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Faculté des Sciences sociales et politiques Département de Science politique COMM-B-535: Analyse des discours politiques et médiatiques – 5 ects La langue de bois nord-coréenne Existe-il une différence de rhétorique entre Kim Jong-il et Kim Jong-un à l’égard des Etats-Unis ? Travail présenté par : ABSIL Louis CUFFOLO Maximilien Titulaires : CALABRESE Laura, GOBIN Corinne Année d’étude : POLI4P Année académique : 2012-2013
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La langue de bois nord-coréenne. Existe-il une différence de rhétorique entre Kim Jong-il et Kim Jong-un à l’égard des Etats-Unis ?

Apr 24, 2023

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Faculté des Sciences sociales et politiques Département de Science politique

COMM-B-535: Analyse des discours politiques et médiatiques – 5 ects

La langue de bois nord-coréenne

Existe-il une différence de rhétorique entre Kim Jong-il et Kim Jong-un à l’égard des Etats-Unis ?

Travail présenté par : ABSIL Louis

CUFFOLO Maximilien

Titulaires : CALABRESE Laura, GOBIN Corinne Année d’étude : POLI4P Année académique : 2012-2013

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Table des matières  1. Introduction  ....................................................................................................................................  1  

2. Corée du Nord  ................................................................................................................................  2  2.1. Politique interne  ...................................................................................................................................  2  

2.1.1. Caractéristiques principales de la Corée du Nord  ...............................................................................  2  2.1.2. La dynastie des Kim  ......................................................................................................................................  3  

2.2. Politique externe  ..................................................................................................................................  3  2.2.1. La politique étrangère nord-coréenne  ......................................................................................................  3  2.2.2. Les relations américano-coréennes  ...........................................................................................................  6  

3. Méthode  ...........................................................................................................................................  8  3.1. Analyse lexicométrique  .......................................................................................................................  8  3.2. Approches théoriques retenues  .........................................................................................................  9  3.3. Korean Central News Agency  .........................................................................................................  10  

4. Analyse lexicométrique  .............................................................................................................  12  4.1. Principales caractéristiques lexicométriques par périodes  ......................................................  12  4.2.  Analyse  factorielle  des  correspondances  ...............................................................................  14  4.2.1.  Kim  Jong-­‐il  et  Kim  Jong-­‐un  ....................................................................................................................  14  4.2.2.  Spécificités  par  parties  Kim  Jong-­‐il  ....................................................................................................  16  4.2.3.  Spécificités  par  parties  Kim  Jong-­‐un  .................................................................................................  20  

4.3.  Comparaison  .....................................................................................................................................  23  5. Conclusion  ....................................................................................................................................  26  

6. Bibliographie  ...............................................................................................................................  28  6.1.  Ouvrages  ............................................................................................................................................  28  6.2.  Articles  scientifiques  .....................................................................................................................  28  6.3.  Sites  Internet  ....................................................................................................................................  29  

7. Annexes  .........................................................................................................................................  29  

                         

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1. Introduction

Notre travail portera sur une analyse des discours nord-coréens émis au travers de

l’agence de presse officielle Korean Central News Agency (KCNA), cette dernière agissant

comme organe de communication à la fois du Parti des travailleurs nord-coréens et du

gouvernement national. Ceci nous amenant dès lors à une imbrication entre discours politique

et médiatique ancrée dans une logique totalitaire propre à l’idéologie Juche et au régime

fondé par Kim Il-sung.

Pour limiter temporellement notre étude, nous nous appesantirons sur un événement

militaire annuel touchant les Etats-Unis et la Corée dans son ensemble, séparée depuis la fin

de la seconde guerre mondiale entre le Nord et le Sud, la frontière définitive ayant été fixée au

travers du 38ème parallèle à la suite de la guerre de Corée. Cet événement, dénommé le Foal

Eagle, consiste en une série d’exercices militaires conjoints menés depuis 1997 entre les fores

armées étatsuniennes et sud-coréennes. Si ces manœuvres sont l’occasion pour les deux alliés

historiques de marquer leur coopération au travers d’une démonstration de leur puissance,

cela représente pour la Corée du Nord une manifestation d’un certain impérialisme et une

perception directe de menace quant à l’intégrité de ses frontières et de son territoire. À cet

égard, il nous apparaît légitime de nous interroger sur d’éventuels changements de discours

émis par le pouvoir communiste, ce que nous ferons au travers d’une analyse à la fois

diachronique et comparative. Respectivement, cela consistera en une étude de changements

rhétoriques que l'on pourrait attribuer au Foal Eagle, ainsi qu’en une comparaison entre les

deux leaders que sont Kim Jong-il et Kim Jong-un, lors de leur première année en tant que

dirigeants « suprêmes » à la fois du parti et du gouvernement.

Eu égard aux éléments décrits ci-dessus, nous partirons ainsi de deux hypothèses

principales, volontairement larges pour permettre à l'analyse de s'exprimer sans biais, de faire

émerger les éléments constitutifs des discours sans restrictions préalables si ce n'est la

sélection du corpus. Notre première hypothèse est qu’il existe une divergence de rhétorique

entre Kim Jong-il et Kim Jong-un concernant les Etats-Unis et leur influence politique, la

deuxième étant qu’il y a un durcissement discursif lors des opérations militaires conjointes

menées lors des événements du Foal Eagle entre les Etats-Unis et la Corée du Sud. Dans un

premier temps, nous aborderons au sein de ce travail certains aspects propres au régime nord-

coréen en lui-même. Dans un second temps, nous relaterons certaines particularités de la

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politique étrangère nord-coréenne. Ceci étant, nous tenterons, de manière globale, d’exposer

divers éléments conjoncturels et structurels caractéristiques des relations entre la péninsule

coréenne et les Etats-Unis. Nous utiliserons ensuite la méthode lexicométrique d’analyse de

discours avec l'outil informatique Lexico3 pour dégager les éléments qui, combinés au travail

préalable de contextualisation, permettront de conclure ce travail en vérifiant les hypothèses

tout en soulevant toute autre observation s'avérant pertinente.

2. Corée du Nord

2.1. Politique interne

2.1.1. Caractéristiques principales de la Corée du Nord

Le régime nord-coréen, généralement désigné comme totalitaire1, s’est affirmé lors de

la partition de la péninsule coréenne en 1948 alors qu’entre 1910 et 1945 cette dernière se

trouvait sous le régime colonial japonais. L’une des bases principales du régime se situe en

son idéologie, le Juche, marquée entre-autres par un centrisme politique, un paternalisme

idéologique, un collectivisme économique, un racisme ethnique, un isolationnisme

diplomatique ou encore un nationalisme culturel. Le Juche se pose ainsi à la fois comme un

système de pensée politique et philosophique. Ainsi, le nationalisme affirmé au sein du Juche

se répercute notamment en terme d’isolationnisme, voire d’hostilité, à l’égard du monde

extérieur. De plus, cette doctrine sert également à renforcer le culte de personnalité autour de

la « dynastie » des Kim, qu'il s'agisse du fondateur de la nation Kim Il-sung ou de son fils et

successeur Kim Jong-il, ou plus récemment Kim Jong-un, actuel dirigeant de la Corée du

Nord2. En dehors de ces éléments, le régime nord-coréen est également marqué par un parti

unique, le Parti des travailleurs de Corée, dont le poste de secrétaire général est

habituellement occupé par le dirigeant du régime lui-même, en l’occurrence, Kim Jong-un

depuis le 11 avril 2012.

   

                                                                                                               1  Pour  plus  de  détails,  voir  la  définition  fournie  notamment  par  Hannah  Arendt  2  PARK  Han  S.  (ed.),  North  Korea.  Ideology,  Politics,  Economy,  Englewood  Cliffs,  Prentice  Hall,  1996,  pp.2-­‐3  

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2.1.2. La dynastie des Kim

Nous intéressant plus particulièrement aux différences communicationnelles entre

Kim Jong-il et Kim Jong-un, et postulant qu’il existe une rhétorique plus apaisée de la part de

ce dernier à l’égard des Etats-Unis, il nous apparaît intéressant de revenir ici brièvement sur

leur parcours respectif depuis la mort du « grand Leader » Kim Il-Sung en juillet 1994. À

l’instar de CHEONG Seong Chang, nous réfutons ici l’image généralement véhiculée au

travers d’ouvrages et d’articles de presse, présentant tantôt les dirigeants nord-coréens comme

des grands politiciens affectueux à l’égard du peuple, tantôt comme des tyrans fous. Kim

Jong-il, né le 16 février 1942 en Union Soviétique, a d'abord fréquenté l’école de Namsan à

Pyongyang avant de suivre les cours à l’Université militaire Kim Il-sung, certaines sources

indiquant qu’entre 1958 et 1960, il aurait étudié à l’Académie militaire de l’air est-allemande.

Ainsi, Kim Jong-il a-t-il été éduqué avant tout dans un but de direction, ce dernier ayant selon

sa biographie abrégée publiée en 1987 pris des fonctions importantes au sein du régime dès

avril 1964, alors qu’il devint « chef suprême » du pays en 19943. Quant à Kim Jong-un, qui

serait né en janvier 1983 ou 1984, il semble avoir joui d’un parcours davantage « ouvert ». Ce

dernier, qui a effectué son éducation primaire en Corée du Nord, a effectué dès 1992 un

voyage en Chine et au Japon, alors qu’en 1994, il se rendait en voyage en Europe. De 1996 à

2001, il étudia en Suisse, à l’Ecole internationale de Berne notamment. Lors de son retour en

Corée du Nord, en 2001, Kim Jong-un savait ainsi parler anglais, français et allemand, en

dehors du coréen. Ceci étant, de 2002 à 2007, il étudia lui aussi à l’Université militaire de

Kim Il-sung, où lui fut inculquée l’idéologie du Juche. Après cela, il fût petit à petit incorporé

à des postes clefs du régime, jusqu’à la succession de son père à la tête du pays suite au décès

de celui-ci en décembre 20114.

