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Erscheint in: Koch, Peter/ Blank, Andreas (Hg.): Akten der Sektion Kognitive Onomasiologie des XXVI. Romanistntages in Osnabrück, 27.-29.09.1999. Ulrich Detges La grammaticalisation des constructions de négation dans une perspective onomasiologique, ou: la déconstruction d’une illusion d’optique Dans son acception la plus stricte, le terme de grammaticalisation se réfère aux changements linguistiques au cours desquels un élément lexical autonome se transforme en élément grammatical. Cette définition qui remonte à Meillet (1948 [1912]: 131) a été modifiée par Lehmann (1995: 9) qui propose d’appeler grammaticalisation chaque processus au cours duquel un élément donné, qu’il soit d’ordre lexical ou grammatical, acquiert un statut plus grammatical. La grammaticalisation est un type de processus graduel et unidirectionnel qui affecte des signes linguistiques individuels ainsi que des constructions entières, et dont la progression peut se mesurer à l’aide de paramètres structuraux (Lehmann 1995: 122-171, 1985: 305-310). Cette approche, centrée sur l’évolution structurale des constructions grammaticales, est de nature essentiellement sémasiologique. Le présent travail se propose d’adopter un point de vue strictement onomasiologique et d’analyser un cas concret de grammaticalisation, à savoir celui des constructions de négation du français. Nous verrons que ce changement de perspective non seulement met en évidence des incohérences considérables du modèle de Lehmann, mais permet de mieux comprendre comment et pourquoi les processus de grammaticalistion se produisent. 1. L’évolution du négateur pas dans une perspective sémasiologique: un cas de grammaticalisation peu problématique L’évolution de pas, particule de négation en français moderne, est l’exemple par excellence d’un processus de grammaticalisation: tout comme son homonyme nominal pas, il remonte au lexème passus ‹(le, un) pas› qui, en latin vulgaire, était utilisé pour renforcer le négateur normal non. 1 Au début de ce processus, passum n’apparaît que dans des contextes du type non passum discedere ‹ne pas s’éloigner (même) d’un seul pas›, 2 avec un statut d’élément nominal libre, remplissant la fonction syntaxique d’objet interne. Par contre, le rôle de pas en ancien français était déjà celui d’un élément grammatical, utilisé pour renforcer la négation dans des contextes autres que les verbes de mouvement. Cet emploi de pas présuppose qu’il ne voulait plus dire 1 Celui-ci était lui-même issu d’une construction de renforcement grammaticalisée, à savoir ne oinum ‹pas un (seul)›. 2 Quoique cet emploi de passum ne soit pas directement attesté dans les textes latins, il est néanmoins très probable, étant donnée l’existence d’exemples attestés comme non licet transversum digitum discedere ‹on ne peut [même] pas s’éloigner d’un doigt mis en travers› (Cic. Ac. 2, 58; cit. Väänänen 1981: 152). L’hypothèse que pas tire son origine du latin vulgaire est étayée par le fait que des particules de négation qui remontent à passu(m) se retrouvent dans un bon nombre de langues romanes autres que le Français, par exemple en Catalan, en Occitan, en Gascon, en Gévaudanais, en Aragonais et dans quelques dialectes de l’Italie du Nord (voir Schwegler 1990: 161–169).
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La grammaticalisation des constructions de négation dans une perspective onomasiologique, ou: la déconstruction d’une illusion d’optique

Apr 09, 2023

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Erscheint in: Koch, Peter/ Blank, Andreas (Hg.): Akten der Sektion Kognitive Onomasiologie des XXVI.Romanistntages in Osnabrück, 27.-29.09.1999.

Ulrich Detges

La grammaticalisation des constructions de négationdans une perspective onomasiologique,ou: la déconstruction d’une illusion d’optique

Dans son acception la plus stricte, le terme de grammaticalisation se réfère aux changementslinguistiques au cours desquels un élément lexical autonome se transforme en élémentgrammatical. Cette définition qui remonte à Meillet (1948 [1912]: 131) a été modifiée parLehmann (1995: 9) qui propose d’appeler grammaticalisation chaque processus au cours duquelun élément donné, qu’il soit d’ordre lexical ou grammatical, acquiert un statut plus grammatical.La grammaticalisation est un type de processus graduel et unidirectionnel qui affecte des signeslinguistiques individuels ainsi que des constructions entières, et dont la progression peut semesurer à l’aide de paramètres structuraux (Lehmann 1995: 122-171, 1985: 305-310). Cetteapproche, centrée sur l’évolution structurale des constructions grammaticales, est de natureessentiellement sémasiologique. Le présent travail se propose d’adopter un point de vuestrictement onomasiologique et d’analyser un cas concret de grammaticalisation, à savoir celuides constructions de négation du français. Nous verrons que ce changement de perspectivenon seulement met en évidence des incohérences considérables du modèle de Lehmann, maispermet de mieux comprendre comment et pourquoi les processus de grammaticalistion seproduisent.

1. L’évolution du négateur pas dans une perspective sémasiologique:un cas de grammaticalisation peu problématique

L’évolution de pas, particule de négation en français moderne, est l’exemple par excellence d’unprocessus de grammaticalisation: tout comme son homonyme nominal pas, il remonte aulexème passus ‹(le, un) pas› qui, en latin vulgaire, était utilisé pour renforcer le négateur normalnon.1 Au début de ce processus, passum n’apparaît que dans des contextes du type non passumdiscedere ‹ne pas s’éloigner (même) d’un seul pas›,2 avec un statut d’élément nominal libre,remplissant la fonction syntaxique d’objet interne. Par contre, le rôle de pas en ancien françaisétait déjà celui d’un élément grammatical, utilisé pour renforcer la négation dans des contextesautres que les verbes de mouvement. Cet emploi de pas présuppose qu’il ne voulait plus dire 1 Celui-ci était lui-même issu d’une construction de renforcement grammaticalisée, à savoir ne oinum ‹pas

un (seul)›.2 Quoique cet emploi de passum ne soit pas directement attesté dans les textes latins, il est néanmoins

très probable, étant donnée l’existence d’exemples attestés comme non licet transversum digitum discedere‹on ne peut [même] pas s’éloigner d’un doigt mis en travers› (Cic. Ac. 2, 58; cit. Väänänen 1981: 152).L’hypothèse que pas tire son origine du latin vulgaire est étayée par le fait que des particules denégation qui remontent à passu(m) se retrouvent dans un bon nombre de langues romanes autres que leFrançais, par exemple en Catalan, en Occitan, en Gascon, en Gévaudanais, en Aragonais et dansquelques dialectes de l’Italie du Nord (voir Schwegler 1990: 161–169).

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‹action de transférer l'appui du corps d'un pied à l'autre› et que sa fonction consistaitsimplement à indiquer la valeur emphatique de la négation. Grâce à cette valeur, pas étaitencore fonctionnellement beaucoup plus « lourd » qu’il ne l’est en français moderne, un fait quiexplique la possibilité de le faire figurer, pour le mettre en relief, en tête du groupe verbal où ilpouvait notamment précéder ne (voir (1a)). Comme élément emphatique, pas avait un statutfacultatif, le négateur non marqué étant ne tout seul, comme le montre (1b).

