UNIVERSITE DE REIMS C H A M P A G N E - D E N N EFACULTE DE
DROIT ET DE SCENCE POLITIQUE
No attribu par la bibliothque
LA RESPONSABILITE INTROUVABLE DU CHEF D7ETATAFRICAIN :ANALYSE
COMPAREE DE LA CONTESTATION DU POUVOIR PRJ3SIDENTIEL EN AFRIQUE
NOIRE FlRANCOPHONE.
(Les exemples camerounais, gabonais, tchadien et togolais).
THESE Pour le Doctorat en Droit public Prsente et soutenue
publiquement parTlesphore ONDO
Le 6 juillet 2005
JURY-M. Daniel BOURMAUD, Professeur de Science politique
l'universit de Pau et des Pays de l'Adour, Rapporteur. -M. Michel
DEGOFFE, Professeur de Droit public l'universit de Reims. -M. Jean
DU BOIS DE GAUDUSSON, Professeur de Droit public l'universit
Montesquieu Bordeaux IV, Rapporteur. -M. Philippe LAUVAUX,
Professeur de Droit public l'universit de Paris II (PanthonAssas)
et l'universit Libre de Bruxelles, Rapporteur. -M. Slobodan
MILACIC, Professeur de Droit public et de Science politique
l'universit Montesquieu Bordeaux IV. -M. Patrick TROUDE-CHASTENET,
Professeur de Science politique l'universit de Poitiers, Directeur
de thse. TOME 1
UNIVERSITE DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNEFACULTE DE DROIT ET DE
SCIENCE POLITIQUE
No attribu par la bibliothque
LA RESPONSABILITE INTROUVABLE D U CHEF D7ETATAFRICAIN :ANALYSE
COMPAREE DE LA CONTESTATION DU POUVOIR PRESJDENTIEL EN AFRIQUE
NOlRE FRANCOPHONE.
(Les exemples camerounais, gabonais, tchadien et togolais).
THESE Pour le Doctorat en Droit public Prsente et soutenue
publiquement parTlesphore ONDO
JURY
-M. Daniel BOURMAUD, Professeur de Science politique l'universit
de Pau et des Paysde l'Adour, Rapporteur.
-M. Michel DEGOFFE, Professeur de Droit public l'universit de
Reims.
-M. Jean DU BOIS DE GAUDUSSON, Professeur de Droit public
I'U~versitMontesquieu Bordeaux IV, Rapporteur. -M. Philippe
LAUVAUX, Professeur de Droit public l'universit de Paris II
(PanthonAssas) et l'universit Libre de Bruxelles, Rapporteur.
-M. Slobodan MILACIC, Professeur de Droit public et de Science
politique YuniversitMontesquieu Bordeaux IV.
-M. Patrick TROUDE-CHASTENET, Professeur de Science politique
l'universit dePoitiers, Directeur de thse. TOME 1
Si nous appelons heureux certains empereurs chrtiens, ce n'est
pas parce qu'ils ont
rgn longtemps, ou qu'ils sont morts d'une mort paisible en
laissant l'empire leurs fils, ou qu'ils ont dompt les ennemis de
l'Etat, ou qu'ils ont pu se garer des ennemis du dedans dresss
contre eux, et en venir bout. Tout cela, toutes ces russites ou ces
consolations de cette vie de misre, certains adorateurs des dmons
ont mrit aussi d'en bnficier ;ils n'ont pourtant rien de commun
avec le royaume de Dieu, ce n'est pas le cas de nos empereurs.
Ainsi en a dcid la misricorde de Dieu, pour que ceux 'qui croient
en Lui ne dsirent pas ces avantages comme s'ils reprsentaient le
souverain Bien. Non, nous disons qu'ils sont heureux, s'ils
commandent avec justice ; si, au milieu des louanges qui les
exaltent et des hommages dont on les salue avec trop de servilit,
ils ne s'enorgueillissent pas et se souviennent qu'ils ne sont que
des hommes ; s'ils mettent leur puissance au service de la Majest
divine pour tendre le plus possible le culte de Dieu ; s'ils
craignent Dieu, s'ils l'aiment, s'ils l'honorent, s'ils prfrent ce
royaume (du ciel) o ils ne redoutent pas de trouver des gaux ;
s'ils sont lents punir, faciles pardonner ; s'ils n'exercent leur
vindicte que par obligation de protger et de diriger l'Etat, et non
pour assouvir des haines personnelles ; s'ils accordent leur
pardon, non pour assurer l'impunit au crime, mais par espoir d'un
amendement chez le coupable ; si, souvent contraints d'user de
rigueur, ils compensent cette obligation par la douceur de leur
mansutude et l'ampleur de leurs bienfaits ; s'ils sont d'autant
plus retenus dans l'ordre des plaisirs coupables qu'ils seraient
plus libres de s'y abandonner ; s'ils prfrent dominer leurs
passions mauvaises plutt que n'importe quelles nations ; et s'ils
font tout cela, non par dsir passionn d'une vaine gloire, mais par
amour d'une ternelle flicit ; enfin, si pour leurs pchs, ils ne
ngligent pas d70fEt-ir Dieu un sacrzce d'humilit, de misricorde et
de prire. Des empereurs chrtiens comme ceux-l, oui, nous les
proclamons heureux, ds ce monde en esprance, plus tard en ralit,
quand ce que nous esprons sera accompli . Saint Augustin, La C t de
Dieu, t. 1, introduction et notes par i Pierre de Labriolle, Paris,
Ed. Garnier Frres, 1957, livre 5, chapitre 25.
DEDICACES
Je ddie ce travail :
A mon dfunt pre Daniel ONDO NDONG, dput sous la deuxime et
cinquime lgislature. J'aurais tant voulu que tu me lises.A ma mre
Anne-Marie ANDEME EDZANG, pour tout ce que je reprsente pour
toi.
A mon pouse Diane La ONDO, pour ses encouragements, sa grande
patience et son soutien moral, spirituel et matriel.A mon grand
fire Franois MEYE M'ONDO, qui a pris cur de financer mes
tudes au-del de mes esprances. A tous mes frres, surs et
amis.
4
REMERCIEMENTS
Ma gratitude va en tout premier lieu -mon directeur de thse, le
Professeur Patrick TROUDE-CHASTENET. Les conseils, les
encouragements et la confiance qu'il m'a prodigus avec une
attention, une patience et une disponibilit jamais prises en dfaut
sont directement l'origine de l'achvement de ce travail.
J7esprequ'il ne regrettera pas trop de m'avoir accord tant de
temps. Je remercie aussi tout le corps enseignant de la Facult et
plus particulirement les Professeurs Jean-Pierre COLIN et
Jean-Claude NEMERY pour leurs prcieux conseils mthodologiques.
Mes vifi remerciements vont galement tous ceux qui m'ont prodigu
des conseils importants et communiqu des documents indits :
Slobodan MILACIC et Jean DU BOIS DE GAUDUSSON, Professeurs
l'universit Bordeaux IV, Jean-Franois MEDARD, Professeur YIEP de
Bordeaux, Daniel BOURMAUD, Professeur l'universit de Pau,
Blaise-Lionel
MEMIAGUE, enseignant chercheur l'universit Omar Bongo de
Libreville. De nombreuses personnes m'ont apport leur soutien
moral, spirituel, matriel et hancier tout au long de ces annes de
thse : la famille ROT-TFFET, Pasteurs Guy BERGAMINI, David PORTER,
Denis BIAVA, Joseph ATTA et familles, MM. et m e s ACADIA,
ROCHETTE, GAND, FEREIRA, AKEWA et LUIZIN, sans oublier mes amis de
la Facult, Herv NGANGUI, Abdoulaye TINE, R u h o D'ALMEIDA, Pggy
ABAKA et Koffi YAPI. Je remercie enfin Michel DEGOFFE, Professeur
l'universit de Reims, David RECONDO, Directeur de recherches 171EP
de Paris, Jean-Barty BACHARAT, Avocat stagiaire au barreau de
Paris, Jean-Pierre ROUFFET, Ingnieur comptable Reims et
JeanChristophe SOUFFLET, Instituteur Reims, qui ont accept de
consacrer une partie de leur temps que je sais d'ailleurs prcieux
la relecture et la critique de parties plus ou moins longues de mon
travail.
LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS
AHRFCADP EDJA LGDJ PUAM PUF
Annales historiques de la Rvolution fianaise Cahiers aEicains
d'administration publique Editions juridiques akicaines Librairie
gnrale de droit et de jurisprudence Presses universitaires
d'Aix-MarseiUe Presses universitaires de France Revue
administrative Recueil des cours de l'Acadmie de droit
international de la Haye Recueil camerounaise de droit Revue de
droit africain Revue de droit public et de la science politique en
France et l'tranger Recueil (camerounaise) de droit et de science
politique Revue fianaise d'administration publique Revue fianaise
de droit administratif Revue fianaise de droit constitutionnel
Revue fianaise d'tudes politiques africaines Revue fianaise
d'histoire des ides politiques Revue fianaise de science politique
Revue gnral de droit international public Revue internationale de
droit compar Revue internationale de science administrative Revue
juridique et politique (indpendance et coopration) Revue politique
et parlementaire Revue de science criminelle et de droit pnal
compar Revue trimestrielle des droits de l'homme Revue universelle
des droits de l'homme,
RARCADI
RCD
Re. Dr. Afric.
RDP RDSP
RFAPRFDA
RFDC RFEPA RFHIP RFSP RGDIPRIDC
RISARJP (IC) RPP
M CRTDHRUDH
6 SOMMAIRE
INTRODUCTION...9
PREMIERE PARTIE : LORGANISATION DEFICIENTE DU SYSTEME DE
RESPONSABILITE PRESIDENTIELLE : LIMPOSSIBLE REVOCATION DU CHEF
DETAT AFRICAIN.52
Titre 1 : La raffirmation de lirresponsabilit
prsidentielle....55
Chapitre 1 : Les fondements intangibles de lirresponsabilit
prsidentielle....58
Section 1 : Le fondement culturel de lirresponsabilit
prsidentielle : rappropriation et dnaturation du sacr par le Chef
de lEtat..59
Section 2 : Les fondements juridique et institutionnel de
lirresponsabilit du Chef dEtat africain..89
Chapitre 2 : Le renforcement de lirresponsabilit
prsidentielle...158
Section 1 : Le laminage du contrle parlementaire....159
Section 2 : Lannihilation des contrles juridictionnel et
dmocratique....194
Titre 2 : La conscration dune responsabilit politique alatoire
du Chef de lEtat...232
Chapitre 1 : Les formes de responsabilit politique du Chef de
lEtat....233
Section 1 : La responsabilit politique exceptionnelle du Chef de
lEtat devant la HCJ.234
7 Section 2 : La responsabilit du Prsident de la Rpublique
devant le peuple...248
Chapitre 2 : La mise en jeu hypothtique de la responsabilit
politique du Prsident de la Rpublique....265
Section 1 : Linopprance de la responsabilit politique
exceptionnelle du Prsident....265
Section 2 : Lalternance prsidentielle empche...284
DEUXIEME PARTIE: LIRRUPTION DE PROCEDES DIVERS DE CONSTESTATION
DU POUVOIR PRESIDENTIEL : DES SOLUTIONS PALLIATIVES ILLUSOIRES A
LIRRESPONSABILITE PRESIDENTIELLE318
Titre 1 : La prolifration des mcanismes de contestation
juridique et politique du Chef de lEtat : des correctifs alatoires
labsence de responsabilit prsidentielle321
Chapitre 1 : La typologie des mcanismes de contestation du Chef
dEtat africain.321
Section 1 : Les mcanismes de contestation maximale ou de
destitution du Chef de lEtat.....322
Section 2 : Les mcanismes de contestation mineure ou de
limitation et de contrle du pouvoir prsidentiel.361
Chapitre 2 : La porte limite des mcanismes de contestation
juridique et politique du Chef dEtat africain....401
Section 1 : Lefficacit socio-politique relative des
mcanismes
8 de contestation du Chef dEtat africain...402
Section 2 : Les limites des mcanismes de contestation du Chef de
lEtat 424
Titre 2 : Le dveloppement des procdures de contestation pnale du
Chef de lEtat : des substituts superftatoires lirresponsabilit
prsidentielle.....471
Chapitre 1 : Les procdures de contestation pnale du Chef de
lEtat473
Section 1 : La responsabilit pnale interne du Chef dEtat
africain......473
Section 2 : La responsabilit pnale internationale du Chef de
lEtat481
Chapitre 2 : Les dficiences de la responsabilit pnale du Chef
dEtat africain.....513 Section 1 : Linefficacit de la mise en jeu
de la responsabilit pnale interne du Chef de lEtat.....513
Section 2 : Les obstacles la mise en uvre de la responsabilit
pnale internationale du Chef dEtat africain.525
CONCLUSION..547
BILBIOGRAPHIE....550
ANNEXES..629
TABLE DES MATIERES..669
9
INTRODUCTION
Le problme politique par excellence nest pas tant la question de
qui dtient le pouvoir,mais du moyen de contrler et de limiter
celui-ci. Le bon gouvernement ne se juge pas laune du petit ou
grand nombre de ceux qui le possdent mais du petit ou grand nombre
des choses quil leur est autoris de faire . Ces propos de Norberto
Bobbio montrent bien que lun des problmes1
essentiels ltablissement dune Rpublique est le contrle et la
limitation du pouvoir (Gewaltbergrebzung) du dirigeant suprme 2 ,
plus prcisment sa responsabilit. Ce problme se pose avec beaucoup
dacuit dans les systmes politiques africains 3 . En effet, la
responsabilit du dirigeant suprme africain, bien que consacre par
les diffrentes Constitutions tudies 4 , apparat pratiquement
hypothtique. La difficult ne semble dailleurs pas spcifique aux
Etats africains 5 . En effet, ainsi que lobserve Adheimar Esmein,
laresponsabilit parat chimrique, presque impossible faire passer
dans la pratique, lorsquelle vise le titulaire mme du pouvoir
excutif .6
Toutefois, cette prsentation densemble de la problmatique de la
responsabilit du Chef dEtat africain reste vague puisquelle ne
permet pas de saisir les diffrents lments qui participent la
comprhension du sujet. Cest pourquoi la prsente tude se propose
danalyser toutes les dimensions thoriques, pratiques, nationale et
internationale de la responsabilit introuvable du Prsident de la
Rpublique. A cette fin, il nous semble ncessaire de fixer
pralablement le cadre thorique et matriel de notre recherche (I).
