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1
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FACULTE DE THEOLOGIE DE STRASBOURG.
MTHODE D INTERPRETATIONALLGORIQUE
A L'CRITURE-SAINTE
PRSENTE
A LA FACULT DE THOLOGIE DE STRASBOURG,
ET SOUTENUE PUBLIQUE! NT
J['t> Jaiuedi 18 juiffet iSS., ou 5
POUR OBTENIR LE GRADE DE BACHELIER EN THOLOGIE ,
PAR
L. M. ROUVILLE,BACHELIER S-LETTRES,
DE NIMES (DPARTEMENT DU GARD).
STRASBOURG,IMPRIMERIE DE G. SILBERMANN , PLACE SAINT-THOMAS, N
3.
1835.
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M. BROCH, doyen de la Facult. 4 '
MM. BRUCH,RICHARD,FRITZ,JUNG,
W i L LM ,
Professeurs de la Facult.
M. FRITZ, prsident de la Thse.
EXAMINATEURS:
MM. FRITZ.J u KG.
WlLLM.
La Facult n'entend approuver ni dsapprouver les opinions
particulires au candidat.
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METHODE D'INTERPRETATION ALLEGORIQUE
APPLIQUE
A L'ECRITURE-SAINTE.
INTRODUCTION.
Parmi les diffrentes mthodes employes pour expliquer lesSaintes
- Ecritures, l'une des plus clbres est celle qui prtendsaisir la
pense inspire au moyen des allgories et du sens mul
tiple. 'L''Allgorie, comme l'indique l'tymologie (xx y{, dire
autrechose) consiste exprimer une chose par le moyen d'une
autre.
Ce terme nous parat devoir tre pris dans son sens le plus gnral,
et embrasser dans sa signification les apologues, les fables,les
paraboles, les types, les emblmes, les symboles, les proverbes,
les nigmes.Quand , par les rgles d'une saine hermneutique ou par
le bonsens, il est reconnu qu'une chose est exprime par une autre,
que
dans un discours, un fait, un objet, un personnage, il y a
unevritable allgorie, l'usage de la mthode allgorique est
lgitime,et l'interprte devra s'efforcer de trouver sous l'enveloppe
du sens
naturel le sens cach et essentiel.
-
(OMais la mthode d'iaterprtatioa allgorique n'a pas t applique
la Bible avec les mmes conditions. On est parti du principe que
l'Ecriture avait un sens multiple; qu'outre la
significationnaturelle (grammaticale historique) il y avait dans
chaque pas
sage une ou plusieurs significations plus profondes, et en
consquence une foule d'interprtes se sont mis avec ardeur la re
cherche de sens cachs, l o rien n'indique la prsence de
l'allgorie, o le sens littral est suffisant, o le rcit historique
est
clair, simple, allant au but.L'usage de cette mthode remonte la
plus haute antiquit.Les juifs, aprs la captivit de Babylone,
ranimrent leurs esprances non-seulement en acceptant avec avidit
les promesses positives et certaines d'un Messie, mais encore en
sondant tous les
mots de leur antique loi, en dcouvrant dans le rcit de
leursdestines passes tous les dtails de leurs destines prsentes
etfutures 1. Les rveries mystiques et bizarres de la Cabbale 2
sont
connues. Les partisans de cette cole admirent le proverbe :
Qui-cunque dicit narrationes legis alium non habere sensum,
qurn
illius tantm historie , islius crepet spirilus 3.Le
Nouveau-Testament lui-mme prsente quelque trace d'interprtation
allgorique. Cette mthode fut employe avec plus oumoins de prcision
par les pres apostoliques; mais celui de tous les
anciens docteurs de l'Eglise qui la poussa dans ses dernires
limiteset lui donna des rgles et des principes systmatiques, ce fut
sanscontredit Origne.
Origne partant de l'ide platonicienne que l'homme se composede
trois lmens: le corps , l'me et l'esprit (y, ^xi >"/) cher
1 Seiler, JBiblische Hermeneulik. Erlangen 1800. p. 283. ss.
Rosenmllcr,Util. inlerpr. l. s. Hildbnrgh. i^g5. T. I. p. 17 et
88.
2 Matter , Hist. du Gnosl. T. I p. 94 et ss.
3 Seiler, p. a83.
-
(3)
cbe retrouver trois ltnens analogues dans l'Ecriture, et
admettrois espces de sens: le sens lilierai qui donne la
signification na-turelledes mots; lesens mural qui a rapport la
conduite, et lesens
mystique qui s'applique tout ce qui est spirituel et cleste1.
D'aprs Huet, il subdivise le sens mystique en allgorique, quand
ils'agit de passages de l'ncien-Testament prfigurant la
nouvellealliance; tropologique, quand l'histoire du
Nouveau-Testament est
applique la rforme des murs, et anagogique, quand il estquestion
de la vie future 2. Mosbeim admet seulement la distinctiondu sens
mystique en allgorique et anagogique: celui-ci se rapportant au
mondecleste, et celui-l au monde terrestre 3
La mthode d'interprtation allgorique travaille par unhomme tel
qu'Origne, fut regarde par les interprtes grecs et
latins qui suivirent, comme la meilleure clef pour ouvrir le
trsorde la Bible. La mthode grammaticale tait bonne pour ter
l'-corce de l'Ecriture, mais pour en savourer la moelle, il
fallaitpossder la science des allgories.
Basile -le -Grand, Grgoire de Naziance, Grgoire de Nysse,Hilaire
de Poitiers, Ambroise et surtout Augustin imprimrent
cette mthode le sceau de leur autorit4. Ce dernier pre admitpour
chaque passage la distinction de quatre sens, caractriss de
la manire suivante:
Lit tara gesta docet ; i/ud credas atlegoria,Moralis quid agas,
quo tendus anagogia5.
1 Origne, De prlncipiis. d. de la Rue. L. IV. T. I. p. 168.
llomil. 5 in
Levit. d. de la Rue. T. II. p. 209.
2 Haet , Observationes et not ad Orig. comm. T. III. p. 27.
3 Mosheim, Hist.eccls. Yverdan 1776. T. I. p. 286.* Richard
Simon , Hist. crit. des principaux comment, du N. T. Rotterdam'
1693.
ch. 7. 8. g. 14. 17.6 Jausseiis, Hermneutique sacre. Paris 1828.
p. 292.
-
(4)Dans le moyen ge, le principe du sens multiple continue tre
regard comme un axiome. Les interprtes, pleins d'un
respectsuperstitieux pour tout ce qui vient des Pres, ne font, pour
laplupart, que recueillir de longues chanes d'explications
allgoriques
des crits d'Origne et de ses imitateurs. Julien, archevque
deTolde, admet quatre sens difTrens pour chaque passage; lcuinen
compte trois, et ngelom, moine de Luxeuil, d'aprs les septsceaux de
l'Apocalypse, en admet jusqu' sept1.
