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REVUE / D'EGYPTOLOGIE PUBLIÉE PAR LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D'ÉGYPTOLOGIE AVEC LE CONCOURS DU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE TOME 46 PARIS ÉDITIONS PEETERS 1995
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La grammaire au secours de la datation des textes

May 15, 2023

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Page 1: La grammaire au secours de la datation des textes

REVUE/

D'EGYPTOLOGIEPUBLIÉE PAR

LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE D'ÉGYPTOLOGIE

AVEC LE CONCOURS DU CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

TOME 46

PARIS

ÉDITIONS PEETERS

1995

Page 2: La grammaire au secours de la datation des textes

REVUE D'ÉGYPTOLOGIE

est publiée par la SOCIÉTÉ FRANÇAISE D'ÉGYPTOLOGIE

Siège: au Collège de France

11, place Marcelin-Berthelot, 75005 Paris

RÉDACTION

Tous les articles soumis à la Revue d'Égyptologie doivent être adressés au Directeur de la Revueou au Secrétaire. Ils seront alors soumis au Comité de lecture. Nous prions les auteurs de se confor­mer aux abréviations en usage - voir RdE, Index des tomes 1 à 20 (1972), p. 132-137, ou Lexikonder Agyptologie VII, 1992, p. XIV-XXXVIII - et aux règles d'édition de la Revue; rédigez ainsiles références pour les articles et les ouvrages:- lJ. Clère, RdE 8 (1951), p. 25-29.- G. Posener, Littérature et politique dans l'Égypte de la XIIe dynastie, 1969, p. 15-16.- l Vercoutter, L'Égypte et le monde égéen (BdE 22), 1956, p. 20-21.

Le manuscrit doit être édité sur le recto de feuilles de format A4, avec un double espacement etdes marges d'au moins trois centimètres. Les notes seront présentées sur des feuilles séparées. Unrésumé en français et en anglais devra être joint. Une disquette informatique du document est néces­saire; il conviendra de préciser le logiciel utilisé et de joindre, le cas échéant, une copie des policesde caractères utilisés si celles-ci ne sont pas courantes.Directeur de la Revue d'Égyptologie: Professeur Jean Vercoutter,

25, rue de Trévise, 75009 PARISSecrétaire: Didier Devauchelle, 31, rue du Chemin Vert, 75011 PARIS

ÉDITIONS PEETERS

Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven - C.C.P. 000-0425099-45

Prix des volumes disponibles: 3000 F.B. par tome.

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Les membres de la Société bénéficient de conditions spéciales.

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LA GRAMMAIRE AU SECOURS DE LADATATION DES TEXTES

PAR

JEANWINAND

chercheur qualifié FNRSUniversité de Liège - Service d'Égyptologie

32, pl. du XX Août - B-4000 LIÈGE

Qu'il s'agisse d'un texte littéraire ou d'un document de la vie quotidienne, arriver à unedatation la plus précise possible a toujours été un des soucis majeurs de la recherche égyp­tologique. L'intérêt d'une date assurée ne saurait en effet être surestimé. On ne dira jamaisassez tout ce qu'un document, même d'humble dimension, gagne en importance pourautant qu'un cadre chronologique suffisamment étroit puisse lui être assigné.

L'étude qui va suivre s'est attachée uniquement aux questions soulevées par la datationdes textes non littéraires rédigés en néo-égyptien. Les textes littéraires ont été provisoire­ment mis de côté en raison des problèmes spécifiques qu'ils soulèvent. Pour certainsd'entre eux, en effet, il importe au premier chef de distinguer entre date de copie et date decomposition. Dans le cas où seule une copie nous est parvenue, comment savoir si le scribea respecté fidèlement son modèle ou s'il a modernisé peu ou prou son original. Les ostracadu Nouvel Empire portant la copie d'œuvres classiques connues par ailleurs doivent inciterà la plus grande prudence. Même quand on estime être en présence du t~xte original (ousupposé tel), d'autres difficultés surgissent; et la moindre n'est certes pas de cerner avecprécision l'état de langue utilisé, en raison de l'interp.énétration des différents registresd'expression1, phénomène fréquent dans ce type de texte.

Face au délicat problème de la datation, l'égyptologue n'est pas totalement démuni.Il dispose d'un certain nombre de ressources. Toutes n'ont pas hélas la même valeur.Par ordre de sûreté décroissante, on est souvent tenté de les ranger de la manière suivante2 :

a) la mention d'une datation absolue, comprenant le nom du souverain, l'année de règne,avec éventuellement, le mois et le jour. Le cas est fréquent en démotique, plus rare auxépoques qui ont précédé3• Parmi la masse des documents formant la matière des RamessideInscriptions, seul un petit nombre possède une datation de ce type. En dehors des grandes

1 Sur les registres d'expression, voir J. Winand, Études de néo-égyptien. 1 La morphologie verbale, 1992, § 18-22 (citéÉtudes).

2 Cf. déjà S. Groll, St. Lichtheim (S. Groll, éd.), 1991, p. 371.3 Pour le N.E., cf. Chr. Eyre, c.r. de M. Gutgesell (cité n. 5), BiOr 44 (1987), p. 22.

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inscriptions royales ou de papyrus ayant bénéficié d'un soin tout spécial, la datation, quandd'aventure il s'en trouve une, se limite le plus souvent à la mention de l'année de règne,sans que soit précisé le nom du souverain. Indice généralement suffisant quand l'année derègne est particulièrement haute4, ce genre d'indication est sans utilité dans les autres cas;b) l'allusion à un événement précis, daté par ailleurs;c) la présence de personnages connus (considérations prosopographiques);d) l'étude paléographique;e) l'appréciation du fond;f) l'étude des moyens formels.

À cela, il faut encore ajouter les critères archéologiques. Des documents, parfois insigni­fiants, sont ainsi plus facilement datés que bien des textes renommés pour peu qu'ilsproviennent d'un contexte archéologique bien connus.

Quand un texte ne peut être daté par les moyens repris sous a) ou b), ce sont les moyensc) d) et e) qui ont jusqu'ici été le plus souvent mis en œuvre, avec des résultats divers:

Considérations prosopographiques

En ce qui concerne l'utilisation de la prosopographie, l'étude la plus marquante ces der­niers temps a été celle de M. Gutgesell, consacrée aux ostraca de Deir el-Médineh datés dela 20e dyn.6• Selon cet auteur, c'est essentiellement la prosopographie qù~ doit servir debase à la datation des textes7• Gutgesell établit une échelle de gradation croissante del'indice de sûreté suivant qu'un personnage est nommé seul, avec un titre ou avec une filia­tion. D'autres critères de datation comme la paléographie ou le contenu ne sont repris quecomme moyens d'appoints. Aucune mention n'est faite des possibilités offertes par l'étudede la langue. S'il est vrai que la présence d'un individu bien connu par ailleurs suffit à daterun document, il n'en reste pas moins vrai qu'il existe nombre de textes, et non desmoindres, où une telle chance ne nous a pas été donnée.