(1) a. [...] Climborins, ki pas ne fut produme [...]. (ChRol 1528, 12e siècle)b. Respondent Franc: Ne vos devons faillir. (ChRol 1520)

Tandis que pas était, en ancien français, un élément grammatical mais facultatif, servant à marquerun effet de renforcement, il devenait de plus en plus fréquent en moyen français, perdant enmême temps sa valeur emphatique. Vers la fin du 16e siècle, il était quasiment obligatoire bienque les règles de son emploi en français moderne – toujours en vigueur dans le français écritactuel – ne se soient fixées qu’au cours du 17e siècle (Spillebout 1985: 366-378; Haase 1965[1889]: 261). Dorénavant, ne pas exprimait, comme l’avait fait auparavant ne à lui seul, la négationnon marquée, de sorte qu’on le trouve, par exemple, en fonction explétive, fonction qui aurait étédifficilement compatible avec une valeur emphatique:

(2) Car plus fiere seroit de vous Qu’elle n’a pas esté de nous. (Marot, Epistre, 36, 16e siècle, cit.Huguet, s.v. pas)

Le stade ultime du développement fut atteint dès qu’il devint possible, dans les registresinformels, d’omettre ne, de sorte que pas se transforma en l’élément unique de la négation nonmarquée. Cet emploi qui prédomine en français parlé standard, était déjà la règle dans lefrançais parlé du début du 17e siècle (cf. Ernst 1985: 85):

(3) Je veu pa faire ainsi ! (Héroard, 10.1.1609; cit. Ernst 1985: 85)

Ce développement, au cours duquel un lexème libre se transforme d’abord en marqueur gram-matical emphatique et facultatif pour ensuite acquérir un statut d’élément non marqué etobligatoire, se déroule largement en conformité avec le modèle paramétrique deLehmann (1995: 122-171, 1985: 305-310). Comme on l’a vu, cette évolution est caractériséenotamment par une perte progressive en « poids sémantique » du signe en question(décroissement de son « intégrité paradigmatique ») qui va de pair avec un degré croissant defixation de sa position dans la phrase (perte de « variabilité syntagmatique »).3 L’exemple (1a)montre qu’en ancien français, la position syntaxique de pas était encore beaucoup plus librequ’en français moderne. La transformation du lexème nominal passum en particulegrammaticale entraîne une perte complète de toutes les propriétés distributionnelles qui font sanominalité (entre autres la possibilité d’une mise au pluriel et la capacité de régir toutes sortesde déterminants et d’épithètes), ne laissant à pas qu’une variabilité distributionnelle trèsrestreinte (réduction en « poids syntagmatique », perte en « portée structurale »). Tout au longde son évolution, pas qui en ancien français et en moyen français se voit encore concurrencépar d’autres particules comme gote, point etc. et surtout par mie (voir Hopper 1991: 26-27;Gamillscheg 1957: 753), devient de plus en plus fréquent jusqu’à devenir obligatoire (croissancegraduelle de sa « cohésion paradigmatique », accompagnée d’une perte progressive en

3 Une autre conséquence de cette évolution – moins évidente à premiere vue – est le fait que pas perd

une partie de son autonomie phono-syntaxique (gain en « cohésion syntagmatique », « liaison »progressive). Pour plus de détails Schwegler (1990: 156),

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« variabilité paradigmatique »). Notons que le modèle de Lehmann est avant tout un modèletaxinomique destiné à « mesurer », pour les comparer, les degrés de grammaticalisation respectifsd’éléments donnés. Or, cette taxinomie a été prise par nombre de chercheurs, dont Lehmannlui-même, pour une modélisation descriptive des processus de grammaticalisation eux-mêmes. Danscette version « forte », la théorie de la grammaticalisation ne se veut pas simplement le modèled’un type de changement particulier parmi tant d’autres, mais elle prétend plutôt décrire unprocessus qui affecte la structure entière de toute langue, et dont les effets se font remarquertant sur le plan diachronique que sur le plan synchronique (Lehmann 1985: 311-312):

There is one overall movement of grammaticalization, seizing all the devices which a language has atits disposal within a given functional domain and pushing them gradually and simultaneously along thestages of a scale [...]. Grammaticalization asserts itself in all the domains of grammar. [...] In allthese cases, there is, on the synchronic level, a choice among alternative strategies which enjoydifferent degrees of grammatical autonomy, and on the diachronic axis, a steady movement in the di-rection of lesser autonomy and stronger grammaticalization. (C’est nous qui soulignons)

Dans cette optique, la grammaticalisation est le type de changement le plus important parmi leschangements grammaticaux possibles (voir dans ce sens par exemple Haspelmath 1998: 344). Sicette vue est bien fondée, on devrait s’attendre à ce que toutes les constructions de négation dufrançais se soient grammaticalisées suivant le modèle de ne pas. Comme on le verra, cette imageest trompeuse.

2. La négation de phrase dans une perspective onomasiologique

D’un point de vue onomasiologique, il y a deux types de négation fonctionnellement distincts,à savoir la négation emphatique (voir (4b)) et la négation « simple », non marquée (4a). Cette dernièreest représentée en français moderne par (ne) pas, en allemand par nicht, en anglais par not. Lanégation emphatique s’exprime, entre autres, en fr. par absolument pas et pas du tout, en al. parganz und gar nicht, überhaupt nicht et keineswegs, en angl. par not at all.

(4a) Négation simple: Paul n’a pas mangé.(4b) Négation emphatique: Paul n’a pas mangé du tout.

En tant que fonctions sémantiques, ces deux types de négation semblent avoir un caractèreuniversel. Il y a, pourtant, des différences considérables entre les langues en ce qui concerneleur réalisation linguistique.

3. La négation emphatique et sa réalisation linguistique

La négation emphatique signale qu’un fait donné ne s’est pas produit au moindre degréconcevable. Sur le plan conceptuel, elle est l’expression d’une POLARITE NEGATIVE (pour unediscussion des rapports entre négation, logique et « échelles pragmatiques », voir Fauconnier1975). Dans un premier temps, on peut grouper les constructions linguistiques qui servent à

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exprimer ce concept en deux grandes catégories à savoir (i) les constructions libres (voir (5a)) et(ii) les constructions grammaticales, présentant un haut degré de conventionnalisation (voir (5b)).

(5a) construction libre: Paul n’a pas mangé une miette de ce gâteau !(5b) construction grammaticale: Paul n’a pas du tout mangé de ce gâteau!

3.1. Réalisations libres

Dans toutes les langues du monde, la négation emphatique peut se réaliser par desconstructions libres, formées ad hoc comme (5a). A côté de celles-ci, on trouve dans le lexiquede nombreuses langues des expressions elles que:

(6a) Français modernene pas remuer le petit doigt, ne pas avoir l’ombre d’un doute, ne pas dire (un (seul)) mot, ne pasavoir un rond etc.

(6b) Moyen françaisne (pas) valoir un boton, un festu, une chastaigne, un denier etc. (cf. Möhren 1980)

(6c) Ancien françaisn’aler un pas, ne mangier une mie de pain, ne valoir un faus bouton, ne valoir un esperunrouillé, ne valoir un fumier ennegié, ne valoir un viez lorain, etc. (cf. Möhren 1980)

(6d) Latinguttam haud sanguinis habere, non buccam panis habere, non pedem ab aliquo discedere (Mair1992: 280), non transversum digitum discedere etc. (voir note 1).

(6e) Espagnolno beber una gota de vino, no tener la más remota idea, no tener ni pizca de vergüenza, nomover un dedo, no tocar en un pelo a alg., no entender una (sola) palabra etc.

(6f) Italiensenz’ombra di dubbio‚ non alzare un dito, non torcere un pelo a qc. non bere un goccio di vino,non capire una sola parola.

(6g) Allemandkein Wort verstehen, keinen Handschlag tun, keinen Finger krumm machen, keinen Millimeterabweichen, kein Wort zurücknehmen, nicht die leiseste Ahnung haben.

(6h) Anglaisnot to move an inch, not to understand a thing, not to say a (single) word, not to touch a hairon someone, not to omit a single detail (voir Winters 1987: 33).

Si nombreux et diversifiés que puissent paraître ces exemples, ils sont tous façonnés sur lemême moule. Le modèle sous-jacent à leur formation se résume en une simple règle discursivedu type suivant:

(7) Si tu veux exprimer avec insistance qu’un certain fait ne s’est vraiment pas du tout produit, alorstu peux dire que le fait en question ne s’est même pas produit au MOINDRE DEGRE IMAGINABLE.

