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Charles DARWIN
(1876)
LA DESCENDANCE DE LHOMME
ET LA SLECTION SEXUELLE
Traduit de lAnglais par Edmond Barbier DAPRS LA SECONDE DITION
ANGLAISE REVUE ET AUGMENTE PAR LAUTEUR
PRFACE PAR CARL VOGT
dition dfinitive
Orne de 38 planches hors texte
Un document produit en version numrique par Claude Ovtcharenko,
bnvole, Journaliste la retraite prs de Bordeaux, 40 km de
Prigueux
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sociales" Site web: http://classiques.uqac.ca/
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 2
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DES SCIENCES SOCIALES.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 3
Cette dition lectronique a t ralise par Claude Ovtcharenko,
bnvole, journaliste la retraite prs de Bordeaux, 40 km de
Prigueux.
Courriel: [email protected] partir de : Charles Darwin La
descendance de lhomme et la slection sexuelle. Traduit de lAnglais
par Edmond Barbier daprs la seconde dition anglaise
revue et augmente par lauteur, 1874. Prface par Carl Vogt.
Edition dfinitive orne de 38 planches hors texte. Paris : Librairie
C. Reinwald, Schleicher Frres, diteurs, 1876, 27 pp + 720 = 747
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dition numrique ralise le 27 septembre 2008 Chicoutimi, Ville de
Saguenay, province de Qubec, Canada.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 4
CHARLES DARWIN __________
Premire dition, 1869
La descendance de lhomme
et la slection sexuelle
Traduit de lAnglais par Edmond Barbier daprs la 2e dition revue
et augmente par lauteur
Paris : Librairie C. Reinwald, Schleicher Frres, diteurs.
1876
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 5
Table des matires Prface de Ch. Darwin la deuxime dition
anglaise, 1874. Prface de Carl Vogt pour la premire dition, 1869.
Introduction de lauteur
Premire partie. La descendance de lHomme
Chapitre I. Preuves lappui de lhypothse que lhomme descend
dune
forme infrieure Chapitre II. Sur le dveloppement de lhomme de
quelque type infrieur Chapitre III. Comparaison des facults
mentales de lhomme avec celles des
animaux infrieurs Chapitre IV. Comparaison des facults mentales
de lhomme avec celles des
animaux infrieurs (suite) Chapitre V. Sur le dveloppement des
facults intellectuelles et morales
pendant les temps primitifs et les temps civiliss Chapitre VI.
Affinits et gnalogie de lhomme Chapitre VII. Sur les races
humaines
Deuxime partie. La slection sexuelle
Chapitre VIII. Principes de la slection sexuelle Chapitre IX.
Les caractres sexuels secondaires dans les classes infrieures
du
rgne animal Chapitre X. Caractres sexuels secondaires chez les
insectes Chapitre XI. Insectes, suite Ordre des lpidoptres
(papillons et phalnes) Chapitre XII. Caractres sexuels secondaires
des poissons, des amphibies et
des reptiles Chapitre XIII. Caractres sexuels secondaires des
oiseaux Chapitre XIV. Oiseaux (suite) Chapitre XV. Oiseaux (suite)
Chapitre XVI. Oiseaux (fin) Chapitre XVII. Caractres sexuels
secondaires chez les mammifres Chapitre XVIII. Caractres sexuels
secondaires chez les mammifres (suite)
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 6
Chapitre XIX. Caractres sexuels secondaires chez lhomme Chapitre
XX. Caractres sexuels secondaires chez lhomme (suite) Chapitre XXI.
Conclusion principale : lhomme descend de quelque type
infrieur
Note supplmentaire
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 7
La descendance de lhomme et la slection sexuelle (1876)
Prface de Charles Darwin la deuxime dition anglaise
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Retour la table des matires Depuis la publication de la premire
dition de cet ouvrage en 1871, jai pu y
faire des corrections importantes. Aprs lpreuve du feu, par
laquelle ce livre a pass, je me suis appliqu profiter des critiques
qui me semblaient avoir quelque fondement. Un grand nombre de
correspondants mont galement communiqu une foule si tonnante
dobservations et de faits nouveaux, que je ne pouvais en signaler
que les plus importants. La liste de ces nouvelles observations et
des corrections les plus importantes qui sont entres dans la
prsente dition se trouve ci-aprs. De nouveaux dessins faits daprs
nature par M. T. W. Wood ont galement remplac quatre figures de la
premire dition et quelques nouvelles gravures y ont t ajoutes.
Jappelle lattention du lecteur sur les observations qui mont
t
communiques par M. le professeur Huxley. Ces observations se
trouvent en Supplment la fin de la premire partie (page 274), et
traitent des diffrences du cerveau humain, compar aux cerveaux des
singes suprieurs. Ces observations ont dautant plus d-propos que
depuis quelques annes diverses publications populaires ont
grandement exagr limportance de cette question.
cette occasion, je dois faire observer que mes critiques
prtendent assez
souvent que jattribuais exclusivement la slection naturelle tous
les changements de structure corporelle et de puissance mentale,
quon appelle communment changements spontans ; jai cependant dj
constat, ds la premire dition de lOrigine des Espces, quon doit
tenir grand compte de
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 8
lusage ou du non-usage hrditaires, aussi bien des parties du
corps que des facults mentales. Une autre part dans ces changements
a t attribue par moi aux modifications dans la manire de vivre.
Encore faut-il admettre quelques cas de rversion occasionnelle de
structure, et tenir compte de ce que jai appel Croissance
corrlative voulant indiquer par l que diffrentes parties de
lorganisation sont, dune manire encore inexplique, dans une telle
connexion, que si lune de ces parties varie, lautre varie encore
davantage, et si ces changements ont t accumuls par lhrdit, dautres
parties peuvent tre modifies galement.
Dautres de mes critiques insinuent que, ne pouvant expliquer
certains
changements dans lhomme par la slection naturelle, jinventai la
slection sexuelle. Pourtant, dans la premire dition de lOrigine des
Espces, javais dj donn une esquisse claire de ce principe, en
remarquant quil sappliquait galement lhomme.
La slection sexuelle a t traite avec plus dtendue dans le prsent
ouvrage,
par la raison que loccasion sen prsentait pour la premire fois.
Jai t frapp de la ressemblance de la plupart des critiques moiti
favorables, de la slection sexuelle, avec celles quavait rencontres
la slection naturelle, prtendant, par exemple, que ces principes
pouvaient bien expliquer quelques faits isols, mais ne pouvaient
certainement pas tre employs avec lextension que je leur ai donne.
Ma conviction sur le pouvoir de la slection sexuelle na cependant
pas t branle, quoiquil soit probable, et mme certain quavec le
temps un certain nombre de mes conclusions pourront tre trouves
errones, chose tout fait explicable, puisquil sagit dun sujet trait
pour la premire fois. Lorsque les naturalistes se seront
familiariss avec lide de la slection sexuelle, je crois quelle sera
accepte plus largement, comme elle a dailleurs t admise dj par
plusieurs des juges les plus autoriss.
CH. DARWIN Septembre 1874
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 9
La descendance de lhomme et la slection sexuelle (1876)
Prface de Carl Vogt pour la premire dition
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Retour la table des matires Mon ami, M. Reinwald, me demande une
prface pour le nouveau livre de M.
Darwin dont jai vu natre la premire dition de la traduction
franaise. M. Darwin me fait lhonneur de citer, la premire page de
son uvre, une
phrase prononce dans un discours que javais adress, en avril
1869, lInstitut national genevois.
Je ne crois pouvoir rpondre mieux la demande de mon diteur et
ami, quen
mettant ici, et la place dune prface, la plus grande partie de
ce discours qui a reu une approbation si flatteuse de la part dun
matre tel que M. Darwin :
Dans toutes les sciences naturelles, nous pouvons signaler une
double
tendance des efforts faits pour les pousser plus loin et pour
leur faire porter les fruits que la socit est en droit dattendre
delles. Dun ct, la recherche minutieuse, seconde par linstallation
dexpriences aussi dgages que possible derreurs et de perturbations
; de lautre ct, le rattachement des rsultats obtenus certains
principes gnraux dont la porte devient dautant plus grande quils
engagent de nouvelles recherches dans des branches de la science en
apparence entirement trangres celle dont ils dcoulent en premier
lieu. Enfin, au fond de ce mouvement qui domine dans les sciences
et par consquent aussi dans la socit (car on ne peut plus nier
aujourdhui que ce soit les sciences qui marchent la tte de lhumanit
entire), au fond de ce mouvement, dis-je, saperoit ce besoin
daffranchissement de la pense, ce combat incessant contre lautorit
et la croyance transmise, hrite et autoritaire, qui, sous mille
formes diverses, agite le monde et tient les esprits en veil.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 10
Aussi voyez-vous ce courant de libert, daffranchissement et
dindpendance
au fond de toutes les questions qui surgissent les unes ct des
autres dans le monde politique, religieux, social, littraire et
scientifique ; ici, vous le voyez paratre comme tendance au
self-government, l comme critique des textes dits sacrs ; les uns
cherchent tablir, pour les conditions dexistence de la socit et des
diverses classes qui la composent, des lois semblables celles qui
gouvernent le monde physique, tandis que les autres soumettent
lpreuve des faits et des expriences les opinions et les assertions
de leurs devanciers, pour les trouver, le plus souvent, contraires
ce quenseignent les recherches nouvelles. Partout se forment deux
camps, lun de rsistance, lautre dattaque ; partout nous assistons
des luttes opinitres, mais dans lesquelles triomphera sans doute la
raison humaine, dgage de prjugs et derreurs implantes dans le
cerveau par hritage et par lenseignement pendant lenfance. Ces
luttes, toujours profitables lhumanit, mettent en plein jour les
liaisons qui existent entre les diffrentes branches des
connaissances humaines ; aucune ne saurait plus prtendre un domaine
absolu, et souvent les armes offensives et dfensives doivent tres
cherchs dans un arsenal tabli en apparence bien loin du camp dans
lequel on sest enrl primitivement. En mme temps, la somme de nos
connaissances acquises saccrot avec une telle rapidit, que
lorganisation humaine la plus amplement doue ne suffit plus pour
embrasser au complet, mme une branche isole. Aussi me
permettrez-vous de restreindre mon sujet et de rechercher
seulement, dans le petit domaine dont je me suis plus spcialement
occup, les manifestations de cette tendance gnrale que je viens de
signaler.
Comment se manifeste dans ltude des sciences biologiques
soccupant des
tres organiss et ayant vie, cet esprit dindpendance, cette
tendance briser les liens qui empchaient jusquici le libre
dveloppement de ces sciences ? Dune manire bien simple, messieurs.