Étude paléographique

La datation d'un document par la paléographie est une des méthodes les plus anciennes9•

Les résultats qu'elle permet d'obtenir sont souvent fort lâches, de caractère très général.Ainsi, dans les grands recueils d'ostraca du Nouvel Empire, la datation est généralement

4 Ainsi la mention de l'an 54 sur un texte aussi banal que 1'0 DeM 351 suffit-elle amplement à éliminer toute autre pos­sibilité que le règne de Ramsès II.

5 Voir p. ex. les ostraca provenant de la tombe de Senenmout.6 Die Datierung der Ostraka und Papyri aus Deir el Medineh und ihre okonomische Interpretation, Hildesheim, 1983;

sur la méthode employée, voir les remarques de Chr. Eyre, BiOl' 44 (1987), p. 21-31.7 Profession de foi partagée par Chr. Eyre (o.c., p. 22: «Prosopography is (... ) the basic criterion for dating»).8 O.c., p. 5.9 Cf. les remarques de G. Posener, TLEP l (1972), p. 27.

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très vague: on trouve le plus souvent les appréciations suivantes: «époque ramesside», «2Üe

dyn.», «19-2üe dyn.», etc. Il est sans doute significatif de constater que les éditeurs desostraca non littéraires de Deir el-Médineh ont maintenant renoncé à proposer une date10.

Analyse du contenu

Une idée générale de la date d'un texte peut parfois être obtenue en considérant l'objet dutexte lui-même. Dans le cas des textes littéraires, on peut, s'il s'agit d'un enseignement, com­parer l'idéal moral qui y est exposé avec celui contenu dans des textes dont la date estmieux connue!!. Des traits de société, des allusions historiques peuvent également être utiles.Pour les textes non littéraires, des détails sur l'administration ou le droit peuvent être autantde secours. Néanmoins, employé seul, ce critère ne semble jamais devoir être déterminant.

Étude des moyens formels

La connaissance du formulaire peut parfois apporter une aide très appréciable dans la data­tion des documents. Dans le domaine plus précis du genre épistolaire, l'étude d'A. Bakir!2demeure un ouvrage utile. Toutefois, certains points demanderaient à être revus (cf. infra,p. 198), et le corpus devrait être étoffé, en y incorporant de nouveaux documents et en y faisantune place plus grande aux ostraca. Enfin, l'étude gagnerait à être fondée sur une grille chro­nologique plus serrée. Par ailleurs, quels que soient les progrès que l'on puisse réaliser dansce domaine, il ne semble pas qu'il faille attendre une précision exagérée de ce type de critère.

Critères linguistiques

L'utilisation de critères linguistiques est plus récente, sans doute parce qu'elle postuleune connaissance plus approfondie de la grammaire et des graphies que ce qu'on avait iln'y a pas si longtemps encore. Les applications les plus poussées ont précisément été réali­sées sur des textes de la deuxième phase, et plus particulièrement encore sur des documentsrédigés en néo-égyptien. Ce n'est certes pas un hasard: comparé à l'égyptien classique, le

10 Plusieurs spécialistes ont émis des réserves sur la datation à partir de la paléograplùe: p. ex. Ph. Derchain, Le PapyrusSalt 825,1965, p. 127: «Le peu de secours que nous apporte la paléographie ferait souhaiter de trouver un autre critère»;J. Janssen, BIFAD 84 (1984), p. 305: «As regards the writing, 1 am afraid that 1 am sceptical conceming the possibilitiesof dating an ostracon, other than very roughly, on account of the form of individual signs»; id., JEA 73 (1987), p. li>l: «cequi compte c'est l'impression générale»; A. Baldr, Egyptian Epistolography from the Eighteenth to Twenty-First Dynasty(BdE 48), 1970, p. 93: «Palaeography may sometimes fail to ascertain the exact date of two letters, one letter writtenduring the first half and another during the latter half of the same Dynasty».

Il Récemment encore, ce sont des considérations de cet ordre qui sont mises en avant pour estimer la date du P. Brook­lyn 47.218.135 (R. Jasnow, A Late Period Hieratic Wisdom Text (SADe 52),1992, p. 36-42). D'une manière plus générale,cf. l'étude de D. van der Plas (GM 73, 1984, p. 49-56) où sont repris quelques textes célèbres, comme l'Hymne au Nil oule Document de Théologie memphite.

12 Cité note 9.

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néo-égyptien est une langue plus analytique, offrant davantage de variations morpholo­giques et graphiques. C'est aussi l'époque pour laquelle cette technique est la plus riche depromesses: nombreux sont en effet les documents - des ostraca pour la plupart - pourlesquels le seul élément de datation jusqu'ici fourni a été obtenu grâce à un examen paléo­graphique. Parmi les applications les plus récentes, on peut relever les études suivantes:

a) Un des éléments les plus marquants de la grammaire néo-égyptienne est la disparitionprogressive de la préposition J:tr dans de nombreux syntagmes composés (présent J,séquentiel, 'J:t'. n .f J:tr srjm, wn .ln .f J:tr srjm) et de la préposition r au futur III. Dans unarticle fondateur l 3, S. Groll a cherché à quantifier ce phénomène afin de l'utiliser dansla datation des textes. Eu égard au corpus relativement réduit sur lequel cette enquête aété basée, les résultats n'ont forcément qu'une valeur partielle, mais ils montrent assezle profit que l'on peut tirer de ce genre de considération. J'ai eu l'occasion ailleurs deprocéder à des dépouillements étendus permettant de retracer avec plus de détails l'évo­lution de ces phénomènes14.

b) Il Y a peu, A. Shisha Halevy a consacré un article très substanciel à la grammaire duP Vandier afin de déterminer la place occupée par ce texte dans l'histoire de la langue15.

Loin de se limiter à un inventaire morphologique, l'auteur se fonde résolument sur uneapproche diachronique de la syntaxe.

c) Dans une étude récente16, P. Vernus a décrit minitieusement les particularités gramma­ticales de la version en langue vernaculaire du Rituel de Repousser l'Agressif. Toutes lesobservations ont été résumées dans un paragraphe de conclusion et réparties suivant unecatégorisation chronologique. Ces données ont alors été utilisées et interprétées pourproposer une datation de la traduction du Rituel 1?

