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COMPTES RENDUS Belin | « Annales de démographie historique » 2007/1 n° 113 | pages 231 à 261 ISSN 0066-2062 ISBN 2701147086 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-annales-de-demographie-historique-2007-1-page-231.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- « Comptes rendus », Annales de démographie historique 2007/1 (n° 113), p. 231-261. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Belin. © Belin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.214.231.2 - 08/10/2015 14h47. © Belin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 194.214.231.2 - 08/10/2015 14h47. © Belin
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La famille, les femmes et le quotidien (XIVe- XVIIIe siècles)

May 16, 2023

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Joaquín Manzi
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Page 1: La famille, les femmes et le quotidien (XIVe- XVIIIe siècles)

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Belin | « Annales de démographie historique »

2007/1 n° 113 | pages 231 à 261 ISSN 0066-2062ISBN 2701147086

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-annales-de-demographie-historique-2007-1-page-231.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------« Comptes rendus », Annales de démographie historique 2007/1 (n° 113), p. 231-261.--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Gilles-Antoine LANGLOIS, Des villes pourla Louisiane française. Théorie et pratiquede l’urbanistique coloniale au XVIIIe siècle,Paris, L’Harmattan, 2003, 448 p.

Cet ouvrage est la version publiée d’une thèsede doctorat en Urbanisme et Aménagement,soutenue en 1999 à l’Institut d’urbanisme deParis. Il se divise en deux grandes parties. Lapremière partie détaille d’abord longuement lagéographie physique et les ressources naturellesdu territoire de la Louisiane française (desGrands Lacs jusqu’à l’embouchure duMississippi), passe en revue les différentsgroupes qui composent sa population, puisdécrit les maladresses successives de la gestionde la colonie menée depuis la France (cellesde la Compagnie d’Antoine Crozat d’abord,puis celles de la Compagnie d’Occident et dela Compagnie des Indes). Le fonctionnementde l’administration coloniale en Louisiane,notamment le rôle des gouverneurs, des inten-dants et du Conseil supérieur de Louisiane estsouligné ; les tergiversations liées à la politiqueétrangère européenne, la rivalité entre lesordres religieux et les autorités civiles, lafaiblesse de l’organisation administrative sontrappelées. Dans la seconde partie de l’ou-vrage, qui est aussi la plus intéressante, l’au-teur s’attache à dresser une morphologieurbaine des trois principaux établissementsurbains de la basse Louisiane : Le Biloxi, LaMobile et La Nouvelle-Orléans. Il s’interrogesur la pertinence de leur localisation et souligneque leur création semble finalement être duedavantage aux hasards politiques et à unemauvaise reconnaissance des sites plutôt qu’àune planification bien maîtrisée du territoire.Gilles-Antoine Langlois met particulièrementl’accent sur les compétences et les prérogativesdes « aménageurs » et des acteurs de la coloniedans la création des villes : administrateurs

civils et militaires, ingénieurs militairesfrançais de l’école de Vauban, maîtres d’œu-vre et exécutants. Son analyse le conduit àdétailler les mécanismes conflictuels de l’édi-fication des villes coloniales louisianaises, àsuivre l’évolution des aménagements urbainsdepuis la création des premiers plans jusqu’àleur réalisation concrète, à s’intéresser auxréglementations urbaines et aux résistancesqu’elles provoquent. On découvre au fil deces pages l’importance accordée par les ingé-nieurs militaires à l’hygiène, largementabsente des villes d’Europe à la mêmeépoque. Respecter les alignements des habita-tions sur les rues, délimiter les terrains depalissades et creuser des fossés d’écoulementdes eaux constituent les principales injonc-tions du pouvoir et des ingénieurs chargésd’en établir et d’en faire observer l’ordre. Si lerôle prééminent des ingénieurs militairesfrançais et louisianais dans l’édification despremières villes coloniales louisianaises estparticulièrement bien mis en lumière dans cetouvrage, on regrette cependant que le planadopté par l’auteur dans cette version allégéede sa thèse ne mette pas davantage ses apportsen valeur. Relier de façon plus étroite lesparticularités de la géographie physique autravail des ingénieurs militaires et à la mor-phologie urbaine obtenue aurait par exempleété très intéressant. Mais la multiplication desdescriptions de détail, au détriment d’uneréflexion plus analytique, l’étude d’aspectsqui semblent loin du cœur du sujet et l’ab-sence de liens logiques entre les diversesparties de l’ouvrage masquent malheureuse-ment trop souvent la dynamique de l’appro-che que l’auteur cherche à développer sanstoujours éviter les anachronismes.

Marjorie BOURDELAIS

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Steven W. HACKEL, Children of Coyote,Missionaries of Saint Francis : Indian-Spanish Relations in Colonial California,1769-1850, Chapel Hill, University ofNorth Carolina Press, 2005, 476 p.

En 1769, une expédition espagnole arriveen Californie. Partie de San Blas, elle estcomposée de soldats, de missionnaires fran-ciscains et d’Indiens du Mexique, qui ontvoyagé pour les uns sur deux navires et pourles autres à pied par voie de terre. Ils fondentune première mission à San Diego. D’autresinstallations suivent : 20 avant 1821, l’annéede l’indépendance du Mexique, et la vingt-et-unième et dernière en 1823. Les missions,confiées à l’ordre des Franciscains après l’ex-pulsion des Jésuites en 1767, ont pour but deconvertir les populations locales au catholi-cisme, de leur apprendre les coutumes et lesactivités européennes et d’en faire de bons etloyaux serviteurs de la couronne d’Espagne.

Cette « institution de la frontière espa-gnole » (selon la formule de H. E. Bolton) afavorisé l’expansion de l’empire espagnol surle continent américain. En Californie, elles’est accompagnée d’une effrayante mortalitédes Indiens. Partant de cette constatation, ledébat fait rage parmi les historiens. Certainsen tiennent les missions pour coupables,tandis que pour d’autres elles n’ont été qu’uninstrument involontaire. De la même façon,pour certains, les Indiens sont victimes de lacruauté de ceux qui les ont soumis, pourd’autres ils sont les victimes d’un phénomènequi les dépasse, eux mais aussi les missionnai-res. Steven Hackel évite les prises de positiontrop tranchées. Il se fixe comme objectifd’étudier les conséquences précises de cetteintrusion espagnole dans le monde physiqueet mental des Indiens, ainsi que les capacitésd’adaptation et donc de survie de ceux-ci.

Pour ce faire il mène une enquête minuti-euse à l’échelle d’une mission, San CarlosBorromeo (à Carmel), fondée en 1770 sous ladirection de Junipero Serra près de villagesesselens et costanoans. Dans cette monogra-phie très détaillée, il s’attache à reconstituer unmonde qu’il compare chaque fois que possible

avec ce qui est connu des autres missions etavec la situation démographique en Europe.La perspective qu’il adopte, celle des Indiens,est difficile à documenter, car ils ont laissé peude témoignages, sinon lors de procès. Hackelutilise les registres des missions, les correspon-dances des missionnaires et des autorités mili-taires, des déclarations d’étrangers, surtoutd’Américains, mais aussi le rapport du méde-cin de l’expédition de La Pérouse qui a relâchéà Monterey en 1786. À partir des informa-tions obtenues dans les registres et rassembléesen une large banque de données, et de recon-stitutions de familles selon la méthode LouisHenry (méthode qu’il a pratiquée à Paris-IV),il présente de nombreux tableaux statistiques.

L’étude s’ordonne selon trois parties : lessociétés indiennes et espagnoles avant et aumoment du contact ; les interactions dansles missions ; l’effondrement du systèmeaprès l’indépendance du Mexique et surtoutaprès la sécularisation des missions.

L’arrivée des Européens provoque unedouble crise, environnementale par l’intro-duction de nouvelles plantes et de nouveauxanimaux qui transforment les conditionsnaturelles, et démographique, forte morta-lité et faible fécondité, qui empêche decompenser les décès et que Hackel attribueprincipalement à la syphilis et autres mala-dies sexuellement transmissibles.

Au contraire d’une présentation long-temps acceptée, les Indiens ne vont pas versles missions sous la pression et la violencephysique. Hackel y voit un phénomènequasi naturel lié à la dépopulation quipousse hors de leurs villages les individustrop isolés et démunis pour pouvoir assurerleur survie par eux-mêmes (le push). Ailleurson observe des regroupements de tribus. Laforte mortalité des Indiens de Californien’est pas contestable. Dans le récit de Jean-François de La Pérouse lors de son séjour en1786, la mention des cheveux courts desIndiens témoigne que tout un peuple est endeuil. Cependant les facteurs d’attraction,que ce soit la curiosité, la fascination ou ledésir de pouvoir, sont eux aussi importants

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mais moins mis en avant. Les chevaux, lesperles colorées dont disposent les Espagnolssont désirables parce que rares ou inexistantsdans le monde traditionnel des Indiens, etl’appropriation des nouvelles techniquesdonne un avantage à ceux qui en disposent.

Un temps fort du livre est l’analyse démo-graphique de la population indienne de SanCarlos Borromeo (p. 96-112). Entre 1784 et1831, le taux de mortalité annuel moyen estde 79 p. mille. Pendant la période de réfé-rence 1770-1834, le taux de mortalité infan-tile est de 366 p. mille et la mortalité pourles moins de cinq ans atteint 427 p. mille.La mortalité est très élevée à tous âges, maisencore plus pour les femmes de 15 à 19ans, à l’âge du premier accouchement. Latrès faible fécondité des femmes mariéesaccélère le processus de diminution dunombre d’Indiens, au grand désarroi desIndiens eux-mêmes et des missionnairesincapables de lutter contre ce fléau. Hackelprivilégie la syphilis comme cause de la stéri-lité des femmes, un point de vue largementexprimé dans les correspondances desmissionnaires qui y trouvent une raisonsupplémentaire de contrôler les mœurs deleurs ouailles. Il parle moins des autres mala-dies épidémiques comme la variole ou larougeole. Bien avant l’arrivée des Européens,les Indiens entretenaient de nombreuxcontacts entre tribus différentes et sur degrandes distances, ce qui a favorisé la conta-gion à travers le continent. Au début du XIXe

siècle, l’expédition américaine dirigée parLewis et Clark constate la disparition devillages entiers parmi les populations deshautes plaines, touchées peu auparavant parune épidémie de variole. Les capitainesnotent aussi l’importance de la syphilis sur lacôte du Nord-Ouest où le commerce avecles Européens est très actif. Les relationsd’échange entre des tribus parfois trèséloignées ont favorisé la circulation desmarchandises, des armes et des germes.

En ce qui concerne la variole, selon Hackel,l’épidémie ne frappe pas la Californie avant1828. Le fait que les Indiens n’aient pu être

vaccinés au XVIIIe siècle est regrettable maiscompréhensible du fait des faibles connais-sances médicales, bien que sur la côte est ducontinent la vaccination ait été connue (maispeu appliquée aux Indiens). Par contre, il estincompréhensible que les Indiens n’aient pasété encore vaccinés en 1844 quand frappe latrès grave épidémie de variole apportée par leconsul des États-Unis à Monterey, ThomasLarkin, de retour du Mexique.

Hackel montre comment la crise démo-graphique a facilité les transformations reli-gieuses, politiques et économiques, en affai-blissant la résistance culturelle des Indiens,devenus insuffisamment nombreux pourmaintenir leurs structures traditionnelles, eten incitant les plus faibles à se réfugier dansles missions. Il analyse la transformationculturelle imposée par les missionnaires quipeuvent recourir à des pressions psycholo-giques et à des mauvais traitements, mais ilmontre aussi que ces missionnaires avaientune influence limitée sur l’esprit des Indienset sur la modification de leurs façons devivre. Ainsi par exemple, lors des périodes,fréquentes, où l’approvisionnement venu duMexique fait défaut et où les récoltes sontmauvaises, les Indiens complètent leuralimentation grâce aux activités tradition-nelles – cueillette, chasse, pêche –, ce quileur offre un espace de liberté hors desmissions. Les missionnaires doivent aussiaccepter de partager le pouvoir avec deschefs indiens, qui aident à contrôler lesnéophytes, mais qui favorisent aussi laconservation des pratiques traditionnelles.L’autorité de ces chefs est transmise de géné-ration en génération, et peut même éven-tuellement passer soit à des femmes soit parles femmes (du père au gendre).

Un nouvel équilibre s’établit, fragile du faitde la forte mortalité chez les enfants nés dansles missions, ce qui ne permet pas de reconsti-tuer la population indienne. Il est rompu parl’application de la loi de 1834 qui ordonne lasécularisation du système des missions. L’uni-vers des Indiens, alors pour la plupart nés etélevés dans les missions, est de nouveau

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bouleversé. Ils trouvent un réconfort et unmoyen de survie grâce aux familles élargiesqui constituent des réseaux de solidaritéessentiels.

Après la fin des missions, des Indiens péti-tionnent pour obtenir leur liberté et des terres,et obtiennent confirmation de leurs droits parles autorités mexicaines. Certaines de cesdemandes montrent une connaissance remar-quable du fonctionnement des institutions.Ainsi la lettre de Pacifico, Indien de la missionde San Buenaventura (photo p. 378) révèleune belle écriture, une superbe signature, etune capacité de compréhension et d’expres-sion étonnante et bien au-dessus des moyensd’un individu ordinaire de l’époque, ce quimet à mal bien des stéréotypes qui présententles Indiens comme incapables d’agir sur leursituation ou même de comprendre la cultureeuropéenne. Hackel donne des exemples quiillustrent la façon dont certains individus arri-vent à s’approprier les nouvelles connaissan-ces, les nouvelles cultures, et à les utiliser à leuravantage. En cela ils sont simplement des êtreshumains, ni « primitifs », ni victimes passives,ni même attachés à préserver à tout prix tousles aspects de leur culture traditionnelle.

En 1846, la conquête américaine bouleversede nouveau le cadre de vie des Indiens. Ils sontimpitoyablement expulsés de leurs terres etprivés de tous leurs droits, parfois mêmeréduits en esclavage, même si celui-ci est offi-ciellement interdit. Leur situation se dégradeconsidérablement et durablement. Plusrécemment un renouveau culturel est apparu,rendu plus difficile cependant par le fait quepeu de tribus de Californie ont encore étéreconnues par le gouvernement fédéral.

Cette étude apporte des éléments pourune meilleure compréhension des effetslongtemps sous-estimés des maladies infec-tieuses dans la colonisation par lesEuropéens du continent américain. C’estaussi une contribution essentielle à l’histoirecoloniale des États-Unis, trop souventlimitée à l’histoire des colonies fondées parles Britanniques sur la côte atlantique.

Annick FOUCRIER

Claude LÜTZELSCHWAB, La Compagniegenevoise des colonies suisses de Sétif (1853-1956), Berne, Peter Lang, 2006, 412 p.

Les premières décennies de la conquêtealgérienne sont caractérisées par l’échec de lacolonisation rurale, libre comme officielle.L’administration française accepte alors deconfier à des capitaux privés l’installationd’un vaste colonat agricole, considérécomme l’armature de la nouvelle colonie depeuplement européen. C’est ainsi qu’auterme d’un décret passé en avril 1853 entrele ministère de la Guerre et la Compagniegenevoise des colonies suisses de Sétif, cettesociété anonyme fondée à cet effet, s’occupedu recrutement et de l’émigration de futurscolons, ainsi que de la construction des dixvillages destinés à les accueillir. Pour chaquevillage construit et peuplé, la Compagniereçoit une fraction de la concession de20 000 ha sur laquelle elle développe sespropres activités, avant tout agricoles. C’estl’histoire de cette entreprise qu’écrit ClaudeLützelschwab en s’appuyant sur une richedocumentation, au premier rang de laquelleles archives de la Compagnie elle-même.

