1 La Damnation de Faust d'Hector Berlioz (1846) et Le Vaisseau Fantôme (1843) de Richard Wagner. Etude comparative de "la voix dans l'orchestre". La Nature et le démon. prof. musicologue, Dominique Porebska-Quasnik Introduction Indubitablement le grand tournant dans le domaine de l'orchestre a été pris par Beethoven, dans l'orage de sa Pastorale (1808). Là éclate toute la puissance de son génie créateur dans le domaine de l'orchestration de la nature 1 . Il faudra attendre l' ouverture du Vaisseau Fantôme de Richard Wagner (1843) pour retrouver cette grande fresque naturelle. Entièrement sous l'emprise de la Nature, divinisée, ou diabolisée, ces deux compositeurs allemands n'ont pas essayé d'imiter mais de s'abandonner à la force créatrice supérieure qui les animait. Et c'est sans doute par cela qu'ils sont si grands. Hector Berlioz est d'une autre trempe. L'Invocation à la Nature de La Damnation de Faust (1846) est un chef-d'oeuvre d'équilibre comme de sang froid. Un humanisme debout devant la puissance créatrice première et la force ambiguë des ténèbres. Une interrogation douloureuse, pénétrante, pleine d'une douleur patiente et maîtrisée. Le Hollandais volant, lui, aspire à l'abîme, qu'il défie et dont il échappe presque malgré lui. Deux destinées, celle la raison goethienne et celle de la passion du gouffre et du néant, doutant du salut rédempteur. Deux images du romantisme, classique, ou désespéré. Le docteur Faust, vieux savant, ou rajeuni par son pacte avec le diable, reste au-dessus de son sort. L'orgueilleux capitaine, damné, est soudain frappé d'un coup inconnu: la rédemption par le don total de l'amour. Thématique: la Nature et de diable. Comme Faust, le Vaisseau fantôme est une légende. Morale, ou non, mais philosophique, dans le sens d'une réflexion sur la nature de l'existence humaine. L'homme en proie au démon ou à son démon. Dans cette étude, nous intéressera la profondeur des accents humains confiés à la voix et à l'orchestre, luttant avec une énergie farouche avec les forces de la damnation et balançant entre espoir et destruction. Problématique: comparaison de l'art français de Berlioz avec l'art allemand de Wagner. Dans ce dialogue et cette comparaison des profondeurs, y a-t-il des secrètes nuances que nous n'entendîmes pas ? Comment s'expriment ces deux titans, issus de culture différente. Sont-ils différents dans le culte de la musique glorifiant la toute puissance de la Nature? 1 "Il se dégage de lui une contagion de vaillance, un bonheur de la lutte, l'ivresse d'une conscience qui sent en elle un Dieu. Il semble que dans sa communion de tous les instants avec la nature [parmi tous ses livres, Beethoven possédait: Kant, Naturgeschichte und Theorie des Himmels], il ait fini par s'en assimiler les énergies profondes. Grillparzer, qui admirait Beethoven avec une sorte de crainte, dit de lui:" Il alla jusqu'au point redoutable où l'art. se fond avec les éléments sauvages et capricieux." Schumann écrit de même de la Symphonie en ut mineur: "Si souvent qu'on l'entende, elle exerce sur nous une puissance invariable, comme ces phénomènes de la nature, qui, si fréquemment qu'ils se reproduisent, nous remplissent toujours de crainte et d'étonnement." Et Schindler, son confident: "Il s'empara de l'esprit de la nature." Romain Rolland, Vie de Beethoven, Librairie Hachette, Paris, 1903; pp. 76-77.
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La Damnation de Faust d'Hector Berlioz (1846) et Le Vaisseau Fantôme (1843) de Richard Wagner. Etude comparative de "la voix dans l'orchestre". La Nature et le démon.
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La Damnation de Faust d'Hector Berlioz (1846) et Le Vaisseau Fantôme
(1843) de Richard Wagner. Etude comparative de "la voix dans
l'orchestre". La Nature et le démon.
prof. musicologue, Dominique Porebska-Quasnik
Introduction
Indubitablement le grand tournant dans le domaine de l'orchestre a été pris par Beethoven,
dans l'orage de sa Pastorale (1808). Là éclate toute la puissance de son génie créateur dans le
domaine de l'orchestration de la nature1. Il faudra attendre l' ouverture du Vaisseau Fantôme
de Richard Wagner (1843) pour retrouver cette grande fresque naturelle. Entièrement sous
l'emprise de la Nature, divinisée, ou diabolisée, ces deux compositeurs allemands n'ont pas
essayé d'imiter mais de s'abandonner à la force créatrice supérieure qui les animait. Et c'est
sans doute par cela qu'ils sont si grands. Hector Berlioz est d'une autre trempe. L'Invocation
à la Nature de La Damnation de Faust (1846) est un chef-d'oeuvre d'équilibre comme de
sang froid. Un humanisme debout devant la puissance créatrice première et la force ambiguë
des ténèbres. Une interrogation douloureuse, pénétrante, pleine d'une douleur patiente et
maîtrisée. Le Hollandais volant, lui, aspire à l'abîme, qu'il défie et dont il échappe presque
malgré lui. Deux destinées, celle la raison goethienne et celle de la passion du gouffre et du
néant, doutant du salut rédempteur. Deux images du romantisme, classique, ou désespéré. Le
docteur Faust, vieux savant, ou rajeuni par son pacte avec le diable, reste au-dessus de son
sort. L'orgueilleux capitaine, damné, est soudain frappé d'un coup inconnu: la rédemption par
le don total de l'amour.