En dehors de ces études spécifiquement centrées sur la grammaire historique, on trouveçà et là des réflexions allant dans le sens d'une utilisation de la grammaire comme aide àla datation des textes 18•

** *13 Scripta Hierosolymitana 28 (1982), p. 11-104.14 J. Winand, Études, § 801-808.15 lADS 109 (1989), p. 421-435.16 RdE 41 (1991), p. 153-208.17 Les conclusions de l'auteur rejoignent l'avis qu'i! avait déjà formulé sur l'époque de rédaction en se basant cette fois

sur une analyse du fond: voir P. Vemus, GM 29 (1978), p. 145-148.18 Pour ne citer que deux contributions récentes: S. GroU, St. Lichtheim, p. 371 (à propos de l'a Gardiner 5); P. Ver­

nus, St. Lichtheim, p. 1034 (à propos du Paysan éloquent). De S. GroU, il faut encore citer les études où les traits gram­maticaux du néo-égyptien de la 1ge dyn. sont vus d'une manière contrastive par rapport au néo-égyptien de la 20e dyn.:p. ex. DLP 6/7 (1975-1976), p. 237-246; ADAT 22 (1978), p. 67-70; Crossroad 1 (P.J. Frandsen, G. Englund, éd.), 1986,p. 167-180. Voir encore la contribution de O. Goldwasser (Pharaonic Egypt (S. GroU, éd.), 1985, p. 50-56), où certains cri­tères distinctifs de la 1ge dyn. sont dégagés. Sur la nécessité de recourir à une analyse grammaticale pour la datation destextes, voir dernièrement R.B. Parkinson, in Middle Kingdom SIl/dies (S. Quirke, éd.), 1991, p. 102-103.

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Le temps est peut-être venu maintenant de tenter une synthèse. Ainsi qu'on l'a déjàsouligné, le Nouvel Empire est riche de textes pour lesquels on ne possède encore aucunedatation: l'application systématique de critères grammaticaux devrait permettre de cernerde plus près leur cadre chronologique. Par critère grammatical, il faut essentiellement com­prendre deux choses: l'inventaire des formes morphologiques se trouvant dans un textedonné et l'examen des graphies.- au cours de son histoire, le néo-égyptien a en partie renouvelé ou changé son stock

morphologique. Certains paradigmes se sont éteints: p. ex. la forme srjm. n.f, encoreen usage au début de la 1ge dyn., a complètement disparu par la suite; de même, lesanciennes négations bw srjm.f du perfectif « ég. cl. n srjm.f) et de l'aoriste « ég. cl.n srjm .n.f) ont été respectivement remplacées par bwpw .fsrjm et bw îr .fsrjm. D'autresconstructions se sont profondément modifiées: il suffit de citer ici l'emploi de l'auxi­liaire îrî, s'étendant sans cesse à de nouvelles constructions, ou, pour suivre l'évolutiond'une forme spécifique, le remplacement de î. îr. t.f srjm « ég. cl. r srjm. t.f) par s3 '­î. îr. t .f srjm puis s3 '-mtw .f srjm au début de la 21e dyn.

- de même, il n'est guère de paradigmes dont la graphie des éléments significatifs ne sesoit modifiée, parfois de manière importante. Parmi les éléments les plus marquants, onpeut relever: les terminaisons du pseudo-participe, le développement de la graphie duyod prothétique à l'impératif, à l'emphatique prospectif, aux participes ou à la formerelative, la présence ou non de la préposition dans les constructions analytiques (voirsupra, p. 190, a), etc.

En procédant à des dépouillements importants, aussi bien des textes littéraires que nonlittéraires, allant de la 18e dyn. à la fin de la TPI, il a été possible de donner une vued'ensemble de l'inventaire morphologique du néo-égyptien ainsi que de l'évolution desgraphies et de la vitalité des constructions19• Une des retombées de cette étude devrait pré­cisément être de donner quelques outils utiles pour la datation des textes20• Avant de testerla méthode sur quelques textes choisis, je voudrais ajouter ici deux nouveaux critèresdevant permettre d'affiner l'analyse, parce que présents d'une manière abondante dans lestextes: d'une part, les variations de la graphie de l'article défini pluriel et de l'article indé­fini, et, d'autre part, la graphie du pron. suff. de la 3e pers. du pluriel.

a) Graphie de l'article défini pluriel et de l'article indéfini.

Comme on le sait, l'article défini, au pluriel, s'écrit habituellement n3 (il) en néo-égyp­tien21 • Comme dans d'autres langues, il s'agit en fait d'un ancien démonstratif, attesté

19 Voir ouvrage cité n. 1.20 a.c., § 49-50.21 Cf. C.-G., LEG, § 3.5; A. Ennan, Neuiig. Gr., § 173.

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comme tel en égyptien de la première phase. Dans cet état de langue, le démonstratif offrela particularité de se lier au substantif au moyen d'un génitif indirect22• Bien que traitécomme l'équivalent de l'adjectif démonstratif du français, nJ est en réalité à l'origine unpronom. Déjà au cours du Moyen Empire, la valeur du démonstratif s'est progressivementaffaiblie et, au Nouvel Empire, on peut dire que la mutation est complètement achevée23•

Dans les textes écrits en néo-égyptien, l'article pluriel conserve, pendant une partie de la1ge dyn., son ancienne construction génitivale i""""" (du moins dans les graphies), ce quinous donne un précieux critère de datation.

L'article indéfini au singulier (w': w'. t) a connu un phénomène analogue. Lespremières attestations montrent qu'il s'agit d'un substantif relié au moyen d'un génitifindirect au nom qu'il détermine (litt. <<une unité de» )24. Au terme de son évolution, w'sera considéré comme un véritable article précédant directement le substantif sur lequelil porte25• Dans le premier tableau ci-dessous, on trouvera le nombre d'occurrences del'article pluriel dans sa graphie ancienne (i""""") et dans sa graphie récente (il), ainsique de l'article indéfini singulier avec la même distribution (~I""""": ~I). Le deuxièmetableau reprend les mêmes données en indiquant cette fois la moyenne. Comme la présenteétude ne porte que sur les textes non littéraires, et que la nouvelle graphie tant de l'articledéfini que de l'article indéfini s'est totalement imposée à la fin du règne de Ramsès III,les dépouillements statistiques ont été limités aux documents repris dans les volumes 1-5des KRJ26 ainsi que dans le volume 7 pour ce qui est des suppléments couvrant cettepériode.

