnant cette édition (datée de 1972) est flanqué du titre : « Où
est l‟original ? » et émis par le Musée d’Art Moderne Département des Aigles, Section
Publicité (CF : voir infra). Dans le même ordre d‟idées, Martin Mosebach précise : « C‟est
la reconstruction, à échelle identique, d‟une pièce et demi de la rue de la Pépinière. »23
Si la Salle Blanche retrace une partie du plan et de la distribution du studio de l‟artiste,
voici ce qu‟alors on peut observer comme parallèles et différences, entre la Salle Blanche
et la Section XIXe siècle.
La Salle Blanche est une pièce vide, alors que l‟appartement de l‟artiste au rez-de-
chaussée, notamment, est couvert de caisses. Cette pièce est d‟autant plus vide qu‟il n‟a
jamais été possible de pénétrer dans cette « installation », d‟après les informations que j‟ai
pu récolter au Musée national d‟art moderne-Centre Georges Pompidou, sans en avoir la
22 J. CLADDERS, reproduit dans C. DAVID et V. DABIN, Op. Cit. p. 294.
23 M. MOSEBACH, Op. Cit. p. 177. Traduction personnelle ; version originale :
“This is a reconstruction in full scale of one and a half rooms in the rue de la Pépinière.”
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trace. Privé de ses caisses, cartes postales et projections, cet espace-souvenir est encore
vidé de son public, condamné à rester au dehors. Pourtant, la tentation est forte d‟y entrer ;
on pourrait même ressentir une incompréhension, voire une frustration face à cet intérieur
visible, à l‟ouverture béante, mais inaccessible. De plus, la Section XIXe siècle est
éphémère, quand la Salle Blanche est une œuvre « solide » et pérenne. Les textes, les
lettres de l‟artiste, ainsi que quelques photographies, ravivent à notre mémoire cet
évènement. D‟ailleurs, on retrouve le même corpus de photographies présenté dans les
différents catalogues, concernant cette section et les autres. Le caractère éphémère de la
Section XIXe siècle est d‟autant plus prégnant que l‟immeuble de Broodthaers est
maintenant détruit, quand la Salle Blanche est acquise par un musée. D‟autre part, on se
souvient que nombre des mots peints sur les murs de cette pièce se référent plus
particulièrement au tableau, au support toile. Est-ce parce que Broodthaers a accroché
uniquement des reproductions de peintures aux murs de son studio ? Les cartes postales
seraient ramenées au souvenir par les mots se référant à la description d‟un tableau et on
pourrait même penser que ces termes s‟appliquent exactement et spécifiquement aux
œuvres des artistes alors présentées. Des cartes postales qui auraient plus de réalité que les
œuvres elle-même (CF : p. 21, note 16) et remettraient en question l‟éternel statut de
l‟original. N‟est-ce pas ce que les gens voient finalement le plus (des reproductions) et
ramènent chez eux comme une « conquête » et un souvenir après des visites souvent
sporadiques, voire uniques ?
Dans un deuxième temps, l‟analyse que Johannes Cladders donne du discours (au sens de
l‟énoncé oral qu‟il tient, comme des idées qu‟il veut insuffler à cette section) que
Broodthaers manifeste au sein de la Section XIXe siècle, est particulièrement saisissante et
nous offre l‟une des clés du travail de l‟artiste.
Avec son Musée (…) Broodthaers aborda la question alors brûlante du musée, de sa
signification et de sa fonction par le seul moyen possible, celui de l‟art. Son Musée c‟est l‟irréel
(…). C‟est précisément en cela qu‟il était le plus opérant, le plus réel de tous. 24
Dans son discours d‟inauguration de la Section XIXe siècle, Johannes Cladders rappelle
qu‟il aborde alors la question du musée qu‟il juge, en tant qu‟institution, « sur la
24 J. CLADDERS, 1991, reproduit dans C. DAVID, V. DABIN, Op. Cit. p. 294 ; les citations suivantes de ce
paragraphe sont extraites du même texte.
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sellette » : il est souvent perçu comme un lieu désuet, « quand on ne le déclarait pas tout
simplement mort ». Broodthaers connaît les vues de Cladders et lui a bien demandé, en
l‟invitant, de parler de son musée : « Vous parlez de votre Musée. Et des difficultés de
communiquer sur l‟Art et l‟Anti-Musée avec les autorités officielles et les hommes de bon
sens. »25
Cladders pense que le réveil du musée pourrait se faire grâce à l‟art, dynamisé et
renouvelé par l‟anti-art, d‟où le « postulat de l‟anti-musée ». Qu‟entend-il par « anti-art » ?
On peut supposer qu‟il pense à l‟art conceptuel dont une des expressions est une critique
de l‟institution, appelée la critique contextuelle.26
Broodthaers prend la parole après lui et
évoque « les querelles locales de Bruxelles et de la Belgique ». L‟actualité semble avoir
été évoquée au sein de la Section XIXe siècle qui s‟ouvre dans le contexte des évènements
de 1968 en Belgique (CF : p. 12). Ceci participe encore de la volonté de Broodthaers de
donner à son musée une allure officielle, tel un musée public (le carton d‟invitation
bilingue français-flamand, le buffet froid, les discours d‟inauguration, la présence d‟un
réel directeur de musée et de personnalités, un vrai transporteur d‟œuvre d‟art…etc.), « et
considéré[e] comme indissociable de l‟œuvre (…) Son musée revendiqu[e] Ŕ comme toute
autre œuvre d‟art- un rapport à la réalité ». Il est intéressant de souligner que Johannes
Cladders emploie, simplement, les termes « œuvre » et « œuvre d‟art » pour désigner la
Section XIXe siècle et le Musée, tant il est difficile, souvent, de désigner les travaux du
belge. La Section XIXe siècle comme œuvre, la Salle Blanche comme œuvre (quel
type d‟œuvre ?...), tout émanant de l‟artiste tendant à être œuvre. Rappelons, „en passant‟,
que Broodthaers tourne un film (dont nous n‟avons pas plus d‟informations sur la teneur, à
ce jour) sur Kurt Schwitters (CF : p. 9), qui réalise le premier Merzbau27
dans sa maison de
25 Traduction personnelle. Version originale :
“You speak over/about your Museum. And over the difficulties to communicate Art and Anti-Museum with
official authorities and men of common sense”
26 On pense, par exemple, au travail de l‟allemand Hans Haacke (Cologne, 1936) qui, dès la fin des années
soixante, associe de façon austère textes et photographies étudiant ainsi le contenu historique, social et économique de
l‟art ; il dévoile, notamment, le lien entre le musée, les grandes entreprises et les politiques.
27 Kurt Schwitters entame son Merzbau („construction Merz‟), l‟œuvre de sa vie, en 1923. Son nom original est
Cathédrale de la misère érotique. Le mot Merz provient d‟un morceau de papier figurant sur un de ses premiers
assemblages et correspondant au mot ‟Kommerz‟ de „Kommerz und private Bank‟. Il devient pour Schwitters un terme
générique désignant toute sa démarche, en marge du mouvement Dada. La construction Merz occupe plusieurs pièces de
sa maison. Elle est constituée principalement de colonnes et de « grottes », ces dernières étant peuplées de scènes. Le
Merzbau est détruit en 1943 par un bombardement.
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Hanovre, œuvre voulant unifier tous les modes d‟expression artistique, à la frontière entre
l‟art et la vie.
Ainsi, les discussions qui ont lieu lors de la première nuit d‟existence du Musée, comme
les manifestations suivantes et tout aussi officielles, sont essentielles et participent du sens
de cette « exposition-environnement ». Elles sont sans doute considérées par Broodthaers
comme constitutives de l‟œuvre, imprégnant les objets avant tout choisis pour leur
contenu et qui, à leur tour, renforcent les réflexions et le point de vue de l‟artiste, qui
pourrait commencer ainsi : Qu‟est-ce que l‟institution « Musée » et d‟où tire-t-elle sa
légitimité, en l‟occurrence celle de choisir certaines œuvres absolument originales, placées
ensuite dans une sorte de panthéon de l‟art ? A-t-elle encore une raison d‟être ? Or,
Michael Compton soutient que la Salle Blanche forme « une sorte de coquille vide
représentant ce qui, à l‟origine, avait soi-même été seulement la carapace d‟un musée. À la
place des cartes postales et des caisses d‟emballage, de l‟artiste, du directeur de musée et
des membres du débat, il y avait seulement des mots… ». 28
C‟est également l‟avis de
Marc Bormand quand il écrit : “(…) [D]es mots s‟étalent sur les murs (…) remplaçant à la
fois les simulacres d‟œuvres et le discours prononcé lors de la première inauguration.”29
Ces liens apparemment établis entre les mots et le discours d‟inauguration, les mots et les
cartes postales, font « parler » la Salle Blanche (comme ils peuvent préciser la portée
critique de la Section XIXe siècle). Voyons ce qu‟elle semble nous dire.
Tout d‟abord, la catégorie de mots qui nous intéresse en ce qui concerne le discours : le
marché de l‟art et les termes critiques. Marché de l‟art et musée sont ainsi connectés, cela
déjà sur les murs de la pièce elle-même. Si, dans les sources citées, aucune ne donne ce
sujet de discussion comme ayant eu cours du 27 au 28 septembre à la Section XIXe siècle,
28 Michael COMPTON, Marcel Broodthaers, Londres, Tate Gallery, Londres : Tate Gallery, 1980, p. 25.
Traduction personnelle. Version originale :
“a kind of empty shell representing what had originally itself been only the shell of a museum. In place of
postcards and packing cases, the artist, museum director and debaters, there were only words…”
Michael Compton, alors commissaire des expositions à la Tate Gallery, y organisa l‟exposition Marcel
Broodthaers et fut un des commissaires de celle du Walker Art Center.
29 Marc BORMAND, cité dans Collection Art Contemporain, édition du Centre Georges Pompidou, Paris, 2007,
« Marcel Broodthaers » pp. 80-82.
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il est sûrement traité, au moins dans l‟année. Et Broodthaers aborde, à plusieurs reprises,
le thème de l‟argent dans ses lettres ouvertes. Celle du 29 novembre 1968 indique :
« 2/ des cartes postales „surévaluées‟ »30
.
Si, donc, on reprend notre raisonnement, la raison d‟être du musée serait le marché. Ou
plutôt, le monde de l‟art capitalisant des œuvres (CF : le titre de sa première exposition, en
1964 ; p. 9), plus ou moins toutes le mêmes (comme les cartes postales), trouve sa
légitimation idéologique et esthétique dans le musée qui accueille ces mêmes œuvres. De
plus, on sait, encore maintenant, combien l‟œuvre d‟un artiste peut parfois voir ses prix
augmenter sur le marché, après un détour par les salles des institutions ; à la suite d‟une
rétrospective par exemple. Un parfait cercle bouclé, une affaire qui tourne, pourrait
suggérer Broodthaers. Par ailleurs, les mots critiques se manifestent : l‟art serait une
tromperie (pour le public avant tout), et l‟artiste, comme le monde de l‟art « voleur », un
imposteur, un « filou » ; car, de fait, l‟argent fait l‟art. Mais ces mots peuvent s‟appliquer à
tant d‟acteurs différents du milieu artistique.
Les deux « œuvres », à sept ans d‟intervalle, s‟enrichissent donc mutuellement de sens.
En effet, on songe encore que, si Broodthaers a tiré ces mots, en partie, des discours
prononcés (du sien, par exemple) ou de sa mémoire (par nature sélective), il fait un choix,
orienté selon un nouveau « discours » et influencé par l‟évolution de sa pensée. Il est
aussi, bien sûr, limité par le caractère plastique de la pièce, qui suggère néanmoins une
continuité, symbolisée par les mots coupés. La Salle Blanche est une recréation, plutôt
qu‟une « Reconstitution » ; elle est créée à partir du contenu d‟une œuvre, la Section XIXe
siècle, pour soutenir et contenir à son tour un discours renouvelé, lui-même inscrit au sein
d‟un vaste parcours-Décor. La Salle Blanche, renfermant, notamment, la signification et
les enjeux de la Section XIXe siècle (marquant l‟ouverture du Musée), est ainsi une œuvre
née d‟une critique, intrinsèquement critique. C‟est l‟expression « réelle », concrète, mais
vide et partielle, d‟un musée fictif, animé et vivant, qui réfléchit sur le statut même de
musée. En se rappelant le poète qu‟est l‟artiste, peut-on parler de La Salle Blanche comme
d‟une «synecdoque » ?
30 M. BROODTHAERS, Lettre ouverte, Département des Aigles, Paris, 29 novembre 1968, « Chers amis » ; cité
dans C. DAVID et V. DABIN, Op. Cit. p. 199.
Page 31
3) La Salle Blanche : liens et nature des liens avec d’autres
Sections
Cette question se pose d‟autant plus que la Salle Blanche peut nous évoquer d‟autres
sections. Au regard de sa date de création et de la méthode de Broodthaers (une œuvre,
quelle qu‟elle soit, est toujours connectée à un autre corpus d‟œuvre au sein de son
système de références), cela pourrait être pertinent ; voyons quels « départements » de son
Musée attirent plus particulièrement notre attention. En effet, la Salle Blanche pourrait
avoir été inspirée par divers évènements du Musée d’Art Moderne Département des
Aigles, notamment en ce qu‟ils se rapprocheraient de la Section XIXe siècle, de par leurs
distributions spatiales et leurs contenus discursifs.
La Section XVIIe siècle fait directement suite dans le temps à la Section XIX
e siècle. Le
27 septembre 1969, Broodthaers annonce la cérémonie de clôture de cette dernière sur un
carton d‟invitation. Après un discours prononcé cette fois par Piet Van Daalen (alors
directeur du Zeeuws Museum Middelburg), l‟artiste et les invités « démontent » le tout
(une affichette apposée sur l‟une des fenêtres offre la section à vendre) et chargent des
caisses dans un camion. Le groupe, au sein duquel on retrouve Johannes Cladders, Isi
Fiszman et Herman Daled, voyage en bus de Bruxelles à Anvers (voyage prévu sur le
carton) jusqu‟à la galerie A 37 90 8931
où va s‟ouvrir la Section XVIIe siècle (27 septembre
- 4 octobre 1969). Chacun est invité à décharger et à installer les « collections », qui
consistent, comme au 30, rue de la Pépinière, en des caisses d‟emballage d‟œuvres d‟art,
des cartes postales de peintures du XVIIe siècle de Rubens (une vingtaine), une échelle,
des inscriptions, et des manifestations (une course cycliste). Quand la Section XIXe siècle
s‟ouvre sur les XVe et XX
e siècle et sur un panel d‟artistes (tous peintres), la Section XVII
e
siècle se concentre sur Rubens (disparu à Anvers en 1640). En tant qu‟écho de la Section
31 « Espace alternatif dirigé par Kaspar Koening, qui pris le nom de son numéro de téléphone » ; cité dans C.
DAVID et V.DABIN, Op. Cit. p. 201.
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XIXe siècle qui se voudrait « synchronique », pourquoi la Salle Blanche n‟accueillerait-elle
pas le souvenir du grand siècle de la peinture flamande ?
La Section XIXe siècle bis (14-15 février 1970) se tient à la Städtische Kunsthalle de
Düsseldorf, dans le cadre de l‟exposition « between 4 » à laquelle Broodthaers est
officiellement invité avec son institution fictive. Le discours inaugural est prononcé par le
belge et Jürgen Harten, conservateur de la Kunsthalle. Cette section se compose de
tableaux de peintres allemands du XIXe siècle (huit œuvres de l‟École de Düsseldorf)
empruntés au Kunstmuseum de Düsseldorf, de photographies documentaires et de
projections de diapositives illustrant la Section XIXe siècle à Bruxelles (diffusées à la
demande des visiteurs). Broodthaers projette aussi le film La Discussion (1968).