Il s’agit là d’une règle rhétorique simple, c’est-à-dire d’une technique de discours dont lesproduits, en tant que constructions libres, n’appartiennent pas au système linguistique respectif.Le procédé de renforcement exemplifié en (5a) n’est pas spécifique du français; des tournuresanalogues peuvent se construire dans chaque langue dont les locuteurs mangent des GATEAUXcomposés de MIETTES. Néanmoins, la technique (7) laisse ses « traces » dans les langues: cellesdes constructions libres qui s’emploient avec une certaine fréquence se figent par degrés. Decette façon, la règle (7) donne naissance à des constructions idiomatiques qui font partie dulexique, comme c’est le cas pour les constructions répertoriées sous (6). Ce fait est important,car, comme on verra dans la section 4., la lexicalisation graduelle de ces constructions est le

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résultat du même processus qui peut éventuellement les transformer en élémentsgrammaticaux.

3.2. L’émergence des marqueurs grammaticaux de la négation emphatique

Tout comme la formation des constructions libres examinées dans le paragraphe précédent,l’origine diachronique des marqueurs grammaticaux de la négation emphatique n’est pas tout àfait contingent. Dans la section présente, ils seront groupés et discutés selon les modèles sous-jacents à leur formation.

3.2.1. NEGATION COMPLETE, VIRTUALITE EXCLUE et le principe de « construction &conventionnalisation »

Dans des constructions du type fr. absolument pas, esp. no del todo, it. non affatto, al. ganz und garnicht, angl. not at all la négation emphatique sert à contester, de FAÇON COMPLETE ou ABSOLUEl’idée qu’un fait donné se soit produit (NEGATION COMPLETE). Un autre procédé, qui est à labase d’afr. ne aucunement, ne nulement, it. per niente, lat. nullo modo, nulla ratione, haud quaquam, al.überhaupt nicht, keinesfalls, esp. de ninguna manera est d’exclure la possibilité qu’un fait donné sesoit produit d’une FAÇON IMAGINABLE quelle qu’elle soit (VIRTUALITE EXCLUE). Nombre dequantificateurs avec lesquels sont construites ces expressions s’emploient également dans descontextes affirmatifs, et dans ces cas-là, on constate qu’ils ont exactement le même sens:

(8a) emploi négatif: Pierre ne veut absolument pas partir.(8b) emploi affirmatif: Pierre veut absolument partir.

Cet exemple montre que les expressions comme absolument – qui permettent de renforcern’importe quelle construction, qu’elle soit affirmative ou négative – ne subissent, quand ellessont utilisées pour renforcer la négation, aucun changement de sens. Néanmoins, absolument pasest le produit d’un changement linguistique. Le caractère de ce changement ressort trèsclairement quand on regarde l’histoire du fr. pas du tout. En ancien français et en moyenfrançais, del tot / du tout signifiait ‹complètement›, ‹entièrement›, et pouvait, tout commeabsolument en français moderne, figurer dans des phrases affirmatives:

(9) Jherusalem prendront du tout a leur commant (Chev. au cygne, cit. Godefroy, Tot).‹Ils prendront Jérusalem complètement sous leur contrôle.›

A l’époque classique, du tout, qui d’ailleurs conservait sa signification autonome ‹complètement›,était déjà couramment utilisé pour renforcer la négation. Parfois dans la langue écrite, ilrenforçait ne seul (voir (10)), et sa position par rapport à l’élément forclusif était encore variable(voir (11)), ce qui indique qu’il avait un statut relativement libre:

(10) Si la piété [...] En toi, pauvre insensé, n’est du tout amortie (Régnier, Epît., cit. Littré, Tout)(11) Quant aux affaires, je n’y entends du tout rien. (J.J. Rousseau, Lett. à Mme d’Épernay, janv. 1757, cit.

Littré, Tout)

A cause de leur fréquent emploi, (ne) pas du tout, (ne) rien du tout etc. se sont transformés enprocédés pleinement conventionnalisés en français moderne. En linguistique cognitive, de telsprocessus sont connus sous la désignation d’ « entrenchment » (voir Langacker 1987: 59),

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processus que Winters (1987: 32) caractérise ainsi: « [...] constructions, if used sufficiently often,become part of the repertoire of meaningful items: they acquire unit status ». Bienqu’aujourd’hui du tout ait cessé d’être employé comme élément autonome signifiant‹complètement›, ceci n’a affecté en rien le fonctionnement de (ne) pas du tout en tant queconstruction de négation emphatique, fait qui met en évidence son statut d’unité linguistiqueconventionnelle.

Dans ce qui suit, nous nous référerons à ce type de changement – c’est-à-dire à laconventionnalisation progressive d’une construction originairement libre dont le sens nechange pas – en utilisant l’étiquette « construction & conventionnalisation ».4

3.2.2. Un autre cas de « construction & conventionnalisation »: la double négation

Dans les variétés non normalisées,5 la double négation est un procédé fréquent de la négationemphatique. Jespersen (1966 [1917]) distingue, selon le modèle de construction sous-jacent,deux types de double négation, à savoir (a) la double négation cumulative (Jespersen 1966[1917]: 64-68) et (b) la double négation par reprise (« resumptive double negation », Jespersen1966 [1917]: 72-75).(a) Dans la double négation cumulative, la valeur emphatique est marquée par la présence, au-delàde la construction négative habituelle, soit d’un pronom soit d’un adverbe négatif additionnel(Jespersen 1966 [1917]: 62-68, Mair 1992: 273-275). Comme le montrent les exemples (13) et(14), ce procédé permet un cumul multiple de négateurs:

(12) Français populaireJ’en sais pas1 rien2, je connais pas1 aucun2 homme. (Mair 1992: 275)

(13) Allemand préclassiqueIch habe niemandem1 nie2 kein3 Leid getan. (Luther, cf. Mair 1992: 274)‹Jamais2 je n’ai fait aucun3 mal à personne1.›

(14) Portugais brésilienNão encontramos nunca1 nenhuma2 caça que ninguém3 quisesse matar. (Thomas 1969:288)‹Nous n’avons jamais1 trouvé aucun2 gibier que personne3 aurait voulu tuer.›

(b) Dans la double négation par reprise, un mot-phrase négatif est placé comme moyen derenforcement au début ou à la fin de la phrase matrice négative (Jespersen 1966 [1917]: 72-73;Schwegler 1990: 169; Mair 1992: 275-276):

(15a) Je ne veux pas1 manger de ce gâteau, non2!(15b) Non2, je ne veux pas1 manger de ce gâteau!

Bien que les procédés de négation des exemples (12)-(14) et (15a,b) se composent d’élémentsexclusivement grammaticaux – d’une part de la construction de négation habituelle, d’autrepart d’un pronom, d’un adverbe ou d’un mot-phrase négatif –, la combinaison de ces élémentsn’est pas une unité grammaticale de la langue respective. Il s’agit, au contraire, de procédés

4 Ce type de changement se trouve discuté chez Mair (1992: 273) sous le nom d’ « amplification ».

Tandis que Mair traite les processus d’amplification comme réalisations du principe de l’expressivité,selon notre point de vue, le changement de « construction & conventionalisation » s’opposediamétralement au changement expressif, voir ci-dessous, 3.2.3. et 3.2.4.

5 Dans les variétés linguistiques normalisées, par contre, les constructions de double négation libres ontnormalement une valeur positive renforcée (litote), ce qui correspond plus ou moins à leurinterprétation selon des critères logiques (cf. Mair 1992: 274; Jespersen 1966 [1917]: 63–64).

