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M. Duru-BellatA. Kieffer
La dmocratisation de l'enseignement en France : polmiquesautour
d'une question d'actualitIn: Population, 55e anne, n1, 2000 pp.
51-79.
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Duru-Bellat M., Kieffer A. La dmocratisation de l'enseignement
en France : polmiques autour d'une question d'actualit.
In:Population, 55e anne, n1, 2000 pp. 51-79.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pop_0032-4663_2000_num_55_1_7097
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_pop_1020http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_pop_1021http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pop_0032-4663_2000_num_55_1_7097
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RsumDuru-Bellat Marie, Kieffer Annick.- La dmocratisation de
l'enseignement en France : polmiques autourd'une question
d'actualit La question de la dmocratisation de l'enseignement en
France a fait l'objetde nombreux travaux. Elle reste nanmoins
ouverte, car les faits eux-mmes sont en constantevolution et les
mthodes mobilises pour traiter cette question divergent largement,
non sans rapportavec les diffrentes conceptions de l'galit des
chances qui les sous-tendent. Ce texte propose uneanalyse de
l'volution des ingalits pour les gnrations nes depuis le dbut du
sicle jusqu'auxgnrations nes dans les annes soixante-dix ; elle est
fonde sur une exploitation des enqutes FQPet du dernier panel
d'lves entrs en 6e du ministre de l'ducation nationale. Les
rsultats fontapparatre un affaiblissement de la relation entre
origine sociale et accs aux diffrents niveaux dusystme ducatif, mme
si celui-ci est d'autant plus discret que l'on prend en compte des
niveaux pluslevs de scolarisation : si le bien ducation est plus
largement diffus, les ingalits sociales dans lacomptition pour
l'accs tel ou tel niveau s'avrent stables, et tendent se dplacer
vers les niveauxqui restent dots d'une valeur distinctive. Dans
l'influence du milieu familial, l'effet propre de lacatgorie
socioprofessionnelle des parents semble se renforcer par rapport
celui de leur niveaud'instruction ; en particulier, l'effet
spcifique de l'exercice d'une profession par la mre s'est affirm.
Unrapprochement est esquiss entre ces rsultats et les analyses les
plus rcentes conduites au niveaueuropen.
AbstractDuru-Bellat Marie, Kieffer Annick.- The democratization
of education in France: controversy over atopical question The
question of the democratization of education in France has been
studied manytimes. It remains open, however, since the facts
themselves are constantly changing and the methodsused to examine
the question vary widely, reflecting the different notions of
equality of opportunity onwhich they are based. This article
analyses the change in inequalities for the generations born from
thestart of the century up to the 1960s, using the FQP (training
and vocational qualification) surveys andthe most recent panel
survey of first-year secondary school pupils of the Education
Ministry. The resultsreveal a weakening of the link between social
origins and access to the different levels of the educationsystem,
though this development is less marked the higher up the school
system. Education as a commodity has become more widely
distributed, but the social inequalities in competition for access
toparticular levels are stable and are tending to be concentrated
at the levels which still confer socialprestige or distinction .
Regarding the influence of family background, the effect of the
parents' socio-occupational category appears to be increasing in
relation to their educational level; in particular, thespecific
effect of having a mother in employment has become larger. These
findings are compared withthe most recent European level
analyses.
ResumenDuru-Bellat Marie, Kieffer Annick.- La democratizacin de
la ensefianza en Francia : polmicas sobreun terna de actualidad La
democratizacin de la ensefianza en Francia ha sido objeto de
numerososestu- dios. Pero el terna sigue abierto, porque los hechos
estn en evolucin constante y los mto- dosutilizados para tratar la
cuestin divergen significativamente, al igual que las distintas
concepciones deigualidad de oportunidades en los que se basan. Este
articulo prsenta un anlisis de la evolucin delas desigualdades en
las generaciones nacidas entre principios de siglo y los aos
setenta. El anlisisse basa en una explotacin de las encuestas FQP
(For- macin, Cualificacin Profesionl) y de laultima lista de
alumnos de 6 del Ministerio fran- cs de Educacin Nacionl. Los
resultados muestranque la relacin entre origen social y acceso a
los diferentes nivels educativos pierde fuerza, aunquemenos a
nivels ms eleva- dos de escolarizacin : aunque el bien educacin
tiene ms amplioalcance, las desigualdades sociales en la competicin
llegar a un cierto nivel permanecen estables,y tienden a
desplazarse hacia nivels que mantienen un valor distintivo . En
cuanto a la influenciadel medio familiar, el efecto especifico de
la categoria socio-profesional de los padres, y especialmenteel
efecto de la profesin de la madr, torna ms importancia que el nivel
de instruccin. El articuloestablece una comparacin entre estos
resultados y los anlisis ms recientes realizados a
niveleuropeo.
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La dmocratisation de
renseignement en France :
Polmiques autour
d'une question d'actualit
Marie DURU-BELLAT*, Annick KlEFFER**
La dmocratisation de l'enseignement est une question sur
laquelle on peut avoir l'impression, en France, que tout a t dit.
Des historiens (Prost, 1986) aux conomistes (Euriat et Thlot, 1995;
Goux et Maurin, 1997), en passant par les spcialistes de sciences
de l'ducation (Langout, 1994; Duru-Bellat et Mingat, 1992; Merle,
1996), nombreux sont les chercheurs qui ont apport cette question
des contributions rcentes. Pourtant, on ne peut que rester perplexe
devant la varit des approches mthodologiques mises en uvre et
celle, vraisemblablement corollaire, des conclusions : certaines
priodes et pour certains niveaux de scolarisation, Prost ou Langout
(mais aussi Euriat et Thlot) parlent de dmocratisation ou de
dmographisation, alors que Goux et Maurin concluent au total une
dmocratisation uniforme; Duru-Bellat et Mingat voquent une
dmocratisation par l'ouverture tandis que Merle (1996) oppose,
selon les segments du systme, un modle de retard un modle du
dveloppement diffrenci ; nous y reviendrons. Alors que la
littrature trangre dmontre l'envi combien les rsultats obtenus dans
le champ de l'volution des ingalits scolaires sont conditionns par
les mthodologies utilises, il est apparu pertinent de reprendre
cette question(1) en explicitant le plus possible le sens et les
limites des diffrents indicateurs utiliss, en tirant partie, pour
ce faire, des apports thoriques et techniques des travaux des
sociologues trangers, et en intgrant dans l'analyse les donnes les
plus rcentes disponibles aujourd'hui.
* Universit de Bourgogne-Iredu. ** Lasmas-IDL-CNRS. " Voir M.
Duru-Bellat et A. Kieffer (1999).
Population, 55 (1), 2000, 51-80
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52 M. DURU-BELLAT, A. KIEFFER
I. - L'apprhension des ingalits : des diffrences techniques
entre indicateurs aux divergences entre conceptions
sous-jacentes
Engager des comparaisons prcises, qu'elles soient historiques ou
internationales, suppose que l'on ait fait des choix concernant :
1) la manire la plus pertinente de dcrire les scolarits ; 2) la
faon de caractriser l'origine sociale des individus ; 3) les
indicateurs les plus aptes mesurer les volutions. Nous nous
centrerons dans ce texte sur la question des indicateurs, mme si
les deux autres points posent galement des problmes.
Contentons-nous de les rappeler brivement. Pour ce qui est de la
manire de caractriser les scolarits, la difficult essentielle, dans
les comparaisons historiques(2), tient l'volution dans le temps de
la valeur relative des diplmes et des scolarits. Pour qui
s'intresse au caractre socialement slectif des parcours scolaires,
un niveau scolaire donn perd toute pertinence ds lors qu'y accde
l'ensemble d'une gnration, et que la slection se ralise alors un
niveau suprieur. Il faut donc, comme le souligne Merlli (1985),
tenir compte de l'volution des rarets relatives pour viter les
piges du nominalisme. Retenir une nomenclature unique expose au
risque de sous-estimer le rle slectif des premiers niveaux de
diplme pour les gnrations les plus anciennes, compte tenu du
dveloppement des scolarits. Nombre de chercheurs prfreront
s'engager dans la recherche d' quivalents fonctionnels, afin de
dterminer les diplmes qui peuvent tre tenus pour comparables, d'une
priode l'autre, en fonction des volutions structurelles. Par
exemple, le chercheur travaillant l'chelle du sicle dcidera, en
s'entourant du maximum de justifications empiriques, que le
certificat d'tudes primaires doit tre considr comme un diplme de
niveau intermdiaire pour les individus ns en dbut de priode, et
comme un diplme lmentaire pour les gnrations plus rcentes (Thlot,
1982), l'quivalent fonctionnel se situant plutt alors au niveau
BEPC ou CAP. Cette approche revient raisonner en termes de rangs
relatifs de sortie du systme ducatif, ces rangs devant constituer
l'objet de la comparaison (et non le contenu intrinsque des
diplmes, nous y reviendrons).
Ces problmes d'volution des catgories se posent galement quand
c'est l'origine sociale des individus que l'on entend caractriser.
Il est vraisemblable qu'tre originaire d'un groupe social, par
exemple les agriculteurs, au moment o il reprsente 25 % de la
population n'est pas compltement comparable au fait de provenir de
ce groupe une poque o il reprsente 5 % de la population ; nouveau,
le poids relatif du groupe apparatra en gnral comme un paramtre
essentiel dans l'analyse des ingalits(3).
(2> Les comparaisons internationales exigent le recours des
nomenclatures communes qui sont ncessairement discutables (voir
Duru-Bellat, Kieffer et Fournier-Mearelli, 1997).
(3> Pour contourner ces deux problmes, une solution, dont on
peut certes discuter la pertinence sociologique, consiste dduire la
catgorisation des seuls classements (Duru-Bellat et Mingat, 1992) :
les diplmes seront classs en fonction du pourcentage d'une classe
d'ges qui y parvient, tout comme on situera les diffrents groupes
sociaux en fonction du pourcentage qu'ils reprsentent dans la
hirarchie sociale, considre comme unidimensionnelle.
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LA DMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE 53
Derrire ces difficults et ces choix apparemment des plus
techniques, il y a en fait une certaine conception de l'galit des
chances et de la dmocratisation de l'enseignement qu'il convient
d'expliciter, d'autant plus qu'elle imprime encore plus nettement
sa marque tout ce qui relve de la construction des indicateurs.
