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LA RUPTURE DE CARL MENGER AVEC L'CONOMIE CLASSIQUEPierre Le
Masne
Altern. conomiques | L'conomie politique 2002/2 no 14 | pages 96
112 ISSN 1293-6146
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Pour citer cet article
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Pierre Le Masne, La rupture de Carl Menger avec l'conomie
classique , L'conomiepolitique 2002/2 (no 14), p. 96-112.DOI
10.3917/leco.014.0096--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
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LEconomie Politique n 14
Pierre Le Masne,matre de confrences en sciences conomiques
luniversit de Poitiers et chercheur au Gedes
L es historiens de la pense conomique admettent
tradi-tionnellement, y compris lorsquils sont
noclassiques,lexistence, au dbut des annes 1870, dune rupture
mar-ginaliste ou dune rvolution noclassique , partir destravaux de
William Jevons, Carl Menger et Lon Walras.Certains conomistes
insistent sur les lments de continuitentre les classiques et les
noclassiques ou prsentent lecourant autrichien , issu de Carl
Menger, comme un cou-rant diffrent du courant noclassique. Dautres,
se rcla-mant de Menger, se veulent mme htrodoxes ou sontconsidrs
comme tels (Snowden, Vane, Wynarczyk, 1997).Schumpeter ne croyait
pas une opposition entre Mengeret les marginalistes, puisquil
affirme, propos de cetteapproche (1) : Le mrite davoir travaill
systmatique-ment cette thorie, sur le plan o nous nous plaons
main-tenant, devrait aller aux Autrichiens, en particulier Menger,
dont les Grundstze der Volkswirtschaftslehrecontiennent lessentiel.
En effet, si le courant autrichienna pas adopt la dmarche de
lquilibre gnral, il sappuienanmoins sur les hypothses essentielles
du programmenoclassique (Guerrien, 1996).
Cet article montre que Carl Menger a vritablement vouluune
rupture nette avec les conomistes classiques. Son uvreconstitue un
des fondements les plus srs de la dmarchemarginaliste ou
noclassique (2). En inventant la dmarchede lindividualisme
mthodologique, en sparant lconomie
de lthique, de la sociologie et de lhistoire, Menger joue unrle
de premier plan dans le dveloppement dune nouvelle
faon de concevoir lobjet de lconomie et sa mthode. Nikola
La rupture de Carl Menger
avec lconomie classique
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[97]
Relecture
(
Boukharine considrait, au dbut du XXe sicle, lapproche nouvelle
deCarl Menger et Eugen Bhm-Bawerk comme un ensemble dides
conser-vatrices prsentes de faon raffine. Menger rompt
effectivement avec latradition classique et met en avant un
libralisme conservateur, assezdiffrent du libralisme classique.
Rompre avec lconomie classique
Ds le prambule de ses Untersuchungen, Menger insiste sur la
distancequi le spare de Smith, sur le plan scientifique, et sur la
ncessit dunerefonte de lconomie (3) : Le conflit de points de vue
propos de lanature de notre science, de ses tches et de ses
frontires (), commencepar la reconnaissance de plus en plus vidente
que la thorie conomiquetelle que lont laisse Adam Smith et ses
disciples manque de base assure,que mme ses problmes les plus
lmentaires nont pas trouv de solu-tion satisfaisante, et quelle est
en particulier une base insuffisante pourles sciences pratiques de
lconomie nationale et pour la pratique dans cedomaine. Menger
considre que la dmarche de lcole classique na paspermis de fonder
une science, et len a mme dtourne (4) : La thoriede lconomie, telle
que la principalement forme lcole classiqueanglaise, na pas russi
rsoudre de faon satisfaisante le problmedune science des lois de
lconomie ; mais lautorit de son enseignementpse sur nous et empche
le progrs dans les directions o lesprit du cher-cheur a cherch
depuis des sicles, bien longtemps avant linterventiondA. Smith, la
solution du grand problme de la fondation de sciencessociales
thoriques.
Menger reproche Smith son positionnement social ainsi que
sonapproche de la science et de la socit. Smith est trop proche des
philo-sophes de lpoque des Lumires et partage leur projet de
changementsocial (5) : Les thories dA. Smith et de ses successeurs
sont caract-rises par un libralisme rationaliste et unilatral, par
une aspirationinconsidre combattre ce qui existe, par une volont
pas toujours bien comprise de crer quelque chose de nouveau dans le
domaine des
(1) Schumpeter (1983 [1954]), t. 3, p. 255.(2) On ne fait pas de
distinction entre approche marginaliste et approche noclassique,
qui sont deux appellationssuccessives dun mme point de vue.(3)
Menger (1883), p. XIII. Nous traduisons partir de lallemand.(4)
Menger (1883), p. XV-XVI.(5) Menger (1883), p. 207.