Thématique: la Nature et de diable.
Comme Faust, le Vaisseau fantôme est une légende. Morale, ou non, mais philosophique,
dans le sens d'une réflexion sur la nature de l'existence humaine. L'homme en proie au
démon ou à son démon. Dans cette étude, nous intéressera la profondeur des accents humains
confiés à la voix et à l'orchestre, luttant avec une énergie farouche avec les forces de la
damnation et balançant entre espoir et destruction.
Problématique: comparaison de l'art français de Berlioz avec l'art allemand de Wagner.
Dans ce dialogue et cette comparaison des profondeurs, y a-t-il des secrètes nuances que
nous n'entendîmes pas ? Comment s'expriment ces deux titans, issus de culture différente.
Sont-ils différents dans le culte de la musique glorifiant la toute puissance de la Nature?
1 "Il se dégage de lui une contagion de vaillance, un bonheur de la lutte, l'ivresse d'une conscience qui sent en
elle un Dieu. Il semble que dans sa communion de tous les instants avec la nature [parmi tous ses livres,
Beethoven possédait: Kant, Naturgeschichte und Theorie des Himmels], il ait fini par s'en assimiler les énergies
profondes. Grillparzer, qui admirait Beethoven avec une sorte de crainte, dit de lui:" Il alla jusqu'au point
redoutable où l'art. se fond avec les éléments sauvages et capricieux." Schumann écrit de même de la
Symphonie en ut mineur: "Si souvent qu'on l'entende, elle exerce sur nous une puissance invariable, comme ces
phénomènes de la nature, qui, si fréquemment qu'ils se reproduisent, nous remplissent toujours de crainte et
d'étonnement." Et Schindler, son confident: "Il s'empara de l'esprit de la nature." Romain Rolland, Vie de
Beethoven, Librairie Hachette, Paris, 1903; pp. 76-77.
2
Méthode: cartésienne.
Nous nous appuierons sur l'analyse des partitions d'orchestre que nous réécouterons dans
le silence. Nous partirons donc du point zéro, l'esprit libre. Nous pourrons ensuite comparer
nos réultats avec ceux de nos collègues qui prennent une voie différente, ou comparable.
Bibliographie:
Bartholoni Jean, Wagner et Le Recul du Temps, Paris, Albin Michel, 1924.2
Berlioz Hector, Les Mémoires, Garnier Flammarion, Paris, 1969.
Goethe Wolfgang, Faust et le Second Faust, suivis d'un choix de poésies allemandes, traduits
par Gérard de Nerval, Paris, Garnier Frères, Libraires-Editeurs, 1828 ?
Keszi Imré3, Nie kończąca się melodia, Powieść o Wagnerze (La mélodie continue, roman à
propos de Wagner) Cracovie, Polskie Wydawnictwo Muzyczne, 1984 (original en langue
hongroise, 1966).
Nietzsche, Le cas Wagner suivi de Nietzsche contre Wagner (Der Fall Wagner, Nietzsche
contra Wagner 1888-1889), Paris, Idées/Gallimard,1974 (traduction en langue française).
Quasnik (Dominique), La Voix dans l'orchestre de Wagner, Verdi, Puccini et Richard
Strauss, thèse de Doctorat, Paris, Paris IV-Sorbonne, Musicologie, 1978. (Texte manuscrit).
Romain Rolland, Vie de Beethoven, Paris, Hachette, 1902.
Wagner Richard, Die Kunst und die Revolution, Leipzig: Otto Wigand Verlag, 1849 et Oper
und Drama, Verlagsbuchhandlung von E.E. (?) Weber, Leipzig, 1862.
Discographie: Les meilleures interprétations pour le style et la puissance:
Der fliegende Holländer (The Flying Dutchman), interprètes: Bavarian State Opera Orchestra
& Chorus, Hans Hotter, Viorica Ursuleac, Georg Hann, Karl Ostertag, Luise Willer, Franz
Klarwein., sous la direction de Clemens Krauss, 1944. Der fliegende Holländer - Joel
Berglund, Maria Müller (Richard Kraus, Bayreuth 1942). Wagner - Der fliegende Holländer
- Bayreuth / Keilberth 1956. La Damnation de Faust , Invocation à la Nature d'Hector Berlioz. Marian Porebski,
orchestre de la Radio et de la Télévision Françaises, 1965. Archives de Radio France et de
la Fondation Ensemble Vocal Marian Porebski.
2 Il est intéressant de consulter cet ouvrage de la plume du Président du Conservatoire de Genève, par ce qu'il est
écrit avant la montée de Hitler et la guerre de 1939 qui causeront l'assimilation de Wagner à l'idéal nazi..
L'ouvrage conclue (p.250): "Il [Wagner] put, grâce à ces appoints nouveaux, porter l'oeuvre d'art intégrale à un
point de puissance et de perfection qui dépassa sa propre attente, et que nul génie actuel, ou visible à l'horizon,
ne saurait songer à égaler". 3 Keszi Imre [1910-1974], écrivain, critique musical, traducteur, enseignant, professeur, né et mort à Budapest en
Hongrie.
3
Abstract
We wanted to question the genius of Berlioz and Wagner facing the Nature and the torment
of being a man. The Damnation of Faust, especially the Invocation to nature, is the summit of
Berlioz's art. But in The Flying Dutchman 4 only begins to emerge, from the depths of the
Wagnerian musical ocean, the redemptive revolt that will change the history of lyrical art.
With his later work, The Tetralogy, and his least, Parsifal (1882).