« Between » consistait en une série de manifestations organisées entre les expositions par
Jürgen Harten et Tony Morgan et se voulant « expérimentales » (performances, body art,
critique des institutions…). Dans ce cas, si la Section XIXe siècle (bis) ne répète pas la
reconstitution de la première version (on y a songé mais, notamment pour des raisons de
coût, cela est abandonné), elle la met néanmoins en abîme. Par ailleurs, il s‟agit toujours
d‟une remise en question de l‟institution musée mais au sein même de celle-ci, avec des
œuvres originales (CF : Section des Figures, évoquée p. 14). Ainsi, voici comment
l‟exprime Jürgen Harten :
Il s‟agissait de renforcer la fiction, afin de préserver la distance nécessaire pour qu‟il soit
possible de jouer sur la différence entre une exposition et l‟exposition d‟une exposition. 32
De la même façon, plusieurs autres sections offrent des « clins d‟œil » à la Section XIXe
siècle : la Section Cinéma avec ses affiches de la Section XIXe siècle et XVII
e siècle et la
projection, parmi d‟autres, de La Discussion (CF : Annexe B, p. 16, Description de la
Section Cinéma et de la Section Publicité). Au sein de la Section d’Art Moderne, on
retrouve l‟inscription, sur la vitre et lisible de l‟extérieur, « Musée-Museum », quand les
cordons entourant l‟inscription peinte sur le sol (« Privat Eigentum / Private Property /
Propriété Privée) en blanc sur noir, nous évoquent le Salle Blanche. D‟autre part, le
document Musée-Museum, certes émis par la Section Publicité, est néanmoins présenté
dans le quatrième des Décors, Invitation pour une exposition bourgeoise. Peut-on alors le
voir affiché dans le « cube » noir de cette section ? En effet, la Section Publicité ouverte à
32 Jürgen HARTEN, 1991, rapporté dans C. DAVID et V. DABIN, Op. Cit. p. 295.
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la Documenta 5 de Kassel (Neue Galerie) est apparemment matérialisée par une salle
noire. Les reproductions de photographies proposées (catalogue du Jeu de Paume et du
Walker Art Center) n‟offrent pas de vue générale qui permettrait d‟évaluer l‟espace de
cette salle dans son ensemble. Il est difficile, de ce fait, de la comparer avec la Salle
Blanche. Mais il y est bien question de « salle noire » et on devine une pièce isolée au rez-
de-chaussée de la Neue Galerie, avec des parois intérieures et extérieures noires. Une
entrée, de format rectangulaire, est découpée dans le volume, et laisse à côté d‟elle un pan
de mur libre affichant, notamment, deux toiles vierges et un cadre noir ; au dessus on lit en
partie « fondé en 1968 », tracé d‟une fine et blanche écriture liée, en italique. Des
documents concernant la Section des Figures s‟étalent encore sur au moins une autre des
parois extérieures.
Ainsi, le travail de Broodthaers est fait d‟œuvres régulièrement citées et imbriquées les
unes dans les autres. On ne peut ignorer ces citations en analysant la Salle Blanche. Et
l‟aventure continue à travers les Décors.
4) La Salle Blanche : situation et statut dans l’exposition-Décor,
L‟Angélus de Daumier ; approche comparative avec les
autres salles et avec le catalogue
L’Angélus de Daumier se déroule à Paris, au Centre national d‟art contemporain, Hôtel
Rothschild, du 2 octobre au 10 novembre 1975. La Salle Blanche est créée pour
l‟occasion :
Parmi les objets récents et inédits, figure la grande construction en bois couverte de mots. Et
une réunion de quelques toiles sur le thème de l‟alphabet33
L’Angélus de Daumier est l‟ultime Décor planté par Broodthaers. Il s‟ouvre d‟abord sur
une entrée (le hall de l‟Hôtel Rothschild) et sur une malle, disposée au pied de l‟escalier
33 M. BROODTHAERS, L’Angélus de Daumier, volume II, « Notes sur le sujet", p. 3 ; cité dans C. DAVID et
V. DABIN, Op. Cit. p. 278.
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d‟honneur. La malle « contient des messages à moi confiés par l‟État d‟un autre
hémisphère. Ils sont cachés là selon les principes de la „Lettre Volée‟ et du „Manuscrit
trouvé dans une Bouteille‟. »34
Puis, on parcourt neuf salles : la Salle Rose, la Salle
Outremer, la Salle Blanche, la Salle des Nuances, la Salle Verte, la Salle Rouge, la Salle
Bleue, la Salle Noire et enfin les Réserves « où prendront place les objets qui n‟ont pas pu
trouver une place convenable »35
(CF : Annexe C, p. 22, Plan des salles et quatre vues de
l‟exposition L’Angélus de Daumier, Paris, Centre national d‟art contemporain). Dans ce
texte, Broodthaers fait clairement allusion à deux nouvelles de l‟écrivain américain du
XIXe siècle, Edgar Allan Poe, publiées dans l‟ouvrage Histoires extraordinaires (1839).
C‟est Baudelaire qui traduit en français les œuvres de Poe, mais Mallarmé traduit aussi au
moins un de ses poèmes, « Le Corbeau », et l‟admire beaucoup, comme les frères
Goncourt.
À nouveau, la référence au XIXe siècle se profile dans le titre de ce Décor : L’Angélus
(Musée d‟Orsay ; 1857-1859) est une des œuvres les plus renommées du peintre Jean-
François Millet. Honoré Daumier, également peintre (ainsi que dessinateur, lithographe et
sculpteur), est surtout reconnu et salué, notamment par Honoré de Balzac et Baudelaire
(par exemple dans Quelques caricaturistes français ; CF : Grandville, p. 23) pour ses
caricatures, en particulier ses caricatures politiques, mais encore sa critique de mœurs (le
ridicule des bourgeois, les personnages de la finance, de la justice…etc.). Pourquoi choisir
de rapprocher ces deux artistes, de plus pour désigner cette « exposition » ? Daumier pose
un regard satirique sur la société de son temps, et quand il s‟adonne à la peinture (plus
particulièrement à partir de 1848), il représente des scènes de la vie quotidienne à la portée
politique et sociale. Quant à Millet, il s‟installe à Barbizon en 1849 et se consacre, plutôt
qu‟au paysage, à des scènes décrivant les occupations des paysans, ces derniers magnifiés
par leur caractère monumental au sein de la composition. Avant sa reconnaissance (vers
1860), les premières critiques l‟accusent de « socialisme ». Certaines peintures de Millet
ont encore été rapprochées de celles de Daumier par leur facture plus libre. D‟où, peut-
être, l‟idée de les évoquer tous les deux à la fois. Notre surprise pourrait encore relever de
34 M. BROODTHAERS, Idem, p. 3.
35 M. BROODTHAERS, L’Angélus de Daumier, volume I, n. p.; cité dans C. DAVID et V. DABIN, Op. Cit. p.
279.
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l‟association du nom de Daumier à un lieu de la haute bourgeoisie (l‟hôtel particulier
Rothschild). À la fin de son texte introduisant le deuxième volume de l‟exposition, voici
ce que nous propose Pontus Hulten :
Allez-voir l‟œuvre de Marcel Broodthaers, et déchiffrez vous-même le titre mystérieux de son
exposition : « L‟Angélus de Daumier »36
Dans les premières pages du deuxième volume du catalogue, Broodthaers précise ses
Idées motivations : (…) [J]‟ai tenté d‟articuler différemment des objets et des tableaux réalisés
à des dates s‟échelonnant entre 1964 et cette année pour former des salles dans un esprit
„décor‟. C'est-à-dire de restituer à l‟objet ou à la peinture une fonction réelle, le décor n‟étant
pas une fin en soi.37
Il est fait référence à Daumier dans le paragraphe suivant « Art et politique » (CF : texte
cité p. 54)
Tout d‟abord, de la comparaison entre la Salle Blanche et les autres espaces de
L’Angélus de Daumier, on peut tirer des observations précisant la place que tient la pièce
au sein de ce Décor. Dans l‟extrait cité plus haut (p. 32), Broodthaers attire
particulièrement notre attention sur la Salle Blanche et des toiles ayant pour thème
l‟alphabet qui sont de nouvelles productions (« récents et inédits »), ce qui n‟est alors pas
le cas des autres œuvres. C‟est déjà un signe distinctif de la pièce : une création exposée
avec des remplois, mais reflet d‟une action passée. De plus, la Salle Blanche est la seule
« installation ». Disons qu‟elle offre une unité matérielle, tandis que les autres salles sont
des espaces peuplés d‟objets divers et épars (des sacs de tabac belge, des huiles, des
bouteilles…etc.). D‟après le plan, elle occupe seule une des pièces du Centre national
d‟art contemporain (CF : Annexe C, p. 22, Plan des salles et quatre vues de l‟exposition
L’Angélus de Daumier, Paris, Centre national d‟art contemporain). En ce qui concerne le
titre de la pièce, on peut s‟interroger sur le choix du blanc pour l‟œuvre qui nous occupe,
toutes les salles étant désignées par une couleur. Cette salle aux murs clairs est
indéniablement blanche. On pense d‟abord à une page blanche. Mais encore, ce titre
pourrait faire allusion aux espaces blancs et neutres alors de mise dans les musées, et plus
36 Pontus HULTEN, dans L’Angélus de Daumier, Marcel Broodthaers, volume II, exemplaire non paginé.
37 M. BROODTHAERS, L’Angélus de Daumier, Vol.II, « Notes sur le sujet », Op. Cit. p. 3.
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précisément pour les expositions d‟art contemporain. La Salle Blanche évoquerait ainsi
une salle de musée, un espace d‟exposition, au cœur d‟une exposition. La Salle Blanche,
ce titre (comme son aspect), pourrait aussi évoquer la page blanche de Mallarmé, sur
laquelle s‟étend une « constellation » de mots ; plusieurs travaux antérieurs de l‟artiste se
réfèrent à Mallarmé ou s‟inspirent de sa poétique. Enfin, dans le volume I du catalogue
L’Angélus de Daumier, l‟artiste souligne clairement le parallèle entre la Salle Verte et la
Salle Blanche. Il écrit :
SALLE VERTE Contient un jardin d‟hiver (…) Cette pièce a déjà été exposée ailleurs mais
dans une forme différente, elle se trouve être l‟amorce de l‟idée de DÉCOR que l‟on peut
caractériser par l‟idée de l‟objet restitué à une fonction réelle, c'est-à-dire que l‟objet n‟y est pas
considéré lui-même comme une œuvre d‟art (voir également salle ROSE et salle BLEUE).
Ajoutons que cette fonction de l‟objet comme objet de décor se trouve déjà dans la première
version du Musée (voir également salle BLANCHE).38
Ainsi, si Broodthaers conçoit ses expositions, il prépare également ses catalogues. On
peut alors étudier leur mise en page et les choix faits par l‟artiste. Comme pour
l‟exposition de la Section des Figures il édite, pour L’Angélus de Daumier, deux
volumes : un volume avant l‟exposition (projets), un volume après l‟exposition
(« résultat »). Dans le volume I, l‟artiste consacre une note aux différentes salles, sous
laquelle il fait figurer des motifs, chaque fois différents, évoquant des motifs de tapisserie.
Cela renverrait-il à l‟idée de décor ? (le texte sur le Salle Blanche est cité plus haut, p.20).
Un de ces motifs (celui des Réserves) est reproduit dans le volume II à côté des « Notes
sur le sujet ». Mais la suite de ce catalogue est constituée de reproductions
photographiques des salles. La Salle Blanche (deux reproductions couleur sur une pleine
page noire) est présentée entre deux reproductions noir et blanc de la Salle Rose, puis
entre deux pages noires sur lesquelles sont inscrits en lettres blanches et en italique, tour à
tour, les mots «ombre soleil nuage lumière », « lumière nuage soleil ombre ». La Salle
Rose n‟est autre que le salon de la baronne Salomon de Rothschild ou, comme le désigne
Broodthaers, le « Musée de la baronne Salomon de Rothschild » et est décrit sous le terme
« period room » dans le catalogue édité pour l‟exposition du Walker Art Center de
Minneapolis. De la même manière que pour la Salle Blanche, on ne peut pénétrer dans ce
38 M. BROODTHAERS, L’Angélus de Daumier, Vol.I, ; dans C. DAVID et V. DABIN, Op. Cit. p. 281.
Page 37
« Musée », l‟accès étant interdit par une corde. Quant aux mots cités plus haut, on les
retrouve sur les murs de la pièce, mais en noir sur blanc…
Enfin, il convient de s‟attarder sur l‟emploi du terme Décor par Broodthaers. L’Angélus
de Daumier est un des Décors. Pourquoi ce choix du « décor » ? Quant à la Salle Blanche,
est-elle un décor ? Dans ces manifestations, les travaux proposés ont une fonction d‟objets
de décor. Pourtant, le décor a une résonance négative, il est souvent mal aimé des artistes :
il s‟en dégage une connotation de „superflu‟ et l‟attachement à un caractère seulement
formel de l‟œuvre, soumise aux contraintes architecturales et affiliée à un ensemble
d‟autres œuvres, dont, quelque part, elle dépend (harmonie des motifs, des formes et des
couleurs). Broodthaers dit dans le catalogue L’Angélus de Daumier vouloir, par ces
nouvelles associations d‟objets dans des salles d‟ « esprit „décor‟ », « restituer à l‟objet ou
à la peinture une fonction réelle. Le décor n‟étant pas une fin en soi. » Mais alors, à quelle
fin ? Il ne s‟agit pas, ici, de décorer quoique ce soit. Néanmoins, longtemps les peintres et
sculpteurs ont dépendu des commandes de quelques riches mécènes (et non pas d‟un
marché de l‟art spéculatif), peuplant parcs, jardins et demeures de leur production, en
adéquation avec l‟environnement alentour, avec les travaux de leurs camarades, et avec
l‟image que voulait véhiculer le commanditaire. L‟objet d‟art serait un objet de décor,
simplement un objet ; l‟exposition serait un décor, (une « coquille vide ») ; et alors,
l‟exposition étant le moyen d‟expression privilégié des artistes et du monde de l‟art, l‟art
serait superflu ? Paul Sztulman souligne que, paradoxalement, la caractéristique de ces
Décors est leur aspect non décoratif :
Le terme de Décor désigne génériquement les dernières grandes installations de Marcel
Broodthaers, au caractère souvent exotique et rétrospectif. La marque caractéristique des
Décors de Broodthaers est leur muséographie glacée, anti-décorative en un sens, qui refuse les
séductions du délice esthétique. Les objets n‟y sont que les attributs du dispositif d‟exposition
que constitue l‟œuvre.39
La Section XIXe siècle a déjà été abordée comme un décor (CF : p. 12, note 9). Or, la Salle
Blanche pourrait être perçue comme un vrai décor : cette pièce est vide, telle une
enveloppe, ou une scène ; mais, de par son aspect, ce décor semble factice (CF : p. 17,
39 Paul SZTULMAN, enseignant d‟Histoire de l‟art à la Villa Arson, Nice ; texte non publié, conférence
prononcée dans le cadre du colloque sur l‟Œuvre d‟Art Total, organisée en février 2004 par l‟École Nationale Supérieure
des Arts Décoratifs et l‟École Nationale Supérieure.
Page 38
description de l‟œuvre). Alors, un décor pour quelles manifestations ? Celles, évoquées,
de la Section XIXe
siècle ?
II. La Salle Blanche exposée
Broodthaers conçoit ses expositions, comme il crée ses catalogues, ainsi a-t-il a procédé
pour l’Angélus de Daumier. Il s‟exprime lui-même sur la question du contexte : le sens
d‟une œuvre évolue selon son environnement, elle peut être « manipulée », elle a « une
signification qui change selon sa place » ; au public d‟être averti « qu‟il est nécessaire de
se méfier des choses que l‟on voit parce que le contenu apporté par les manipulations n‟est
pas nécessairement apparent. »40
Ainsi, quant à l‟exposition de la Salle Blanche depuis la disparition de Broodthaers, peut-
on parler d‟une modification, d‟un affaiblissement, voire d‟une perte du discours de
l‟artiste ? Néanmoins, cela ne participe-t-il pas du « jeu » qu‟il apprécie ? Étudions, alors,
une éventuelle autonomisation de l‟installation face aux propos de Broodthaers, ainsi que
les modalités techniques d‟exposition de la salle.