La première moitié du livre analyse doncl’implantation d’un colonat agricole dans unpays déjà peuplé par une entreprise privée,dont l’auteur analyse les débuts avec minutie.Largement porté par Sautter de Beauregard,qui a passé son adolescence en Algérie, leprojet est au départ financé par un groupede sociétaires appartenant au patriciat gene-vois ou vaudois, avant que le Conseil d’ad-ministration ne s’entrouvre à quelquesFrançais. Disposant de moyens financiersimportants, la Compagnie arrive donc àconvaincre les autorités françaises del’intérêt réciproque de leur entreprisecommune : la Compagnie s’occupe de l’ins-tallation d’émigrants en échange d’undomaine foncier de 20 000 ha que les colonsde la Compagnie doivent mettre en culturedans un délai de huit ans. Les demandes deconcessions toujours plus grandes de la partde la Compagnie pendant ses premièresannées d’existence suscitent l’opposition du

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gouverneur général Randon, d’abord parcequ’il est difficile de protéger tous les villages,ensuite parce que la politique des grandesconcessions capitalistes soulève le problèmedu refoulement des populations indigènesauquel les bureaux arabes sont hostiles. Lesindigènes qui demeurent sur place s’établis-sent souvent comme métayers, au service descolons ou de la Compagnie. Cette dernièrecherche à s’attacher les services des notablesdes tribus pour contrôler ces populations,contribuant à la désorganisation de l’écono-mie et de la société indigènes.

Si un des intérêts de l’ouvrage de ClaudeLützelschwab réside dans la connaissance decette entreprise particulière, il montre néan-moins comment elle se situe dans l’histoire del’émigration européenne, notamment suisse.Le premier projet de colonisation présenté parSautter de Beauregard requérait la propriétéde 500 000 ha de terre, qui auraient permisl’installation de plus de 100 000 personnes,une opération irréaliste puisqu’entre 1851 et1873, 26 000 personnes quittent la Suissepour l’outre-mer et que moins de 2 % de cesémigrants se dirigent vers l’Afrique. Mais leprojet d’établissement de colons suisses enAlgérie élaboré par la Compagnie genevoise sesitue dans la lignée de plusieurs autres plans dela même eau, conçus dès le début de laconquête, en France comme en Suisse. Laquestion migratoire ne devient un enjeu poli-tique en Suisse que dans le dernier quart duXIXe siècle, comme le montre la création en1888 du Bureau fédéral d’émigration. Maisl’Algérie, en tant que destination possible del’émigration de populations paupérisées et desHeimatlosen, intéresse les autorités cantonaleset les Sociétés d’utilité publique dès le débutdu XIXe siècle, et entre 1830 et 1850 plusieursdemandes de concessions pour l’établissementde colons suisses en Algérie sont présentéescomme un remède au paupérisme. Parmi lesélites suisses par exemple, Jean Huber-Saladins’attache à faire connaître l’Algérie au point devue de ses potentialités d’immigration. Il semontre également soucieux de fournir unencadrement aux mouvements migratoires.L’importance du phénomène dans certaines

régions, du moins son augmentation dans lesannées 1850, encouragent plusieurs cantons àprendre des mesures législatives, principale-ment sur les agences d’émigration. Dans le casde la Compagnie genevoise, l’émigration étantla condition d’obtention des terres, c’est ellequi organise le départ de populations versl’Algérie grâce à un vaste réseau d’agents recru-teurs couvrant trente districts de Suisse. Lesmodalités de cette émigration « choisie » sontanalysées, de la publicité faite pour attirer descolons à la manière dont on procède pourtrouver les 3 000 francs exigés par le décret deconcession de chaque colon pour s’installer enAlgérie. Compte tenu de cette exigence finan-cière, le recrutement en Suisse rencontre desdifficultés nombreuses, causées principale-ment par l’opposition des gouvernementscantonaux à l’octroi de subsides aux personnesdénuées de moyens. Cela amène la Compa-gnie à élargir sa zone de recrutement : ellecontribue ainsi au départ de 2 596 colons,dont 24 % de Suisses, presque tous Vaudois,37 % de Piémontais et Savoyards et 27 % deFrançais, issus en majorité du Midi. La popu-lation installée effectivement dans les coloniessuisses de Sétif reste cependant très en deçà desobjectifs et des résultats annoncés et leurpeuplement est un échec puisqu’à peine unmillier de personnes s’y installent vraiment.Les raisons de cet échec, qui concerne la petitecolonisation agricole en général, sont diverses.Claude Lützelschwab évoque les explicationsclassiques : difficultés d’adaptation au milieu,dénuement, découragement, taille insuffisantedes lots de colonisation…, mais il insisteparticulièrement sur la coexistence forcéeentre colons européens et indigènes : le faiblecoût de la production indigène engendrel’échec du petit colon. Ainsi, après unepremière phase de huit ans, marquée par latentative d’installer un colonat européen, lesactionnaires de la Compagnie renoncent à cechoix d’exploitation pour devenir de grandspropriétaires fonciers.

Dans la seconde partie de son livre,Claude Lützelschwab s’intéresse au fonc-tionnement de la Compagnie sur la longuedurée et à la manière dont elle se transforme

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en prospère entreprise de la grande agricul-ture capitaliste à partir du deuxième tiers duXIXe siècle et ce jusqu’à son départ d’Algérieen 1956. Il montre ainsi comment, aprèsl’échec de la colonisation européenne, laCompagnie loue ses terres en métayage et enfermage à des agriculteurs, en majoritéindigènes, et comment elle veille à transfor-mer l’entreprise en une exploitation renta-ble, en introduisant diverses améliorationsdans le matériel et les méthodes de produc-tion. Dès le début de son existence, l’ambi-tion de la Compagnie a été de créer uneexploitation agricole diversifiée, fonction-nant sur la mise en place de la céréaliculturemoderne, de la culture maraîchère, de l’ar-boriculture et de l’élevage à grande échelle.L’évolution vers une agriculture capitaliste setraduit notamment par la modernisationtechnologique, qu’il s’agisse de l’adoptionquasi totale de la charrue européenne par lesindigènes au début du XXe siècle ou de l’in-troduction précoce de machines agricoles(les premières moissonneuses sont utiliséesdès le début des années 1890). L’existence dedonnées nombreuses permet de reconstituerun certain nombre de tendances séculaires,comme la progression des rendementsjusqu’à la première guerre mondiale, l’atté-nuation des fluctuations annuelles de cesrendements, ou du prix du blé, tout cecimontrant une entreprise rentable, dont lesbénéfices nets vont croissant jusqu’en 1914.La Compagnie genevoise s’est ainsi toujoursrévélée attentive aux possibilités technologi-ques susceptibles d’améliorer sa rentabilité.La modernisation de l’agriculture algé-rienne, à laquelle de grandes entreprisescomme celle étudiée par cet ouvrage contri-buent, s’est néanmoins opérée au profit desgrands colons et aux dépens d’une fractionimportante de la population indigène, ce surquoi insiste le dernier chapitre.

Ce sont ainsi cent années de colonisation,ses étapes et ses conséquences économiques etsociales que donne à voir cette histoire de laCompagnie genevoise. Histoire d’une entre-prise, il s’agit aussi de l’histoire d’un projetterritorial, nécessairement lié à l’histoire des

sociétés suisse et algérienne dont certainsaspects, en ce qui concerne notamment lesmobilités, sont évoqués dans ce texte. C’estenfin l’histoire d’un projet politique qui sedessine à travers le fonctionnement d’unegrande entreprise dans le temps et ces diffé-rents niveaux de lectures justifient que celle-cisoit considérée par Claude Lützelschwabcomme un « véritable laboratoire des moda-lités de colonisation » (p. 1).

Claire FREDJ

Eric T. JENNINGS, Curing the Colonizers.Hydrotherapy, Climatology and FrenchColonial Spas, Durham and London, DukeUniversity Press, 2006, 271 p.

C’est à l’hydrothérapie dans l’empire colo-nial français que s’intéresse Eric T. Jennings,ainsi qu’à son rôle dans la mise en place de lasociété particulière qui caractérise les colo-nies. Il montre d’abord comment la coloni-sation européenne des zones tropicales etintertropicales pose la question de l’acclima-tement des populations européennes à desenvironnements perçus comme particulière-ment meurtriers. Le premier chapitre estainsi un bilan du débat historique et histo-riographique sur cette question, et montre àquel point l’« homme blanc » est soumis àl’agression d’un climat hostile et quelsmoyens sont mobilisés pour lui permettre dese protéger et d’éviter la dégénérescence quile menace : les stations d’altitude et ther-males se situent alors au cœur du dispositifde lutte mis en place par le colonisateurpour sa survie.

Si l’hydrothérapie a des facettes multiples,les liens qu’elle entretient avec le régimecolonial sont essentiels, c’est l’objet dusecond chapitre. D’après la composition deses eaux, chaque source possède en effet desvertus prophylactiques et curatives concer-nant un certain nombre de maladies, cellesentre autres qualifiées de « coloniales »,parmi lesquelles le paludisme, la fièvre jauneou encore les affections hépatiques qui affai-blissent les populations européennes. Cecivaut pour de nombreuses sources exploitées

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dans l’empire français tout comme pourcertaines sources de métropole, en particu-lier celle de Vichy, connues pour guérir desaffections coloniales. Ainsi, les colonisateurssont régulièrement envoyés en France pourprendre les eaux, et dans les colonies, lessources sont aménagées au service des agentsde la colonisation. Dans ces places thermalesse « ressourcent » donc les corps des coloni-sateurs, par immersion dans des eaux chimi-quement thérapeutiques et souvent familiè-res, puisque des comparaisons entre eaux descolonies et eaux des sources métropolitainessont régulièrement établies.

L’ouvrage illustre ensuite le lien concretentre hydrothérapie et colonisation parquatre études plus précises sur les lieux duthermalisme dans les colonies. Eric T.Jennings traite ainsi des villes d’eaux de laGuadeloupe et de la Réunion, avant des’intéresser plus spécifiquement aux stationsd’Antsirabe à Madagascar et de Korbous enTunisie. Si le reste de l’Empire n’a pas étéexploré, c’est parce que ce type de site estrare en Afrique subsaharienne, dans les colo-nies du Pacifique ou en Indochine, tandisqu’en Algérie et à la Martinique, où la prati-que thermale a eu son importance, les sour-ces font défaut. Ces quatre chapitres indi-quent ainsi comment dès leur arrivée, lesFrançais se réapproprient des lieux souventdéjà utilisés à l’époque pré-coloniale etcomment la colonisation transforme leurutilisation dans le sens d’un hygiénisme nelaissant plus place aux éventuelles connota-tions religieuses préexistantes, et les charged’une nouvelle signification politique.Même si ces lieux diffèrent par leurs condi-tions géographiques et leurs contextes cultu-rels, un certain nombre de points communsapparaissent. Dans trois des quatre sitesétudiés (c’est-à-dire Korbous excepté), nousavons affaire à des stations d’altitude,toujours vues comme des lieux où lesEuropéens peuvent échapper à la plupart desmiasmes qui nuisent à la santé sur les côtes.Ces points d’altitude possèdent égalementdes eaux qui les transforment doublementen lieux de soins.

L’organisation matérielle des bâtiments etdes bains est évoquée, ce qui permet à l’auteurde montrer que se construisent des lieux desoin mais aussi de tourisme. Sont ainsirecréés aux colonies, pour une populationd’Européens nostalgiques de la mère-patrie,les lieux de loisirs bourgeois que sont égale-ment les villes thermales françaises. Mais sil’invention des villes thermales modernespasse par l’imposition d’un modèle architec-tural européen, ce dernier intègre aussi,comme à Korbous, les éléments d’une esthéti-que locale réinventée par le colonisateur.

Fréquentées avant la conquête par lesautochtones, les places thermales continuentde l’être après et les manières dont le partagede l’espace hydrothérapique s’opère, témoi-gnent des idéologies qui sous-tendent la colo-nisation, notamment la séparation entrepopulations et ses éventuelles justificationsracialisantes. Centré sur les colonisateurs, l’ou-vrage montre comment leur prise de posses-sion de territoires transformés au profit de leursanté et de leur agrément exprime leursrapports avec les populations colonisées. Ils’agit de recréer des « oasis » de France, quideviennent parfois de véritables symboles dupouvoir colonial, comme Antsirabe à Madag-ascar dont on avait pensé faire la capitale à laplace de Tananarive. L’analyse de ces lieuxs’achève, dans les cas malgache et tunisien,après les décolonisations porteuses de nouvel-les réappropriations.

L’ouvrage se clôt sur un chapitre consacré àla station auvergnate de Vichy, qui n’est pascoloniale au sens premier du terme mais dontles liens avec la colonisation sont suffisammentforts pour qu’elle puisse être qualifiée de « capi-tale hydrothérapique de l’outre-mer » (p. 183).Vichy est le lieu où les coloniaux – administra-teurs, soldats, missionnaires, etc. – viennent serefaire une santé. Les colonies s’y imposentaussi bien dans les publicités pour les eaux quedans la forme des bâtiments dans lesquels sereflètent les échos plus ou moins sensibles d’unorientalisme arabe et chinois.

Servi par une riche bibliographie et illustrépar une iconographie variée, cet ouvrage qui

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décrit le fonctionnement de ces lieux spécifi-ques que sont les villes d’eau coloniales, avecleur sociabilité et leur esthétique propres, sesitue aux confins de l’histoire des pratiques desanté, de l’histoire coloniale et de l’histoire del’urbanisme colonial. En offrant un angled’approche original sur la colonisation àpartir de l’objet « station thermale » – lieu quicristallise un certain nombre de problémati-ques de la nouvelle histoire coloniale –,Curing the Colonizers… rappelle à quel pointelle a toujours été perçue comme un dangersanitaire qui oblige les populations européen-nes à retremper leur corps pour survivre à cetenvironnement hostile. Cette étude complèteainsi la série de travaux qui, depuis quelquesannées, montrent toute l’importance desquestions de santé dans ce processus de miseen contact entre populations et la symboliquedes corps qu’elles véhiculent.

Claire FREDJ

Esteban RODRÍGUEZ OCAÑA, RosaBALLESTER AÑÓN, Enrique PERDIGUERO,Rosa María MEDINA DOMÉNECH, JorgeMOLERO MESA, La acción médico-socialcontra el paludismo en la España metro-politana y colonial del siglo XX, Madrid,Consejo Superior de Investigaciones científicas,2003, 488 p.

Le paludisme, maladie endémo-épidémiquequi fait encore des millions de morts enAfrique, a disparu d’Europe et d’Amérique duNord au cours du XXe siècle. Cet ouvragecollectif, centré sur le combat que l’Espagnelivre à ce fléau de la fin du XIXe siècle auxannées 1960, montre combien cette actionrelève à la fois d’un processus économique etsocial comme la modernisation de l’agricul-ture, et de l’intervention scientifico-médicaleproprement dite.