La rformation, produite en partie par une meilleure exgse,influe
son tour sur la science exgtique. Une rvolution s'opre,
et enfin la mthode allgorique cde le pas une mthode
plusrationnelle. Elle ne se tient pas pourtant pour battue. Le
concile
de Trente, en dfendant d'interprter la Bible autrement que
nel'ont fait les Pres et les conciles2, autorise indirectement
l'usage
de l'interprtation favorite de l'ancienne Eglise. Les
rformateurs etleurs successeurs ont souvent cherch allier le
principe allgoriqueau principe historique et grammatical3. Cocceius
et son cole sontalls peut-tre plus loin que jamais personne en fait
de rveries,
et de nos jours mme plusieurs ouvrages tablissent ou
pratiquentla mthodes des allgories4.
C'est cette mthode qui a jou un si grand rle dans les
tudesbibliques, que nous voudrions essayer d'apprcier. En
chercherl'origine, en peser le principe et la prtention s'appuyer
sur
l'Ecriture, et en faire voir rapidement les dangers, telle est
latche que nous entreprenons.
On lsait: le rapport entre la manire d'expliquer l'Ecriture,
1 Malter , Ilist. de l'gl. i85o. T. IL p. 290 296.2 Canones et
decreta cne. Trid Sess. IV.
3 Math. Flacias , Claeiss s. s. T. II. p. 76 et ss.
* Voyez entre autres : Olshansen , Ein Wort tibtr tiefern
Schriftsinn. 1824. Kaiinc , Chrislus im Allen Test. 1818. Haldane ,
De l'vidence et de /'nul. de la
divin. rMl. T. I. p. 227 276. Risler , Hist.de FAne. Test.
Toulouse 1829.
-
(5)
et les dogmes et les prceptes qu'on en dduit, est intime.
Unemthode diffrente donnera des rsultats difTrens. Telle
croyance,telle pratique, tel dogme mme que les sicles se sont
transmis
de gnrations en gnrations, comme un prcieux hritage, peuvent tre
fortement branls, si l'on dmontre que cette pratique,cette croyance
ou ce dogme ont pris leur origine dans les dductions d'une fausse
exgse.
Le sicle o nous vivons est celui de l'examen. On ne veut
pluscroire, parce que ceux qui nous ont prcds ont cru; on veut
donner des bases rationnelles toutes nos croyances. Dans lesarts
et les sciences on soumet la critique les anciens principes,
on pse les mthodes usites, on reconstruit les systmes. On neveut
avancer que lorsqu'on s'est bien assur que l'on se trouvesur un
terrain solide. Et c'est l un vritable progrs. Or, un livre
existe, la Bible, qui depuis tant de sicles a fait les
destinesd'une multitude de nations, qui doit tendre sa
bienheureuse
influence sur toute la terre, et qui seul peut donner la paix
ces masses inquites et demandant une foi claire. Qu'il est
doncimportant de chercher comprendre la parole divine dans toutesa
puret! Examiner la manire dont les anciens interprtes l'ont
explique, peser leurs principes et leurs mthodes , en faire
ressortir la fausset ou la vrit, et ouvrir le chemin une inter
prtation exgtique appuye sur des bases lgitimes, c'est l unedes
tches les plus importantes et les plus ncessaires. Et qu'onne crie
pas l'impit; qu'on n'accuse pas le thologien de porterune main
sacrilge sur le sanctuaire! La manire d'expliquer la
Bible n'est point la Bible elle-mme. La vrit rvle est
invariable, mais la mthode exgtique peut varier chaque sicle.
Celle-ci est l'ouvrage de l'homme , celle-l l'ouvrage de
Dieu.L'une doit tre reue avec foi et humilit; l'autre peut tre
discule, combattue, approuve ou rejete. On manque peut-tre
de respect l'antiquit en voulant faire autrement que nos
pres
-
C6)
ont fait; mais le principe reconnu que l'humanit est
perfectiblejustifie assez ceux qui secouent avec prudence l'autorit
trop ab
solue des sicles passs. Le thologien ne doit pas craindre
d'attaquer les vieux prjugs de l'Eglise, de combattre les
mthodeserrones, de dblayer le terrain de la religion de toutes les
sub
tilits de la thologie: si ses travaux prsident la bonne
foi,l'amour de la vrit et la pit, lui aussi fera beaucoup
pourl'avancement du royaume de Dieu.
CHAPITRE PREMIER.
Origine de la mthode allgorique.
L'origine de cette mthode est multiple.I. Observons d'abord que
puisqu'elle a domin pendant tant desicles, et qu'elle a t du got
des savans comme des simplescroyans, il faut qu'il y ait eu elle
quelque chose qui soit eu rap
port avec la nature de l'esprit humain.L'homme, fortement soumis
l'influence de son lment matriel, est bien plus frapp par ce qui
tombe sous ses sens que par
ce qui s'adresse seulement sa raison. Tout ce qui se prsente sou
imagination avec des formes, avec des couleurs, avec une enveloppe
quelconque, agit bien plus sur lui que les abstractions etles vrits
intellectuelles exprimes d'une manire toute simple.
Le tableau frappant et lugubre de nos parens, de nos amis,
detant d'tres que nous chrissons, cruellement frapps par la mort la
fleur de leur ge, nous rendra bien plus srieux que celte
froide proposition : Nous sommes tous mortels.Il est encore des
mes doues d'une sensibilit dlicate, d'unsentiment religieux
pronfondment grav dans le cur. Elles
voudraient pouvoir se dlivrer des entraves du corps, pour
s'-
-
(7)
t \
lever plus facilement dans le monde spirituel et avoir
communionavec l'tre suprme. Elles trouvent un charme inexprimable
mditer dans le silence sur les bienfaits de Dieu; elles
cherchent
se mettre en rapport avec l'esprit d'en haut, ouvrir leur cur
ses inspirations; et dans ce mysticisme religieux, vritable
posie
du sentiment, elles gotent dj la joie des lus.Ce besoin de
l'imagination et du sentiment fut de bonne heureexploit par tons
les hommes d'un gnie suprieur qui voulurent
enseigner leurs contemporains des vrits d'une haute importance.
Ils se dclarrent sous une influence surnaturelle. Ils donnrent
leurs enseignemens la forme d'allgories, d'apologues, de
fables, d'emblmes; ils trouvaient par l un moyen de gagner
l'attention, et de mieux graver dans la mmoire des vrits qui,
exposes sans Ggures, auraient bientt chapp l'esprit. Les
potespersonnifirent les puissances de la nature, animrent les
objets
du monde les plus imposans, et peuplrent les cieux, la terre
etles eaux d'tres allgoriques. Chez les Grecs comme chez les Ro
mains, chez les disciples de Confucius, comme chez ceux de
Zo-roastre, les mystres d'un premier principe, de la cration , de
la
Providence, de l'immortalit, toutes les grandes vrits
religieuseset philosophiques furent reprsentes par des allgories
ingnieuses.