Une analyse approfondie de celui-ci permet de constater que le
principe de responsabilit prsente un intrt certain. Cela ne peut
tre dmontr que selon une mthode scientifique spcifique
Norberto Bobbio, Libralisme et dmocratie, Paris, Cerf, 1996, p.
70. Joseph Barthlemy note dans le mme sens qu au premier rang des
problmes que soulve ltablissement de la Rpublique, simposent comme
les plus importants et les plus dlicats ceux qui intressent le
pouvoir excutif et notamment sa limitation, in Le rle du pouvoir
excutif dans les Rpubliques modernes, Paris, Giard et Brire, 1906,
p. 5. Dominique Margairaz souligne aussi que les constituants de
lan III, en abordant la question de lExcutif, sont avant soucieux
dlaborer une formule assurant lquilibre des pouvoirs, ou pour
parler dans les termes alors en usage, la balance des pouvoirs , in
La figure de lExcutif pendant les deux ministres Neufchteau , AHRF,
n2, 2003, pp. 81-99, p. 84. Voir aussi, Paolo Colombo, La question
du pouvoir excutif dans lvolution institutionnelle et le dbat
politique rvolutionnaire , AHRF, n1, 2000, pp. 1-26. 3 Nous
entendrons par systmes politiques africains tout au long de cette
recherche, les systmes politiques camerounais, gabonais, tchadien
et togolais. 4 Toutes les Constitutions africaines prvoient la
responsabilit politique exceptionnelle du Chef de lEtat. Voir,
articles 76-79 et 176-182 des Constitutions tchadienne du 16 avril
1962 et du 14 avril 1996 ; articles 34 et 53 de la Constitution
camerounaise du 2 juin 1972 ; articles 126129 de la Constitution
togolaise du 14 octobre 1992 ; articles 62-63 et 78-81
respectivement des Constitutions gabonaises du 21 fvrier 1961 et du
26 mars 1991. 5 Dans cette thse, nous entendrons par Etats
africains, les Etats tudis. 6 Adheimar Esmein, Elments de droit
constitutionnel franais et compar, Paris, Ed. Panthon-Assas, 2001,
p. 138.2
1
10 (II). Ces donnes permettront de dgager la problmatique de la
recherche et de justifier le plan (III).
I-Le cadre thorique et matriel de notre recherche
Pour mieux apprhender notre sujet, il convient de procder dune
part, lanalyse conceptuelle (A) et, dautre part, de dlimiter son
champ matriel ou gographique (B).
A-Lanalyse des concepts
Lanalyse conceptuelle est une dmarche thorique essentielle dans
toutes les branches des sciences sociales 7 . Elle permet de
clarifier des notions aussi incertaines et floues que sont le Chef
de lEtat et la responsabilit .
1/-Le Chef de lEtat
Le concept de Chef de lEtat est rcent en Afrique. Il remonte des
premires Constitutions africaines au dbut des annes soixante. Mais
la notion de chef , elle, est antrieure cette priode. Une analyse
approfondie de lexpression Chef de lEtat veut donc que lon tienne
compte de cette antriorit du mot chef par rapport lEtat au sens
moderne avant de dfinir la notion de Chef de lEtat .
a)-Lantriorit du chef Linstitution de la chefferie 8 est
largement antrieure celle de Chef de lEtat . Le terme chef vient du
latin caput, cest--dire tte. Il sagit de celui, ou de celle qui
exercelautorit sur un groupe, une collectivit, une organisation ;
celui qui en assure la direction .9
En Afrique, la notion de chef est permanente. Elle existe, en
principe, dans toutes les socits traditionnelles pr-coloniales et
ne disparat pas sous la colonisation.
Sur limportance des dfinitions comme pralables analytiques,
voir, Marcel Mauss, Essai de sociologie, Paris, Minuit, 1968, p. 30
; Daniel Gaxie, Sur quelques concepts fondamentaux de la science
politique , in Mlanges offerts Maurice Duverger, Droit,
institutions et systmes politiques, Paris, PUF, 1987, pp. 595 et
suiv. 8 Jean-Jacques Vilandre, Les chefferies en Afrique
occidentale franaise, thse, Droit, Paris, 1975, 70 p. ; Jean-Pierre
Magnant (sous la direction de), La chefferie ancienne. Etudes
historiques sur le pouvoir dans les socits prcoloniales du Tchad.
Daprs les sources orales, Perpignan, Cahier du CERJEMAF, n5,
Presses universitaires de Perpignan, 1994. ; Catherine
Cocquery-Vidrovitch, A propos des racines historiques du pouvoir :
Chefferie et Tribalisme , Pouvoirs, n25, 1983, pp. 51-62. 9 Grard
Cornu, Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 1987, p. 132.
7
11
-Le chef dans les socits pr-coloniales
Lexistence ou non du chef dans toutes les socits traditionnelles
africaines a fait lobjet dune controverse doctrinale importante
ainsi que le montrent les diffrentes typologies tablies par les
ethnologues et les anthropologues. Ces typologies se sont
superposes et compltes quand elles ne se sont pas farouchement
contestes. Les anthropologues britanniques Meyer Fortes et Edward
E. Evans-Pritchard 10 sont les premiers opposer socits Etats et
socits sans Etats . Selon les tenants de cette typologie binaire 11
, en Afrique pr-coloniale, il aurait exist deux types de socits :
des socits a-politiques, archaques , par consquent sans pouvoir
politique, sans chef, et des socits tatiques disposant dun vritable
pouvoir politique et donc dun chef. Cette division diptyque a t
largement conteste par dautres ethnologues et anthropologues.
Georges Balandier la, par exemple, qualifie de dichotomie sommaire
et trompeuse 12 . Hubert Deschamps a, en revanche, propos le
triptyque anarchies , chefferies et Etats 13 . Grard Conac, lui,
critique toutes ces typologies mais retient, comme les autres
auteurs, lexistence de socits sans pouvoir : lAfrique noire
prcoloniale en donnant des socits sanschef dment lopinion trop
catgorique des juristes occidentaux qui aimaient soutenir que de
telles socits archaques ne pouvaient correspondre qu des schmas
thoriques . Et il ajoute: la socit sans chef nest pas du domaine de
lutopie () .14
Les conclusions de ces diffrents auteurs reposent en fait sur
une conception occidentale du pouvoir politique. En effet, en
Occident, le pouvoir est dfini uniquement sous langle de la
relation commandement-obissance. Ainsi, pour Jean-William Lapierre,
le pouvoir politique est la combinaison variable de relations
commandement-obissance (autorit) etdomination-soumission
(puissance) pour lesquelles seffectue cette rgulation . Mais,
de15
nombreux ethnologues et anthropologues 16 ont montr que sils
existent des socits sans Etat, il ne saurait exister de socits sans
pouvoir politique.In Les systmes politiques africains, Institut
international africain, traduit de langlais par Paul Ottino, Paris,
PUF, 1964. Bernard Asso fait partie de ceux-l puisquil distingue
les socits forte compensation du pouvoir des socits faible
compensation du pouvoir , in Le Chef dEtat africain. Lexprience des
Etats africains de succession franaise, Paris, Ed. Albatros, 1976,
pp. 31-38. 12 Georges Balandier, Anthropologie politique, Paris,
PUF, 1967, pp. 8-9. 13 Hubert Deschamps, Les institutions
politiques dAfrique noire, 3e d., Paris, PUF, coll. Que sais-je ? ,
n549, 1970, pp. 13-36. Cette division triptyque est reprise par
Pierre-Franois Gonidec qui distingue la dmocratie pure et parfaite
(socits anarchiques), la monocratie limite et la monocratie
autocratique ou despotique , in Les systmes politiques africains,
1re partie. Lvolution-La scne politique Lintgration nationale,
Paris, LGDJ, Bibliothque africaine et malgache, t. 14, 1971, pp. 31
et suiv. 14 Grard Conac, Le dveloppement administratif des Etats
dAfrique noire , in Grard Conac (sous la direction de) Les
institutions administratives des Etats francophones dAfrique noire,
Paris, Economica, 1979, p. IX. 15 Jean-William Lapierre, Vivre sans
Etat ? Essai sur le pouvoir politique et linnovation sociale,
Paris, Ed. du Seuil, 1977, p. 16. 16 Georges Balandier, ibid., pp.
42 et suiv. ; Jean-William Lapierre, Essai sur les fondements du
pouvoir politique, Paris, Ophrys, 1968, p. 229. Pierre Clastre, La
socit contre lEtat, Paris, Ed. de Minuit, 1974, p. 21.11 10
12 Ainsi, la dfinition selon laquelle la coercition est le
principal attribut du pouvoir politique est largement partielle.