Les années qui suivent la découverte duparasite et de son vecteur anophélique décritpar Laveran en 1880 amènent une connais-sance toujours plus fine du cycle épidémiolo-gique paludique. Le développement denouveautés scientifiques en parasitologie, ento-mologie, pharmacologie, la concrétisation

aussi de l’idée politique de santé publiquepermettent l’élaboration de campagnes antipa-ludiques préventives qui s’organisent à l’échelleinternationale. Elles privilégient la prophylaxiechimique vis-à-vis des personnes ou se concen-trent sur l’éradication du vecteur au moyend’insecticides, notamment le DDT.

La lutte contre le paludisme commence demanière concertée au tournant des XIXe etXXe siècles, en Europe, dans ses colonies et enAmérique. Avant la première guerremondiale, c’est l’Italie qui est à la pointe decette action avec des résultats spectaculaires,mais de grandes campagnes sont organiséesen Amérique centrale, dans les Caraïbes,dans les colonies allemandes ainsi qu’enAlgérie. Elles sont à comprendre tant auniveau local que national et international,les rencontres entre experts permettant deconfronter des savoirs et des méthodes quipeuvent varier selon les zones concernées.

Après avoir replacé la lutte antipaludiquedans la perspective mondialisée qui est lasienne, La acción médico-social contra el palu-dismo… s’attache à retracer la manière dontelle s’est organisée en Espagne métropoli-taine. L’importance de la maladie et sonimpact démographique et économique sontévalués. Le rôle de plusieurs médecins dansle développement de la parasitologie dans lapéninsule est précisé, notamment celui dumédecin italien Gustavo Pittaluga et de sonconfrère espagnol Sadí de Buen, toutcomme leur place dans la constitution desréseaux savants et les débats qui s’y dérou-lent. L’ouvrage retrace ainsi la chronologiede la lutte antipaludique et les moyens misen place par l’Espagne, qui s’y lance demanière systématique dans les années 1920.La réussite de cette entreprise après quelquesdécennies est due aux nouvelles thérapeu-tiques, aux insecticides mais aussi à la modi-fication en profondeur que subit le monderural espagnol.

L’attention se porte particulièrement sur leszones marécageuses et les terres irriguées,lieux où se développent les moustiquesresponsables de la transmission de la maladie.

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Mais les grands travaux réalisés dans le cadre,entre autres, de la réforme agraire et quiréunissent d’importantes populations flot-tantes de travailleurs sont autant d’occasionsde mettre en place de vastes programmes deprévention. Le paysage institutionnel concer-nant l’intervention antipaludique est ainsirestitué dans sa globalité, soit les institutionsen elles-mêmes et la manière, d’abord auto-nomes, dont elles sont progressivement inté-grées à l’administration sanitaire, mais aussiles hommes qui les animent et les tâchesqu’elles remplissent. L’ouvrage montrenotamment comment fonctionnent les acti-vités antipaludiques aux différents échelonsadministratifs locaux et provinciaux etcomment la collaboration provinciale parexemple permet, à partir des années 1930,d’augmenter le nombre de dispensaires.

L’ouvrage porte avant tout sur la manièredont s’est déroulée en Espagne métropoli-taine la lutte contre le paludisme, mais lesdeux derniers chapitres du livre ouvrent leterrain d’enquête aux territoires coloniséspar l’Espagne en Afrique du Maroc et enGuinée équatoriale, une extension territo-riale qui permet de comparer les façonsd’agir, différentes selon l’environnement etles populations envisagées. Dans ces colo-nies, les guerres, mais aussi, comme enGuinée, la colonisation agricole et la dété-rioration de l’écosystème qu’elle engendre,ont pour conséquence l’extension de lamaladie. Le processus de colonisationaccroît ainsi le paludisme au sein de la popu-lation indigène. La maladie devient, dans leregard du colonisateur, un « trait » caracté-ristique de l’indigène qui risque de la trans-mettre à l’Européen. Le paludisme d’ailleurscoûte cher à l’armée, parce qu’il immobiliseune partie de la troupe et parce que les fraisd’hospitalisation sont élevés. Au Maroc, lanécessité d’entreprendre une lutte organiséecontre la maladie amène la CommissionPastor, nommée en 1920, à parcourir leterritoire du protectorat et les hôpitaux del’armée, peu adaptés au traitement d’unetelle quantité de paludiques. Des travauxd’assainissement sont demandés mais les

bras manquent. La Commission met enaccusation les responsables militaires maisaussi les médecins militaires au niveau scien-tifique jugé insuffisant. Les carences enmatière d’hygiène, le fort analphabétismeainsi que la méfiance entre le médecin et lemalade freinent également les explicationsvisant à la protection individuelle. Progressi-vement de grands travaux d’assainissementsont entrepris et les dispensaires rurauxdeviennent les principaux organismes d’in-tervention, permettant notamment la distri-bution de quinine. L’intervention médicaledans ces zones se concentre plutôt sur laprotection de la minorité occupante et enGuinée la quininisation à grande échelle estlimitée, dans les faits, à la populationblanche.

La acción médico-social contra el palu-dismo… montre ainsi la complexité de la luttecontre le paludisme. Ce combat à l’échelleinternationale qui associe divers niveaux d’in-tervention à l’échelle nationale, en privilé-giant certains territoires et certaines popula-tions, a contribué au processus plus larged’entrée dans la modernité de la société espa-gnole.

Claire FREDJ

Claudia MOATTI (dir.), La mobilité despersonnes en Méditerranée de l’Antiquité àl’époque moderne. Procédures de contrôleet documents d’identification, « coll. del’École française de Rome », vol. 341, Rome,2004, 745 p.

Le titre de ce volume issu de deux tablesrondes organisées en 2002, l’une à l’ Écolefrançaise de Rome, l’autre à l’E.N.S. deParis, trahit l’ambition du projet conçu parClaudia Moatti et, en même temps, les diffi-cultés méthodologiques inhérentes à unetelle entreprise : analyser, sur une très vastepériode qui court de l’antiquité égyptiennejusqu’au XIXe siècle, les procédures decontrôle des étrangers traversant frontièreset territoires des cités et États de la Méditer-ranée, et ce que ces procédures révèlent de lareprésentation qu’ont les individus de ces

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époques plus ou moins lointaines de leurpropre identité et de celle des Autres.

Au préalable, une ample introduction deClaudia Moatti problématise et, en mêmetemps, fait la synthèse des différentes contri-butions. La problématique tient en une séried’interrogations, qui partent d’un constat :l’incessant mouvement des hommes autourde la Méditerranée depuis la plus hauteAntiquité, un mouvement qui appelle desformes de contrôle diverses et flexibles,directes ou indirectes (par le biais d’institu-tions reconnues) de la part des États.Contrôler, c’est à la fois, nous dit Moatti,définir sa propre identité et celle de l’autre,ce qui conduit inévitablement à s’interrogersur la notion de frontière, sur sa nature« polysémique et fluctuante », une frontièrequi ne correspond pas nécessairement à laréalité géographique de la frontière propre-ment dite, les formes de contrôle pouvants’opérer à l’intérieur de la ville. En mêmetemps, la « confrontation » entre l’Étatrégulateur et l’étranger impose à l’un commeà l’autre une modification de son identité etde nouvelles formes de régulation. Le ques-tionnement ainsi formulé confine à l’his-toire, à la sociologie, voire à l’anthropologie.Il nous fait réfléchir sur les représentationssociales comme sur des procédures adminis-tratives très techniques, pour lesquelles notredegré de connaissance varie considérable-ment d’une période à l’autre (on pense natu-rellement à l’Antiquité).

Sont proposées 25 communicationssuivies chacune d’une bibliographie sélec-tive. À la fin du volume on trouve un indexdes noms géographiques et des noms depeuple. Regroupées en deux ensembles quitraitent successivement des « passages defrontière » et de la « mobilité négociée », lescommunications couvrent un large spectrechronologique et géographique, puisquesont envisagés aussi bien « Le contrôle despassages à la frontière égypto-palestiniennesous les XIe-XVe dynasties » (BernadetteMenu) que la situation des ressortissantsfrançais et de leurs consuls dans les échelles

du Levant et du Maghreb aux XVIIIe et XXe

siècles (Christian Walder). Pour la périodeancienne, les débats tournent principale-ment autour de la manière dont les citésgrecques, d’une part, et Rome, d’autre part,envisagèrent la question du contrôle despersonnes dans leurs espaces géographiquesrespectifs.

Nous rendons compte ci-après des princi-pales contributions intéressant le cas descités grecques, car c’est là, nous semble-t-il,où notre vision des réalités historiques doitle plus s’émanciper de certains préjugés et decertaines simplifications.

De la réalité de la polis grecque et de sarelation avec l’extérieur, la contribution deJ.-M. Bertrand (« Frontières externes, fron-tières internes des cités grecques ») donne unpremier niveau de lecture, qui part deprésupposés théoriques pour arriver rapide-ment à des considérations pratiques.Bertrand nous montre de manière évidentecombien la distance pouvait être grandeentre la représentation idéale donnée parPlaton (Les Lois) et Aristote (Les Politiques)de la polis et la réalité des situations locales.Loin d’être des espaces homogènes seconfondant avec une communauté civiquecohérente, les territoires des cités, auxépoques classique et hellénistique, consti-tuent des ensembles parfois composites,voire discontinus, qui sont le produit desituations historiques particulières. Lesexemples les plus éclairants retenus parBertrand viennent de l’Asie mineure hellé-nistique, pour laquelle la documentationépigraphique apporte des éclairages perti-nents, quoique fragmentaires : regroupe-ment entre deux cités, intégration dans lachôra civique de zones rurales organisées envillages. Dans les deux cas, on constate queles instances civiques centrales ne veulent nine peuvent imposer une harmonisation juri-dique de leurs espaces et que, d’une certainemanière, elles s’accommodent parfaitementd’une discontinuité encadrée par les institu-tions de la cité, pourvu que celle-ci nemenace pas son intégrité politique et

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communautaire. Des frontières statutairestraversent donc la cité et son territoire enleur cœur. Si des ouvertures sont toujourspossibles, quand elles ne sont pas imposéespar certaines situations de tensions (entrecitoyens et dépendants ruraux), il faut rete-nir que les clivages demeurent essentiels etstructurent l’identité de la cité grecquejusqu’à l’époque impériale incluse. Commele dit Bertrand, l’« administration de la citéfait l’expérience de l’altérité à l’intérieurmême de la sphère de son activité » (p. 86).

L’article de Fr. Lefèvre (« Contrôle d’iden-tité aux frontières dans les cités grecques. Lecas des entrepreneurs étrangers et assimilés »)nous fait entrer de plain pied dans le concretdes situations particulières. On mesure ici plusqu’ailleurs la rareté de nos sources qui nousrenseignent si peu sur la nature des procéduresde contrôle. Contrôle superficiel aux fron-tières, contrôle plus approfondi en ville, lors-qu’il s’agit de s’assurer de l’identité desouvriers et autres artisans (cela peut aller dusculpteur au médecin), qui se rendent pour lapremière fois dans une cité pour y être embau-chés, ou qui y reviennent en se prévalant d’unprivilège octroyé par ladite cité au cours d’unséjour précédent. Lefèvre attire notre attentionsur deux problèmes particuliers : Quicontrôle ? On constate à cet égard que l’iden-tité des responsables chargés de cet office estfonction de la qualité des étrangers rendusdans la cité. Comment contrôler (ce quirevient, comme le suggère l’auteur, à s’interro-ger sur les manières de prouver son identité) ?Ici, l’oral le dispute à l’écrit. Si le sophisteréputé ou le médecin illustre peut solliciter destémoignages oraux, l’homme du commundoit faire valoir des documents ou des objetsd’identification concrets (sceau, lettres derecommandations, copie de tel décret honori-fique voté dans une autre cité...). L’impressionlaissée est celle d’une grande diversité, voired’une certaine hétérogénéité dans les procé-dures de contrôle. Mais souplesse ne signifiepas inorganisation. Lefèvre rappelle à bonescient combien Cicéron admirait la qualitédes systèmes d’archivage mis en place par lescités grecques (De legibus, III, 20).

La contribution de L. Migeotte (« La mobi-lité des étrangers en temps de paix en Grèceancienne ») se lit dans la suite de celle de Fr.Lefèvre. L’auteur s’intéresse plus particulière-ment au sort que les cités (hellénistiquesnotamment) réservaient en temps de paix (àcet égard, l’article d’A. Chaniotis, “Mobilityof Persons during the Hellenistic Wars: StateControl and Personal relations”, se situe enregard de celui de L. Migeotte) aux étrangers,qu’ils fussent de passage (on les qualifiait dexénoi) ou résidents (ils entraient alors dans lacatégorie des métoikoi). Son analyse met enévidence à la fois l’ouverture des cités auxindividus venus de l’extérieur et, en mêmetemps, la souplesse des procédures decontrôle. Les lignes consacrées aux métèquessont particulièrement éclairantes à ce sujet.On y voit rappelé ainsi que l’aspirantmétèque devait trouver parmi les citoyens dela cité qui l’accueillait un garant (« pros-tatès »), qui l’assisterait dans les démarchesd’enregistrement auprès des autoritéscentrales. Une fois cette étape franchie, il n’yavait plus alors d’autres procédures decontrôle. En particulier, le droit de résidencene semble pas avoir été, loin de là, une notionsystématiquement appliquée.

Au total, l’ensemble des contributionsrassemblées dans ce recueil, dont nousn’avons donné qu’un bref aperçu, fournit detrès utiles clefs de lecture. Le monde des citésgrecques, en particulier, nous apparaît moinslointain et fantomatique que ce que les livresd’histoire nous donnent à voir traditionnelle-ment. Cet ouvrage a le double mérite de nousfaire entrevoir la variété des procédures admi-nistratives qui visent au contrôle des mouve-ments de population, mais surtout de donnerde la polis grecque une image moins monoli-thique, c’est-à-dire plus vivante.

Henri FERNOUX

Ole J. BENEDICTOW, The Black Death,1346-1353, The Boydell Press, Woodbridge,2004, 433 p.

Du nouveau sur la peste, ce livre n’enapporte que partiellement. Il s’agit plutôt

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d’une honnête synthèse, fruit d’une compi-lation, un livre rassemblant des informationséparses, en somme un travail qui pourraitêtre d’autant plus utile qu’il est vraimentancré sur la Peste Noire proprement dite.Que le lecteur n’attende pas de révélationsrévolutionnaires, mais plutôt une mise aupoint. Nous sommes très loin de la qualitéun peu provocatrice mais intellectuellementexcitante, de l’essai de Fréderique Audoin-Rouzeau (Les chemins de la peste, le rat, lapuce et l’homme, Rennes, Presses Universitai-res de Rennes, 2003, 371 p.). Ici l’approcheest sage, presque banale.

Le plan est sommairement construit enforme de commode : un tiroir pour ladéfinition de la maladie (c’est un peu utile).Un gros tiroir est consacré à la diffusionterritoriale de l’épidémie. Il est sagementrangé en petits chapitres (24 en tout, duCaucase à la Russie en passant par toutel’Europe). Peu de tableaux et une seule cartepour ce monceau d’informations plutôtchronologiques. C’est pratique mais sèche-ment descriptif. Quelques pages finalesconsacrées au modèle d’expansion consti-tuent un discours plutôt convenu sur ce quel’on sait déjà : rôle des axes de déplacement,problèmes de densité (analyse au reste discu-table), saisonnalité, distinction entre pestebubonique et peste pulmonaire.