2.2. Politique externe

2.2.1. La politique étrangère nord-coréenne

La politique étrangère de la Corée du Nord se base historiquement sur plusieurs

objectifs, certains étant manifestes, d’autres latents. Alors que les premiers font référence aux

positions officielles du régime, les seconds sont quant à eux sous-jacents à l’attitude

observable de l’État coréen, indique Byung Chul KOH. Aussi, plus un État apparaît comme                                                                                                                3  CHEONG  Seong  Chang,  Idéologie  et  Système  en  Corée  du  Nord.  De  KIM  Il-­‐Sông  à  KIM  Chông-­‐Il,    Paris,  Editions  L’Harmattan,  1997,  pp.-­‐307-­‐311  4  North  Korea  Leadership  Watch,  http://nkleadershipwatch.wordpress.com/kim-­‐jong-­‐un/  

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fermé, plus la probabilité que ses objectifs latents s’éloignent de ses revendications manifestes

est grande. Trois objectifs manifestes peuvent être ainsi relevés selon l'auteur, à savoir

« l’indépendance », « la paix » ou encore « l’amitié », ceci s’inscrivant notamment dans une

certaine continuité historique de la politique étrangère nord-coréenne. Le premier but à

atteindre, prioritaire, fait référence à la recherche d’autonomie de l’Etat sur la scène

internationale et la volonté de construire un nouvel ordre mondial, ainsi que la volonté de voir

la réunification des deux Corée(s) aboutir au travers l’engagement de négociations avec les

Etats-Unis et la signature d’un traité de paix avec ces derniers ; ceci s’imbriquant entre autres

dans la volonté de Pyongyang de voir le retrait des forces étasunienne du territoire sud-

coréen. Il est à noter que la promotion de cette volonté d’indépendance sert également de

moyen interne de propagande pour le régime. Le deuxième objectif s’insère lui aussi dans la

volonté de voir le retrait des forces étasuniennes de Corée du Sud, tandis que le troisième

objectif s’insère dans la recherche de soutien extérieur dans la lutte contre les Etats

impérialistes et plus particulièrement contre « l’impérialisme étasunien ». Les objectifs latents

de la politique étrangère nord-coréenne se regroupent quant à eux autour de la recherche de

« légitimité », de « sécurité » et de « développement », ceux-ci étant également poursuivis par

la Corée du Sud. Le premier but s’insère ainsi dans la nécessité pour l’État de se présenter et

de se faire reconnaître comme le seul représentant légitime de la Corée, face à la république

sud-coréenne, et ce depuis la division de la péninsule en 1945. La recherche de sécurité se

marque quant à elle notamment par la course à l’armement et la volonté de voir le retrait des

forces et armes américaines de Corée du Sud, cette présence étant perçue non seulement

comme une entrave à la réunification mais également comme une menace pour la sécurité de

la Corée du Nord. Enfin, le développement du pays, qui constitue l’un des objectifs

principaux d'une grande majorité des pays du tiers-monde, s’insère ici également comme

nécessité en lien avec la recherche de légitimité et de sécurité par le régime5.

Kim Yongho dépeint quant à lui la politique étrangère nord-coréenne en terme de

perception de la menace, analysée à partir de deux variables, l’une faisant référence à la

perception de la menace externe, à savoir le dilemme de sécurité, et l’autre, à la perception de

la menace interne, à savoir la question de la succession. Ici, l’environnement international et

interne de la Corée du Nord est ainsi vu comme une cause, alors que l’attitude provocante du

régime est vue comme un effet et ce au travers de la question du dilemme de sécurité et de la                                                                                                                5  KOH  Byung  Chul,  «  Foreign  Policy  Goals,  Constraints,  And  Prospects  »,  in,  PARK,  Han  S.  (ed.),  North  Korea.  Ideology,  Politics,  Economy,  Englewood  Cliffs,  Prentice  Hall,  1996,  pp.175-­‐184  

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question de la succession6. Ainsi, l’attitude provocante de la Corée du Nord en matière de

politique étrangère peut être ici vue comme un moyen diplomatique permettant au régime

d’influencer les Etats-Unis et la perception que ces derniers entretiennent à l’égard du régime

nord-coréen. L’auteur met également en avant la manière dont le terrorisme, orienté vers la

Corée du Sud et vu ici comme « l’usage illégitime de la force, motivé politiquement et dirigé

vers les civils » a pu servir de moyen pour Pyongyang d’exprimer sa réprobation à l’égard de

la politique étasunienne tout autant que de moyen d’avertissement à l’égard de la Corée du

Sud et des Etats-Unis. Ceci étant, un lien peut-être fait entre la résurgence d’actes terroristes

et d’attitudes provocantes de la part de la Corée du Nord et la manière dont cette dernière

perçoit l’environnement international en terme de menace. De plus, l’agenda politique interne

de la Corée participe également au développement d’attitudes provocantes, le terrorisme et la

violation du traité d’armistice servant alors ici de moyen à la fois de renforcer la cohérence du

régime ainsi que de solidifier et réaffirmer la position de leader du « chef suprême » à la tête

du pays. Enfin, l’attitude belligérante du régime nord-coréen s’est également exprimée

corrélativement et parallèlement lors de périodes d’instabilité politique en Corée du Sud7.

Une dernière particularité, d'ordre plus idéologique rend également compte de la

militarisation de la politique nord-coréenne, la National Defence Comission étant devenu un

organe primordial de l'autorité politique et de l'administration étatique. Afin de comprendre le

bellicisme ressenti de la politique nord-coréenne, un dernier élément idéologique, ayant pris

une grande importance depuis 1998, se doit d'être mis en lumière. En effet, l'idéologie du

Juche (voir supra) est depuis 1998 assortie d'une doctrine plus pratique dans la gestion des

affaires de l'État. Cette politique est définie par les officiels coréens comme présente depuis le

règne de Kim Il-sung et découlant de l'histoire mythifiée du leader jurant de restaurer le pays

(entendu ici en termes de Corée unifiée) par les armes alors qu'il recevait de son père deux

pistolets en héritage. Pourtant, sa mise en pratique totale ne retentit que lorsque Kim Jong-il

en décida ainsi en 1998, selon les informations récoltées sur la page web officielle du

gouvernement nord-coréen. Plus particulièrement, la politique de Songun, qui se situe dans le

prolongement du Juche, est une doctrine donnant la priorité à l'armée et, de manière plus

globale, au domaine militaire : « Songun politics is rooted in the military-priority ideology

                                                                                                               6  YONGHO,  Kim,  North  Korea  Foreign  Policy.  Security  Dilemma  and  Succession,  Lanham,  Lexington  Books,  2011,  p.3  7  YONGHO  Kim,  op.cit.,  pp.101-­‐106  

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that embodies the Juche idea. »8. Il est important d'opérer cette distinction car comme le

soulignait Alexander Vorontsov, même si le service militaire obligatoire est de dix ans, la

plupart des activités menées par le personnel militaire recruté se situe dans un cadre socio-

économique.9 De ce fait, la politique de Songun est en fait plus qu'un projet purement

militaire, car il s'agit, dans l'esprit du régime, de consolider la société civile et de protéger la

révolution, d'un point de vue domestique comme international.10 Le concept de Songun vient

donc donner à l'armée un rôle moteur au sein de la société, à l'instar des plus traditionnels

acteurs de la révolution que sont le parti et le prolétariat. Aussi, cette politique se répercute-t-

elle dans les chiffres, la Corée du Nord étant le pays le plus militarisé au monde

proportionnellement à sa population.

2.2.2. Les relations américano-coréennes

Les relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis n’ont cessé d’évoluer en matière

de perception de la menace ressentie par le régime de Pyongyang à l’égard du deuxième.

