-
TITRES PARUS
Jean Chagniot, Le Chevalier de Folard.
Michel Debidour, Les Grecs et la Guerre.
ric Denc, Forces spdales, l'avenir de la guerre?
Patrick Facon, Le Bombardement stratgique.
Lawrence H. Kee1ey, Les Guerres prhistoriques.
Franois Kircher, Les 36 stratagmes.
Yann Le Bohec, Histoire militaire des guerres puniques.
Yann Le Bohec, Csar, chefde guerre. Philippe Masson, L'Homme en
guerre, de la Marne Sarajevo. (Prix
Raymond Poincar, 1998.)
Jacques Sapir, La Mandchourie oublie. Splendeur et limites de
l'art de la guerre sovitique.
Martin van Creveld, La Transformation de la guerre. Martin van
Creveld, Tsaha~ Histoire critique de la force isralienne de dfense.
Martin van Creveld, Les Femmes et la guerre.
-
L )tri le fa ([jueure Collection cre et dirige par Christine
Lorin de Grandmaison
larajevo. (Prix
es de l'art de la
enne de dfense.
-
M3NIVA na 3:.LIVd~a V1 no 3:nnu~li\LSV ffiill3:n8 V1
-
DU MME AUTEUR
Warsaw Pact Weapons Handbook, Paladin Press, Boulder, 1989
Encyclopdie des terrorismes, Lavauzelle, Paris, 1999 Encyclopdie du
renseignement et des services secrets (3 dition),
Lavauzelle,Paris,2002 Les Forces spciales de l'organisation du
trait de Varsovie 1917-2000,
L'Hannattan, Paris, 2002 LAC
-
r,1989
e3 dition),
1917-2000,
Jacques Baud
LA GUERRE ASYMTRIQUE OU LA DFAITE DU VAINQUEUR
I.:Art de la Guerre
DITIONS DU ROCHER Jean-Paul Bertrand
-
illustration couleur (couverture): Intifada, AP/Laurent Rebours
Illustration de la couverture et de la page 3 {noir et blanc} :
Rgne d'Assurbanipal- 669-631 av. J.-C., Ninive. La lionne mourante
se trane sur les pattes postrieures dans un ultime haltement de
vie. Londres, British Museum. Photo A. Lorenxini, dimdia.
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation
rservs pour tous pays.
ditions du Rocher, 2003
ISBN: 2 268 04499 8
-
urs
ne) : Rgne fiourante se le vie.
servs pour
INTRODUCTION
Le plus grand ennemi de la connaissance n'est pas l'ignorance,
c'est l'illusion de la connaissance.
Stephen Hawking
Les vnements du 11 septembre 2001 n'ont pas marqu le dbut d'une
guerre. lis n'ont t qu'une tape - ou qu'une bataille dans une
guerre qui tait engage depuis plusieurs annes dj, mais dont la
ralit n'avait pas t reconnue. Une guerre de nature asymtrique,
obissant des mcanismes nouveaux, une logique stratgique diffrente
qui bouleverse les notions de la stratgie traditionnelle.
La supriorit militaire et technologique ne dissuade plus, mais
contraint l'emploi de mthodes nouvelles. Non seulement cette
supriorit, issue de la logique capacitaire de la guerre froide et
base sur l'quilibre de la terreur, n'est plus capable
d'impres-sionner, mais elle est devenue symbole d'arrogance et
alimente les ressentiments contre l'Occident. Paralllement - ou
asymtrique-ment devrait-on dire - ce rflexe de supriorit tend
enfermer l'Occident dans une vision technologique, propre et
impersonnelle de la guerre. Cette supriorit alimente un
ethnocentrisme exa-cerb qui estompe les ralits des autres
civilisations. Ce syndrome n'est d'ailleurs Pas une spcificit
militaire, mais peut tre constat dans toute la socit occidentale, y
compris (peut-tre mme: et surtout) travers nos efforts vouloir
faire fonctionner des socits loignes selon des principes
occidentaux.
Les rapports de forces traditionnels peuvent tre contourns grce
une nouvelle organisation du monde en rseaux, qui
-
10 LA GUERRE ASYMTRIQUE
volue quotidiennement. De nouveaux rapports de forces et de
nouvelles hirarchies s'tablissent dans des espaces diffrents de
ceux o s'exercent les rapports de forces traditionnels, contre.
lesquels l'tat est impuissant.
La stratgie amricaine du big stick 1, qui anime la politique
trangre amricaine depuis Theodore Roosevelt est applique avec des
rsultats toujours plus alatoires. Autrefois gnratrice de paix, elle
engendre aujourd'hui le chaos. Plus que jamais, les conflits,
qu'ils soient au niveau global, rgional, voire local, font partie
du choc des civilisations 2 . Les rapports de forces qui taient
autrefois garants de la stabilit internationale deviennent sources
d'instabilit.
Apparue au dbut des annes 90, peu de temps aprs l'chec de
l'action militaire en Somalie, la notion de conflit asymtrique
s'est rapidement impose. Elle est abondamment utilise pour dcrire
des phnomnes aux facettes multiples, mais sa significa-tion reste
floue et on y rattache souvent tout ce qui n'appartient pas aux
conflits conventionnels et classiques. Le terrorisme, la gurilla,
les meutes, la guerre de l'information y sont souvent entasss
ple-mle Elle constitue ainsi un conteneur pratique pour caser des
stratgies dont on n'a pas vraiment compris tous les mcanismes et un
refuge pour expliquer l'inefficacit de l'action scuritaire.
Les critres le plus souvent noncs pour dfinir la guerre
asy-mtrique sont l'emploi de mthodes dloyales et/ou diriges contre
les, populations civiles, la disproportion des moyens uti-liss ,
les diffrences technologiques entre les belligrants , et 1'
exploitation des vulnrabilits de l'adversaire . On y inclut
volontiers la guerre de l'information (Information War/are IW), la
guerre des rseaux informatiques (Netwar) et l'emploi d'armes de
destruction massive.
Mais, l'emploi de missiles de croisire ou de bombardiers B-52
contre l' Mghanistan est-elle loyale? Certes, les armes
occiden-tales ne s'attaquent gnralement pas dlibrment aux
popula-tions civiles (avec des exceptions notables lors de la
guerre du
1. galement appele politique de la canonnire. 2. Voir Samuel
Huntington, Le Choc des civilisations, Paris, ditions Odile
Jacob,1997.
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-
11
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:ditions Odile
INTRODUCTION
Vietnam ou en Isral), mais les subtilits d'un CEP 1 ou d'un
dommage collatral sont-elles comprises comme telles par les
populations touches? Quant aux diffrences technologiques, o
commencent-elles et o finissent-elles? La guerre mene par l'Italie
en Abyssinie (3 octobre 1935-5 mai 1936) tait certaine-ment
dissymtrique, mais tait-elle asymtrique? L'exploitation des
faiblesses de l'adversaire n'est-elle pas un des principes
fonda-mentaux de toute stratgie depuis la nuit des temps? Peut-on
ds lors parler d'asymtrie?
Le point commun de tous ces lments de dfinition, est de donner
une image statique de l'asymtrie, qui conduit un constat, mais ne
permet pas de trouver les solutions doctrinales et strat-giques
adquates.
Guerre du faible contre le fort, la guerre asymtrique est
sou-vent une confrontation entre des systmes politiques, sociaux,
cultu-rels, organisationnels obissant des logiques diffrentes. Les
stratgies asymtriques apportent une dimension nouvelle dans l'art
de la guerre. Alors que dans les conflits symtriques, la vic-toire
se construit de manire quasi linaire sur ses propres succs
tactiques, dans les conflits asymtriques, le succs stratgique se
construit sur les succs tactiques de l'adversaire.
Depuis le Moyen ge, les armes occidentales se sont dveloppes
dans la logique pe-cuirasse fonde sur les rapports de forces.
L'arme nuclaire apporte une rupture et modifie les quilibres
stra-tgiques en ce que le basculement dans l'horreur est plus
immdiat et la porte de tous. Elle implique de nouvelles manires de
raisonner. Ainsi, apparat la stratgie dite du faible au fort, pr-ne
par la France, et qui fixe les quilibres non plus en fonction de la
force effective des armes, mais en fonction de la volont d'une
nation de lier sa propre destruction celle de son adversaire. Cette
stratgie - asymtrique avant la lettre - tend rompre avec une
logique traditionnelle base sur la prservation des forces et la
notion de supriorit. Elle trouve son point culminant dans la
stra-tgie amricaine appele ironiquement MAD (Mutual Assured
Destruction) o les deux superpuissances se seraient dlibrment
engages dans un processus calcul de destruction mutuelle.
1. CEP: Circular EmJr Probable. Unit de mesure qui dtermine le
niveau de prcision d'une arme balistique.
-
12
III
LA GUERRE ASYMTRIQUE
La guerre froide opposait des adversaires qui se situaient dans
des systmes de logique semblables, mais avec des ambitions
dif-frentes. La gestion des conflits modernes - et particulirement
les conflits asymtriques - obit de nouveaux principes. Elle
requiert une meilleure coute de l'adversaire et une analyse
soi-gneuse de sa stratgie. La crdibilit du systme scuritaire ne
dcoule plus des rapports de forces, mais de sa facult
d'adapta-tion. Il ne s'agit plus de disposer de forces suprieures,
mais d'avoir la capacit d'opposer un adversaire de manire imm-diate
et fluide des moyens militaires et/ou non-militaires, de manire
cohrente dans des espaces diffrents.
De la guerre asymtrique on peroit gnralement les effets et les
manifestations les plus spectaculaires, comme le terro-risme, mais
on comprend malle fonctionnement . Bruce Hoffmann, expert amricain
du terrorisme, pose les questions suivantes:
Parmi les questions qui n'ont pas trouv de rponse: Cil Pourquoi
les terroristes n'utilisent-ils pas plus rgulirement des missiles
antiariens pour attaquer des avions civils? .. Pourquoi les
terroristes n'emploient-ils pas des armes plus simples et
facilement accessibles comme des lance-roquettes antichars pour
attaquer des avions au dcollage ou l'atterrissage? Cil Pourquoi les
terroristes n'utilisent-zls pas des drones sans pzlote ou des
appareils ultra-lgers pour attaquer par les airs des cibles
fortement dfendues et dont l'accs par le sol est trop di/fictle? ..
Pourquoi les terroristes ne se sont-ils pas engags plus souvent
dans des attaques massives simultanes avec des armes simples et
destructrices comme des voitures-bombes? .. Pourquoi les
terroristes n'ont-ils pas utilis des tactiques visant
l'effondrement masstf de moyens de transport et de communication
(cyberattaque)? Pourquoi les terroristes n'ont-ils pas effectu plus
d'attaques
contre des objectifs maritimes, spcialement des navires de
croistere ou des cargos transportant des matires dangereuses (comme
du gaz naturel liqufi) ? .. Pourquoi les terroristes ne
s'attaquent-ils pas au btai~ considrablement plus facile attaquer
que des humains, avec des armes biologiques?