Le tiroir mortalité qui achève le livre neconstitue pas non plus un décisif moment desynthèse. À des réflexions très générales sur ladémographie médiévale, succède un correctmais bref rappel à propos des sources et desméthodes. La suite est attendue : l’auteurépluche pour quelques pays (Espagne, Italie,France, Savoie, Belgique, Angleterre), cequ’on peut savoir par bribes sur la mortalité.L’évaluation globale d’une mortalité de lamoitié de la population européenne sinonplus (p. 383), a déjà été avancée mais c’estune affirmation qui repose sur des hypothèsesplus ou moins vérifiables et des exemples rest-reints. On ne voit pas très bien à quoi elles’applique chronologiquement. De toutesmanières, elle paraît nettement excessive. On

ne saurait reprocher à l’auteur la limitation deses sources, mais il est légitime de regretterqu’il ne développe pas davantage soninterprétation. Sa réflexion finale sur lanotion de « turning point in history » auraitappelé un peu plus de sept pages. On yapprend que la Peste Noire a été un événe-ment de grande importance qui a eu des effetssur le fonctionnement socio-économiqueeuropéen en desserrant l’étau de la croissanceet en suscitant une nouvelle approche de lamort : en soi, cette lecture ne constitue pasnon plus une découverte très bouleversante.

Ce livre apportera sans doute à l’érudit desinformations locales peu connues. Le lecteurpourra y trouver un répertoire bibliographi-que assez abondant. L’ouvrage ne constitueassurément pas une synthèse fondatrice surun sujet connu qui reste à redécouvrir. S’ilprend en compte les travaux les plus récents,il ne remplace pas la toujours fondamentaleœuvre de Jean-Noël Biraben.

Jean-Pierre BARDET

La famille, les femmes et le quotidien (XIVe-XVIIIe siècles), textes offerts à ChristianeKlapisch-Zuber, sous la direction de IsabelleCHABOT, Jérôme HAYEZ et Didier LETT,Paris, Publications de la Sorbonne, « Hommeet société, 32 », 2006, 463 p.

Comme tout mélange qui se respecte, cetouvrage veut rendre d’abord hommage à unefigure importante de l’historiographiecontemporaine. En retraçant, dans lesdétails, le parcours scientifique et en insi-stant sur les choix méthodologiques adoptéspar Christiane Klapisch-Zuber, il convie lelecteur à la rencontre d’une historienne qui arésolument contribué à la connaissance de lasociété et de la culture de l’Italie médiévale.De son premier ouvrage, Les maîtres dumarbre publié en 1969, à L’ombre des ancê-tres, publié en 2000, et à L’arbre des familles,publié en 2003, elle s’est imposée commeune historienne d’exception. La cohérencede son parcours scientifique, le nombre deses ouvrages, de ses articles et de ses contri-butions ainsi que la passion qu’elle a

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toujours mise au service de la transmissiondu savoir par l’enseignement en témoignentà l’évidence.

Le volume est agencé autour de deuxtemps forts. Une première partie esquisse unportrait vibrant de l’exceptionnelle carrièrede C. Klapisch-Zuber ainsi que de sa géné-reuse personnalité. C’est d’ailleurs à l’auteurlui-même qu’il revient de dresser une sorted’autoportrait, démarche qui, il faut lesouligner, est assez rare dans ce genre d’ini-tiative éditoriale. À l’auteur donc de seraconter. Retraçant les grands temps de saformation et de sa recherche, elle insiste toutparticulièrement sur la haute idée qu’elles’est toujours faite de son métier et sur l’exi-gence – qui l’a guidée depuis ses débuts àl’École des Hautes Études en Sciences Socia-les où, depuis 1979, elle occupe le poste dedirecteur de recherches – de faire convergerla passion des archives, coffres de la mémoired’antan, et l’enseignement qui, dans latransmission du savoir, oblige l’historien à seconfronter aux autres. Jacques Le Goff, lepremier, dans un hommage poignant, luireconnaît de grandes qualités à la fois en tantque chercheuse et en tant qu’enseignante. Ily a un jeu de miroir entre ses incursions dansles archives florentines et ses séminairesconsacrés aux cultures et à la société descités-États italiennes entre le XIVe et le XVe

siècle. Tout au long de ses travaux, elle aœuvré pour approfondir les connaissanceshistoriques sur la cellule familiale et lessystèmes de parenté qui structurent lasociété. Elle a également permis de mieuxsaisir les dynamiques de la construction del’identité sexuelle, apportant ainsi sa contri-bution aux gender studies qui, après lecourant des women’s studies, développésurtout outre-Atlantique, sont une des voiesprivilégiées par l’historiographie actuelle.C. Klapisch-Zuber a toujours cru indispen-sable de partager, d’écouter et d’interrogerdans une confrontation constante avec sessources et avec ses élèves et ses collègues.

Dans sa démarche historienne, la spécia-liste de Florence a su adapter son approche

aux avancées accomplies par la science histo-rique. Ainsi, l’impulsion de la démographiehistorique, notamment en France à partirdes années 1960, et l’impact que joua ledéveloppement de techniques pour traiterdes données sérielles, ont marqué en profon-deur son travail sur le catasto florentin de1427 conduit avec David Herlihy. Qu’ils’agisse des témoignages de collègues italienscomme Giulia Calvi et Maurizio Bettini, oudes témoignages anglo-saxons de FrancisWilliam Kent, tous mettent en avant lecaractère novateur des enquêtes deC. Klapisch-Zuber. Faisant de l’anthropolo-gie historique son précepte méthodologique,elle s’est intéressée à l’histoire sociale enprivilégiant l’approche interdisciplinaire,attentive à la fois aux structures matérielles,à l’imaginaire et à la représentation sociale.C’est en croisant les sources et les disciplinesqu’elle a su proposer une irruption dans lequotidien de la vie florentine des XIVe et XVe

siècles à travers l’étude de la famille, desfemmes, des rituels et des liens de parentéauxquels elle consacre une étude étoffée surles représentations imagées de l’arbre généa-logique. Se penchant sur le cas florentin, ellea toutefois rappelé l’importance d’un com-paratisme entre Occident et Orient.

L’espace domestique, la famille et la villeconstituent le territoire privilégié de sesenquêtes. Au cœur de ces espaces, entreindividualité et collectivité, les femmes tien-nent un rôle majeur. Étudiant les systèmesdotaux dans la Florence de la fin du MoyenÂge, le rituel du mariage, la question duveuvage et le fonctionnement des lignagesflorentins, C. Klapish-Zuber a contribué àforger une histoire globale de la société del’époque, combinant comme le souligneJacques Le Goff, « une macrohistoire desgrands problèmes d’une société avec lamicrohistoire de la vie quotidienne, de la vieprivée, de la vie matérielle ».

L’heure est donc au croisement des sour-ces, celles qui reflètent, comme l’hagiogra-phie, un regard masculin porté sur le fémi-nin, les sources d’archives qui témoignent de

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la présence des femmes dans la vie quoti-dienne et les témoignages d’écriture fémi-nine.

Une deuxième partie de l’ouvrage réunitde nombreuses contributions qui dans leurdiversité thématique, offrent un large aperçudes recherches que l’historienne a su inspirerdans le domaine de l’histoire sociale, del’histoire culturelle ou artistique. Quatrevolets thématiques résument les grandsthèmes chers à l’auteur : la démographie,l’histoire de la famille et des femmes, l’his-toire du quotidien vécu entre rituels et prati-ques sociales.

Le premier est consacré aux âges de la vie.L’étude d’une gravure de Francesco Rosselli,réalisée entre 1474 et 1490, est l’occasion demesurer la place de la jeunesse dans la viereligieuse de la cité. Destinataires privilégiésdes prédicateurs, les enfants se trouventégalement au cœur de l’exercice de lacharité, un des fondements essentiels de lavie dévotionnelle. Grâce aux travaux deC. Klapisch-Zuber, l’on connaît mieux l’im-portance des livres de famille florentins pourapprocher la société de l’époque et pourcomprendre les processus de la constructiond’une mémoire familiale. L’exemple du livrede Lowys Porquin écrit en 1573, et quis’inspire de l’histoire de Cepparello, grandpécheur, racontée par Boccace, permet dedéplacer le regard sur une écriture person-nelle qui vise plutôt à la transmission d’uneexemplarité dévotionnelle destinée auxdescendants à venir.

Après ce premier volet, de nombreusescontributions donnent large place à laquestion des femmes dans les sociétés médié-vales. Les veuves et le problème de la dot,l’accès au patrimoine ainsi que sa restitutionaprès décès sont au cœur des analyses. Les casde figure sont nombreux, ce qui implique unregard nécessairement attentif aux réalitésjuridiques de l’espace étudié. L’histoire dudroit est donc fondamentale notammentpour traiter l’épineuse question de la placedes veuves dans les règlements successoraux.Au cœur de la vie économique du foyer

domestique, la gestion du patrimoine revientsouvent aux femmes. Si ses travaux surFlorence ont montré, surtout à la lumière desRicordanze, à quel point les femmes étaientreléguées au domaine de l’intimité de lamaison, dans d’autres espaces, par exemplecelui de Venise, nombreuses sont les femmesqui travaillent et qui ont un rôle importantdans les échanges, la production et lecommerce. D’autres réalités permettent doncde relativiser l’exemple florentin. Les différen-ces d’âge entre mari et femme sont souventimportantes, ce qui conduit à avoir un grandnombre de veuves. Les prédicateurs de l’épo-que, saint Bernardin en premier lieu, pren-nent en compte cette réalité et proposent desmodèles de conduite pour le veuvage. Laprophétesse Anne, dont l’histoire est relatéedans l’Évangile de Luc, est un de ces modèlesque les prêches et l’iconographie mettent enavant pour esquisser le portrait de la bonneveuve : celle-ci doit être comme un homme,virile, forte, stable et mesurée.

Un troisième volet est consacré au thèmede l’alliance. Là encore, l’interdisciplinaritéest à l’honneur, car le mariage et les liens deparenté sont étudiés à la fois du point de vuejuridique, rituel et iconographique. Lesfameux cassoni peints, dont on connaît laplace qu’ils ont eue à la fois dans l’ouvert ducortège matrimonial et dans l’intime de lachambre nuptiale, en sont un très bon exem-ple. Le mariage chrétien est aussi étudié ensuivant le regard que d’autres communautésont pu avoir et notamment celui des juifs àtravers le récit exceptionnel de deux lettresjuives écrites à Cento en 1578.

Un quatrième et dernier volet pose laquestion de l’espace et des acteurs, les femmesy sont nombreuses, de la convivialité. Desthermes en vogue dans l’Italie des XIVe et XVe

siècles aux rapports épistolaires entre Fran-cesco Datini et sa femme Margherita, lesrapports entre les sexes et la constructiond’une identité sexuée apparaissent comme lesfondements de la vie en société.

Les contributions offertes à C. Klapisch-Zuber, réunies au sein de cet ouvrage, sont si

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riches qu’il est impossible de les résumer icien détail. Elles posent dans leur ensembledes interrogations et esquissent une métho-dologie dont l’historienne de Florence a étél’intelligent précurseur. Au cœur de cettehistoire socioculturelle attentive aux indivi-dus, aux rapports qu’ils entretiennent, auxrituels et à la culture matérielle, il est indis-pensable de croiser les sources et de faire del’interdisciplinarité une nécessité méthodo-logique. C’est assurément un des enseigne-ments majeurs du travail de cette histo-rienne. De la démographie historique audroit, de l’histoire de l’art à la littératureprofane et sacrée, des testaments aux regis-tres comptables et notariés, l’historien,encore une fois et toujours, doit être cet ogrede la légende décrit par Marc Bloch : « Lebon historien, lui, ressemble à l’ogre de lalégende. Là où il flaire la chair humaine, ilsait que là est son gibier. »

Andrea MARTIGNONI

Gregorio SALINERO, Maîtres, domestiqueset esclaves du Siècle d’or, Madrid, Casa deVelázquez, 2006, VI+70 p. (avec vingt-deuxdessins à la plume d’Alexis de KERMOAL).

L’un des apports majeurs de cet ouvragetient au fait que l’auteur analyse non seule-ment les relations entre maîtres et dépen-dants (il entend par là les domestiques et lesesclaves), mais aussi celles entre serviteurslibres et esclaves, les premiers exerçant pardélégation sur les seconds, l’autorité dumaître. Au fil des pages, on observe donccomment les esclaves sont pris dans unedouble, voire triple, dépendance : soumis àleur propriétaire, à leur maître (les deux necoïncidant pas nécessairement) et auxdomestiques, ils font partie d’un systèmedont ils n’ont guère de chance de sortir, ceque reflètent les dessins d’A. de Kermoal(1958-2002). Réflexion historique et art serépondent en effet, donnant à voir la vie àTrujillo dans la seconde moitié du XVIe

siècle.Après un avant-propos qui présente les

diverses facettes de l’œuvre d’A. de Kermoal

(gravures, encres, peintures…), G. Salinerorappelle que l’on a longtemps minimisé laprésence des esclaves dans l’Espagne clas-sique. Cette étude s’inscrit donc dans lalignée des travaux qui réfutent cettecroyance, notamment ceux d’Aurelia MartínCasares (La esclavitud en la Granada del sigloXVI. Género, raza y religión, Granada,Universidad de Granada, 2000) et d’Ales-sandro Stella (Histoires d’esclaves dans lapéninsule Ibérique, Paris, École des HautesÉtudes en Sciences Sociales, 2000).

L’introduction souligne les caractéris-tiques de Trujillo, en Estrémadure, villeroyale entre deux mondes (voir du mêmeauteur, Une ville entre deux mondes, Trujillod’Espagne et les Indes au XVIe siècle, Madrid,Bibliothèque de la Casa de Velázquez,2006), de taille moyenne, où l’occupationde l’espace reflète la hiérarchie sociale – villehaute réservée à la vieille noblesse, faubourgplutôt populaire, huertas marquées par l’ha-bitat paysan –, avant de présenter les sourcesde ce travail, soit une centaine de volumi-neux registres notariaux. Ces documentsextrêmement variés (testaments, inventairesde biens, donations, ventes, procurations,etc.) fournissent, tout au long des analysesqui suivent, nombre d’exemples précis. Ilfaut signaler que l’étude conjointe de cesdeux types de dépendants ne débouchejamais sur la simplification, l’auteur s’atta-chant d’emblée à marquer les différencesentre domestiques et esclaves par l’analysedu vocabulaire. Il constate ainsi que, face àla variété des termes qui désignent lesdomestiques – la pyramide des métiers deservice se complexifiant avec le rang dumaître – seuls deux noms, esclavo et cautivo,renvoient aux esclaves. Les enfants d’esclavesy échappent cependant et sont qualifiés,comme les jeunes serviteurs, de cría, niño ouniña.

Le premier chapitre montre qu’acheter unesclave à Trujillo est aisé, même si la villen’est pas un marché esclavagiste important.Il faut compter environ 73 ducats pour unhomme et 95 pour une femme, ce qui, sans

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être négligeable, permet à des familles declasse moyenne de s’en procurer. On trouvedonc, parmi les acheteurs, des membres dela noblesse, mais aussi des marchands et desartisans, d’autant plus que le coût du servicedomestique dépasse largement l’investisse-ment dans l’achat d’un esclave. On regrettel’absence de données chiffrées sur le salairedes domestiques, les sources n’en faisant pasétat. L’auteur discute d’ailleurs le termesalaire qui, selon lui, convient mal pourévoquer la rémunération des domestiques,puisque la plupart des maîtres assurent loge-ment et nourriture, mais ne soldent leursdettes qu’à l’occasion de la rédaction de leurpropre testament. La dépendance matérielledes domestiques peut ainsi se prolongerindéfiniment s’ils passent au service d’unhéritier du maître, ce moyen étant fréquem-ment utilisé pour différer encore le paiementdes gages.