S'intresser aux ingalits sociales face l'enseignement et leur
volution, c'est considrer que les lves sont en concurrence pour
l'accs des diplmes ingaux (dbouchant eux-mmes sur des positions
sociales ingales), concurrence qu'ils abordent avec des atouts
diffrents selon leur milieu social d'origine. Cette comptition
prend place dans un contexte bien videmment variable d'une poque
l'autre. Une des caractristiques cruciales du contexte, cet gard,
est la structure des flux ducatifs (comme le soulignait Boudon en
1973) : si 100% d'une gnration accde un niveau, la question des
ingalits sociales ne s'y pose plus, alors qu'au contraire, ces
dernires pourront d'autant plus s'exprimer que l'accs un niveau
reste rare dans l'ensemble de la population. Des indicateurs
d'ingalits aussi bruts que la diffrence entre taux d'accs sont donc
inadapts la comparaison de deux situations (historiques, ou de deux
pays) caractrises par des distributions diffrentes dans l'accs tel
ou tel bien ducatif. En effet, la comparaison de deux pourcentages
ne permet pas de faire la part, dans le diffrentiel constat, entre
ce qui relve, d'une part, de la distribution des effectifs entre
les niveaux scolaires (plus prcisment, de l'importance de la
scolarisation au niveau tudi) et, d'autre part, de l'intensit de la
relation entre origine sociale et accs ce niveau. Or, des auteurs
comme Mare (1981) ont soulign que ces deux phnomnes sont
partiellement indpendants : il peut y avoir expansion du systme
ducatif, avec la clef une certaine rduction mcanique des ingalits,
sans qu' aucun des niveaux tudis la structure des ingalits sociales
ne soit modifie, sauf bien sr dans le cas extrme d'un taux de
passage atteignant 100%. Faut-il alors prner l'laboration
d'indicateurs insensibles aux marges, c'est--dire indpendants des
taux d'accs un niveau scolaire donn, tels que les odds ratios ? Ces
derniers rapportent les chances, pour les membres d'un groupe A,
d'atteindre tel niveau ducatif plutt que de ne pas l'atteindre,
relativement aux chances qu'ont les membres d'un groupe d'atteindre
eux aussi ce niveau plutt que de ne pas l'atteindre(4).
Cette question a fait en France l'objet de nombreux dbats (cf.
notamment Combessie, 1984; Grmy, 1984; Merlli, 1985; Vallet, 1988),
mais peu de travaux empiriques ont vis comparer des indicateurs
diffrents. Quand cela est fait (Euriat et Thlot, 1995), on se
trouve confront des divergences de rsultats entre indicateurs,
certains allant dans le sens d'une rduction de l'ingalit, d'autres
allant dans le sens inverse; c'est
(4) Cet indicateur est trs courant dans la littrature europenne
; il a t utilis en France notamment par Euriat et Thlot (1995).
Rappelons que ce coefficient varie de 0 plus l'infini et est gal 1
en cas d'indpendance statistique ; il dcrit les liaisons de manire
indpendante des marges et tient compte du fait que les proportions
sur lesquelles on travaille sont ncessairement comprises entre 0 et
100%; il donne des rsultats convergents avec les analyses de type
loglinaire .
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54 M. DURU-BELLAT, A. KIEFFER
par exemple le cas pour l'accs au bac des gnrations entres en 6e
en 1972 et en 1980. Ceci conduit les chercheurs conclure, de manire
prudente, que l'volution n'est pas assez nette pour trancher dans
un sens ou dans l'autre. Sans doute, mais ces indicateurs reposent
sur, et tout la fois produisent, des dfinitions diffrentes de
l'galit (Combessie, 1984).
En effet, deux grandes conceptions de la notion mme d'ingalit
des chances sous-tendent des indicateurs comme les diffrences de
taux d'accs d'un ct, les odds ratios de l'autre. Pour qui considre
l'ducation comme un bien en soi, le fait que plus d'lves y accdent
est un progrs ; on tendra d'autant plus vers l'galit (une galit qui
est alors une galit de rsultat) que les carrires scolaires des
jeunes seront proches, dans tous les milieux sociaux, et que seront
donc faibles les carts des taux d'accs des uns et des autres aux
diffrents niveaux. Dans cette perspective, l'volution des marges
est essentielle, et on privilgiera l'examen des diffrences entre
taux d'accs ou des taux de variation d'une priode l'autre. De fait,
c'est cette perspective qui semble avoir longtemps prvalu en France
(Prost, Langout), mais sans doute plus en fonction d'un a priori
assez intuitif que pour des raisons mthodologiques explicites.
En revanche, si on privilgie l'aspect distinctif de l'accs
l'ducation - tel niveau ne vaut alors pas par sa valeur intrinsque,
mais en ce qu'il permet de se classer plus ou moins bien par
rapport aux concurrents -, on choisira de se centrer sur la
comptition qui s'exerce chaque palier d'orientation. La prise en
compte des marges est alors inutile et, au contraire, pour isoler
les ingalits spcifiques au passage d'un niveau ducatif l'autre
(quelle que soit l'importance des taux de passage moyens), on
utilisera essentiellement des indicateurs de diffrences relatives
(de type odds ratios). Dans cette perspective, on s'intresse aux
ingalits inhrentes au fonctionnement du systme, travers les
processus d'orientation des lves notamment.
Cette seconde approche est trs prgnante dans la sociologie de la
mobilit sociale (et trs dominante dans la littrature trangre ; cf.
par exemple Shavit et Blossfeld, 1993) : c'est une approche
micro-sociologique, o l'examen porte sur la manire dont les
individus parviennent se classer le long de distributions (celle
des niveaux ducatifs, celle des emplois), elles-mmes non
questionnes. Cependant, l'ampleur de l'ingalit sociale n'est pas
sans rapport avec l'offre de places, donc avec des facteurs d'ordre
plus macro, qui dfinissent le cadre dans lequel cette comptition
s'exerce. On peut donc dfendre l'intrt d'une analyse mixte, prenant
en compte l'volution des taux d'accs, et sachant situer, dans une
tape distincte, les ingalits observes chacun des niveaux du systme
avec le contexte plus global au sein duquel l'accs l'ducation est
plus ou moins ingalement distribu (Hellevik, 1997).
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LA DMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE 55
II. - Quelle dmocratisation, dans un contexte d'expansion des
scolarits?
Pour suivre l'volution de l'ingalit des chances l'cole en
France, nous nous sommes appuyes sur les diffrentes enqutes sur la
formation et la qualification professionnelle (FQP) ralises par
l'Insee en 1970, 1977, 1985 et 1993, ainsi que sur des
exploitations spcifiques du dernier panel du ministre de l'ducation
nationale suivant les scolarits d'lves entrs en 6e en 1989. Les
donnes ainsi rassembles permettent de travailler sur des gnrations
nes de 1919 1973 (et mme 1978, grce au panel 1989). Les indicateurs
retenus pour caractriser les scolarits ont t dtermins en fonction
des volutions structurelles qu'a connues le systme ducatif depuis
cinquante ans, l'objectif tant de reprer d'ventuels quivalents
fonctionnels. Pour chaque cohorte, et en fonction de l'origine
sociale des individus, les indicateurs suivants ont t estims : accs
ou non une classe de 6e, suivi d'une scolarit complte au collge
(jusqu'en 3e), accs au second cycle long (et l'enseignement
technique court), obtention du baccalaurat quelle que soit la
filire et obtention d'un baccalaurat gnral. Ces indicateurs ont t
calculs soit sur la population totale, soit sur la seule population
entre en 6e, ce qui permet de mesurer la slection qui s'opre au
sein de l'enseignement secondaire : en effet, on peut ainsi reprer
les lves qui sont entrs en 6e mais n'ont jamais atteint la 3e ou la
2nde, et ont donc t orients en fin de 5e ou en fin de 3e vers
l'enseignement technique court.
Pour apprhender le milieu social d'origine, nous avons tenu
compte la fois de la catgorie socioprofessionnelle et du niveau
d'instruction des deux parents ; en outre, nous avons construit une
variable caractrisant le couple parental pour tester si, au-del des
modles valuant de manire disjointe l'influence de la profession ou
du niveau d'instruction de chacun des deux parents, les atouts et
handicaps se cumulent au niveau de la famille.
Depuis le dbut du sicle, l'accs aux diffrents niveaux scolaires
s'est fortement dvelopp, sous l'effet d'un certain nombre de
rformes institutionnelles : sont particulirement importantes, d'une
part, la rforme Berthoin de 1959, gnralisant l'entre en 6e (mais
dont l'application ne sera effective qu'en 1967), d'autre part, la
rforme Haby de 1975, posant le principe du collge unique et
prvoyant la suppression du palier d'orientation en fin de 5e (qui
ne se ralisera que progressivement, dans la seconde moiti des annes
quatre-vingt). La figure 1 illustre le fort dveloppement de la
scolarisation dans les cohortes tudies.
Les taux d'accs tous les niveaux d'enseignement ont nettement
augment, mais la hausse est d'autant plus faible que l'on considre
des niveaux levs du systme. Les taux d'accs calculs sur la
sous-population d'lves entrs en 6e (sous-population de moins en
moins slectionne)
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56 M. DURU-BELLAT, A. KIEFFER
, P. 100
1960 1970 Anne de naissance
Figure 1. - Taux d'accs aux diffrents niveaux scolaires selon
l'anne de naissance pour l'ensemble de la population (%)
Source: enqutes FQP 1970, 1977, 1985 et 1993
100
90
80
70
60
50
40
30
20
10
P. 100
Taux d'accs en 3e / \ -
Taux d'obtention du x * * 4^ baccalaurat (toutes filires) Taux
d'obtention d'un baccalaurat gnral
1920 1940 1960 1970 Anne de naissance
Figure 2. - Taux d'accs aux diffrents niveaux scolaires selon
l'anne de naissance pour la population entre en 6e (%)
Source: enqutes FQP 1970, 1977, 1985 et 1993
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LA DMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE 57
fournissent un tout autre clairage. La figure 2 fait en effet
apparatre, parmi les seuls lves entrs en 6e, une stabilit globale
des taux d'accs aux niveaux suprieurs. On observe mme une baisse
des taux pour les gnrations nes entre 1954 et 1970, peine compense
par une remonte pour les cohortes les plus jeunes.
Tout se passe comme si, dans la priode o les taux d'entre en 6e
ont le plus fortement progress, le systme ducatif avait tent de
contenir ce flux en maintenant, voire en renforant la slectivit des
parcours au sein de l'enseignement secondaire. C'est en effet cette
priode que se dveloppe l'orientation en fin de 5e, vers de
nouvelles filires prprofessionnelles, ou en fin de 3e, avec les
nouveaux (brevets d'tudes professionnelles). On peut donc parler
d'un profond changement des parcours scolaires : alors que parmi
les gnrations nes dans les annes vingt, 30% seulement des lves
entraient en 6e, les trois quarts d'entre eux faisaient une
scolarit complte au collge jusqu'en 3e, une petite moiti accdaient
une 2nde et un quart environ obtenaient le baccalaurat (qui tait
cette poque un baccalaurat gnral) ; parmi les gnrations les plus
rcentes, la quasi- totalit des lves entrent en 6e et les trois
quarts parviennent jusqu'en 3e ; ils sont ( nouveau) une moiti
entrer en 2nde, et un tiers obtenir le baccalaurat (un quart
obtenant un baccalaurat gnral). La similitude est frappante : seul
l'accs la 6e se serait gnralis au cours de la priode, tandis que
pour le reste, c'est la stabilit qui domine. L'expansion du systme
est donc essentiellement tire par l'ouverture de l'enseignement
secondaire, mme si une baisse de la slectivit aux niveaux suprieurs
s'amorce pour les gnrations les plus jeunes ; nous y
reviendrons.