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LEconomie Politique n 14
[98])
institutions politiques, sans souvent la connaissance et
lexprience suffi-santes. La critique de Menger contre la dimension
sociale du programmede Smith est particulirement nette dans un
article crit loccasion ducentenaire de la mort du philosophe
cossais. Menger y affirme que lespoints de vue de Smith sont
parfois trs proches de ceux des socialistesmodernes, que Louis
Blanc, Ferdinand Lasalle et Karl Marx sy rfrentsans relche, et que
Smith est trs engag socialement (6) : Adam Smithse situe, dans tous
les cas de conflits dintrts entre les pauvres et lesriches, entre
les forts et les faibles, sans exception du ct de ces
derniers.Jemploie le mot sans exception de faon bien rflchie, car
il ne setrouve pas un seul endroit dans les uvres de Smith o il
dfend les intrtsdes riches et des puissants contre les pauvres et
les faibles.
Contre lapproche trop pragmatique et trop sociale de Smith, quil
consi-dre comme non scientifique, Menger tente de construire une
nouvellescience de lconomie.
Une nouvelle mthode
La vigueur des critiques prcdentes sexplique largement par une
volontde rupture avec les classiques. Ceux-ci sintressent aux
relations cono-miques (la production et la distribution des
richesses) qui existent entre leshommes et les groupes qui
composent leur socit. Ils comparent ces rela-tions avec celles des
socits qui existaient avant eux. Smith sintresse ds lepremier
chapitre de La richesse des nations la division du travail qui
existeentre les ouvriers dune manufacture, ses effets concrets pour
la productivitdensemble de la socit, et voit dans
lapprofondissement de la division dutravail un facteur historique
de laugmentation de la production des pays lesplus avancs (7) :
Aussi cette sparation est en gnral pousse plus loindans les pays
qui jouissent du plus haut degr de perfectionnement : ce qui,dans
une socit un peu grossire, est louvrage dun seul homme,
devient,dans une socit plus avance, la besogne de plusieurs.
Ricardo examine galement les relations entre production et
distribu-tion au sein dune communaut, comme le montre le dbut de sa
prfacedes Principes (8) : Les produits de la terre, cest--dire tout
ce que lonretire de sa surface par les effets combins du travail,
des machines et descapitaux, se partagent entre les trois classes
suivantes de la communaut :les propritaires fonciers, les
possesseurs des fonds ou des capitaux
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[99]
Relecture
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ncessaires pour la culture de la terre, les travailleurs qui la
cultivent. ()Dterminer les lois qui rglent cette distribution, voil
le principal pro-blme en conomie politique. Le versement des
salaires, de la rente oulapparition du profit sont des phnomnes
conomiques qui se situentdans des socits o existent des classes
sociales et o ces oprationsconcrtisent leurs rapports. Lanalyse
conomique est lie ce quonappelle aujourdhui une sociologie . Le
discours conomique est situdans une socit prcise, mme si, comme le
remarque Marx (9), les clas-siques ont tendance naturaliser le
systme dans lequel ils vivent et en faire le seul systme moderne
possible.
Les approches classiques envisagent, dune part, les rapports
entre lasocit et la nature, dautre part, les rapports entre les
hommes dans ceprocessus : lhomme a une histoire parce quil
transforme la nature, dunemanire spcifique et diffrente des
animaux. Maurice Godelier (1984)montre que cette conception est
celle de Mirabeau et Quesnay, de Smith, deDarwin, et quelle sera
reprise par Marx. Pour Quesnay, lhumanit passepar une srie de
stades en fonctionde ses niveaux de comptence exercer son action
collective sur lanature (10) : Les hommes se sontrunis sous
diffrentes formes desocits, selon quils y ont t dter-mins par les
conditions ncessaires leur subsistance, comme la chasse,la pche, le
pturage, lagriculture,le commerce, le brigandage ; de l se sont
formes les nations sauvages,les nations ichtyophages, les nations
ptres, les nations agricoles, lesnations commerantes, les nations
errantes, barbares, scnites et pirates.