Il est donc essentiel de savoir qui sont lesmaîtres pour pouvoir évaluer les conditionsde vie des dépendants, ce que l’auteur faitdans le second chapitre, où il prouve que lesdomestiques sont employés par un nombreréduit de familles fortunées, alors que lesesclaves sont plus uniformément répartis.Présents dans des familles plus modestes oudont l’un des membres au moins est partiaux Indes (d’où la forte part des femmesseules parmi les maîtres d’esclaves), ilsapportent, par leur travail, un substantielcomplément de ressources.

Le troisième chapitre concerne les admi-nistrateurs, « véritable aristocratie » duservice. Ces hauts domestiques qui gèrentdes domaines, des rentes ou des chapelle-nies, ont des gages exprimés en ducats, alorsque les gages du commun des serviteurs sontcalculés en maravédis. Enfin, plusieurs para-graphes sont consacrés aux domestiques duRoi ou des Grands de passage, qui peuventservir d’intermédiaires entre les personna-lités locales et la Cour.

Les deux derniers points abordés secomplètent en ce qu’ils traitent des tâchesassignées aux dépendants. L’auteur souligne

que seuls les domestiques sont aptes à repré-senter le maître via une procuration. Enrevanche, lorsqu’il s’agit de défendre sesintérêts, et de servir de bras armés dans lesbandos, domestiques et esclaves sont égale-ment mobilisés. Notons que, souvent, lesdémêlés avec la justice se soldent par leversement de cautions ou d’indemnités, lesmaîtres rachetant ainsi la conduite de leursgens. En ce qui concerne le service propre-ment dit, les tâches confiées aux domes-tiques tiennent logiquement à l’âge et ausexe. Les enfants et adolescents, certainsplacés par des fondations pieuses, sont pagesou écuyers, quand ils ne sont pas confiéscomme apprentis à des artisans, le tempsd’acquérir de nouvelles compétences dont ilspourront ensuite faire bénéficier leur maître.L’analyse des liens étroits entre domesticitéet apprentissage ouvre à ce propos des pistesintéressantes, qui vont à l’encontre d’uncloisonnement de la société en sphères d’ac-tivités.

On observe des points communs entre lestâches (ménagères et subalternes) attribuéesaux servantes et aux esclaves ; les secondshéritant des plus pénibles. L’auteur n’éludepas l’épineuse question des liens affectifsentre maîtres et dépendants, et ne se bornepas à évoquer les enfants nés de relationsentre maîtres et servantes/esclaves, maisaffirme qu’il n’y a pas forcément de contra-diction entre attachement affectif et dépen-dance matérielle. Il relève des cas deconfiance mutuelle, cite les facteurs favo-rables à son éclosion, et ses manifestationsmatérielles (dons essentiellement). Il évoqueaussi les processions funéraires où l’on meten scène l’affection (réelle ou feinte) que lessubalternes portent au maître défunt. Celan’empêche évidemment pas les conflits,même si, à ce sujet, les archives sont peuéloquentes, seuls les cas les plus gravesamenant les maîtres à porter plainte. Quantaux domestiques, ils font rarement appel à lajustice. Le seul moyen qu’ils ont de mettrefin à une dépendance insupportable consistedonc à partir pour les Indes. Néanmoins,même lorsque le serviteur ne part pas avec

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son maître, mais avec quelqu’un qui lui faitprofiter de sa licence royale contre un tempsde service à destination, il est perdant. Onapprend ainsi que, pour certains candidatsau départ, entrer en domesticité est le plussûr moyen de quitter l’Espagne. Sur lesbateaux, domestiques réels et de fortune, seretrouvent, tous victimes d’un leurre quiprend l’aspect d’une rigoureuse dépendanceà l’arrivée.

Enfin, la question de l’affranchissementdes esclaves est abordée, que ce soit par lerachat (rare), ou sur décision du maître.Dans ce cas, il est souvent soumis à condi-tion, et peut n’intervenir qu’après une vie deservice, lorsque l’esclave, âgé ou malade,n’est plus un instrument de travail efficace.Quoi qu’il en soit, la libération n’est pas gaged’intégration ni de promotion sociale, l’es-clave ne pouvant subvenir seul à ses besoins.Au mieux, il devient domestique. La plupartdes actes concernant les esclaves ne sontdonc pas des cartas de libertad, mais destransactions où l’on énumère leurs signesdistinctifs (dont le marquage au fer), afin defaciliter leur identification en cas de fuite.D’ailleurs, seuls les fuyards, ou ceux qui ontcommis des forfaits pour le compte dumaître, sont poursuivis par la justice. Pourtout autre délit, le maître est seul juge.

En conclusion, l’auteur rappelle quedomestiques et esclaves partagent une mêmedépendance, mais que seuls les esclaves fontl’objet d’une réelle ségrégation. Ils sont ainsiparadoxalement maintenus à l’écart de la viereligieuse, alors qu’ils sont baptisés, et de lavie sociale, à laquelle ils participent pourtantpar leur travail.

Sara PECH

Claudia PANCINO, Jean D’YVOIRE,Formato nel segreto. Nascituri e feti traimmagini e immaginario dal XVI al XXIsecolo, Roma, Carocci, 2006, 192 p.

Le dévoilement de l’image du fœtusconstitue un processus ancien et continu quia commencé par le biais du dessin ; il

s’achève à l’heure actuelle par les appareilséchographiques, modernes et puissants.C’est cette histoire, celle de la représentationdu fœtus dans la mentalité occidentale, queClaudia Pancino et Jean d’Yvoire entendentretracer dans ce livre.

Il n’y a pas si longtemps, c’est-à-dire avantl’utilisation massive de l’échographie, lefœtus, engendré « dans le secret du ventrematernel », y demeurait inaccessible etmystérieux, et c’était l’accouchement quimarquait la véritable naissance, l’uniquesource de chaque existence humaine. Defait, la vie prénatale ne trouvait une quelcon-que forme de réalité que dans la relationaffective, intime et privée que la mère entre-tenait, pendant la période de la grossesse,avec celui qui dans l’imaginaire collectif étaitdéjà perçu comme un enfant.

Les auteurs examinent l’iconographiedont le fœtus fut l’objet à partir du XVIe

siècle. Ils retracent les mutations qui ont peuà peu façonné ses représentations. Ils perçoi-vent l’ensemble comme un processusprogressif au sein duquel des figures plutôtapproximatives, relevant de la fantaisie etd’imaginaires historiques et culturels spécifi-ques, sont peu à peu remplacées par desimages scientifiques, « vraisemblables », quidonnent ainsi l’illusion d’une plus fidèlereprésentation du réel.

Mais loin de se réduire à une simplehistoire d’images, l’ouvrage se donne pourobjectif principal de révéler les influencesque ces représentations iconographiques onteues sur la perception sociale et sur laconstruction de l’imaginaire collectif dufœtus et de l’embryon. En présupposant unrenversement de l’articulation philosophi-que entre le réel, le symbolique et l’imagi-naire, les auteurs mettent l’accent sur ladiffusion des représentations du fœtus dansle social, posant cependant une certaineprééminence de l’histoire culturelle de l’ima-ginaire liée à la filiation sur une approched’histoire sociale. Dans cette étude, laperception de la filiation et de ses transfor-mations au fil du temps, se révèle fortement

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déterminée par l’histoire de la science et dela profession médicale, qui aurait ainsi pro-fondément modifié les sensibilités vis-à-visdu « ruit de la conception ».

Ainsi, à travers l’analyse critique des repré-sentations de l’enfant en devenir, il s’agitaussi ici de susciter un enrichissement del’espace de la réflexion dans le contexte desdébats actuels touchant la maternité et lesnouvelles technologies, et de soulever unesérie de questions quant au pouvoir quecertaines images, technologies et idéologiespeuvent avoir sur notre vision du monde etsur nous-mêmes.

La première partie du livre forme unedescription de la transformation de cette« abstraction graphique » qui, en parallèle eten conformité avec d’autres abstractions de lapensée religieuse, politique et culturelle,aurait abouti à ce que Claudia Pancino ap-pelle « l’invention du fœtus ». À travers lesimages du fœtus, l’historienne propose uneréflexion, d’une part sur le rapport entre« mentalité collective » et connaissance scien-tifique, d’autre part sur le poids que la repré-sentation et la description médicale ont eu surl’élaboration du rapport mère-enfant et surses transformations successives. Dans leséléments qui caractérisaient les dessins desmanuels destinés aux sages-femmes, ou dansles modèles de cire ou d’argile construits pourles étudiants, Claudia Pancino retrouve etnous expose une certaine cohérence quireflète l’imaginaire général de l’époque. Enréalité, dans toutes les représentations anté-rieures au XVIe siècle, le fœtus n’apparaît quedans le corps de la mère, ou mieux dans sonutérus. Il est toujours représenté comme unenfant, voire comme un petit homme, oubien comme un « putto » qui s’amuse, quibouge et qui joue tout en reproduisant l’ima-ginaire historico-culturel, socialementpartagé, de l’enfant et des attitudes qui luiétaient associés. En outre, l’importance dulien affectif entre la mère et l’enfant renvoyait,souligne l’historienne, à une certaine façon deconceptualiser, dans une fonction notam-ment reproductive, la femme et son corps.

Claudia Pancino étudie l’iconographie reli-gieuse du temps, en particulier les fréquentesreprésentations de la Vierge avec l’enfant Jésusdans son ventre, symbole de sa dévotion et dumystère de l’Immaculée Conception, quiconstituent l’ultime témoignage d’un « espritdu temps » aussi général que diffus. Cepen-dant l’iconographie anatomique de la Renais-sance marque le début du « dévoilement » dusecret dont le fœtus faisait jusqu’alors l’objet.

Les connaissances acquises à travers la prati-que de la dissection permettent à Léonard deVinci de dessiner, pour la première fois, dansun utérus ouvert, un fœtus et non un enfant.Toutefois les liens avec la mort, que ces repré-sentations semblent entretenir par le faitmême qu’elles émanent de l’étude des cada-vres, paraissent retarder, d’une certaine façon,le processus de ce dévoilement.

Ce n’est qu’au XVIIe siècle que la conver-gence entre les intérêts médico-scientifiqueset religieux autour de la question de la créa-tion de l’être humain paraissent donner l’im-pulsion à la recherche sur le fœtus et sondéveloppement. À en croire Claudia Pancino,les États européens, confrontés à cette époqueà des problèmes de peuplement, semblenteux-mêmes trouver avantage aux progrès dece type de connaissance.

Au XIXe siècle, les nouveaux perfectionne-ments techniques marquent une importantecésure avec le passé : ils permettent de recon-struire les différentes phases qui permettent àl’embryon de devenir enfant. Une des consé-quences les plus importantes de ces avancées,c’est qu’elles débouchent sur l’idée d’autono-mie et d’indépendance du fœtus que lesimages semblent attester. Le fœtus apparaîtcomplètement libéré des relations physiquesaussi bien qu’affectives entretenues avec samère. On est loin des précédentes symbiosesmaternelles et même l’utérus qui jusque-là lecontenait, s’évanouit.

Il devient, d’abord dans les images, et ensuitedans les « mentalités », un être en soi, avec sapropre vie biologique qui précède l’accouche-ment. « Il y a dans ces figures-là quelque chosede monstrueux... », écrit Claudia Pancino en les

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commentant. Pour la même époque, elle repèreun autre changement aussi important quiconcerne la médecine elle-même. Jusque-làsavoir et pratique, la médecine paraît assumerun nouveau rôle institutionnel et idéologiqueen Occident. L’influence des savoirs médicaux aeu des conséquences de plus en plus importan-tes sur la culture, sur les imaginaires collectifs,sur la société tout entière et sur l’opinion publi-que. Ainsi, ce n’est que dans le courant du XXe

siècle, au moment où l’image du fœtus sort dumonde scientifique et qu’il fait son entrée dansla vie quotidienne et ordinaire, que le « secret »s’achève.

La fin du secret sur le fœtus a modifié lasensibilité, a transformé l’attente. Aujour-d’hui l’embryon est au centre de nombreuxdébats moraux, puisque le développementde la médecine et de ses technologies apermis de « voir » le fœtus, anticipant ainsisa présentation au monde et donc son exis-tence sociale.

L’imagerie médicale, présentée par Jeand’Yvoire, est vue comme l’élément qui, dansles faits, a influencé le plus les comportementsparentaux. Une des principales nouveautésqui a transformé la naissance d’un êtrehumain vient de l’articulation d’une doubletemporalité : d’un part celle de l’arrivée biolo-gique et de l’autre celle d’une reconnaissancesociale qui, du fait de l’image, survient bienavant la naissance effective. Ainsi, l’imageriemédicale impose un changement radical enfaisant de la naissance un résultat plutôt qu’undébut de l’existence. C’est à propos de cettevision, que Jean d’Yvoire parle de « révolutionconceptionnelle » pour indiquer le passaged’une parentalité instinctive à une procréationconsciente, de la reproduction laissée auhasard à la reproduction choisie.

La « révolution conceptionnelle » changeles discours aussi bien que les pratiques, elleconcerne les individus dans leurs existencesprivées et en même temps elle touche lasociété tout entière et les conditions des rela-tions sociales.

En se référant à Marcel Gauchet, Jeand’Yvoire souligne le paradoxe entre le côté

biologique de la sexualité et un autre aspect,celui-là subjectif ; une tension entre leprocessus d’individualisation de la procréa-tion et la progressive autonomie du nouveau-né qui suscite de nombreux débats sur lestatut juridique et moral de l’embryon. Enfait, en posant un regard critique sur le droitfrançais, Jean d’Yvoire juge inadéquat toutessortes d’interprétations visant à définir l’em-bryon à partir de la distinction traditionnelleentre la res et la personne juridique.

L’histoire du dévoilement du fœtus et lariche iconographie qui l’accompagne serévèlent tout à fait passionnantes. Lesauteurs s’efforcent d’offrir un regard globalsur la société qui prend en considération lescontextes culturels, religieux et scientifiques.Pourtant on a parfois l’impression que lascience et ses technologies sont des réalitésdominantes et que les hommes qui, parailleurs, non seulement les utilisent maissurtout les produisent en permanence, sontmis un peu trop à l’écart. Comme des magi-ciens qui auraient perdu le contrôle de leurspropres créations, ils n’ont plus qu’à subirles effets d’une technologie, peut-être unpeu trop autonome.

Roberta RUBINO

Jacques GELIS, Les enfants des Limbes.Mort-nés et parents dans l’Europechrétienne, s. l., Audibert, 2006, 396 p.

Voilà un livre qui se médite. Il pose desquestions qui touchent de très près à nosmentalités contemporaines en même tempsqu’il apporte une masse d’informationsconsidérable sur des comportements sociauxtrès éloignés des nôtres dans leurs manifesta-tions concrètes.