Les hommes d'tat en firent usage pour mettre leurs principes la
porte du peuple. Cyrus justifie un roi qui emploie la svrit
quand la persuasion est impuissante, en se servant de
l'apologuedu pcheur qui est forc de prendre avec ses filets les
poissons,devenus sourds aux sons desa flte1. Le peuple romain,
retir sur lemont sacr, se laisse flchir par l'adroit Mnnius qui lui
montre
la ruine des membres en rvolte contre l'estomac. Les
moralistesont souvent couvert du voile de l'allgorie le visage svre
de la
vrit; les ouvrages du Sage phrygien, de l'Affranchi romain,
de
1 Hrodote. Liv. II.
-
(8)
l'admirable Lafontaine sont immortels, parce qu'ils
instruisentavec le charme de la fable.
Il n'est donc pas tonnant que l'interprtation allgorique
desSaintes-Ecritures ait trouv faveur, surtout dans les premiers
sicles de l'Eglise. Le merveilleux tait du got du peuple.
Denombreux mystres semblaient faire ncessairement partie
d'unereligion. Plus une croyance frappait l'imagination, plus elle
taitreue avec avidit. Les chrtiens d'origine paenne taient
accoutums aux brillans emblmes de leur mythologie, aux crmonies
symboliques de leur culte, aux oracles mystrieux de leurs
devins. La doctrine de Jsus, dans son expression littrale, dutleur
paratre trop simple; le culte nouveau ne parlait point assez
leur sens ; la Bible, explique la lettre, ressemblait un
autrelivre. Ils furent donc ports rechercher dans la nouvelle
religion les symboles et les mystres dont leur esprit avait
besoin;ils interprtrent la Bible comme ils avaient interprt leurs
tra
ditions fabuleuses, et souvent, pour donner un aliment
uneardente pit, ils demandrent chaque phrase , chaque mot
des Ecritures, un enseignement mystrieux, profond, cleste.
Oncomprend que les hommes savans, qui expliquaient la
Parole,devaient ncessairement s'accommoder ce got universel
pour
les allgories; sous peine d'tre moins utiles la pit, ils
devaient,dans leurs homlies, aprs avoir donn le sens littral, en
venirau sens allgorique et mystique, qui seul tait regard
commel'essentiel, et attirait toute l'attention des fidles1. Et
encore de notre temps, o la raison a plus d'empire que
l'imagination, il estfacile de voir combien le peuple prend got une
interprtation
mystique et nouvelle qui pique sa curiosit et va davantage son
sentiment religieux. Plus vous dcouvrirez de types et d'allgories
religieuses dans l'ancienne alliance , et plus vous pourrez,
pour
1 Richard Simon , Hist. des principaux corn. du N. T.
Prface.
-
( 9 )ainsi dire, faire entrer le Nouveau-Testament avec ses plus
petits
dtails dans l'Ancien; plus vous serez got des fidles, amis de
cesmystrieux rapports.
II. D'autres causes plus spciales et moins louables oui donnlieu
notre mthode. Elle a t en particulier employe par
des hommes instruits qui, ne pouvant admettre ou dfendre tousles
enseignemens de l'Ecriture avaient recours l'allgorie comme
un subterfuge commode1.Chez les paens l'histoire des dieux et
des hros n'tait qu'untissu de faits, de rcits et d'enseignemens
bizarres, absurdes et sou
vent immoraux. Ces tres suprieurs, qui semblaient devoir donner
l'homme le type de la vertu morale, apparaissaient dans les
tradi
tions mythologiques comme ce qu'il y avait au monde de plusvil,
de plus corrompu, de plus criminel. Jupiter qui chasse impi
toyablement son pre de ses tats, Vnus qui excite la
dbauche,Mercure qui protge les brigands, Bacchus qui prside aux
orgiesles plus dgotantes, cette religion enfin qui favorisait
toutes les
passions, ne pouvait constituer la croyance de l'homme qui
rflchissait, et qui trouvait dans sa conscience des inspirations
bien
plus leves. Les philosophes qui, par leurs mditations,
s'levaient des ides plus justes et plus morales, et qui derrire le
nuage de
ces myriades de dieux et de desses apercevaient l'aurole
brillantede l'Etre absolu, immuable, source de tout bien et de
toute vertu,ces philosophes, dis-je, sentaient le vice et les
dangers de la
croyance vulgaire; ils en gmissaient profondment; mais ils
nepouvaient s'lever trop ouvertement contres les erreurs domi
nantes; ils avaient craindre la foule idoltre, superstitieuse
etpassionne. Ils ne pouvaient, sans craindre pour leur vie,
attaquer
des traditions enracines dans les esprits et aussi antiques
que
1 Theologische Studien und Kritiken. Hamborg. Jahrgang i85o.
Zweites Heft.
p. juj et 320.
-
C 10 )
l'origine des socits. Socrale buvant la cigu pour avoir,
disait-on,port la jeunesse l'impit, tait l pour les effrayer. Que
leurrestait-il donc faire ? C'tait de trouver et d'expliquer le
vritablesens de ces fables, ou de donner toute force une
significationfigure des rcits historiques , dont le sens naturel
tait intolra
ble. Ils n'anantissaient point ainsi les traditions populaires,
ilsne faisaient qu'en tirer un meilleur parti, tout en ayant l'air
de
croire au fond de toutes ces fables. Et le peuple les laissait
tranquilles1.
Ce fut par un motif analogue que les Juifs d'Alexandrie mirenten
honneur l'interprtation allgorique de leurs livres sacrs. Les
paens avaient pu lire leur code traduit en grec; et ds-lors
leursdogmes si nouveaux pour une foule idoltre, leurs crmonies
sibizarres, leurs prceptes souvent si peu naturels, avaient excit
la
drision gnrale; leur culte et leur dieu taient devenus l'objet
derailleries mordantes ; les philosophes combattaient leur
prtention possder la seule religion rvle, en extrayant de leurs
livres de
longues pages qui paraissaient indignes d'une inspiration
divine. Ilfallait donc parer ces attaques; et l'arme qui leur
paraissait la plussre, c'tait la mthode de tourner en allgories
tout ce qui, dansleur volume sacr, pouvait choquer les paens.
Aristobule donna leplus de vogue cette manire de dfendre la foi de
leurs pres. IL
alla plus loin: pour en montrer l'excellence, il essaya, dans
uncommentaire spirituel sur la loi, de faire voir que toutes les
brillantes spculations des philosophes grecs pouvaient se
retrouver
dans lesenseignemens de Mose; et l'on comprend combien souventil
dut tre forc de laisser de ct le sens naturel2.
Dans tous les sicles de l'Eglise et de nos jours encore,
l'interprtation allgorique a t occasione par cette impuissance
pr
1 J. A. Tnrrettin, De sacr s. interpretatione. Francoforli 1776.
p. n5.
