La métamorphose dans l’œuvre de David Altmejd Mémoire Marie-Ève Tanguay Maîtrise en histoire de l'art Maître ès arts (M.A.) Québec, Canada © Marie-Ève Tanguay, 2014
La métamorphose dans l’œuvre de David Altmejd
Mémoire
Marie-Ève Tanguay
Maîtrise en histoire de l'art
Maître ès arts (M.A.)
Québec, Canada
© Marie-Ève Tanguay, 2014
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RÉSUMÉ
Cette étude prend pour objet la pratique sculpturale de l’artiste québécois
David Altmejd, né en 1974. Aménageant des paysages bigarrés s’articulant
autour de la rencontre d’une affluence d’objets, de matériaux hétéroclites et
personnages étranges, Altmejd conçoit ses sculptures comme de petits
mondes à part qui toujours semblent traversés par une énergie
transformatrice.
L’enjeu de cette recherche est de mettre en lumière les stratégies formelles
et conceptuelles par lesquelles l’artiste réinterroge la notion classique de la
métamorphose. Par l’analyse des œuvres et du discours de l’artiste, le tout
tenant compte de l’expérience du spectateur, cette étude veut montrer
comment David Altmejd s’approprie et reformule cette notion de
métamorphose dans un langage qui lui est propre. Propice aux échanges et
aux communications contre-nature, ce langage permet, selon-nous, de
remettre en question certains codes par lesquels nous appréhendons et
définissons le mouvement, voire, le monde en mouvement.
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ABSTRACT
This study investigates the sculptural practice of David Altmejd, an artist
from Québec born in 1974. Setting up mixed landscapes, in which are
blended numerous objects, heterogeneous materials and strange
characters, Altmejd creates sculptures as if they were small worlds in
themselves, expressing their own transformative energy.
We will seek to unveil the formal and conceptual strategies that the artist
uses to re-examine the classical notion of metamorphosis. Taking into
consideration the experience of the spectator, we will analyse David
Altmejd’s work and speech in order to demonstrate how he manages to grasp
and reformulate the notion of metamorphosis using a language of his own:
permeable to exchanges and communications that go beyond our natural
way of seeing things, a language that enables him to challenge some of the
codes traditionally used to apprehend and define movement, and,
extensively, the world itself.
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TABLE DES MATIÈRES
Résumé ................................................................................................................... iii
Abstract .................................................................................................................... v
Table des matières .................................................................................................. vii
Liste des figures ....................................................................................................... ix
Avant-propos ........................................................................................................ xvii
INTRODUCTION ........................................................................................................ 1
CHAPITRE 1. QUAND LES FORMES SE RENCONTRENT, LA MATIÈRE S’ANIME ...... 13
1.1. Description .................................................................................................. 13
1.2. Combinaisons et métissages comme modes de composition formels .............. 24
1.3. Déployer l’énergie : la sculpture comme organisme ....................................... 29
CHAPITRE 2. MÉTAMORPHOSE, MOTIF ET REPRÉSENTATION .............................. 35
2.1. Une approche classique de la métamorphose................................................ 36
2.2. La stratégie altmejdienne : une question de vie et de mort ............................ 40
2.3. La putréfaction comme creuset de tous les possibles ....................................... 43
2.4. Le corps : une question de frontière ................................................................. 48
2.5. L’ouverture du corps ........................................................................................ 58
2.6. Le corps proliférant ......................................................................................... 62
CHAPITRE 3. PASSAGE, DEVENIR ET RHIZOME .................................................... 65
3.1. Au-delà du passage : conception du mouvement métamorphique .................. 67
3.2. Quand l’un est impossible : vers une conception non linéaire du mouvement
métamorphique ..................................................................................................... 71
3.3. Hétérogénéité et tensions dans l’œuvre de David Altmejd .............................. 75
3.4. Le circuit contre la droite ............................................................................. 79
3.5. Le rhizome et ses principes .......................................................................... 80
3.6. Pour s’ouvrir au devenir ............................................................................... 87
3.7. Devenir rhizome : analyse des effets spéculaires dans l’œuvre de David Altmejd
.................................................................................................................................... 91
3.8. Systèmes proliférants : un dépassement du rhizome comme modèle ............. 97
CONCLUSION ....................................................................................................... 101
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................. 109
FIGURES ............................................................................................................... 117
viii
ix
LISTE DES FIGURES
Figure 1 – David Altmejd et Pierre Lapointe. Conte crépusculaire, 2011.
Techniques mixtes. 8,5 x 14,5 m. Montréal, Galerie de l’UQÀM. Image tirée du site Un show de mot’art (auteur du site, Éloi Desjardins. Photo Pascal Grandmaison et Frédéric Bouchard), http://www.unshowdemotarts.net/?p=2436, page consultée le 12 août 2012.
Figure 2 – David Altmejd et Pierre Lapointe. Conte crépusculaire, 2011. Techniques mixtes. 8,5 x 14,5 m. Montréal, Galerie de l’UQÀM. Image
tirée du site Martin Labrecque concepteur d’éclairage (auteur du site et photo, Martin Labrecque), http://martinlabrecque.ca/conte-crpusculaire-de-pierre-lapointe-et#/id/i3591690, page consultée le 18 novembre 2012.
Figure 3 – David Altmejd et Pierre Lapointe. Conte crépusculaire, 2011.
Techniques mixtes. 8,5 x 14,5 m. Montréal, Galerie de l’UQÀM. Image tirée du site PBS : Art21, (Auteur du site PBS. Photo David Jacques), http://www.pbs.org/art21/images/david-altmejd/conte-crepusculaire-
twilight-tale-2011, page consultée le 18 novembre 2012.
Figure 4 – David Altmejd et Pierre Lapointe. Conte crépusculaire, 2011. Techniques mixtes. 8,5 x 14,5 m. Montréal, Galerie de l’UQÀM. Image tirée du site Martin Labrecque concepteur d’éclairage (auteur du site et photo,
Martin Labrecque), http://martinlabrecque.ca/conte-crpusculaire-de-pierre-lapointe-et#/id/i3591690, page consultée le 18 novembre 2012.
Figure 5 – Gian Lorenzo Bernini. Apollon et Daphné, 1622-1625. Marbre de Carrare. Hauteur 243 cm. Galrerie Borghèese, Rome. Image tirée du
site de la Galerie Borghèse (crédit photo Gaelrie Borghèse) http://www.galleriaborghese.it/borghese/it/dafne.htm, page consultée le
23 octobre 2009.
Figure 6 – Giovanni Battista Tiepolo. Apollon et Daphné, entre 1743-1744.
Huile sur toile, dimensions : 96 x 79 cm. Paris, Le Louvre. Image tirée de la page Le Louvre : département des peintures italitennes (auteur du site : Le Louvres, photo Angèle Dequier),
http://commons.wikimedia.org/wiki/Fileà:Giovanni_Battista_Tiepolo_-_Apollo_and_Daphne_-_WGA22293.jpg, page consultée 23 octobre 2009.
Figure 7 – Théodore Chassériau. Apollon et Daphné, vers 1844. Huile sur toile, dimensions : 53 x 25,5 cm. Paris, Le Louvre. Image tirée du site
d’Éduscol, portail national des profesionnels de l’éducation (auteur du site Éduscole, Photo, Erich Lessing).
http://eduscol.education.fr/louvre/morphe/daphne.htm, page consultée le 23 octobre 2009.
x
Figure 8 – David Altmejd. Loup-garou 1, 1999 (premier plan). Loup-garou 2, 2000 (arrière-plan). Bois, peinture, plexiglas, système d'éclairage,
plâtre, miroirs, pâte à modeler, polymère, cheveux synthétiques, acétate, Mylar, bijoux, brillants, dimensions : 214 x 198 x 244 cm et 243,8 x
182,9 x 213,4 cm. Montréal, Galerie de l’UQAM. Image tirée du site du Conseil des arts du Canada (photo Richard Max Tremblay). http://www.canadacouncil.ca/~/media/Images/Image%20Gallery/2010%
20York%20Wilson%20Endowment%20Award%20Loupgarou%201%20by%20David%20Altmejd/Loup-garou%201/Loupgarou1et2.jpg?mw=1382, page consultée le 9 août 2013.
Figure 9 – David Altmejd. Loup-garou 2, vue d’ensemble, 2000. Bois,
peinture, plexiglas, système d'éclairage, plâtre, miroirs, pâte à modeler, polymère, cheveux synthétiques, acétate, Mylar, bijoux, brillants, dimensions : 243,8 x 182,9 x 213,4 cm. Collection particulière. Image tirée
du site Andrea Rosen Gallery (photo : Montréal Galerie de l’UQÀM). http://www.andrearosengallery.com/artists/david-altmejd/images#the-
brant-foundation-art-study-center-2011_8, page consultée le 3 octobre 2013.
Figure 10 – David Altmejd. Loup-garou 2, 2000. Détail. Image tirée du site Andrea Rosen Gallery (photo Montréal Galerie de l’UQÀM).
http://www.andrearosengallery.com/artists/david-altmejd/images#the-brant-foundation-art-study-center-2011_8, page consultée le 11 mars 2013.
Figure 11 – David Altmejd. Loup-garou 2, 2000. Détail, collection
particulière. Image tirée du site de Tara Corporation (photo : Denis Farley, courtoisie de Andrea Rosen Gallery, New York). http://taracorporation.com/acad/assets/img/Events/2007/09/da_lg_02.j
pg, page consultée le 1er octobre 2013.
Figure 12 – David Altmejd. The Settler, 2005. Bois, plexiglas, miroir, colle,
poile synthétique, paillettes, argile, fils, styromousse, lumière, dimensions : 142,24 cm x 335,28 cm x 228,60 cm. Collection particulière.
Image tirée du site Sébastien Michaud & cie (auteur du site Sébastien Michaud, auteur de la photo inconnu). http://sebastienmichaud.files.wordpress.com/2010/06/david_altmejd_the
_settlers.jpg, page consultée le 11 septembre 2012.
Figure 13 – David Altmejd. The Old Sculptor, 2003. Bois, peinture, miroirs, ciment, résine, cheveux synthétiques, fleurs synthétiques, polystyrène expansé, pâte à modeler, polymère, fil de fer, chaînes, papier, bijoux,
perles, brillants, dimensions : 121,9 X 320 X 213,4 cm. Collection particulière. Image tirée du site Andrea Rosen Gallery (photo : Adam Reich,
New York). http://www.andrearosengallery.com/artists/david-altmejd/images, page consultée le 12 mai 2013.
xi
Figure 14 – David Altmejd. Aménagement des énergies, 1998. Table, chaises, plexiglas, bois, peinture, équipement audio, système d'éclairage,
détecteur de mouvement, acétate, polyéthylène téréphtalate, polystyrène expansé, cheveux synthétiques, dimensions variables. Image tirée du site
Andrea Rosen Gallery (auteur de la photo inconnu). http://www.andrearosengallery.com/artists/david-altmejd/images, page consultée le 12 mai 2013.
Figure 15 – David Altmejd. L’Université 2 (The University 2), 2004. Bois,
peinture, plâtre, résine, verre réfléchissant, plexiglas, fil de fer, colle, dimensions : 271,8 x 546,1 x 640,1 cm. New York, Guggenheim Museum. Image tirée du site Guggenheim Bilbao (photo : Peter Oszvald, cédée par
les Archives du Solomon R. Guggenheim Museum, New York). http://www.guggenheim-bilbao.es/fr/expositions/installations-selections-des-collections-guggenheim/, page consultée le 14 septembre 2013.
Figure 16 – David Altmejd. The New North, 2007. Bois, styromousse,
résine, peinture, Magic-Smooth, époxy, colle, miroir, poils de cheval, quartz, cristal, fils, dimensions : 368,3 cm x 134,6 cm x 106,7 cm. Collection particulière. Image tirée du site Staatchi Gallery (photo : Saatchi
Gallery Londres). http://www.saatchigallery.com/artists/david_altmejd.htm?section_name=
shape_of_things, page consultée le 12 septembre 2012.
Figure 17 – David Altmejd. The Hunter, 2006. Styromousse, époxy, argile,
peinture, poils de cheval, plexiglas, miroirs, branches artificielles, cagoule de cuire, harnais de cuire, écuelles naturalisées, système d'éclairage,
silicone, quartz, pyrite, hémimorphite, aragonite, dimensions : 187,8 x 250 x 250 cm. Collection particulière. Image tirée du site Andrea Rosen Gallery (photo : Andrea Rosen Gallery).
http://www.andrearosengallery.com/artists/david-altmejd/images#andquotuntitled-darkandquot-2001, page consultée le 19 septembre 2013.
Figure 18 – David Altmejd. The Center, 2008. Bois, styromousse, époxy,
argile, résine, poils de cheval, fils de métal, billes de verre, plâtre, colle, plumes, yeux de verre, dimensions : 358,1 x 182,9 x 121,9 cm. Collection particulière. Photo tirée du site Andrea Rosen Gallery (photo : Ellen Page
Wilson). http://www.andrearosengallery.com/artists/david-altmejd/images#andquotuntitled-darkandquot-2001, page consultée le 12
septembre 2013.
Figure 19 – David Altmejd. Untitled, 2007. Miroirs, plâtre, résine,
paillettes, peinture, styromousse, poils de cheval, dimensions variables selon le lieu d'installation, Bruxelles, Vanhaerents Art Collection. Image tirée du site Andrea Rosen Gallery (photo prise lors de l’installation au
Magasin – Centre National d'Art Contemporain de Grenoble, Grenoble,
xii
France, janvier, 2009). http://www.andrearosengallery.com/artists/david-altmejd/images#andquotuntitled-7-the-watchersandquot-2011, page
consultée le 12 août 2013.
Figure 20 – David Altmejd, vues de The Untitled, 2007. Photo : Marie-Ève
Tanguay, Les Abattoirs, Toulouse, été 2009.
Figure 21 – David Altmejd, vues de The Untitled, 2007. Photo : Marie-Ève Tanguay, Les Abattoirs, Toulouse, été 2009.
Figure 22 – David Altmejd, vues de The Untitled, 2007.
Figure 23 – David Altmejd. The Giant 2, 2007. Styromousse, résine, peinture, verre, miroirs, plexiglas, silicone, oiseaux et animaux naturalisés, plantes synthétiques, pommes de pin, poils de cheval, toile de
jute, chaînes, fils, plumes, quartz, pyrite, autres minéraux, bijoux, billes, paillettes, dimensions : 254 x 427 x 234 cm. Collection particulière. Image
tirée du site Andrea Rosen Gallery (photo : Ellen Page Wilson. Installation présentée à la 52e Biennale de Venise, Pavillon canadien). http://www.andrearosengallery.com/artists/david-
altmejd/images#andquotuntitled-7-the-watchersandquot-2011, page consultée le 13 août 2011.
Figure 24 – David Altmejd. The Giant 2, 2007. Détail. Photo tirée de di site Flickr Galerie de Jane 1000 (photo de Jane 1000).
http://www.flickr.com/photos/80389077@N00/577651152/, page consultée le 2 octobre 2012.
Figure 25 – David Altmejd. The Index, 2007. Bronze, métal, styromousse, peinture, bois, verre, miroirs, plexiglas, système d'éclairage, silicone,
animaux et oiseaux naturalisés, plantes synthétiques, pommes de pin, poils de cheval, cheveux synthétiques, toile de jute, cuire, fibre de verre, chaînes, fils, plumes, quartz, pyrite, autres minéraux, yeux de verre,
vêtement, chaussures, monofilaments, bijoux, billes, paillettes, dimensions : 332,7 x 1297 x 923 cm. Image tirée du site Andera Rosen
Gallery (Photo : Ellen Page Wilson. Installation présentée à la 52e Biennale de Venise, Pavillon canadien), œuvre faisant maintenant partie de la collection de la Art Gallery of Ontario).
http://www.andrearosengallery.com/artists/david-altmejd/images#andquotuntitled-7-the-watchersandquot-2011, page consultée le 13 août 2011.
Figure 26 – David Altmejd. The Index, 2007. Détail. Image tirée du site
PBS : Art21 (auteur du site PBS, auteur de la photo inconnu). http://www.art21.org/images/davidaltmejd/the-index-2007, page consultée le 29 juillet 2013.
xiii
Figure 27 – David Altmejd. The Index, 2007. Détail. Image tirée du site Designboom (auteur de la photo inconnu).
http://www.designboom.com/snapshot/gallery.php?SNAPSHOT_ID=8&GALLERY_ID=271, page consultée le 11 octobre 2012.
Figure 28 – David Altmejd. The Index, 2007. Détail. Image tirée du site Designboom (auteur de la photo inconnu).
http://www.designboom.com/snapshot/gallery.php?SNAPSHOT_ID=8&GALLERY_ID=271, page consultée le 11 octobre 2012.
Figure 29 – David Altmejd. The Index, 2007. Détail. Image tirée du site Designboom (auteur de la photo inconnu).
http://www.designboom.com/snapshot/gallery.php?SNAPSHOT_ID=8&GALLERY_ID=271, page consultée le 11 octobre 2012.
Figure 30 – Hendrik Goltzius. La métamorphose de Lycaon, 1589. Illustration pour le livre I des Métamorphoses d’Ovide. Image tirée du site
Wikipedia Commons (fiche : Hendrik Goltzius, auteur de la photo inconnu). http://commons.wikimedia.org/wiki/File :Hendrik_Goltzius_-_Lycaon.jpg, page consultée le 18 mai 2011.
Figure 31 – Estampe allemande, 1722. Représentation cynocéphalique
d’un lycanthrope. Image tirée du site http://fr.wikipedia.org/wiki/Lycanthrope, page consultée le 18 mai 2011.
Figure 32 – Lithographie pour Légende rustique de George Sand, 1858. Paris, bibliothèque des Arts décoratifs. Image tirée du site Dinosoria
(photo : bibli.des Arts décoratifs, Paris) http://www.dinosoria.com/loup_garou.htm, page consultée le 23 mars 2012.
Figure 33 – David Altmejd. The Hole, 2008. Bois, miroirs, colle, plâtre, styromousse, fils de métal, époxy, argile, résine, peinture, poils de cheval,
plantes synthétiques, pommes de pin, verre, bille, quartz, œufs de caille, brillants, coquilles d'escargot, dimensions : 291,47 x 883,9 x
518,2 cm. Ottawa, National Gallery of Canada. Photo tirée du site Andrea Rosen Gallery (photo : Tate Liverpool, Biennal de Liverpool, 2008). http://www.andrearosengallery.com/artists/david-altmejd/images#detail-
andquotthe-orbitandquot-2012, page consultée le 2 mai 2012.
Figure 34 – Sandro Botticelli. La naissance de Vénus, 1485. Tempéra sur t
oile, dimensions : 172,5 cm x 278,5 cm. Florence, Galerie des Offices. Image tirée du site Wikipedia Commons (Source de la photo Uffizi Gallery).
http://commons.wikimedia.org/wiki/File :Sandro_Botticelli_-
_La_nascita_di_Venere_-_Google_Art_Project_-_edited.jpg?uselang=fr, page consultée le 9 août 2013.
xiv
Figure 35 – Édouard Manet. Olympia, 1863. Huile sur toile, dimensions : 130 cm x 190 cm. Paris, Musée d’Orsay. Image tirée du site du Musée
d’Orsay (crédit photo : RMN Grand Palais (Musée d'Orsay)/Hervé Lewandowski). http://www.musee-orsay.fr/fr/collections/oeuvres-commentees/recherche/commentaire.html?no_cache=1&zoom=1&tx_damz
oom_pi1%5BshowUid%5D=4042, page consultée le 13 septembre 2013.
Figure 36 – Auguste Rodin. Le penseur, 1902. Bronze, hauteur : 490 cm. Lyon, Musée des Beaux-arts, Collection Delubac, Photo tirée du site de l’agence photographique (auteur du site : agence phototragique de la
Réunion des musées nationaux et du Grand Palais des champs-Élysées, crédit de la photo : RMN-Grand Palais/René-Gabriel
Ojéda/Thierry Le Mage). http://www.photo.rmn.fr/cf/htm/CSearchZ.aspx?o=&Total=21&FP=52326640&E=2K1KTSJLYY11H&SID=2K1KTSJLYY11H&New=T&Pic=4&SubE=
2C6NU0SUH4NI, page consultée le 13 septembre 2013.
Figure 37 – John Deandrea. Susan, 1985. Polyvinyle/polychrome,
grandeur humaine. Collection particulière. Image tirée du site Louis K. Meisel Gallery Coordinates (Crédit photo L.K.M Gallery)
http://www.meiselgallery.com/LKMG/artist/works/detail.php?wid=1274&aid=34, page consultée le 13 septembre 2013.
Figure 38 – John Deandrea. Release, 1989. Polyvinyle/polychrome, grandeur humaine. Collection particulière. Image tirée du site Louis K.
Meisel Gallery Coordinates (Crédit photo L.K.M Gallery) http://www.meiselgallery.com/LKMG/artistNEW/works/detail.php?wid=615&aid=34, page consultée le 13 septembre 2013.
Figure 39 – Jean Turco. Enzo. Modèle @rtis, photographie réalisée dans
les studios ITISphoto. Paris, LeBourget. Image tirée du site officiel de Jean Turco (auteur du site et crédit photo Jean Turco). http://www.jeanturco.book.fr/galeries/nus/102507, page consultée le 13
septembre 2013.
Figure 40 – Annie Leibovitz. Sting #9/40, 1985. Lucerne Valley, Californie.
Image tirée du site Lipton Fine Art (Auteur du site et crédit photo :
Lipton Fine Arts, 2013). http://liptonfinearts.com/annie-leibovitz-sting/,
page consultée le 13 septembre 2013.
Figure 41 – David Altmejd. The Vessel, 2011. Plexiglas, chaînes, plâtre, bois, fils, monofilaments, peinture, époxy, résine, argile, gèle acrylique,
quartz, pyrite, autres minéraux, colle, aiguilles, broche décorative, dimensions : 260,4 cm x 619,8 cm x 219,7 cm. Ottawa, National Gallery of
Canada. Image tirée du site Art Agenda (auteur de la page : Paddy Johnson, photo : Jessica Eckert). http://www.art-
xv
agenda.com/reviews/david-altmejd-at-andrea-rosen-gallery/, page consultée le 3 novembre 2012.
Figure 42 – David Altmejd. The Vessel, 2011. Détail, New York, Andrea Rosen Gallery. Image tirée du site de Canadian Art (auteur de la page :
David Balzer, photo : Jessica Eckert). http://art-agenda.com/reviews/david-altmejd-at-andrea-rosen-gallery/, page
consultée le 3 nobembre 2012.
Figure 43 – David Altmejd. The Vessel, 2011. Détail, New York, Andrea
Rosen Gallery. Image tirée du site de Canadian Art (auteur de la page : David Balzer, photo : Jessica Eckert). http://art-
agenda.com/reviews/david-altmejd-at-andrea-rosen-gallery/, page consultée le 3 nobembre 2012.
Figure 44 – David Altmejd. The Vessel, 2011. Détail, New York, Andrea Rosen Gallery. Image tirée du site Opening Ceremony New News (Auteur de la page: Sofia Cavallo, photo: Jessica Eckert.)
http://www.openingceremony.us/entry.asp?pid=3087, page consultée le 3 nobembre 2012.
Figure 45 – David Altmejd. The Vessel, 2011. Détail, New York, Andrea Rosen Gallery. Image tirée du site Opening Ceremony New News (Auteur
de la page: Sofia Cavallo, photo: Jessica Eckert.) http://www.openingceremony.us/entry.asp?pid=3087, page consultée le 3
nobembre 2012.
Figure 46 – David Altmejd. The Orbit, 2012. Plexiglas, miroirs, chaînes, fils
de métal, ficelles, monofilaments, peinture, résine époxy, argile époxy, gèle
acrylique, cheveux synthétiques, yeux artificiels, plâtre, colle, dimensions :
185,4 x 642 x 167,6 cm. Vue de l’installation : Cleveland, MOCA (œuvre
faisant maintenant partie de la collection du Mudam Luxembourg). Image
tirée du site Andrea Rosen Gallery (crédit photo : Andrea Rosen Gallery).
http://www.andrearosengallery.com/artists/david-
altmejd/images#andquotthe-orbitandquot-2012, page consultée le 2
octobre 2013.
Figure 47 – David Altmejd. Le ventre, 2012. Plexiglas, résine, noix de coco,
chaînes, fils de métal, ficelles, monofilaments, peinture acrylique,
dimensions : 244,5 x 168 x 291,5 cm.
Vue de l’installation : Londres, Stuart Shave/Modern Art, collection
particulière. Image tirée du site Andrea Rosen Gallery (crédit photo :
Andrea Rosen Galerie). http://www.andrearosengallery.com/artists/david-
altmejd/images#andquotthe-orbitandquot-2012, page consultée le 2
octobre 2013.
xvi
Figure 48 – David Altmejd. Le souffle et la voie, 2010. Plexiglas, chaîne,
fils de fer, monofilaments, peinture acrylique, argile époxy, gèle acrylique,
dimensions : 246,4 x 259,1 x 396,2 cm. Collection particulière. Image tirée
du site Andréa Rosen Gallery ((crédit photo : Andrea Rosen Galerie).
http://www.andrearosengallery.com/artists/david-altmejd/images, page
consultée le 2 octobre 2013.
xvii
AVANT-PROPOS
L’écriture de ce mémoire est le fruit d’une longue aventure tissée de doutes,
de joies et de passions. Je voudrais donc remercier tous ceux qui ont
contribué à apaiser mes doutes, alimenter mes joies et partager mes
passions.
Je voudrais, en premier lieu, témoigner ma reconnaissance à monsieur
Maxime Coulombe qui a dirigé ce mémoire. Sans son soutien et sa grande
générosité, ce projet aurait été impossible.
Merci à mes parents, mes piliers qui m’ont accompagné tout au long de mon
cursus académique. Merci à mes amis, Audrey Carreau, Mathieu
Mundviller, Frédéric Lacroix et Catherine Caux pour leur aide et l’inspiration
qu’ils m’ont donnés. Merci à Sonia Denault de m’avoir si gentiment prise
sous son aile. Merci à Marcel Barbeau et Ninon Gauthier pour les longues
discussions et votre générosité. Merci tout spécial à Liem Tougas Lanciault
pour ses précieux conseils et sa sagacité.
Finalement, merci à Pierre-Hubert qui m’a donné le dernier élan qu’il me
fallait pour mener à terme ce projet.
1
1
INTRODUCTION Rien ne meurt...
Au printemps 2011, la galerie de l'UQÀM présentait Conte
crépusculaire, une performance visuelle et musicale signée David Altmejd et
Pierre Lapointe. Lyrique et audacieux, le récit mis en scène par le duo nous
transporte « dans un futur lointain1 » où un roi (Pierre Lapointe) se prépare
au trépas pour céder sa place à son jeune fils (Sacha Jean-Claude). Au
rythme des chants et d'une musique parfois épique2 se trame un rituel,
funeste et singulier, pratiqué par le petit prince et sa mère, la reine (Émilie
Laforest).
L'action prend place sur une imposante plate-forme pensée et réalisée
par David Altmejd (figures 1 et 2). À son entrée dans la salle, le spectateur
est tenté d'en faire le tour puisque, fidèles à eux-mêmes, les dispositifs
structuraux du sculpteur ne se livrent pas entièrement au premier regard.
Il faut examiner, scruter cette scène hors du commun qui se trouve ponctuée
d'îlots et de renfoncements, surmontée de présentoirs en miroir et
couronnée d’agencements sophistiqués de plexiglas.
Le décor, miroitant et diaphane, est tributaire d'un mélange entre une
sorte de fragilité aérienne et une complexité digne des mécanismes des plus
farfelus (figure 3). De fines tours s'élèvent supportant des fils perlés et des
libellules translucides. Autour d'elles, un réseau de gouttières tout aussi
limpide, lequel semble relier entre elles certaines parties de cette structure
insolite.
Les performeurs habitent littéralement cette architecture déroutante.
Ils y occupent chacun une place. Le quatuor ayant son propre espace
1 Galerie de l'UQÀM, « Conte crépusculaire de David Altmejd et Pierre Lapointe : une performance et une exposition », UQÀM, salle de presse, 2011. http://www.salledepresse.uqam.ca/communiques-de-presse-2011/1229-conte-crepusculaire-de-david-altmejd-et-pierre-lapointe-une-performance-et-une-exposition.html, page consultée le 24 avril 2011. 2 Musiciens : Philippe Brault, Quatuor Molinari. Chanteurs : Émilie Laforest (chant), Sacha Jean-Claude (chant). Compositeurs : Yannick Plamondon et Pierre Lapointe, ibid.
2
réservé à la musique, le roi logeant accroupi dans un petit écrin, le prince
et la reine prenant place sur la plate-forme principale, tandis que David et
son assistant, tous deux déguisés en loups-garous, sont déjà à l'œuvre, eux
qui transforment certains éléments de la structure. Le spectateur comprend
dès lors que ce décor n'en est pas tout à fait un, au sens propre du terme.
À la façon de la musique et des chants qui modulent les différents passages
du récit, la construction élaborée par Altmejd participe de manière active à
la performance et se révèle comme un système à travers lequel des actes
rituels sont exécutés.
Après une introduction musicale, le jeune prince et sa mère
interagissent avec ce système. Ainsi, au son de la voix soprano de la reine,
une libellule munie d'un mécanisme sensoriel déploie ses ailes puis éjecte
un liquide rouge dans un déversoir. Un effet domino s'en suit. Le liquide
coule, de récipient en récipient. Le prince y ajoute parfois des éléments
fétiches qu'Altmejd lui fournit : pétales de fleur ou cristaux que le sculpteur
détache de son propre visage. Tout le rite tourne autour de la préparation
de ce curieux liquide coloré que l'on voit cheminer à travers les gouttières
translucides. Enfin, la potion achevée est servie au roi qui, le torse orné de
dessins, sort de son écrin, boit et révèle en chantant une prophétie : le roi
se meurt...
À ce moment précis, le spectateur s’attendrait à assister à une mort
solennelle comme nous y a habitué la dramaturgie, mais il en sera tout
autrement. Escorté par Altmejd et son acolyte, le roi moribond se dirige vers
une sorte de « sarcophage » vertical. Une fois à l'intérieur, les hommes-loups
s'affairent autour de lui. C'est alors que l'étrange tombeau se transforme
sous nos yeux (figure 4). On y ajoute une boîte transparente remplie de
bobines de fil, et de petites libellules commencent à s'agiter nerveusement
sous l'influence des chants frénétiques du prince et de la reine. La structure
qui accueille le roi se métamorphose progressivement devant les yeux du
spectateur. On en déplie de longues ailes et l'on s'affaire ardemment à
3
dérouler les multiples fils multicolores qui s'y logent. Il devient alors clair
que le sort réservé à l’occupant de cet étau magnificent n'est guère celui de
l'incontournable trépas. Au contraire, plus que jamais dans la
représentation, le roi semble vivant, comme s'il fusionnait avec cette
structure en pleine effervescence, devenant, peu à peu, un étrange hybride.