On ne croit plus une force vitale particulire, dominant tous les
autres phnomnes organiques et attirant dans son domaine inabordable
tout ce qui ne cadre pas premire vue avec les faits connus dans les
corps inorganiques ; on ne part plus, comme dun axiome lev
au-dessus de toute dmonstration, de lide dun principe immatriel de
la vie qui nest combin avec le corps que temporairement et qui
continue son existence mme aprs la destruction de cet organisme par
lequel seul il se manifeste ; non, on laisse
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 11
absolument de ct ces questions et ces prtendus principes tirs
dun autre ordre dides, et on procde lanalyse du corps organis et de
ses fonctions comme on procderait celle dune machine trs complique,
mais dans laquelle il ny a aucune force occulte, aucun effet sans
cause dmontrable ; on part, en un mot, du principe que force et
matire ne font quun, que tout dans les corps organiques, nest que
transformations et transpositions incessantes, compensation
perptuelle. Et en appliquant ce principe ltude des corps organiss,
en saffranchissant, en un mot, de toute ide prconue et implante, on
arrive non seulement des rsultats et des conclusions qui doivent
rejaillir fortement sur dautres domaines, on est mme conduit la
conception dexpriences et dobservations qui auraient t impossibles,
inimaginables dans une poque antrieure o toutes les penses taient
domines par lide dune force vitale particulire. Dans ces temps-l,
un mouvement tait le rsultat dune volont dicte par cette force
vitale ; aujourdhui il est devenu la consquence ncessaire dune
irritation du systme nerveux, et, pour le produire, lorganisme ne
dpense pas de la force vitale, mais une quantit parfaitement
dtermine et mesurable de chaleur, engendre par la combustion dune
quantit aussi dtermine, de combustible que nous introduisons sous
forme daliment. Le muscle, qui se contracte, nest aujourdhui quune
machine, dont les effets de force sont dtermins aussi
rigoureusement que ceux dun cble de grue, et cette machine agit
aussi longtemps quelle nest pas drange, avec autant de prcision
quun cble inanim. Aujourdhui, nous dtachons un muscle dune
grenouille vivante, nous le mettons dans les conditions ncessaires
pour sa conservation, en empchant sa dessiccation et sa
dcomposition, nous lui donnons, comme du charbon une machine, de
temps en temps le sang ncessaire pour remplacer la matire brle par
loxygne de lair, et ce muscle isol, sous cloche, spar de
lorganisme, non depuis des heures et des jours, mais mme depuis des
semaines, ce muscle travaille sur chaque irrigation que nous lui
transmettons par llectricit aussi exactement quune spirale de
montre ds quil est mont ! Aujourdhui, nous dcapitons un animal,
nous le laissons mourir compltement, mais, aprs cette mort, nous
injectons dans la tte du sang dun autre animal de la mme espce
battu et chauff au degr ncessaire, et cette tte revit, rouvre ses
yeux, et ses mouvements nous prouvent que son cerveau, organe de la
pense, fonctionne de nouveau et de la mme manire comme avant sa
dcapitation.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 12
Je ne veux pas mtendre ici sur les consquences que lon peut
tirer de ces expriences. La physique inorganique nous prouve que
chaleur et mouvement ne sont quune seule et mme force, que la
chaleur peut tre transforme en mouvement et vice versa ; la
physique organique, car cest ainsi quon peut appeler aujourdhui
cette branche de la biologie, nous dmontre que les mmes lois
rgissent lorganisme ; nous mesurons le mouvement de la pense, nous
dterminons la vitesse, peu considrable du reste, avec laquelle elle
se transmet, et nous apprcions la chaleur dgage dans le cerveau par
ce mouvement. Mais, je le rpte, nous naurions pu arriver ces
expriences et leurs rsultats si frappants, si observateurs et
exprimentateurs navaient travaill, avant tout, laffranchissement de
leur propre pense, sils avaient rejet davance, avant de les tenter,
toute ide transmise par les autorits, pour sen tenir aux faits
seulement et aux lois qui en dcoulent. Lorsque Lavoisier prit la
premire fois la balance en main pour constater que le produit de la
combustion tait plus pesant que la substance brle, avant cette
opration, et que la combustion tait, par consquent, une combinaison
et non une destruction, il partait ncessairement du principe de
lindestructibilit de la matire et dtruisait en mme temps ce
phlogiston, cette force occulte et indmontrable que lon avait
invoque pour expliquer une foule de phnomnes du monde inorganique,
absolument comme on invoque encore aujourdhui cette force vitale
dont les retraites obscures sont forces et claires tour tour par le
flambeau de linvestigation.
Si nous constatons ici, dans le domaine de la physiologie,
lheureux effet de
laffranchissement de la mthode investigatrice, nous en pouvoir
voir encore une manifestation brillante dans le domaine de la
zoologie et de la botanique proprement dites. Je veux parler de la
direction nouvelle imprime ces sciences ainsi qu lanthropologie,
par Darwin.
Que veut, en effet, cette direction nouvelle qui se base, comme
toute
innovation, sur des prcdents, mais, il faut lavouer aussi, sur
des prcdents en grande partie oublis et ngligs ?
Avant tout, elle veut combattre des opinions transmises,
autoritaires, dictes
par un tout autre ordre dides, et acceptes, jusquici, comme on
accepte mille choses, sans en examiner le fond.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 13
Espces sont, avait dit Linn, les types crs ds le commencement ,
et on
avait accept, tant bien que mal, cette dfinition qui suppose un
crateur, un nombre considrable de types indpendants les uns des
autres, et un renouvellement successif de lameublement organique de
la terre, si jose mexprimer ainsi, daprs le plan fix davance dans
les diffrentes poques de son histoire. Cet axiome admis, il ny
avait plus, en ralit, examiner les rapports des diffrents
organismes entre eux, ni avec leurs prdcesseurs ; chaque espce tant
une cration indpendante en elle-mme, il tait, au fond, bien
indiffrent si le loup ressemblait au chien ou la baleine !
Or, si plusieurs prdcesseurs de Darwin avaient os sinsurger
partiellement
contre tel ou tel point de cet axiome, leurs voix taient restes
sans cho ; ces insurrections avortes navaient contribu, comme en
politique, qu mieux, asseoir le gouvernement existant et faire
croire son infaillibilit. Mais aujourdhui, grce Darwin, une
rvolution complte a t opre, et les partisans du gouvernement dchu
se trouvent peu prs dans la mme situation que les chefs de mainte
rvolution ; ils ne peuvent en aucune faon revenir aux anciens
errements, mais ils ne savent que mettre la place. Personne, en
Europe au moins, nose plus soutenir la cration indpendante, et de
toutes pices, des espces ; mais on hsite, lorsquil sagit de suivre
une voie nouvelle dont on ne voit pas encore lissue.
Il faut accepter cette thorie, a dit un homme de grand sens,
uniquement
parce que nous navons rien de meilleur. Que pouvez-vous mettre
sa place ? Je lai dit, la nouvelle direction imprime aux sciences
zoologiques par
Darwin nest pas tant remarquable en elle-mme que comme
manifestation de cet esprit libre qui tche de saffranchir de liens
imposs et qui veut voler de son propre essor. Elle veut rattacher
les innombrables formes dans lesquelles sest manifeste la vie
organique cette circulation gnrale qui anime le monde entier ; pour
traduire sa tendance par un mot emprunt la physique, elle veut
considrer les organismes comme des manifestations, enchanes entre
elles, dune seule et mme force, et non pas comme des forces
indpendantes, depuis Lavoisier, sur le principe de la matire
imprissable, les tonnantes dcouvertes
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 14
de Mayer et de ses successeurs ont t engendres par la conception
de la force imprissable. Dans toutes les modifications de la forme,
la quantit de force dpense reste toujours la mme ; la force est
mutable en sa qualit, mais non en sa quantit ; elle est
indestructible comme la matire ; chaque molcule, chaque quantit
apprciable de la matire est lie, dune manire imprissable et
ternelle, une quantit correspondante de force. Les manifestations
extrieures de la force peuvent revtir autant de formes diffrentes
que la matire, mais la quantit dpense dans une opration ou mutation
quelconque doit se retrouver dans une autre opration prcdente ou
suivante, et doit rester identiquement la mme dans toute la srie
des phnomnes qui se sont passs antrieurement ou qui doivent suivre
dans le cours du temps.
Noublions pas, messieurs, que ce principe, connu par Mayer, il
ny a pas
encore trente ans, nous a valu la dtermination de lquivalent en
force de la chaleur, lidentification de la chaleur et du mouvement,
enfin toutes ces dcouvertes et applications magnifiques qui se
succdent depuis quelques annes avec une rapidit si tonnante. Ne
faut-il pas croire que lapplication de ce mme principe aux sciences
organiques et descriptives sy montrera tout aussi fconde quelle
sest dj montre dans les sciences physiques ?
Que voulons-nous en effet ? Dmontrer que les formes si
innombrables de la
nature organise ne sont que des mutations dun fond imprissable
dune quantit dtermine de matire et de force ; dmontrer que chaque
forme organique est le rsultat ncessaire de toutes les
manifestations organiques qui lont prcde, et la base ncessaire de
toutes celles qui vont la suivre ; dmontrer, par consquent, que
toutes les formes actuelles sont lies ensemble par les racines
depuis lesquelles elle se sont leves dans lhistoire de la terre, et
dans les diffrentes priodes dvolution que notre plante a parcourues
; dmontrer, enfin, que les forces qui se manifestent dans
lapparition de ces formes sont toujours restes les mmes, et quil ny
a pas de place, ni dans le monde inorganique, ni dans le monde
organique, pour une force tierce indpendante de la matire, et
pouvant faonner celle-ci suivant son gr ou son caprice.
Tel est, ce me semble, le vritable noyau de ce quon est convenu
dappeler le
Darwinisme ; son essence intime ne peut se dfinir autrement,
suivant mon avis. Il
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 15
nimporte que les uns suivent cette direction, pour ainsi dire
instinctivement, sans se rendre compte des derniers rsultats
auxquels elle doit ncessairement conduire, tandis que les autres
voient clairement le but vers lequel ils tendent ; limportant est
que cette direction se trouve, comme on dit, dans lair, quelle
simprime par le milieu spirituel dans lequel vit lhomme
scientifique tous les travaux, et quelle sassoie mme ct de
ladversaire pour corriger ses preuves avant quelles ne passent la
publicit.
Lhritage et la transmission des caractres est dans le monde
organique, ce
qui, dans le monde inorganique, est la continuation de la force.