2 Matter, Hist. du Gnost. p. 56 et ss.
-
tendue de dfendre l'explication littrale de tel livre, de tel
passage,de telle phrase de la Bible. Que d'efforts n'a-t-on pas
faits pourdonner un sens mystique et tolrable l'inceste de Lotb,
tant
d'antres scnes de la vie des patriarches qui paraissent peu
morales!Il n'y a qu' suivre de sicle en sicle l'interprtation du
Cantique
des Cantiques. Ce livre, dans son sens grammatical, prsente
lesdescriptions les plus voluptueuses de l'amour. Comment un
livre
canonique aurait-il un tel contenu? Et presque tous les
interprtesont entass allgories sur allgories pour arriver un sens
digne
de Dieu. Si vous tez, est-il dit dans le Mose dvoil, si voustez
la signification mystique des crmonies lvitiques, ne pourra-
t-on pas demander avec raison, quoi faire ces arcbes, ces
propitiatoires, ces tables, ces chandeliers, ces grils et tout cet
appareildu tabernacle? ' L'intention de ces thologiens peut tre
louable,
mais peut-elle se justifier?III. Ce qui peut encore avoir
conduit la mthode dont nous traitons, c'est la ncessit o l'on s'est
cru de faire concorder le contenu
de l'Ecriture avec des principes philosophiques ou religieux
adopts l'avance. Les noplatoniciens, par exemple, croyant que l'me
mane
de la divinit , avait en elle les principes de toutes les
connaissances,et que, pour les dcouvrir, il suffisait de
s'interroger dans le silencede la mditation , taient arrivs penser
que les grandes ides
philosophiques et religieuses, drivant d'une source commune,
devaient se retrouver les mmes dans tous les systmes de religion
et
de philosophie 2. De l leurs efforts pour coordonner tous ces
systmes et la ncessit de recourir aux allgories pour dcouvrir
lesmmes enseignemens dans les thories de Platon et dans les loisde
Mose, dans les traditions mythologiques de la Grce et dans
l'Evangile. Ce fut cette cole qu'Origoe puisa son grand
amour
1 Desbergeries, Le Mose dvoil. Genve 1760.
2 Mosheim , Hist. tccl T. I. p. i83 et a83.
a.
-
pour la mthode allgorique et qu'il apprit a faire dire
l'Ecrituretout ce que lui inspiraient son imagination et son gnie
inventif.
Dans l'Eglise chrtienne bien de fausses manires
d'envisagerl'Ancien-Testament ou certaines parties de ce livre ont
conduit au
mme rsultat. On s'est dit l'avance : le livre de l'ancienne
alliance a eu pour but de prparer la nouvelle; les aptres, et
leMatre lui-mme , ont reconnu que l'intelligence des oracles de
lapremire conomie conduisait la connaissance de la seconde ; doncil
faut expliquer l'Ancien-Testament par le Nouveau, donc le
Nouveau est tout entier dans l'Ancien 1. Et puis, sans bien
chercher comment la rvlation des Hbreux est vritablement lieavec
celle des Chrtiens, on laisse de ct le sens naturel, on tord
les passages; dans les vnemens, dans les paroles, dans les
personnages de l'Ancien-Testament, on veut, toute force, retrouver
les
personnages, les paroles et les vnemens du Nouveau. Ce rcitqui
vous parat si touchant, o vous voyez un homme religieuxvictime de
la jalousie de ses frres, vendu des trangers, triom
phant de la passion criminelle d'une femme, rcompens de savertu
par la charge la plus honore dans la cour du roi , et faisant
ensuite le bonheur de sa famille et de son peuple, ce rcit ne
reprsentera pas seulement les voies admirables de la Providence
,qui d'un ct protge l'homme de bien et de l'autre prpare les
destines temporelles du peuple hbreux, mais il devra
ncessairement, -par la volont de cette Providence,, avoir eu pour
principal but de prfigurer la vie du Christ. Si vous tez
l'histoire
de Joseph ce sens profond qui convient si bien pour tous les
dtails l'histoire de Jsus, vous en dtruisez toute la
sublimit,disent certains thologiens, vous en faites un rcit
ordinaire;
1 II afin, Theologische Sludien und Kritiken. i83o. T. III. p.
3ai. Risler ,Hist. de l'Ane. Test. L'autenr , dans sa prface , pose
le principe que dans l'Ancien-
Testament il faut toujours chercher Jsus-Christ , et Jsus-Christ
crucifie.
-
comme si dans la Bible le sens simple et naturel n'tait pas
assezbeau par lui-mme! Comme si ce qui est clairement enseign
n'tait pas assez profond , assez lev pour instruire l'homme sur
son
salut et le guider dans le chemin de la vertu ! On veut donner
l'Ecriture plus qu'elle ne prsente. Comme ces traducteurs quiprtent
des beauts leurs auteurs, ils veulent donner un nouvelclat la
parole divine; ils veulent tre plus sages que l'Espritsaint qui a
guid la plume des auteurs inspires!
IV. ces principales causes qui expliquent l'origine de la
mthoded'interprtation allgorique, nous pourrions en ajouter une
autre
qui montre pourquoi tant de docteurs de l'Eglise l'ont
pratiqueavec prdilection. C'est que cette mthode ne demande pas
beaucoup de science, beaucoup de rflexion, beaucoup de
connaissance
du cur humain1. Avec de l'imagination et un peu d'esprit il
estfacile de trouver pour un commentaire ou pour un sermon de
longs dveloppemens allgoriques. Les pages brlantes d'un
romansont plus faciles crire que les pages consciencieuses et
rflchies
d un bon ouvrage d'histoire ou de science. C'est ce que
reconnatsaint Jrme lui-mme quand il dit: Allegorice interpretatus
sutn
Abdiam, eu/us historiam nesciebam.Telle nous parat tre l'origine
de la mthode allgorique; origine qui, notre avis, n'en lgitime
point l'usage.
CHAPITRE II.
Du sens multiple.
Notre mthode s'appuie sur le principe du sens multiple, formul
ainsi : F'erba scriptur tantum ubique significant, quantum
significare possunt. Essayons d'en apprcier la valeur.
1 Ernesli , Institutio interpretis N. T. Lipsi 1761, partis
secnnd, cap. IX.
. 5. Tnrretin , De S. S. int. p. i a3.
-
( 4)Sans doute, si Dieu avait voulu, il aurait pu faire que
chaquemot de la Bible et plusieurs sens galement itnportans, et il
aurait
eu soia de nous ea avertir, et de nous apprendre trouver danssa
parole tout ce qu'elle peut contenir. Mais n'ayant aucune
dclaration positive qui justifie le sens multiple, nous devons
nousen tenir la nature des choses.