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libres et ad hoc qui font partie des traits universaux du langage parlé (voir Mair 1992: 275-276;Koch / Oesterreicher 1990: 50-51). Pour qu’il en résulte des unités grammaticales, il faut que leprocédé en question soit employé dans une communauté linguistique donnée de façonsuffisamment fréquente afin qu’il puisse donner lieu à une structure conventionnelle. Dans lecas de la double négation par reprise, ce processus entraîne une intégration progressive du mot-phrase postposé dans la phrase matrice, intégration qui se traduit à différents niveauxstructuraux: sur le plan phonologique, elle aboutit à la disparition de la pause intonative entre laphrase matrice et le mot-phrase négatif (voir Schwegler 1990: 169), au niveau syntaxique elle semanifeste dans la possibilité d’employer la nouvelle unité dans des phrases subordonnées,position dont sont exclues les constructions libres du type (15a,b) (Mair 1992: 276). La doublenégation par reprise en tant que procédé conventionnel est très répandue dans les langues dumonde (voir Schwegler 1990: 169-73). L’exemple suivant est pris d’un parler local ladin:

(16) Va, va, cal cian brun l no1 te fes nia no2 (Plangg 1980: 608)Va, va, ce chien brun il ne1 te fait rien non2‹Va tranquillement, ce chien brun ne te fait absolument rien !›

3.2.3. La NEGATION TEMPORELLE COMPLETEet le principe d’ « expressivité & changement fonctionnel »

Un grand nombre de langues permettent de marquer la négation emphatique à l’aided’expressions telles que fr. jamais (de la vie), esp. nunca (jamás), al. nie im Leben, nie und nimmer, lat.numquam (hercle hodie), numquam (ecastor hodie) ‹jamais, (par Hercule !, par Castor!)› (Hofmann1936: 81). De tels emplois sont attestés aussi dans le cas d’afr. ne oncques et d’afr. ne ja (voirexemple (20)), deux expressions qui signifiaient ‹ne jamais›6. Dans (17), le contexte gestern ‹hier›montre clairement que la construction en question a perdu son ancien sens temporel.

(17) AllemandNie und nimmer hat Werner gestern sechsundzwanzig Stück Kuchen gegessen !‹Jamais de la vie Werner n’a mangé vingt-six morceaux de gâteau hier !›

(18) Français parléAlors, qu'il dit comme ça Gabriel, alors comme ça vous êtes flic?– Jamais de la vie, s'écria l'autre d'un ton cordial, je ne suis qu'un pauvre marchand forain.(Queneau, Zazie dans le métro)

(19) LatinNumquam hercle hodie exorabis. (Plaute, As 707)‹Jamais, par Hercule, tu ne vas [m’] attendrir.›

(20) Ancien françaisSin ai un filz, ja plus bels nen estoet. (ChRol. 313)‹Et j’ai un fils d’elle, et il n’est absolument pas besoin d’un [autre qui soit] plus beau!›

Comment expliquer cette relation apparente entre la négation emphatique et le concept de laNEGATION TEMPORELLE COMPLETE? Considérons le dialogue fictif suivant:

(21) (a) A: C’est toi qui as fauché le gâteau pour tonton Alfred !(b) B: Moi ? Mais jamais de ma vie je n’ai volé quoi que ce soit !

6 Normalement, oncques portait sur le passé, tandis que ne ja se référait aux faits présents et futurs.

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D’un fait qui ne s’est jamais produit, on peut dire avec certitude qu’il ne peut pas non pluss’être produit dans le cas particulier en cause. Notons que l’inverse n’est pas vrai: un fait qui nes’est pas produit dans un cas donné, peut très bien s’être produit dans un autre. Ce rapportlogique est basé sur le fait que, sémantiquement parlant, la NEGATION TEMPORELLECOMPLETE du type ne jamais est plus « forte » que la NEGATION COMPLETE du type ne pas dutout, de laquelle elle se distingue justement par sa validité temporelle illimitée. En énonçant(21b), B se rend donc plus vulnérable aux yeux de A, parce qu’il invoque un critère de sacrédibilité qui est beaucoup plus fort qu’il n’a été requis par A (qui, lui, n’a accusé B que dansun cas particulier). Théoriquement, il suffirait que A se souvienne d’un seul cas dans lequel Bait été convaincu de vol pour que la crédibilité de celui-ci soit ébranlée dans le cas (21a,b). Enénonçant (21b), B assume donc un degré élevé de responsabilité communicative de ce que son assertionnégative correspond à la vérité. Sur le plan pragmatique, l’énoncé (21b) représente un procédérhétorique destiné à renforcer la crédibilité de B dans un cas précis en invoquant tous les autrescas possibles.

Dans chaque opération rhétorique, il y a deux niveaux qu’il faut soigneusement distinguer, àsavoir: (a) le plan de ce qui est dit de façon explicite (c’est-à-dire le « moyen rhétorique »), et (b) leplan de ce que le locuteur veut dire en réalité (c’est-à-dire le « fait suggéré » par le locuteur). Dans(21b) B dit explicitement jamais de ma vie je n’ai volé, mais il veut suggérer de façon efficace quedans ce cas précis, il n’a pas volé le gâteau particulier en question. Un changement sémantique seproduit si le signifié conventionnel du « moyen rhétorique » ‹ne jamais› est remplacé par unereprésentation sémantique du « fait suggéré », c’est-à-dire de la NEGATION COMPLETE (sansvaleur temporelle). Ce changement s’opère dans la mesure où la technique rhétoriquementionnée est considérée comme efficace par d’autres locuteurs, et où, grâce à son applicationfréquente, elle devient une routine linguistique destinée à véhiculer le type de « fait suggéré ».Paradoxalement, la conventionnalisation du « moyen rhétorique » comme façon habituelle defaire référence au « fait suggéré » entraîne une perte de l’effet rhétorique originaire.

Si un changement de sens se produit, les expressions de la NEGATION TEMPORELLECOMPLETE perdent le trait sémantique [+ temporel] et se transforment en leur propreshypéronymes. Sur le plan sémantique, il s’agit d’un changement de nature taxinomique. Cechangement est déclenché par des locuteurs qui veulent produire un effet rhétorique et qui, àcette fin, sont plus informateurs qu’il n’est requis par la situation. En conformité avec d’autres(cf. Koch / Oesterreicher 1996; Israel 1998: 109-110) nous appellerons expressivité ce type demotivation.

A la différence des cas examinés dans les sections 3.2.1. et 3.2.2., les exemples discutés dansle présent paragraphe impliquent un changement de sens, déclenché par une techniquerhétorique expressive. Dans ce qui suit, nous ferons référence à ce type de recrutementd’éléments grammaticaux sous la dénomination d’ « expressivité & changement fonctionnel ». Ilrésulte du raisonnement exposé au cours de la présente section, que ce genre de changementobéit à des principes qui sont différents de ceux des processus de « construction &conventionnalisation ».

3.2.4. Les expressions de QUANTITE MINIMALE et leur grammaticalisationpar des processus du type « expressivité & changement fonctionnel »

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Beaucoup de langues romanes connaissent un type de particules de négation qui – comme fr.pas – tire ses origines des expressions de QUANTITE MINIMALE produites par la règle (7) (voirsection 3.1.). La liste suivante contient des exemples de négateurs emphatiques (afr. pas, mie,gote, catalan cap, gens) aussi bien que de négateurs simples qui dans un stade historique précédentavaient une valeur emphatique (fr. pas, rhéto-roman betg(a), buc(a)); pour les détails voir Krefeld1997; Schwegler 1990: 168).

(22) Particules de négation issues d‘expressions de la MOINDRE QUANTITE

fr., afr. pas < lat. passu(m) ‹pas› cat. cap < lat. capu(t) ‹piece de bétail›afr. mie < lat. mica(m) ‹miette› cat. gens < lat. genus ‹genre›, ‹sorte de›afr. gote < lat. gutta(m) ‹goutte› rhéto-roman betg(a) < lat. bacca(m) ‹baie›

rhéto-roman buc(a) < lat. bucca(m) ‹bouchée›

Comme nous l’avons vu, la règle (7) joue un rôle fondamental dans la formation desexpressions libres de LA MOINDRE QUANTITE. Comment ce fait s’explique-t-il ? Considérons ledialogue fictif suivant:

(23) (a) A: C’est toi qui as mangé le gâteau !(b) B: Moi ? Mais je n’en ai pas mangé une seule miette !