A. Actuelle présentation dans les salles du Musée
national d‟art moderne
40 M. BROODTHAERS, extrait de l‟interview de Marianne Verstraeten, bande sonore du film réalisé durant
l‟exposition Catalogue-Catalogus, à l‟occasion du Prix Robert Giron, septembre 1974 ; cité dans C. DAVID et V.
DABIN, Op. Cit. p. 242.
Page 39
La Salle Blanche est présentée à la commission d‟acquisition par Jean-Hubert Martin,
alors directeur du Musée national d‟art moderne, le 20 décembre 1988. Le contrat
d‟acquisition date d‟avril 1989 et stipule que Maria Gilissen-Broodthaers, épouse de
l‟artiste, possède une copie destinée à être montrée dans les expositions temporaires et que
celle-ci n‟est pas à vendre.41
1) Scénographie
L‟étude de la scénographie est réalisée dans le cadre de la nouvelle présentation des
collections du Musée national d‟art moderne-Centre Georges Pompidou proposée entre le
1er
février 2007 et le 16 mars 2009. Quelle a été la fréquence et la durée d‟exposition de la
Salle Blanche depuis son acquisition en 1989 ? Nous n‟avons pas la réponse pour l‟instant.
La Salle Blanche est isolée des autres œuvres dans une pièce sombre, les murs en sont
noirs ; c‟est, si l‟on peut dire, une salle dans une salle. Un spot, sur notre droite en entrant,
éclaire la pièce. Il faut rappeler qu‟il n‟a sans doute jamais été possible d‟y pénétrer. Le
cartel proposé dans les salles du Musée national d‟art moderne, et placé face à l‟œuvre,
reste général :
Marcel Broodthaers (1924-1976), Salle Blanche, 1975, Matériaux divers, Achat 1989, AM
1989-201.
La légende de l‟œuvre dans la récente édition Collection Art Contemporain, cité plus haut
(p.17), n‟inclut pas la corde et celle-ci n‟est pas présente sur la photographie reproduite.
Pourtant, elle est visible actuellement et sa présence est indiquée dans certains catalogues
(CF : p. 48, exposition à la Galerie nationale du Jeu de Paume). Fait-elle partie intégrante
de l‟œuvre ? Est-ce un motif à part entière pour l‟artiste, participant du sens de l‟œuvre ?
D‟après Paul Sztulman42
, cela serait le cas. Sachant que pénétrer dans l‟œuvre semble
41 Dossier de l‟œuvre, Documentation des œuvres, Musée national d‟art moderne-Centre Georges Pompidou.
42 Questions à Paul SZTULMAN, le 29 mars 2008.
Page 40
n‟avoir jamais fait parti du projet de l‟artiste, on pourrait appuyer cette idée. (CF : p. 35, le
salon de la baronne Salomon de Rothschild dont l‟entrée est interdite par une corde).
Le volume 2 de L’Angélus de Daumier offre deux reproductions de photographies en
couleur, sur fond noir, de la Salle Blanche, dont on nous précise qu‟elles ont été prises par
Maria Gilissen-Broodthaers, tandis que celles en noir et blanc (vues de l‟exposition du
Centre national d‟art contemporain, le salon Rothschild et la Salle Noire) sont celles de
Jacques Faujour, alors photographe du Musée national d‟art moderne ; or, la corde est
absente.
2) Volontés de Marcel Broodthaers
La présence, ou non, de la corde comme élément à part entière de l‟œuvre pourrait se
retrouver dans les stades antérieurs de la création (études, croquis et autres plans…). Lors
du montage de l‟installation à l‟hôtel Rothschild, en 1975, c‟est Jacques Caumont qui aide
Marcel Broodthaers à élaborer les plans de la Salle Blanche. Jean-Hubert Martin suppose
que ce dernier a peut-être gardé les plans alors élaborés avec l‟artiste. Mais, à ce jour, nous
n‟avons pas pris connaissance de ces plans. Néanmoins, ils ont apparemment fait venir un
peintre en lettre pour les mots inscrits sur les murs.43
De plus, une lettre de Maria Gilissen-
Broodthaers44
, datant du 25 mai 1990 et alors adressée à Paul-Hervé Parsy rappelle
certaines modalités d‟exposition de la Salle Blanche. Maria Gilissen-Broodthaers y
manifeste sa déception face à l‟installation de la pièce au Musée national d‟art moderne et
souligne cinq recommandations :
-placer la Salle Blanche sur un fond sombre (noir) occulté;
-comme elle doit se trouver dans un espace, ajouter deux panneaux tenant lieu de murs;
-une distance de six mètres minimum est indispensable, face à la pièce;
43 Questions à Jean-Hubert MARTIN (chargé de mission au Ministère de la Culture), rapportées par Evelyne
POMEY (responsable de la documentation des œuvres, section art contemporain, Musée national d‟art moderne-Centre
Georges Pompidou).
44 Dossier de l‟œuvre, Op. Cit.
Page 41
-poser une lampe photographique (elle pense sans doute à un projecteur, comme c‟est le cas
actuellement) ;
-une distance de plus d‟un mètre par rapport au mur du fond est nécessaire.
L‟exposition actuelle tient compte de ces remarques. Cette scénographie se reflète
également dans la mise en page du catalogue L’Angélus de Daumier (CF : p. 35). La Salle
Blanche y occupe deux pleines pages, isolées des autres vues du Centre national d‟art
contemporain et encadrée de mots.
3) Indications techniques pour le montage
Dans le cadre des modalités d‟exposition de la Salle Blanche, il nous faut décrire
l‟œuvre d‟un point de vue plus technique. Les informations suivantes sont tirées, à
nouveau, du dossier de l‟œuvre et en particulier de la fiche technique pour le montage.
Voici ce qu‟elle mentionne : treize cloisons de 11 cm d‟épaisseur ; une cheminée de 1,39
m de haut et de 53,5 cm de profondeur, ainsi qu‟un « habillage dessus » ( ?) de 115 cm sur
32 cm ; deux colonnes de 48 cm d‟épaisseur à gauche et 48,5 cm à droite ; deux poutres ;
cinq panneaux pour le plafond : quatre de 3,32 m sur 1,22 m sur 11 cm et un de 3,32 m sur
93 cm sur 11 cm ; deux grosses corniches avec des têtes de lions ; dix sept [ ?] de
corniches ; deux radiateurs (il n‟est pas précisé qu‟il s‟agit de photographies) ; hauteur
sous plafond de 3,73 m et 11 cm d‟épaisseur de plafond ; le plafond recouvre de 7 cm les
cloisons ; les 25 mm de l‟épaisseur de la [plainte ?] et de la cloison recouvrent le plancher.
Les informations suivantes concernent plus particulièrement les conditions de montage de
la pièce (quels types d‟outils utiliser, comment déballer les cloisons, comment les
assembler, dans quel ordre, etc.). Sans s‟étendre précisément sur ces aspects, on peut
néanmoins retenir deux choses : les petits prolongements vers l‟avant ne suivent pas
d‟ordre précis. Il est encore indiqué de tendre un tissu noir tout autour des murs extérieurs
et de le fixer à l‟agrafeuse. D‟où la surface noire sur laquelle ouvrent les fenêtres. Sur les
clichés des murs latéraux proposés en annexe (CF : Annexe A, p. 2, La Salle Blanche :
actuelle présentation (2007) au Musée national d‟art moderne-Centre Georges Pompidou),
il n y a pas de tissu. Quant aux parois extérieures de la pièce, elles sont laissées telles
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quelles. Enfin, toutes ces données ne sont pas datées et nous ne connaissons par leur
source.
4) La « copie de voyage » : origine, rôle et statut
Au Musée national d‟art moderne, on désigne l‟exemplaire de l‟œuvre conservé par
Maria Gilissen-Broodthaers sous l‟expression « copie de voyage ». Son existence soulève
questions et ambiguïtés. Les quelques réponses apportées le sont grâce à une interview
adressée, par courrier électronique, à Jean-Hubert Martin. Celle-ci est finalement
rapportée par Evelyne Pomey qui a pu le rencontrer. À cette date, nous attendons des
renseignements de la part de Maria Gilissen-Broodthaers, à la suite d‟un courrier qui lui a
récemment été adressé à ce sujet.
Premièrement, quelle est la date de création de cet exemplaire? Quand la salle est acquise
par le Musée national d‟art moderne en 1989, la copie existe-t-elle déjà ? Jean-Hubert
Martin ne connait pas la date de création de la réplique de la Salle Blanche.
D‟autre part, est-ce une décision, une volonté de Marcel Broodthaers ? Si oui, pourquoi ?
(est-ce une simple volonté de préservation de l‟original ou une volonté de subversion ?)
Mr Martin ne sait pas exactement qui l‟a créée et pourquoi, mais pense que ce n‟est alors
pas une des préoccupations de l‟artiste et qu‟il y aurait peu de chance que ce soit son idée.
D‟autant qu‟il faut garder à l‟esprit que l‟exposition L’Angélus de Daumier prend fin le 10
novembre 1975, et que l‟artiste décède le 28 janvier 1976.
Dans le même ordre d‟idées, cette pièce a-t-elle été produite, montée par l‟artiste ? Quel
est son statut? Y en a-t-il un, ou bien est-elle considérée comme un « multiple », ou plutôt
une simple reproduction ? Car le Musée national d‟art moderne tient à ce que l‟institution
soit indiquée comme lieu de conservation. En effet, il est établi (sans que nous en ayons
ici la trace) entre le Musée national d‟art moderne et Maria Gilissen-Broodthaers que,
lorsque l‟œuvre, disons la « copie de voyage », est montrée dans une exposition, le musée
doit en être averti et ainsi ne pas exposer en même temps son exemplaire (« l‟original »).
De plus, sur le cartel accompagnant la copie, le nom du Musée national d‟art moderne doit
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apparaître, bien que puisse être fait mention que cet exemplaire appartient à Maria
Gilissen.
Enfin, il faut relever cette donnée soulevée par Michael Compton, à la fin de son texte
autour du travail de l‟artiste, qui nous apprend que Broodthaers a laissé à sa femme le
droit de désigner ce qui, dans sa production, fait œuvre ou non :
Le caractère du travail de Broodthaers pose un énorme problème pour un collectionneur ou un
conservateur qui veut l‟exposer. C‟est une des choses qu‟il a clairement reconnue quand il a
donné le droit à son épouse, après sa mort, de décider ce qui était ou ce qui n‟était pas une
œuvre d‟art.45
B. Les expositions hors les murs
Pour commencer, retraçons le parcours de l‟œuvre.
Avant son entrée dans les collections du Musée national d‟art moderne en 1989, la Salle
Blanche est présentée à l‟exposition Marcel Broodthaers, Londres, Tate Gallery, du 16
avril au 26 mai 1980 (édition d‟un catalogue : la Salle Blanche est mentionnée dans la liste
des œuvres et est reproduite en couleur ; exposition citée dans le dossier de l‟œuvre). Puis
elle est apparemment montrée dans l‟exposition Marcel Broodthaers (1924-1976), Berne,
Kunsthalle, du 30 janvier au 14 mars 1982. Le catalogue ne propose pas de liste des
œuvres et nous offre une reproduction en couleur de la Salle Blanche. Ceci installe un
doute quant à son exposition effective. Voici pourquoi le parti est pris de tout de même
l‟insérer dans le parcours de l‟œuvre. Tout d‟abord, une page précédent la reproduction
porte l‟en tête « Saal II (Hauptsaal) », accompagnée de la légende de la Salle Blanche, ce
qui sous-entend sa présence. D‟autre part, le dossier de l‟œuvre mentionne une exposition
à « Berne, Kunsthalle, 3o juin-14 mars 1992 » : aucune manifestation ne semble réalisée
45 M. COMPTON, Op. Cit. p. 25. Traduction personnelle. Version originale :
“The character of Broodthaers‟ work sets a tremendous problem for a collector or a curator who wants to put it
on exhibition. This is one which he clearly recognized when he gave his wife the right, after his death, to decide what
was and what was not a work of art.”
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sur Broodthaers en 1992 (source : base de recherche de la bibliothèque Kandinsky) et,
bien qu‟on pourrait songer à la présentation de l‟œuvre au sein d‟une exposition
collective, les dates correspondent à celle de 1982. Par la suite, on retrouve la Salle
Blanche à l‟exposition Marcel Broodthaers, Stockholm, Moderna Museet, du 15 mai au
27 juin 1982 (catalogue : mention dans la liste des œuvres et reproduction en couleur ;
citée dans le dossier de l‟œuvre) et peut-être à Los Angeles au Museum of Contemporary
Art lors de l‟« été 1982 » (citée dans le dossier de l‟œuvre ; pas de traces de cette
exposition). Enfin, peut-on la voir à l‟exposition Der Hang zum Gesamtkunstwerk :
Europäische Utopien seit 1800 à Zürich, Kunsthaus, du 11 février au 30 avril
1983 ? (catalogue : pas de liste des œuvres ; reproduction en couleur de la Salle Blanche.
Cette exposition n‟est pas citée dans le dossier de l‟œuvre). Pour le moment, les textes
d‟introduction et ceux accompagnant la reproduction de l‟œuvre, en allemand, n‟ont pas
été consultés. En effet, ils peuvent évoquer la présentation de la pièce dans les salles.
L‟exposition était itinérante, elle est ensuite présentée à Düsseldorf, au Städtische
Kunsthalle und Kunstverein für die Rheinlande und Westfalen (19 mai-10 juillet 1983) et
à Vienne, au Museum moderner Kunst, Museum des 20. Jahrhunderts (10 septembre-13
novembre 1983), l‟édition étant la même pour les trois expositions. Si la Salle Blanche est
alors exposée, suit-elle ces itinérances ?
Une fois intégrée dans les collections du Musée national d‟art moderne, l‟œuvre est
d‟abord prêtée pour l‟exposition Marcel Broodthaers, Minneapolis, Walker Art Center, du
9 avril au 18 juin 1989 (catalogue : pas de liste des œuvres ; reproduction en couleur ;
exposition citée dans le dossier de l‟œuvre). Cette exposition voyage ensuite à Los
Angeles, Museum of Contemporary Art, (9 juillet-22 octobre 1989), à Pittsburgh,
Museum of art Carnegie Institute, (20 janvier-18 mars 1990), et à Bruxelles, Palais des
Beaux-Arts (15 avril-24 juin 1990). On peut se demander si, à ces dates (l‟œuvre vient
juste d‟être acquise par le Musée national d‟art moderne), c‟est la « copie de voyage » ou
l‟œuvre originale qui est prêtée. La question ne se pose pas pour les expositions qui
suivent : L’Architecte est absent Ŕ le maçon, Bruxelles, Fondation pour l‟Architecture, 11
octobre-10 novembre 1991 (catalogue : pas de liste des œuvres et reproduction de l‟œuvre
en noir et blanc ; cette manifestation n‟est pas citée dans le dossier de l‟œuvre : la Salle
Blanche est-elle montrée dans les espaces de la fondation ?) ; Marcel Broodthaers, Paris,
Galerie nationale du Jeu de Paume, 17 décembre 1991-1er
mars 1992 (catalogue :
Page 45
mentionnée dans la liste des œuvres ; reproduction en couleur ; citée dans le dossier de
l‟oeuvre), puis cette exposition poursuit sa route à Madrid, Museo nacionale Reina Sofia
(24 mars-8 juin 1992 ; même édition) ; 50 espèces d’espaces, œuvres du Centre Georges
Pompidou, Marseille, Centre de la Vieille Charité, Musée d‟art contemporain (MAC),
galeries contemporaines des Musées de Marseille, 27 novembre 1998-28 mai
1999 (catalogue : mentionnée dans la liste des œuvres ; reproduction en couleur ; citée
dans le dossier de l‟œuvre) ; M. B., Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 9 mars-10 juin
2001 (nous n‟avons pas connaissance d‟un catalogue ; citée dans le dossier de l‟œuvre) ;
Antagonisms. Case studies, Barcelone, Musée d‟Art Contemporain (MACBA), 26 juillet-
14 octobre 2001 (un lien consacré à l‟exposition est proposé sur le site du musée ; nous
n‟avons pas connaissance d‟un catalogue ; citée dans le dossier de l‟œuvre) ; Les années
70 : l’art en cause, Bordeaux, Centre d‟Art Plastique Contemporain (CAPC)-Musée d‟art
contemporain, 4 octobre 2002Ŕ12 janvier 2003 (catalogue : mentionnée dans la liste des
œuvres ; reproduction en couleur ; citée dans le dossier de l‟œuvre) ; Berlin-
Moskau/Moskau-Berlin, Berlin, Martin Gropius Bau Berliner Festpiele, 28 septembre
2003-5 janvier 2004, Moscou, Musée national historique russe, 3 avril-15 juin 2004
(édition d‟un catalogue que nous n‟avons pas consulté ; citée dans le dossier de l‟œuvre) ;
Belgique visionnaire - C’est arrivé près de chez nous, Bruxelles, Palais des Beaux-Arts,
18 février-15 mai 2005 (pas de catalogue ; citée dans le dossier de l‟œuvre dans lequel on
découvre une reproduction de la Salle Blanche alors installée au Palais des Beaux-Arts et
proposée dans l‟annexe ; CF : Annexe D, p. 22, Vue de l‟exposition Belgique visionnaire
Ŕ C’est arrivé près de chez nous, Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, 18 février-15 mai
2005.).