Un monde en métamorphose
Ces dernières lignes livrent l'un des points les plus fascinants et
intrigants de la pratique de David Altmejd : cette rencontre entre des états
radicalement opposés – à savoir ici, la mort et la vie –, qui ne consiste ni en
la fin de l'un ou de l'autre, mais qui donne lieu à une délirante
métamorphose. En fait, il semble que le sculpteur prenne plaisir à forger un
univers qui se présente comme un lieu de permission sans limites. En ces
terreaux qui s'avèrent fertiles à tous les possibles, les différentes catégories
de la vie s'offrent aux échanges et unions les plus improbables. D'ailleurs,
les compositions sculpturales d'Altmejd prennent souvent l'allure de curieux
écosystèmes pullulants, au sein desquels les règnes animal, végétal, minéral
et même monstrueux évoluent, donnant forme à un milieu fécond à de
multiples coalescences. Il y aurait donc quelque chose de mouvant, voire de
grouillant dans les mondes que façonne le sculpteur. En fait, rien ne saurait
y être stagnant. Ayant étudié la biologie avant les arts visuels3, Altmejd se
dit fasciné par la nature et l'évolution4. C'est donc en voulant « insuffler une
certaine énergie5 » à ses créations et à en faire des objets « vivants » qui
3 Né à Montréal, en 1974, David Altmejd entreprend des études en biologie à l’Université McGill, suite
à quoi il s’inscrit au baccalauréat à l’École des arts visuels et médiatiques de l’Université du Québec. Dès l’obtention de son diplôme en 1997, il poursuit sa maîtrise à l’Université Columbia à New York. 4 Louisa Buck, « Biology, nature and evolution turned on their head », The Art Newspaper, n° 195 (octobre 2008), p. 43. 5 Michaël Amy, « Sculpture as Living Organism: A Conversation with David Altmejd », Sculpture, vol. 25, n° 10 (2007), p. 24.
4
« existent intensément » que la métamorphose et la transformation
deviennent les concepts centraux de son travail6.
Ainsi, tout le langage visuel, mais également la démarche et le
processus de l'artiste, semblent tributaire de ce concept de métamorphose.
Soulignons que si nous avons tenu à introduire son travail par le biais de
Conte crépusculaire, c'est bien parce que ce projet fut en soi orchestré à la
manière d'une métamorphose. Audacieux « work in progress », les éléments
de la performance (dessins corporels, déguisements, décors, etc.) furent
transformés de représentation en représentation, soumis à une certaine
évolution, comme si jamais ils ne devaient s'ancrer dans une forme fixe. À
cet égard, il serait même possible de dire que tout l'art d'Altmejd travaille à
déjouer la forme fixe, à transgresser les carcans qui renferment les êtres.
Comme un démiurge excentrique, l'artiste, à travers ses sculptures
éclectiques et luxuriantes, suggère au spectateur d'aller à la rencontre de
créatures hors normes. Souvent mi-hommes, mi-animaux ou au confluent
du corps, de l'architecture et du paysage, ces figures appartiennent à un
microcosme tout aussi surprenant. Ce dernier est parsemé d'une
surenchère d'objets et de matières insolites, d’animaux naturalisés, de
présentoirs translucides, de miroirs, de fleurs, de bijoux de pacotilles, de
chaînes dorées, de fourrures, de cristaux, etc. Foisonnant, le vocabulaire
visuel de l'artiste ne passe pas inaperçu aux yeux des critiques. D'ailleurs,
on a souvent relevé le caractère très séduisant et l'esprit presque « glamour »
qui ressortent des agencements de matériaux scintillants souvent associés
à des surfaces plus tactiles faites de résine colorée.7 De plus, chez Altmejd,
même ce qui peut être à première vue répugnant acquiert une certaine
beauté fragile ou ambiguë, lui qui n'hésite pas à orner ses monstres peu
6 Les expressions et références à propos du discours de l'artiste ont été tirées du documentaire Chaorismatique de Rénald Bellemare. Rénald Bellemare, Chaorismatique David Altmejd, sculpteur, DVD, 2012. 7 Plusieurs critiques tels que Sarah Schmerler (Art in America), Christopher Miles (Fieze), Jeffrey Kastner (Art Forum), Alessio Ascaari (Mousse) et Catherine Hong (W Magazine) ont relevé cet aspect séduisant de l’œuvre de David Altmejd.
5
ragoûtants de paillettes étincelantes ou de pierres semi-précieuses.
Toutefois, aussi variées et séduisantes soient-elles, les compositions du
sculpteur ne pourraient dans leur portée se résumer strictement qu'à des
valeurs esthétiques. Car, s’il crée des œuvres qui en mettent plein la vue, il
semble qu’il veuille également nous faire perdre nos repères, comme s'il
s'agissait de nous faire pénétrer dans des mondes qui s'orchestrent à la
manière de microcosmes fourmillants peuplés d'associations et de
métissages hors du commun. Cet univers semble s'organiser selon des
principes qui nous sont totalement étrangers. Il se présente comme des
environnements fluctuants, qui obéissent à leurs propres lois. De plus, ce
même univers soulève nombre de questionnements en regard de la porosité
de certaines frontières. Il ébranle fortement la frontière qui « sépare »
l'homme et l'animal, mais aussi, plus largement, celle qui tranche entre
différents statuts ou registres, par exemple, animé et inanimé, objet et
organisme, beauté et laideur, réel et irréel… En fait, ces petits mondes à
part, loin de fléchir à une logique ou à une relative stabilité du réel,
autorisent, voire semblent favoriser les croisements et échanges entre les
divers règnes de la nature, et même avec ceux de la culture.
En cela, on peut observer que l'univers d'Altmejd n'est pas sans
parenté à celui décrit, il y a plus de deux millénaires, par Ovide :
Pour Ovide [...] tout peut assumer des formes nouvelles; pour
Ovide aussi, la connaissance du monde est dissolution de sa compacité; pour Ovide aussi existe entre toutes choses une parité essentielle, exclusive des hiérarchies de pouvoir et de
valeur. Alors que le monde de Lucrèce est fait d'atomes inaltérables, celui d'Ovide se compose de qualités, d'attributs, de formes définissant la diversité des objets comme des plantes, des
animaux comme des fumais; et des personnes; simples et minces enveloppes d'une substance commune qui peut connaître – si
une profonde passion l’agite – les transformations les plus diverses8.
8 Italo Calvino et Yves Hersant, Lecons ame ricaines : aide-mémoire pour le prochain millénaire, Paris, Gallimard, 1989, p. 28.
6
Tout comme chez le poète latin, les microcosmes altmejdiens jouissent d'une
incroyable malléabilité. Ils se composent d'espaces atypiques « favorables à
l’excès de sens9 ». Il y a certes quelque chose d’intrigant et de troublant
concernant ces sculptures qui s’étendent comme de petites topographies
d’un monde complètement irrégulier. Ce sont en quelque sorte des lieux
inconstants, où les corps et les éléments ne peuvent plus se définir en regard
d'une forme, d'une substance ou d'un sujet déterminé. Dans les œuvres de
David Altmejd, on se trouve confrontés à un univers où les statuts par
lesquels on identifie les êtres et les choses sont constamment sujets à se
dissoudre ou à en recroiser d'autres; jamais ils n’apparaissent définitifs.
D’ailleurs, le critique d’art Christopher Miles dit des créatures
d’Altmejd qu’elles sont exposées à un « état d’extrême devenir », proposant
alors des « identités plurivalentes » et suggérant l’apparition de nouvelles
espèces10. Dès lors, nous pouvons nous questionner à savoir quelle pourrait
être la résurgence de ces spécimens, de quoi pourrait relever cet « état
d’extrême devenir ». Sur ce point, l’historienne de l’art Louise Déry propose
une piste de réflexion particulièrement intéressante. Selon elle, l’œuvre
d’Altmejd est grandement tributaire d’une conception du vivant et de l’œuvre
d’art qui s’organise à partir de l’énergie11. Cette énergie qui se dégage des
sculptures génère non seulement une puissance transformatrice, mais
apparaît également comme une fructueuse métaphore de l’acte de
création12. De là, l’apport principal de l’approche théorique de Déry sera de
comprendre les compositions d’Altmejd comme des « univers en symbiose13 »
animé par un flux continuel, une sorte de ruissellement qui fait en sorte
9 Louise Déry, David Altmejd, Montre al, Galerie de l'UQÀM, 2006, p. 9. 10 « Exuding an amazing dynamism from their stasis, the figures are fond in an extreme state of becoming, and their kin are those we have known in life, literature, and lore who have found themselves in a state of becoming. [...] Frequently identified as werewolves, who they often seem to be, they are also open to more multivalent identities ». Christopher Miles, « David Altmejd »,
Wunschwelten : neue Romantik in der Kunst der Gegenwart = Ideal worlds : new Romanticism in contemporary art, Ostfildern-Ruit, Hatje Cantz, 2005, p. 91. 11 Louise Déry, David Altmejd: The Index, Montre al, Galerie de l'UQÀM, 2007, p. 10. 12 Ibid. 13 Ibid., p. 46.
7
que : « l’idée de l’image achevée et définie n’est plus guère possible14 ». Les
sculptures d’Altmejd relèveraient donc d’un mouvement indomptable,
comme si elles pouvaient tout à coup prendre vie devant nos yeux ébahis.
C'est précisément ce potentiel de transformation, autrement dit les
conditions qui semblent faire en sorte que la sculpture chez l'artiste devient
le pivot de métamorphose qui nous intéressera tout particulièrement dans
ce mémoire. Mais avant de faire l’analyse proprement dite de ces conditions,
présentons d’abord la problématique et l’hypothèse qui nous serviront de
point de départ.
Réinventer la métamorphose : problématique et hypothèse
En s’adressant directement à la notion de métamorphose, David
Altmejd rejoint d'emblée une filiation d’artistes fascinés par les vertus
« transformistes » qu’elle propose. En effet, l’omniprésence du thème de la
métamorphose à travers l’histoire de l’art montre à quel point celle-ci occupe
une zone obsédante aussi bien dans la conscience que dans l’imaginaire
collectif. De l'antiquité en passant par la Renaissance, des explorations
surréalistes aux figurations contemporaines, la métamorphose hante la
création artistique. Comme le soulignait également Guy Belzane, « l'art n'est
fait que de métamorphoses », rappelant le lien inhérent qui unit ce
phénomène à la création15.
Il est étonnant de constater que trop peu de théoriciens et d’historiens
de l'art se sont intéressés aux enjeux que soulève la figuration de la
métamorphose. Force est d'admettre qu'il existe un rapport épineux, voire
14 Ibid., p. 33. 15 « Ainsi non seulement il y a des métamorphoses dans l'art, mais l'art n'est fait que de métamorphoses, parce que LA métamorphose par excellence, cette seconde création, ce rêve prométhéen, démiurgique, de tout homme : recréer le monde, ne plus subir, passivement, le branle universel, mais s'en rendre maître, se faire à son tour le grand Métamorphoseur. » Guy Belzane, La me tamorphose : Ovide ..., Perrault ..., Hugo ..., Michaux. Expliquer les textes, 2. Paris, Quintette, 1990, p. 82.
8
paradoxal entre la représentation et le thème de la transformation : le thème
appelle au mouvement tandis que la représentation emploie pour son
compte images et formes immobiles. Prenons simplement l'exemple de la
transformation de Daphné. Inspiré par le célèbre poème d'Ovide, le mythe
largement représenté raconte la mésaventure d'une nymphe, fuyant son
prétendant à corps perdu. On le sait, l'échappatoire de la jeune femme sera
sa métamorphose en laurier. Chez certains artistes tels que Le Bernin (figure
5) et Giovanni Battista Tiepolo (figure 6), on représente le moment crucial
où les doigts de la malheureuse se mettent à bourgeonner. Tandis que pour
Théodore Chassériau (figure 7), c'est l'enracinement qui est mis de l'avant,
les jambes de Daphné ayant déjà laissé place au tronc de l'arbre. Ce qui est
intéressant de constater en regardant ces images, c'est que chacune d'entre
elles portrait un personnage hybride, lequel semble littéralement saisi dans
un moment précis de l'action. La transformation, quant à elle, ne semble
être que suggérée, comme si elle ne pouvait se manifester à même la
représentation. Ainsi, comme le souligne Michel Jeanneret, si l'art est
fervent de métamorphose, son rapport à elle demeure problématique, car :
« Comment donner à voir une transformation? Comment saisir le
mouvement de la forme dans une forme immobile? Comment, avant le
cinéma, produire une image cinétique?16 ». En soulevant ces questions,
Jeanneret a bien su cerner l’obstacle auquel se heurtent les arts plastiques
lorsqu’il est temps de faire voir la métamorphose, c'est-à-dire de présenter
un procès de transformation en ayant recours à des moyens figés, à des
médiums fixes et à des images statiques. Ainsi pouvons-nous dire qu’une
contradiction hante la tradition artistique en regard de ce thème, dans la
mesure où le plan du contenu, c'est-à-dire la transformation, ne peut
concorder sur le plan de l’expression, soit les moyens techniques employés
pour la représentation. Comme si la métamorphose ne faisait toujours
qu’échapper au regard, son processus ne se laisserait point saisir par la
16 Michel Jeanneret, Perpetuum mobile : métamorphoses des corps et des œuvres, de Vinci à Montaigne, Paris, Macula, 1997, p. 126.
9
représentation, si bien qu’il ne semble qu’il possible de l’illustrer que par
stades successifs, en la décomposant en différents moments, soit : l’avant
(la forme originelle), le pendant (la forme hybride) et l’après (la forme
transfigurée)17.
C’est précisément sur ce point que nous avons le sentiment que la
production d’Altmejd déroge radicalement de la tradition artistique ayant
abordé ce thème. Loin de se limiter à des stratégies de représentation
épisodique de la transformation, ses œuvres se présentent intégralement
comme des espaces inconstants, envahis de toute part par l’action de la
métamorphose. C’est à partir de cette intuition que nous nous proposons de
comprendre comment Altmejd réinterroge la notion classique de
métamorphose, comment il parvient à se l’approprier et à la reformuler dans
un langage qui lui est propre. Pour ce faire, nous devons, avant toute chose,
apprendre à regarder ses sculptures. Peuplées d'objets éclectiques et d'un
bestiaire délirant, une certaine démesure se dégage des compositions de
l'artiste. Toutefois, si, à certains égards, nous serions tentés de remédier à
ce vertige en analysant isolement chacune de leurs composantes, nous
croyons au contraire qu'il est nécessaire de comprendre les œuvres
d'Altmejd dans leur complétude, c’est-à-dire appréhender chacune d’elles
comme un tout, une entité dont la cohérence est assurée par le rapport étroit
qui se développe entre les divers éléments qui les composent.
Corpus
Altmejd appartient à cette caste d'artistes-chercheurs-
expérimentateurs. Cette diversité et cet esprit d'invention font partie
intrinsèque de sa démarche et se reflètent foncièrement dans la facture
foisonnante de ses sculptures. Depuis, sa sortie de l'Université de Columbia
17 Ibid., p. 117-120.
10
à la fin des années 1990, Altmejd n'a cessé de diversifier sa pratique, de
chercher de nouveaux modes de composition et d'installation, d'aborder
différents thèmes et différentes figures, d'enrichir ses œuvres de nouveaux
matériaux. D'une part, nous avons tenu à ce que l'élaboration de notre
corpus reflète cette variété. D'autre part, nous avions le sentiment que,
malgré l'éclectisme manifeste de la production altmejdienne, le thème de la
transformation constitue une constante indéniable. Nous avons donc
sélectionné les œuvres qui, selon nous, étaient les plus représentatives de
cet enjeu, dans l’optique de se munir de tous les outils pour interroger la
manière dont David Altmejd exploite, mais également réinvente la
métamorphose à travers sa pratique artistique.
Démarche et approche méthodologique
Il faudra, dans le cadre du premier chapitre, se familiariser avec la
nature des mondes que forge le sculpteur. Tenant compte du caractère
hautement bigarré et prolifique de la production d'Altmejd, nous avons
d’abord tenu à privilègier un approche descriptive. L'importance ici sera non
seulement d'initier le lecteur aux particularités formelles des compositions,
mais également de réussir, dans une certaine mesure, à « déplier »
progressivement la production de l'artiste pour que le lecteur puisse
pénétrer dans son univers particulier. Conséquemment, nous avons choisi
d'orchestrer la première partie de ce chapitre telle une incursion et avons
adopté un mode d'écriture fragmentaire par lequel nous décrivons
formellement quelques œuvres dans le but de mettre en lumière leurs
particularités, leurs richesses, mais également certains leitmotivs.
Parallèlement, nous tenterons le plus clairement possible d’exposer
comment se présentent ses compositions, tout en relevant ce qui les lie les
unes aux autres. Car si les œuvres de David Altmejd confrontent le
spectateur à un univers des plus éclectiques, ses créations ne sont pas sans
11
témoigner d'une cohérence donnant à chacune d'elles l'impression
d'appartenir au même microcosme, d'être traversées par la même énergie
transformatrice. Afin d’aborder la démarche de l'artiste, nous porterons, par
la suite, une attention particulière à la façon dont s'articule son discours
personnel, relevant ses influences et ses intentions. Notre ambition sera
alors de déterminer comment le sculpteur conceptualise sa pratique et, à la
lumière de cette conceptualisation, d’analyser plus précisément quel rôle il
accorde à la métamorphose.
Dans le deuxième chapitre, nous interrogerons comment s'articulent
les mondes en transformation que crée Altmejd à travers ses sculptures.
Nous emploierons une méthode comparative où la pratique de l'artiste sera
confrontée à différentes approches, lesquelles s’adressent à la question de
la représentation de la métamorphose classique et à la problématique de la
représentation de l'ouverture du corps. Dans un premier temps, l’attention
sera portée sur la représentation du loup-garou dans l'œuvre de l'artiste.
Pour procéder à l’analyse de cette figure type de la métamorphose, nous
avons choisi de comparer l’interprétation qu’en fait Altmejd aux modes de
figurations classiques. Cette avenue nous permettra de présenter les loups-
garous façonnés par l’artiste dans toute leur singularité et de comprendre
les stratégies formelles auxquelles il fait appel et grâces auxquelles ses
créations se distinguent des représentations traditionnelles de la
métamorphose. Fonder notre analyse sur certains schèmes bien établis de
la représentation classique s’avérait essentiel selon nous pour pallier la
prolixité du langage d’Altmejd (langage qui n’est pas sans susciter une
certaine déroute pour le chercheur) et d’en saisir les leviers de
compréhension. Dans un deuxième temps, il sera question du traitement
très singulier que le sculpteur réserve au corps de ses loups-garous. Notre
réflexion portera sur l’ouverture du corps comme moyen pour exprimer la
transformation. Pour mieux sonder et expliquer les effets de cette ouverture,
nous aurons recours à la théorie de l’abject développé par Julia Kristeva.
12
Nous découvrirons que si le corps abject mène à une limite du « signifiable »
et incarne en soi un corps qui n'est plus viable, un processus différent prend
place dans les corps que représente le sculpteur. Bien qu'irrégulières et
situées au plus loin de l'idéal corporel, il nous faudra considérer que les
figures de l'artiste relèvent d’une tout autre dynamique.
Dans le troisième chapitre, nous interrogerons l’aspect conceptuel de
l’œuvre d’Altmejd, de manière à en démystifier le modèle et le
fonctionnement. Dès lors, si l’approche méthodologique adoptée dans le
chapitre précédent touchait davantage le registre de la représentation, nous
emprunterons ici la voie conceptuelle, qui exige de faire appel à des
références philosophiques traitant de la question du mouvement, de la
transformation et du devenir. Ainsi, dans le développement de cette analyse,
il sera donné de comprendre, de prime abord, que toute réflexion sur la
métamorphose amène à penser le mouvement. Mais, dès lors, quelle sorte
de mouvement retrouve-t-on dans les œuvres du sculpteur? Tout porte à
croire avec Altmejd qu’il faut chercher à comprendre le mouvement
autrement qu’à travers son interprétation classique, ne serait-ce parce que
chez lui la transformation du loup-garou n'est point représentée comme une
allant de l'homme à l'animal. Nous verrons que ce qui anime les œuvres du
sculpteur est d’une tout autre essence, et c’est par la pensée d'Henri
Bergson que nous verrons que, pour s’expliquer les implications de ce
mouvement, un autre modèle s’impose. Davantage appréhendé comme un
outil de réflexion, ce modèle, qui est celui du rhizome et de la pensée du
devenir tel que théorisé par Gilles Deleuze et Félix Guattari, s’offrira comme
porte d’entrée vers le cœur de la transformation altmejdienne pour en
exposer le fonctionnement et la portée. Mais avant d’en arriver là,
commençons par dresser un portrait, en mots et en images, de l’œuvre
d’Altmejd au bénéfice du lecteur.
13
CHAPITRE 1
QUAND LES FORMES SE RENCONTRENT… LA MATIÈRE S’ANIME
1.1 Description
Face à la bête
Portant son premier regard sur l’œuvre Loup-Garou 2, le spectateur
apercevra un aménagement plutôt simple,
soit un comptoir blanc supportant un
présentoir décoré de subtils arrangements
floraux. Toutefois, si cette disposition peut
évoquer celles des devantures commerciales,
il pourra constater que la présence de
certains éléments prête à cette référence un
caractère pour le moins insolite. Tel est le cas
d’une petite ouverture construite à même la
structure du comptoir. Parée de miroirs, elle
recèle d’un ruissellement de réflexions qui
transmettent l’image morcelée de ce qui
semble être une tête. Mais cette dernière, trouble par l’ambivalence de son
Détail, Loup-garou 1, 1999
Voir aussi la figure 8.
« I thought that a beautiful earring
would be much more beautiful when
worn by a monster. If I were a jeweler, I
would use monsters as my models. »
David Altmejd
Loup-garou 2, 2000
Voir aussi les figures 8 à 11.
14
aspect, trop velue pour s’indiquer humaine mais trop anthropomorphe pour
appartenir au règne animal, elle erre plutôt au confluent de ces deux statuts.
D’ailleurs, le titre même de cette sculpture
confirme cette proposition. Pourtant, ici,
nous ne sommes guère confrontés aux
loups-garous menaçants et fulminants
qui peuplent les légendes du folklore,
mais plutôt à un monstre
dramatiquement séparé de son corps. Les
crocs acérés, les traits roides et figés par
une sorte d’infestation cristalline qui
investit son visage, ce loup-garou inspire moins la frayeur que la curiosité.
Telle une intrigante relique, il repose au creux de sa niche kaléidoscopique
avec, à ses côtés, quelques fleurs aux couleurs éclatantes.
⋆
Il est courant de rencontrer dans les
compositions de David Altmejd des
intrications impossibles, des
enchevêtrements si chaotiques que
l’œil s’en retrouve désarçonné. Et, le
plus souvent, au moment où la forme
générale tend à se révéler, à devenir
quelque chose de connu, les matières,
elles, s’affairent à ourdir une nouvelle
trame de confusion. Par exemple, dans The Settler, une broussaille de
polyèdres rutilants se trouve imbriquée à une masse de fourrure brunâtre.
Pourtant, quand de cet amas inextricable se détache progressivement de
l’image d’un corps, la matérialité de ce dernier laisse, quant à elle, perplexe.
Détail, Loup-garou 2, 2000
The Settler, 2005
Voir aussi la figure 12
15
C'est que l’épiderme de cette créature, lorsqu'il n’est point recouvert de poils,
laisse paraître quelques régions raboteuses et envenimées. Rendues par un
modelage hautement texturé et rehaussé de quelques touches picturales
rougeâtres, ces zones suggèrent une chair gangrenée et ravagée. Mais en y
regardant de plus près, le spectateur constatera que cette peau putride est
parsemée de minuscules paillettes brillantes, qui lui donnent un air
distingué. Cet aspect, aussi subtil soit-il, pousse à s’interroger : quel genre
de circonstances pourrait autoriser cette étonnante promiscuité entre
putrescence et élégance? Comment laideur et beauté peuvent-elles ainsi se
côtoyer?
⋆
Structure et chimère
L’un des modes de « mise en
vue » privilégiés par David
Altmejd est sans contredit la
plate-forme. Dérivée du socle
traditionnel et du modèle de la
table qui fut l’un des premiers
dispositifs de présentation
utilisés par l’artiste18, elle s’offre
comme un territoire
d’expérimentation où le
sculpteur dispose et organise
les composantes de son vocabulaire esthétique. Peuplées d’êtres étranges,
ornées d’objets hétéroclites, parfois creusées en profondeur et souvent
18 Au tout début de sa carrière, soit à la fin des années 1990, Altmejd réalisait des compositions qui consistaient à présenter divers objets sur des tables qui étaient la plupart du temps mûs par un dispositif cinétique ou accompagnés d’une bande sonore (figure 14).
The Old Sculptor, 2003
Voir aussi la figure 12.
16
animées par différents éclairages, ces surfaces prennent l’aspect de petites
topographies foncièrement bigarrées. En elles et sur elles, fleurs et plantes
diversiformes poussent tout près des carcasses de loups-garous, tandis que
des architectures miroitantes servent de perchoirs à des volatiles qui
s’affairent à faire parcourir de fines chaînettes dorées dans ce décor aux
panoramas insolites. Espaces atypiques, les plates-formes altmejdiennes
s’improvisent comme le lieu d’improbables rencontres, d’un curieux théâtre
où la réalité s’effrite pour laisser place aux conjonctures et unions des plus
mirifiques.
⋆
« It’s rare that an artist can get a viewer
down on their knees in a gallery, and even
rarer that the viewer enjoys it19 », écrivait
l’artiste et critique Amoreen Armetia à
propos de l’œuvre The University 2
présentée à la Andrea Rosen Gallery (New
York) lors de la première exposition solo
d’Altmejd. Ce commentaire, bien
qu’inusité, n’a rien d’étonnant, selon
nous. Composée d’une audacieuse juxtaposition de paliers, de vitrines
translucides, de cubicules et d’escaliers réfléchissants, cette sculpture à la
contexture géométrique s’ordonne dans un décorum parfois confondant,
amenant le spectateur à scruter minutieusement ce qui pourrait s’y cacher.
C’est alors qu’il découvrira que, de cette trame minimaliste, pullulent tant
de petits trésors capables d’attiser le regard. Spécimens minéraux,
végétation synthétique, oiseaux réalistes ou foncièrement factices, bibelots
19 Amoreen Armetta, « New York, Andrea Rosen Gallery: David Altmejd », Contemporary, n° 70 (2005), p. 75.
The University 2, 2004
Voir aussi la figure 15.
17
clinquants, breloques étincelantes, dépouilles grotesques se marient à cette
sobre architecture, lui inoculant un éclectisme saisissant. Arène d’une
étonnante communion où, pour reprendre les mots de Louise Déry, des
« propositions d’esprit formaliste » s’amalgament à des « débordements
plastiques les plus excentriques20 », The University 2 se présente comme le
fruit d’une remarquable dualité stylistique, une fusion que nous pourrions
qualifier d’aussi impure qu’illégitime entre sobriété moderniste et
exubérance presque baroque.
⋆
À la vue de The New North, notre regard est
attiré par le long escalier à vis qui s’enroule
autour des jambes d’un colosse velu, pour
finir sa course à travers de grands orifices
creusés à même son tronc. De ces
perforations, texturées de matière
cristalline ou de dégoulinures de résine
s’échappe un tortueux réseau de fils aux
couleurs pastel. Tel un aberrant système
veineux qui aspirerait à s’émanciper du
corps, ces tubulures s’étendent jusqu’à la
cime des épaules où elles s’agglomèrent en
un amas confus.
N’entretenant qu’une mince allégeance aux
schémas morphologiques qui nous sont familiers et se détachant
radicalement de l’idée que nous pourrions avoir des géants mythiques, The
New North nous semble être le produit de quelques phénomènes
inexplicables. À la fois hybride et prodige, l’impossible cumul de causalités
qui seraient responsables de son état semble irrémédiablement nous
20 Louise Déry, David Altmejd, Montre al, Galerie de l'UQÀM, 2006, p. 23.
The New North, 2007
Voir aussi la figure 16.
18
échapper. Énigmatique, cette figure déjoue nos attentes, nous abandonnant
au singulier sentiment qu’occasionne sa présence, imposante.
Nature dénaturée
Sur un grand socle de bois, nous
trouvons The Hunter, une
composition des plus singulières
de laquelle émerge une source de
lumière. Difficile pour le
regardeur de cerner d’un seul
coup d’œil ce qui constitue cette
accrétion insolite : une variété
impressionnante de couleurs, de
textures et de matières y est
confinée. Pour saisir cette forme, la comprendre, nous n’avons d’autre choix
que de s’en rapprocher et en faire le tour…
Progressivement, de cet
impressionnant gisement de
détails, se dessine une image
familière, celle d’un visage
reposant sur le côté. Mais
aussitôt cette familiarité apparue,
elle tend à se résorber de nouveau
dans la confusion. Car, si cette
masse adopte bel et bien l’aspect
général d’une tête, les cubes de
⋆
The Hunter, 2006, vue de face
Voir aussi la figure 17.
The Hunter, 2006, vue de dos
Voir aussi la figure 17.
19
miroir et les plantes synthétiques qui s’y greffent font vaciller la référence
au corps humain. Aussi, l’incertitude sera d’autant plus prégnante lorsque,
en observant minutieusement, une fois que le spectateur aura remarqué
que ce fragment est partiellement évidé et qu’à l’intérieur se cache petit
monde chaotique. On y retrouve, entre autres, des écureuils naturalisés,
quelques pommes de pin, des présentoirs de verre servant à exposer de
minuscules objets à forme phallique, des objets fétiches de cuir, des
escaliers scintillants, des stalactites aux couleurs pastel. Fragments
humains, architecture ou milieu naturel? Il semble que cette sculpture
intitulée The Hunter se situe aux franges de plusieurs formes sans jamais
qu’elle ne s’ancre pleinement à l’un ou l’autre des référents qu’elle fait surgir
à même notre conscience.
⋆
Une horde de mains aux couleurs pastel
pétrissent le dos du géant intitulé The Center.
Moulées d’après celles de l’artiste, elles
s’enchevêtrent et se croisent formant une
chorégraphie aussi lascive qu’inconséquente
qui apparaît fluidifier, liquéfier la corporéité de
ce géant. Il nous est impossible de savoir avec
certitude à quoi ces mains s’affairent
précisément. Inscrites dans l’organisme de ce
géant, on peut penser qu’elles le forment, le
déforment, le façonnent, le fractionnent…
The Centre, 2008
Voir aussi la figure 18.
20
Les deux bras tendus vers l’avant, ce colosse de
l’installation Untitled nous semble amorphe et absent,
comme s’il était plongé dans un état cataleptique,
soumis à l’influence d’une force occulte et mystérieuse.