Le sens d'un mot, d'un discours est ncessairement l'ide
oul'ensemble d'ides, que celui qui parle ou crit veut attacher
ce
mot ou ce discours.Un mot peut tre employ dans son sens propre
ou dans son sensfigur. Le premier est celui pour lequel il fut
invent; le secondest celui qu'il a emprunte pour rendre une ide
analogue celle
qu'il dut exprimer dans son origine.De mme un discours peut
avoir un sens propre ou un sensfigur. Le sens propre est celui
auquel donne naissance la signification naturelle des mots. Le sens
figur est un sens analogue aupremier, et que celui-ci est destin
faire natre dans l'esprit.
Maintenant l'usage est l pour nous apprendre que toujours
unmotet un discours ne sont employs que dans le sens propre ou
danslesens figur; que si le sens propre conduit aune absurdit ou
une
invraisemblance, c'est le sens figur qu'il faut prendre, et que
celui-ci ne doit tre admis que lorsqu'il parat ncessaire 1. Il
pourra bienarriver que dans quelques cas trs-rares on sera en doute
poursavoir lequel de ces deux sens il faut donner un passage.
Lesrforms prendront au figur ces paroles de la cne: Ceci est
mon
corps; les catholiques les expliqueront la lettre. C'est au
contexte,c'est au bon sens, c'est l'hermneutique dcider la
question;mais toujours nous semble-t-il qu'on ne doit reconnatre
qu'un
sens unique2.
1 Ernesti, Inst. int. N. T. Partis primas. Sect. i.c. i.2 La
thorie des prophties double accomplissement ferait-elle exception
cette rgle, ainsi que celle du sens allgorique de quelques types
lgaux....? Le
-
Que serait, en effet, un livre o toute histoire serait double
outriple, o chaque parole aurait un sens cach, o chaque personnage,
chaque nom propre, chaque mot enfin, serait une nigme
deviner, et encore une nigme laquelle on pourrait
donnerplusieurs solutions galement plausibles?
Sans doute l'homme qui est dans le dlire peut faire entendredes
discours dsordonns, se perdre en phrases dcousues et susceptibles
de plusieurs sens; mais on sait bien l'importance qu'on
attache ses paroles. Sans doute, un auteur ingnieux peut vouloir
amuser ses lecteurs en leur exposant des rcits nigmatiques,en
excitant leur esprit par le choix faire entre plusieurs
significations galement probables et galement piquantes. Sans
doute,
un oracle imposteur peut donner des rponses ambigus et
quel'vnement est sr de justifier : les gens clairs savent quoi
s'entenir.
Mais un livre qui ne se propose nullement de plaire et d'amuser,
un livre srieux qui traite des sujets les plus graves et lesplus
importans, un livre qui peut faire le bonheur ou le malheurde ceux
qui l'tudient, peut-il et doit-il tre crit d'une manire
nigmatique, obscure, sens multiple?Un code de lois dont chaque
article pourrait s'interprter deplusieurs manires diffrentes et
souvent opposes, serait un mauvais code; il autoriserait tous les
abus, le juge s'en servirait pour
punir l'innocent et sauver le coupable. Un dit qui ne ferait
connatre que d'une manire ambigu la volont d'un prince, seraitdes
plus dangereux. Un ami qui vous donnerait des conseils qu'ilvous
serait impossible d'exactement comprendre , manquerait de
bonne foi votre gard.Mais qu'y a-t-il de plus important qu'un
livre qui contient la
principe da sens multiple, restreint ces cas particuliers,
aurait bien perdu de
sou invraisemblance.
-
( 'S)
parole divine, qui annonce la volont du ciel, qui doit
dirigernotre conduite, et nous amnera notre salut ternel? Certes,
si
un conseil, si un dit, si un code doivent tre exposs
clairementet sans ambigut, combien plus un livre tel que la Bible,
doit-iltre dpouill, du moins dans les points essentiels, de
pagesamphibologiques, captieuses, difficiles et impossibles bien
comprendre?
Eh quoi! j'ouvre le livre de la rvlation; j'y cherche les
preuvesde sa divinit; je lui demande les moyens de mon salut; et
cela,il faut le trouver au-dessous de l'enveloppe de la lettre! Un
v
nement qui montre la manifestation providentielle de Dieu,
unprcepte qui, dans son sens naturel, me dvoile la sagesse du
lgislateur, un patriarche dont la vie me touche et m'instruit,
ne
doivent m'intresser que par le rapport prtendu qu'ils ont avecla
nouvelle alliance! Ce qui doit faire mon salut, ce qui doit
donner mon me sa nourriture spirituelle, je ne suis pas srde le
trouver; ou bien, pour y arriver, j'ai suivre une marchearbitraire
qui mne difFrens rsultats! Un tel livre serait unprsent fatal aux
hommes; et la divinit aurait trouv un plaisircruel leur commander
de chercher dans sa parole ce qu'ils neseraient pas srs de
dcouvrir!
Mais la parole divine, nous objectera-t-on, ne sera-t-elle
pasplus profonde que la parole humaine ? La pense rvle
nesera-t-elle pas plus tendue, plus mystrieuse, plus
significative
que la pense si troite, si borne, si confuse de l'homme?Sans
doute, les vrits ternelles, les vrits absolues, les
vritsmystrieuses qui appartiennent au Grand-tre, sont immenses
et
dpassent la porte de notre entendement. Mais qui peut
nousassurer qu'il ait voulu nous les rvler dans toute leur
profondeur, qu'il ne se soit pas born nous faire connatre la
portionseule de ses mystres que nous tions en tat de saisir, et qui
taitsuffisante pour notre salut? Et la portion qu'il lui a plu de
nous
-
('7 )
manifester, aurait-il voulu la couvrir d'un voile difficile ou
impossible soulever?
Nous pouvons nous abuser; mais il nous semble que c'est
avecbeaucoup de hardiesse qu'on veut donner l'Ecriture un
sensqu'elle ne prsente point naturellement. Quel grand avantage
trouve-t-on ce que tel vnement de l'Ancien-Testament en
reprsente un autre du Nouveau; que tel nom propre indique un
mystre vanglique, que tel patriarche soit la figure de
Jsus-Christ? La foi des contemporains n'en tait pas augmente,
puisqu'ils ne connaissaient pas ce qui tait figur. Les Juifs seuls
pu*
rent tre amens au christianisme, par quelques rapports
frap-pansque, d'aprs leur habitude d'interprter leurs livres
sacrs,ils regardaient comme des preuves de l'autorit de la nouvelle
religion. Pour nous, grces en soient rendues Dieu, nous avons
d'autres preuves qui nous tmoignent puissamment de la divinitde
la Bible. La doctrine de Jsus, si conforme notre nature et
nos besoins, une prophtie videmment reconnue, nous montrentbien
plus le doigt de Dieu que tous ces rapports fugitifs et arbi
traires.
CHAPITRE III.
Des preuves tires de VEcriture-Sainte en faveur de la
mthodeallgorique.