Chaque tre est donc le rsultat ncessaire de tous les anctres qui
lont prcd, et, pour comprendre son organisation et la combinaison
varie de ses organes, il faut tenir compte de toutes les
modifications, de toutes les formes passes qui, par hritage, ont
apport leur contingent dans la nouvelle combinaison existante. Et
de mme que la force primitive se montre dans le monde physique et
suivant les conditions extrieures, tantt comme mouvement, tantt
comme chaleur, lumire, lectricit ou magntisme, de mme ces
conditions extrieures influent sur le rsultat de lhritage et amnent
des variations et des transformations qui se transmettent leur tour
aux formes conscutives.
Une tche immense incombe donc aujourdhui aux sciences
naturelles. Dans
les temps passs, ltude des formes extrieures suffisait aux buts
restreints de la science ; plus tard il fallut ajouter ltude de
lorganisation intrieure autant dans les dtails microscopiques que
dans les arrangements saisissables lil nu ; un pas de plus
conduisait ncessairement, pour comprendre les analogies, les
rapports et les diffrences dans la cration actuelle (quon me passe
le mot) vers lembryognie compare, savoir la comparaison des
diffrentes manires dont se construit et saccomplit lorganisme
depuis son germe jusqu sa fin ; il fallut avoir recours la
palontologie, ltude des tres fossiles qui ont prcd les formes
actuelles, et cela dans le but de comprendre la parent plus ou
moins loigne qui relie ces tres entre eux. Aujourdhui, il faut
ajouter tous ces lments, clairs dun nouveau jour, ltude des limites
possibles des variations que peut prsenter un type ; linfluence,
minemment variable des milieux ambiants sur les diffrents types, et
construire ainsi pice par pice les organismes dfinitifs, mais
variables, que nous avons devant les yeux.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 16
Eh bien, messieurs, peut-on raisonnablement croire que lhomme
seul ne soit
pas soumis ces grandes lois de la nature, que lui seul parmi les
tres organiss, ait une origine fondamentalement diffrente de la
leur, que seul il nait ni formes parentes, ni prdcesseurs dans
lhistoire de la terre, et que son existence ne se rattache aucune
autre ? Vraiment, pose en ces termes, la question me parat rsolue
davance ! Mais la consquence qui dcoule ncessairement de ces
prmisses, cest qu lanthropologie est dvolue la mme tche qu toutes
les autres branches de lhistoire naturelle, quelle ne doit pas se
contenter dtudier lhomme en lui-mme, et sous les diffrentes formes
quil prsente la surface de la terre, mais quelle doit sonder ses
origines, scruter son pass lointain, recueillir avec soin toutes
les donnes que peuvent fournir ses fonctions, son organisation, son
dveloppement individuel, son histoire, dans le sens habituel du
mot, mais en se rapportant un pass bien antrieur, et quelle doit
remonter ainsi, Comme la science le fait pour toutes les autres
formes organiques, larbre gnalogique jusque vers les branches
congnres, portes par les mmes racines, mais dveloppes dune manire
diffrente.
Les dcouvertes rcentes ont ouvert un horizon immense aux tudes
relatives
lhomme. Dans tous les pays nous remarquons une ardeur presque
fivreuse pour remonter aux origines de lhomme caches dans les
couches de la terre ; de tous les cts, on apporte les preuves dune
antiquit bien recule du type homme, que les imaginations les plus
exaltes nauraient jamais pu supposer jadis. Chaque jour cette
Europe tant fouille par les gnrations passes ouvre son sein pour
nous montrer des trsors nouveaux, ou pour nous donner, par des
faits inaperus jusqu prsent, la clef dune foule dnigmes que nous ne
savions rsoudre. Nous assistons cette poque o lhomme sauvage,
montrant des infriorits trs marques dans son organisation
corporelle, chassait dans les plaines du continent europen et de
lAngleterre le mammouth et le rhinocros, le renne et le cheval
sauvage ; nous suivons cet homme dans sa civilisation ascendante o
il devient nomade, ptre, agriculteur, industriel, commerant,
trafiqueur et fondeur de mtaux ; l o lhistoire et la tradition nous
font dfaut, nous lisons les faits et gestes de cette antiquit
prhistorique dans les pierres et les bois ! Et, tandis que les
curieux de la nature , comme sappelaient, dans une acadmie clbre
les savants scrutateurs, poursuivent ainsi, de couche en couche,
les gestes de lactivit
-
Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 17
humaine ; dautres, non moins curieux, sattachent son
organisation en reprenant un un tous les caractres jusque dans
leurs petits dtails, en tudiant leur dveloppement dans le cours de
la vie depuis le premier germe jusqu la fin, ou bien sadressant aux
races, leurs particularits, pour y trouver les preuves dune
infriorit ou supriorit relatives, dont les premires marquent les
jalons de la route parcourue par le type homme lui-mme, tandis que
les autres indiquent la voie que ce type va suivre en slevant et en
se modifiant. Les fonctions de lorgane de la pense tant intimement
lies son organisation et dpendant de celle-ci, ltude des
manifestations de lesprit et de la plus importante de ces
manifestations, de la langue articule, noccupe pas une petite place
dans les objets que lanthropologie doit embrasser.
Il faut avouer franchement, messieurs, que cette tude
historique, comparative
et gnsique du type homme est encore dans lenfance, et que tout
ce qui a t fait jusqu prsent nest rien en comparaison de ce qui
reste faire. Est-il tonnant quil en soit ainsi, le principe dont
dcoulent ces travaux nayant t introduit dans la science que depuis
quelques annes peine ?
Je nai rien ajouter. M. Darwin prend lhomme tel quil se
prsente
aujourdhui, il examine ses qualits corporelles, morales et
intellectuelles, et recherche les causes qui doivent avoir concouru
la formation de ses qualits si diverses et si compliques. Il tudie
les effets quont produits ces mmes causes en agissant sur dautres
organismes et, trouvant des effets analogues ont t en jeu. La
conclusion finale de ces recherches, conduites avec une sagacit
rare et gale seulement par une rudition hors ligne, est que lhomme,
tel que nous le voyons aujourdhui, est le rsultat dune srie de
transformations accomplies pendant les dernires poques
gologiques.
Nul doute que ces conclusions trouveront beaucoup de
contradicteurs. Ce
nest pas un mal, la vrit nat du choc des esprits. C. VOGT.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 18
La descendance de lhomme et la slection sexuelle (1876)
Introduction _______
Retour la table des matires La nature du prsent livre sera mieux
comprise, par un court aperu de la
manire dont il a t crit. Jai pendant bien des annes recueilli
des notes sur lorigine et la descendance de lhomme, sans avoir
aucune intention de faire quelque publication sur ce sujet ; bien
plus, pensant que je ne ferais ainsi quaugmenter les prventions
contre mes vues, javais plutt rsolu le contraire. Il me parut
suffisant dindiquer, dans la premire dition de mon Origine des
espces, que louvrage pourrait jeter quelque jour sur lorigine de
lhomme et son histoire ; indiquant ainsi que lhomme doit tre avec
les autres tres organiss compris dans toute conclusion gnrale
relative son mode dapparition sur la terre. Actuellement le cas se
prsente sous un aspect tout diffrent. Lorsquun naturaliste comme C.
Vogt, dans son discours prsidentiel lInstitut national genevois
(1869), peut risquer davancer que personne, en Europe du moins,
nose plus soutenir la cration indpendante et de toutes pices des
espces, il est vident quau moins un grand nombre de naturalistes
doivent admettre que les espces sont les descendants modifis
dautres espces ; cela est surtout vrai pour ceux de la nouvelle et
jeune gnration. La plupart acceptent laction de la slection
naturelle ; bien que quelques-uns objectent, ce dont lavenir aura
en toute justice dcider, que jai beaucoup trop haut valu son
importance. Mais il est encore bien des chefs plus anciens et
honorables de la science naturelle, qui sont malheureusement opposs
lvolution, sous quelque forme quelle se prsente.
Les opinions actuellement adoptes par la plupart des
naturalistes, qui comme dans tous les cas de ce genre, seront
ultrieurement suivies par dautres, mont par consquent engag
rassembler mes notes, afin de massurer jusqu quel point
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 19
les conclusions auxquelles mes autres travaux mont conduit,
pouvaient sappliquer lhomme. Ctait dautant plus dsirable que je
navais jamais, de propos dlibr, appliqu mes vues une espce prise
part. Lorsque nous limitons notre attention une forme donne, nous
sommes privs des arguments puissants que nous pouvons tirer de la
nature des affinits qui unissent des groupes entiers dorganismes,
de leur distribution gographique dans les temps passs et prsents,
et de leur succession gologique. La conformation homologique, le
dveloppement embryonnaire, et les organes rudimentaires dune espce,
quil sagisse de lhomme ou dun autre animal, points sur lesquels
nous pouvons porter notre attention, restent considrer ; mais tous
ces grands ordres de faits apportent, il me semble, des preuves
abondantes et concluantes en faveur du principe de lvolution
graduelle. Toutefois il faut toujours avoir prsent lesprit le
puissant appui que fournissent les autres arguments.
Lunique objet de cet ouvrage est de considrer : premirement, si
lhomme,
com
e prsent ouvrage ne renferme presque point de faits originaux
sur lhomme ; mai
me toute espce, descend de quelque forme prexistante ;
secondement, le mode de son dveloppement ; et, troisimement, la
valeur des diffrences existant entre ce quon appelle les races
humaines. Comme je me bornerai traiter ces points, il ne me sera
pas ncessaire de dcrire en dtail ces diffrences entre les diverses
races, sujet norme qui a dj t amplement discut dans beaucoup
douvrages de valeur. La haute antiquit de lhomme rcemment dmontre
par les travaux dune foule dhommes minents, Boucher de Perthes en
tte, est lindispensable base de lintelligence de son origine. Je
tiendrai par consquent cette conclusion pour admise, et renverrai
mes lecteurs pour ce sujet aux beaux traits de Sir C. Lyell, Sir J.
Lubbock et autres Je naurai pas non plus davantage faire qu
rappeler ltendue des diffrences existant entre lhomme et les singes
anthropomorphes, les professeurs Huxley ayant, selon lavis des
juges les plus comptents, tabli de la manire la plus concluante
que, dans chaque caractre visible, lhomme diffre moins des singes
suprieurs, que ceux-ci ne diffrent des membres infrieurs du mme
ordre des Primates.