Sa chair brunâtre et étrangement texturée paraît
impure. En fait, il nous est difficile de concevoir que
cette chair hideuse et répugnante puisse entretenir
quelconque parenté avec l’enveloppe corporelle
commune à notre nature. Matière innommable et
informe, l’épiderme de ce géant se rapproche davantage
des intérieurs rocheux et humides d’une grotte
souterraine dans la mesure où de multiples concessions
à teneur minérales pendent le long de ses bras et de son
entrejambe. Cependant, si l’aspect ignoble de cette matière indéfinissable
risque de laisser le spectateur stupéfait, que dire de la prolifération de
formes prismatiques et miroitantes qui semblent envahir l’organisme de ce
personnage? Serait-il trop présomptueux de supposer que cette
impressionnante cristallisation de miroirs serait éventuellement sujette à
investir la totalité de son corps?
⋆
Il est assis au pied d’un mur. Sa taille
imposante lui confère une sorte de
prestance imperturbable, comme s’il allait
tôt ou tard s’enraciner sur place. Pourtant,
à même l’anatomie de The Giant 2, rien ne
semble tenir en place. C’est que son corps
est ultimement irrégulier ou, mieux
encore, il est irrégulièrement constitué. En
fait, si nous avons, en premier lieu, été
étonnés d’y voir proliférer plantes,
Un géant de l'installation Untitled 2007
Voir aussi les figures 19 à 21.
The Giant 2, 2007
Voir aussi les figures 23 et 24.
21
champignons et lichen, nous avons été d’autant plus surpris de constater
que l’enveloppe charnelle de ce personnage est aléatoirement taraudée de
maints percements. Or, contrairement à nos attentes, ces cavités
inexplicables ne mettent à nu aucun organe, aucune composante propre à
l’organisme humain. Elle s’offre plutôt comme un terreau fertile, un
microhabitat où une faune variée évolue librement. Ces petits hôtes
parasitaires semblent se fondre au corps du colosse, comme s’ils l’avaient
pris d’assaut, faisant de lui un biotope unique en son genre.
⋆
Podiums, présentoirs, plates-formes sur pilotis
sont soit infestés d’une flore pétulante ou
ornementée de petits fétiches (cristaux ou godemichés) soigneusement
ordonnés. À travers cet environnement déluré, des animaux de tout acabit
ont trouvé refuge. Pourtant, si certains de ces spécimens nous sont
familiers, d’autres au contraire nous apparaissent tout droit sortis d’un
univers à la croisée du fantastique et du merveilleux. Tel est le cas des
hommes-oiseaux, êtres polymorphes étonnamment affublés d’un complet-
veston. Façonnés à l’échelle humaine, ces hybrides s’imposent comme les
maîtres de cette harde éclectique. L’un d’eux sut attirer notre attention qui,
The Index, 2007
Voir aussi les figures 25 à 29.
22
haut perché, semble veiller sur le panorama luxuriant qui s’étend sous ses
yeux. Mais ce curieux personnage n’est pas le seul représentant issu de la
caste monstrueuse, puisqu’ici et là sont dispersées les dépouilles
parcellaires de loups-garous. Parfois fusionnés à quelques troncs d’arbres
ou gisant dramatiquement sur des socles de bois, ces restes pourrissants
s’offrent à pâture à une impressionnante variété de volatiles.
Ce paysage déroutant, digne des plus hétéroclites cabinets de
curiosité, signe l’une des œuvres notoires d’Altmejd : The Index, réalisée
pour la 52e Biennale de Venise. D’ailleurs, chose étonnante si le titre évoque
communément les principes d’ordre, de hiérarchie et de listage, l’index
altmejdien propose à l’inverse, l’idée de désordre, de tohu-bohu et de
confusion. Mais cette confusion, selon nous loin de se limiter à l’incohérente
opulence qui caractérise cette composition, apparaît également en regard de
l’appréhension que le spectateur aura des lieux. Car, munie d’une multitude
de surfaces réfléchissantes – parfois articulées selon une géométrie qui frôle
le formalisme, parfois fracassées de manière chaotique –, l’œuvre provoque
d'étonnants effets illusoires, brouillant sans cesse la frontière entre le
spéculaire et la réalité. Ainsi, nous proposons que le véritable visage de The
Index ne puisse être que contingent : il se trouve à tout moment converti dès
qu’un élément extérieur se trouve saisi par sa myriade de miroirs. Comme
une nouvelle version du palais des glaces, l’œuvre agit sur notre propre
paraître, le défigurant, le démultipliant et le fusionnant à ce chaos bigarré.
De plus, il faut également souligner que la généreuse fenestration du
pavillon canadien, donnant sur un boisé, accentue cette incertitude
spatiale, car l’environnement naturel semble foncièrement se confondre à
l’aspect foisonnant de l’installation, lui donnant ainsi une résonnance
démesurée.
⋆
23
L’indicible
Au plus loin du familier, les œuvres de David Altmejd semblent se
situer dans une zone grise, appartenir à un univers ouvert aux conjonctures
des plus dépaysantes, un univers qui nous apparaît bien loin du nôtre. Il
nous apparaît clairement que la prolixité du vocabulaire de l’artiste
contribue à susciter cette impression. Tout se passe comme si cette richesse,
cet éclectisme à l’œuvre triomphait de toute univocité, de toute image définie
et distincte. En fait, pour décrire les œuvres d'Altmejd, il nous faut parler
de flore, de faune voire d'écosystème, de milieu... mais pas seulement de
milieu naturel. À un certain moment, il faut aussi parler en termes de
structure d'architecture, de supports, de dispositifs. Sans oublier l'aspect
fantastique qui se traduit par la présence de monstres, de mutants,
d'hybrides. À travers tout cela se trouve le monde des objets aussi bien
naturels qu'artificiels, des matières, des matériaux et de leurs divers aspects
tactiles qui parfois séduisants, parfois repoussants, modulent et ponctuent
si fortement l'esthétique de l'artiste. Bref, pour décrire ses sculptures, il faut
toujours faire faire au langage d'impressionnantes torsions, toujours
pousser au paroxysme les associations de mots et de qualificatifs. Et même,
quelques fois, face à cet univers déluré, les mots eux-mêmes échouent à
rendre ce qui se présente au regard aussi bien qu'à l'esprit. Difficile alors de
situer le monde que concocte Altmejd à travers ses œuvres. Suscitant
incertitude et confusion, ses sculptures se présentent d’une certaine
manière comme une énigme. Comment alors les aborder, pénétrer leurs
secrets?
⋆
24
1.2 Combinaisons et métissages comme mode de composition formel
Défamiliarisation
Nous le savons maintenant, au premier contact avec l'œuvre de David
Altmejd, il n’est pas rare que le spectateur s'en trouve déstabilisé. Ainsi,
avant même d'aborder la question de la métamorphose et de la
transformation dans son travail, il nous faut, pour mieux entrer dans
l’analyse, cerner ce qui crée cet effet déstabilisant, de manière à bien exposer
l’impact de son langage visuel. Ceci nous permettra ensuite de rapporter le
discours de l’artiste et de le mettre en relation avec sa démarche et la mise
en œuvre de son processus de création.
« Le pire monstre est celui qui nous ressemble21 », affirmait Pierre
Ancet. Souvent vêtus et parés d’attributs masculins, nous pouvons observer
que les monstres d’Altmejd gardent en eux quelque chose d’humain tout en
exposant un caractère foncièrement animal. Cette altérité semble en effet
séduire le sculpteur, chez qui le monstre occupe une place presque
obsédante au sein de sa production. Si certains artistes de sa génération
ont fait référence à cette figure pour soulever des enjeux ontologiques22, il
est intéressant de noter que, chez Altmejd, le monstre se rapporte à
certaines implications esthétiques bien précises.
C’est avec l’œuvre Loup-garou 1 (figure 8) que le lycanthrope fait son
entrée en 1999 dans le vocabulaire altmejdien. À cette époque, le jeune
sculpteur, étudiant à l'Université Columbia à New York, réalisait
principalement des structures23. À la fin d’un semestre, il décide
d’« intégrer » l’ensemble de ses projets sur – ou à l’intérieur – d’une table
21 Pierre Ancet, Phenome nologie des corps monstrueux, Science, histoire et socie te, Paris, Presses universitaires de France, 2006, p. 1. 22 Pensons notamment aux hybrides de Patricia Piccinini qui engagent une réflexion sur la portée et les possibilités des nouvelles technologies ainsi que sur le statut de l'humain et de l'animal. 23 Michaël Amy, « Sculpture as Living Organism: A Conversation with David Altmejd », Sculpture, vol. 25, n° 10 (2007), p. 26.
25
lumineuse dont la forme rappelle celle d’une grande caisse de bois24. Par
contre, en examinant le résultat final, Altmejd a le sentiment que quelque
chose manque. Comme il le rapporte à Michaël Amy :
[…] there was something too cold about the things I was using, the surface, the wood, and the light, and I felt that I needed a strong concentration of grotesque to pull it off – a head or a body
part would do the trick. I love Kiki Smith and Louis Bourgeois, but the fragmented human body had become too commonplace in contemporary art – a human head would have been boring. I
thought that if I placed the head of a monster inside the piece instead, it would be just as powerful, but strange and not
familiar, and I liked that25.
Conséquemment, à l’intérieur d’une petite ouverture cubique
aménagée à même la caisse, l’artiste insère la tête d’une créature dont
l’aspect est peu ragoûtant : un loup-garou à la peau brunâtre et couverte de
poils crépus26. La texture informe et la tactilité grossière de ce fragment
tranche radicalement la sobriété de l’écrin qui le contient. Cet effet de
contraste sera largement exploité par Altmejd dans ses réalisations futures.
Disposant les corps morcelés de loups-garous pourrissants à même des
plates-formes monochromes ou des structures géométriques, il semble
chercher à briser leur pureté, à les contaminer en les opposant à l’organicité
décadente que dégagent les figures monstrueuses.
À la lumière de nos observations cumulées des propos d’Altmejd, nous
pouvons affirmer que le monstre constitue un pivot, un élément esthétique
d’une grande importance. Il surgit dans le vocabulaire altmejdien comme
moyen de pallier certains problèmes formels en ce qu’il se présente comme
une source de tension. Exploité comme une alternative au corps humain, le
sculpteur met de l’avant la prégnance qu’il exerce sur le spectateur.
24 Ibid. 25 Ibid. 26 Le détail photographique de cette tête figure se trouve à l’introduction de ce chapitre en page 18.
26
Exposant volontairement l'aspect repoussant qui s’en exsude, Altmejd
semble chercher à déstabiliser les regards.
Entre laideur et beauté
Radicalement hideux, ces restes de loup-garou? Pour les uns, ils le
sont peut-être; pour les autres, pas nécessairement, car dans l'univers de
David Altmejd rien n’est véritablement ce qui semble être. En y regardant de
plus près, ce n’est pas sans une certaine stupéfaction qu’il nous sera donné
de voir, à même les chairs corrompues de ces créatures, paillettes, perles,
pierreries, breloques et cristaux étincelants. Minutieusement ornées
d’oripeaux clinquants, les étranges dépouilles revêtent un caractère
profondément ambigu pour l’œil aiguisé, comme si, dans le détail, elles ne
pouvaient être radicalement affreuses et leur aspect général, quant à lui, ne
pouvait inspirer entièrement la magnificence.
Cette indécision, nous la retrouvons également en regard des géants,
personnages qui feront leur apparition à la fin des années 2000. Cheminant
à la surface de ces corps colossaux, notre œil vacille sans cesse entre les
éclats flamboyants des miroirs et les flétrissures corporelles (comme dans
The New North, figure 16); entre la pureté des gemmes minérales et la texture
disgracieuse des poils hérissés (voir The Giant 2, figures 23 et 24), mais
également entre l’imperfection et la méticulosité du fait que certaines zones
enduites grossièrement de coulures picturales, de matériaux rainés ou
laissés à l’état brut jouxtent de petits éléments structuraux
méthodiquement conçus.
Ces écarts et ces différences dans l'approche des matériaux sont
récurrents chez Altmejd. Par exemple, avec l'œuvre The Index (figures 25 à
29), il nous invite à circuler dans un espace pour le moins atypique et
débordant de détails. Le spectateur y découvrira, entre autres,
27
d'impressionnants présentoirs illuminés qui rappellent ceux, impeccables,
des grands magasins. Mais en les observant de plus près, il pourra constater
que certaines de leurs surfaces faites de miroirs ont été fracassées ou que
des coulis grisâtres semblent regorger grossièrement des jonctions et des
angles de ces structures. Plus loin, nous pouvons voir d'autres
arrangements de miroirs, dont l’apparence formelle rappelle des prismes
cristallins, qui traversent littéralement la gueule monstrueuse d'un loup-
garou putride. Ici, le contraste entre la texture lisse de la glace et celle de la
tête semi-écharnée de la bête étonne. Mais notons que ce qui suscite
d’autant plus la stupéfaction, c'est que tout près de cette scène, qui peut
paraître sordide, Altmejd a disposé quelques jolies fleurs blanches.
Ni quelconque ni saine, la valeur aspectuelle de ces sculptures semble
toujours suspendue entre deux pôles, niant énergiquement toute
immuabilité. Les métissages plastiques auxquels l’artiste se livre
occasionnent un voisinage impur où délicatesse et splendeur « flirtent »
étroitement avec le monstrueux, voire le trivial27. S’il affirme d’emblée être
davantage intéressé par la beauté28, Altmejd explique qu’il s’emploie à lui
infuser une sensibilité toute particulière. Comme le rapport Robert Enright
dans une interview avec l’artiste en 2004 : « […] vulnerable beauty is the
only kind that interests me. Perfect beauty is not interesting; it doesn’t exist.
Things stand to exist when there’s a tension29 ».
27 À ce sujet, il est intéressant de noter qu’il y a dans le vocabulaire d’Altmejd des éléments de
plusieurs genres, styles et valeurs (allant de la préciosité à la vulgarité). Ces amalgames, l’artiste les conçoit souvent avec un brin d’humour. Dans The Index, par exemple, des godemichés sont étalés dans un présentoir tout près d’échantillons de cristaux et un homme-oiseau porte sous son bec des testicules (figures 28 et 29). 28 « Dès le départ, j'ai voulu faire quelque chose de très différent de tout, de très bizarre, et en même
temps de très séduisant, à une époque où ce n'est pas très à la mode d'être séduisant, confie le créateur. Certains disent que ce n'est pas le rôle de l'art d'être séduisant. Mais pourquoi les films pourraient-ils être visuellement magnifiques et non les sculptures? ». Marie-Claude Bourdon, « La beauté du monstre : David Altmejd représentera le Canada à la Biennale de Venise », UQÀM, Entrevue, 2007, Magazine Inter, vol. 05, n° 01 (printemps 2007), http://www.uqam.ca/entrevues/2007/e2007-099.htm, page consultée le 12 mai 2009. 29 Robert Enright, « Learning from objects: an interview with David Altmejd », Border Crossings, n° 92 (novembre 2004), p. 74.
28
Une autre expression de cette beauté vulnérable que nous avons
observée est qu’elle se réalise également en ce que ces corps monstrueux –
percés et meurtris, donc en instance de dégénérescence – sont investis par
une faune véhémente (The Giant 2, figures 23 et 24) ou exposés près d’une
végétation fleurissante (The Old Sculptor, figure 13). Soumises au trépas,
mais côtoyant vertement la vie, les compositions d’Altmejd ne sauraient
prétendre, d’après ce que nous avons observé, à aucune constance.
D’ailleurs, de la géométrie à l’informe, des schèmes minimalistes à une
exubérance presque baroque, de la beauté à la laideur, de la mort à la vie
intervient une sorte d'instabilité, un état d’entre-deux qui plonge les œuvres
dans l’indétermination. Comme si jamais elles ne pouvaient trouver repos,
s’arrêter sur à forme fixe et définie, elles chevauchent les frontières entre les
styles, les catégories et les statuts.
Un univers en tension
Riche et puissant, le vocabulaire d'Altmejd s’articule à partir de
réunions mystérieuses, dont la teneur multiforme et plurivoque nous
transporte aux confins d’un univers inusité. Ces rencontres provoquent un
paradoxe qui est propre à ses œuvres puisque, d’une part, nous pouvons
percevoir de multiples tensions générées par ces réunions singulières qui
mettent à contribution une prolifération d’éléments composites et de nature
hétérogène et, d’autre part, nous sommes confrontés à une forte harmonie
qui émerge de la puissance de ces associations.
Un peu à l’image des propos d’Altmejd recueillis par Enright, selon
lesquels l’existence des choses n’apparaîtrait qu’en présence d’une tension,
le paradoxe est, en quelque sorte, le moteur de la production de l’artiste,
car, comme il nous l’a lui-même fait remarquer, son langage visuel opère à
même les écarts et les contrastes qui se trament entre les différents éléments
29
ou matériaux qu’il emploie30. En fait, tout se passe comme si la fissure qui
se creusait entre les termes qui entretiennent une différence de potentiel
constituait un espace fécond, un champ d’action privilégié : « I seek to inject
energy and create tension in a work because in my mind, tension generates
energy31 », affirmait Altmejd à Amy. Cette citation illustre plus clairement en
quoi l’interaction entre les matériaux et les motifs a une implication directe
dans l’articulation du langage visuel d’Altmejd, en laquelle elle constitue la
clé de l’énigme. Il y a chez l'artiste un désir de faire dialoguer les
antagonismes, sonder ce que leurs rencontres provoquent visuellement
aussi bien que viscéralement. Ce jeu de valeurs engagé entre polarités donne
matière à un potentiel dynamique, une énergie qui anime les œuvres.
1.3 Déployer l’énergie : la sculpture comme organisme
Organismes
« I see everything in terms of energy and nothing intellectually »,
évoquait David Altmejd lors d’une entrevue avec Amy32. La question de
l'énergie revient sans cesse dans le discours du sculpteur, comme le reflète
ce passage. Mais nous estimons que la notion d’énergie, somme toute « fort
abstraite », mérite d’être interrogée. Pour ce faire, nous devons effectuer un
petit retour aux prémices de ses expérimentations sculpturales.
À la fin des années 1990, Altmejd réalise quelques projets s’articulant
autour d’une combinaison d’objets variés disposés sur des tables. Si la
sobriété de ces productions semble d’emblée contraster avec la luxuriance
qui caractérise ses œuvres à venir, elles n’en expriment pas moins un des
30 David Atlmejd, entretien avec l’auteur, Montréal, mai 2011. 31 Amy, loc. cit., p. 25. 32 Ibid., p. 26.
30
traits fondamentaux de sa pratique : improviser des contacts qui seraient
susceptibles de libérer une source d’énergie latente33.
À titre d’exemple, dans Aménagement des énergies (figure 14), l’artiste
réunit cristaux, enregistreuse et baladeur. Comme s’il avait voulu mettre en
scène l’étrange dialogue issu de ces éléments déposés sur une même table,
Altmejd met à la disposition du public deux paires d’écouteurs grâce
auxquels il est possible d’entendre une bande audio composée de
« gémissements évoquant tantôt la plainte, tantôt le plaisir34 ». Associés aux
divers objets qui composent cette œuvre, ces sons parviennent à l’oreille du
spectateur comme l’insolite expression d’une interaction entre les éléments
qui se trouvent devant lui. Amorçant une correspondance entre dimensions
sonore et visuelle, cette œuvre se présente telle une expérience par laquelle
les objets tendent à dépasser leur simple matérialité, comme s’ils pouvaient
éventuellement s’agiter sous nos regards hébétés. Sur ce point, le titre choisi
par l’artiste, Aménagement des énergies, est grandement révélateur d’une
insatiable curiosité envers les conditions par lesquelles les « choses » inertes
pourraient s’animer. Mais bien plus que l’animation de l’inanimé qui
engendre cette angoisse particulière que Freud théorisa sous le terme
d’inquiétante étrangeté35, ce qui semble d’emblée susciter l’enthousiasme
d’Altmejd, selon les propos recueillis par Randy Gladman dans une entrevue
avec l’artiste, est l’aménagement d’une sorte d'« organisme » capable de faire
circuler l’énergie qui se trouve ancrée dans les objets36.
Cet « organisme », s’il était au départ généré par des mécanismes
électriques (que ce soit des enregistreuses ou des moteurs servant à faire
33 Anne-Marie Ninacs, « David Altmejd – Point de chute », Louise Dery, et al., dir., Point de chute,
Montre al, Galerie de l'UQÀM, 2001, p. 4. 34 Ibid. 35 Sigmund Freud, L’inquiétante étrangeté et autres textes, Paris, Gallimard, 2001, p. 25-139, collection « Folio bilingue ». 36 « I get a feeling from certain combinations, a feeling that something is going to happen when I mix thing together, dit l’artiste, I do not have to say something the object will say it ». Randy Gladman, « 21st century werewolf aesthetics – an interview with David Altmejd », C Magazine, n° 82 (été 2004), p. 38.
31
vibrer les objets posés sur des tables), se complexifie et emprunte une
avenue plus conceptuelle37, comme peut l’observer Louise Déry. Reliant les
éléments entre eux par des structures architecturales, des socles, des
plates-formes et même par des chaînettes de bijoux, Altmejd dit à Louisa
Buck du Art Newspaper qu’il amorce le lien entre les objets, organise les
connexions entre eux, de manière à faire diffuser les tensions que leur
association engendre38.
Sculpture comme organisme
Lorsque nous regardons les œuvres d’Altmejd, nous sommes moins
en présence d’une énumération d’objets disparates que d’un réseau animé
par une affluence de relations. Pour lui, chaque objet fait partie intégrante
d’un tout, d’un ensemble cohérent, comme il l’affirme à Enright : « I want
the sculpture to be seen and understood as one organism, one body39 ».
Cette conception, Altmejd l’a vraisemblablement héritée de son passage
académique en biologie. Révèlant à Bourdon d’« [avoir] toujours été fasciné
par tout ce qui transforme la vie40 », il s’emploie à élaborer un langage
étroitement lié à cet intérêt, concevant ses réalisations comme des
« organismes vivants ».
Ce qu’il est intéressant de considérer maintenant est la manière dont
cette réflexion sur la nature transparaît dans son processus de production.
En fait, pour lui, dit-il à Bourdon, création et évolution organiques sont
indissociables dans la mesure où il s’emploie à faire « exister » ses
sculptures41, leur infuser une forme de vie. Toujours dans la même entrevue
37 Louise Déry, David Altmejd, Montre al, Galerie de l'UQÀM, 2006, p. 83. 38 « I see the combination of display structure and the object that was displayed on it and in it, as a sort of organism. It was as if the werewolf heads were energy-generating objects, a bit like organs in
a body, and these were hidden inside a bigger structure which acts like connecting elements in a nervous system. I liked the idea that the display could transform itself into a body ». Louisa Buck, « Biology, nature and evolution turned on their head », The Art Newspaper, n°195 (octobre 2008), p. 43. 39 Enright, loc. cit., p. 72. 40 Bourdon, loc. cit. 41 Ibid.
32
avec Bourdon, il affirme que le processus dont elles découlent prend une
importance considérable et que c’est dans cette perspective qu’il se
considère comme un « process artist42 » en adoptant une démarche
profondément instinctive. Reprenons ici les paroles de l’artiste recueillies
par Gladman : « From my perspective, my work is intuitive. I am not able to
mention specific reason why I associate these things. I get a feeling that
something is going to happen when I mix things together. I do not have to
say something; the object will say it. [...] I start making something but at a
certain point it starts making choices by itself43 ». À la lumière ces
observations, il nous apparaît plus clairement que le rapport de cohésion
qui se trame entre les objets au cours de la création serait, pour Altmejd,
un guide, un fil conducteur auquel il se remettrait de manière à ce que l’objet
puisse développer sa propre logique interne, devienne autonome en quelque
sorte.
D’ailleurs, en vertu de cette logique, le sculpteur nous confie dans un
de nos entretiens avec lui qu’il considère qu’il ne cherche pas à avoir le
contrôle absolu sur l’aspect de ses œuvres44. Si bien que lorsqu’il décide
d’intégrer des chaînes en or et en argent pour joindre les éléments de ses
compositions45 et créer une sorte de « système nerveux » par lequel l’énergie
peut circuler, il se trouve contraint à déterminer leur trajet46. Il rapporte par
ailleurs à Amy qu’il n’apprécie point d’être aux prises avec ce genre de choix,
il opte pour une stratégie des plus particulières :
I, of course, decide to make the gold chain form one corner to
another, and in and out of a hole, just to make the work look good, but I am uncomfortable with the fact that these kinds of choices are so arbitrary. So, the first time I used birds, I used
42 Ibid. 43 Gladman, loc. cit. 44 À ce sujet précis, l’artiste confie : « I like the feeling that I’m losing control and I’m not the one
making the choices. When the piece is finished, I step back and I can’t believe I made it. I would compare it to having children and watching them grow and become individuals ». Enright, loc. cit. 45 Nous pouvons entres autres observer la présence de ces chaînettes dans The Old Sculptor et The Index (figures 13 et 27). 46 Enright, loc. cit., p. 74.
33
them as little helpers to carry the chain from one corner to another. That way, the formal responsibility shifted to the piece
[…] I was able to pretend that the shape of the whole was generated by a logic inside the piece itself47.
Cette ruse nous permet de mettre en lumière une préoccupation constante
chez l’artiste, laquelle se formule comme une nécessité pour lui de se
désengager partiellement de son rôle de créateur, de s’en abstraire de
manière à concéder une certaine autorité à ses sculptures.
Organismes autonomes, elles doivent avoir une vie indépendante,
catalyser leur propre système. En cela, Altmejd résiste à toute signification
spécifique : « I am so not interested in art-making as a way to communicate
a specific idea [...] It makes the art nothing but an illustration. I want my
works to have an intelligence of their own, not just be slave to my
meaning48 », précise-t-il à Gladman. À cet effet, bien qu’il emprunte souvent
des symboles aussi explicites que l’étoile de David, tel qu’il le fait dans The
Old Sculptor (figure 13), l'artiste tend à se dissocier de toute détermination
par rapport au sens que ce motif pourrait insuffler à sa composition. Comme
il l’affirme souvent, il use de certains éléments qui sont « potentiellement
chargés d’énergie ». Ce qui importe alors est la dynamique qui se dégage de
l’interaction entre ces éléments et le reste de la composition. Selon lui, cette
dynamique dépend du caractère « non-résolu et non-contrôlé » de l’œuvre.
Toujours dans son entretien avec Gladman, il affirme : « When meaning is
controlled the resulting object is not alive, there is no tension in a logical
system that functions49 ».
Mais si, d’un point de vue sémantique, les œuvres imaginées par
Altmejd sont non résolues en ce qu’elles tendent à nier toute détermination,
47 Amy, loc. cit., p. 24-25. 48 Gladman, loc. cit., p. 39. 49 « The energy of these living abstract organisms depends on the meanings of the work being unresolved, uncontrolled. When meaning is controlled the resulting object is not alive, there is no tension in a logical system that functions ». Ibid., p. 38-39.
34
il en va de même du point de vue esthétique dans la mesure où il leur réserve
un traitement imparfait50, comme si elles devaient être non achevées. Coulis
de plâtre, de résine et de matière picturale; socle peint grossièrement;
miroirs fissurés, les sculptures de l’artiste recèlent de ces accidents qui
donnent l’impression qu’elles ne sont pas tout à fait au point, qu’elles ne
sont pas terminées. Tout se passe comme s’il évitait une facture peaufinée
pour laisser ses compositions ouvertes à de potentielles possibilités, à une
transformation à venir…
Et c'est bien là l'impression que laissent les œuvres de David Altmejd
aux yeux du regardeur. Elles lui apparaissent en constante métamorphose.
La confusion qu'elles provoquent au premier regard, leur complexité aussi
bien que les nombreux contrastes et les différentes harmonies qu'elles
présentent semblent servir d'assises à un monde capable d'agréger les
transformations les plus improbables. Dans ce chapitre, nous avons donc,
expliqué quelle place occupait cette transformation dans le discours de
l’artiste et comment elle intervient dans la création de son univers singulier.
Il nous faudra maintenant sonder les rouages de ces mondes
métamorphiques, comprendre comment ils fonctionnent et de quelle
manière ils s'articulent.
50 Enright, loc. cit.
35
CHAPITRE 2
MÉTAMORPHOSE : MOTIFS ET REPRÉSENTATION
« David’s sculpture has always been a unique and uncanny vision, a series of gorgeous
physical and mental ruptures in conventional reality. »
Matthew Richie
« Le goût de la métamorphose est le partage commun de tous les
rêveurs51 », disait Jean-Jacques Rousseau. À cet égard, qui ne s’est jamais
abandonné à la folle pensée de quitter sa forme originelle? De vivre, ne
serait-ce que pour un instant, l’expérience d’un autre corps? De tout temps,
l’homme s’est attaché à rêver l’inconstance du monde qui l’entoure et la
métamorphose sera en quelque sorte garante de ces fantasmes affriolants.
Abîme de permissions sans limites, ce phénomène miraculeux a nourri et
continue à ce jour d’alimenter la pensée fabulatrice. Les mythes, légendes
et contes regorgent de ces aventures où les frontières sont éminemment
poreuses, où les protagonistes peuvent à tout moment être emportés dans
une danse ontologique insolite. Nous retrouvons encore aujourd'hui
l'influence de ces histoires dans la littérature et le cinéma. La prégnance de
ce thème, peut-être pouvons-nous la comprendre comme l’expression d’une
intense fascination, d'une curiosité envers l’idée d'un monde qui échappe à
l’immuable et qui, par la même occasion, force les carcans de la logique.
Manière de dire que la métamorphose pousse à songer la mobilité, mais
qu'elle participe également à remettre en question une conception de
51 Jean Starobinski, Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l'obstacle, Bibliothèque des idées Paris, Gallimard, 1971, p. 420.
36
l'univers qui serait subordonné à un ordre cosmique prévisible, calculable
et irrévocable – autrement dit, soumis à un déterminisme naturel.
2.1 Une approche classique de la métamorphose
Nous pouvons considérer que David Altmejd fait partie de la lignée de
ces rêveurs de la métamorphose qu'évoquait Rousseau. À la lumière de ce
que mentionnait J.J. Charlesworth au sujet de l'univers du sculpteur,
« nothing retains its identity for long52 ». Les êtres hybrides aussi bien que
les environnements mis en scène par l'artiste brouillent sans cesse les
frontières taxinomiques. À l'instar de ces mythes, contes et légendes où la
métamorphose apparaît comme ces situations improbables qui infligent à la
réalité des conjonctures insolites, Altmejd met en scène un cosmos des plus
tumultueux où les lois de l'inconstance s'opposent à celles de la
permanence. Conséquemment, il est tentant d'aborder l'articulation de ce
monde en transformation à l'aune d'une conception classique de la
métamorphose. Pour ce faire, nous nous proposons jeter un regard sur la
tradition aussi bien que sur la culture pour comprendre comment s'articule
la métamorphose en regard d'une figure type.
Dès 1999, Altmejd exploite l'une de ces figures – le loup-garou – qui
aura tôt fait de devenir l'un des motifs emblématiques de son langage visuel.