-
13
laient dans bitions dif-ulirement cipes. Elle analyse
soi-uritaire ne d'adapta-
~ures, mais 1re imm-litaires, de
lt les effets le le terro-lt . Bruce s questions
gulirement 'ils? 'tes plus simlUettes antiltterrissage? '!s sans
pilote irs des cibles 'op difficile? :s plus sou'c des armes .? "es
tactiques nsport et de
IS d'attaques 'Jires de croiuses (comme
btail, consi,'ns, avec des
INTRODUCTION
Pourquoi les terroristes n'ont-ils pas utilis davantage l'norme
potentiel psychologique des armes chimiques, biologiques ou
nuclaires et des attaques dans le cyberespace plus souvent?
Pourquoi les terroristes ne se sont-ils pas attaqus des centres
industriels ou chimiques avec des armes conventionnelles, en
tentant de rpter une catastrophe de Bhopal, causant des milliers de
morts et handicaps permanents? Et finalement, pourquoi -
l'exception du Il septembre semblent-ils tant manquer de
l'imagination qui/oisonne chez les producteurs d'Hollywood, les
auteurs de romans policiers, etc. l ?
Poser ces questions illustre la perception occidentale et
conven-tionnelle du terrorisme, encore trs attache des critres
quantita-tifs. Dans les guerres asymtriques, le succs n'est pas
associ un nombre de morts, mais la raction provoque par les
destructions.
La guerre asymtrique n'a ni visage, ni solution uniques. Nous
tenterons donc id simplement de fournir une cl de lecture du
phnomne, afin d'en identifier les mcanismes souvent subtils. Nous
examinerons 1'asymtrie sous son angle dynamique, et nous
attacherons dmontrer que la guerre asymtrique est une forme de
guerre qui se fonde sur des logiques et des principes nouveaux.
Cette approche doit permettre la conception de stratgies plus
efficaces, qui se situent le plus souvent en amont des solutions
actuellement appliques par les forces occidentales.
1. Bruce Hoffmann, Rethinking Terrorism and Counterterrorism
since 9/11 (
-
I. NOUVEAUX PARADIGMES
Le symbole du systme de la Guerre/roide tait un mur qui nous
divisait tous. Le symbole du systme de la mondialisation est le
World Wide Web 1 qui nous unit tous.
Thomas 1. Friedman
LES PARADIGMES STRATGIQUES
La mondialisation - Nouvelle extension du monde
Si la disparition du mur de Berlin constitue l'lment marquant de
la fin du XX" sicle, et remet en cause les relations stratgiques
entre l'Est et l'Ouest, elle n'est cependant qu'un lment au cur
d'une convergence de facteurs. L'volution technologique, la baisse
du cot des communications, les mcanismes d'intgration conomique, la
dlocalisation industrielle et l' (imparfaite) harmo-nisation
sociale qui en rsulte, donnent naissance la notion de village
global aux interdpendances croissantes. L'effet papil-Ion dcrit par
Edward Lorenz sort du domaine mtorologique pour toucher l'ensemble
de la socit: Le battement d'ailes d'un papillon Tokyo cre un
ouragan dans le golfe du Mexique.
La mondialisation n'est pas seulement un phnomne cono-mique,
elle est avant tout une attitude mentale, une philosophie.
1. En franais: la Toile, qui n'est qu'une partie d'Internet.
-
16 LA GUmASYMTIUQUE
Elle dcrit un ensemble complexe d'interactions, qui couvre tous
les aspects de la socit moderne, de la culture aux changes
commerciaux, en passant par la production industrielle. Elle modle
la socit moderne en un rseau d'acteurs la fois partenaires et
adversaires.
Alors que le systme de la guerre froide fonctionnait autour de
l'tat-nation, le systme de la mondialisation place l'individu, les
entreprises et les tats sur une mme base. Le dveloppement des
organisations non-gouvernementales (ONG) et de leur influence dans
la gestion des crises est sans doute une illustration de cette
nou-velle rpartition des pouvoirs dans le monde. Ainsi, par
exemple, la lutte contre les mines antipersonnel, qui stagnait dans
le pro-cessus de la confrence du dsarmement de l'ONU, a reu une
impulsion dcisive des ONG, qui a abouti au trait d'Ottawa en 1997,
bouleversant tous les principes de la diplomatie classique.
La mondialisation succde au systme de la guerre froide et
replace les antagonismes bipolaires en un vaste systme
d'antago-nismes plus subtils, o la notion d' adversaire se confond
avec celle de concurrent . En synergie avec l'volution
technolo-gique, la mondialisation est le systme du mouvement et de
l'ubi-quit, alors que la guerre froide tait essentiellement un
systme statique, symbolis par la notion de blocs .
La rticulation - Nouvelle organisation du monde
Alors que les caractristiques de la guerre froide tiraient leur
essence de la notion de division , celles de la mondialisation sont
issues de la notion d'intgration. Le symbole du systme de la guerre
froide tait un mur, qui nous divisait tous. Le symbole du systme de
la mondialisation est le World Wide Web, qui nous unit tous 1.
1. Thomas L. Friedman, From supercharged financial markets to
Ousama Ben Laden, the emerging global order demands an enforcer.
That's America's new burden. (
-
17
qui couvre .lX changes Elle modle irtenaires et
it autour de ndividu, les 'pement des ur influence le cette
nou-,ar exemple, dans le pro-, a reu une l'Ottawa en classique. Te
froide et Ile d'antago-:mfond avec n technolo-: et de l'ubi-. un
systme
e
tiraient leur ndialisation :: du systme , Le symbole 'eb, qui
nous
NOUVEAUX PARADIGMES
La convergence d'intrts globaux, des possibilits offertes par la
technologie et de complmentarits plantaires, se traduit par une
restructuration du monde en rseaux. Les individus peuvent
communiquer et s'associer dans l'espace virtuel autour de thmes et
intrts communs. Les groupes de discussion ont gnr des communauts
d'intrts, qui constituent une dimension nouvelle des rseaux
informatiques, comme Internet, mais galement dans les relations
internationales. La particularit de ces communauts d'intrts est de
constituer des couches qui s'affranchissent des clivages sociaux et
ont une extension mondiale.
Les surfaces de ces couches constituent des clivages
trans-versaux le long desquels peuvent se dvelopper des conflits.
Ces clivages prsentent deux caractristiques principales: a) ils
sont fonds sur une stratification thmatique, qui dpasse les
divisions nationales ou rgionales (protection de l'environnement,
extrme droite, antismitisme, antimondialisation, etc.) et b) ceux
qui adhrent ces couches y participent travers une dmarche
volontaire, et peuvent appartenir simultanment plusieurs
strates.
L'interpntration des cultures, facilite par la mobilit des
indi-vidus et leur capacit communiquer, donne ces strates des
dimensions mondiales. C'est le cas du mouvement
antimondiali-sation, des mouvements extrmistes contre l'avortement
ou pour la protection des animaux, des sectes, comme la
scientologie ou les rseaux islamistes.
Les rseaux ont chacun leur identit propre, leur culture et leur
mode de fonctionnement. Le rseau terroriste n'a pas les mmes
caractristiques que le rseau mafieux. Le rseau Al-Qada, par
exemple, reste encore largement incompris, car son mode de
fonc-tionnement chappe la rationalit occidentale. li en rsulte que
les oprations militaires contre le rseau ont permis de capturer des
combattants, mais n'ont probablement rduit en rien l'effica-cit -
et surtout la combativit - du rseau.
:ets to Ousaroa , America's new Laden, l'ordre ~ l'Amrique),
-
18
Conllits sociaux dans le pays X
Dure
Douce
Micro-criminalit
Faible
LA GUERRE ASYMTRIQUE
Pays X, YelZ
Conflit international entre les pays X etY
Conflits entre groupes d'intrts (groupes antimondialisation
1cologistes et industrie,
etc,
Figure 1 Les nouvelles zones de friction (symbolises par les
flches)
Structura1ion
Rseaux de corruption
Figure 2 - Structuration des rseaux criminels 1
Forte
L D'aprs Nicolas Giannakopoulos, Criminalit organise et
corruption en Suisse, Berne, Haupt, 2001, p. 14.
converge.:"
Les
rucauo:G ::: notions ci ment volont SI gles nelle de fe
L'intOL: dont la p' souvent c renseigne: celui tionnels) ;
La ted proce
dans le II prtes ir nisations,
-
19
iZ
ntrts (groupes ~stes et industrie,
l f
organisations
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j
Forte ..
t corruption en
NOUVEAUX PARADIGMES
L'information - Nouvelle perception du monde
Depuis le dbut des annes 60, avec le dveloppement successif des
mdias et de l'informatique, monde est entr dans l're de
l'information. La guerre du Vietnam a t la premire guerre tl-vise.
L'image a t suivie de l'interactivit. La rvolution des annes 90
vient du caractre dynamique de l'information: la com-binaison de
structures rticules et de plates-formes qui tendent converger, lui
confre une vitesse de circulation toujours plus grande. Non
seulement elle est accessible, mais elle peut tre exploite
instantanment et permet alors une vritable circulation du
savoir.
Les effets de l'information se manifestent quatre niveaux: lit
La technologie de l'information induit un effet de proxi-mit. La
notion de distance disparat et place l'vnement dans la proximit
immdiate des opinions publiques. Elle rend les conflits visibles
sur l'ensemble du globe, mais elle est aussi trompeuse, car elle ne
les restitue que superficiellement et par-tiellement, et ouvre
ainsi la porte la dsinformation. lit Lien dterminant entre le
politique et le militaire, la commu-nication est devenue le terrain
de la victoire ou de la dfaite. Les notions de perception et de
lgitimit sont ainsi troite-ment lies et dterminent irrvocablement
non seulement la volont stratgique d'agir, mais aussi la nature mme
des strat-gies adoptes, avec un impact direct sur l'efficacit
opration-nelle de forces scuritaires. lit L'information et le
renseignement sont des substances parentes, dont la possession - et
la matrise - confrent une supriorit souvent dcisive. Dans un monde
ouvert, l'information et le renseignement tendent se confondre et
l'avantage est donn celui qui possde les moyens ( la fois
technologiques et institu-tionnels) pour l'exploiter plus
rapidement. La technologie de l'information permet la
dcentralisation des processus de conduite, et la distribution des
oprations dans le monde. Ce qui vaut pour les puissances
occidentales prtes intervenir dans le monde, vaut galement pour les
orga-nisations criminelles, subversives ou terroristes.
-
20 LA GUERRE ASYMTRrQUE
r:atomisation de la technologie Alors qu'autrefois les menaces
(et la scurit) dpendaient de
technologies qui taient l'apanage des grandes puissances, elles
empruntent prsent des technologies disponibles universelle-ment. La
technologie des armes nuclaires ou des armes chimiques est
aujourd'hui largement rpandue. La Toile offre aujourd'hui aux
organisations criminelles un moyen de conduite de porte mondiale.
I.:informatique permet non seulement aux criminels de communiquer
mais galement d'chapper aux systmes d'inter-ception lectronique. Le
cartel de Cali, par exemple, change des informations en utilisant
les techniques les plus modernes de la cryptologie, originellement
mises au point par et pour des services de renseignements.