Différents éléments, tels que la guerre du Vietnam menée par les Etats Unis ou encore la

coopération sécuritaire conjointe développée par Ronald Reagan au début des années 1980

entre les Etats-Unis, la Corée du Sud et le Japon, ont ainsi été marqués par l’amplification de

la perception de menace du régime de Pyongang à l’égard des Etats-Unis, cette évolution

pouvant mener à des actes de terrorisme ou violations du traité d’armistice par Pyongyang. Il

est ainsi intéressant de noter que la fin de la guerre froide et plus particulièrement la victoire

des Etats-Unis sur l’Irak lors de la guerre du Koweït ont marqué un pic dans le sentiment de

menace ressenti par la Corée du Nord, les Etats-Unis s’imposant alors comme l’unique

superpuissance mondiale11. Ceci étant, des relations diplomatiques s’établirent à Pékin dès

1988 entre les USA et la DPRK alors que l’année 1993 marquera l’ouverture de négociations

de haut niveau au travers de la problématique nucléaire12. En effet, la défaite irakienne en

1991 poussa la Corée du Nord à développer son programme d’armes nucléaires face à la

puissance étasunienne et ce en réponse à une situation internationale perçue comme une

                                                                                                               8  «  Songun  politics  »,  in  Politics,  DPR  of  Korea,  KOREA  Official  webpage  of  the  DPR  of  Korea,        www.korea-­‐dpr.com/songun.html,  consulté  le  29  avril  2013  9   VORONTSOV   Alexander,   «  North   Korea's   Military-­‐First   Policy:   A   Curse   or   a   Blessing?  »,   in,   Brookings  Institution,   26   May   2006,   http://www.brookings.edu/views/oped/fellows/vorontsov20060526.htm,  consulté  le  28  avril  2013  10   HABIB   Benjamin,   «  North   Korea's   nuclear   weapons   programme   and   the   maintenance   of   the   Songun  system  »,  in  The  Pacific  Review,  24:  1,  2011,  pp.43-­‐64  11  YONGHO  Kim,  op.  cit.,  pp.104-­‐107  12  KOH  Byung  Chul,  op.  cit.,  p.184  

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source de menace à son égard. La volonté de la Corée du Nord s’inscrivait alors dans une

double volonté, à savoir diminuer la menace militaire américaine et améliorer les relations

entre les deux pays. En effet, aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce programme nucléaire

permit un réchauffement des relations entre Pyongyang et Washington. Ainsi, alors que sous

Bill Clinton, la ligne de conduite étasunienne à l’égard du programme nucléaire nord-coréen

consistait en la volonté de voir l’arrêt du développement nucléaire par Pyongyang, l’arrivée à

la présidence de Georges W.Bush marqua une rupture dans cette politique pacificatrice et

cette volonté de rapprochement entre les deux pays. En effet, le nouveau président favorisait

quant à lui une ligne de conduite davantage rigide, en réclamant l’abandon total du

programme nucléaire nord-coréen au risque de se retrouver face à un conflit armé. Les

attentats du 11 septembre 2001 menèrent en effet l’administration Bush à durcir la position

américaine face à la Corée du Nord, cette dernière ayant été définie par le président américain

comme un membre à part entière de l’ « Axe du mal » au même titre que l’Irak et l’Iran, alors

qu’en 2003, Georges W. Bush désignait la Corée du Nord comme un régime hors-la-loi13.

Ainsi, le dilemme de sécurité poussa notamment la Corée du Nord à révéler en 2002 son

programme nucléaire clandestin, ceci menant à une deuxième crise nucléaire entre les Etats-

Unis et la Corée du Nord. L’administration Obama s’est quant à elle prononcée dès ses débuts

en faveur d’une politique dite de « patience stratégique ». Cette approche se caractérise ainsi

par une attitude attentiste dans la volonté de voir la Corée du Nord revenir d'elle-même à la

table des négociations, et ce tout en maintenant des pressions à l’égard de Pyongyang. Aussi,

cette politique implique-t-elle la volonté de voir la Corée du Nord faire un pas vers le

démantèlement nucléaire ainsi que de voir cela aboutir à une normalisation de ses relations

avec la Corée du Sud dans le but de réintégrer les « pourparlers à six » réunissant les deux

Corée(s), la Chine, les Etats-Unis, la Russie et le Japon. La Corée du Nord s'était en effet

retirée du traité de non-prolifération nucléaire en 2003. Enfin, cela implique l’application par

les États-Unis de différentes sanctions à l’égard de la Corée du Nord, ainsi que la volonté de

convaincre la Chine de durcir ses positions à l’égard de Pyongyang. Il est à noter que cette

politique est coordonnée avec la Corée du Sud, différents exercices militaires à grande échelle

étant conjointement mis en place par Seoul et Washington. Ceci étant, certaines critiques

mettent en avant le fait que cette politique mise en place par l’administration Obama a permis

                                                                                                               13  YONGHO  Kim,  op.  cit.,  pp.106-­‐109  

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à la Corée du Nord de prendre la situation à son compte et de notamment poursuivre le

développement de son programme nucléaire14.

3. Méthode

3.1. Analyse lexicométrique

La méthode analytique que nous emploierons au cours de ce travail est une analyse

statistique automatisée du discours, appelée lexicométrie. Nous utiliserons un outil

informatique logiciel dénommé Lexico, conçu et développé par André Salem et les équipes du

Laboratoire de Saint-Cloud et de l'Université Paris 3. Cette méthode permet d'appréhender des

corpus de grande taille et d'en analyser les récurrences comme les spécificités. De ce

traitement automatisé pourront ressortir les différents emplois de chaque forme graphique et

de leur contexte respectif au sein des discours, afin d'en dégager du sens. Les données

recueillies par ce type de processus qui semble de prime abord axé sur le quantitatif nous

rendront, au contraire, à même de pousser l'analyse qualitative au cœur des enjeux dont il est

question par d'incessantes contextualisations. Différents outils sont mis à disposition du

chercheur : « L’index alphabétique permet de vérifier la saisie du texte, de rapprocher les

utilisations du singulier et du pluriel d’un même substantif, les différentes flexions d’un

verbe, etc. L’index hiérarchique, dans lequel les formes sont classées par fréquence

décroissante, permet d’examiner les formes les plus utilisées. Les concordances permettent,

pour chaque forme, de rassembler l’ensemble des contextes dans lesquels la forme apparaît.

Les inventaires de segments répétés permettent de repérer les séquences de formes qui

apparaissent à plusieurs endroits du texte. Le calcul des spécificités permet de dégager les

formes et les segments qui se trouvent être particulièrement employés (ou, au contraire

particulièrement sous-employés) par chacune des parties du corpus (LAFON, 1984)»15  

 

La lexicométrie est donc, plus qu'une méthode, un outil de sciences sociales

permettant l'analyse qualitative de corpus massifs en redirigeant constamment le chercheur

suivant des schémas lexicaux permettant de déconstruire le discours tout en n'omettant pas de

                                                                                                               14  CHANLETT-­‐AVERY  Emma,  E.  RINEHART  Ian,  «  North  Korea  :  U.S.  Relations,  Nuclear  Diplomacy  and  Internal  Situation  »,  in  Congressional  Research  Service,  2013,  http://www.fas.org/sgp/crs/nuke/R41259.pdf,  pp.6-­‐7  15  LEIMDORFER  François,  SALEM  André,  «  Usages  de  la  lexicométrie  en  analyse  de  discours  »,  in  cahier  des  Sciences  humaines  31,  1995,  p.131.  

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situer ce dernier parmi d'autres éléments du corpus. On notera qu'une perspective critique

imprégnera ce cadre d'étude au sens ou, comme l'ont explicité de nombreux chercheurs

(principalement en Critical Discourse Analysis), l'analyse du discours part du principe

suivant : « On peut théoriser les textes comme des instanciations du discours, et le discours

lui-même comme une action sociale médiatisée textuellement opérant un travail idéologique

en « représentant et construisant la société ».16 Le discours a donc un effet sur le réel autant

que la réalité conditionne ce même discours, et c'est précisément cela qui rend toute analyse

du discours pertinente dès lors qu'il s'agit d'établir une analyse politique.

3.2. Approches théoriques retenues

En premier lieu, Christian Delporte définit la langue de bois comme « un ensemble de

procédés, qui par les artifices déployés, visent à dissimuler la pensée de celui qui y recourt

pour mieux influencer et contrôler celle des autres ». Ainsi, le discours de la langue de bois se

marque entre autres par l’utilisation et la répétition de mêmes mots et d’énoncés stéréotypés,

des mêmes lieux communs et mêmes termes vagues17. L’auteur distingue deux aspects de la

langue de bois, l’un totalitaire, l’autre démocratique, tous deux ayant comme objectif

principal de cacher la vérité. Dans le premier cas qui nous intéresse ici, eu égard à la nature du

régime nord-coréen, la langue de bois devient un « instrument de contrôle de la pensée et un

levier au service de l’hégémonie du groupe dominant » où « les mots sont là pour cacher les

réalités, conditionner les esprits, interdire toute réflexion autonome, réduire la raison à une

croyance collective préfabriquée » et ce au sein d’un espace où la liberté d’expression est

muselée et où le discours politique se veut absolu18. Dans ce qu’il définit comme la

« sovietlangue », l’auteur met ainsi brièvement en avant la manière dont la langue de bois,

liée au culte de la personnalité, s’est perpétuée depuis la mort de Kim Il-sung et la prise du

pouvoir par son fils Kim Jong-il en 199419.

Dans la même optique, Maurice Tournier développe pour sa part une théorie

statistique de la sloganisation, dans une étude du texte propagandiste, prenant appui sur un

définition de la propagande basée sur l’idée que « Dire, c’est faire faire sans faire réfléchir. ».