S'adresser à ce personnage, c’est bien sûr faire référence à toute une
tradition mythique et fantastique. Pourtant, si Gladman rapporte que c'est
en partie l'aspect symbolique du lycanthrope qui séduit l'artiste53, rien ne
peut laisser croire que les monstres qui peuplent son univers sont de
quelque façon les héritiers légitimes d’une esthétique traditionnelle, car sous
52 J.J. Charlesworth, « David Altmejd: Shapeshifter », Art Review, no 12 (juin 2007), p. 79. 53 « […] I was very interested in the werewolf because of its complexity, its symbolic potential. It represents both good and evil, human and animal, Dr Jekyll and Mr. Hyde – extremes on both sides », souligne l’artiste. Gladman, loc. cit., p. 41.
37
la poussée créatrice du sculpteur, ceux-ci revêtent une dimension
étonnement singulière. Ainsi, dans l'optique de cerner ce qui les distingue,
il nous faut mettre en lumière ce qui caractérise ce monstre légendaire aussi
bien dans la culture qu'en regard de la représentation.
Un homme est brutalement saisi par une série de convulsions. Il
s'agite violemment, crie, déchire ses vêtements. Soudain, son regard horrifié
se fixe sur sa main. Tremblante, cette dernière s'étire et se déforme.
L’homme s'affaisse subitement au sol. Tout son corps est alors soumis à une
virulente mutation : sa pilosité prolifère à une vitesse démesurée, son dos
s'arque, sa dentition s'effile, ses oreilles s’allongent tandis que, sur son
visage, se dessinent des traits âpres et méconnaissables. Peu à peu, ses
gémissements deviennent grognement, indiquant que, de l'homme, il ne
reste maintenant plus rien.
Ce genre de scène, dont la description nous a été ici inspirée par le
film Le loup-garou de Londres54, nous est plutôt familier. Les productions
cinématographiques ayant abordé le thème du lycanthrope ou, plus
largement, de la métamorphose de l'homme à l'animal55, regorgent de ces
séquences où il nous est donné de voir la transformation de manière
graduelle. En fait il n'est pas surprenant que le loup-garou, inspiré des
contes et légendes et d'une certaine manière de tradition littéraire56, ait
trouvé si facilement sa résonance au cinéma57. Car, la nature même du
54 John Landis, Le loup-garou de Londres, (An American Werewolf in London), 1981. 55 Par exemple les films The Fly (1986) de David Cronenberg (adaptation du roman La mouche noire de Kurt Neumann). 56 À cet effet, les anthologies d’Alain Pozzuoli (Les morsures du loup-garou, 2004) et de Barbara Sadoul (Le bal des loups-garous, 1999) présentent différents textes ayant pour thème le loup-garou allant des légendes rurales réunies par certains compilateurs comme Claude Seignole, Paul Sébillot ou François Fabre à Boris Vian. Si c'est d'abord à travers de courts textes et des nouvelles que le lycanthrope fait son apparition dans la tradition littéraire au XXe siècle, il inspirera plusieurs romans fantastiques
tels que Plus noir que vous ne pensez de Jack Williamson (1948), Peur bleue de Stephen King (1985) ou encore Les loups-garous de Londres de Brian Stableford (1990). 57 Déjà en 1913, le loup-garou apparaît à l'écran avec le court-métrage The Werewolf réalisé par Henry Mc Rae, intitulé et écrit par Ruth Ann Baldwin. Mais c'est sans aucun doute avec des productions telles que Le monstre de Londres (1935) de Stuart Walke et Le loup-garou (The Wolf Man) de 1941,
38
médium, par ses effets spéciaux, mais également par ses possibilités de
montage, nous permet d'être en quelque sorte les témoins privilégiés de ce
passage chimérique de la forme humaine à celle de la bête – autrement dit,
de nous faire voir, dans toute sa complexité, une métamorphose.
Ce petit détour par le cinéma nous permet de comprendre plus
clairement que l'essence même du loup-garou repose sur cette intense
transformation d'un état à un autre. C'est à ce passage que l'on reconnaît le
monstre légendaire et, qui plus est, il se trouve que ce même passage est
mis de l'avant lorsque l'on tente de le représenter à l'aide d'autres médiums.
Tel que le fait remarquer Françoise Frontisi-Ducroux, si le cinéma « nous a
permis d’accompagner du regard un processus de transformation dans tous
ses états58 », montrant « une évolution lente, progressive, détaillée et
irréversible59 », il nous apparaît que la représentation artistique (peinture,
dessin, sculpture), quant à elle, ne peut user des mêmes stratégies pour
aspirer aux mêmes résultats.
Le loup-garou (comme bien d'autres figures métamorphiques) pose en
effet problème lorsqu'il est temps de le représenter. D'ailleurs, dans son
ouvrage Le monstre dans l'art occidental, Gilbert Lascault soulève cette
problématique. Selon lui, le loup-garou se situe dans la catégorie des
monstres dynamiques, c'est-à-dire que son esthétisme distinctif se fonde
sur un aller-retour entre deux statuts : l’animal et l’humain. Par exemple,
ni la bête seule, pas plus que l'homme seul ne pourrait parfaitement donner
une image du loup-garou, car ce dernier est en soi la conjonction des deux.
Là repose la complexité de la représentation de ce monstre : comment rendre
cette conjonction sans succession d’images? Comment aborder un
réalisé par George Waggner, que le thème prend littéralement sa place dans la tradition cinématographique. 58 Françoise Frontisi-Ducroux, L'homme-cerf et la femme-araignée : figures grecques de la métamorphose, Le temps des images, Paris, Gallimard, 2003, p. 273-274. 59 Ibid., p. 274.
39
personnage dont l'essence repose intrinsèquement sur son « pouvoir de
métamorphose »?
Sur ce point, Lascault nous offre une piste de réflexion lorsqu’il
mentionne que le monstre dynamique « […] se constitue en quelque sorte à
l’intersection de la figure et du récit. Pour être représenté picturalement, il
doit se fragmenter; se donner par moments ou se définir par un moment
privilégié60 ». C’est donc au carrefour de la narration et de l’image que se
développent la plupart des représentations du loup-garou. À la limite, nous
pourrions dire qu’il n’y a d’image de cette figure possible qu’en morcelant sa
transformation en différentes étapes. Il en résulte que dans la tradition
artistique, la représentation du loup-garou se structure d’ordinaire par
décomposition, alternant entre : l’avant (la forme originelle), le pendant (la
forme hybride) et l’après (la forme transfigurée).
Notons que ce genre de représentation insiste en majeure partie sur
les deux dernières étapes énumérées. Par exemple, Lycaon, fameux roi
d’Arcadie changé en loup après avoir servi de la chair humaine à Zeus, est
couramment présenté sous le mode cynocéphalique, sa tête de canidé étant
alors le signe du balbutiement de sa métamorphose (figure 30). Il arrive
aussi qu’un grand nombre d’illustrations montrent des bêtes qui souvent ne
gardent que quelques vêtements ou encore la station verticale pour connoter
leur nouvelle condition lycanthropique (figures 31 et 32).
Nous pouvons affirmer que la tradition figurative nous a initiés à une
image morcelée du loup-garou. Celle-ci est en soi la conséquence d'un
découpage du processus de transformation subit par la créature. D'ailleurs,
si le plus souvent les représentations ne gardent que le stade hybride, selon
Françoise Frontisi-Ducroux, ce mode de représentation est symptomatique
60 Gilbert Lascault, Le monstre dans l'art occidental : un problème esthétique. Collection d'esthétique; 18, Paris, Klincksieck, 2004, p. 163.
40
d'une « tentative d’enregistrer le passage d’une forme à l’autre, d’en fixer le
moment fugitif61 ». Dès lors, si d'une part la figure du loup-garou se
caractérise par son dynamisme, soit sa capacité à se métamorphoser, il se
trouve que d'autre part les stratégies de représentation figurative, quant à
elles, s'attachent paradoxalement à figer la figure à un stade précis de la
transformation.
Toutefois, au-delà de cette incapacité de « compenser la nature
synthétique de l’image », ce que la stratégie de l’hybridation révèle, c’est
également cette compréhension, somme toute, très narrative, voire linéaire,
de la métamorphose. En fait, tout se passe comme si la transformation se
tramait sur une ligne définie, sur un continuum allant d'un point A à un
point B, d'une forme à une autre, d'un avant à un après. En conséquence,
la tendance est de mettre l’accent sur les événements épisodiques qui la
constitue plutôt que sur le processus même de transformation. Si bien qu’on
ne fait jamais qu’évoquer le changement apporté par la métamorphose, en
la recadrant dans une forme figée, sans être à même de faire sentir l’ampleur
des fluctuations qu’elle provoque.
2.2 La stratégie altmejdienne : une question de vie et de mort
Avant de situer le travail d’Altmejd dans le cadre de ces
questionnements sur les possibilités de représentation de la métamorphose,
présentons brièvement à l’intention du lecteur quelques-unes de ses œuvres
que nous utiliserons à titre d’exemple. À regarder les loups-garous qu’il met
en scène, nous serions à quelques égards tentés de croire qu'ils sont eux
aussi saisis dans un moment précis de leur processus de transformation.
Dans The Old Sculptor (figure 13) par exemple, deux têtes de monstres
reposent sur un socle blanc. Leur pilosité, leurs crocs pointus et leurs
61 Frontisi-Ducroux, op. cit., p. 29.
41
oreilles saillantes ne laissent aucune équivoque, il s'agit bien ici de monstres
mi-hommes, mi-animaux.
Toutefois, notre attention ne saurait se porter exclusivement sur cette
observation, car à proximité de ces fragments, nous apercevons un amas
d'os, de fourrures et de chairs en putréfaction qui semblent être, de toute
évidence, les restes des corps de ces deux monstres. Cette mise en scène est
des plus atypiques. Un seul coup d’œil suffit pour comprendre que ce qui se
présente à nous rompt radicalement avec l’idée de la bête féroce au regard
perçant qui, sous les lueurs de la pleine lune, commet de pernicieuses et
meurtrières atrocités. Ici, le monstre est vulnérable. Figées dans une
expression indicible, celle qui dessine sur le visage l’irréversible trace que
laisse la mort lorsqu’elle s’enracine dans le corps, les têtes de ces
lycanthropes semblent garder en elles les marques d’un drame. Les traits
roides et crispés qui forgent leurs faciès sidèrent et la pourriture qui
corrompt leur chair révulse. Inertes et étendus à l’horizontale, leurs
cadavres dévastés de flétrissures laissent sous-entendre qu’ils ne sont plus
guère ces prédateurs sanguinaires, mais proies de quelques sévices d’ores
et déjà passés.
Énigmatiques et troublantes, ces images sont récurrentes chez David
Altmejd. Dans son univers, le loup-garou est constamment représenté sous
forme de fragments de corps en plein processus de décomposition. Mais ce
qui apparaît d'autant plus étrange, c'est qu’après une observation plus
attentive de ces dépouilles nous nous rendons rapidement compte qu'elles
ne sont pas réellement ce qu'elles semblent être...
En fait, dans The Old Sculptor, l'épiderme affreusement altéré des
monstres exsude quelques brasiers scintillants de cristal de roche, tandis
que des oiseaux semblent en extraire des chaînettes dorées. On dirait même
que la carcasse favorise la croissance des fines fleurs qui se trouvent tout
42
près d'elle. Le corps d'un autre loup-garou, intitulé The Settler (figure 12),
est lui aussi bien mal en point. Cependant, ce dernier semble donner
naissance à une rutilante architecture de miroirs, laquelle jaillit
littéralement de sa dépouille fragile. Et encore, l'œuvre The Hole (figure 33)
présente une bête démembrée dont les restes s'enfilent dans une spirale de
couleurs qui laisse s'échapper un microcosme foisonnant.
Cette prise de conscience de la situation insolite à laquelle ces êtres
sont soumis nous permet maintenant d’affirmer que, chez Altmejd, le cadre
de référence traditionnel qui est propre au loup-garou s’en trouve
foncièrement perverti. De prime abord, la précarité de ces êtres laisse
perplexe aussi bien qu'elle déstabilise. Devant ces créatures décapitées et
pourrissantes, nous sommes à certains égards démunis, ne sachant sous
quel angle les aborder. Mais elles s'avèrent également ambiguës et
déstabilisantes en regard des étranges phénomènes qui interviennent à
même leur corps. Et si au premier regard ceux-ci nous semblent déchus, à
bien les observer, nous ne pouvons faire autrement que de constater que
quelque chose se trame à travers les restes de ces figures.
À cet effet, si, comme le mentionnait Gilbert Lascault, la
représentation de ce monstre particulier s’arrête généralement sur un
moment précis de la transformation62, il semble que, chez Altmejd, il est
difficile de définir avec clarté ce moment. De toute évidence, nous ne
sommes ni avant ni pendant la métamorphose de l’homme à l’animal,
puisque les créatures semblent déjà avoir subi leur métamorphose. La
pilosité, les oreilles pointues, les crocs proéminents et les griffes aiguës dont
sont munis ces êtres en sont la preuve. Pourtant, même si tout indique qu’ils
ont subi une transformation, rien ne laisse croire que cette métamorphose
est terminale et qu'il n'y a plus de place à la transformation, qu’il s’agisse
définitivement d’un stade final, du dernier temps d’une série.
62 Gilbert Lascault, op. cit., p. 163-164.
43
Si le doute s’impose à nous, et ce, avec insistance, c'est que dans
l'univers du sculpteur, les corps putréfiés foisonnent. Entourés de plantes,
de petits animaux et d’oripeaux braisillants, ils semblent participer, voire
donner naissance à une espèce d’écosystème exorbitant. Ceci nous amène
donc à comprendre que, chez Altmejd, la représentation de la métamorphose
ne s'opèrerait plus en exposant un moment déterminé de la transformation
du loup-garou. En fait, il est de notre prétention que l'artiste met sur pied
une tout autre stratégie. Ses monstres ne nous apparaissent nullement figés
à un stade précis de leur mutation, mais plutôt comme porteurs et
catalyseurs d'une foule de phénomènes métamorphiques, et ce, même s'ils
nous sont présentés post mortem ou en état d'extrême précarité. Serait-il
dès lors possible que la métamorphose chez Altmejd implique de brouiller
cette frontière entre le vivant et l’inanimé? Afin de mieux comprendre
comment s'articule cette approche pour le moins singulière, nous devons
sonder davantage ce rapport qui existe entre la mort et la vie dans la
pratique d’Altmejd. Par la suite, nous ressaisirons cette approche dans le
cadre de notre questionnement sur le caractère distinctif de la
métamorphose chez Altmejd en regard de la conception de la métamorphose
classique.
2.3 La putréfaction comme creuset de tous les possibles...
Nous l'avons vu, il en va, dans les loups-garous conçus par David
Altmejd, d’une dimension obscure qui rejoint parfois l’horrifique. Cette
relative morbidité a d'ailleurs amené quelques critiques comme Jerry Saltz
à rattacher sa production à la mouvance du New-Gothic Art63. Il est vrai qu’à
bien des égards, ces figures fortement marquées par les stigmates de la mort
63 À ce sujet, voir l'article de Saltz, Jerry, « Modern Gothic », The Village Voice (février 2004), p. C85.
44
inquiètent. Comme les transis qui ornent les tombeaux médiévaux64, elles
suscitent l’effroi en nous confrontant, sans faux-fuyant, à cette réalité du
corps matériel périssable. Cette fatalité n'est pas pour autant une fin en soi
dans l’œuvre du sculpteur. Encore qu'elles puissent nous paraître
inanimées, quelque chose se dégage encore de ces dépouilles. Comme si elles
sécrétaient une sorte de magnétisme qui, au-delà de leur décrépitude
apparente, évoque une intense présence. À ce propos, David Velasco écrit
avec éloquence dans son article intitulé « Monster in the Closet » : « While
these monsters seem frail, vulnerable, and, well, dead, I’d like to suspend
the apocalyptic dimension of these interpretations and hold open the
possibility that they’d be creatures in recovery or in the process of birth65 ».
Il est vrai qu'en observant de près les loups-garous d’Altmejd, nous sommes
frappés par cette impression qui nous laisse croire que, au-delà de la mort
qui semble les habiter, se trouve une réalité sensible qui s’attache à la
survivance, voire à la renaissance. D'ailleurs, il n'en va pas autrement aux
yeux de l'artiste qui affirme : « I consider myself a total optimist ». Dans le
même ordre d’idée, Altmejd affirmait dans un entretient rapporté par Louise
Déry : « There is nothing morbid about my work. Life is so much more
palpable than death. [...] I am much more interested in how things grow on
a dead body than I am in the dead body itself. It’s post-apocalyptic. There is
disaster in the beginning, but I am more interested in what happens after
that66 ».
Après l'apocalypse... l'apocalypse comme commencement. S’il nous a
paru évident que les loups-garous d'Altmejd sont représentés morts, il est
beaucoup moins évident d'en dire autant de ce qui se passe autour d'eux et
même parfois en eux. Ainsi, quand vient le temps de situer la métamorphose
64 Faisant son apparition entre le XIVe et le XVIIe siècle, le transi est une forme d’ornement funéraire qui exhibe avec humilité les ravages de la putréfaction à même le corps du trépassé. À ce sujet
précis, voir cet ouvrage : Kathleen Cohen, Metamorphosis of a Death Symbol; The Transi Tomb in the Late Middle Ages and the Renaissance, Berkeley, University of California Press, 1973. 65 David Velasco, « Monster in the Closet: Learning to love David Altmejd werewolves », Art Papers (juillet/août 2005), p. 35. 66 Louise Déry, David Altmejd, Montre al, Galerie de l'UQÀM, 2006, p. 25-26.
45
chez Altmejd par rapport à la conception classique, elle ne nous semble
point dépendante de la figure même du loup-garou, pas plus qu'elle ne nous
semble rattachée à la transformation propre du monstre. Elle fait appel à
une notion beaucoup plus large, où la dégénérescence engage une sorte de
réviviscence, où finalité et fermeture d’un état laissent place au possible et
à l’ouverture d’un processus.
Il faut noter que cette conception positive du désastre n’est pas
étrangère à celle du chaos, tel qu’il fut abordé par la pensée transformiste
en Occident. Michel Jeanneret, soulignant à ce sujet la sensibilité qu’avait
Léonard De Vinci envers ce thème, écrivait : « Lieu provisoire
d’indifférenciation, le chaos est ici le foyer primitif, le creuset universel où
la matière repose à l’état de puissance, dans l’attente d’une nouvelle
incarnation. En régressant vers un stade élémentaire, le corps mort rejoint
le moment magique de la Création, où tous les possibles peuvent encore
advenir67 ».
Selon nos observations, c’est dans cette idée que réside l’une des clés
permettant de saisir la conception de l’artiste quand il aborde la
métamorphose, car il nous semble que, bien au-delà du changement de
forme, du passage d'un être à un autre qui, comme nous l’avons vu
précédemment, constitue l'idée centrale de la conception commune de la
métamorphose, ce qui intéresse davantage l'artiste est l'aménagement de cet
état provisoire d'où tout peut surgir. Comme s'il cherchait à son tour à faire
naître « tous les possibles » en contournant la problématique posée par la
métamorphose vivant-vivant par l’usage de la métamorphose vivant-non
vivant, où le non vivant devient le début « d’autre chose » et non plus un
résultat linéaire simplifié, en quelque sorte une métaphore représentant un
processus parallèle.
67 Michel Jeanneret, Perpetuum mobile : me tamorphoses des corps et des œuvres, de Vinci a Montaigne, Paris, Macula, 1997, p. 67.
46
Même décapités ou démembrés, les loups-garous d'Altmejd sont dotés
d'une forme de vie ou, pour le dire autrement, ils génèrent une vie
débordante de nouvelles possibilités. Nous pourrions dire que ses œuvres
se jouent du sens commun, qu’elles se transforment en oxymores, que « La
mort, c’est la vie ». À cet effet, l'artiste explique à Gladman que : « Ce que je
fais doit être positif et séduisant. Plutôt que de pourrir, les figures que je
crée se cristallisent. Cela oriente le sens de mes pièces vers l'idée de la vie
plutôt que vers l'idée de la mort68 ». Reprenant la pensée de Schopenhauer69,
Mark A. Cheetham met en lumière la « résonance métaphorique » du
cristal dans la pratique de l’artiste : « Crystals are compelling because they
are indexical of existential questions, poised at the crossing point of life and
death. While their perfect forms appear lifeless, they suggest life because
they "grow" and move. Even as "corpses" they function as physical reminders
of life70 ». Pour Cheetham, en présentant de la sorte ses loups-garous
cristallisés, « Altmejd makes corporeal the fundamental creative energies
that cross borders between animate and inanimate matter71 ». Ainsi, ce
glissement de l'organique au minéral dans le langage visuel du sculpteur
semble garantir cette énergie, comme une forme reviviscence sans borne. Il
en revient que le désastre qui soumet les corps à la putréfaction est somme
toute vécu comme prometteur. Non seulement fait-il communier mort et
naissance, mais il confère à cette vie nouvelle une fécondité impérissable.
Cette fécondité apparaît également en regard d'autres éléments que l'artiste
associe aux loups-garous. Par exemple, pour l'œuvre The Index (figures 25
à 29), Altmejd conçoit un délirant écosystème. On y retrouve entres autres,
maints fragments de loups-garous. Étrangement, ceux-ci semblent
littéralement servir de nourriture aux oiseaux et autres petits animaux
68 Randy Gladman, « 21st century werewolf aesthetics – an interview with David Altmejd », C Magazine,
n° 82 (été 2004), p. 41. Cité dans Louise Déry, David Altmejd: The Index, Montre al, Galerie de l'UQÀM, 2007, p.14. 69 Arthur Schopenhauer et E. F. J. Payne, The world as will and representation, New York, Dover Publications, 1966, p. 146-155. 70 Cheetham, Mark A, « The Crystal Interface in Contemporary Art : Metaphors of the Organic and Inorganic », Leonardo, 43, n°3 (2010), p. 251. 71 Ibid., p. 253.
47
avoisinants. Entourées de fleurs, de plantes, et champignons et d'arbres,
ces dépouilles hors du commun donnent l'impression d'assurer la fertilité
de cet environnement exubérant.
En regard de ce qui vient d’être dit, il nous paraît de plus en plus
manifeste que, chez David Altmejd, la figure du loup-garou jouit d'une
portée et d’une fonction très particulière, laquelle se distingue de la
conception traditionnelle du lycanthrope. En fait, ce qu’il faut retenir, c’est
que le passage simple sur lequel repose la métamorphose traditionnelle –
celui qui, dans le cas particulier du loup-garou, transite de l’humanité à
l’animalité – s'avère complètement désaxé. Tout se passe comme si l'artiste
en compliquait la trajectoire, la faisait sans cesse bifurquer. Ce faisant, il
propose une tout autre manière de comprendre et de représenter la
transformation : les corps ne sont plus voués à cheminer entre deux
tropismes (forme initiale et forme transformée). Au contraire, le passage se
donne comme s’il était maintenu dans une sorte de déplacement constant
qui se ramifie, car plusieurs termes y interviennent (homme – animal –
minéral; inanimé – animé). Il n’est alors plus question de donner une forme
figurative à l’événement métamorphique. Altmejd se détourne des modes de
représentation épisodiques – qui, en soi, ne font que réduire la
transformation à un moment précis de son développement. S'il en est ainsi,
c'est qu'il ne fait guère usage d'une image figée du monstre dans son
processus de transformation, mais qu'il expose foncièrement un processus.
Ce processus prend son essor à partir du corps même des monstres.
L’artiste traite de la physionomie de ses créatures comme si elle était le
creuset de possibilités infinies. En regard de ces observations, c’est donc à
partir du corps, c’est-à-dire, du traitement particulier que le sculpteur
réserve au corps, qu'il nous faut désormais considérer la métamorphose
dans sa pratique.
48
2.4 Le corps : une question de frontière
« De même que vous ne savez pas ce que peut un corps,
de même qu’il y a beaucoup de choses dans le corps que vous ne connaissez pas, qui dépassent votre
connaissance, de même il y a dans l’âme beaucoup de choses qui dépassent votre conscience. Voilà la question : qu’est-ce que peut un corps? De quels affects êtes-vous
capables? Expérimentez, mais il faut beaucoup de prudence pour expérimenter. »
Gilles Deleuze
Il est très intéressant de constater à quel point le corps est
l'omniprésent dans toute l'œuvre de David Altmejd : « Je ne peux pas
imaginer une sculpture n'ayant aucun rapport au corps72 », souligne le
sculpteur à l’occasion de l’un des entretiens que nous avons eus avec lui.
Ce motif exerce chez lui une fascination lancinante. Comme nous l’avons
mentionné plus haut, précisons que la représentation n’est pas son objectif.
Altmejd ajoute : « Le but n'est pas de représenter des corps, mais plutôt de
faire des corps. Comme le Dr Frankenstein si on veut. Faire des objets qui
vont être vivants dans un sens73 ».
Conséquemment, le corps s'impose d'emblée comme un élément
incontournable de la métamorphose altmejdienne, et ce, autant du point de
vue formel que conceptuel. Cependant, comme celui qui fut mis au monde
par le célèbre docteur Frankenstein, les corps issus de la poussée créatrice
de l'artiste sont bien loin des standards et des idéaux. Ils possèdent des
traits distinctifs qui semblent sans cesse les éloigner de ce que nous
connaissons. À ce sujet, nous avons vu que les physionomies des loups-
72 David Atlmejd, correspondance par courriel avec l’auteur, Montréal, mai 2009. 73 Ibid.
49
garous sont des plus irrégulières. Blessées, démembrées et écorchées, elles
exposent leur intérieur à la fois putride et proliférant. À vrai dire, chez
Altmejd, le corps est littéralement ouvert ou, pour mieux le dire, ouvrant.
Ce traitement singulier ne s'applique pas uniquement à la figure du
lycanthrope, puisque les géants qui s'imposeront dans le langage visuel de
l'artiste dès le milieu des années 2000 arborent eux aussi cette
caractéristique. Lacunaires, ces colosses au relief corporel taraudé ne
semblent plus entretenir de frontière nette entre leur monde intérieur et le
monde extérieur.
Notons que ce mode de représentation du corps ouvert est tout à fait
nouveau par rapport à la représentation de la métamorphose. Nous
pourrions avancer qu’il serait logique de croire que c'est en détournant
l'idéal du corps, en montrant son intérieur, que David Altmejd met sur pied
sa propre conception du phénomène métamorphique. Mais pour mieux
saisir la portée de ce détournement, il nous faut avant tout chercher ce que
l'artiste transgresse, ce que nous ferons d’abord en établissant ce que
représente l’idéal du corps.
Ce qui se cache sous le corps…
Comme le fait remarquer David Le Breton : « D’une société à une autre,
les images se succèdent qui tentent de réduire culturellement le mystère du
corps. Une myriade d’images insolites dessinent la présence en pointillés
d’un objet fugace, insaisissable et pourtant en apparence incontestable74 ».
Ainsi, aussi incontestable, voire aussi évident que cela puisse paraître, le
corps, lorsqu’il se donne à être pensé sous la forme représentative, n’est
point cousu de fil blanc et se donne en soi comme un objet complexe.
74 David Le Breton, Anthropologie du corps et modernité, Paris, PUF, 1990, p. 22.
50
Les observateurs de l’image du corps en art nous rappellent que, bien
souvent, se cache sous les représentations corporelles et les interprétations
qui s’en dégagent une sorte d’idéal, ce tissu indistinct et abstrait, cet habit
que même le corps dans sa plus simple expression (soit la nudité) endosse.
Bref, il apparaît que le corps ne semble jamais réellement représenté pour
ce qu’il est. Et comme le démontre George Didi-Huberman dans son ouvrage
Ouvrir Vénus, la compréhension que nous en avons le recouvre parfois d’un
vêtement idéologique75.
Sans doute, du côté de la société occidentale, il y a dans la conception
du corps une idée centrale, voire presque primordiale. Elle se révèle et
persiste telle une sorte de ligne directrice à travers de multiples figurations,
de multiples idéaux, allant de l’antiquité classique à la photographie
contemporaine. Pour bien la saisir esthétiquement, regardons simplement
quelques images bien connues qui, malgré leur distance temporelle et l’écart
des enjeux qu’elles soulèvent, entretiennent une certaine parenté. En fait,
de la Vénus de Botticelli à L’Olympia, en passant par le Penseur de Rodin
aux sculptures de John de Andrea, des photographies de Jean Turco à celles
d’Annie Leibovitz76 se donne à voir une constante : un corps au contour
clairement défini. Effectivement, dans ces images, nous pouvons affirmer
que le spectateur n’aura nulle difficulté à saisir la configuration des corps
dans leur unité, puisqu’elle se présente sans équivoque comme une forme
close et homogène. Nous en rendons compte rapidement, mais voilà donc
l’idée qui hante encore aujourd’hui notre conception du corps.
À ce sujet, il n’est pas étonnant de constater que Georges Didi-
Huberman commente la gracieuse Vénus comme étant un « nu ciselé », c'est-
75 Georges Didi-Huberman, Ouvrir Venus : nudite , re ve, cruaute , L'image Ouvrante, Paris, Gallimard, 1999, Vénus, p. 11-26. 76 Pour voir les images, consultez les figures 34, 35, 36, 37, 38, 39 et 40.
51
à-dire circonscrit par un dessin « d’une netteté particulièrement
tranchante77 ». Pour ce qui est du nu de Manet, pour prendre un autre
exemple, si son rendu diffère grandement du premier, l’un ne peut ignorer
l’impact que tient le jeu de clair-obscur dans l’affirmation des contours. Les
mêmes observations peuvent également s’appliquer aux tirages de Turco et
de Leibovitz. D’ailleurs, quand il est question du médium photographique,
nous connaissons l’impact que créent les fonds sombres pour mettre en
valeur le sujet – et par le fait même, le détacher du décor –, le mettre en
lumière pour mieux le définir. La sculpture quant à elle n’a point le besoin
de recourir à de telles stratégies. Elle est par définition l’art de la forme dans
sa tridimensionnalité, une forme qui, comme nous le savons, se déploie dans
l’espace, mais aussi qui s’impose à lui, qui s’en détache. En ce sens, la
lisibilité du corps que propose Rodin comme celui conçu par Andrea repose
en soi sur les rapports entre les volumes et la cohérence des surfaces qui en
résultent. Face à eux, nous sommes, d’une certaine manière, devant une
sorte d’enveloppe étanche. À ce stade de notre recherche, une question peut
être soulevée : ce qui lie toutes ces images du corps, ne serait-ce pas cette
idée d’une enveloppe qui en garantit l’unité? Cette peau lisse et clairement
définie qui se fait à la fois surface et contenant ne devient-elle pas alors
porteuse d’une stabilité rassurante?
Ici, nous introduisons dans notre réflexion la pensée de Didier Anzieu,
voulant que la peau soit « ce qui relie [les] parties [du corps] entre elles dans
un tout unificateur78 ». Par ailleurs, il est intéressant de noter sur le plan
psychosocial que, pour Anzieu, la peau comme membrane est centrale dans
la construction personnelle de l’enfant. Selon lui, elle constitue avant toute
chose une frontière par laquelle s’impose la différenciation du « dedans et
du dehors », à savoir « intérieur et extérieur79 ». Par là, elle s’impose
77 Ibid, p. 11. 78 Didier Anzieu, Le Moi-peau, Paris, Dunod, 1985, p. 36. 79 Différenciation qui s’opère d’ailleurs par le contact au corps de la mère, ibid.