Les plates-formes de communication tendent s'uniformiser La
diversit des moyens de communication des annes 80 tend
se recentrer autour de l'Internet, rendant ainsi la notion de
confidentialit toujours plus prcaire, et fournissant aux
terroristes et criminels un espace de communication dans lequel ils
peuvent oprer manire anonyme.
Les plates-formes de communication ont une extension universelle
Les communications tlphoniques de Paris Bruxelles peu-
vent transiter par New York. Une opration terroriste en
Grande-Bretagne peut tre pilote en temps rel depuis les tats-Unis.
L'Arme zapatiste de libration nationale au Mexique, doit sa notorit
sa vaste campagne de propagande sur Internet, ds jan-vier 1994. Les
vecteurs d'information sont devenus thtres de guerre.
Les technologies de l'information deviennent interdpendantes
mdias, la tlphonie, les communications militaires et
d'autres formes de communication sont lies entre elles par des
plates-formes logicielles semblables. La compatibilit et
l'interop-rabilit des systmes sont amliores, mais cette
interdpendance accrot galement la vulnrabilit globale des systmes,
et renforce le pouvoir mondial de quelques fabricants de
logiciels.
La combinaison de ces caractristiques fait de la technologie de
l'information un enjeu et l'objet d'une course la supriorit.
Trop SOtr;e=:::: nombre c:,:. formation es: peut tre ;,,~~
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21
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pendantes militaires et elles par des et l'interop-rdpendance s,
et renforce
:chnologie de supriorit.
NOUVEAUX PARADIGMES
Trop souvent cependant, cette supriorit s'exprime en termes de
nombre d'ordinateurs disponibles. En fait, la supriorit de
l'in-formation est donne par la rapidit avec laquelle l'information
peut tre intgre un processus de dcision.
Au-del de sa dimension technologique, l'information a acquis son
importance dans les champs immatriels. Par essence, les socits
dmocratiques, o l'information circule librement et o les
technologies de l'information sont accessibles tous, sont plus
sensibles l'influence de l'information. L'information donne aux
vnements les plus tnus une dimension globale. Les
dysfonc-tionnements rgionaux gnrent des proccupations mondiales, et
des problmes de dimensions continentales. Le conflit du Timor
Oriental, longtemps demeur ignor, a soudain surgi au centre des
proccupations de l'Occident.
La surabondance d'information asphyxie l'individu, qui n'est pas
en mesure de l'absorber. Le tri des informations, et le regard
critique qui devrait en rsulter, est de plus en plus rserv une
lite. TI en rsulte une vulnrabilit qui ouvre la porte la
manipu-lation. Ainsi, sur un plan anecdotique, les affirmations
fallacieuses selon lesquelles, le 11 septembre 2001, les employs
juifs du World Trade Center auraient t absents de leur lieu de
travail ou encore qu'aucun avion ne se serait cras sur le Pentagone
ont-elles eu prise sur l'opinion publique et continuent tre voques.
Dans le mme ordre d'ide, mais plus srieusement , l'amal-game peine
voil entre le rgime irakien et le terrorisme islamiste exploit par
l'administration Bush tmoigne de la vulnrabilit d'une socit
amricaine surinforme, mais dont la majorit est dpourvue de la
capacit critique correspondante.
Peu aprs les dramatiques attentats du 11 septembre 2001, le
terrorisme est mont dans l'chelle des proccupations des Franais,
alors que les routes de France font chaque anne trois fois plus de
victimes que ce jour-l ...
GUERRES, CONFLITS, CRISES ET VIOLENCES
La notion mme de guerre, privilge de l'Etat, tend s'atomiser.
Durant la guerre froide, les blocs maintenaient une certaine
-
22 LA GUERRE ASYMTRIQUE
forme d'ordre mondial travers la menace nuclaire et en
s'affron-tant par ailleurs sur des thtres priphriques, par factions
inter-poses. La violence, au service d'une stratgie globale, tait
matrise de manire plus ou moins stricte, et gre par un petit nombre
d'acteurs privilgis, parmi lesquels les deux supergrands, les
tats-Unis et l'Union sovitique. La disparition de l'antago-nisme
bipolaire, associe au dsengagement stratgique des grandes
puissances envers le tiers-monde, au profit de nouveaux acteurs
vocations diverses et aux intrts parfois divergents, a libr la
violence et sa convergence stratgique a disparu. La notion mme de
guerre s'inscrit aujourd'hui dans des perspectives diff-rentes.
Alors que l'Occident voit dans la fin de la guerre froide
l'aboutissement (temporaire) d'un processus d'ajustement
histo-rique, de nombreuses rgions du monde non occidental y voient
le point de dpart de leurs propres mcanismes d'ajustement
politique, social, territorial, ethnique, etc.
l'approche rationnelle de la notion de guerre de la guerre
froide, s'opposent aujourd'hui des notions plus floues de conflit,
de violence et de crise, avec des significations trs diverses selon
les rgions du monde, entre lesquelles on glisse de manire
fluide.
De la guerre au conflit
La guerre froide prsentait une confortable plate-forme commune
pour la comprhension des conflits, qui se rsumait en l'affrontement
entre deux systmes politiques et des systmes mili-taires
symtriques. Et ce, en dpit des divergences idologiques et des
invitables dissymtries technologiques. Les armes de l'OTAN et du
Pacte de Varsovie taient construites sur la mme logique.
Le monde tait alors comme une succession d'chiquiers, o les
superpuissances, comme les grands matres, jouaient simultan-ment
plusieurs parties, avec des stratgies parfois diffrentes, mais avec
une finalit globale cohrente. La guerre tait alors un mlange de
stratgies directes et indirectes qui visait asseoir la suprmatie de
l'un des deux Grands. Ces affrontements entre les deux Grands sont
alors des jeux subtils, qui vitent la confrontation
(trs) profondes. cts
Dans sances a triss et e:::'. de la recoI'.lTI'
toujours ou des pays influence sociale, que des
Les deux res. Le pro, tions indusu traduit par L lisations. C'
et tradition,
1. L'oprati libyennes dam Belle Berlir paternit avait {
-
23
en s'affron-::tions inter-)bale, tait par un petit upergrands,
le l'antago-gique des e nouveaux ivergents, a J. La notion ctives
diff-Ierre froide ment histo-ltal y voient ajustement
uerre de la 1S floues de ications trs on glisse de
.late-forme rsumait en stmes mili-Jlogiques et de l'OTAN
logique. mers, o les simultan-rentes, mais un mlange suprmatie
:e les deux nfrontation
NOUVEAUX PARADIGMES
directe. Ainsi, le 16 avril 1986, peu avant l'attaque arienne
contre Tripoli, les tats-Unis informent l'Union sovitique, afin que
ses avions puissent tre retirs avant l'attaque 1. Avec la fin de la
guerre froide, les pions ont t abandonns leur sort, et condamns
poursuivre leurs objectifs dans des luttes parfois ingales. La
coh-rence globale de l'action disparat, la violence apparat comme
dsordonne, spontane et difficile matriser. Les aspirations dues des
peuples sont prives de garde-fous.
Dans l'hmisphre Nord, consquence de l'atomisation des acteurs,
l'industrie et les enjeux conomiques sont devenus les moteurs des
relations internationales, et on observe un glissement des
antagonismes du niveau politique au niveau conomique. mcanismes
d'intgration et d'harmonisation politiques, encore (trs)
imparfaits, cachent des rivalits conomiques et industrielles
profondes, qui opposent de manire parfois virulente les deux cts de
l'Atlantique.
Dans l'hmisphre Sud, le recentrage du rle des superpuis-sances a
pour consquence la mise nu de conflits autrefois ma-triss et
exploits au profit d'intrts politiques. Les conflits issus de la
reconnaissance ou non des frontires, des nationalits ou d'une
suprmatie ethnique apparaissent comme des conflits intra-ta-tiques.
Toutefois, au-del de leur dimension gographique, ces conflits se
situent au niveau humain et socital et n'acceptent plus toujours
les solutions rationnelles des organisations internationales ou des
pays occidentaux. Ils revtent une dimension motionnelle, influence
par l'Histoire, la culture, la religion et l'volution sociale, dont
la comprhension est imparfaite en Occident. Plus que des pays, ce
sont des nations qui s'affrontent.
Les deux hmisphres ne sont cependant pas des entits spa-res. Le
processus de mondialisation, et son cortge de dlocalisa-tions
industrielles, de migrations et de recentrage des valeurs s'est
traduit par un accroissement des surfaces de contact entre
civi-lisations. C'est le long de ces bordures, o s'affrontent
modernit et tradition, technologie et spiritualit, mondialisme et
identit,
1. L'opration Eldorado Canyon a t lance aprs une suite de
provocations libyennes dans le golfe de Syrte et aprs un attentat
dans la discothque La Belle Berlin, le 5 avril, qui avait bless 63
militaires amricains, et dont la paternit avait t attribue aux
services spciaux libyens.
-
24 LA GUillffiEASYMTIllQUE
valeurs conomiques et valeurs morales que se dvdoppent les
ten-sions et les conflits. Les auteurs des attentats du 11
septembre 2001 taient des individus intgrs dans la socit
occidentale, issus de familles aises et souvent elles-mmes
occidentalises.
Le processus toujours plus marqu de mondialisation et
d'inter-pntration des peuples s'oppose l'affirmation toujours plus
radicale des identits nationales. La politique ou l'idologie ne
sont plus ncessairement les forces instigatrices de la violence.
Bien plus dterminantes sont les forces plus impalpables, mais plus
profondes et plus fortes, issues de la notion d'identit
cultu-relle, religieuse, morale, etc. Ds lors, le caractre rgional
des conflits tend dborder des frontires des hmisphres pour prendre
des dimensions mondiales.
Certaines formes de conflits elles-mmes, comme le terrorisme,
n'obissent plus aux rgles qui prvalaient durant la guerre froide.
Non seulement le profil des acteurs a chang, mais leur dialectique
mme s'est modifie. Leur lgitimit s'est souvent altre, impo-sant un
changement dans leur stratgie d'action, comme pour le terrorisme
corse ou latino-amricain. La criminalit organise, dont les formes
s'tendent de manire continue entre la criminalit en col blanc et
l'insurrection arme, n'hsite pas adopter des mthodes rdevant du
terrorisme. Les mthodes du terrorisme moderne pourraient aller de
l'emploi d'armes de destruction mas-sive l la cyberterreur.
Du conflit la violence
En Europe, la notion de guerre s'est estompe pour faire place
celle plus large de violence. Cette dernire n'est videmment pas un
phnomne nouveau en soi, mais sa forme, son extension, son intensit
et son impact stratgique lui donnent une importance nouvelle.
