La Nouvelle Zélande ou le pays de l´extrême contradiction La Nouvelle-Zélande, ses montagnes, ses glaciers et ses lacs, ses millions de moutons, ses forêts primaires et ses plages de sable noir. Cette contrée isolée du Pacifique sud, au-delà du 45ème parallèle, fait rêver chaque année de plus en plus de jeunes du monde entier. Grâce au programme «Working Holiday Visa» 1 (visa d´immigration temporaire permettant à des jeunes âgés entre 18 et 30 ans de voyager et travailler dans un pays pour une durée de 1 an), ils sont de plus en plus nombreux ; européens, sud-américains, ou encore asiatiques, à tenter l´aventure néozélandaise. Dans le contexte de crise mondiale et globale, le pays des All-Blacks fait office de destination de rêve pour ces jeunes expatriés en quête de liberté et de réussite socioprofessionnelle. Nourris par l´imaginaire féerique du « Seigneurs des Anneaux », des reportages sur les merveilles naturelles du pays, des spots publicitaires vantant le tourisme de nature et d´aventure, ou encore par la valorisation de la culture maorie (dont le Haka d´avant match de rugby est devenu le symbole de tout un pays), ces jeunes du monde entier arrivent sur le sol néozélandais plein d´espoir et de projets. Pourtant, beaucoup de choses ont changé depuis que les premiers polynésiens ont débarqué sur Aotearoa : le pays du long nuage blanc. Ayant accosté vers 1200 ap.J.-C, sur les côtes vierges du cap Renga, les tahitiens venus depuis les îles de la société vont s´acclimater et peupler ces îles dont le règne végétal n´avait jusque là, permis que quelques espèces d´oiseaux. La venue du capitaine James Cook, près de 500 ans plus tard, va ouvrir la porte à une colonisation britannique de ces terres vierges du grand sud. Composés de volontaires des îles de Grande-Bretagne et d´anciens forcenés venus d´Australie, ces groupes de colons vont s´installer sur les deux îles de Aotearoa. Reproduisant le mode de vie Anglo-saxon, ces pionniers vont par le nombre et par la force, remplacer le système de vie traditionnel polynésien. Les maoris, pourtant réputés comme de grands guerriers, vont peu à peu se faire englober dans le modèle colonial britannique qui s´appuie sur la suprématie militaire et la promesse d´avantages économiques et de partage des terres (Traité de Waitangi, 6 février 1840). 1 «ndt». Visa Vacances/Travail
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La nouvelle zélande ou le pays de l´éxtreme contradiction
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La Nouvelle Zélande ou le pays de l´extrême contradiction
La Nouvelle-Zélande, ses montagnes, ses glaciers et ses lacs, ses millions de
moutons, ses forêts primaires et ses plages de sable noir.
Cette contrée isolée du Pacifique sud, au-delà du 45ème parallèle, fait rêver chaque
année de plus en plus de jeunes du monde entier.
Grâce au programme «Working Holiday Visa» 1(visa d´immigration temporaire
permettant à des jeunes âgés entre 18 et 30 ans de voyager et travailler dans un pays
pour une durée de 1 an), ils sont de plus en plus nombreux ; européens, sud-américains,
ou encore asiatiques, à tenter l´aventure néozélandaise.
Dans le contexte de crise mondiale et globale, le pays des All-Blacks fait office de
destination de rêve pour ces jeunes expatriés en quête de liberté et de réussite
socioprofessionnelle.
Nourris par l´imaginaire féerique du « Seigneurs des Anneaux », des reportages sur les
merveilles naturelles du pays, des spots publicitaires vantant le tourisme de nature et
d´aventure, ou encore par la valorisation de la culture maorie (dont le Haka d´avant
match de rugby est devenu le symbole de tout un pays), ces jeunes du monde entier
arrivent sur le sol néozélandais plein d´espoir et de projets.
Pourtant, beaucoup de choses ont changé depuis que les premiers polynésiens
ont débarqué sur Aotearoa : le pays du long nuage blanc. Ayant accosté vers 1200
ap.J.-C, sur les côtes vierges du cap Renga, les tahitiens venus depuis les îles de la
société vont s´acclimater et peupler ces îles dont le règne végétal n´avait jusque là,
permis que quelques espèces d´oiseaux.
La venue du capitaine James Cook, près de 500 ans plus tard, va ouvrir la porte à une
colonisation britannique de ces terres vierges du grand sud. Composés de volontaires
des îles de Grande-Bretagne et d´anciens forcenés venus d´Australie, ces groupes de
colons vont s´installer sur les deux îles de Aotearoa.