La Salle Blanche est très montrée en Europe, et en moindre mesure aux États-Unis, avant
et après l‟acquisition de l‟œuvre par le Musée national d‟art moderne.
1) Les expositions monographiques
On peut supposer que les expositions monographiques s‟efforcent, par leur caractère
même, de reprendre et d‟analyser les thèmes abordés par l‟artiste, et son discours. Ainsi, il
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s‟agit ici d‟étudier, à travers quelques exemples, les modalités d‟apparition de la Salle
Blanche dans les catalogues et donc dans les expositions, le chapitre dans lequel apparaît
l‟installation, les photographies reproduites de l‟œuvre pouvant nous renseigner sur la
scénographie adoptée, la légende associée et enfin les œuvres présentées à ses côtés. Par
ailleurs, se pose également la question de la copie de voyage.
Quelle place tient la Salle Blanche au sein de ces expositions ? Quels parallèles ou quels
écarts se dessinent entre celles-ci et l‟exposition L’Angélus de Daumier ?
a. Marcel Broodthaers, Londres, Tate Gallery. Exemple de la question de
la copie de voyage
La reproduction de la Salle Blanche est insérée au cœur du texte de Barbara Reise,
« The imagery of Marcel Broodthaers », réflexion autour des figures de rhétoriques qui se
dessinent, par analogies, dans le travail de l‟artiste (métonymies, ironie…). Cette
reproduction ne présente pas la pièce dans son intégralité. Il n‟est alors pas possible
d‟appréhender la scénographie dans son ensemble. La photographie reproduite présente
néanmoins un gros plan appréciable au cœur de la salle, dans laquelle on ne peut pénétrer,
mettant en évidence la seconde moitié de l‟espace, le mur du fond et l‟ampoule en
particulier. Elle est en couleur et on ne voit pas la corde, du fait du choix du cadrage,
notamment. Il s‟agit d‟une des deux reproductions de la Salle Blanche proposée dans
L’Angélus de Daumier.
La légende ne détaille pas la composition de l‟œuvre et ne précise pas l‟identité du
propriétaire. On suppose qu‟il s‟agit de Maria Gilissen-Broodthaers, auprès de qui le
Musée national d‟art moderne acquière l‟œuvre. Néanmoins, une liste des prêteurs est
proposée à la fin du catalogue ; or, on retient seulement le nom de Pierrette Broodthaers
(quel est son lien de parenté avec l‟artiste ?) et celui de Mr et Mme P. Neumann-Gilissen
( ?). De plus, au regard de la date d‟exposition (1980, avant l‟acquisition de la salle par le
Musée national d‟art moderne), une question se pose : est-ce l‟œuvre « originale » qu‟on a
sous les yeux (et que les visiteurs d‟alors ont observé) ou bien est-ce la « copie de
Page 47
voyage » ? Ainsi, il est surprenant que le nom de l‟épouse de l‟artiste n‟apparaisse pas.
Mais on ne peut rien affirmer. La date de création de la copie n‟est toujours pas connue,
ainsi que la personne l‟ayant commanditée, l‟ayant détenue et les raisons de sa création.
En 1989, le contrat d‟acquisition du Musée national d‟art moderne (CF : p. 37) donne la
copie de voyage à Maria Gilissen.
Par ailleurs, la Tate Gallery était, apparemment (information obtenue au Musée national
d‟art moderne), également intéressée par l‟acquisition de l‟œuvre, ce qui expliquerait peut-
être la tenue de cette exposition. Pourquoi n‟auraient-il pas, alors, exposé l‟œuvre
originale ou disons plutôt originelle ? Finalement, on peut s‟interroger sur la pertinence de
cette question. En effet, originale ou copie de voyage, cela change-t-il la perception qu‟on
a de l‟œuvre ? Une analogie est possible entre la copie de voyage et les cartes postales de
la Section XIXe siècle : la question de l‟original est intrinsèque au monde l‟art et au travail
de Broodthaers. Cette situation, et les questions qui s‟y rattachent, ne l‟auraient peut-être
pas inquiété. De plus, la copie est-elle une réplique exactement identique ? Nous ne
l‟avons pas vu, il n‟est pas possible de se prononcer.
Les œuvres présentées avec la pièce brossent toute la carrière de l‟artiste, leurs dates
s‟échelonnant entre 1964 et 1975. C‟est la première grande rétrospective consacrée à
Marcel Broodthaers et la première vaste exposition montée sans son aide, dans une
institution officielle.
b. Marcel Broodthaers, Minneapolis, Walker Art Center
En ce qui concerne cette exposition, c‟est la copie de voyage de la pièce qui était sans
doute visible. La Salle Blanche appartenait alors au Musée national d‟art moderne (CF :
date d‟acquisition, avril 1989, p. 37).
La Salle Blanche est présentée à la suite du chapitre “The Museum and the Décors”.
L‟édition du Walker Art Center propose une section correspondant à chacune de ces
expositions (CF : p. 15 ; les catalogues ne dénombrent pas la même quantité de Décors).
La reproduction du hall de l‟hôtel Rothschild, avec la malle, et celle du Salon Rothschild
Page 48
(Salle Rose) précèdent la Salle Blanche. Puis, le catalogue ouvre sur une vue partielle de la
Salle Verte et, tel que cela est indiqué (p. 208), sur « une vue d‟objets apparentés, y
compris _ Une échelle de briques (1969), Une pelle (c. 1970), a architect (c. 1973) et
Deux caisses (1975 »46
Excepté une des reproductions de ce catalogue, les vues des salles
ne correspondent pas à celles proposées dans le catalogue L’Angélus de Daumier.
Néanmoins, rien n‟indique que nous avons sous les yeux les espaces du Walker Art
Center. Une ambiguïté persiste.
On découvre une vue d‟ensemble (bien que rapprochée) et frontale de la salle. Celle-ci se
découpe sur un fond obscur, conformément à la scénographie préconisée. La photographie
est reproduite en couleur et le contraste obscurité-clarté blanche de la salle est
particulièrement sensible ici. Cette même reproduction ne laisse pas apparaître la corde
qui semble pourtant être une partie constitutive de l‟œuvre. La légende associée à l‟image
indique sans surprise : « La Salle Blanche, une recréation par Broodthaers de son
habitation rue de la Pépinière ».47
Rien de plus n‟est précisé.
De par l‟organisation du catalogue, le parti pris est, ici, d‟essayer de « coller » à la
démarche de l‟artiste en respectant les étapes de son musée et ses choix de scénographie.
c. Marcel Broodthaers, Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume
La Galerie nationale du Jeu de Paume, proposant également une rétrospective du travail
de Marcel Broodthaers, reprend la disposition en section du Walker Art Center (si ce
n‟est, comme souligné en première partie, de manière plus complète) et adopte la même
démarche. La Salle Blanche apparaît à la suite du chapitre « Décors-Rétrospectives »,
« L‟Angélus de Daumier ». On y trouve, dans l‟ordre suivant, les reproductions de
46 Traduction personnelle. Version originale :
« a view of related objects including Une échelle de briques (1969), Une pelle (c. 1970), a architect (c. 1973)
and Deux caisses (1975) »
47 Traduction personnelle. Version originale :
« La Salle Blanche, Broodthaers‟s re-creation of his rue de la Pépinière dwelling. »
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plusieurs autres salles, accompagnant déjà l‟œuvre qui nous occupe en 1975 : la Salle
Bleue, la Salle Rose, la Salle Blanche, la Salle Outremer, la Salle des Nuances, la Salle
Verte, la Salle Rouge et la Salle Noire, quant à elle matérialisée par un encart blanc. La
vue du hall avec sa malle, ainsi que celle de la Salle Verte, sont les mêmes que celles du
catalogue L’Angélus de Daumier réalisé par Broodthaers. La présente édition rend alors
compte des espaces du Centre national d‟art contemporain en 1975. Qu‟en est-il pour les
autres ? Dans les pages suivantes, divers objets sont reproduits hors contexte, comme dans
L’Angélus de Daumier (par exemple les sacs de tabac belge). Un choix a été opéré :
certaines de ces œuvres se retrouvent dans les deux catalogues, quand d‟autres
apparaissent dans l‟un, ou dans l‟autre. Certaines œuvres sont encore reproduites ici, mais
n‟étaient pas présentées dans l‟exposition. L‟exhaustivité semble un parti pris difficile,
voire impossible, à adopter. Aucun catalogue précis des œuvres-objets exposés n‟est
dressé dans le volume II de L’Angélus de Daumier, comme on peut parfois le rencontrer
dans des publications et expositions plus « traditionnelles » (un artiste-une œuvre à part
entière).
La reproduction de l‟installation, en couleur sur fond noir, est la même que celle du
Walker Art Center. La corde n‟y est toujours pas visible et elle ne correspond pas à celles
de Maria Gilissen-Broodthaers, éditées dans L’Angélus de Daumier. Quant à la légende,
reportée à la fin du catalogue dans la liste des œuvres exposées, elle indique précisément :
La Salle Blanche, 1975 ; bois, photographies, ampoule, inscriptions peintes et corde ; 390 x
336 x 658 cm ; Musée national d‟art moderne, Centre Georges Pompidou.
Elle n‟indique pas qu‟il s‟agit de la copie de voyage et donne le Musée national d‟art
moderne comme lieu de conservation.
d. Synthèse
Dans les catalogues, on découvre la Salle Blanche sans surprise : les photographies
reproduites se suivent et se ressemblent. Il en est de même dans les éditions de Berne, de
Stockholm ou encore de Zurich (Der Hang zum Gesamtkunswerk étant une exposition
collective) expositions pour lesquelles la question de la présentation de la copie, ou non,
Page 50
reste encore en suspens (les reproductions correspondent à celle du Walker Art Center et
de la Galerie nationale du Jeu de Paume). Le point de vue toujours rapproché empêche
toute appréhension réelle des choix de scénographie. Du moins, la mise en page adoptée
par l‟artiste dans L’Angélus de Daumier est elle respectée et l‟on suppose que son mode
d‟exposition l‟est également, tant il participe du sens de l‟œuvre. Il est délicat de savoir
face à quelle œuvre on se tient et de quoi elle se compose, du fait de la généralité ou de
l‟inadéquation du contenu des légendes, notamment en ce qui concerne la corde.
Néanmoins, les trois expositions étudiées réinsèrent globalement la Salle Blanche dans
son contexte d‟origine. Et on sait combien la question du contexte participe du
questionnement critique sur l‟art, poursuivi par le belge.
Pourtant, Yves Gevaert souligne la difficulté de recréer des expositions autour du travail
de l‟artiste :
On pourrait dire que depuis son exposition Section des Figures (…) Broodthaers concevait
chacune de ses expositions comme une leçon de lecture. (D‟où la difficulté de refaire des
expositions de l‟artiste et les échecs cuisants auxquels nous sommes confrontés depuis sa
mort.)48
Son discours est toujours affaibli du fait de l‟impossible totale restitution de ses
expositions. En effet, le principe d‟autocitation est au cœur des Décors conçus par
Broodthaers. Et la Salle Blanche porte encore en elle-même une réappropriation d‟une
action passée. Johannes Cladders, commentant la Section Cinéma, dit encore :
La conception du Musée d’Art Moderne Département des Aigles contient une série d‟éléments
variables et interchangeables. Ce qui réserve à l‟occasion quelques difficultés lorsque,
considérant cette œuvre après coup, on veut distinguer les différentes réalisations en respectant
l‟ordre des sections.49
Mais, la Salle Blanche, de par sa constitution et sa taille, est une œuvre en soi, au sein
d‟une exposition faisant œuvre, et semble difficilement interchangeable ; moins que les
sacs de tabac, par exemple. Comme développé plus haut, c‟est ce qui la différencie des
autres salles de L’Angélus de Daumier (CF : p. 34).
48 Yves GEVAERT, 1991, C. DAVID, V. DABIN, Op. Cit. p .244.
49 J. CLADDERS, Op. Cit. p. 296.
Page 51
2) Les expositions collectives et thématiques
À la suite de cette dernière réflexion, on peut se poser la question d‟une éventuelle
autonomisation de l‟installation ; autonomisation par rapport au projet premier de
Broodthaers. Le contexte d‟emploi d‟une œuvre, son histoire, voire l‟Histoire, font évoluer
son sens et sa portée. Cette idée d‟ordre général se manifeste dans le travail de l‟artiste
autour de l‟art comme marchandise institutionnalisée.
À travers l‟exemple de quatre expositions, l‟étude suivante se propose d‟évaluer ce qui a
été retenu du concept de la Salle Blanche et, comme précédemment, de souligner les choix
de scénographie ou les débats menés autour de celle-ci.
a. L’Architecte est absent Ŕ le maçon, Bruxelles, Fondation pour
l‟architecture
Cette exposition se propose d‟étudier le thème de l‟architecture qui revient
régulièrement chez l‟artiste du fait, notamment, de ses diverses manifestations autour du
Musée d’Art Moderne Département des Aigles. Elles entraînent parfois l‟élaboration de
plans, de projets (signalisations des entrées, des rues et autres plaques…), à commencer
par le Plan du musée d’art moderne de Bruxelles datant de 1969 (collection privée) qui
indique l‟emplacement du 30, rue de la Pépinière ainsi que celui des musées adjacents
(dont le Musée Wiertz), ou encore le plan tracé sur une plage de la Section Documentaire
et enfin Musée-Museum (CF : p. 24). Pelles et briques, matériel et matériaux de l‟ouvrier
maçon scandent encore sont travail. Ainsi, une vue de L’Angélus de Daumier (une
photographie prise par Maria Gilissen-Broodthaers) présente, notamment, Une échelle de
briques (1969), Une pelle (c. 1970) et Deux caisses (1975). Il s‟agit de la reproduction
déjà citée dans le catalogue du Walker Art Center (CF : p. 46). L‟intitulé de l‟exposition
reprend une phrase de son film Le Corbeau et le Renard : « L‟architecte est absent ». Mais
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on y lit encore « L‟architecte était absent », « L‟architecte était en pierre ». L‟architecture,
une fascination ?
Comme l‟exprime pertinemment Bartomeu Marí, un « musée est abrité par un bâtiment
qui en détermine l‟image et la fonction »50
, en particulier, rajoute-t-il, ceux construits ces
quinze dernières années. Il est vrai qu‟en s‟employant à décrire la Salle Blanche, on est
amené à utiliser un vocabulaire architectural. L‟aspect inachevé de la pièce nous laisserait
croire que l‟artiste a conservé, précieusement découpé dans l‟enveloppe d‟origine, un
morceau-souvenir de son pavillon bruxellois. Il ne resterait de la Section XIX e
siècle du
Musée que son bâtiment ; un musée vide, comme le sont les caisses qui l‟ont occupé, et
dont la fonction serait d‟éveiller les esprits, les débats et les mots.