                                                                                                               16KOLLER   Veronika,   «  Analyser   une   identité   collective   en   discours  :   acteurs   sociaux   et  contextes  »,  Semen  [En  ligne],  27  |  2009,  mis  en  ligne  le  10  décembre  2010,  consulté  le  29  mars  2013  17  DELPORTE,  Christan,  Une  histoire  de  la  langue  de  bois,  Paris,  Flammarion,  2011,  pp.10  18  Ibid.,  pp.14-­‐15  19  Ibid.,  pp.93-­‐94  

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  10  

Il postule au sujet de la mémoire qu’elle est formée par un système de graphes préexistants et

correspondant à des souvenirs sur lesquels se superposent les percepts nouveaux afin de

dégager du sens et d’activer des phénomènes de reconnaissance. Ces graphes communiquant

entre eux et ayant parfois trait à des idées communes participent selon l’auteur de la formation

d’une sorte d’ultrastructure de la mémoire composée d’associations idéelles indirectes. Selon

l’auteur, la structure d’un discours peut s’appréhender similairement via des « interliaisons

connotatives » et phénomènes de téléstéréotypie entre concepts et répertoires lexicaux, formés

par la fréquence de leurs associations. Cette correspondance pourrait dès lors permettre à un

percept nouveau de passer outre l’activité combinatoire volontaire et d’agir en tout premier

lieu sur ces sous-graphes ayant trait à l’archimémoire. Ce phénomène de sloganisation

analyse donc la répétition d’associations de mots en tant qu’elle permet de stimuler chez

l’individu un réflexe mental précédant la réflexion critique. « La fréquence, cette sœur ainée

des sommaires de la mémoire.»20

3.3. Korean Central News Agency

Le corpus analysé pour la réalisation de ce travail est tiré de l'agence de presse nord-

coréenne, Korean Central News Agency (KCNA) fondée le 5 décembre 1946. Elle est un

organe gouvernemental de transmission des informations aux médias nationaux d'une part, et

internationaux de l'autre, par le biais de traductions en anglais, en russe, et en espagnol, ainsi

que par de « friendly and cooperative relations with foreign news agencies »21. Elle se veut,

selon ses propres termes, haut-parleur du Parti du Travail de Corée et du gouvernement de la

République Populaire Démocratique de Corée (DPRK). L'agence KCNA étant la seule active

en Corée du Nord, elle participe d'une diffusion uniforme22 de l'information à tous les

journaux, qu'ils soient radiophoniques, télévisés ou écrits. Au sein d'un régime tel que celui

que le pays connaît, elle est donc un formidable outil de propagande et de consolidation de

l'idéologie Juche. Parmi les thèmes les plus abordés, il n'est donc pas étonnant de constater un

grand nombre d'articles dédiés à la grandeur de Kim Il-sung, le fondateur de la nation nord-

coréenne ainsi que celle des dirigeants lui ayant succédé. Ainsi, Byung-chul Koh démontrait

par une analyse statistique menée lors du mois de juin 1969 que 40% de la surface

rédactionnelle du quotidien Rodong Sinmun - Journal des Travailleurs, organe officiel du Parti

                                                                                                               20  TOURNIER,  Maurice,  «  Texte  «  propagandiste  »  et  cooccurrences.  Hypothèses  et  méthodes  pour  l’étude  de  la  sloganisation  »,  in,  Mots  n°11,  octobre  1985,  p.184  21  Korean  Central  News  Agency,  «  Introduction  to  KCNA  »,  kcna.co.jp,  consulté  le  27  avril  2013  22  Selon  les  termes  de  KCNA  :  «  uniform  delivery  of  news  »  

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du travail de Corée et quotidien le plus lu du pays - était dédiée à la vénération du « leader

respecté et bien aimé ».23 Au sein d'un système s'apparentant à un culte de la personnalité du

leader (quel qu'il soit), l'agence de presse jouit donc d'une fonction particulière en tant

qu'unique source d'information pour les médias nationaux. En effet, en offrant sur un ton

neutre une somme d'informations dites objectives, et en diffusant largement ces informations

à travers un large réseau de journaux, radios, etc., l'appareil de presse nord-coréen diffère la

censure, en pouvant paradoxalement se targuer d'un large éventail de médias écrits, Alain

Brillouet faisant déjà état pour l'année 1960 de quelques 26 journaux tirés en 252 397 milliers

d'exemplaires24. Cette grande diversité reste cependant factice, le CPJ (Comittee to Protect

Journalists) ayant en 2012 établi une liste sur laquelle figurent les dix pays les plus touchés

par la censure, suivant dix-sept indicateurs, parmi lesquels la Corée du Nord occupe la

deuxième position25.

Nous avons décidé pour la composition de corpus de nous attarder sur un événement

particulier de la politique extrême-orientale asiatique, à savoir le Foal Eagle, série d'exercices

militaires conjoints entre la Corée du Sud et les États-Unis d'Amérique organisé chaque année

depuis 1997. Ces manœuvres militaires communes sont perçues comme un temps fort de la

coopération entre les deux pays, alliés depuis l'embrasement de la guerre de Corée. S'il est

symbole de coopération pour ceux qui la mènent, il est néanmoins perçu de manière bien

différente par le gouvernement de la Corée du Nord, qui y voit là une menace pour sa

sécurité. Cette menace pressentie amène donc généralement, c'est un de nos postulats, les

agences officielles à tenir un discours plus prononcé quant à leurs positions en terme de

politique internationale. On constate une importante dénonciation de ces exercices au regard

du droit international ainsi qu'une constante recherche d'alliés dans cette indignation, dans la

courte période qui précède ainsi que pendant la durée des exercices. Afin de rendre fidèlement

compte de cette fluctuation et d'établir une comparaison qui soit la moins biaisée, le corpus

tiendra compte du mois précédent Foal Eagle, de la durée des exercices, et du mois suivant la

fin de ces derniers. Aussi avons-nous plus précisément sélectionné notre corpus en fonction

des titres et/ou articles évoquant directement les Etats-Unis. Ainsi, alors que le premier Foal

Eagle sous Kim-Jong-il, et historiquement le premier événement de cette série, s’est tenu

                                                                                                               23  KOH  Byung-­‐chul,  op.  cit.,  pp.  655-­‐674,    24   BRILLOUET   Alain,   «  Quelques   données   sur   les   moyens   d'information   en   Corée   du   Nord  »   in    Revue  d’études  comparatives  Est-­‐Ouest,  Volume  11,  N°1,  1980,  pp.  113-­‐126,  25CPJ,   «  10   Most   censored   countries  »,   in   Special   Reports,   New   York,   2   mai   2012,  http://www.cpj.org/reports/2012/05/10-­‐most-­‐censored-­‐countries.php  

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entre le 17 octobre et le 6 novembre 1997, le premier sous le pouvoir de Kim-Jong-un en tant

que Secrétaire général du Parti du travail de Corée et Chef Suprême de la DPRK, s’est quant à

lui tenu entre le 28 février et le 9 mars 2012.

4. Analyse lexicométrique

4.1. Principales caractéristiques lexicométriques par périodes

D’après les éléments repris ci-dessus, nous constatons que la forme « the » est la plus

usitée que ce soit par Kim Jong-il ou Kim Jong-un avec 7663 occurrences sur tout le corpus.

À première vue, l’usage fréquent de cette locution pourrait témoigner d’un certain recul pris

par l’agence de presse. En s’exprimant de la sorte, KCNA expose l’action d’agents,

principalement politiques, en tant que groupes, faisant rarement usage de noms propres. Ainsi,

par exemple, les présidents étasuniens, ne sont jamais évoqués directement, tandis que

l’inventaire distributionnel nous montre un fort usage de termes génériques tels que

« troops », « forces », « military », associés à « unitedstates », comme nous le verrons de

manière plus détaillée infra. Les deuxième et troisième formes, toujours des mots outils, les

plus fréquentes sont respectivement « of » et « and » avec respectivement 3176 et 2484

occurrences. Le premier mot plein que l’on retrouve le plus fréquemment, est sans surprise

« unitedstates » avec 1826 occurrences. La liste des segments répétés nous permet de voir

associé la forme « the » à « unitedstates » à 1280 reprises dans les deux corpus, elle est donc

l’association la plus fréquente, ce qui rend compte d’une mise en avant des Etats-Unis comme

un acteur à part entière, une entité. Egalement la présence du segment répété « in the »,

montre, comme nous le verrons plus en détail ci-après, l’inscription géographique et directe

de la volonté impérialiste des Etats-Unis, au travers des différentes actions qu’elle entreprend.

Ceci étant, les Etats-Unis sont associés 462 fois à la forme « and », ce qui indique qu’ils

interagissent avec d'autres acteurs. Nous verrons plus bas que ces-derniers sont fréquemment

évoqués au travers de leur partenariat avec la Corée du Sud, particulièrement pour la période

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dirigée par Kim Jong-il, ou au travers de leurs implications internationales, particulièrement

pour la période dirigée par Kim Jong-Un.

Spécificités positives et négatives du « unitedstates », « southkorea », « dprk » et « northkorea »

« On appelle spécificités positives les effectifs qui dépassent largement ce que le

modèle laissait prévoir et spécificités négatives les effectifs qui se révèlent nettement

inférieurs à ce que ce même modèle permettait d’espérer »26. Ainsi, comme nous le montre

très clairement ce graphique de ventilation par personnalité exprimé ici en valeurs relatives, la

nomination des Etats-Unis (pour ce schéma, les termes unitedstates et american ont été

groupés), est très positivement spécifique à Kim Jong-Un totalisant 1269 occurrences contre

557 pour Kim Jong-il en valeurs absolues. En dépit de cette sous-utilisation relative de la

forme « unitedstates » (au sein de laquelle nous avons associé « United-States » aux autres

dénominations officielles telles « U.S » et « USA ») par rapport à son successeur, il demeure

intéressant de relever sa fréquente association avec la Corée du Sud qui elle, est

spécifiquement liée à cette période du corpus. Cette apparente sous-utilisation pourrait

également nous ramener ainsi aux éléments vus supra quant aux relations bilatérales

respectives entre Etats-Unis et Corée du Nord, les relations entre Kim-Jong-il et Bill Clinton                                                                                                                26   SALEM   André,   Tutoriels   pour   l’analyse   textométrique,   p.20,   http://lexicometrica.univ-­‐

paris3.fr/numspeciaux/special8/tutoriel1.pdf  

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  14  

étant alors considérées comme un moment de détente relative entre les deux nations, tandis

que les relations entre Barack Obama et Kim-Jong-Un marquent une certaine rupture dans les

relations entre les deux pays. Il n’apparaît dès lors pas illogique que l’agence de presse

KCNA se réfère moins aux Etats-Unis en 1997 qu’en 2012.