En énonçant (23b), l’intention de B n’est pas de donner des informations sur la quantité ou laconsistance de quelque chose qu’il n’a pas mangé. Le sens de son énoncé est simplementd’exprimer qu’il n’a PAS mangé LA MOINDRE QUANTITE du gâteau, c’est-à-dire qu’il n’en a pasmangé du tout. Comme dans le cas examiné dans la section 3.2.3., B fait comme s’il étaitcapable de prouver sa véracité en formulant un critère très fort qui, du moins en principe, estvérifiable. Tout comme dans le cas déjà traité, il assume une garantie explicite de la vérité deson assertion négative. Encore une fois, nous avons affaire à un procédé rhétorique, dontl’utilité communicative consiste à fournir le schéma simple d’une argumentation « en abrégé ».

Ce qui est différent ici par rapport au cas précédent, c’est la relation sémantique entre lesens du « moyen rhétorique » PAS UNE MIETTE et le « fait suggéré » PAS LA MOINDREQUANTITE. Tandis qu’une NEGATION TEMPORELLE COMPLETE est toujours aussi uneNEGATION COMPLETE (puisqu’elle n’est qu’un cas spécial de NEGATION COMPLETE), ceci n’estpas le cas quant à la relation entre PAS UNE MIETTE et PAS LA MOINDRE QUANTITE, carnormalement le concept de MIETTE n’est associé au concept de la MOINDRE QUANTITE quedans des scénarios du genre MANGER DU PAIN ou MANGER DU GATEAU. L’effet expressif de latournure NE PAS MANGER UNE MIETTE se base donc sur une double relation de contigüité, àsavoir sur la proximité associative entre le concept de MIETTE et le scénario MANGER d’unepart, et d’autre part sur la contigüité entre le concept de MIETTE et sa propriété de représenterla MOINDRE QUANTITE concevable de ce scénario. Sur le plan sémasiologique, cette doublecontigüité se traduit par le fait qu’en général, pas une miette ne peut s’employer commeexpression rhétorique de la négation emphatique qu’en combinaison avec des verbes du typemanger, bouffer, goûter etc. Si par contre l’expression pas une miette s’employait avec une fréquencesuffisante, il serait probable que le sens du « moyen rhétorique » PAS UNE MIETTE se verraitremplacé par le type de « fait suggéré » PAS LA MOINDRE QUANTITE. En d’autres termes, uneconstruction libre de la négation emphatique du type discuté en 3.1., basée sur le sens du lexème

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miette serait réanalysée comme expression grammaticale de la négation emphatique. Une telleréanalyse se manifesterait dans le fait que miette commencerait à s’employer dans des contextesautres que le domaine conceptuel MANGER. Or, dans le cas de pas une miette, c’est exactement cequi s’est passé à une très petite échelle, de sorte qu’on le trouve dans quelques locutions isoléestelles que il n’a pas perdu une miette de ce spectacle (voir Robert, Miette). Ce changement de sens,basé sur un double rapport de contigüité, est un cas de métonymie (voir Winters 1987: 34; Koch1999), et la grammaticalisation de la construction tout entière représente un changement d’« ex-pressivité & changement fonctionnel ».

3.2.5. Les expressions de QUANTITE MINIMALE et leur grammaticalisationpar des processus du type « construction & grammaticalisation »

Un autre groupe de constructions facile à confondre avec le cas traité dans la sectionprécédente est représenté par fr. pas le moins du monde, pas le / la moindre N et par al. nicht imgeringsten, nicht der / die / das geringste (N). Tandis que la grammaticalisation d’une constructionlibre du genre PAS UNE SEULE MIETTE implique, comme on l’a vu, un changement sémantique,le moins (du monde) ou im geringsten ont déjà le sens de MOINDRE QUANTITE indépendamment deleur emploi dans des contextes de polarité négative. Leur emploi conventionnel dans lesconstructions de négation emphatique est un cas de ce que j’appellerai « construction &grammaticalisation ».

Deux cas un peu plus compliqués sont al. kein bisschen ‹pas le moins du monde› et afr. nepoint. Considérons d’abord al. bisschen qui est le résultat d’un passage métonymique de PETITEBOUCHEE à QUANTITE INSIGNIFIANTE. Il est à supposer que ce changement a eu lieu dans descontextes comme (24):

(24) Ach schenkte mir mein lieber Gott Nur einst mein liebes biszchen Brot (Lessing 1, 83, cit.Grimm, Deutsches Wörterbuch, Biszchen).‹Oh, si le bon Dieu daignait m’accorder un jour ma petite bouchée de pain.›

A première vue, ce changement semble présenter certaines ressemblances avec celui de PASUNE MIETTE vers PAS LA MOINDRE QUANTITE. A la différence de ce dernier cependant, lechangement du nom ein Bisschen ‹une petite bouchée› à l’adverbe ein bisschen, ‹un peu› n’a rien àvoir avec la négation en tant que telle parce que les contextes dans lesquels s’est opéré cechangement étaient autres que ceux prévus par la règle (7). Ein bisschen qui, en allemands’emploie couramment dans des contextes affirmatifs (voir (25a)), exprimait donc déjà leconcept de QUANTITE INSIGNIFIANTE avant même d’être recruté comme élément de polariténégative. Cette particularité se manifeste dans le fait que kein bisschen ‹pas le moins› a conservétoutes les propriétés distributionnelles de ein bisschen ‹un peu›, notamment la capacité d’admettredes articles et des adjectifs de moindre quantité (voir (25a,b)). Cette capacité indique quebisschen, dans les constructions de négation emphatique, n’a subi aucun changement de sens parrapport à son emploi dans des contextes affirmatifs.

(25a) emploi affirmatif Er ist ein ganz kleines bisschen faul.‹Il est un tout petit peu paresseux.›

(25b) emploi négatif Er ist hat nicht das kleinste bisschen Verstand.‹Il n’a pas le moindre petit peu d’intelligence.›

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En ancien français, ne ... point représentait le même type de construction que kein bisschen. Uneparticularité de ne ... point par rapport à ne ... pas ou ne ... mie était sa capacité de prendre desattributs: sans (un) seul point de, sans nul point de, ne ... (un) seul point de, ne ... nul point de (voirexemple (26)). Ce fait – qui parfois a été interprété comme indice de la « nominalité » de point(voir Price 1971: 253; Winters 1987: 36; Mair 1992: 281, note 41) – n’est en réalité qu’uneconséquence immédiate de son autonomie sémantique: tout comme al. bisschen, point avait danscette construction le sens de ‹quantité insignifiante de›.

(26) Nul point a vos ne m’en acort. (Humbaut 1188, cit. Tobler-Lommatzsch, s.v. point)‹Je ne suis pas du tout d’accord avec vous en cela.›

4. Qu’est-ce que la grammaticalisation ?

Après avoir examiné un certain nombre de procédés entraînant l’émergence de structuresgrammaticales, nous pouvons nous demander quel est le genre de problème onomasiologiquecommun auquel ces procédés si différents apportent une solution. La problématique de lanégation emphatique devient manifeste si l’on examine de plus près les conditionspragmatiques qui la déterminent. Ces conditions se trouvent caractérisées chez Givón (1979:107):

Negative assertions are used in language in contexts where the corresponding affirmative has beenmentioned, deemed likely, or where the speaker assumes that the hearer – erroneously – holds to a be-lief in the truth of that affirmative.