L'volution de la slectivit chacun des niveaux : une
dmocratisation trs limite, sauf au niveau de la
Dans ce contexte gnral, nous suivrons l'volution des ingalits
sociales de scolarisation en examinant, ces trois niveaux clefs que
sont l'entre en 6e, l'entre en 2nde et l'obtention du baccalaurat,
les chances compares des enfants de cadres et d'ouvriers, en
confrontant carts de taux d'accs et odds ratios. Nous estimerons
ensuite des modles multiva- ris intgrant (dans des rgressions
logistiques expliquant les probabilits d'accder tel ou tel niveau)
plusieurs paramtres relatifs l'origine sociale des lves et nous
distinguerons selon le sexe.
Le tableau 1 prsente les taux d'accs en 6e; il fournit ensuite
les taux d'accs en 2nde et les taux d'obtention du baccalaurat pour
l'ensemble de la population puis pour la sous-population entre en
6e. Il y a eu, sans aucune ambigut, une dmocratisation de l'entre
en 6e, rsultant mcaniquement de son ouverture : en effet, en dbut
de priode, les taux d'accs des enfants de cadres sont dj suprieurs
80% (avec par consquent apparition, trs vite, d'effets de plafond),
alors que moins de 20% des enfants d'ouvriers entrent en 6e ; en
fin de priode, les taux d'accs en 6e
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58 M. DURU-BELLAT, A. KIEFFER
Tableau 1. -Taux d'accs diffrents niveaux de scolarisation Taux
moyens et taux des enfants de cadres et d'ouvriers
Entre en 6e Taux moyen d'accs (%) Taux d'accs des enfants de
cadres (%) Taux d'accs des enfants d'ouvriers (%) cart de taux
d'accs des enfants de cadres et d'ouvriers (en points) Rapport des
chances des enfants de cadres et d'ouvriers (odds ratio) Taux
d'accs de l'ensemble de la population
Entre en 2nde Taux moyen d'accs (%) Taux d'accs des enfants de
cadres (%) Taux d'accs des enfants d'ouvriers (%) cart de taux
d'accs des enfants de cadres et d'ouvriers (en points) Rapport des
chances des enfants de cadres et d'ouvriers (odds ratio)
Obtention du bac (toutes filires) Taux moyen d'obtention (%)
Taux d'obtention des enfants de cadres (%) Taux d'obtention des
enfants d'ouvriers (%) cart de taux d'obtention des enfants de dres
et d'ouvriers (en points) Rapport des chances des enfants de cadres
et d'ouvriers (odds ratio) Taux d'accs de la population entre en
6e
Entre en 2nde Taux moyen d'accs (%) Taux d'accs des enfants de
cadres (%) Taux d'accs des enfants d'ouvriers (%) cart de taux
d'accs des enfants de cadres et d'ouvriers (en points) Rapport des
chances des enfants de cadres et d'ouvriers (odds ratio)
Obtention du bac (toutes filires) Taux moyen d'obtention (%)
Taux d'obtention des enfants de cadres (%) Taux d'obtention des
enfants d'ouvriers (%) cart de taux d'obtention des enfants de
cadres et d'ouvriers (en points) Rapport des chances des enfants de
cadres et d'ouvriers (odds ratio)
Gnrations Avant 1929
26,7 83,9 19,8
64,2
21,1
12,1 64,8 5,4
59,4
32,4
5,1 35,1
1,2
33,9
44,5
45,3 77,2 27,0
50,2
9,2
27,7 41,8 6,1
35,7
11,1
1929- 1938
24,1 83,0 16,2
66,8
25,3
13,1 69,4 5,9
63,5
36,2
5,9 40,7 1,9
38,8
35,4
54,5 83,6 36,5
47,1
8,9
33,5 49,0 11,4
37,6
7,5
Source : pour chaque gnration, nous avons utilis l'enqute FQP de
nes avant 1939 : FQP 1970 ; gnrations nes entre 1935 entre 1954 et
1963 : FQP 1985 ; gnrations nes aprs 1963 les taux d'obtention
concernant la cohorte 1959-1963 ont
1939- 1948
36,9 86,5 23,7
62,8
20,6
24,3 81,6 11,4
70,2
34,5
15,7 67,4 6,2
61,2
31,3
65,8 90,8 47,8
43,0
10,8
42,6 70,2 26,0
44,2
6,7
l'Insee
1949- 1953
46,7 89,2 33,9
55,3
16,1
28,2 80,9 14,9
66,0
24,2
19,8 67,9 8,8
59,1
21,9
60,5 88,2 48,1
40,1
8,1
42,5 69,9 31,4
38,5
5,1
1954- 1958
75,4 96,5 67,8
28,7
13,1
34,5 81,5 19,0
62,5
18,8
23,9 68,9 11,2
57,7
17,6
45,7 84,4 28,0
56,4
13,9
31,7 71,4 16,5
54,9
12,6
la plus proche
1959- 1963
91,6 97,3 87,5
9,8
5,1
40,4 84,7 23,2
61,5
18,3
31,4 71,8 17,2
54,6
12,3
42,7 84,7 25,9
58,8
15,8
33,2 71,8 18,8
53,0
11,0
1964- 1973
96,1 99,0 93,2
5,8
7,2
49,2 87,4 28,0
59,4
17,8
42,7 77,3 24,3
53,0
10,6
51,2 88,2 30,1
58,1
17,4
44,4 78,1 26,1
52,0
10,1
: gnrations et 1953 : FQP 1977 ; gnrations nes
: FQP 1993. 'our le niveau baccalaurat, t calculs d'aprs
afin d'avoir les informations sur les scolarits compltes (mais
nous avon niveaux scolaires antrieurs car l'chantillon de cette
enqute tait
> utilis 'enqute FQP FQP
plus nombreux).
1993, 1985 pour les
-
LA DMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE 5 9
atteignent respectivement 99% et 93%. Dans ce cas, carts de taux
d'accs et odds ratios enregistrent une volution convergente la
baisse. La situation est moins nette aux autres niveaux. En ce qui
concerne l'entre en 2nde, mesure par rapport l'ensemble des
gnrations, les carts de taux d'accs entre enfants de cadres et
d'ouvriers ont d'abord augment avant de baisser pour revenir leur
niveau initial, alors que les odds ratios ont diminu; un schma
assez proche s'observe pour l'obtention du baccalaurat, avec des
carts de taux d'obtention rests plus levs qu'en dbut de priode et
des odds ratios en baisse. Ces divergences d'volution des
indicateurs s'expliquent par le niveau trs faible des taux d'accs
des enfants d'ouvriers en dbut de priode, l'accs ces deux niveaux
tant exceptionnel pour eux. Mais dans les deux cas, on peut parler
d'une certaine dmocratisation de l'accs.
L'examen de l'volution des ingalits parmi les seuls lves entrs
en 6e dbouche sur des conclusions divergentes : pour l'entre en
2nde, les carts de taux d'accs comme les odds ratios ont
globalement augment ; pour l'obtention du baccalaurat, les carts
entre proportions de bacheliers se sont accrus alors que les odds
ratios sont rests stables. On ne peut donc parler de dmocratisation
des scolarits quand on raisonne sur les lves qui sont entrs en 6e :
si les enfants d'ouvriers ont bnfici sans conteste de l'ouverture
de la 6e, ils ont t les premiers tre concerns par le dveloppement
corollaire de l'orientation en fin de 5e et de 3e. Rciproquement,
si les enfants de cadres ont perdu progressivement leur avantage
quant l'entre dans l'enseignement secondaire, ils continuent y
raliser des scolarits plus longues, cet avantage ne donnant aucun
signe d'essoufflement.
Au-del de ces grandes lignes de force, il est ncessaire
d'examiner plus en dtail l'volution dans le temps de l'effet
spcifique de l'origine sociale sur l'accs ces diffrents niveaux
ducatifs. La prise en compte, sur la base des enqutes FQP, du
niveau de diplme et de la catgorie socioprofessionnelle de chacun
des deux parents permet d'clairer un certain nombre de questions.
Qu'en est-il de la hirarchie des diffrents groupes sociaux face
l'cole : les professions intermdiaires sont-elles aujourd'hui plus
proches des catgories suprieures par exemple ? Le niveau de
formation des parents constitue-t-il un indicateur plus pertinent
que leur catgorie socioprofessionnelle pour prdire, aujourd'hui,
les scolarits des enfants? Comment s'articulent les atouts apports
par le pre et par la mre, etc. ? Voyons donc comment les modles de
type Logit, construits sur les diffrentes cohortes, chacun de ces
trois niveaux, permettent d'apporter des lments de rponse ces
questions.
L'entre en 6e
Les modles successifs confirment la diminution des ingalits
d'accs en 6e (tableau 2). Bien que la valeur explicative du modle
diminue fortement au cours de la priode, il reste nanmoins des
ingalits sociales significatives en fin de priode (alors que le
taux d'accs en 6e est de 91,6%),
-
60 M. DURU-BELLAT, A. KIEFFER
Tableau 2. - volution de l'influence des caractristiques
familiales et du sexe sur l'accs en 6e
(modle logit binomial)
PCS du pre Agriculteur Artisan, comm., chef d'entr. Cadre ou
prof, intell, sup. Profession intermdiaire Employ Ouvrier (rf.)
PCS de la mre Agricultrice Artisane, comm., chef d'entr. Cadre
ou prof, intell, sup. Profession intermdiaire Employe Ouvrire
Inactive (rf.)
Diplme du pre Sans diplme ou CEP (rf.) CAP, ou BEPC Bac ou
plus
Diplme de la mre Sans diplme ou CEP (rf.) CAP, ou BEPC Bac ou
plus
Sexe Garons (rf.) Filles G2 (df. 9) Effectif Taux moyen d'accs
(%)
Gnrations Avant 1939
- 0,37** 0,71*** 1 ,93*** 1*25*** 0,72*** 0,00
- 2,05** 0,42***
- 0,11 0,58* 0,07
- 0,07 0,00
0,00 0,59*** 1 54***
0,00 0,95*** 1,62***
0,00 0,22**
1 300 5 933 23,4
1939-1948
- 0,06 1,03*** 1,86*** 1,32*** 0,70*** 0,00
- 1,04* 0,19 0,23 0,45* 0,17
- 0,08 0,00
0,00 0,54*** 1,36***
0,00 0,84*** j 42***
0,00 0,21***
1 978 7 903 36,9
Lecture : le G (log-vraisemblance) permet d'estimer Le
coefficient estim pour les individus derinis par I
1949-1953
0,43** 0,69*** 1,98*** 1,23*** 0,96*** 0,00
0,08 0,44** 1,50 0,85* 0 44***
- 07 0,00
0,00 0,71*** 0,97***
0,00 0,77***
0,00 0,13*
1 142 5 611 46,7
1954-1958
0,47** 0,57*** 1,68*** 0,82*** 0,50*** 0,00
- 0,42* 0,41* 0,90 0,09 0,09
- 0,07 0,00
0,00 0,80*** 0,74***
0,00 0,90*** 1,12***
0,00 0,39***
597 5 423 75,4
1959-1963
0,15 0,89** 0,73* 0,90*** 0,85** 0,00
0,65 0,33 0,30 0,46 0,40* 0,26 0,00
0,00 0,24 0,85*
0,00 0,50* 1,25*
0,00 0,52***
177 4 674 91,6
e pouvoir explicatif du modle. a modalit active indique
l'influence
de cette modalit, toutes choses tant gales par ailleurs, par
rapport aux individus dfinis par la modalit de rfrence Diffrence de
probabilit significative au Source : enqutes FQP 1977,
seuil de 5 %(*), 1 %(**) ou 0,1 %(***). 1985 et 1993.
sans doute du fait du caractre trs typ de l'enseignement
spcialis45', second volet de l'alternative aujourd'hui une
scolarisation en 6e. En ce qui concerne l'effet spcifique de la
catgorie socioprofessionnelle du pre,
-
LA DMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE 6 1
on observe un resserrement des carts entre les enfants de cols
blancs : en dbut de priode, quand l'entre en 6e tait rare, les
carts avec les enfants d'ouvriers (pris comme rfrence) s'tageaient
nettement depuis les enfants d'employs jusqu'aux enfants de cadres,
alors qu'en fin de priode, les enfants d'ouvriers (et les enfants
d'agriculteurs) s'opposent tous les autres, quand il s'agit de la
probabilit d'entrer ou non en 6e (cette seconde alternative tant
exceptionnelle). Les enfants d'agriculteurs ont sur la priode
rattrap leur retard sur les enfants d'ouvriers, sans toutefois
prendre sur eux un avantage significatif, comme ce sera le cas
d'autres niveaux.