Le travail dtermine la valeur dune marchandise, et Ricardo
affirme (11) : La valeur dune marchandise, ou la quantit de toute
autre marchandise
Il ne se trouve
pas un seul endroit
dans les uvres de Smith
o il dfend les intrts
des riches et des puissants
(6) Menger (1891), p. 223.(7) Smith (1995 [1776]), p. 40.(8)
Ricardo (1977 [1821]), p. 19.(9) Pour Marx (1972 [1859]), p. 150,
les conomistes ont une singulire manire de procder (). Les
institutionsde la fodalit sont des institutions artificielles,
celles de la bourgeoisie sont des institutions naturelles (). En
disantque les rapports actuels les rapports de la production
bourgeoise sont naturels, les conomistes font entendre quece sont l
des rapports dans lesquels se cre la richesse et se dveloppent les
forces productives conformment aux loisde la nature. () Ainsi il y
a eu de lhistoire, mais il ny en a plus .(10) Quesnay (1958
[1767]), p. 924-925.(11) Ricardo (1977 [1821]), p. 24.
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LEconomie Politique n 14
[100])
contre laquelle elle schange, dpend de la quantit relative de
travail nces-saire pour la produire et non de la rmunration plus ou
moins forte accorde louvrier. La thorie de la valeur est objective,
et non subjective, comme levoudront les marginalistes. Lutilit des
biens (qui fait lobjet dune valuationsociale, et non individuelle)
nexplique pas la valeur, et Ricardo ajoute : Cenest donc pas
lutilit qui est la mesure de la valeur changeable, quoiquellelui
soit absolument essentielle.
Si le march joue un rle important dans lconomie classique, il
est loindtre omniprsent dans le discours, comme il le deviendra
avec les noclas-siques. Dans La richesse des nations, en un millier
de pages environ, Smithnutilise le mot march qu une quarantaine de
reprises. La proccupationgnrale des classiques est celle du
processus historique de laccumulation
du capital. Ils souhaitent une crois-sance plus forte de la
production, defaon mieux satisfaire les besoinsfondamentaux de la
population et desdiffrents groupes sociaux qui lacomposent. Ceci
apparat assez clai-rement dans la dfinition que Smithdonne de
lconomie (12) : Consi-dre comme une branche de lascience dun homme
dEtat ou dun
lgislateur, lconomie politique se propose deux objets distincts
: premire-ment, procurer au peuple une subsistance abondante ou un
revenu abondant,ou plus exactement mettre les gens en tat de se
procurer une telle subsis-tance ou un tel revenu ; et deuximement,
assurer lEtat ou la collectivit unrevenu suffisant pour les
services publics. Pour Smith, la question des fins,du bien de
lhomme et du bien public, oriente le projet scientifique de
lco-nomie politique. Lconomie politique est une science. Mais, loin
dtre unescience de la nature, elle est une science morale et
politique, qui vise un cer-tain nombre dobjectifs humains et fait
intervenir des valeurs.
Le changement dobjet scientifique de Carl Menger
La problmatique de Carl Menger rompt avec lapproche prcdente
;cette rupture, prpare par une longue volution, aboutit une
nouvelledmarche au dbut des annes 1870. Menger se centre de faon
nouvellesur les rapports de lhomme (en tant quindividu isol) avec
ses besoins. Il
Pour Smith,
lconomie politique,
loin dtre une science
de la nature, est une science
morale et politique
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[101]
Relecture
(
note ds le dbut du premier chapitre des Grundstze (13) : Le
point dedpart de toutes les recherches thoriques concernant
lconomie est lanature de lhomme comme tre de besoin. Sans besoins,
il ny auraitaucune conomie, aucune conomie nationale, aucune de ces
sciences(). La thorie des besoins (la reconnaissance et la
comprhension deleur nature) est dune importance fondamentale pour
les sciences de lco-nomie, et cest en mme temps la passerelle qui
mne des sciences de lanature, en particulier la biologie, aux
sciences de lesprit en gnral et auxsciences de lconomie.
Menger distingue soigneusement les pulsions et les dsirs (qui
sont uneexpression insuffisante de la nature de lhomme) des besoins
de lhomme.Les besoins sont lexpression de sa nature (14) : Les
besoins humains nesont pas le produit de larbitraire, mais sont
donns par notre nature etpar les circonstances dans lesquelles nous
nous trouvons (). Les besoinshumains ne sont pas un produit de
linvention, ils sont dcouvrir etdeviennent ainsi les objets de
notre effort de connaissance. Cette circons-tance a pour effet que
lerreur, lignorance et les passions influencent laconnaissance
correcte des besoins, troublent, retardent et ralentissent
leursprogrs. Pour cette raison, il y a dans lconomie humaine, ct de
nosvrais besoins, des besoins invents, qui ne sont pas vraiment
dans la naturedu sujet comme tre de besoin, cest--dire fonde par sa
position demembre dune association sociale, mais qui sont seulement
le rsultatdune connaissance insuffisante des exigences de sa nature
et de sa posi-tion dans la socit humaine. Le concept d conomie
humaine , enfait dconomie individuelle, doit tre soulign, car il
indique que lco-nomie se recentre sur les individus. La mthode de
lindividualisme mtho-dologique est l, bien que Menger nemploie pas
le mot.