Cette interprétation est partagée, entre autres, par Ducrot (1980: 49-56) qui, dans le cadre d’unethéorie de la « polyphonie » linguistique, interprète la négation comme une « mise en scène »polémique (Ducrot / Schaeffer 1995: 580-583) destinée à rejeter le point de vue opposé qui,lui, peut avoir été explicitement énoncé dans le contexte ou simplement construit par lelocuteur lui-même (voir aussi Horn 1989: 203). Une telle analyse est particulièrement valablepour la négation emphatique qui s’emploie typiquement dans les contextes où le locuteur doitse défendre contre une critique de la part d’un interlocuteur (voir (27)):

(27) [M. Irnois] les accusa d'avoir reçu Cabarot en son absence [...]. Elles se défendirent autant qu'ellespurent. [...] jamais de leur vie elles n'avaient aperçu l'ombre d'un homme qui s'appelât Cabarot[...].(Gobineau, Irnois, Ch. IV, 1847, c’est nous qui soulignons)

Un locuteur qui formule une assertion négative se voit fréquemment confronté au problèmecrucial d’attester la véracité de sa propre croyance, surtout quand celle-ci se trouve mise endoute comme dans (27). De tels contextes mettent en cause une règle de communicationfondamentale, connue sous le nom de maxime de qualité (Grice 1975: 46). Il existe deux versionsde ce principe, à savoir

(28a) Ne dis rien que tu crois être faux.(28b) Ne dis rien dont tu ne peux pas prouver la vérité si besoin en est.

Tous les procédés décrits dans les paragraphes 3.2.1.-3.2.5. ont un trait commun: ils visent àmarquer, de façon explicite et emphatique, que le locuteur assume la responsabilité communicativequant à la vérité de son assertion négative. Ils indiquent donc tous explicitement que les

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stipulations de la version moins stricte de la maxime de qualité (28a) sont satisfaites. Lestechniques rhétoriques expressives (c’est-à-dire celles qui aboutissent aux changements du type« expressivité & changement fonctionnel ») expriment, de plus, que la vérité de l’assertionnégative peut être prouvée si besoin en est, comme le spécifie la version stricte de la maxime dequalité (28b).

Pour remédier à un problème communicatif aussi fondamental et fréquent que celuid’assumer la responsabilité communicative dans des contextes hautement problématiques, leslocuteurs développent des procédures routinières. De telles routines rabaissent l’effort de codagenécessaire à chaque fois que le problème communicatif en question se pose à nouveau,déchargeant ainsi le flux de la communication (cf. Hopper / Traugott 1993: 64-65). Lesroutines présentent une dimension quantitative: en tant que procédés préfabriqués, destinés àremédier aux problèmes fréquents, elles sont fréquentes elles-mêmes. Suivant le principegénéral qui veut que chaque expérience répétée perde en pertinence perceptuelle (Givón 1979:346), les locuteurs ne prêtent guère attention aux routines linguistiques qui passent alors àl’arrière-plan de l’énoncé (voir Haiman 1994: 9). Les processus de grammaticalisationcommencent dès le moment où de telles routines linguistiques produisent des unités du discoursrépété (Coseriu 1966: 195), c’est-à-dire des expressions phraséologiques qui sontconventionnellement (re)produites en bloc. Tout au long du présent travail, nous en avonsrencontré: jamais de la vie, pas le moins du monde, nie und nimmer, ganz und gar nicht etc. et lesexemples listés sous (6). Inversement, d’un point de vue onomasiologique, la grammaire d’unelangue donnée n’est rien d’autre que l’ensemble de telles routines linguistiquementconventionnalisées, destinées à résoudre les problèmes fondamentaux et fréquents de lacommunication (Givón 1979: 207-33). Sur le plan diachronique, les paramètres degrammaticalisation de Lehmann (voir plus haut, paragraphe 1) décrivent les effets structurauxd’une routinisation linguistique progressive (voir Haspelmath 1999: 1058; Lehmann 1993: 326-328; Meillet 1948 [1912]: 135-139). On comprend aussi pourquoi, sur le plan structural, lesprocessus de grammaticalisation sont de nature graduelle: la fréquence d’emploi, qui est à labase de la routinisation linguistique, est un phénomène qui est graduel par définition.7

5. Grammaticalisation et changement intragrammatical nondirectionnel

La grammaticalisation se définit ou bien (a) comme processus au cours duquel un élémentlexical acquiert un statut grammatical (définition « stricte »), ou bien (b) comme processuspendant lequel un élément grammatical devient encore plus grammatical (« grammaticalisationsecondaire »). Ces deux définitions s’appliquent sans problème dans le cas de l’évolution de nonpassum discedere à ne ... pas (voir plus haut, 1.). Par contre, quelques-uns des autres cas évoquésplus haut soulèvent de sérieux problèmes.

Le procédé de la double négation par reprise, par exemple (voir plus haut, 3.2.2.), prévoit lacombinaison d’un mot-phrase (correspondant à fr. non) avec la négation simple (l’équivalent defr. (ne) ... pas) pour marquer un effet d’emphase. Or, on voit facilement que les deux élémentsdont est composée la nouvelle construction, sont beaucoup plus fréquents et donc plus 7 Martin Haspelmath, communication personnelle.

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grammaticaux que ne l’est la construction qui résulte de leur combinaison.8 La nouvelleconstruction elle-même est le seul élément qui, à la fin du processus, soit plus fréquent et doncplus grammatical qu’à son début. Dans ce cas, il y a donc émergence d’un nouvel élémentgrammatical sans qu’il y ait grammaticalisation dans le sens « strict » du terme ni« grammaticalisation secondaire ». D’un point de vue onomasiologique, il s’agit d’un simplechangement intragrammatical nondirectionnel.

Dans d’autres cas, l’application rigoureuse des deux définitions de la grammaticalisationentraîne des conséquences évidemment absurdes. Prenons l’exemple de ne ... jamais et (ne) ...jamais de la vie. Il est difficile de décider s’il s’agit de deux constructions distinctes ousimplement de deux variantes d’une même construction: d’un point de vue onomasiologiqueelles représentent le même type de changement qui part (a) d’un concept de source identique(NEGATION TEMPORELLE COMPLETE) et qui aboutit à (b) un concept de cible identique(NEGATION COMPLETE) en passant par (c) un mécanisme de changement identique(« expressivité & changement fonctionnel », voir plus haut, 3.2.3.). La seule différence qu’il y aentre elles est la présence de de la vie, dont la fonction est de renforcer davantage le procédérhétorique décrit dans 3.2.3. Or, si l’on prend au sérieux les définitions de grammaticalisationmentionnées, seul jamais de la vie représente un cas de grammaticalisation, étant donné queseulement dans ce cas, il y a un lexème (vie) qui entre dans une fonction grammaticale. Le statutde la construction ne ... jamais, par contre, n’est pas plus grammatical que celui qu’elle avait dansson ancienne fonction de NEGATION TEMPORELLE COMPLETE, fonction dans laquelle elleapparaît de façon beaucoup plus fréquente qu’en fonction de négateur emphatique. Dans cecas, il ne s’agirait donc que d’un simple changement intragrammatical. Le même problème sepose quand on compare al. keinesfalls ‹ne ... aucunement› (< keines Falls ‹dans aucun cas›) avec fr.ne ... nullement ou ne ... aucunement. Dans une perspective onomasiologique, il s’agit du même typede changement fonctionnel (« construction & conventionnalisation » d’ expressions deVIRTUALITE EXCLUE), mais seul keinesfalls représente un véritable cas de grammaticalisation,tandis que ne aucunement et ne nullement sont le produit d’un simple changement intragrammatical,étant donné qu’ils possèdent déjà à eux seuls un statut grammatical.