52
également comme ce contenant, ce « sac qui contient et retient » et qui assure
la « confiance narcissique » du sujet, c'est-à-dire le « sentiment de base qui
lui garantisse l’intégrité de son enveloppe corporelle80 ». Ce faisant, la peau
sert aussi bien à limiter et contenir qu’à protéger le sujet. Dans cette
perspective, elle serait en quelque sorte l’organe primaire à travers lequel
l’enfant expérimente le monde et, par le fait même, pose les bornes de sa
propre personne, ce qui lui permet de se représenter en tant que Moi ou,
pour reprendre l’expression même d’Anzieu, comme Moi-peau81.
Cette notion, si elle s’avère cruciale dans la formation du sujet, nous
nous devons parallèlement de reconnaître son importance en ce qui a trait
à une certaine conception du corps comme forme unifiée. D’ailleurs, la peau
n’est-elle pas l’organe sans lequel penser le corps devient intolérable? S’il en
est ainsi, nous pouvons avancer que c’est peut-être parce que l’impensable
réside en un corps qui ne répondrait point à ce principe d’homogénéité qui,
comme nous le verrons, deviendra pensable dans le langage altmejdien.
Ces observations nous poussent à croire que, sur le plan de la
représentation artistique, il soit donné de rencontrer cet idéal qui se
cristallise autour d’une recherche d’unité. La matière lisse, glosée,
immaculée, privée de toute impureté ou anomalie, que nous retrouvons chez
les physionomies présentées dans les images précédentes a, bien sûr, pour
effets d’accentuer cet impératif ou, mieux, de réaliser l’idée d’un corps conçu
comme un Tout uniforme. Et dans ce Tout, qui n’en tient qu’à sa surface, la
chair s’imprègne d’un étrange paradoxe. Car, foncièrement exposée en ce
qu’elle est dénudée, il se trouve que sa régularité immuable et sa netteté
inaltérable lui prêtent peu à peu l’apparence d’un enduit, voire d’un moule
80 Ibid., p. 37. 81 « Par Moi-peau je désigne une figuration dont le Moi de l’enfant se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même comme Moi contenant les contenus psychiques, à partir de son expérience de la surface du corps. Cela correspond au moment où le Moi psychique se différencie du Moi corporel sur le plan opératif et reste confondu avec lui sur le plan figuratif. » Ibid., p. 39.
53
qui enserre le corps. Mais que se passe-t-il quand le moule cède, quand la
peau n'assure plus cette homogénéité du corps?
Au plus loin de l’idéal corporel
Saisissons au vol ces questions qui s’avèrent pertinentes dans notre
analyse de la production de David Altmejd. Quand nos regards cheminent
le long des corps qu'il construit, il s'avère qu'au lieu d’y trouver la fermeté
d’un moule rigide et défini, nous y trouvons quelque chose de tout autre.
Rien à même ces anatomies ne coïncide à l’image idéale que nous venons de
décrire, puisque nous pouvons observer que leur imperméabilité est
manifestement défaillante. La peau, censée être à la fois cloison et balise,
cède. Altmejd en ouvre littéralement les brèches, si bien que, d’un point de
vue formel, la structure de ces corps n’en tient guère à une membrane
unificatrice. De manière plus générale, si une grande partie de la tradition
artistique ayant traité le corps comme sujet s'articule autour d’une
recherche d'unité, la recherche que mène le sculpteur s'orienterait vers une
direction nettement différente. Nous verrons ce que signifie ce changement
de direction en regard de notre questionnement sur la métamorphose.
Examinons, à cet effet, deux œuvres d’Altmejd : les géants The New
North et The Center (figures 16 et 18). Outre leur stature impressionnante et
leur généreuse pilosité, ces intrigants colosses adoptent tous deux une
morphologie truffée de perforations et de protubérances. En ce sens, nous
serons étonnés de constater que le haut du corps du premier est
pratiquement évidé. Si bien que même sa tête nous paraîtra presque
immatérielle, puisqu’elle est constituée d’un réseau de fils entremêlés, lequel
s’échappe des multiples entailles qui creusent son corps. Ces ouvertures
laissent non seulement entrevoir l’intérieur du corps, mais elles permettent
également à son contenu de se déplier dans l’espace, tel un curieux réseau
54
veineux que le corps aurait peine à contenir. Étrangement, ce corps ouvert
devient une forme indistincte : d'un côté, il se prolonge en extension donnant
l'impression qu'il pourrait envahir l'espace dans lequel se trouve le
spectateur; tandis que, de l'autre côté, il appelle ce dernier à pénétrer aux
confins de ses cavités. Quant à lui, l’escalier de miroirs qui s’enroule le long
de la jambe du titan et qui termine sa course dans son abdomen évoque en
quelque sorte une porte d’entrée, nous invitant à plonger dans les
profondeurs de ce corps peuplé de stalactites, de poutrelles réfléchissantes
ou de chair rosée et cristallisée. En fait, tout autour de The New North
prolifère ce système méandreux qui semble travailler à le projeter hors de
lui-même aussi bien qu’à nous absorber en son sein. Nous pouvons observer
le même genre de phénomène se produit avec The Center. Une variété de
mains semble sortir et entrer de son enveloppe corporelle. Ces dernières
paraissent surgir de son thorax pour se diriger vers le dos où elles donnent
l’impression d’amorcer une déchirure le long de la colonne vertébrale. En
amont et en aval de cette crevasse sillonnée de fibres étranges et
d’arabesques de filamants aux couleurs pastel, nous retrouvons de
profondes anfractuosités qui traversent son corps de part en part.
À la manière des loups-garous pourrissant et cristallisant, les géants
d'Altmejd s’entrouvrent. Force est de constater que cette configuration nie
profondément celle d’un corps-contenant, puisqu’ici, à tout coup, ces cavités
présentent au regard ce qui se cache sous la chair, au-delà du seuil, de cette
frontière qui assure normalement l’intégrité corporelle. Une question
intéressante serait de comprendre ce que provoque cette transgression, à
savoir comment se vit cette atteinte au corps pour le regardeur?
D'ordre général, l’un ressent un fort malaise en pensant une
physionomie qui dévoile foncièrement la limite de sa substance – qui devient
en quelque sorte cet excès de corporalité brute. La matière interne, dénudée
de son voile immaculé, est dépourvue d’équivoque et correspond à une
réalité pour le moins inquiétante. Ouvrir le corps, donner à voir ce qu'il y a
55
sous la chair induit non seulement une violation de son image idéale d’entité
unifiée, mais entraîne également une forte répulsion, qui n'est pas étrangère
au phénomène de l'abjection tel que Julia Kristeva l'a théorisé. Mais est-ce
bien l'abjection que nous retrouvons aux confins des corps de David
Altmejd? Et pouvons-nous avancer que plutôt d'avoir recours au procédé de
la métamorphose classique, l'artiste fait appel à la « valeur d'usage » de
l'abject?
Pour répondre à ces questions, nous devons jeter un regard sur le
concept d’abjection, dans le but de définir ce qu’est l’abjection en soi, mais
surtout pour en comprendre les effets, ce qu'elle crée et génère pour celui
qui y est confronté. En cela, nous croyons que Jacques Lacan a su exprimer
de manière très évocatrice l'ampleur de ce sentiment en commentant
« L’injection faite à Irma », ce rêve freudien dans lequel le psychanalyste
allemand examine une patiente accablée par une curieuse douleur82. En
fait, ce qui nous intéresse précisément dans ce court passage et ce qui
semble particulièrement révélateur pour le sujet que nous voulons aborder
est moins l'interprétation psychanalytique que fera Lacan du rêve en soi,
mais bien la sagacité de la description qui en est faite. Car, le regard de
Freud, lorsqu'il plonge dans la gorge d’Irma pour l’examiner, rencontre ce
qui ne doit être vu. Il s’infiltre aux confins, traversant alors l’ouverture du
corps :
Il y a là une horrible découverte, celle de la chair qu’on ne voit jamais, le fond des choses, l’envers de la face, du visage, les
sécrétas par excellence, la chair dont tout sort, au plus profond même du mystère, la chair en tant qu’elle est souffrante, qu’elle est informe, que sa forme par soi-même est quelque chose qui
provoque l’angoisse. Vison d’angoisse, identification d’angoisse, dernière révélation de tu es ceci – Tu es ceci, qui est le plus loin de toi, ceci qui est le plus informe. […] Il y a donc apparition
82 Sigmund Freud, L’Interprétation des rêves, (rêve des 23/24 juillet 1895), Paris, Quadrige/PUF, 2010, p. 142.
56
angoissante d’une image qui résume ce que nous pouvons appeler la révélation du réel dans ce qu’il a de moins pénétrable,
du réel sans aucune médiation possible, du réel dernier, de l’objet essentiel qui n’est plus un objet, mais quelque chose devant quoi
tous les mots s’arrêtent et toutes les catégories échouent, l’objet d’angoisse pas excellence. […] Il apparaît alors que le sujet se décompose et disparaît83.
L'auteur nous le fait bien sentir, en regardant à l’intérieur de la bouche
d’Irma, Freud y découvre une troublante anomalie : « […] je trouve à droite,
une grande tache blanche, et par ailleurs je vois sur de curieuses formations
frisées, manifestement formées sur le modèle des cornets du nez des
escarres étendues d'un blanc grisâtre84 ». Mais le commentaire lacanien
n’est pas sans mettre en lumière combien l’horreur de cette découverte se
rattache intimement à l’immersion dans l’impénétrable, dans les
profondeurs absidales du corps. Il est d’ailleurs intéressant de constater que
Lacan fait de son commentaire une sorte de récit où tout se passe selon une
gradation. Au début, il y a ce seuil franchi qui donne, dans une certaine
mesure, sur l’envers du décor : ce qui est dissimulé sous la peau, ce à quoi
nous n’avons point accès. Puis l’intérieur : la chair – substance limite du
corps – est décrite comme si elle était, en quelque sorte, surréelle. Secret
fangeux mis à jour, elle ne peut être simple matière. Sous le regard ébahi,
elle apparaît aussitôt mouvante, informe, indescriptible… insaisissable.
Bref, elle inquiète. Mais pourquoi une telle inquiétude? N’est-il pas là tout
simplement l’organisme biologique, à savoir le corps dans sa réalité
organique? Rien ne semble pouvoir objectiver ce qui est vu. Cette réalité du
corps, que l’on voudrait refuser est aussi la nôtre. Pour Lacan, il est alors
question d’un « réel sans aucune médiation possible » qui échappe à la
maîtrise, qui esquive à tout coup les filets de la raison. On voudrait à la fois
le nommer, voire le saisir pour mieux le nier, mais il est trop près de nous.
83 Jacques Lacan, Le Séminaire, II, le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, 1954-1955, Paris, Le Seuil, 1978, p. 186-187 et 202. 84 Freud, op. cit.
57
Cette réalité scabreuse lacère le sujet qui regarde. Elle le mine et tend à le
dissoudre. De là, cette situation épineuse mise en lumière par Lacan nous
ramène au sens précis que Julia Kristeva donne à la notion d’abjection :
Il y a, dans l’abjection, une de ces violentes et obscures révoltes de l’être contre ce qui le menace et qui lui paraît venir d’un dehors
ou d’un dedans exorbitant, jeté à côté du possible, du tolérable, du pensable. C’est là, tout près mais inassimilable. Ça sollicite, inquiète, fascine le désir qui pourtant ne se laisse pas séduire.
Apeuré, il se détourne. Écœuré, il rejette. Un absolu le protège de l’opprobre, il en est fier, il y tient. Mais en même temps, quand
même, cet élan, ce spasme, ce saut, est attiré vers un ailleurs aussi tentant que condamné. Inlassablement, comme un boomerang indomptable, un pôle d’appel et de répulsion met
celui qui en est habité littéralement hors de lui85.
Sous l’enveloppe corporelle sommeille donc ce « dedans exorbitant ».
L’ouvrir, c’est éveiller de curieux sentiments, ce nœud d’affects intenses
qu’est l’abjection. Tel un magnétisme des plus indus, l’abject attise à la fois
un profond malaise et une impure curiosité. En d’autres mots, quand on
ouvre le corps, quand on défait son unité, apparaît ce « quelque chose » qui
sera vécu comme une attaque ambivalente. Quelque chose qui s’oppose au
Moi, mais qui parallèlement le fascine. Le sublimé semble être le seul moyen
d’y échapper, de s’en protéger. Mais de quoi au juste aurions-nous besoin
de nous protéger? Qu’est-ce qui nous met en péril lorsque notre regard
croise, par exemple, l’image d’un corps écorché, corps étant devenu si près
de la chair qu’il en devient indifférencié? À cette question, nous pouvons
répondre en reprenant l’interprétation de Kristeva pour qui l’abject, bien
qu’il n’ait pas d’objet en soi86, est ressenti comme une entité étrangère
« inassimilable dans le corps ». Il s’impose comme sorte d’intrus capable de
85 Julia Kristeva, Pouvoirs de l'horreur : essai sur l'abjection, Paris, Éditions du Seuil, 1983, p. 9. 86 « « […] si l’objet, en supposant m’équilibre dans la trame fragile d’un désir de sens qui, en fait, m’homologue indéfiniment, infiniment à lui, au contraire, l’abjects, objet chu, est radicalement un exclu et me tire vers là où le sens s’effondre » ». Ibid.
58
contaminer et qu’il faut, par conséquent, maintenir à distance. Mettre à
distance certes, mais dans le cas particulier de la transgression du corps
humain, nous pouvons croire qu’en affectant son image idéale, l’abject
atteint et met également en péril la conscience que nous avons de notre
propre corps. Cette conscience est troublée par l'idée insoutenable d'un
corps qui n'est plus viable, d'un corps qui n'en est plus tout à fait un et qui
se trouve poussé à la limite même du signifiable. Bref, l’abject se situerait –
et nous situerait – là où le sens s’évanouit et où avec lui s’étiole et s’éteint
la subjectivité. Dans une certaine mesure, l’ouverture confronterait ainsi le
spectateur à cette perte, ce manque, cette insuffisance incontournable du
corps. Voyons maintenant le corps chez Altmejd en regard de l’éclairage que
jette Kristeva sur le concept d’abjection.
2.5 L’ouverture du corps
Quand David Altmejd entrouvre l’épiderme de ses personnages
insolites, il nous laisse bel et bien voir l'intérieur du corps. Il en expose les
flétrissures, les profondeurs incertaines, les chairs brunâtres et altérées.
Cependant, nous pourrions nous demander si cette incursion au-delà de
l'enveloppe corporelle éveille pour autant l’abjection. En fait, provoque-t-elle
réellement cette perte insondable, qui annihile aussi bien le sens que la
viabilité du corps? Car nous avons le sentiment que si les corps d'Altmejd
déjouent nos attentes, si le traitement particulier qui leur est accordé les
situe au plus loin de l'idéal, s'ils font céder les frontières entre les domaines
interne et externe de leur anatomie, nous pouvons supposer que quelque
chose prend place à l'intérieur de ces corps. Comme nous le verrons,
l'ouverture semble chez Altmejd lever le rideau sur un intrigant spectacle.
C'est d’une certaine façon l’impression que nous aurons en regardant
The Hunter (figure 17). Ce dernier a la forme d’une imposante tête reposant
sur le côté. De face, il est possible de distinguer un visage masculin –
59
identifiable par la barbe et la chevelure. Mais en la regardant avec plus
d’attention, nous pouvons constater que cette tête est partiellement évidée.
À l’intérieur réside un impressionnant décor : des stalactites aux couleurs
pastel pendent des parois supérieures, tandis que les faces latérales sont
parées de miroirs. Dans la région inférieure, un escalier tout aussi miroitant
s’élève. En le suivant du regard, le spectateur rencontre de petits présentoirs
servant à exposer de minuscules objets à forme phallique. De surcroît, si
cette architecture labyrinthique qui loge au-dedans du corps surprend, les
écureuils naturalisés et végétaux qui la peuplent en feront tout autant,
sinon plus.
Un scénario similaire se déroule tout autour et au-dedans de
The Giant 2 (figures 23 et 24). Dans les multiples irrégularités de son corps
s'étend un véritable petit microcosme. Certains oiseaux ont trouvé en ses
membres le potentiel d’un perchoir ou dans le creux de sa tête excavée, le
confort d’un refuge. De plus, des écureuils se plaisent à gravir son buste
comme ils le feraient avec un tronc d’arbre. D’ailleurs, qui pourrait
reprocher à ces petites bêtes de confondre la morphologie du titan avec leur
habitat naturel? Ce corps, même s’il conserve l’essentiel des traits d’une
silhouette anthropomorphique, bourgeonne, germe et laisse échapper de
son épiderme champignons, broussailles et lichens.
Ces géants se présentent littéralement à nous comme d’étranges
topographies. Ils renferment de petits univers en soi. Pullulants et des plus
hétérogènes, ceux-ci s’étendent à même leur morphologie. Or, l’intérieur du
corps n’a rien ici d’une « horrible découverte ». Sans être non plus le signe
de cette intrusion dans les profondeurs abjectes de la chair, nous constatons
que l'ouverture de l'enveloppe corporelle garantit plutôt l'existence d’un
territoire prodigieusement fertile. En ce sens, si l’abjection mène en quelque
sorte à un néant annihilant, à cette insuffisance du corps, ces géants
conduisent au contraire à une conjoncture surprenante. Ils nous
apparaîtront comme une prometteuse zone de confluence. Gîte d’une
60
promiscuité déroutante, ils sont de véritables points de contact où les
éléments des mondes biologiques, naturels, architecturaux et animaux
s’entrecroisent et fusionnent. Ce qui nous apparaît intéressant ici, c’est que
le corps, bien qu’il soit ouvert, n’est point signe d’un manque, mais en vient
à surpasser son statut de corps.
Par ailleurs, il est pertinent de noter que c'est en toute conscience de
ce mode de présence si particulier qu’Altmejd lui-même explique son intérêt
envers le motif du Géant :
[…] j’ai découvert un jeu vidéo hallucinant intitulé L’ombre du colosse. Le but du jeu est de vaincre seize géants […]. Même si tuer ces géants peut sembler une expérience inutile et cruelle, ce
qui étonne, c’est le glissement qui s’opère. Quand vous vous approchez du colosse et commencez à le gravir, il cesse d’être un corps et devient un environnement, un espace. J’ai donc décidé
d’entreprendre la réalisation d’un géant espérant un phénomène semblable. Plus je m’en rapprocherais, plus la figure s’effacerait.
Et alors que je me mettrais à y travailler, le corps cesserait d’en être un et je me trouverais absorbé dans un environnement architectural, biologique, historique et sculptural87.
Nous pourrions alors avancer que, pour Altmejd, ouvrir le corps, c’est lui
donner un potentiel extensif. Loin d’être associées à une perte, les brèches
qu’il ouvre se profilent comme un moyen de penser le corps selon d’autres
termes. À savoir le sortir de lui-même, le retirer de son territoire individuel
pour qu’il puisse, en quelque sorte, devenir plus qu’un corps, un corps en
extension, en essor. Ce faisant, nous devons souligner que l’artiste se
distingue ici radicalement de la conception du corps comme surface unifiée.
Il met à l’épreuve l’unité homogène que l’on connaît à l’idéal corporel, non
pas dans le but de montrer l’horreur ou la précarité que provoque
l’ouverture, mais bien pour créer des entités qui ne sauraient être comprises
87 David Altmejd cité dans : Paulette Gagnon, « Détresse et réenchantement », Que bec Triennial, et Josee Belisle, Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, Montre al, Muse e d'art contemporain de Montre al, 2008, p. 42.
61
isolément du reste du monde. De là, nous devons comprendre que cette
frontière qu’Altmejd franchit n’est pas seulement définie comme étant
strictement corporelle; elle concerne également l’ontologie. Elle met en
œuvre la perpétuation des êtres, des catégories et des différents règnes de
la vie.
À cet effet, il nous faut relever une observation très pertinente faite
par Ariane de Bois quand elle expliquait que le corps de The Giant 2
« fonctionne sur le monde du grotesque » au sens bakhtinien du terme88.
Précisons que, pour Bakhtine, la conception du corps grotesque est
intimement nouée à la vie corporelle. Or, elle ne s'articule pas seulement en
regard de l'apparence du corps. Bien au-delà de l’esthétisme, le corps
grotesque se distingue en ce qu’il n’est plus circonscrit ni défini par une
finitude individuelle, manière de dire qu’il est en soi un « corps cosmique »
ou universel, qui dépasse toujours ses propres limites. C’est en ce sens que
le théoricien russe relève que : « Le grotesque s’intéresse […] à tout ce qui
sort, fait sailli, dépasse du corps, tout ce qui cherche à lui échapper. C’est
ainsi que toutes les excroissances et ramifications y prennent une valeur
particulière, tout ce qui en somme prolonge le corps aux autres corps, ou
au monde non corporel89 ».
Selon nous, il y a certes dans cette manière de concevoir le corps une
intime parenté avec ce qu’évoquent les œuvres de David Altmejd. Quand
nous regardons ses loups-garous qui sécrètent végétaux et cristaux ou ses
géants desquels émanent fils multicolores, mains, animaux et toute une
gamme d’éléments hétérogènes, il nous est donné de voir des personnages
qui n’ont plus de limites propres. Malgré cela, et même, grâce à cette
perspective, ceux-ci surpassent les bornes qui d’ordinaire enferment chaque
88 Ariane De Blois, « Loups-garous, hommes-oiseaux et géants », Notre animal intérieur, L’Harmattan, 2009, p. 113. 89 Mikhaïl Bakhtine, L'œuvre de Franc ois Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1982, p. 315.
62
être et chaque élément dans son propre territoire. En fait, nous sommes
devant ces figures comme devant des entités embryonnaires. Pour ainsi dire
des formes en constante germination, non domestiquées et non
domesticables, elles sont à même d’adhérer à la plus étrange des ontologies,
une ontologie mobile, qui ne saurait tenir en place puisque toujours elle
semble sujette aux glissements, aux mutations et aux communions – aussi
impures soient-elles. À cet égard, Bakhtine affirmait que « le corps grotesque
est un corps en mouvement. Il n’est jamais prêt ni achevé : il est toujours en
état de construction, de création et lui-même construit un autre corps […]90 ».
2.6 Le corps proliférant
Ni des êtres à part entière ni tout à fait des animaux, végétaux ou
minéraux, il semble que les figures que façonnent David Altmejd sont bel et
bien de cette nature mouvante. En fait, tout se passe comme si, pour
l'artiste, l'ouverture de l'enveloppe charnelle lui permettait de construire des
entités sans frontières, faisant ainsi de leur corps un organisme ultimement
proliférant. Ce principe acquiert d'autant plus de force quand nous nous
rappelons que, pour Altmejd, les sculptures qu'il réalise sous une poussée
résolument intuitive doivent fonctionner comme un « organisme-vivant91 »,
comme des corps autonomes qui prennent leurs propres décisions et qui
évoluent selon leurs propres modalités. Aussi, ses sculptures corporelles,
souvent laissées inachevées et imparfaites, semblent laisser la place à une
étrange évolution, elles paraissent encore et toujours croître sous nos yeux,
s'abandonner à d'autres devenirs.
Nous observons chez l'artiste que concourt à maintenir cette
prolifération, à faire du corps un terreau fertile, enclin à se régénérer, à
empiéter sur d'autres corps, d'autres identités, d'autres paramètres. Ses
90 Ibid. 91 Nous avons expliqué ce principe dans le chapitre 1, p. 29-30.
63
sculptures osent et jouissent de métissages décadents, elles sont sans cesse
sujettes à une constante mobilité. De là, la thèse selon laquelle la
métamorphose chez lui présuppose un processus qui est tout à fait différent
de la transformation d'une forme à une autre, tel qu'on le retrouve dans la
conception classique de la métamorphose, se confirme. En analysant
certains aspects formels de sa production, nous avons mis en lumière
qu'Altmejd s'emploie à créer des sculptures, voire des compositions qui
semblent en constante effervescence, si bien que même le corps est appelé
à dépasser sa propre définition. Ce faisant, le sculpteur nous amène à
repenser cette logique métamorphique, à repenser la possibilité d'une
métamorphose qui ne serait pas en soi basée uniquement sur une forme (un
objet, un corps) et qui serait dès lors issue d'un mouvement qui autorise le
brassage des éléments, le brouillement des catégories.
64
65
CHAPITRE 3
PASSAGE, DEVENIR ET RHIZOME
« Le monde des métamorphoses, c'est le monde baroque par excellence, monde-kaléidoscope aux
contours hésitants aux frontières mal définies, monde instable, en perpétuelle mutation [...] »
Guy Belzane
Nous l'avons vu, la pratique de David Altmejd confère au processus
de la métamorphose une portée radicalement différente de celle que nous
lui connaissons. Mettant de l'avant l'évanouissement de certaines frontières
physiques et formelles, l'artiste façonne des figures proliférantes, lesquelles
sont ouvertes à une intenable instabilité. En fait, l'univers entier du
sculpteur semble reposer sur cette instabilité et s'emploie à déstabiliser sans
cesse nos repères comme s'il était apte à mettre en crise toute forme
d'immobilité. Cette condition très particulière nous indique que le
mouvement est au centre de la pratique d'Altmejd. Conséquemment, ce
prochain chapitre s'intéressera spécifiquement à la question du mouvement.
Nous savons que David Altmejd n'exploite pas le mouvement de manière
cinétique. Toutefois, nous avons le ferme sentiment que toute son œuvre
exprime une forme de mouvement qui tend à la métamorphose et notre
entreprise sera ici d'éclaircir quelle en est la nature.
À ce sujet, nous l'avons déjà mentionné, la métamorphose réfère le
plus souvent à un changement de forme. L’étymologie du mot par ailleurs,
sans ambiguïté à cet égard, correspond au grec morphè (forme) et au préfixe
meta (qui exprime un changement). Ainsi, de manière générale, la
métamorphose est perçue comme un mouvement qui se rapporte à cette
transition d'un être à un autre ou d'une chose à une autre. Rappelons
brièvement que, dans le monde de David Altmejd, cette notion de passage
66
simple semble désaxée et se complexifier. Ce constat nous amène à
investiguer au-delà de cette notion. En fait, si l'artiste remet en question la
conception classique de la métamorphose, c'est qu'il nous pousse à
appréhender le mouvement autrement, comme s'il donnait à voir les liens
imperceptibles qui se trament entre les êtres. Or, comment alors saisir cette
part invisible? Comment, dans un premier temps, aborder et mettre en
lumière l'orientation de ce mouvement de manière, dans un deuxième
temps, à en exposer la portée singulière?
D'abord, une première partie de la réponse pourrait se trouver dans
la pensée du mouvement développée par Henri Bergson. Les réflexions du
philosophe nous permettront de comprendre pourquoi cette mobilité du réel
nous échappe et dans quelle mesure les œuvres de l'artiste arrivent à nous
la faire sentir. Bien plus que la métamorphose, nous anticipons que le
sculpteur met en jeu dans les compositions luxuriantes une évolution des
plus irrégulières qui s'opère comme une sorte de contagion – une dynamique
qui ne se réduit plus aux changements de forme en forme, mais qui, comme
le notaient Félix Guattari et Gilles Deleuze, se présente comme une « noce
illégitime » entre deux ou plusieurs éléments, un devenir autre qui sans
cesse propulse les éléments dans une « zone d'indiscernabilité » où toutes
les communions deviennent possibles92. Ainsi, dans la seconde partie de ce
chapitre, nous aurons recours à la pensée du devenir telle que développée
dans la philosophie deuleuzo-guatarienne, afin d’exposer à l’intention du
lecteur les rouages de la transformation dans les œuvres de David Altmejd.
92 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie 2. Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 285, 334 et 360.
67
3.1 Au-delà du passage : conception du mouvement métamorphique
Dans son recueil portant sur Raymond Roussel, Michel Foucault
souligne que : « La métamorphose d'ordinaire suit l'ordre, le temps; elle est
passage93 ». Ce passage, nous le retrouvons partout dans les contes, les
légendes et même le cinéma. Que la jeune nymphe devienne laurier (Mythe
de Daphné, Ovide); la répugnante grenouille, beau prince (Le roi grenouille,
Jacob et Wilhelm Grimm); le brillant scientifique, hybride monstrueux (La
mouche, David Cronenberg)94, ce qui est mis en jeu n'est ni plus ni moins ce
passage graduel ou instantané d'un être vers un autre (voir le chapitre 2).
Pourtant, lorsque nous pénétrons au cœur de l'univers de David Altmejd,
cet ordre, cette logique semble complètement désamorcée. C'est que dans
chaque petit monde à part qu'il propose, les règnes de la vie sont
foncièrement appelés à s'entremêler, à entrer dans d'improbables
communions. Rien ne semble donc indiquer ce passage ordonné. Il n'est
plus ici question de ce mouvement qui se vit comme une simple transition,
d'une transformation qui consiste en un événement par lequel ce qui était
n'est guère le même. La dynamique que nous retrouvons à l'intérieur des
œuvres d'Altmejd s'avère complètement différente, ne serait-ce que dans ses
compositions : la transformation ne semble jamais vraiment atteindre son
terme.
Cette distinction est très importante pour comprendre le mouvement
qui tend à se déployer dans les œuvres du sculpteur. Ce qu'il faut souligner,
c'est qu'aborder la métamorphose comme un passage ou, à tout le moins,
accepter qu'elle opère selon une certaine logique du passage nous demande
de considérer deux choses. Premièrement, la transformation s'amorce à
partir d'une forme originelle, c'est-à-dire d'un sujet déterminé et préexistant.
La tradition nous a d'ailleurs initiés à ce prélude : il y est toujours question
93 Michel Foucault. Raymond Roussel, Paris, Gallimard, 1963, p. 105. 94 Film inspiré de la nouvelle de George Langelaan, The Fly, 1957.
68
d'un protagoniste95 à partir duquel la métamorphose prend son essor, d'un
être ou d'une chose qui sera le sujet d'une transformation. Autrement dit,
puisque tout passage nécessite une amorce, la métamorphose entendue
comme telle a conséquemment besoin d'une base fixe, d'un point de départ.
Et qui dit point de départ dit également point d'arrivée. Ce qui nous amène
à notre deuxième remarque qui s'adresse directement la question du
mouvement. En fait, il n'est pas étranger que la métamorphose en soit
indissociable. Mais force est d'admettre qu'une métamorphose qui ne
saurait se séparer d'une logique du passage en est une qui ne fera jamais
que transiter entre deux points (forme originelle et forme transformée). On
pourrait donc s'imaginer que d'un point A elle chemine vers un point B. Et
son mouvement ne se déploie pas au-delà de cet intervalle A-B. Il en est en
quelque sorte prisonnier, tout comme il se retrouve prisonnier d'un certain
dualisme. Et adopter ce cadre rend difficile la libération du mouvement de
cette opposition simple.