Alors que la guerre tait vue de manire assez froide et
bureaucratique , comme une combinaison d'intentions, d'op-portunits
et de capacits, la violence moderne apparat comme
1. Voir Le superterronsme, p. 57.
commem:
d'attentars :'E qu'ils __.,., ___ _
L'closic= causes, le
animes c, caractrises l'affronteffie.:: tions Elle apparat
simultanffie: Cette d1IllleE:S: parfois la coc force pour cc
outre, lence _.,..,~Distinctes, E crer un cOt
Logistique
Violence organisl
Figure
-
)ent les ten-embre 2001
~ntale, issus :es. Cl et d'inter-Jjours plus iologie ne .a
violence. ables, mais :ntit cultu-gional des hres pour
terrorisme, lerre froide. dialectique
re, impo-IDe pour le organise,
L criminalit ldopter des terrorisme uction mas-
. faire place ~mment pas ension, son IDportance
~ froide et :ions, d'op-rat comme
NOUVEAUX PARADIGMES 25
un phnomne plus profond, mais aussi plus spontan et moins
prvisible, en un mot plus humain. La violence n'apparat plus comme
un lment priphrique des interactions humaines, mais un lment
intgral de la socit. Relaye par les mdias, elle est visible et
s'affiche souvent de manire provocatrice, voire prend frquemment un
caractre ludique. Elle se banalise. Ce phno-mne n'est probablement
pas tranger au fait que si le nombre d'attentats terroristes tend
diminuer, le nombre de victimes qu'ils engendrent et leur caractre
spectaculaire croissent.
L'closion de la violence prend des formes diverses, dont les
causes, le dveloppement et les manifestations ont en commun une
rationalit difficilement prhensible. la logique rationnelle du
conflit Est-Ouest, se sont substitues des formes de violences
animes de passions culturelles, ethniques ou criminelles, souvent
caractrises par la brutalit et la cruaut. Dpassant le stade de
l'affrontement doctrinaire, la violence clt au sein des
popula-tions elles-mmes et dpasse bien souvent la volont politique.
Elle apparat profondment ancre dans les populations, mme si,
simultanment, celles-ci en paient un lourd tribut humanitaire.
Cette dimension motionnelle, souvent difficile matriser, amne
parfois la communaut internationale user maladroitement de la force
pour contrler une violence mal comprise.
En outre, on constate une interaction croissante entre la
vio-lence organise, la violence socitale et la violence
individuelle. Distinctes, mais pas ncessairement exclusives, elles
tendent crer un continuum de la violence qui va de l'individu
l'tat.
@ncesoci~
Cohsion
Valorisation de l'action individuelle
Reconnaissance sociale
-
26 LA GUERRE ASYMTRIQUE
La violence individuelle est souvent une rponse une socit qui
s'aseptise, se bureaucratise et noie l'individu dans l'anonymat.
Les formes les plus dramatiques de cette violence sont les
mas-sacres de Zoug (27 septembre 2001 - 14 morts), de Nanterre (27
mars 2002 8 morts) ou d'Erfurt (27 avril 2002 13 morts), mais de
nombreuses autres formes plus bnignes de la violence, comme les
incendies de voitures et autres incivilits relvent
vraisemblablement de la mme volont de certains individus de marquer
leur existence dans la socit.
La violence organise instrumentalise la violence dans un sys-tme
la fois conomique et social de porte rgionale, nationale ou
internationale. Ici, la violence a un rle fonctionnel et contri-bue
maintenir et consolider la corporate lentity de l'entit
crimi-nelle, mais elle est aussi la manifestation exacerbe de la
concurrence et de la comptition conomique. Cette dimension visible
de la violence organise s'accompagne d'activits plus obs-cures,
lies la corruption, au blanchiment d'argent, etc., souvent la
limite de la lgalit, qui minent les dmocraties et mettent en cause
la lgitimit mme des systmes tatiques.
La violence socitale transcende les rivalits sociales chres au
marxisme, pour rcrire une histoire perdue ou rtablir une ralit
ethnique ou raciale. Elle recentre des conflits sur des dimensions
ethniques, culturelles, religieuses. Ce n'est plus la pauvret ou
l'ac-cession la richesse, mais l'affirmation d'une identit qui
devient le moteur de la violence. Cette volont identitaire ne
s'applique plus seulement aux communauts nationales, mais touche
aussi les communauts d'ides, religieuses ou ethniques, rendant les
conflits entrelacs et souvent inextricables.
TI en rsulte l'effacement de la distinction entre guerre et
conflit. Les conflits ethniques, religieux, nationaux ou rgionaux
prennent souvent l'aspect de guerres larves que l'actualit
mdiatique tend souvent oublier.
Paradoxalement, l'heure o l'Occident industriel cherche
surmonter les barrires rgionales afin de rationaliser l'espace
mondial en un vaste champ d'action conomique - voire politique -les
conflits ont des enjeux rgionaux, voire locaux.
Les conflits ont souvent une dimension intrieure - autonomiste
ou sparatiste - qui s'inscrit dans une perspective ethnique,
reli-gieuse ou culturelle. considrations rationnelles
(conomiques,
,.. -=pOllUqilS.. jOLLrs Xci'2~~~_
conEits - frcue:c: .,.,..~ feLJem le.::- ." des prolcc~~
tra...l1snacio~2.~e
L'ett2coe:=:t des con+-T::~ .~ activits .C:::s : voluer: t :
annes ment le t'.:.?:: terroriste :: Borselh1c e= trouver bic
(financeTIlc: associatioI: e narcas!>, .:::::cc:::
Alors qUE": violence pays occidc~ qu'elles scie::: affaires
IIi:;:;:';
technologie :2 possible le C moderneseil dividu.
Contraire:: de la vie dar:: sicles, la soc t largeme!J organise
aUel processus COI l'urbanisati.
1. Revolutio1:
-
27
l une socit ; l'anonymat. ont les mas-:le Nanterre
13 morts), : la violence, s relvent individus de
dans un sys-nationale
lel et contd-oentit crimi-erbe de la dimension
plus obs-etc., souvent :t mettent en
~es chres au if une ralit , dimensions \'Tet ou l'ac-
~ qui devient e s'applique touche aussi rendant les
rre et conflit. lUX prennent liatique tend
el cherche iser l'espace :e politique -
autonomiste hnique, reli-conomiques,
NOUVEAUX PARADIGMES
politiques, militaires, criminelles, etc.) ne sont pourtant pas
tou-jours exclues, mais ont -le plus souvent - un caractre plus
instru-mental (ou capacitaire) que finalitaire. Ainsi, une
particularit des conflits modernes est leur connexion avec des
activits criminelles - frquemment de nature mafieuse - destines
soutenir financi-rement leur effort de guerre. li en rsulte que ces
conflits ont des prolongements souvent inattendus, qui exigent des
rponses transnationales.
L'effacement du rle des grandes puissances dans le pilotage des
conflits de l'aprs-guerre froide se traduit par de nouvelles
activits des mouvements violents. Violence socitale et organise
voluent de manire parallle. On a assist depuis le dbut des annes 90
une criminalisation de la violence socitale (notam-ment le
terrorisme nord-irlandais, basque et corse) et une drive terroriste
de la criminalit organise (attentat contre le juge Borsellino en
Italie et dveloppement du narcoterrodsme), pour trouver bien
souvent une symbiose des deux types de violence (financement de la
guerre en Tchtchnie par la mafia tchtchne, association entre les
mouvements de gurilla colombiens et les narcos, mouvement Abou
Sayyaf aux Philippines, etc.).
Alors que les affrontements entre communauts montrent une
violence toujours plus brutale et meurtrire, on observe dans les
pays occidentaux un refus croissant des victimes - de quelque ct
qu'elles soient. Paradoxalement, alors que la rvolution dans les
affaires militaires 1 tend mettre en vidence l'importance de la
technologie dans la conduite de la guerre, et ainsi loigner le plus
possible le combattant du champ de bataille, que les conflits
modernes eux-mmes semblent descendre au niveau de l'in-dividu.
Contrairement une opinion rpandue en Occident, la valeur de la
vie dans le reste du monde n'est pas moindre. Au fil des sicles, la
socit occidentale, dont le dveloppement industriel a t largement
influenc par le protestantisme, s'est lentement organise autour
d'une haute valeur ajoute de l'individu. Dans ce processus
convergent l'volution de la science, de la mdecine, de
l'urbanisation et de la structure du travail. L'enfant devient
un
1. Revolution in MilitiJry A/fairs (RMA).
-
28 LA GUERRE ASYMTRIQUE
cot social et n'est plus source de revenu familial. La vie prend
une valeur conomique. Dans les socits prindustrielles, en revanche,
auxquelles se rattachent une grande partie des socits du
1ers-monde, la valeur de la vie reste relative. n'est ni moins
appr-cie, ni moins respecte, mais elle est envisage en fonction de
l'environnement. Repousse de faon toujours plus vidente par
l'esprit occidental, la mort fait en revanche partie intgrante de
l'en-vironnement culturel de nombreuses socits qui l'acceptent
comme un phnomne inhrent la vie. Ainsi, le recours la violence et
l'acceptation du sacrifice de sa propre sont bien souvent une
dmarche naturelle, perue comme dicte par les conditions rieures,
mal comprise par l'esprit occidental, qui rejette la fatalit.
Cette lecture de la vie et de la mort influence - entre autres
-notre comprhension de certaines mthodes de guerre, que la
rationalit occidentale saisit avec difficult. Il en est ainsi des
attentats-suicides que l'esprit occidental analyse en termes de
dsespoir, alors qu'il est peru en termes de sacrifice par les
mouvements islamistes. Cette diffrence smantique n'est pas
seu-lement une manifestation de divergences culturelles. Elle fait
partie d'une vritable guerre de l'information, et permet
d'attri-buer aux mouvements islamistes des mthodes de lavage de
cer-veau , les discrditant ainsi davantage aux yeux de l'opinion
publique mondiale et les isolant du reste du monde islamique. De
fait, le suicide est proscrit dans l'islam. Mais on joue sur les
mots, car c'est le suicide, comme chappatoire une situation
difficile, qui est proscrit ce qui s'opposerait d'ailleurs la
notion mme de Jihad. En revanche, se sacrifier pour une cause, mme
si cette dmarche est dicte par une situation dsespre, ne relve pas
d'une logique de dmission.
De la violence la crise
La crise apparat comme une anomalie dans le droulement des
vnements. Toutefois, la guerre et le conflit ne deviennent une
crise que lorsqu'ils obtiennent une couverture mdiatique
suf-fisante pour faire raliser l'Occident qu'il est concern. li en
est ainsi du Timor Oriental, en guerre depuis plusieurs dcennies,
qui
Dela
papillOil Un atten\2:, peuvent P:iJ'
le contexre Laden, le m" comme unes de pouvoir e recherche qus,
des pJ:5" et les moyens
En nover:: l'Afgharusta monde islam gouverneme opinion pub~ et
seul le d} Nord a perm
-
29
le prend une en revanche, ts du tiers-noins appr-fonction de
vidente par :ante de l'en-Jtent comme 3. violence et souvent une
lditions ext-te la fatalit. lIre autres -lerre, que la :;sr ainsi
des :n termes de
par les l'est pas seu-les. Elle fait rmet d'attri-rvage de
cer-:le l'opinion ;lamique. De sur les mots, ion difficile, lotion
mme lme si cette ::le relve pas
droulement : deviennent diatique suf-m. TI en est cennies,
qui
NOUVEAUX PARADIGMES
apparat tout coup comme un foyer de crise parce que quelques
Occidentaux sont touchs. Il en est ainsi du banditisme aux
Philippines, du terrorisme, etc. Ici, l'information devient de
facto la courroie de transmission qui fait de l'vnement une
crise.