L’absurde de cette argumentation résulte du fait que nous nous sommes basés sur un critèreexclusivement formel, à savoir celui du statut lexical ou grammatical des éléments concernés. Or,ce critère est un critère essentiellement sémasiologique, et ce sont les définitions courantes de lanotion de grammaticalisation qui l’ont introduit dans la discussion. Par contre, nos propresréflexions dans les chapitres 3 et 4 ont démontré que la direction des processus degrammaticalisation s’explique uniquement par des considérations d’ordre fonctionnel fondées surdes critères pragmatiques et sémantiques. D’un point de vue onomasiologique, l’émergence denouveaux éléments grammaticaux est due à la routinisation de certaines constructions libres etde certaines techniques expressives destinées à résoudre certains problèmes communicatifsfondamentaux et fréquents. L’aptitude d’un élément linguistique donné à entrer dans un telprocessus dépend exclusivement de sa signification (ou fonction) originaire, puisque c’est grâce à

8 Il est vrai que, suite à la conventionalisation d’une construction de double négation par reprise, le

nombre total des occurrences du signe non augmenterait. Toutefois, la même chose se produit régu-lièrement lors du changement lexical, étant donné qu’aux cas d’emploi du lexème dans sa vieille signi-fication viennent s’ajouter les cas d’emploi dans son nouveau sens. Or, dans le cas du changementlexical il est évident que ce fait est causé par l’accroissement de la structure polysémique du signe enquestion et n’a donc rien à voir avec les problèmes de grammaticalisation. Pour qu’un élémentlinguistique devienne « plus grammatical », il faut donc qu’il développe une fonction dans laquelle ilapparaisse de façon plus fréquente que dans chacune de ses vielles fonctions, prises isolément.

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elle qu’il se prête à une des techniques rhétoriques (ou à une des constructions) mentionnées.En d’autres termes: la question de l’éligibilité d’un élément donné à un processus qui letransforme en élément grammatical est complètement indépendante de son statut formel. C’estpourquoi l’émergence de nouveaux éléments grammaticaux n’entraîne pas forcément latransformation de lexèmes en éléments grammaticaux ni celle d’éléments grammaticaux enéléments encore plus grammaticaux. D’un point de vue onomasiologique, le sens du termegrammaticalisation, entendu comme routinisation progressive d’un nouvel élémentgrammatical, ne correspond donc plus à sa définition généralement acceptée, basée sur descritères sémasiologiques.

6. Grammaticalisation et grammaticalisation secondaire

Dans le paragraphe précédent, nous avons mentionné la possibilité d’une grammaticalisationsecondaire, c’est-à-dire l’éventualité qu’un élément déjà grammatical devienne encore plusgrammatical. Or, ce type de processus s’est produit dans le cas de ne ... pas qui, en ancienfrançais, était une construction de négation emphatique.

Comme on l’a vu dans 4, les constructions de la négation emphatique s’emploient dans lecas où le locuteur s’attend, de la part de l’auditeur, à des doutes sérieux quant à la vérité d’uneassertion négative. Ceci implique que, normalement, les assertions qui comportent unenégation emphatique transportent des informations inattendues et, par conséquent,surprenantes pour l’auditeur. Quelqu’un qui rentre de chez le dentiste et dit ça n’a pas fait mal dutout ! exprime que le cas contraire aurait été plus probable. La présupposition d’une fortecontre-attente est particulièrement pertinente dans le cas des constructions de négationemphatique de l’ancien français. Comme l’a démontré Offord (1976: 333) dans une recherchequantitative, ne ... mie, ne ... pas, ne ... point figuraient avec une fréquence significative dans lecontexte des conjonctions de contre-attente, notamment de mais et de ainz ou ainçois, ‹plutôt›,‹au contraire›:

(29) N'estoit mie de veir pelé / La forreüre, ainz ert de sables. (ChevCharr 512-513)‹La doublure (de la couverture, U.D.) n'était pas du tout faite de petit-gris pelé [inférence: commeon aurait dû s’y attendre] plutôt, elle était faite de zibeline [inférence: et voilà un fait qui estsurprenant].›

Ce passage – il s’agit de la description d’un lit ensorcelé – montre un effet secondaire de la né-gation emphatique: plus un fait est inattendu et surprenant, plus il vaut la peine d’être men-tionné et plus il est, par conséquent, susceptible de capter l’attention de l’auditeur (ou, dans(29), celle du lecteur). De tels énoncés, qui présentent un degré élevé d’informativité, sonthautement en accord avec la maxime de relation de Grice (1975: 46): « fais de sorte que tacontribution soit pertinente. »

Un locuteur qui énonce des informations particulièrement pertinentes réussira mieux àattirer l’attention de ses interlocuteurs et, par conséquent, valorisera son propre rôle dans laconversation. Il y a là un stimulus important pour employer les constructions de négationemphatique beaucoup plus souvent que nécessaire, y compris dans les situations où cet emploin’est pas tout à fait justifié par l’intérêt de l’information énoncée. Evidemment, un tel emploi

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« abusif » d’un effet conventionnellement attaché à une construction entraîne de gravesconséquences pour celle-ci. D’abord, la fréquence de la construction en question croît. Or, plusil y a d’énoncés marqués comme particulièrement importants, moins les locuteurs attribuerontde l’importance à chacun de ces énoncés individuels. A la longue, la significationconventionnelle du « moyen rhétorique » (c’est-à-dire la négation emphatique) risque de se voirremplacée par le type de fait auquel la construction se réfère en réalité (à savoir la négationsimple). De cette façon, l’emploi « abusif » de la négation emphatique entraîne une perte de soneffet emphatique, à la condition que cet emploi se conventionalise. Ce mécanisme est un« processus de main invisible » typique (Keller 1994), produit par un comportement collectif etordonné de la part des locuteurs, dont les résultats sont complètement indépendants desmotivations individuelles de ceux-ci.

Si une construction de négation emphatique se transforme en négation simple, elle devientson propre hypéronyme. Sur le plan sémantique, il s’agit donc d’un changement taxinomique.La transformation d’une construction de négation emphatique en négation simple est un cas d’« expressivité & changement fonctionnel ».

Le processus que nous venons d’esquisser ressemble aux processus de grammaticalisationdécrits au chapitre 3 en ce que l’émergence d’un élément grammatical donné est le résultat de laroutinisation d’une technique expressive qui, elle, est destinée à résoudre un problèmecommunicatif fondamental et fréquent (à savoir celui d’indiquer que l’information véhiculée estpertinente). En même temps, ce processus présente des traits assez particuliers: au départ, ne ...pas est une construction grammaticale parmi beaucoup d’autres qui servent à marquer un effetparticulier, à savoir l’emphase de la négation. Le changement décrit a pour conséquence que ne ...pas devient, dans le système linguistique du français, la seule construction qui remplisse lafonction de la négation en tant que telle. D’un point de vue onomasiologique, la« grammaticalisation secondaire » est un changement fonctionnel au cours duquel une desconstructions marquées d’un système linguistique donné se transforme en l’uniqueconstruction fonctionnellement non marquée. Le même type de changement se produit dansdes domaines grammaticaux autres que la négation, et il semble qu’il y soit déclenché par desstratégies expressives similaires à celle que nous venons de décrire: il est à l’oeuvre par exemplequand un démonstratif se transforme en article (Laury 1997), quand une construction detopicalisation se transforme en structure canonique de la phrase (Givón 1976) ou quand uneconstruction du passé dotée de pertinence actuelle (comme le present perfect anglais ou le perfectocompuesto espagnol) acquiert une valeur de passé non marqué comme le passé composé en français(voir Schwenter 1994).