Effectifs Séthi 1er Ramsès IIMineptah Séthi II

Ramsès IIIAmenmessès Siptah

nJ-n 28 39 4 6 2

nJ 0 60 Il 28 81

w'-n 1 16 1 5 2

w, 12 4 12 30-

22 Cf. A. Gardiner, Eg. Or., § 111.23 Cf. l'étude particulièrement détaillée de B. Kroeber (Die Neuiigypfizismen vor der Amarnazeif, 1970, p. 1-29), et

A. Loprieno, Or, Anf. 19 (1980), p. 1-27.24 Cf. A. Gardiner, Eg. Or., § 262,1.25 Cf. A. Erman, Neuiig. Or., § 183-184.26 Afin d'obtenir des effectifs suffisants, les règnes de Mineptah et Amenmessès, d'une part, et ceux de Séthi II et Sip­

tah, d'autre part, ont été regroupés.

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GRAMMAIRE ET DATATION DES TEXTES 193

Moyenne Séthi le' Ramsès IIMineptah Séthi II

Ramsès IIIAmenmessès Siptah

/1]-/1 100% 39% 26% 17% 2,4%

/1] - 61% 74% 83% 97,6%

W'-/1 100% 57% 20% 29% 6,6%

W,

43% 80% 71% 93,4%-

Comme on peut aisément le constater, on passe dans les deux cas d'un pourcentage de100% d'attestations de la graphie ancienne sous Séthi lef à presque 0% sous Ramsès III.En ce qui concerne l'article défini n3, l'abandon de la graphie ancienne est même assezbrutal, puisque l'on descend nettement sous la barre des 50% dès le règne de Ramsès II.L'évolution est moins rapide pour l'article indéfini, ce qui se comprend sans peine dans lamesure où celui-ci s'est imposé plus lentement à l'usage que l'article défini. La légère irré­gularité constatée sous les règnes de Séthi II/Siptah, où la tendance semble s'inverser, doitsans doute s'expliquer par le nombre très réduit des occurrences relevées pour les règnes deMineptah/Amenmessès: cinq unités constituent en effet un effectif trop faible pour arriverà une estimation valide.

b) Le pronom suffixe de la 3e p. pl.

Un autre élément appréciable de datation, parce que largement présent dans les textes,est fourni par le pronom suffixe de la 3e pers. pl. En néo-égyptien «standard», l'ancienpron. suff. -sn est habituellement remplacé par _W27 . Edel a mis en lumière la genèse duphénomène28 et Kroeber a relevé les premiers emplois du nouveau pronom dans les textesde la 18e dyn29• Sans vouloir entrer ici dans des considérations qui nous éloigneraientde notre propos, un premier dépouillement réalisé sur le même corpus que celui ayantservi pour les graphies de l'article a permis d'arriver à quelques résultats intéressants. Ladisparition de l'ancien pronom ne s'est pas effectuée à un rythme identique dans toutes lespositions. Il faut en effet distinguer les différents emplois du pronom suffixe: sujet d'uneforme fléchie (perfectif et prospectif sgm.J, emphatique l.sgm.J, forme relative, etc.), sujetd'une forme sgm. tw .f, régime d'un infinitif, régime d'une préposition, emploi génitivalderrière un substantif, accolé à l'adjectif démonstatif pour former l'adjectif possessif

27 Cf. C.-G., LEG, § 2.4.1; A. Errnan, Neuiig. Gr., § 77-81.28 E. Ede!, zAS 84 (1959), p. 17-38.29 B. Kroeber, a.c., p. 31-39.

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(ply. sn/ply. w), sujet accolé au morphème lw (que ce soit le lw du présent l circonstanciel,du séquentiel ou du futur III) et, enfin, sujet d'un conjonctif. Les résultats sont présentésdans les deux tableaux suivants (effectifs et moyennes):

Effectifs scjmf scjm.twf prépos. possessif infinitif substantif lw mtw-

sn 1 sn 0 sn 5 sn 1Séthi le'

w 0 w 1 w 0 w 5

sn 16 sn 0 sn 59 sn 18 sn 5 sn 2 sn 9 sn 4Ramsès II

w 5 w 19 w 11 w 7 w 25 w 1 w 12 w 4

Mineptah- sn 1 sn 1 sn 8 sn 1 sn 1 sn 1 sn 0

Siptah w 11 w 2 w 10 w 1 w 5 w 15 w 2

sn 0 sn 0 sn 2 sn 0 sn 0 sn 0 sn 2 sn 0Ramsès III

w 13 w 4 w 15 w 10 w 32 w 12 w 40 w 1

Moyenne scjmf scjm.twf prépos. possessif infinitif substantif lw mtw-

sn 100 sn 0 sn 100 sn 16Séthi le'

w 0 w 100 w 0 w 84

sn 76 sn 0 sn 84 sn 72 sn 16 sn 66 sn 43 sn 50Ramsès II

w 24 w 100 w 16 w 28 w 84 w 33 w 57 w 50

Mineptah- sn 9 sn 33 sn 44 sn 50 sn 16 sn 6 sn 0

Siptah w 91 w 67 w 56 w 50 w 84 w 94 w 100

sn 0 sn 0 sn 18 sn 0 sn 0 sn 0 sn 5 sn 0Ramsès III

w 100 w 100 w 82 w 100 w 100 w 100 w 95 w 100

Trois conclusions peuvent être provisoirement dégagées, dans l'attente d'être vérifiées àpartir de corpus plus étendus et en tenant compte des textes littéraires: a) l'ancienne forme-sn a (presque) totalement disparu au début de la 20e dyn.; b) l'ancienne forme -sn semblerésister davantage quand elle est employée derrière une préposition ou avec l'adj. posses­sif; c) derrière lw et, surtout, l'infiniti:f3°, la nouvelle forme donne l'impression de vouloir

30 C'est ce que semble confirmer un dépouillement des Staries réalisé sur les textes suivants: Prédestiné, Horus etSeth, Deux Frères. Jappé, Apophis et Vérité et Mensonge. Alors que le Prédestiné ne connaît que le pron. -sn, quel que

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se répandre plus rapidement. Ceci confiIme en partie les constatations faites par Kroeber31 •

Les divergences d'appréciation viennent principalement du fait que Kroeber a recherché lapremière attestation de chaque emploi du nouveau pronom suffixe, ce qui le laisse fortdépendant de la documentation, tandis que j'ai préféré quantifier toutes les données en opé­rant sur un corpus plus large, ce qui permet davantage de distinguer un trait dominantd'un trait particulier ou exceptionnel. C'est ainsi que la première attestation du pronom -w

derrière un infinitif serait un phénomène relativement récent selon Kroeber. D'après lesdépouillements que j'ai effectués, l'emploi du pronom -west largement majoritaire avecl'infinitif dès le règne de Ramsès II (25 cas contre 5 pour -sn), ce qui est loin d'être le casavec les autres emplois du pronom suffixe, si l'on excepte son usage derrière iw. Vu lepeu de documents néo-égyptiens datant de la I8e dyn., l'absence d'occurrence d'un emploiparticulier du pronom -w ne doit sans doute pas automatiquement être considérée commeune impossibilité structurelle32.