Elle ne tient compte que dune catgorie de socit. Mais, comme le
souligne Bertrand de Jouvenel, il suffit de rappeler que pendant
des sicles, Rome napas connu de fonctionnaires professionnels, na
vu dans son enceinte aucune force arme, et que ses magistrats ne
pouvaient utiliser que quelques lecteurs . Et lauteur poursuit, si
le pouvoir avait alors des forces pour contraindre un membre
individuel de la Communaut, il ne le tirait que du concours des
autres membres . Le pouvoir non coercitif est aussi observ dans les
socits17
amrindiennes tudies par Pierre Clastres. Selon lanthropologue
franais, lide de donnerun ordre ou davoir obir, sauf aux
circonstances trs spciales comme lors dune expdition guerrire est
quelque chose dtranger lIndien . On retrouve ce type de socits
en18
Afrique pr-coloniale. On peut citer, entre autres, les Kabr au
Nord du Togo et les Fangs au Cameroun, au Gabon et en Guine
Equatoriale 19 . Georges Balandier observe, par exemple, propos de
la socit Fang, le manque dune organisation hirarchique, la simple
existence deprminences et labsence dun mot spcial pour dsigner le
chef . Mais, souligne lauteur,20
cette situation ne signifie nullement linexistence dun pouvoir
politique, et plus prcisment dune autorit occasionnelle et
momentane 21 . Dans lensemble, les socits africaines pr-coloniales,
cest--dire les socits davant le premier Clash of civilizations 22
europenne et ngro-africaine en faisant abstraction des diverses
invasions arabes 23 , se caractrisent donc par lexistence dun chef
traditionnel animiste ou islamis qui exerce un pouvoir sacr dont le
contenu est diffrent. Le sacr du chef animiste 24 renvoie une
conception mythique du monde. Le mythe peut tre dfini comme un rcit
mettant en scne des tres surnaturels, des actions imaginaires,des
fantasmes collectifs ; un ensemble de reprsentations idalistes dun
personnage, dun vnement historique qui leur donnent une force, une
importance particulire . Mais pour revtir toute sa25
force, le mythe doit tre cru car il est matire de foi parce quil
pose comme sacr lordre idal etimmuable auquel sallie tout le groupe
. Do cette conclusion de Pierre Ansart, le rcit26
Bertrand de Jouvenel, Du pouvoir. Histoire naturelle de sa
croissance, Paris, Hachette Littratures, 1998, p. 47. Pierre
Clastres, La socit contre lEtat., op. cit., pp. 11-12. 19 Hubert
Deschamps, Les institutions politiques de lAfrique noire, op. cit.,
pp. 18-21. 20 Georges Balandier, Sociologie actuelle de lAfrique
noire, 4e d., Paris, PUF, 1982, p. 137. 21 Ibid., p. 138. 22 Selon
le titre du clbre ouvrage de Samuel P. Huntington, The Clash of
civilizations and the remaking of world order, 1996, traduction
franaise, Paris, Ed. Odile Jacob, 1997. 23 Non pas que ces
invasions nont pas eu une porte imprialiste mais parce que le seul
hritage de cette pntration arabe, lIslam, na pas dtruit totalement
la culture autochtone. 24 Lanimisme est la religion traditionnelle
africaine. Selon Maurice A. Gll cette religion se caractrise par la
croyance dune part, en lexistence dun Etre suprme, immanent mais
inaccessible, premier et unique qui a cr et gouverne lunivers,
dautre part, en des liens indissolubles et permanents, sorte de
flux montants, entre lunivers invisible et le monde des hommes , in
Religion, culture et politique en Afrique Noire, Paris, Economica,
Prsence Africaine, coll. Politique compare , 1981, p. 24. 25
Dictionnaire encyclopdique. Luniversel, Larousse-Bordas/HER 2000.
26 Maurice Kamto, Pouvoir et Droit en Afrique noire. Essai sur les
fondements du constitutionnalisme dans les Etats dAfrique noire
francophone, Paris, LGDJ, Bibliothque africaine et malgache, t. 43,
1987, p. 73.18
17
13mythique apporte le rseau de signification par lequel
sexplique et se pense lordre du monde dans sa totalit ; par le rcit
des origines, le monde physique trouve sa raison dtre et ses
dsignations, par les avatars des hros se trouve explique la
distribution des choses et des tres . Ainsi, parce27
quil est rvlateur de lordre du monde et de lordre des choses, le
mythe rvle et justifie le pouvoir du chef 28 et parce quil est
sacr, il est dot de la force divine qui lgitime tout ce quil
engendre ou institue. Le pouvoir est donc le symbole dun pass
perptuellement prsent. La sacralit du roi ou du chef tmoigne de la
prsence physique permanente des anctres fondateurs du groupe et
donc de leur ternit biologique. Le roi ou chef est sacr parce quil
est la reprsentation, lambassade du sacr, la manifestation concrte
de la transcendance, la vivante incarnation du mythe selon la
formule de Alfred Adler 29 . Cet aspect sacr du pouvoir nentrane
pas, notamment dans les dmocraties pures etparfaites 30
africaines, le despotisme du chef. En effet, labsence de
distinction entre
gouvernants et gouverns fait de lui un leader (meneur) et non un
ruler (gouvernant) 31 . Il est le primus inter pares. Sa fonction
principale est dorganiser et de coordonner des activits communes
telles que la chasse, le dplacement dun camp, la guerre et le
commerce avec les autres communauts. En revanche, dans les
structures tatiques, le chef est le vritable titulaire du pouvoir.
En tant que dpositaire des anctres, il a hrit de leurs prrogatives.
Gardien du culte des anctres, il symbolise la solidarit entre les
morts et les vivants et lunit de la socit. Il est le garant de la
cohsion du groupe et exerce un pouvoir exclusif. Le sacr apparat
ainsi comme le fondement unique sinon principal du pouvoir
traditionnel et comme la indiqu Bernard Asso, la pense politique
semble avoir un besoinintense de terroir, pour enraciner le groupe
dans la terre 32
mais aussi pour se formuler en33
thorie que la loi rituelle et religieuse actualise de faon
incessante , faisant ainsi du chef ou du
roi, un dieu, un ambassadeur des dieux ou le dpositaire sacr des
anctres. A ce titre, il concentre dans ses mains tous les pouvoirs,
excutif, lgislatif, judiciaire et parfois mme religieux. Son
pouvoir est donc, en principe, sans borne, illimit. Dans ces
conditions, le pouvoir ne peut se prsenter que comme
incontestablement hgmonique et gnreux, et le27 28
Pierre Ansart, Idologies, conflits et pouvoir, Paris, PUF, 1977,
p. 23. Sur ces fonctions du mythe, cf., Norbert Rouland,
Anthropologie juridique, Paris, PUF, coll. Droit fondamental ,
1988, pp. 185-189. 29 Alfred Adler, Les mtamorphoses du pouvoir.
Politique et sorcellerie en Afrique , LHomme, n169, 2004, pp. 7-60,
p. 13. 30 Pierre-Franois Gonidec, Les systmes politiques
africaines, 1re partie, op. cit., p. 31. La mme expression est
utilise par Isaac Nguma, Divinits gabonaises, droit et dveloppement
, RJPIC, n2, avril-juin 1985, pp. 95-132, p. 109. 31 Selon les
formules de Isaac Schapera, propos des Bergdama et des Bochimans
dAfrique centrale, cf. Government and politics in tribal societies
, p. 211 cit par Pierre-Franois Gonidec, ibid., p. 32. Pour une
approche moderne de ce rle, voir Jean-Pascal Daloz, Lgitimation
infra-institutionnelle et cultures : plaidoyer pour une refonte de
la thorie du leadership , in Andy Smith et Claude Sorberts (sous la
direction de), Le leadership politique et le territoire. Les cadres
danalyse en dbat, Rennes, PUR, 2003, pp. 91-105, lire pp. 94-97. 32
Bernard Asso, Le Chef dEtat africain, op. cit., p. 21. 33 Dicko
Akwa, Religion de Nyambe et civilisation africaine , in Colloque de
Cotonou : Les Religions africaines comme sources de valeurs de
civilisation, 16-22 aot 1970, Paris, PUF, 1972, p. 261.
14 sujet ncessairement soumis et acquis. On a donc dun cot le
pouvoir, norme, crasant, dmesur, de lautre le sujet, dpendant et
reconnaissant. Face au roi-dieu, se prosterne la crature qui dpend
de lui 34 . Ainsi, la sacralisation du pouvoir semble aller de
pair, en Afrique, avec lampleur de son pouvoir ; elle accompagne le
processus de centralisation des institutions .35
Par ailleurs, tant sacre, la personne du roi ou du chef est
inviolable. En effet, elle est protge par le dlit doffense ou
doutrage chef, vritable crime de lse-majest 36 . La gravit de ce
crime contre le chef se justifie par le fait quil est considr
indirectement comme un outrage contre les anctres du clan ou de la
tribu dont il est le reprsentant. Le criminel se trouve donc dans
une situation terrifiante puisquil a rsist un impratifmystrieux .
Cest, sans doute, pourquoi les outrages contre la personne du chef
ou des37
membres de sa famille sont rprims avec une svrit particulire.
Ainsi par exemple, ladultre commis avec la femme du chef Bamilk au
Cameroun est puni soit par la pendaison du coupable, soit en le
prcipitant dans une oubliette, quand il nest pas vendu comme
esclave 38 . Disposant ainsi dun pouvoir sacr et dune protection
rigide, le chef na de comptes rendre personne, sinon, thoriquement,
ses anctres ou aux dieux. En effet, puisquil est sacr et exerce un
pouvoir qui saurole dune sorte de prestige surnaturel qui ne
rsisterait pas un examen des conditions dans lesquelles il est
donn, ni une apprciation des responsabilits au cas ou son excution
savrait nfaste , le chef ne peut tre contest puisquil est
sacr.39
Philippe Sgur 40 souligne ce propos que le pouvoir de type
magico-religieux chappait toutepense rformatrice, toute
contestation venue du groupe social . On peut aisment conclure
que
ce pouvoir est ncessairement absolu, tyrannique. En effet, par
sa situation au confluent desforces cosmiques de lunivers socital,
par son enracinement dans les profondeurs historiques du groupe
grce la chane de son ascendance gnalogique, par sa qualit de
Pre-fondateur du groupe, ou la nature des liens quil a avec les
anctres-fondateurs travers le rituel mythique, par la
William Graham L. Randles, Lancien royaume du Congo. Des
origines la fin du XIXe sicle, Paris, Ecole pratique des Hautes
Etudes and Mouton & Co, 1968, p. 54. 35 Luc de Heusch, Aspects
de la sacralit du pouvoir en Afrique , Luc de Heusch, Le Pouvoir et
le Sacr, Bruxelles, Universit Libre de Bruxelles, Annales du Centre
dEtudes des Religions, 1962, p. 140. 36 Spinoza donne une dfinition
stricto sensu de ce crime lorsquil crit que le crime de lse-majest
nest possible qu des sujets ou des citoyens qui, par un pacte
tacite ou exprs, ont transfr la totalit de leur droit la cit ; et
lon dit quun sujet a commis ce crime quand il a tent de ravir pour
une raison quelconque, ou de transfrer un autre, le droit du
souverain , in Trait thologico-politique, Paris, GF Flammarion,
1965, p. 270. 37 Georges Burdeau, Trait de Science politique, t. V.
Les rgimes politiques, 3e d., Paris, LGDJ, 1985, p. 396. 38 Enock
Katte Kwayeb, Les institutions de droit public du pays Bamilk
(Cameroun), Paris, L.G.D.J., Bibliothque dHistoire du Droit et du
Droit romain, 1960, t. 5, p. 84. Au Tchad, Claude Durand affirme
que les outrages et, le plus souvent encore, la rbellion lgard des
chefs taient traits sans mnagement , in Lancien droit coutumier
rpressif au Tchad , Penant, n756, avril-mai-juin, 1977, pp. 170191,
p. 180. 39 Georges Burdeau, ibid., p. 396. 40 Philippe Sgur, Les
fonctions de la responsabilit politique , in Philippe Sgur (sous la
direction de), Gouvernants : quelle responsabilit ? , Paris,
LHarmattan, coll. Logiques juridiques , 2000, pp. 241-260, p.
245.