Pour expliquer la perte d’emphase de ne ... pas, Vennemann (1974: 368) utilise l’étiquette de« pragmatic unmarking », en précisant: « the pragmatic component is lost through frequentuse » (voir dans le même sens Schwegler 1990: 158; 1988: 47-49 et Haspelmath 1999: 1062).Notons que, dans cette explication, cause et effet se trouvent inversés par rapport à notremodèle. Selon nous, ce n’est pas la fréquence elle-même qui est à l’origine de la perte de l’effetemphatique. Mais la montée en fréquence et la perte d’emphase sont plutôt des effets involontairesde l’emploi « abusif » de la négation emphatique. Celui-ci se base sur la différence conceptuelleentre ce qui est dit (le « moyen rhétorique ») et ce à quoi le locuteur se réfère en réalité,différence qui est construite et mise à profit, de façon délibérée, par des locuteurs qui veulents’exprimer de façon efficace. Si cette vue est exacte, le passage de la négation emphatique à lanégation simple n’est pas un processus automatique, comme le suggère l’hypothèse de Venne-mann. Pour qu’il se produise un changement de ce type, il faut des locuteurs qui inventent et

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conventionalisent une technique rhétorique du type décrit plus haut. Si ces conditions ne sontpas remplies, aucun changement ne se produira. Dans l’hypothèse du « pragmatic unmarking »,le processus qui transforme ne pas en négateur simple n’est qu’une continuation naturelle duprocessus qui a transformé non discedere passum en ne pas (voir, par exemple, Schwegler 1988: 47-49). Dans le modèle présenté ici par contre, il s’agit de deux changements discrets et indépendantsl’un de l’autre. Cette hypothèse peut être vérifiée: si elle est juste, on devrait s’attendre à ce queseule une minorité infime des constructions de négation emphatique d’une langue donnéesubisse un changement fonctionnel qui les transforme en négateurs simples. Si, par contrel’explication de Vennemann est pertinente, toutes les constructions de négation emphatique, outout au moins la grande majorité d’entre elles, devraient suivre la piste de ne ... pas. Rappelonsque ce dernier scénario correspond exactement à ce que prédit la théorie de la grammaticalisa-tion dans la version « forte » (voir paragraphe 1). Or, comme on verra dans le paragraphe sui-vant, cette conception des processus de grammaticalisation est l’effet d’une « illusiond’optique ».

7. La grammaticalisation continue – une « illusion d’optique »

Les processus que nous venons de décrire présentent une directionalité inhérente: lesconstructions emphatiques libres se transforment en constructions conventionnelles, lesconstructions emphatiques conventionnelles deviennent des négateurs simples. Vu le caractèrefondamental des motivations pragmatiques qui déclenchent ces processus, on comprendpourquoi leur direction est la même dans beaucoup de langues et dans de nombreux stadeshistoriques d’une même langue.

Les changements discutés dans le présent travail se trouvent résumés dans le schémaonomasiologique (30) qui est centré sur les fonctions de la négation emphatique et de lanégation simple. Ces deux zones onomasiologiques sont divisées selon les types deconstructions qui les représentent (pour simplifier les choses, nous n’avons répertorié dans lesecteur 1 que les seules constructions de la MOINDRE QUANTITE – bien sûr, il devrait y figureraussi les autres constructions libres mentionnées en 3). Les colonnes du schéma sontprésentées de manière à symboliser les étapes successives du changement diachronique. Leslignes représentent une succession d’états synchroniques. En les comparant, on constate que,effectivement, il y a un « courant » diachronique de gauche à droite. Ce courant, cependant,n’affecte que quelques rares constructions. Seuls ne ... pas et ne ... point, qui sont entrés dans lesecteur 2 par des voies différentes, ont parcouru tout l’espace onomasiologique.9 Par contre, 9 Le fait que dans les cas de ne ... pas et de ne ... point, le passage de 2 à 3 se soit opéré en parallèle

s’explique sans problème dans le cadre théorique proposé ici. A la différence des autres forclusifs del’ancien français, pas ne s’employait jamais pour effectuer une négation d’actant (*ne ... pas de fem(m)e ou*ne ... pas de vin). Cette restriction est sans doute un héritage des constructions libres du type nondiscedere passum, étant donné qu’ici aussi, passum avait pour seule fonction de renforcer la négation dufait MARCHER en tant que tel, sans porter sur un actant éventuel. Dans la construction ne ... point parcontre, le forclusif point avait gardé sa signification ‹petite quantité› (voir ci-dessus, 3.2.5.) et pouvaitdonc régir des actants (p. ex. n’aura point de noirceur, Racan, Psaum. XXXVI, cit. Godefroy, s.v. point). Or,il est concevable que c’est justement à cause de cette complémentarité fonctionnelle que tant ne ... pasque ne ... point étaient choisis comme constructions préférées pour la réalisation de la techniquerhétorique décrite en 6: ne ... pas s’utilisait dans le cas le plus fréquent d’une négation absolue, tandis

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considérons ne ... aucunement. Cette construction, fréquemment utilisée depuis l’ancien français,ne s’emploie plus aujourd’hui que dans les registres formels du français, mais elle n’a rien perdude sa valeur emphatique. Cette constatation vaut également pour (ne) pas du tout. Bien que cetteconstruction représente depuis longtemps le négateur emphatique le plus fréquent du français,elle ne montre aucun signe d’affaiblissement. Le modèle présenté dans ce travail fournit uneexplication de ce fait. Pour qu’une construction avance dans le schéma (30) vers le secteurvoisin à sa droite, il faut qu’il se passe quelque chose d’extraordinaire: il faut qu’il y ait deslocuteurs qui découvrent son utilité rhétorique, et il faut que d’autres locuteurs imitent cettetechnique et répandent son emploi jusqu’au point de la conventionaliser. De tels processussont relativement rares; il est plus probable qu’une construction donnée disparaisse de l’usageplutôt qu’elle ne subisse un processus de grammaticalisation ou de grammaticalisationsecondaire. En même temps, les exigences des maximes de qualité et de relation expliquentpourquoi, parmi tous les changements fonctionnels possibles qui peuvent affecter lesconstructions répertoriées dans (30), un passage à droite est le plus probable.

Si notre raisonnement est juste, la transformation cyclique de lt. non passum discedere en fr. (ne)... pas n’est pas le résultat d’un seul processus de changement (comme le suggère la descriptionsémasiologique donnée en paragraphe 1), mais de deux changements fonctionnels distincts. Lelien qui existe entre ces deux processus est un rapport d’ordre purement logique: les seulesconstructions susceptibles de subir un changement vers le secteur 3 sont celles qui se trouventdans le domaine 2. Or, les constructions qui se trouvent en 2 y sont passées, à un momentdonné, à partir du secteur 1. De cette façon, la voie diachronique par laquelle, dans une languequelconque, le marqueur unique de la négation simple est passé dans le secteur 3 se laisseforcément toujours retracer jusque dans le secteur 1, mais la perspective onomasiologique amontré que le passage de 1 à 3 ne correspond pas à un seul processus de changement continu.Ainsi, le rapport entre lt. non discedere passum et fr. (ne) pas est de nature purementsémasiologique, basé sur la continuité étymologique du signifiant passum > pas – il n’y a pas deprocessus diachronique qui mène directement de l’un à l’autre.

qu’il fallait employer ne ... point quand la négation du prédicat portait sur un actant. En moyen français,quand les deux constructions étaient en train de se transformer en négateurs simples, leur différencesdistributionnelles disparurent (voir Gamillscheg 1957: 753): d’une part, point n’admettait plus ni articlesni épithètes adjectivaux (étant donné que ces propriétés n’étaient pas requises pour la négation simple),tandis que, d’autre part, ne ... pas acquérait la capacité de figurer dans des constructions comme il ne boitpas de café.

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(30) La négation de phrase en latin et dans les époques du français

Négation emphatique Négation simple

!"construction libre

#construction grammaticale

[bipartite] [simple]

Latin guttam haud sanguinis habere,non micam panis habere,nonbuccam panis habere, nonpassum discedere, non pedemdiscedere etc.

haud(quaquam), nullo modo, nullaratione

numquam (hercle hodie)

(ne oenum) non

Ancienfrançais

n’aler un pas, ne mangier une miede pain, ne valoir un esperunroillé, ne valoir un fumier ennegié,ne valoir un viez lorain, etc.

ne nulement, ne alcunementne ja, ne oncques

ne pas, ne mie, ne gote etc.ne point .

ne(n),non

Moyenfrançais

ne (pas) valoir un boton, un festu,une chastaigne, une tostée, undenier etc.

ne nullement, ne aucunementne ja (mais), ne oncques

ne pas,ne point

ne,non

Françaismoderne

ne pas remuer le petit doigt, ne pasavoir l’ombre d’un soupçon, ne pasdire (un (seul)) mot, ne pas avoirle rond etc.

(ne) pas du tout, (ne) absolument pas.jamais (de la vie), pas le moins (dumonde)(arch.) ne nullement,ne aucunement

ne pas(arch. ne point)

pas(region. point)

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