** *

Il est temps maintenant d'appliquer la méthode à des textes concrets. J'ai choisi icicinq exemples. Pour donner des résultats fiables, il est évident que les textes à examinerdoivent être de quelque longueur, condition essentielle pour y relever un nombre suffi­sant de formes significatives. Quelle que soit la précision des outils mis à la dispositiondu chercheur, un texte de trois lignes contenant une ou deux formes verbales n'a quepeu de chance (sauf hasard extraordinaire) d'être daté à partir des critères grammati­caux.

soit l'emploi, la nouvelle forme -west attestée dans Horus et Seth huit fois avec l'infinitif (100 %), trois fois contre cinqderrière une préposition (38 %), cinq fois contre quatorze avec Iw (26 %), deux fois contre six avec une forme srjm.f(25 %) et aucune fois contre deux avec un adjectif possessif (0 %). Des chiffres tout à fait analogues sont obtenus pour lesDeux Frères et la Prise de Jappé. Dans les deux autres textes, les effectifs sont trop réduits pour en tirer quelque chosede valable.

31 Ce dernier (o.c., p. 38), à la suite d'Erman (Neuiig. Gr., § 80) et Gardiner (Eg. Gr., § 34), constate que l'emploi de-w se répand d'abord avec Iw. De même, avec une forme srjm.f, on possède déjà un exemple datant de la fin de la 17e dy~.

Toujours selon Kroeber (o.c., p. 39), la dernière étape de l'évolution serait l'emploi de -w avec l'adjectif possessif et avecl'infinitif.

32 Les données pour le début de la 19" dyn. sont confirmées par un relevé effectué sur un corpus restreint de textes dela 18e dyn. comprenant les documents suivants: décret d'Horemheb, 6 ostraca d'Amarna (LingAeg. l, p. 313), 0 Senmout78, P Berlin 9784,9785, 10463, P BM 10102, 10103, 10104, 10107, P Deir el Bahari (MDAIK 15, p. 81,0), P Gourob II,let 2, P Mond 1 et 2, stèles frontières d'Amarna. Avec une forme srjm.f, on trouve 14 attestations de -sn, aucune de -w; avecla forme srjm. tw.f, aucune attestation de -sn, 2 de -w; avec un substantif, Il attestations de -sn, aucune de -w; derrière uninfinitif, une attestation de part et d'autre; avec Iw, 2 attestations de -sn, 4 de -w; derrière une préposition, 10 attestationsde -sn, aucune de -w; au possessif, 6 attestations de ply. sn, aucune de ply.w. D'une manière générale, on constate que lesstèles frontières d'Amarna présentent une 'orthographe' plus novatrice.

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196

I. ÜBM 5631

J. WINAND

Sur ce très grand ostracon, a été conservé le corps d'une lettre, dont manquent mal­heureusement le début et la fin33• Dans son état actuel, le document comprend encore 15grandes lignes. Au verso, figure le début d'un enseignement, dont le scribe n'a recopié quela première sentence, rédigée sur le mode négatif.

. L'enquête prosopographique n'est guère éclairante: la seule personne mentionnée est uncertain msw (1. 7), sans épithète, ni indication de filiation.

De même, il est impossible de compter sur le fonnulaire que l'on trouve habituellementdans les lettres. La lacune du début nous a fait perdre les fonnules de salutation. Par ailleurs,le scribe n'a pas cru devoir nous gratifier de l'une ou l'autre de ces fonnules fréquemmentutilisées pour marquer les transitions ou donner les directives. Nous en sommes ainsi réduitsà examiner les formes grammaticales, à en dresser l'inventaire et à dégager les graphiessignificatives34•

a) l'infinitif du verbe sm présente la forme '7f'~~ (1. 3), typique de la 1ge dyn. (Études, § 78).b) l'aoriste négatif bw ra.f (1. 8): la forme simple est la seule attestée durant tout le N.E. (Études,

§ 384); elle n'apporte donc pas d'élément significatif.c) le prospectif passif du verbe rdî est écrit ~I (1. Il), ce qui est la forme régulière à la 18e et à la

1ge dyn. (Études, § 514).d) le participe passif du verbe rdî se présente sous la forme 4.-.DQQ':' (1. Il), attestée durant tout le

N.E., et donc non pertinente ici (Études, § 589).e) la forme relative ~~Q~~ (1. 2) est remarquable: en effet, la présence d'un yod prothétique

derrière l'article défini est surtout attestée sous les règnes de Ramsès n et Mineptah (Études,§ 599). On trouve également la forme gm. k, sans augment (1. 11), ce qui convient égalementbien pour la 1ge dyn. (cf. Études, tableau de la p. 389: pour les 3ae inf, un seul emploi avecyod contre neuf sans augment pour la période Ramsès n - Siptah).

f) la forme emphatique périphrastique est écrite ~'7f'~~ (1. 3), graphie typique du début de la1ge dyn. (Études, § 447).

g) le présent l adverbial dans une proposition relative offre la forme: ::Q<l'I~Q~ (1. 15). Il s'agitd'une construction d'allure récente (Études, § 664-680), mais qui n'est pas sans parallèle à la1ge dyn. (cf. Études, ex. 897).

h) le convertisseur du passé mis au participe est écrit wn, sans yod prothétique (1. 12): ce dernierne se rencontre guère avant la 2e moitié de la 20e dyn. (Études, § 566,d).

i) le séquentiel est attesté douze fois, toujours avec la préposition ~lr écrite, situation typique de la1ge dyn. (Études, § 695-6).

j) le conjonctif a la forme habituelle mtw- (1. 3, 8, 15), définitivement implantée sous Ramsès n.k) le futur III, attesté deux fois (1. 9 et 14) a toujours la prép. récrite: dans une prop. indépendante

au positif, cette situation est habituelle à la 1ge dyn., mais pourrait également se rencontrer à la20e dyn. (cf. Études, tableau du § 793).