Alors que les notions de guerre et de conflit ont une dimension
objective, la crise, elle, tend donc tre grandement tributaire de
sa perception par les opinions publiques. Un facteur dterminant de
cette perception est l'accs l'image. L'effet CNN , en atti-rant le
regard de l'opinion publique sur une rgion du monde, force l'action
et devient le moteur de la dcision.
De la crise la guerre
Le bon fonctionnement de la socit occidentale moderne est bas
sur un quilibre d'interdpendances croissantes, dont la com-plexit
donne la notion de crise une signification trs large, aux
implications souvent imprvisibles. Jamais le battement d'ailes du
papillon de Tokyo n'a plus rapidement eu des effets New York. Un
attentat, une dfaite au championnat du monde de football, peuvent
provoquer des fluctuations boursires susceptibles de dboucher sur
des crises financires, conomiques ou politiques, indpendamment
d'une activit conomique relle stable.
La crise est souvent lue dans une perspective capacitaire, dans
le contexte d'une qute de pouvoir, de richesse et d'influence. Ben
Laden, le multimillionnaire terroriste, n'est souvent compris que
comme une sorte de Dr Folamour des montagnes afghanes, avide de
pouvoir et de richesse. Ds lors, pour combattre Al-Qada, on
recherche des hirarchies structures, des flux de capitaux
sophisti-qus, des postes de commandement pourvus de haute
technologie, et les moyens mis en uvre deviennent dmesurs et
inadapts.
En novembre 2001, la rponse militaire amricaine contre
l'Afghanistan a rapidement suscit la rprobation dans tout le monde
islamique et a plac, pour quelques semaines au moins, le
gouvernement du prsident Mousharraf en difficult face son opinion
publique. Le risque de drapage de la situation tait rel et seul le
dplacement de la visibilit de l'action sur l'Alliance du Nord a
permis d'attnuer la perception de l'intervention occidentale
-
30 LA GUERRE ASYMTIUQUE
et de calmer les esprits. Avec la situation dj tendue au
Jammu-Cachemire, le risque de passer de la crise la guerre tait
concret.
LES PARADIGMES OPRATIONNELS
La matrise de la guerre
Les mcanismes traditionnels de matrise des conflits, qui
s'taient construits autour de la logique rationnelle de la guerre
froide sont de moins en moins efficaces sur des conflits dpourvus
de rationalit. La guerre est passe d'une logique capacitaire une
logique finalitaire. Ce changement de logique n'est pas seulement
une vue de l'esprit, mais suppose l'emploi de nouvelles
combinaisons d'instruments politiques, diplomatiques, sociaux,
militaires, etc.
Au plan stratgique, cela implique de traiter les conflits trs en
amont. Le rle d'anticipation du renseignement prend ici une place
centrale.
Une consquence oprationnelle des nouvelles formes de vio-lence
est une troite complmentarit entre les forces armes et les forces
de police. Conues pour la dfense militaire contre une agres-sion
extrieure, les forces armes pouvaient traditionnellement s'appuyer
sur une claire rpartition des tches avec les forces de police.
L'ventail des risques modernes tend dplacer les frontires de cette
complmentarit, qui deviennent souvent floues et forte-ment teintes
par une perception culturelle de l'emploi de la force. Ainsi,
l'emploi des forces armes pour le service d'ordre ou dans le cadre
du contre-terrorisme a souvent donn lieu des drives.
Cette guerre [dJAlgrieJ tait trs complexe: elle avait des
aspects la fois politiquesJpoliciersJsociaux et conomiques. Mais l
aimeJrais qu on vite de mettre Farme franaise en accusation. On lui
a impos une mission dsagrable} le rtablissement de Fordre} elle Fa
effectue du mieux quJelle a pu 1.
1. Gnral Massu. Propos recueillis par Florence Beaug, Le Monde,
23 novembre 2000.
unies sur
volution
de causalir:: miques et
1. Massacre,:: entre le 6 et le 1_ assure par lli2 C
-
31
: au Jammu-tait concret.
LS
conflits, qui de la guerre
TS dpourvus acitaire une eulement une :ombinaisons Laires, etc.
s conflits trs )rend ici une
lrmes de vio-annes et les rre une agres-onnellement les forces
de ,les frontires Jues et forte-Ji de la force. dre ou dans i des
drives.
lit des aspects . Mais j'aime-ation. On lui ie l'ordre, elle
cg, Le Monde,
NOUVEAUX PARADIGMES
Alors que dans les pays occidentaux, l'organisation et la
struc-ture des forces de police permettent de faire face une partie
au moins du spectre de la violence, il en va autrement dans les
pays dans lesquels les forces armes sont engages pour rtablir une
situation de droit (oprations de maintien de la paix, par exemple).
Dans ce cas, l'absence de structures policires, judi-ciaires, voire
politiques, confre aux forces de maintien de la paix des rles qui
dpassent l'emploi de la force.
n en rsulte que l'application de la force doit s'effectuer avec
subtilit. nne suffit plus au chef militaire de connatre la
doc-trine militaire de l'adversaire, mais d'apprhender avec doigt
les sensibilits d'un environnement souvent complexe. Les dcisions
se prennent bien souvent dans un espace de libert restreint, avec
des contraintes extrieures beaucoup plus importantes que dans la
priode de la guerre froide. Cette constatation devrait avoir un
impact sur la slection des cadres militaires, par exemple, or il
n'en est souvent rien.
L'troite imbrication d'actions militaires tactiques, opratives
ou stratgiques dans l'espace oprationnel moderne tend estomper les
distinctions entre les niveaux de conduite. L'importance d'une
compagnie dploye dans les Balkans revt un caractre la fois
politique et stratgique, alors que son action effective se situe au
niveau tactique. nen rsulte la tentation d'une intrusion
perma-nente de l'chelon stratgique dans les processus oprationnels,
qui amoindrit les capacits de raction. Le massacre de Srebrenica 1
et l'incapacit de ragir du dtachement nerlandais des Nations unies
sur place sont en grande partie dus ce problme.
volution de la notion d'espace
Au niveau stratgique, l'espace dans lequel se droule l'action
militaire se caractrise en premier lieu par l'volution des
relations de causalit entre les conflits, les phnomnes sociaux,
cono-miques et la politique intrieure des tats et, en second lieu,
par
1. Massacre de 7000-8000 civils bosniaques par des units serbes
de Bosnie entre le 6 et le 11 juillet 1995. La scurit de l'enclave
de Srebrenica tait alors assure par un contingent nerlandais de 110
hommes. Submerg par prs de
-
\
32
,
LA GUERRE ASYMTRIQUE
l'volution technologique et des moyens d'information, qui tend
diminuer, voire annihiler, l'effet de distance. Chaque point du
globe est aujourd'hui atteignable instantanment, ce que traduit
l'expression de village global. Les mouvements rvolutionnaires
peuvent piloter leur action d'un continent l'autre, tandis que les
infrastructures informatiques sont vulnrables une action qui prend
naissance l'autre bout du monde. La notion d'espace devient
indissociable de celle de temps . Instantanit et ubi-quit se
rpondent.
Au plan oprationnel, le champ de bataille a cd la place l'espace
oprationnel, qui peut tre dfini comme le volume dans lequel les
oprations militaires et scuritaires sont menes. TI englobe l'espace
tridimensionnel traditionnel, o les oprations sont menes
physiquement, mais il comprend aussi l'espace hert-zien (
-
33
l, qui tend le point du que traduit lutionnaires ndis que les :
action qui d'espace lit et ubi-
l la place e le volume
menes. li oprations
espace hert-cyberespace . sont prati-
dont les 3curitaires
lu succs en champ de
ann, les ,De plus, le 7antage une comprhen-mation sont se est
dter-:lroulement
t tre vues constituent
ne sont pas :ut avoir un . des raisons
is le gouverne-ms une action e la dmission
NOUVEAUX PARADIGMES
de simplicit analytique, chacune de ces couches peut tre
singula-rise, dans la ralit, elles forment ensemble un continuum.
Mais ce continuum n'est pas seulement vertical, car chaque couche a
une porte diffrente. La bavure du militaire est presque
instantanment relaye au niveau stratgique par l'infosphre et
devient un problme stratgique. Ainsi, au final, l'action politique
et l'action tactique sont troitement lies et interdpendantes.
Chacun de ces espaces a ses propres rgles, ses propres moyens
d'action et ses propres acteurs, mais tous sont interdpendants. De
plus, les rgles applicables dans un espace ne peuvent pas tou-jours
tre appliques dans un autre. li en est ainsi, par exemple, de
l'infosphre, o l'approche doit tre subtile et soigneusement dose
sous peine d'avoir des effets imprvisibles sur l'auteur mme de
l'action.
li s'agit, dans chacun de ces espaces, de dtecter la nature des
acteurs, leurs interactions dans un rseau d'activits. li appartient
ensuite la conduite de concevoir une ou des stratgie(s) qui
per-mette(nt) une action cohrente travers tous ces espaces pour
converger vers un but commun.
a) r:espace humain L'espace humain est celui dans lequel voluent
l'homme et la
socit, avec ses dimensions culturelles et sociales, o se
dveloppe la violence. C'est l'espace de l'action humaine o se
tissent les rseaux, s'tablissent les hirarchies et se forgent
opinions, volonts et dterminations. Id circulent les flux
conomiques et sociaux qui conduisent aux actions politiques. C'est
l'espace o les interactions sont les plus complexes. Gnralement
ignor dans la guerre conventionnelle, sa comprhension est la cl
pour la ma-trise d'un conflit asymtrique.
Faonn par d'innombrables facteurs, dont l'Histoire, la cul-ture,
la religion et la gographie, la nature de l'espace humain est
relativement inlastique: sensible aux influences de court terme, il
revient sa configuration initiale relativement rapide-ment. Des
changements profonds dans l'espace humain ne sont gnralement que le
rsultat de tendances de long tenne. Les pre-mires manifestations du
conflit d'ex-Yougoslavie ont t les exhu-mations de fosses communes
de la Seconde Guerre mondiale, en
-
34 LA GUERRE ASYMTRIQUE
Slovnie et en Croatie, en 1991-92. Les antagonismes entre
Oustachis et Cetniks, qui avaient hibern sous Tito, se sont alors
rveills.