34
15puissance de son nergie vitale 41 , bref, par laurole de
sacralit qui lentoure, le chef africain donne limpression de
disposer dun Pouvoir sans borne, exorbitant au regard des
conceptions librales de lautorit politique, et li sans doute son
caractre sacr .42
En ralit, il nen est rien car si le sacr fonde le Pouvoir en
Afrique pr-coloniale, il dtermine galement les diffrentes modalits
de contrle de ce pouvoir 43 . En effet, si des monarchies
autocratiques 44 ont bel et bien exist, elles ont t rares car, dans
la plupart des cas, elles constituent des masques qui cachent mal
la ralit dune pondration et dun contrle qui, comme la sacralit,
participent de la nature mme du pouvoir du chef traditionnel. En
dautres termes, labsolutisme des chefs traditionnels nest quune
apparence parce quen Afrique noire pr-coloniale, le sacr qui fonde
le pouvoir contribue aussi sa limitation. Il existe donc des bornes
au pouvoir souverain 45 du chef traditionnel africain. Toutes les
socits ngro africaines pr-coloniales manifestent cette ambigut du
pouvoir 46 . Ainsi, le sacr constitue un obstacle lautonomisation
du pouvoir politique et sacroissance . Ce caractre ambivalent du
sacr dans les socits animistes se retrouve aussi47
dans les socits traditionnelles islamises. Toutefois, le contenu
de ce sacr est diffrent puisque son fondement est lIslam. LIslam a
pntr lAfrique partir du Nord-Est, rgion frontalire avec lOrient,
berceau de cette religion. Au dpart, on a assist une double
islamisation prcoce 48 dune part des Coptes et Berbres du VIIe
jusquau XIe sicle, dautre part des Peuls, Mandigues, Haoussa, etc.,
du XIIIe jusquau XIXe sicle en Afrique de lOuest avec notamment la
conversion des Toucouleurs du Fouta au Sngal, Fouta qui a t proclam
en 1776, Etat musulman indpendant par les Almani 49 . Mais cest au
XIXe sicle que sest acheve lislamisation de lAfrique noire
sahlienne. Les modalits dimplantation de lIslam sont varies :
contrainte arme, exemplarit de la vie musulmane et conversion
volontaire, contacts inter-socits du fait du commerce. Cette
implantation de lIslam en Afrique noire pr-coloniale, il faut le
noter, na
41 Dicka Akwa, La sacralit du Pouvoir et le droit africain de la
succession , Contribution la table ronde du Laboratoire
dAnthropologie juridique(L.A.J.) de Paris I, fvrier 1978, Sacralit,
Pouvoir et Droit en Afrique, Paris, Ed. du CNRS, 1979, p. 45. 42
Maurice Kamto, Pouvoir et Droit, op. cit., p. 110. 43 Voir sur ce
point, Bernard Asso, Le Chef dEtat africain, op. cit., p. 30 ; voir
galement, John Lonsdale, Political accountability in African
History , in Patrick Chabal (ed), Political domination in Africa,
Cambridge, Cambridge University Press, 1986, pp. 125-165. 44
Bernard Asso dfinit la monarchie autocratique comme le rgime o
lautocrate est son propre principe de lgitimit sans dautres
mcanismes de pondration que sa propre volont ou le poids des
vnements . Il loppose la monarchie absolue qui nexclut pas
lexistence des lois suprieures ou fondamentales comme en France au
Moyen-Age, in Le Chef dEtat africain, ibid., p. 31. 45 Jean Jacques
Rousseau, Du contrat social, Paris, Editions Gallimard, coll. Folio
essais , 1964, Chapitre IV du Livre II. 46 Voir Georges Balandier,
Anthropologie politique, op. cit., p. 47. 47 Philippe Sgur, Le
pouvoir et le temps, Paris, Albin-Michel, n103, p. 74. 48 Florence
Galetti, De quelques rflexions (juridiques) sur la lgitimit du chef
dans lhistoire des institutions africaines , in Franois-Paul Blanc,
Jean du Bois de Gaudusson, Alioune Fall et Franois Fral (sous la
direction de), Le Chef de lEtat en AfriqueEntre traditions, Etat de
droit et transition dmocratique, Cahiers du CERJEMAF, n9, Presses
universitaires de Perpignan, 2001, pp. 33-101, p. 66. 49 Cf.
Thierno Diallo, Les institutions politiques du Fouta Dyalon au XIXe
sicle, Dakar, IFAN, 1972.
16 pas pu dtruire les croyances et mythes traditionnels. En
effet, la religion musulmane a t simplement adapte aux valeurs et
traditions locales donnant ainsi naissance un Islam typiquement
africain. Autrement dit, lIslam a t africanis et certains nont pas
hsit le qualifier d Islam noir 50 . En effet, si dans son principe
et son essence il reste le mme, lIslam sadapte et se colore des
spcificits socitales locales perdant en cela son aspectoriginel .
Cette spcificit de lIslam africain se reflte du point de vue du
fondement du51
pouvoir. En effet, si, comme dans la socit animiste, le sacr
fonde le pouvoir du chef, ce sacr a un contenu diffrent, syncrtique
: il combine les valeurs de lIslam et celles des traditions et
coutumes ancestrales. Comme fondement du pouvoir, lIslam confre au
chef, dabord Mahomet le prophte, et aprs sa mort, le Calife, un
pouvoir hgmonique. Il est le dtenteur du pouvoir suprme et sacr. Il
cumule dans ses mains les pouvoirs excutif, administratif,
judiciaire et religieux. Mais il nexerce pas le pouvoir lgislatif,
car Dieu seul est lgislateur. Etant donc lombre dAllah sur terre et
le reprsentant du Prophte, il dispose duneautorit totale et
absolue, comparable lautorit divine ou celle du Prophte . Dans
ces52
conditions, il nest pas tonnant quil puisse disposer entirement
des mes et des biens 53 et quil exerce ainsi un pouvoir illimit,
despotique puisquil ne doit, en principe, rendre des comptes qu
Allah. Mais, en ralit, il nen est rien car le pouvoir du calife est
largement pondr. Cette conception du chef est au cur de la pense
politique musulmane classique. En effet, hormis les prescriptions
coraniques, le calife est soumis un certain nombre de devoirs
spirituels et temporels qui le lient et limitent son pouvoir 54 et
leur violation entrane saVincent Monteil, LIslam noir, Paris, Ed.
du Seuil, 1964 ; Christian Coulon, Islam africain et Islam arabe :
autonomie ou dpendance, africanisation de lIslam ou arabisation de
lAfrique ? , Anne africaine, Paris, Pedone, 1976, pp. 254 et suiv.
51 Florence Galetti, De quelques rflexions (juridiques) sur la
lgitimit du che , op. cit., p. 66. 52 Ali Abderraziq, LIslam et les
fondements du pouvoir, Paris, Ed. La Dcouverte/CEDEF, 1994, p. 56.
53 Ali Abderraziq, ibid., p. 56. 54 Les obligations ou devoirs de
limam suprme, au nombre de dix, ont t numrs par Mawardi Ahkam. Pour
mieux comprendre leur porte, il est utile de citer textuellement
ces devoirs qui sinspirent du Coran : Conserver la religion selon
ses principes tablis, sur lesquels sont tombs daccord les Anciens
de la communaut (lIjma). Et si surgit quelque novateur, ou si se
met dvier quelque individu en proie au doute, limam lui manifestera
la preuve de la vrit, lui rendra vident ce qui est juste, et lui
appliquera les sanctions obligatoires, pour que la religion soit
prserve de toute atteinte, et la communaut garde de tout faux pas ;
Faire observer les jugements prononcs contre ceux qui contestent,
mettre fin aux litiges entre ceux qui plaident, de telle sorte que
se gnralise lquit (nasafa), que loppresseur nempite pas sur les
droits dautrui, et que lopprim ne soit pas affaibli ; Maintenir
lordre public, et protger ce qui est sacr pour chacun : afin que
les gens exercent librement leur gagne-pain, et soient en sret dans
les voyages lointains, sans risques pour leur personne et leurs
biens ; Maintenir les sanctions pnales (hudad), afin que les
interdictions dictes par Dieu Trs Haut soient gardes intactes, et
que les droits de ses serviteurs soient garantis de la ruine et de
la perte ; Doter les frontires de lquipement militaire dfensif et
de la force capable de repousser les attaques, afin que lennemi ne
puisse savancer par ruse en commettant des actes prohibs, ou en
rpandant le sang dun musulman ou dun alli ; Conduire la guerre
sainte (jihad) contre qui se refuse lIslam aprs en avoir reu lappel
(dawa), et ce, jusqu ce quil se soumette ou entre dans le statut de
protection : afin de rendre Dieu son d, en manifestant la totale
suprmatie de lIslam ; Percevoir la part chue (fay) et les aumnes
lgales, selon ce que rend obligatoire la Loi, par texte (nass) et
par ijtihad, sans crainte ni injustice ; Fixer les soldes et ce qui
incombe au trsor public, sans prodigalit ni parcimonie, et sen
acquitter temps, sans avance ni retard ; Se pourvoir en hommes de
confiance, et nommer de bons conseillers, quil sagisse de leur
confier les charges publiques ou les fonds dEtat, afin que les
premires soient assures par des hommes capables, et les seconds
sous la sauvegarde dhommes de confiance ; Que limam enfin soccupe
personnellement de la haute surveillance des affaires et de lexamen
de leurs modalits, afin de pourvoir au gouvernement de la communaut
et la protection de la religion, et quil ne se repose pas sur des
dlgations de pouvoir, tandis quil sadonnerait lui-mme aux plaisirs
ou la dvotion, car lhomme de confiance peut trahir, et le
conseiller sincre, tromper .. Mawardi, Ahkam, p. 14/30-32. Ces
devoirs ont t repris par Rashid Rida, Khalifa, p. 28/47-49, cits
par Louis Gardet, La cit musulmane, op. cit., pp. 155-156 ;50
17 destitution par la Communaut musulmane et plus prcisment par
ceux qui dlient et lient , cest--dire les Ulmas. En effet, le rle
de ces docteurs de la loi est de sopposer toutesituation dinjustice
et de tyrannie, au besoin par la lutte ouverte sils estiment que
les avantages de cette lutte lemportent sur les inconvnients . Dans
le cas contraire, il faut sen remettre 55
Allah qui doit punir lui-mme le calife. Dans les socits
africaines pr-coloniales islamises, ce principe de pondration du
pouvoir est particulirement effectif parce quil a trouv une vieille
tradition de limitation et de contrle du pouvoir inhrente aux
structures politiques de ces socits. Toutefois, il faut reconnatre
que ce principe a t mis entre parenthses au dbut de la conqute
arabe de lAfrique. Celle-ci est, en effet, marque par limplantation
des monocraties autoritaires dans la rgion sahlienne. Ces rgimes
politiques sont laccompagnement ncessaire des conqutes islamiques.
A ce sujet, Louis Gardet observe que mesure que lIslam subissait de
plus en pluslinfluence des pays par lui conquis, et ds le temps o
les dynasties califales restaient dorigine arabe, cest limage dun
Calife tout-puissant autocrate qui tendit simposer (). Cette image
allait devenir le type extrieur habituel du commandeur des croyants
et de chefs secondaires sa ressemblance . Cest souvent cette image
des thocraties musulmanes symbolises par le56
calife ou limam que lanalyse classique a gard des rgimes
politiques de lAfrique noire islamise. Mais ces monocraties
autoritaires ne constituent que des cas isols et rares. Car, ainsi
que la soulign Christian Coulon, les socits islamises sattachent
empcher le chefde faire le chef, tout mettre en uvre pour que le
Pouvoir absolu napparaisse pas . Et, poursuit
lauteur, le chef africain comme nous le prsente la tradition
politique de cet espace africain, nadonc en gnral pas grand-chose
voir avec le potentat que tout une littrature et toute une imagerie
nous proposent aujourdhui. Le meilleur chef, cest celui qui
gouverne le moins, qui nabuse pas de son pouvoir et qui naccumule
des biens que pour les redistribuer .57
On peut donc constater dans les socits animistes comme dans les
socits islamises la mme mfiance lgard du pouvoir absolu, le mme
rejet du sur-pouvoir. Dans un cas comme dans lautre, lambigut du
pouvoir, la ncessit de le surveiller, de le contenir, de limitersa
toute puissance : tel est le leitmotiv de toute une tradition
politique africaine .58
Cette conception du chef a t compltement dnature avec la
colonisation.
55 Robert Mantran, Religion et socit musulmane , in Maurice
Flory, Bahgat Korany, Robert Mantran, Michel Cman et Pierre Agate
(sous la direction de), Les rgimes politiques arabes, Paris, PUF,
coll. Thmis Sc. Po , 1990, pp. 39-73, p. 46. 56 Louis Gardet, La
cit musulmane. Vie sociale et politique, 3e d., Librairie
philosophique Jean Vrin, 1969, pp. 32-33. 57 Christian Coulon, Les
musulmans et le pouvoir en Afrique noire, Paris, Karthala, 1983,
pp. 15-16. 58 Christian Coulon, ibid., p. 15. Dans le mme sens,
Pierre-Franois Gonidec crit que dans les socits dAfrique noire
islamise, lide dun pouvoir limit pouvait simposer dautant plus
facilement que la tradition pr-islamique allait dans ce sens , in
Les systmes politiques africains, op. cit., p. 19.
18 -Le chef sous la colonisation
La colonisation a eu pour effet la dsacralisation du chef
traditionnel et par consquent la domestication de son pouvoir 59 .