La reproduction en noir et blanc (qui présente une fois de plus la pièce seule et isolée
comme elle doit alors sans doute l‟être dans l‟exposition) et en pied de la Salle Blanche
diffère légèrement de celles étudiées plus haut en ce qu‟elle laisse voir la présence d‟une
lampe posée au sol, éclairant le cœur de l‟installation (CF : la Salle Blanche au Musée
National d‟Art Moderne, p. 38).
b. Les années 70 : l’art en cause, Bordeaux, Centre d‟art plastique
contemporain (CAPC)-Musée d‟art contemporain
Le propos de cette exposition est d‟étudier les enjeux artistiques de la période 1968-
1977, « à partir de l‟observation des œuvres et d‟une typologie des formes », comme
indiqué dans l‟introduction. Le catalogue est ainsi divisé en cinq catégories : le corps, la
matière, la surface, l‟espace, le texte. La Salle Blanche est citée dans la catégorie « Le
Texte ; l‟écrit ; le mot ; ou le signe », à côté d‟œuvres d‟artistes comme Joseph Beuys,
Ben (la signature), Bruce Nauman, Joseph Kosuth, Bernar Venet, Douglas Huebler, ou
50 Bartomeu MARÍ, L’Architecte est absent-Le Maçon, Bruxelles Fondation pour l‟Architecture, 1991, p. 29. ;
Bartomeu Marí : commissaire de l‟exposition.
Page 53
encore le groupe Art&Language. Voici comment est définie cette catégorie, toujours dans
l‟introduction :
[Le texte va] devenir un matériau de base à de nombreux artistes qui tenteront de faire valoir sa
seule littéralité, posant avec une grande acuité la question de l‟objet représenté, et au-delà, de la
réalité même de l‟image artistique. La charge émotionnelle, affective ou symbolique ne sera
pas forcément étrangère à la démarche des artistes conceptuels, mais les aspirations profondes
de ces derniers aboutiront à ce « pied de la lettre» vers lequel ils choisissent de ramener l‟œuvre
d‟art. Ce recours au textuel est fondamentalement déterminé par la propension affirmée de
libérer l‟artiste de la pesante obligation du faire, avec pour corrélat, celle de privilégier l‟idée
originelle que suppose toute œuvre.
Les visiteurs appréhendent alors la « copie de voyage ». Ainsi, la légende placée à la fin
du catalogue dans la liste des œuvres exposées, indique clairement : « Centre Georges
Pompidou, Paris, Musée national d‟art moderne/Centre de création industrielle.
Exemplaire de Madame Gilissen-Broodthaers ». Si la corde n‟est pas ici mentionnée dans
la liste des matériaux, on y rajoute, en plus de l‟ampoule, la « source lumineuse ». Elle
correspond sans doute à la « lampe photographique » placée à l‟extérieur de la pièce. Sont
encore proposées les œuvres suivantes de Broodthaers : La Signature de l’artiste (1972,
Collection F. et N. Robelin, Musée d‟art moderne, St Etienne) et Peintures : série l’art et
les mots (1973, Collection Musée des Beaux-Arts de Nantes). La photographie reproduite
en couleur est sensiblement la même que celles observées dans les catalogues des
expositions monographiques.
Les peintures, objets et autres réalisations de Broodthaers sont très souvent couverts de
mots : du Musée d’Art Moderne Département des Aigles à Un Coup de dés jamais
n’abolira le hasard (1969, exemplaire sur plaques en aluminium anodisé : collection
privée ; exemplaires sur papier mécanographique transparent : galerie Jos Jamar, Knokke
et Groeningemuseum, Bruges51
), en passant par l‟installation Le Corbeau et le Renard (en
1967 à la Wide White Space Gallery, Anvers ; Collection Lohaus-De Decker52
) le texte est
essentiel. Les mots, les lettres ont une place à part entière dans l‟œuvres du belge, lui-
même jamais avare d‟un jeu de mots, de phrases énigmatiques ou d‟une dénomination
51 Source : Marcel Broodthaers, C. DAVID, V. DABIN, Op. Cit. p. 321.
52 Idem, p. 320.
Page 54
loufoque (il n‟hésite pas à titrer Moules une série de coquilles d‟œufs collée sur la toile).
C‟est ce que choisit de souligner le propos de cette exposition. Mais s‟ils ont une vie
propre et libre face aux règles « rationnelles », ces signes du langage sont néanmoins
rarement vierges d‟épaisseur critique ; ainsi en est-il pour la Salle Blanche.
c. Antagonisms. Case studies, Barcelone, Musée d‟art contemporain de
Barcelone (MACBA)
Dans sa présentation de l‟exposition sur le site internet du Musée d‟art contemporain de
Barcelone, José Lebrero Stals souligne son caractère de « projet de recherche qui examine
quelques aspects politiques et activistes de la pratique artistique depuis les années
soixante ».53
Il poursuit en soulignant que les œuvres exposées sous différents thèmes ont
été utilisées pour l‟observation sociale et la critique, ou encore ont pu faire preuve de
« résistance culturelle ». Ainsi, écrit-il, la Salle Blanche partage le même espace que
l‟œuvre 12 forme del giugno d‟Alighiero Boetti. Boetti réagit face aux différents conflits
armés de l‟époque, dans différents endroits. Il en dessine une cartographie.
La Salle Blanche est placée sous le thème « Décor », faisant suite à « The political
dimension of Minimalism » (exemple de Carl André, Sand-Line instar, 1995), « Activism
and reproductibility », et à « Information versus aesthetics » (Hans Haacke, U.S. Isolation
Box Granada 1983, 1984). Le texte « Décor » s‟emploie à esquisser la démarche de
l‟artiste : Broodthaers se concentre sur la sphère des musées dans son étude des définitions
de l‟art et de son système de distribution, et il commence par un rejet des cadres
traditionnels de l‟institution. Différents points abordés par l‟artiste sont ensuite énoncés
rapidement : la subversion de la relation traditionnelle entre l‟objet d‟art et les systèmes de
présentation et de réception ; l‟interrogation sur le musée à partir des relations entre
l‟œuvre et l‟environnement social, et l‟interrogation de la fonction réelle de l‟œuvre et du
public ; l‟emploi de la décontextualisation et de l‟accumulation qui lui permettent de
53 Traduction personnelle. Version originale :
“research project which examines some political and activist aspects of artistic practices since the sixties.”
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s‟attaquer à différents niveaux de la fiction de l‟œuvre et de l‟exposition : « le décor
décoré est une illusion, l‟artificialité de l‟évènement artistique saisie à l‟extrême,
contrastant avec l‟idée de vérité du traditionnel objet d‟art.»54
; enfin, le même statut
donné par Broodthaers dans son travail, au mot et à l‟image : le langage est un système de
représentation et une réalité en soi. La pièce est ensuite replacée dans le contexte de
L’Angélus de Daumier et du Musée.
Le volume II de L’Angélus de Daumier ouvre, après une « Notes sur le sujet » et les
« Idées motivations », sur un paragraphe intitulé « Art et politique », teinté d‟ironie :
La politique que j‟entends défendre-en art- est faible, individuelle d‟abord et soumise aux
pressions et à l‟influence d‟un public spécialisé où figurent en bonne place les intermédiaires et
les collectionneurs. Actuellement les amateurs sont rares et font cruellement défaut. Si
j‟exagère l‟importance de cette situation, que Daumier me fasse justice (…) Nous avec l‟art
sommes sur un terrain mouvant à comparer à celui de la mode ou de la monomanie (…)
Cependant, bien que faible, la nécessité d‟une attitude politiques est nécessaire, aujourd‟hui
(…)
Selon le souhait de l‟artiste, comme geste symbolique de solidarité avec les Démocrates
Espagnols, le vernissage sera interrompu une demi-heure avant l‟heure habituelle.55
d. 50 espèces d’espaces, Marseille, Musée d‟art contemporain (MAC),
galeries contemporaines des musées de Marseille, Centre de la Vieille
Charité. Réflexions autour de la désignation de l‟œuvre et de sa
perception.
Les œuvres proposées à Marseille proviennent des collections du Musée national d‟art
moderne et soulèvent la question de l‟espace, en particulier la question de l‟occupation de
54 Traduction personnelle. Version originale :
“the decorated décor is an illusion, the artificiality of the art event taken to the extreme, in contrast with the
idea of truth of the traditionnal art object.”
55 M. BROODTHAERS, L’Angélus de Daumier, Vol. II, cité dans Marcel Broodthaers, C. DAVID et V.
DABIN, Op. Cit. p. 278.
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l‟espace d‟exposition, mais encore celle, plus concrète, des exigences de leur installation.
Ces pièces, closes (ou presque) sur elles-mêmes (tel Precious Liquids, de Louise
Bourgeois, 1992) ont été réalisées entre 1960 et 1992 et sont introduites par quelques
œuvres de l‟avant-garde russe (Maquette du Monument à la IIIe Internationale, Vladimir
Tatline, 1919-1920).
Véronique Goudinoux, rédactrice du texte d‟introduction, soulève plusieurs
interrogations. Tout d‟abord : sommes-nous en présence d‟une exposition de sculptures ?
En effet, précise-t-elle, la présentation d‟œuvres de Joseph Beuys, Robert Smithson,
Richard Serra, Robert Morris, Dan Flavin, Carl Andre, ou encore Bruce Nauman, suggère
les bouleversements introduits à la fin des années soixante dans différents aspects de la
sculpture : « matériaux, échelle de l‟objet, son lien avec l‟espace qui l‟accueille, son mode
d‟exposition, la relation créée avec le spectateur »56
Ce regroupement amène également à
s‟intéresser au processus de production qui fait alors l‟objet d‟une forte considération :
« Le processus de production ne se déroule nullement en coulisse mais constitue la
substance même de l‟œuvre »57
, disait Robert Morris en 1970 (on pense à ses feutres).
La Salle Blanche pourrait-elle, également, être considérée comme une sculpture ?
Spontanément, il est de coutume de dénommer ce type d‟œuvres par le terme
« installation », comme cela a été fait plus avant dans ce développement. C‟est bien
d‟ailleurs ce que rappelle Véronique Goudinoux. Elle tente alors une réflexion sommaire
sur ce mot, appliqué au champ de l‟art, et ce à partir de deux exemples : Edward Kienholz,
While Visions of Sugar Plums Danced in their Heads (Tandis que des visions de prunes
confites dansent dans leur têtes, 1964) et Lucio Fontana, Milieu spatial / Exaltation d’une
forme (1960). La première tentative de définition s‟avère, de son propre aveu, faible,
tandis que du point de vue de la Salle Blanche, elle instaure une ambiguïté. En effet,
[L]‟installation pourrait (…) être réduite à deux données : l‟assemblage d‟éléments concourant
à produire une configuration se déployant dans la salle d‟exposition ; la construction, par divers
modes, d‟espaces ou d‟environnements de type architectural susceptibles d‟être parcourus et
56 Véronique GOUDINOUX, 50 espèces d’espaces, Marseille, Centre de la Vieille Charité, MAC, galeries
contemporaines des Musées de Marseille, Paris : édition du Centre Georges Pompidou et de la Réunion des Musées
Nationaux, p. 13.
57 Robert MORRIS, « Some Notes on the Phenomenology of Making: The Search for the Motivated”, New
York, Artforum, avril 1970 ; cité dans 50 espèces d’espaces, Idem, p. 14.
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éprouvés par le spectateur (…) [Mais] aucune [de ces] caractéristiques (…) ne peut être tenue
pour une caractéristique permanente de ce qu‟on appelle « installation ».58
L’Angélus de Daumier, exposition au sein de laquelle se tient la Salle Blanche, serait alors
elle-même une installation ? C‟est ce que remarque Paul Sztulman59
, pour qui ce Décor
serait, dans une certaine mesure, une « installation » (notion émergeant autour de l‟art
minimal), c'est-à-dire des objets disposés d‟une salle à l‟autre, ceux-ci étant pensés en
fonction du lieu où ils se trouvent. Quant à l‟environnement, il consisterait à établir à
l‟intérieur d‟un lieu, un autre type de lieu. Le Décor serait à l‟installation ce que la Salle
Blanche est à la sculpture…
Néanmoins, on se souvient de Johannes Cladders évoquant les sections du Musée d’Art
Moderne Département des Aigles comme autant d‟environnements, du fait de leur
utilisation de l‟espace (CF : p. 8), quant Bartomeu Marí y voit un programme sculptural et
poétique. Ces termes sont encore, dans le milieu de l‟art, souvent utilisés indifféremment.
L‟installation ne pourrait alors que se définir négativement :
C‟est-à-dire par le fait qu‟elle n‟est ni « tableau », ni « sculpture », au sens étroit de ces deux
termes [.]Face à cette difficulté (…) sans doute convient-il d‟aborder la question de
l‟installation d‟un point de vue autre que celui des caractéristiques propres aux œuvres. [Le]
verbe « installer » (…) renvoie à une action, celle de la mise en place des œuvres, celle donc,
dans le contexte qui nous occupe, de leur présentation. (…) Compris sous cet angle
[l‟exposition rassemble] des pièces qui posent des problèmes spécifiques d‟installation à ceux
chargés de leur mise en vue (…) [L]a question de l‟espace fait ici retour, mais sous une forme
proprement muséographique (…)60
Ces pièces, du fait de leur taille, occupent de la place et demandent souvent un isolement,
notamment dans une salle obscure (telle la Salle Blanche), ce qui semble être
« caractéristique de nombre de pièces actuelles ». Au musée de s‟adapter à la pièce, et non
plus l‟inverse. Pourtant, si la Salle Blanche pose comme les autres pièces des problèmes
de mise en espace, elle en pose beaucoup moins du point de vue de la circulation. Elle
pourrait être « une construction de type architectural » (CF : p. 51, L’Architecte est absent-
58 V. GOUDINOUX, Op. Cit. p. 18.
59 Entretien avec Paul SZTULMAN, le 29 février 2008.
60 V. GOUDINOUX, Op. Cit. p. 20.
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le maçon, Fondation pour l‟Architecture de Bruxelles), mais il n‟est pas question qu‟elle
soit « parcouru[e] et éprouvé[e] » par le spectateur.
Pourquoi ne peut-on pas y pénétrer ? Comment le spectateur perçoit-il alors cette œuvre
et la relation qu‟il entretient avec elle ? La réflexion menée autour de la Salle Blanche et
des ses questions d‟accrochage dans le texte introductif de 50 espèces d’espaces, apporte
de nouveau un éclairage sur cette question. Dès 1975 et sa mise en place au Centre
national d‟art contemporain, la Salle Blanche était placée à l‟une des extrémités du
bâtiment :
Le spectateur, dès lors, ne pouvait la percevoir que, d‟une part, à partir d‟une certaine distance,
et d‟autre part, frontalement. On saisit, si l‟on se souvient que la pièce n‟est éclairée
qu‟intérieurement, que se joue ici un mode de perception qui est, en fait, celui du tableau : (…)
une reconstitution d‟ordre pictural, sans pour autant être une représentation picturale.
Broodthaers, par l‟ouverture sur l‟une des faces (…) joue sur l‟ambiguïté entre la production
d‟un effet tableau (effet garanti par la distance minimale entre le premier regard du spectateur,
lui-même nécessairement rejeté à l‟extérieur de la salle, et la pièce, ainsi que par l‟absence
d‟objets dans le « cube ») et la reconstitution d‟un espace architectural. [On pourrait percevoir]
un trompe l‟œil architectural, [le] développement dans l‟espace d‟un tableau (…).61
Ceci expliquerait sans doute le choix du point de vue frontal pour les reproductions de
l‟œuvre dans les catalogues étudiés, comme dans celui-ci (ici, la prise de vue a tout de
même été réalisée légèrement de biais, de la gauche, face à l‟œuvre). Ce point de vue
participerait de l‟appréhension et du sens de l‟œuvre, d‟où la lettre de Maria Gilissen-
Broodthaers au Musée national d‟art moderne (CF : p. 39). Cette interprétation est
d‟autant plus séduisante qu‟elle apporterait une « raison d‟être » à la corde, hors de son
simple effet dissuasif et de sécurité. Celle-ci manifesterait un accrochage historique (ou
traditionnel), avec cordon et pieds placés devant les tableaux ou les sculptures. De plus,
une reproduction tirée du dossier de l‟œuvre nous offre une vue générale sur la
présentation de la pièce lors de l‟exposition Belgique visionnaire Ŕ C’est arrivé près de
chez nous au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (CF : Annexe D, p. 22, Vue de
l‟exposition Belgique visionnaire Ŕ C’est arrivé près de chez nous, Bruxelles, Palais des
61 V. GOUDINOUX, Op. Cit. p. 23.
Page 59
Beaux-Arts, 18 février-15 mai 2005.). Or, contrairement au parti pris du Musée national
d‟art moderne, deux pieds et un cordon sont effectivement postés largement en avant de la
salle. La Section XIXe siècle filerait sa métaphore, jusque dans une adaptation
contemporaine du tableau, au sens commun du terme, et de son mode d‟exposition passé.