I. La Damnation de Faust, Hector Berlioz, 1846.
I.1 L'invocation à la Nature.
Forêts et cavernes. Andante maestoso (144 à la croche). Le chef d'orchestre, dans tout ce
morceau, devra marquer les 9 croches de chaque mesure, sans quoi il lui sera impossible
d'obtenir avec précision les nuances de mouvement qui sont indiqués.(Note de H. Berlioz).
L'orchestre comprend: 2 flûtes, 1 hautbois, cor anglais, 2 clarinettes en La, Cors III et IV en
Ré bémol, 4 bassons, 2 trompettes en Fa, 3 trombones, timbales en Fa # et Mi bécarre, violons
I et II, altos, violoncelles, contrebasses. On voit ici, dans le choix de l'instrumentation, la nette
prédominance d'une couleur particulière: hautbois, cor anglais, 2 clarinettes en La, 4 cors, 4
bassons, 3 trombones et deux timbales. Cette Invocation, est déclamée avec précision, dans le
tutti grandiose de l'orchestre. Elle nécessite l'interprétation d'un vrai ténor dramatique. Le
compositeur raconte dans ses Mémoires les circonstances qui lui inspirèrent cette oeuvre et sa
réception (voir plus loin: le chant).
L' orchestre. Les caractéristiques de cette page.
Violoncelles, contrebasses et trombones I, II, III se doublent à l'unisson et à l'octave,
lentement, majestueusement, portant l'harmonie et préparant l'entrée du chant par une cadence
parfaite en Fa mineur. Au-dessus, la tenue, imperturbable des flûtes sur le contre ut #,
pendant cinq longues mesures décomposées à la croche, contrecarrent la tension des basses
descendant inexorablement dans les profondeurs de la terre, par demi-tons et tons. Frappé à
contre-temps par le battement solennel des timbales, ce tout concourre à exprimer la
grandeur souveraine et impénétrable de la création, dont la puissance attire sans cesse
l'homme vers le haut, comme vers le bas au fond de l' énigme indéchiffrable de ses lois. On
pourrait comparer la signification de cette page grandiose à celle du premier volet de La
Tétralogie de Richard Wagner, précisément au prélude de L'Or du Rhin (1869) . L'éternelle
beauté et l'éternel mystère que le désir de l'homme (la possession de la puissance par l'or ou
par le savoir) n'a pas encore troublés. A l'intérieur de l'orchestre de cette Invocation, ou de
cette méditation fervente, le cor anglais, la clarinette en La et le cor animent de leur timbre,
feutré et discret, l'âme de ce tableau sans cesse grandissant jusqu'à la parole consacrée:
4 "Wagner claimed in his 1870 autobiography Mein Leben that he had been inspired to write the opera following
a stormy sea crossing he made from Riga to London in July and August 1839. In his 1843 Autobiographic
Sketch, Wagner acknowledged he had taken the story from Heinrich Heine's retelling of the legend in his 1833
satirical novel The Memoirs of Mister von Schnabelewopski (Aus den Memoiren des Herrn von
Schnabelewopski). The central theme is redemption through love". Sources: Google Play Music and Tunes.
4
"Nature immense, impénétrable et fière". ( Ex. nr 1: La Damnation de Faust d' Hector
Berlioz. L' Invocation à la nature, scène XVI 5. L'orchestre).
Ex. nr 1: La Damnation de Faust d' Hector Berlioz. L' Invocation à la nature, scène XVI.
L'orchestre. "Nature immense, impénérable et fière".
Le poème et le chant
Le texte:
" Nature immense, impénétrable et fière, é
Toi seule donne trève à mon ennui sans fin.
Sur ton sein tout puissant je sens moins ma misère:
Je retrouve ma force et je crois vivre enfin.
5 La Damnation de Faust, Hector Berlioz, partition d'orchestre, édition Eulenburg. Ltd. London-Zürich-Mainz-
New York; pp. 160-370.
5
Oui, soufflez, ouragans! Criez, fôrêts profondes!
Croulez, croulez, rochers! Torrents, précipitez vos ondes!
A vos bruits souverains ma voix, aime à s'unir.
Forês, rochers, torrents, je vous adore! Mondes
Qui scintillez, vers vous s'élance le désir,
D'un coeur trop vaste et d'une âme altérée
D'un bonheur qui la fuit!"6
Berlioz réussit l'exploit de paraître écrire en alexandrins, battant ainsi le rythme souverain
de la méditation de Faust devant la majesté incomparable de la nature. Cependant, grâce à la
mélodie, à la prolongation de la voyelle è ("fière') et à la modulation (en ré b majeur) il lance
le défi de cette fierté indomptable, impénétrable, celle de l'homme sur le sein de la Nature,
sautant au-dessus des abîmes, se riant des profondeurs qui ne sont que l'épreuve de la hauteur
des sommets. La trompette se réveille et sonne la crâne victoire. Tandis que le cours rapide
des violoncelles et des contrebasses dessinent déjà la cascade des rochers. (Ex. nr 3 /a/b/c: La
Damnation de Faust, L'Invocation à la Nature, Berlioz. L'orchestre et la voix. La prosodie et
le chant). Berlioz touche ici à la philosophie. Il a bien lu Le Faust de Goethe auquel il rend
la grandeur de sa dialectique. "Entre les esprits qui nient, l'esprit de ruse et de malice me
déplaît le moins de tous"7. Les vers irréguliers sont compensés en régularité par le
prolongement des notes mélodiques. L'orchestre peint le tableau, croulant des rochers, des
ondes précipitées par les torrents, le souffle des ouragants et le cri des forêts profondes. Mais
rien n'altère la sérénité de la Nature, qui seule donne trêve à l'ennui (au chagrin) sans fin de
Faust. De nouveaux apparaissent des alexandrins, presque classiques qui, par leur chant
ample et amplifiée, tel un aigle ouvrant ses ailes, respirent la force de la vie, éternelle (Ex. nr
2/a/b/c/ et nr 3 a/b/c/: L' Invocation à la Nature. La déclamation souveraine dans le tutti de
l'orchestre en harmonie avec sa signification, ce que relève la subtile instrumentation).