Ls les conclusions auxquelles, aprs un aperu en gros, je suis
arriv, mayant
paru intressantes, jai pens quelles pourraient ltre pour
dautres. On a souvent affirm avec assurance que lorigine de lhomme
ne pourrait jamais tre connue ;
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 20
mais lignorance engendre plus souvent la confiance que ne fait
le savoir, et ce ne sont que ceux qui savent peu, et non ceux qui
savent beaucoup, qui affirment dune manire aussi positive que la
science ne pourra jamais rsoudre tel ou tel problme. La conclusion
que lhomme est, avec dautres espces, le co-descendant de quelque
forme ancienne infrieure et teinte, nest en aucune faon nouvelle.
Lamarck tait, il y a longtemps, arriv cette conclusion, que
plusieurs naturalistes minents ont soutenue rcemment ; par exemple,
Wallace, Huxley, Lyell, Vogt, Lubbock, Rolle 1, etc., et surtout
Hckel. Ce dernier, outre son grand ouvrage intitul Generelle
Morphologie (1866), a rcemment (1868, avec une seconde dition en
1870) publi sa Natrliche Schp-fangsgeschichte 2, dans laquelle il
discute compltement la gnalogie de lhomme. Si cet ouvrage avait
paru avant que mon essai et t crit, je ne laurais probablement
jamais achev. Je trouve que ce naturaliste dont les connaissances
sont, sur beaucoup de points, bien plus compltes que les miennes, a
confirm presque toutes les conclusions auxquelles jai t conduit.
Partout o jai extrait quelque fait ou opinion des ouvrages du
professeur Hckel, je le cite dans le texte, laissant les autres
affirmations telles quelles se trouvaient dans mon manuscrit, en
renvoyant par note ses ouvrages, pour la confirmation des points
douteux ou intressants.
Depuis bien des annes, il ma paru fort probable que la slection
a jou un
rle
important dans la diffrenciation des races humaines ; et, dans
mon Origine des Espces (1re dition), je me contentai de ne faire
cette croyance quune simple allusion ; mais, lorsque jen vins
lappliquer lhomme, je vis quil tait
1 Je nai pas besoin de donner les titres des ouvrages si connus
des auteurs
premirement cits ; mais ceux des deux derniers tant moins
connus, les voici : Sechs Vorlesungen ber die Darwinsche Theorie,
2te Auflage, 1868, Doctor von L. Bchner (traduit en franais par A.
Jacquot sous le titre de Confrences sur la thorie darwinienne.
Paris, 1869). Der Mensch, im Lichie des Darwinsschen Lehre, 1865,
von Doctor F. Rolle. Sans pouvoir rfrer tous les auteurs qui ont
trait le mme ct de la question, jindiquerai encore G. Ganestrini,
Annuarion della soc. d. nat. Modena, 1867, travail curieux sur les
caractres rudimentaires, et leur porte sur lorigine de lhomme. Le
docteur Barrago Francesco a publi, en 1869, un autre ouvrage dont
le titre italien est : lHomme, fait limage de Dieu, fut aussi fait
limage du singe.
2 Traduit en franais par le docteur C. Letourneau, sous le titre
: Histoire de la Cration naturelle. 2e dition, Paris, C.
Reinwald.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 21
indispensable de traiter le sujet dans tous ses dtails 3. Il en
est rsult que la seconde partie du prsent ouvrage, traitant de la
slection sexuelle, a pris relativement la premire un dveloppement
considrable, mais qui tait invitable.
Javais lintention dajouter ici un essai sur lexpression des
diverses motions
chez lhomme et les animaux moins levs, sujet sur lequel mon
attention avait, il y a bien des annes, t attire par louvrage
remarquable de Sir G. Bell. Cet anatomiste soutient que lhomme
possde certains muscles uniquement destins exprimer ses motions,
opinion que je devais prendre en considration, comme videmment
oppose lide que lhomme soit le descendant de quelque autre forme
infrieure. Je dsirais galement vrifier jusqu quel point les motions
sexpriment de la mme manire dans les diffrentes races humaines.
Mais, en raison de la longueur de louvrage actuel, jai d renoncer y
introduire cet essai, qui est en partie achev, et fera lobjet dune
publication spare.
3 Le professeur Hckel est le seul auteur qui, depuis la
publication de lOrigine
des espces, ait, dans ses diffrents ouvrages, discut avec
beaucoup de talent le sujet de la slection sexuelle, et en ait
compris toute limportance.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 22
Premire partie.
La descendance ou lorigine de lhomme
Retour la table des matires
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 23
La Vrit Sur la Question Romaine (1930) Premire partie. La
descendance ou lorigine de lhomme
Chapitre I
Preuves lappui de lhypothse que lhomme descend dune forme
infrieure
Nature des preuves sur lorigine de lhomme. Conformations
homologues
chez lhomme et les animaux infrieurs. Points de similitude
divers. Dveloppement. Conformations rudimentaires, muscles, organes
des sens, cheveux, os, organes reproducteurs, etc. Porte de ces
trois ordres de faits sur lorigine de lhomme.
Retour la table des matires Lhomme est-il le descendant de
quelque forme prexistante ? Pour rsoudre
cette question, il convient dabord de rechercher si la
conformation corporelle et les facults mentales de lhomme sont
sujettes des variations, si lgres quelles soient ; et, dans ce cas,
si ces variations se transmettent sa progniture conformment aux
lois qui prvalent chez les animaux infrieurs. Il convient de
rechercher, en outre, si ces variations, autant que notre ignorance
nous permet den juger, sont le rsultat des mmes causes, si elles
sont rgles par les mmes lois gnrales que chez les autres
organismes, par corrlation, par les effets hrditaires de lusage et
du dfaut dusage, etc. ? Lhomme est-il sujet aux mmes difformits,
rsultant darrts de dveloppement, de duplication de parties, etc.,
et fait-il retour, par ses anomalies, quelque type antrieur et
ancien de conformation ? On doit naturellement aussi se demander
si, comme tant dautres animaux, lhomme a donn naissance des varits
et des sous-races, diffrant peu les unes des autres, ou des races
assez distinctes pour quon doive les classer comme des espces
douteuses ? Comment ces races sont-elles distribues la surface de
la terre, et, lorsquon les croise, comment ragissent-elles les
unes
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 24
de la terre, et, lorsquon les croise, comment ragissent-elles
les unes sur les autres, tant dans la premire gnration que dans les
suivantes ? Et de mme pour beaucoup dautres points.
Lenqute aurait ensuite lucider un problme important : lhomme
tend-il
se multiplier assez rapidement pour quil en rsulte une lutte
ardente pour lexistence, et, par suite, la conservation des
variations avantageuses du corps ou de lesprit, et llimination de
celles qui sont nuisibles ? Les races ou les espces humaines, quel
que soit le terme quon prfre, empitent-elles les unes sur les
autres et se remplacent-elles de manire ce que finalement il en
disparaisse quelques-unes ? Nous verrons que toutes ces questions,
dont la plupart ne mritent pas la discussion, rsolues quelles sont
dj, doivent, comme pour les animaux infrieurs, se rsoudre par
laffirmative. Nous pouvons, dailleurs, laisser de ct pour le moment
les considrations qui prcdent, et examiner dabord jusqu quel point
la conformation corporelle de lhomme offre des traces plus ou moins
videntes de sa descendance de quelque type infrieur. Nous
tudierons, dans les chapitres suivants, les facults mentales de
lhomme, en les comparant celles des animaux plus bas sur
lchelle.
Conformation corporelle de lhomme. On sait que lhomme est
construit sur
le mme type gnral que les autres mammifres. Tous les os de son
squelette sont comparables aux os correspondants dun singe, dune
chauve-souris ou dun phoque. Il en est de mme de ses muscles, de
ses nerfs, de ses vaisseaux sanguins et de ses viscres internes. Le
cerveau, le plus important de tous les organes, suit la mme loi,
comme lont tabli Huxley et dautres anatomistes. Bischoff 4,
adversaire dclar de cette doctrine, admet cependant que chaque
fissure principale et chaque pli du cerveau humain ont leur
analogie dans celui de lorang-outang ; mais il ajoute que les deux
cerveaux ne concordent compltement aucune priode de leur
dveloppement : concordance laquelle on ne doit dailleurs pas
sattendre, car autrement leurs facults mentales seraient
4 Grosshirnwindungen des Menschen, 1868, p. 96. Les conclusions
de cet
auteur, ainsi que celles de Gratiolet et dAeby, relativement au
cerveau ont t discutes par le professeur Huxley dans lAppendice,
auquel nous avons fait allusion dans la prface de cette nouvelle
dition.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 25
les mmes. Vulpian 5 fait la remarque suivante : Les diffrences
relles qui existent entre lencphale de lhomme et celui des singes
suprieurs sont bien minimes. Il ne faut pas se faire dillusions cet
gard. Lhomme est bien plus prs des singes anthropomorphes par les
caractres anatomiques de son cerveau que ceux-ci ne le sont non
seulement des autres mammifres, mais mme de certains quadrumanes,
des guenons et des macaques. Mais il serait superflu dentrer ici
dans plus de dtails sur lanalogie qui existe entre la structure du
cerveau et toutes les autres parties du corps de lhomme et la
confrontation des mammifres suprieurs.
Il peut, cependant, tre utile de spcifier quelques points, ne se
rattachant ni
directement ni videmment la conformation, mais qui tmoignent
clairement de cette analogie ou de cette parent.
Lhomme peut recevoir des animaux infrieurs et leur communiquer
certaines
maladies, comme la rage, la variole, la morve, la syphilis, le
cholra, lherps, etc. 6, fait qui prouve bien plus videmment lextrme
similitude 7 de leurs tissus et de leur sang, tant dans leur
composition que dans leur structure lmentaire, que ne le pourrait
faire une comparaison faite sous le meilleur microscope, ou
lanalyse chimique la plus minutieuse. Les singes sont sujets un
grand nombre de nos maladies non contagieuses ; ainsi Rengger 8,
qui a observ pendant longtemps le Cebus Azar dans son pays natal, a
dmontr quil est sujet au catarrhe, avec ses symptmes ordinaires qui
amnent la phtisie lorsquils se rptent souvent. Ces singes souffrent
aussi dapoplexie, dinflammation des
5 Leons sur la physiologie, 1866, p. 890, cites par M. Dally :
lOrdre des
primates et leur transformisme, 1868, p. 29. 6 Le docteur W.
Lauder Lindsay a trait longuement ce sujet, Journal of Mental
Science, juillet 1871 ; Edinburgh Veterinary Review, juillet
1858. 7 Un crivain (British quarterly Review, 1er octobre 1871, p.
472) a critiqu en
termes trs svres et trs violents lallusion contenue dans cette
phrase ; mais, comme je nemploie pas le terme identit, je ne crois
pas faire erreur. Il me parat y avoir une grande analogie entre une
mme maladie contagieuse ou pidmique produisant un mme rsultat, ou
un rsultat presque analogue, chez deux animaux distincts et lessai
de deux fluides distincts par un mme ractif chimique.