33 Edition dans H.O., I, 1957, pl. 88. Traduction par S. AlIam, HOP, p. 48-49, et E. Wente, Letters /rom Ancient Egypt,1990, nO 196.

34 La plupart des références sont à J. Winand, ÉflIdes (cité n. 1).

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GRAMMAIRE ET DATATION DES TEXTES 197

1) la présence de la conjonction p3-wl1 est également propre à la 1ge dyn35 •

m) l'article défini pluriel est toujours noté n3-n (1. 3, 4, 8, 9, 12): dans les textes non littéraires,cette graphie est caractéristique du début de la 1ge dyn.

n) l'article indéfini est écrit w'-n (1. 6): même remarque que pour l'article défini.0) le pron. suff. de la 3e pers. du pl. est -sn derrière une préposition: m-bnw (1. 4) et r-çjb3 (1. 13);

mais -w derrière l'infinitif 113y36. (1. 9 et 14-5), wb] (1. 12), sml (1. 13), derrière le prospectif pas­sif dl. tw (1. 11) et avec le morphème lw (1. 15). Cette situation reflète assez bien ce qu'on trouvedans les textes de Ramsès II.

En conclusion, si ce n'est les points b et d, communs à tout le N.E.37, et qui n'apportentdonc aucun élément significatif, l'ensemble des critères relevés pointe sans exception versla 1ge dynastie (datation proposée par Wente, mais sans justification). Parmi eux, les cri­tères e, g, i et 0 (dans une moindre mesure, m et n) conviennent plus précisément au règnede Ramsès II, peut-être à celui de Mineptah.

II. P Bankes 1.

Il s'agit d'un fort beau document, ayant servi de support à une missive. Le texte a été entiè­rement conservé; il comprend 17 lignes au recto et 7 lignes au verso. Sur la base de critèresstylistiques, tirés de l'ouvrage d'A. Bakir consacré à l'épistolographie, l.E.S. Edwards38,

l'éditeur du texte, croit pouvoir proposer une date située entre la fin de la 1ge et le début dela 20e dyn. Les arguments invoqués sont a) la présence de la formule de salutation nçJ-l:Jr. t

(1. 1), qui selon Bakir serait obsolète à la 20e dyn. (Epistolography, p. 47), b) la formuled'invocation aux dieux au moyen d'un impératif causatif (1. 3: imy 'nl:J.k, etc.), laquelleserait également typique de la 1ge dyn. (Epistolography, p. 62-64 et 90). Wente (Letters,n° 154) propose sans explication la fin de la 20e dyn.

Le relevé des formes grammaticales significatives s'établit comme suit:a) l'infinitif du verbe sm est écrit 5.f'~.1\ (R0 10), ce qui est la forme traditionnelle à la 20e dyn.

(Études, § 78), même si on la rencontre sporadiquement plus tôt.

35 Cf. Fr. Neveu, SEAP 11 (1992), p. 18; O. Oolwasser, (cité n. 18), p. 51. D'après un rapide sondage, pl wn ne sembleplus employé déjà à partir du règne de Ramsès m. Voici les occurrences que j'ai pu relever dans des textes assurémentdatés de la 1ge dyn.: Séthi 1er: KR! 1,238,7; 239,14; 323,15; 324,6; 325,3; Ramsès II: KR! 2,911,10; 3,45,15; 56,7;156,7; 231,7; 234,4; 489,16; 490,8; 503,5; 533,4; 538,3; 538,7; 539,2; 539,4; 542,2; 555,5; 558,11 et 12; 638,5;7,192,15; inscr. de Mès N,6; Mineptah: KR! 4,81,9; 87,8; 88,8-9; Séthi II (?): KR! 4,217,12; 330,13. À cela il faut ajou­ter quelques occurrences provenant de textes littéraires: LES 11,3 et 16; 14,10; 16,5; 17,10; 24,9 et 10; 26,4; 43,10;87,12; LEM 2,2; 76,6; 78,8. Citons encore parmi les textes non datés, mais appartenant vraisemblablement à la 1ge dyn.:o Prague 1846 (voir infra); P DeM 33,vo,l; 0 Turin CGT 57093,Ro,4; 0 Petrie 61,vo,2.

36 A la I. 11, la suite imy di. tw. w Qk,l,QQ:::;r;-;--, doit s'interpréter itly. (i) st, le pronom dépendant st étant écrit commele pronom suffixe, ainsi que cela arrive souvent: voir C.-O., LEG, § 2.3.1.

37 De même, les graphies du pseudo-participe et la forme de l'impératif de rdi n'offrent ici aucun critère décisif.38 I.E.S. Edwards, JEA 68 (1982), p. 126-132. Sur ce texte, voir maintenant R. NavaiIIe-Fr. Neveu, GM 103 (1988),

p. 51-60.

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198 J. WINAND

b) le pseudo-participe: à côté des formes de la 2e pers. masc. sing. (l'à. tw) et 3e fém. sing.(swf/.tw), attestées durant tout le NE et la TPI, on relève une forme intéressante à la 1ère pers.masc. sing. (RO 6: îw.î ,-:toC('): à la 1ère pers., la finale -tw ne se rencontre qu'à partir de la20e dyn. (Études, § 199). Il s'agit d'un trait de langue récent, qui ne devient fréquent qu'à la finde la 20e dyn. Toutefois, on peut déjà relever une telle finale dans un texte datant du règne deRamsès III, et précisément avec le verbe '~1' (P Berlin 10496, RO 9 =KR15,477,3).

ç) le participe perfectif: la seule forme intéressante est î.!]y (VO 1-2: Q~kl:.QQ::): avec les 3aeinj, le yod prothétique se rencontre rarement à partir de Ramsès III, majoritairement à partir deRamsès IX (Études, § 549).

d) le séquentiel est attesté huit fois, sans que la préposition f;tr soit jamais écrite, ce qui nousinciterait, d'une manière générale, à ne pas remonter au-delà du règne de Ramsès V. Notonstoutefois qu'il existe quelques documents d'allure novatrice datant du règne de Ramsès III, où lapréposition n'est jamais écrite.

e) le futur III n'est attesté qu'une seule fois (RO 9). La préposition r n'est pas écrite.