En revanche, les lemmes Southkorea et Northkorea apparaissent spécifiques aux

discours de Kim Jong-il. La forme DPRK quant à elle connaît la même proportion d’usages

chez les deux leaders. Cette forme de désignation du pays par le régime qui y règle la vie en

société est caractéristique des États non-démocratiques en quête de légitimité. Ainsi,

l'appellation Democratic People's Republic of Korea marque-t-elle en premier lieu le lien

d'affiliation entre la nation, la République, le système, et les populations y résidant. Ces

derniers ne sont dès lors plus de simples habitants d'un pays, ils sont rhétoriquement insérés

dans le processus de définition de l'État. Par la répétition de cette forme d'appellation de la

Corée du Nord, le gouvernement s'assure donc une assise populaire, qu'il institutionnalise par

là-même. Aussi, aucune précision n'étant établie quant à la situation septentrionale de la

Corée dont il est question, il est souligné que la Corée du Nord soit la seule à être une

République populaire démocratique. A fortiori, le gouvernement nord-coréen entend par là

affirmer sa seule légitimité sur tout le territoire de la Corée, incluant la partie au sud du 38ème

parallèle, tout en affirmant le caractère usurpateur des dirigeants Sud-coréens, à qui la

légitimité est refusée, sur ce territoire.

4.2.  Analyse  factorielle  des  correspondances  

4.2.1.  Kim  Jong-­‐il  et  Kim  Jong-­‐un  

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  15  

L’analyse factorielle des correspondances représentée par le graphique ci-joint nous

montre une segmentation entre les deux leaders, la plupart des dépêches sous l’autorité de

Kim Jong-il se retrouvant du côté gauche du graphique, tandis que celles prononcées en 2012

sous Kim Jong-un se situent du côté droit. Ceci indique une différence globale entre les deux

corpus, qui nous tenterons d’analyser plus tard. Aussi, au travers de ce graphique, peu de

textes semblent se démarquer, à l’exception de ceux du 22 septembre, des 10 – 11 – 13 - 24

octobre, et des 13 et 20 novembre 1997, ainsi que ceux du 17 février, des 5, 13, 15 et 22 mars,

et des 2 et 4 avril 2012. Dans le but d'identifier une première polarisation, nous avons

recherché les spécificités relatives aux deux groupes textuels émanant des dates reprises ci-

dessus par rapport au corpus pris dans son entièreté. Concernant les discours particuliers

situés sur la gauche, formulés sous la gouvernance de Kim Jong-Il, de très fortes spécificités

se sont affirmées : 30 pour « il » assortis de 21 pour « kim » et 20 pour « jong » (la différence

entre les trois formes est due au fait que les mots Kim et Jong peuvent également être utilisés

pour désigner son successeur, ce qui les rend moins spécifiques) affichent un très présent

phénomène d'autodésignation que nous développerons davantage ci-après. Nous constatons

également un indice 18 pour la forme « leader » qui participe du même phénomène et

contribue à la personnification du régime politique. Suivent ensuite avec un indice de

spécificité supérieur à 5 une multitude de formes faisant partie du champ interne (« army »,

« nation », « socialist », « party », « secretary », « general », « comrade », etc.) qui

démontrent que cette section semble relater principalement des éléments de politique

intérieure. Nous constatons donc une série de formes lexicales relevant du système et de la

propagande nord-coréenne, avec la présence conjointe des parties formant son tout : l'armée,

le parti, le peuple, ses leaders. Quant au groupe de textes se rapportant à la période dirigée par

Kim Jong-un, de moins intenses spécificités ont été relevées. Les formes se démarquant le

plus, avec un indice supérieur à 10, sont « soldier » avec 17, le premier, « killing » qui a un

indice de 14, « exhibition » et « civilians » qui correspondent tout deux à un indice de

spécificité de 11. La présence de termes se raccordant à des pays tiers est également à

souligner, avec les formes désignant l'Afghanistan et le Sri Lanka comportant chacun un

indice supérieur à 5.

Pour aller plus loin, nous avons ensuite procédé à l'identification de parties semblant

représenter les plus fortes polarisations suggérées par le graphique produit par l'AFC, et

celles-ci coïncident avec la division globale entre les deux leaders. La différence lexicale étant

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  16  

établie suivant cette sélection, nous avons poursuivi la démarche en recherchant les

spécificités de ces parties du corpus. Celles-ci se sont avérées correspondre globalement à

celles que nous venions d'observer quant aux textes les plus éloignés du centre du graphique

dessiné par l'analyse factorielle des correspondances. La pertinence de cette sélection ne s'en

trouvant que confirmée, nous commencerons donc par analyser ces spécificités séparément,

afin de dégager le sens global véhiculé par chacun des leaders, pour pouvoir ensuite les

comparer efficacement. Nous avons décidé de relever celles qui correspondraient à un indice

de spécificité supérieur ou égal à 3.

4.2.2.  Spécificités  par  parties  Kim  Jong-­‐il  

Ces tableaux nous montrent les spécificités des textes les plus représentatifs de la

polarisation à gauche sur l'axe 1 révélée par l'analyse factorielle des correspondances, à savoir

ceux qui furent écrits par l'agence KCNA aux 24 et 27 septembre, 27 et 28 du mois d'octobre,

et aux 4 et 6 novembre de l'année 1997.

   

Dans ce cas-ci, la forme « must », qui détient la plus grande spécificité, indique une

injonction émanant de la part du régime nord-coréen principalement à l’égard des Etats-Unis

et de ses alliés : «  (..)unitedstates  and   japan  must  stop  adventurous  military  game  ». Ces injonctions passent ainsi

par la volonté de voir les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud cesser leurs opérations

militaires et plus particulièrement que Washington cesse d’adopter une attitude belligérante à

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l’égard de la Corée du Nord, l’objectif étant pour cette dernière de parvenir notamment à la

réunification des deux Corées. En effet, isolée totalement sur la scène internationale à la suite

de la chute de l’URSS, l’appel à la réunification de la Corée devint un élément récurent de la

politique extérieure de la Corée du Nord, en mal d’alliés. Plusieurs éléments méritent d’être

soulignés ici. Dans un premier temps, il est intéressant de noter la dichotomie existant d’une

part entre l’attitude décrite comme belligérante des Etats-Unis et celle de la DPRK, juste, en

elle-même, l’attitude de cette dernière dépendant essentiellement de celle des Etats-Unis. Un

changement de la politique et de l’attitude étasunienne, mènerait ainsi à un apaisement de la

situation, dans une relation où s’oppose un « arbitraire » américain face à un « bon-vouloir »

(will) nord-coréen quant à la volonté de voir les relations entre les pays s’améliorer : «  (…)the  dprk  is   ready   to   put   an   end   to   the   hostile   relations   and   improve   its   ties   with   the   unitedstates   with   leniency   and   good   will.   if   the   dprk-­‐

unitedstates   ties   are   to   be   improved,   the   unitedstates  must   dispel   the   outdated   conception   of   the   cold   war   era   and   refrain   from  

approaching   the   korean   issue   from   the   position   of   strength.  ». Ceci indique notamment que la position et la

politique nord-coréenne, ferme, est légitime et ne doit finalement pas être modifiée voire

même remise en question, cette dernière étant avant tout victime d’une situation arbitraire

créée par ses agresseurs. Dans un second-temps, il est intéressant de noter le fait qu’alors que

les Etats-Unis semblent former un bloc monolithique, le nom du président Bill Clinton n’étant

jamais évoqué, a contrario, le nom du président sud-coréen de l’époque, Kim Young Sam, est

nommé à plusieurs reprises et associé directement au régime coréen (Kim Young Sam

regime , group); les formes « young » et « sam » détenant par ailleurs toutes deux une

spécificité de 5 : «  the  kim  young  sam  group  must  renounce  the  wild  ambition  to  extricate  themselves  from  the  crisis  by  igniting  a  

new  war  and  must  give  up  the  war  maneuvers  against  the  north  at  once.  »  

Comme déjà vu supra, l’idée de réunification des deux Corées, séparées depuis 1948,

et qui se sont engagées dans la guerre fratricide de Corée de 1950 à 1953 constituait après la

guerre froide un élément important de politique étrangère d’une Corée du Nord isolée sur le

plan international et dont la perception de la menace était alors élevée. Il est ainsi intéressant

de noter que c’est sous Kim-Jong-il, que fut signée la Déclaration conjointe Nord-Sud du 15

juin 2000 avec le président sud-coréen Kim-Dae Jung, les deux dirigeants s’engageant alors à

œuvrer pour la réunification de la péninsule coréenne, alors que le 13 décembre 1991 fut

signé un accord de réconciliation, de non-agression d’échanges et de coopération entre les

deux pays27. A certains moments, l’agence de presse se réfère ainsi à des acteurs extérieurs

soutenant présupposément la réunification des deux Corées, ceci venant renforcer la position                                                                                                                27   Site   web   du   monde   diplomatique,   dossier   Corée,   http://www.monde-­‐diplomatique.fr/dossiers/coree/A/coree91.html  