"Sur ton sein, tout puissant, je sens moins ma misère. /// /// /// /// (re) 3, 3, 6 (pieds)
Je retrouve ma force, et je crois vivre enfin!". //// // //////! 4, 2, 6
A vos bruits souverains, ma voix aime à s'unir /// /// // //// 3.3, 2,4
Faust a le monde sous ses pieds, se riant des abîmes, il aspire de tout son être vers la force
première et inaltérable à laquelle il s'unie dans un élan de passion totale. La grandeur de ce
tableau musical vient de sa matière en évolution constante grâce au déploiement du chant,
6 Voir la traduction du Faust de Goethe par Gérard de Nerval. 7 Le Prologue de Faust. Le Seigneur: "Connais-tu Faust?" Méphistophéles :"Le docteur?"- "Mon serviteur" [...]
"Il me cherche ardemment dans l'obscurité, et je veux bientôt le conduire à la lumière" [...] "Aussi longtemps
qu'il vivra sur la terre, il t'est permis de l'induire en tentation. Tout homme qui marche peut s'égarer" [...] "Entre
les esprits...." [...] "Mais vous, les vrais enfants du ciel [...] ...sachez affermir dans vos pensées durables les
tableaux vagues et changeants de la Création" . Traduction de Gérard de Nerval, pp. 36-38 (voir la
Bibliographie).
6
progressant sans cesse vers une apothéose finale. Précédé par une entrée orchestrale
monumentale qui est le cadre et la forme de la pensée maîtresse. La tension dialectique
première, philosophique ou naturelle, terrestre ou divine, entre les aigus qui ne cessent de
grandir vers un sommet idéal et les basses de descendre vers les profondeurs des mystères de
la création (voir les paroles du Seigneur dans le Prologue de Faust: "Il (le Docteur Faust) me
cherche ardemment dans l'obscurité, et je veux le conduire à la lumière", et plus loin aux
enfants du ciel: " sachez affermir dans vos pensées durables les tableaux vagues et
changeants de la Création". Tandis qu'aux voix intérieures de l'orchestre, la nature bouge,
bouleverse, inquiète, frémit. Mais la volonté de Faust, malgré son ennui (sa douleur), plane
fermement au-dessus des éléments naturels et se jette à la fin, tout entière, dans l'âme divine
de la Création. "Vers vous s'élance le désir, d'un coeur trop vaste et d'une âme altérée d'un
bonheur qui la fuit". "Sur ton sein tout puissant, je sens moins ma misère, Je retrouve ma
force et je crois vivre enfin". Classicisme, raison cartésienne, logique, allant jusqu'à Dieu. Ce
dont témoigne la régularité du chant, dont le rythme prosodique est complété par le
prolongement de la valeur des notes, afin d'atteindre à l' équilibre de la versification. En
extrème fin, un demi-alexandrin: "d'un bonheur qui l 'a fuit".
Vers vous s'élance le désir // ////// (8 pieds)
d'un coeur trop vaste et d'une âme altérée //// ////// (10 pieds)
d'un bonheur qui l' a fuit /// /// (6 pieds: demi-alexandrin)
Le chant emplit les irrégulatités des vers et s' enfle, puissamment jusqu'au bout, vers le
sommet du désir d'un bonheur qui fuit. On ne peut mieux exprimer, mélodiquement, le sens
du texte que l'orchestre encadre grandiosement et l'instrumentation fait vivre et parler.
Berlioz, dans cette apothéose lyrique, est d'une originalité supérieure à celle du Wagner,
encore débutant du Vaisseau Fantôme (1843).
Le chant
La ligne du chant épouse la dynamique sémantique du texte, les accents forts et les mots
croissant en importance comme en signification. Tout le génie de cette page vient de la
peinture orchestrale, vivante, de la modulation harmonique des hauts et des bas, des chutes et
des sommets, du Temps de la plénitude et de la fuite d'un bonheur, insasissable à l'homme.
Ainsi que du mouvement rythmique et agogique, qui colle à la voix exprimant la démesure de
la passion de vivre, éternellement. Mais l'écriture vocale respecte la langue française et rend
admirablement le contenu par la mélodie (Ex. nr 2/a/b/c: La Damnation de Faust, Berlioz,
Invocation à la nature. La ligne mélodique et le texte). Berlioz écrit dans ses Mémoires 8: "
Ce fut pendant ce voyage en Aurtiche, en Hongrie, en Bohême et en Silésie 9 que je
commençai la composition de ma légende de Faust, dont je ruminais le plan depuis
longtemps. Dès que je me fus décidé à l'entreprendre, je dus me résoudre aussi à écrire moi-
8 Op. cit. Les Mémoires, p. 246.
9 Précisément: Breslau, c'est à dire la ville polonaise de Wrocław, annexée par la Prusse, lors des partages de la
Pologne. Il est à signaler que la légende de Faust, datant du moyen-âge, est liée à la ville de Cracovie. Il semble
que Berlioz ait été inspiré par son voyage en (ancienne) Pologne.