8 Naturgeschishte des Sugethiere von Paraguay, 1830, p. 50.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 26
entrailles et de la cataracte. La fivre emporte souvent les
jeunes au moment o ils perdent leurs dents de lait. Les remdes ont
sur les singes les mmes effets que sur nous. Plusieurs espces de
singes ont un got prononc pour le th, le caf et les liqueurs
spiritueuses ; ils fument aussi le tabac avec plaisir, ainsi que je
lai observ moi-mme 9. Brehm assure que les habitants des parties
nord-ouest de lAfrique attrapent les mandrills en exposant leur
porte des vases contenant de la bire forte, avec laquelle ils
snivrent. Il a observ quelques-uns de ces animaux en captivit dans
le mme tat divresse, et fait un rcit trs divertissant de leur
conduite et de leurs bizarres grimaces. Le matin suivant, ils
taient sombres et de mauvaise humeur, se tenaient la tte deux mains
et avaient une piteuse mine ; ils se dtournaient avec dgot lorsquon
leur offrait de la bire ou du vin, mais paraissaient tre trs
friands du jus de citron 10. Un singe amricain, un Ateles, aprs
stre nivr deau-de-vie, ne voulut plus jamais en boire, se montrant
en cela plus sage que bien des hommes. Ces faits peu importants
prouvent combien les nerfs du got sont semblables chez lhomme et
chez les singes, et combien leur systme nerveux entier est
similairement affect.
Lhomme est infest de parasites internes, dont laction provoque
parfois des
effets funestes ; il est tourment par des parasites externes,
qui appartiennent aux mmes genres ou aux mmes familles que ceux qui
attaquent dautres mammifres, et, dans le cas de la gale, la mme
espce 11. Lhomme est, comme dautres animaux, mammifres, oiseaux,
insectes mme 12, soumis cette loi mystrieuse en vertu de laquelle
certains phnomnes normaux, tels que la gestation, ainsi que la
maturation et la dure de diverses maladies, suivent les phases de
la lune. Les mmes phnomnes se produisent chez lui et chez les
9 Certains animaux, placs beaucoup plus bas sur lchelle,
partagent parfois les
mmes gots. M. A. Nicolas mapprend quil a lev Queensland
(Australie) trois individus de la varit Phaseolarctus cinereus, et
que tous trois acquirent bientt un got prononc pour le rhum et le
tabac.
10 Brehm, Thierleben, B I, 1864, pp. 75, 86. Sur lAteles, p.
105. Pour dautres assertions analogues, pp. 25, 107.
11 Docteur W. Lauder Kindsay, Edinburgh Vetenary Review, juillet
1858, p. 13. 12 Relativement aux insectes, docteur Laycok : On a
general Law of Vital
Periodicity (British Association), 1842. Le docteur Mac Culloch
(Sillimans North Americ. Journ. of science, vol. XVII p. 305) a vu
un chien souffrant dune fivre tierce. Jaurai revenir sur ce
point.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
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animaux pour la cicatrisation des blessures, et les moignons qui
subsistent aprs lamputation des membres possdent parfois, surtout
pendant les premires phases de la priode embryonnaire, une certaine
puissance de rgnration, comme chez les animaux infrieurs 13.
Lensemble de la marche de limportante fonction de la
reproduction de
lespce prsente les plus grandes ressemblances chez tous les
mammifres, depuis les premires assiduits du mle 14 jusqu la
naissance et lallaitement des jeunes. Les singes naissent dans un
tat presque aussi faible que nos propres enfants, et, dans certains
genres, les jeunes diffrent aussi compltement des adultes, par leur
aspect, que le font nos enfants de leurs parents 15. Quelques
savants ont prsent, comme une distinction importante, le fait que,
chez lhomme, le jeune individu natteint la maturit qu un ge
beaucoup plus avanc que chez tous les autres animaux ; mais, si
nous considrons les races humaines habitant les contres tropicales,
la diffrence nest pas bien considrable, car on admet que lorang ne
devient adulte qu dix ou quinze ans 16. Lhomme diffre de la femme
par sa taille, par sa force corporelle, par sa villosit, etc.,
ainsi que par son intelligence, dans la mme proportion que les deux
sexes chez la plupart des mammifres. Bref, il nest pas possible
dexagrer ltroite analogie qui existe entre lhomme et les animaux
suprieurs, surtout les singes anthropomorphes, tant
Jai indiqu les preuves cet gard dans la Variation des13 Animaux
et des
14
ebat juniores, et dignoscebat in turb, et advocabat voce
Plantes ltat domestique, vol. II, p. 14 (Paris, Reinwald). Mares
e duversis generibus Quadrumanorum sine dubio dignoscunt feminas
humanas a maribus. Primum, credo, odoratu, poste aspectu. M.
Youatt, qui diu in Hortis Zoologicis (Bestiariis) medicus animalium
erat, vir in rebus observantis cautus et sagax, hoc mihi certissime
probavit, et cuuratores ejusdem loci et alii e ministris
confirmaverunt. Sir Andrew et Brehm notabant idem in Cynocephalo.
Illustrissimus Cuvier etiamm narrat multa de hc re, qu ut apinor,
nihil turpius potest indicari inter omnia hominibus et Quadrumanis
communia. Narrat enim Cinocephalum quemdam in furorem incidere
aspectu feminarum, sed nequaquam accendi tanto furore ab omnibus
Semper eliggestque. 15 Cette remarque a t faite pour les
Cynocphales et pour les singes enthropomorphes par Geoffroy
Saint-Hilaire et F. Cuvier (Hist. nat. des mammifres, t. I,
1824).
16 Huxley, Mans place in Nature, 1863, p.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
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dans la conformation gnrale de la structure lmentaire des tissus
que dans la composition chimique et la constitution.
Dveloppement embryonnaire. Lhomme se dveloppe dun ovule
ayant
environ 0,02 mm de diamtre ; cet ovule ne diffre en aucun point
de celui des autres animaux une priode prcoce ; cest peine si lon
peut distinguer cet embryon lui-mme de celui dautres membres du
rgne des vertbrs. A cette priode, les artres circulent dans des
branches arques, comme pour porter le sang dans des branchies qui
nexistent pas dans les vertbrs suprieurs, bien que les fentes
latrales du cou persistent et marquent leur ancienne position (fig.
1, f, g). Un peu plus tard, lorsque les extrmits se dveloppent,
ainsi que le remarque le clbre de Bar, les pattes des lzards et des
mammifres, les ailes et les pattes des oiseaux, de mme que les
mains et les pieds de lhomme, drivent de la mme forme fondamentale
. Cest, dit le professeur Huxley 17, dans les toutes dernires
phases du dveloppement, que le jeune tre humain prsente des
diffrences marques avec le jeune singe, tandis que ce dernier
sloigne autant du chien dans ses dveloppements que lhomme lui-mme
peut sen loigner. On peut dmontrer la vrit de cette assertion, tout
extraordinaire quelle puisse paratre.
Comme plusieurs de mes lecteurs peuvent navoir jamais vu le
dessin dun emb
prs les assertions de ces hautes autorits, il est inutile
dentrer dans de plus amples dtails pour prouver la grande
ressemblance quoffre lembryon humain
ryon, je donne ceux de lhomme et du chien (fig. 1, Pl. 1), tous
deux peu prs la mme phase prcoce de leur dveloppement, et je les
emprunte deux ouvrages dont lexactitude est incontestable 18.
A
17 Mans place in Nature, 1868, p. 67. 18 Lembryon humain (fig.
suprieure) est tir dEcker ; Icones Phys., 1859, tabl.
XXX, fig. 2 ; cet embryon avait 10 lignes de longueur, par
consquent la figure est trs agrandie. Lembryon du chien est emprunt
Bischoff ; Entwicklungschichle des Hunde-Eies, 1845, tabl. XI, fig.
42, B. La figure est grossie cinq fois et dessine daprs un embryon
g de 25 jours. Les viscres internes, ainsi que les appendices
utrins, ont t omis dans les deux cas. Cest le professeur Huxley qui
ma indiqu ces figures ; cest dailleurs en lisant son ouvrage, Mans
place in Nature, que jai eu lide de les reproduire. Hkel a donn des
dessins analogues dans son ouvrage Schpfungsgeschichte.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 29
ave
c celui des autres mammifres. Jajouterai, cependant, que
certains points de la conformation de lembryon humain ressemblent
aussi certaines conformations danimaux infrieurs ltat adulte. Le
cur, par exemple, nest dabord quun simple vaisseau pulsateur ; les
djections svacuent par un passage cloacal ; los coccyx fait saillie
comme une vritable queue, qui stend beaucoup au-del des jambes
rudimentaires 19. Certaines glandes, dsignes sous le nom de corps
de Wolff, existant chez les embryons de tous les vertbrs
respiration arienne, correspondent aux reins des poissons adultes
et fonctionnent comme eux 20. On peut mme observer, une priode
embryonnaire plus tardive, quelques ressemblances frappantes entre
lhomme et les animaux infrieurs. Bischoff assure qu la fin du
septime mois, les circonvolutions du cerveau dun embryon humain en
sont peu prs au mme tat de dveloppement que chez le babouin adulte
21. Le professeur Owen fait remarquer 22 que le gros orteil, qui
fournit le point dappui dans la marche, aussi bien debout qu ltat
de repos, constitue peut-tre la particularit la plus caractristique
de la structure humaine ; mais le professeur est 23 a dmontr que,
chez lembryon ayant environ un pouce de longueur, lorteil est plus
court que les autres doigts, et que, au lieu de leur tre parallle,
il forme un angle avec le pied, correspond ainsi par sa position
avec ltat permanent de lorteil des quadrumanes . Je termine par une
citation de Huxley 24, qui se demande : lhomme est-il engendr, se
dveloppe-t-il, vient-il au monde dune faon autre que le chien,
loiseau, la grenouille, ou le poisson ? Puis il ajoute : La rponse
ne peut pas tre douteuse un seul instant ; il est incontestable que
le mode dorigine et les premires phases du dveloppement humain sont
identiques ceux des animaux qui occupent les degrs immdiatement
au-dessous de lui sur lchelle, et qu ce point de vue il est
beaucoup plus voisin des singes que ceux-ci ne le sont du
chien.
19 Prof. Wyman, dans Proc. of American Acad. of sciences ; vol.
IV, 1860, p. 17. 20 Owen, Anatomy of vertebrates, vol. I, p. 533.