En résumé, pour s'en tenir aux critères strictement grammaticaux, tous les éléments indi­

quent que le document date de la 20e dyn. Notre texte possède quelques traits récents, typiquesde la fin de la 20e dyn.: finale -tw à la 1ère pers. sing. du pseudo-participe (b); absence sys­

tématique de la préposition dans les constructions analytiques (d et e). Ces traits novateurs

peuvent déjà se rencontrer sous Ramsès III, mais leur combinaison ferait plutôt pencher la

balance pour une datation englobant la deuxième moitié de la 20e dyn.

La datation proposée par l'éditeur du texte. (fin 1ge - tout début 20e dyn.), sur foi de

critères phraséologiques, doit donc être reconsidérée. Cette constatation m'a conduit à

revoir la validité des affirmations de Bakir concernant la formule d'introduction X mj-br. tY et la formule d'invocation aux dieux bâtie sur des impératifs causatifs. Un simple coup

d'œil sur la documentation rassemblée dans les Ramesside Inscriptions permet de s'assurer

que les deux formules sont encore en usage durant tout le NE, avec il est vrai une certaine

désaffection à partir du règne de Ramsès XI:X nf/-àr. t Y: KR!, 5,567 (R. III); 7,322 (R. III); 6,156 (R. IV); 6,254,6 (R. V); 6,254,14 (R. V); 6,267,15(R. V); 6,268,11 (R. V); 7,355 (R. V); 6,673,13 (R. IX); 6,674,2 (R. IX); 7,383 (R. IX); 7,398 (R. Xl).îmy 'nà.k, snb.k etc.: KRI,7,322 (R. III); 7,339 (R. IV); 6,254,7 (R. V); 7,355 (R. V); 6,673,16(R. IX); 6,674,5 (R. IX); 7,384 (R. IX).

Ces dernières considérations devraient naturellement nous conduire à proposer pour

notre texte une date comprise entre les règnes de Ramsès V et Ramsès IX inclus.

III. 0 DeM 554.

Il s'agit d'un petit ostracon comprenant 8 lignes au recto et 9 au verso. Cette courte

missive a été récemment traduite par Wente (Letters, nO 245), qui lui assigne comme date

la 1ge dyn. Le texte figure aussi dans le recueil de S. Allam (HOP, p. 128-129).

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GRAMMAIRE ET DATATION DES TEXTES 199

Le relevé des formes grammaticales significatives s'établit comme suit:a) la négation du perfectif est rendue ici par la construction hw sqm.f (R° 4: hw 1Jn. k

J~l~~~~i). Celle-ci cesse d'être d'un emploi majoritaire après le règne de Ramsès II(Études, § 328).

b) la négation de l'aoriste hw sqm .n.f (VO 2: hw in. n .k J~l ~) est excessivement rare. Dans lestextes de la pratique, on ne relève qu'un seul exemple pour le règne de Ramsès II (Études,§ 385).

c) la négation nn (RO 6: nn sw nlr) suggère naturellement la 1ge dyn.39

d) la forme relative pJ Ur. n. k est également très intéressante (RO 6: n~::~). Cette formehybride consistant en la conjonction de l'ancienne forme relative sqm .n .fet du yod prothétiquea un parallèle excellent dans un texte datant de Ramsès II (Études, ex. 997). Par ailleurs, nousavons déjà eu l'occasion de remarquer que la présence du yod prothétique avec une forme rela­tive précédée de l'article était surtout typique des règnes de Ramsès II et de Mineptah (Études,§ 599).

e) l'article défini pluriel est écrit nJ-n (VO 5) et l'article indéfini w'-n (RO 7 et VO 1-2), ce qui sug­gère le début de la 1ge dyn.

f) le pronom suffixe de la 3e pers. du pl. n'est présent qu'une seule fois4o• Régime de la prépositionm, il offre l'ancienne forme -sn (VO 7), ce qui suggère le début de la 1ge dyn.

g) le séquentiel n'est attesté qu'une seule fois (RO 5): la préposition 1Jr est écrite, ce qui indique unenouvelle fois le début de la 19" dyn.

Des observations qui précèdent, il ressort que notre texte appartient indubitablement à la1ge dyn. Certains indices (notamment les points b et d) nous inciteraient plutôt à retenir ledébut de cette période, sans doute le règne de Ramsès n. On notera que le nom nb-m!Jy. t,porté ici par un policier (mg3y) est bien attesté à l'époque de Ramsès II41.

IV. 0 DeM 587.

Il s'agit d'un ostracon allongé comprenant 15 lignes au recto et 16 lignes au verso, plusquelques signes sur la tranche. Il s'agit d'une communication faite par un certain Paser àune certaine Toutouia.

Le texte est traduit par S. Allam (HOP, n° 133) et par Wente (Letters, n° 219). Ce dernierpropose une datation précise (Ramsès II), mais sans la commenter.

Le relevé des formes grammaticales significatives s'établit comme suit:a) la forme relative qd.n (~)42, pour introduire la missive est caractéristique de la 19" dyn., même

si elle peut se rencontrer épisodiquement à la 20" dyn. (Études, § 618, c).

39 Voir B. Kroeber, a.c., p. 62-67.40 Sur la même ligne, on notera la présence d'un pron. dépendant écrit -sn; la proposition doit en effet se comprendre

comme un impératif (wb] st!).41 Voir p. ex. TT 170 (= KR! 3,378,12).

42 Il existe des exemples où la formule est écrite tjd. t .n A n B, ce qui ne laisse aucun doute sur la nature de la construc­tion (<<ce qu'a dit A à B»).

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b) nous avons probablement un exemple de sçJm. n.f indépendant au va 6-7: iw. t ~1r çJd n. i'di.n.(i) sw' (:::t<:') «et tu as dit: 'Je l'ai donné'». Cette construction, qui assure la transitionentre l'ancienne construction prédicative du moyen égyptien iw sçJm. n .f et le perfectif néo­égyptien sçJm.f, n'est attestée que sous les règnes de Séthi 1er et de Ramsès II (Études, § 303­305).

c) la conjonction de subordination temporelle m-çJr est encore ici attestée sous la forme courte çJr(Ra 4 et 11: ~), ce qui ne se trouve plus après le règne de Ramsès II (Études, § 395).

d) le présent 1 se rencontre une seule fois (va 7): la préposition !Jr est écrite.e) le séquentiel iw.f !JI' sçJm est présent onze fois. La préposition est écrite neuf fois. Elle est

absente à deux reprises (Ra 11 et 14-15): dans le dernier cas, son omission doit sans doute êtremise sur le compte du saut à la ligne. Si l'on regroupe les données du présent 1 et du séquentiel,la préposition est donc écrite dix fois sur douze, ce qui fait près de 85 % des cas. Ceci nousoriente tout naturellement vers le début de la 1ge dyn. (Études, § 696, tableau).

f) le conjonctif, présent une seule fois (va 5), offre la base mtw-, régulière dès le règne de Séthi 1er

(Études, § 741, tableau).g) l'article indéfini est attesté trois fois: deux fois sous la forme w'-n, une seule fois sous la forme

w'. On relèvera également la forme kU-n (va 10), très rare et d'ailleurs injustifiée sur le plangrammatical, sans doute formée par analogie43.

h) le pron. suff. de la 3e p. pl. est écrit une fois -sn (Ra 7), derrière un substantif, et trois fois -w:deux fois derrière un infinitif (Ra 6 (?) et 10) et une fois avec le morphème iw (Ra 7).