Menger estime possible darriver une connaissance en profondeur
dela nature humaine (15) : Lorientation exacte de la recherche
thoriquedans le domaine des phnomnes sociaux et ce nest que par
rapport cette orientation que le dogme de lintrt individuel peut
tre voqu a,comme nous lavons dj dit plus haut, la tche de rduire
les phnomneshumains lexpression des forces et pulsions premires et
gnrales de la
(12) Smith (1995 [1776]), p. 481.(13) Menger (1923), p. 1.(14)
Menger (1923), p. 4.(15) Menger (1883), p. 77.
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LEconomie Politique n 14
[102])
nature humaine. Elle a la tche de comprendre quelle
organisationconduit le jeu libre, et non influenc par dautres
facteurs (en particulierlerreur, lignorance de la situation et la
pression extrieure) des tendancesfondamentales individuelles de la
nature humaine. Lconomie, ayant unobjet thorique (la nature humaine
dans ses rapports avec les besoins),devient une science thorique.
Connaissance de la nature humaine et desbesoins et science de
lconomie progressent paralllement.
Les biens qui permettent de satisfaire des besoins humains sont
ce queMenger appelle des utilits . Il prcise que lutilit nest
pourtant pasune proprit objective des choses, mais plutt une
relation (individuelleou gnrique) des choses dtermines aux hommes
(16) et slve contrele point de vue selon lequel lutilit pourrait
tre apprcie selon des cri-tres thiques ou religieux (17). Lutilit
est subjective, elle nest pas dfi-nie socialement. La volont ne
joue pas de rle dans la fixation du besoinpuisque nos besoins ont
leur racine dans leur nature et sont donc par
consquent en premier lieu pareils cette nature et immdiatement
ind-pendants de notre volont . Lebesoin est enfin trs indpendant
dusystme de production. Menger notepar exemple que le besoin et
laquantit de biens disponibles se fontface chaque priode de
lconomie
humaine comme des grandeurs particulires (18), ce qui suppose
unegrande indpendance des besoins par rapport ce qui est produit
par lasocit. Lattention nest plus focalise, comme dans la tradition
clas-sique (19), sur les interactions
production-consommation-besoin ; elle secentre dsormais sur ltude
des besoins de lhomme et les rapports de cesbesoins aux objets
existants, en laissant de ct les interactions entre leshommes dans
la production et dans la consommation.
Lconomie sintresse aux situations dans lesquelles les biens
dispo-nibles sont infrieurs aux besoins (20) : Lconomie humaine et
la pro-prit ont pour cette raison une origine commune, car elles
ont toutes deuxleur fondement dans le fait quil y a des biens dont
les quantits dispo-nibles sont infrieures aux besoins des hommes.
Ces biens, en considrantles rapports de quantits [dtenus par les
individus] lintrieur dunesocit, rapports quon a voqus plus haut,
deviennent, dans une vritable
Pour Menger,
lutilit est subjective,
elle nest pas
dfinie socialement
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[103]
Relecture
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connaissance, lobjet de notre prvoyance vis--vis des biens
cono-miques. Lconomie devient science de la raret.
Economie humaine et conomie nationale
La notion d conomie humaine permet dtablir les rapports
entrenature humaine et besoins en sintressant lapprciation par un
individudes biens dont il dispose, de ses besoins et des moyens de
les satisfaire.Elle ne traite pas des rapports dun homme aux autres
hommes dans la pro-duction et la consommation, mais concerne
lindividu isol, le RobinsonCruso conomique. Mengerrecourt
frquemment la notiondindividu isol (21), mais aussi des notions
comme un habitantdune fort vierge disposant detroncs darbres , un
individumyope seul sur une le aprs un nau-frage ; il parle aussi de
petitsgroupes, comme les habitantsdune oasis disposant deau et les
habitants dun bateau et disposant de 40 onces de biscuit . Tous
cesexemples sont censs illustrer le problme de lhomme confront
sesbesoins et ses ressources.
La thorie subjective de la valeur de Menger est une consquence
de sathorie des besoins et de son approche individualiste (22) : La
valeur desbiens est fonde par la relation des biens nos besoins, et
ne se trouve pasdans les biens eux-mmes.