11 est vident que si l'Ecriture-Sainte recommandait cette
mthode, comme on l'assure, il faudrait l'admettre avec humilit.Mais
examinons les passages sur lesquels on s'appuie, et voyons
s'ils ont la porte qu'on leur donne.Ces passages sont de deux
classes; les uns qui, par des dclarationsgnrales, semblent
recommander la mthode des allgories; les
autres qui paraissent la mettre en pratique.3
-
Dans la premire classe on met d'abord i Coriath. 10, 6. M.a Or
ces choses oat t pour nous desfigures, ** Toutes ces
choses leur arrivaient pour servir defigures, W * Paul veut,dans
ce chapitre, loigner ses lecteurs des dangers que leur prsen
taient les repas consacrs aux idoles. Il leur rappelle pour cela
cequi est arriv leurs pres qui, ayant reu comme eux des
grcessignales de la Providence, ont cependant pch contre Dieu.
Paul ne voit pas dans la transgression de leurs pres une
figurede la transgression des chrtiens qui sacrifieraient aux
idoles, mais
une leon dont ces derniers doivent profiter. Aussi dit-il au v.
11 :Ces choses sont crites pour nous instruire. Le mot T doit
doncrecevoir dans le passage allgu le sens de exemple, leon.
Coloss. 2, 17: Car ces choses n'taient que l'ombre de cellesqui
devaient venir, mais le corps en est en Christ. L'aptre recommande
de ne condamner personne au sujet du manger ou duboire, ou pour la
distinction d'un jour de fte ou de nouvelle lune.
Il appelle les prceptes de l'ancienne loi qui amenaient ces
condamnations, des ombres , ftuts ; c'est--dire des prceptes d'une
im
portance presque nulle en comparaison des sublimes
enseignemensde l'Evangile. Le mot
-
( -9)rituelle et mystique. Evidemment ce passage ne peut avoir
ce
sens. D'aprs le contexte, la lettre, y/i^.*, c'est la loi de
Mosequi porte des sentences de mort contre ceux qui ne
l'observent
pas, et l'esprit, mm/*, c'est l'Evangile, qui donne la vie
ternelle ceux qui croient1.
II ne nous semble donc pas qu'on puisse avec raison infrer deces
passages que des objets ou des vnemens de l'ancienne al
liance aient t destins figurer des objets ou des vnemens dela
nouvelle. Ils indiquent seulement des rapports de ressemblanceou
d'infriorit entre les deux conomies; mais ces rapports tien
nent la nature ds choses.La seconde classe de passages que nous
ne pouvons numrerici, renferme ceux o certaines paroles , certains
traits de l'ncien-
Testament sont cits dans le Nouveau dans un sens diffrent de
celuio conduit l'interprtation ordinaire. Ainsi, dans Matb. a, i5,
ces
paroles d'Ose 1 1, i : * J'ai appel mon fils hors d'Egypte sont
appliques Jsus-Christ, tandis que le prophte ne parle que du
peuple
d'Isral. De telles applications se retrouvent tout moment dansle
Nouveau-Testament. Mais les passages de ce genre, que les par
tisans de l'interprtation allgorique donnent comme la
pierreangulaire de leur difice, sont les suivans:
i Corinth. 9, 9. Paul, pour faire voir que le ministre de
laparole divine doit vivre de sa prdication, s'appuie sur ce
prcepte
de la loi: Tu n'emmuseleras point le buf qui foule le grain.
*Gai. 4 22 et suivans. Dans ce passage, Paul dit positivementque
l'histoire d'gar et de Sara doit s'entendre allgoriquement:Ara KTI
MnyeftvfUt
-
(20)
Comment douter de l'excellence de fa mthode allgorique,
nousdisent les thologiens qui la dfendent, lorsque les aptres
eux-
mmes l'ont employe, lorsqu'ils s'en servent pour tablir des
vrits de la plus haute importance?
Nous observons d'abord qu'en admettant mme l'existence dessens
typiques et allgoriques, nous concevons que les aptres,
aids d'un secours surnaturel, pouvaient facilement les
dcouvrir;mais qu'il n'en est pas de mme des interprtes passs et
modernes,qui ne peuvent nullement prtendre la prrogative de
l'inspiration.
Mais essayons de nous faire une ide juste de la nature de
larvlation, et voyons si nous ne pourrons pas nous expliquer
quelle
a t la marche des aptres et de Jsus-Christ lui-mme en appliquant
ainsi certains passages de l'Ancien-Testament.
Quand on parle de rvlation, d'enseignemens inspirs par l'esprit
de Dieu lui-mme, on s'attend n'y trouver que des chosestoujours
leves, toujours grandes, toujours sublimes; il semblequ'on doive
entendre la voix de Dieu, parlant l'arme des
cieux; la Bible, d'aprs un sentiment naturel et bien
louable,semble ne devoir contenir que du divin.
Cependant, en y rflchissant, on reconnat bientt que ce livrene
pouvait recevoir toute la perfection absolue que rveille ennous
l'ide de son auteur. L'un des attributs que l'homme se plat
magnifier dans son Crateur, c'est la sagesse, cette sagesse,
par
laquelle la Providence, dans ses conseils admirables, sait si
biencombiner les moyens avec le but qu'elle dsire. Si Dieu
voulantclairer les hommes leur avait adress le langage qu'il
adresse auxanges qui entourent son trne, toutes les intelligences
clestes
doues de facults suprieures aux ntres, son langage n'auraitpas t
compris de nous. Comment l'homme, qui est sous l'influence
de la chair, dont l'esprit est si born, dont le cur est souvent
sicorrompu, comment pourrait-il avoir des oreilles pour
entendre,
des yeux pour voir, de l'intelligence pour saisir la vrit
absolue?
-
(ai )
II fallait que Dieu se mt sa porte, qu'il mesurt ses
enseigne-mens sur l'tendue de son intelligence, qu'il approprit sa
rvlation aux temps et aux peuples diffrons; en un mot, il fallait
qu'il
s'accommodt toutes les circonstances dans lesquelles l'hommese
trouvait plac.
Qu'on lise, en y rflchissant tous les livres de
l'Ancien-Tesla-ment, etcette accommodation paratra vidente depuisla
premire
page jusqu' la dernire. Si on n'en tient pas compte, on risque
dene pas saisir le but d'une foule d'institutions et de prceptes
qui
se trouvent en particulier dans le Penlateuque*. mesure que
lanation choisie se dveloppe, cette accommodation devient moins
ncessaire , et est, en effet, moins employe. Elle ne cesse
jamais
compltement. La rvlation que nous apporte Jsus est encorebien
marque de l'empreinte de l'poque, du pays et des hommesqui la
reurent d'abord. Le Sauveur lui-mme s'accommode sou
vent aux circonstances: il ne dclare pas d'abord qu'il est le
Messiepromis; il se soumet la loi de Mose, en dclarant seulement
qu'il
est venu l'accomplir; il ne heurte pas de front les prjugs de
sanation; il ne dclare que vers la fin de sa carrire ses aptres
qu'il doit mourir sur une croix.Maintenant, en admettant comme
suffisamment tablie cettethorie de l'accommodation, restreinte
toutefois dans de sages li
mites, nous croyons pouvoir soutenir que la manire dont
Jsus-Christ et les aptres appliquaient certains passages de
l'Ancien-Testament n'est qu'un cas particulier de l'accommodation
gnrale.