('II

I

l.'.1

1Il

"1':::1..'1.. ,.1.,"

"III,III1.1

1,1

'1

Il1

200 J. WINAND

En résumé, tous les éléments significatifs nous orientent vers la 1ge dyn. Des critèresplus précis (b et c) suggèrent une datation ne dépassant pas le règne de Ramsès II. Cettepossibilité semble confirmée par les points d et e. Enfin, le point f et l'omission de lapréposition ~lr dans au moins un cas, peut-être deux, nous interdisent de remonter au delàdu règne de Séthi 1er• Une datation située lors du règne de Ramsès II serait dès lors la plusprobable. Comme on l'aura déjà noté, c'est également celle qui est proposée par Wente(cf. supra).

V. 0 Prague 1826.

Il s'agit d'un ostracon ayant conservé entièrement une missive de 11 lignes. Le texte estrepris par Allam (HOP, 276) et Wente (Letters, n° 200).

Le relevé des formes grammaticales significatives s'établit comme suit:a) l'infinitif du verbe rdi (1. 2) présente à l'état construit l'ancien radical plein::, ce qui n'est plus

guère attesté après le règne de Ramsès II (Études, § 153). À l'état pronominal, il faut encorenoter la forme particulière du verbe iri (1. 3: Q~:;!). Cette graphie, au demeurant fort rare, a unparallèle intéressant dans le Conte des Deux Frères où elle est également employée avec un

43 De même, toujours par analogie, on trouve quelquefois indûment la préposition (Ir avec la forme emphatique péri­phrastique, la construction bwpw.f sçjm, le pseudo-participe au présent J, ou encore le conjonctif: voir J. Winand, Études,§ 808).

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GRAMMAIRE ET DATATION DES TEXTES 201

conjonctif (Études, ex. 207). On sait que le scribe Ennana, qui a copié le P d'Orhiney, a opéréun peu avant le règne de Séthi II.

b) la négation de la forme srjm. t .fprésente la forme périphrastique hw Ir. t.f srjm O, 6), laquelle estattestée depuis le règne de Séthi 1er (Études, § 462).

c) la négation de l'aoriste présente également la forme périphrastique hw Ir .fsrjm (1. 7), laquelle estattestée depuis le règne de Ramsès II (Études, § 383).

d) on notera la présence d'un yod prothétique avec la forme relative du verbe lrl pourtant précédéed'un adjectif démonstratif (1. 8: ~C~~\4~::I11). Cette graphie se trouve en majorité sous lesrègnes de Ramsès II et Mineptah (Études, § 599).

e) le présent 1 est employé une fois (1. 4): la préposition !:zr est écrite.f) le séquentiel est attesté trois fois: la préposition !:zr est toujours écrite.g) la futur III est attesté trois fois: la préposition r n'est jamais écrite.h) la forme relative rjd.n (~) ouvrant le début de la missive est caractéristique de la 1ge dyn., mais

se trouve encore à la 20e dyn.i) l'article défini pluriel, présent une fois (1. 2), est écrit n3-n.j) le pron. suff. de la 3e pers. pl. présente la forme récente -w derrière srjm. tw.f (1. 3) et srjm.f

(1. 7) et la forme ancienne -sn derrière une préposition (1. 3) et avec l'adjectif possessif (1. 10).Cette situation semble plutôt refléter la 2e moitié de la 1ge dyn.

k) on notera également la présence de la conjonction p3-wn, typique de la 1ge dyn. (voir supra,p.197,1).

En résumé, il ne fait guère de doute que notre document appartient à la 1ge dyn. Tous leséléments relevés pointent dans cette direction. Certains traits plus précis (notamment lespoints a et j) incitent plutôt à considérer une date comprise entre Mineptah et Séthi II,ce que peuvent également confirmer les points c et d. Enfin, même si on en trouve desexemples dès le début de la 1ge dyn., l'absence de notation de la préposition r au futur III,et ce à trois reprises, de:vrait également nous empêcher de rechercher une date trop haute àl'intérieur de la 1ge dyn.

** *

Arrivé au terme de cet exercice, j'espère avoir montré le profit que l'on pouvait ainsiobtenir de la grammaire dans la datation de textes n'offrant ni le secours d'une date, nicelui de renseignements prosopographiques. Comme on le voit, cette méthode devrait tou­jours donner quelque résultat pour autant qu'elle soit appliquée sur un texte d'une longueursuffisante, c'est-à-dire susceptible de contenir assez de graphies significatives.

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202

Résumé/Abstract

J. WINAND

Un grand nombre de textes néo-égyptiens non littéraires ne sont encore datés que d'après lapaléographie. Les résultats sont le plus souvent approximatifs. Cet article se propose de définir uncertain nombre de critères grammaticaux, essentiellement morphologiques et orthographiques, pouraider à la datation de ces textes. Une étude particulière est consacrée à l'évolution des graphiesde l'article défini (n3-n: n3), de l'article indéfini (w'-n:w'), et à la chronologie du remplacementdu pronom suffixe de la 3e pers. pl. (-sn: -w). La méthode est ensuite testée sur cinq documents,non datés, représentatifs de l'époque ramesside: 0 BM 5631, P Bankes 1,0 DeM 554,0 DeM 587,o Prague 1826.

Several non-literary Late Egyptian texts are dated only by palaeography. The resulting datation ismost often approximative. In this paper sorne grammatical criteria, mainly morphological andorthographical, are proposed to help dating such texts. A special study is devoted to the spellings ofthe definite article (n3-n: n3), indefinite article (w'-n: w'), and to the substitution of older 3 pl. suf.pro -sn by the newcomer -w. The method is then applied to five undated documents, typical of theramesside period: 0 BM 5631, P Bankes 1,0 DeM 554,0 DeM 587,0 Prague 1826.

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