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de la Corée du Nord, qui ne se retrouve alors pas esseulée dans sa volonté de voir aboutir ce

projet de réunification nationale : « (…)we   fully   support   the   korean  people's   just   struggle   for   independent  and  peaceful  

reunification   of   the   country.  ».   D’une manière globale, l’idée de la réunification des deux Corées

renvoie à une image positive, à une cause nationale que se doit d’être menée à bien et de

manière pacifique : « (…)glory  and  blessings  to  the  hopeful  kim  jong  il  era  which  will  bring  about  the  reunification  and  prosperity  

of  the  nation  and  adorn  the  21st  century!  ».  Aussi, bien souvent, des pays comme les Etats-Unis ou encore

le Japon, sont accusés d’entraver les efforts de réconciliation entre la Corée du Nord et la

Corée du Sud : «  (…)if  the  bellicose  elements  within  and  without  ignite  an  adventurous  war,  in  spite  of  the  unanimous  denunciation  

and   rejection   by   the   korean   nation   and   the  world   peace-­‐loving   people,   the   korean  workers   and   entire   people  will   annihilate   all   of   the  

aggressors,  provokers  and  achieve  the  cause  of  national  reunification(…)  »  

La spécificité « great », se réfère presque exclusivement à la personne de Kim-Il-sung

et plus particulièrement à Kim Jong-il, ceci nous renvoyant à l’idéologie du Juche et au culte

de la personnalité, constituant l’une des bases de légitimation du régime auprès des masses

populaires : « (…)kuwol  and  looking  round  woljong  temple  and  the  three  ponds.  under  the  banner  titles  "to  defend  great  comrade  

kim   jong   il   is   firm   faith   of   revolutionary   armed   forces"   and   "absolute   trust   in   and   worship   for   great   general   kim   jong   il"(…)  »  

Cet adjectif est également généralement joint au mot camarade (comrade), ceci ramenant à la

nature communiste du régime. Aussi, cette forme fait-elle également référence à la nature du

peuple coréen, du parti unique ou du projet de réunification nationale : «  (…)the   korean   people   are   a  great  heroic  people  who  defeated  the  unitedstates  which  boasted  of  being  the  "strongest"  in  the  world  ;  (…)this  is  the  unshakable  faith  and  

will  of  our  army  and  people  led  by  the  great  party.  »   « great » est ainsi à prendre dans le sens de la grandeur et

de la magnificence, il en appelle ainsi aux sentiments et au nationalisme coréen au travers du

mythe de Kim Jong-il qui serait, selon l’historiographie nationale, né au Mont Paektu, point

culminant de la Corée du Nord.    

 

La forme « war » obtient la quatrième plus grande spécificité. Ainsi, cette forme ne

décrit-il pas une situation de guerre de fait, mais davantage une situation ressentie comme

telle par la Corée. En effet, « war » est toujours associée et suivie par des formes telles que

« manœuvres », « game », « scenario », « provocation » « racket » ou encore « exercises »

L’association « war exercises » ou « war manoeuvers » faisant généralement directement

référence aux opérations du Foal Eagle : « (…)the   36th   foal   eagle  war   game,   involving   the   unprecedented-­‐in-­‐scale  

armed   forces   and  military   hardware   enough   to  wage   a  war,   is   an   out-­‐and-­‐out  war   drill   intended   to  make   a   preemptive   attack   on   the  

northern  half,  and  it  is  driving  the  inter-­‐korean  confrontation  to  the  brink  of  war  »  

Ceci nous indique bien que l’on se retrouve davantage dans une dialectique de guerre froide

que de guerre réelle prenant directement place sur le territoire nord-coréen. Souvent, ce mot

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  19  

est également associé aux formes« maniacs » ou « mongers », lorsque celui-ci n’est pas

directement attaché à ces dernières « warmongers », « warmaniacs ». Ils se réfèrent aussi

toujours à l’entité des Etats-Unis, et marque un espèce de penchant naturel pour ces derniers à

faire la guerre. « (…)if   the  unitedstates  war  maniacs   finally  unleash  war   in  defiance  of  our  good   faith  and   tolerance,   the  korean  

people   and   people's   army   will   mercilessly   annihilate   the   enemy   and   accomplish   the   historic   cause   of   national   reunification  »  

De même « puppets » se réfère exclusivement à la Corée du Sud, ce qui définit une situation

de sujétion à l’égard des Etats-Unis : « (…)the  unitedstates  war  maniacs  must  not  only  talk  about  "peace"  and  "detente"  

but   also   abandon   the   anachronistic   "policy   of   strength"   against   the   dprk   and   stop   goading   the   southkorean   puppets   on   to   war  

provocation  » Aussi, est-il souvent précédé par « unleash », « fratricidal » ou « new ». Le

« unleash » décrit généralement l’action des Etats-Unis, tandis que le « fratricidal » fait

référence à la guerre entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Par rapport au Foal Eagle

est-il intéressant de souligner que cette opération est davantage évoquée par Kim Jong-il que

Kim Jong-un, ceci pouvant s’interpréter par le fait qu’en 1997, cette opération était organisée

pour la première fois. Les années passant, on pourrait s’imaginer que le régime a ainsi

considéré cette opération militaire comme un rituel ne méritant même plus d’être appréhendé

et ne constituant plus une menace en soi.

« Our » obtient une spécificité de 7, ce qui est relativement conséquent. Ceci est très

intéressant en ce sens où cela marque un lien important entre l’organe officiel du parti et la

population nord-coréenne. Ce mot lien permet ainsi entre autres de créer à côté d’une

communauté de valeurs, une véritable cohésion nationale dans la lutte contre les Etats

belligérants, ou encore dans la lutte pour la réunification. La presse, le parti, le gouvernement,

le peuple, l’armée et le leader suprême ne font ainsi plus qu’un, ne formant plus qu’un corps

uni dans un même dessein : «  (…)  we  will  strengthen  our  armed  forces  in  every  way  so  that  we  can  smash  any  provocation  of  

the  enemy  at  one  stroke  at  any  time  and  in  any  place.  we  never  beg  provokers  for  peace.  in  order  to  defend  the  security  of  the  country  and  

the  people,  we  will  not  rule  out  sacred  war  against  the  aggressors.  this  is  the  unshakable  faith  and  will  of  our  army  and  people  led  by  the  

great  party.  »Ceci confirme d’une certaine manière le caractère totalisant et englobant du régime.

On se retrouve ainsi une fois de plus face à un manichéisme, d’autant lorsqu’on retrouve

« our » associé à « force », « tolerance » ou encore « will », ce qui souligne la puissance et la

bonté du peuple nord-coréen : (…)if the unitedstates war maniacs finally unleash war in defiance of our good faith and

tolerance(…) . Ceci peut ainsi nous faire penser à l’une des fonctions du fait-divers dans bons

nombres de journaux d’informations occidentaux, et à son rôle d’agrégation tribale, où un

« nous » s’oppose à un « vous ». Dans ce cas-ci, cette fonction se veut cachée et indirecte.

Dans le cas d’un régime totalitaire, cette fonction est limpide, le destin du régime étant

directement mis en liaison à celui du peuple face à d’autres grands ensembles directement

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  20  

désignés. Ainsi, dans le même ordre d’idée retrouvons-nous à de nombreuses reprises la

forme « we » associée à « will », ce qui indique une action dirigée dans le futur et ceci

renforçant l’idée d’un projet commun liant la société nord-coréenne dans son ensemble, cette

dernière étant décrite à la fois comme prête à répondre aux attaques et insoumise face à ses

adversaires : (…)we  will  answer  the  reckless  war  provocation  moves  of  the  unitedstates  and  japan  with  corresponding  self-­‐defensive  

measures  ». Aussi, même si cette dernière souhaite la paix, elle n’est néanmoins pas prête à se

soumettre pour l’obtenir «  we  love  peace  but  never  beg  for  it.  »  

4.2.3.  Spécificités  par  parties  Kim  Jong-­‐un  

Les tableaux repris ci-dessous, issus du logiciel Lexico3, montrent l'emploi du

vocabulaire spécifique aux dépêches de la Korean Central News Agency lors des journées du

12 février et des 13 et 14 mars de l'an 2012, ces dates ayant été considérées via l'analyse des

facteurs comme fortement représentatives de la polarisation à droite sur le graphique fourni

par l'AFC. C'est en outre sur cette partie droite que se situent une écrasante majorité des

discours tenus par l'agence de presse lors du règne de Kim Jong-un.

Il est très intéressant de noter que les formes semblant les plus spécifiques à ces

parties du corpus, relevant de la polarisation marquée entre les deux leaders par l'AFC, sont

celles qui désignent des régions, des pays étrangers. Plus encore, ces pays étrangers ne sont ni

la Corée du Sud, qui se trouve sous-représentée dans cette section, ni les États-Unis, qui avec

un indice de spécificité de 3 ne se dénote pas considérablement, compte tenu des modalités de

sélection du corpus explicitées précédemment. « lanka » arrive en première position, suivie de

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  21  

peu par la forme « sri », qui, ayant la même fréquence d'utilisation, confirme bien qu'il s'agit

d'une utilisation conjointe se référant au pays qu'est le Sri Lanka. Aussi la forme « asia »

semble-t-elle très prégnante. On notera également l'usage fréquent des termes « afghan » et

« afghanistan » ainsi que celui de « pacific ». Relativement rare dans le reste du corpus,

l'utilisation de ces termes marquent l'inscription de perspectives plus mondiales dans les

discours officiels nord-coréens. En effet, ici, l'intuition du chercheur à la vue des mots pleins,

spécifiques à ces parties, irait rapidement dans le sens d'une parenté avec les spécificités du

champ lexical martial – lui aussi très présent –, telle « soldier » ou « drone » « killing »

« civilians » « in » « asia ». Il est cependant important dans le cadre d'une étude

lexicométrique de passer outre les raccourcis intuitifs ; vérifions donc les contextes, ainsi que

le sens donné à chacune de ces formes lexicales au sein des articles. Aussi est-il surprenant de

trouver un mot comme « development » parmi la concentration de vocabulaire martial, nous

nous attacherons donc également à en dégager le sens. Le seul mot-outil qu'il convient de

souligner parmi ces spécificités est l'adverbe « in » qui avec un indice de 6 est très important à

cerner. Il s'insère au premier regard dans le schéma dénonçant l'implication des USA au sein

de diverses parties du monde et marque par son contexte les opérations militaires américaines.