La catgorie socioprofessionnelle de la mre n'apparat pas comme
exerant une influence significative dans les modles ; il faut
voquer cet gard la difficult inhrente l'htrognit de la population
de rfrence - les femmes inactives -, groupe retenu comme rfrence du
fait de son importance quantitative. Dveloppons ce point, qui
illustre les limites des modlisations multivaries. Pour les
gnrations nes avant 1939, alors que les femmes inactives(6)
reprsentent prs de 70 % de la population des mres, on y compte la
fois des mres diplmes (55 % des femmes dotes d'au moins un
baccalaurat sont inactives) et des mres peu diplmes, qui sont trs
largement majoritaires ; pour les dernires gnrations, la croissance
de l'activit fminine ayant davantage concern les femmes les plus
diplmes (il n'y a plus que 33 % d'inactives parmi les femmes dotes
d'au moins un baccalaurat), la population des inactives compte
davantage de mres moins diplmes. Mme si ce type de modles entend
estimer l'influence spcifique d'une variable toutes choses gales
par ailleurs, cette estimation ne peut s'affranchir du contexte
historique dans lequel certaines variables sont de fait fortement
corrles : ainsi, la modalit mre cadre suprieur sera plus
difficilement significative dans les modles que la variable
correspondante chez les pres, car si chez ces derniers la modalit
cadre suprieur absorbe en partie l'effet d'un niveau d'instruction
suprieur auquel elle est corrle, chez les femmes, l'htrognit de la
population des inactives brouille quelque peu les cartes.
L'effet spcifique du niveau d'instruction des parents sur l'accs
en 6e a diminu au cours de la priode ; cependant, le fait d'avoir
une mre au moins bachelire joue encore un rle relativement fort.
Enfin, les filles ont creus un avantage, qui existait d'ailleurs ds
les gnrations plus anciennes, et s'est sensiblement accentu
rcemment (ce qui n'est pas sans rapport avec le caractre plutt
masculin de l'enseignement spcialis).
L'accs en 2nde
Les taux d'accs en 2nde mesurs sur l'ensemble d'une gnration ont
augment pour atteindre prs de 50% en fin de priode; cependant, les
modles perdent de leur pouvoir explicatif partir des cohortes 1949-
1953 (tableau 3). Ceci ne traduit pas une baisse de l'effet
spcifique de
-
62 M. DURU-BELLAT, A. KIEFFER
Tableau 3. - Evolution de l'influence des caractristiques
familiales et du sexe sur l'accs en 2"de pour l'ensemble de la
population
(modle logit binomial)
PCS du pre Agriculteur Artisan, comm., chef d'entr. Cadre ou
prof, intell, sup. Profession intermdiaire Employ Ouvrier (rf.)
PCS de la mre Agricultrice Artisane, comm., chef d'entr. Cadre
ou prof, intell, sup. Profession intermdiaire Employe Ouvrire
Inactive (rf.)
Diplme du pre Sans diplme ou CEP (rf.) CAP, ou BEPC Bac ou
plus
Diplme de la mre Sans diplme ou CEP (rf.) CAP, ou BEPC Bac ou
plus
Sexe Garons (rf.) Filles G2 (df. 9) Effectif Taux moyen d'accs
(%)
Gnrations Avant 1939
- 0,15 1,10*** 2,20*** 1,36*** 0,94*** 0,00
- 1,52 - 0,08
0,28 0,39
- 0,06 - 0,34**
0,00
0,00 0,44** 1,67***
0,00 1,18*** 1,88***
0,00 - 0,09
1 364 5 933 13,1
1939- 1948
0,29* 1,12*** 2,10*** 1,35*** 0,84*** 0,00
- 2,09* 0,06
- 0,16 0,51** 0,09
- 0,23 0,00
0,00 0,38*** 1,41***
0,00 0,80***
0,00 0,03
2 205 7 903 24,3
1949- 1953
0,77*** 0,95*** 2,08*** 1,31*** 0,93*** 0,00
- 0,08 0,20 0,60 0,36 0 42***
- 0,42* 0,00
0,00 0,76*** 1,15***
0,00 0,66*** 1,69***
0,00 0,26***
1 397 5 611 28,2 ,
1954- 1958
1,05*** 0,98*** 1,80*** 0,99*** 0,82*** 0,00
- 0,39* 0,26 1,04 0,60** 0,05
- 0,07 0,00
0,00 0,58*** 1,03***
0,00 0,92*** 1,47***
0,00 0,45***
1 333 5 423 34,5
1959- 1963
0,18 0,92*** 1,93*** 1,08*** 0,78*** 0,00
0,61** 0,53** 0,88* 0,73*** 0,37*** 0,10 0,00
0,00 0,32** 1,05***
0,00 0,82*** 1,41***
0,00 0,79***
1 219 4 674 40,4
1964- 1973
0,37 0,81*** 1,72*** 0,88*** 0,73*** 0,00
0,30 0,60** 1,30*** 0,84*** 0,24**
- 0,21 0,00
0,00 0,31** 0,93***
0,00 0,48*** 0,80***
0,00 0,53***
1 048 4 029 49,2
Lecture : le G (log-vraisemblance) permet d'estimer le pouvoir
explicatif du modle. Le coefficient estim pour les individus dfinis
de cette modalit, toutes choses tant gales par par la modalit de
rfrence Diffrence de probabilit significative au seuil de Source :
enqutes FQP 1977, 1985 et 1993.
la modalit active indique influence ailleurs, par rapport aux
individus dfinis
5 %(*), 1 %(**) ou 0,1 %(*** ).
la catgorie socioprofessionnelle des parents ; en revanche, il
semble bien que l'on soit en prsence d'une baisse sensible de
l'effet de leur niveau d'instruction, avec en fin de priode, des
coefficients qui sont d'un niveau bien infrieur celui des
coefficients attachs aux diffrentes professions. En ce qui concerne
l'effet propre de la catgorie socioprofessionnelle du
-
LA DMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE 63
pre, au contraire de ce qui tait observ au niveau de la 6e, il
n'y a pas d'homognisation des professions moyennes : si l'cart
entre les enfants d'ouvriers et les autres se rduit, on observe en
mme temps un maintien des hirarchies, les enfants de cadres gardant
un net avantage sur tous les autres. Par ailleurs, les enfants
d'agriculteurs, qui partaient d'un handicap en dbut de priode par
rapport aux enfants d'ouvriers, ont pris sur eux un avantage
significatif. nouveau, on observe une monte de l'avantage spcifique
apport par une mre active et les filles creusent sur la priode un
avantage qui n'tait pas significatif au dbut du sicle.
Pour entrer en 2nde, rappelons-le, il faut la fois tre entr en
6e et avoir franchi sans encombre les paliers d'orientation(7) de
la fin de 5e et de la fin de 3e ; les modles prsents ci-dessus
incorporent donc la dmocratisation induite par l'ouverture de la
6e. Les modles construits sur la seule population entre en 6e, dont
le pouvoir explicatif augmente partir des gnrations 1954-1958,
dvoilent quant eux un durcissement des ingalits lies la catgorie
socioprofessionnelle du pre, mme si celles-ci semblent se rduire
pour les dernires gnrations (tableau 3 bis) : au cours de la
priode, les enfants dont le pre est ouvrier se font davantage
distancer par les enfants de cols blancs, ce qui signifie que parmi
les lves entrs en 6e, les chances relatives d'accder par la suite
en 2nde ont davantage augment pour les enfants des catgories
moyennes et suprieures ; tout au plus note-t-on l'amlioration
relative de la position des enfants d'employs, notamment par
rapport aux enfants d'indpendants, et l'amlioration de la situation
des enfants d'agriculteurs. L'effet propre de l'exercice d'une
activit professionnelle par les mres devient plus systmatiquement
significatif et apparat galement plus net; en l'occurrence, les
enfants de mres cadres ou exerant des professions intermdiaires se
dtachent nettement de tous les autres. L'influence spcifique du
niveau d'instruction des parents est nouveau en baisse, les
coefficients restant significatifs en fin de priode mais se situant
un niveau en moyenne plus faible que ceux attachs aux diffrentes
professions. Enfin, les filles qui partaient cette fois d'un
handicap en dbut de priode sont prsent avantages (ralisant des
carrires scolaires plus longues, une fois entres au collge) ; cet
avantage cesse toutefois de progresser dans le dernier groupe de
cohortes.
L'avantage accru des filles et le durcissement des ingalits
sociales rsultent, nous l'avons dit, du dveloppement des
orientations professionnelles et pr-professionnelles dans
l'enseignement secondaire. L'examen des taux de passage de 3e en
2nde tout au long de la priode tudie (tableau 4) montre que s'il y
a bien eu, pour les gnrations 1954 1963, une baisse moyenne de ces
taux - et donc des orientations plus frquentes vers l'enseignement
technologique, notamment vers les nouveaux , les taux de
redoublement n'ayant gure volu sur la priode -, cette baisse a
pargn totalement les enfants de cadres et a t au contraire
particulirement mar-
(7) L'alternative la poursuite d'tudes gnrales est une
orientation professionnelle ou pr-professionnelle vers le CAP (en
fin de 5e) ou vers le (en fin de 3e).
-
64 M. DURU-BELLAT, A. K1EFFER
Tableau 3bis. - Evolution de l'influence des caractristiques
familiales ET DU SEXE SUR L'ACCS EN 2"de POUR LA POPULATION ENTRE
EN 6e
(MODLE LOGIT BINOMIAL)
PCS du pre Agriculteur Artisan, comm., chef d'entr. Cadre ou
prof, intell, sup. Profession intermdiaire Employ Ouvrier (rf.)