À la lumière de ces observations, nous nous retrouvons devant un
paradoxe, car s’il est attendu que, par sa fluidité, la métamorphose est
capable de déjouer toute forme de permanence, le schéma par lequel nous
l’avons décrite est rigide et pose problème. En fait, à bien y penser,
n’apparaît-il pas qu'entre ce tracé linéaire de A à B il y a quelque chose de
perdu? Que reste-t-il du phénomène métamorphique qui infuse à tout ce
qu'il aborde une impétueuse mobilité, si nous gardons en tête que ce schéma
est beaucoup plus statique? À cet effet, nous croyons que si la pratique de
David Altmejd se distingue de cette conception de la métamorphose comme
passage, c’est que ses œuvres sont capables de détourner la rigidité de ce
schéma. Mais pour bien comprendre comment cette dynamique s’opère, il
nous faut avant tout mettre en lumière la contradiction à même la
95 Ajoutons que nous pourrions tout aussi bien dire un ou plusieurs protagonistes. Le sens de notre observation n'en serait point changé, car il s'agit de mettre en lumière cette constante où la métamorphose s'opère à même le sujet.
69
compréhension du mouvement en tant qu’intervalle allant d’un point à une
autre.
En philosophie, cette question en fut une d’intérêt pour Henri Bergson
dans le cadre de ses réflexions sur la pensée et le mouvant, ainsi que les
rapports entre conception et perception. En fait, quand nous concevons le
mouvement comme passage (tel que nous l'avons expliqué dans le cas de la
métamorphose), ce que nous faisons, c'est substituer ce mouvement par un
segment, c'est-à-dire que nous semblons confondre le mouvement avec un
parcours défini. Confondre un mouvement avec son trajet, l'assimiler à un
intervalle, c'est-ce que Bergson dénonce comme étant une illusion de la
perception96 : « Comment le mouvement pourrait-il s'appliquer sur l'espace
qu'il parcourt? Comment du mouvant coïnciderait-il [alors] avec de
l'immobile?97 ». Ces questions pour le philosophe servaient de pivot pour
expliquer qu'entre A et B (disons ici de la forme A à la forme B), ce n'est
guère le mouvement que nous trouvons, mais un « espace parcouru ». Cette
illusion ferait partie de nos habitudes de pensée et de perception
habituelles98. Nous serions naturellement portés à diviser le mouvement en
intervalles, en « coupes immobiles » qui font office de points de repère. Selon
Bergson, nous nous intéresserions moins au « changement de position »
qu'aux « positions elles-mêmes » :
Nous raisonnons sur le mouvement comme s'il était fait
d'immobilités, et, quand nous le regardons, c'est avec des immobilités que nous le reconstituons. Le mouvement est pour nous une position, puis une nouvelle position, et ainsi de suite
indéfiniment. Nous nous disons bien, il est vrai, qu'il doit y avoir autre chose, et que, d'une position à une position, il y a le passage
par lequel se franchit l'intervalle. Mais, dès que nous fixons notre attention sur ce passage, vite nous en faisons une série de positions, quitte à reconnaître encore qu'entre deux positions
96 Henri Bergson, « Évolution créatrice », Œuvres : Textes annotés par Andre Robinet; Introd. par Henri Gouhier, Paris, Presses universitaires de France, 1963, p. 726. 97 Henri Bergson, « La pensée et le mouvant », Essais et conférences, p. 88. http://classiques.uqac.ca/classiques/bergson_henri/pensee_mouvant/bergson_pensee_mouvant.pdf, page consultée le 12 septembre 2012. 98 Ibid.
70
successives, il faut bien supposer un passage. Ce passage, nous reculons indéfiniment le moment de l’envisager. Nous admettons
qu’il existe nous lui donnons un nom, cela nous suffit : une fois en règle de ce côté, nous nous tournons vers les positions et nous
préférons n'avoir affaire qu'à elles, nous avons instinctivement peur des difficultés que susciterait à notre pensée la vision du mouvement dans ce qu'il a de mouvant; et nous avons raison, du
moment que le mouvement a été chargé par nous d'immobilités. Si le mouvement n'est pas tout, il n'est rien; et si nous avons d'abord posé que l'immobilité peut être une réalité, le mouvement
glissera entre nos doigts quand nous croirons le tenir99.
Pour Bergson, il semble donc que la conception du mouvement se fait
en quelque sorte au prix d'un sacrifice. Et la raison serait selon lui bien
simple : « nous avons besoin d'immobilité100 ». Nous avons besoin de faire le
passage entre la présence du monde extérieur101 et la représentation que
nous nous en faisons102. En d'autres mots, notre mode d'appréhension du
monde s'opérerait par des « coupes immobiles103 » et abstraites des termes
qui composent l’univers. Une manière de dire que, pour que le monde
extérieur (cette réalité qui n'est que mouvement) puisse être appréhendé,
nous devons le découper, en éradiquer une partie, de manière à ce que sa
présence devienne représentation et prenne sens104.
Là même réside le grand paradoxe de la métamorphose comme
passage. Elle serait incapable de rendre compte du caractère éminemment
mouvant du phénomène, mais renvoie à une structure profondément figée.
Centré sur l'évolution d'un sujet qui passe d'un état à un autre, le passage
99 Ibid, p. 89-90. 100 Ibid, p. 88. 101 Par « monde extérieur », nous entendons ici la réalité au sens où Bergson l'emploie, réalité où tout
n'est que mouvement : « À vrai dire, il n'y a jamais d'immobilité véritable, si nous entendons par là une absence de mouvement. Le mouvement est la réalité même, et ce que nous appelons immobilité est un certain état de choses analogue à ce qui se produit quand deux trains marchent avec la même vitesse, dans le même sens, sur deux voies parallèles : chacun des deux trains est alors immobile pour les voyageurs assis dans l'autre ». Ibid. p .90. 102 Henri Bergson, Matie re et me moire; essai sur la relation du corps a l'esprit, Paris, Presses universitaires de France, 1939, p. 32. 103 Gilles Deleuze, L’image mouvement, Paris, Éditions de Minuit, 1983, p. 87. 104 Ibid.
71
dévoile un intervalle strictement linéaire. De ce fait, nous ne sommes pas
très loin de l'idée d'une ligne du temps où chacune des extrémités est
ponctuée par la Naissance et la Mort. Notons qu’il y a dans cette conception
quelque chose qui rappelle fortement la configuration d'un circuit fermé et
sclérosé, composé d'un début et d'une fin clairement établis. Quelque chose
qui évoque une droite tracée entre deux points.
Ce qui est étonnant chez Altmejd, c'est que cette structure rigide ne
trouve pas sa place au sein de son univers. À la lumière de la description de
ses œuvres que nous avons faite au bénéfice du lecteur, nous pouvons
envisager que son langage nous induise à une compréhension du
mouvement qui ne reposerait nullement sur des conventions fixes,
immuables ou inflexibles. Ses compositions luxuriantes nous amènent à
penser qu’il pourrait exister un mode d’appréhension du monde qui ne
résulterait point d’une « coupe immobile » et abstraite de termes qui
composeraient l’univers. Ainsi, la pratique du sculpteur incite à repenser
ces notions de mouvement et de métamorphose, ne serait-ce que ce trajet
linéaire, cette droite qui prédomine la compréhension de la métamorphose
classique ne se retrouve, selon nous, nulle part dans les petits
environnements que forment ses œuvres. Pour que cette droite soit, il nous
faudrait a priori établir d'où il serait possible de la tracer. En d'autres mots,
nous serions tenus de lui assigner un point de départ (ou une forme
originelle) à partir duquel s'amorcerait la transformation. Mais comment s'y
prendre?
3.2 Quand l'un est impossible : vers une conception non linéaire du
mouvement métamorphique
Une telle question devient, selon nous, forcément problématique pour
celui qui veut saisir l'œuvre du sculpteur à travers un tel cadre
d’interprétation. Ne serait-ce que pour décrire ses compositions, aucune
72
forme fixe ne semble tenir la route, si bien que ce ne soit toujours par
d'insanes interfécondités du langage que l’on peut en rendre les apparences.
Ainsi, son vocabulaire visuel, symptomatique d'une effarante prolixité,
semble triompher de toute univocité, faisant échouer idée et image d'une
forme unique et distincte. Difficile alors d'établir avec certitude la chose qui
donne naissance à toutes les autres dans l'univers altmejdien. Ni l'animal,
ni le végétal, ni le minéral ni même l'homme ne semblent constituer une
amorce certaine ou faire office d'un pivot potentiel. Nous estimons que le
monde de David Altmejd ne gravite point autour d'un élément central,
essentiel et final et ne peut dès lors s'appréhender par le biais d'une seule
perspective.
Cet aspect est d'une importance toute spéciale puisqu'il s’offre comme
une piste à suivre pour saisir la dynamique qui anime la métamorphose
chez l'artiste. Afin de traiter d’une conception qui refuse le « point de départ »
et dont la genèse n'est point liée à une forme originelle, il faudra tenir compte
que ni le sujet, ni sa représentation ne sont au centre du type de
métamorphose qui nous intéresse ici. Altmejd est lui-même clair à ce sujet
: « [...] j'ai du mal avec l'idée de représentation », dit Altmejd, « C'est personnel
— je n'aime pas l'idée de représenter un corps qui aurait été figé dans le
temps, comme si le temps s'était arrêté, et l’avait congelé, de sorte que vous
avez devant vous une figure figée dans son mouvement105 ». À l'idée de la
représentation, il préfère celle de la complexité : « I really like the idea that
the work is infinitely complex, that you always notice something that you
didn’t the first time you saw it, that it feels like it’s growing and transforming
as you walk around106 ». C'est donc à l'aune de cette complexité qui, chez
l'artiste, semble intrinsèquement liée à la transformation, qu'il nous faut
chercher. Il s'agit, d'une part, d'aborder un langage qui est constamment en
105 Daniel Kunitz, « David Altmejd, Entrevue », ArtInfo, France. http://fr.artinfo.com/node/1847, page consultée le 28 novembre 2011. 106 Louisa Buck, « Biology, nature and evolution turned on their head”, The Art Newspaper, no 195 (octobre 2008), p. 43.
73
excès sur lui-même, un langage où l'un est impossible pour, d'autre part,
interroger ce que l'artiste transcende en résistant à cette unité.
Cet enjeu, nous l’avons d'ailleurs soulevé en regard de la figure du
loup-garou et de celle du géant abordée dans le chapitre 2. Chacune d'elles
renie, à sa manière, la notion du corps unifié et individué. Pour ce qui est
des lycanthropes, leurs carcasses en décomposition matérialisent une sorte
de retour au chaos, l'état qui précède, mais également promet la création.
La putréfaction y joue un double rôle : elle met le corps en crise en
l'assimilant à l'indétermination et lui permet, par le fait même, de donner
naissance à tous les possibles. Ainsi, il nous semblera que plus les limites
de ces corps s'estompent, plus il s'en libère une « énergie endémique107 »,
pour reprendre l’expression de De Blois. Ils deviennent en quelque sorte des
terreaux fertiles. En ce sens, dans The Index (figures 25 à 29), le spectateur
pourra observer des fragments de loups-garous fusionnés à quelques troncs
d’arbres ou disséminés çà et là, à même certains dispositifs structuraux.
Tandis que les restes de ces créatures sécrètent une matière cristalline,
toujours en reprenant De Blois, une variété de volatiles semblent s'y nourrir
et y « [puiser] des chaînes en or qu'ils étendent dans l'espace de l'œuvre telle
une énergie rhizomatique108 » (nous reviendrons sur la métaphore botaniste
du rhizome plus loin). Ces scènes nous donnent l'impression que les
lycanthropes se désincarnent peu à peu. Mais, en s'absentant de toute
consistance, ceux-ci donnent lieu à une surprenante éclosion. Nous ne
faisons plus face à de simples corps, mais plutôt à quelque chose qui fait
davantage penser à des ouches foisonnantes d'où émergent des colonies
d'espèces invasives et proliférantes.
Nous aurons également cette impression en regard des Géants que
façonne Altmejd. Leur physionomie irrégulière est une étendue agrégeant
107 Ariane De Blois, « Loups-garous, hommes-oiseaux et géants », Notre animal intérieur, L’Harmattan, 2009, p. 117. 108 Ibid.
74
un métissage des plus extravagants. Selon l'artiste, la figure du géant « n'est
pas seulement un corps », mais elle s'apparente et fonctionne d’une certaine
façon comme « de l'architecture109 ». C'est que, du haut de leur stature
imposante, ces colosses nous dominent. Ils incitent à lever les yeux, hisser
notre regard le long de leur silhouette démesurée. C’est alors que nous nous
heurtons à tant de gisements de détails qui donnent l’impression de dénouer
l’unité formelle de ces personnages. Contaminés d'ouvertures et
d'excroissances multiformes, les titans tels que The New North (figure 16) ou
The Center (figure 18) sont des friches insolites et grotesques dans la mesure
où ils ne démontrent aucune frontière étanche entre le monde extérieur et
leur intérieur. Leur enveloppe corporelle nous est présentée comme étant
ultimement perméable, autorisant les autres règnes d’y circuler
incessamment. Ces personnages ont la caractéristique d'accueillir et de
maintenir une sorte de mouvance des ontologies. Se faisant, ils se
présentent comme des êtres pluriels, aux frontières indéfinies. Ils nous
apparaissent capables de prendre de l’expansion dans l'espace aussi bien
que de se laisser contaminer par des éléments extérieurs110.
Ainsi, à ce stade de notre recherche, il est important de considérer
qu'il n'y a plus de figures ou de corps au sens propre dans la pratique de
David Altmejd. Conséquemment, en regard de la métamorphose classique,
il n'y a plus d'être à partir duquel pourrait s'amorcer la transformation. En
fait, le travail du sculpteur suppose un tout autre processus à travers lequel
l'absence de forme unitaire, à savoir ce goût de la complexité à laquelle cette
absence peut être attribuée, est une manière de mieux déconstruire les
carcans qui séparent les êtres. En n'enfermant point ses créations dans une
« forme » en ne leur assignant aucun « devoir être » (nous y reviendrons), il
scrute les possibilités symbiotiques qui se dégagent de certaines
coexistences. Dès lors, nous pourrions dire qu'au schéma de la droite qui
109 David Atlmejd, correspondance avec l’auteur, Montréal, mai 2009. 110 Mikhaïl Bakhtine, L'œuvre de Franc ois Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard, 1982, p. 315.
75
est tracée entre deux points que nous retrouvons dans la conception de la
métamorphose classique, Altmejd propose plutôt des œuvres qui agissent
sous le mode de l'intrication au sens warburgien du terme, soit : « Une
configuration où les choses hétérogènes, voire ennemies sont agitées
ensemble : jamais synthétisables, mais impossibles à démêler les unes des
autres, jamais séparables, mais impossibles à unifier dans une entité
supérieure. Des contrastes collés, des différences montrées les unes avec les
autres111 ».
3.3 Hétérogénéité et tensions dans l’œuvre de David Altmejd
Rappelons que le processus de création du sculpteur n'est pas
étranger à cette notion d'intrication. Pousser par l'intuition, Altmejd
s'emploie à confronter des matières ou des objets de nature complètement
hétérogènes qui entrent en contraste les uns avec les autres. Par exemple,
plusieurs œuvres (telles que Loup-garou 2, The Old Sculptor, The Giant 2 ou
The Index (voir les figures 11, 13, 23, 24 et 25 à 29)) allient beauté et laideur,
ne serait-ce que parce que le monstre est paré de bijoux, de paillettes ou de
cristaux ou que la physionomie d'un géant est à la fois constituée d'une
peau raboteuse et de miroirs lisses et scintillants. Par le biais de ce mode de
composition, Altmejd agence et multiplie les rencontres, guidées par le
sentiment qu'en réalisant ces combinaisons antagoniques « quelque chose
va se passer112 ». Ce processus de création intuitif amène ainsi l'artiste à
exploiter les matières, les matériaux aussi bien que les références, sans
aucune hiérarchie de manière à explorer le potentiel dynamique de ces
agencements hétérogènes. Ce qu'il y a de particulier chez Altmejd est que,
certes, les contrastes qu'il conçoit ont un impact formel, en ce qu'ils
111 Aby Warburg, cité dans : Didi-Huberman, Georges, L'image survivante : histoire de l'art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Éditions de Minuit, 2002, p. 201. 112 Randy Gladman, « 21st century werewolf aesthetics – an interview with David Altmejd », C Magazine, n° 82 (été 2004), p. 38.
76
surprennent et attisent le regard, mais ne se constituent pas seulement en
antagonistes de valeur. Ces contrastes vont beaucoup plus loin en ce qu'ils
mélangent, comme nous l’avons mentionné plus haut, les différents règnes,
les différentes catégories : humaine animale, végétale, monstrueuse, etc. Se
faisant, l’artiste joue d’antagonismes également pour défaire certaines
taxinomies, sonder ce qui se passe au-delà des grandes classifications qui
nous servent de repères pratiques et conceptuels.
En abordant ce champ d’exploration à travers ses compositions, ses
architectures ou ses corps, Altmejd incite à penser un monde qui ne répond
guère aux cadres d’une pensée normative héritée de la tradition occidentale.
D'une certaine manière, il y a quelque chose d'ultimement hétérologique, au
sens bataillain du terme, dans cette entreprise visant à faire dialoguer des
éléments qui appartiennent à des catégories exclusives les unes des autres.
Il y avait en fait chez George Bataille cette ambition, voire ce besoin,
d'aménager un espace de réflexion à l'extérieur d’un discours officiel qu’il
considère, à son sens, trop homogène et subjectif. Selon l'auteur français,
les catégories que l'on impose au monde agissent comme une
homogénéisation. Elles tendent à « donner une redingote à ce qui est, une
redingote mathématique113 ». Ainsi, pour Bataille, il est nécessaire de se
défaire de cette redingote héritée du rationalisme, car toute classification se
veut en soi appropriative, elle qui opère tel un système d’assimilation et tend
à occulter ce qui n’est pas à même de s’intégrer à sa structure. L'hétérologie,
c'est-à-dire la « science de ce qui est tout autre114 » incarne pour Bataille le
moyen de contrer ces tares du rationalisme. Il s'agit là d'une tentative
effective de dé-ontologiser la matière, de manière à ce qu’elle en vienne à
acquérir une force active, libre de la logique, des canons, des lois préconçues
113 Georges Bataille, « Informe », Œuvres complètes, Édition I, Paris, Gallimard, 1979, p. 217. 114 Georges Bataille, « La valeur d’usage de D.A.F. de Sade », Œuvres complètes, Édition II, Paris, Gallimard, 1987, p. 62. Cité dans Rosalind E. Krauss et Yves-Alain Bois, L'informe : mode d'emploi :
[exposition, Paris, espace de la Galerie sud du Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, 22 mai-26 aou t 1996], Paris, Centre Georges Pompidou, 1996. p. 49.
77
bref, de tout « devoir être115 ». Qui plus est, il considère d’emblée l’hétérologie
comme une opération (elle est un mode opératoire)116, elle qui met en crise
les catégories préconçues socialement, politiquement ou idéologiquement de
manière à contrecarrer toute forme de neutralisation117.
D'une certaine manière, nous avançons que les intrications
altmejdiennes où sont confrontés des éléments de nature divergente
œuvrent au sein de l'hétérologie, car elles libèrent les objets qui font partie
de ce « devoir être ». Tout se passe comme si les écarts que l'artiste produit
entre les éléments qu'il agence avaient comme effet de transgresser leur
nature en repoussant les limites de ce qui les définit génériquement. Cela
expliquerait que, lorsque nous sommes, par exemple, devant un corps
façonné par Altmejd, nous avons également cette étrange impression d'être
devant quelque chose de complètement autre : milieu naturel, habitat,
structure… Les références apparaissent, mais ne se fixent point. Le langage
visuel de l’artiste s'attache à désamorcer le rapport de sujétion qui existe
entre l’objet représenté et les conventions logiques qui le déterminent. Ainsi,
l’objet n’existe plus pour lui-même puisque libéré de son ontologie, il existe
désormais en tension ou plutôt dans un rapport relationnel avec les
éléments qui l’entourent, incluant l’observateur. Car, tension ici ne doit être
interprétée comme quelque chose qui fait fuir l'opposé ou qui induit une
résistance. Au contraire, lors de notre entretien avec lui, Altmejd compare
les tensions produites par la rencontre de deux éléments antagoniques à
celles qui se produisent entre les pôles négatif et positif d'un circuit
électrique118. Dans les deux cas, il s'agit de libérer de l'énergie, créer une
interaction – « Things stand to exist when there’s a tension119 », avait-il dit
115 Georges Bataille, « Matérialisme », Œuvres complètes, Édition I, Paris, Gallimard, 1979, p. 179. Cité dans Krauss, Rosalind E., Yves-Alain Bois, L'informe : mode d'emploi : [exposition, Paris, espace de la Galerie sud du Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, 22 mai-26 aou t 1996], Paris, Centre Georges Pompidou, 1996, p. 50. 116 Ibid. 117 Georges Bataille, « Informe, Œuvres complètes, Édition I, Paris, Gallimard, 1979, p. 217. 118 Conversation avec l'artiste, avril 2011. 119 Robert Enright, « Learning from objects: an interview with David Altmejd », Border Crossings, n°
92 (novembre 2004), p. 74.
78
à Enright. Ainsi, nous devons comprendre les œuvres du sculpteur comme
un véritable circuit à même lequel les différences de potentiel qui surgissent
des éléments qui les composent entretiennent une certaine mouvance.
Bref, en reprenant la métaphore électrique, c'est bien l'idée de circuit
qu'il faut retenir ici, mais ce dernier se doit de rester ouvert. Car si Altmejd
œuvre dans l'hétérogénéité, si les formes et les corps qu'il crée n'ont pas
d'unité propre, il semble que ce soit pour laisser libre court à une sorte de
réseau au sein duquel toute communication, tout rapport, aussi
contradictoires puissent-ils paraître, soient capables d’y prendre place. Les
corps aussi, bien que les compositions qu'il agence sont certes des
intrications, des « polarités en amas », mais ils n'en sont pas moins liés.
Encore ici, ceci nous amène à considérer que si l'artiste se refuse à la
représentation de formes fixes, c'est que la transformation chez lui n’est plus
linéaire, mais, au contraire, engage une sorte d'éclatement. D’une certaine
manière, avec ses modes de composition particuliers, Altmejd fait dévier la
droite à laquelle nous étions habitués, « libère la ligne du point120 » pour
reprendre l’expression de Gilles Deleuze. Ceci permet à n'importe quel
élément d'entrer en relation, voire en communication avec n'importe quel
autre. En explorant le potentiel d'agencement de différents matériaux, en
osant par exemple les effets de la rencontre non orthodoxe d'un ossement,
d'un oiseau et d’une fleur (The Old Sculptor, figure 13), l’artiste se fait
alchimiste et observe les effets de ces contacts. Ultimement, notre
interprétation sur ce point est qu’il rompt définitivement avec le schéma de
la métamorphose classique. Mais bien plus encore, le type de transformation
qu'il propose laisse entrevoir un modèle très particulier. Prêtons un regard
attentif sur certaines de ses productions plus récentes afin de permettre au
lecteur de mieux saisir la dynamique de ce modèle.
120 Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, 2008, p. 34.
79
3.4 Le circuit contre la droite
Au printemps 2011, à l’Andrea Rosen Gallery, Altmejd expose
The Vessel (figures 41 à 45), une composition éminemment complexe. Cette
dernière prend place à l'intérieur d'un impressionnant écrin de plexiglas
d’une longueur d’environ six mètres. Lorsque nous nous tenons à la bonne
distance de cette construction, de manière à voir l'une de ses faces dans sa
totalité, nous avons l'impression de contempler quelque chose qui ressemble
à une machine composée de mécanismes abstrus. Les amalgames parallèles
de fils blancs et or qui parcourent les différents compartiments de la
structure transparente font penser à ceux qui traversent les appareils des
filatures anciennes. Si toutefois, dans ces filteries, il est plutôt facile de
discerner dans quelle direction se dirigent les fibres, nous ne pourrions en
dire autant des inventions singulières de David Altmejd.
En fait, lorsque nous observons The Vessel de côté, la configuration
des ficelles semble entretenir l'illusion tantôt d'une vague qui déferle de
l'arrière vers l'avant, tantôt d'ailles grandement stylisées en voie de se
déployer délicatement (figure 41). Mais quand nous nous tenons face à
l'œuvre, une autre scène se donne au regard : les entrailles du contenant
translucide s'exhibent, donnant à voir les méandres d'un réseau vertigineux
(figures 42 et 43). Celui-ci consiste en une myriade de fils immaculés,
lesquels sont regroupés de manière à dessiner dans l'espace les
ramifications d'un circuit quasi délirant. Le résultat revêt un aspect
résolument déroutant, si bien qu'il est difficile d'en décrire l'apparence avec
clarté et concision.
Mais justement, ce que The Vessel a de remarquable, c'est cette
multiplicité quasi démesurée. Le spectateur retrouve d’impressionnants
affûts de filaments qui, réunis, fulgurent tels de petits vecteurs. Ceux-ci,
adoptant une trajectoire cambrée, donnent littéralement l'impression que
nous sommes devant un système en plein mouvement ou du moins propice
80
à se mouvoir à tout moment. Cette impression se transmet également par le
fait que de multiples mains émergent des lacis. Faites de plâtre, elles
tiennent en leurs doigts ce qui semble être des becs d'oiseaux multicolores
(figure 43). Toutefois, ces spécimens lacunaires, mi-volatiles, mi-humains,
ne sont pas les seuls éléments insolites que nous rencontrons sur les sillons
de ce circuit effervescent. On y retrouve également des oreilles, elles aussi
façonnées de plâtre qui, regroupées, forment de curieux bouquets. Nous
pouvons aussi répertorier nombre de cristaux, des nez aux couleurs criardes
disposés sur le socle de la sculpture et une tête peinte en noir dont le visage
est substitué par une pierre en saillie.
Composée de parties de corps, combinées à diverses d'éléments qui
ne semblent point avoir de lien les uns avec les autres, nous pourrions
penser que l’œuvre The Vessel est un lieu de discordance où règnent
désordre et confusion. Pourtant, il en va tout autrement. Elle laisse le
spectateur avec l’impression qu’elle canalise plutôt une fascinante
harmonie. Les jeux de fils reliés entre eux et connectés aux différents objets
rappellent, d'une certaine manière, des vaisseaux intraveineux, voire la
configuration des fibres musculaires. À bien y réfléchir, l'œuvre d'Altmejd
prêterait moins allégeance à la machine qu'à une sorte de système qui
semble posséder quelque chose d'organique, quelque chose de vivant, de
fluctuant et qui fonctionne selon ses propres lois. Mais de quelles lois
pourrait-il s'agir?
3.5 Le rhizome et ses principes
Nous croyons que la réponse à cette question se trouve à même l'un
des grands attributs (et probablement le plus remarquable paradoxe) du
langage visuel de David Altmejd : la construction de mondes hétéroclites,
mais symbiotiques, c'est-à-dire la mise en œuvre d'univers peuplés d'écarts,
mais qui ne sont pas moins aptes à faire naître des rapports, libérer des
81
communications, provoquer des ouvertures entre les frontières. D'ailleurs,
en élaborant le type de composition que nous retrouvons dans The Vessel121,
le sculpteur semble délibérément vouloir exacerber cette volonté de mettre
les éléments en communication. Tout se passe comme si l'affluence des fils
incarnait formellement des liens, comme s'ils rendaient visible l'énergie qui
circule entre les divers éléments et éveillaient la possibilité qu'il y ait des
échanges entre eux122. Ce faisant, Altmejd matérialise un réseau, un circuit
pour le moins impressionnant. Mais ce réseau est des plus particuliers : en
fait, la diversité des affluences qui s'y retrouvent aussi bien que la
démultiplication presque infinie de ses jonctions font de lui un véritable
système rhizomatique – métaphore à laquelle nous avons référé plus haut
en citant l’œuvre de De Blois.
Sur ce point, nous établissons un parallèle entre la pratique du
sculpteur et le concept du rhizome tel que théorisé par Félix Guattari et
Gilles Deleuze. Ce concept, qui fait notamment introduction123 à l'ouvrage
Mille Plateaux, écrit conjointement par les deux philosophes français, nous
permet de penser cette prolifération sans direction – ce rapport entre
hétérogénéité et communication qui, chez Altmejd, apparaît comme la clé de
toute transformation. D'ailleurs, notons qu'il n'est pas étonnant que ce
concept de rhizome serve d'ouverture à l'ouvrage de Deleuze et Guattari. En
fait, il se présente, d'une part, comme un schéma d'organisation qui décrit
la structure même de Mille plateaux (livre où la suite linéaire des chapitres
121 Il est également pertinent de souligner qu'un bon nombre d'œuvres, telles que The Orbit (figure 45), Le ventre (figure 46), Le soufflet et la voie (figure 47) sont conçues selon des modes d'organisation formelle similaires à The Vessel. 122 Notons également que les réseaux de fils et dispositifs structuraux (socles, présentoirs, miroirs, etc.) partagent cette même fonction visant à connecter les éléments. À cet effet, Marie Fraser décrit brillamment la portée de ce mode de composition chez Altmejd : « Les nombreux jeux d’échelle (entre le monumental et le microscopique), les perspectives multiples (effet kaléidoscopique des miroirs) ainsi que les divers autres processus qui, s’appelant les uns les autres, obéissent à une logique contextuelle, contribuent à insuffler aux œuvres une énergie vitale. La circulation de cette énergie est
indissociable de la notion de transformation qui caractérise de façon omniprésente le corpus de l’artiste […] ». Marie Fraser et al., Zoo, Montréal, Musée d’art contemporain de Montréal, 2012, p. 78. 123 Cette introduction fut préalablement écrite par Deleuze et Guattari en 1976 (Rhizome, Paris, France, Les Éditions de Minuit, 1976, 74 pages) pour ensuite être reprise dans Capitalisme et schizophrénie 2, Mille Plateaux en 1980.
82
laisse place à ce que les auteurs préfèrent appeler des « plateaux », lesquels
peuvent être consultés indépendamment les uns des autres, mais sont
également connexes les uns aux autres124). Tandis que, d'autre part, il se
présente comme un modèle épistémologique pour aborder l'idée qui traverse
tout l'ouvrage, celle de la pensée du multiple, de l'individu – du langage, des
signes, etc. — comme multiplicité, comme pluralité qui se trouve en
constant mouvement, en constant devenir. Dès lors, si le rhizome décrit
dans Mille plateaux a une certaine visée politique, il faut aussi comprendre
qu'il est d'abord – en dessous du texte – un modèle de cette conception du
mouvement comme devenir et c'est selon nous ce modèle qui permet le
mieux de comprendre la transformation et le mouvement à l'œuvre dans la
production de David Altmejd. Avant toute chose, pour interroger davantage
la portée du rhizome et son fonctionnement, il nous faut jeter un regard sur
l'origine même du terme.