Reproduisant le mode de vie Anglo-saxon, ces pionniers vont par le nombre et par la
force, remplacer le système de vie traditionnel polynésien. Les maoris, pourtant réputés
comme de grands guerriers, vont peu à peu se faire englober dans le modèle colonial
britannique qui s´appuie sur la suprématie militaire et la promesse d´avantages
économiques et de partage des terres (Traité de Waitangi, 6 février 1840).
1 «ndt». Visa Vacances/Travail
Les premières grandes fermes d´élevage ovin et bovin voient le jour. Les forêts
primaires de Kauri ou de Fern-tree2 vont progressivement être remplacées par des
prairies. Le paysage de la Nouvelle-Zélande se modifie sous l´action de l´homme dit
civilisé.
Aujourd´hui, les jeunes arrivent des quatre coins du monde dans les aéroports
internationaux d’Auckland et de Christchurch. Si beaucoup choisissent de débuter leur
voyage par l´île du nord (appelée île de feu par les maoris), c´est surtout dans l´île du
sud (île de Jade) que se retrouvent les jeunes en quête de tourisme de nature et
d´aventure.
Dans cette île de jade, traversée en son milieu par le massif montagneux des
Alpes néozélandaises, la population ne s´élève qu´à 1 million d´habitants, soit un peu
plus de 6 habitants/km2. Bordée par la mer de Tasman sur sa « West-coast » et par
l´océan Pacifique sur la « East coast », elle compte en plus de ses richesses naturelles,
des activités économiques qui attirent cette jeunesse en éveil.
La région du Canterburry et du Central Otago, regroupent les plus grandes fermes
d´élevage de moutons (dont l´agneau est consommé dans le monde entier) et de fermes
laitières qui place la Nouvelle-Zélande à la 1ère position mondiale en tant
qu´exportateur de lait.
Au delà des chiffres, et pour tenter de percer sur le terrain, les travers de la campagne
100% pure New Zealand, nous avons rencontré deux jeunes français qui ont travaillé
dans des « fermes-types » d´élevage bovin et ovin.
Rodolphe- 23 ans- Parisien, en NZ depuis 7 mois :
« Honnêtement je n´ai jamais vu ça ! Je bosses dans une ferme de 7200 vaches laitières.
Nous sommes 6 jeunes, tous en « Working Holiday Visa » à s´occuper de la traite, du
nettoyage et de nourrir les vaches. Les conditions de vie des bêtes, vont à l´encontre de
toute éthique animale. Il n´y a aucun système de traitement des déjections et tout fini,
par écoulement dans la rivière voisine. On rajoute sans cesse des antibiotiques dans leur
nourriture et le pire, c´est qu`après une nuit d´effort (sur demande d´heures
supplémentaires par le patron) j´ai aidé à mettre bas une vache avec tout l´effort affectif
que cela demande. Le lendemain, j´apprends que le veau a été exécuté et brulé dans le
fond de l´exploitation pour raison d´insuffisance de place et de nourriture.
Je crois que je vais m´en aller de cette ferme, j´espère retrouver autre chose, de plus
humain… »
2 «ndt». Arbres fougères
Delphine- 26 ans- grenobloise, en NZ depuis 5 mois :
« Moi je suis venu ici parce que je suis bergère dans les
Alpes et que la Nouvelle-Zélande ça a toujours été un
rêve et aussi car je voulais développer mon anglais.
Pour ce qui est de l´anglais après 4 mois avec les
fermiers, ça va mieux. Mais pour ce qui est des
moutons, j´ai hâte de retrouver les miens. Parce que si
ça parait beau sur les cartes postales, les moutons qui
broutent dans les vertes prairies avec en décor de fond
les montagnes enneigées, en réalité les fermiers ils en
ont tellement des moutons, qu´ils ne s´en occupent pas.
A la pointe de la technologie en matière agricole, ils ont fait baguer les moutons qui
sont géo positionnés sur ordinateur avec repérage satellite. Ils ne les soignent pas quand
ils se blessent. Pour eux, peu importe s´il en manque une dizaine lors de la tonte (pour la
précieuse laine de Mérinos) ou pour l´envoi à l´abattoir. Je les ai engagés à recruter des
équipes de bergers, car il y a plein de jeunes bergers qui sont en voyage ici. Mais quand
je leur dit ça ils me prennent pour une extra-terrestre. Du coup j´ai fait mon sac à dos et
j´ai repris la route et je vais serrer le budget d´ici mon billet de retour. »
La condition des jeunes expatriés n´est pas toujours facile. Peu de droits les
protègent et leur statut ne pèserait pas lourd en cas d´un procès avec un natif de l´île.