Cette dsacralisation sest faite de faon progressive. Cest dabord
luvre missionnaire 60 qui a procd la remise en cause du caractre
sacr du chef traditionnel africain et de son pouvoir. En effet, la
prsence de lEglise missionnaire a mis en conflit deux formes de
sacr : le sacr traditionnel mythique et le sacr religieux du
christianisme au profit de ce dernier. La consquence de cette
pntration religieuse a t lbranlement du pouvoir du chef
traditionnel. Humili, il a perdu son aurole de sacralit et ses
prrogatives ancestrales. La dsacralisation du chef africain et de
son pouvoir sest poursuivie et accentue avec limplantation de
ladministration coloniale vers la fin du XIXe sicle non sans
rencontrer parfois des rsistances. En effet, bien que vaincus, les
chefs traditionnels ont pu organiser des mouvements de rvoltes
insurrectionnels devant les rquisitions de terrains, de main-duvre
et de leve dimpt. Mais ces mouvements ont t largement rprims par le
colon et rduits nant 61 . La dfaite militaire tant ainsi consomme,
le chef traditionnel a t soumis au pouvoir colonial. Il est devenu
un simple agent de ladministration coloniale, une crature
coloniale, un chef tout faire . Il est en porte--faux avec son
statut antrieur. Il nest plus le dpositaire des anctres, mais il
est choisi par ladministration coloniale et nagit que sous ses
ordres et en son nom. Il ne doit ni disposer de la force arme, ni
porter une arme, encore moins imposer un impt nouveau ou dicter un
rglement ou mme dsigner son successeur. Son rle est de recenser,
ordonner, comptabiliser au nom de ladministration et sous son
strict contrle. Le chef devient ainsi un instrument docile du
pouvoir colonial 62 . Affaibli de lextrieur par le pouvoir
colonial, le chef traditionnel la t aussi de lintrieur, du fait de
la colonisation, par la naissance dlites africaines occidentalises,
cest-dire instruites la culture occidentale. Cest lapparition des
leaders africains 63 qui vont supplanter ainsi le chef indigne. Ces
leaders sont essentiellement des nationalistes qui revendiquent
lgalit dans la socit colonise. Et pour garantir une lgitimit
populaire leur action, ils ont associ traditionalisme et
modernisme. Dans cet environnement59 60
Maurice Kamto, Pouvoir et droit, op. cit., pp. 208 et suiv.
Notons que lEglise catholique uvre sur les ctes africaines depuis
le XVe sicle. Mais, cest surtout vers le milieu du XIXe sicle que
lEglise missionnaire est plus prsente en Afrique noire. Sur luvre
missionnaire, voir, Franois P. Aupiais, Le missionnaire, Paris, d.
Larose, 1938, 171 p. ; Joseph P. Bouchard, LEglise en Afrique
noire, Paris, Genve, La Platine, 1958, 191 p.; Le Chamoine Du
Menil, Les missions. Leur action civilisatrice, Paris, M. Daubin,
1948, 288 p. 61 Bernard Asso, Le Chef dEtat africain. op. cit., p.
46. 62 Daniel Bourmaud, La politique en Afrique, Paris,
Montchrestien, coll. Clefs/Politique , 1997, p. 32 ; 63 Bernard
Asso, ibid., pp. 45 et suiv. Sur ce thme, voir, Franois Bourricaud,
La sociologie du Leadership et son application la thorie politique
, RFSP, vol. III, n3, juillet-septembre 1953, pp. 445-470 ; Andy
Smith et Claude Sorberts (sous la direction de), Le leadership
politique et le territoire. Les cadres danalyse en dbat, op. cit.,
293 p.
19 revendicatif, limage du chef traditionnel est compltement
dnature. Il nest plus llmentpuissant du plus puissant des lignages
() mais celui qui est capable de provoquer une relative unanimit
64
dans une socit branle. Celle-ci ncessite donc, pour survivre,
des hommes
nouveaux, qui prennent parti contre une assimilation politique
franaise destructrice des socits africaines. Ces lites sont
devenues ainsi les centres dimpulsion politique des masses
africaines. Do la permanence de la revendication nationaliste. Ce
nationalisme est renforc par un racisme du colonis induit par le
racisme du colonisateur 65 . Il se caractrise dabord par la
revendication de lgalit des races qui suppose la reconnaissance des
droits aux Africains, la suppression du travail forc, etc., ensuite
par la revendication de lautonomie des socits africaines et enfin
par la revendication des indpendances. Le rle jou par des leaders
comme Ahmadou Ahidjo au Cameroun, Lon Mba au Gabon, Sylvanus
Olympio au Togo, etc., dans ces revendications est tel que celui
des chefs indignes a t compltement domestiqu. Cest aussi pourquoi
ces leaders ont occup, dans leurs pays respectifs, le poste de
Premier ministre dans le cadre de la Communaut et celui de Chef de
lEtat aprs les indpendances au dbut des annes soixante. Il convient
ds lors de prciser la notion de Chef de lEtat.
b)-La notion de Chef de lEtat Lexpression Chef de lEtat ou Chef
dEtat 66 dsigne la plus haute autorit tatique. Cette position,
souvent symbolique, est lhritire de traditions historiques des
rgimes impriaux ou monarchiques dans lesquels une personne,
lempereur ou le monarque, se trouve au sommet de lEtat. On accde la
fonction de Chef de lEtat 67 soit par lhrdit notamment dans les
monarchies, soit par llection dans les Rpubliques ou mme par la
ruse, la fraude lectorale, la violence dans les dictatures et dans
les dmocratures 68 . Le Chef de lEtat occupe une place particulire
dans la collectivit politique tatique. En tant que dtenteur du
pouvoir suprme, il personnifie et reprsente lEtat. Il est
considr
64 65
Georges Balandier, Sociologie actuelle de lAfrique noire, op.
cit., p. 415. Georges Balandier, Contribution ltude des
nationalismes en Afrique noire , Revue Zare, avril 1954, pp.
379-390. 66 Paul Bastid, La notion de Chef dEtat, Cours DES Science
politique, Paris, 1959-1960 ; Olivier Duhamel et Yves Mny (sous la
direction de), Chef dEtat, Chef de lEtat , in Dictionnaire
constitutionnel, Paris, PUF, 1992, pp. 123-124 ; Hlne Tourard, La
qualit de Chef de lEtat , in Socit Franaise pour le Droit
international, Colloque de Clermont-Ferrand, Le Chef dEtat et le
droit international, Paris, Pedone, 2002, pp. 117-135. 67 Sur les
modalits dacquisition de la qualit de Chef de lEtat, voir Hlne
Tourard, ibid., pp. 119-122. Voir aussi, Jean-Louis Seurin, Systme
politique et dvolution du pouvoir, cours polycopis, Bordeaux,
1981-1982, pp. 467 et suiv. 68 Cest la pratique observe dans la
plupart des pays en dveloppement. Max Liniger-Goumaz dfinit la
dmocrature comme le mlange instable de dmocratie et de dictature,
de constitutionnalisme et dautoritarisme , in La dmocrature.
Dictature camoufle, dmocratie truque, Paris, LHarmattan, 1992, p.
59. Mathurin C. Houngnikpo parle, lui, de dmocratie prostitue , in
Lillusion dmocratique en Afrique, Paris, LHarmattan, coll. Etudes
africaines , 2004, p. 100.
20 comme llment stable des institutions et ce titre, il assure
la continuit de lEtat. Cette fonction, commune tous les Chefs
dEtat, est une fonction de majest 69 . Le Chef de lEtat jouit dun
prestige protocolaire indniable aussi bien dans les pays de
tradition monarchique que dans les Rpubliques. Toutefois, le Chef
de lEtat na pas les mmes droits ni le mme rle dans tous les systmes
de gouvernement 70 . Le gouvernement dassemble 71 se caractrise par
linexistence relle du Chef de lEtat, ou lorsquil est prvu par la
Constitution, par un rle insignifiant, sinon purement dcoratif .
Dans le gouvernement parlementaire authentique, si les pouvoirs du
Chef de lEtat ne drivent pas du Parlement, ils sont nanmoins rduits
et dune importance mdiocre 72 . Le rgime prsidentiel 73 confre au
Chef de lEtat et au Parlement des attributions plus ou moins gales
avec parfois une certaine primaut pratique du Prsident amricain 74
. En revanche, les rgimes prsidentialistes 75 se caractrisent par
la primaut du Chef de lEtat sur toutes les autres institutions
tatiques. Mais dans lensemble, la plupart des Constitutions
modernes reconnaissent au Chef de lEtat un rle essentiel dans la
garantie des principes fondamentaux de lEtat 76 . Ainsi, il est le
garant de lindpendance et de lunit nationale, de lintgrit du
territoire, du fonctionnement rgulier des pouvoirs publics, du
respect de la Constitution et des accords et traits.
69 Franois Frison-Roche, La prsidence de la Rpublique en
Finlande et la nature du rgime , in Mlanges offerts Maurice
Duverger, Droit, institutions et systmes politiques, Paris, PUF,
1987, pp. 101-113. 70 Selon Philippe Ardant, on la dot dun statut
hybride qui diffre selon les rgimes , Un Prsident pour quoi faire ?
, in Mlanges Jean Waline, Gouverner, administrer, juger, Paris,
Dalloz, 2002, pp. 3-14, lire, pp. 4-5. 71 Voir entre autres, Marcel
Prlot et Jean Boulouis, Institutions politiques et droit
constitutionnel, 11e d., Paris, Dalloz, 1990, p. 355. 72 Maurice
Hauriou observe que daprs la thse rpandue dans le monde
parlementaire, le Prsident de la Rpublique doit senfermer dans le
rle purement reprsentatif du Chef de lEtat et sabstenir
soigneusement de simmiscer dans le gouvernement quotidien ; tout au
plus concde-t-on quil fasse bnficier les ministres de son
exprience, si ceux-ci lui demandent des conseils. Il ne doit
intervenir dans le gouvernement quau moment de la constitution dun
ministre, par le choix du prsident du Conseil , in Prcis de droit
constitutionnel, 2e d., Paris, 1933, rd., CNRS, 1965, p. 364. Dans
le mme sens, voir, Joseph Barthlemy et Paul Duez, Trait de droit
constitutionnel, Paris, Ed. Panthon-Assas, coll. Les introuvables ,
2004, pp. 161-162 ; Michel Dendias, Le renforcement des pouvoirs du
Chef de lEtat dans la dmocratie parlementaire, Paris, Ed. De
Boccard, 1932, pp. 45-52 ; Philippe Lauvaux, Le parlementarisme,
Paris, PUF, coll. Que saisje ? , n2343, pp. 57 et suiv. 73 Sur le
rgime prsidentiel amricain, voir entre autres, Marie-France Toinet,
Le systme politique des Etats-Unis, Paris, PUF, 1987, 640 p., du
mme auteur, La prsidence amricaine, Paris, Montchrestien, coll.
Clefs/Politique , 1991, 160 p. ; Bernard Gilson, La dcouverte du
rgime prsidentiel, 2e d., Paris, LGDJ, Bibliothque
constitutionnelle et de science politique, t. 34, 1982, 400 p. ;
Andr de Laubadre, Le renforcement du pouvoir politique et la
formule du gouvernement prsidentiel , Pages de doctrine, Paris,
LDGJ, 1980, pp. 317-331. 74 Cf., Arthur M. Schlesinger, La
prsidence impriale, traduit de lamricain par Lela Blacque-Belair et
Rosette Letellier, Paris, PUF, 1976, 561 p. ; Philip S. Golub, Aux
origines de la guerre antiterroriste. Retour une prsidence impriale
aux Etats-Unis , Le Monde diplomatique, janvier 2002, pp. 8-9. 75
Parmi labondante littrature sur le prsidentialisme notamment en
France et dans les pays en dveloppement, nous pouvons citer :
Philippe Lauvaux, Destins du prsidentialisme, Paris, PUF, coll.