PCS de la mre Agricultrice Artisane, comm., chef d'entr. Cadre
ou prof, intell, sup. Profession intermdiaire Employe Ouvrire
Inactive (rf.)
Diplme du pre Sans diplme ou CEP (rf.) CAP, ou BEPC Bac ou
plus
Diplme de la mre Sans diplme ou CEP (rf.) CAP, ou BEPC Bac ou
plus
Sexe Garons (rf.) Filles G2 (df. 9) Effectif Taux moyen d'accs
(%)
Gnrations Avant 1939
- 0,01 0,75*** 1,38**1 0,54**=* 0,50** 0,00
1,16 - 0,56***
1,04 - 0,06 - 0,15 - 0,78***
0,00
0,00 0,02 1,15**=*
0,00 0,89*** 1,52***
0,00 - 0,43***
308 1 910 54,5
1939- 1948
0,63*** 0,54*** 1,48*** 0,66*** 0,43**=* 0,00
- 1,65* - 0,08 - 0,58
0,47* - 0,03 - 0,17
0,00
0,00 0,03 1,04***
0,00 0,39*** ] 21 **=
0,00 - 0,24***
315 3 787 65,8
1949- 1953
0,68*** 0,71*** 1,52*** 0,80*** 0,47*** 0,00
- 0,16 - 0,03
0,16 0,04 0,25*
- 0,39* 0,00
0,00 0,51*** 0,94***
0,00 0,37*** [ 24**=*
0,00 0,28**=*
436 3 395 60,5
1954- 1958
1,00*** 0,90*** 1,56*** 0,84*** 0,73**=* 0,00
- 0,25 0,18 0,95 0,53** 0,03
- 0,04 0,00
0,00 0,41*** 0,96***
0,00 0,78*** 1,40***
0,00 0,37***
808 4 278 45,7
1959- 1963
0,18 0,85*** 1,99*** 1,02*** 0,71*** 0,00
0,54** 0,51*** 0,97* 0,73*** 0,33***
- 0,06 0,00
0,00 0,33*** 1,04***
0,00 0,81** 1,35***
0,00 0,75***
980 4 295 42,7
1964- 1973
0,40 0,74*** 1,71*** 0,83**=* 0,69*** 0,00
0,26 0,59*** 1 22**=* 0J9*** 0,18*
- 0,25 0,00
0,00 0,30*** 0,90***
0,00 0,46**=* 0,80**=*
0,00 0,52***
859 3 865 51,2
Lecture : le G (log-vraisemblance) permet d'estimer le pouvoir
explicatif du modle. Le coefficient estim pour les individus dfinis
de cette modalit, toutes choses tant gales par par la modalit de
rfrence Diffrence de probabilit significative au seuil de Source :
enqutes FQP 1977, 1985 et 1993.
la modalit active indique 'influence ailleurs, par rapport aux
individus dfinis
5 %(*), 1 %(**) ou 0,1 %(*** )
que chez les enfants d'ouvriers. On sait par d'autres sources
que les filles se sont moins frquemment orientes vers ce type de
filires. nouveau, la slectivit de l'orientation ce niveau s'estompe
dans le dernier groupe de cohortes.
-
LA DEMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE 65
Tableau 4. - Taux de passage de 3e en 2nde selon la catgorie
SOCIOPROFESSIONNELLE DU PRE (%)
Ensemble Dont
Cadre ou prof, intell, sup. Profession intermdiaire Employ
Ouvrier
Rapport des chances des enfants de cadres et d'ouvriers (odds
ratio)
Gnrations Avant 1939 67,6
90,5 67,5 59,3 51,4
9,0
1939- 1948 76,7
93,4 81,6 75,4 59,9
9,5
1949- 1953 73,2
91,4 77,3 63,1 63,8
6,0
1954- 1958 61,1
90,2 69,7 60,9 43,9
11,8
1959- 1963 59,1
90,9 71,8 56,6 41,3
14,2
1964- 1973 65,3
90,7 73,4 64,3 46,6
11,2
Source: estimations d'aprs les enqutes FQP 1977, 1985 et
1993.
L'obtention du baccalaurat
Quelques commentaires enfin sur les modles expliquant
l'obtention du baccalaurat (quelle que soit la filire), que nous ne
prsenterons pas ici pour ne pas alourdir le texte. Les constats
sont en fait trs proches de ceux faits pour l'entre en 2nde.
L'obtention du baccalaurat, mesure au niveau de l'ensemble d'une
gnration, dpend un peu moins de l'origine sociale, comme en atteste
la baisse du pouvoir explicatif des modles au cours de la priode ;
on observe nanmoins une stabilit remarquable de l'influence propre
de la catgorie socioprofessionnelle du pre ( l'exception des
agriculteurs), l'exercice d'une activit professionnelle par la mre
jouant un rle moins net. L'effet propre du niveau d'instruction est
quant lui en baisse pour les deux parents, mme si le niveau
d'instruction maternel rsiste un peu mieux. Les filles, partant
d'une situation d'galit, creusent encore leur avantage.
Si l'on s'intresse maintenant l'obtention du baccalaurat parmi
la seule population entre en 6e, c'est cette fois une augmentation
des ingalits sociales que l'on assiste, partir des cohortes
1954-1958, avec un renforcement de l'effet propre de la catgorie
socioprofessionnelle du pre. En fin de priode, les enfants de
cadres gardent un avantage net sur les enfants de professions
intermdiaires ( peine distancs par les enfants d'agriculteurs), qui
devancent eux-mmes assez nettement les enfants d'employs et
d'indpendants. Les coefficients attachs aux modalits mre cadre et
mre de profession intermdiaire deviennent significatifs en fin de
priode. En revanche, comme pour l'entre en 2nde, l'influence
spcifique du niveau d'instruction des parents est en baisse, plus
nettement en ce qui concerne celui du pre que celui de la mre. Et
nouveau, les filles accroissent leur avantage.
Des modles comparables (toujours sur la population entre en 6e)
ont galement t estims pou/ expliquer la probabilit d'obtenir un
bac-
-
66 M. DURU-BELLAT, A. KIEFFER
calaurat gnral (et non un baccalaurat technologique, distinction
qui n'a de sens qu'en fin de priode). Ils font apparatre, dans les
cohortes les plus rcentes, des ingalits sociales lgrement plus
accentues, notamment en ce qui concerne l'influence spcifique du
niveau d'instruction du pre et surtout de la mre, comme si le
guidage de son enfant dans les voies les plus prestigieuses du
systme ducatif - ou du moins pour lui viter les filires
relativement dvalorises comme les sries technologiques - exigeait
davantage une certaine familiarit avec l'cole, rvle ici par le
niveau d'instruction des parents.
Par ailleurs, nous avons cherch tester l'effet conjugu des
caractristiques des deux parents, en termes de catgorie
socioprofessionnelle et de niveau d'instruction, dans un certain
nombre de modles. Il s'avre qu' tous les niveaux, un enfant dont
les deux parents sont cadres bnficie d'un avantage supplmentaire
par rapport un jeune dont l'un des parents seulement est cadre,
l'autre occupant une profession moins leve ou tant inactif (il
s'agit alors le plus souvent de la mre). Les couples composs d'un
actif et d'une inactive sont plus proches des couples homogames que
des couples htrogames, ce qui renvoie sans doute l'htrognit de la
catgorie des femmes inactives voque plus haut. De la mme faon,
l'homognit du niveau de diplme des deux parents renforce l'atout
dont bnficient les enfants. Chaque diplme supplmentaire possd par
l'un des parents apporte un avantage, mais il y a quasi-quivalence
des couples o les deux conjoints possdent un CAP ou un BEPC, et de
ceux o l'un des conjoints possde le bac, l'autre n'ayant au plus
que le CEP. Ceci voque la thse du stock d'instruction familial
qu'avanait Girard en 1970 : plus que les diplmes prcis possds par
les deux parents, c'est bien le volume total d'instruction qu'ils
reprsentent qui s'avre important.
Pour revenir rapidement sur les questions poses au dbut de cette
partie, disons que l'on n'assiste pas des reclassements importants
entre les divers groupes sociaux, l'exception des enfants
d'agriculteurs qui amliorent leur position relative. Cela n'est
sans doute pas sans rapport avec l'volution sociologique de ce
groupe professionnel, devenu moins nombreux, et qui s'est modifi
dans sa composition au profit des couches suprieures
d'agriculteurs. Par ailleurs, l'effet spcifique du niveau
d'instruction des parents tend tre moins important (quand on le
dissocie de la profession exerce), le niveau d'instruction de la
mre semblant rsister un peu mieux que celui du pre. Enfin, l'ide
d'un cumul des avantages reste tout fait pertinente.
La translation des ingalits du fait de l'ouverture de
l'enseignement secondaire
Les modles prcdents font apparatre une certaine onde
dmocratisante rsultant de l'ouverture de la 6e mais, simultanment,
le maintien d'ingalits fortes dans le droulement des carrires
scolaires, avec l'amorce d'une baisse dans le dernier groupe de
cohortes. On peut donc
-
LA DMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE 67
se demander si l'accs la 2nde n'est pas devenu l' quivalent
fonctionnel de l'accs la 6e pour les gnrations les plus anciennes.
Le rapprochement des modles construits chacun de ces deux niveaux,
pour des cohortes de la premire moiti du sicle (nes de 1939 1948)
et des cohortes plus jeunes (nes de 1954 1958) est instructif. La
structure des coefficients s'avre trs proche, l'exception de ceux
exprimant l'influence du sexe (les filles nes de 1954 1958
apparaissant plus avantages pour l'entre en 2nde que ne l'ont t
leurs anes pour l'entre en 6e) et du fait d'avoir un pre
agriculteur (avec l aussi apparition d'un avantage).
On peut visualiser ce rapprochement en reportant sur un
graphique (inspir de Merlli, 1985) les taux d'accs selon la
catgorie socioprofessionnelle des pres dans les deux modles
compars. Si les points s'taient aligns le long d'une droite de
pente gale 1 (reprsente en pointills sur la figure 3), on aurait pu
conclure une translation parfaite des ingalits d'un niveau l'autre,
entre les deux groupes de cohortes. La pente de la droite est
lgrement infrieure cette valeur, ce qui signifie qu'il y a un peu
moins d'ingalits d'accs la 2nde aujourd'hui qu' la 6e autrefois ;
ce sont surtout les enfants d'agriculteurs qui ont amlior leur
position, alors que les enfants des professions intermdiaires et
d'ouvriers auraient plutt vu leur situation se dgrader.