Et Martin Mosebach de conclure sa réflexion sur le Musée d’Art Moderne Département
des Aigles par ce paragraphe :
Ce monde lui même reste caché. C‟est comme si La Salle Blanche, dans laquelle aucun tableau
n‟apparaît, avait l‟intention de devenir un espace magique où, par l‟évocation des propriétés et
des fondamentaux de l‟art et de la peinture, l‟artiste peint littéralement la première et la
nouvelle vraie peinture devant les yeux incrédules du spectateur.62
e. Synthèse et conclusion
Il convient néanmoins d‟apporter quelques contrepoints. Tout d‟abord, la Salle Blanche
n‟est pas seulement éclairée de l‟intérieur, mais également par un spot. L‟ampoule
symboliserait-elle l‟éclairage « pictural », l‟effet de lumière intérieur du « tableau », et le
spot l‟éclairage muséographique ? Mais encore, dans ces expositions, la corde n‟est jamais
mentionnée dans la liste des matériaux, de même dans 50 espèces d’espaces (« Bois avec
inscriptions peintes, photographies et ampoule »). Enfin, si la question de la dénomination
de la Salle Blanche ne doit être éludée, l‟esquisse de réponse apportée n‟a pas la
prétention de cerner le problème, d‟autant qu‟il est toujours d‟actualité parmi les
spécialistes. La Salle Blanche pourrait-elle être à la fois une sculpture, une installation
(qui n‟est « ni tableau, ni sculpture »), et jouer le jeu d‟un tableau…? Par ailleurs, la pièce
occupe un espace spécifique (une chambre obscure), mais aussi l‟espace du musée. Ainsi,
la corde achèverait-elle de « muséifier » l‟œuvre ? L‟aspect palpable, le souvenir de la
fiction, s‟institutionnalise. De fait, il entre à son tour au panthéon de la production
artistique.
62 M. MOSEBACH, Op. Cit. p. 177. Traduction personnelle. Version originale :
“That world itself remains concealed. It is as if La Salle Blanche, where no picture appears, was intended to
become a magic space where, by conjuring up the properties and fundamentals of art and of painting, the artist literally
paints the first truly new picture before the incredulous eyes of the beholder.”
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Concluons en remarquant que la Salle Blanche s‟imprègne des divers discours que
veulent bien lui assigner les expositions actuelles. En effet, on a la sensation qu‟elles
offrent chacune une des dimensions de l‟œuvre. Disons plutôt qu‟elles se concentrent sur
au moins un de ses aspects : l‟aspect formel d‟architecture, la prégnance du texte, l‟aspect
critique et polémique, enfin sa mise en espace influant, notamment, sur « l‟utilisation »
qu‟en fait le public et la perception qu‟il en a. Il ne s‟agit pas de réduire la portée de ces
évènements, mais de souligner ce qu‟on entend par autonomisation. Car, si le contexte de
création est chaque fois mentionné dans un texte accompagnant la reproduction de la Salle
Blanche, l‟ampleur, le poids et la cohérence de la construction du Musée d’Art Moderne
Département des Aigles, Section XIX e siècle, et surtout celle de L’Angélus de Daumier (et
avec, des Décors), nous échappent parfois. Pourtant, ces références sont particulièrement
prégnantes et essentielles dans cette œuvre. Ne perd-t-on pas, alors, l‟épaisseur critique de
la Salle Blanche ? Cette réflexion touche nombre d‟œuvres. Beaucoup d‟artistes exposent
plus une exposition, un ensemble, que des entités bien distinctes. Les travaux se font
échos, ils ne contiennent pas uniquement leur histoire. Est-ce le nouvel « espace
moderne » ?
C. Les mots et l‟espace des mots. Étude de la graphie et
de la typographie adoptées dans la Salle Blanche
Alors, qu‟est-ce que l’espace moderne, inventé par Mallarmé, pour Broodthaers (CF : p.
13)? L‟espace dont il est question à la fin du développement autour de l‟exposition 50
espèces d’espaces est celui de l‟étendue, d‟une surface déterminée (lieu, place…). Mais, si
la notion d‟espace a une place importante dans le travail de Broodthaers, c‟est d‟abord
dans son sens de distance, c‟est à dire, plus précisément, dans celui de blanc séparant les
mots. Cela est frappant lorsqu‟on regarde la Salle Blanche. De nombreuses autres œuvres
de l‟artiste se peuplent de mots et de lettres de l‟alphabet (CF : p. 52), adoptant, souvent,
la même écriture cursive.
Page 61
Mallarmé est la source de l‟art contemporain…Il invente inconsciemment l‟espace moderne
(…) Un coup de dés. Ce serait un traité de l‟art (…)63
1) Marcel Broodthaers et la poétique de Mallarmé :
L‟Exposition littéraire autour de Mallarmé, la Salle Blanche
et son mode d’exposition
Du 2 décembre au 20 décembre 1969, l‟Exposition littéraire autour de Mallarmé ;
Marcel Broodthaers à la Deblioudebliou / S se tient à la Wide White Space Gallery, à
Anvers. Sur le carton d‟invitation édité sous forme de carte postale, outre les informations
d‟usage, s‟affichent deux reproductions du portrait de Mallarmé (le même que celui
figurant sur la couverture des Œuvres complètes dans la Bibliothèque de la Pléiade), une
au recto, l‟autre au verso. Pour cette exposition, Broodthaers prévoit une édition inspirée
du poème de Mallarmé Un coup de Dés jamais n’abolira le Hasard. (CF : Annexe E, p.
23, Description des espaces et des éditions de l‟Exposition littéraire autour de Mallarmé ;
Marcel Broodthaers à la Deblioudebliou / S ; reproduction d‟une des éditions d‟Un coup
de dés jamais n’abolira le hasard. Image.)
Il est difficile de résumer l‟action d‟Un coup de Dés. Il y est question d‟un naufrage,
évoqué et amplifié par une typographie novatrice se déployant sur deux pages, et qui,
grâce au rythme des blancs, semble s‟engouffrer à partir du haut de celles-ci vers le bas
« Abîme » du coin droit du livre. Les mots ou les groupes de mots, sous la forme du vers
libre ou du poème en prose, chutent littéralement sous nos yeux, et se déroulent telle une
partition musicale : une phrase principale « UN COUP DE DÉS JAMAIS N‟ABOLIRA
LE HASARD », s‟étend tout au long du poème en capitales d‟imprimerie, et viennent s‟y
attacher, par endroit, une phrase secondaire, en majuscules de moindre taille, et d‟autres
phrases à la graphie différente (majuscules ou minuscules, caractère romain ou italique). Il
n‟y a pas de ponctuation. Cela crée un rythme, un concert ou une symphonie de mots.
Les “blancs”, en effet, assument l‟importance, frappent d‟abord (…) Le papier intervient
chaque fois qu‟une image, d‟elle-même, cesse ou rentre, acceptant la succession des autres et,
63 M. BROODTHAERS, extrait d‟un feuillet manuscrit de l‟exposition à la Galerie MTL, Bruxelles, 13 mars-10
avril 1970, partie A, pp. 3-4 ; Marcel Broodthaers, C. DAVID et V. DABIN, Op. Cit. p. 139.
Page 62
comme il ne s‟agit pas, ainsi que toujours, de traits sonores réguliers ou vers (…) c‟est à des
places variables, près ou loin du fil conducteur latent, en raison de la vraisemblance, que
s‟impose le texte. L‟avantage, si j‟ai droit à le dire, littéraire, de cette distance copiée qui
mentalement sépare les groupes de mots ou les mots entre eux, semble d‟accélérer tantôt et de
ralentir le mouvement, le scandant, l‟intimant même selon une vision simultanée de la Page :
celle-ci prise pour unité comme l‟est autre part le Vers ou ligne parfaite. La fiction affleurera et
se dissipera, vite, d‟après la mobilité de l‟écrit, autour des arrêts fragmentaires d‟une phrase
capitale dès le titre introduite et continuée.64
Mais la musique n‟est pas le modèle idéal de la poésie (et de la peinture) la poésie doit
« reprendre [son] bien » à la musique,
Car, ce n‟est pas de sonorités élémentaires par les cuivres, les cordes, les bois, indéniablement
mais de l‟intellectuelle parole à son apogée que doit avec plénitude et évidence, résulter, en tant
que l‟ensemble des rapports existant dans tout, la Musique.65
Un coup de Dés jamais n’abolira le Hasard est publié pour la première fois le 4 mai 1897
dans la revue Cosmopolis. C‟est alors un « coup d‟essai » : il ne se développe pas sur une
double page puisque soumis aux contraintes de la publication dans une revue. Au
printemps 1897, Ambroise Vollard propose à Mallarmé de l‟éditer. La publication devait
être imprimée chez Firmin Didot (CF : p. 64, note 70) et illustrée de lithographies
d‟Odilon Redon. Le projet ne voit finalement pas le jour. Il en reste un manuscrit et des
épreuves de l‟édition en cours, dont les pages mesurent alors 58cm sur 38cm. En 1914, le
poème paraît enfin aux éditions de la Nouvelle Revue française mais il ne s‟agit que d‟une
publication approchante. Un coup de Dés est le poème testamentaire de Mallarmé.
Broodthaers reprend les doubles pages de l‟édition originale publiée en 1914 chez
Gallimard, à ceci près qu‟en lieu et place du poème se succèdent des lignes noires. Ces
lignes respectent précisément la typographie d‟origine, elles ont la hauteur, l‟épaisseur et
la longueur des phrases qu‟elles recouvrent. L‟artiste fait réaliser trois versions, intitulées
Un coup de dés jamais n’abolira le hasard. Image. L‟une est imprimée sur des plaques
d‟aluminium anodisé, la seconde sur un papier courant blanc et opaque (c‟est le livre ou
« l‟édition catalogue »), et la dernière sur un papier mécanographique transparent. Le titre
choisi fait référence au livre, dont la couverture est une copie de l‟édition originale,
64 Stéphane MALLARMÉ, « Observation relative au poème » donnée dans Cosmopolis (4 mai 1897), Poésies et
autres textes, Le Livre de Poche, Classiques de poche, 2005, p. 391.
65 S. MALLARMÉ, « Crise de Vers », Divagations, dans Poésies et autres textes, Idem, pp. 359-360.
Page 63
remaniée : le nom de Marcel Broodthaers remplace celui de Mallarmé, le sous titre Image
celui de Poème, et les deux galeries éditrices (« Galerie Wide White Space Antwerpen »,
« Galerie Michael Werner Köln ») prennent la place du sigle NRF. Un coup de dés jamais
n’abolira le hasard. Image retient seulement la mise en page, et donc le rythme, du poème
de Mallarmé. Les mots, les groupes de mots, qui contenaient encore du sens, ajouté à
l‟image qu‟ils composaient sur l‟unité de la page blanche, sont ici réduits à leur simple
qualité visuelle, à leur Image et perdent encore leur sonorité. Le blanc, le retour du blanc
(ce silence quand il y a expression orale), est ici prégnant. Est-ce une application au pied
de la lettre du principe perceptif de l‟écriture comme « dentelle » et comme
« constellation » inversée de Mallarmé ? Dans ses œuvres, Broodthaers aime jouer avec la
plasticité des mots et des lettres, ce qui est encore le cas avec la Salle Blanche. En effet, ce
que retient avant tout Broodthaers de l‟exemple de Mallarmé se situe moins sur le plan du
lyrisme que sur celui de la poétique. Cette poétique s‟exprime, notamment, dans Un Coup
de Dés comme dans les Divagations. Le terme « dentelle » se retrouve dans un poème de
Mallarmé intitulé « Une dentelle s‟abolit » (1887) et dans certains textes des Divagations ;
celui de « constellation » dans Un coup de Dés (« RIEN…N‟AURA EU LIEU…QUE LE
LIEU…EXCEPTÉ…PEUT-ÊTRE…UNE CONSTELLATION ») qui, de plus, utilise les
champs lexicaux du blanc, du noir, du jour, de la nuit, etc., ainsi que dans les Divagations.
D‟autres écrits et lettres de Mallarmé s‟y réfèrent encore.
Par ailleurs, les lignes noires qui empêchent la lecture du poème de Mallarmé ne sont pas
sans nous rappeler les plages colorées et le plâtre masquant, en partie, le texte des recueils
du Pense-Bête de Broodthaers. Cet acte est apparenté à l‟enterrement d‟une prose. Ainsi,
le remploi du produit du poète Mallarmé par l‟artiste-plasticien Broodthaers entrainerait
alors nécessairement une négation du lyrisme. Le livre devient pur objet plastique. (CF : p.
10, le Pense-Bête et p. 14, les expositions comme des exercices de lecture). Mais encore,
si les mots ont une qualité d‟image et une plasticité, comme les œuvres d‟art ou les objets,
par analogie ceux-ci pourraient être considérés tels des mots. La Salle Blanche serait un
des mots de la phase-exposition L’Angélus de Daumier.
Enfin, la Salle Blanche serait-elle la projection en trois dimensions de la page blanche
constellée de mots évoquée par Mallarmé ?
Page 64
Le volume des Divagations sort, également, en 1897. Il regroupe des études de Mallarmé
parues en revue et ses poèmes en prose. Dans la bibliographie de cette édition, Mallarmé
désigne ces études sous le terme « poème[s] critique[s] », qui sont «plutôt des essais sur
l‟art et la culture (…) car la poésie chez lui est une critique de la culture »66
On songe à
« Crise de vers » ou au « Mystère dans les lettres ». Mallarmé compare l‟écriture à une
« constellation », constellation de mots, mais en noir sur blanc car seul « l‟alphabet des
astres » apparaît en blanc sur fond noir. L‟écriture est encore une « dentelle », sombre. Or,
si la page blanche est plane, le « Livre » a bien une épaisseur. On retrouve cette
profondeur face à la Salle Blanche. Celle-ci évoque encore formellement le cube du dé. La
référence à ce célèbre poème de Mallarmé s‟élève face à nous, matérialisé dans la Salle
Blanche, au sein de laquelle les mots sont en « suspens » (comme une constellation), autre
terme clé de la poétique mallarméenne, et semblent se mouvoir tel les mots du naufrage
évoqué par le poète. En effet, certains mots sont coupés, ces mots qui sont dispersés sur
les murs de façon apparemment aléatoire.
(…) Tout devient suspens, disposition fragmentaire avec alternance et vis-à-vis, concourant au
rythme total, lequel serait le poème tu, aux blancs ; seulement traduit, en une manière, par
chaque pendentif.67
_Les mots, d‟eux-mêmes, s‟exaltent à mainte facette reconnue la plus rare ou valant pour
l‟esprit, centre de suspens vibratoire : qui les perçoit indépendamment de la suite ordinaire,
projetés, en parois de grotte, tant que dure leur mobilité ou principe, étant ce qui ne se dit pas
du discours : prompts tous, avant extinction, à une réciprocité de feux distante ou présentée de
biais comme une contingence.68
Par ailleurs, le noir de l‟écriture sur le blanc du mur trouve un écho dans la scénographie
et la mise en page des catalogues : le blanc de la salle se détache dans le sombre espace
d‟exposition ou sur la page noire des éditions. La constellation spatiale reprend sa place.
66 Jean-François CHEVRIER, Conférence au Musée des Beaux-Arts de Nantes le 10 février 2005, dans le cadre
de l‟exposition L’Action restreinte : l’art moderne selon Mallarmé, sous la direction de J. F. CHEVRIER, Paris, Hazan,
2005, p. 16.
67 S. MALLARMÉ, « Crise de vers », Divagations, dans Poésie et autres textes, Op. Cit. p. 358.
68 S. MALLARMÉ, « Le Mystère dans les Lettres », Divagations, dans Poésie et autres textes, Op. Cit. pp. 369-
370.