En botanique, les plantes à rhizome, par exemple le chiendent, se
distinguent par leurs tiges souterraines munies d'écailles, de nœuds et de
bourgeons, qui produisent des tiges aériennes ainsi que des racines
adventives125. Spécifions d'ailleurs que le propre de ce type de racines est de
se déployer de manière inhabituelle et d'avoir la propension de « [pousser]
sur un point où l'on ne trouve pas d'organe de même nature126 ». Ces
caractéristiques particulières permettent ainsi à ces spécimens de se
ramifier, entraînant la « multiplication végétative » de la plante qui peut alors
devenir « proliférante » ou « traçante127 ». De nature foisonnante et fortement
124 « Nous appelons "plateau" toute multiplicité connectable avec d'autres par tiges souterraines superficielles, de manière à former et étendre un rhizome. Nous écrivons ce livre comme un rhizome. Nous l'avons composé de plateaux. [...] Chaque matin nous nous levions, et chacun de nous se demandait quels plateaux il allait prendre, écrivant cinq lignes, ici, dix lignes ailleurs. Nous avons eu des expériences hallucinatoires, nous avons vu des lignes, comme des colonnes de petites fourmis, quitté un plateau pour en gagner un autre. Nous avons fait des cercles de convergence. Chaque
plateau peut être lu à n'importe quelle place, et mis en rapport avec n'importe quel autre. » Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie 2. Mille plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 33. 125 Jacques Dauta, « RHIZOME », Encyclopædia Universalis. http://www.universalis.fr/encyclopedie/rhizome/, page consultée le 12 mai 2013. 126 Le Grand Robert. 127 Paul Ozenda. Les vege taux : organisation et diversite biologique, Paris, Dunod, 2006, p. 316-318.
83
vivace, les plantes à rhizome se développent rapidement, mais surtout sans
ordre apparent. Leur organisation générale rappelle celle d'un labyrinthe à
la fois extrêmement expansif et truffé de lacis communicants. À ce sujet,
notons au passage que lorsqu’Umberto Eco définit trois types de labyrinthe,
il décrit celui en rhizome comme un réseau entrelacé de voies sans limites
« où non seulement tout point est connecté à divers autres points, mais où
rien n'empêche l'instauration, entre deux nœuds, de nouvelles liaisons,
même entre ceux qui n'étaient pas reliés avant128 ».
À la lumière de cette courte présentation, nous pouvons déjà identifier
quelques principes que relèvent Deleuze et Guattari à propos du concept du
rhizome, pertinents pour notre recherche. Les deux premiers, qui vont de
pair, sont ceux de connexion et d'hétérogénéité : « […] le rhizome connecte
un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits
ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature, il met en jeu
des régimes de signes très différents et même des états de non-signes129 ».
Ainsi, pour les auteurs, le rhizome fonctionne de manière très hétérogène et
non déterminée. Il progresse de manière à mettre librement en relation des
éléments qui ne sont pas nécessairement affiliés, qui n'appartiennent pas à
la même « famille ». Il est ce lieu, mais aussi ce processus par lequel il est
possible d'engendrer un dialogue entre ces différents éléments.
Parallèlement, le lecteur reconnaîtra peut-être ici la nature à la fois
hétéroclite et symbiotique des mondes érigés par David Altmejd –
incroyablement bigarrés, mais liés par une sorte de cohérence
communicative, une « harmonie invraisemblable ». Pensons, par exemple, à
la manière dont les éléments disparates dans The Vessel (figures 41 à 45)
sont connectés les uns aux autres et combien ils semblent former ensemble
une sorte de tout exubérant. Exubérant, mais également déstabilisant car,
d'une certaine manière, la complexité des œuvres du sculpteur leur confère
128 Umberto Eco, « La ligne et le labyrinthe : les structures de la pensée latine », Georges Duby, Civilisation latine, Paris, O. Orban, 1986, p. 43. 129 Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 31.
84
souvent un caractère labyrinthique, en ce que leur structure ne relève
aucunement de la logique. Une autre particularité non négligeable du
rhizome est qu’il ne provient d’aucune structure prédéterminée130. Ainsi, si
nous nous imaginons y pénétrer, nous devons dès lors nous figurer une
sorte de dédale, non pas conçu de manière à ce qu'il soit potentiellement
possible d'y retrouver son chemin, mais bien au contraire, dont la nature
même réside en ce que l'on s'y perde. Aussi étrange que cela puisse paraître,
là résiderait la force du rhizome tout aussi bien que celle des œuvres du
sculpteur. Car si l'un et l'autre jouissent d'une prolifération sans borne qui
est en soi créatrice et génératrice de fluctuations, ni l'un ni l'autre n'est
configuré de manière à y trouver une sortie, un point terminal où le
mouvement viendrait s’y éteindre. Au contraire, le propre de tout réseau
rhizomatique, tel que présenté par Deleuze et Guattari, est d'engendrer de
nouveaux embranchements, de fuir sans cesse dans de nouvelles directions
et de toujours mener à de nouveaux rapports. C'est d'ailleurs pour cette
raison que, pour eux, le rhizome devient une source de mouvement131,
puisqu'il maintient cette fluctuation, cette « ligne de fuite » qui toujours
fulgure et entraîne de nouveaux agencements.
Cette dernière observation sur l’absence de tout point terminal nous
amène à un autre principe, celui de multiplicité. Cependant, afin de mieux
le comprendre, nous croyons qu'il faut avant tout déceler à quoi ce principe
s'oppose dans la pensée deleuzo-guattarienne. En fait, engagé aux confins
du rhizome, inutile d'y chercher le fil d'Ariane. Ce dernier ne saurait guère
servir dans un espace manifestement insoumis à l'ordre. Car, d'une part, il
ne pourrait y avoir qu'une seule direction à suivre et, d’autre part, le
130 Nous croisons d'ailleurs ici deux autres principes, soit ceux de cartographie et de décalcomanie, selon lesquels le rhizome n'est soumis à aucun modèle structural ou génératif. Il est ainsi totalement dépourvu « d'axe génétique » ou de « structure profonde ». Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 19-22. 131 Deleuze et Guattari parlent à ce sujet de déterritorialisation, de nomadisme, mais posent également la question d’un flux, d’une forme de mouvement que le rhizome libère, mouvement qui « déracine le verbe être » : « Ne semez pas, piquez! Ne soyez pas une ni multiple, soyez des multiplicités! Faites la ligne et jamais le point! La vitesse transforme le point en ligne! Soyez rapide, même sur place! Ligne de chance, Ligne de hanche, Ligne de fuite ». Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 36.
85
rhizome, véritable « matrice dynamique132 », n'a ni début ni fin.
Conséquemment, selon Deleuze et Guattari, lorsque nous nous y
aventurons, c'est toujours par le milieu133. C'est que le rhizome lui-même
ne prolifère que par le milieu. Comme de la mauvaise herbe, il s'étend à la
manière d'un débordement perpétuel134. C'est alors qu'une pensée toute
particulière qui prend forme ici. Une pensée qui ne va pas d'un point à un
autre, qui ne suit pas d'évolution linéaire, qui ne se profile pas le long d'une
chaîne signifiante, mais qui est capable d'embrasser le multiple. Bref, une
pensée qui passe par la multiplicité. De là, il est important de mentionner
que, chez Deleuze et Guattari, le rhizome est un modèle qui s'oppose
directement à celui de l'arborescence. C'est-à-dire qu'il se distingue
directement de l'« arbre classificatoire » qui toujours possède un tronc
unificateur, qui s'organise et organise le monde par des fils conducteurs
désignant des « liaisons localisables entre points et positions135 ». Pour bien
saisir cette distinction, mentionnons que si, d'un côté, le propre des rapports
arborescents est du type linéaire tel que la filiation, la généalogie ou
l'histoire, de l'autre, ceux proprement rhizomatiques présentés par Deleuze
et Guattari sont plutôt de l'ordre du « parasitage », de la « contagion », de
l'agencement, de « noces illégitimes » (tant de termes utilisés par les auteurs
pour exprimer les rapports aptes à concevoir la multiplicité)136. Ainsi, le
rhizome, par sa nature même, crée la multiplicité. C'est pour cette raison
qu'il serait erroné de dire « être dans le rhizome », puisque l'être tel quel
(l'Être entier137) ne résiste point au rhizome. Pour être plus juste, il faudrait
132 Romain Sarnel, « Lieux de passage et transversalités : pour une dynamique deleuzienne », Le Portique, p. 7, http://leportique.revues.org/index1362.html, page consultée le 18 janvier 2012. 133 Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 36-37. 134 « L'herbe n'existe qu'entre les grands espaces non cultivés. Elle comble les vides. Elle pousse entre, et parmi les autres choses. La fleur est belle, le chou est utile, le pavot rend fou. Mais l'herbe est débordement, c'est une leçon de morale. » Henry Miller, Hamlet, Corrêa, p. 48-49. Cité dans :
Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 29. 135 Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 32. 136 Ces types de rapport (parasitage, contagion, noces illégitimes) sont d’ailleurs mis davantage de l’avant pour expliquer le devenir-animal, objet du 10e chapitre de Mille plateaux. Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 284-380. 137 À ce sujet, comme le fait remarquer Éliane Martin-Haag, il y a dans la philosophie de Deleuze une éthique et une politique de « l’individu sans sujet » influencée de la pensée de Simondon. Elle relève chez Deleuze la nécessité « de repenser un devenir qui défait l’être et ses identités figées afin de
86
alors dire « faire rhizome138 », et cela ne se fait pas sans que l'unité de l'être
ne soit défaite, qu'elle devienne elle-même multiplicité139. Chez Altmejd,
nous remarquons cette primauté de la multiplicité dans la façon dont ses
personnages aussi bien que ses compositions s’offrent comme le creuset de
rencontres et de mélanges de plusieurs identités, statuts ou règnes. En ce
sens, les modes de composition hybrides et hétéroclites de l’artiste
travaillent sans cesse à la dissolution de l’unité des êtres et des choses.
« Pas d'unité qui serve de pivot dans l'objet, ni qui se divise dans le
sujet. Pas d'unité ne serait-ce que pour avorter dans l'objet, et pour “revenir”
dans le sujet. Une multiplicité n'a ni sujet ni objet, mais seulement des
déterminations, des grandeurs, des dimensions qui ne peuvent croître sans
qu'elle change de nature140. » Et, à ceci, nous pouvons ajouter : elles ne
peuvent croître sans entrer dans un ou des devenirs, car le rhizome appelle
à la transformation perpétuelle. Il est en quelque sorte une matrice
dynamique. Il engage ce mouvement que Deleuze et Guattari nomment « le
devenir ». S'il en est ainsi, c'est que, comme le fait remarquer Maël Le Garrec,
philosophe s’étant intéressé aux travaux de Deleuze, le rhizome est « faculté
de rencontre, terrain d'expérimentation141 ». Dans la conception deleuzo-
guattarienne, il n'y a donc pas de devenir sans qu'il y ait de rhizome. L'un
ne va pas sans l'autre, et le rhizome semble être le champ d'action de toute
transformation142. Transformation susceptible de progresser et de surgir
restituer notre immanence à la vie, au sens d’une vie impersonnelle, inorganique et multiple, dont l’expérience permet de se recréer, en l’affirmant et en la voulant comme source d’une nouvelle individuation ». Éliane Martin-Haag, « Le devenir animal et la question du politique chez Gilles Deleuze », Guichet, Jean-Luc, dir., Usages politiques de l'animalite , Paris, L'Harmattan, 2008, p. 163. 138 Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 19. 139 « L’arbre est filiation, mais le rhizome est alliances, uniquement constitué d’alliances, l’arbre impose le verbe « être », mais le rhizome a pour tissu la conjonction et… et …et…, Il y a dans cette concoction assez de force pour secouer et déraciner le verbe être ». Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 36. 140 Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 14-15. 141 Mae l Le Garrec, Apprendre a philosopher avec Deleuze, Paris, Ellipses, 2010, p. 164. 142 « Ce qui est en question dans le rhizome, c'est un rapport avec la sexualité, mais aussi avec l'animal, avec le végétal, avec le monde, avec la politique, avec le livre, avec les choses de la nature et de l'artifice [...] : toute sorte de devenirs ». Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 32.
87
dans toutes les directions, qui s'opère entre hétérogènes, qui jouit des
infinies possibilités de connexion et qui œuvre au sein de la multiplicité143.
3.6 Pour s’ouvrir au devenir
Nous jugeons que ce rapport entre multiplicité et transformation est
particulièrement important, en ce qu’il permet de comprendre les principes
transformateurs qui traversent les œuvres de David Altmejd. Nous avons
déjà soulevé plus tôt dans ce chapitre combien l'un est impossible dans
l'œuvre du sculpteur. Chaque être, voire chaque objet ne nous semble plus
déterminé par un corps ou une forme propre et unifiée. Au contraire, comme
dans le rhizome, ce qui se profile dans les compositions altmejdiennes, ce
sont des multiplicités. L'artiste compose ses œuvres à la manière de réseaux.
Les éléments qui s'y retrouvent sont directement, mais surtout
spontanément reliés les uns aux autres. Ils ne doivent plus être conçus pour
eux-mêmes, mais en symbiose avec ce qui les entoure. Les composantes de
ses œuvres seraient ainsi comparables à des « agglomérations de
particules », incroyablement malléables et instables. D'ailleurs, cet aspect
devient de plus en plus prégnant dans les plus récentes œuvres du
sculpteur. The Vessel (figures 41 à 45) est un lieu où toutes références
semblent s'évanouir, comme si le réseau délirant de fils qui le parcourt
poussait chaque élément vers un devenir autre. Les membres de l'anatomie
humaine s'y retrouvent radicalement désincarnés. Aux yeux de
l’observateur qui saura les identifier, ceux-ci ne renvoient guère au corps, si
bien qu'une main délicate émergeant des myriades de fils aura davantage
l'essence d'une tête de cygne; un bouquet d'oreilles, lui, lui fera penser à des
fongus; et, un peu plus loin, traversée de mille et un filaments, une dense
agglomération de cristaux lui donnera l'impression de jouir de la légèreté
143 Bernard Andrieu, « Révolution et Hybridité : Le transcorps », Le Portique, http://leportique.revues.org/1360, page consultée le 11 novembre 2011.
88
d’une plume. Chaque élément acquiert une sorte d’inconstance issue de
l'évanouissement de toute détermination et d’une impureté contagieuse qui
garantit leur puissance de transformation. Pour emprunter les termes de
Deleuze et Guattari, nous pouvons dire qu’ils sont engagés dans une « zone
d'indiscernabilité144 », entre deux règnes, deux natures, deux essences.
Ensemble, ils font rhizome et s'ouvrent au devenir.
Ainsi, la transformation chez Altmejd relève, selon nous, davantage
du principe du devenir deleuzien que de la métamorphose classique. Et force
est de constater que de comprendre la nature transformatrice des œuvres
du sculpteur à l’aune du devenir nous permet d'en déceler la dimension
philosophique. Nous savions déjà qu'il y a, chez Altmejd, une fascination
pour le mouvement, un désir de créer des compositions qui semblent évoluer
de manière autonome, qui sont, d'une certaine manière, vivantes. Mais le
lecteur comprendra, nous l’espérons, que cette énergie qu'il cherche à
libérer dans ses œuvres est peut-être aussi celle qui se dégage, plus
généralement, dans le devenir, c’est-à-dire dans le processus d’une
transformation constante et perpétuelle qui anime le monde.
De prime abord, il faut souligner que, pour Deleuze et Guattari, rien
n'échappe au devenir : « Ce qui est réel, c'est le devenir lui-même, le bloc de
devenir, et non pas des termes supposés fixes dans lesquels passerait celui
qui devient145 ». En fait, pour Deleuze et Guattari, le devenir est la trame
même du réel. C'est la leçon de Bergson, que nous rencontrons ici lorsque,
dans Évolution créatrice, ce dernier rappelle que :
[...] si le langage se moulait ici sur le réel, nous ne dirions pas “l'enfant devient homme”, mais “il y a devenir de l'enfant à
l'homme”. Dans la première proposition, “devient” est un verbe à sens indéterminé, qui sert à marquer l'absurdité où l'on tombe en attribuant l'état “homme” au sujet “enfant” [...] dans la
seconde, “devenir” est un sujet. Il passe au premier plan. Il est la
144 Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 333-350. 145 Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 291.
89
réalité même; enfance et âge d'homme ne sont plus alors que des arrêts, virtuelles simples vues de l'esprit146.
Soulignons qu’il est ici question d'un phénomène très particulier, et ce, pour
deux principales raisons. Premièrement, comme l'avançait Bergson, le
devenir est immanent. Il est par lui-même. On aurait donc tort de vouloir
l'assujettir à l'évolution d'un sujet, voire à une succession d'états
quelconques, comme nous l’avons constaté dans notre analyse de la
métamorphose classique. De la même façon, nous estimons que l’autre
erreur serait de croire que le devenir fait passer d'un être à un autre et que
ce sont les différents stades par lesquels l'être passe qui constituent le
processus du devenir. En ce sens, nous nous opposons ici à la fois au
principe aristotélicien selon lequel il est question de « quelque chose qui
acquiert ce qu'il n'avait pas147 » aussi bien qu’au principe hégélien selon
lequel « quelque chose [...] devient lui-même autre chose pour d'autant
mieux revenir à soi148 ». Bref, dans la pensée de Deleuze et Guattari, nous
avons affaire à une variation sans substrat préexistant et un mouvement
immanent dans lequel il n'existe ni commencement ni point terminal.
« L'important, c'est de concevoir la vie, chaque individualité de la vie,
non pas comme une forme, ou un développement de forme, mais comme un
rapport complexe entre vitesses différentielles, entre ralentissement et
accélération de particules149 », souligne Deleuze. Nous estimons donc que ce
serait par ces variations de puissance (affects), ces variations d'intensité que
le devenir se propage dans l’œuvre d’Altmejd. Ainsi, quand nous abordons
le devenir, il n'est pas question d'imitation, de « faire comme », pas plus que
de filiation où d'assimilation150. Il s'agit plutôt, en termes deleuziens, de
146 Henri Bergson, « Évolution créatrice », Œuvres : Textes annotés par Andre Robinet; Introd. par Henri Gouhier, Paris, Presses universitaires de France, 1963, p. 759 147 Jérôme Rosanvallon et Benoi t Preteseille, Deleuze et Guattari a vitesse infinie 1 – De la vitesse infinie de l'etre, Paris, Ollendorff et Desseins, 2009, p. 74. 148 Ibid. 149 Gilles Deleuze, Spinoza, Philosophie pratique, Éditions de Minuit, 1981, p. 165. 150 Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, 2008, p. 8
90
s'infiltrer à même une « zone de voisinage » qui change et amorce une
variation dans nos rapports de vitesse et de lenteur, d'entrer dans un
rapport symbiotique, dans une « noce contre nature151 ». Il ressort plus
clairement à quel point le modèle du rhizome s'avère essentiel, selon Deleuze
et Guattari, à tout processus de devenir, où devrions-nous dire à tous les
devenirs. En l’utilisant comme lunette d’interprétation, ce modèle opère,
comme le mentionne Anne Sauvagnargues à propos de Deleuze, une « [...]
transformation de l'idée de système, qui ne doit plus être compris comme
une structure homogène rapportant les variables à des constantes
hypostasiées, mais comme un système ouvert, en réseau, connecté et
présentant des règles variables en devenir152 ». Toujours, le rhizome serait
ouvert, selon Deleuze et Guattari, à de nouvelles rencontres, il pousse les
multiplicités vers les bordures, dégage des « lignes de fuite » qui fulgurent
vers des « zones de voisinage », vers un devenir autre. Avec le concept de
devenir et celui de rhizome, les deux philosophes nous permettent
d’appréhender le monde dans sa réalité mouvante153.
Au cœur de la pratique d'Altmejd comme au cœur de la philosophie
de Deleuze et Guattari, nous retrouvons ainsi la même compréhension du
monde ou d'un monde comme système ouvert et proliférant. Toutefois, si
dans les écrits de ces philosophes le rhizome est présenté d'une certaine
manière comme une image du devenir, un modèle qui sert de véhicule au
devenir, notons que les œuvres d’Altmejd lui confèrent quant à eux une
autre dimension, celle-ci beaucoup plus large. Bien plus qu'une image du
151 Ibid. 152 Anne Sauvagnargues, « De l'animal à l'art », Francois Zourabichvili et al., La philosophie de Deleuze, Paris, Presses universitaires de France, 2011, p. 157. 153 En ce sens, il faut aussi noter que leur entreprise philosophique fait partie intégrante de l'élaboration d'une métaphysique de l'« immanence pure ». D'un point de vue naturaliste, il s'agit d'une approche où il n’existe « aucune surnature qui transcende la nature, que celle transcendant soit pré-naturelle (divine, essentielle, idéelle, etc.) ou post-naturelle (culturelle, artificielle, mentale, etc.)153. C'est alors en évacuant toute forme de transcendance que l'approche deleuzo-guattarienne s'articule ». Je rome Rosanvallon et Benoi t Preteseille, Deleuze et Guattari a vitesse infinie 1 – De la vitesse infinie de l'etre, Paris, Ollendorff et Desseins, 2009, p. 74.
91
devenir, ce qui est, selon nous, à l'œuvre dans les compositions du
sculpteur, est sans cesse le rhizome en pleine action, capable de faire sentir
ses multiples fluctuations chez le spectateur, de le faire entrer au cœur du
mouvement. Bien que rhizome et devenir semblent indissociables dans la
pensée deleuzo-guattarienne, dans les œuvres d'Altmejd, le rhizome passe à
l'avant-plan. L'artiste construit ses œuvres d’une façon telle que le
spectateur peut pénétrer à même le rhizome et lui-même expérimenter le
mouvement, la transformation, le devenir.
3.7 Devenir rhizome
Il est vrai qu'en regardant la complexité de structures comme dans
The Vessel, nous avons l'impression d'apercevoir ces « lignes de fuite » qui
parcourent le rhizome. Mais le rhizome chez Altmejd n'apparaît pas
seulement structurellement dans les œuvres où les fils sont utilisés pour
relier les éléments entre eux. Sa portée s'avère selon nous beaucoup plus
étendue, car il est d'une certaine manière mis en jeu et se déploie sous
diverses formes, mais également à travers différents modes opératoires. En
fait, chez Altmejd comme chez Deleuze et Guattari, le rhizome et le devenir
semblent très proches l'un de l'autre. Toutefois, du point de vue de
l'expérience vécue par le spectateur, cette proximité gagne en importance.
Au lieu que le rhizome s’apparente davantage à une matrice formelle et le
devenir à une transformation comme chez Deleuze et Guattari, l'immersion
que proposent les œuvres du sculpteur induit à la fusion de ces deux
dimensions. Attardons-nous à la manière dont cette fusion se présente et
dans quelle mesure elle module l’expérience du spectateur.
Par exemple, dans Untitled, 2007154 (figures 19 à 22), les truchements
et les effets kaléidoscopiques des miroirs provoquent une véritable
154 Précisons que cette œuvre fut postérieurement présentée dans le cadre de l’exposition Star Power: Museum of as body electric au Musée d’art contemporain de Denver en octobre 2008 et qu'elle fut
92
dynamique rhizomatique. En pénétrant dans la salle qui accueille
l'installation, le spectateur aura d’abord l'impression de s'introduire dans un
étrange palais des glaces. Tapissée de miroirs, la pièce semble se déplier à
l'infini, soulevant une démesure qui la rend presque immatérielle. Mais cette
démesure apparaît aussi par rapport aux curieux gardiens de cet espace :
six géants qui, du haut de leur stature surdimensionnée155, règnent
silencieusement sur ce territoire miroitant. Étant elles-mêmes composées
de mille et une surfaces réfléchissantes, leurs images se propagent
indéfiniment dans l’ensemble de cet « impossible espace que peuplent les
reflets156 », pour reprendre les mots de Jorge Luis Borges.
Bénéficiant chacun d’une apparence distincte, ces gardiens
titanesques nous interpellent tour à tour (figure 22). L’un d’eux se présente
comme un gigantesque prisme décoré de multiples percements – de petites
cavités géométriques – dont les profondeurs rutilantes nous dévoilent autant
d’illusions kaléidoscopiques. Un autre, semblable à une armature ou une
ossature inachevée, s’apparente aussi bien à l’humain qu’à la machine. Sa
tête, explosion de fragments scintillants, est soutenue par une frêle colonne
vertébrale tout aussi lumineuse. Ses minces jambes décharnées pourraient
être celles d’un robot androïde. Un peu plus loin, on aperçoit un troisième
colosse ayant un grand prisme en guise de corps, lequel est surplombé d’un
cube qui, marquant un rapport anthropomorphique, fait office de tête.
L’apparence massive et épurée de ce géant s’oppose à l’aspect inextricable
d’un de ses congénères qui se tient à l’autre bout de la salle. Ce dernier,
véritable silhouette labyrinthique, où s’agence une profusion de dédales
anguleux, n’est qu’un vaste réseau de lacis chatoyants. La forme imprécise
et disséminée de ce spécimen lui donne une allure spectrale, comme s’il
ensuite accueillie au Magasin de Grenoble (Centre National d'Art Contemporain de Grenoble) du 1er février au 26 avril 2009, ainsi qu’aux Abattoirs de Toulouse à l'été 2009. D'ailleurs, en ce qui concerne la description qui suit, nous nous référerons à cette dernière présentation. 155 Certains d'entre eux ont une hauteur pouvant aller jusqu’à 4 mètres. 156 Roland Quilliot, Borges et l'e trangete du monde, Strasbourg, France, Presses universitaires de Strasbourg, 1991, p. 64.
93
n’était qu’une apparition, une lueur fantomatique. Quant aux deux autres
colosses qui complètent le sextuor, l’un d’eux semble digne d’une création
du docteur Frankenstein. Les deux bras tendus vers l’avant, il apparaît
amorphe et absent comme s’il était plongé dans un état cataleptique. Sa
chair brunâtre et étrangement texturée se rapproche des parois rocheuses
qui parent certaines grottes souterraines. D'ailleurs, de multiples stalactites
pendent en aiguille le long de ses bras et de son entrejambe. Cependant, si
cette matière nous laisse stupéfaits, que dire de la prolifération des formes
prismatiques et miroitantes qui semblent envahir l’organisme de ce curieux
personnage? Le dernier géant est quant à lui constitué entièrement de
miroirs. Au confluent du titan et du super héros, les reliefs qui se dessinent
sur son armure coruscante nous laissent entrevoir une musculature
développée, recouverte par endroits d’un enduit scintillant aux couleurs
pastel. Sur sa jambe gauche s’enroule un escalier à vis, tandis qu’un de ses
bras gît sur le sol. Ces éléments pourraient faire penser que l’étrange
personnage est inachevé, comme si son inventeur avait dû délaisser
temporairement sa conception. Inachevé, mais également imparfait, car,
comme plusieurs des figures conçues par David Altmejd, le corps de glace
porte des marques de cassure, marques intentionnelles et irréversibles
laissées par l'artiste.
Plus le regardeur est captivé par l'observation de ces étranges figures,
plus il sera saisi d'une sorte de vertige. Les effets illusoires des miroirs
déferlent autour de lui. Sa propre image afflue. Cette image démultipliée
indéfiniment devient parcellaire se décomposant, se fractionnant, se
déformant au gré des surfaces réflectives qui sont par moment accidentées,
fissurées ou rendues radicalement kaléidoscopiques. Cette image, qui ne lui
ressemble plus, investit de toute part l’espace, se confondant au corps
étrange des colosses. Progressivement, c'est une déstabilisante ubiquité qui
94
le gagne, ce sentiment d’être à la fois ici et ailleurs157, mais également d’être
un et multiple. Cette sensation de devenir autre par la multiplicité, de faire
rhizome avec l'espace et ces êtres colossaux.
Pour David Altmejd, le miroir est une matière fructueuse qui lui
permet d'introduire l'infini dans ses œuvres158. L’artiste affirme à ce propos
que lorsqu'il a commencé à utiliser les miroirs dans ses compositions, il
désirait créer des « espaces infinis ». Plus encore, cette manière lui permettait
de créer des espaces, mais également des structures sans fin, qui nous
paraissent animées de toute part : « I like the idea that a sculpture is like a
living organism, like a person – I like that it is infinite in all sorts of ways159 ».
En configurant les surfaces réfléchissantes de manière géométrique, voire
labyrinthique,160 celles-ci deviennent démultiplicatrices d’images,
intensifiant l’opulence et la richesse de la composition. Mais cette
multiplicité, qui sans cesse se prolonge dans un espace spéculaire délirant,
est aussi la condition aporétique par laquelle toute unité possible s'étiole.
En ce sens, nous n'avons qu'à penser, d'une part, à quel point l’éventail de
reflets que le regardeur-acteur crée dans Untitled, 2007 s’acharne à
transfigurer le décor ambiant tout aussi bien que le corps des géants et,
d'autre part, la mesure dans laquelle le décor en lui-même intervient sur sa
propre image, lui conférant contingence et instabilité. Dans les deux cas, la
consistance du réel semble céder du point de vue de celui qui « se » regarde.
Même notre propre reflet n'est plus garant de notre être. Car, si, au
quotidien, les miroirs sont un outil où se réfléchit l'image rassurante de
l'être, où nous nous observons et nous examinons dans notre forme
unitaire; au contraire, dans les œuvres de David Altmejd, les miroirs
157 Jocelyne Lupien, qui s'est penchée sur les différentes implications sensibles du miroir, parle à ce sujet de « l'expérience d'ubiquité » : « [...] être ici et là-bas simultanément, devant, derrière, à l'intérieur [...] et à l'extérieur [...] ». Jocelyne Lupien, Du sens des sens dans l’art actuel, Thérèse St-Gelais et al., L'indecidable : e carts et de placements de l'art actuel, Montre al, E ditions Esse, 2008, p. 93. 158 Michaël Amy, « Sculpture as Living Organism: A Conversation with David Altmejd » Sculpture,
vol. 25, n° 10 (2007), p. 26. 159 Ibid. 160 Voir par exemple les effets de miroir des figures 10 et 28.
95
deviennent un outil de dissolution. L'image de celui qui s'y regarde
occasionne une curieuse imposture : non seulement elle lui impose de se
démultiplier à l'infini, mais elle l’oblige également à se fondre au monde
aporétique qui l’entoure.
Selon nous, cette forme de dissolution est enjeu important à
considérer dans la transformation chez Altmejd. D'ailleurs, il est intéressant
de noter que ce même enjeu est l'un des effets du rhizome qui induit à une
condition essentielle du devenir. En fait, nous avions déjà avancé que, chez
Deleuze et Guattari, nulle part le devenir n'est pensé à partir de l'être, soit
comme un mouvement centripète qui se résout dans l'être et qui le pousse
à se transformer de manière évolutive. Il s'agit en fait de « ne pas être dans
l'être, mais dans la multiplicité possible [...]161 ». Ne pas partir de l'un, mais
de la multiplicité, car, quand l'esprit détermine un point, n’est-il pas sujet à
s’y arrimer? Tel un sédentaire, l’esprit n’a-t-il pas parfois tendance à
s'attacher à une région bien définie, c'est-à-dire son objet? Tout se passe
alors comme s'il ne suivrait que lui, comme s'ils fusionnaient en quelque
sorte, faisant alors abstraction de ce qui se passe autour, balayant les
événements qui ne s'y rapportent pas directement. Le rhizome tel que
conceptualisé par Deleuze et Guattari, lui, crée la mobilité, manière de dire
qu'il entraîne un certain type de nomadisme. Mais ce qu'il y a de
particulièrement intéressant chez Altmejd est qu'en diluant la consistance
du réel par ces jeux de miroirs et en nous situant au sein d'un monde
rhizomatique, il touche à un aspect peu traité par Deleuze et Guattari, c’est-
à-dire cette possible impression de déroute que peut provoquer le devenir,
mais aussi le rôle émiant que tient cette déroute (cet abandon du je et de
l'image unique) dans le processus de devenir. Bien plus qu'un modèle, le
161 Bernard Andrieu, « Révolution et Hybridité : Le transcorps », Le Portique, http://leportique.revues.org/1360, page consultée le 1er novembre 2010.