100 Accs en 2nde des gnrations 1954-1958
Cadre ou profession intellectuelle suprieure ,
y = 0,816x + 5,2357 R2 = 0,9153
Profession intermdiaire
Agriculteur*
isan, commerant, chef d'entreprise
Ouvrier
50 60 70 80 90 100 Accs en 6e des gnrations 1939-1948
Figure 3. - Relation entre les taux d'accs en 6e des gnrations
1939-1948 et les taux d'accs en 2nde des gnrations 1954-1958
selon la catgorie socioprofessionnelle du pre (%) Source:
enqutes FQP 1977 et 1985
-
68 M. DURU-BELLAT. A. KIEFFER
Sur cette question de l'volution des ingalits et de la
dtermination d'quivalents fonctionnels, il est intressant
d'examiner la situation de cohortes encore plus rcentes, ce que
permet le panel d'lves entrs en 6e en 1989 (qui concerne
essentiellement la gnration 1978). Certes, ces donnes ne sont pas
parfaitement comparables aux prcdentes ; on peut en revanche
aisment les mettre en perspective avec les donnes des panels raliss
en 1972-1973 et en 1980 (correspondant essentiellement aux
gnrations 1961-1962 et 1969). Il apparat trs clairement que si la
priode sparant les deux premiers panels se caractrise par une
grande stabilit des ingalits sociales, il n'en va pas de mme entre
les deux derniers panels : dans cette priode caractrise par la
disparition effective du palier d'orientation en fin de 5e -prvue
dans les textes ds 1975-, on assiste une gnralisation des scolarits
jusqu'en 3e, ce qui va rduire l'ampleur des ingalits d'accs en 2nde
(tableau 5).
Mme si, ce niveau, les ingalits sociales restent importantes en
fin de priode, l'cart des taux d'accs en 2nde des enfants de cadres
et des enfants d'ouvriers et les odds ratios correspondants ont
baiss entre les deux derniers panels. On sait par ailleurs que la
relative et rcente dmocratisation de l'entre en 2nde dcoule trs
largement de la dmocratisation des scolarits compltes au collge,
les ingalits inhrentes au passage de 3e en 2nde ayant beaucoup
moins diminu. Ainsi, pour les enfants d'ouvriers, la comparaison
entre les panels d'lves entrs en 6e en 1980 et en 1989 montre que
si la hausse du taux d'accs en 3e est de 31 points (le taux est
pass de 58% 89%), le gain est moins que proportionnel
Tableau 5. - Taux d'accs en 2nde selon la catgorie
SOCIOPROFESSIONNELLE DU PRE
Taux d'accs en 2nde (%) Agriculteur Artisan, commerant, chef
d'entreprise Cadre ou profession intellectuelle suprieure
Profession intermdiaire Employ Ouvrier Ensemble Effectif cart des
taux d'accs des enfants de cadres et d'ouvriers (en points) Rapport
des taux d'accs des enfants de cadres et d'ouvriers Rapport des
chances des enfants de cadres et d'ouvriers (odds ratio)
lves entrs en 6e en
1972
34 51 85 57 41 25 41
37 437
60,0
3,4
16,9
1980
41 50 87 61 43 30 46
18 419
57,0
2,8
16,2
1989
58 59 90 72 55 42 59
20 996
48,0
2,1
12,4
Source : ministre de l'ducation nationale, de la Recherche et de
la Technologie, panels d'lves entrs en 6e en 1972, 1980 et
1989.
-
LA DMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE 69
quand on examine l'accs en 2nde gnrale ou technologique, puisque
le taux d'accs a augment de 12 points seulement (de 30% 42%). Tout
comme la gnralisation de l'entre en 6e a permis la dmocratisation
aux niveaux ultrieurs (notamment en 3e, sans que l'orientation en
cours de collge ne se soit dmocratise), il semble que la
dmocratisation de l'accs au lyce ait t largement induite par
l'ouverture du systme en amont. On peut ainsi s'attendre une
certaine dmocratisation de l'accs au baccalaurat, sans que l'on
puisse prjuger qu'elle concernera toutes les filires. Les travaux
de Merle (1996) laissent penser qu'il devrait y avoir, au niveau du
baccalaurat comme au niveau de l'enseignement suprieur, coexistence
de deux phnomnes : rattrapage d'un certain retard des catgories
modestes - grce l'ouverture - mais, dans le mme temps, maintien
d'carts qualitatifs dans la nature des filires frquentes.
Les ingalits dans le plus haut niveau ducatif atteint et
l'volution des diffrents aspects de l'origine sociale
Examinons enfin les modles de rgression linaire que nous avons
estims pour expliquer le plus haut niveau ducatif atteint. Certes,
on sait que l'volution des ingalits est difficile analyser l'aune
de ce type de modles, qui incorporent les effets de l'expansion du
systme. Ainsi, la relative stabilit des hirarchies scolaires peut
correspondre un renforcement (des ingalits) certains niveaux du
cursus et un affaiblissement d'autres paliers (Goux et Maurin,
1995); mais ils taient incontournables pour engager les
comparaisons internationales que nous entendions mener par
ailleurs.
Nous avons construit une chelle de 7 niveaux de diplmes pour
l'estimation de ces modles (sans diplme, CEP, CAP, BEPC, , , diplme
du suprieur). Les modles (tableau 6) font apparatre un flchissement
du pourcentage de la variance explique par les variables d'origine
sociale et de sexe prises en compte, qui atteste d'une baisse
tendancielle des ingalits associes ces caractristiques. L'examen
des coefficients met en vidence l'influence dcroissante du niveau
de diplme des parents, tandis que l'effet propre de l'exercice
d'une profession par la mre s'affirme pour les cohortes les plus
jeunes. Dans tous ces modles, les ingalits lies au sexe deviennent
l'avantage des filles et se renforcent sur la priode.
S'il se confirme donc que l'influence spcifique du niveau
d'instruction des parents s'estompe avec le temps, ce rsultat n'en
demeure pas moins contre-intuitif : on imaginerait plutt que la
diversification du systme ducatif rende encore plus prcieux pour
les jeunes l'atout que constitue le capital scolaire des parents.
Il convient donc de l'interroger prcisment : rvle-t-il une
modification relle des mcanismes par lesquels se transmet l'hritage
familial et, dans ce cas, comment l'interprter? Ou n'est-il qu'un
artefact refltant soit l'volution des interactions entre catgorie
sociopro-
-
70 M. DURU-BELLAT, A. KIEFFER
Tableau 6. - Explication du plus haut niveau ducatif atteint par
gnration (modle de rgression linaire)
PCS du pre Agriculteur Artisan, comm., chef d'entr. Cadre ou
prof, intell, sup. Profession intermdiaire Employ Ouvrier (rf.)
PCS de la mre Agricultrice Artisane, comm., chef d'entr. Cadre
ou prof, intell, sup. Profession intermdiaire Employe Ouvrire
Inactive (rf.)
Diplme du pre Sans diplme ou CEP (rf.) CAP, ou BEPC Bac ou
plus
Diplme de la mre Sans diplme ou CEP (rf.) CAP, ou BEPC Bac ou
plus
Sexe Garons (rf.) Filles R2
Gnrations Avant 1939
- 0,38**" 0,54**" l 47**=t 1,08**" 0,38** 0,00
- 0,55** 0,13 0,42 0,29* 0,04
- 0,22** 0,00
0,00 0,64**" 1,58**"
0,00 1,15*** 1,51**"
0,00 - 0,09*
32,3 % Lecture : le R est le pourcentage de d'estimer son
pouvoir explicatif.
1939- 1948
- 0,15* 0,79**" 1,61**" 1,13**" 0,74**" 0,00
- 0,60** 0,11 0,11 0,37** 0,09
- 0,07 0,00
0,00 0,65*** 1,19***
0,00 0,97*** 1 24***
0,00 - 0,10*
29,3 %
1949- 1953
0,18* 0,67**" 151 **" 1,06**" 0,58**" 0,00
- 1,51**" 0,28**" 1,05**" 0,40* 0,20*
- 0,03 0,00
0,00 0,28**" 1,08**"
0,00 0,94**" 0,91**"
0,00 0,14*
26,5 %
1954- 1958
0,95**" 0,88**" l 44*#=i 1,00**" 0,90**" 0,00
- 0,18 0,28* 0,64* 0,60**" 0,09
- 0,01 0,00
0,00 0,66**" 1,07**"
0,00 0,89*** 1,02**"
0,00 0,25***
25,4 %
1959- 1963
0,53*** 0,81*** 1,57*** 1,15*** 0,84*** 0,00
0,53** 0,42** 0,24 0,40** 0,27**" 0,11 0,00
0,00 0,33*** 0,71***
0,00 0,71*** 1,07***
0,00 0,48***
25,2 %
1964- 1973
0 59*** 0,68*** 1,30**" 0,96**" 0,54**" 0,00
0,42* 0,35* 0,62**" 0,42**" 0,20** 0,00 0,00
0,00 0,47**" 0,53**"
0,00 0,52**" 0,76**"
0,00 0,39**"
20,3 % variance explique par le modle ; il permet donc
Le coefficient estim pour les individus dfinis de cette modalit,
toutes choses tant gales par par la modalit de rfrence. Diffrence
de probabilit significative au seuil de Source: enqutes FQP 1977,
1985 et 1993.
la modalit active indique 'influence ailleurs, par rapport aux
individus dfinis
5%(*), 1 %(**) ou 0,1 %(*** )
fessionnelle et niveau d'instruction, soit l'influence
ventuelle, dans les modles, de leur mode de catgorisation ?
Contentons-nous de donner quelques exemples des explorations
menes pour tenter de mieux comprendre ce rsultat, et ventuellement
le conforter (le lecteur se reportera Duru-Bellat et Kieffer, 1999,
pour plus de prcisions). Tout d'abord, on a pu vrifier que la
corrlation entre ca-
-
LA DMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE 7 1
tgorie socioprofessionnelle et niveau d'instruction du pre (gale
0,45) tait relativement stable sur la priode : on ne peut donc
considrer que l'effet de la catgorie socioprofessionnelle absorbe
de plus en plus l'effet du niveau d'instruction. Concernant
l'influence des modes de catgorisation, on pouvait se demander si
le fait que le niveau d'instruction soit, dans la plupart des
modles, apprhend par une nomenclature moins fine (comportant 3
modalits) que la catgorie socioprofessionnelle (en comportant 6)
pouvait expliquer sa moindre influence. Nous avons donc estim
d'autres modles en utilisant des modes alternatifs de catgorisation
(3 modalits pour ces deux variables notamment). Cela ne change pas
les rsultats : ce n'est donc pas parce que la catgorie
socioprofessionnelle du pre est plus finement mesure qu'elle semble
exercer une influence plus importante que son niveau d'instruction
sur les parcours scolaires des enfants.
Par ailleurs, nous avons cherch dterminer si l'influence
dcroissante du niveau d'instruction maternel avec le temps n'tait
pas en rapport avec la monte du travail fminin, l'effet croissant
de l'exercice d'une profession par la mre absorbant en partie celui
de son niveau d'instruction. Les rgressions estimes sur la
sous-population des enfants des femmes actives montrent que cette
hypothse doit tre carte et que la baisse de l'effet du niveau
d'instruction maternel est bien relle. Ces rgressions montrent par
ailleurs (sur cette sous-population au moins) que l'effet propre du
niveau d'instruction de la mre est suprieur celui du niveau
d'instruction du pre. On pouvait pourtant se demander si cette
supriorit n'tait pas un artefact d la faible proportion de femmes
actives, le coefficient attach au niveau d'instruction des mres
tant donc moins affect la baisse que chez les pres par la prise en
compte conjointe de la profession ; cela ne semble pas tre le
cas.