Bhmoth , 2002. Pour une analyse critique du prsidentialisme en
France, cf. Jean-Franois Revel, Labsolutisme inefficace ou contre
le prsidentialisme la franaise, Paris, Plon, 1992. Concernant les
pays en dveloppement, voir entre autres Grard Conac, Pour une
thorie du prsidentialisme. Quelques rflexions sur les
prsidentialismes latino-amricains , in Mlanges Georges Burdeau, Le
pouvoir, Paris, L.G.D.J., 1977, pp. 115 et suiv. ; Grard Conac, Le
prsidentialisme en Afrique noire. Unit et diversit. Essai de
typologie in Lvolution rcente du Pouvoir en Afrique, Bordeaux,
CEAN, IEP, 1977, pp. 2 et suiv. 76 Cf., Yves Mny et Yves Surel,
Politique compare. Les dmocraties. Allemagne, Etats-Unis, France,
Grande-Bretagne, Italie, 6e d., Paris, Montchrestien, 2001, p.
293.
21 Le domaine o la fonction de Chef de lEtat se manifeste avec
le plus dintensit est celui des relations internationales 77 . En
effet, le Chef de lEtat reprsente ici son pays dans ses rapports
avec les autres institutions tatiques et les organisations
internationales 78 . A ce titre, il ngocie et ratifie les traits et
reoit les lettres de crance des ambassadeurs trangers. Lexpression
Chef de lEtat est consacre par la plupart des conventions
internationales. Il en est ainsi, entre autres, des conventions de
Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques (article 14), de
1969 sur les missions spciales (article 21 1) et sur le droit des
traits (article 7 2). La notion est aussi prvue par le Statut de
Rome de 1998 portant cration de la Cour pnale internationale
(article 27), etc. En revanche, tous les systmes constitutionnels
ne prvoient pas explicitement lexpression Chef de lEtat 79 . Les
textes anglais et amricains ne qualifient pas le souverain ou le
Prsident de Chef de lEtat. Les Constitutions franaises 80
nutilisent lexpression quavec rticence. Seuls quelques textes lont
consacre. Cest le cas des Chartes de 1814 (article 14) et de 1830
(article 13) ; des Constitutions du 14 janvier 1852 (article 6) et
du 21 mai 1870 (article 14) ainsi que de lActe constitutionnel n1
du 11 juillet 1940 (article 4). Mais les Constitutions rpublicaines
depuis 1875 ne la connaissent pas bien que le gnral de Gaulle et
son Premier ministre Michel Debr aient utilis lexpression pour
dsigner le Prsident de la Rpublique 81 . Par contre, la rgle gnrale
en Afrique noire francophone est de dsigner linstitution suprme de
la Rpublique par le terme Chef de lEtat 82 . Lexpression est
apparue avec loctroi des indpendances, pour la plupart, au dbut des
annes soixante et la naissance des Etats au sens moderne 83 . Ces
Etats ont t crs sur le modle europen de lEtat-Nation 84 etJean
Salmon (sous la direction de), Dictionnaire de droit international
public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 169. Voir aussi, Socit
Franaise pour le Droit international, Colloque de Clermont-Ferrand,
Le Chef dEtat et le droit international, op. cit. Jean Salmon,
Reprsentativit internationale et Chef de lEtat , in Socit Franaise
pour le Droit international, Colloque de ClermontFerrand, ibid.,
pp. 157-171. 79 La Constitution chinoise de 1975 ne prvoit pas de
Chef dEtat. 80 Notons que le projet girondin et les Constitutions
de lan I (1793 ou Constitution montagnarde) et de lan III (1795) ne
prvoient pas de Chef de lEtat. 81 Marcel Morabito, Le Chef de lEtat
en France, 2e d., Paris, Montchrestien, coll. Clefs/Politique ,
1996, p. 10 ; Olivier Duhamel et Yves Mny (sous la direction de),
Chef dEtat, Chef de lEtat , in Dictionnaire constitutionnel, op.
cit., p. 123. Voir aussi Philippe Ardant, Un Prsident pour quoi
faire ? , Mlanges Jean Waline, Gouverner, administrer, juger,
Paris, Dalloz, 2002, pp. 3-14. 82 Pour viter des gnralits et des
confusions, nous emploierons systmatiquement le terme chef dEtat
africain pour dsigner les Prsidents camerounais, gabonais,
tchadiens et togolais. 83 En droit, lEtat moderne est dfinie comme
lorganisation politique et juridique de la nation quelle
personnifie , voir, Pierre Avril et Jean Gicquel, Lexique de droit
constitutionnel, 5e d., Paris, PUF, 1994, p. 51. 84 Pour Carr de
Malberg, le mot nation dsigne non pas une masse amorphe dindividus,
mais bien la collectivit organise des nationaux, en tant que cette
collectivit se trouve constitue par le fait mme de son organisation
en une unit indivisible , in Contribution la thorie gnrale de
lEtat, t. 1, Paris, Sirey, 1920, note 2, pp. 2-3. Sur lEtat-nation,
voir, Ernest Renan, Quest-ce quune nation ?, Paris, Agora/Pocket,
1887 ; Alain Dieckhoff, La Nation dans tous ses Etats. Les identits
nationales en mouvement, Paris, Flammarion, 2000. Sur la
problmatique de lEtat-nation, voir, entre autres, Jrgen Habermas,
Aprs lEtat-nation, Paris, Fayard, 2000 ; Armand Touati, La Nation,
la fin dune illusion ?, Paris, Descle de Brouwer, 2000 ; Patrick
Troude-Chastenet, Sminaire de Droit constitutionnel et de Science
politique : LEtat-nation a-t-il encore un avenir ? , DEA Droit
public, Universit de Reims, anne 2000-2001 ; Toni Negri, Vers
lagonie des Etats-nations ? L Empire , stade suprme de limprialisme
, Le Monde diplomatique, janvier 2001, p. 3. Sur lalternative de
lEtat multinational, cf., Stphane Pierr-Caps, La multination.
Lavenir des minorits en Europe centrale et orientale, Paris, Odile
Jacob, 1995 ; Mwayila Tshiyembe, Etat multinational et dmocratie
africaine. Sociologie de la renaissance politique, Paris,
LHarmattan, coll. Etudes africaines , 2001, 269 p.78 77
22 ont pour limites les frontires hrites de la colonisation.
Mais, lintrieur de cette circonscription coloniale, la Nation nest
que prophtie, lEtat, produit dimportation 85 , parfoisune simple
anticipation .86
Il appartient donc au Chef de lEtat de construire la Nation, de
lenraciner pour quelle devienne relle. Il lui appartient aussi de
promouvoir et dassurer le dveloppement du pays par une lutte effrne
contre la pauvret. Cest en jouant plus sur lamour des masses ou
laffectivit politique 87 sur la rcupration et la dnaturation des
symboles traditionnels que sur la rigueur des normes juridiques
quil tentera de remplir ce rle. Et pour garantir lefficacit de
cette fonction, le Chef de lEtat accapare tous les pouvoirs
tatiques. Cette hgmonie prsidentielle est consacre par la
Constitution et amplifie par la pratique politique et par
linstauration du parti unique de droit ou de fait. Les effets
nfastes dun tel systme de gouvernement sont considrables :
privation des liberts publiques, violation flagrante des droits de
lhomme, corruption gnralise, pauprisation croissante des
populations, irruption des militaires dans la vie politique,
guerres fratricides, etc. Malgr cette dtrioration des systmes
politiques africains par la dictature prsidentielle, le Chef de
lEtat reste une institution intangible en Afrique noire
francophone. Le rle central du Chef de lEtat a t confirm par la
nouvelle vague constitutionnelle des annes quatre-vingt dix. En
effet, en tant que pivot des institutions 88 , le Chef de lEtat
bnficie dune lgitimit dmocratique et dispose de pouvoirs
considrables 89 . Lvolution constitutionnelle et politique montre
bien la permanence du rle capital du Chef de lEtat dans les systmes
politiques africains 90 . Cest dailleurs pourquoi cette expression
est prvue dans toutes les Constitutions africaines 91 et mme dans
les textes rgissant les rgimes militaires 92 . Lexpression est
aussi consacre par le droit international africain. Il en est
ainsi, par exemple, de la Charte dAddis-Abeba du 25 mai 1963
portant cration de lOrganisation de lUnit Africaine (OUA) (article
8), de la Charte africaine des droits de lhomme et desSur ce thme,
cf., Bertrand Badie, LEtat import. Loccidentalisation de lordre
politique, Paris, Fayard, coll. Lespace du politique , 1992, 334
p.; du mme auteur, Les deux Etats. Pouvoir et socit en Occident et
en terre dIslam, Paris, Fayard, coll. Points , 1997, 331 p. 86
Bernard Asso, Le Chef dEtat africain, op. cit., p. 71. 87 Sur ce
thme, voir, Pierre Ansart, La gestion des passions politiques,
Lausanne, LAge dHomme, 1983, pp. 11 et suiv. ; Luc Sindjoun, La
Politique daffection en Afrique noire. Socit de parent, socit dtat
et libralisation politique au Cameroun, Harare, African Association
of Political Science (AAPS), 1998, 64 p. 88 Bernard Saint-Girons,
Les acteurs : Fonction prsidentielle et transition dmocratique , in
Henry Roussillon (sous la direction de), Les nouvelles
Constitutions africaines : la transition dmocratique, Toulouse,
Presses de lIEP de Toulouse, 1995, pp. 31-36, p. 32. 89 Cf., Jean
du Bois de Gaudusson, Quel statut constitutionnel pour le Chef
dEtat en Afrique ? , in Mlange en lhonneur de Grard Conac, Le
nouveau constitutionnalisme, Paris, Economica, 2001, pp. 329-337.
90 Nous entendons, dans cette thse, par systmes politiques
africains les systmes politiques des Etats faisant lobjet de notre
tude. 91 Constitutions gabonaises du 21 fvrier 1961 (article 6 al.
1er), du 26 mars 1991 (article 8) ; Constitutions camerounaises du
21 fvrier 1961 (article 5), du 2 juin 1972 (article 5) ;
Constitutions tchadiennes du 16 avril 1962 (article 5), du 14 avril
1996 (article 60) ; Constitutions togolaises du 9 avril 1961
(article 35), du 13 janvier 1980 (article 11) et du 14 octobre 1992
(article 58). 92 Article 1er de la Charte fondamentale du Tchad du
29 aot 1978 ; articles 2 18 de lActe fondamental de la Rpublique
tchadienne du 29 septembre 1982 et article 5 de la Charte nationale
du Tchad du 18 fvrier 1991.85
23 peuples du 27 juin 1981 (prambule) et de lActe constitutif de
Lom du 12 juillet 2000 portant cration de lUnion Africaine (UA)
(prambule et article 6). Si la notion est ainsi juridicise , le
terme usuel utilis par les textes constitutionnels est Prsident de
la Rpublique . Toutefois, en marge de cette conscration juridique,
la science politique africaniste utilise une multitude dexpressions
pour dsigner le Chef de lEtat : pre 93 fondateur ou de la nation ou
encore de la dmocratie, prophte fondateur 94 , pasteur 95 ou
prtre-Prsident, demidieu 96 , soldat-Prsident 97 , Big man 98 ,
etc. La particularit de ces expressions est quelles mettent en
relief les multiples facettes du Chef dEtat africain et plus
prcisment son rle dans la construction ou dans la dconstruction de
la nation 99 , dans la promotion du dveloppement ou du
sous-dveloppement, dans la transition, la consolidation 100 ou la
destruction de la dmocratie. Dans lensemble, ces expressions
confirment la place prminente du Chef de lEtat dans les systmes
politiques africains. Etant donc la cl de vote des institutions, le
Chef de lEtat bnficie dun statut particulier caractris par un rgime
de responsabilit spcifique quil convient de dfinir.
2/-La responsabilit
La responsabilit est un principe fondamental et commun toute
organisation politique moderne 101 . Le mot responsabilit , qui a
tant de succs dans la doctrine juridique contemporaine, est
nanmoins dapparition rcente dans la langue franaise 102 . Elle
remonte
Harris Memel-Fot, Des anctres fondateurs aux Pres de la nation.