21 Die Grosshirnwindungen des Menschen, 1868, p. 95. 22 Anatomy of
vertebrates, vol. II, p. 553. 23 Proceedings Soc. Nat. Hist.,
Boston, 1863, vol. IX, p. 185. 24 Mans place in Nature, p. 65.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 30
Rudiments. Nous traiterons ce sujet avec plus de dveloppements,
bien quil ne soit pas intrinsquement beaucoup plus important que
les deux prcdents 25. On rencontre chez tous les animaux suprieurs
quelques parties ltat rudimentaire ; lhomme ne fait point exception
cette rgle. Il faut, dailleurs, distinguer, ce qui, dans quelques
cas, nest pas toujours facile, les organes rudimentaires de ceux
qui ne sont qu ltat naissant. Les premiers sont absolument
inutiles, tels que les mamelles chez les quadrupdes mles, et chez
les ruminants les incisives qui ne percent jamais la gencive ; ou
bien ils rendent seulement leurs possesseurs actuels de si lgers
services que nous ne pouvons pas supposer quils se soient dvelopps
dans les conditions o ils existent aujourdhui. Les organes, dans ce
dernier tat, ne sont pas strictement rudimentaires, mais tendent le
devenir. Les organes naissants, dautre part, bien quils ne soient
pas compltement dvelopps, rendent de grands services leurs
possesseurs et sont susceptibles dun dveloppement ultrieur. Les
organes rudimentaires sont minemment variables, fait qui se
comprend, puisque, tant inutiles ou peu prs, ils ne sont plus
soumis laction de la slection naturelle. Ils disparaissent souvent
entirement ; mais, dans ce cas, ils reparaissent quelquefois, par
suite dun effet de retour, fait qui mrite toute notre
attention.
Les principales causes qui paraissent provoquer ltat
rudimentaire des
organes sont le dfaut dusage, surtout pendant ltat adulte, alors
que, au contraire, lorgane devrait tre exerc, et lhrdit une priode
correspondante de la vie. Lexpression dfaut dusage ne sapplique pas
seulement laction amoindrie des muscles, mais comprend une
diminution de lafflux sanguin vers un organe soumis des
alternatives de pression plus rares, ou devenant, un titre
quelconque, habituellement moins actif. On peut observer chez un
sexe les rudiments de parties prsentes normalement chez lautre sexe
; ces rudiments, ainsi que nous le verrons plus tard, rsultent
souvent de causes distinctes de celles que nous venons dindiquer.
Dans quelques cas, la slection naturelle intervient
25 Javais dj crit ce chapitre avant davoir lu un travail de
grande valeur,
auquel je suis redevable pour beaucoup de donnes, par G.
Canestrini : Caracteri rudimentali in ordine all origine dell uomo
(Annuario della Soc., d. nat., Modena, 1867, p. 81). Hckel a
admirablement discut lensemble du sujet, sous le titre de
Dystologie, dans sa Generelle Morphologie et
Schpfungsgeschichte.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
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pour rduire les organes devenus nuisibles une espce, par suite
de changements dans ses habitudes. Il est probable que la
compensation et lconomie de croissance interviennent souvent leur
tour pour hter cette diminution de lorgane ; toutefois, on
sexplique difficilement les derniers degrs de diminution qui
sobservent aprs que le dfaut dusage a effectu tout ce quon peut
raisonnablement lui attribuer, et que les rsultats de lconomie de
croissance ne sont plus que trs insignifiants 26. La suppression
complte et finale dune partie, dj trs rduite et devenue inutile,
cas o ne peuvent entrer en jeu ni la compensation ni lconomie de
croissance, peut se comprendre par lhypothse de la pangense et ne
peut gure mme sexpliquer autrement. Je najouterai rien de plus sur
ce point, ayant, dans mes ouvrages prcdents 27, discut et dvelopp
avec amples dtails tout ce qui a trait aux organes
rudimentaires.
On a observ, sur de nombreux points du corps humain 28, les
rudiments de
muscles divers ; il en est qui, existant rgulirement chez
quelques animaux, se retrouvent parfois un tat trs rduit chez
lhomme. Chacun quelques animaux se retrouvent parfois un tat trs
rduit chez lhomme. Chacun a remarqu laptitude que possdent
plusieurs animaux, le cheval surtout, mouvoir certaines parties de
la peau par la contraction du pannicule musculaire. On trouve des
restes de ce muscle ltat actif sur plusieurs points du corps humain
; sur le front, par exemple, o il permet le relvement des sourcils.
Le platysma myoides, qui est bien dvelopp sur le cou, appartient ce
systme. Le professeur Turner, ddimbourg, mapprend quil a parfois
trouv des fascicules musculaires dans cinq situations diffrentes :
dans les axilles, prs des omoplates, etc., qui doivent tous tre
rattachs au systme du pannicule. Il a 29 aussi dmontr que le muscle
sternal (sternalis brutorum), qui nest pas une extension de
labdominal droit
26 Quelques excellentes critiques sur ce sujet ont t faites par
MM. Murie et
Mivart. (Trans. Zool. Soc., vol. VII, p. 92.) 27 Variations des
animaux et des plantes, etc., vol. II, pp. 335 et 423 (dit.
franaise). Voir, aussi, Origine des espces, p. 474. 28 M.
Richard (Annales des sciences nat., 3e sr., Zoologie, 1852, t.
XVIII, p. 13)
dcrit et figure des rudiments de ce quil appelle le muscle
pdieux de la main, quil dit tre quelquefois infiniment petit. Un
autre muscle, le tibial postrieur, fait ordinairement dfaut dans la
main, mais apparat de temps en temps sous une forme plus ou moins
rudimentaire.
29 Prof. W. Turner, Proc. Royal Soc. Edinburgh, 1866-67, p.
65.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 32
(rectus abdominalis), mais qui se relie intimement au pannicule,
sest rencontr dans une proportion denviron 3 p. 100 chez plus de
six cents cadavres ; il ajoute que ce muscle fournit un excellent
exemple du fait que les conformations accidentelles et
rudimentaires sont tout spcialement sujettes prsenter des
variations dans les arrangements.
Quelques personnes ont la facult de contracter les muscles
superficiels du
scalpe, qui sont dans un tat partiellement rudimentaire et
variable. M. A de Candolle ma communiqu une observation curieuse
sur la persistance hrditaire de cette aptitude, existant un degr
inusit dintensit. Il connat une famille dont un des membres,
actuellement chef de la famille, pouvait, quand il tait jeune,
faire tomber, par la mobilit du scalpe, plusieurs gros livres poss
sur sa tte, et qui avait gagn de nombreux paris en excutant ce tour
de force. Son pre, son oncle, son grand-pre et ses trois enfants
possdent un gal degr cette mme aptitude. Cette famille se divisa en
deux branches, il y a huit gnrations ; le chef de celle dont nous
venons de parler est donc cousin au septime degr du chef de lautre
branche. Ce cousin loign habitant une autre partie de la France,
interrog au sujet de laptitude en question, prouva immdiatement
quil la possde aussi. Cest l un excellent exemple de la
transmission persistante dune facult absolument inutile que nous
ont probablement lgue nos anctres demi humains ; en effet, les
singes possdent la facult, dont ils usent largement, de mouvoir le
scalpe de haut en bas et vice versa 30.
Les muscles servant mouvoir lensemble de loreille externe, et
les muscles
spciaux qui dterminent les mouvements de ses diverses parties,
appartiennent tous au systme panniculeux, existent, chez lhomme,
ltat rudimentaire. Ils offrent des variations dans leur
dveloppement, ou au moins dans leurs fonctions. Jai eu loccasion de
voir un homme qui pouvait ramener ses oreilles en avant ; dautres
qui pouvaient les redresser ; dautres enfin qui pouvaient les
retirer en arrire 31 ; Daprs ce que ma dit une de ces personnes, il
est probable que la plupart des hommes, en stimulant loreille et en
dirigeant leur attention de ce ct,
30 Lexpression des Emotions, p. 144 (Paris, Reinwald). 31
Canestrini cite Hyrtl, Annuario della Soc. dei naturalisti, Modena,
1867, p.
97, sur le mme sujet.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 33
parviendraient, la suite dessais rpts, recouvrer quelque mobilit
dans ces organes. La facult de dresser les oreilles et de pouvoir
les diriger vers diffrents points de lespace rend certainement de
grands services beaucoup danimaux, qui sont ainsi renseigns sur le
lieu du danger, mais je nai jamais entendu dire quun homme ait
possd cette facult, la seule qui pt lui tre utile. Toute la conque
externe de loreille peut tre considre comme rudiment, ainsi que les
divers replis et prominences (hlix et antihlix, tragus et
antitragus, etc.) qui, chez les animaux, soutiennent et renforcent
loreille, lorsquelle est redresse, sans en augmenter beaucoup le
poids. Quelques auteurs, toutefois, supposent que le cartilage de
la conque sert transmettre les vibrations au nerf acoustique ; mais
M. Toynbee 32, aprs avoir recueilli tout ce quon sait ce sujet,
conclut que la conque extrieure na pas dusage dtermin. Les oreilles
des chimpanzs et des orangs ressemblent singulirement celles de
lhomme, et les muscles qui lui sont propres sont aussi trs peu
dvelopps 33. Les gardiens du Jardin zoologique de Londres mont
assur que ces animaux ne meuvent ni ne redressent jamais les
oreilles ; elles sont donc, en tant quil sagit de la fonction, dans
le mme tat rudimentaire que celles de lhomme. Nous ne pouvons dire
pourquoi ces animaux, ainsi que les anctres de lhomme, ont perdu la
facult de dresser les oreilles. Il est possible, bien que cette
explication ne me satisfasse pas compltement, que, peu exposs au
danger, par suite de leurs habitudes dexistence dans les arbres et
de leur grande force, ils aient, pendant une longue priode, peu
remu les oreilles et perdu ainsi la facult de le faire. Ce serait
un cas parallle celui de ces grands oiseaux massifs, qui habitaient
les les de locan, o ils ne sont pas exposs aux attaques des animaux
carnassiers, et qui ont, par suite du dfaut dusage, perdu le
pouvoir de se servir de leurs ailes pour senfuir. La facilit avec
laquelle lhomme et plusieurs espces de singe remuent la tte dans le
plan horizontal, ce qui leur permet de saisir les sons dans toutes
les directions, compense en partie limpossibilit o ils se trouvent
de mouvoir les oreilles. On a affirm que loreille de lhomme seul
est pourvue dun lobule ; mais on trouve un rudiment de lobule
32 J. Toybee, F. R. S., The Diseases of the Ear, 1860, p. 12. Un
physiologiste
distingu, le professeur Preyer, mapprend quil a rcemment fait
des expriences sur la fonction de la conque de loreille et quil en
est arriv peu prs la mme conclusion que celle que jindique ici.