Menger reproche Smith de ne pas avoir compris cette nature
indivi-duelle de lconomie (23) : Adam Smith et son cole ont omis de
ramenerles phnomnes compliqus de lconomie humaine, et en
particulier desformes sociales de cette dernire, lconomie
nationale, aux efforts des
La socit devient
un lieu de pure coopration
entre individus,
sans distinction de classes
ou de mtiers
(16) Menger (1923), p. 10.(17) Menger (1923), p. 11.(18) Menger
(1923), p. 46.(19) Sur ce point, voir Meek (1977).(20) Menger
(1923), p. 82.(21) Par exemple, Menger (1923), p. 83 ou p. 104.(22)
Menger (1923), p. 108.(23) Menger (1883), p. 237.
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LEconomie Politique n 14
[104])
conomies individuelles, comme cest le cas dans la ralit des
choses ;ils ne nous ont pas appris comprendre thoriquement ces
choses commele rsultat des activits individuelles. Smith a eu tort
de considrer lco-nomie du point de vue de lconomie nationale, qui
nest pas le niveaupremier de lconomie. Au-dessus de lconomie
humaine, qui est indivi-duelle, se trouve lconomie nationale, qui
rsulte de la composition de diffrentes conomies humaines ; lconomie
nationale, puisquellenest pas individuelle, nest pas elle-mme une
conomie humaine.
Les consquences de la nouvelle dmarche
Du fait que la nouvelle dmarche se centre sur les besoins de
lhommedans le processus de consommation, les problmes de la
productiondeviennent tout fait accessoires ; on est trs loin de
lenqute de Smith sur lefonctionnement concret de la fabrique
dpingles. La microconomie no-classique, dans cette logique, ramnera
ensuite les problmes du produc-teur celui du consommateur . La
problmatique des stades de laproduction et de la succession
historique des systmes conomiques estabandonne.
Il ny a plus darrire-fond sociologique. Les mcanismes
conomiquesne sont plus situs dans des systmes sociaux dtermins ; la
naturalisa-tion des rapports conomiques de la socit existante, que
Marx regrettaitdj chez les classiques, est dsormais gnralise. Comme
le note JoanRobinson (24), une grande diffrence spare les
classiques des noclas-siques. Les noclassiques noncent des lois qui
se veulent de porte uni-verselle, fondes sur les caractristiques
supposes de la nature humaine.Ces lois sappliquent au comportement
de Robinson Cruso comme ceuxqui se manifestent Wall Street. Les
classiques sont proccups par lesproblmes vritables du monde dans
lequel ils vivent, et leurs argumentssont construits par rapport
aux structures et aux comportements rels. Lesnoclassiques (sauf
Marshall, selon J. Robinson) font disparatre cettesociologie
concrte, et la socit devient un lieu de pure coopration
entreindividus, sans distinction de classes ou de mtiers.
La disparition du contexte social conduit llimination de
lexploita-tion conomique. Pour Smith et Ricardo, le profit et la
rente sont un pr-lvement sur le travail (25) ; ces auteurs
admettent que certains groupessociaux vivent du travail dautres
groupes. Avec la nouvelle doctrine, le
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[105]
Relecture
(
profit devient la rmunration dun facteur, le capital, qui nest
plus radi-calement diffrent du travail. Joan Robinson affirme (26)
: La proccu-pation inconsciente derrire le systme noclassique tait
surtout de rele-ver les profits au mme niveau de respectabilit
morale que les salaires. Letravailleur mrite sa paye. Quest-ce que
le capitaliste mrite ? Lattituderaliste des classiques, qui
reconnaissaient que lexploitation est la sourcede la richesse
nationale, a t abandonne (). Etant donn que le capitalest
productif, le capitaliste a un droit sa part. Etant donn que seul
leriche pargne, lingalit est justifie. Joan Robinson voit dans la
thorienoclassique une thorie qui rhabilite le capital, l o
Boukharine consi-dre quelle rhabilite le rentier.
Lconomie nest plus une thorie du circuit, de la croissance et de
sesblocages, comme elle ltait du temps de Quesnay, Smith et
Ricardo. Elledevient une discipline qui sintresse aux comportements
rationnels delindividu plac dans des situations de raret.
Economie, histoire et thique
Dans cette conomie thorique de la rationalit humaine, Menger
estamen restructurer les relations de lconomie avec les
disciplinesjusque-l voisines de lhistoire et de lthique. Il opre
cet effet une ror-ganisation de lconomie.