Nous savons que tous les enfants conçus nesont pas appelés à naître : entre le moment dela conception et celle de la venue au monde, laperte est considérable. « Quand vient l’enfantmort », selon le beau titre trouvé par JacquesGélis, est encore pour beaucoup de parentsaujourd’hui, une expérience douloureuse quine manque pas de culpabiliser les géniteurs, en

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particulier la mère. Il y a un siècle et demi, oncomptait 3,6 mort-nés pour 100 naissances,soit environ 36 000 nés sans vie pour 1million de naissances (données de 1865).36 000 foyers connaissaient donc chaqueannée l’épreuve d’un accouchement sans quel’enfant donne signe de vie. Sans compter lesfausses couches pendant toute la durée de lagestation, les enfants qui ne respirent quequelques instants et meurent avant l’inscrip-tion à l’état civil, l’expérience de la perte d’unenfant mort très prématurément n’est pasmarginale, loin de là. C’est au contraire unphénomène tangible, statiquement, et sensible,humainement. Le Code civil fera des enfantsmorts avant la déclaration de naissance unecatégorie spécifique dite plus tard par lesservices de la statistique « faux mort-nés ».

La mort rode autour de la vie. Pendant desdécennies, et même des siècles, ces enfants-làont connu des sépultures à part, voire pas desépulture du tout : leur destin était quasimentescamoté. Depuis très peu de temps enFrance, on s’est préoccupé, suivant en cela cequi se faisait dans les pays scandinaves, enparticulier au Danemark, d’accompagner lesparents dans la souffrance de la perte de leurenfant. Des rites ont été mis en place dans leshôpitaux, et d’abord dans la maternité Jeannede Flandre de Lille (voir Catherine Legrand-Sébille, Marie-France Morel, Françoise Zona-bend (éd.), Le fœtus, le nourrisson et la mort,Paris, L’Harmattan, 1998). Peu à peu, lapratique s’est répandue de considérer cesenfants comme des personnes à part entière,ce qui a provoqué jusqu’à un changementdans les réglementations. Sans existence légaleautrefois, excepté le bulletin d’« enfant sansvie », l’enfant mort-né peut aujourd’hui êtreinscrit sur le livret de famille de ses parents : ilest reconnu par la société et trouve sa placedans la fratrie. On refuse aujourd’hui de fairecomme si certaines grossesses étaient niées, etpour cela, des spécialistes accompagnent lesparents dans leur travail de deuil. Cette prisede conscience, très récente puisqu’elle datedes années 1990, est certainement à relier àune évolution majeure : celle d’une transfor-mation des droits de l’homme qui touche à la

fois ceux de l’embryon et du fœtus – et cesderniers sont des personnes, et ceux desusagers – et les parents des enfants mort-néssont des usagers des services publics.

Or, ce que Jacques Gélis démontre, c’estqu’une telle prise en charge des parents d’en-fants mort-nés s’était mise en place depuis leMoyen Âge dans l’Europe marquée par lechristianisme. L’auteur nous invite donc àfaire le pont entre des prises de consciencerécentes liées aux droits de l’homme et cequi tissa le lien social pendant des siècles dechrétienté. Issu de plusieurs décennies derecherches et fondé sur des investigationsérudites, le livre de Jacques Gélis est uneinvitation à s’immerger dans une sociétébien différente de la nôtre. Une société danslaquelle le salut de l’âme importait, aussibien aux ecclésiastiques qu’au peuple, plusencore que la survie physique. On se trouvedans une société, bien décrite par les histo-riens de la famille, dans laquelle les stratégiesde survie sociale dominent celles de ladestinée individuelle : on appartient à ungroupe, celui de sa famille, de son lignage,mais d’abord à celui de sa communauté debaptême. On connaît l’importance dubaptême dans ces siècles de christianisation(Agnès Fine, Parrains, marraines. La parentéspirituelle en Europe, Paris, Fayard, 1994) :l’Église s’est mise à recommander le baptêmedes enfants, gage de salut éternel, dès lespremières heures de la vie, le concile deTrente (1545-1563) imposant de baptiser lesenfants « quamprimum ». Les parents, soitparce qu’ils ont été façonnés par les prêchesde l’Eglise, soit par ce qu’ils aspiraient effec-tivement à une forme de soutien par leurcommunauté, ont cherché ardemment unesolution pour leurs enfants nés morts. Laquestion était grave : pouvait-on laisser unenfant sans baptême ? N’allait-il pas errerindéfiniment dans un no man’s land entreterre et ciel ? Bien sûr, aux XIIe et XIIIe siècles,les théologiens avaient inventé le Limbe desenfants (Didier Lett, L’enfant des miracles.Enfance et société au Moyen Âge (XIIe- XIIIe

siècles), Paris, Aubier, 1997), ce lieu média-teur, mais les parents n’y croyaient pas ; rien

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ne valait un baptême en bonne et due formepour le repos de leur âme et celui de leursparents. Ces derniers, c’est ce que montreJacques Gélis, inventèrent, avec la bénédic-tion de beaucoup de desservants de lieux deculte, une façon de donner une chance à leurbébé de rejoindre le grand cercle des sauvés.

Observer chez soi que son enfant donnedes signes de vitalité, même ténus, menerson enfant dans un lieu consacré à la Viergeou à un saint protecteur et constater qu’« ilse passe quelque chose » et lui conférerimmédiatement le baptême, ce sont lesmoyens qu’ont trouvés les parents et lacommunauté pour assurer la survie spiri-tuelle de l’enfant et assurer leur propre séré-nité intérieure. Ce sont ces pratiques « àrépit » que Jacques Gélis analyse en détail.Qui accueillait ces parents éplorés ? Peut-ondéceler des aires géographiques spécialiséesdans ce genre de pratique ? Existe-t-il unetemporalité propre à ce rite d’accompagne-ment des enfants mort-nés et de leursparents ? Toutes ces questions, et biend’autres, font l’objet des chapitres fort docu-mentés du livre de Jacques Gélis. Le ritemême du répit est présenté de façondétaillée et concrète : comment déceler dessignes de vitalité ? Qui assiste à ces quasirésurrections ? Qui constate le miracle ?

On découvre par exemple que le premierlieu de répit notifié se situe en Frise au XIIe

siècle, c’est-à-dire au moment même oùl’Église commençait à évoquer le Limbe desenfants. On apprend aussi que certainsdesservants de lieux de culte se sont fait uneréputation dans ce domaine : c’est le cas ausanctuaire d’Ursberg en Allemagne du Sud,à partir du XVIIe siècle, ou bien à celuid’Oberbüren en Suisse dans lequel les cas demiracles se multiplient au XVe siècle. JacquesGélis montre comment l’aire d’audienced’un sanctuaire s’étend, les exemples deMoha en Belgique et celui de Moustiers-Sainte-Marie étant particulièrement éclai-rants. Ceci dit, la géographie des sanctuairesà répit telle que la dessine Jacques Gélis n’estpas sans poser des questions troublantes :

pourquoi cette césure de la France selon unaxe Ouest/Est ? Comment expliquer que laFrance de l’Ouest ignore les sanctuaires àrépit ? S’agit-il d’une limite à la zone d’in-fluence, ambiguë, de la contestation protes-tante, ou bien le résultat des facultés de résis-tances de ces populations de l’ouest de laFrance ? Ces populations prises en mains parles recteurs des paroisses disposaient-ellesd’autres moyens de résoudre le problème ?Ce qu’il y a de très curieux, c’est que cettecarte ne correspond absolument pas à cellede la fréquence des dits « faux mort-nés » dudébut du XXe siècle. La France, dans ce cas,n’est pas du tout coupée en deux entrel’Ouest et l’Est mais on voit se dessiner deszones de plus fortes tendances à décelerqu’un enfant est né vivant avant la déclara-tion à l’état civil, en Bretagne et dans le suddu Massif central. Cette cartographie diffé-rente constitue une énigme.

Il est vrai que ces pratiques populaires n’ontpas été sans controverses, elles ont divisél’Église et animé les débats en son sein et horsde celui-ci. Fallait-il encourager ces pratiquesou, au contraire, les combattre ? Soutenir lesparents ou lutter contre la superstition ? Lespositions n’ont pas suivi une trajectoirelinéaire, de la tolérance à l’opposition parexemple. D’abord réticente, l’Église romaine,par la voix du pape Benoît XIV finit parcondamner le répit (1755). Des conflits appa-rurent et il devint impossible d’imposer l’in-terdiction papale. D’autant moins que le répitétait, depuis le XVIe siècle, l’un des instru-ments de la reconquête catholique le long duRhin et du Rhône, face à la contestationprotestante. Le miracle des mort-nés s’épa-nouit dans ces sanctuaires baroques tenus pardes ordres religieux qui se donnaient pourmission de gagner durablement les massesrurales à l’Église. Au XIXe siècle, le répitconnaît une nouvelle prospérité, cette fois-ciavec la bénédiction de Rome, il s’agit decombattre l’irréligion active des héritiers de laRévolution, en s’adressant au cœur desfidèles, en valorisant le culte de la Vierge et del’Enfant Jésus. Une vingtaine de sanctuairescontinuèrent d’être actifs en France au XIXe

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siècle (sur 277 repérés par Jacques Gélis) et lesdesservants furent particulièrement minu-tieux dans leurs descriptions des miraclesrelatés.

L’Église rechercha des solutions autres quele répit pour sauver les mort-nés. Elle préco-nisa d’opérer la césarienne lorsqu’une femmeétait morte en couches pour sortir l’enfant etlui donner le baptême, elle institua égalementle baptême intra-utérin, sous condition. Lesfamilles se tournèrent elles aussi vers d’autressolutions, le baptême pour les morts, lebaptême par l’Eucharistie, le baptême « sur lepont » très fréquent en Galice sur les femmesenceintes, le « filleulage », toutes pratiquescondamnées par l’Église. Ou bien alors, pourtenter d’assurer quand même le salut du petitmort-né, les parents déposaient son corpsdans un lieu saint ou le confiaient au tour del’hospice. L’acharnement de ces parents,pendant des siècles, à trouver une issue satis-faisante pour calmer leur angoisse et ouvrir àleur enfant les portes du paradis, montre àquel point la question du salut de leur enfantleur tenait à cœur.

Après des siècles de pratiques du répit,s’ouvre le XXe siècle qui constitue finalementune parenthèse avant la réintroduction derituels de reconnaissance et d’accompagne-ment dans un cadre hospitalier.

Jacques Gélis nous aura fait découvrir, àtravers sa quête inlassable de témoignagesiconographiques, architecturaux, écrits (récitsde miracles, documents pastoraux), commentune pratique populaire peut s’ouvrir surtoutes sortes de questionnements ayant trait àla foi religieuse, à l’émergence de savoirsscientifiques, aux relations entre hiérarchieecclésiastique, ordres religieux et peuple, àl’existence du sentiment dans les relationsfamiliales, à l’expérience de la grossesse. Nousn’avons qu’effleuré certaines questionscomme celles de la description du rituel lui-même ou de l’attitude des médecins, invitantle lecteur à se plonger dans ce livre foisonnantet passionnant.

Catherine ROLLET

Yves LANDRY (dir.), Registres paroissiaux,actes notariés et bases de données. Infor-matisation de source de l’histoire moderne.De la démographie historique et de lagénéalogie, Caen, Centre de Recherched’Histoire quantitative, Université de CaenBasse-Normandie, CNRS, 2005, 431 p.

Cet ouvrage reprend sous une forme amé-liorée un guide des procédures à l’originedestiné aux personnes chargées de relever lesactes dans les registres paroissiaux et les archi-ves notariales pour le compte du Programmede recherches sur l’émigration des Français enNouvelle France (PREFEN). Ce programmea mis en place deux bases de données, l’uneest consacrée aux émigrants français auCanada aux XVIIe et XVIIIe siècles, la secondeest un répertoire des registres paroissiaux etdes actes notariés d’une quarantaine decommunes du Perche aux XVIe et XVIIe siècles,région qui a fournit 300 pionniers qui se sontinstallés sur les rives du Saint-Laurent. Ceprogramme ambitieux a abouti à la créationd’une base contenant l’intégralité des166 000 actes de baptêmes, de mariages et desépultures de l’échantillon percheron et15 000 actes notariés. Mais surtout le logicielpermet de mettre en relation les informationscontenues dans les deux bases et ainsi fournitun instrument pour la reconstruction desparcours de vie.

Cet ouvrage a une double ambition puis-qu’il est à la fois une sorte de manuel pourcelles et ceux qui voudraient suivre les métho-des de dépouillement du PREFEN afin demener des enquêtes du même type et un exer-cice de transparence de la part de ces créateurset utilisateurs puisque le livre détaille lesprocédures, les choix parfois les renonce-ments auxquels l’équipe du PREFEN a étéconfrontée lors du dépouillement, de la saisieet de la codification des informations conte-nues dans cette masse impressionnante dedocuments et lors de leur informatisation.L’introduction rappelle les grandes étapes dela réalisation de ce projet ; les auteurs y reven-diquent une double filiation, celle des gran-des enquêtes quantitatives, notamment celles

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de la démographie historique – sans pourautant proposer de reconstitution systémati-que des familles –, mais aussi de façon moinsattendues celle de la microhistoire. Nonseulement parce que les fichiers de popula-tion constitue « l’outil idéal pour tenter desuivre les traces des pionniers » en permettantde suivre des parcours individuels, mais aussiparce qu’à travers cette publication les auteursont d’une certaine manière le sentiment de selivrer à une sorte d’exercice d’ego histoire, entout cas à une « démarche réflexive » sur laconstruction des faits historiques.

L’ouvrage est composé de deux grandesparties, la première consacrée aux registresparoissiaux, la seconde aux actes notariés.Elles prennent la forme, après un descriptifrapide des grands principes de saisie et d’or-ganisation des informations récoltées, d’unrécit de procédures avec des exemplesconcrets, de captures d’écran du fonction-nement des masques de saisie mais aussi unexposé précis des difficultés rencontrées etdes choix effectués. Suivent des annexes trèsintéressantes à la fois pour les chercheurs,les enseignants et les étudiants. L’ouvrageprésente en effet l’image numérisée de 84actes notariés du XVIIe siècle avec leur trans-cription intégrale et offre ainsi une premièreapproche des types de contrats les pluscourants et que l’historien croise nécessaire-ment dans les minutes notariales. En outreles auteurs ont joint à ces annexes untableau récapitulatif de tous les actes nota-riés qu’ils ont rencontrés soit près de 200actes différents. Pour chacun d’entre euxl’ouvrage précise sa définition, donne unextrait des phrases couramment employéespar les notaires et indique les types d’acteursqu’on y rencontre et la manière dont ils sontrépertoriés dans le logiciel. Cette annexeconstitue vraiment un guide très utile pourcelui qui utilise peu les sources notariées.

Quant au logiciel, s’il garde encore parcertains aspects une allure austère en compa-raison des logiciels grand public, il est toutde même assez simple et confortable à utili-ser. Bien entendu le logiciel ayant été conçu

autour des sources du Perche et du Canada,il ne peut répondre parfaitement à toutes lesattentes. Néanmoins pour les chercheurs quine disposent pas des moyens de faire eux-mêmes leur programmation, il peut consti-tuer un instrument de dépouillement trèsefficace dans la mesure où, grâce au livre,l’utilisateur connaît parfaitement les procé-dures et surtout les choix méthodologiquesinduits par l’architecture du logiciel.

On saluera donc à travers cet ouvrage et celogiciel l’exercice d’honnêteté intellectuelledes auteurs qui expliquent en détail leursméthodes sans évacuer les difficultés et lesrenoncements, exercice d’autant plus salu-taire qu’on reproche souvent aux quantitati-vistes de ne pas permettre au lecteur d’accé-der aux pièces justificatives de leur travail.On ne peut qu’espérer que cet outil mis auservice de la communauté scientifique soitabondamment utilisée.