Page 65
2) Magritte et ses « tableaux de mots » : une graphie
caractéristique, l’anglaise
Broodthaers rencontre Magritte après la guerre. Ils entretiennent, par la suite et pendant
quelques années, des rapports amicaux. Magritte offre au jeune poète qu‟est alors
Broodthaers un exemplaire de l‟édition de 1914 d‟Un coup de Dés et lui fait connaître
Poe. Ses « tableaux de mots », comme La Trahison des Images - Ceci n’est pas une
pipe (1929, County Museum of Art, Los Angeles), utilisent une graphie toute particulière,
si bien qu‟on ne l‟associe qu‟à ses œuvres. Dans la plupart des catalogues décrivant la
Salle Blanche, on lit des phrases évoquant les mots qui adopteraient une « écriture toute
magrittienne », alors que, souvent, la graphie n‟est pas étudiée.
Pourtant, c‟est une écriture qui se développe particulièrement au XIXe siècle. L‟anglaise,
de son nom, est une « écriture cursive penchée à droite » (Le Petit Robert), « [caractérisée]
par ses passages des déliés aux pleins (…) sa pente fortement accentuée, [et] l‟envolée de
ses majuscules et de ses hampes ».69 Bien qu‟elle lui soit antérieure, elle doit sa forme
ultime à la lithographie quand Firmin Didot70 réussit la fonte de tels caractères
d‟imprimerie en 1819. Une autre anglaise du même Firmin Didot est appelée l‟anglaise à
combinaison (CF Annexe F, p. 25, La graphie). Cette dénomination, « anglaise à
combinaison », est employée pour désigner une nouvelle technique permettant une
meilleure liaison entre les caractères d‟imprimerie, c'est-à-dire entre les lettres.
Néanmoins, à l‟impression et à travers les exemples illustrés proposés, cela semble donner
un autre effet : les tiges sont plus régulières, les hampes ne s‟enroulent plus. Cette graphie
est plus proche de celle des mots de la Salle Blanche. Cette même graphie est utilisée dans
nombre d‟œuvres de Broodthaers et sur le carton d‟invitation à L’Exposition littéraire
autour de Mallarmé ; Marcel Broodthaers à la Deblioudebliou / S. « Deblioudebliou »
correspond à la transcription phonétique des initiales de la galerie (et ce, non sans
69 De plomb, d’encre & de lumière, Essai sur la typographie et la communication écrite, Centre d‟étude et de
recherche typographiques, Paris, Imprimerie nationale, 1982, p. 245.
70 Firmin DIDOT : (1764-1836), fils cadet de François-Ambroise Didot. Il renouvela la gravure et la fonderie
des caractères ; il fut l‟imprimeur de l‟Institut (1811) ; Le Petit Robert des noms propres.
Les Didot sont une famille de libraires et imprimeurs français.
Page 66
moquerie) où se tient l‟exposition, prononcées en anglais. James Lee Byars, ami de
Broodthaers, expose quelques temps plus tôt dans cette galerie et prend alors l‟habitude de
la désigner par ses initiales. De plus, cela permet à Broodthaers de souligner le goût de
Mallarmé pour la langue anglaise. On pense, notamment, à ses traductions de textes de
Poe.
Page 67
Conclusion
Broodthaers, poète « raté », est entré sur la scène artistique contemporaine avec
désillusion, mélancolie et ressentiment. Il abandonne sa position, qu‟il aurait voulue
triomphante, de poète indépendant et sincère, investi de façon vraie, et presque naïve, dans
son travail. Il se tourne alors vers celle, qu‟il verra triompher, de l‟artiste dépendant d‟un
marché de l‟art spéculatif et instable, artiste qui, malgré tout, joue et s‟arrange de ce
marché, sans trop le montrer ; lui va le montrer. Guide d‟exposition, il observe, puis son
regard critique naît plus particulièrement dans ses articles de journaliste ; le poète prend
du recul, il commence une analyse du fonctionnement du monde de l‟art. De ce regard
surgit une méthode, bientôt systématique, esquissée dans le texte de sa première
exposition, en 1964 : l‟art que l‟on croit vierge de tout souci économique, « l‟art pour
l‟art », est en fait régi par la communication, par la publicité et par l‟argent que les
productions d‟un artiste peuvent générer grâce aux achats des amateurs. Faire grand bruit
autour d‟un artiste quel qu‟il soit lance sa carrière, le fait connaître, il est exposé, on
s‟arrache alors ses « œuvres » à prix d‟or et son travail devient de « l‟art » ; et de manière
inverse : plus il réussit (plus il est coté), plus on communique autour de lui. L‟art adopte la
même technique que la société de consommation. Sa méthode critique, Broodthaers
l‟applique et la synthétise de façon flagrante dans son Musée d’Art Moderne Département
des Aigles et dans ses Décors ; d‟où sa concentration dans la Salle Blanche. En effet, la
Section XIXe siècle, ouverte dans le contexte politique de Mai 68, n‟est d‟abord, nous dit
Broodthaers, qu‟un simple décor avant que son musée ne s‟institutionnalise et ne devienne
le symbole du musée fictif. Cette fiction du musée permet de mieux souligner la
contradiction des institutions qui se réclament de « l‟Art », qui montrent les œuvres d‟art
de façon soi-disant impartiale, alors qu‟elles sont (peut-être malgré elles ?) les complices
des choix du marché. Broodthaers croit sans doute encore à la fonction du musée, d‟où son
attachement à dévoiler ses liens, devenus prépondérants, avec le pouvoir et l‟économie.
À évoquer les différentes sections du Musée, construites comme autant d‟expositions, on
comprend qu‟un objet isolé ne semble rien nous dire, qu‟il prend son sens au regard des
autres. L‟exposition deviendrait une nouvelle entité. Quant aux Décors, basés sur le
système de l‟autoréférentialité utilisé par Broodthaers, ils remploient des œuvres passées
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de l‟artiste dans un nouvel environnement, créant ainsi un nouveau discours. La Salle
Blanche exposée à L’Angélus de Daumier, apparaît ainsi comme une œuvre testament ;
souvenir de la première section du Musée, dont elle est une recréation plutôt qu‟une
reconstitution, elle en sonne la fin de l‟aventure, comme de celle des Décors. De plus,
l‟étude comparée de la Salle Blanche avec les idées et les objets du Musée et de L’Angélus
de Daumier fait ressortir ses liens privilégiés, de par son aspect formel et par le biais de la
Section XIXe siècle, avec la Section XVII
e siècle, la Section XIX
e siècle (bis), la Section
Cinéma, la Section Publicité et la Section d’Art Moderne. Sa spécificité de construction
architecturale est frappante en comparaison des œuvres exposées au sein du dernier Décor.
Elle semble être un décor, comme l‟était d‟abord la Section XIXe siècle, bien que la Salle
Blanche soit vide, impénétrable et soit un décor factice. Broodthaers établit une
scénographie spécifique pour la Salle Blanche (recommandée par Maria Gilissen-
Broodthaers au Musée national d‟art moderne en 1990) apparemment reprise dans les
expositions énumérées et étudiées, à travers leurs catalogues, dans le deuxième chapitre:
l‟œuvre est isolée dans une pièce obscure, se découpant ainsi sur un fond sombre et doit
être abordée de face. On ne peut pas y pénétrer. Cette interdiction est actuellement
manifestée au Musée national d‟art moderne par la présence d‟une corde, dont on ne sait
pas si elle est un matériau constitutif de l‟œuvre participant à son sens, soulignant ainsi la
« muséification » de la Salle Blanche. Car si la pièce contient les orientations critiques de
Broodthaers sur le musée, son discours perdrait de sa validité une fois saisi et applaudi par
l‟institution officielle ; il soulignerait ainsi clairement ce processus, dont il était conscient.
Ne connaissant pas les stades antérieurs de la création de la Salle Blanche, notamment les
éventuels plans établis par l‟artiste, il nous est impossible de statuer sur la question. Les
différentes légendes qu‟on a pu lire n‟éclaircissent pas non plus ce point, elles sont
ambivalentes. Néanmoins, la corde n‟apparaît pas sur la reproduction de la pièce dans le
volume II du catalogue de L’Angélus de Daumier. Nous n‟avons que très peu
d‟informations sur la « copie de voyage » qui n‟aurait sans doute pas été commanditée par
Broodthaers. D‟autre part, si les expositions monographiques et rétrospectives s‟emploient
à réinsérer au mieux la Salle Blanche dans son décor d‟origine, s‟approchant ainsi du
discours de Broodthaers, dans les expositions collectives l‟œuvre peut sembler autonome :
elle s‟insère dans des thématiques qui sont, de près ou de loin, développées par
Broodthaers, et soutient la présence d‟œuvres variées d‟autres plasticiens. Bien que ses
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liens avec le Musée et les Décors soient chaque fois rapidement mentionnés, l‟œuvre
pourrait aussi bien s‟appréhender sans en avoir précisément connaissance, à la lumière du
discours de la manifestation. Enfin, à monter la Salle Blanche, Broodthaers adapte, plutôt
qu‟il ne s‟approprie, la théorie de Mallarmé exprimée dans Un Coup de Dés jamais
n’abolira le Hasard concernant la typographie imagée du poème et ce jusque dans ses
choix de scénographie, tout en esquissant un « clin d‟œil » à Magritte par l‟utilisation
d‟une graphie historique, l‟anglaise à combinaisons. Un coup de dés jamais n’abolira le
hasard. Image est bien plus une appropriation. Broodthaers fait sienne l‟œuvre de
Mallarmé, tout en l‟inversant.
Dès le tournant des années 1960-1970, ce processus se retrouve de manière exacerbée
dans les travaux de certains artistes comme Elaine Sturtevant (on pense à ses répliques
d‟œuvres de Jasper Johns ŔFlag- ou d‟Andy Warhol ŔFlowers-). Sherrie Levine détourne,
à partir de 1980, des photographies de Walker Evans qu‟elle a rephotographiées dans un
catalogue et qu‟elle expose ainsi (After Walker Evans). On a désigné la méthode de ces
artistes sous le terme d‟appropriationnisme.
On pourrait donc voir dans la Salle Blanche un monument, en tant que sculpture, ou
architecture, dédiée au souvenir du Musée d’Art Moderne Département des Aigles. Elle est
une des seules traces tangibles de ce Musée et sa seule expression plastique, et poétique,
pouvant avoir une existence à peu près autonome. Martin Mosebach, à la fin de son texte
sur le Musée, s‟exprime en ces termes sur la Salle Blanche: « La plus belle de ces œuvres
aujourd‟hui nous apparaît tel un monument fondamental dédié au musée fictif et
[« inner »] que Broodthaers a placé sous l‟égide de l‟aigle ».71
Mais on pourrait aller plus
loin et désigner la Salle Blanche comme un manifeste du Musée : « Manifeste : n.m. 2.
Déclaration écrite, publique et solennelle faite par un groupe politique, un gouvernement,
un chef d‟État, pour exposer une doctrine ou expliquer sa ligne de conduite. Par analogie :
Déclaration publique par laquelle un groupe, un mouvement artistique, expose ses idées. »
71 M. MOSEBACH, Op. Cit. p. 177. Traduction personnelle. Version originale :
“The most beautiful of these works today emerges as the essential monument to the fictitious, inner museum
which Broodthaers had placed under the aegis of the eagle.”
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(Dictionnaire de la langue française, Encyclopédie Bordas). Cette œuvre à présent
publique et appartenant même au domaine publique, semble bien nous déclarer, grâce à
ses mots, le discours d‟origine de Broodthaers sur son Musée, dont le thème principal, l‟art
comme marchandise, parcourt son travail. Elle porte également en elle le propos
polémique de Broodthaers sur les expositions qui participent de la mise en scène de cette
marchandisation, particulièrement prégnant dans ses Décors.
Lors de notre réflexion sur le titre de l‟œuvre, nous avions soutenu trois idées : la Salle
Blanche porte un nom de couleur comme les autres salles de L’Angélus de Daumier, le
blanc est approprié du fait de la clarté de ses murs de bois. Deuxièmement, ce titre insiste
sur la filiation de l‟œuvre avec la page blanche constellée de mots de Mallarmé, ce point,
que l‟on vient d‟évoquer, étant argumenté plus précisément par la suite dans la toute
dernière partie du développement : la page blanche se dresse devant nous mais en trois
dimensions, tel que le « Livre » l‟installation a une profondeur, et son aspect de cube
évoquerait encore un dé. Finalement la Salle Blanche, du fait aussi de son aspect, nous fait
songer aux espaces d‟exposition neutres et blancs particulièrement en vigueur pour
montrer l‟art contemporain, au sein même d‟une salle de musée. Il serait intéressant
d‟éclairer ces axes avec les morceaux choisis d‟un texte de Paul Sztulman « Décor et
Conquête : Marcel Broodthaers écrit à Joseph Beuys », non publié, écrit pour une
conférence prononcée dans le cadre du colloque sur l‟Œuvre d‟Art Totale, organisé en
février 2004 par l‟Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs et l‟Ecole Normale
Supérieure. La conférence a pour point de départ la lettre ouverte de Broodthaers adressée
à Beuys en 1972 (la lettre est datée du 25 septembre 1972) et contenant une lettre fictive
écrite par Jacques Offenbach à Richard Wagner. Nous nous attachons ici à extraire les
passages analysant le système des Décors et la critique des modalités d‟exposition
contemporaines par Broodthaers, en les commentant, parfois, en fonction de la Salle
Blanche. Cela permet de préciser et de mettre en perspective le sens critique porté par
l‟œuvre ainsi que d‟ouvrir notre développement sur des interprétations essentielles du
travail de l‟artiste. Nous choisissons d‟éluder dans notre propos les réflexions, qui sont en
fait le fil conducteur de cette conférence, sur l‟idéologie de Beuys et leurs comparaisons
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avec les idées de Broodthaers, réticent au concept d‟Œuvre d‟Art Totale et très critique
quant à la position d‟artiste thaumaturge et démiurge que s‟est créée l‟allemand.
Les expositions de Broodthaers, qui convoquent souvent l‟objet quotidien « revu » ou
modifié, sont considérées comme une critique même de l‟exposition ; mais de quels types
d‟exposition et dans quelle mesure ? Commentant le texte de la première exposition de
Marcel Broodthaers, Paul Sztulman va plus loin que nous dans son analyse et propose une
riche comparaison entre le principe de l‟objet comme œuvre chez Duchamp et le statut de
l‟objet chez Broodthaers, qui est un statut critique en soi. Comment ne pas citer Duchamp
lorsqu‟il est question de l‟objet dans l‟art ? « Si Marcel Duchamp avait révélé avec le
ready-made, que le processus fondamental de l‟art moderne était une sorte de
transsubstantiation de l‟objet en œuvre, le texte de Broodthaers renversait cette ironie
aristocratique et soulignait que la transformation magique qu‟opère la désignation « art »,
permise par l‟exposition et la vente, mortifie en fait l‟œuvre en objet marchand. » Cette
transformation est alors bien sûr illustrée par le Pense-Bête, dont aucun spectateur n‟avait
cru bon de lire le texte : après tout, ils ont sous les yeux une sculpture-objet. Ainsi, pour
Broodthaers, la loi de l‟exposition moderne est la suivante : « plus l‟objet est vide de sens,
plus il peut partir à la conquête de l‟espace. » D‟où sa déclaration : « En fait, je ne crois
pas qu‟il soit sérieux de définir l‟Art et de considérer la question sérieusement, sinon au
travers d‟une constante, à savoir la transformation de l‟art en marchandise […] S‟il s‟agit
du phénomène de la réification, l‟Art serait une représentation singulière de ce
phénomène, une sorte de tautologie. » Alors, Brooodthaers voit « dans la loi de
l‟exposition moderne tous les objets à égalité au rang de marchandise, [ils] ont d‟abord un
rapport au Capital qui les a produit et les fait circuler (…) Comme il voyait ce processus
de réification de l‟art comme inéluctable (puisque inhérent à l‟art), il allait faire de cette
opération de réification le principe même de son travail en soulignant le rôle capital de
l‟exposition. » À exposer des objets, Broodthaers signifie la réification de l‟art, orchestrée
par l‟exposition. Car si l‟exposition semble adopter un simple langage de monstration des
œuvres, c‟est pour mieux cacher un second langage, celui là au service de « l‟industrie
culturelle. »
Dans les Décors, Broodthaers s‟emploie alors à « montrer qu‟il montre. » Par ailleurs,
Paul Sztulman souligne que ceux-ci sont « teinté[s] de nostalgie pour l‟esthétique du XIXe
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siècle (…) Il y eut en effet au XIXe siècle une assomption du décor : intérieur privé, zoo,
musée, jardin, exposition universelle. » En ce qui concerne la Salle Blanche qui, comme
on l‟a supposé dans le premier chapitre, serait un décor dans le Décor, elle pourrait aussi
véhiculer cette nostalgie, si l‟on considère son accrochage historique alors qu‟elle est une
« installation » contemporaine, mais à appréhender comme un tableau.