Ds le premier chapitre des Untersuchungen, Menger opre un
dcou-page assez complexe de ce quil appelle le domaine de lconomie
(27) entrois groupes de sciences, sciences historiques, sciences
thoriques etsciences pratiques de lconomie :
les sciences historiques de lconomie (lhistoire et la
statistique) sin-tressent la nature individuelle des phnomnes
conomiques et leursinteractions ;
la science thorique de lconomie dcrit la nature gnrale et
lesinteractions gnrales des phnomnes conomiques (leurs lois).
Ellecomporte une orientation exacte de recherche et une orientation
empiriquede recherche ;
(24) Robinson (1973), p. 44.(25) Menger (1891), p. 224, reproche
Smith de considrer le profit du capital comme un prlvement sur le
produitdu travail.(26) Robinson (1962), p. 57-58.(27) Menger
(1883), p. 8-9.
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[106])
les sciences pratiques de lconomie recherchent et dcrivent les
prin-cipes daction adapts dans le domaine de lconomie, en fonction
de la diver-sit des conditions ; ce sont la politique conomique et
la science de la finance.
Menger appelle enfin conomie politique (politische Oekonomie)
leregroupement des sciences thoriques et des sciences pratiques de
lco-
nomie. Les sciences historiques nefont pas partie de lconomie
poli-tique, mais appartiennent nanmoinsau domaine de lconomie.
Lthiqueintervient dans les comportementsindividuels rels, et donc
dans lessciences historiques de lconomie.Mais, selon Menger, elle
nintervientpas dans lconomie politique, ni
dans la science thorique, ni dans les sciences pratiques de
lconomie.Les raisons de la coupure avec lhistoire et avec lthique
mritent dtreexpliques plus en dtail.
La mise distance de lhistoire
Lhistoire, aborde sous langle de lhistoire conomique, nous
dcritles diffrents comportements conomiques passs. Elle peut, dans
ce sens,constituer une base de donnes pralable, un matriau utile
pour analyserconcrtement les comportements empiriques ; cest ce qui
explique quellefasse partie du domaine de lconomie . Mais, une fois
analyss lescomportements conomiques empiriques, lhistoire ne joue
pas de rle auniveau suprieur des lois de lconomie politique, et est
donc exclue de lascience thorique de lconomie.
Lapproche des classiques fait directement intervenir lhistoire,
en tantque matriau nous permettant de mieux comprendre les
comportementsindividuels et sociaux, de mieux distinguer les bonnes
institutions desmauvaises. Smith, dans La richesse des nations,
consacre de trs longsdveloppements aux causes historiques du progrs
dans les diffrentesnations (livre III), lhistoire du systme
colonial (livre IV) ; il en dduitun certain nombre denseignements
sur les rgles quil est conseill desuivre, sur les institutions qui
favorisent la richesse. Lhistoire nest passeulement une base pour
dgager des lois conomiques gnrales.
Selon Menger,
lhistoire est exclue
de la science thorique
de lconomie
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Relecture
(
Pour Menger, les sciences thoriques, comme lconomie, sintressent
la nature gnrale des phnomnes et aux relations gnrales entre
cesphnomnes, tandis que lhistoire nous prsente seulement la nature
indi-viduelle des phnomnes et les relations individuelles entre les
phno-mnes (28). Si ltude de lhistoire peut tre utile lconomiste, la
sciencesociale ne peut tre le rsultat de gnralisations historiques
: Mengerreproche Saint-Simon, Auguste Comte, mais aussi Stuart Mill
dtretomb dans ce travers, qui caractrise galement lcole historique
alle-mande (29). Il considre quil nefaut pas confondre les
parall-lismes de lhistoire conomique avec les vritables lois de
lcono-mie, et reproche toute une sriedauteurs Turgot,
Condorcet,Michelet, Vico dtre tombs dansune philosophie de
lhistoire (30).Menger reproche aux crivains fran-ais des Lumires
davoir spciale-ment manqu de sens historique etestime que les
historiens de la Rvolution franaise ntudient pas srieu-sement les
institutions quils attaquent (31). Lhistoire ne peut remplacerles
lois dgages de ltude de la nature humaine, qui sont lessence
detoute science sociale : Menger cite et approuve Sismondi, qui
fonde lco-nomie politique sur cette connaissance de la nature
humaine.
Le refus dun raisonnement historique, ainsi que celui dune
rationalitde lhistoire, amne Menger insister sur le rle des actes
inintentionnelsdans la formation des institutions. Si Menger admet
que les institutionsconomiques peuvent parfois avoir comme origine
une intention deshommes et un accord pass entre eux (32), il
dveloppe surtout lide queles institutions sont trs souvent le
produit inattendu du dveloppementhistorique. Beaucoup dinstitutions
sociales ne sont pas le rsultat duneintention visant un but dtermin
: Menger voque ce propos la mon-naie, le droit, la langue, le march
et lEtat (33).