96
rhizome est ainsi véritablement un mode opératoire activement libéré dans
ses compositions.
D'ailleurs, il faudrait encore soulever une autre fonction du miroir
chez l'artiste, quelque chose de puissant dans l'utilisation de cette matière.
En cela, si le miroir détient le pouvoir de démultiplier, d'atteindre une
certaine multiplicité, il ne faut pas oublier qu'il a également la propriété de
capter les bribes de l'espace environnant. Lors de son entrevue avec Altmejd,
Michaël Amy faisait remarquer que le miroir semble fonctionner aussi
comme un conducteur, qui opère les contacts, les fusions entre les différents
éléments, donnant l’impression que les objets se fondent en symbiose les
uns dans les autres162. Dans The Index (figures 25 à 29), cet effet est
récurrent. Si l'installation elle-même se présente comme un métissage
impressionnant où loups-garous, hommes oiseaux, volatiles, écureuils,
moufettes naturalisées, fleurs, végétaux, géants, minéraux et champignons
de formes phalliques habitent le même espace, il se trouve qu’à même les
surfaces des multiples présentoirs miroitant ces divers éléments gagnent en
proximité. Non seulement leur présence se trouve intensifiée par les reflets,
mais ces éléments, maintenant imbriqués à travers les reflets se retrouvent
aussi indissociables les uns des autres, comme parties intégrantes d'une
symbiose généralisée. En fait, les miroirs agissent comme des outils de
capture, au sens deleuzien du terme, en ce qu'ils induisent à des
interfécondités inespérées, créant des « zones de voisinage » entre éléments
hétérogènes, pour reprendre encore une fois l’expression de Deleuze et
Guattari163. Ce faisant, non seulement ils ouvrent la porte à des
communications parmi les différentes composantes ou les divers statuts
ontologiques qui habitent l'univers d'Altmejd, mais établissent également un
162 Michaël Amy, loc. cit. 163 Robert Sasso et Arnaud Villani, dir., Le vocabulaire de Gilles Deleuze, Nice, Centre de recherche d'histoire des idées, 2004, p. 48.
97
contact lancinant entre le spectateur et cet univers164. Car, nous le savons
maintenant, le spectateur qui passe devant ces surfaces réfléchissantes ne
peut faire autrement que de voir son image s'amalgamer à cet
environnement luxuriant.
3.8 Systèmes proliférants
Ainsi, le rhizome chez David Altmejd n'apparaît pas que formellement
dans ses sculptures. Nous sommes d’avis qu’il serait d'ailleurs erroné de n'y
voir qu'une similitude structurale. En fait, ce qui est particulièrement
intéressant par rapport à son œuvre, c'est qu’elle nous amène au-delà du
rhizome ou, pour le dire de manière plus juste, qu'elle nous fait littéralement
entrer à même le rhizome. S'il en est ainsi, c'est selon nous parce que les
modes de composition de l'artiste (hétérogénéité, contrastes, miroirs...) sont
des moyens qui tendent à déclencher des mouvements d'ordre rhizomatique,
à forger des mondes capables de nous faire sentir le devenir.
Conséquemment, il semble que ce qu’Altmejd rend visible, ce n'est non pas
le rhizome en tant que structure qui supporterait le devenir, mais son
processus même, son pouvoir de prolifération. C'est donc ici le mode
opératoire du rhizome qui est mis de l'avant à travers les microcosmes que
construit l'artiste. Il nous met en contact avec son caractère fluctuant et
mouvant. Ce faisant, il nous amène, nous aussi, en tant que spectateur à
entrer dans ces mondes, à se confondre à lui.
S'égarer : voilà, selon nous, ce à quoi David Altmejd nous invite. Le
rhizome chez lui ne serait non pas une manière de représenter la
métamorphose ou le devenir, mais bien un moyen par lequel il réussirait à
164 À ce sujet, Jocelyne Lupien soutient que le miroir induit une « part d'indécidabilité [qui] réside dans la manière de laisser ouverte la représentation afin que nous puissions y jouer un rôle actif ». Jocelyne Lupien, op. cit., p. 97.
98
faire sentir le devenir. Pour qu'il se révèle à nous, il faut oser se confondre
à son processus, au risque de se perdre, au risque de dissoudre notre
individualité, il nous faut oser la continuité avec le monde. Il s'agit d'entrer
dans un devenir qui passe « entre les choses », apprendre à se mouvoir
entre165, mais aussi – et c'est peut-être là où le concept de devenir acquière
une portée toute particulière chez lui – de concevoir la possibilité d'une
énergie, d'une puissance globale qui circule entre les êtres : de penser le
monde dans ce qu'il a de plus mouvant en levant le voile des catégories.
Dans la production d'Altmejd, les frontières deviennent nettement poreuses
et elles sont ainsi constamment remises en question, car la transformation
chez lui ne peut se réaliser qu'au prix de cette perte de repères.
À cet égard, peut-être que l’œuvre d’Altmejd trouve justement sa plus
grande force en ce qu’elle possède cette fascinante capacité à nous faire
perdre nos repères. Lorsque nous pénétrons au cœur de ses paysages
bigarrés, nous sommes confrontés à un milieu ultimement irrégulier,
construit de réunions et d’unions inusitées. Il nous est alors donné à voir
des symbioses et des proliférations improbables, dont la viabilité nous
semble, au premier abord, impossible. Impossible, certes dans un monde
que nous appréhendons trop souvent par des taxidermies, impossible dans
un monde divisé par des ontologies figées – scindées, et découpées. Mais
l’univers d’Altmejd lui, est rhizomatique. Il file et fluctue au court des
rencontres qui s’y multiplient, si bien qu’il nous semble inenvisageable de
« figer le devenir » de ses compositions en instants ou en images fixes, en ce
que Maryvonne Perrot nommait « le tout fait » de la métamorphose166. Créant
des espaces qui agissent hors de nos attentes, l’artiste nous propose des
165 « Entre les choses ne désigne pas une relation localisable qui va de l'une à l'autre et
réciproquement, mais une direction perpendiculaire, un mouvement transversal qui les emportent l'une et l'autre, ruisseau sans début ni fin, qui ronge ses deux rives et prend de la vitesse au milieu ». Gilles Deleuze et Félix Guattari, op. cit., p. 37. 166 « Nous figeons le devenir de la nature en des instants qui nous empêchent de voir que le réel n’est qu’une incessante métamorphose; nous n’apercevons que des résultats, nous enregistrons le tout fait, nous n’atteignons pas le se faisant. » Maryvonne Perrot, L'homme et la métamorphose, Publications de l'Université de Dijon, 56, Paris, Société Les Belles Lettres, 1979, p. 65.
99
formes instables, chancelantes, il réussit à nous faire sentir les fluctuations
d’un monde erratique en exposant, pour reprendre l’expression de Perrot,
« le se faisant » de la transformation. Dès lors, nous pouvons envisager que
le langage visuel d’Altmejd nous induise à une compréhension du monde
qui ne reposerait nullement sur des conventions fixes, immuables ou
inflexibles. Ses œuvres luxuriantes nous amènent à penser qu’il pourrait
exister un mode d’appréhension autre du monde.
Étrangement, il y a quelque chose d'extrêmement réaliste dans
l'œuvre du sculpteur. Elle est intrinsèquement liée à la vie, à une réalité de
la vie qui n'est faite que de devenir, pour reprendre les propos de Bergson.
Une vie qui n'est que mouvement. Ce mouvement n’est plus divisible, n’est
plus assignable à des trajets où à des segments et c'est pourquoi il fallait les
distinguer d'une conception classique de la métamorphose pour en saisir
l'essence et toute la portée. Il nous fallait, en ce sens, sortir de la
représentation stricte du phénomène métamorphique pour pouvoir entrer
dans la réalité mouvante que propose Altmejd.
100
101
CONCLUSION
Dans l’univers d’Altmejd, la métamorphose n’est point représentée,
elle est créée; elle émerge d’entre les éléments, elle apparaît dans leur
conjonction, dans la possibilité d’une création continue, d'un devenir qui
propulse les formes au-delà de ce qu’elles nous semblent être dans la réalité.
Par sa production singulière, l’artiste démontre que, pour faire sentir la
métamorphose, il ne suffit point d’en exposer les résultats, mais plutôt d’en
exprimer le processus et il n'hésite pas à faire entrer le spectateur à même
ce processus.
S'il en est ainsi, c'est que, comme nous l'avons vu dans le premier
chapitre, David Altmejd conçoit ses œuvres en aménageant des systèmes. À
la base même de son processus de création, il se trouve que c’est le
fonctionnement de ces systèmes qui incarne l'impératif principal167. Il s'en
remet à l'intuition, se soustrayant à toute volonté, pour construire des
sculptures qui agissent comme des organismes vivants. Ce qui l'intéresse,
c'est de réunir divers objets, éléments et diverses références de manière à
créer des compositions complexes, mais qui agissent tels des organismes
autonomes. Comme il le raconte en entrevue : « à un certain moment dans
le processus de création, ce sont les matériaux eux-mêmes qui font leur
propre choix168 ». La sculpture tend à devenir un écosystème où une chose
en amène une autre. Ce qui est étonnant pour un artiste qui se considère
avant tout sculpteur est que, ce qui l’intéresse particulièrement, ce n'est pas
la sculpture en sa qualité d'objet, mais bien la sculpture comme être vivant,
comme organisme capable d'évolution et de transformation.
167 « Ma préoccupation a toujours été d'avoir l'impression de faire quelque chose de complexe qui
peut générer une énergie. Mon défi est de toujours continuer à créer quelque chose de vivant. »
David Altmejd, Éric Simon, « David Altmejd : Le biologiste de la destruction séduisante », ACTUART,
http://www.actuart.org/pages/david-altmejd-6423428.html, page consultée le 12 décembre 2012. 168 David Atlmejd, correspondance avec l’auteur, Montréal, mai 2009.
102
De plus, si la métamorphose est indissociable de l'œuvre de David
Altmejd, son langage visuel particulier, quant à lui, remet en question le
mode de représentation traditionnel de ce thème. Sa manière d'exploiter et
de développer la figure du loup-garou est d'ailleurs symptomatique de cette
rupture face à la représentation classique de la métamorphose. Quand, pour
représenter le lycanthrope, la tradition, d'ordre général, opère par un
morcellement des différents stades de la transformation de cette figure,
axant le plus souvent sur un moment précis de la métamorphose alors figée
dans le temps, Altmejd, lui, use d'une tout autre stratégie. La transformation
n'est plus évoquée par ce moment précis où l'homme bascule vers l'animal,
mais elle s'inscrit formellement dans la manière dont il met en scène le corps
des bêtes. Ces corps sont abordés comme de la matière vivante, et ce,
quoiqu'ils soient vraisemblablement morts. La force de ce paradoxe est qu'à
travers les corps pourrissants, le sculpteur exploite un état provisoire. Les
cadavres ravagés sont aménagés à la manière de terreaux fertiles. Ils
engagent et font naître une autre forme de vie, celle-ci extrêmement
irrégulière, mais pour le moins virulente. Ainsi, la métamorphose est non
plus pensée par le biais d'une représentation épisodique des changements
que subit le corps, mais par une approche où le corps lui-même devient le
creuset d'infinies possibilités.
Le traitement qui est réservé au corps dans le langage altmejdien est
essentiel pour la compréhension de son approche de la métamorphose. Il
nous fallait donc pousser l'analyse puisque, formellement, les figures que
façonne l'artiste se distinguent également de la tradition en ce qu'ils ne
répondent plus à l'image idéale que l'on peut avoir du corps. En fait, Altmejd
ouvre le corps, il en perce l'enveloppe pour en exposer l’intérieur. Par cette
ouverture, il nous incite à observer ce qui se passe dans l'abysse corporel.
Et alors que, de manière générale, le dépassement de cette frontière
(l'intrusion au-delà de l'enveloppe unificatrice qu'est la peau) mène à rompre
l'intégrité du corps et réfère à un manque face à la viabilité du corps, rendu
103
abject, les géants issus de l'imagination du sculpteur exposent quant à eux
une physionomie en puissance. L'ouverture du corps chez Altmejd, suivant
notre réflexion, n'éveille donc guère l'abjection, et si l'intégrité de ces figures
est transgressée, il semble que ce soit pour leur garantir une vie corporelle
intarissable et exacerbée. L'anatomie ouverte appelle ainsi à une conception
grotesque du corps au sens bakhtinien du terme. Une conception où le
corps, non plus circonscrit par ses limites physiques – intérieur et extérieur
–, adhère à une existence débordante et mouvante. Encore ici, c'est l'idée de
la sculpture comme organisme vivant et proliférant qui revient en
démontrant que même la figure du corps ne peut jouir d'aucune stabilité.
Elle est toujours « en chantier », puisque l'ouverture laisse présager de
potentielles mutations, évolutions, voire transformations. Pour Altmejd,
ouvrir le corps ne présage en rien une blessure, une tare indélébile qui en
mine le sens et la fonction; il est plutôt question de créer une ouverture pour
laisser passer ou, mieux, produire un corps imparfait, non fermé, de manière
à ce qu'il puisse mieux interagir avec le monde extérieur et se modeler
incessamment au rythme de cette interaction.
L'idée de l'ouverture du corps fonctionne de pair avec l'idée de
sculpture comme système ouvert. Nous avions donc le sentiment qu'il fallait
appliquer cette idée, mais cette fois à la conception même de la
métamorphose. En fait, le phénomène métamorphique qui habite les œuvres
de David Altmejd doit être conçu comme étant aussi instable que l'univers
auquel elles appartiennent. Il nous fallait alors saisir quel type de
mouvements animent ses œuvres et en déceler la nature. Ceci nous a
amenés à opposer la transformation altmejdienne à une conception de la
métamorphose comme passage ordonné d'une forme à une autre, car, chez
Altmejd, nous ne trouvons nulle part cet ordre. De toute évidence, ses
œuvres répondent d’une autre dynamique, niant la simple transition d'une
forme A à une forme B. En fait, nous retrouvions ici l'idée bergsonienne
selon laquelle un mouvement ne peut correspondre à son parcours. C'est-
104
à-dire qu'il est impossible de soustraire un mouvement à un « espace
parcouru169 » et que c'est le fruit de notre perception qui exerce une « coupe
immobile170 » et abstraite du mouvement, le réduisant à un segment, une
droite que nous pourrions décrire comme allant d'un point A à un point B.
Cette rigidité, cette structure définie entre deux points précis, nous avons
tenté de montrer qu’elle échoue à expliquer la transformation qui se trame
au sein des œuvres du sculpteur, puisqu'il est impossible de déterminer
d'où exactement naît la transformation et où elle aboutit. La prolixité du
langage de David Altmejd rend caduc ce découpage dans la mesure où il est
impossible d’identifier ni forme originelle à partir de laquelle émerge la
transformation ni forme terminale. Dans cet univers, tout se passe comme
si l'un est impossible. Le langage du sculpteur est toujours en excès sur lui-
même. Conséquemment, la conception de la métamorphose à laquelle il
s'adresse devait être abordée selon d'autres paramètres capables
d'embrasser la prolixité, mais également l’hétérogénéité de son travail aussi
bien que la valeur productive de cette hétérogénéité. Ce qui se trame entre
des éléments de différente nature, de différent règne est en quelque sorte la
pierre angulaire de la transformation pour Altmejd. Il s'emploie à exacerber
les rapports et les communications entre ces éléments. Pour lui, il s'agit
d'une question de tension. Il aime créer des contrastes entre les différents
matériaux et objets qu'il emploie pour provoquer ces tensions. C'est le
rapport relationnel entre les éléments, ce dialogue entre antagonismes qui
est la source du mouvement. Son mode de composition est une manière de
mettre les choses en communication, comme dans un circuit ouvert où
l'énergie circule sans cesse. Ainsi, en remplacement du modèle de la droite
où les transformations se font d'un point à un autre, nous avons dû
considérer un autre modèle, celui du rhizome, et plus spécifiquement le
rhizome tel que développé par Gilles Deleuze et Félix Guattari.
169 Henri Bergson, « Évolution créatrice », Œuvres : Textes annotés par Andre Robinet; Introd. par Henri Gouhier, Paris, Presses universitaires de France, 1963, p. 726. 170 Gilles Deleuze, L’image mouvement, Paris, Éditions de Minuit, 1983, p. 87, collection « Critique ».
105
Le rhizome, comme les sculptures d'Altmejd, réfère à un système
fulgurant et proliférant qui permet la création de nouveaux rapports, à
savoir une communication incessante entre différents éléments
hétérogènes. Mais la nature foisonnante du rhizome – qui déborde toujours
sur lui-même – est également d'un intérêt particulier, puisqu'il permet de
penser ces nouveaux rapports par-delà toute taxinomie et par-delà toute
compréhension de la transformation qui ne se ferait qu'à partir de l'être.
Ainsi, il nous a permis de saisir la valeur et la dynamique de cette prolixité
hétérogène qui prend place à même le langage altmejdien. En fait, en
embrassant la multiplicité, il nous plonge à même un système dans lequel
on ne s'adresse pas aux choses (ou aux êtres) selon leur forme, leur corps
ou la catégorie à laquelle elles appartiennent, mais bien selon leur
propension d'échange, de contact, de contagion les unes envers les autres.
Les interrelations que nous y trouvons, la manière dont les éléments sont
reliés les uns aux autres, mènent à une « zone d'indiscernabilité », un
« devenir autre », comme dirait Deleuze et Guattari.
Toute transformation chez Altmejd nous apparaît donc davantage
tributaire de ce devenir que de la métamorphose au sens classique du terme.
Car, pour Deleuze et Guattari, le devenir se propage par contact, par des
échanges créant des « zones de voisinage », une certaine symbiose entre deux
ou plusieurs règnes étrangers. Et c'est exactement cela que construit David
Altmejd. Il conçoit des lieux où les frontières sont éminemment poreuses,
où des éléments de tout acabit cohabitent au terme d'une insolite mais
harmonieuse communion. Il construit des univers rhizomatiques qui
fonctionnent comme des systèmes enclins aux proliférations, aux
contaminations, aux gestations illégitimes.
Toutefois, une particularité que nous relevons dans les œuvres de
David Altmejd est que c'est d’une certaine manière un rhizome en pleine
action que nous y retrouvons et non pas un rhizome comme structure du
devenir, tel qu'il semble être présenté par Deleuze et Guattari. Cela s'affirme
106
avec d'autant plus d'insistance quand nous considérons le caractère
immersif de son œuvre. L’artiste se plaît à faire pénétrer le spectateur à
même le flux déroutant du rhizome. Confronté à ses compositions aussi
luxuriantes que miroitantes, c'est à la fois l'espace environnant, la sculpture
comme élément physique et notre propre image qui fusionnent, ouvrant à
une intense mobilité. Il s'agit alors de ne faire qu'un avec la multiplicité, de
se trouver dans un espace où s'effrite « la solidité du monde réel », comme
le disait disais Roger Caillois.
Mais, à bien y penser, ce que David Altmejd remet également en
question n'est-ce pas le fait même que ce ne soit que par certaines
conventions abstraites que le réel peut faire preuve à nos yeux d'une
certaine solidité? En fait, par ses œuvres et par la manière dont celles-ci
nous affectent et interagissent avec nous, le sculpteur n'expose-t-il pas cette
mobilité comme étant la trame même de la réalité? Cette mobilité fut et est
encore aujourd'hui une question obsédante tant du point de vue
philosophique que du point de vue scientifique. Chez Henri Bergson, par
exemple, elle fut particulièrement marquante quand il écrivait que le « réel
n'est fait que de mouvement » et expliquait dans une certaine mesure que si
nous n'en sommes point conscients, c’est que notre perception du monde
ne se base pas seulement sur ce qui s'y trouve objectivement, mais
également sur des modèles qui définissent ce qui devrait s'y trouver171. Dans
l'Antiquité, certains mythes (particulièrement ceux qui parlent de la
métamorphose) renvoyaient à une conception fluide, voire mouvante du
cosmos172. Dans le système de croyances de la Grèce antique, nous
retrouvions donc cette genèse perpétuelle où « le naître s’oppose à l’être173 »,
171 Cette idée est la pierre angulaire de l’ouvrage Évolution créatrice. Henri Bergson, op. cit. 172 Francoise Frontici-Ducroux, L’homme cerf et la femme-araignée : figures grecques de la métamorphose, Le temps des images, Paris, Gallimard, 2003, p. 274. 173Michel Jeanneret, Perpetuum mobile : métamorphoses des corps et des œuvres, de de Vinci a Montaigne, Paris, Macula, 1997, p. 38.
107
et dans lequel l'homme doit trouver sa place, et paradoxalement y ériger ses
propres frontières.
Aujourd'hui, malgré le fait que la science au XXe siècle ait su lever le
voile sur cette mobilité et nous la rende théoriquement plus palpable –
pensons notamment à la mécanique quantique et à la théorie des
probabilités – il semble que se représenter concrètement ce mouvement
perpétuel comme substance même de notre réalité soit encore, pour
certains, un exercice périlleux. Serait-ce là le signe d'une hésitation à se
représenter nous-mêmes comme étant inconstants, pour ne pas dire d’une
hésitation à assumer soi-même cette part d'incertitude de l'être? Science et
philosophie sont des outils qui, en partie, convoquent cette incertitude,
remettant constamment les systèmes existants en question. Et plus que
nous le croyons, l’artiste participe lui aussi à ces grands questionnements.
Je me suis rendu compte que ce qui m’intéressait le plus, ce n’était pas d’apprendre les codes et un
langage, mais plutôt d’en inventer. Et le seul domaine où l’on encourage cela c’est en art.
David Altmejd
108
109
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FIGURES
Figure 1 – David Altmejd et Pierre Lapointe. Conte crépusculaire, 2011. Techniques mixtes, 8,5 x 14,5 m.
118
Figure 2 – David Altmejd et Pierre Lapointe. Conte crépusculaire, 2011. Détail, techniques mixtes, 8,5 x 14,5 m.
119
Figure 3 – David Altmejd et Pierre Lapointe. Conte crépusculaire, 2011.
Détail, techniques mixtes, 8,5 x 14,5 m.
120
Figure 4 – David Altmejd et Pierre Lapointe. Conte crépusculaire, 2011.
Détail, techniques mixtes, 8,5 x 14,5 m.
121
Figure 5 – Gian Lorenzo Bernini. Apollon et Daphné, 1622-1625. Marbre de Carrare, hauteur : 243 cm.
122
Figure 6 – Giovanni Battista Tiepolo. Apollon et Daphné, entre 1743-1744. Huile sur toile, dimensions : 96 x 79 cm.
123
Figure 7 – Théodore Chassériau. Apollon et Daphné, vers 1844. Huile sur
toile, dimensions : 53 x 25,5 cm.
124
Figure 8 – David Altmejd. Loup-garou 1, 1999 (premier plan). Loup-garou 2,
2000 (arrière-plan). Bois, peinture, plexiglas, système d'éclairage, plâtre, miroirs, pâte à modeler, polymère, cheveux synthétiques, acétate, Mylar,
bijoux, brillants, dimensions : 214 x 198 x 244 cm et 243,8 x 182,9 x 213,4 cm.
125
Figure 9 – David Altmejd. Loup-garou 2, vue d’ensemble, 2000. Bois, peinture, plexiglas, système d'éclairage, plâtre, miroirs, pâte à modeler,
polymère, cheveux synthétiques, acétate, Mylar, bijoux, brillants, dimensions : 243,8 x 182,9 x 213,4 cm.
126
Figure 10 – David Altmejd. Loup-garou 2, 2000. Détail.
127
Figure 11 – David Altmejd. Loup-garou 2, 2000. Détail.
128
Figure 12 – David Altmejd. The Settler, 2005. Bois, plexiglas, miroir, colle,
poile synthétique, paillettes, argile, fils, styromousse, lumière, dimensions : 142,24 cm x 335,28 cm x 228,60 cm.
129
Figure 13 – David Altmejd. The Old Sculptor, 2003. Bois, peinture, miroirs,
ciment, résine, cheveux synthétiques, fleurs synthétiques, polystyrène expansé, pâte à modeler, polymère, fil de fer, chaînes, papier, bijoux, perles, brillants, dimensions : 121,9 X 320 X 213,4 cm.
130
Figure 14 – David Altmejd. Aménagement des énergies, 1998. Table, chaises, plexiglas, bois, peinture, équipement audio, système d'éclairage, détecteur de mouvement, acétate, polyéthylène téréphtalate, polystyrène
expansé, cheveux synthétiques, dimensions variables.
131
Figure 15 – David Altmejd. L’Université 2 (The University 2), 2004. Bois, peinture, plâtre, résine, verre réfléchissant, plexiglas, fil de fer, colle,
dimensions : 271,8 x 546,1 x 640,1 cm.
132
Figure 16 – David Altmejd. The New North, 2007. Bois, styromousse, résine, peinture, Magic-Smooth, époxy, colle, miroir, poils de cheval, quartz, cristal,
fils, dimensions : 368,3 cm x 134,6 cm x 106,7 cm.
133
Figure 17 – David Altmejd. The Hunter, 2006. Styromousse, époxy, argile,
peinture, poils de cheval, plexiglas, miroirs, branches artificielles, cagoule de cuire, harnais de cuire, écuelles naturalisées, système d'éclairage,
silicone, quartz, pyrite, hémimorphite, aragonite, dimensions : 187,8 x 250 x 250 cm.
134
Figure 18 – David Altmejd. The Center, 2008. Bois, styromousse, époxy,
argile, résine, poils de cheval, fils de métal, billes de verre, plâtre, colle, plumes, yeux de verre, dimensions : 358,1 x 182,9 x 121,9 cm.
135
Figure 19 – David Altmejd. Untitled, 2007. Miroirs, plâtre, résine, paillettes, peinture, styromousse, poils de cheval, dimensions variables selon le lieu
d'installation.
136
Figure 20 – David Altmejd. Vues de The Untitled, 2007.
Figure 21 – David Altmejd. Vues de The Untitled, 2007.
137
Figure 22 – David Altmejd. Vues de The Untitled, 2007.
138
Figure 23 – David Altmejd. The Giant 2, 2007. Styromousse, résine, peinture, verre, miroirs, plexiglas, silicone, oiseaux et animaux naturalisés,
plantes synthétiques, pommes de pin, poils de cheval, toile de jute, chaînes, fils, plumes, quartz, pyrite, autres minéraux, bijoux, billes, paillettes,
dimensions : 254 x 427 x 234 cm.
139
Figure 24 – David Altmejd. The Giant 2, 2007. Détail.
140
Figure 25 – David Altmejd. The Index, 2007. Bronze, métal, styromousse, peinture, bois, verre, miroirs, plexiglas, système d'éclairage, silicone,
animaux et oiseaux naturalisés, plantes synthétiques, pommes de pin, poils de cheval, cheveux synthétiques, toile de jute, cuire, fibre de verre, chaînes,
fils, plumes, quartz, pyrite, autres minéraux, yeux de verre, vêtement, chaussures, monofilaments, bijoux, billes, paillettes, dimensions : 332,7 x 1297 x 923 cm.
141
Figure 26 – David Altmejd. The Index, 2007. Détail.
Figure 27 – David Altmejd. The Index, 2007. Détail.
142
Figure 28 – David Altmejd. The Index, 2007. Détail.
143
Figure 29 – David Altmejd. The Index, 2007. Détail.
144
Figure 30 – Hendrik Goltzius. La métamorphose de Lycaon, 1589. Illustration pour le livre I des Métamorphoses d’Ovide.
145
Figure 31 – Estampe allemande, 1722. Représentation cynocéphalique d’un lycanthrope.
146
Figure 32 – Lithographie pour Légende rustique de George Sand, 1858.
147
Figure 33 – David Altmejd. The Hole, 2008. Bois, miroirs, colle, plâtre,
styromousse, fils de métal, époxy, argile, résine, peinture, poils de cheval, plantes synthétiques, pommes de pin, verre, bille, quartz, œufs de caille,
brillants, coquilles d'escargot, dimensions : 291,47 x 883,9 x 518,2 cm.
148
Figure 34 Sandro Botticelli. La naissance de Vénus, 1485. Tempéra sur toi
le, dimensions : 172,5 cm x 278,5 cm.
149
Figure 35 – Édouard Manet. Olympia, 1863. Huile sur toile, dimensions : 130 cm x 190 cm.
150
Figure 36 – Auguste Rodin. Le penseur, 1902. Bronze, hauteur : 490 cm.
151
Figure 37 – John Deandrea. Susan, 1985. Polyvinyle/polychrome, grandeur
humaine.
152
Figure 38 – John Deandrea. Release, 1989. Polyvinyle/polychrome,
grandeur humaine.
153
Figure 39 – Jean Turco. Enzo. Modèle @rtis, photographie réalisée dans les
studios ITISphoto.
154
Figure 40 – Annie Leibovitz. Sting #9/40, 1985.
155
Figure 41 – David Altmejd. The Vessel, 2011. Plexiglas, chaînes, plâtre, bois, fils, monofilaments, peinture, époxy, résine, argile, gèle acrylique, quartz, pyrite, autres minéraux, colle, aiguilles, broche décorative, dimensions :
260,4 cm x 619,8 cm x 219,7 cm.
156
Figure 42 – David Altmejd. The Vessel, 2011. Détail.
157
Figure 43 – David Altmejd. The Vessel, 2011. Détail.
158
Figure 44 – David Altmejd. The Vessel, 2011. Détail.
Figure 45 – David Altmejd. The Vessel, 2011. Détail.
159
Figure 46 – David Altmejd. The Orbit, 2012. Plexiglas, miroirs, chaînes, fils de métal, ficelles, monofilaments, peinture, résine époxy, argile époxy, gèle
acrylique, cheveux synthétiques, yeux artificiels, plâtre, colle, dimensions : 185,4 x 642 x 167,6 cm.
160
Figure 47 – David Altmejd. Le ventre, 2012. Plexiglas, résine, noix de coco,
chaînes, fils de métal, ficelles, monofilaments, peinture acrylique, dimensions : 244,5 x 168 x 291,5 cm.
161
Figure 48 – David Altmejd. Le souffle et la voie, 2010. Plexiglas, chaîne, fils
de fer, monofilaments, peinture acrylique, argile époxy, gèle acrylique, dimensions : 246,4 x 259,1 x 396,2 cm.