Parmi les variables permettant d'apprhender le milieu social de
l'enfant, on peut donc conclure l'influence prdominante aujourd'hui
de la catgorie socioprofessionnelle du pre, suivie du niveau
d'instruction de la mre, puis du niveau d'instruction du pre. Cette
question reste nanmoins ouverte, le dveloppement continu de
l'activit fminine pouvant affecter ce schma dans les annes venir.
Mme si tous ces effets sont mesurs toutes choses gales par
ailleurs, il reste nanmoins difficile de hirarchiser l'effet du
niveau d'instruction et de la catgorie socioprofessionnelle, les
coefficients obtenus tant ncessairement sensibles au mode de
catgorisation retenu et, surtout, l'effort de dissociation de ces
diffrentes caractristiques tant invitablement un peu vain : tenter
d'valuer l'effet de la profession du pre net de son niveau
d'instruction ou des caractristiques de sa conjointe est une
dmarche abstraite, qui peut vite devenir sociologiquement absurde,
vu les corrlations existant, dans la ralit, entre ces diverses
variables. Nanmoins, cette dmarche reste intressante d'un point de
vue analytique, et pertinente pour certains groupes au sein
desquels les recouvrements seraient plus lches.
-
72 M. DURU-BELLAT, A. KIEFFER
Conclusions
Malgr les nombreux problmes de mesure qui subsistent, un certain
nombre de conclusions semblent se dgager. Que l'on raisonne en
termes de niveau moyen des tudes ou d'accs diffrents niveaux du
systme ducatif, une certaine dmocratisation a pris place, certes
d'autant plus attnue et d'autant plus rcente que l'on se situe des
niveaux levs de scolarisation. Simultanment, le passage d'un niveau
l'autre et donc le droulement des carrires scolaires restent marqus
par des ingalits sociales globalement stables, bien qu'une baisse
semble s'amorcer parmi les gnrations les plus jeunes. Pour qui
valorise avant tout l'accs l'ducation, le premier type de rsultat
est essentiel, mais pour qui se proccupe avant tout de la
comptition entre groupes, le second interdit de parler de vritable
dmocratisation. On parlera plutt de dmocratisation purement
quantitative ou de dmographisation (Prost, 1986) ou encore de
dmocratisation uniforme (Goux et Maurin, 1997). Ces termes ne sont
pas dnus de connotations pjoratives, et il semble donc que la
diffusion plus galitaire de l'ducation soit considre par certains
comme ngligeable.
Dans cette seconde perspective, c'est la dimension instrumentale
de l'ducation qui est implicitement ou explicitement valorise. Il
est vrai que si l'on assiste un dplacement des ingalits vers des
niveaux plus levs du systme scolaire, que si les ingalits entre
groupes chacun des paliers d'orientation se maintiennent ou se
renouvellent (avec par consquent une absence de dmocratisation
qualitative), alors on s'engage dans une course infinie : si
l'essentiel est le classement le long d'une hirarchie de diplmes
et, en filigrane, d'une hirarchie d'emplois, les ingalits vont
perdurer tant que certains groupes sauront mieux que d'autres
dtecter les placements scolaires les plus rentables. Un certain
nombre de rsultats de r
echerche rcents montrent la fois que la valeur, notamment
montaire, d'une formation dpend avant tout de son rang dans
l'chelle des diplmes (Jarousse et Mingat, 1986), et que l'ouverture
de l'accs tel ou tel niveau du systme s'accompagne de l'orientation
privilgie de certains groupes vers certaines filires (ce que Merle
appelle un dveloppement diffrenci). Dans tous les cas, la
dmocratisation apparat ainsi comme une utopie (Duru-Bellat et
Merle, 1996). Mais c'est alors une dmocratisation externe - externe
l'institution scolaire - que l'on se rfre, non sans quelque flou
conceptuel: voudrait-on que les seules aptitudes, vierges de tout
biais social, dcident des scolarits (alors qu'on connat le poids de
facteurs non mritocratiques sur les carrires scolaires, tels que
les vux des familles), ou que la formation initiale gouverne seule
l'accs aux positions sociales (et non, au-del des diplmes,
l'origine sociale de leurs dtenteurs), ou encore que la formation
reue s'avre moins dterminante pour l'insertion conomique et sociale
des individus ?
-
LA DMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE 73
Toujours est-il que cette course en avant est assortie de cots
sociaux et conomiques que la tendance inexorable une dvalorisation
des diplmes (cf. notamment Chauvel, 1998) obligera rapidement
analyser spcifiquement. Avec, au total, une probabilit assez forte
que l'on soit en prsence d'un jeu somme nulle. Ainsi, Fors (1997)
montre-t-il que la dmocratisation de l'ducation semble largement
contrecarre par une certaine dvaluation des titres, et ne dbouche
donc pas sur un accroissement de la mobilit sociale(8).
Dans les comparaisons internationales (Shavit et Blossfeld,
1993), les conclusions sont en gnral de ce type : les ingalits se
dplacent plus qu'elles ne diminuent, sauf dans quelques pays (la
Sude, les Pays-Bas) o les ingalits entre groupes sociaux (ingalits
conomiques notamment) se sont par ailleurs estompes, induisant de
moindres diffrenciations sociales dans les choix des jeunes aux
diffrents paliers d'orientation. Ceci rsulte - sans que l'on sache
trs bien o est la poule et o est l'uf - de l'analyse de modles
logistiques se voulant le plus possible dgags de l'influence
parasite des marges (c'est--dire du niveau des taux d'accs). On a
alors tendance, dnoncent certains chercheurs (notamment Hellevik,
1997), sous-estimer le fait que l'expansion de l'ducation a
largement contribu rendre l'accs ce bien moins ingalitaire, ce qui
n'est pas dpourvu d'effets sociaux. Corrlativement, on ngligerait
des indicateurs globaux d'ingalits (comme le coefficient de Gini),
qui seuls permettraient de montrer la porte galisatrice de
l'expansion, mme si les relations entre milieu social et carrires
scolaires restent stables. Cela dit, un certain nombre de
publications comparatives plus rcentes ou portant sur des pays
isols (Jonsson et Mills, 1993, pour la Grande-Bretagne; Erikson et
Jonsson, 1996, pour la Sude; Shavit et Westerbeek, 1998, pour
l'Italie; Brauns, 1998, pour la France notamment), affichent le
souci de ne pas s'en tenir une analyse historique globale de la
relation entre origine sociale et carrires scolaires pour se
pencher sur l'volution des rapports spcifiques des diffrents
groupes sociaux l'ducation. L'analyse des taux bruts se trouve en
quelque sorte revalorise, ce qui produit des jugements plus nuancs
en termes de dmocratisation (Millier, 1998).
Au-del de ces dbats qui ne peuvent que perdurer, puisqu'ils sont
sous-tendus par des conceptions diffrentes de l'galit (galit dans
les mcanismes d'allocation des individus aux diffrents niveaux
ducatifs, ou galit dans la distribution globale de l'ducation), les
comparaisons internationales apportent des clairages heuristiques
sur les processus associs la dmocratisation. Elles montrent
notamment que l'ouverture du systme ducatif n'est pas la seule
stratgie pour dmocratiser et qu'elle engendre des effets pervers.
Les rformes ducatives, qui modifient le cadre dans lequel la
comptition entre groupes s'exerce (volume de l'offre tel
(8) Certes, cette notion de dvaluation demande elle-mme tre
discute : il conviendrait notamment d'examiner le contenu des
emplois et de mettre nouveau en perspective l'expansion de la
scolarisation avec l'volution de la structure des emplois elle-mme
(cf. Forgeot, 1997; Muller, 1998).
-
74 M. DURU-BELLAT, A. KIEFFER
ou tel niveau, caractre plus ou moins prcoce des premires
slections, existence de passerelles entre filires, rgles rgissant
les passages entre niveaux), peuvent affecter l'ampleur des
ingalits sociales. Ces dernires ne seraient donc pas avant tout
dpendantes de caractristiques individuelles, comme l'a
traditionnellement envisag la sociologie de l'ducation franaise (
l'exception de Boudon ds 1973), mais s'inscriraient dans un
contexte institutionnel dont l'influence ne peut tre apprhende que
par des comparaisons internationales, puisque ce contexte ne varie
gnralement pas au sein d'un pays donn. Ceci vaut la fois pour
certaines caractristiques institutionnelles du systme ducatif,
telles que l'articulation entre enseignement gnral et enseignement
professionnel, et pour les dispositions qui organisent les
relations entre formation et emploi. D'o les limites des approches
sociologiques restes longtemps locales, comme c'est le cas en
France, qui vont privilgier, dans les constructions thoriques comme
dans les analyses empiriques, les facteurs que leur variabilit
intra-nationale rend visibles au sein d'un pays donn. Il est donc
utile que les sociologues franais travaillant sur les ingalits
participent des rseaux internationaux, les bnfices en attendre
n'tant pas seulement de nature mthodologique, mais tout autant
thoriques.
ANNEXE MTHODOLOGIQUE
Les enqutes Formation-Qualification professionnelle (FQP)
Les enqutes FQP sont ralises par l'Insee. Cette srie d'enqutes
s'intresse l'emploi, la mobilit sociale et professionnelle et au
rle que joue la formation (initiale et post-scolaire) cet gard. La
premire a t mene en 1964, les suivantes en 1970, 1977, 1985 et
1993. Nous avons utilis dans ce travail les quatre dernires
enqutes.
Hormis celle de 1993, les enqutes FQP ont t ralises auprs d'un
chantillon d'individus stratifi selon la nationalit, le type
d'activit, la catgorie socioprofessionnelle et la classe d'ges. Les
taux de sondage varient de 1/200 1/2500. Le tirage est effectu deux
niveaux : on tire d'abord des logements au sein de l'chan-
tillon-matre, puis des individus. L'enqute de 1993, quant elle, a t
effectue auprs d'un chantillon de mnages, stratifi selon la rgion
et la catgorie de commune ; l'chantillon a t rduit de moiti et les
taux de sondage ont t construits de manire ce que chaque personne
ge de 20 64 ans ait une probabilit gale d'tre tire (1/1400).
Les effectifs des enqutes sont les suivants : FQP 1970 : 37 843
rponses ; FQP 1977 : 39 103 rponses ; FQP 1985 39 200 rponses ; FQP
1993 18 300 dans 14 255 mnages qui ont rpondu.
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LA DMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE 75
Le champ de l'tude
Nous avons retenu toutes les personnes dont la scolarit primaire
est connue, ce qui conduit liminer environ 16% des trangers. La
majorit des personnes limines de cette manire sont des trangers (70
% environ). Cette mthode n'limine pas tous les trangers, mais ceux
qui restent ont une assez bonne connaissance du systme ducatif
franais pour avoir dcrit de manire dtaille leur scolarit en rfrence
aux nomenclatures franaises qui leur taient proposes. Cette mthode
n'est pas sans inconvnients, puisqu'elle amne retenir dans
l'chantillon des personnes qui n'ont pas effectu l'intgralit de
leur scolarit en France, mais elle nous est apparue prfrable celle
plus commune consistant liminer l'ensemble des trangers (et
naturaliss) et donc ignorer ceux qui ont effectivement frquent
l'cole franaise, quand l'objet du travail est prcisment d'analyser
les ingalits sociales.