7
même presque tout le livret; les fragments de la traduction du Faust de Goethe par Gérard de
Nerval, que j'avais mis en musique vingt ans auparavant, et que je comptais faire entrer, en
les retouchant, dans ma nouvelle partition, et deux ou trois autres scènes écrites sur mes
indications par M. Gandonnière, avant mon départ de Paris, ne formaient pas dans leur
ensemble la sixième partie de l'oeuvre. J'essayai donc, tout en roulant dans ma veille chaise
de poste allemande, de faire les vers destinés à ma musique. Je débutai par l'invocation de
Faust à la nature, ne cherchant ni à traduire, ni même à imiter le chef-d'oeuvre, mais à
m'en inspirer seulement et à en extraire la substance musicale qui y est contenue. Et je fis
ce morceau qui me donna l'espoir de parvenir à écrire le reste: "Nature immense...."(voir ci-
dessus). Berlioz certifie plus loin: "Je regarde cet ouvrage comme l'un des meilleurs que j'aie
produits; le public jusqu'à présent paraît de cet avis" 10
. Hélas! "C'était à la fin de
novembre1846 [...]...je donnai Faust deux fois avec une demi-salle. [...] il n'y eut pas plus de
monde à l'Opéra -Comique11
à ces deux exécutions, que si l'on y eût représenté le plus
mesquin des opéras du répertoire. Rien dans ma carrière d'artiste ne m'a plus profondément
blessé que cette indifférence inattendue.[...] J'étais ruiné; je devais une somme considérable
que je n'avais pas. Après deux jours d'inexprimables souffrances morales, j'entrevis le moyen
de sortir d'embarras par un voyage en Russie. Mais pour l'entreprendre encore fallait-il de
l'argent..."12
10 Op.cit. p.248 11 Au théâtre de l'Opéra Comique de Paris. 12 Op. cit. pp. 249-250.
8
Ex.nr 2/a : La Damnation de Faust, Berlioz. Invocation à la nature. La ligne mélodique et le
texte. Prolongation de la prosodie par les valeurs des notes.
9
Ex. nr 2/b: La Damnation de Faust, Berlioz, Invocation à la nature. La ligne mélodique et le
texte.
10
Ex. nr 2/c: La Damnation de Faust, Berlioz, Invocation à la nature. La ligne mélodique et le
texte.
11
I.II Analyse de la ligne vocale de l'Invocation à la nature, par rapport au texte et par
rapport à l'orchestre.
La structure harmonique.
Mesures 1 à 4: introduction grandiose, avec battue à la croche en do # mineur par la tenue de
la tonique (do #) aux flûtes et aux violons. Les modulations passagères (sib M, la M, accords
de tonique et ré M, accord de septième de dominante ) n'altèrent pas la couleur de cette
tonique mais elles en approfondissent encore l'éclat majestueux. La cadence en Ré Majeur
(accord puissant de triton sur sol) est évitée et la tension se resserre mesure 5 par un accord
de septième de dominante en si mineur aboutissant mesure 6 sur la tonique. C'est la première
vraie modulation. Découpe générale: 1-5 (do # mineur) 5-6 (si mineur). Nous descendons sans
cesse vers les profondeurs de la terre et le chant désespéré de Faust se rappproche de nous.
Flûtes et violons I qui tenaient imperturbablement la tonique (do #) chutent soudain en si
mineur. L'effet dramatique est saisissant. Un accord sombre, inanalysable, superposant deux
tonalités, amène par un mouvement mélodique chromatique (do #-ré bécarre-do #) à la
cadence principale (7ème de Dominante- accord tonique sans renversement) en fa # mineur,
avec l'entrée de Faust. "Nature immense...". Chaque intention des mots est soulignée par
l'harmonie: "Nature" est en fa# mineur et " immense" déjà amplifié, module en Ré Majeur et
déjà triomphe en Ré b Majeur avec la trompette sur le mot "fière" propulsé par l'accélération
ascendante rythmique de la dominante "impénétrable". L'orchestre soutient parfaitement le
chant, à la fois doublant sa structure harmonique, animant l'image des mots et soulignant le
sens du texte, très précisemment écrit quand à la prosodie (Ex. nr 3/a/b/c: La Damnation de
Faust, Invocation à la Nature, Berlioz. Découpe harmonique). Grande fresque, dessinée et
découpée en couleurs franches, portant comme une perle centrale la perfection du chant. Un
sommet de l'art français. Comme toujours, la supériorité d'un telle page, vient du fait que la
même pensée a conçu musique et texte.
Voyons maintenant, en comparaison, l'art wagnérien dans Le Vaisseau Fantôme (1843).
12
Ex. nr 3/a: La Damnation de Faust, Invocation à la Nature, Berlioz. Découpe harmonique.
13
Ex. nr 3/b: La Damnation de Faust, Invocation à la Nature, Berlioz. Découpe harmonique.
14
Ex. nr 3/c: La Damnation de Faust, Invocation à la Nature, Berlioz. Découpe harmonique.
15
II. Le Vaisseau fantôme 13
de Richard Wagner (1843).
''Wagner est quelqu'un qui a profondément souffert-c'est sa supériorité sur les autres musiciens" (Nietzsche, op.
cit. p. 99).
II.I Les forces de la Nature, la damnation de l'homme, sa lutte et son désespoir.