Les Juifs, au temps de la prdication de l'Evangile, avaientpour
leurs livres sacrs un attachement qui allait quelquefois
jusqu' la superstition. Non-seulement ils en recevaient avec foi
etjoie les enseignemens, mais encore ils en adoraient, pour
ainsi
dire, la forme matrielle. On sait ce que furent dans la suite
les
Cellerier , Introduit. anc. Test. Gnre i83a. p. 386
-
( 22 )
Mazorles, occups pendant plus de six sicles compter les lettres,
les mots et les phrases de la loi, examiner scrupuleusement
toutes les formes varies des caractres. La Bible, en effet,
taittout pour ce peuple malheureux. L il voyait son antique
gloire,le choix glorieux que Dieu avait fait de ses pres; l il
trouvaitles promesses positives d'uu meilleur avenir, d'un
Librateur qui
rtablirait Isral. La Bible tait pour lui le livre sybillin par
excellence. La nation, les familles, les individus le
consultaient
l'envi dans toutes les circonstances importantes. On ne se
bornaitpas y prendre ce qui tait clairement enseign; mais on y
re
cherchait, la faveur des allgories, ce qu'une
interprtationgrammaticale avait peine y trouver. On voulait lire
dans l'histoire du pass celle de l'avenir. Une simple ressemblance,
un rap
port quelconque entre les hommes, les vneraens, les objets
d'autrefois et ceux du prsent, tait un oracle providentiel. Tout
raisonnement qui s'appuyait sur un tel rapport, que le passage
et
en vue ou non l'objet en question, tait pleinement
victorieux.Les sentences et les beaux traits de la Bible taient
gravs dansle cur et dans l'esprit des Hbreux; celui qui savait les
appli
quer la circonstance du jour, tait un homme vers dans
lesEcritures. On citait les passages de la Bible comme nous citons
un
vers de Virgile ou une sentence de Cicron, quand nousy voyonsun
moyen de mieux rendre notre pense. L'Ecriture l'a dit! ou sim
plement il est crit! Ces mots produisaient un effet magique;
lepeuple s'inclinait et croyait.
Ce que nous disons ici est confirm par les ouvrages des
Juifscontemporains de Jsus et des aptres, par les paraphrases
chal-daques, le midraschim ou commentaire allgorique, par les
ouvrages de Josphe et de Philon. Nous ne rappellerons ici
qu'unpassage de Josphe qui rapporte qu'on ne regardait comme
sages
parmi les Juifs que ceux qui avaient acquis une grande
connais
-
(33)
sauce de la loi, et qui pouvaient dvelopper la force, la
vertudes livres sacrs 1.
Maintenant, nous le demandons, qu'y a-t-il d'tonnant
queJsus-Christ et ses aptres, ayant prcher la nouvelle rvlation un
peuple si fortement attach a loi, se soient accommodes
ses habitudes intellectuelles, et aient quelquefois donn des
passages de l'Ancien-Testament un sens allgorique? Cette accom
modation tait ncessaire. Pour attirer l'attention des Juifs,
pourles disposer en faveur de la vrit vanglique, il fallait leur
fairevoir les nombreux rapports qu'elle avait avec la loi de Mose
etles crits des prophtes. Les vritables prophties, le but gnral
de l'ancienne conomie de prparer la nouvelle, ne leur eussentpas
su (H; il leur fallait des ressemblances frappantes,
nombreuses,mystrieuses, prsentes de leur manire et d'aprs leur
got.
Ces mots: afin queft accomplie lEcriture, qu'il y et
vritableprophtie ou simple rapport, taient le plus souvent un
argument
irrcusable. Aussi voyons-nous tout moment dans le
Nouveau-Testament des citations faites dans un semblable esprit. Et
sur
tout, remarquons-le bien , c'est dans les livres adresss
principalement des Juifs, des Juifs ignorans et aveugls par des
prjugs, que cette mthode est le plus suivie. La premire moiti
de
l'ptre aux Hbreux, consacre prouver la divinit de Jsus-Christ,
ne contient que des raisonnemens la manire des Juifs,et qui,
employs aujourd'hui pour dfendre une cause, pourraient lui tre
dfavorables. Qu'on ne s'tonne donc plus de trou
ver dans l'Evangile des citations qui n'ont pas dans
l'Ancien-Testament le sens qu'une sage critique leur donne
naturellement;
et surtout qu'on comprenne pourquoi saint Paul, s'adressant
auxCaltes, dpourvus de sens, leur montre la supriorit de la
1 Josphe , Antiq. jud. L. XX. ch. dentier.
-
nouvelle alliance sur l'ancienne par l'allgorie d'Agar et de
Sara1.
CHAPITRE IV.t
Dangers de la mthode allgorique.
Nous serons bref sur cet article, parce qu'il ne faut qu'un
peude rflexion pour reconnatre le mal que peut faire une
tellemthode.
\Ellena riend'arrt. L'interprtation, d'aprs la
grammaire,l'histoire et des principes prouvs, conduit des rsultats
certains;ils peuvent bien tre quelquefois contests, mais dans le
plus grand
nombre des cas, ils sont galement admis de tout le monde.
Aucommencement Dieu cra le ciel et la terre. " La grammaire
la main et le bon sens pour guide, vous ne pourrez jamais
donnerqu'une signification cette phrase. Il n'en sera pas de mme
avec lamthode allgorique: dans celte simple phrase, vous pourriez
dcouvrir de profonds mystres. Vous devrez toujours
rechercherplusieurs sens diffrens; mais ces sens, il n'y aaucune
rglequi vous
indique comment vous pouvez les trouver, jusqu' quel nombreil
faut les porter, de quelle manire on peut les apprcier.
2 Ellefavorise l'esprit de parti. II s'en suivra que ce sera
lamthode avoue d'un dogmatisme passionn. Vous avez une opinion
thologique faire prvaloir; vos adversaires s'enfermant
dans le sens d'une interprtation rationnelle, vous tes
impuissantcontre eux eu vous servant de leurs armes; mais voici que
lamthode allgorique et mystique, si heureusement trouve, vient
votre secours, et vous met en main de nouvelles armes, selon
1 Saint Paul nous explique lai-mme dans quel esprit il citait
ainsi l'Ecriture :
Je me suis montr Juif avec les Juifs pour gagner les Juifs. ...
( 1 Corinth. 10 , 1Q.)