Les verbes les plus présents de cette section sont « killing » et « killed » ayant

respectivement des indices de spécificité de 9 et 4, suivis par « condemns » et « condemned ».

Sujets du premier, objets du second, les États-Unis sont intrinsèquement liés à ces deux

verbes. Utilisé à quinze reprises, le verbe « to kill », l'action de tuer est une entreprise

exclusivement réservée aux États-Unis. De plus, utilisé huit fois avec pour objet « civilians »,

c'est le caractère immoral de l'action militaire américaine qui est ici décriée, étant bien

entendu qu'il est mal de tuer des civils : “at  least  16  civilians,  including  women  and  children,  were  reportedly  killed  by  

the  unitedstates  soldier”,  “the  killing  of  afghan  civilians  by  a  unitedstates  soldier”,  “at  least  12  people  were  killed  and  three  others  injured  

in   a   unitedstates  drone   strike   launched   friday   in   pakistan's   northwest   tribal   area”.  C’est en outre dan ce schéma de la

dénonciation que se retrouvent imbriquées les multiples formes du verbe « condemn »,

condamner, qui pour sa part est uniquement le fait de nations tiers.

C'est donc dans ce contexte que nous retrouvons les acteurs internationaux identifiés

plus haut, qui semblaient spécifiques de cette partie du corpus : “russia  on  monday   condemned   the   recent  killing  of  afghan  civilians”,“expressed   the  stand  of  his  country   rejecting   the  unitedstates  and  

west's   sanctions   against   iran.”,“india   will   not   join   the   unitedstates   and   west   in   applying   the   sanctions   against   iran,   he  

stressed.”,“afghanistan   condemns   killing   of   16   civilians   by   unitedstates   soldier”,   “pakistan   condemns   unitedstates   house   bill   on  

balochistan  ».  Ils sont, comme nous le suggèrent les extraits cités, mentionnés selon deux options :

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ils sont soit les victimes des forces armées américaines (s'agissant principalement de

l'Afghanistan), soit ils condamnent les États-Unis pour leur politique internationale ou leur

implication dans la mort d'innocents de par le monde. On assiste donc à une dichotomie

internationale sur base du champ lexical guerrier. L'opposition à caractère manichéen est

marquée entre d'une part les États-Unis qui veulent imposer leur ordre par la force à la région

Asie-Pacifique (et leur implantation en Corée du Sud comme à Okinawa, préfecture japonaise

qui n'est mentionnée qu'au travers des troupes américaines y stationnant), et d'autre part la

Corée du Nord ainsi que les autres pays condamnant l'action des premiers. «  top  commercial  banks  in  

sri  lanka  have  joined  protests  against  a  unitedstates  »  ,  «  president  of  bolivia  evo  morales  on  friday  slashed  the  unitedstates   interfering  

policy  »,  «  unitedstates  stretches  out   its  tentacles   into  asia-­‐pacific  region.  the  unitedstates   is  stretching  out  tentacles  of  domination  into  

the  asia-­‐pacific   region   to   realize   its  wild   ambition   for  world  domination.   »,   ”the  unitedstates   has   invented   various   absurd  pretexts   for  

years   to   justify   its  military  presence   in  southkorea  and  military  domination  over  northeast  asia  ».  C'est d'ailleurs également

dans cette optique d'internationalisation que nous retrouvons l'utilisation, qui nous avait parue

étonnante, du mot “development”. Si celui-ci se réfère une fois au programme de recherche

nucléaire nord-coréen, c'est surtout dans son sens premier qu'il est utilisé, se liant par trois fois

au développement du Sri Lanka, qui est empêché par les USA, et deux fois à la Bolivie pour

dénoncer l'espionnage camouflé par l'agence américaine de développement USAid : “bolivian  president  evo  morales  on  thursday  accused  the  united  states  of  spying  on  his  and  other  latin  american  countries.  the  bolivian  president  said  

the   spying   is   done   under   the   cover   of   the   unitedstates   agency   for   international   development.”,   ”speech   presented   to   the   congress  described  the  dprk  as  "forces  of  threat".  he  claimed  the  dprk's  development  of  nuclear  weapons  and  ballistic  missiles  makes  it  more  urgent  

for  the  unitedstates  to  establish  a  ballistic  missile  defence  system  and  that  the  dprk  is  threatening”

La Corée du Sud, dans cet équilibre, endosse un rôle ambivalent, à la fois complice et

victime. Si elle peut apparaître comme hôte privilégiée pour les soldats américains, de par leur

alliance militaire, c'est toujours dans une relation inégale de quasi-subordination. En effet, la

Corée du Sud n'est que passive : elle accueille la coopération militaire sans que sa population

ne la cautionne à coup sûr. Mention est d'ailleurs faite d'un mécontentement interne qui,

véridique ou non, témoigne d'une perception par les leaders nord-coréens, de la position

équivoque du peuple et de l'éventualité d'une discordance entre la politique menée par le

gouvernement (considéré d'ailleurs illégitime, comme nous l'avons souligné à de multiples

reprises) et le peuple sud-coréen. “its military presence in southkorea and military

domination over northeast asia”. Il est clair que les États-Unis sont mentionnés en terme de

menace perçue. Le champ lexical qui s'y rapporte dans cette section du corpus est

essentiellement stratégique/martial. La Corée du Nord annonce par le biais de ses organes de

presse que ces derniers visent la domination de tout le continent : “it  is  the  strategic  goal  of  the  unitedstates  to  put  the  whole  of  the  korean  peninsula  under  its  control  with  southkorea  as  its  base  and,  furthermore,  establish  its  military  domination  

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over  northeast  asia  and  the  rest  of  the  asia-­‐pacific  region.” Ce faisant, le gouvernement nord-coréen se place en

pacifiste, ou en résistant. Il est en tout cas le légitime défenseur de la péninsule coréenne

contre l'invasion américaine, il maintient le dernier bastion d'anti-impérialisme ; et c'est ce

rôle qui confère sa légitimité au régime ainsi que la nécessité de sa militarisation au travers

notamment de la politique du Songun qui justifie les recherches en armement.

Nous retrouvons donc au travers de cette analyse des spécificités les objectifs

manifestes comme latents, identifiés dans la première partie de ce travail. L'indépendance,

l'amitié, et la paix sont prônés autour du rejet de l'impérialisme américain dans le monde

émergent (Asie, Pacifique, Amérique Latine sont mentionnées) tandis que la légitimité, la

sécurité et le développement découlent de manière moins affichée de la position du

gouvernement nord-coréen sur cet échiquier mondialisé. La légitimité est acquise au

détriment de la Corée du Sud, et au travers de l'opposition ferme des leaders nord-coréens.

Quant aux États-Unis, le besoin de sécurité est affirmé par la perception de la menace

extérieure, et le développement s'opère, conformément aux principes du Juche et de Songun,

par le biais de l'armée, dont l'importance est à nouveau légitimée en regard aux menaces

externes.

4.3.  Comparaison  

De la comparaison émerge un certain nombre d'oppositions comme un certain nombre

de similarités. La première observation qu'il est intéressant de noter est la plus grande

concentration du vocabulaire de Kim Jong-il au sein duquel on retrouve l'usage de mots qui,

tels « must » ou « puppets », ne reviennent pour ainsi dire jamais dans les discours de Kim

Jong-un. De plus grands indices de spécificités caractérisent les discours du premier, tandis

que le second semble avoir un vocabulaire plus élargi, varié. Aussi avons-nous mis en lumière

le fait que les discours médiatiques sous Kim Jong-il sont très ancrés dans la région

géographique coréenne, avec l'implication des États-Unis fortement corrélée à celle de la

Corée du Sud lorsque celle-ci n'est pas mentionnée dans une optique de réunification. Les

informations y sont relativement autocentrées, avec un fort usage des prépositions identifiant

le « Nous ». À l'inverse, ceux de la période de gouvernance de Kim Jong-un sont empreints

d'une internationalisation des enjeux, mettant en scène le monde dans la confrontation. Le

vocabulaire se rapportant à la géographie internationale – les références asia, pacific, region,

afghanistan, iran et cetera – est à envisager sur deux plans : les acteurs internationaux sont

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mentionnés soit en opposition aux États-Unis (dans une logique passive ou dans une logique

active, selon qu'ils sont victimes de la guerre ou qu'ils manifestent leur mécontentement) soit,

dans une moindre mesure, en lien positif avec la Corée du Nord (au travers de coopération, de

diplomatie ou d'affinités dues à l'ennemi commun). Le « nous » constitué au sein des discours

de 2012 est donc un « nous » plural, auquel s'attache une communauté de nations qui se

définit essentiellement par opposition à l'impérialisme. Dans une démarche différente, les

discours de 1997, formulés sous le gouvernement de Kim Jong-il, s'attachent à la définition

d'un « nous » nord-coréen, auquel se rapportent les valeurs idéologiques et les agents du

régime : le parti, l'armée, le peuple, que l'on affuble de qualités. L'ennemi ultime, en revanche,

est relativement concordant : il s'agit inexorablement des États-Unis. Concernant ces derniers,

comme nous avons pu nous en rendre compte supra, ils sont, lors de la période de Kim Jong-

il, généralement associés directement aux formes « warmaniacs » (25 occurrences),