Rien ne dépeint mieux le combat désespéré de l'homme face à son destin: une grandeur
venue de Dieu que la Nature toute puissante reflète (ici, l'Océan dans la tempête), et une
damnation venue du diabolisme de la condition d'homme. Comme dans la Damnation de
Faust de Berlioz, la Rédemption 14
concluera cette destinée tragique. Cependant, c'est Faust
qui tombe dans le gouffre et Marguerite qui est sauvée15
. Quand au Hollandais maudit, il sera
libéré par le sacrifice de Senta et ils s'élèveront tous deux vers le ciel.
L'orchestre et la voix.
L'orchestre comprend: piccolo, flûtes I et II, hautbois I et II, clarinettes I et II, en si b, cor
anglais, cors I et II en Fa, III et IV en Ré, bassons, trompettes I et II en Fa, trombones I, II, III,
tuba, timbales en Ré et La, harpe, violons, alti, violoncelles, contrebasses. Le tempo de
l'ouverture est Allegro con brio (72 à la blanche pointée). Par rapport à La Damnation de
Faust, s'y ajoutent le tuba, la harpe et la machine à vent). Le motif principal (nr 1) de
l'ouragan sur la mer et de l'appel (la corne) du vaisseau porteront plus loin le chant du
Hollandais maudit. Le motif (nr 2) de Senta ne viendra que quelques pages plus loin et celui
(nr 3) du chant joyeux des matelots débarquant enfin au port sur la terre ferme. L'ouverture
débute en pleine mer houleuse et agitée par la tempête où soudain retentit la corne du vaisseau
fantôme. L'ouverture, les scènes (?) nr 1 et 2, forment un tout: la mer en furie et la damnation
du Hollandais. La découpe des motifs est la suivante: à la suite nr 1, 2,3 , puis 1 et 3
superposés, puis nr 3 en majeur, puis motif du hollandais (nr1) en majeur. L'ouverture
annonce donc toute l'action dramatique. L'appel du vaisseau en majeur conclue l'ouverture,
avec le chant idéalisé et s'élevant vers le ciel, au son de la harpe, de la rédemption par l'amour
pur de Senta16
. La légende du Hollandais maudit précède son arrivée physique, ainsi que son
motif et tous les autres motifs. Le damné n'apparaît qu'au deuxième tableau et chante sur le
motif de la mer en furie sa damnation et la halte septennale, sans cesse renouvelée, ne
trouvant sur terre aucun salut. Le choeur des matelots du vaisseau fantôme achève cette scène,
et le cor lance une dernière fois son appel, comme une attente. La différence entre Faust et
le Hollandais, tient à la catégorie de voix, chez Berlioz, un ténor, chez Wagner, un baryton.
En fait, dans les deux cas, un grand ténor dramatique pourrait tenir ces deux rôles avec succès,
puisqu'ils se mesurent tous deux à la Nature, à la destinée et à un orchestre redoutable (Ex.
13
Voir notre discographie ci-dessus. 14 Goethe écrivit, comme on le sait, plusieurs versions de Faust. 15
Le Faust de Goethe, lui, possède plusieurs versions. 16 A l'acte I, le chant des marins rappellent beaucoup le Freischütz de Weber [1821] . Notamment la scène de la
fonte des balles dans La Vallée des Loups.
16
nr 4/a/b/c/d/e: Le Vaisseau fantôme 17
, Wagner. Acte I Nrs 1 et 2 -tableaux. La voix dans
l'orchestre).
Essentiels cependant pour la compréhension de l'oeuvre sont la couleur de l'orchestre
wagnérien (des cuivres et des percussions) et la forme globale de l'oeuvre. L' idée qui va
mûrir peu à peu de l' Art Total. Si l' instrumentation a son originalité (machine à vent), elle
reste dans le domaine de l' orchestre de Beethoven, mais très amplifié. L' exécution est
décisive. En effet, c'est de la dynamique de l'oeuvre: son énergie continue et le frapper du
rythme dans la couleur orchestrale, que dépend la véritable interprétation et la signification
théâtrale de ce Vaisseau Fantôme. Le drame prend vraiment forme quand le tout (orchestre et
chant) est pris dans une même tornade. Dans l' unité de tous les instruments de l'orchestre et
leur continuité de sonorité de l'un à l'autre, en constant écho, ou en miroir, avec la voix.
Ceci ne résonne vraiment qu'à Bayreuth18
. Sur cette scène, conçue par le maître, la voix est
fondue dans l'orchestre, comme tous les instruments eux-mêmes sont fondus dans une même
larve brûlante s'échappant du volcan. L' harmonisation des couleurs, le relais continu du
chant à l'orchestre et, en son sein, de chaque instrument, sont primordiaux . Le Prélude est
alors extraordinaire ainsi que le début du premier acte. Le geste se joint alors à la parole,
comme un tout, l' instrumentation révèle l'intention précise, surnaturelle, symbolique de la
mise en scène et on y entend déjà La Tétralogie (notamment Die Walküre). (Ex. nr 5/a/b/c/d:
Le Vaisseau Fantôme, Wagner. La voix dans l' orchestre).
17 Wagner Richard, Der Fliegende Holländer (Le Vaisseau fantôme), partition d'orchestre, édité par Felix
Weingartner, Dover Publications, INC, New York, 18 Voir ci-dessus notre choix discographique: Bayreuth- 1942,1944, 1957.
17
Ex. nr 4/a: Le Vaisseau Fantôme, Wagner. L'ouverture. L'instrumentation de l'orchestre.
18
Ex. nr 4/b: Le Vaisseau fantôme ( Der Fliegende Holländer), R. Wagner. Acte I, Nr 2: le
Hollandais, Récitatif: "Die frist ist um" (le terme est échu).