Introduction une anthropologie de la dmocratie , CEA, n123, XXXI-3,
1991, pp. 263-285. 94 Bernard Asso, Le Chef dEtat africain, op.
cit., pp. 81 et suiv. 95 Daniel Bourmaud, La politique en Afrique,
op. cit., p. 77. 96 Maurice A. Gll, Religion, culture et politique
en Afrique noire, op. cit., p. 13. 97 Bernard Asso, ibid., pp. 223
et suiv. 98 Jean-Franois Mdard, Le big man en Afrique : esquisse
danalyse du politicien entrepreneur , LAnne sociologique, vol. 42,
1992, pp. 167 et suiv. ; Yves-Andr Faur et Jean-Franois Mdard,
LEtat-business et les politiciens entrepreneurs. No-patrimonialisme
et Big men : conomie et politique , in Stephen Ellis et Yves-Andr
Faur (sous la direction de), Entreprises et entrepreneurs
africains, Paris, Karthala/ORSTOM, 1995, pp. 289-309. 99 Sur ce rle
du Chef dEtat africain, cf., Jacques Djoli EsengEkeli, Le
constitutionnalisme africain entre la gestion des hritages et
linvention du futur (Lexemple congolais), thse, Droit, Paris I,
2003, pp. 64 et suiv. 100 Christophe Euzet, Elments pour une thorie
gnrale des transitions dmocratiques de la fin du XXme sicle, thse,
Droit, 1997, 417 p., Nicolas Guilhot et Philippe C. Schmitter, De
la transition la consolidation. Une lecture rtrospective des
democratization studies , RFSP, vol. 50, n4-5, aot-septembre 2000,
pp. 615-631. 101 Yan-Patrick Thomas, Acte, agent, socit. Sur lhomme
coupable dans la pense juridique romaine , in Archives de
philosophie du droit, n22, La responsabilit, Paris, Sirey, 1977,
pp. 63 et suiv., p. 63. Patrick Chabal souligne dans le mme sens
que where there are political Communities, there are relations of
power. What determines the nature of such relations is political
accountability (); the notion of political accountability is
universal , in Power in Africa. An Essay in Political
Interpretation, New York, St. Martins Press, 1994, p. 54. 102 Sur
son origine, voir Jean-Marie Domenach, La responsabilit. Essai sur
le fondement du civisme, Paris, Hatier, 1994, p. 3 ; Jean-Louis
Gazzaniga, Les mtamorphoses historiques de la responsabilit , in
Jean-Louis Gazzaniga (sous la direction de) Les mtamorphoses de la
responsabilit, Publications de la facult de droit et des sciences
sociales de lUniversit de Poitiers, Paris, PUF, 1998, pp. 3-18 ;
Jacques Henriot, Note sur la date et le sens de lapparition du mot
responsabilit , Archives de philosophie du droit, n22, Paris,
Sirey, 1977, pp. 59-62.
93
24 au XVIIIe sicle en Angleterre et en France 103 , tandis que
ladjectif responsable date, pour sa part, du XIVe sicle 104 . Dans
le mme temps, lclosion du terme anglais responsability se produit
aux Etats-Unis notamment en 1787 sous la plume de lhomme dEtat
Alexander Hamilton 105 . Il sagit l dun concept difficile dapproche
puisquil est all se modifiant et senrichissant et peut revtir
plusieurs sens. Pour mieux saisir la notion, il convient donc de
procder son tude tymologique et de montrer son volution smantique.
Cette approche apparat ncessaire tout effort de dfinition de la
notion de responsabilit. De celle-ci nous dgagerons les diffrentes
formes de responsabilit du Chef de lEtat .
a)-La dfinition tymologique et lvolution smantique du terme
responsabilit .
Emile Littr dfinit la responsabilit comme lobligation de
rpondre, dtre garant decertains actes 106
. Cette dfinition se rapproche de son sens tymologique 107 . En
effet,
tymologiquement, tre responsable (Haftbar, Verantwortlich), form
sur rponse signifie tre capable de rponse . Le latin apporte une
prcision complmentaire fort utile puisque le
terme respondeo veut dire non seulement faire une rponse mais
aussi se montrer digne de,tre la hauteur . Le prfixe Re indique
laction de deux acteurs. Il sagit donc de rpondre
la demande ou la sommation dune personne ou dune institution. Ce
mot qui dsigne une relation rciproque entre deux sujets napparat qu
loccasion dun acte, dune parole, dun fait. Du point de vue
smantique, on a assist un glissement de sens. Ainsi, on est pass de
rpondre de tre responsable . Rpondre de est avant tout un acte
religieux. Le terme spondeo est, en fait, issu du terme grec spondo
qui veut dire verser une libation en hommage un dieu. Cette
conception du terme correspond au rituel religieux de la Grce
antique ou traditionnel africain. Celui-ci se comprend, en effet,
comme un ensemble dobligations pour les hommes devant entraner,
par
103 En France, cest sous la plume du banquier et ministre du roi
Jacques Necker, voir Hubert Mthivier, La fin de lAncien Rgime,
Paris, PUF, coll. Que sais-je ? , n1411, 1970, pp. 33-36 et pp.
97-107. 104 Michel Villey, Esquisse historique sur le mot
responsable , Archives de philosophie du droit, n22, Paris, Sirey,
1977, pp. 45-58 ; 105 The Oxford English Dictionnary, t. 8, p. 542.
Alexander Hamilton (1757-1804) a particip la rdaction de la
Constitution vote par la Convention fdrale de Philadelphie le 17
septembre 1787. Quatre-vingt cinq articles rdigs par Alexander
Hamilton, John Jay et James Madison ont t rassembls sous le titre
Le Fdraliste, prface de Andr Tunc. Larticle n63 de ce livre dispose
: I add, as a sixth defect, the want, in some important cases, of a
due responsability in the government to the people, arizing from
that frequency elections which in other cases produces this
responsibility, (Jajouterai comme sixime dfaut, labsence, dans des
cas importants, de toute responsabilit du gouvernement envers le
peuple, ce qui est le rsultat de cette frquence dlections qui, dans
dautres circonstances, produit la responsabilit), Paris, Economica,
coll. Etudes juridiques comparatives , 1988, pp. 522-523. 106
Dictionnaire de la langue franaise, Paris, Ed. Hachette et Cie,
1877. 107 Marion Bouclier Dfinition tymologique de la responsabilit
politique , in Philippe Sgur (sous la direction de), Gouvernants :
quelle responsabilit ?, op. cit., pp. 15-22.
25 rponse, une srie dobligations pour les dieux. Ce ritualisme
constitue donc le fondement de lordre juridico-politique antique ou
traditionnel. Mais le mot rpondre de peut tre aussi considr comme
un acte de pouvoir 108 . Il nest pas inutile de rappeler que les
premires organisations politiques ont confi leur destin des
personnes pouvant transcender le monde des dieux et celui des
hommes. Cest le cas des chefs en Afrique noire pr-coloniale. Cette
mission implique non seulement des droits mais surtout des
obligations. En effet, si le chef ne parvient pas remplir ce rle de
direction des humains et surtout de conciliation des forces
surnaturelles pour le bien des populations, il est destitu ou mis
mort 109 . Et puisque le peuple ne dirige pas directement le
groupe, il nencourt aucune responsabilit. Seule llite a donc
rpondre de ses actes et de lefficacit des rites accomplis. En
Europe, cette responsabilit exclusive sest dissoute peu peu vers la
fin du Moyen Age dans le point dhonneur et les privilges de cour
dune part, et dautre part avec la rforme au XVIe sicle, les progrs
du libre examen 110 et la distance quune partie croissante du
peuple a pris lgard de lEglise. Dsormais, chacun est tenu pour
responsable de ses actes 111 et en subit les consquences selon le
barme des peines et des indemnisations en vigueur. Paralllement
cette volution ou cette mtamorphose, la responsabilit dbouche
dsormais sur une certaine culpabilit. Dans les systmes sociaux
imprgns de sacralit, la culpabilit se fonde sur les rgles
religieuses et traditionnelles. Elle rsulte dune faute commise
contre des dieux ou Dieu. Mais cette culpabilit est fragile et peut
se dissiper rapidement puisque Dieu pardonne les pchs et efface la
peine du pcheur repentant. Dans les systmes sociaux modernes lacs,
la culpabilit prend une nouvelle forme. En effet, cest sous langle
de lincrimination que la responsabilit simpose et stend. La socit
contemporaine porte cette notion son apoge. En devenant
universelle, la responsabilit se dmocratise, se systmatise et se
multiplie. Cependant, du fait de lvolution conomique et sociale, de
lurbanisation et de la division du travail qui rendent les
individus interdpendants et solidaires dans la faute, la
responsabilit pour faute devient de plus en plusPhilippe Sgur, La
responsabilit politique, Paris, PUF, coll. Que sais-je ? , n3294,
1998, p. 5. Cest le rle jou par les conseils qui entourent le roi.
Cf., Talism O. Elias, La nature du droit coutumier africain, op.
cit., p. 28 ; Lucien Scubla, Roi sacr, victime sacrificielle et
victime missaire , Recherches, Revue du Mauss, n22, 2e semestre
2003, pp. 197-219. Anne Stam, Histoire de lAfrique pr-coloniale,
op. cit., pp. 62-63. ; Maurice A. Gll, La Constitution ou Loi
fondamentale , in Encyclopdie juridique de lAfrique, t. 1, LEtat et
le Droit, Abidjan, Dakar, Lom, Les NEA, 1982, pp. 21-50., p. 22.
110 Il dcoule de la Rforme au XVIe sicle. Voir, Jacques Ellul, Les
sources chrtiennes de la dmocratie. Protestantisme et dmocratie ,
in Jean-Louis Seurin (Textes runis par), La dmocratie pluraliste,
Paris, Economica, 1981, pp. 83-99, lire, p. 85. 111 Cette
responsabilit personnelle dcoule notamment du message vanglique
selon lequel chacun doit rendre compte de ses actes , voir Jacques
Ellul, ibid., p. 97.109 108
26 difficile dterminer. La faute nincombe plus personne.
Pourtant, lorsquun vnement dommageable se produit, il faut pouvoir
limputer quelquun, cest--dire trouver un responsable 112 .
Lvolution du terme responsabilit ne doit pas masquer une profonde
constance : elle apparat comme une obligation pour un individu de
rpondre de ses actions, ou, dans certains cas, de celle dautres
individus. La responsabilit est dite objective quand lindividu
rpond, devant les hommes, dune conduite qui est lobjet des
sanctions extrieures 113 ., mesures lgales, contraintes politiques
ou ractions populaires. Elle est dite subjective ou psychologique
quand lindividu rpond de ses actes devant sa propre conscience, et
que la sanction est purement intrieure, satisfaction ou remord. Ces
deux aspects caractrisent les diffrentes formes de responsabilit
prsidentielle.
b)-Les diffrentes formes de responsabilit du Chef de lEtat Le
Chef de lEtat encourt traditionnellement 114 , en principe, une
triple responsabilit, civile, pnale et politique. Les deux premires
formes de responsabilit constituent la responsabilit juridique 115
du Chef de lEtat parce quelles sont strictement prvues par le droit
positif alors que la responsabilit politique nest que partiellement
organise par le droit 116 . Dans les rgimes constitutionnels
dmocratiques, ces diffrents types de responsabilit se conjuguent
harmonieusement tant que la primaut de la responsabilit politique
sur les autres formes de responsabilit est conserve. Cest aussi
pourquoi il convient de dfinir dabord la premire avant dexaminer
les diffrences qui existent entre celle-ci et les autres formes de
responsabilit.
112 Hans Jonas dfinit la responsabilit comme l imputation
causale des actes commis , in Le principe responsabilit, Paris,
Flammarion, 1998, p. 179. Sur limputation, voir aussi, Max Weber,
Economie et socit, t. 1, Paris, Plon, 1971, pp. 47-48. 113 La
sanction ne sentend pas forcment ici la rvocation. Voir Jean-Marc
Fvrier, Lanxiologie de la responsabilit politique , in Philippe
Sgur (sous la direction de), Gouvernants : quelle responsabilit ?,
op. cit., pp. 213-240, lire pp. 236-237. Par ailleurs, Philippe
Sgur parle par exemple de sanction positive (expression de la
confiance) et de sanction ngative (expression de la dfiance), in La
responsabilit politique, op. cit., p. 80. Notons que le droit
traditionnel africain retient plusieurs types de sanctions :
psychologiques, sociologiques, religieuses et magiques. Voir,
Talism Olawale Elias, La nature du droit coutumier africain, op.
cit., pp. 73-93. Sur la perptuation de ces sanctions en Afrique
noire post-coloniale, cf., Sophia Mappa, Pouvoirs traditionnels et
pouvoir dEtat en Afrique. Lillusion universaliste, Paris, Ed.