« warmongers » (14 occurrences) ou encore « imperialists », ce qui va sans dire, rend compte

d’une vision belliciste des Etats-Unis émanant de l’agence de presse nord-coréenne à cette

époque. A contrario, lors de la période Kim Jong-un, les Etats-Unis sont essentiellement

associés à des formes telles que « forces » (64 occurrences), ce qui indique le fait que les

Etats-Unis agissent uniquement au travers de leur armée. Dans le même ordre d’idée, la forme

« United-States » est jointe aux formes « marines », « army », « military », « troops » et dans

une moindre mesure « imperialists ». Ceci indique dès lors que l’action des Etats-Unis sur la

scène internationale est uniquement militarisée, ces derniers, n’étant pas à l’instar de la

période sous Kim Jong-il, décrits au travers d’adjectifs. En effet, c’est par l’action et non par

le caractère, présupposé intrinsèque à l’entité américaine, qu’est mis en avant l’impérialisme

belliciste dont font preuve ces derniers. Concernant l’appel à la réunification des deux Corées,

ce qui constitue comme nous l’avons vu l’un des objectifs manifestes de la politique étrangère

nord-coréenne, nous avons vu que si chez Kim Jong-il, on retrouvait une occurrence élevée de

la forme « réunification » (58 occurrences), lors de la période de Kim Jong-un, l’idée de

réunification, bien qu’évoquée, était alors moins spécifique. Ainsi, il apparaît que sous Kim

Jong-il, la volonté de réunification de la part des sud-coréens ne soit que peu questionnée, et il

s’agit dès lors pour lui d’établir les conditions de cette réunification pacifique, à savoir

principalement la rupture du lien qu’ils entretiennent avec les Etats-Unis (établie par la forte

cooccurrence des formes « southkorean » et « puppets »). Généralement, sous Kim Jong-un,

la réunification devient un prétexte à la polarisation. En effet, sous le gouvernement de Kim

Jong-un, cette volonté est interrogée, et n’est toujours que partielle, si bien que l’incertitude

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de cet engagement, permet de discréditer le gouvernement sud-coréen et de poser ainsi les

leaders nords-coréens en tant que légitimes représentants de la Corée réunifiée.

Les spécificités de la période Foal Eagle au sein du corpus séparé Kim Jong-il

Les spécificités de la période Foal Eagle au sein du corpus séparé Kim Jong-un

Notre hypothèse concernant le durcissement de la rhétorique militaire lors des

événements du Foal Eagle ne s'avère que partiellement correcte. En effet, la prégnance du

mot « war », qui obtient une fréquence de 183 sur la période s'étalant du 17 octobre au 6

novembre 1997 – parmi les 303 utilisations comptabilisées sur une période totale étudiée,

allant du 17 septembre au 6 décembre – confirme une nouvelle fois que la menace d'une

guerre semble peser sur la Corée du Nord, du moins selon son interprétation des exercices

conjoints. Le vocabulaire militaire en est renforcé, et les exercices du Foal Eagle sont

mentionnés un bon nombre de fois, suffisamment pour être considérés spécifiquement liés à

cette section du corpus. En revanche, la sur-utilisation du mot « drills », qui dénote

directement par sa traduction du caractère d'entraînement inhérent au Foal Eagle, semble être

un terme moins fort, moins guerrier. La menace est donc peut-être, comme nous l'avions

présupposé plus haut, plus légèrement perçue, en tant qu'il s'agit déjà de la quinzième

manœuvre de ce type. Par contre, ce qui est bel et bien tangible pour Kim Jong-un, c'est

l'impérialisme qui est exacerbé dans cet exercice militaire. Le Foal Eagle est donc davantage

perçu comme une démonstration de puissance impérialiste que comme une menace réelle.

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  26  

5. Conclusion                             Notre objectif initial visait à interroger l’éventualité d’une différence de rhétorique

émanant de la part de l’agence de presse KCNA entre le règne de Kim Jong-il et celui de Kim

Jong-un par rapport aux Etats-Unis. Afin de répondre à notre interrogation, nous avons décidé

de nous intéresser aux premières années où les deux leaders dirigeaient officiellement le pays

à la fois en tant que Chef suprême de la DPRK et Secrétaire du Parti du travail de Corée. Plus

spécifiquement, nous nous sommes intéressé à l’événement du Foal Eagle, et ce afin

notamment de délimiter notre corpus. Notre première hypothèse était qu’il existe une

divergence de rhétorique entre Kim Jong-il et Kim Jong-un eu égard à la personnalité ddeux

leaders, alors que notre deuxième hypothèse postulait un durcissement discursif lors des

opérations militaires conjointes menées lors des événements du Foal Eagle entre les Etats-

Unis et la Corée du Sud.

Ainsi, d’un point de vue global, nous estimons pouvoir ici confirmer notre première

hypothèse, et ce, bien sûr, dans les limites relatives au choix de notre corpus. En effet, il nous

est apparu au travers cette analyse comparative qu’il existe une différence de rhétorique entre

Kim Jong-il et Kim Jong-un, et ce malgré une prégnance évidente de la langue de bois entre

les deux périodes. La langue de bois se retrouve notamment par la formulation de segments

répétés dont le plus marquant reste « independant and peaceful reunification » lorsqu’il est

fait mention de la Corée dans son ensemble. Sous Kim Jong-il, ressortait en effet davantage

une vision agressive, monolithique, des Etats-Unis, dont la relation avec la Corée du Sud se

définissait en tant que relation de sujétion des seconds par rapport aux premiers. Aussi, la

relation entre la Corée du Nord et les Etats-Unis semblait se résumer à la formulation

d’injonctions de Pyongyang à l’égard de Washington. Ceci pourrait s’expliquer non-

seulement par l’isolement de la Corée du Nord sur la scène internationale à cette époque, mais

également par la personnalité de Kim Jong-il en elle-même. Ceci nous renvoie également aux

objectifs manifestes et latents de la Corée du Nord (voir supra). Kim Jong-un quant à lui

s’inscrit dans une perspective plus mondialisée et entreprend au travers de la description des

actions militaires américaines (principalement dans la région Asie-Pacifique comme nous

l’avons développé plus haut) d’établir non seulement leur caractère impérialiste, mais encore

d’identifier les victimes de cet impérialisme ainsi que ceux qui s’y opposent. Cette démarche

traduit donc d’une part une volonté de dénonciation plus formelle des méthodes américaines

(notamment l’utilisation de drones ou le caractère civil des victimes de leurs attaques) autant

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  27  

qu’elle démontre la recherche d’alliés partageant les « condamnation » que ces derniers

émettent à leur égard.

Concernant notre deuxième hypothèse, elle est, comme nous l’avons vu, partiellement

correcte, au sens où Kim Jong-un voit dans cette opération une occasion de réaffirmer le

caractère impérialiste des Etats-Unis. Quant à son prédécesseur, cette opération militaire

semble davantage représenter une menace directe pour l’intégrité du pays, eu égard, à la forte

fréquence de la forme graphique, « war », qui associe de fait l’exercice au champ lexical

martial.

Pour conclure, nous avons pu nous rendre compte, malgré certaines différences de

langage, de la persistance de la langue de bois au sein des dépêches KCNA entre la période

Kim Jong-il et Kim Jong-un. Il pourrait aussi être intéressant, en parallèle au travail effectué

ici, d’inverser la comparaison, en tentant de cerner cette fois l’évolution de la rhétorique

américaine à l’égard de Pyongyang. Notre corpus étant ici limité, il serait intéressant de

travailler sur un corpus plus conséquent, afin de confirmer ou infirmer nos hypothèses pour de

bon. L’analyse lexicométrique s’est avérée ici un bon outil permettant de répondre

partiellement à nos hypothèses par l’identification d’une structure inhérente au texte ainsi que

d’associations répétées de formes, qui s’imbriquant, permettent au chercheur de révéler le

sens caché du discours, assimilé au concept d’architexte développé par Maurice Tournier.

Différents phénomènes de téléstéréotypie, peuvent ainsi être décelés. Dès lors, il serait

également intéressant, dans une recherche future, d’interroger la réception de ces

téléstéréotypes par le public.

 

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  28  

6. Bibliographie

6.1.  Ouvrages    - CHEONG, Seong Chang, Idéologie et Système en Corée du Nord. De KIM Il-Sông à KIM

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- DELPORTE, Christan, Une histoire de la langue de bois, Paris, Flammarion, 2011

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- YONGHO, Kim, North Korea Foreign Policy. Security Dilemma and Succession, Lanham,

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6.2.  Articles  scientifiques    - BRILLOUET Alain, « Quelques données sur les moyens d'information en Corée du Nord »,

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- TOURNIER, Maurice, « Texte « propagandiste » et cooccurrences. Hypothèses et méthodes

pour l’étude de la sloganisation », in, Mots n°11, octobre 1985

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6.3.  Sites  Internet    - North Korea Leadership Watch, http://nkleadershipwatch.wordpress.com/kim-jong-un/

- Site officiel de la République populaire démocratique de Corée, www.korea-dpr.com/

- Korean Central News Agency, kcna.co.jp

- Le Monde Diplomatique, http://www.monde-diplomatique.fr

7. Annexes