Les cohortes
Nous avons regroup les cohortes partir de l'observation par ge
dtaill de l'volution de leur scolarisation aux diffrents niveaux
d'enseignement. Afin de minimiser l'effet des erreurs de mmoire et
de disposer de cohortes les plus compltes possibles chaque date,
nous avons construit un panel glissant partir des diffrentes
enqutes FQP. Toutefois, en procdant ainsi, nous maximisons les
biais dus aux volutions du questionnaire et des codages, en
particulier entre les enqutes FQP 1970 et 1977, les deux suivantes,
dans lesquelles la description des scolarits a t considrablement
amliore, et enfin FQP 1993 qui a introduit un calendrier mais
supprim des variables utiles, et qui a subi une baisse drastique de
la taille de l'chantillon.
Nous avons choisi de prendre les cohortes dans l'enqute la plus
proche de la fin de la scolarit secondaire des enqutes (les plus
jeunes ont au moins 25 ans la date de l'enqute, borne que nous
avons repousse 30 ans chaque fois que nous avons intgr les
scolarits dans le suprieur). Cependant, nous avons t amenes, pour
une mme cohorte, prendre les informations dans des enqutes
diffrentes pour des raisons lies, d'une part, aux volutions des
effectifs selon les enqutes (qui interviennent sur la robustesse
des rsultats) et, d'autre part, l'homognit dans le temps des
indicateurs que nous avons labors. Nous avons pris les options
suivantes :
pour les tableaux descriptifs qui combinent peu de variables la
fois, nous avons retenu les enqutes les plus proches, soit FQP 1970
pour les cohortes nes avant 1939, FQP 1977 pour les cohortes
1939-1948 et 1949-1953, FQP 1985 pour celles nes entre 1954-1958 et
1959-1963 et, enfin, FQP 1993 pour les cohortes 1964-1973. Les
premires cohortes sont dcennales, car elles prcdent les grandes
volutions du systme ducatif, la dernire cohorte l'est galement en
raison des effectifs. Nous obtenons ainsi des cohortes de taille
sensiblement comparable ;
pour les modles, nous n'avons utilis que les trois dernires
enqutes, car la description du systme ducatif y est proche (et mme
identique pour FQP 1977 et 1985);
pour la partie concernant l'enseignement suprieur, nous avons
construit des cohortes dcennales afin de disposer d'effectifs
suffisants ; nous avons utilis FQP 1977 pour les cohortes nes avant
1949, FQP 1985 pour les cohortes nes entre 1949 et 1958 et FQP 1993
pour les cohortes nes entre 1959 et 1969.
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76 M. DURU-BELLAT, A. KIEFFER
Construction des niveaux d'ducation
Nous avons dtermin les paliers ducatifs pertinents pour chaque
priode du point de vue de la slectivit interne et externe du
systme. Pour cela, nous avons d'abord dfini les niveaux scolaires
puis compt les populations qui atteignent tel ou tel niveau. On
peut alors concevoir des variables dichotomiques qui opposent la
population qui a atteint ce niveau celle qui ne l'a pas atteint, ou
construire des variables hirarchises, les dichotomies opposant
alors la population qui a atteint tel palier l'ensemble de celle
qui a atteint le palier qui le prcde immdiatement (taux de
survie).
Le premier palier de rfrence est l'entre en 6e (ventuellement en
5e pour les cohortes les plus anciennes, car cette poque il tait
possible d'entrer directement dans l'enseignement secondaire ce
niveau au sortir des classes de fin d'tudes) ; les paliers suivants
sont l'accs la classe de 3e qui marque la scolarisation complte
dans le premier cycle gnral, l'accs la 2nde quelle qu'elle soit,
l'accs l'enseignement technique court, l'obtention d'un baccalaurat
quel qu'il soit et, parce qu'il est plus slectif, l'obtention d'un
baccalaurat gnral, enfin, le diplme obtenu dans l'enseignement
suprieur. Nous disposons dans les enqutes FQP d'indicateurs de
cursus que nous avons combins pour construire nos paliers.
Les variables continues
Les choix ont t fonds sur les proximits entre groupes sociaux ou
entre diplmes, observes dans la priode rcente. Ils ne tiennent donc
pas compte des changements survenus dans la priode tudie. Le plus
haut niveau d'ducation :
Nomenclature hirarchise de diplmes en 7 postes que nous avons
assimile une variable continue en affectant la valeur 1 aux
non-diplms, 2 aux titulaires du CEP, 3 ceux du CAP, 4 pour la
possession du BEPC, 5 pour le , 6 pour le bac et 7 pour un diplme
du suprieur. Ce mode de construction se rfre essentiellement la
hirarchie scolaire des diplmes et au fonctionnement de
l'orientation dans les diffrentes filires en France, et non la
valeur de ces diplmes sur le march du travail. Cette logique
entrine la suprmatie de l'enseignement gnral ; c'est pourquoi, par
exemple, le , accessible aprs une scolarit complte au collge, est
nettement plus valoris que le CAP en trois ans accessible aprs une
classe de 5e. Niveau d'ducation de chacun des parents :
Affectation de la valeur 3 aux parents bacheliers ou plus, de la
valeur 2 aux parents dots d'un CAP ou d'un BEPC, de la valeur 1 aux
parents dots au plus d'un CEP. Catgorie socioprofessionnelle des
parents :
Affectation de la valeur 3 aux cadres ou professions
intermdiaires, de la valeur 2 aux artisans, commerants et chefs
d'entreprise, aux agriculteurs et aux employs, de la valeur 1 aux
ouvriers et aux inactifs. Les non-rponses ont t limines. Pour les
mres, nous avons limin les inactives des modles de rgression qui
intgrent la profession de la mre comme variable continue.
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LA DMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE 77
Le niveau social de la famille
FQP 1970 et FQP 1977 sont codes dans la nomenclature des CSP,
les suivantes dans la nouvelle nomenclature des PCS. Nous n'avons
retenu que le premier chiffre des deux nomenclatures et rang les
professions (au niveau du deuxime chiffre) qui ont chang de
catgorie selon la logique des PCS. Ce procd est trs fruste, mais
nous ne disposions pas du fichier de l'enqute FQP 1977 recod en PCS
au moment o nous avons fait ces traitements. Une partie des
ruptures constates entre les cohortes 1949-1953 et 1954-1958 peut
sans doute tre impute aux volutions de la nomenclature.
Nous avons utilis deux types d'indicateurs : le premier concerne
la catgorie socioprofessionnelle de chacun des parents ( partir du
premier chiffre des PCS) ; l'autre, indicateur du niveau social de
la famille, combine les catgories socioprofessionnelles de chacun
des parents. Nous lui avons affect les valeurs suivantes :
0 si les deux conjoints sont inactifs ; 1 si les deux conjoints
sont cadres ou professions intellectuelles suprieures ; 2 si l'un
des conjoints est cadre ou profession intellectuelle suprieure,
l'autre exerce une profession intermdiaire ou est artisan,
commerant ou chef d'entreprise ;
3 si l'un des conjoints est cadre ou profession intellectuelle
suprieure, l'autre ouvrier, employ ou agriculteur ;
4 si l'un des conjoints est cadre ou profession intellectuelle
suprieure, l'autre est inactif;
5 si les deux conjoints exercent des professions intermdiaires
ou sont artisans, commerants ou chefs d'entreprise ;
6 si l'un des conjoints exerce une profession intermdiaire,
l'autre est ouvrier, employ ou agriculteur ;
7 si l'un des conjoints exerce une profession intermdiaire,
l'autre est inactif ; 8 si les deux conjoints sont ouvriers,
employs ou agriculteurs ; 9 si un conjoint est ouvrier, employ ou
agriculteur, l'autre est inactif. Pour dcrire le niveau d'ducation
de la famille, nous avons combin les d
iplmes de chacun des parents selon une nomenclature comprenant
trois postes (CEP au plus, CAP-BEP-BEPC, bac et plus). L'indicateur
vaut :
1 si les deux conjoints ont au plus le CEP ; 2 si l'un des
conjoints a un diplme de niveau intermdiaire (CAP, ,
BEPC), l'autre possde au plus le CEP; 3 si les deux conjoints
possdent un diplme de niveau intermdiaire ; 4 si l'un des conjoints
possde au moins le bac, l'autre au plus le CEP ; 5 si l'un des
conjoints possde au moins le bac, l'autre un diplme inte
rmdiaire ; 6 si les deux conjoints possdent au moins le
baccalaurat.
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78 M. DURU-BELLAT, A. KIEFFER
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LA DMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT EN FRANCE 79
Duru-Bellat Marie, Kieffer Annick.- La dmocratisation de
l'enseignement en France : polmiques autour d'une question
d'actualit La question de la dmocratisation de l'enseignement en
France a fait l'objet de nom
breux travaux. Elle reste nanmoins ouverte, car les faits
eux-mmes sont en constante volution et les mthodes mobilises pour
traiter cette question divergent largement, non sans rapport avec
les diffrentes conceptions de l'galit des chances qui les
sous-tendent. Ce texte propose une analyse de l'volution des
ingalits pour les gnrations nes depuis le dbut du sicle jusqu'aux
gnrations nes dans les annes soixante-dix ; elle est fonde sur une
exploitation des enqutes FQP et du dernier panel d'lves entrs en 6e
du ministre de l'ducation nationale. Les rsultats font apparatre un
affaiblissement de la relation entre origine sociale et accs aux
diffrents niveaux du systme ducatif, mme si celui-ci est d'autant
plus discret que l'on prend en compte des niveaux plus levs de
scolarisation : si le bien ducation est plus largement diffus, les
ingalits sociales dans la comptition pour l'accs tel ou tel niveau
s'avrent stables, et tendent se dplacer vers les niveaux qui
restent dots d'une valeur distinctive. Dans l'influence du milieu
familial, l'effet propre de la catgorie socioprofessionnelle des
parents semble se renforcer par rapport celui de leur niveau
d'instruction ; en particulier, l'effet spcifique de l'exercice
d'une profession par la mre s'est affirm. Un rapprochement est
esquiss entre ces rsultats et les analyses les plus rcentes
conduites au niveau europen.
Duru-Bellat Marie, Kieffer Annick.- The democratization of
education in France: controversy over a topical question The
question of the democratization of education in France has been
studied many t
imes. It remains open, however, since the facts themselves are
constantly changing and the methods used to examine the question
vary widely, reflecting the different notions of equality of
opportunity on which they are based. This article analyses the
change in inequalities for the generations born from the start of
the century up to the 1960s, using the FQP (training and vocational
qualification) surveys and the most recent panel survey of
first-year s
econdary school pupils of the Education Ministry. The results
reveal a weakening of the link between social origins and access to
the different levels of the education system, though this
development is less marked the higher up the school system.
Education as a commodity has become more