D‟autre part, le cube blanc, à l‟aspect de scène vide, de cette œuvre, pourrait encore être
apparenté à une remise en question plus globale, par Broodthaers, des modalités
d‟exposition contemporaines émergeant dans les années 70. La mouvance est, selon
Daniel Buren, « l‟exposition d‟une exposition ». En effet, à cette époque, les espaces
blancs immaculés sont préférés pour présenter les œuvres. « À l‟origine, la neutralité du
cube blanc (…) avait pour fonction de mettre en évidence l‟œuvre exposée au sol ou au
mur sans la parasiter par le décor de la salle d‟exposition. Très vite les artistes prirent
conscience que cet espace purifié était la première condition de l‟œuvre. Pour le conquérir,
ils projetèrent leurs œuvres dans l‟espace réel en les destituant de leur socle ou en leur
faisant franchir les frontières du tableau. Du coup, elles ne se tenaient plus dans le cadre
idéel de la représentation mais dans le cadre réel de la salle d‟exposition où se tenait aussi
le visiteur. (…) Dans un article célèbre, le critique Michael Fried avait d‟ailleurs qualifié
l‟art minimal de théâtral en cela qu‟il « extorque la complicité du spectateur »72
tandis que
l‟utopie moderniste qu‟il défend est celle d‟une œuvre d‟art qui traite le spectateur comme
s‟il n‟était pas là ; une œuvre autonome, c„est-à-dire toujours égale à elle-même, inaltérée,
quel que soient ses conditions d‟exposition. » Or, notre œuvre est impénétrable, le
spectateur ne peut devenir acteur de la Salle Blanche, pourtant vide et semblant appelée à
être occupée. Et l‟on retrouve cette idée d‟autonomie, pressentie lorsqu‟on a observé
l‟œuvre montrée aujourd‟hui dans des expositions collectives. Mais la salle a aussi
l‟aspect d‟un décor factice :
« Le titre dévalorisant de « décor » était donc une provocation adressée au lexique
moderniste (…) En parlant de décor, Broodthaers entérine à son tour la primauté de
l‟exposition mais la rapporte à cela même dont le cube blanc avait voulu se débarrasser,
sans prévoir que sa nudité allait rendre précisément visible la manière dont l‟œuvre vient
se loger en lui et le transfigurer (ou le décorer). Le fonctionnalisme du cube blanc, en
72 Michael FRIED, « Art & Objecthood », Artforum, juin 1967.
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croyant se libérer de toute surcharge décorative et émanciper l‟œuvre de toute attache trop
spécifique pour l‟offrir à une contemplation nue, dressait en fait la scène d‟un nouveau
décor, qui n‟est pas sans rapport avec la technique du pouvoir moderne, qui dissimule elle
aussi les signes visibles de la coercition. Bref, le cube blanc était l‟emblème de la nature
inapparente de l‟idéologie selon Broodthaers et l‟on comprend qu‟en l‟envoyant dans le
décor il voulait rendre cette dernière inefficace. » Paul Sztulman nous dit également que
dans ce cube blanc, Broodthaers voit ressurgir la page blanche de Mallarmé. Or
« l‟opposition de Broodthaers à l‟art de son époque se fonde sur le fait que la
théâtralisation du cube blanc par ses collègues n‟est pas littéraire mais littérale. C‟est un
théâtre sans langage, de l‟ordre de la visualité pure. Or qu‟est-ce qu‟une théâtralité sans
parole si ce n‟est un décor ? » Quant à la Salle Blanche, sur ses murs, s‟écrivent des mots,
selon une libre typographie…
Pour terminer, nous voulons souligner certaines pistes qu‟il serait intéressant de préciser
et ouvrir sur une nouvelle recherche. Premièrement, l‟étude de la Salle Blanche et du
corpus des œuvres couvertes de lettres et de mots n‟est pas détaillé ici, comme les lettres
ouvertes n‟ont pas été exploitées dans le détail. Puis, il faudrait pouvoir visionner le film
de Broodthaers sur la Section XIXe
siècle, La Discussion et celui de Jef Cornelis sur le
même sujet réalisé en 1974 pour la BRT. Où sont-ils conservés ? La même question se
pose pour les cartes postales de la Section XIXe siècle. Les réponses attendues sur le statut
de la « copie de voyage », après l‟envoi de la lettre à Maria Gilissen, nous ouvriront peut-
être de nouvelles perspectives. Pourrons-nous voir cette « copie », du moins dans le cadre
d‟une exposition se tenant hors du Musée national d‟art moderne ? D‟autre part, il paraît
important de rédiger une fortune critique de l‟œuvre, en lien avec certaines Sections du
Musée et avec les Décors, ce que nous n‟avons pas eu le temps de faire précisément dans
le cadre de ce mémoire d‟étude. Or, les problématiques soulevées par Broodthaers sont
très actuelles et il faut le souligner. Enfin, certains articles de presse, cités dans le dossier
de l‟œuvre, méritent d‟être consultés.
On pourrait élargir notre étude à celle de L’Angélus de Daumier, en prenant comme point
de départ le reportage photographique réalisé autour de celle-ci par Jacques Faujour, alors
photographe du Musée national d‟art moderne, et conservé à la Bibliothèque Kandinsky.
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Alors, pourquoi ne pas énumérer les œuvres, établir leur place au sein de l‟exposition
(pourquoi ne pas tenter de dresser un plan de l‟exposition ?), déterminer leur lieu de
conservation actuel et éventuellement retracer leur parcours avant cette manifestation
(Brodthaers les a-t-il, ou non, créées pour une exposition et si oui laquelle ?...etc.). Ces
travaux qui sont souvent des objets, sont-ils encore considérés comme des « œuvres » par
la famille de l‟artiste ? Cela permettrait peut-être de préciser le sens du titre de
l‟exposition, qui reste encore « flou », au regard de l‟ensemble des œuvres. De cette façon
se préciseraient l‟appréhension et la compréhension des références culturelles de
Broodthaers telles que sa lecture de Roland Barthes, ou son goût pour les séminaires de
Lucien Goldmann, pour n‟en citer que deux.
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Bibliographie
Catalogues d‟exposition
Expositions monographiques
>Marcel Broodthaers, cat. exp. Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume, Madrid, Museo
nacionale Reina Sofia, sous la direction de DAVID, Catherine et DABIN, Véronique,
Paris : éditions du Jeu de Paume, 1991, 325 p.
Rétrospective. Catalogue d’exposition complet, clair et bien construit, que j’ai
essentiellement exploité. Avantage : ouvrage chapitré au rythme des expositions de
l’artiste, les œuvres étant ainsi replacées dans leur contexte d’origine (beaucoup de
reproductions des salles des expositions montées par Broodthaers.), ce qui m’a beaucoup
aidé pour comprendre la démarche de l’artiste. Biographie. Bibliographie. Liste des
expositions auxquelles l’artiste a participées. Répertoire de ses œuvres, films, éditions,
écrits, conférences… Inconvénient pour suivre le parcours de la Salle Blanche : il date de
1991.
>Marcel Broodthaers, cat. exp. Minneapolis, Walker Art Center, New York: Rizzoli
Minneapolis, MN: Walker Art Center, 1989, 223 p.
Catalogue qui complète, sur certains points, celui de la Galerie nationale du Jeu de
Paume, surtout grâce à ses textes critiques. La partie documentaire sur le Musée de
Broodthaers et sur les Décors est moins fournie, moins précise (textes et photographies
reproduites) ; elle présente moins de sections du Musée et moins de Décors. Même
principe : chapitré au rythme des expositions de Broodthaers. Bibliographie.
> Marcel Broodthaers (1924-1976), cat. exp. Berne, Kunsthalle, Bern : 1982, non paginé.
> Marcel Broodthaers, cat. exp. Stockholm, Moderna Museet, Stockholm : 1982, 52 p.
J’ai consulté les catalogues de l’exposition de Berne et de Stockholm uniquement pour
vérifier si la Salle Blanche y était présentée, lorsque j’ai retracé son parcours. J’ai
observé la reproduction de l’œuvre, vérifié sa présence, ou non, dans la liste des œuvres
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(lorsqu’il y en a une) et relevé la liste des prêteurs : en 1982, on ne sait pas si c’est la
Salle Blanche, ou sa « copie de voyage », qui est montrée au public.
>Marcel Broodthaers, cat. exp. Londres, Tate Gallery, Londres : Tate Gallery, 1980, 126
p.
Première rétrospective consacrée à l’artiste. Catalogue dont j’ai tiré peu d’informations
concernant la Salle Blanche. Catalogue non chapitré. Œuvres présentées, sous forme de
planches, une à une : pas de reproductions des espaces d’exposition de l’artiste.
Bibliographie.
>L’Angélus de Daumier, cat. exp. Paris, Centre national d‟art contemporain, Paris : Centre
national d‟art et de culture Georges Pompidou, Musée national d‟art moderne, 1975, 2 vol.
32 p.
Ce catalogue semble être le dernier conçu par Broodthaers. Volume I : projet ; Volume
II : édité après l’ouverture de l’exposition. Les quelques textes de ces deux volumes,
comme les illustrations du volume I, sont fidèlement rapportés dans le catalogue de la
rétrospective Marcel Broodthaers à la Galerie nationale du Jeu de Paume. Néanmoins, les
vues des espaces du Centre national d’art contemporain, ainsi que les œuvres reproduites,
sont plus nombreuses dans le volume II de L‟Angélus de Daumier que dans l’édition de la
rétrospective parisienne. Texte d’ouverture de Pontus Hulten. À la fin du volume : liste
des livres et des éditions établie par Marcel Broodthaers (cela est précisé), ainsi qu’une
liste des prêteurs.
Expositions collectives et thématiques
>L’ACTION RESTREINTE : l’Art moderne selon Mallarmé, cat. exp. Nantes, Musée des
Beaux-Arts, Barcelone, Musée d‟art contemporain (MACBA), Paris : Hazan, 2005, 335 p.
La Salle Blanche n’est pas montrée dans cette exposition mais celle-ci propose un choix
d’œuvres de Broodthaers. Problématique de l’exposition : l’influence de Mallarmé sur
l’art moderne et contemporain. Les conférences de Jean-François Chevrier au Musée des
Beaux-Arts de Nantes et au Musée d’art contemporain de Barcelone, retranscrites au
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début de cette édition, ont été d’une grande aide pour appréhender, rapidement, la
poétique mallarméenne, ainsi que pour comprendre ce que Broodthaers retient du travail
de Mallarmé et l’attachement qu’il éprouvait pour le poète. C’est essentiellement ce que
j’ai exploité ici.
>Les années 70 : l’art en cause, cat. exp. Bordeaux, Centre d‟art plastique contemporain
(CAPC)-Musée d‟art contemporain, RMN, 2002, 416 p.
Catalogue permettant d’avoir une approche générale du contexte artistique (et de ses
enjeux) dans lequel évolue Broodthaers, en particulier lorsqu’il crée sa Salle Blanche.
Divisé en cinq catégories : le corps, la matière, la surface, l’espace, le texte. Cette
dernière catégorie m’a plus particulièrement intéressée : elle évoque la Salle Blanche et
l’utilisation du langage pratiquée par Broodthaers. Plus loin, un commentaire consacré à
l’œuvre donne le contexte de sa création.
>50 espèces d’espaces, cat. exp. Musées de Marseille, RMN et Centre Georges
Pompidou : 1998, 143 p.
Catalogue édité dans le cadre des expositions « hors les murs » organisées par le Musée
national d’art moderne-Centre Georges Pompidou. Le texte introductif propose une
définition de la notion d’espace et tente d’esquisser celle « d’installation ». Dans ce
cadre, une réflexion est développée sur la Salle Blanche, à partir de laquelle j’ai pu
m’interroger.
>Marcel Broodthaers : L’Architecte est absent - Le Maçon, cat. exp. Bruxelles, Fondation
pour l‟Architecture, Bruxelles : Fondation pour l‟Architecture, 1991, 119 p.
Exposition sur le thème de l’architecture dans l’œuvre de Broodthaers. Catalogue
organisé selon les textes critiques, à la suite desquels les œuvres sont présentées ; avec
d’autres, la Salle Blanche est montrée après le texte « Musée-Museum » de Bartomeu
Marí.
>Der Hang zum Gesamtkunstwerk : Europäische Utopien seit 1800, cat. exp. Zürich,
Kunsthaus, Düsseldorf, Städtische Kunsthalle und Kunstverein für die Rheinlande und
Westfalen, Vienne, Museum moderner Kunst, Museum des 20. Jahrhunderts, Aarau
Frankfurt am Main : Sauerländer, 1983, 511 p.
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Catalogue consulté lorsque je retraçais le parcours de la Salle Blanche au sein de
différentes expositions. Mêmes remarques que pour les catalogues des expositions de
Berne et de Stockholm.
Conférences et Colloques
>SZTULMAN, Paul. « Décor et Conquête : Marcel Broodthaers écrit à Joseph Beuys ».
Conférence prononcée dans le cadre du colloque sur l‟Œuvre d‟Art Totale organisé en
février 2004 par l‟École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs et l‟École Normale
Supérieure. Texte non publié.
Ce texte, outre son intérêt, m’a ouvert des perspectives d’interprétation concernant la
Salle Blanche. Il m’a permis de mieux cerner, et de préciser, la pensée de Broodthaers, le
point de vue critique qu’il portait sur ses contemporains et sa façon de l’exprimer ou de le
mettre en œuvre.
>Broodthaers, Conférences et colloques, Paris : éditions du Jeu de Paume, 1992, 116 p.
Textes lus : «Lettres ouvertes, poèmes industriels », Benjamin Buchloh ; « ‘Figures’ : un
décor », Philippe Cuenat ; « Poésie », Remo Guidieri ; « Redites et ratures-les objets de
l’alphabet », Birgit Pelzer. Ces textes m’ont parfois donnée une interprétation de ce que
j’avais pu entrevoir ou analyser. Ils offrent un recul critique non négligeable sur l’Œuvre
de Broodthaers.
Site internet
>Antagonisms. Case studies, exposition au Musée d‟art contemporain de Barcelone
(MACBA), 2001, site internet du MACBA, www.macba.es/antagonismos/english.html
En attendant de trouver le catalogue, j’ai consulté ce site consacré à l’exposition. Aucune
édition ne semble avoir été réalisée pour cette exposition (Source : catalogue de la
Bibliothèque Kandinsky).
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Lectures connexes
> De plomb, d’encre & de lumière, Essai sur la typographie et la communication écrite,
Centre d‟étude et de recherche typographiques, Paris : Imprimerie nationale, 1982, 342 p.
Essai rapidement examiné afin d’y trouver le type de graphie pouvant correspondre à
celle des mots de la Salle Blanche.
>MALLARMÉ, Stéphane. Divagations, « Crise de vers » et « Le Mystère dans les
Lettres ». Paris : Le Livre de Poche, Classiques de Poche, 2005, 439 p.
> MALLARMÉ, Stéphane. Un coup de Dés jamais n’abolira le Hasard, Paris : Le Livre
de Poche, Classiques de Poche, 2005, 439 p.
Des écrits que j’ai appréciés lire et découvrir. Ils m’ont permis de mieux saisir la poétique
de Mallarmé.