La structure de l'espace humain est complexe et faite de
cel-lules dont l'interaction est l'objet de codes qui rsultent
d'volu-tions rgionales. La famille constitue l'une de ces cellules
de base, mais elle peut tre complte, voire remplace, par d'autres
struc-tures telles que le clan ou la famille (
-
35
.smes entre ;e sont alors
te de cel-ent d'volu-lies de base, mtres struc-!afieuse. Les
comme les
ubdivisions aussi infor-antipathies, l monde, la ective pour
osent pour e cellules, et ~ pour SalSlr
J.auts alba-les groupes l Kanun. 0, par Lek sage tous les
niliale, aux-te bon sens, mt la base tnaises d'au-x lois offi-fait
la seule bonne foi, jectifs de la hension est e issues des
s dans les :quemment
mg Company,
NOUVEAUX PARADIGMES
avec les pratiques animistes, o les structures gouvernementales
sont systmatiquement doubles par des structures et des hi-rarchies
coutumires, aux intrts et objectifs parfois contradic-toires, mais
que les individus savent exploiter alternativement en fonction des
opportunits.
Ces systmes de valeurs diffrents se manifestent aux yeux de
l'Occident par des problmes tels que les mutilations sexuelles, les
pratiques religieuses ou paramdicales , mais concernent aussi des
problmes plus stratgiques au niveau rgional et souvent
transfrontalier. Anims d'intentions humanitaires, les Occidentaux
tentent - avec des succs variables - d'radiquer des pratiques
barbares pour imposer des normes occidentales plus compati-bles
avec leur conception des Droits de l'Homme. Ce faisant, tou-tefois,
ils crent souvent de nouveaux dsquilibres culturels l'intrieur mme
de ces socits, difficiles grer et gnrateurs de tensions.
Alors que l'esprit occidental peroit la socit comme un
empi-lement de strates sociales horizontales, force est de
constater que dans de nombreux pays en voie de dveloppement, la
stratification est verticale et que les subdivisions de la socit
tendent se ganiser selon des critres ethniques. Ainsi, bien
souvent, les cli-vages politiques suivent les clivages ethniques et
non les clivages horizontaux des classes sociales . Ainsi, la
dmocratie parti unique s'oppose la notion europenne de la
dmocratie, alors qu'en Afrique, elle constitue l'un des moyens de
rassembler des tribus souvent antagonistes sous un seul
drapeau.
Lespace humain s'est modifi depuis le dbut des annes 80. Les
flux migratoires qui ont accompagn la dpolarisation du monde ont
non seulement boulevers la comprhension occiden-tale des soft
systems qui animaient les socits, mais ont aussi gnr des tensions
et antagonismes nouveaux. Ce sont moins les phnomnes migratoires en
eux-mmes qui sont en cause, que leur soudainet, et la difficile
gestion qui leur est associe. La ges-tion des flux migratoires
n'est pas leur interdiction, mais une action holistique sur
l'ensemble du phnomne, qui comprend les causes, les mouvements
eux-mmes (souvent encourags par la criminalit organise), l'accueil
et l'intgration des immigrs et finalement la gestion de cultures et
visions du monde diffrentes au sein d'une communaut donne.
-
36 LA GUERRE ASYMTRIQUE
Les enqutes qui ont suivi les attentats du 11 septembre 2001 ont
mis en vidence de vritables enclaves islamistes dans un grand
nombre de pays europens (
-
37
)re 2001 ont 1S un grand quelles pou-e et la rso-a rticence :rer
les flux
s structures
ce, Grande-o se dve-
s physiques . sont
-
.38 LA GUERRE ASYMTRIQUE
on a pu le voir durant la guerre contre l'Irak (1990), contre la
Serbie (1999) et contre l'Mghanistan (2001). Mettant profit leur
allonge suprieure, les armes high-tech peuvent ainsi frapper
distance, sans risque de riposte possible. Cette impossibilit de
rpondre de manire quilibre et adquate, associe au senti-ment d'
injustice de ce type de frappe, conduit les belligrants employer
des stratgies asymtriques pour y rpondre. L'action militaire
isralienne en 2001-2002 n'a eu pour effet que de sti-muler les
actes terroristes, et cette occasion, les commentateurs ont
frquemment compar les kamikazes palestiniens une forme archaque de
missiles de croisire. Au-del de la lgitimit de l'action elle-mme,
la comparaison rpond une certaine ra-lit. fait est que l'action
arienne distance est souvent perue comme une lchet et lgitime les
rponses les plus meur-trires.
Depuis le 11 septembre 2001, l'espace arien a acquis une
nou-velle dimension. La transformation d'appareils de ligne en
vri-tables missiles de croisire place le trafic arien civil comme
une menace potentielle permanente. Sa matrise doit pouvoir tre
possible sans toutefois provoquer des catastrophes dramatiques. Le
dilemme qui peut conduire abattre un avion civil en vol pour
prserver des vies humaines au sol doit aujourd'hui faire partie des
rflexions, voire des scnarios.
Dans cette perspective, ce type d'attaque peut tre considr comme
asymtrique car une parade est trs difficile adopter et justifier
politiquement. quel moment doit-on (peut-on) abattre un avion de
ligne souponn d'tre utilis comme une bombe volante? Le remde ne
rlsque-t-il pas d'tre plus meurtrier que le mal? Ces questions sont
faciles a posteriori, mais trs complexes ex ante.
d) I:ther L'espace hertzien ou lectromagntique est l'espace dans
lequel
oprent les appareils de transmission et l'instrumentation
lectro-magntique. Son extension dpend de la porte technique des
appareils utiliss.
Dans cet espace est mene la guerre lectronique, qui vise
per-turber, brouiller, protger les missions lectromagntiques
des
tures des rs~ Varsmie, ~ forces et: plages de r: manire ariens
ou :e' rseaux re:s:;:: gnral 0:1 ;2-situatioIl es: (comme _, mmes
mobile) mmes moye: services de r~ des crimbe: rseaux, mE
messages
Ces carac menaces se situe la j horizontale" chelon l, mi
saxons, qui s niques exista
1. Voir Anm
-
39
)), contre la profit leur :insi frapper ossibilit de e au
senti-belligrants ire. L'action que de sti-
Imentateurs uiens une La lgitimit :ertaine ra-est souvent plus
meur-
ris une nou-pe en vri-
comme )ouvoir tre ramatiques. en vol pour ' partie des
:: considr ,dopter et on) abattre me bombe mer que le
complexes
dans lequel lon lectro-:lllique des
l VIse per-tiques des
NOtNEAUX PARADIGME'i
moyens de conduite, de l'instrumentation radar, etc. Avec
l'infor-matisation croissante des appareils, l'ther tend se
confondre toujours davantage avec le cyberespace. Toutefois,
l'espace hert-zien reste un espace avec ses rgles propres et reste
un champ de bataille privilgi. On gardera en mmoire l'incident du
Lockheed EP-3 Orion, en avril 2001, qui a oppos la Chine et les
Etats-Unis durant de longues semaines, et qui aurait pu prendre des
propor-tions dramatiques.
Les plates-formes de communication tendent s'uniformiser. Dans
un conflit conventionnel, avec des systmes de transmission
hertziens utilisant des rseaux spcifiques, il est relativement
simple d'identifier certains rseaux et de les couter en fonction
d'un objectif particulier. Durant la guerre froide, dans les
struc-tures des rseaux de transmissions des forces armes du Pacte
de Varsovie, il tait possible d'identifier les diffrents
tats-majors des forces et les diffrents niveaux de conduite en
explorant des plages de frquences dtermines. Ainsi pouvait-on
surveiller de manire slective les sous-marins nuclaires, les
mouvements ariens ou les manuvres des forces sovitiques, en coutant
leurs rseaux respectifs de l'tat-major de la marine, de l'tat-major
gnral ou du thtre des oprations occidental. Aujourd'hui, la
situation est bien diffrente. Les acteurs des menaces modernes
(comme le terrorisme ou la criminalit organise) utilisent les mmes
plates-formes de communication (internet ou tlphone mobile) que les
honntes citoyens. L'homme d'affaires utilise les mmes moyens que
les parrains de la mafia. TI en rsulte, pour les services de
renseignements, que la surveillance et l'identification des
criminels ne peuvent plus se limiter la surveillance des rseaux,
mais impliquent souvent un accs au contenu des messages changs.
Ces caractristiques font que la surveillance des nouvelles
menaces implique une capacit de collecte du renseignement qui se
situe la fois verticalement dans l'intimit des menaces et
horizontalement l'chelle de la plante. Ainsi, le systme Echelon l,
mis en uvre par les services de renseignements anglo-saxons, qui
s'est greff sur les rseaux de renseignements lectro-niques
existants, constitue-t-il une rponse logique l'volution
1. Voir Annexe 2, p. 206 et suiv.
-
40 LA GUERRE ASYMTRIQUE
technologique des menaces. La raison de l'existence d'chelon
n'est donc pas a priori l'espionnage des entreprises europennes
(bien que cette technologie le permette - et qu'il soit
vraisembla-blement pratiqu), mais constitue une tentative
d'exploitation de l'ther pour accder l'intimit du processus de
dcision terroriste ou criminel.
e) 1:infosphre 1'infosphre est l'espace dans lequel est vhicule
l'information
non-numrique. Elle recouvre des supports d'information varis
(rumeurs, tracts, journaux, mdias, etc.), qui sont gnralement hors
du contrle de l'tat. Elle est troitement associe l'espace humain et
s'tend bien au-del du champ de bataille tradi-tionnel, pour couvrir
essentiellement l'hmisphre Nord. C'est dans cet espace que sont
influences les opinions publiques, qui auront un impact dcisif sur
les dcideurs politiques.
Dans les conflits asymtriques, l'infosphre est l'espace central
dans lequel se droule la bataille. C'est un espace complexe et
subtil, qui interagit en troite symbiose avec l'espace humain.
1'infosphre s'tend cependant bien au-del de l'espace humain concern
par un conflit, et permet d'agir indirectement sur un conflit en
influenant les opinions publiques priphriques au conflit, pour crer
des pressions politiques sur les belligrants. L'infosphre, par
exemple, a jou un rle dterminant sur le conflit du Vietnam, en
influenant les opinions publiques interna-tionales, afin de faire
pression sur le gouvernement amricain.
C'est aussi l'espace des manipulations - volontaires ou non.
C'est l'espace des mdias, mais c'est aussi l'espace du pouvoir. Or,
mdias et pouvoir ne partagent pas toujours les mmes objectifs. Sous
le couvert des droits dmocratiques et du contre-pouvoir, la presse
dfend des intrts industriels: elle cherche vendre son produit. Or,
l'tat dfend les intrts de nature poli-tique, culturelle, socitale
et lgale. Cette divergence d'intrt se manifeste le plus souvent par
la cration d'un systme de cen-sure. Or, ce dernier se place souvent
en contradiction avec les objectifs dmocratiques de l'tat et dpend
trs largement de la perception, et donc de la lgitimit, du conflit
dans la population civile.