Menger dveloppe
lide que les institutions
sont trs souvent
le produit inattendu
du dveloppement
historique
(28) Menger (1883), p. 122.(29) Menger (1883), p. 124.(30)
Menger (1883), p. 128-129.(31) Menger (1883), p. 195.(32) Menger
(1883), p. 143 et p. 161-162.(33) Menger (1883), p. 141.
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LEconomie Politique n 14
Menger accorde une grande importance ces structures sociales
cres organiquement (34) ; il entend les expliquer partir des
phno-mnes individuels. A propos de ces structures sociales et
conomiquesorganiquement cres, comme les prix de march, les
salaires, les tauxdintrt, Menger crit qu elles ne sont pas, en rgle
gnrale, le rsultatde causes sociales tlologiques, mais le rsultat
inintentionnel des innom-
brables efforts individuels des sujetsconomiques poursuivant
leurs int-rts individuels ; leur comprhen-sion thorique et la
comprhensionde leur nature et de leur mouvementpeuvent aussi tre
atteintes demanire exacte en utilisant la mmemthode que pour les
structuressociales voques plus haut, cest--
dire en les rduisant leurs lments, aux facteurs individuels de
leurcause, et en recherchant les lois daprs lesquelles les phnomnes
concer-ns, qui sont compliqus, sont construits partir de ces lments
(35). Ilfaut aborder les institutions partir de la mthode
individualiste, en lesramenant aux objectifs et aux choix des
individus.
Menger affirme sur ce point aussi son opposition Smith, auquel
ilreproche davoir cru que les institutions conomiques sont toujours
le pro-duit intentionnel de la volont commune des membres dune
socit (36) : Dans cette vision unilatrale et pragmatique de la
nature des institutionssociales, les ides dA. Smith et de ses
disciples les plus proches rejoignentcelle des auteurs de la priode
franaise des Lumires en gnral et celledes physiocrates en
particulier. Adam Smith et son cole recherchent sur-tout une
comprhension pragmatique de lconomie, mme lorsque cenest pas adquat
la situation objective ; il en rsulte que le vastedomaine des
structures sociales apparues de faon inintentionnelle resteferm
leur comprhension thorique.
Menger fait lloge de Burke, qui il attribue la comprhension
ducaractre inintentionnel des structures et institutions sociales.
Burke a faitune premire brche dans le rationalisme unilatral et le
pragmatisme delpoque franco-anglaise des Lumires (37). Menger
affirme (38) : Contre ces efforts de lcole de Smith, sest ouvert
notre science unimmense domaine dactivit fructueuse, au sens de
lorientation Burke-
[108])
Il faut aborder
les institutions
en les ramenant
aux objectifs et aux choix
des individus
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[109]
Relecture
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Savigny ; celle-ci nest pas une orientation qui se serait fix la
tche demaintenir ce qui a t cr organiquement comme intangible,
comme sictait la plus haute sagesse dans les affaires humaines
contre lordreintentionnel des conditions sociales. Le but des
efforts dont il est questionici a beaucoup plus t, en gnral, la
pleine comprhension des institu-tions sociales existantes, et des
institutions cres organiquement en par-ticulier, et la conservation
de ce qui a fait ses preuves contre la rechercheunilatrale et
rationaliste de la nouveaut dans le domaine de lconomie.Il
sagissait dempcher la dcomposition de lconomie qui sest dve-loppe
de manire organique, par un pragmatisme partiellement superfi-ciel,
un pragmatisme qui, loppos de lintention de ses
reprsentants,conduit invitablement au socialisme. Le projet de
Smith et de lpoquedes Lumires dbouche sur le socialisme. Menger
condamne ce projet. Leshommes doivent se mfier des transformations
trop volontaires des soci-ts dans lesquelles ils vivent, et laisser
faire les choses. Le discours sur lelaisser-faire est renouvel,
devenant franchement conservateur, et llogede Burke nest pas
fortuit.