Le gouvernement kiwi (terme qui désigne à la fois l´oiseau endémique, symbole du
pays, le fruit et le néozélandais natif du pays) ouvrirait donc ses frontières pour avoir
une main d´œuvre pas chère et peu regardante sur les conditions de travail ?
Justement, nous sommes allés faire un tour à Motueka, au bord de la baie de
Tasman, dans le nord de l´île du sud, plus grosse région productrice de fruits et légumes
notamment de kiwis (le fruit !). Dans cette ville-rue, caractéristique de l´organisation
urbaine Anglo-saxonne, nous voyons beaucoup de voyageurs, de cafés, de pubs et aussi
bon nombre de visages polynésiens, uniquement des hommes, qui se déplacent en
groupe dans la rue principale.
Le soir, nous trouvons un espace de camping à quelques kilomètres de la ville et nous
tombons sur un groupe de jeunes qui voyagent en van aménagé. Autour d´un grand feu,
ces jeunes venus ici pour travailler dans le ramassage des fruits et des légumes,
partagent un grand repas composé de pain et de viandes dénichés dans les poubelles du
supermarché de la ville.
Julien- 28 ans, breton des côtes d´Armor en NZ depuis 7 mois :
« Tout est tellement cher ici ! La viande c´est hors de prix. Le gigot d´agneau, il est
presque deux fois plus cher qu´en France. Le vin, ils sont producteurs, la moins bonne
bouteille coute 9$nz (7 Euros). C´est pas facile. Du coup, on fait ce qu´on appelle du
« Dumpster-diving », on récupère ce que les supermarchés jettent au jour de la date de
péremption. Mais au moins, c´est pas comme en France, ils ne mettent pas de l´acide ou
de la javel dessus pour rendre la nourriture impropre à la consommation. La Nouvelle-
Zélande est un pays vert aux yeux du monde, mais lorsque l´on s´en rapproche pour y
voir sans lunettes et bien le vert est plus artificiel que naturel »
Un peu plus loin, je rejoins Cyril, 29 ans, Bigourdan en NZ depuis 9 mois. Après avoir
sympathisé, il accepte de se livrer à moi sur ses conditions de travail :
« Franchement, heureusement qu´ils sont là tous les potes. Qu`à nous tous on se serre
les coudes et on se remonte le moral. Je viens d´achever le ramassage des kiwis. Même
si c´est l´été, il ne fait pas bien chaud le matin quand on commence. Mais ça c´est
normal. C´est là qu’on se rend compte ce que c´est l´agriculture. Non ce qui est terrible
c´est ce qu´on a fait cette semaine. Moi j´ai accepté parce que j´ai besoin d´argent, mais
les autres ils ont refusé. Je me suis retrouvé uniquement avec les Samoans, car tous les
polynésiens qui bossent ici ils viennent des îles Samoa. Tout a été fait « au black » j´ai
été payé un peu plus que la normal.
On a injecté des sortes d´antibiotiques à tous les kiwis de l´exploitation avant de les
ramasser. Un événement a retardé leur croissance et du coup comme les commandes
étaient déjà passées, il a fallu les livrer quand même. Je ne sais pas ce que je leur ai
injecté. Mais quand j´y pense, je m´en veux.
Et dire que tous les consommateurs du monde entier, peut-être même mes parents, vont
en manger en pensant qu´ils sont supers bons ces kiwis puisqu´ils viennent de Nouvelle-
Zélande. J´ai dit à tous les potes de ne pas en manger. Surtout pas…
Et quand je pense à tous ces mecs des Samoa. Eux, ils n´ont pas le choix. Avant la
saison des récoltes, les « contractors »3 ou directement les patrons de ferme, ils vont là
bas, ils enrôlent autant de travailleurs qui leur en faut, ils les ramènent en Nouvelle-
Zélande et ils ne les paient qu´une fois la saison finie et qu´ils sont de retour chez eux.
Ils prétextent un peu comme pour les maoris, qu´ils vont tout dépenser dans l´alcool.
Mais je sens bien que c´est une fausse excuse. C´est surtout pour qu´ils ne puissent rien
dire sous peine de se faire renvoyer sans un sou … »
Nous dormirons ce soir là sous un ciel tapissé d´étoiles. Contemplant la
constellation de la Croix du Sud, sans aucune pollution visuelle de grandes villes ou
d´industries, je médite en me disant que bien souvent, ce n´est pas la pollution que l´on
voit qui est la plus grave et la plus douloureuse pour la Terre.