33 Prof. A. Macalister, Annals and Magaz. of Nat. Hist., vol.
VII, 1871, p. 342.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 34
chez le gorille 34, et le professeur Preyer mapprend que le
lobule fait assez souvent dfaut chez le ngre.
Un sculpteur minent, M. Woolner, ma signal une petite
particularit de
loreille externe, particularit quil a souvent remarque chez les
deux sexes, et dont il croit avoir saisi la signification. Son
attention fut attire sur ce point lorsquil travaillait sa statue de
Puck, laquelle il avait donn des oreilles pointues. Ceci le
conduisit examiner les oreilles de divers singes, et subsquemment
tudier de plus prs loreille humaine. Cette particularit consiste en
une petite pointe mousse qui fait saillie sur le bord repli en
dedans, ou lhlix. Quand cette saillie existe, elle est dj dveloppe
lorsque lenfant vient au monde ; daprs le professeur Ludwig Meyer,
on lobserve plus frquemment chez lhomme que chez la femme. Woolner
ma envoy un dessin (fig. 2 Pl. 2), fait daprs un modle exact dun
cas semblable. Cette prominence fait non seulement saillie en
dedans, mais, souvent aussi, un peu en dehors, de manire tre
visible lorsquon regarde la tte directement de face, soit par
devant, soit par derrire. Elle varie en grosseur et quelque peu en
position, car elle se trouve tantt un peu plus haut, tantt un peu
plus bas ; on lobserve parfois sur une oreille et pas sur lautre.
Cette conformation nexiste pas seulement chez lhomme, car jen ai
observ un cas chez un Ateles belzebuth au Jardin zoologique de
Londres ; le docteur E. Ray Lankester me signale un autre cas quil
a observ sur un chimpanz du Jardin zoologique de Hambourg.
Lhlix est videmment form par un repli intrieur du bord externe
de
loreille, et ce repli parat provenir de ce que loreille
extrieure, dans son entier, a t repousse en arrire dune manire
permanente. Chez beaucoup de singes peu levs dans lordre, comme les
cynocphales et quelques espces de macaques 35, la partie suprieure
de loreille se termine par une pointe peu accuse, sans que le bord
soit aucunement repli en dedans ; si, au contraire, le bord tait
repli, il en rsulterait ncessairement une petite prominence faisant
saillie en dedans et probablement un peu en dehors du plan de
loreille. Cest l, je crois, quil faut
34 M. Saint-George Mivart, Elementary Anatomy, 1873, p. 396. 35
Voir les remarques et les dessins des oreilles des Lmurodes dans le
mmoire
de MM. Murie et Mivart, Trans. Zoolog. Soc. 1869, vol. VII, pp.
6 et 90.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 35
chercher, dans la plupart des cas, lorigine de ces prominences.
Dautre part, le professeur L. Meyer soutient, dans un excellent
mmoire, quil a rcemment publi 36, que lon ne doit voir l quun cas
de simple variabilit, que les prominences ne sont pas relles, mais
quelles sont dues ce que le cartilage intrieur de chaque ct ne sest
pas compltement dvelopp. Je suis tout prt admettre que cette
explication est acceptable dans bien des cas, dans ceux, par
exemple, figurs par le professeur Meyer, o on remarque plusieurs
petites prominences qui rendent sinueux le bord entier de lhlix.
Grce lobligeance du docteur L. Down, jai pu tudier loreille dun
idiot microcphale ; jai observ sur cette oreille une prominence
situe sur le ct extrieur de lhlix et non pas sur le repli intrieur,
de sorte que cette prominence ne peut avoir aucun rapport avec une
pointe antrieure de loreille. Nanmoins, je crois que, dans la
plupart des cas, jtais dans le vrai en regardant ces saillies comme
le dernier vestige du bout de loreille autrefois redresse et
pointue ; je suis dautant plus dispos le croire que ces saillies se
prsentent frquemment et que leur position correspond gnralement
celle du sommet dune oreille pointue. Dans un cas, dont on ma envoy
une photographie, la saillie est si considrable que, si lon adopte
lhypothse du professeur Meyer, cest--dire si lon suppose que
loreille deviendrait parfaite grce lgal dveloppement du cartilage
dans toute ltendue du bord, le repli aurait recouvert au moins un
tiers de loreille entire. On ma communiqu deux autres cas, lun en
Amrique du Nord, lautre en Angleterre ; dans les deux cas, le bord
suprieur nest pas repli intrieurement, mais il se termine en
pointe, ce qui le fait ressembler troitement loreille pointue dun
quadrupde ordinaire. Dans un de ces deux cas, le pre comparait
absolument loreille de son jeune enfant celle dun singe, le
Cynopithecus niger, dont jai donn le dessin dans un autre ouvrage
37. Si, dans ces deux cas, le bord stait repli intrieurement de la
faon normale, il se serait form une saillie intrieure. Je puis
ajouter que, dans deux autres cas, loreille conserve un aspect
quelque peu pointu, bien que le bord de la partie suprieure de
loreille soit normalement repli lintrieur, trs faiblement, il est
vrai, dans un des deux cas. La figure 3 (Planche 2), reproduction
exacte dune photographie qua bien voulu menvoyer le docteur
Nitsche, reprsente le ftus dun orang. On peut voir
36 Ueber das Darwinsche Spilzohr, Archiv fr Path. Und Phys.,
1871, p. 485. 37 LExpression des motions, p. 136 (Paris,
Reinwald).
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 36
combien loreille du ftus de lorang diffre de celle du mme animal
lge adulte ; on sait, en effet, que cette dernire ressemble
beaucoup celle de lhomme. Il est facile de comprendre que, si la
pointe de loreille du ftus venait se replier intrieurement, il se
produirait une saillie tourne vers lintrieur, moins que loreille ne
subisse de grandes modifications dans le cours de son dveloppement.
En rsum, il me semble toujours probable que, dans certains cas, les
saillies en question, chez lhomme et chez le singe, sont les
vestiges dun tat antrieur.
La troisime paupire, ou membrane clignotante, est, avec ses
muscles
accessoires et dautres conformations, particulirement bien
dveloppe chez les oiseaux ; elle a pour eux une importance
fonctionnelle considrable, car, grce elle, ils peuvent recouvrir
rapidement le globe de lil tout entier. On observe cette troisime
paupire chez quelques reptiles, chez quelques amphibies et chez
certains poissons, les requins par exemple. Elle est assez bien
dveloppe dans les deux divisions infrieures de la srie des
mammifres, les Monotrmes et les Marsupiaux, ainsi que chez quelques
mammifres plus levs comme le morse. Mais chez lhomme, les
quadrumanes et la plupart des autres mammifres, elle existe, ainsi
que ladmettent tous les anatomistes, sous la forme dun simple
rudiment, dit le pli semi-lunaire 38.
Le sens de lodorat a, pour la plupart des mammifres, une trs
haute
importance : il avertit les uns du danger, comme les ruminants ;
il permet dautres, comme les carnivores, de dcouvrir leur proie ;
dautres enfin, comme le sanglier, il sert lun et lautre usage. Mais
lodorat ne rend que trs peu de services lhomme, mme aux races peau
de couleur, chez lesquelles il est gnralement plus dvelopp que chez
les races civilises 39. Il ne les avertit pas 38 Muller, Manuel de
physiologie (trad. Franaise), 1845, vol. II, p ; 307. Owen,
Anat. of Vertebrates, vol. III, p. 260. Id., On the Waltras
(morse), Proc. Zool. Soc., nov. 1854. R. Knox, Great artists and
anatomists, p. 106. Ce rudiment parat tre quelque peu plus marqu
chez les ngres et chez les Australiens que chez les Europens. C.
Vogt, Leons sur lhomme (trad. franaise), p. 167.
39 On connat la description que fait Humboldt du merveilleux
odorat que possdent les indignes de lAmrique mridionale ; ces
assertions ont t confirmes par dautres voyageurs. M. Houzeau
(Etudes sur les facults mentales, etc., vol. I, 1872, p. 91)
affirme que de nombreuses expriences lon
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 37
du danger et ne les guide pas vers leur nourriture ; il nempche
pas les Esquimaux de dormir dans une atmosphre ftide, ni beaucoup
de sauvages de manger de la viande moiti pourrie. Un minent
naturaliste, chez lequel ce sens, tel quil existe aujourdhui, ait t
originellement acquis par lhomme dans son tat actuel. Lhomme doit
sans doute cette facult affaiblie et rudimentaire quelque anctre
recul, auquel elle tait extrmement utile et qui en faisait un
frquent usage. Le docteur Maudsley 40 fait remarquer avec beaucoup
de raison que le sens de lodorat chez lhomme est remarquablement
propre lui rappeler vivement lide et limage de scnes et de lieux
oublis ; peut-tre faut-il chercher lexplication de ces phnomnes
dans le fait que les animaux qui possdent ce mme sens un tat trs
dvelopp, comme les chiens et les chevaux, semblent compter beaucoup
sur lodorat pour raviver le souvenir de lieux ou de personnes quils
ont connus autrefois.
Lhomme diffre notablement par sa nudit de tous les autres
primates.
Quelques poils se rencontrent et l sur la plus grande partie du
corps de lhomme, et un duvet plus fin sur le corps de la femme. Les
diffrentes races humaines diffrent considrablement ce point de vue.
Chez les individus appartenant une mme race, les poils varient
beaucoup, non seulement par leur abondance, mais par leur position
; ainsi, chez certains Europens, les paules sont entirement nues,
tandis que, chez dautres, elles portent dpaisses touffes de poils
41. On ne peut gure douter que les poils ainsi parpills sur le
corps ne soient les rudiments du revtement uniforme des animaux. Le
fait que les poils courts, fins peu colors, des membres et des
autres parties du corps se transforment parfois en poils longs,
serrs, grossiers et foncs, lorsquils sont
conduit la conclusion que les ngres et les Indiens peuvent
reconnatre les personnes leur odeur dans lobscurit la plus complte.
Le docteur W. Ogle a fait de curieuses observations sur les
rapports qui existent entre la facult dodorat et la matire
colorante de la membrane muqueuse du nez, ainsi que de la peau du
corps. Cest ce qui me permet de dire que les races colores ont
lodorat plus dvelopp que les races blanches. Voir son mmoire,
Medico-chirurgical Transactions, Londres, 1870, vol. LIII, p.
276.