Fabrice BOUDJAABA

Patricia PAYN-ECHALIER, Les marinsd’Arles à l’époque moderne, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de l’Universitéde Provence, 2007, 325 p.

P. Payn-Echalier publie ici une versionabrégée de sa thèse soutenue en 2005 sur lesmarins d’Arles, ville qui, au XVIIIe siècle,compte environ 20 000 habitants. Sonapproche est relativement classique car elle achoisi de brosser une histoire totale d’ungroupe socioprofessionnel aux contoursassez bien définis, même si des approchesmicro-historiques plus novatrices fondéessur l’étude de parcours individuels et fami-liaux ne sont pas négligées par endroits. Sixgrands chapitres permettent donc de s’at-tarder sur toutes les dimensions du sujet :aspects institutionnels, professionnels,économiques, sociaux, démographiques etfamiliaux, culture matérielle, contestationface au pouvoir local ou royal, participationà la Révolution française, etc. Rien n’estoublié, même si cette volonté d’embrasserun nombre très important de thèmes con-duit à en traiter certains de manière parfois

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un peu rapide et frustrante pour le lecteurspécialiste de l’une de ces questions.

Après avoir étudié dans un premier chapitrele renouveau du port d’Arles au XVIe siècle(activité portuaire, marchandises transportéeset destinations, description de la populationdes gens de mer, influence des querelles religi-euses sur leur vie et leur travail), P. Payn-Echa-lier concentre la majeure partie de son enquêtesur l’analyse des deux derniers siècles de l’An-cien Régime, période sur laquelle elle a faitporter l’essentiel de son investigation dans dessources de nature très diverse.

À partir des actes notariés, elle s’interrogenotamment sur la difficulté qu’il y a à saisirles gens de mer et à estimer leur part dans lapopulation arlésienne. L’un des obstaclesmajeurs réside dans l’imprécision de certainesappellations et sur l’évolution du vocabulaireprofessionnel utilisé pour désigner les marinsau fil du temps, mais plus encore dans le faitqu’un même individu est qualifié de manièredifférente selon les actes dans lesquels il appa-raît sans qu’on puisse être pour autant sûr queces changements soient le reflet d’une réellemutation de sa condition. Toutefois, ces limi-tes n’empêchent pas P. Payn-Echalier deproposer une évaluation de la population desgens de mer dans la ville ; ils représenteraient7 % des Arlésiens en 1633, puis environ12 % au XVIIIe siècle. Elle procède en outre àun découpage en trois groupes distincts deson échantillon (patrons, matelots etpêcheurs) et constate que les gens de mer nesont pas également répartis sur le territoireurbain puisqu’il existe deux quartiers « mariti-mes » (Trinquetaille et la Roquette) quiconcentrent à eux seuls 90 % des marins etdes pêcheurs en 1670.

Cette première approche la conduitensuite à s’interroger sur les marqueurs del’identité professionnelle des gens de mer.Celle-ci passe notamment par l’existence deconfréries de métiers ou par une forte repro-duction sociale. Aux XVIIe et XVIIIe siècles,entre la moitié et les deux tiers des marins etdes pêcheurs sont fils de navigants, ce pour-centage culminant à 82 % pour les seuls

patrons et capitaines. Cette situation n’estd’ailleurs pas sans rappeler les résultatsd’A. Cabantous pour les sociétés littorales dela façade atlantique. De plus, les gens de merarlésiens se caractérisent par un désir depromotion sociale perceptible par la succes-sion de plusieurs phases professionnellesdans un parcours de vie. On observe égale-ment la volonté de quelques-uns de s’éleverdans la hiérarchie sociale, bien que ceprocessus ne soit pas, sauf exception, specta-culaire sur une ou deux générations et qu’ilne soit pas toujours couronné de succès. S’ilssont rares, ces mouvements d’ascension exis-tent pourtant, tel celui de la famille Boulouardcomposée de simples patrons de barque auXVIIe siècle mais dont les descendants sontcapables de nouer des alliances avec lanoblesse au siècle suivant.

En réalité, le principal obstacle à la promo-tion sociale de nombreux gens de mer résidedans la place qu’ils occupent dans la sociétéarlésienne car leurs patrimoines sont engénéral assez modestes. En 1750, ils représen-tent 7,9 % des capités mais n’acquittent que4,9 % de la contribution totale de la ville. Àpartir des inventaires après décès, on constateque deux matelots sur trois ont une fortuneinférieure à 100 livres et que seuls les patronsse distinguent avec des patrimoines pouvantdépasser les 10 000 livres. Bien que certainscaractères permettent de conclure à uneévidente homogénéité professionnelle, il nefaut donc pas négliger l’extrême variété dessituations individuelles qui conduit finale-ment à analyser ensemble des hommes dontle seul point commun est parfois leur lienavec la mer, alors que leur place dans la hié-rarchie sociale arlésienne est très contrastée.

Si l’étude des caractères professionnels etsociaux des marins d’Arles est souvent trèspertinente, on peut regretter que l’analysedes comportements démographiques resteassez superficielle. En effet, P. Payn-Echaliern’a pas procédé à une reconstitution desfamilles et elle n’exploite pas dans ce sens lesgénéalogies qu’elle a dressées. Les résultatsqu’elle expose sont par conséquent assez

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limités, mais tout de même pas inintéres-sants. Au XVIIIe siècle, l’âge au mariage estélevé pour les hommes (28 ans) et relative-ment précoce pour les femmes (22 à 23 ans).L’homogamie dépasse les 35 % et permet demontrer un lien fort avec les travailleurs dela terre qui forment environ 20 % des pèresdes épouses des gens de mer. Si l’étude de lafécondité ne dépasse pas le calcul d’unquotient baptêmes/mariages montrant unecertaine stabilité autour de 4,5 à 5 enfantspar couple au XVIIIe siècle, l’auteur met l’ac-cent sur certains comportements spécifiquesaux gens de mer à cause de l’absencefréquente des maris du foyer : rôle impor-tant laissé à la femme, mortalité influencéepar les risques liés au travail en mer, etc.

Au final, cette plongée dans la sociétémaritime arlésienne présente un travail sé-rieux et rigoureux, même si elle demandesans doute à être prolongée par une enquêtequi pourrait s’ouvrir plus franchement auxoutils de la prosopographie, de la généalogieet de la micro-histoire.

Stéphane MINVIELLE

Micheline BAULANT, Meaux et sescampagnes. Vivre et survivre dans le monderural sous l’Ancien Régime, PUR, Rennes,2006, 418 p.

Évoquant le parcours de MichelineBaulant, Gérard Béaur, éditeur ici avecArlette Schweitz et Anne Varet-Vitu d’unevingtaine d’articles anciens de l’auteur parmiles 44 recensés en bibliographie, motive cettepublication par le désir de rendre hommage àune historienne qui fit toute sa carrière auCentre de Recherches Historiques, commeingénieur de recherche, et de revenir surquelques-unes des grandes enquêtesauxquelles elle collabora. Depuis ses premierstravaux sur les prix et les salaires, marqués dusceau de l’histoire quantitative jusqu’à ceuxrelatifs à la famille, plus soucieux des indivi-dus et des itinéraires de vie, MichelineBaulant a ancré son travail dans un pays, leMultien, qui a fait d’elle, au fil des années,une historienne reconnue des campagnes

d’Île-de-France sous l’Ancien Régime, auxcôtés de Jean Jacquart, Jean-Marc Moriceau,Marcel Lachiver, Hugues Neveux et quelquesautres. On retrouve donc ici ses articles lesplus connus, parus dans les Annales, sur leprix des grains à Paris de 1431 à 1788, sur lesprix de diverses denrées ou produits indus-triels, sur les salaires et les gages à Paris auXVIe siècle, sur la date de début desvendanges, du XVe au XIXe siècle. Ces travauxmontrent avec quel soin l’auteur sélection-nait ses sources, discutait point par pointl’établissement de ses séries, leur traductionen indices et finalement élaborait sescourbes. L’enchérissement de diverses catégo-ries de denrées et marchandises était ainsiétabli avec précision à l’aide de nombreusesséries, qui montraient des vagues de haussessuccessives. L’auteur signalait encore le retardglobal des salaires sur les prix au XVIe siècleavec plusieurs séries de salaires et de gages, etoffrait une mesure du phénomène. Au thèmedes salaires et des prix, qui a fait couler desflots d’encre, était lié bien sûr la question dela production. La dîme devint un enjeud’importance, car l’évolution du revenu déci-mal était supposée rendre compte, dans unecertaine mesure, du mouvement de laproduction. Cette question difficile, àlaquelle s’attelèrent de nombreux auteurs, setrouva enrichie par Micheline Baulant del’examen des dîmes de 80 localités des envi-rons de Paris, au XVIIIe siècle. Sans doute, laquestion des adjudications de dîmes récla-mait-elle, et mériterait toujours au demeu-rant, de plus amples recherches, mais aumoins la complexité du système ressortissait-elle nettement. Dans un registre proche, aumoins pour ce qui est des méthodes,plusieurs articles visaient à produire des sériesrelatives aux dates des vendanges. La courbequi en était extraite montrait des annéeschaudes et froides, et en particulier cinqdécennies critiques entre 1560 et 1609.Initialement centrée sur une large régionparisienne au XVIe siècle, la recherche étaitensuite étendue jusqu’au XIXe siècle, avec laprise en compte des vignobles de la Franceméridionale.

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À ces travaux sur la production et l’écono-mie, qui correspondent à une première phasede recherches à la fin des années 1960 et audébut des années 1970, répondent lesderniers travaux de Micheline Baulant sur laconsommation et les conditions de vie maté-rielle. Cette orientation de recherche s’inscri-vait assez logiquement dans le prolongementde ses travaux antérieurs sur les prix et lessalaires. Dans un article des Annales de 1975,sur les « Niveaux de vie paysans autour deMeaux en 1700 et 1750 », ici republié, ellesoulignait l’intérêt des inventaires après décèspour une telle enquête. L’heure était à l’in-ventaire, pour l’histoire rurale ou urbaine,celle de la famille, du livre ou du logement.Si la bibliographie relative à la culture maté-rielle n’allait pas tarder à être pléthorique,Micheline Baulant s’est inscrite dans lapremière vague de publications relatives àcette question, établissant une grille distin-guant entre différentes catégories de biens,mesurant la place de ces différents biens dansles successions mobilières. Dans un article de1989 d’Histoire et Mesure, elle revenait ànouveau sur le niveau de vie, avec l’élabora-tion cette fois d’un indice synthétisant lecontenu des inventaires (86 critères organisésen 5 séries), permettant de mesurer uneprogression de 60 %, entre le début du XVIIe

et la fin du XVIIIe siècle et des indices moyenspour différents groupes. Micheline Baulantouvrait la voie à de possibles comparaisonsdans l’espace et dans le temps, moyennantune adaptation de l’indice tenant compte desspécificités locales. Cette comparaison futd’ailleurs engagée entre paysans briards etquébécois, pour le XVIIIe siècle, montrant uneavance des premiers sur les seconds. C’esttoujours à partir de l’important corpus d’in-ventaires qu’elle a constitué, qu’elle a étudiédifférents aspects de la vie quotidienne, laprésence par exemple de certains matériauxdans le mobilier (fer et bois), les pratiques del’eau, ou les costumes dans différents articlesici réunis.

Mais la partie qui intéressera le plus lesdémographes est celle qui regroupe lesarticles consacrés à la famille et à la commu-

nauté rurale. La méthode consistant à suivreune famille de modestes fermiers, générationaprès génération, dans ses efforts pouracquérir une exploitation et s’y maintenir,était alors très neuve. Nous découvronsalors, entre 1655 et 1761, la famille Masleaux prises avec ses créanciers, faisant face àune lente détérioration de sa situationéconomique, et des veuves éprouvant desdifficultés croissantes pour se remarier. L’ex-plication de ces difficultés tient essentielle-ment à la médiocrité des rendements, à desbouches trop nombreuses à nourrir, malgréune mortalité très élevée due à l’épuisementau travail autant qu’à l’insalubrité du lieu. Le« miracle permanent » que constitue lasimple conservation d’une famille dans unenvironnement aussi peu favorable, trouveson explication dans d’autres travaux de l’au-teur, certains, bien connus, comme « lafamille en miettes », d’autres, moins, quel’on a plaisir à découvrir ou redécouvrir ici.Micheline Baulant y entrait dans le détaildes dispositifs juridiques, montrait l’impor-tance du remariage et de ses modalités,notamment en terme d’entretien des enfantsissus d’un premier lit. Elle notait aussi larareté des donations entre vifs, la précaritédes unions affaiblissant, pensait-elle, le lienconjugal. Plus tard, les personnes âgéesferont l’objet d’un dossier, publié dans cetterevue, évoquant cette fois la démission debiens aux enfants, la rareté des cohabitationsavec ces derniers, l’obligation pour lesparents âgés de travailler le plus longtempspossible. Le même soin était encore apportéà un travail consacré à l’enfant, signalantl’existence de baux au rabais des orphelins.Le phénomène des remariages est enfinspectaculairement illustré par le parcours devie, extrême, d’un homme remarié six fois,montrant jusqu’à la caricature combien lebesoin de vivre en ménage était puissant.Ces travaux ont été longtemps les seuls, enrégion parisienne, et même pour une bonnepartie de la France septentrionale, à évoquer,même de manière un peu rapide, ces méca-nismes absolument essentiels de la reproduc-tion familiale. Certains chantiers ont perdu

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de leur acuité (les salaires et les prix), tandisque d’autres (les objets du quotidien, laconsommation ou la reproduction familialeet sociale) sont en plein renouvellement.L’ensemble n’a cependant pas trop vieilli.Pour la commodité, et au vu de la cohérencede l’ensemble, cette publication sembledonc complètement justifiée.

Jérôme Luther VIRET

Matthew H. KAUFMAN, Surgeons at War:Medical Arrangements for the Treatmentof the Sick and Wounded in the BritishArmy during the Late 18th and 19th Cen-turies, Greenwood Press, Westport,London, 2001, 227 p.

Sur les différents champs de bataille duXIXe siècle, des guerres napoléoniennesjusqu’à la guerre de Crimée, les maladiesinfectieuses ravagent les troupes bien davan-tage que les blessures rendues néanmoinsplus complexes en raison des évolutions del’armement. Pour cela, le rôle du médecinmilitaire apparaît comme essentiel. Mais sila plupart des États européens organisent desservices de santé militaire spécifiques, cen’est que progressivement qu’une telle insti-tution se met en place en Grande Bretagne.C’est l’histoire de ce processus d’institution-nalisation entre la seconde moitié du XVIIIe

siècle et la fin du XIXe siècle que retrace l’ou-vrage de M. Kaufman, composé de cinqchapitres.