19
Ex. nr 4/c: Le Vaisseau fantôme, Wagner, acte I nr 2: Le Hollandais. Récitatif.
20
Ex. nr 4/d: Le Vaisseau fantôme, Wagner, acte I nr 2: Le Hollandais. Récitatif.
21
Ex. nr 4/e: Le Vaisseau Fantôme, Wagner. L'air du Hollandais, Acte I. La ligne du chant et sa
dépendance à l'orchestre.
22
Ex. nr 5/a: Le Vaisseau Fantôme R. Wagner. L'orchestre: l'apparition du Vaisseau Fantôme.
La vision. Au loin se montre le vaisseau du Hollandais volant avec des voiles rouges et un
mât noir. Il se rapproche rapidement de la côte vers le navire des Norvégiens du côté opposé.
23
Ex. nr 5/b: Le Vaisseau Fantôme R. Wagner. L'orchestre: l'apparition du Vaisseau Fantôme.
Avec un bruit terrible l'ancre s'enfonce dans le sol.
24
Ex. nr 5/c: Le Vaisseau Fantôme Wagner. Le barreur monte ? et regarde la barre; satisfait
que rien ne se soit passé, il se rasseoit et commence à fredonner sa chanson ("Mein Mädel,
wenn nicht Südwind wär'..."). Muet et sans le moindre bruit, l'équipage fantômatique du
Hollandais tire(baisse) la voile...
25
Ex. nr 5/d: Le Vaisseau Fantôme Wagner. "Le Hollandais va sur le rivage; il porte un
costume espagnol noir. Orchestre et mise-en-scène. La signification de l'instrumentation.
26
Ex. nr 6/a: Le Vaisseau Fantôme de Wagner. La partie mûre de l'air, Acte I, nr 2. Le Hollandais. "Aussi souvent
que j'ai plongé dans la gueule des mers profondes...". Mélodie construite sur le (Leit)motif du Vaisseau sautant sur la mer en
furie. Orchestre et voix en (presque) osmose. Wagner ne maîtrise pas encore sa technique Leitmotivale qui lie parfaitement,
en un chant continu, orchestre et voix, sans cependant aucune dépendance réciproque.
27
Ex. nr 6/b : Le Vaisseau Fantôme de Wagner. La partie mûre de l'air, Acte I, nr 2. Le Hollandais. "Aussi souvent
que j'ai plongé dans la gueule des mers profondes...". Mélodie construite sur le (Leit)motif du Vaisseau sautant sur la mer en
furie. Orchestre et voix en (presque) osmose. Wagner ne maîtrise pas encore sa technique Leitmotivale qui lie parfaitement,
en un chant continu, orchestre et voix, sans cependant aucune dépendance réciproque.
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Le Chant
Le texte original et sa traduction 19
Die Frist ist um, und abermals verstrichen sind sieben Jahr'.
(Le terme est échu, et de nouveau ont passé sept ans,)
voll Űberdruss wirft mich das Meer an's Land.
(plein de lassitude la Mer me porte vers la terre).
Ha! Stolzer Ocean! In kurzer Frist sollst du mich wieder tragen!
(Ha! Fier océan dans un court terme tu va me reprendre à nouveau!).
Dein Trotz ist beugsam, doch ewig meine Qual!
(Ta colère est domptée, mais éternelle est ma souffrance)
Das Heil, das auf dem Land' ich suche, nie werd' ich es finden!
(le salut que je cherche sur la terre, je ne le trouverai jamais!)
Euch, des Weltmeer's Fluten, bleib ich getreu
(A vous, inondation du monde des mers, je suis fidèle)
bis eure letzte Welle sich bricht, und euer letztes Nass versiegt!
(jusqu'à ce que votre dernière vague se brise et que votre dernière goutte sèche).
[Fin du récitatif]
Air construit en partie sur le motif du Vaisseau fantôme et de son capitaine damné.
Wie oft in Meeres tiefsten Schlund stürzt' ich voll Sehnsucht mich hinab:
doch ach! den Tod, ich fand ihn nicht!
(Si souvent je plongeais dans la gueule des mers profondes, plein de la nostalgie du gouffre,
mais hélas la mort je ne l'ai pas trouvée.)
Da, wo der Schiffe furchtbar Grab, trieb mein Schiff ich zum Klippengrund,
(Oui, là où est la tombe effrayante du navire, je tire mon bateau sur le sol des falaises)
19 Traduction de l'auteur de cet article, la plus exacte, mot à mot, afin de cerner la pensée du compositeur et les
liens du texte avec la musique.
Contrairement à La Damnation de Faust de Berlioz, dont la composition débuta par le poème (l'Invocation à la
Nature), l'idée du Vaisseau fantôme commença par la tempête sur la mer et par le motif de l'ouverture à
l'orchestre, noté par Wagner. (Voir la note nr 4 en anglais). Ce détail est primordial pour la juste analyse de ces
oeuvres. Nous nous devons d'aller le même chemin que les compositeurs afin d'en pénétrer la pensée profonde.
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doch ach! mein Grab, es schloss sich nicht!
(mais hélas, ma tombe, ne se referme pas!)
Verhöhnend droht' ich dem Piraten,
(faussement je menaçais les pirates)
in wildem Kampfe hofft' ich Tod "Hier", rief ich, zeige deine Thaten,
(dans le combat sauvage j'espérais la mort "ici")
rief ich, zeige deine Thaten, von Schätzen voll ist Schiff und Boot!"