Les relations entre conomie et thique
Menger explique son refus de lintervention de lthique en
conomiepolitique dans lannexe 9 des Untersuchungen, intitule Sur la
soi-disantorientation thique de lconomie politique (39) : Les
thories exactesont fondamentalement pour tche de nous faire
comprendre thoriquementles aspects individuels du monde rel et
lconomie exacte de nous fairecomprendre thoriquement les aspects
conomiques de la vie nationale.Une orientation thique de lconomie
thorique exacte ne peut ainsi enaucun cas avoir le sens de nous
permettre en mme temps la comprhen-sion exacte du ct thique et du
ct conomique de la vie nationale, etainsi de vouloir runir les
tches de lconomie et de lthique (). Lasoi-disant orientation thique
de lconomie politique est donc, aussi bienpar rapport aux tches
thoriques quaux tches pratiques de cette disci-pline, un postulat
de recherche obscur et dpourvu de tout contenu pro-fond, un
garement de la recherche.
(34) Menger (1883), p. 165.(35) Menger (1883), p. 182-183.(36)
Menger (1883), p. 200-201.(37) Menger (1883), p. 202.(38) Menger
(1883), p. 207-208.(39) Menger (1883), p. 288-291 (p. 235-237 dans
la traduction anglaise).
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LEconomie Politique n 14
Pour Carl Menger, thique et conomie sont deux disciplines
spares,qui peuvent toutefois sinfluencer lune lautre. Une
orientation thiquede lconomie na de sens pour aucun des domaines de
lconomie. Men-ger sest loign de Smith, qui place encore la science
lintrieur de laphilosophie, comme le faisaient les Grecs, et
considre que la science quiexplique les phnomnes de la nature a d
tre naturellement la pre-mire branche de la philosophie qui ait t
cultive (40). Smith placedans la philosophie morale des sciences
plus spcialises comme la juris-prudence et lconomie politique.
Lconomie et lthique sont troitementlies, mme si lconomie a une
forte autonomie par rapport lthique.Smith sappuie sur un systme
thique particulier, lutilitarisme, qui luipermet de justifier
certaines dcisions conomiques en fonction de leurutilit pour la
socit (Vergara, 2000). Pour Walras, la morale continue jouer un rle
dans lconomie sociale (41). La rupture de Menger aveclthique est au
contraire radicale, et il refuse toute intervention desvaleurs en
conomie.
Conclusion
Menger jette les bases dun projet nouveau et ambitieux pour
lcono-mie. On a insist dans cet article sur un point rarement
soulign : la volontde Menger denterrer le programme de recherche
des classiques.
Menger a influenc de nombreux conomistes au XXe sicle, au-deldu
courant autrichien . Ainsi Lionel Robbins a dfini lconomie en1929
comme la science qui tudie le comportement humain en tant
querelation entre les fins et les moyens rares usages alternatifs
(42). Desgnrations dtudiants ont appris cette dfinition sans
toujours com-prendre quelle tait dorigine noclassique. Pourtant
Robbins assortit sadfinition de lconomie dune note qui renvoie aux
Grundstze de Men-ger. Il adopte aussi la sparation de Menger entre
conomie, thique et his-toire, en affirmant par exemple que
lconomiste ne soccupe pas desfins en tant que telles. Il sintresse
la faon dont est limite la poursuitedes fins. Celles-ci peuvent tre
nobles ou viles (43). Selon Robbins, lascience conomique ne peut
fournir dans sa propre structure de gnra-lisation de normes
valables en pratique. Elle est incapable de statuer sur
ladsirabilit des diffrentes fins. Elle est fondamentalement
distincte delthique (44). La vulgate noclassique du XXe sicle, qui
reprendsouvent des dfinitions de Robbins, savre assez proche de
Menger.
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Le cur du projet de Menger est conomique : dans une approche
quimet distance lhistoire et la sociologie, toutes les structures
de classes ettoutes les formes de domination qui pouvaient en
dcouler disparaissent.Avec labandon de la valeur travail et avec
ladoption de la thorie subjec-tive de la valeur, le rle du capital
dans lconomie est lgitim de faonnouvelle.
Alain Braud (2000, p. 311) parle propos de Menger dun
libra-lisme conservateur . Menger associe effectivement son projet
conomique une attitude conservatrice. Tout auteur noclassique
nadhre pas nces-sairement au programme libral-conservateur de
Menger. Nanmoins, cetteassociation entre conservatisme social et
nouveau programme de rechercheconomique nest pas fortuite, car
lapproche noclassique limine touterflexion sur la domination
conomique.
[111]
Relecture
(
(40) Smith (1995 [1776]), p. 864-865.(41) Lconomie sociale reste
chez Walras un domaine de lconomie o les intentions des hommes et
leurs concep-tions morales peuvent intervenir.(42) Robbins (1947
[1932]), p. 30.(43) Robbins (1947 [1932]), p. 37.(44) Robbins (1947
[1932]), p. 146.
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