40 The Physiology and Pathology of Mind, 2e dit., 1868, p. 184.
41 Eschricht, uber die Riechtung der Haare am menschlishen Krper,
Mullers
Archiv fr Anat. und Phys., 1837, p. 47. Jaurai souvent renvoyer
ce curieux travail.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 38
soumis une nutrition anormale grce leur situation dans la
proximit de surfaces qui sont, depuis longtemps, le sige dune
inflammation, confirme cette hypothse dans une certaine mesure
42.
Sir James Paget a remarqu que plusieurs membres dune mme famille
ont
souvent quelques poils des sourcils plus longs que les autres,
particularit bien lgre qui parat, cependant, tre hrditaire. On
observe des poils analogues chez certains animaux ; ainsi, on
remarque, chez le chimpanz et chez certaines espces de macaques,
quelques poils redresss, trs longs, plants droit au-dessus des
yeux, et correspondant nos sourcils ; on a observ des poils
semblables trs longs dpassant les poils qui recouvrent les arcades
sourcilires chez quelques babouins.
Le fin duvet laineux, dit lanugo, dont le ftus humain est
entirement
recouvert au sixime mois, prsente un cas plus curieux. Au
cinquime mois, ce duvet se dveloppe sur les sourcils et sur la
face, surtout autour de la bouche, o il est beaucoup plus long que
sur la tte. Eschricht 43 a observ une moustache de ce genre chez un
ftus femelle, circonstance moins tonnante quelle ne le parat
dabord, car tous les caractres extrieurs sont gnralement identiques
chez les deux sexes pendant les premires phases de la formation. La
direction et larrangement des poils sur le ftus sont les mmes que
chez ladulte, mais ils sont sujets une grande variabilit. La
surface entire du ftus, y compris mme le front et les oreilles, est
ainsi couverte dun pais revtement de poils ; mais, fait
significatif, la paume des mains, ainsi que la plante des pieds,
restent absolument nues, comme les surfaces intrieures des quatre
membres chez la plupart des animaux infrieurs. Cette concidence ne
peut gure tre accidentelle, il est donc probable que le revtement
laineux de lembryon reprsente le premier revtement de poils
permanents chez les mammifres qui naissent velus. On a recueilli
trois ou quatre observations authentiques relatives des personnes
qui, en naissant, avaient le corps et la face couverts de longs
poils fins ; cette trange particularit semble tre fortement
hrditaire et se trouve en corrlation avec un
42 Paget, Lectures on Surgical Pathology, 1858, t. I, p. 71. 43
Eschricht, l. c. pp. 40, 47.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 39
tat anormal de la dentition 44. Le professeur Alex. Brandt a
compar les poils de la face dun homme g de trente-cinq ans, atteint
de cette particularit avec le lanugo dun ftus, et il a observ que
la texture des poils et du lanugo tait absolument semblable ; il
pense donc que lon peut attribuer ce phnomne un arrt de
dveloppement du poil qui nen continue pas moins de crotre. Un
mdecin, attach un hpital pour les enfants, ma affirm que beaucoup
denfants dlicats ont le dos couvert de longs poils soyeux : on
peut, sans doute, expliquer ce cas de la mme faon que le
prcdent.
Il semble que les molaires postrieures, ou dents de sagesse,
tendant devenir
rudimentaires chez les races humaines les plus civilises. Elles
sont un peu plus petites que les autres molaires, fait que lon a
observ aussi pour les dents correspondantes chez le chimpanz et
chez lorang ; en outre, elles nont que deux racines distinctes.
Elles ne percent pas la gencive avant la dix-septime anne, et lon
ma assur quelles sont plus sujettes la carie et se perdent plus tt
que les autres dents, ce que nient, dailleurs quelques dentistes
minents. Elles sont aussi, beaucoup plus que les autres dents,
sujettes varier, tant par leur structure que par lpoque de leur
dveloppement 45. Chez les races mlansiennes, au contraire, les
dents de sagesse prsentent habituellement trois racines distinctes
et sont gnralement saines ; en outre, elles diffrent moins des
autres molaires que chez les races caucasiennes 46. Le professeur
Schaaffhausen explique cette diffrence par le fait que, chez les
races civilises 47, la partie postrieure dentaire de la mchoire est
toujours raccourcie , particularit quon peut, je prsume, attribuer
avec assez de vraisemblance ce que les hommes civiliss se
nourrissent ordinairement daliments ramollis par la cuisson, et
que, par consquent, ils se servent moins de leurs mchoires. M.
Brace mapprend que, aux tats-Unis, lusage denlever quelques
molaires aux enfants se rpand de plus en plus, la
44 Voir : la Variation des Animaux et des Plantes ltat
domestique, vol. I, p.
327. Le professeur Alex. Brandt a signal rcemment un autre cas
analogue, observ chez un russe et chez son fils.
45 Docteur Webb, Teeth in Man and the Antropod Apes, cit par le
docteur C. Carter Blake, Anthropological Review, juillet 1867, p.
299.
46 Owen, Anat. of vertebrates, vol. III, pp. 320, 321, 325. 47
On the primitive form of the skull, traduit dans Anthrop. Review,
oct. 1868, p.
426.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 40
mchoire ne devenant pas assez grande pour permettre le
dveloppement complet du nombre normal des dents 48.
Je nai rencontr quun seul cas de rudiment dans le canal
digestif, savoir
lappendice vermiforme du ccum. Le ccum est une branche ou
diverticulum de lintestin, se terminant en un cul-de-sac, qui
atteint une grande longueur chez beaucoup de mammifres herbivores
infrieurs. Chez le Koala (Phascolaretos), il est trois fois plus
long que le corps entier 49. Il stire parfois en une pointe
allonge, dautres fois il est trangl par places. Il semble que, par
suite dun changement de rgime ou dhabitudes, le ccum se soit
raccourci considrablement chez divers animaux ; lappendice
vermiforme a persist comme un rudiment de la partie rduite. Le fait
quil est trs petit et les preuves de sa variabilit chez lhomme,
preuves qua recueillies le professeur Canestrini 50, nous
permettent de conclure que cet appendice est bien un rudiment.
Parfois il fait dfaut ; dans dautres cas, il est trs dvelopp. Sa
cavit est quelquefois tout fait ferme sur la moiti ou les deux
tiers de sa longueur ; sa partie terminale consiste alors en une
expansion pleine et aplatie. Cet appendice est long et enroul chez
lorang ; chez lhomme, il part de lextrmit du ccum et a
ordinairement de 10 12 centimtres de longueur, et seulement 8 ou 10
millimtres de diamtre. Il est non seulement inutile, mais il peut
devenir aussi une cause de mort. Deux exemples rcents de ce fait
sont parvenus ma connaissance. Ces accidents sont dus lintroduction
dans la cavit de petits corps durs, tels que des graines, qui, par
leur prsence, dterminent une inflammation 51.
Quelques quadrumanes, les Lmurides et surtout les Carnivores
aussi bien que beaucoup de Marsupiaux, ont, prs de lextrmit
infrieure de lhumrus, une
48 Le professeur Mantegazza mcrit de Florence quil a tudi
rcemment les
dernires molaires chez les diffrentes races dhommes ; il en
arrive la mme conclusion que celle donne dans le texte, cest--dire
que chez les races civilises ces dents sont en train de satrophier
ou dtre limines.
49 Owen, Anat. of Vertebrates, vol. III, pp. 416, 434, 411. 50
L. c., p. 94. 51 M. C. Martins, De lUnit organique. Revue des
Deux-Mondes, 15 juin 1862,
p. 16 ; Hckel, Generelle Morphologie, vol. II, p. 278, ont tous
deux fait des remarques sur le fait singulier que cet organe
rudimentaire cause quelquefois la mort.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 41
ouv
e une autre perforation de lhumrus, quon peut appeler
lintracondylode, qui sobserve chez divers genres danthropodes et
autres sing
erture, le foramen supra-condylode, au travers de laquelle passe
le grand nerf de lavant-bras et souvent son artre principale. Or
lhumrus de lhomme porte ordinairement des traces de ce passage, qui
est mme quelquefois assez bien dvelopp ; il est form par une
apophyse recourbe complte par un ligament. Le docteur Struthers 52,
qui sest beaucoup occup de cette question, vient de dmontrer que ce
caractre est parfois hrditaire, car il la observ chez un individu
et chez quatre de ses sept enfants. Lorsque ce passage existe, le
nerf du bras le traverse toujours ; ce qui indique clairement quil
est lhomologue et le rudiment de lorifice supra-condylode des
animaux infrieurs. Le professeur Turner estime que ce cas sobserve
sur environ 1 p. 100 des squelettes rcents. Si le dveloppement
accidentel de cette conformation chez lhomme est, comme cela semble
probable, d un effet de retour, cette conformation nous reporte un
anctre extrmement recul, car elle nexiste pas chez les quadrumanes
suprieurs.
Il exist
es 53, ainsi que chez beaucoup danimaux infrieurs, et qui se
prsente quelquefois chez lhomme. Fait trs remarquable, ce passage
parat avoir exist beaucoup plus frquemment autrefois qu une poque
plus rcente. M. Busk 54 a runi les documents suivants ce sujet : Le
professeur Broca a remarqu cette perforation sur 4 1/2 p. 100 des
os du bras recueillis dans le cimetire du Sud Paris ; dans la
grotte dOrrony, dont le contenu parat appartenir la priode du
bronze, huit humrus sur trente-deux taient perfors ; mais il semble
que cette proportion extraordinaire peut tre due ce que la caverne
avait sans doute servi
52 Voir pour lhrdit le docteur Struthers, the Lancet, 24 janvier
1863, p. 83, et
15 fvrier 1873. Le docteur Knox, Great artists and anatomists,
p. 63, est, ma-t-on dit, le premier anatomiste qui ait appel
lattention sur cette conformation particulire chez lhomme. Docteur
Gruber, Bulletin de lAcad. imp. de Saint-Petersbourg, 1867, p.
448.
53 M. Saint-Georges Mivart, Trans. Philos. Soc., 1867, p. 310.
54 On the caves of Gibraltar (Transact. Internat. Congress of
Prehist Arch., 3e
session, 1869, p. 159). Le professeur Wyman a rcemment dmontr
(Fourth annual Report, Peabody museum, 1871, p. 20) que cette
perforation existe chez 31 p. 100 de certains restes humains des
antiques tertres de louest des tats-Unis et de la Floride. On la
rencontre frquemment chez les ngres.
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Charles Darwin, La descendance de lhomme et la slection sexuelle
(1891) 42
de caveau de famille. M. Dupont a trouv aussi dans les grottes
de la valle de la Lesse, appartenant lpoque du renne, 30 p. 100 dos
perfors ; tandis que M