( je les defiai montrant la valeur du bateau et de l'embarcation)
Doch ach! des Meer's barbar'scher Sohn schlägt bang das Kreuz und flicht davon.
Mais hélas! le fils des mers barbares vaincu par la croix a fui plus loin ??????
Wie oft in Meeres tiefsten Grund stürzt' ich voll Sehnsucht mich hinab!
(Si souvent je plongeais dans la gueule des mers profondes, plein de la nostalgie du gouffre,
Da, wo der Schiffe furchtbar Grab, trieb mein Schiff ich zum Klippen grund.
(Oui, là où est la tombe effrayante du navire, je tire mon bateau sur le sol des falaises)
Nirgends ein Grab! Niemals der Tod!
(nulle part ma tombe, jamais la mort).
Dies der Verdammnis Schreckgebot! dies der Verdammnis Schreckgebot!
(cette enchére de la damnation, bis)
[Errichtet seinen, Blick gen Himmel]
(il regarde vers le ciel)
Dich frage ich, gepries'ner Engel Gottes, der meinem Heil's Bedingung mir gewann!
(Je vous demande, ange loué (béni) de Dieu, la condition de mon salut a vaincu mon être)
War ich Unsel'ger Spielwerk deines Spottes, als die Erlösung du mir zeigtest an?
(Etait- ce l' impitoyable jeu de la moquerie que tu me montrais la rédemption)
Vergeb'ne Hoffnung! Furchtbar eitler Wahn!
(l'espoir affecté ! terrible et vaine illusion)
Um ew'ge Tren' auf Erden ist's gethan!
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(pour une éternelle libération sur la terre cela était-il fait?)
Nur eine Hoffnung soll mir bleiben, nur eine uner schüttert stehn;
(seulement un espoir me reste, seulement un réconfort demeure)
so lang' der Erde Keim' auch treiben, so muss sie doch Grunde gehen.
(si longtemps que la semance de la terre survivra, il lui faudra cependant périr)
Tag des Gerichtes! Jüngster Tag! Wann brichst du an in meine Nacht?
(le jour du Jugement, le jour neuf du Jugement! Quand briseras-tu ma nuit?)
Wann dröhnt er, der Vernichtung Schlag, mit dem die Welt zusammenkracht?
( quand rugira le coup dévastateur et avec lui l'effondrement du monde)
Wann alle Toten auferstehn, wann alle Toden auferstehn,
(quand tous les morts ressusciteront, quand tous les morts ressusciteront)
dann werde ich in Nichts vergehn, dann erde ich in Nichts vergehn!
(alors je disparaitrai dans le néant) bis
Wann alle Toten auferstehn dann werde ich in Nichts vergehn, in Nichts vergehn!
Die Welten, endet euren Lauf! Ew'ge Vernichtung, nimm mich auf!
(Le monde terminera sa course! l'éternel néant me prendra!)
[Der Holländer lehnt sich mit verschränkten Armen dump! insich gekehrt eine Felsenwand
des Vordergrundes hin].
(Le Hollandais se penche les bras croisés et se tourne vers une paroi rocheuse, au premier
plan).
[Chor der Mannshaft des Holländers-im Schiffsraum- unsichtbar:
"Ew'ge Vernichtung, nimm uns auf!"].
(Le choeur des hommes d'équipage du Hollandais dans le bateau, invisible: l'éternel néant
nous emportera.)
Fin du nr 2 de l'acte I
[Le terme est échu ; encore sept ans passés comme une tempête lasse de moi, la mer me
rejette à terre… Ah ! fier océan ! bientôt tu me porteras de nouveau. Je sais dompter ta
colère, mais éternelle est ma souffrance ! Le salut que je cherche sur terre, jamais je ne le
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trouverai ! O flots de la mer qui ceint le monde, je vous resterai fidèle jusqu’à ce que votre
dernière vague se brise et que votre dernière goutte soit séchée....].20
Le mélodie vocale
La ligne du chant est traditionnelle: récitatif et air. Mais l'ochestre, à maintes reprises, en
dépasse l'intérêt. La voix vient de l'orchestre: de son harmonie, de son rythme et de son
discours. Les mots seuls mâchent la souffrance du Hollandais damné. (Ex. nr 7/a/b/c/d/e/f/: Le
Vaisseau Fantôme de Wagner. La ligne du chant, à nu et sa dépendance à l'orchestre.). C'est
dans la partie de l' air qui s'anime (et se répète) Si souvent je plongeais dans la gueule des
mers profondes, plein de la nostalgie du gouffre, que la voix colle à l'orchestre.Comme porté
dans le creux des vagues houleuses, le chant ouvre ses ailes. Il devient libre, grandiose,
chantant le même motif principal du Prélude de l'orchestre. L'osmose s'est faite, quand le
même rythme chanté enjambe, précède, entraîne, les gouffres marins dans sa course
désespérée, déterminée, et suicidaire, prête à l'abîme. On touche alors au fond de la
thématique et de l'originalité sauvage de ce vaisseau maudit. Quand l'unité chant et orchestre,
marin et mer, se fait, qu'ils forment le même élément, la dépendance contrainte disparaît et
une force surnaturelle porte l'avancée des flots. C'est alors que chante vraiment tout l'orchestre
wagnérien, fondu dans la voix au texte prophétique et fier (Ex. nr 8/a/b/c/d/e/: Le Vaissau
Fantôme de Wagner. Défi et prophétie du Hollandais révolté).
20 Schuré (Édouard), Le drame musical et l’œuvre de Richard Wagner, Revue des Deux Mondes T.80,