L'infosph: fuse l'infor-;:'} les autres es}: espaces est ;;:'
vocation d~.t
j) Le cybere5 Le cybere
numrique ci: palement cc::J: cyberespa thorie - tou voire
remeI~
la diff:;: cyberespace : dans le dom2 meurtriers -structures e:
-vis des rse:: visionneme:::: donner l'im2. outre, alors c: des
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Une autre. ce dernier iI:::: mation, alors automatique; mation
dans : d'intrts qui nautes ne co ceux qui om: mation sur ce
Les intera, cyberespace L'troite inte
-
41
:e d'chelon europennes t vraisembla-ploitation de ion
terroriste
l'i.11formation nation varis :nralement le l'espace aille
tradi-Nord. C'est
lbliques, qui
;pace central complexe et ace humain. Jace humain ment sur un
)n.riques au belligrants. mant sur le =lues interna-,ricain. 1l"es
ou non. du pouvoir. ; les mmes :1 du contre-le cherche nature
poli-
: d'intrt se ~me de cen-ion avec les ;ement de la l
population
NOUVEAUX PARADIGMES
L'infosphre est donc l'espace dans lequel est transforme et
dif-fuse l'information sur des vnements qui ont pris naissance dans
les autres espaces. Cette relation entre l'infosphre et les autres
espaces est souvent subtile. Le terrorisme ayant par dfinition
vocation d'intimider, il est avant tout un moyen de
communication.
f) Le cyberespace Le cyberespace est l'espace virtuel dans
lequel l'information
numrique circule et permet l'interaction des acteurs. TI est
princi-palement constitu des rseaux informatiques. Les actions dans
le cyberespace influencent la circulation des donnes, et peut - en
thorie - toucher le fonctionnement d'infrastructures critiques,
voire remettre en cause le fonctionnement de la socit.
la diffrence de l'infosphre, l'information qui circule dans le
cyberespace interagit avec les infrastructures, et les actions
menes dans le domaine virtuel peuvent avoir des effets destructeurs
- et meurtriers - de nature physique. La nature rticule des
infra-structures et la dpendance croissante de la socit moderne
vis--vis des rseaux informatiques, qui grent le trafic arien,
l'appro-visionnement en nergie, le systme bancaire, etc., tendent
donner l'image d'une vulnrabilit croissante de la socit. En outre,
alors que porter la guerre dans les autres espaces requiert des
moyens relativement importants, la guerre dans le cyberespace
n'exige - du moins en thorie - ni structures complexes, ni moyens
dmesurs; quant au savoir ncessaire, il est gnralement largement
rpandu.
Une autre diffrence entre l'infosphre et le cyberespace est que
ce dernier implique une dmarche active du destinataire de
l'infor-mation, alors que dans l'infosphre, l'information tend se
diriger automatiquement vers son client. Celui qui recherche une
infor-mation dans le cyberespace peut appartenir l'un de ces
groupes d'intrts qui tend ses rseaux travers le monde. Tous les
inter-nautes ne consultent pas le site Internet du Hezbollah, et
seuls ceux qui ont un intrt pralable ce sujet iront chercher
l'infor-mation sur ce site.
Les interactions et, partant, les possibilits de conflits dans
le cyberespace sont complexes et ont des aspects paradoxaux.
L'troite interpntration des systmes informatiques gnre des
-
42 LA GUERRE ASYMTRIQUE
vulnrabilits: 90 % des ressources en nergie et des moyens de
tlcommunications utilises par le gouvernement amricain sont grs par
des systmes privs 1. Toutefois, cette interconnexion et cette
interdpendance des systmes lient aussi entre eux les rseaux et les
conomies des divers belligrants, rendant toute agression dans le
cyberespace risque pour l'attaquant lui-mme. Mme les mouvements
terroristes, ou rvolutionnaires, qui font aujourd'hui reposer une
part importante de leur communication sur Internet, et utilisent
Internet pour leurs transmissions strat-giques se retireraient un
prcieux instrument en portant le conflit dans le cyberespace.
Les oprations menes par des hackers du Hezbollah contre des
sites israliens - et vice-versa - relvent davantage de la gurilla
informatique que d'une guerre proprement parler. En ralit,
cyberterrorisme et cybercriminalit sont trs proches. Malgr
l'extension et les ramifications des rseaux, la menace est
essentiellement ponctuelle et ne peut tre efficace que si elle est
cible sur une partie clairement dfinie d'un rseau.
Deux caractristiques de l'infosphre et du cyberespace restent
cependant dtenninantes dans la planification d'une cyberguerre:
les effets finaux d'une action dans ces espaces sont
difficile-ment totalement prvisibles. 41!> Par son caractre
global, l'action malveillante peut s'affran-chir des contraintes de
l'espace et du temps et pose la question de l'adquation des
instruments scuritaires des tats, qui res-tent limits par les
frontires nationales, voire rgionales, dans le meilleur des
cas.
L'espace et le temps
La valeur du temps a, lui aussi, acquis une dimension nouvelle.
D'une part, la technologie permet de raccourcir les processus de
dcision et d'apporter des rponses plus prcises et plus rapides
1. Florian Rtzer, Schlimmer aIs Pearl Harbor,
www.heise.de/tp/deutsch!spe-cial/info/6339/1.html, 10 dcembre
1998.
d'apporre: militaire) e~ palette opration.r:?eL
Or, cerre instrurn~':S ment de sociale et
-
43
es moyens de mricain sont :connexion et
~ntre eux les endant toute mt lui-mme. ires, qui font
mmunication issions strat-tant le conflit
.ah contre des , la gurilla :L En ralit,
proches. la menace est
~ue si elle est
:space restent :yberguerre :
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Jeut s'affran-~e la question :;rats, qui res-ionales, dans
ion nouvelle. processus de plus rapides
tpldeutschl spe-
NOUVEAUX PARADIGMES
sur des objectifs. D'autre part, la nature des conflits modernes
suppose une action - et un succs - dans la dure. L'action
tac-tique, immdiate, brutale et spectaculaire, sert des objectifs
long terme et souvent difficilement perceptibles.
Dans la guerre conventionnelle, l'action et ses effets sont trs
directement lis et observables (bombardements, assauts, etc.) Dans
la guerre asymtrique, l'action dans un espace (par exemple, une
bombe dans une ville) aura des effets parfois diffrs et un autre
espace (faire connatre une cause). On se situe dans une autre
perspective temporelle. TI ne s'agit pas de coordonner l'ac-tion
elle-mme, mais ses effets dans des espaces discontinus. Cela
implique une vision la fois exhaustive et synthtique d'une
situa-tion qui se dveloppe dans les diffrentes couches de l'espace,
la fois au niveau local et de la plante.
La difficult ne rside plus seulement dans le fait de rpondre
rapidement une menace ou un risque, mais dans la capacit a)
d'apporter rapidement une rponse adquate (pas ncessairement
militaire) et b) de faire voluer cette rponse travers toute la
palette des instruments disponibles et dans l'ensemble de l'espace
oprationnel.
Or, cette matrise ne dpend pas seulement de l'adaptabilit des
instruments scuritaires (police, forces armes, etc.), mais
gale-ment de l'ensemble des instruments de l'tat (politique
trangre, sociale et conomique), dans un plan d'action qui s'tend
dans l'espace et dans le temps.
-
II. LMENTS DE STRATGIE
Il n'est pas ncessaire d'attendre une situation rvolutionnaire:
elle peut tre cre.
Che Guevara,
La guerra de guerillas (1961)
Qu'elle soit symtrique ou asymtrique, la guerre se construit
autour d'un certain nombre d'lments relativement immuables dans
leur nature. La violence politique n'est gnralement pas gra-tuite
et vise une finalit. La comprhension des mcanismes de l'asymtrie
passe donc par la comprhension de la nature des objectifs
poursuivis, puis par l'identification des logiques qui peu-vent y
conduire.
Les parties un conflit, quelle que soit leur stratgie globale
d'action, construisent cette dernire autour de trois dimensions: la
finalit de l'action (renversement d'un rgime, mise en place d'un
nouveau pouvoir, etc.), les ressources disponibles (finances,
per-sonnels, quipements, etc.) et la voie slectionne pour atteindre
l'objectif (par la force, par la politique, etc.). Ces trois
dimensions sont combines - souvent de manire intuitive - par
itration les unes par rapport aux autres pour obtenir un optimum,
qui deviendra la dcision stratgique.
L'objectif atteindre est au cur de la conception stratgique,
mais reste difficile dfinir avec prcision tant que les deux autres
dimensions ne sont pas connues. Ainsi, troitement lis, ces trois
facteurs se dfinissent l'un par rapport l'autre de manire
itra-tive. Si au niveau tactique leur intgration est relativement
aise, il n'en est pas de mme au niveau stratgique, o la complexit
de
-
46 LA GUERRE ASYMTRIQUE
Objectifs (Aims)
Figure 4 - Les dimensions de la conception stratgique
chaque facteur rend une vision d'ensemble - et donc
l'itration-souvent difficile.
LA FINALIT DE L'ACTION
Le point de dpart de l'itration qui permettra de dterminer la
stratgie est certainement la dfinition de l'objectif atteindre. Au
niveau stratgique, cette dfinition s'exprime dans les tats finaux
politique et militaire recherchs. Elle procde de l'identification
des lments dimensionnels de l'action stratgique (centre de gra-vit,
points dcisifs et points nvralgiques), dont on a - au pra-lable
dgag les interactions et les liens de causalit.
Ainsi, les armes utilises par un mouvement terroriste et la
manire de les utiliser - sont videmment lies ses objectifs. Un
mouvement terroriste sparatiste ou indpendantiste, par exemple,
utilisera peu vraisemblablement des armes nuclaires de destruction
massive.
Les objectifs de l'action terroriste sont de deux catgories
prin-cipales: les objectifs finalitaires, lis l'atteinte de
l'objectif strat-gique de la guerre (tablissement d'une nouvelle
socit, etc.), et les objectifs tactiques \ lis la constitution de
la capacit opration-nelle du mouvement (prises d'otages, attaques
main arme, etc.),
1. En anglais: enabling objectives.
1. Les Kassel, 21 i:f;;Tie::
2. bilden, ,,'or. mut der gesCi'o;" K:riege, Aches
3. The hd:: that characteris: derive their :ree FM 1005 aI
-
47
nires (Ways)
:lUe
: l'itration -
::ltermner la atteindre. Au s tats finaux dentification :entre
de gra-a - au pra-
oriste - et la objectifs. Un par exemple, le destruction
tgories prin-bjectif strat-t, etc.), et les t opration-. arme,
etc.).
LMENTS DE STRATG
L'action terroriste est souvent plus complexe qu'elle n'apparat
au premier abord. Outre les objectifs lis la finalit mme du conflit
(par exemple, pour les mouvements palestiniens des annes 70, faire
connatre la cause palestinienne), qui sont dfinis le long de la
ligne stratgique, on observe frquemment des actions parallles, sans
connexion directe avec la ligne stratgique, comme le dtour-nement
d'avion pour faire librer des combattants et/ou terroristes
incarcrs. Ainsi, les attaques de banques menes par la Rote Armee
Fraktion J avaient une dimension purement fonctionnelle, mme si une
couleur politique leur tait donne, et s'inscrivaient davan-tage
dans la stratgie des moyens que la finalit de l'action .