Karthala, 1998, pp. 185-188. 114 Cf., Albert Delaurier, De la
responsabilit du Prsident de la Rpublique, thse Droit, Bordeaux,
1902, 206 p. ; Ezekiel Gordon, La responsabilit du Chef de lEtat
dans la pratique constitutionnelle rcente (Etude de droit compar),
thse Droit, Paris, Jouve & Cie, 1931, 280 p. ; Louis Leneru, La
responsabilit du Prsident de la Rpublique, thse droit, Paris,
Rousseau, 1901, 114 p. ; Francisque Perrin, De la responsabilit
pnale du Chef de lEtat et des ministres en France depuis la chute
de lancien rgime jusqu nos jours, thse Droit, Grenoble, 1900, 412
p. 115 Sur la responsabilit juridique, voir, Michel Virally, La
pense juridique, Paris, Ed. Panthon-Assas/LGDJ, 1998, pp. 108-118 ;
Simone Goyard-Fabre, Responsabilit morale et responsabilit
juridique selon Kant , Archives de philosophie du droit, n22, La
responsabilit, Paris, Sirey, 1977, pp. 113-129. ; Catherine
Thibierge, Avenir de la responsabilit, responsabilit de lavenir ,
Rec. Dalloz, n9, 2004, pp. 577-581. 116 Cette distinction entre
responsabilit juridique et responsabilit politique est lune des
caractristiques de lre dmocratique, voir, JeanMarie Domenach, La
responsabilit. Essai sur le fondement du civisme, op. cit., p. 6.
Voir aussi, Pierre Avril, Les conventions de la Constitution.
Normes non crites du droit politique Paris, PUF, coll. Lviathan ,
1999, p. 22 et p. 70.
27 -La responsabilit politique du Chef de lEtat La responsabilit
politique du Chef de lEtat 117 peut tre dfinie au sens strict et au
sens large. Stricto sensu, la responsabilit politique apparat comme
la suite dun dsaccord aveclorgane qui lhomme politique doit rendre
compte. Elle est sanctionne par la cessation des fonctions sans
autre obligation morale ou pnale 118
. Autrement dit, la responsabilit politique119
est analyse comme lobligation faite au titulaire dune fonction
politique de se retirer lorsquil aperdu la confiance de ceux devant
lesquels il doit rpondre
.
Il ressort de ces dfinitions que la sanction politique,
cest--dire la destitution, est un lment cl de la responsabilit
politique. En effet, sans lide de rvocation des gouvernants, la
responsabilit est un vain mot, elle est inexistante 120 . La
responsabilit politique apparat ici comme la contrepartie de
pouvoirs politiques, dune certaine libert dinitiative et daction
laisse lhomme investi dun mandat politique. Elle se caractrise donc
par la proportion qui existe entre degr de pouvoir et degr de
responsabilit. Cest dans ce sens que le constitutionnaliste anglais
Colin Turpin affirme que la responsabilit doit tre mesure ltendue
des pouvoirs dtenus. Les pouvoirs constitutionnelsimpliquent
lexercice dun pouvoir discrtionnaire et cest cela ce pouvoir de
choisir, de dcider qui confre de la signification et de limportance
la notion de responsabilit 121
. Il sagit l de
lapplication du principe dmocratique selon lequel il ny a pas de
pouvoir sansresponsabilit 122
. Autrement dit, il ny a pas dautorit qui ne soit, un moment ou
un autre,123
mise en demeure de renouveler le pacte grce auquel elle
sexerce
.
Si lon ne peut qualifier de responsabilit politique la diversit
des mcanismes par lesquels un homme investi dun emploi politique
est rvoqu (cest le cas du coup dEtat), ilVoir entre autres, Bernard
Branchet, Contribution ltude de la Constitution de 1958. Le
contreseing et le rgime politique de la Ve Rpublique, prface de
Stphane Rias, Paris, LGDJ, Bibliothque constitutionnelle et de
science politique, t. 82, 1996, pp. 241-247. ; Elisabeth Zoller,
Droit constitutionnel, 2e d., Paris, PUF, 1999, pp. 472-474 ;
Michel Blanger, Contribution ltude de la responsabilit politique du
Chef de lEtat , RDP, septembre-octobre, 1979, pp. 1265-1314; Robert
Boudon, La responsabilit du Prsident de la Ve Rpublique
(1959-1974), Mmoire de DES de Science Politique, Universit de
Bordeaux I, 1974 ; Arnaud Martin, La responsabilit du Chef de lEtat
sous la Ve Rpublique, Mmoire de DEA, Droit public, Universit de
Bordeaux 1, 1990; Bernard Kieffer, Lirresponsabilit politique du
Prsident sous la Ve Rpublique, Mmoire DES Droit constitutionnel,
Universit de Reims, 1974, pp. 62 et suiv. 118 Yves Lenoir, La
notion de responsabilit politique , Rec. Dalloz-Sirey, Chron. II,
1966, pp. 5-8, p. 5. 119 Patrick Auvret, La responsabilit du Chef
de lEtat sous la Ve Rpublique , RDP, 1988, p. 78. Dans le mme sens,
voir Philippe Sgur, Quest ce que la responsabilit politique ? ,
RDP, n6, 1999, pp. 1598-1623, p. 1600. 120 Plusieurs auteurs font
de la sanction un critre essentiel de la responsabilit politique.
Voir, Jean Laferrire, Manuel de droit constitutionnel, Paris,
Domat-Montchrestien, 1943, pp. 730 et suiv., Georges Vedel, Manuel
lmentaire de droit constitutionnel, Paris, Sirey, 1949, p. 459 ;
Yves Lenoir, La notion de responsabilit politique , Rec.
Dalloz-Sirey, Chron. II, 1966, p. 2.; Philippe Sgur, La
responsabilit politique, op. cit., pp. 17-18. 121 Colin Turpin,
Ministerial Responsability , in Jeffrey Jowell and Dawn Oliver
(dir.), The Changing Constitution, 4e d., Oxford University Press,
2000, pp. 109-122, p. 111. 122 Pierre Avril, Pouvoir et
responsabilit , Mlanges offerts Georges Burdeau, Le Pouvoir, Paris,
LGDJ, 1977, pp. 9-23, p. 9. De mme, Joseph Barthlemy et Paul Duez
soulignent que lautorit est insparable de la responsabilit. Qui
nest pas responsable ne doit pas agir , in Trait de droit
constitutionnel, op. cit., p. 619. 123 Christian Bidgaray et Claude
Emeri, La responsabilit politique, Paris, Dalloz, coll.
Connaissance du Droit , 1998, p. 4.117
28 faut pourtant reconnatre que ces procdures peuvent tre
formelles ou informelles ds lors quelles revtent un caractre
dmocratique. Ce dernier aspect mrite dtre prcis. En effet, la
responsabilit politique du Chef de lEtat dpasse largement les
textes juridiques. Elle dcoule de la pratique constitutionnelle et
politique et recouvre une srie de procdures indirectes ou
informelles qui entranent la rvocation du Chef de lEtat ou
provoquent sa dmission. Ces mcanismes sont lgion. On peut citer par
exemple les lections politiques et le rfrendum. Dans ces diffrents
cas, la responsabilit prsidentielle est dite de facto. Ces
mcanismes obissent la logique de la dmocratie constitutionnelle 124
. Pierre Avril observe ce propos que le principe (de responsabilit)
est inhrent au constitutionnalisme dmocratique etrsulte
imprativement des exigences de ce type dorganisation politique : le
pouvoir dun organe implique ncessairement la responsabilit de cet
organe. Il sensuit une obligation gnrale de comportement qui
simpose au Chef de lEtat la mesure de lautorit quil dtient
effectivement 125
.
Cette premire conception de la responsabilit politique est
cependant limite. En effet, lassimilation entre responsabilit
politique et sa sanction suprme, la rvocation, tmoigne dune
acception trs restrictive de la notion de responsabilit. Cette
assimilation se repose sur la philosophie du droit implicite du
juriste positiviste - qui dfinit la rgle de droit parla sanction
juridictionnelle 127 126
. Pour Olivier Beaud, dans la responsabilit, le lien entre
la
rgle de fond et la sanction na pas lautomaticit quelle revt en
droit pnal ou en droit civil ()
. En dautres termes, la sanction politique, cest--dire la
destitution, ne constitue que
le cas extrme, lultima ratio de la responsabilit politique.
Ainsi, lobligation de sexpliquer de laction gouvernementale ou
prsidentielle se traduit par des formes mineures de
responsabilitpolitique, par opposition sa forme majeure (la
destitution) 128
. On aboutit ainsi une extension
de la notion de responsabilit politique qui nest pas toujours
organise par le droit 129 . Les mcanismes de mise en jeu de cette
responsabilit politique minimale du Chef de lEtat peuvent tre
regroups, par extension, ce que la science politique amricaine
appelle accountability 130 . La political accountability est dfinie
comme lobligation faiteVoir notamment, Carl J. Friedrich, La
dmocratie constitutionnelle, Paris, PUF, 1958 ; Christian Starck,
La thorie de la dmocratie constitutionnelle , Mlanges Patrice
Glard, Droit constitutionnel, Paris, LDGJ, 1999, pp. 87-92 ;
Philippe Lauvaux, Les grandes dmocraties contemporaines, 3e dition,
Paris, PUF, coll. Droit fondamental , 2004, pp. 139 et suiv. 125
Pierre Avril, Pouvoir et responsabilit , op. cit., p. 14. De mme,
Lucien-Anatole Prvost-Paradol souligne que la responsabilit est
proportionnelle au pouvoir , in La France nouvelle, prface de Jean
Tulard, Paris, coll. Ressources, 1979, p. 121. 126 Olivier Beaud,
Le sang contamin. Essai critique sur la criminalisation de la
responsabilit des gouvernants, Paris, PUF, coll. Bhmoth , p. 158.
127 Olivier Beaud, ibid., p. 158. 128 Ibid., p. 160. 129 Georges
Burdeau, Francis Hamon et Michel Troper soulignent galement qu il
nest pas exclu que sous une forme ou sous une autre, la
responsabilit du Prsident puisse tre mise en uvre en dehors des cas
prvus par le texte constitutionnel , in Droit constitutionnel, 28e
d., Paris, LGDJ, 2003, p. 569. 130 Voir Guy Hermet, Bertrand Badie,
Pierre Birnbaum et Philippe Braud, Dictionnaire de la Science
politique et des institutions politiques, 4e d., Paris, Armand
Colin, coll. Cursus , srie, Science politique , 2000, pp. 8-9 ;
John Lonsdale, Political Accountability in African History , op.
cit., pp. 125-165 ; Pierre Avril, Responsabilit et accountability ,
in Olivier Beaud et Jean-Michel Blanquer (sous la direction de), La
responsabilit des gouvernants, Paris, Descartes & Cie, coll.
Droit , 1999, pp. 85-93. ; Mark J. Rozell, Executive124
29 aux gouvernants de tenir compte et de rendre compte ou encore
lobligation de rpondre ou de sexpliquer de la conduite des affaires
publiques 131 . Cette obligation est le noyau central de la
responsabilit politique 132 . La responsabilit politique mineure du
Chef de lEtat recouvre une srie de mcanismes qui, sans menacer
directement la prennit de loccupation de la fonction politique sont
susceptibles dentacher la lgitimit de son occupant133 et de porter
atteinte sa capacit gouverner seul et de faon despotique. La
responsabilit politique est ici la contrepartie de la fonction
politique. Elle prive le Chef de lEtat de ses pouvoirs et entame
sapuissance et son autorit sans lesquelles il ne peut user de ses
capacits comme il lentend 134
.
En dfinitive, la responsabilit politique apparat comme une
procdure de limitation, de contrle et de rvocabilit des dtenteurs
dun pouvoir politique 135 , en loccurrence du Chef de lEtat. La
responsabilit politique prsente des spcificits qui la distinguent
des autres formes de responsabilit.
-Les diffrences entre la responsabilit politique et les autres
formes de responsabilit.
La responsabilit politique se distingue de la responsabilit
morale par trois aspects selon une classification tablie par Yves
Lenoir 136 : tout dabord, la responsabilit politique, au contraire
de la responsabilit morale, trouve gnralement sa manifestation dans
un contrle a posteriori des actes politiques ; ensuite elle
natteint que des comportements politiques priode