-
vous, irrsistibles. Mthode chrie, par laquelle on est sr de
pouvoir faire dire la Bible tout ce que l'on veut!
5* Elle nuit aux tudes. De plus, elle est attrayante; elle
nedemande pas des travaux approfondis; il ne faut qu'un peu
d'imagination et d'esprit, et alors on trouve des trsors de
mystres,
une abondance infinie de sens nouveaux, piquans,
rveillantvivement l'attention du lecteur ou de l'auditeur. Que
d'autress'occupent d'apprendre les langues anciennes, d'tudier les
com
mentaires, de se livrer un examen long et consciencieux,
pourn'arriver qu' une signification platement historique; pour
vous,
vous aurez l'avantage de trouver bien vite sur un chapitre
donndes dveloppemens curieux, et, s'il est ncessaire,
interminables.
4 Elle manque de respect la Bible. Oui , mais que devient
laBible avec votre interprtation arbitraire? Quel rle lui
faites-vousjouer? Le rle d'un homme plusieurs langues. Vous en
faites
le jouet de votre imagination, le thme de vos rveries. Vous
cherchez embellir, orner, enrichir la majestueuse simplicit dela
parole de Dieu. Que diriez-vous d'un ami qui, recevant de vousune
lettre parfaitement claire, en dduirait, force de subtilits
des propositions diffrentes ou contraires celles que vous
aviezdans l'esprit?
5 Elle rend la Bible inaccessible au peuple. Tout le monde,avec
tantsoit peu deculture intellectuelle, peut comprendre facilement
les magnifiques enseignemens de Jsus-Christ et de
l'Ancien-Testament , ceux du moins qui sont ncessaires au salut ,
quand on
les interprte de la manire la plus ordinaire. Mais si vous
attachez la vritable intelligence de la Parole la dcouverte des'
sens
cachs, le peuple est priv du bienfait de cette Parole, parce
qu'ordinairement il ne se croit pas assez de sagacit et de gnie
pour se
livrer la recherche de ces sens sublimes.6 Elle est trs propre
faire des incrdules. Enfin, si celtemthode contribue votre
dification, Dieu en soit lou! Mais ne
4
-
(a6)prtendez pas imposer aux autres l'explication que TOUS
donnez
de la Bible. Les ennemis de la rvlation sont autour de
vous,vigilans et prompts profiter de tous les endroits faibles que
vousleur prsenterez. On a beau s'lever contre la raison, c'est
toujours (a raison qu'il faut revenir. Allez eux avec vos sens
allgoriques
et dites-leur que dans l'adultre de David avec Batbscbab il y
aun grand mystre, et ils rejetteront la Bible et vos sens
allgoriques. Ou ne peut s'imaginer combien cette fausse mthode
d'in
terprtation a fait d'incrdules. Toutes les fausses religions ont
employ cette mthode : les paens et les hindoux allgorisaient;
lesmahomtans allgorisent. Les chrtiens allgement aussi; doncle
christianisme ayant besoin pour se soutenir d'employer les
mmes armes que les religions paenne, indienne, mahomtane,doit
tre rang dans la mme classe que ces dernires. Pour notre
part, nous excusons le souris moqueur qui nat sur la bouche
desincrdules, en lisant des interprtations telles que celles
dontnous allons citer quelques exemples.
Gdon (Juges VII) choisit trois cents soldats pour attaquer
lesennemis d'Isral. Augustin pense que ces trois cents hommestaient
une figure de la croix de Jsus-Christ mourant pour nous,
parce que la lettre T des Grecs qui signifie trois cents, est
faitecomme une croix. Avant Augustin, Ambroise et Clment
d'Alexandrie avaient vu dans les trois cent dix-huit serviteurs
d'Abrahamune figure prcise de la croix; parce que trois cents
s'exprimeavec la lettre T, et que dix-huit se marque avec les
lettres , et ..qui sont les premires du nom de Jsus 1.
Tout le monde connat la fameuse allgorie de saint Augustinsur
les deux espions envoys dans la terre promise. Le fils de
Dieu, dit-il, est appel la vigne, car c'est lui qui tait figur
par
1 Contant de la Molette , Nouvelle mthode pour entrer dans le
vrai sens de l'Etang.
Pari 1777. T. I. p. 180.
-
(27 )
la grappe de raisin que les deux espions rapportrent de Canaan
,suspendue un bton, pour marquer le Sauveur suspendu lacroix. Les
deux hommes qui portent la grappe reprsentent les
Juifs et les paens; celui qui allait le premier, tournant le dos
auraisin, est l'emblme des Juifs qui ont tourn le dos au
Messie;
les paens, au contraire, qui ont embrass le christianisme,
sontfigurs par celui qui marchait le second en regardant la
grappe1.
Pierre Lombard a cru voir les aptres dans ces mots d'un psaume
:les fils des bliers. Les aptres , dit-il , sont des bliers; car
avec lesdeux cornes de l'Ancien et du Nouveau-Testament ils ont t
plusforts que les hrtiques, et ont renvers, comme par la duret
de
leur front, les superstitions et les idoles. De l vient,
ajoute-t-il,que la mitre des vques porte deux cornes 2.
Nous serions embarrasss de choisir entre les rveries de
Cocceiuscelles qui sont les plus bizarres. II trouve la France et
l'Espagnedans la montagne de Myrrhe et la colline d'encens de Cant.
4, 6;le concile de Trente dans Gant. y, 8. 9! L, dit-il, nous est
direc
tement dpeint le concile de Trente sous l'emblme d'un
palmier,qui est un arbre lev, d'une belle verdure, mais qui ne
portepas de bons fruits. Le sommet et les hautes branches de cet
arbre
sont le pape et les vques.... s
A la lecture de ces explications et de tant d'autres
semblables,n'est-on pas port crier l'impit? Ne doit-on pas dire
avec le
grand Calvin : Pestilentissimum est delirium3! . . Totam
scriptu-ram ludendo pervertunt...1 Fictitias expositiones , qu
literali
sensu abducunt, non modo negligamus tanquam dubias , sed
for-titer repudiemus tanquam exitiales corruptelas 6!
1 Augustin. T. X. p. 288.
2 Contant de la Molette. T.I. p. 171.3 Joan.
Ga\vim,Inomn(sPaulitpist.Comm. Gen.lSl. p. 184. adl. iCor.
10,11.
* P. 175. adl. i Cor. 9, 9.
5 P. 346. adl. Gai. 4, 4-
-
(a8)
THESES ET CONCLUSION.
I. La mthode allgorique, telle que nous l'avons entendue,n'est
point lgitime par son origine.
II. Elle repose sur un principe vicieux.
III. Elle ne peut s'appuyer sur le Nouveau-Testament.
IV. Elle est dangereuse pour la religion.
V. Elle doit donc tre rejete et faire place une mthodeclaire,
rationnelle, panharmonique.
FIN.