Le centre de gravit
La prsence d'un point duquel dpend la force d'un adver-saire est
identifie la fois par Clausewitz et par Jomini. Ce der-nier le
dcrit comme un point dcisif stratgique, tandis que Clausewitz
n'hsite pas employer l'expression centre de gravite qui reflte bien
le lien mcanique qui lie les divers fac-teurs de la guerre en une
entit complexe, la fois forte et fragile. C'est cette dernire
expression qui restera dans le langage militaire jusqu' nos
jours.
[' ..J le centre de toute puissance et de tout mouvement, dont
tout dpend,' la caractristique, la capacit ou l'emplacement dont
les forces ennemies et amies dgagent leur libert d'action, leur
force physique ou leur volont de combattre3
1. Les principales attaques de banques de la RAF ont t: 15
janvier 1971 Kassel, 21 fvrier 1972 Kaiserslautern, 27 juillet 1973
Berlin.
2. [.. .] ein gewisser Schwerpunkt, ein Zentrum der Kraft und
Bewegung bilden, von welchem das Ganze abh'ngt- und au! diesen
Schwerpunkt des Gegners muft der gesammelte 5toft aller Krii/te
gerichtet sein;;, Karl von Clausewitz, Vom Kriege, Achtes Buch,
Berlin, Dmmlers Verlag, 1832.
3. The hub of all power and movement upon wruch everything
depends; that characteristic, capability, or location from whlch
enemy and friendly forces derive their freedom of action, physical
strength, or the will ta 6ght. Glossary, FM 100-5 (en allemand:
5chwetpunkt) on trouve galement: ... characteristic(s),
-
48 LA GUERRE ASYMTIllQUE
Le centre de gravit est la cl de vote de l'difice strat-gique.
Sa suppression provoque l'effondrement ou la destruction de
l'ensemble. C'est donc contre le centre de gravit d'un adver-saire
ou d'une situation donne que l'action stratgique est dirige
prioritairement.
TI se retrouve dans tous les types de conflits, mais sa nature
varie selon la nature de ce dernier. Dans un conflit conventionnel,
le centre de gravit stratgique se situera souvent dans les domaines
immatriels, comme l'opinion publique, par exemple. On peut
constater que dans les conflits de l'aprs-guerre froide, les
centres de gravit sont souvent associs des personnes, pour ne pas
dire des personnalits, qui catalysent les ressentiments et servent
de point de rfrence des conflits souvent anciens. Qu'il s'agisse de
Saddam Hussein, de Slobodan Milosevic, du Mollah Omar, d'Abou
Sayyaf ou d'Ousama Ben Laden, le centre de gravit est ponctuel et
d'autant plus difficile combattre qu'il a une dimension mythique
qui peut subsister aprs son ventuelle disparition.
Le centre de gravit prsente un certain nombre de
caractris-tiques: 1\ Chacune des parties impliques dans le conflit
en a au moins un. Savoir s'il peut y en avoir plusieurs, ou si
chaque niveau de conduite en a, sont des questions souvent
acadmiques, non dpourvues d'intrt, mais dans lesquelles nous
n'entrerons pas. 1 TI est la principale source de succs de
l'adversaire (
-
l
49
ifice strat-destruction d'un adver-e est dirige
nature varie ntionnel, le
~s domaines le. On peut , les centres ne pas dire servent de
l s'agisse de nar, d'Abou ::st ponctuel dimension
ition.
_ caractris-
,a au moins le niveau de :lques, non :l'entrerons
e (ill ta Hght. 'd Terms, Joint
LMENTS DE STRATGIE
li rsulte de ces caractristiques que: L'analyse du centre de
gravit de l'adversaire doit s'accompa-gner de l'analyse du propre
centre de gravit et de l'identifica-tion, pour les deux parties,
des facteurs critiques. La surveillance des centres de gravit (des
deux parties) doit s'accompagner d'une adaptation permanente de la
planification de combat. L'action contre le centre de gravit est
mene dans toute la palette des moyens oprationnels et des types
d'oprations.
Le caractre ambigu du centre de gravit peut tre illustr par
l'importance de Zinedine Zidane au sein de l'quipe de France de
football. li est la fois le point fort de l'quipe, dont la prsence
est indispensable une victoire, mais il est galement son point
vulnrable, car son absence accrot les risques de dfaite.
Les facteurs critiques centre de gravit est un conglomrat de
trois catgories de
facteurs qui interagissent entre eux et qui donnent au centre de
gravit la fois son caractre de force et de faiblesse!.
Le centre de gravit se compose donc de trois catgories de
facteurs: El Les fonctions critiques, qui sont les lments
fonction-nels ncessaires l'atteinte des objectifs fixs (par exemple
la reconnaissance) . '" Les ressources critiques, qui sont les
moyens ncessaires pour la mise en uvre des fonctions critiques, et
qui sont donc les moyens indispensables l'atteinte des objectifs
(par exemple les rseaux de transmissions). '" Les vulnrabilits
critiques sont les vulnrabilits dans les processus, les moyens
matriels ou dans la nature mme de l'action, qui peuvent
compromettre l'atteinte des objectifs (par exemple l'absence de
redondance des rseaux de transmis-sions).
1. il est une discussion rcurrente sur le fait de savoir si le
centre de gravit doit tre combattu en tant que source de force de
l'adversaire, ou en tant que faiblesse potentielle, car
indispensable l'action de l'adversaire.
-
50 LA GUERRE ASYMTRIQUE
Ainsi, si le centre de gravit est une personne, Ului faut
gnra-lement des moyens afin d'exercer son rayonnement, et l'action
contre le centre de gravit ne peut rsulter que d'une analyse
soi-gneuse des facteurs critiques. Par exemple, le gouvernement
sud-africain jugeait prfrable de maintenir Nelson Mandela en
captivit plutt que de 1' liminer et ainsi transfrer son aura sur sa
femme ou d'autres dirigeants plus extrmistes de l'Aftican National
Congress (ANC).
Ces trois facteurs sont interdpendants et tous lis l'objectif
recherch. Dans une action offensive contre un adversaire, l'action
peut se diriger sur une catgorie de facteurs critiques, afin
d'at-teindre son centre de gravit. l'inverse, afin de prserver
notre propre libert de manuvre, l'analyse de nos propres centres de
gravit doit conduire un concept qui protge ces trois catgories.
La vision sovitique du centre de gravit Dans l'optique - et dans
la dialectique - marxiste-lniniste, la
guerre tait un phnomne global, qui s'intgrait dans un pro-cessus
historique et touchait tous les aspects de la socit, puisque guid
par la lutte des classes. Ceci est illustr par la dfinition de la
guerre donne par l'Encyclopdie militaire sovitique (SVE):
Phnomne sociopolitique, continuation de la politique par la
force. [' ..J Afin d'atteindre des objectifs politiques dans la
guerre on a recours la force arme comme moyen principal et dcisif
ainsi qu'aux moyens de combat conomiques, diplomatiques,
idologiques et autres 1.
Paraphrasant apparemment la pense de Clausewitz, le concept
marxiste-lniniste allait, en fait, plus loin et comprenait
l'ensemble de la politique, alors que Clausewitz n'envisageait que
la politique trangre. Ainsi, alors que l'esprit occidental ne
voyait dans la guerre que le prolongement arm d'un conflit
intertatique, l'esprit marxiste-lniniste y voyait une phase de
l'volution de la lutte des classes.
La vision marxiste-lniniste apportait ainsi la dfinition de
la
1. Sovyetskaya Voyennaya Entsiklopediya (SVE), Moscou,
Voyenizdat, 1977, article Vona (Guerre).
cC- ,-" :
''J.,. :!' ::,&1
-
51
i faut gnra-lt, et l'action e analyse soi-!1ement sud-Mandela en
. son aura sur de l'African
~s l'objectif saire, l'action .es, afin d'at-server notre es
centres de lis catgories.
~-lniniste, la Jans un pro-:it, puisque
~finition de la SVE):
litique par la 'ques dans la n principal et ues, diploma
2, le concept it l'ensemble
~ la politique lans la guerre prit marxiste-es classes. finition
de la
yenizdat, 1977,
LMENTSDESTRATG
guerre des lments plus profonds que la simple divergence de vue
entre tats. C'est ainsi qu'apparat la notion de corrlation des
forces, qui devient l'objet central de la guerre.
Le concept mme de corrlation des forces tait mal compris en
Occident. Souvent traduit par quilibre des forces ou rap-port des
forces , il n'tait appliqu qu'au domaine militaire et, la plupart
du temps, limit au domaine quantitatif. Or, dans la pense
sovitique, la corrlation des forces tait un phnomne la fois plus
large et plus subtil:
Plusieurs critres existent pour l'valuation de la corrlation des
forces. Dans le domaine conomique, les facteurs habituellement
compars sont le produit national brut par tte d' habitant, la
productivit du travail, la dynamique de la croissance conomique, le
niveau de la production, industrielle, particulirement dans les
secteurs de pointe, l'infrastructure technique de l'instrument de
production, les ressources et le degr de qualification de la force
de travail, le nombre de spcialistes et le niveau de dveloppement
des sciences thoriques et appliques. Dans le domaine militaire, les
facteurs compars sont la quantit et la qualit des armements, la
puissance de feu des forces armes, les qualits de combattant et
morales des soldats, le niveau d'instruction des tats-majors,
l'organisation des troupes et leur exprience au combat, le caractre
de la doctrine militaire et les mthodes de la pense stratgique,
oprative et tactique. Dans le domaine politique, les facteurs qui
entrent en considration sont la largeur de la base sociale de
l'autorit de l'tat, son organisation, la procdure constitutionnelle
des relations entre le gouvernement et les organes lgislatifs, la
capacit de prendre des dcisions oprationnelles et le degr et le
caractre du soutien du peuple la politique intrieure et trangre.
Finalement, en regard de l'valuation de la force du mouvement
international, les facteurs pris en considration sont sa
composition quantitative, son influence auprs des masses, sa
position dans la vie politique de chaque pays, les principes et
normes des relations entre ses composantes et le degr de leur
cohsion 1.
1. G. Shakhnavzarov, On the problem of Correlation of Forces in
the World, Kommunist, nO 3 (fvrier 1974), p. 86.
-
52 LA GUERRE ASYMTRIQUE
La corrlation des forces constituait ainsi une forme globale et
complexe du centre de gravit dfini par Clausewitz, sortant du
domaine militaire et en cohrence avec la dfinition marxiste de la
guerre. TI n'est pas dfini en termes quantitatifs, mais comme un
quilibre {corrlation} entre plusieurs facteurs. Or, ce centre de
gravit pouvait tre dtruit par des stratgies directes (la guerre
ouverte classique , conventionnelle ou nuclaire) ou par des
stratgies indirectes (la subversion et ce que l'on appellera plus
tard la guerre de l'information).
Le principe de la coexistence pacifique s'intgrait parfaite-ment
son tour dans cette conception globale de la guerre, ainsi qu'en
tmoigne la SVE:
La coexistence pacz/ique est une mthode importante pour assurer
des conditions favo