Le lendemain, à 5 h 30 a.m, le campement se vide et chaque van et ses occupants
reprennent la route des champs où la récolte des pommes a commencé.
Pour notre part, nous faisons route vers le célèbre « Abel Tasman National Park ».
Ayant entendu parler de sa magie depuis la France, nous décidons de louer un kayak
pour découvrir le parc, coté mer.
Nous prenons la mer à marée basse dans la baie de Marahau et longeons la côte vierge
et sauvage. Nous découvrons des plages de sable blanc et des forêts tropicales
plongeants dans une eau turquoise.
Notre expérience de « Slow Travel » maritime, à la seule force des rames, nous
permet de prendre conscience de la façon dont est géré ce parc naturel et l´organisation
touristique qui en découle. Sans interruption, des « water-taxis » font des allers/retours
pour déverser des flots de touristes sur les plages. Les hors bords du D.O.C (Department
Of Conservation) frôlent notre embarcation, semant le remous dans l´eau, immaculée de
phytoplancton transparent, et effraye les familles de lions de mer qui jouent sur les
récifs de petits ilots du parc maritime.
Prétextant une vigilance sans faille de leur parc et une sécurité pour les touristes,
ces employés de l´institution nationale de conservation et de protection de la
biodiversité, quadrillent de façon militaire leur zone et utilisent sans ménagement leurs
bateaux, très gourmands en hydrocarbures. Ces rejets d´essence dans la mer, s´ajoutant
à ceux des centaines de « water-taxis » participent à la pollution de ce site naturel.
3 «ndt». Agence de placement de travailleur agricole qui perçoit en moyenne 8% du salaire.
La liberté d´action sur la zone du parc est très contrôlée et encadrée. Mettant en
avant le tourisme de nature et d´aventure, ce trek à l´instar de plusieurs en Nouvelle
Zélande, place le touriste dans une logique d´assistanat (sentier aménagé, interdiction de
sortit du chemin…).
L´ « Abel tasman », la plus empruntée des fameuses « 9 greats walks of New Zealand»4,
représente un véritable budget pour le marcheur (24 $nz pour une nuit en refuge et
12 $nz pour une nuit sous la tente). Les nuits en refuge et les places de tentes étant
limitées, le trek se réserve souvent plusieurs semaines à l´avance en haute saison. Un
garde du parc contrôle votre réservation à l´entrée du chemin en guise de laissez-passer.
Il en est de même pour les 9 plus belles randonnées de Nouvelle-Zélande.
Limiter par l´argent le nombre d´entrées dans un parc naturel, effectuer une sélection sur
une base monétaire des randonneurs assoiffés d´aventure et de nature ; Assister plutôt
que responsabiliser les touristes, tels semblent être les pratiques touristiques du pays
kiwi et de sa puissante organisation qu´est le « Department Of Conservation ».
Ayant entendu que de nombreuses initiatives écologiques se créaient dans la
région voisine de la « Golden Bay », nous prenons la route de Takaka.
Dans la petite bourgade de 2000 habitants, chef lieu de la région, de nombreux artistes
et acteurs d´initiatives innovantes sont venus s´installer. Un restaurant de cuisine
« vegan »5, un jardin communautaire où chaque personne aidant un temps au potager
reçoit un repas gratuit, un marché dominical qui promeut auprès des touristes et des
voyageurs, des spécialités produites localement, notamment par les deux communautés
de la région.6
Quelques acteurs locaux qui dynamisent la commune et contribuent à donner une image
positive de la région. Pourtant, malgré le climat serein qui règne dans cette région,
enclavée du reste du pays par le parc d´ « Abel Tasman », le « Kahaurangi national
Park», les habitants se réunissent de plus en plus souvent pour s´organiser et se défendre
face aux menaces d´ouverture du marché des terrains de l´état aux investisseurs et
compagnies d´extraction internationales.
Daphnée-38 ans, résidente en Nouvelle-Zélande depuis 15 ans, gérante du camping
Hang dog, accueillant des escaladeurs du monde entier :
« Quand on est arrivés ici, on était idéalistes et pleins de motivations pour créer une
région laboratoire du développement durable. On avait tous voyagé dans le monde
4 «ndt». Les 9 plus belles marches de Nouvelle-Zélande. ( http://www.doc.govt.nz/parks-and-
recreation/tracks-and-walks/great-walks/)
5 «nda». Mode de vie fondé sur le refus de la cruauté envers les animaux. Régime alimentaire excluant les
œufs et les produits laitiers en plus des restrictions végétariennes.