Trois d’entre eux (1, 3 et 5) décrivent lesstructures de formations et d’encadrement dela médecine militaire et de la médecine navale,en développant le rôle de certaines figuresmarquantes de chirurgiens comme JohnHunter, George Guthrie, Charles Bell ouencore John Thomson et George Ballingall.Matthew Kaufman montre en particuliercomment dans l’ensemble les officiers de santéles plus expérimentés sont rarement promus,entraînant le rejet d’une carrière dévalorisée,dévalorisée également par le peu de cas que legouvernement fait de la médecine dansl’armée, ce dont témoigne la faiblesse desfinancements qui lui sont accordés. Il montre

aussi comment, à partir de 1793, le service estconfié à des médecins civils qui ont une faibleexpérience de la guerre et de l’administrationmilitaire. Kaufman décrit ensuite le rôle de laRegius Chair of Military Surgery, établie en1806 à l’Université d’Edimbourg, destinée àformer les chirurgiens de l’armée et de lamarine et qui fonctionne jusqu’en 1856. Unetelle chaire existe également à Dublin ente1855 et 1860. Il s’agit des seules institutionsoù les médecins et apprentis médecins reçoi-vent une formation théorique et pratique surles différents aspects de la médecine militaire(médecine, chirurgie, hygiène), avant l’institu-tion de l’École de médecine militaire en 1860.Le dernier chapitre décrit les changements quitouchent les trois branches du service médicalmilitaire : la médecine de l’Armée, de laMarine et l’Indian Health Service jusqu’à lacréation en 1898 du Royal Army MedicalCorps, qui fait du service de santé un corps àpart entière de l’armée britannique.

Les tournants qui amènent cette histoireinstitutionnelle à évoluer font l’objet des deuxautres chapitres (2 et 4) qui se concentrentdavantage sur deux moments où les besoinsfortement accrus en personnels médico-mili-taires montrent les limites de l’organisationexistant jusqu’alors : les guerres napoléo-niennes et la guerre de Crimée. Si les ques-tions médicales, chirurgicales et logistiquessont abordées pour elles-mêmes, ce sontavant tout les tensions « créatrices » qui inté-ressent l’auteur. À ce titre, la guerre deCrimée est un formidable révélateur des diffi-cultés à être médecin militaire dans l’arméeanglaise. Des frustrations naissent entremédecins militaires et médecins civils requispour combler les insuffisances du service,accentuées par le faible contrôle qu’exercentles médecins en chef sur le Service de santé,trop peu consulté pour tout ce qui concernel’installation des camps et l’hygiène préven-tive. Marquée comparativement par une trèsforte mortalité des troupes anglaises dans lespremiers mois de son déroulement, la guerrede Crimée révèle des insuffisances logistiquesqui, dénoncées par la presse anglaise, vontrapidement entraîner une réorganisation,

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matérielle notamment, dont les infirmières deFlorence Nightingale ne sont qu’un aspect.

Après la guerre de Crimée, le service desanté anglais apparaît aux yeux des médecinsmilitaires français comme un modèle àimiter, par la faculté d’adaptation dont il afait montre après le désastre sanitaire despremiers mois et le statut semble-t-il plusenviable qu’il offre ensuite à ses membres. Laperspective choisie par M. Kaufman autorisepeu la comparaison, mais le malaise qu’ildécrit se retrouve au sein du service de santéfrançais jusqu’à la fin du XIXe siècle. Contri-bution à une histoire sociale et institution-nelle d’un groupe professionnel, cet ouvragemontre ainsi toute la difficulté d’une profes-sion particulière à se faire une place dans lemonde médical et surtout militaire.

Claire FREDJ

Anna ROGERS, While You’re Away. NewZealand Nurses At War, 1899-1948,Auckland, Auckland University Press, 2003,352 p.

Alors que de plus en plus d’écrits traitentde l’histoire des personnels de santé fémi-nins et que de nombreux ouvrages paraissentsur les questions de santé et sur l’histoire del’armée en Nouvelle-Zélande, While you’reaway peut être vu comme le mémorial dresséà la mémoire des infirmières militaires néo-zélandaises dans les campagnes outre-mer.Le livre d’Anna Rogers en effet s’intéresse àcette population relativement limitée ennombre, employée dans les combats lorsdesquels la Nouvelle-Zélande apporte sonsoutien en tant que membre de l’Empire à laGrande-Bretagne. Lors de la guerre enAfrique du Sud, durant la guerre civileespagnole et sur les différents terrainspendant les deux guerres mondiales, enEurope, au Proche-Orient et dans le Pacifi-que, sur terre comme sur mer, elles endurentles mêmes dangers et les mêmes privationsque les soldats dont elles s’occupent.

L’ouvrage retrace la structuration de laprofession d’infirmière en Nouvelle-Zélande

et la manière dont s’organise le New ZealandArmy Nursing Service, auxquelles peuvents’ajouter les infirmières et auxiliaires partici-pant à l’effort de guerre dans un cadre autreque l’armée. L’auteur insiste sur les difficultésqu’ont eu ces femmes, d’abord quelques dizai-nes tout au plus, à se faire accepter dans lesstructures militaires, depuis le sommet de lahiérarchie jusqu’au simple soldat, dans unmonde d’hommes « élevés dans une sociétépatriarcale [et] longtemps incapables depenser qu’une femme peut servir son pays ».Les problèmes de paye et de récompenses desorties de guerre sont également évoqués.

Ce livre suit avant tout un certain nombrede parcours, individuels et collectifs, defemmes qui voient aussi la guerre autrementque les autres combattants, font face à desproblèmes logistiques qu’il leur faut résoudrepour améliorer l’ordinaire de leurs patients etparticipent aux développements de la méde-cine – les débuts des traitements à la pénicil-line à la fin de la seconde guerre mondiale sontainsi abordés. L’utilisation dans un récitparfois un peu linéaire d’impressions recueil-lies dans le journal de liaison des infirmières, leKai Tiaki, dans des lettres et des souvenirs,exposent ainsi la vie de ces femmes au jour lejour, dans les difficultés du quotidien. Cesdétails permettent de peindre les guerres d’unpoint de vue encore assez inédit, celui d’uneminorité composée de femmes qui viventdans un univers d’hommes et qui s’y forgentun esprit de corps particulier.

Claire FREDJ

Margareth CHOTKOWSKI, Vijftien lad-ders en een dambord. Contacten vanItaliaanse migranten in Nederland 1860-1940 (Fifteen ladders and a draughtboard.Contacts of Italian immigrants in theNetherlands 1860-1940), Amsterdam,Aksant, 2006, 294 p.

With her book, Margaret Chotkowskiintended to determine the extent to whichthe various relationships (friendship, occu-pation, marriage, and housing arrange-ments) of Italian immigrants in the

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Netherlands were homogenous in theperiod between 1860 and 1940 in terms oforigin, trade and religion. Moreover, she hastried to assess the extent to which and themanner in which homogeneity was affectedby the Italian immigrants’ populationprofile (the manner of migration, thenumber of immigrants and the compositionof the immigrant group), and by factors ofthe receiving society.

In this regard she has studied two immigra-tion cohorts (1860-1880 and 1920-1936) inAmsterdam and Rotterdam. By only studyingthe Italians that settled in the two biggestcities in the Netherlands, it does not becometotally clear whether Chotkowski’s study,although peppered with examples andcomparisons relating to Italians that settled inother Dutch cities/towns, is representative ofthe social contacts of Italian immigrants inthe Netherlands from the second half of thenineteenth century until the beginning ofWW II. That is especially questionableduring the Interbellum, when a large part ofthe Italians who came to settle in the Nether-lands, had the coal basin in the province ofLimburg as their final destination. Accordingto the census of 1930, approximately 30% ofall Italian citizens residing in the Netherlandslived in the province of Limburg, whereasthat province accommodated only some 7%of the total population of the Netherlands atthe time. It is not inconceivable that thesocial contacts of Italians in the miners’colonies in Limburg (accommodation specif-ically built for the miners close to theentrances of the mines and thus fairly sepa-rate from other housing areas), differedsignificantly from the social contacts ofItalian immigrants in urban areas in thewestern part of the Netherlands.

The book consists of two parts, plus ageneral introduction and conclusion. Thefirst part describes everyday contact ofimmigrants from the Italy as we know ittoday and the Italian-speaking Swiss cantonof Ticino in the nineteenth century. MostItalian immigrants that came to Amsterdam

and Rotterdam in the period of 1860-1880were single men from North and CentralItaly and Ticino. Those immigrants oftenworked as chimney sweep, entertainer,trader, statue maker or sailor. These tradesoften were specific to the region they camefrom; almost all chimney sweeps came fromthe Ticino and Piemonte regions and almostall statue makers came from Tuscany. Thefirst part of the book is subdivided into fourchapters. The first three address the percent-age of Italian/non-Italian colleagues andhousemates (chapter 1), spouses (chapter 2),friends and acquaintances (chapter 3) of theItalian newcomers. The fourth chaptersummarises the conclusions regarding thenineteenth century. The author consultedseveral sources, such as registers of births,marriages and deaths, immigrants’ registers,family notices, marriage and birth certifi-cates and commercial registers, to get anidea of the extent to which the aforemen-tioned social contacts were homogenous forthe categories country of birth, region oforigin, trade and religion. The homogene-ity of the social contacts considered in rela-tion to the country of birth differed pertrade and area of life. It is hardly surprisingthat the (rather small) Italian immigrantpopulation, which to a large extent wasmade up of men, married Dutch women iftheir marriage was solemnized in theNetherlands, and also had a lot of Dutchfriends and acquaintances. However, theyworked and lived together with Italians.Contact between Italians was homogenouswhen viewed in respect of region of origin,trade and, of course, religion, for almost allItalians were Catholics. Contact with Dutchpeople was far more heterogeneous, as thegreat majority of Dutch people with whomthey socialized had other occupations. Therewas some homogeneity in terms of socialcontacts as regards religion. Most Dutchbrides and landlords of the Italian immi-grants were, for example, Catholics.

The second part of Chotkowski’s bookdeals with the Interbellum. In this period,too, most Italian immigrants were single

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men, although the percentage of women andmarried people was significantly highercompared to the nineteenth century. Mostimmigrants in the Interbellum were labourimmigrants from North and Central Italythat came to the Netherlands to work asterrazzo worker, statue maker, entertainer, orice cream maker. Unlike in the nineteenthcentury, there were hardly any chimneysweeps any more among the new immigrants.For that reason, only very few people fromTicino, who seemed to be only practising thiscraft in the Netherlands, could be foundamong the immigrants that came to theNetherlands during the Interbellum. For theItalian newcomers that arrived in this periodin the Netherlands, Chotkowski analyseddata from similar sources as she did for theimmigrants in the nineteenth century. Thethemes addressed for this period are: bosses,colleagues and associates (chapter 5), neigh-bours and housemates (chapter 6), nuptiality(chapter 7) and friends and acquaintances(chapter 8). Again, the extent to which thesocial contacts of Italian newcomers in allfields are homogenous are expressed inpercentages. In addition, the author inter-viewed Italian immigrants or their childrenand asked them to complete questionnairesin respect of the Interbellum period. Theseare discussed in a qualitative manner in thebook. As was the case in the nineteenthcentury, contact between Italians in the Inter-bellum proved homogenous, in terms ofregion of origin and trade. Contact with non-Italians was very heterogeneous according totrade. Living in with a Dutch person with thesame occupation was rare, and none of theItalian newcomers married the daughter of aDutch person in the same trade. Contactwith non-Italians was heterogeneous in rela-tion to religion, albeit far less than in relationto trade. 46% of the Dutch marital partnersand 60% of the Dutch landlords with Italiantenants that arrived in the Netherlandsduring the Interbellum adhered to a differentreligion from the migrant in question. Theextent to which the Italians socialized withDutch people varied from trade to trade.

Differences in size, demographic composi-tion and the manner of migration play animportant role in this respect.

The trouble with expressing homogeneityof social contacts of Italian newcomers inpercentages is that the characteristics of thereceiving society are disregarded. This resultsin findings that are ever so obvious. Theauthor concludes, for example, that theextent of religious endogamy among Italiannewcomers in both the nineteenth centuryand during the Interbellum was greater thanthat of professional endogamy, because thepercentage of Italians that married someonewith the same faith was bigger than thepercentage that married the daughter of afellow tradesman. However, there were thou-sands of catholic women aged between 18and 35 and only a couple of daughters offellow tradesmen in that age group, becauseonly a very few were active in the same, oftenspecialized, trade of the Italian new-comersand most occupational groups, in whichItalians were active, such as chimney sweep-ers in the nineteenth century and theterrazzo workers in the Interbellum,consisted of unmarried Italian men. Withthis conclusion, the author does no morethan state the obvious. A better way of deter-mining whether or not there was religiousendogamy would be to compare the percent-age of Italian newcomers that married acatholic bride with the percentage ofCatholics among the Amsterdam andRotterdam women of marriageable age. Ifthe first percentage were higher than thesecond, one could argue that this was reli-gious endogamy. She could have done thatexercise for social contacts in all fieldsdiscussed in this book, or at least she couldhave said something about the socialcontext. As for the latter, an interesting addi-tion to the remark that most Dutch land-lords with Italian tenants in the nineteenthcentury were Catholics (Chapter 1, p. 41)would have been that the majority of thepopulation in both Amsterdam and Rotter-dam in the second half of the nineteenthcentury adhered to a different religion than

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Catholicism. Unfortunately, such compar-isons or the exercises referred to above arehard to find in the book.

Another lack of Chotkowski’s study is thatshe in many cases fails to look at the lengthof the immigrants’ stay in the Netherlands.It would be obvious that social contacts andother socio-economic characteristics ofimmigrants change the longer they reside inthe immigration country. Shortly uponarrival, the majority of social contacts oftenare within the community of fellow immi-grants. In the course of time, once immi-grants have some command of the languageof the immigration country and have hadtime to get to know their way around in thesocial and economic circumstances of theregion they ended up in, it may be fair toexpect the immigrants to establish relationswith individuals that belong to the nativeDutch population. An interesting questionthat the author could have tried to answer is,for example, the extent to which thepercentage of the Italians that married non-Catholics increased as the time the relevantgroup of Italians stayed in the immigrationcountry rose. Elsewhere in the book, shecould have taken that factor into accountwhere she exposed issues, such as the rolemarriage played in them leaving or stayingin the Netherlands or the extent of occupa-tional mobility. Whenever the author doestake the length-of-stay factor into account,it immediately results in interesting find-ings. Analyses of marriage and birth certifi-cates showed an increase in the share of non-Italian witnesses when the immigrants hadlived longer in the Netherlands. It is fair toconclude that there was more contact withDutch people if they stayed in the Nether-lands longer.

Findings such as those mentioned abovemay be interesting for current integrationresearch. It is understandable that the authordoes not want to get burned on this issue,which is at present a controversial subject inthe Netherlands. In the introduction to thebook, the author states that she will refrainfrom using the term “integration”, becauseshe believes that her study only involvessome aspects of the entire integration issue,and because it is not clear, in her view,whether social contacts are the cause orresult of integration. It is true that this studymerely addresses part of the integrationissue, but so do many other studiespublished in this field. Even better, a studythat takes stock of all aspects of the integra-tion issue, which is often hard to realize, hasnot been written yet. Something almost allresearchers agree on is that social contacts,regardless of the direction of causality, are anindicator of social integration. So, withoutagonizing on the question as to whethersocial contacts are the cause or the result ofintegration, the author could have made acontribution towards integration research, ifshe had opted more for a cohort design.

However, the readers will probably forgivethe author the above points of criticism assoon as they realize that MargaretChotkowski wrote a thorough work on Ital-ians coming to the Netherlands in thesecond half of the nineteenth century and inthe Interbellum. The book is not merely adry description of facts, but makes for aneasy read, not least because of the expressivedescriptions of daily life in these periods thatare based on the interviews with Italianimmigrants or their children referred toabove and on other sources.

Roel JENNISSEN

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